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Full text of "Collection intégrale et universelle des orateurs sacrés du premier et du second ordre et collection intégrale, ou choisie, de la plupart des orateurs du troisième ordre"

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COLLECTION 

INTÉGRALE  ET  UNIVERSELLE 


DES 

ORATEURS  SACRÉS 

DU    PREMIER    ORDRE 

SAVOIR   :  BOURDALOUE,  BOSSUET  *,  FÉNELON  ',    MASSILLON  '; 

COLLECTION  ÉGALEMENT  INTÉGRALE  ET  UNIVERSELLE 

DES     ORATEURS   SACRÉS   DU   SECOND    ORDRE  , 

SAVOIR  :  DE  LINGENDES,  LEJEUNE,  JOLY,    DE    LA    COLOMBIÈRE,  CHEMINAIS,  GIROUST  ,    D'ARGKNTRÉ, 

D'ORLÉANS,    MASCARON,    BOILEAU  ",    ANSELME  *,  FLÉCHIER  ',    RICHARD    (  l'aVOCAT  ), 

LAROCHE,    HUBERT,    MABOUL,    HONORÉ    GAILLARD,   LES    DEUX    TERRASSON,    DE    LA  RUE,   DU 

NESMOND',  MATTH.  PONCET  DE  LA  RIVIÈRE,  DU  JARRY,    DE  LA  BOISSIÈRE,     DE    LA 

PARISIÈRE,     J.-B.    MOLINIER,     SOANEN,  BRETONNEAU,   PALLU,  DUFAY,   MONGIN-,  BALLET, 

SÉGAUD,  SURIAN",  SENSARIC,  CICÉRI  *,  SÉGUY",  PÉRUSSEAU,TRUHLET' ,  PGItKIN, 

DE  LA    TOUR  DU  PIN,  LAFITAU,     d'aLÈGRE,    CLÉMENT,    CLAUDE     DE    NEUVILLE,    DOM 

VINCENT,  DE  LA  BERTHONIE,  GRIFFET,  COUTURIER,  LE  CHAPELAIN,  POULLlî, 

CAMIJACÉRÈS,    ÉL1ZÉE,  GÉRY,    BEURRIER,  DE  BOISMONT',   MAROLLES,   MAURY'; 

ENFIN  COLLF.CTION  INTÉGRALE,  OU  CHOISIE, 

DE    LA    PLUPART    DES    ORATEURS   SACRÉS    DU    TROISIEME    OI1DRE  , 

AVO'R  .CAMUS,  COTON,  CAUSSIN,  GODEAU,  E. MOLINIER,  CASTILLON.  DE  BOl'RZEIS*,  BIRfUT,  TEXIER,  NICOLAS  1>R  DIJON, 

M'.NAULT,  FISANÇnl^  DE  TOULOUSE,  TREUVÉ,   G.    DE  SAINT-MARTIN,  BRETTEV1LLE  ,    IIOIJDRY,    DE    FROMENT1ÈRES , 

DE  LA  CHAMBRE*,  MAIMBOURG,  SIMON  DE  LA  VIERGE,  LE  ROUX,  MASSON,  AUGUSTIN   DE    NAUBOnNE     LA  FESSE, 

CHAUCIIEMER,    DE     LA    VOLPILIÈRE  ,     BERTAL  ,    DAMASCÈNE ,     SÉRAPHIN,    QUIQUERAN     DE      BEAI  JEU, 

DE    LA  CIIÉTARDIE,  CIIAMPIGVÏ,    LORIOT,  JÉRÔME  DE  PARIS   (GEiFFRIN),    RENAUD,  BÉGAULT,   BOURRÉE, 

HERMANT,  MICHEL  PONCET  DE   LA  RIVIÈRE,  CHARAUD  ,  DANIEL  DE  PARIS,  INGOULT.   P01SS-O.N  , 

PACAUD  ,  PRÉVÔT,   DE  LATOUR,  DE  TRACY,   TRADAL,   DU  TIIELL,   AS   ELIN,   COLLET, 

JARD,  CH.   DE  NEUVILLE,    PAPILLON,  GIRARDOT,   RICHARD  (l'aBBÉ),  GEOFFROY,  BAUDRAND, 

de  l'écluse    des   loges,   foisard,    talbert,    barutel  ,  torné , 
fauchet,  feller,  roquelaure  ',  v1lled1eu,  asel1ne, 

(  les  orateurs  marqués  d'une  *  étaient  membi1es  de  l  academie,  ) 

et  ugaucoup  d'autres  orateurs,  tant  anciens  que  contemporains,  du  second  comme  du  troi-iève  ordus, 
dont  les  noms  ne  pourront  être  fixés  que  postérieurement  ," 

PUBLIÉE,  SELON    L'ORDRE    CHRONOLOGIE  L  E  , 

AFIN    DE  PRÉSENTER,    COMME    SOUS    UN    COUP  D'OEIL,  L'HISTOIRE  DE    LA   PRÉDICATION  EN   FRANCE  ,   PENDANT 
7110IS  SIÈCLES,  AVEC  SES    COMMENCEMENTS,       SES    PROGRÈS,     SON     APOGÉE,     SA     DÉCADENCE    ET    SA    RENAISSANCE    ; 

PAR  M.  L'ABBE  M  IGNE  , 

ÉDITEUR    DES    COURS   COMPLETS    SOn    CHAQUE    BRANCHE    DE    LA    SCIENCK    IlELIGIEUSE. 


60  VOL.  IN-k°.  PRIX  :  5  FR.  LE  VOL.  POUR  LE  SOUSCRIPTEUR  A  LA  COLLECTION  ENTIÈRE  ; 
G  FR.  POUR  LE  SOUSCRIPTEUR  A  TEL  OU  TEL  ORATEUR  EN  PARTICULIER. 


TOME  TRENTIEME, 

CONTENANT  LES  ((LIVRES  CHOISIES  DE  DÉCAULT,  ET  LES  OEUVRES  ORATOIRES  COMPLET). 
DE  DOM  JEROME  (GEOFFRJN),  DE  NESMOND  ET  DE  PONCET  DE  LA  RIVIERE  (Matthias). 


CHEZ    L'EDITEUR, 

AUX  ATELIERS  CATHOLIQUES  DU  PEUT  MONTROIGE  , 

BARRIÈRE  DENFER  DIS  PARIS. 


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SOMMAIRE 

DES  MATIÈRES  RENFERMÉES  DANS  LE  TRENTIÈME  VOLUME. 


BÉGAUL1 

Notice  sur  Bégault Col.  9-10 

Panégyriques   choisis 9-G8 

Sermons    cl    Discours  choisis 08-128 

DOM  JÉRÔME  (GEOFFRIN) 

Notice  sur   Dom  Jérôme 127-128 

Avent 127-280 

Carême 280-710 

Sermons   divers 710-787 

Sermons  pour  diverses  fêtes   de  saints  patrons 787-808 

Discours  pour  une  retraite  de  huit  jours 808-915 

Sermon   pour    la  solennité  des  saints  de  l'ordre 915-923 

Professions    religieuses 923-9i5 

Sentiments    de  pénitence    pour  un  mourant 9i5-9i8 

DE  NESMOND. 

Notice  sur  de  Nesmond 9V7-918 

Sermons,  Discours,  Harangues  ,  etc 9i9-109i 

PONCET  DE  LA  RIV1ÈUE. 

Notice  sur  Poncet  de  la  Rivière 1093-1094 

Oraisons    funèbres 1095-1200 

Sermon  pour  la  prise  d'habit  de  Madame  Louise-Marie  de  France 1199-1210 


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Paris.— Imprimerie  de  Yiuyet  de  Sobct,  rue  île  Serre»,  S{ 


NOTICE  SUR  BEGAULT. 


Bégault  (Gilles),  chanoine  et  archidiacre 
de  Nîmes,  né  en  1660,  s'acquit  dans  la  pré- 
dication une  renommée  que  justifient  les  œu- 
vres oratoires  qu'il  a  livrées  au  public.  For- 
mé à  l'éloquence  de  la  chaire  sous  les  yeux 
et  par  les  leçons  de  Fléchier,  dontil  partagea 
les  travaux  pendant  les  vingt-trois  années 
qu'il  eut,  dit-il,  l'honneur  de  demeurer  avec 
lui,  il  se  glorifie  d'être  l'humble  disciple  d'un 
si  grand  maître.  Aussi  retrouve-l-on  dans 
son  style  la  manière  et  l'éloculion  du  célèbre 
évêque  de  Nîmes.  L'abbé  Bégault  remplit 
arec  distinction  le  ministère  de  la  prédica- 
tion dans  les  chaires  de  Paris  et  de  Montpel- 
lier. Il  fut  reçu,  en  1688,  à  l'Académie  de  Nî- 
mes. Choisi,  en  1692,  pour  aller  remercier 
l'Académie  française  de  l'association  qu'elle 
avait  accordée  à  celle  de  Nîmes,  il  prononça 
à  celte  occasion  un  discours  dans  lequel  il 
rendit  aux  taleuts  de  Fléchier  un  hommage 
d'enthousiasme  que  rendait  respectable  l'ad- 


miration qu'il  avait  vouée  à  cet  illustre  ora- 
teur. En  1695,  il  prononça  à  Saint-Germain 
le  panégyrique  de  saint  Louis,  en  présence 
du  roi  et  de  la  reine  d'Angleterre,  auxquels 
il  sut  présenter  avec  convenance  et  dignité, 
dans  le  tableau  des  épreuves  qu'eut  à  subir 
lé  saint  roi  captif  chez  les  infidèles,  des  en- 
seignements et  des  consolations  que  la  reli- 
gion seule  peut  offrir  au  milieu  des  plus 
grandes  infortunes.  Bégault  a  publié  cinq 
volumes  de  Panégyriques ,  Sermons,  Dis- 
cours, etc.;  Paris,  in-12  :  les  deux  premiers 
volumes  en  1711,  le  troisième  en  1717,  le 
quatrième  et  le  cinquième  en  1723.  Nous  re- 
produisons, parmi  ces  discours,  ceux  qui 
nous  ont  paru  supérieurs  aux  autres,  et  qui 
ont  obtenu  le  plus  de  succès. 

On  ignore  l'époque  précise  de  la  mort  de 
Bégault  :  on  peut  présumer  qu'elle  suivit  de 
près  la  publication  du  dernier  volume  de  ses 
œuvres. 


PANEGYRIQUES, 

SERMONS  ET  DISCOURS 

CHOISIS 

DE  BÉGAULT. 


PANÉGYRIQUE 

DE    SAINT    LOUIS  ,    ROI    DE    FRANCE, 

Prononcé  à  Saint-Germain-en-Laye,  dans 
la  chapelle  du  Château,  en  présence  du 
roi  et  de  la  reine  d'Angleterre ,  le  25  août 
1695. 

Sit  Dominus  Deus  tuus  benedictus  cui  complacnisli ,  et 
posuit  te  super  ihronum  Israël,  eoquod  dilexerit  Dominus 
Israël  in  sempiternum;  et  consliluit  te  regem,  ut  faceres 
judicium  et  ju'tiliaiti. 

Béni  soit  le  Seigneur  voire  Dieu,  qui  a  mis  son  affection 
en  vous,  qui  vous  a  fuit  asseoir  sur  le  trône  d'Israël,  parce 
qu'il  a  aimé  Israël  pour  jamais,  et  qu'il  vous  a  établi  roi 
pour  réqncr  avec  équité  et  pour  rendre  la  justice  (III  Reg., 
X ,  J). 

Sire, 
Après  que  la  reine  de  Saba  eut  admiré  la 
grandeur,  la  magnificence,  la  sagesse  et  les 
vertus  de  Salomon  ;  après  qu'elle  eut  publié 
si  hautement  le  bonheur  des  peuples  qui  vi- 
vaient sous  les  lois  d'un  prince  si  bon,  si 
juste,  si  religieux,  elle  s'écria  avec  admira- 
tion :  Béni  soit  le  Seigneur  votre  Dieu,  gui 
a  mis  son  affection  en  vous,  gui  vous  a  /dit 
utscoir  sur  le  trône  d'Israël,  parce  qu'il  «  aimé 

Orateurs  sacrés.  XXX. 


Israël  pour  jamais,  et  qu'il  vous  a  établi  roi 
pour  régner  avec  équité  et  pour  rendre  la 
justice. 

J'emprunte  aujourd'hui,  Messieurs,  ces 
paroles  de  la  bouche  de  cette  reine  pour 
faire  l'éloge  d'un  roi  que  Dieu  fit  asseoir  sur 
le  trône  de  la  France  pour  la  gloire  et  pour 
le  bonheur  des  Français, qu'il  regarde  comme 
son  peuple  choisi  ;  d'un  roi  dont  l'esprit  fut 
si  pénétré  des  ventes  éternelles,  le  cœur  si 
dégagé  des  affections  de  la  terre  ;  dont  le 
courage  fut  si  ferme  pour  soutenir  la  gloire 
de  Dieu,  le  zèle  si  ardent  pour  défendre  les 
intérêts  de  la  religion,  la  piété  si  sincère,  la 
juslice  si  inviolable,  la  tempérance  si  aus- 
tère ;  dont  toutes  les  verlus  furent  si  solides 
et  si  parfaites  ;  d'un  roi  dont  le  règne,  comme 
celui  de  Salomon  ,  fut  un  règne  de  sagesse, 
de  piété,  de  justice,  et  qui,  plus  que  Salo- 
mon, soutint  par  une  constante  vertu,  pen- 
dant toute  sa  vie,  les  exemples  de  religion  et 
de  sainteté  qu'il  avait  donnés  dès  le  com- 
mencement de  son  règne. 

Si  j'avais  à  faire  un  éloge  profane  de  quel- 
que prince  du  siècle,  je  rapporterais  ici,  à  la 

1 


H 

gloire  de  sainl  Louis,  lout  ce  que  la  nais- 
sance a  d'auguste  ,  (oui  ce  que  la  gloire  du 
inonde  a  de  grand  et  d'héroïque  ,  et  lout  ce 
que  la  magnificence  des  rois  renferme  de 
plus  éclatant.  Mais  il  faul  nous  élever  au- 
dessus  de  toutes  les  grandeurs  et  de  toutes 
lr>  félicités  Iium  aines  ,  cl  chercher  danstinc 
plus  nohle.  source  le  fond  d'un  éloge  qui 
remplisse*  s'il  est  possible,  la  haute  idée  q  ie 
nous  avons  de  la  verlu  d'un  des  plus  tamis 
et  des  plus  religieux  princes  du  monde. 

Comme  la  condition  des  rois  tes  élève 
heaucoup  au-dessus  des  autres  hommes.  <  lie 
leur  impose  aussi  de  plus  grands  devoirs,  cl 
les  engage  à  une  verlu  bien  plus  étendue. 
Ce  n'est  pas  a-sez  pour  eux  de  travailler  à 
leur  sanctification  particulière,  ils  sonl  en- 
core chargés  du  soin  des  peuples  qui  leur 
sont  soumis  ;  et  comme  lieu  les  a  éta- 
blis pour  êlre  les  dépositaires  de  sa  puis- 
sance, ils  sont  obligés  de  l'employer  à  sou- 
tenir ses  intérêts  et  ceux  de  son  Église. 

De  là  naissent  trois  devoirs  indispensa- 
bles :  l'un  regarde  la  personne  des  rois  ; 
l'autre  regarde  les  peuples  à  la  conduite 
desquels  ils  sont  préposés,  et  l'autre  enfin 
regarde  Dieu  et  la  religion.  Les  rois,  par 
rapport  à  eux-mêmes,  doivent  travailler  à 
leur  propre  sanctification  ;  par  rapport  aux 
peuples  sur  la  CGnduile  desquels  ils  sont 
établis,  ils  doivent  employer  lous  leurs  soins 
à  lei  rendre  heureux  ;  et  par  rapport  à 
Dieu  et  à  l'Eglise,  ils  doivent  soutenir  avec 
zèle  la  gloire  de  Dieu  cl  les  intérêts  de  la  re- 
ligion. Trois  obligations  essentielles,  dont 
saint  Louis  s'est  acquitté  avec  une  exacte 
fidélité,  comme  nous  Talions  voir  dans  les 
trois  parties  de  ce  discours. 

Pour  entreprendre  l'éloge  de  ce  grand 
saint,  cl  pour  profiler  des  exemples  d'une 
-vie  si  pure  et  si  parfaite,  nous  avon-  hesoin 
des  lumières  du  ciel  ;  demandons-les  au 
Saint-Esprit  par  l'inlercession  de  Marie. 
A vr,  Maria. 

PRFMIEN     POINT. 

La  sanctification  des  princes  et  des  puis- 
sances de  la  terre  a  toujours  été  regardée 
courue  le  chef-d'ernvre  et  le  miracle  de  la 
grâce.  Qu'il  est  difficile  d'aliter  ensemble  la 
majesté  du  troue  et  la  sainteté  de  l'Evangile  ! 
soit  parce  que  dans  les  principes  du  christia- 
nisme il  semble  qu'une  malédiction  secrète 
soil  attachée  à  lout  ce  qui  fait,  selon  le 
monde,  la  félicilé  des  grands  :  Quod  komi- 
nibus  altum  esl,  abominatio  est  a  le  Dcum 
(Luc,  XVI,  15)  ;  soit  parce  que  la  gloire,  les 
honneurs,  les  richesses,  l'abondance  ,  les 
plaisirs,  la  mollesse,  la  volupté,  qui  sont 
presque  inséparables  de  la  grandeur,  sont 
autant  d'obstacles  à  la  sainteté  el  à  la  vertu. 

Grâces  à  Jésus-Christ,  le  roi  dont  nous 
honorons  la  mémoire  sul  mettre  lout  à  pro- 
fil pour  le  salut,  et  par  une  constante  fidé- 
lité à  la  grâce  puissante  qui  le  préserva  de 
la  corruption  du  siècle,  il  se  sanctifia  par  le 
bon  usage  de  tout  ce  qui  d'ordinaire  est  la 
source  el  le  principe  de  ka   perle  des  autres 

C rinces.  Dieu  le  prévint  dès  son  enfance  de 
éuédiclious  avancées.  Il  lui  donna,  comme 


ORATEURS  SACRES    BEGAl  LT.  11 

i  on  .  n  m  it  lagfe  1 1  docile  aux  ins- 
pii  ati  mis  du  ciel.  Il  reçut  comme  par  sort 
<<t  heureux  naturel  dont  parle  le  Sage  (Sap., 
VIII,  19;  :  d'abord  on  vit  croître  en  lui 
de  riches  habilud  s,  qui  le  portèrent  au  bien 
aussitôt  qu'il  fui  en  état  de  le  (Onnaître.  Il 
semblait  ijue  les  vertus  Chrétiennes  fus- 
sent nées  av  ee.  lui.  Il  eul  toate  l'innocence  du 
premier  âg  •  ,  suis  en  avoir  les  faiblesses. 
A  c  s  heureuses  dispositions  pourla  verlu, 
joignons  cette  sainte-  éducation  que  lui 
donne  une  sage  el  religieuse  mère.  Avec 
quel  soin  s'appliqua-l-ellc  à  jeter  dans  son 
c(i;ur,  des  ses  plus  tendres  années,  de  pré- 
cieuses semences  de  sagesse,  de  piété,  de  re- 
ligion ;  a  lui  inspirer  les  plus  saintes  maxi- 
mes de  la  loi  évangélique  ;  à  lui  faire  crain- 
dre avec  mille  fois  plus  d'horreur  le  péché 
mortel,  que  la  perte  de  sa  couro  ne  et  que 
la  morl  même  ;  à  le  préserver  de  ces  dan;:  - 
reuses  passions  qui  sont  comme  le  e  ueils 
funestes  où  l'ardeur  de  l'âge,  la  I ;cen ■ 
siècle,  la.  corruption  de  la  nature  et  les 
mauvais  exemples  i  ntrainent  d'ordinaire  les 
jeunes  princes  ! 

Qu'est-ce  qu'on  a  coutume  de  leur  inspirer 
presque  dès  le  berceau?  L'orgueil,  1  ambi- 
tion, une  superbe  fierté.  Un  nourrit  ass  / 
souvent  dans  leur  cœur  ces  grands  passions 
par  lout  ce  qui  peul  les  Daller  :  ou  ne  les 
entretient  d'ordinaire  que  de  leur  grandeur  ; 
on  ne  leur  parle  que  de  soutenir  par  la  p  >li- 
lique,  par  la  magnificence  et  par  la  terreur 
des  armes,  la  gloire  cl  les  espérances  d'un 
grand  royaume.  Mais  les  premiers  soins  de 
Blanche  sonl  de  travailler,  comme  de  con- 
cert avec  la  grâce,  a  former  ce  jeu. c  prince 
sur  les  maximes  les  ph.s  pures  du  christia- 
nisme ;  d'élever  par  la  religion  son  esprit  el 
son  coeur  au-dessus  du  Irone  où  il  doit  être 
placé  ;  de  lui  donner  du  mépris  pour  les 
grandeurs  humaines,  de  l'amour  pour  ses 
peuples  et  une  crainte  salutaire  des  juge- 
ments de  Dieu;  plus  soigneuse  d'en  faire  un 
saint,  par  les  exemples  de  vertu  qu'elle  lui 
propose,  qu'attentive  à  en  faire  un  héros,  par 
les  grande  senlim.nls  qu'elle  lui  inspire. 

Sur  ces  beaux  principes  que  sa  ni  Louis 
recueillait  avec  soin  dans  son  coeur,  il  pra- 
tiqua toutes  les  vertus  dont  il  donna  des 
exemples  si  éclatants  pendant  toute  *a  \ie. 
Il  apprit  dès  son  enfance  à  craindre  Dieu  el 
à  l'aimer:  à  lui  rendre  par  reconnaissance 
ce  qu'il  tenait  de  sa  boute:  à  s  Soumettre  a 
lui  par  une  foi  humble,  simple  et  docile. 
Avec  quelle  modestie  meprisa-t-il  toujours 
le  faste  et  les  honneurs  du  siècle  !  Il  portail 
sur  son  froul  auguste  la  majesté  des  rois 
dont  il  lirait  son  origine,  et  conservait  dans 
son  cœur  l'humilité  de  Jésus-Christ.  Au  de- 
hors, un  des  plus  grands  princes  du  monde; 
au  dedans,  un  humble  serviteur  de  lésu%- 
Cluist.  Suivant  le  précepte  du  Sage,  p 
i  rand  devant  les  homme-,  el  plus  il  s'.i- 
baisse  devant  Dieu. 

La  11  literie  osa-t-elle  jamais  approcher  de 
lui  pour  lui  donner  une  fausse  gloire,  lui 
qui  refusa  toujours  la  véritable?  Se  laissa- 


13 


PANEGYRIQUE  DE  SAINT 


(-il  jamais  éblouir  par  l'éclat  de  sa  dignité 
royale,  lui  qui  fit  toujours  un  noble  sacrifice 
à  la  religion  de  tout  ce  que  le  diadème  a  de 
plus  pompeux  et  de  plus  éclatant?  Les  rois 
et  les  conquérants  portent  le  nom  des  em- 
pires qu'ils  possèdent  :  saint  Louis  veut  por- 
ter le  nom  du  règne  de  Dieu,  qui  est  au 
dedans  de  lui-même.  Il  efface,  pour  ainsi 
dire,  les  titres  magnifiques  de  sa  naissance 
selon  le  monde,  pour  s'illustrer  par  les  titres 
glorieux  de  sa  naissance  selon  l'esprit,  qu'il 
a  reçue  par  le  baptême.  11  méprise  cet  amas 
de  gloire  que  renferme  la  royauté,  et,  comp- 
tant pour  rien  l'auguste  qualité  de  roi,  qui 
fait  le  plus  grand  objet  de  l'ambition  des 
hommes,  il  ne  prend  que  celle  de  chrétien  et 
le  nom  du  iieu  où  il  a  reçu  la  foi  et  le  carac- 
tère d'enfant  de  Dieu  (1). 

Combien  de  fois  se  dépouilla-til  aux  yeUx 
de  D'eu  do  cotte  gloire  importune  qui  l'envi- 
ronnait !  Combien  de  fois  racha-l-il  1  •  mo- 
narque sous  le  chrétien  !  Combien  do  fois 
bumilia-t-J  sa  grandeur  par  des  abaisse- 
ments volontaires!  Combien  de  fois,  se  déro- 
bant, pour  ainsi  dire,  à  sa  dignité,  sejeta- 
t-il  aux  pieds  des  pauvres  pour  leur  rendre 
les  offices  les  plus  humiliants  !  Le  vit-on  ja- 
mais marcher  avec  faste  et  avec  orgueil?  Le 
vil-on  d'un  sourcil  superbe  regarder  avec 
mépris  ceux  qui  furent  soumis  à  sa  puis- 
sance ?  Le  vit-on  se  plaire  à  étaler  aux  yeux 
du  monde  sa  pompe  et  sa  magnificence,  ou  à 
f:ire  une  vaine  montre  île  ses  richesses  et 
de  sa  gloire?  Ainsi,  humble  sans  bassesse, 
modeste  sans  contrainte,  religieux  sans  su- 
perstition, dévot  sans  hypocrisie,  dou^  sans 
faiblesse,  fe;me  sans  du: été,  généreux  sans 
fierté,  il  eut  toutes  les  vertus  sans  en  avoir 
ni  les  défauts  ni  les  excès  qui  en  font  perdre 
le  fruit  et  le  mérite. 

Loin  d'ici  ces  fausses  idées  formées  par  la 
chair  et  le  sang,  que  les  rois  sont  élevés  sur 
le  trône  pour  servir  à  leurs  peuples  d'un 
spectacle  de  grandeur.  Loin  d'ici  ces  faux 
politiques  qui  ne  mettent  au  nombre  des 
vertus  des  princes  que  des  actions  éclatantes, 
et  qui  croient  que  la  modestie,  la  simplicité, 
la  pauvreté  et  l'humilité  sont  indignes  de  la 
majesté  royale.  Noire  saint  roi,  éclairé  de 
plus  pures  lumières,  met  toute  sa  gloire  à 
se  rendre  conforme  à  Jésus-Christ  pauvre, 
humble  et  anéanti. 

Enfants  des  hommes,  vous  qui  aimez  avec 
tant  de  passion  la  vanité  et  le  mensonge, 
VOU9  qui,  sur  des  litres  imaginaires  dont 
vous  êtes  éblouis,  voui  élevez  au-dessus  des 
autres,  qui  méprisez  vos  Inférieurs,  qui  ne 
pouvez  souffrir  vos  égaux,  qui  regardez  avec 
envie  et  avec  chagrin  ceux  que  le  mérite  ou 
la  fortune  a  mis  au-dessus  de  vous,  instrui- 
sez-vous par  les  exemples  d'un  grand  roi  ; 
apprenez  de  lui  à  pratiquer  ce  vertus  chré- 
tiennes qui  sont  le  fond  nient  delà  perlcc- 
lion.  Ainsi  s'élevait  saint  Louis,  par  l'exer- 
cice de  toutes  les  vertus,  à  une  sublime 
sainteté. 

Avec  quel  soin  ne  conserva-l-il   pas  son 

Ct)  On  sait  que,  par  un  Sentiment  d'humilité,  Cfl  ?;rnn 


LOUIS,  ROI  DE  FRANCE.  14 

innocence  au  milieu  de  la  corruption  du  siè- 
cle et  parmi  les  tentations  de  la  cour  !  On 
peut  dire  que  la  cour  est  une  mer  orageuse 
où  l'on  fait  mille  naufrages,  et  où  l'on  ne  se 
sauve  que  par  miracle.  C'est  un  écueil  où 
l'on  se  perd  soi-même  et  où  l'on  tâche  de 
perdre  les  autres.  C'est  une  région  conta- 
gieuse où  mille  objets  dangereux  flattent  les 
désirs  du  cœur,  entretiennent  la  mollesse, 
irritent  la  convoitise  ;  où  règne  d'ordinaire 
le  vice  avec  plus  d'audace,  et  où  la  vertu  ti- 
mide n'ose  presque  se  produire.  C'est  là  où 
se  réunit  tout  l'esprit  du  siècle  ;  c'est  là  où 
ces  grands  spectacles  qui  enchantent  les 
sens  ôtent  souvent  à  l'âme  tout  sentiment  de 
piété  et  de  religion;  c'est  là  où  la  figure 
éclatante  du  monde  nous  charme  et  nous 
éblouit  en  passant  ;  c'est  là  où  les  impres- 
sions fatales  des  plaisirs  allument  les  pas- 
sions, favorisent  la  concupiscence,  nour- 
rissent la  volupté,  et  portent,  comme  par 
une  malheureuse  nécessité,  au  mépris  des 
lois  les  plus  sacrées. 

Qu'il  est  difficile  de  conserver  la  grâce 
dans  un  lieu  où  le  plus  vertueux  est  celui 
qui  sait  mieux  l'art  de  cacher  ses  crimes 
sous  le  raffinement  d'une  délicate  hypocri- 
sie; où  le  plaisir  est  d'autant  plus  dangereux 
qu'il  est  plus  spirituel;  où  souvent  la  mau- 
vaise coutume  sert  de  loi;  où,  par  un  corn- 
n>erce  contagieux,  on  se  communique  mu- 
tuellement ses  vices;  où  Ton  apprend  le  mal 
en  le  voyant  faire  ;  où,  si  quelquefois  on  ne 
se  perd  pas,  on  est  du  moins  presque  tou- 
jours en  danger  de  se  perdre  !  Mais  qu'il  est 
encore  bien  plus  dangereux  de  se  corrom- 
pre lorsque  les  passions  sont  jointes  à  un 
pouvoir  absolu  de  tout  faire  1 

Les  grands  du  monde  croient  assez  sou- 
vent qu  ils  sont  au-dessus  des  lois,  et  que 
leur  condition  est  indépendante  de  toutes  les 
règles.  Ils  ont  une  apologie  toute  prête  pour 
leurs  péchés.  Ils  s'imaginent  que  le  privi- 
lège de  leur  dignité  est  de  satisfaire  tous  les 
désirs  de  leur  cœur,  de  jouir  tranquillement 
de  tout  ce  qui  les  flatte  et  qui  peut  contri- 
buer à  leurs  plaisirs.  Ils  n'ont  d'ordinaire  que 
leur  volonté  pour  toute  justice;  ils  croient 
que  tout  leur  est  permis,  parce  que  pour  eux 
tout  est  impuni.  La  flatterie  colore  leurs 
vices,  l'autorité  les  soutient,  la  complai- 
sance les  excuse,  quelquefois  les  embellit,  et 
souvent  même  les  fait  passer  pour  des  ver- 
tus. 11  n'appartient  qu'à  vous,  ô  mon  Dieu  I 
d'imprimer  dans  l'âme  de  ceux  que  vous 
avez  choisis  ces  grands  principes  de  vertu 
qui  les  préservent  de  la  corruption  du 
monde,  ct  de  les  éclairer  de  ces  pures  lu- 
mières à  la  favtur  desquelles  ils  marchent 
dans  les  sentiers  de  la  justice,  malgré  la  cor- 
ruption ct  les  scandales  du  siècle. 

C'est  la  grâce  singulière  qu'a  reçue  notre 
saint  roi  :  la  toi  lui  découvrit  tous  les  piè- 
ges qui  l'environnaient;  il  aperçut,  à  tra- 
vers les  douceurs  trompeuses,  la  malignité 
du  monde;  il  marcha  toujours  dans  l'inno- 
<  ence  do  son  cœur  ;  il  ne  s'égara  pas   dans 

d  priftee  aimait  B  se  faire  appeler  Lnuh  de  Poissy. 


ir, 


nilATKl'HS  SACRES.  RKGAULT. 


10 


ces  passions  qui  ont  perdu  Uni  de  rois  ;  il  ne 
se  détourna  jamais  des  roules  de  la  vertu  : 
toujours  ferme,  toujours  attaché  au  Sei- 
gneur, malgré  les  plus  fortes  tentations  du 
démon,  du  monde  cl  de  la  chair,  ces  terri- 
bles ennemis  de  noire  salut  ,  il  observa  avec 
une  constante  fidélité  toutes  les  lois  et  toutes 
les  conditions  de  sa  première  alliance.  Il  op- 
posa toujours  à  la  mollesse  et  à  la  corruption 
de  la  cour  un  esprit  de  croix  et  de  souffran- 
ces. Usa-t-il  jamais  de  ces  indulgences  et  de 
ces  adoucissements,  que  la  flatterie  conseille 
aux  grands  comme  nécessaires,  et  qu'on  re- 
garde comme  des  avantages  de  la  dignité? 
Quelque  précieuse  que  fût  sa  santé  pour  le 
Lien  de  son  Etal,  crut-il  la  devoir  ménager 
par  des  délicatesses  recherchées?  Crut-il 
pouvoir  se  dispenser  de  porler  en  tout  lieu 
la  modification  d ■■  Jésus-Christ  ? 

Combien  de  fois,  joignant  à  l'innocence 
une  pénitence  rigoureuse,  chercha-t-il  les 
moyens  de  crucifier  sa  chair  avec  ses  con- 
cupiscences 1  Avec  quelle  sévérité  réduisit- 
il  son  corps  délicat  en  servitude  par  un  cilice 
continue!,  par  de  sanglantes  disciplines  et 
par  toutes  les  espèces  de  pénitence  1  Avec 
quelle  exactitude  observa-t-il  les  jeûnes 
commandés  par  l'Eglise  1  Avec  quelle  fer- 
veur s'en  imposa-t-il  de  volontaires!  Mais 
avec  quelle  tendresse  de  piété,  prosterné, 
anéanti  au  pied  des  autels,  répandait-il  son 
âme  en  présence  du  Seigneur!  C'est  ainsi 
que,  par  une  ausièie  vertu,  il  se  rendit  in- 
sensible aux  attraits  de  la  volupté;  ainsi 
fortifié  par  une  fervente  prière,  il  repoussait 
tous  les  traits  enflammés  de  l'ennemi.  Lire 
avec  respect  les  saintes  Ecritures,  méditer 
dans  !a  relraite  les  vérités  éternelles  de  la 
loi  de  Dieu;  comme  un  ;iutre  grand  roi, 
chanter  sept  fois  ses  louanges  et  ses  miséri- 
cordes, c'étaient,  avec  l'administration  de 
l'Etal,  ses  occupations  de  chique  jour. 

Après  un  exemple  si  é  la.anl,  mes  frères, 
qui  pourra  s'imaginer  que  sa  condition  puisse 
être  un  obstacle  à  la  pratique  de  la  vertu? 
Qui  pourra  se  persuader  qu'on  ne  puisse  vi- 
vre dans  le  siècle  sans  participer  à  sa  cor- 
ruption ?  Et  qui  osera  dire  qu'il  n'est  pas 
possible  de  se  sanctifier  dans  le  monde  ?  Car 
telle  est  la  malignité  du  cœur  humain,  que, 
pour  s'autoriser  dans  ses  dé-ordres  et  dans 
ses  négligences  coupables,  on  croit  être  en 
droit  de  se  dispenser  des  devoirs  les  plus  es- 
sentiels du  christianisme,  en  les  regardant 
comme  incompatibles  avec  sa  condition,  ou 
de  se  pardonner  avec  indulgence  les  péchés 
qu'on  commet  dans  sa  condition,  en  les  re- 
gardant comme  inévitables  et  presque  né- 
cessaires. Par  la  grâce  de  Jésus-Christ,  saint 
Louis  trouva  le  secret  de  garder  son  inno- 
cence au  milieu  d'une  cour  délicieuse;  de 
mourir  au  monde,  dans  le  monde  même  ; 
de  crucifier  sa  chair,  au  milieu  de  tout  ce 
qui  irrite  et  entretient  ses  convoitises;  enfin 
de  se  sanctifier  dans  tous  les  états  de  sa 
vie  par  la  pratique  de  toutes  les  vertus  chré- 
tiennes. 

Nous  avons  considéré  saint  Louis  par  rap- 
port à  lui-même  et  comme   chrétien  ;  consi- 


dérons-le par  rapport  à  son  peuple  et  com- 
me roi.  C'est  le  sujet  de  ma  deuxième  partie. 

IH.l  Tlï.MK    POINT. 

Comme  il  ne  suffirait  pas  que  la  lélc  fût 
placée  au  lieu  le  plus  éminenl  du  corps,  si 
elle  ne  lui  communiquai!  l'esprit,  l'action  et 
le  mouvement,  ainsi  ce  n'est  pas  assez  qu'un 
prince  tienne  la  première  plarc  dans  l'Etat, 
s'il  n'a  la  sagesse,  l'intelligence  et  les  vertus 
nécessaires  pour  bien  gouverner  son  royau- 
me, et  pour  procurer  à  ses  sujets  une  féli- 
cité parfaite.  Les  rois  sont  plus  aux  peuples 
qu'à  eux -mêmes  :  ce  ne  sont  pas  les  rois 
qui  ont  fait  les  peuples;  ce  sont  les  peuples 
qui  ont  fait  les  mis.  Saint  Louis  fut  toujours 
pénétré  de  ces  grandes  maximes  :  il  se  COU« 
sidéra  comme  le  tuteur  cl  le  gardien  de  l'E- 
tat. Il  regarda  toujours  la  royauté  plu'ôl 
comme  une  charge  que  comme  une  di- 
gnité. 

Le  poids  de  sa  couronne,  qu'il  sen'it  d'a- 
bord, lui  fit  juger,  comme  à  Salomon,  qu'il 
ne  pouvait  porter  un  si  grand  fardeau  sans 
un  secours  particulier  de  la  grâce.  Aus-i  s'a- 
dres^a-t-il  à  Dieu,  comme  ce  sage  prince  : 
Donnez-moi,  Seigneur,  les  lumières  de  vo- 
tre sagesse  pour  m'éclairer  et  pour  former 
mes  jugements  sur  les  règles  de  votre  jus- 
tice :  Da  mihi  sedium  tuarum  assistricem  sa- 
pienliam  (Sap.,  IX,  '*).  11  appliqua  tous  ses 
soins  à  établir  dans  ses  Etals  la  paix  el  la 
tranquillité,  d'où  dépend  principalement  le 
bonheur  des  peuples.  Ses  premières  actions, 
dès  le  commencement  de  son  règne,  lurent 
des  preuves  éclatantes  de  sa  valeur  héroï- 
que. Dans  les  premières  guerres  qu'il  eut  à 
soutenir  pour  affermir  son  trône,  il  mit  tout* 
sa  confiante  au  Dieu  des  armées  :  sa  force, 
suivant  les  paroles  du  Sage,  fut  toujours 
dans  la  crainte  du  Seigneur  :  In  timoré  Do- 
mini  fidmin  fortiludims  (Prov.,  XIV,  26). 

Le  premi.-r  usage  qu'il  fil  de  celle  épée 
que  Dieu  lui  avait  mise  en  main,  el  qu'il  ne 
lira  jamais  que  pour  la  religion  et  pour  la 
justice,  fut  de  donner  le  coup  mortel  à  l'hé- 
résie des  albigeois,  production  monstrueuse 
du  libertinage  et  de  la  rébellion,  que  plu- 
sieurs de  nos  rois  s'étaient  efforcés  inulile- 
menl  de  détruire.  Il  abat  les  puissances  qui 
la  soutenaient,  et  Iranchc  enfin  toutes  les 
léies  de  celte  hydre  fatale,  qui  depuis  plus 
d'un  siècle  s'était  rendue  redoutable  dans  le 
royaume. 

Les  comtes  de  Bretagne  el  de  la  Marche  et 
plusieurs  princes  de  son  royaume,  soutenus 
par  des  puissances  étrangères,  osèrent  al- 
lenler  sur  son  autorité:  mais  il  fil  voir,  par 
son  intrépidité,  quelapié'én'est  pas  incompa- 
tible avec  le  courage,  qu'au  contraire  clic  en 
est  le  soutien  el  le  plus  ferme  appui.  On  vit 
par  son  exemple  qu'on  peut  être  héros  saus 
cesser  d'être  saint.  Il  entra  dans  ses  droils 
en  conquérant,  malgré  les  vains  efforts  de 
ses  ennemis.  Il  confondit  les  injustes  desseins 
des  rebelles,  il  les  desarma,  il  les  soumit  à 
l'autorité  légitime  par  la  force  de  ses  armes; 
et,  couronnant  sa  valeur  par  la  modération 
el  par  la   clémence,   il  leur  pardonna  leur 


il  PANEGYRIQUE  DE  SAINT 

rébellion,  les  livrant,  pour  toute  punition, 
aux  regrets  et  à  la  honte  d'avoir  osé  cnlre- 
prendre  sur  les  iniérêts  d'un  roi  si  bon  et  si 
zélé  pour  les  droits  sacrés  de  la  justice. 

Quel  prince,  Messieurs,  rendit  jamais  la 
royauté  plus  aimable  et  plus  chère  à  ses  su- 
jets? Il  eut  toujours  pour  eux  une  bonté  et 
une  tendresse  de  père.  Partagé  entre  les  de- 
voirs du  christianisme  et  de  la  royauté,  il 
travaillait  à  sa  propre  sanctification,  et  à 
procurer  à  ses  peuples  une  félicité  parfaite. 
Persuadé  que  la  dignité  de  roi  est,  dans  un 
prince  chrétien  ,  un  office  de  justice  et  de 
religion,  il  réprimait  les  excès,  mainte- 
nait la  discipline,  corrigeait  les  abus,  arrê- 
tait la  licence  et  l'impiété,  joignant  à  la 
sévérité  des  lois  la  force  et  la  persuasion  de 
ses  exemples. 

La  discipline  des  mœurs  et  le  crédit  de  la 
piété  dans  la  cour  et  dans  le  royaume  dé- 
pendent principalement  de  la  conduite  des 
rois.  Us  sont  dans  une  plus  haute  élévation.et 
leurs  actionssevoienlde  plus  loin,  lis  ont  une 
autorité  suprême,  et  leurs  exemples  ont  bien 
plus  de  force.  Tout  le  monde  est  attentif  sur 
eux,  pour  s'y  conformer;  leurs  passions  font 
mouvoir  toutes  celles  de  leurs  sujets;  chacun 
se  fait  une  religion  d'imiter  leurs  vertus  ; 
leurs  péchés  mêmes  deviennent  les  modes 
des  peuples.  On  estime,  on  désire,  on  aime, 
on  craint  tout  ce  qu'on  voit  qu'ils  estiment, 
qu'ils  désirent,  qu'ils  aiment  ou  qu'ils  haïs- 
sent. 

Nous  voyons  aujourd'hui ,  par  une  heu- 
reuse expérience,  qu'un  roi  (Louis  XIV)  qui 
a  réglé  sa  conduite  réprime  bien  plus  aisé- 
ment les  désordres  de  ses  sujets.  Le  vice 
timide  et  tremblant  se  cache  à  la  vue  d'un 
exemple  si  éclatant  ;  le  crime  n'ose  se  défen- 
dre, ni  paraître  devant  un  si  rude  censeur. 
Tel  fut  le  saint  roi  dont  nous  célébrons  la 
mémoire  :  persuadé  de  l'obligation  qu'ont 
les  conducteurs  des  peuples,  non-seulement 
de  veiller  pour  le  bien  de  leurs  âmes,  comme 
en  devant  rendre  compte  à  Dieu  (Hebr.,  XIII, 
17),  suivant  la  parole  redoutable  de  l'Apô- 
tre, mais  encore  de  les  édifier  par  les  exem- 
ples d'une  vie  pure  et  innocente,  sa  lumière 
brilla  toujours  aux  yeux  de  tous  les  hommes, 
et  chacun,  en  glorifiantle  Père  céleste,  trouva 
en  lui  un  parfait  modèle  de  vertu. 

Mais  il  se  crut  particulièrement  obligé  de 
rendre  la  justice  à  son  peuple.  Dans  les  pre- 
miers temps,  les  souverains  étaient  eux-mê- 
mes les  juges  de  leurs  sujels,  et  si  nous 
allons  jusqu'à  l'origine  de  la  royauté,  nous 
verrons  que  la  raison  pour  laquelle  les  Israé- 
lites demandèrent  un  roi  à  Samuel  fut  qu'ils 
ne  purent  souffrir  plus  longtemps  l'injustice 
de  Joël  et  d'Abia,  ses  enfants,  qui  violaient 
toute  équité  dans  leurs  jugements,  et  qu'ils 
voulurent  un  souverain  pour  leur  rendre  la 
justice  :  Donnez-nous,  dirent-ils,  un  roi  qui 
nous  juge  :  Constitue  nobis  regem,  ut  judicel 
nus  (I  Req.,  VIII,  5).  Ainsi  S;ilomon  lui  mis 
sur  le  Irône  d'Israël  pour  rendre  la  justice 
an  peuple  de  Dieu  :  bit  faceres  judicium  et 
juttiliam  (III  Iieg.,  X,  9).  Voilà  l'office  du 


LOUIS,  ROI  DE  FRANCE.  18 

prince,  voilà  sa  principale  fonction  à  l'égard 
de  ses  sujets. 

Aussi  saint  Louis,  regardant  ce  ministère 
comme  la  partie  la  plus  essentielle  des  de- 
voirs de  la  royauté,  en  fit  sa  plus  ordinaire 
occupation.  Il  donnait  audience  indifférem- 
ment à  tout  le  monde.  Les  avenues  de  son 
palais  n'étaient  pas  défendues  par  des  bar- 
rières impénétrables;  elles  n'étaient  pas  in- 
vesties par  une  foule  de  gardes,  qui  intimi- 
daient les  faibles  et  repoussaient  les  impor- 
tuns. Partout  il  recevait  avec  bonté  leurs 
supplications  et  leurs  vœux. 

Qu'il  faisait  beau  voir  ce  roi  tendre  et 
charitable  interrompre  ses  plaisirs  innocents 
pour  écouter  favorablement  les  plaintes  des 
misérables,  et  an  milieu  d'une  campagne  pro- 
noncer les  arrêts  de  sa  justice,  sous  ces 
chênes  vénérables  où  les  druides  rendaient 
autrefois  leurs  oracles  !  Quel  malheureux 
ne  trouva  pas  en  lui  le  secours  qu'il  atten- 
dait? Ne  fut-il  pas  toujours  l'asile  de  la  veuve 
et  de  l'orphelin?  Par  lui  la  faible  innocence 
ne  fut-elle  pas  à  couvert  de  la  malice  de 
ceux  qui  lâchaient  de  l'opprimer? 

Dans  le  malheureux  temps  oùnous  vivons, 
qui  est-ce  qui  se  fait  une  règle  de  conscience 
de  remplir  les  devoirs  de  sa  charge?  Où  est 
le  juge  qui  veuille  retrancher  de  son  jeu,  de 
ses  frivoles  amusements,  ou  quitter  pour 
quelque  tempsses  affaires  particulières,  pour 
satisfaire  à  ses  obligations  les  plus  essen- 
tielles? On  exerce  sa  charge  par  une  bien- 
séance que  le  monde  demande,  on  s'occupe 
par  humeur,  par  ostentation,  par  politique, 
et  comme  le  juge  inique  de  l'Evangile,  on 
juge  souvent  bien  moins  pour  l'amour  de  la 
justice  que  pour  se  délivrer  d'une  partie 
importune  dont  on  se  trouve  fatigué  :  encore 
est-il  à  craindre  qu'on  ne  fasse  servir  la 
justice  à  ses  passions,  à  sa  vengeance,  à  son 
avarice,  à  sa  cupidité,  et  peut-être  à  l'injus- 
tice même. 

Que  dirai-je  de  la  charité  de  notre  saint 
roi  envers  ses  peuples  affligés?  C'est  ici  où 
il  faut  admirer  une  vertu  qui  est  d'autant 
plus  héroïque  qu'elle  est  plus  raie  dans  les 
grands  du  monde.  Comme  les  riches  et  les 
puissants  du  siècle  ne  sont  occupés  que  des 
grandes  idées  de  leur  fortune,  ils  ne  peuvent 
s'abaisser  jusqu'à  ces  ministères  humiliants 
auxquels  nous  engage  la  charité  chrétienne, 
et  comme  leurs  richesses  éloignent  d'eux 
presque  toutes  les  misères  humaines,  ils  ne 
sont  point  louches  d'ordinaire  des  maux 
dont  les  malheureux  sont  accablés.  C'était 
le  caractère  de  saint  Louis  d'être  tendre  et 
sensible  aux  misères  dos  pauvres,  et  d'être 
altenlifà  les  secourir  dans  lous  leurs  be- 
soins. Il  pouvait  dire  avec  Job  que  la  misé- 
ricorde était  née  avec  lui  (Job,  XXXI,  18). 
Tout  ce  qui  portait  l'image  de  Jésus-Christ 
souffrant  était  l'objet  de  sa  compassion  et  de 
sa  charité.  H  ne  dédaignait  point  d'enlrcr 
dans  ces  sombres  lieux  où  se  rassemblent 
toutes  les  misères  et  les  infirmités  humaines, 
où  tout  porle  l'image  d'une  mort  prochaine 
ou  d'une  vie  languissante;  là,  s'élevant  au- 
dessus  de  toutes  les  délicatesses  et  des  seu- 


l'J 


GRATEIRS  SACRES.  Bl  GALLT. 


ÏO 


iinienls  du  la  nature,  ou  le  vil  cent  fuis  s'a- 
l>.ii-.siT  aux  plus  humbles  et  aux  plus  pénibli  s 
jliici-h  de  la  miséricorde. 

Oui  l  spi  clacle  plus  ravissant,  Mcssii  ui  , 
que  de  voir  un  grand  roi,  à  l'exemple  du 
Fils  de  Dieu,  qui  est  venu  pour  sertir,  et  non 
\,us  pouf  être  servi  (Matth.,  XX,  28),  la- 
ver les  pieds  des  pauvres,  panser  leurs 
plaie--,  les  servir  de  ses  mains  royales,  as- 
sister les  mourants,  ensevelir  les  morts  ! 
Plus  heureux  et  plus  grand  mille  lois  quand 
il  participe  ainsi  à  l'humilité,  à  la  patience 
et  à  la  charité  de  Jésus-Christ,  que  lorsqu'il 
est  assis  sur  ie  trône  le  plus  auguste  du 
n.onue. 

Admirez  ces  exemples  d'une  charité  hé- 
roïque ,  délicats  du  siècle,  vous  qui  faites 
server  vos  répugnances  affectées  de  prétexte 
à  votre  insensibilité  et  à  la  durcie  que  vous 
avez  pour  les  misérables,  vous  qui  rougissez 
de  Jésus-Christ  caché  sous  la  figure  d'un 
pauvre  malade;  et  si  ces  exemples  ue  vous 
instruisent,  qu'ils  servent  du  moins  à  confon- 
dre votre  indigne  délicatesse. 

Combien  de  malheureux  ont  subsisté  par 
l'immense  profusion  des  aumônes  de  notre 
saint  roi  !  Combien  de  provinces  désolées  par 
la  famine,  ravagées  par  la  peste,  ont-elles 
ressenti  les  effets  de  sa  charité  surabondante! 
Il  avait  appris  de  Tobie  que  la  mesure  de  la 
charité  doit  être  celle  des  richesses  qu'on 
possède.  Il  savait  cette  beile  loi,  que  le  Sei- 
gneur donne  au  roi  dans  le  Deutéronome,  de 
ne  pas  accumuler  des  richesses  immenses  : 
Non  hubebis  argenli  et  auri  immensa  pondéra 
[Deut.,  XVII,  18).  Ainsi  il  les  répandit  abon- 
dammentsurlesnécessitésde  ses  peuples:  sem- 
blable i.u  soleil,  qui,  après  avoir  attiré  les  \a- 
peurs  et  lesexhalaisons  de  la  terre,  le;  fond  et 
les  répand  ensuite  sur  les  campagne»,  par  des 
rosées  fécondes  et  des  pluies  abondantes;  et 
pour  rendre  sa  charité  immortelle,  il  é:ablit 
des  fonds  inépuisables,  d'oùcouleront  jusqu'à 
la  un  des  siècles  des  secours  abondants  pour 
soutenir  les  desseins  de  sa  charité.  Fameux 
hôpitaux,  hôtels  magnifiques,  où  chaque  es- 
pèce de  misère,  soit  du  corps,  soit  de  I  esprit, 
trouve  encore  aujourd'hui  une  espèce  de  mi- 
séricorde pour  la  soulager,  vous  serez  des 
monuments  éternels  de  sa  tendresse  et  de  sa 
charité  envers  les  membres  pauvres  et  infir- 
mes de  Jésus-Christ. 

Quel  usage  fait-on  de  ses  Liens?  On  s'en 
sert  pour  entretenir  son  luxe  et  sa  vanité  , 
et  souvent  pour  fournir  à  ses  débauches,  il 
semble  que  l'abondance  ail  formé  aux  riches 
comme  aux  impies  ,  des  eut: ailles  cruelles, 
suivant  l'expression  de  L'Ecriture  :  I  iscera 
impiorum  crudeliu  (l'rov.,  XII,  10).  On  n'est 
louché  ni  des  malheurs  du  U  mps,  ni  des  mi- 
sères des  pauvres,  et  au  lieu  de  soulager  les 
misérables,  peut-être  ai  hève-t-ou  de  les  op- 
primer. On  voit  les  hôpitaux  sur  le  penchant 
de  leur  ruine,  et  on  ne  se  met  pas  en  peine 
île  les  soutenir;  on  croit  n'avoir  des  riclic>- 
ses  que  pour  soi  ;  on  s'imagine  que  l'aumône 
est  un  acte  volontaire  de  libéralité  dans  le 
christianisme  ,  et  non  pal  une  obligation  de 
nécessité  ;  on  la  regarde  comme  un  conseil 


de  perfection,  que  Dieu  donne  à  quelques- 
uus  ,  et  non  pas  comme  un  commandement 
exprès  de  la  loi,  qu'  I  fait  à  tout  le  u  onde. 
Parce  qu'on  ne  prend  pas  injuslcmi  ml  le  bien 
il.i  trui.on  croit  pouvoir  innocemment  abu- 
s<  r  du  sien.  Les  prétextes  d'amasser,  ou  pour 
établir  des  enfants,  ou  pour  soutenir  sa  qua- 
lité, et  qu'lqueiois  un  état  que  l'ami 
aura  fait  prendre  au-dessus  de  sa  naissance 
et  de  sa  condition,  ou  pour  préi  enir  il  s  mal- 
heurs imaginaires,  sont  aujourd'hui  d- soli- 
des raisons  pour  se  dispenser  des  devoirs 
les  plus  essentiels  de  la  miséricorde. 

Achevons,  Messieurs,  et  voyons  i  nflo  «Tec 
quel  zèle  et  quel  courage  saint  Louis  a  sou- 
tenu la  gloire  de  Dieu  et  les  inléré's  de  l'E- 
glise. C'est  la  troisième  et  dernière  parlie  de 
ce  discours. 

TROISIÈME    POINT. 

N'attendez  pas,  Messieurs,  que  je  rapporte 
ici  tout  ce  que  saint  Louis  a  fait  pour  la 
gloire  de  Dieu  et  pour  les  intérêts  de  la  reli- 
gion; les  pieux  édils  qu'il  fit  publier  contre 
les  scandales,  qu'il  bannit  de  son  royaume  ; 
contre  les  blasphémateurs,  qu'il  condamna  à 
un  silence  éternel ,  parties  peines  propor- 
tionnées à  l'énormité  de  leur  crime  :  les 
guerres  qu'il  entreprit  pour  détruire  des 
sectes  malheureuses  qui  s'efforçaient  de  cor- 
rompre la  sainteté  de  la  foi  et  la  pureté  des 
mœurs.  N'attendez  pas  que  je  vous  fasse  voir 
le  zèle  qu'il  eut  pour  soutenir  les  droits  et 
la  majesté  de  l'Eglise,  pour  pacifier  les  diffé- 
rends qui  en  troublaient  le  repos  et  la  tran- 
quillité. N'attendez  pas  que  je  vous  fasse  ici 
le  dénombrement  des  temples  qu'il  a  élevés  , 
des  églises  el  des  monastères  qu'il  a  fond  -. 
Je  m'arrête  principalement  à  ce  noble  des- 
sein qu'il  eut  de  réunir  !a  terre  sainte  à  l'em- 
pire de  Jésus-Christ.  C'est  ici  où  il  n'a  plus 
rien  de  commun  avec  les  autres  saints. 

Apre  qu'i  eut  établi  l'ordre  et  la  piix 
dans  ses  Etals,  semblable  à  ce  roi  dont  parle 
l'Evangile  d'aujourd'hui,  il  résolut  de  con- 
quérir un  nouveau  royaume.  Ne  vous  figu- 
rez pas,  Messieurs,  de  ces  ambitions  aveu- 
gles que  les  primes  oui  quelquefois  d'agran- 
dir les  limites  de  leurs  Etats  ;  de  rendre  leurs 
armes  terrible»  à  toute  ia  terre:  de  donner 
une  vaine  ostentation  de  leur  valeur,  el  de 
se  faire  un  nom  immortel  dans  la  postérité. 
Saint  Loui»  n'a  d'autre  objet  que  la  gloire  et 
l'intérêt  de  la  religion,  que  de  réparer  l'op- 
probre de  la  cr  ix.  Il  entreprend  de  conqué- 
rir la  terre  sainte,  celte  terre  autrefois  arro- 
sée des  sueurs  el  du  sang  du  Sauveur,  sanc- 
!ifiée  par  sa  présence  sensible  et  par  ses  mi- 
racles, el  de  rendre  à  l'Eglise  ce  précieux 
héritage  de  Jésus-Christ,  passé  entre  les 
m.iius  des  étrangers  el  de>  barbares. 

La  bonté  de  la  cause,  la  pureté  de  .--es  mo- 
tifs, son  zèle,  sa  piété,  mille  prodiges  éc  Bê- 
lants, tout  justifie  ses  desseins.  11  lève  l'éten- 
dard sur  la  croix;  il  arbore  sur  lui  ce  pré- 
cieux signe  du  salut  :  il  anime  par  son  cou- 
lage les  princes, li  mrs  el  la  noblesse 
de  son  royaume  à  suivre  B  n  exemple;  il  as- 
semble deux  puissantes   armées;  il    équipe 


u 


PANEGYRIQUE  DE  SAINT 


une  grande  flollc;  il  sort  de  son  pays  comme 
un  autre  Abraham,  pour  aller  combattre  les 
ennemis  de  Dieu.  Le  ciel,  la  mer,  les  vents, 
les  orages  mêmes,  tout  favorise  d'abord  celte 
glorieuse  entreprise.  11  aborde  heureusement 
en  Egypte  :  animé  d'un  courage  intrépide, 
plein  de  cette  confiance  que  lui  inspire  le  Dieu 
des  armées  pour  lequel  il  combat,  soutenu 
de  ces  nobles  et  généreux  guerriers  qui  le 
suivent,  il  prend  des  villes,  force  des  places, 
gagne  des  batailles,  triomphe  partout  des 
ennemis  du  nom  chrétien  ;  tout  tombe  sous 
ses  coUj  s  ;  rien  ne  peut  résister  à  sa  valeur 
et  à  la  force  invincible  de  s.  s  armes. 

Je  vois  déjà  la  croix  de  Jésus-Christ  élevée 
en  triomphe  dans  les  terres  barbares.  Mais, 
ô  profondeur  impénétrable  des  jugements  de 
Dieu!  par  ûo  incidents  malheureux,  Louis 
voit  tout  d'un  coup  s'évanouir  ces  belles  es- 
pérances de  i<i  religion.  Un  ordre  caché  de  la 
Providence  rom<  l  le  cours  de  ses  victoires; 
tout  lui  manque;  tout  est  contraire  à  ses 
desseins;  son  armée  est  défaite;  il  tombe  en- 
tre les  mains  des  infidèles. 

Mais  il  ne  perd  rien  de  sa  tranquillité,  tou- 
jours ferme,  toujours  constant  dans  ces  dif- 
férents états,  toujours  égal  à  lui-même,  tou- 
jours roi,  toujours  saint.  Soutenu  de  la  grâce 
et  du  zèle  dont  il  était  animé  pour  la  gloire 
de  Dieu,  il  sut  profiler  de  ses  malheurs  et  de 
ses  disgrâces  :  au-dessus  des  héros  par  sa 
valeur  intrépide,  mais  au-dessus  de  lui-même 
par  sa  modération  et  par  sa  patience.  La 
force  ne  manqua  jamais  à  son  courage  : 
malgré  te  mauvais  succès  de  ses  armes,  il 
sentit  sa  grandeur,  et  la  fit  sentir  à  ses  en- 
nemis, au  milieu  de  sa  captivité  :  aussi 
grand  dans  la  prison  que  sur  le  pont  de  Tail- 
lebourg  et  à  la  descente  de  Damiette.  Quand 
on  lui  demande  une  rançon ,  il  n'en  veut 
point  donner  d'autre  que  sa  parole.  Les  bar- 
bares, étonnés  de  celte  noble  fierté,  forcés  de 
rendre  hommage  à  sa  vertu,  quoique  mal- 
heureuse, doutent  dans  ce  moment  s'il  est 
devenu  leur  captif  ou  leur  maître,  et  sont 
I  rôts  à  briser  ses  fers  pour  le  porter  sur  le 
t  ône.  Comme  il  ne  refusa  jamais  ce  qui  fut 
équitable  étant  vainqueur,  aussi  ne  put-il 
jamais  souffrirec  qui  lui  parut  faible,  injuste, 
ou  indigne  de  la  majesté  royale,  étant  vaincu. 

Les  s  ints  ne  sont  pas  à  plaindre  dans  les 
tribulations,  ils  y  sont  purifiés  comme  l'or 
dans  la  fournaise;  ils  adorent  avec  respect 
celte  Providence  qui  les  conduit  à  son  gré 
dans  l'une  et  dans  l'autre  fortune.  Leur  vertu 
est  indépendante  des  événements,  et  ils  ne 
craignent  point  que  l'adversité  leur  fasse 
perdre  ce  qu'on  ne  peut  pas  dire  que  la 
prospérité  leur  ait  donné.  Tel  fut  l'usage 
que  saint  Louis  fit  de  ses  disgrâces.  11  sou- 
tint celle  rude  épreuve  avec  loute  la  force 
chrétienne  :  plus  heureux  et  plus  content 
d'être  affligé  avec  le  peuple  de  Dieu,  que  de 
goûter  les  plaisirs  d'une  cour  tranquille  et 
délicieuse. 

Aussi  le  Dieu  de  toute  consolation  descend 
avec  lui  duis  la  prison  :  Desccndilque  cum 
Mo  in  foicam  (Sap.,  X,  13),  Il  ne  l'abandonne 
pis   dans  sa  captivité,  jusqu'à  ce  qu'il  lui 


LOUIS,  ROI  DE  FRANCE.  <>2 

remette  en  main  le  scep're  de  son  royaume  : 
Et  in  vinculis  non  dereliquit  eum ,  donec 
afferret  Mi  sceptrum  regni  ejus  (Ibid.).  Il  le 
relire,  comme  un  autre  Daniel,  de  la  fosse 
aux  lions,  où  il  avait  été  jeté  pour  sa  gloire 
et  pour  le  service  de  son  Eglise. 

Mais  si  noire  saint  roi  recouvre  la  liberté, 
s'il"  revient  da ->s  ses  Etals,  est-ce  pour  se 
délasser  de  ses  travaux  et  de  ses  fatigues? 
Est-ce  pour  vivre  dans  la  mollesse  et  dans  la 
volupté?  Non,  non,  Messieurs,  il  forme  des 
projets  d'une  nouvelle  conquête.  Il  entend 
de  loin  les  cris  d'un  nombre  infini  de  chré- 
tiens, accablés  sous  le  poids  de  leurs  chaînes 
dans  les  terres  infidèles.  Ses  entrailles  en 
sont  émues,  comme  celles  de  Dieu  aux  cris 
du  peuple  disraél  ,  dans  la  captivité  de 
Babylone.  Il  croit  que  Dieu  le  destine,  comme 
un  autre  Moïse,  pour  être  le  libérateur  d'un 
peuple  qui  souffre  sans  espérance,  qui  gémit 
sans  conso'ation,  et  qui  ne  peut  trouver  do 
remède  à  ses  maux  que  dans  la  valeur  et  la 
charité  d'un  puissant  roi. 

Il  entreprend  une  seconde  guerre  contre 
les  infidèles;  et  pour  délivrer  ses  frères  d'une 
dure  captivité,  il  sacrifie  son  repos,  ses 
biens,  sa  liberté,  sa  vie?  Il  dit,  comme  Judas 
Machabéc  :  Mourons  glorieusement  pour  le 
salut  de  nos  frères  :  Moriamur  in  virtule 
pr opter  fratres  nostros  (I  Mach.,  XIX,  10). 
Sollicité  par  ses  bonnes  intentions,  touché 
des  pieux  mouvements  de  son  zèle,  malgré 
le  mauvais  succès  de  ses  premières  armes, 
malgré  l'incertitude  des  événements,  il  espèro 
conlre  l'espérance;  il  prend  sur  lui  le  précieux 
signe  de  notre  salut;  suivi  des  princes  el  des 
seigneurs  du  royaume,  il  rassemble  toutes  ses 
forces;  il  arme  une  puissante  flotte  ;  il  ose 
encore  se  commettre  à  la  furie;  des  flots.  Avcî 
quelle  intrépidité  le  voit-on  sortir  de  son 
vaisseau,  à  la  vue  de  vingt  mille  infidèles  qui 
veulent  s'opposer  à  son  entreprise  1  Avec 
quelle  rapidité  prend-il  Carlhagc  et  plu- 
sieurs grandes  villes  d'Afrique  ! 

Qui  n'aurait  auguré  que  ces  heureux 
commencements  dussent  être  suivis  îles  plus 
glorieux  succès?  Mais  Dieu,  qui  destinait  à 
notre  saint  celte  couronne  de  tribulation  et 
de  patience  dont  parle  Isaïc  [Isa.,  XXII,  18), 
plus  glorieuse  mille  fois  que  toutes  les  vic- 
toires et  toutes  les  couronnes  du  monde, 
permet  que  son  armée  soit  vaincue  el  dissi- 
pée, aflligée  par  toutes  sortes  de  maladies  et 
de  misères,  désolée  par  la  peste,  el  que  lui- 
même  en  soit  attaqué.  O  abîme  profond  des 
conseils  éternels  1  Qui  pourra  sonder  les 
raisons  impénétrables  de  ces  tristes  événe- 
ments, de  ces  coups  si  peu  attendus? 

Le  même  Dieu  qui  laisse  perdre  deux 
batailles  aux  onze  tribus  d'Israël,  après  leur 
avoir  commandé  d'exterminer  la  tribu  <.e 
Benjamin  (Judic,  XX),  a  inspiré  à  saint 
Louis  d'entreprendre  la  guerre  contre  les 
infidèles  ,  et  permet  que  ses  pieux  des>cius 
soient  renversés.  Le  même  Dieu  qui  avait 
conduit  les  armées  de  Judas  Machabéc  (I 
Mach.,  IX,  18),  qui  b.s  avait  rcuduci  tant  de 
fois  victorieuses  et  triomphantes,  el  qui  per- 
met que  ce  grand  héros  meure  dans  le  corn- 


OltATMJHS  SACHES.  IJKliALLT. 


94 


bat,  permet  aussi  que  saint  Louis  meure  au 
milieu  de  soit  camp.  Ainsi,  ô  mon  Dieu!  sans 
être  contraire  à  vous-même,  par  ces  hautes 
et  sublimes  raisons  qu'il  n'est  pas  permis  à 
l'esprit  humain  de  pénétrer,  vous  renversez 
quelquefois  les  projets  que  vous  nous  avez 
inspirés,  et  vous  permettez  que  nous  soyons 
confondus  dans  nos  desseins. 

Louis  se  trouva  toujours  ,  par  une  con- 
stance chrétienne,  au-dessus  de  la  mauvaise 
fortune.  Il  ne  perdit  rien  de  sa  fermeté  et  de 
sa  confiance  en  Dieu,  parce  qu'il  se  soute- 
nait par  sa  seule  vertu.  Il  vit  approcher  avec 
tranquillité  son  dernier  jour.  Il  ne  s'étonna 
point  à  l'aspect  affreux  d'une  mort  avancée, 
et  après  l'avoir  cherchée  tant  de  fois  à  la  tête 
des  armées,  au  milieu  des  dangers  et  des  plus 
sanglants  combats,  il  la  regarda  avec  une 
fermeté  héroïque  dans  ces  derniers  moments. 
La  victime  se  présenta  devant  l'autel  ,  et  le 
sacrifice  fut  ; cceplé  :  Dcdit  se,  ut  liberaret 
populum ,  et  acquireret  sibi  nomen  alernutn 
(I  Mach.,  VI  ,  k't-).  Digne  d'un  plus  grand 
royaume,  Dieu  l'enlève  de  ce  monde  avant  le 
temps,  pour  le  couronner  d'une  gloire  im- 
mortelle. C'est  ainsi  que,  comme  un  autre 
Machabéc,  il  tombe  sur  ses  trophées,  et  qu'il 
esteomme  enseveli  sous  son  propre  triomphe. 
Que  n'a-t-il  vu  le  fruit  de  ses  travaux? 
Que  n'a-t-il  vu  la  fin  de  ses  grandes  espé- 
rances? Que  n'a-l-il  eu  le  succès  de  Josué,  de 
Constantin  ,  de  Théodose,  puisqu'il  combat- 
tait pour  la  même  cause?  Ne  semblait-il  pas 
mériter  toute  la  protection  du  Dieu  des  ar- 
mées, puisqu'il  combattait  pour  la  défense  de 
ses  autels  et  pour  la  liberté  des  peuples  qui 
l'adoraient?  Mais  nous  appartient-il,  cendre 
et  poussière  que  nous  sommes  ,  de  pénétrer 
les  profonds  secrets  de  la  conduite  de  Dieu  , 
et  de  lever  curieusement  le  voile  sous  lequel 
il  a  mis  à  couvert  les  mystères  sacrés  de  ses 
conseils  éternels?  Seigneur,  nous  adorons 
vos  jugements  :  vous  avez  sondé  les  inten- 
tions de  ce  saint  roi  ;  vous  avez  vu  la  pureté 
de  ses  motifs;  vous  avez  écoulé  la  prépara- 
tion de  son  cœur  (Psal.  X,  17).  Il  n'a  pas 
rempli  ses  désirs  ,  mais  il  a  accompli  vos 
desseins;  et  s'il  n'a  pas  vaincu,  il  a  eu  du 
moins  la  gloire  et  le  mérite  de  la  victoire. 

Qu'ajoulerai-jc  maintenant,  chrétiens, 
aux  exemples  que  nous  a  donnés  ce  grand 
roi,  par  toutes  les  actions  de  sa  vie?  Rien 
n'est  si  capable  de  nous  porter  à  la  vertu 
que  l'exemple  des  grands  du  monde.  Imitons, 
mes  frères,  ce  beau  modèle  que  l'Eglise  nous 
présente  aujourd'hui.  Nous  ne  pouvons  pas 
imiter  ses  desseins  et  ses  grandes  entrepri- 
ses, mais  nous  pouvons  imiter  ses  vertus, 
son  humilité,  sa  piété,  sa  charité,  sa  pa- 
tience, sa  pénitence,  son  zèle.  Mais  combien 
peu  en  trouvc-l-on  aujourd'hui  qui  aspirent 
véritablement  à  la  perfection  chrétienne  ! 
Combien  y  en  a-l-il  qui  n'ont  que  l'ombre 
et  le  masque  de  la  vertu,  qui  n'ont  de  l'hor- 
reur du  vice  que  quand  ils  le  trouvent  dans 
leur  prochain;  qui  font  consister  tout  leur 
mérite  à  louer  froidement  la  vertu,  à  se  mon- 
trer des  censeurs  chagrins  et  sévères  des 
moindres  défauts  qu'ils  remarquent  dans  la 


conduite  des  aulresl  Et  combien  en  voyons- 
nous  qui  s'imaginent  être  parfaits  parce 
qu'ils  pratiquent  certaines  vertus  stériles  et 
morales  qui  ont  quelque  rapport  au  cara  - 
1ère  de  l 'honnête  homme,  mais  qui  ne  foui 
pas  un  partait  chrétien  ! 

Finissons,  Messieurs,  par  où  nous  avons 
commencé  :  liéni  suit,  prand  roi,  le  Seigneur 
votre  Dieu,  qui  a  mis  son  affection  en  tout, 
qui  vous  a  fait  asseoir  sur  te  trône  de  la  Fran~ 
ce  ;  parce  qu'il  a  aimé  ce  royaume  pour  ja- 
mais ;  et  qu'il  vous  a  établi  roi,  pour  régner 
avec  équité,  et  pour  rendre  la  justice.  Que 
Dieu,  qui  vous  a  comblé  de  tant  de  grâces, 
fasse  passer  ses  bénédictions  jusqu'à  notre 
grand  roi,  digne  héritier  de  votre  nom,  de 
votre  couronne  et  de  vos  vertus.  Que  toutes 
les  faveurs  du  ciel  se  répandent  en  abon- 
dance sur  lui  et  sur  sa  famille  royale,  jus- 
qu'aux dernières  générations;  que  son  nom 
soit  toujours  terrib  e  à  ses  ennemis;  que  les 
rois  elles  nations  de  la  terre  frémissent  inu- 
tilement contre  lui  ;  que  cent  peuples  ligués, 
jaloux  de  sa  gloire  et  de  sa  puissance,  médi- 
tent de  vains  coseils  contre  le  Seigneur  et 
contre  son  oint,  et  que  leurs  injustes  des- 
seins soient  toujours  confondus  {Psal.  II). 

Faites,  grand  saint,  par  vos  puissantes  in- 
tercessions, que  cet  auguste  monarque  so  I 
toujours  sa^e  et  éclairé  dans  ses  conseils, 
heureux  dans  ses  entreprises,  triomphant 
dans  ses  combats.  Que  toujours  la  valeur 
l'anime,  la  pieté  le  conduise,  la  justice  règle 
ses  actions,  et  que,  pendant  tout  son  règne, 
nous  admirions  toujours  une  vertu  consom- 
mée dans  le  comble  des  félicités  humaines. 
Sire, 
Nous  ne  pouvons  rapporter  ici  ce  qui  com- 
pose le  panégyrique  d'un  saint  roi,  sans  par- 
ler en  même  temps  des  éminenles  vertus 
dont  Voire  Majesté  donne  tous  les  jours  des 
exemples  si  éclatants.  Nous  venons  de  voir 
saint  Louis  toujours  fidèle  à  la  loi  du  Sei- 
gneur, toujours  attaché  à  ses  devoirs,  prati- 
quer constamment  les  vertus  des  différent 
états  où  il  s'est  trouvé  par  la  disposition  de 
la  Providence.  Il  me  semble  que  je  n'ai  cite 
aucun  endroit  de  cet  éloge,  que  Notre  Ma- 
jestée  no  se  soit  présentée  à  mon  esprit.  Je 
n'ai  eu  qu'à  changer  dans  mon  idée  les  temps 
et  les  noms,  pour  peindre  d'un  seul  Irait 
deux  grands  monarques  dans  un  même  ta- 
bleau. Eu  effet,  Sire,  la  peinture  que  je  viens 
de  faire  de  ce  saint  roi  dans  l'une  el  dans 
l'autre  fortune  n'est-elle  pas  une  vive  imajie 
de  celte  vertu  consommée  que  loulc  la 
Fiance  et  tout  le  monde  chrétien  admirent 
en  Notre  Majesté?  Je  laisse  à  d'autres  ora- 
teurs à  louer  ce  cœur  magnanime,  noble,  gé- 
néreux; ce  courage  intrépide  dans  les  com- 
bats et  dans  les  plus  grands  périls;  tes  ac- 
tions plus  éclatantes  que  des  victoires,  el 
tous  ces  prodigieux  exploits  qui  font  la 
gloire  des  héros.  Pour  moi,  Sire,  renfermé 
dans  les  bornes  de  mon  ministère  cl  de  mon 
sujet,  je  louerai  en  Votre  Majesté  ces  vertus 
chrétiennes  qui  viennent  de  faire  l'éloge 
d'un  grand  saint,  et  qui  lui  ont  mérite  une 
gl  >ire  immortelle  ;   ce  zèle  ardent   à   soute- 


PANEGYRIQUE  DE  SAINT  THOMAS  D'AQUIN. 


iO 


nir,  aux  dépens  même  de  votre  repos,  de 
votre  liberté,  de  vos  royaumes,  les  intérêts 
de  la  religion  de  Jésus-Christ  ;  cet  amour  de 
la  vertu,  sans  regarder  d'autre  récompense 
que  celle  qui  est  inséparable  de  la  vertu 
même  ;  cette  faim  bienheureuse  de  la  parole 
de  Dieu  ;  ce  respect  attentif  pour  les  sacrés 
mystères,  celte  vénération  profonde  pour 
tout  ce  qui  porte  le  caractère  de  la  piété, 
celte  dévotion  tendre  et  sincère,  cette  reli- 
gion pleine  et  solide,  cette  foi  si  vive  et  si 
généreuse. 

Nous  avons  vu  dans  saint  Louis,  captif  en 
Egypte  et  mourant  en  Afrique,  la  royauté 
humiliée;  en  lui  nous  avons  vu  un  roi  aussi 
tranquilie  dans  ses  malheurs  et  dans  ses 
disgrâces  que  dans  la  plus  florissante  pros- 
périté; humble  et  soumis  aux  ordres  rigou- 
reux du  Seigneur,  aussi  grand  dans  ses  hu- 
miliations que  dans  l'éclat  de  sa  plus  haute 
gloire.  Tel,  Sire,  nous  vous  admirons  au- 
jourd'hui, dans  l'état  où  il  a  plu  à  Dieu  de 
vous  mettre,  par  la  disposition  de  sa  Provi- 
dence, pour  une  plus  grande  épreuve  de 
votre  foi  ;  toujours  ferme,  toujours  constant, 
toujours  égal  à  vous-même,  parmi  les  plus 
violentes  agitations  de  la  fortune.  La  paix 
de  votre  tœur  toujours  inaltérable,  une 
force  d'âme,  une  modération,  une  patience, 
une  tranquillité  de  raison  que  rien  ne  peut 
ébranler.  Content  de  cette  couronne  de  jus- 
tice que  Dieu  juste  juge  rend  toujours  à 
ceux  qui  ont  fidèlement  combattu  pour  lui 
(II  7'rn.,  IV),  comme  les  saints  rois  de  l'A- 
pocalypse, nous  vous  voyons  faire  aux  pieds 
de  l'Agneau  (  Apoc,  IV,  10  )  un  généreux 
sacrifice  de  vos  couronnes. 

Puisse  ce  Dieu  qui  a  éprouvé  voire  invio- 
lable fidélité  dans  ces  différents  états,  vous 
en  donner  dès  celle  vie  le  mérite  et  la  récom- 
pense, comme  il  fit  à  Abraham,  après  avoir 
éprouvé  sa  foi!  Puisse  ce  Dieu  de  justice  vous 
remettre  en  possession  de  ces  royaumes  où 
vous  ne  voulez  régner  que  par  lui  et  que 
pour  y  établir  son  règne,!  Puisse  le  Dieu  des 
armées  confondre  vos  ennemis,  qui  sont  les 
siens  mêmes  et  ceux  delà  religion!  Oui, 
Sire,  si  nos  vœux  vieeux  de  toute  l'Eglise 
sont  écoulés,  il  les  confondra.  Viendront  ces 
temps  heureux  où  l'on  vous  verra  détruire 
toute  puissance  et  loule  domination  étran- 
gère, où  Dieu  prendra  le  soin  de  venger 
la  majesté  violée  et  les  droits  sacrés  de  la 
royauté.  Déjà  il  a  déterminé, dans  sa  sagesse 
profonde,  les  limites  qu'il  veut  donner  aux 
malheureux  progrès  d'une  injuste  usurpa- 
tion. Ilicnlôl  ces  nuits  d'horreur  et  de  confu- 
sion seront  dissipées  par  d'heureux  jours  de 
paix  et  de  justice.  Comme  un  soleil  quia 
élé  caché  quelque  lemps  sous  la  nue,  vous 
reparaîtrez  avec  un  nouvel  éclat.  Un  peuple 
à  qui  une  séduction  artificieuse  u  fait  dire: 
Je  ne  servirai  pas,  se  soumettra  à  ses  princes 
légitimes,  cl  peul-êlre  déjà  vous  prépare-t-il 
dans  son  cœur  l'appareil  de  voire  triomphe. 
On  vous  verra  remonter  sur  le  trône,  dont  la 
seule  religion  vous  a  fait  descendre,  ei  en 
rendant  à  Jésus-Christ  d'immortelles  actions 
do  grâces, nous  pourons  diic  à  Votre  Majes- 


té ces  belles  paroles  :  Accepisti  virtutem  tuam 
mugnam,  et  regnasti  (Apoc,  XI,  17;),  que 
vous  avez  repris  votre  puissance  suprême, 
et  que  vous  êtes  rentré  dans  la  possession 
de  vos  royaumes.  Mais  ne  bornons  pas  nos 
désirs  à  des  royaumes  temporels;  portons  nos 
vœux  jusqu'au  royaume  éternel,  que  je  vous 
souhaite,  etc. 

PANÉGYRIQUE 

DE    SAINT    THOMAS  d'aQUIN, 

Prêché  à  Nîmes  dans  l'église  des  Jacobins, 
en  présence  de  M.  Vévcque  de  Nîmes,  le  7 
mars  1698. 

fnvocavi,  et  venit  in  me  Spiritus  sipienline:  et  prseposui 
illam  regnis  et  sedibus  ;  et  divilias  nitiil  esse  duxi  in  com- 
paratione  illius. 

J'ai  prié  U:  Seigneur,  el  l'esprit  de  la  sagesse  est  venu  en 
moi,  et  je  l'ai  préférée  aux  royaumes  et  aux  trônes ,  el  j'ai 
cru  que  tous  les  biens  et  toutes  les  richesses  de  la  terre  n'é- 
taient rien  au  prix  d'elle  (Sap.,  VII). 

Monseigneur, 

Ainsi  parlait  de  lui-même  Salomon,  qui, 
par  l'ardeur  de  ses  désirs  et  par  la  force  de 
sa  prière,  par  un  sincère  détachement  et  par 
un  généreux  mépris  des  biens  de  la  terre, 
mérita  de  recevoir  la  plénitude  de  la  science 
de  Dieu.  Ainsi  parlait  de  lui-même  ce  mira- 
cle de  sagesse  ,  à  qui  Dieu  donna  une 
science  qui  surpassa  de  beaucoup  celle  des 
Orientaux,  des  Egyptiens  et  de  tous  les  hom- 
mes qui  furent  avant  lui  et  qui  viendront 
après  lui. 

Ainsi  parle  de  lui-même  cet  homme  qui  fut 
rempli  des  plus  sublimes  connaissances  ;  qui 
vit  à  découvert  tous  les  mystères  de  la 
nature  et  de  la  grâce  ;  qui  traila  avec  tant 
de  profondeur  et  de  subtilité,  de  la  nature, 
des  animaux  ,  des  oiseaux  et  des  arbres, 
depuis  le  plus  haut  cèdre  du  Liban  jusqu'à 
la  plus  petite  herbe  qui  rampe  sur  la  terre  ; 
qui  composa  trois  mille  paraboles  et  cinq 
mille  cantiques.  Ainsi  parle  de  lui-même  ce 
Sage  par  excellence,  qui  rendit  son  nom  cé- 
lèbre jusqu'aux  îles  les  plus  reculées ,  qui 
attira  autour  de  lui  les  rois  et  les  peuples  de 
la  terre,  pour  écouler  avec  ctonuemcnl  les 
oracles  de  sa  profonde  sagesse. 

A  celte  idée,  que  j'offre  à  votre  esprit,  de 
la  sagesse  el  de  la  science  de  Salomon  ,  ne 
vous  représcnlez-vous  pas,  Messieurs,  celle 
du  grand  saint  Thomas,  dont  nous  célébrons 
aujourd'hui  la  fêle?  Ce  vaste  génie,  ce  grand 
homme,  que  Dieu  suscita  pour  être  une  des 
plus  éclatantes  lumières  de  son  Eglise  ;  à  qui 
rien  ne  fut  caché  de  tout  ce  que  peut  com- 
prendre l'esprit  humain  ;  qui  fut  admis  dans 
le  sanctuaire  de  la  sagesse  même  ;  qui,  pé- 
nétra tous  les  secrets  de  la  divinité  ;  qui  par 
la  plus  fine  vue  et  par  la  plus  haute  spécu- 
lation, connut  les  effets  dans  leurs  principes; 
qui  traita,  avec  tant  de  profondeur  el  d'élé- 
vation, de  loules  les  sciences  divines  et  hu- 
maines; qui  fut,  par  sa  sublime  intelligence  et 
par  ses  divins  écrits,  le  Mailre  des  docteurs, 
le  Flambeau  de  la  vérilé,  l'Ange  de  l'école  , 
l'Oracle  de  la  théologie,  la  gloire  et  l'orne- 
ment de  son  ordre,  l'admiration  et  l'élonne- 
iiicnl  de  tous  les  siècles.  Plus  heureux  que 


47 


ORATEURS  SACRES.  BEGAtJLT. 


28 


Salomon  d'avoir  su  joindre  à  une  profonde 
science,  qui  l'a  rendu  un  des  plus  grands 
doi  leurs,  la  pratique  eonslanle  de  plui  éiiii— 
nenles  vertus,  qui  en  onl  foit  un  des  plus 
grands  sainls  de  l' M- lise. 

Pouvions  nous  choisir  des  paroles  qui  fus- 
sent plus  propres  que  celles  de  n  on  texte  à 
nous  donner  une  juste  idée  du  caractère  de  ic 
docteur  incomparable,  et  qui,  en  nous  décou- 
vrant, et  sa  science  sublime,  et  les  sourcei 
d'où  il  l'a  puifée,  pussent  mieux  nous  foire 
connaître  les  veilus  qui  doivent  faire  le  fond 
de  son  éloge? 

Parlons  donc  de  la  science  de  saint  'Tho- 
mas, qui  fait  son  caractère  particulier,  et 
cherchons-en  les  sources  précieuses.  Je  les 
trouve  dans  les  paroles  de  mon  texte  :  la 
prière  et  le  détachement.  J'ai  invoqué  le  Ssi- 
yneur  :  voilà  la  pr.ère.  J'ai  préféré  la  sagesse 
aux  royaumes  et  aux  trônes;  j'ai  cru  que  tous 
les  Liens  et  toutes  les  richesses  de  la  terre  n'é- 
taient rien  au  prix  d'elle:  voilà  le  dé'ach  - 
ment.  Mais  pour  suivre  l'ordre  des  actions  et 
des  vertus  de  saint  1  homas,  j'ai  dessein  de 
vous  faire  voir  qu'il  a  mérité  sa  science  par 
son  généreux  détachement  et  par  le  mépris 
qu'il  a  fait  de  tous  les  biens  de  la  terre  :  Ni- 
hil  esse  duxi  in  compuratione  illius.  Et  ce 
sera  mon  premier  point.  Qu'il  a  acquis  sa 
science  par  la  force  de  sa  prière  :  Invocavi , 
et  venit  in  me  Spiritus  <apicntiœ.  Et  ce  sera 
mon  second  point.  Demandons  les  lumières 
du  Saint-Esprit  par  l'intercession  de  la  sainte 
Vierge.  Ave,  Maria. 

PBEMIER    POINT. 

C'est  une  maxime  établie  par  la  Provi- 
dence, que  Dieu  ne  nous  remplit  de  ses  dons 
qu'à  mesure  qu'il  nous  trouve  vides  de  nous- 
mêmes  et  de  l'amour  des  faux  biens  de  la 
terre  ;  soit  parce  que  les  affections  et  les 
désirs  inquiets  du  siècle  sont  un  obstacle 
presque  invincible  aux  grâces  que  Dieu  nous 
destine;  soit  qu,-  l'esprit  de  Dieu  ,  suivant 
l'Ecriture  ,  n'habite  pas  dans  l'homme,  tandis 
qu'il  est  chair  {Gen.,  VI ,  3),  tandis  qu'il  se 
trouve  occupé  des  vains  amusements  du 
monde.  Le  corps  ,  corrompu  par  la  mollesse 
et  par  les  attachements  grossiers  ,  abat  l'es- 
prit, lorsqu'il  fait  des  efforts  pour  s'élever 
au-dessus  des  sens.  Cette  habitation  terrestre, 
dit  le  Sage,  appesantit  l'âme  lorsqu'elle  aspire 
à  la  contemplation  des  choses  divines. 

C'est  pour  cette  raison  que  les  anges  ,  qui 
sont  des  formes  spirituelles ,  simples,  sans 
aucun  mélange  ,  sans  aucune  composition  , 
et  absolument  dégagées  de  toute  matière, 
sont  plus  capables  de  ces  sciences  qi  i  ap- 
prochent de  plus  près  celle  de  Dieu.  Pour- 
quoi Dieu  éclaira-î-il  Salomon  des  plus  bril- 
lantes lumières,  sinon  parce  que,  dégagé  de 
tout  ce  qui  flatte  l'orgueil  et  la  cupidité  ,  il 
i.e  forma  des  vœux  que  pour  la  souveraine 
j  !  cesse  ? 

tel  l'ut  saint  Thomas.  Pour  s'adonner  uni- 
'\  lemenl  à  l'élude  des  sciences  ,  il  fut  insen- 
.'ilde  à  tout  ce  qui  fait  l'amour  et  l'empres- 
sement des  hommes.  Vois  dirai-je.  ici,  Mes- 
sieurs, que  Dieu,  pour  le  préparer  à  la  sa- 


gesse, voulut,  ivantle  temps,  dénouer  sa 
langue  encore  embarrassée  dans  la  faiblesse 
de  l'âge.'  Vous  dirai-je  que  théologien  ,  M 
j'ose  parler  ainsi ,  plutôt  que  raisonnable ,  la 
pr<  ière  fois  qu'il  ouvrit  la  bouche,  ce  fut 
pour  demander  ce  que  c'était  que  Diei  ;  et 
que,  pratiquant  dès  lors  ee  qu'il  devait  en- 
seigner un  jour,  il  tourna  vers  lui  ses  pre- 
miers regards?  Heureux  d'avoir  ainsi  pos- 
sédé le  Seigneur  dès  le  commencement  de  u  s 
\oies,  et  d'avoir  été  plutôt  à  Dieu,  pour 
ainsi  dire,  qu'à  lui-même.  Aussitôt  qu  la 
raison  eut  brillé  dans  son  csprii  ,  il  méprisa 
tous  ces  faux  biens  après  lesquels  les  hom- 
mes mondains  courent  avec  tant  d'ardeur. 

Son  premier  détachement  fut  le  mépris 
qu'il  fit  de  la  gloire  et  des  avantages  qu'il 
pouvait  recueillir  dans  le  siècle.  Sorti  d'une 
des  plus  illustres  maisons  de  Niples  ,  il 
compta  pour  rien  la  noblesse  de  sa  nais- 
sance, et  chercha  dans  l'opprobre  de  Jéms- 
Christ  une  plus  sûre  et  plus  solide  gloire. 
Touché  des  malédictions  terribles  que  le  Fils 
de  Dieu  donne  aux  richesses,  et  de  ce  carac- 
tère de  réprobation  qui  semble  leur  être  at- 
taché ,  à  cause  du  mauvais  usage  qu'on  a 
coutume  d'en  faire,  il  les  abandonna  vo'on- 
lairement,  pour  n'avoir  rien  qui  pût  le  trou- 
bler dans  la  poursuite  de  la  sagesse.  I 
au  conseil  de  Jésus-Christ,  pour  être  du 
nombre  de  ses  disciples ,  il  renonce  à  tout  ce 
qu'il  possède  (Lac.,  X.IV,  3.T).  Persuadé  que 
la  sagesse  n'habite  pas  dans  une  âme  sujette 
aux  péchés  ,  il  conserve  son  innocence  au 
milieu  de  la  corruption  du  siècle. 

Nous  n'avons  pas  à  gémir  ici  sur  les  igno- 
rances et  sur  les  dérèglements  d'une  jeu- 
nesse criminelle  ;  il  ne  faut  point  ici  cacher 
avec  art  les  vices  à  la  faveur  des  vertus.  Il 
évita  soigneusement  les  pièges  que  lui  ten- 
dirent les  ennemis  de  son  salut.  Dès  ce  pre- 
mier âge,  où,  entrant  nouvellement  dans  le 
monde,  les  sens  sont  avides  des  objets  qui 
les  flattent  ,  il  sut  les  mortifier  et  leur  refu- 
ser la  vue  des  plus  innocents.  Loin  de  nour- 
rir des  passions  criminelles  ,  il  ne  souffrit 
pas  les  indifférentes,  et  punit  même  souvent 
en  lui  ce  que  Dieu  n'avait  pas  condamné. 

La  grâce  l'enlève  au  monde  avant  que  la 
malice  du  siècle  ail  jeté  dans  so-i  cœur  les 
premières  semences  de  la  corruption.  Il  n'est 
pas  de  ces  personnes  mondaines  qui  ne  re- 
noncent au  monde  que  quand  le  monde  les 
rebute,  qui  ne  font  des  vœux  p  >ur  Dieu  que 
quand  on  cesse  d'en  faire  pour  c  Iles  ,  qui  ne 
soupirent  pour  le  ciel  que  quand  elles 
mencent  de  soupirer  inutilement  pour  la 
terre. 

Il  n'at'end  pas,  pour  quitter  le  monde  , 
que  l'âge,  qu'une  disgrâce,  qu'un  revers  de 
fortune,  le  forcent  d'en  sortir.  Dans  la  fleur 
d'une  brillante  jeunesse  ,  il  s'offre  à  Dieu 
comme  une  victime  pure  et  sans  l.iche,  pour 
être  immolé  à  sa  gloire.  Il  s  it  à  quelles  teu- 
lalions  la  vertu  est  exposée  .  combi  n  il  est 
aise  d'y  succomber ,  combien  il  est  diiti  -i  • 
de  se  relever  au/ès.  une  funeste  cii.ie.  Il  sait 
que  dans  ce  siècle  mécliaul  tout  i.  spire  les 
plaisirs  .  la  mollesse  ,  la  volupté  ,  l'orgu  i!  , 


29  PANEGYRIQUE  DE  SAINT  THOMAS  D'AQUIN. 

l'oubli  de  Dieu  el  le  mépris  de  ses  lois.  Ainsi, 
pressé  par  l'esprit  du  Seigneur,  il  se  dérobe 
à  la  tendresse  de  sa  famille  ,  il  cherche  un 
asile  à  son  innocence  dans  l'ordre  de  Saint- 
Dominique  ,  également  célèbre  par  la  doc- 
trine et  par  la  sainteté. 

Déjà  dans  une  profonde  paix,  à  l'abri  des 
pièges  que  le  démon  tend  aux  âmes  innocen- 
tes ,  content  d'avoir  choisi  le  Seigneur  pour 
la  portion  de  son  héritage,  Thomas  commen- 
çait à  goûter  en  repos  les  douceurs  d'un  élat 
qui  le  consacrait  à  Dieu  et  à  l'étude  de  la 
sagesse,  lorsque  sa  mère,  par  une  cruelle 
pitié  de  lui  voir  porter  la  croix  à  la  suite  de 
Jésus-Christ,  prit  la  résolution  de  l'arracher 
du  sein  de  la  religion  qu'il  avait  embrassée. 
Souvent  il  arrive  que  les  parents  forcent 
leurs  enfants  d'entrer  dans  des  cloîtres; 
qu'ils  les  sacrifient,  comme  des  victimes  mal- 
heureuses, à  la  gloire  d'une  maison  qu'on 
veut  élever  ou  soutenir  ;  qu'ils  traînent  au 
lieu  du  sacrifice  ces  hosties  involontaires, 
qu'ils  voudraient  toujours  prendre  de  ce  qu'il 
y  a  de  pire  dans  le  troupeau. 

A  la  vue  de  l'appareil  du  sacrifice,  des 
frères  avides  et  intéressés  donnent  bien 
quelque  marque  de  douleur;  et  soit  ten- 
dresse, soit  pitié,  soil  hypocrisie,  ils  versent 
quelques  larmes  feintes  sur  un  frère  ou  une 
sœur  qui  sont  conduits  à  l'autel  pour  y 
être  immolés.  Mais  en  secret  ravis  de  voir 
la  portion  de  leur  héritage  grossir  par  le 
mépris  que  ces  âmesgénéreuses  fontde  leurs 
possessions  ou  des  espérances  de  posséder, 
ils  se  consolent  aisément  de  la  perte  qu'ils 
semblent  faire  de  leurs  frères,  et  s'en  croient 
amplement  dédommagés  par  les  avantages 
qu'ils  tirent  de  leur  retraite.  Mais  nous 
voyons  rarement  qu'on  s'oppose  au  dessein 
qu'aura  un  enfant  d'entrer  dans  la  religion, 
surtout  lorsque,  demeurant  dans  le  siècle,  il 
peut  partager  avec  ses  frères  un  ample  patri- 
moine. Cependant  nous  voyons  ici  le  con- 
traire à  l'égard  de  saint  Thomas.  Sa  mère  et 
ses  frères,  par  une  fausse  compassion  et 
par  une  cruelle  tendresse,  mettent  mille  ob- 
stacles à  sa  vocation  ;  ils  le  persécutent  à  ou- 
trance; on  lui  déchire  ses  habits  de  religion  ; 
on  joint  la  force  à  l'adresse,  pour  rompre  son 
généreux  dessein.  C'est  ici, où,  suivant  la  pa- 
role de  Jésus-Chrisl,  nous  voyons  la  guerre 
entre  la  mère,  le  fils  et  les  frères.  C'est  ici 
qu'on  peut  dire  que  ceux  de  sa  propre  mai- 
son deviennent  ses  plus  cruels  ennemis  ;  que 
ses  plus  grands  anus  et  ses  plus  proches  se 
sont  soulevés  contre  lui ,  cl  que  ceux  qui  de- 
vaient être  les  défenseurs  de  son  innocence 
emploient  toute  sorte  de  violence  pour  la  lui 
faire  perdre  :  Amici  mei  et  proximi  mei  a  l- 
versum  me  appropinquaverunl  et  steterwit  : 
etvim  fariebant  qui  qiurrebant  animant  meam 
[Psal.  XXXVII.  12,  \3). 

Mais  rien  n'est  capable  de  lui  faire  chan- 
ger M  résolution.  A  l'exemple  du  grand  apo- 
Irc,  appelé  par  la  grâce  à  la  perfection  évan- 
géliquc,  il  n'écoule  ni  la  chair  ni  le  sang  : 
Non  acquievi  earni  et  sanguini  [Gat.,  I,  Ifij. 
Il  se  souvient  que  Jésus-Christ  commande  de 
haïr  son  père,  sa  mère,  ses  frères   cl  môme 


50 

sa  propre  vie.  Ainsi  se  met-il  en  état  d'être 
un  véritable  disciple  de  Jésus-Christ,  et  de 
recevoir  ceite  plénitude  de  lumière  que 
Dieu  promet  à  ceux  qui  renoncent  aux  en- 
gagements les  pius  tendres.  Car,  dit  Isaïe,  à 
qui  le  Seigneur  enseignera-l-il  la  science  : 
Quem  docebit  scientiam,  et  quem  intelligere 
fdeiet  auditum  (fsn.,  XXVIII,  9)?  sinon  à 
ceux  qui  se  sont  sevrés  des  délicatesses  de  la 
chair  et  du  sang,  et  qui,  par  un  généreux 
effort,  se  sont  arrachés  eux-mêmes  des  ma- 
melles de  leurs  propres  mères  :  Ablaclatos  a 
lacté,  avalsos  ab  uberibus  (Ibid.). 

Le  croirez-vous ,  Messieurs?  Ses  frères 
mettent  encore  sa  constance  à  de  plus  fortes 
épreuves.  Ici  se  présente  à  mon  esprit  ce 
stratagème  diabolique  dont  ils  se  servirent 
pour  lâcher  de  le  séduire.  Après  avoir  essayé 
inutilement  tous  les  moy<  ns  imaginables  <!c 
li'  tenter,  ils  introduisirent  dans  la  prison 
où  ils  le  tenaient  étroitement  enfermé,  une 
f' mme  impudique  pour  corrompre  son  in- 
nocence. Ils  savent  qu'il  est  aisé  d'abattre 
les  plus  grands  courages  par  de  telles  armes  ; 
qu'on  surmonte  enfin  par  le  plaisir  ceux 
qu'on  n'a  pu  vaincre  par  la  douleur,  et  que 
ces  beaux  projets  de  vertu  et  de  perfection 
tombent  aussitôt  qu'on  est  devenu  sensible 
à  la  volupté.  Cette  femme  aposlée,  plus  ter- 
rible pour  un  jeune  homme  que  l'enfer 
même,  instruite  dans  tous  les  ans  de  séduire 
la  vertu  la  mieux  affermie,  se  présente  à 
Thomas  ,  avec  tons  les  charmes  capab  es 
d'allumer  dans  le  cœur  le  feu  de  l'impureté  : 
poussée  par  sa  propre  cupidité,  animée  par 
i'espoir  d  une  grande  récompense,  qui  doit 
être  le  prix  de  sa  victoire,  elle  emploie  tous 
les  artifices    pour  corrompre  ce  jeune  cœur. 

Quelle  épreuve  pour  une  vertu  encore  len« 
dre!  Qu'il  est  dangereux  de  se  trouver  dans 
une  fatale  nécessité  de  vaincre,  ou  d'être 
vaincu  !  Qu'il  est  à  craindre  qu'on  ne  se 
rende  enfin,  dans  un  combat  où  celui  qui  se 
défend  sei;t  presque  toujours  en  lui  une  in- 
telligence secrète  avec  celui  qui  l'attaque! 
Qu'il  est  à  craindre  qu'on  ne  se  relâche  de 
sa  première  ferveur  et  de  son  austère  ver- 
tu, quand  le  plaisir  s'offre  de  lui-même 
avec  l'impunité,  et  qu'il  peut  être  regardé 
comme  un  moyen  sûr  de  s'affranchir  d'une 
cruelle  et  opiniâtre  persécution  I 

Cependant,  Messieurs,  rassurez-vous,  ne 
craignez  rien  pour  Thomas;  les  écuei's  de 
la  vertu  et  de  l'innocence  des  autres  ne  sont 
que  les  épreuves  glorieuses  de  la  sienne.  Il 
eut  une  grâce  assez  puissante,  et  il  y  fut  assez 
fidèle  pour  sortir  avec  avantage  de  la  tenta- 
tion. Mais  que  fera-t-il  dans  cette  fatale  con- 
joncture? La  chasteté,  fragile  el  timide  \er- 
lu,  par  une  sage  méfiance  de  ses  propres  for- 
ces, cherche  d'ordinaire  son  salut  dans  la. 
fuite.  Ainsi  Joseph,  dit  saint  Basile,  em- 
ploya-t-il  la  fuite  pour  toute  arme  :  Usus  est 
fuga  )>ro  armis  [Oral.  8).  Mais  Thomas  est 
resserré  dans  une  étroite  prison,  il  se  voit 
comme  en  proie  à  un  ennemi  qui  est  d'au- 
tant plus  terrible  qu'il  vient  à  lui  avec  plus 
de  charmes.  Que  fera-t-il  dans  celle  cruelle 
nécessité?  Il  s'arme  d'une  juste  fureur,  et  li- 


M 


OllATEl'KS  SACHES.  IJEGAI  II 


!.* 


rant  des  forces  de  sa  propre  faiblesse,  il  re- 
pousse un  emportement  d'effronterie  par  un 
emportement  de  courage;  il  prend  un  tison 
allumé,  poursuit  l'ennemi,  et  par  ce  feu 
éteint  une  flamme  d'impureté  que  cette 
femme  impudique  voulait  allumer  dans  son 
cœur. 

11  y  en  a  que  le  monde  quitte  avant  qu'ils 
aient  quitté  le  monde,  lorsque,  devenus  mé- 
prisables par  des  disgrâces  réitérées,  par  le 
renversement  de  leur  forlune,  par  les  ap- 
proches de  la  vieillesse  ou  par  de  longues  et 
ennuyeuses  infirmités,  le  monde  les  rebute 
et  les  bannit  des  compagnies  et  de  la  sociélé. 
Mais  qu'il  y  en  a  peu  qui  quittent  le  monde 
lorsqu'il  court  après  eux,  lorsqu'il  leur  of- 
fre ce  qu'il  a  de  plus  doux  et  de  plus  agréa- 
ble, lorsqu'il  se  présente  avec  des  charmes 
tout  nouveaux  et  sans  aucun  mélange  de 
ces  bizarres  infidélités  et  de  ces  perfidies  qui 
répandent  tant  d'amertumes  sur  les  plaisirs 
les  plus  vifs  et  les  plus  touchants  1  Par  une 
grâce  singulière, Thomas,  flatté  des  plus  bril- 
lantes espérances  du  siècle,  orné  de  tous  les 
avantages  de  son  innocence,  dans  ses  plus 
beaux  jours  ,  renonce  généreusement  au 
monde,  au  milieu  d'une  tentation  la  plus  sé- 
duisante cl  la  plus  délicate. 

Combien  y  en  a-t-il  qui  auraient  trouvé 
le  péril  agréable  et  qui  l'auraient  regardé 
comme  un  événement  heureux  !  Combien 
qui,  pour  pécher  avec  plus  de  confiance  , 
pour  étouffer  les  derniers  soupirs  d'une  in- 
nocence qu'on  est  en  danger  de  perdre,  et 
pour  s'élourdir  sur  les  horreurs  qu'inspirent 
les  premières  tentations  à  une  âme  qu'une 
crainte  salutaire  relient  encore  dans  le  de- 
voir, écoulent  ces  funestes  maximes  que 
l'esprit  de  la  chair  n'inspire  que  trop  sou- 
vent :  Qu'il  y  a  un  âge  et  certaines  occa- 
sions où  il  est  presque  impossible  de  résister 
aux  charmes  de  la  volupté,  surtout  quand 
elle  se  présente  d'elle-même;  que  c'est  as- 
sez de  ne  pas  chercher  le  danger;  que  pour 
mieux  vaincre  la  concupiscence  il  lui  faut 
accorder  quelque  chose  ;  qu'il  faut  se  désa- 
buser du  monde  par  le  monde  même;  qu'on 
ne  méprise  jamais  mieux  les  plaisiis  que 
quand  on  les  a  goûtés  ;  qu'après  tout,  on  en 
est  quille  pour  un  repentir;  que  Dieu  est 
toujours  prêt  à  pardonner;  qu'inutilement  il 
aurait  établi  la  pénitence  comme  un  remède 
à  nos  infirmités,  si  nous  ne  tombions  pas  dans 
quelques  faiblesses;  qu'il  y  a  une  espèce  de 
pénitence  aussi  glorieuse  que  l'innocence 
même,  et  qu'enfin  on  regagne  bientôt  par 
l'humilité  cl  par  la  ferveur  ce  qu'on  avait 
perdu  par  un  peu  de  fragilité  1 

Loin  d'ici  ces  malheureuses  maximes  qui 
conduisent  à  l'impiété  et  au  libertinage.  Heu- 
reux ceux  à  qui  la  loi  apprend  que  la  même 
Ecrilurc  qui  nous  défend  d'aimer  le  danger: 
Qui  amatpericulumfin  illoperibit  (/:cc/.,III, 
27),  nous  commande  de  le  fuir  quand  il  pa- 
rait :  Quasi  afdciccoluliri  fuye peccata  [EccL, 
XXI,  2)  ;  que  la  convoitise  n'a  point  de  bor- 
nes; qu'elle  s'irrite  quand  on  la  lia  le;  que, 
comme  une  sangsue  avide,  «dus  on  cherche 
u  la  satisfaire,  plus  elle   devient  insatiable  ; 


qu'il  est  contre  toute  raison  d'acheter  un  fra- 
gile plaisir  par  des  regrets  éternels  ;  qu'il  est 
injuste  d'être  méchant  parce  que  Dieu  est 
bon;  que  la  pénitence  est  un  remède  à  nos 
infirmités,  et  non  pas  un  prétexte  pour  favo- 
riser la  concupiset  nce  ;  que  le  monde  (barge 
de  cruelles  chaînes  ceux  qui  se  sont  une  f. •  is 
soumis  à  lui  ;  qu'un  péché  c  induit  à  un  au- 
tre; qu'insensiblement  I  habitude  se  forme 
et  passe  en  nécessité  ;  et  que.  comme  dit  saint 
Ambroise,  il  est  aussi  difficile  de  trouver  des 
chrétiens  qui  fassent  une  sincère  pénitence 
après  leur  péché,  que  d'en  trouver  qui  aient 
conservé  leur  première  innocence. 

Thomas  suivit  ces  belles  maximes  et  ces 
grands  principes  de  vertu.  Ainsi  dégagé  de 
la  volupté  et  de  tout  ce  qui  occupe  vainement 
l'esprit  et  le  cœur  des  hommes  mondains,  il 
s'appliqua  avec  ardeur  à  l'étude  de  la  véri- 
table sagesse.  Bientôt  il  devint  l'étonnemcnl 
et  l'admiration  des  plus  fameuses  académies. 
Ce  fut  principalement  dans  celle  de  Paris 
que,  joignant  un  travail  infatigable  à  un  des 
plus  beaux  génies  qui  fut  jamais,  il  fil  de  si 
grands  progrès  dans  ses  éludeô.  qu'ayant 
mérité  le  bonnet  de  docteur  il  se  vil  en  état, 
à  l'âge  de  vingt-cinq  ans,  d'enseigner  la  théo- 
logie dans  la  première  université  du  monde. 
Bientôt  la  réputation  de  sa  vertu  et  de  sa  su- 
blime science  se  répandit  par  toute  la  terre; 
il  fut  regardé  comme  le  miracle  de  son  siè- 
cle, comme  l'oracle  de  la  vérité  et  comme  un 
vase  précieux  où  Dieu  avait  renfermé  tous 
les  plus  riches  trésors  de  sa  sagesse.  Tout 
le  monde  vint  en  foule  pour  entendre  ce  nou- 
veau Salomon.  Les  plus  savants  hommes,  at- 
tirés par  le  bruit  de  sa  profonde  science,  le 
consultent  de  toutes  paris.  On  veut  l'élever 
sur  le  chandelier  de  l'Egli>c  pour  le  faire 
briller  avec  |  lus  d'éclat  et  de  plus  loin. 

Mais  rien  ne  fut  capable  ,  je  ne  dis  pas  de 
lui  inspirer  de  l'orgueil,  mais  de  donner 
même  la  moindre  .illeinle  à  sa  modestie. 
L'ambition  ne  trouva  pas  en  lui  plus  de  fai- 
blesse que  la  voluplé.  Il  refusa  constamment 
les  dignités  qu'on  lui  offrit.  Dieu,  pour  gar- 
der cet  ordre  admirable  qui  fait  la  beauté  de 
l'Eglise,  y  a  établi ,  dit  saint  Paul,  les  uns 
pour  être  apôtres,  les  autres  prophètes,  les 
aulres  docteurs  [Bphes.,lV,  11).  Ayant  plu 
à  la  divine  Providence  de  le  mettre  au  rang 
des  docteurs,  il  ne  voulut  point  renverser  cet 
ordre. 

Qu'il  fut  éloigné  de  la  conduite  de  ceux 
qui  briguent  par  mille  voies  illicites  les  di- 
gnités de  l'Eglise;  qui,  pour  être  élevés  aux 
premières  places  dans  le  royaume  de  Jés  |- 
Cbrist,  au  défaut  du  mérite  el  de  la  vertu. 
emploient  les  intrigues,  la  faveur  des  gra n 
la  fausse  modestie,  l'hypocrisie!  Thomas, 
content  du  rang  où  Dieu  l'avait  mis,  ni  les 
honneurs  publics  que  loul  le  monde  ren- 
dit à  sa  science  et  à  sa  vertu,  ni  la  laveur  des 
princes,  ni  la  violence  même  que  lui  fit  ( dé- 
ment IV  pour  l'obliger  d'accepter  l'arcbc- 
véché  de  Naples,  rien  ne  fut  capable  de  le 
loucher.  Il  tremble  à  la  vue  d'un  poids  si 
formidable  aux  anges  mêmes.  Persuadé  que 
l'élude  de  la  sagesse  demande  un  parfait  dé- 


53 


PANEGYRIQUE  DE  SAINT  THOMAS  D'AQUIN. 


34 


lâchement  de  toutes  les  vues  d'ambition,  il 
inéprise  avec  saint  Paul  toutes  les  couronnes 
de  gloire,  tout  ce  qu'il  croit  devoir  être  un 
obstacle  à  l'acquisition  de  cette  éminente 
science  à  laquelle  il  aspirait  :  Verumtamen 
eristimo  omnia  delrimentum  esse,  propter 
eminentem  scientiam  Jesu  Christi  (Philip., 
III,  8). 

Après  ce  mépris  si  général  de  toutes  les 
choses  de  la  terre,  de  quelle  abondance  de 
lumière  Dieu  ne  remplit-il  pas  un  esprit  si 
vide  de  tout  ce  qui  pouvait  l'occuper  inuti- 
lement! Qui  pouvait  avoir  une  plus  vaste 
capacité  pour  recevoir  les  dons  de  la  sa- 
gesse? Mais  avant  que  de  parler  à  fond  de 
cette  sublime  science,  après  vous  avoir  mon- 
tré que  saint  Thomas  l'a  méritée  par  le  gé- 
néreux mépris  qu'il  a  fait  de  tous  les  biens 
de  la  terre  :  Nihil  esse  duri  in  comparatione 
illius,  voyons  qu'il  l'a  acquise  par  la  force 
de  sa  prière  :  Invocavi,  et  venil  in  me  Spiri- 
tus  sapientiœ;  c'est  ce  que  nous  allons  voir 
dans  la  seconde  partie  de  ce  discours. 

SECOND    POINT. 

Par  cette  prière  dont  nous  parlons,  Mes- 
sieurs, n'entendez  pas  ces  voies  nouvelles 
d'une  sèche  et  stérile  spéculation;  ces  spiri- 
tualités subtilisées,  ni  ces  étals  passifs  où, 
transporté  par  un  amour  extatique,  toujours 
mû  par  de  secrètes  impulsions,  on  passe  par 
des  épreuves  et  des  expériences  inconnues 
aux  âmes  mêmes  les  plus  saintes.  N'entendez 
pas  cette  vaine  inaction  qui  devient  uni;  per- 
nicieuse oisiveté;  n'entendez  pas  ces  degrés 
d'une  oraison  extraordinaire,  qui  commence 
par  l'esprit  et  qui  finit  par  la  chair;  qui 
anéantit  les  mystères  de  la  religion,  méprise 
les  vertus  et  la  pratique  des  bonnes  œuvres  ; 
qui  néglige  les  moyens  de  salut,  sous  pré- 
texte de  tendre  immédiatement  ri  la  fin;  qui 
ruine  la  piété,  sous  prétexte  de  la  perfec- 
tionner; qui  permet  à  l'âme  de  succomber 
à  la  tentation,  sous  prétexte  de  l'y  purifier  ; 
qui  détruit  l'espérance  chrétienne,  sous  pré- 
texte d'élever  la  charité. 

Je  parle  d'une  prière  où  l'esprit,  s'élevant 
à  Dieu  par  la  considération  de  ses  grandeurs, 
le  loue  et  le  glorifie  sans  cesse  ;  où,  s'abais- 
sanl  ensuite  au  néant  de  la  créature,  l'hom- 
me se  confond  dans  la  vue  de  ses  faiblesses 
et  de  ses  misères.  Je  parle  d'une  prière  où 
l'âme  est  comme  perdue  en  Dieu;  où,  par 
une  communication  intime  avec  Dieu,  elle 
reçoit  immédiatement  une  abondante  effu- 
sion de  lumières.  Je  parle  d'une  oraison  qui 
entretient  l'humilité,  la  foi,  l'espérance  des 
biens  à  venir  et  la  parfaite  charité;  qui  ins- 
pire toujours  une  pratique  exacte  des  vertus 
chrétiennes,  cl  une  constante  fidélité  à  ses 
devoirs. 

C'est  par  ce  genre  de  prière  que  saint 
Thomas  acquit  celle  science  sublime  qui 
fera  l'admiraiion  et  l'étonnement  de  tous  les 
siècles.  Toute  sagesse  vient  de  Dieu,  dit  l'Ec- 
clésiastique (Eccli.,  I,  1).  Pour  confondre 
l'orgueilleuse  présomption  de  l'homme,  Dieu 
ne  veut  pas  que  ce  qui  est  un  de  ses  dons 
les  plus  précieux  soit  regardé  comme  le  fruit 


de  nos  veilles  et  d'un  opiniâtre  travail.  Il  l'a 
ainsi  ordonné,  que  l'homme  en  punition  de 
son  péché  trouve  de  la  peine  dans  l'acquisi- 
tion de  la  science,  suivant  celte  parole  du 
Sage  :  Qui  addit  scientiam,  addit  et  laborem 
(Eccli.,  I,  18).  Mais  afin  que  l'homme  ne  se 
glorifie  pas  d'avoir  ses  connaissances  indé- 
pendamment de  Dieu,  Dieu,  dit  l'Ecriture, 
veut  être  le  maître  des  sciences  de  l'homme: 
Deus  scientiarum  Dominus  est  (I  Reg.,  II,  3). 

Or,  c'est  dans  l'oraison  que  Dieu  commu- 
nique ordinairement  les  connaissances  ré- 
servées à  ces  grands  génies,  qui  sont  comme 
des  astres  brillants  d'où  l'Eglise  puise  ses 
plus  pures  lumières.  Ainsi  donna-t-il  à  Sa- 
lomon,  dans  la  prière,  toute  la  sagesse  dont 
l'esprit  humain  puisse  être  capable.  Ainsi 
voyons-nous  que  Dieu  ,  voulant  instruire 
Moïse  de  ce  qu'il  y  avait  de  plus  profond 
dans  la  loi,  le  conduisit  sur  la  montagne,  et 
lui  révéla  dans  l'oraison  ses  plus  sublimes 
mystères.  Ainsi  voulut-il  que  les  apôtres  se 
préparassent  par  la  retraite  et  par  la  prière 
à  recevoir  le  Saint-Esprit,  qui  devait  leur 
enseigner  toute  vérité.  Ainsi  le  grand  Apôtre 
dit-il  de  lui-même  que,  dans  une  haute  con- 
templation, ravi  jusqu'au  troisième  ciel,  il 
entendit  des  paroles  ineffables  qu'il  n'est  pas 
permis  à  un  homme  mortel  de  rapporter  (II 
Cor.,  XII,  k). 

Par  l'oraison,  l'âme  est  intimement  unie 
avec  Dieu.  L'oraison  est  une  ligne  de  com- 
munication entre  le  ciel  et  la  terre  ;  c'est  un 
canal  par  où  Dieu  fait  couler  ses  plus  pures 
illuminations.  C'est  celte  échelle  mystérieuse 
de  Jacob  (Gènes.,  XXVIII,  12)  par  laquelle 
l'homme  monte  au  ciel,  et  par  laquelle  Dieu 
descend  sur  la  terre.  C'est  là  que  ces  âmes 
choisies  ,  admises  dans  le  sanctuaire  de  la 
sagesse,  voient  à  découvert  les  plus  impéné- 
trables mystères  ;  c'est  tlà  qu'elles  puisent 
dans  le  sein  de  la  Divinité,  comme  dans  la 
source  même,  les  plus  abondantes  lumières. 
C'est  là,  pour  me  servir  des  paroles  de  saint 
Paul,  que  tous  les  nuages  étant  dissipés  , 
n'ayant  plus  de  voile  qui  nous  couvre  lo 
visage,  contemplant  la  gloire  du  Seigneur, 
nous  sommes  transformés  en  la  même  image, 
passant  de  clartés  en  clartés  peir  l'illumina- 
tion du  Seigneur  (11  Cor., III,  18).  Car,  comme 
il  est  impossible  que  Dieu  étant  la  souve- 
raine charité,  ceux  qui  s'en  approchent  n'en 
soient  enflammés,  il  est  de  môme  impossiiile 
que  Dieu  étant  la  souveraine  vérité,  ceux 
à  qui  il  se  communiquo  intimement  n'en 
soient  éclairés. 

Loin  d'ici  ces  prétendus  esprits  forts  qui 
traitent  de  rêveries  les  grâces  extraordi- 
naires que  Dieu  fait  à  ses  élus.  Loin  d'ici 
ces  hommes  de  chair  à  qui  la  prière  parait 
inutile  pour  les  sciences,  et  qui  regardent 
comme  un  temps  perdu  celui  qu'on  emploie 
aux  exercices  de  piété-  Dieu,  quand  il  lui 
plaît  ,  remplit  les  hommes  de  l'Esprit 
de  sagesse  :  Si  enim  Dominus  Deus  i;o,'ue- 
rit ,  Spiritu  sapientiœ  rephbit  illumi Eccli., 
XXX1X.8). 

Telle  fui  la  science  de  Thomas  :  assis,  so- 
litaire, dans  un  tranquille  silence,  il  s'éleva 


ORATEURS  SACRES.  [JEGAULT. 


J8 


par  l'oraison  au-dessus  de  lui-même,  et  puisa 
tla us  le  sein  de  Dieu  les  plus  liantes  COO- 
naissances.  A  la  vérin-  il  étudia,  <  omme  s'il 
avait  dû  attendre  lont  de  ion  travail  ;  mata 
il  pria  ,  comme  si  pour  devenir  savant  il 
n'avait  eu  besoin  d'autre  secours  que  l'orai- 
son. A  peine  pouvait-on  distinguer  en  fui 
l'élude  d'avec  la  prière;  mais,  plussoigneux 
de  devenir  saint  que  savant,  il  regardait 
toujours  Dieu  comme  le  principe  et  la  fin  de 
ses  éludes,  qui  n'étaient,  selon  la  règle  qu'en 
donne  saint  Augustin,  qu'une  attention  con- 
tinuelle de  son  esprit  à  la  lumière  éternelle, 
cl  un  attachement  immuable  de  son  cœur  à 
Dieu,  qui  est  la  vérité  même. 

C'est  dans  l'oraison  que  Dieu  le  remplit 
des  lumières  d'une  céleste  sagesse.  Dieu 
porta  immédiatement  à  son  esprit  les  plus 
sublimes  connaissances;  et  comme  s'il  eût 
été  jaloux  que  les  hommes  lui  apprissent 
ses  mystères,  il  les  prévint  et  se  rendit  lui- 
même  son  premier  maître.  Heureux,  Sei- 
gneur, dit  le  Prophète,' heureux  celui  que 
vous  avez  instruit  vous-même  :  lia  tus 
homo  quetn  tu  erudieris ,  Domine  (  Psal. 
XCI11,  12). 

C'est  dans  l'oraison  que  saint  Thomas 
trouve  la  clef  de  la  science,  que  tous  les 
livres  lui  sont  ouverts,  et  qu'il  lit  à  décou- 
vert te  que  les  autres  ne  voient  que  dans 
des  énigmes  obscures.  L'oraison  est  pour 
lui  une  école  de  sages«e ,  où  ,  comme  une 
intelligence,  son  esprit,  se  purifiant  par  la 
séparation  de  toutes  les  idées  du  mond.1 , 
devient  plus  susceptible  des  impressions  de 
la  lumière  céleste.  C'est  là  où,  ne  voulant 
savoir  que  Jésus-Christ,  il  apprend  toutes 
choses.  C'est  là  où,  comme  les  bienheureux, 
en  voyant  l'essence  divine,  connaissent  par- 
faitement toutes  les  créatures  ,  ainsi,  con- 
Jemplant  dans  l'oraison  la  Divinité  ,  il  y 
voit,  comme  dans  un  miroir,  tout  ce  que 
l'esprit  créé  est  capable  de  comprendre. 

C'est  de  là  que,  comme  un  autre  Moïse,  il 
sort  tout  rayonnant  de  ces  vives  lumières 
qu'il  a  puisées  dans  l'entretien  qu'il  a  eu 
avec  Dieu  :  Ex  ronsortio  s  rmonis  Domini 
(Kxod.,  XXXIV,  29).  Soù  âme  illuminée, 
comme  la  céleste  Jérusalem  qui  a  Dieu  même 
pour  sa  lumière  ,  et  qui  n'a  point  d'autre 
soleil  qui  l'éclairé  que  l'Agneau,  découvre 
les  secrets  les  plus  cachés  de   la   Divinité, 

pénètre  les  mattér'es  1rs  plus  sublimes  de  la 

théologie  par  une  clarté  qui  tient  plus  de 
l'intelligence  que  de  la  simple  science,  et 
qui  lui  montre  la  \éri:é  plutôt  dans  les  prin- 
cipes que  dans  les  couseque  res  et  dans  les 
r. ■isonncinenls.  A  la  \érité,  il  puisa  dans  les 
trésors  de  la  nature,  dans  les  livres  de  la 
savante  antiquité,  des  beautés  et  des  ri- 
chesses infinies  ;  par  ses  veilles  ,  par  son 
application  continuelle,  par  son  assiduité  à 
la  lecture,  il  acquit  une  connaissance  par- 
faite des  Btienced  hum  ;incs;  mais  il  sancti- 
fia par  l'oraison  toutes  ces  connaissances 
pro'aues  ;  il  ne  les  estima  qu'autant  qu'elles 
pouvaient  être  utiles  à  l'étude  des  sciences 
divines.  Ce  furent  autant  de  dépouilles  qu'il 


enleva  à  l'Egypte,   pour  les  faire  servir  à  la 
décoration  du  labern  :cle. 

Il  puisait  la  science  dans  les  livres,  en 
même  tempi  qu'A  la  recevait  de  Dieu  dans 
l'oraison;  profitant  de  lavis  important  que 
donnait  saint  Cyprien  a  Douai  :  Sit  tibi  ora- 
tio  (tssidua,  et  tertio  ;  nunc  (fuffl  Dm  loùuere, 
nunc  Dnu  tecutn.  Partageant  a  usi  le  temps 
entre  la  lecture  et  la  prière,  tantôt  il  parlait 
à  Dieu  dans  celle-ci,  et  tantôt  il  écoutait 
Dieu  qui  lui  parlait  dans  cefle-îà,  recevant 
dans  l'étude  ce  qu'il  avait  demandé  dans 
la  prière.  Quelle  doit  être  la  snenee,  Mes- 
sieurs, dont  les  sources  sont  si  fécondes  et 
si  pures! 

Ainsi  dégagé  de  tout  ce  qui  pouvait  le  dé- 
t  urner  de  l'étude  de  la  sagesse,  instruit  par 
l'Esprit  de  Dieu  même, dans  une  continuelle 
oraison,  faut-il  s'étonner  s'il  acquit  celte 
haute  intelligence  qui  fera  l'admiration  et 
l'étonnenicnl  de  tous  les  siècles?  Faut-il  s'é- 
tonner s'il  composa  un  si  prodigieux  nombre 
de  volumes?  faut-il  s'étonner  si  la  force  de 
ses  expressions  répond  si  parfaitement  à  la 
beauté  et  à  la  subtilité  de  ses  pensées;  si  ses 
paroles  fécondes  des  plus  brillantes  lumières 
produisent  une  idée  semblable  à  celle  de  ces 
esprits  sublimes  qui  représentent  une  infi- 
nité d'objets  par  un  seul  trait  ? 

Faut-il  s'étonner  si  Thomas  s'élève  dans 
le  centre  de  cette  haule  science  que  l'Eglise 
a  approuvée  avec  des  termes  si  magnifiques, 
et  des  éloges  auxquels  l'éloquente  humaine 
ne  peut  rien  ajouter?  Faut-il  s'étonner  si, 
dans  les  conciles  mêmes, où  préside  le  Saint- 
Esprit,  on  a  vu  ses  écrits  élevés  sur  le  même 
trône  où  étaient  placés  les  livres  sacres;  et 
si  les  Pères  assemblés  ont  cru  qu'il  était  né- 
cessaire, avant  que  de  prononcer  leurs  ora- 
cles, de  consulter  les  livres  de  Thomas,  soit 
pour  découvrir  les  vérités  éternelles  à  la  fa- 
veur de  ses  lumières,  so»t  pour  les  soutenir 
par  la  force  et  par  la  subtilité  de  ses  argu- 
ments? Faut-il  s'étonner  si  Jésus-Clirist  dé- 
clare aulhentiquement  que  Thomas  a  bien 
écrit  de  lui,  et  s'il  canonise  sa  doctrine  de  sa 
propre  bouche  :  Bene  scripsistide  me,  Thomu  t 
O  digne  approbation,  où  le  Verbe  de  Dieu 
loue  la  parole  de  l'homme  1 

Ful-il  jamais  un  style  plus  vif,  plus  concis, 
plus  solide,  plus  sublime  î  Qui  peut  assez  ad- 
mirer les  lumières  de  son  esprit,  la  profon- 
deur de  sa  doctrine,  la  force  de  ses  raisonne- 
ments, la  solidité  de  ses  principes,  la  subti- 
lité de  ses  arguments,  l'ordre  et  la  netteté  de 
ses  écrits?  Que  si  l'on  trouve  dans  saint  Tho- 
mas des  endroits  difficiles  à  comprendre,  di- 
sons que  ces  nuages  procèdent  de  la  gran- 
deur et  de  la  sublimité  de  la  matière,  plutôt 
que  du  défaut  de  l'ouvrage.  Ici  l'obscurité 
de  la  vue  vient  de  l'éclat  de  l'objet.  Si  qucl- 
quefois  sa  doctrine  nous  parait  enveloppée 
cl  couverte,  ce  n'esl  que  comme  d'au  véle- 
ment  de  lumière,  qui  éblouit  les  premiers 
regards,  mais  à  la  laveur  duquel  on  voit  une 
inunilé  de  merveilles  aussitôt  que  les  \eux 
j  so:;i  accoutumés.  Quand  il  s'agil  d--s  ques- 
tions de  foi,  quelle  théologie  n'es!  pas  foulée 
sur    les  principes   de   saint  Thomas?  Quel 


PANEGYRIQUE  DE  SAINT  THOMAS  DAQUiN. 


57 

docteur  a  su  mieux  que  lui  faire  enlrer  dans 
la  connaissance  des  plus  hauts  mystères,  par 
des  convenances  proportionnées  à  la  fai— 
blesse  de  nos  esprits? 

Quel  docteur,  soit  qu'il  faille  persuader 
aux  gentils  les  vérités  de  la  religion,  soit 
qu'il  faille  convaincre  les  athées  de  l'exis- 
tence de  Dieu  ,  soit  qu'il  faille  persuader 
l'opiniâtre  incrédulitédes  Juifs;  queldocteur, 
dis-je,  n'emprunle  pas  de  lui  des  armes 
victorieuses,  pour  combattre  tous  les  enne- 
mis de  la  vérité?  C'est  des  écrits  de  Thomas, 
surtout  de  celle  Somme  admirable,  qui  ren- 
ferme autant  de  sentences  que  de  paroles  ; 
c'est  de  ces  divins  écrits,  comme  de  la  tour 
de  David,  que  pendent  mille  boucliers,  pour 
la  défense  d'Israël  (Cant.,  IV,  k). 

C'est  dans  les  livres  de  Thomas  où,  com- 
me dans  une  source  publique  ouverte  à  tout 
le  monde,  les  ignorants  et  les  savants    vont 
puiser  ces  eaux  vives  qui   rejaillissent  jus- 
qu  à  la  vie  éternelle.   Quelle    hérésie,  ju   ne 
dis  pas  seulement    de  son   temps,  mais  des 
âges  mêmes  qui  l'ont  précédé  et  <ie  ceux  qui 
l'ont  suivi,  n'a  pas  été  confondue  et  détruite 
p;ir  sa  doctrine  ?  Vous  avez  senti    la  '  force 
de  Thomas  à  confondre  l'erreur  el  à  soutenir 
la  vérité,  hérétique  furieux,  vous  (liucer)  qui, 
méditant  la  ruine  entière  de  l'Eglise,  avez  dit 
que  vous  pouviez   la  détruire  si  on  était  ses 
écrits:  Toile  Tlwmam,et  dissipabo  Ecclesium. 
Mais  en    vain   frémiront   contre   lui  avec 
toute  leur  rage    les   ennemis   de  l'Eglise;  il 
sera,  jusqu'aux  derniers   siècles,  l'appui  et 
le  fondement  solide  de  la  vérité.  Semblable  à 
Simon,  le  grand  prêtre,  Dieu  le  meitra  dans 
l'Eglise  comme  une  colonne   inébranlable, 
pour  appuyer  et  soutenir  la  maison  du  Sei- 
gneur :  Suffulsit  domum,   et  in  diebus  suis 
corroborant  Templum  (Eccli.,  L,  1).  Il  vivra 
même  après  sa  mort:  Mortuus  est   pater,et 
quasi  non  est  mortuus  (Eccli.,  XXX,  k.)  Tho- 
mas est  mort.  Appelé  par   Grégoire    X  au 
concile  général  de  Lyon,  il  mourut  avant  le 
temps,  plein  de  mérite   et  de  vertus  ;  mais  il 
survit  à   lui-même,  et  par  ses  divins   écrits, 
qui  rendent    sa  gloire  immortelle,  et  parce 
qu'ayant  transmis,  comme  par  héritage,  son 
esprit  à  ses  frères,  qui  sont  les   dépositaires 
fidèles  de  sa  science,  il  a  laissé  autant  de  dé- 
fenseurs de  la  maison  du  Seigneur,  qu'il  y  a 
dans  cet  ordre  fameux  de  docteurs  et  de  pré- 
dicateurs: Iteliquit  defensorcm  domus  contra 
inimicos  (Eccli.,  XXX,  6). 

Telle  a  éle  la  science  du  grand  saint  Tho- 
mas, telles  en  ont  été  les  sources  précieuses  : 
le  détachement  de  tous  les  biens  du  monde 
cl  un  inviolable  attachement  à  Dieu  par  la 
pri  re.  Tels  doivent  être  les  moyens  dont 
nous  devons  nous  servir  pour  devenir  sa- 
vants. O  vous  qui  consumez  vos  jours  à  ac- 
quérir, par  un  opiniâtre  travail,  une  science 
qui  n'a  souvent  pour  principe  que  l'ambi- 
tion, la  curiosité  pour  molif,  cl  l'intérêt  pour 
objet,  une  science  qui  dessèche  le  cœur  à 
mesure  qu'elle  remplit  l'esprit;  vous  qui 
foui  appliquez  continuellement  à  l'élude 
d'une  sagesse  orgueilleuse  à  ceux  qui  la 
possèdent,  infructueuse  à  ceux  qui  l'appro- 


38 

chent  :  en  vain  vous  fatiguez-vous  dans  la 
recherche  laborieuse  des  sciences ,  si  vous 
conservez  toujours  de  criminels  attache- 
ments aux  créatures,  et  si  par  une  solide 
piété  vous  n'êtes  inviolablement  attachés  à 
Dieu. 

Car  qu'est-ce  que  la  science  sans  la  piété? 
Un  vain  et  inutile  amusement;  une  occupa- 
tion pernicieuse,  où  souvent  l'homme  tra- 
vaille à  se  faire  une  fausse  religion  ;  où,  au 
lieu  de  chercher  Dieu,  il  s'étudie  à  le  mécon- 
naître; où  il  se  sert  de  ses  propres  lumières 
pour  obscurcir  sa  foi  et  pour  corrompre  sa 
conscient  e.  C'est  un  faux  brillant  qui  éblouit 
et  qui  n'éclaire  pas,  une  lueur  trompeuse 
qui,  au  lieu  de  nous  découvrir  la  véritable 
voie,  nous  conduit  au  précipice  :  c'esl  une 
nuée  qui  enfante  un  éclair,  qui  s'évanouit 
aussitôt,  et  qui  ne  laisse  ensuite  que  d'épais- 
ses ténèbres. 

Savants  orgueilleux  qui,  enflés  d'un  amas 
confus  de  connaissances  entassées  les  unes 
sur  les  autres ,  regardez  les  sciences,  non 
pas  comme  un  don  qu'on  ne  doit  attendre 
que  du  Père  des  lumières,  mais  comme  le 
fruit  de  vos  veilles  et  de  vos  réflexions;  vous 
qui  regrettez  avec  un  avare  ménagement  le 
temps  qu'on  donne  à  la  prière,  en  vain 
croyez-vous  encore  pouvoir  parvenir  à  la 
parfaite  intelligence  de  nos  mystères  et  des 
vérités  célestes,  si  vous  ne  mêlez  l'oraison 
à  l'étude.  Vous  deviendrez  des  philosophes 
profanes,  mais  non  pas  des  docteurs  de  Jé- 
sus-Christ. Mes  frères ,  regardons  comme 
saint  Thomas  les  sciences  dans  leur  vérita- 
ble source,  c'est-à-dire  en  Dieu,  qui  les  tire 
(ies  trésors  inépuisables  de  sa  sagesse  pour 
nous  le;  communiquer. 

N'imitons  pas  ces  laboureurs  ingrats  qui 
n'attribuent  l'abondance  de  leurs  moissons 
qu'à  la  iorce  de  leurs  bras  et  à  leur  propre 
industrie,  sans  regarder  le  ciel,  qui  par  des  in- 
fluences salutaires  a  couronné  leurs  champs 
ces  plus  riches  fruits.  Approchons-nous  de 
Dieu  par  l'oraison,  et  nous  serons  éclairés  : 
Accedite  ad  eum ,  et  illuminamini  (Psal. 
XXX11I,  0).  Par  l'étude  nous  puiserons 
dans  les  ruisseaux,  mais  par  l'oraison  nous 
puiserons  dans  la  source  même. 

Pour  vous,  chrétiens,  qui  n'aspirez  pas  à 
ces  connaissances  sublimes,  vous  en  saurez 
assez  si  vous  possédez  la  science  du  salut, 
qui  consiste  à  pratiquer  avec  une  constante 
lin1  élite  les  vertus  chrétiennes.  Vous  ne  connaî- 
trez pas  la  grandeur  et  le  mouvement  du  so- 
leil cl  des  étoiles,  mais  votre  vertu  vous  élè- 
vera au-dessus  des  astres.  Vous  ne  jugerez  pas 
des  beautés  el  de  la  délicatesse  des  ouvra- 
ges d'esprit,  mais  vous  mériterez  de  juger 
avec  Jésus-Christ  les  hommes  el  les  anges 
mêmes.  Vous  ne  pénétrerez  pas  dans  les  pro- 
fonds secrets  de  la  théologie  :  mais  vous  con- 
naîtrez assez  Dieu,  qui  en  est  l'objet,  pour 
l'adorer  comme  votre  premier  principe,  et 
pour  l'aimer  comme  votre  dernière  fin. 
La  science,  sera  >:ét.  uile,  mais  la  thaï  i!c  dc- 
wera  toujours  (1  Cor.,  XII1,8).  Malheur  à 
celui  qui  connaîtra  toutes  choses,  et  qui  igiui- 
*  rera  Dieu   el  les  voies  qui  conduisent  à  lui. 


30 


UltATEL'RS  SACRES.  REGAULT. 


40 


Eludions-nous  (c'est  la  rentable  science)  à 

Connaître  Dion,  pour  le  glorifier  comme  no- 
tre Dieu,  el  dans  le  temps  et  dans  l'éternité 
bienheureuse,  que  je  vous  souhaite,  avec  la 
bénédiction  de  Monseigneur,  etc. 

PANÉGYRIQUE 

DE    SAINT    IlOCH. 

Prêché  à  Paris,  dans  l'église  des  Quinze- 
Vingts,  le  16  août  1085,  pour  la  confrérie  de 
Saint-Roch. 

Charilas  Christi  urjrel  nos. 

La  chanté  de  Jésus-Christ  nous  presse  (II  Or.,  Y,  t  »). 

L'homme,  Messieurs,  est  de  lui-même  pe- 
sant et  grossier,  incapable  de  s'élever  au- 
dessus  des  sentiments  de  la  nature;  de  lui- 
même  insensible  à  tout  bien  surnaturel,  il 
n'a  de  l'ardeur  et  de  la  vivacité  que  pour  ses 
plaisirs  et  pour  les  objets  qui  charment  ses 
sens;  sonâme,  appesantie  paruncorps maté- 
riel et  corruptible,  demeurerait  comme  ense- 
velie dans  la  chair  et  dans  le  sang  (Sap.,  IX, 
15),  si  Dieu,  par  les  douces  impulsions  de  sa 
grâce,  ne  la  portait  à  l'amour  des  vertus  qui 
font  le  parfait  chrétien. 

C'est  dans  ce  principe  que  l'Apôtre  vient 
de  nous  dire  que  la  charité  de  Jésus-Christ, 
qui  est  le  modèle  de  la  nôtre,  nous  anime 
et  nous  presse  par  des  mouvements  secrets 
de  l'Espril-Saint  :  Cltaritas  Christi  urget  nos. 
Mais  quelle  est  celte  partie  de  la  chanté  de 
Jésus-Christ  dont  j'ai  dessein  de  vous  par- 
ler aujourd'hui?  c'est  celle  qui,  par  sa  bonté 
cl  sa  tendresse  pour  les  hommes,  l'a  porté 
à  soulager  et  à  guérir  toute  sorte  de  mala- 
dies et  de  langueurs.  Nous  ne  lisons  point 
dans  l'Evangile  qu'aucun  malade  se  soit 
présenté  à  Jésus-Christ,  que  Jésus-Christ, 
étendant  sur  lui  ses  soins  charitables,  ne  l'ail 
guéri  de  son  infirmité  :  Sanans  omnem  lan- 
guorem{Matth.,  IV,  23). 

C'est,  Messieurs,  cette  même  charité  qui 
presse  le  grand  saint  Roch  ,  patron  de 
celte  illustre  confrérie,  dont  nous  célébrons 
aujourd'hui  la  fêle;  en  sorte  qu'il  peut  dire 
avec  justice  :  La  charité  de  Jésus-Christ 
nous  presse  :  Cltaritas  Christi  urget  nos.  Ce 
fut  cette  charité  tendre  et  compatissante  qui 
porta  ce  grand  saint  à  entreprendre  le  soin 
et  la  guérison  des  maladies  les  plus  déses- 
pérées el  les  plus  terribles.  Aussi  est-ce  de 
celle  héroïque  vertu,  qui  fait  le  caractère 
particulier  de  saint  Roch,  que  j'ai  résolu  de 
vous  entretenir  dans  ce  discours. 

Le  pouvoir  qu'il  a  auprès  de  Dieu  dans  les 
maladies  contagieuses;  le  besoin  que  nous 
avons  de  son  intercession,  pour  en  être  pré- 
servés dans  un  lemps  où  nous  sommes 
menacés  de  ce  fléau  terrible  de  la  vengeance 
de  Dieu,  par  les  alarmes  que  nous  en  avons 
eues  au  commencement  de  celte  saison;  les 
grâces  et  les  bénédictions  singulières  qu'il 
attire  tous  les  jours  sur  cette  maison  de  cha- 
rité, tout  nous  intéresse  à  célébrer  aujour- 
d'hui celle  verlu  dominante  de  notre  saint. 

.  Pour  en  parler  dans  loutc  son  étendue, 
disons  que  la  charité  de  Jésus-Christ  a  pressé 
saint  Roch  pendant  qu'il  a  été  sur  la    lerre, 


en  lui  donnant  le  courage  de  servir  cl  assis- 
ter avec  des  soins  infatigables  les  malades, 
Souvent  les  plus  pauvres  et  les  p'us  aban- 
donnés :  ce  sera  mon  pr  mier  point  ;  que 
CClte  même  charité  le  presse  encore  dans 
l'étal  de  sa  gloire,  et  le  porte  à  secou- 
rir les  chrétiens  frappés  de  la  contagion, 
par  la  protection  singulière  qu'il  donne  a 
ceux  qui  l'invoquent  dans  ces  horribles 
ca  amilés  :  ce  sera  mon  second  point  : 
Chariiat  Christi  urget  nos.  En  deux  mots, 
la  charité  que  saint  Koch  a  exercée  sur  la 
terre,  la  charité  qu'il  exerce  encore  dans 
le  ciel ,  c'est  le  sujet  de  son  éloge  cl  de 
vos  favorables  attentions.  Nous  ne  pouvons 
parler  de  sa  charité  sans  le  secours  de  l'es- 
prit de  charité;  demandons-le  par  lin  enes- 
sioo  delà  saint*-  Vierge,  la  mère  de  miséri- 
corde.  Ave,  Maria. 

PREMIER     POINT. 

Si  la  charité  héroïque  de  saint  Roch,  Mes- 
sieurs, ne  me  fournissait  pas  une  assez  am- 
ple matière  de  louanges  pour  composer  son 
éloge,  en  remontant  jusqu'aux  antiques 
obscurilés  des  plus  illustres  chevaliers  de  la 
ville  de  Montpellier,  capitale  du  Ras-Langue- 
doc, je  trouverais  de  quoi  relever  l'éclat  de 
sa  gloire.  Mais  ne  nous  arrêtons  pas  à  ces 
généalogies  sans  fin,  plus  propres  à  flatter 
l'orgueil  qu'à  fonder  une  solide  grandeur. 
Roch  connut  une  noblesse  plus  estimable 
que  celle  du  sang,  une  noblesse  qui  se  tire 
de  la  pratique  des  vertus  chréiiennes  :  le 
caractère  du  baptême  qui  le  fit  enfant  de 
Dieu,  celle  croix  miraculeuse,  imprimée 
sur  sa  poitrine,  qui  dès  le  sein  de  sa  mère 
fut  un  présage  qu'il  serait  un  des  plus  fidè- 
les disciples  de  Jésus-Christ  ;  cet  instinct  de 
pénitence,  qu'il  eut  dès  le  berceau,  de  se 
traiter  en  coupable,  tout  innocent  qu'il  était, 
on  s'abstenant  de  la  mamelle  certains  jours 
de  la  semaine  ;  la  compassion  envers  les 
misérables,  qu'un  père  pieux  lui  laissa  comme 
par  testament,  furent  pour  lui  des  titres 
mille  fois  plus  précieux  et  plus  brillants  que 
ceux  qui  relevèrent  la  grandeur  de  son  illus- 
tre origine. 

Passons  tout  d'un 'coup  aux  actes  héroï- 
ques de  la  charité  de  notre  saint.  Maitre  ab- 
solu de  lui-même  et  de  sa  fortune,  pensez- 
vous,  Messieurs,  qu'il  fit  de  vains  projets  de 
s'élever  dans  le  monde  el  de  jouir  tranquil- 
lement du  riche  héritage  de  ses  pères  ?  Ce 
fut  à  l'âge  de  vingt  ans,  où  les  passions  sont 
plus  vives,  où  le  monde  se  présente  à  nous 
avec  plus  de  charmes,  qu'il  forma  le  dessein 
d'abandonner  tout  pour  suivre  Jésus-Christ, 
et  le  servir  dans  la  personne  de  ses  pauvres. 
Quelle  étrange  résolution  !  L'Evangile  re- 
marque que  Pierre  el  André  quittèrent  leurs 
filets  pour  suivre  Jésus-Chrisl  Vatth.,\\, 
22  '  ;  par  là  il  semble  louer  leur  détache- 
ment :  que  devons-nous  dire  quand  nous 
vivons  saint  Roch  abandonner  de  grandes 
possessions  pour  être  au  nombre  de  ses 
disciples  ?  Fidèle  auronseil  de  l'Evangile,  pour 
acquérir  les  trésors  du  ciel ,  il  méprise  ceux 
delaterre;deslinéqu'il  estparlaProvi  Jcuce  à 


u 

servir  et  assister  les  pauvres,  pour  avoir 
auprès  d'eux  un  plus  facile  accès,  il  veut 
leur  ressembler. 

En  vain  le  siècle  lui  présente  des  hon- 
neurs, des  dignités,  des  postes  éclalants;  en 
vain  la  chair  et  le  sang  emploient  tous  leurs 
artifices  pour  rompre  ses  pieux  desseins,  il 
renonce  généreusement  à  tout  ce  qu'il  pos- 
sède, il  se.  souvient  que  le  Fils  de  Dieu  étant 
riche  se  fit  pauvre  pour  l'amour  de  nous  (11 
Cor.,  VIII,  9)  :  persuadéqu'on  acquiert  les  ri- 
chesses avec  peine,  qu'on  les  possède  avec 
inquiétude,  qu'on  les  perd  avec  douleur; 
qu'elles  servent  à  nourrir  les  passions,  à  ir- 
riter les  convoitises  ;  qu'elles  sont  les  épines 
de  ia  vie,  qui  étouffent  les  bons  désirs  dans 
un  cœur  qui  veut  se  donner  à  Dieu,  qu'elles 
percent  de  cruelles  pointes  tous  ceux  qui  s'y 
attachent,  il  s'en  dépouille  entièrement, 
pour  n'avoir  en  lui  aucun  obstacle  qui 
puisse  le  détourner  des  exercices  de  la  cha- 
rité. 

La  perfectiondes  premiers  chrétiens,  dans 
la  naissance  de  1  Eglise,  fut  de  vendre  leurs 
biens  et  leurs  possessions,  et  d'en  apporter 
le  prix  aux  pieds  des  apôtres,  pour  le  dis- 
tribuer en  aumônes  :  Roch,  qui  ne  veut  être 
riche  qu'on  foi  et  en  bonnes  œuvres,  suivant 
ce  beau  modèle,  vend  son  ample  patrimoine 
pour  fournir  à  sa  charité;  il  croit  que  Dieu 
ne  lui  a  donné  dos  biens  que  pour  les  faire 
passer  dans  les  mains  des  pauvres. 

Que  diront  à  ces  exemples  de  dépouille- 
ment ces  hommes  terrestres,  possédés  par 
la  cupidité  des  richesses,  qui  ne  font  cas  que 
des  biens  de  la  fortune,  qui  louent  les  ri- 
ches de  leurs  trésors,  qui  ne  connaissent 
d'autre  mérite  que  celui  d'avoir  de  grands 
revenus,  qui  n'estiment  d'heureux  que 
ceux  qu'ils  voient  dans  l'abondance  :  Bea- 
tum  dixerunt  populum  cui  hœc  sunt  (Psal. 
CXLIU,  15);  qui  méprisent  les  pauvres  et 
la  pauvreté?  Que  diront  ces  mauvais  ri- 
ches qui,  au  milieu  de  l'opulence,  des  aises 
et  des  douceurs  de  la  vie,  refusent  les  moin- 
dres secours  à  un  pauvre  dans  sa  misère  ; 
qui,  épiant  avec  orgueil  leur  pompe  mon- 
daine, foulent  aux  pieds  des  misérables  qui 
leur  crient  miséricorde  dans  leurs  plus  pres- 
santes nécessités  ? 

Mais  où  m'emporte  déjà  le  zèle  de  la 
charité  ?  Suivons  l'éloge  de  notre  saint. 
Ainsi  dégagé  dos  affections  de  la  terre,  il  se 
dépouille  c!e  (outes  les  marques  du  siècle  en 
quittant  ses  riches  habits,  dont  il  emploie 
le  prix  pour  revêtir  les  pauvres;  cl,  par  une 
sainte  folie  de  l'Evangile,  il  se  met  dans  l'é- 
tat, ridicule  aux  yeux  du  monde,  où  l'on  a 
coutume  de  nous  le  représenter;  comptant 
pour  rien  d'être  regarde  comme  la  balayure 
du  monde,  il  dit  avec  l'Apotre  :  Nous  faisons 
gloire  pour  l'amour  de  Jésus-Christ  de  passer 
pour  insensés  devant  les  hommes  (I  Cor.,  V, 
10,  13).  A  quels  nobles  excès  ne  porte  pas 
la  charilé  de  Jésus-Christ  1  11  n'appartient 
qu'à  vous,  ô  mon  Dieu  1  d'imprimer  par  vo- 
ire grâce  puissante  ce  généreux  mépris  du 
faste  et  de  la  vanité  du  siècle. 
O  vous  à  qui  les  sainls  paraissent  des  ob- 

OllATEUnS   sacrks.   XXX. 


PANIX.YRIQUE  DE  SAINT  ROCtI.  42 

jets  dignes  de  pitié,  tandis  que  leurs  vertus 
les  rendent  les  objets  de  la  complaisance  de 
Dieu  même,  pensez  à  ce  jour  terrible  pour 
vous,  où,  les  voyant  dans  la  possession  d'un 
royaume  éternel,  vous  sorez  contraints  de 
vous  écrier  :  Insensés  que  nous  étions  nous- 
mêmes,  nous  regardions  leur  vie  comme  une 
véritable  folie  :  Nos  insensati  vitam  illorum 
œstimabamus  insaniam.  Et  nous  les  voyons 
aujourd'hui  placés  parmi  les  enfants  de  Dieu, 
sur  des  trônes  éminonts  de  gloire  :  Ecce  quo- 
modo  computati  sunt  inter  filios  Dei,  et  inter 
sanctos  sors  illorum  est  (Sap. ,  V,  k)  ? 

Roch,  pour  obéir  à  la  voix  du  ciel  qui  l'ap- 
pelle, sort,  comme  Abraham,  de  son  pays;  il 
s'éloigne  de  ses  parents,  de  ses  plus  tendres 
amis  et  de  tout  ce  qui  pouvait  encore  l'atta- 
cher au  monde.  C'était  assez  la  coutume  en 
ces  temps-là  de  chercher  à  se  sanctifier  par 
la  visite  des  lieux  saints.  Ce  qui  fut  à  plu- 
sieurs une  occasion  de  dissipation  et  de  li- 
bertinage, fut  à  notre  saint  un  sujet  de  mé- 
rite et  de  vertu. 

Rome  fut  le  premier  théâtre  de  sa  charité. 
Roch  ne  fut  pas  attiré  dans  cette  capitale  du 
monde  chrétien  par  une  vaine  curiosité  de 
voir  ces  superbes  monuments  de  la  grandeur 
et  de  la  magnificence  des  Romains,  ce  fut 
pour  recueillir  sur  le  tombeau  des  apôtres  et 
des  marlyrs  les  prémices  de  l'esprit  de  la  re- 
ligion ,  et  y  rallumer  le  feu  de  son  zèle  et  de 
sa  charité.  Déjà  je  le  vois  comme  un  ange 
consolateur  parcourir  tous  les  hôpitaux  de 
celte  grande  ville;  car  les  pauvres  malades 
furent  le  principal  objet  de  ses  soins.  Dans 
le  corps  humain  notre  attention  se  porte  pre- 
mièrement et  principalement  aux  parties  les 
plus  faibles  ;  un  père  chérit  plus  tendrement 
nu  fils  malade  qu'un  autre  qui  sera  sain  et 
vigoureux  :  ainsi  notre  charitable  Samari- 
tain s'applique  d'abord  à  secourir  les  mala- 
des, comme  les  membres  infirmes  de  Jésus- 
Christ  et  les  enfants  les  plus  atfligés  de  l'E- 
glise. Il  retrouve  en  eux  Jésus-Christ ,  qui, 
comme  dit  un  prophète,  a  voulu  porter  nos 
maladies  et  nos  langueurs  (Isa.,  LUI,  k);  tou- 
ché d'une  tendre  compassion,  il  s'écrie  avec 
saint  Paul  :  Qui  est  infirme  que  je  ne  le  sois 
avec  lui  (II  Cor.,  XI, 29)  ?  il  se  regarde  comme 
le  vicaire  de  la  charilé  du  Fils  de  Dieu. 

C'est  une  vérité  de  foi,  fondée  sur  les  ora- 
cles de  l'Ecriture,  que  tous  les  offices  de  cha- 
rité que  nous  rendons  à  nos  frères,  Jésus- 
Christ  les  reçoit  comme  si  nous  les  rendions 
à  sa  propre  personne  (Mal th.,  XXIV)  :  c'est 
ce  qui  en  relève  infiniment  le  prix  et  le  mé- 
rilc. Et  remarquez  ici,  Messieurs,  que  dans 
les  visites  et  l'assistance  que  nous  rendons 
aux  pauvres  malades  sont  renfermées  pres- 
que toules  les  œuvres  de  la  miséricorde 
chrétienne  :  car  ordinairement  ils  ont  faim, 
ils  ont  soif,  ils  souffrent  les  nécessités  de  la 
vie,  ils  deviennent  comme  étrangers  à  leurs 
amis,  et  souvent  même  à  leurs  propres  pa- 
rents,qui  les  abandonnent  dans  ce  triste  élal  ; 
ils  sont  prisonniers,  allai  liés  au  lit  de  leur 
douleur;  ils  sont  sans  babils,  l'hiver  ils 
souffrent  le  froid,  ils  sont  livrés  à  la  rigueur 
des  saisons. 

2 


vCIŒS.  BEGAULT. 


La  miséricorde |  connue  ;ivec  Job  (Job, 
XXXI,  18),  élait  née  et  croissait  avec  notre 
saint.  Avec  quels  empressements  rend-il  à 
ses  frères  malades  les  offices  les  plus  péni- 
bles cl  les  plus  humiliants I  11  s'est  dépouillé 
de  tout,  il  ne  peut  plus  rien  donner,  il  est 
plus  pauvre  que.  ccu\  qu'il  assiste,  il  se 
donne  lui-même.  Mais  admirons  les  effets  de 
sa  ebarilé  ingénieuse ,  qui  lui  fait  trouver 
une  ressource  dans  la  libéralité  d'autrui.  11 
sollicite  les  aumônes  des  fidèles  en  faveur  des 
misérables,  il  va  mendier  de  porte  en  porte  ; 
et  se  réservant  à  peine  un  morceau  de  pain 
pour  sustenter  sa  vie,  il  donne  tout  à  la  cha- 
rité; c'est  par  ce  pieux  artifice  cl  par  ses 
charitables  soins  que  la  faim  est  rassasiée, 
que  la  nudité  est  revêtue,  l'infirmité  guérie, 
l'affliction  consolée,  el  que  chaque  espèce  de 
misère  trouve  un  fonds  pour  la  soulager. 

Mais  qu  1  spectacle  va  se  présenter  à  nos 
yeux  1  Rocb  poussé  par,  les  mouvements  d'une 
charité  héroïque,  ne  craindra  point  de  s'ex- 
poser au  péril  évident  de  la  mort.  C'est  ici 
l'endroit  d'admirer  jusqu'à  quel  noble  excès 
est  porté  un  chrétien  par  la  charité  de  Jésus- 
Christ  qui  le  presse.  On  a  mis  la  perfection 
de  l'héroïsme  dans  le  mépris  constant  des 
dangers  et  de  la  mort  :  quelque  courage  que 
puisse  avoir  le  héros,  on  ne  sera  pas  con- 
vaincu de  son  intrépidité,  si  elle  n'est  mise 
aux  dernières  épreuves  ;  la  valeur  ne  triom- 
phe proprement  que  dans  les  grands  périls  ; 
aussi  est-ce  le  degré  le  plus  parlait  de  la 
force  chrétienne,  d'affronter  la  mort  avec 
toutes  ses  horreurs  quand  il  faut  pratiquer 
la  charité.  Or,  Messieurs,  est-il  de  danger 
plus  te;  rible  que  d'être  exposé  dans  des  lieux 
infectés  de  la  contagion? 

Quoique  cette  vie  soil  le  temps  delà  misé- 
ricorde, el  que  Dieu  plus  ordinairement  ré- 
serve au  jour  de  sa  colère  la  punition  duc 
aux  pécheurs,  il  ne  laisse  pas  de  foire  éclater 
de  temps  en  temps  sur  eux  les  effets  terri  - 
blés  de  sa  justice;  il  ne  les  punit  pas  lou^ 
jours,  afin  qu'ils  ne  s'accoutument  pas  aux 
châtiments  ;  il  les  punit  quelquefois,  afin 
qu'ils  apprennent  à  craindre  la  sévérité  de 
ses  vengeances. 

Vers  le  commencement  du  treizième  siè- 
cle, les  crimes  des  hommes  ayant  irrité  la 
colère  de  Di?u,  il  affligea  une  grande  partie 
de  l'Europe  par  la  peste  :  elle  s'alluma  pre- 
mièrement en  Italie  ,  l'incendie  passa  dans 
la  France  et  dans  les  Etats  voisins.  Vous 
traccrai-je  ici,  Messieurs,  la  triste  peinture 
de  ces  jours  d'horreur  et  de  désolation,  où  le 
ciel  irrité  ne  vers  !  sur  la  terre  que  des  in- 
fluences malignes,  où  ces  anges  ministres 
des  vengeances  du  Seigneur ,  dont  parle 
saint  Jean  dans  son  Apocalypse,  versent 
dans  les  airs  les  coupes  fatales  de  sa  fureur 
(Apoc,  XVI,  i);  où  les  hommes  par  des  souf- 
fles meurtriers  s'infectent  cl  se  tuent  les  uns 
les  autres  ;  où  des  las  de  morts  el  de  mou- 
rants exhalent  partout  une  odeur  de  mort  ; 
où  les  lois  les  plus  sacrées  de  la  nature  sem- 
blent ne  plus  obliger,  où  le  père  abandonne 
le  fils,  où  l'épouse  s'éloigne  de  l'époux,  OU 
chacun,  alleulif  à  conserver  sa  vie, croit  élrc 


en  droit  de  négliger  ceUe  de  s  -  fi  rcs;  uù, 
épouvanté  par  mille  i  nages  affreuses  di  la 
m  ri  dont  on  se  voit  environné  de  toutes 
parts,  on  cherche  son  propre  salut  dans  la 
fuite? 

C'est  au  milieu  de  ces  horreurs  que  G 
Roch,  pressé  plus  que  jamais  par  la  charité 
de  Jésus-Christ,  assiste  ses  frères  languis- 
sants ;  à  la  \  ue  des  plus  grands  dangers,  sans 
être  effrayé  par  les  cruels  ravages  que  fail 
partout  ce  fléau  terrible,  il  ranime  son  cou- 
rage, il  s'élève  au-dessus  de  toutes  les  crain- 
tes humaines ,  rien  n'est  capable  d'arnt  i 
les  mouvements  de  son  zèle.  Prudence  de  la 
chair,  ennemie  de  Dieu ,  raison  séduite  par 
l'amonr-propre,  en  vain  vous  efforçait  s-vous 
de  prêter  des  excuses  apparentes  à  la  fai- 
blesse de  la  nature,  en  vain  voulûtes-vous 
donner  des  bornes  à,  la  charité  héroïque  de 
saint  Hoch  ;  la  vue  d'un  Dieu  qui  s'est  oc- 
cupé pendant  sa  vie  mortelle  à  guérir  les 
maladies  les  plus  honteuses,  redouble  sa  fer- 
veur; sa  foi  lui  montre  dans  ses  malades  la 
personne  de  Jésus-Christ  même,  qui  dans  sa 
passion  routai  paraître  comme  un  lépreux, 
suivant  l'expression  du  prophète  (  Isa.  , 
LUI,  4). 

Que  ne  puis-je  vous  représenter  ce  tendre 
et  pieux  Samaritain  dans  les  exercices  de 
son  zèle,  passant  les  terres  et  les  mers,  vo- 
lant parloul  comme  une  nuée  bienfaisante, 
pour  faire  sentir  les  influences  de  sa  charité 
dans  les  villes  et  à  la  campagne,  dans  tous 
les  lieux  infectés  de  la  contagion,  bandani 
les  plaies,  suçant  les  ulcères  les  plus  enve- 
nimes, recueillant  les  soupirs  contagieux 
des  mourants,  donnant  à  tous,  comme  un 
autre  Tobie,  les  consolations  spirituelles,  les 
avertissements  de  salut  et  tous  les  secours 
de  l'âme  et  du  corps  qui  pouvaient  dépendre 
de  son  ministère,  adoucissant  par  une  ten- 
dre compassion  et  par  la  vertu  de  ses  remè- 
des les  maux  qu'il  ne  peut  guérir  ! 

Combien  en  a-t-il  retiré  des  portes  de  la 
mort,  non-seulement  par  ses  soins  el  ses  of- 
fices charitables,  mais  encore  par  l'efficace 
du  signe  de  la  crois.  !  Disons,  Messieurs,  de 
saint  Roch,  avec  quelque  proportion,  ce  que 
l'Evangile  dit  de  Jésus-Christ,  que,  partout 
où  il  passait,  il  guérissait  par  une  vertu  mi- 
raculeuse toute  sorte  de  maladies  et  de  lan- 
gueurs parmi  le  peuple  :  Sanans  umncm  lan- 
(jttorem  et  omnem  infirmila:em  in  populo 
(Matth.t  IV,  -î:i).  Disons  que  Dieu  avait  mis 
ce  grand  saint,  surtout  dans  l'Italie  et  dans 
la  France,  comme  un  antre  serpent  d'à  rata, 
pour  la  guérison  de  ceux  qui  seraient  piques 
par  des  serpents  enflammés  [N-t    ..  XXI,  B  . 

Mais  ce  ne  sont  pas  ses  miracles  que  je 
loue,  je  trouve  dans  les  actes  de  son  incom- 
parable charité  le  fonds  if  une  gloire  bien 
plus  solide.  Combien  de  fois  lriompha-l-il 
des  sentiments  de  la  nature  et  de  lui-même  I 
A  ille<  de  l'Italie  el  de  la  France  qui  fûtes  le 
théâtre  de  sa  charité,  hôpitaux,  sombres  de- 
meures consacrées  à  la  miséricorde,  se*  re- 
traites les  plus  ordinaires,  qui  fûtes  les  té- 
moins secrets  de  ses  grandes  vertus,  vous  le 
savez,  combien  de    fois   on  vile1   héros   du 


*5 


PANEGYRIQUE  DE  SAINT  ROCH. 


40 


îhrisliaiiisaie  (car  la  charité  fait  des  héros 
aussi  bien  que  la  force),  vous  le  savez,  com- 
bien de  fois  on  le  vit,  tantôt  employant  ses 
pieuses  mains  au  service  des  malades  les 
plus  désespérés  ;  tantôt  les  levant  au  ciel 
pour  demander  leur  guérison  ;  tantôt  atta- 
ché à  leur  lit,  où  il  sacrifie  tout  son  repos  ; 
tantôt  prosterné  au  pied  des  autels,  où  il  ré- 
pand son  âme  devant  le  Seigneur,  partagé 
entre  ses  soins  et  ses  prières,  entre  les  of- 
fices de  miséricorde  et  les  exercices  de  sa 
piété. 

Fut-il  jamais  une  charité  plus  parfaite? 
Si,  comme  le  Fils  de  Dieu  nous  l'assure, 
personne  ne  peut  avoir  un  plus  grand  amour 
que  de  donner  sa  vie  pour  ses  amis,  quel 
sera  l'amour  de  celui  qui  expose  mille  fois 
la  sienne  pour  des  hommes  qui  lui  sont 
étrangers  et  inconnus  l  C'est  une  espèce  de 
martyre. 

En  effet,  Messieurs,  ne  trouvons  -  nous 
pas  dans  les  f  sles  de  l'Eglise  (Baron,  in 
Nat.  martyr.)  que  de  saints  prêtres,  de  zé- 
lés diacres,  sont  honorés  comme  martyrs, 
parce  que,  du  temps  de  l'empereur  Valérien, 
ils  avaient  exposé  leur  vie  en  servant  les 
malades  frappés  de  la  contagion?  Quoique 
le  martyre  ne  convienne  proprement  qu'à 
ceux  qui  sacrifient  leur  vie  pour  la  foi,  si 
cependant  Jean  Baptiste  fut  martyr  de  la  li- 
berté de  la  prédication  évangélique,  si  des 
vierges  de  Jésus-Christ  furent  martyres  de 
la  pureté,  pourquoi  ne  dirons-nous  pas  que 
les  autres  vertus,  et  surtout  la  charité,  ont 
leurs  martyrs  aussi  bien  que  la  foi? 

Il  ne  manquait  plus  à  la  charité  de  saint 
Roch  que  de  se  voir  encore  semblable  ta  ceux 
qu'il  assistait.  Rien  ne  sert  tant  à  l'exercice 
de  celle  vertu  que  la  ressemblance  avec 
ceux  qui  souffrent  :  elle  ne  se  contente  pas 
de  compatir  à  l'infirmité  du  prochain,  elle 
veut  encore  participera  ses  maux.  Jésus- 
Christ,  venant  sauver  les  pécheurs,  prend  la 
ressemblance  d'une  chair  de  péché  (Rom., 
VIII,  8). 

Ce  fut  à  Plaisance  que,  occupé  à  ces  mi- 
nistères pénibles  et  dangereux,  il  fut  lui- 
même  frappé  de  la  contagion  dans  un  hôpi- 
tal. Par  quel  secret  impénétrable  des  juge- 
ments de  Dieu,  ce  charitable  médecin  est  il 
atteint  du  mal  dont  il  guérit  les  autres?  Par 
quel  conseil  de  la  Providence,  inconnu  à  la 
sagesse  humaine,  arrivc-t-il  qu'un  des  sept 
anges  envoyés  du  ciel  (Apoc,  XV,  7)  ré- 
pand sur  cette  victime  innocente  une  de  ces 
cou[)CS  envenimées  qui,  ce  semble,  ne  doi- 
vent tomber  que  sur  des  coupables?  Mais 
Dieu  veut  l'éprouver  par  une  disgrâce  pro- 
portionnée au  sublime  degré  de  perfection 
où  il  l'a  élevé. 

La  peine  du  péché  dans  les  autres  devient 
en  lui  le  fruit  de  la  charité  et  comme  la  ré- 
compense de  sa  vertu  ;  il  reçoit  comme  une 
grâce  ce  que  Dieu  envoie  aux  autres  comme 
un  châtiment  :  tout  innocent  qu'il  est,  il 
souffre  comme  pécheur;  c'est  pour  lui  une 
glorieuse  hlcssurc  qu'il  a  reçue  dans  le  com- 
bat;  a  l'exemple  du  grand  Apôtre,  il  veut 
élrc  anathème  pour  se*  frère»  (Itom.,  VIII,  0). 


Dieu  le  tenta  par  cette  rude  épreuve,  et  la 
trouva  digne  de  lui.  Dans  la  tribulation, 
quel  respect  pour  les  ordres  rigoureux  de 
la  Providence,  quelle  fermeté  d'âme,  lors- 
que, dans  une  terre  étrangère,  gémissant 
sous  le  fléau  du  ciel  dont  il  avait  délivré  tant 
de  malades,  il  se  vit  privé  de  tous  les  secours 
humains  1 

Combien  de  fois  s'offrit-il  à  Dieu  comme 
une  victime  publique  pour  expier  les  cri- 
mes qui  avaient  attiré  de  si  terribles  châti- 
ments ?  Combien  de  fois  s'écria-t-il  :  Sei- 
gneur, tournez  contre  moi  tous  les  traits  de 
votre  colère,  mais  sauvez  votre  peuple? 

Arrêtons  -  nous  encore  ici  un  moment, 
Messieurs,  pour  pénétrer  tout  le  mérite  de 
notre  saint  dans  le  triste  état  où  l'a  mis  sou 
zèle.  Celte  plaie,  il  est  vrai,  lui  fut  glorieuse 
devant  Dieu  ;  elle  était  faite  par  les  mains  de 
la  charité  ;  mais  ne  lui  fut-elle  pas  honteuse 
devant  les  hommes  ?  car  enfin,  à  n'entrer 
pas  dans  les  voies  extraordinaires  que  Dieu 
tient  à  l'égard  des  saints,  n'y  avait-il  pas  su- 
jet de  craindre  que,  confondu  dans  la  peine 
commune,  on  ne  le  regardât  comme  coupa- 
ble des  crimes  qui  avaient  attiré  la  punition  ; 
que  l'éclat  de  tant  de  guérisons  miracu- 
leuses ne  fût  effacé  par  l'ignominie  de  son 
état?  Ne  pouvait-on  pas  lui  dire  ce  mot  do 
l'Evangile  :  Médecin,  guérissez-vous  vous- 
même  (Luc,  IV,  23).  Mais  la  charité  souffre 
tout;  Roch  se  met  au-dessus  de  toutes  les 
considérations  humaines  :  comme  il  n'a  pas 
cherché  à  plaire  aux  hommes,  il  méprise 
leurs  jugements.  Il  regarde  son  mal  comme 
une  pénitence  que  Dieu  exige  de  lui  pour 
l'expiation  de  ses  péchés,  et  non  pas  comme 
une  épreuve  de  sa  vertu  :  humilié,  anéanti 
sous  la  main  de  Dieu  qui  le  frappe,  il  n'a 
pas  honte  qu'on  lui  dise,  comme  à  Jésus- 
Christ  en  croix  :  Il  a  sauve  les  autres,  et  il  no 
saurait  se  sauver  lui-même  (Matth.,  XXVil, 
kl).  Il  est  comblé  de  joie  d'être  trouvé  digne 
de  souffrir  pour  Jésus-Christ  :  victime  de  sa 
charité,  il  s'estime  heureux  de  sacrifier  une 
vie,  dont  il  ne  jouira  qu'à  regret,  s'il  ne  la 
fait  servir  aux  offices  de  son  zèle  ;  car,  Mes- 
sieurs, toute  sa  douleur  est  de  se  voir  hors 
d'étal  d'assister  ses  frères  malades  ou  mou- 
ranîs. 

Mais,  grand  saint,  consolez-vous  ;  Dieu 
a  écoulé  la  préparation  de  votre  cœur  [Usai. 
X,  17):  pour  rendre  votre  vertu  plus  pure, 
il  veut  vous  priver  pour  un  temps  de  celte 
consolation  :  allez  dans  une  forêt  déserte, 
loin  de  tout  secours  humain;  il  fera  sortir 
d'un  dur  rocher,  comme  il  fit  en  faveur  du 
peuple  d'Israël,  une  fontaine  d'eau  vive, 
pour  éteindre  l'ardeur  d'une  fièvre  qui  vous 
consume.  Dieu,  qui  instruisit  les  corbeaux 
à  porter  le  pain  à  Klie  (III  Iieg.,  XXXVII, 
V),  apprendra  à  un  chien  fidèle  à  vous  porter 
chaque  jour,  dans  une  chaumine  abandon- 
née, du  pain  pour  sustenter  votre  vie.  Dieu 
qui,  pour  faire  éclater  sa  puissance,  donne 
à  son  gré  la  mort  cl  la  vie,  également  maître 
de  l'une  et  de  l'autre,  qui  conduit  au  tom- 
h  m,  ri  (fui  en  retire  qui  il  lui  plaît, cl  quand 
il  lai  plaît  (I  Reg.,  Il,  fi),  vous  redonnera  la 


ORATEURS  8ACRRS.  BEGAI  I  l. 


48 


santé,  ci  l'on  vous  verra  enfin,  plein  de 
jours  et  de  mérites,  finir  dans  le  sein  de  vo- 
ire patrie  une  vie  que  vous  avez  sacrifiée 
aux  exercices  de  la  plus  héroïque  charité. 

Oucl  exemple  viens-je  de  vous  proposer, 
Messieurs  !  Qui  de  nous  aurait  le  courage 
d'assister  ses  frères  dans  un  pareil  danger  ? 
quels  prétextes,  quelles  excuses  u'allégue- 
rail-on  pas  pour  s'en  dispenser?  qui  ne  sen- 
tirait la  nature  cl  tous  les  sens  se  révolter 
en  lui  à  la  vue  d'un  homme  frappé  de  la 
peste?  Quoique  nos  iniquités  soient  très- 
énormes,  et  en  plus  grand  nombre  que  les 
cheveux  de  notre  lélc,  néanmoins  Dieu  par 
sa  bonté  arrête  ses  justes  châtiments.  Grâ- 
ces immortelles  en  soient  rendues  au  ciel, 
depuis  longtemps  nous  n'avons  \u  nos  pro- 
vinces et  nos  villes  ravagées  par  ce  fléau 
terrible  de  sa  colère.  Mais  pour  cela  man- 
quons-nous d'occasi  >ns  de  pratiquer  la  cha- 
rité? Ces  malades  qui  languissent  dans  les 
hôpitaux,  ne  seniez-vous  pas  ia  charité  de 
Jésus-Christ  qui  vous  presse  de  les  assister? 
Si  vous  ayez  horreur  d'entrer  dans  ces  som- 
hres  demeures  où  tout  porte  l'image  affreuse 
des  misères  humaines,  donnez  du  moins 
des  secours  abondants,  pour  suppléer  par 
vos  aumônes  au  mérite  que  vous  fait  perdre 
«ne  superbe  délicatesse  qui  vous  empêche 
de  rendre  à  ces  malheureux  les  offices  de 
miséricorde  dont  ils  ont  besoin. 

Nous  avons  vu  dans  la  première  partie 
comme  la  charité  de  Jésus-Christ  a  pressé 
saint  Roch  pendant  qu'il  a  été  sur  la  terre. 
Voyons  dans  la  seconde  comme  celle  même 
charité  le  presse  dans  l'état  de  sa  gloire  : 
Charitas  Chrisli  urget  nos. 

SECOND    POINT. 

La  charité  est  des  vertus  théologales  la 
seule  qui  demeure  dans  le  ciel  :  la  foi  et  l'es- 
pérance, vertus  de  voyageurs,  seront  détrui- 
tes, parce  que  nous  verrons  Dieu  comme  il 
est,  et  que  nous  le  posséderons  pleinement, 
sans  crainte  de  le  perdre.  Mais  la  charité, 
dit  le  grand  Apôtre,  ne  finira  jamais,  parce 
qu'elle  est  le  terme  et  la  fin  de  toutes  les 
vertus,  comme  elle  en  est  l'âme  et  la  forme; 
parce  que  le  motif  et  l'objet  formel  de  notre 
amour  subsisteront  toujours  :  Charitas  mut- 
quam  rxcidit  (I  Cor.,  XIII,  8). 

Et  remarquez,  Messieurs,  que  la  charité 
demeurera  non-seulement  à  l'égard  de  Dieu, 
que  les  bienheureux  aimeront  dans  le  ciel 
du  même  amour  dont  ils  l'ont  aimé  sur  la 
terre,  mais  encore  à  l'égard  du  prochain.  Les 
saints  ont  pour  nous  la  même  charité,  ils 
sont  touchés  envers  nous  des  mêmes  senti- 
ments de  compassion  et  de  tendresse  que 
lorsqu'ils  étaient  dans  cette  vie  mortelle; 
connaissant  par  la  révélation  divine  nos  mi- 
sères, ils  se  sentent  excités  à  nous  secourir 
dans  nos  besoins;  la  même  charité  qui  les 
pressa  lorsqu'ils  conversèrent  avec  nous,  les 
anime  encore  à  s'intéresser  pour  nous  dans 
l'état  de  leur  gloire;  c'est  la  même  habitude 
qui  produit  les  mêmes  actes. 

Dieu  n'agit  pas  toujours  immédiatement 
par  lui-même  :  souvent  il  se  plait  à  se  servir 


du  ministère  de  ses  saints  pour  opérer  les 
merveilles  de  sa  puissance  et  de  sa  bonté; 
aussi  voyons-nous  que,  selon  le  besoin  des 
hommes,  il  a  établi  divers  dons,  parmi  les- 
quels saint  Paul  met  la  grâce  de  guérir  les 
malades  et  d'assister  le*  frères  :  Exinde  gra- 
eurationum,  opilulatione»  (I  Cor.,  Ml. 
28).  (]c  fut  le  don  particulier  de  saint  Roch 
pendant  sa  vie,  et  il  l'exerce  encore  aujour- 
d'hui avec  la  même  charité  dans  les  calami- 
tés publiques;  le  même  fen  dont  son  cour 
fut  embrasé  brûle  encore  dans  ses  cendres; 
il  semble  que.  comme  un  astre  bienfaisant, 
il  ne  soit  élevé  dans  le  ciel  que  pour  répandre 
sur  nous  avec  plus  de  profusion  ses  influences 
salutaires.  Car  quel  si  furieux  incendie  n'a- 
t-on  [as  vu  s'éteindre  par  l'invocation  et  les 
suffrages  de  ce  grand  saint? 

France,  Espagne,  Allemagne,  Italie,  qu'il 
me  soit  permis  encore  de  \ous  appeler  ici  à 
témoin  :  combien  de  fois  la  peste  r  .  . 
vos  Etats,  désolant  vos  plus  belles  provinces, 
allant  faire  un  cimetière  de  vos  plus  floris- 
santes villes,  vous  vous  en  souvenez  encore, 
combien  de  fois  ce  grand  saint  a  arrêlé  le 
cours  de  tant  de  malheurs?  Et  pour  ne  point 
sortir  de  ce  royaume,  pariez,  \  i  1  tes  de  Paris, 
de  Rouen,  de  Toulouse,  de  Rennes,  et  tant 
d'autres,  rendez  témoignage  à  la  charité  et 
au  puissant  crédit  de  notre  saint  patron  dans 
ces  effroyables  désolations;  combien  de  fois, 
après  avoir  épuisé  inutilement  tous  les  se- 
cours humains  pour  guérir  ce  funeste  mal, 
combien  de  fois  saint  Roch,  louché  par  les 
prières  et  les  vœux  des  peuples,  a-l-il  apaisé 
la  colère  de  Dieu  et  détourné  ce  fléau  terrible 
de  sa  justice?  ïnlerroga  majores  tuos,  cl  di- 
cent  tibi  (Veut.,  XXXV11,  7)  :  Interrogez  vos 
ancêtres,  et  ils  vous  diront  que,  dans  ces 
horribles  calamités,  le  plus  prompt  et  le  plus 
sûr  remède  fut  toujours  la  charité  cl  la  puis- 
sante intercession  de  ce  grand  saint. 

Un  peuple  muliné  s'élanl  soulevé  contre 
Moïse,  au  milieu  d'une  nuée  brillante  paraît 
la  gloire  du  Seigneur;  le  Seigneur  dil  à 
Moïse  :  Sépare-toi  de  celte  multitude,  que  j'ai 
résolu  d'exterminer  :  tout  à  coup  s'allume  un 
feu  dévorant  pour  consumer  celte  troupe  re- 
belle; dans  le  moment  que  l'incendie  fait  un 
cruel  ravage  parmi  le  peuple,  Aaron,  par 
ordre  de  Moïse,  prend  l'encensoir  à  la  main, 
courl  au  milieu  de  la  multitude,  se  mel  entre 
les  morls  et  les  vivants,  prie  pour  le  peu.  le, 
fait  mouler  au  ciel  la  fumée  de  ses  parfums, 
apaise  la  colère  de  Dieu,  fait  cesser  au  milieu 
du  camp  l'incendie  par  la  force  de  sa  prière  : 
Pro  populo  deprecatus  est,  et  plaça  cessavit 
(A'um.,  XVI,  il  .  C'est  une  image  de  rc  qu  <  a 
a  vu  mille  fois,  lorsque,  les  peuples  ayant 
irrite  par  leurs  crimes  la  colère  de  lieu, 
saint  lloch  l'a  apaisée  par  ses  puissantes  in- 
tercessions auprès  de  Dieu;  lorsque,  étant 
invoqué  par  des  prières  publiques  et  parti- 
culières, il  a  éteint  les  plus  horribles  em- 
brasements que  la  contagion  avait  allumés 
dans  des  proi  inces  entières.  Klie,par  un  em- 
portement de  son  zèle,  fait  descendre  le  feu 
du  ciel  pour  consumer  des  coupables  (IV 
]l?<j.,  I,  10)  :  Roch,  par  l'ardeur  de  sa  chante 


40 


PANEGYRIQUE  DE  SAINT  ROCH. 


m 


et  par  l'efficace  de  sa  prière,  éteint  un  autre 
feu  lorsqu'il  est  allumé  sur  la  terre.  Ne  sem- 
ble-t-il  pas,  Messieurs,  que  Dieu  l'ait  fait, 
pour  ainsi  dire,  le  dépositaire  de  sa  puis- 
sance, pour  arrêter  le  feu  de  la  contagion 
dans  son  plus  rapide  cours? 

Pouvons-nous  apporter  un  plus  illustre 
témoignage  du  pouvoir  que  Dieu  lui  a  donné 
de  guérir  ces  fatales  maladies,  et  de  la  cha- 
rité avec  laquelle  il  l'exerce  encore  aujour- 
d'hui dans  l'état  de  sa  gloire,  que  ce  que 
nous  lisons  dans  les  actes  d'un  concile  œcu- 
ménique? Ce  fui  vers  le  commencement  du 
quatorzième  siècle  que,  ce  concile  étant  as- 
semblé à  Constance  pour  condamner  les 
hérésies  deWiclef  et  de  Hus,  mais  principa- 
lement pour  faire  cesser  l'horrible  schisme 
qui  déchirait  le  corps  de  l'Eglise  dont  il 
voulait  faire  un  monstre  en  lui  donnant 
plusieurs  chefs,  une  cruelle  peste  s'alluma 
dans  cetîe  ville  et  dans  tout  le  pays  d'alen- 
tour. Les  Pères  du  concile,  qui  étaient  presque 
au  nombre  de  mille,  persuades  du  pouvoir 
particulier  que  Dieu  a  donné  aux  suffrages 
de  saint  Roch  dans  les  maladies  contagieuses, 
par  une  inspiration  du  ciel  ont  recours  à  sa 
puissante  intercession  ;  par  un  décret  authen- 
tique ordonnent  une  procession  solennelle 
et  des  prières  publiques,  où  fut  porléc  avec 
respect  l'image  de  ce  grand  saint  :  le  concile 
assiste  à  ce  spectacle  de  piété  et  de  religion, 
tout  le  monde  accourt  en  foule  de  toutes 
parts,  pour  y  joindre  ses  prières  et  ses  vœux. 

Aussitôt  la  colère  de  Dieu  s'apaisa,  l'ange 
exterminateur  remet  le  glaive  de  feu  dans  le 
fourreau,  l'air  devient  pur,  le  ciel  serein 
verse  des  influences  salutaires,  la  face  de  la 
terre  se  renouvelle,  le  commerce  se  rétablit, 
chacun  jouit  de  sa  première  tranquillité;  et 
les  fidèles  reconnaissants  bénissent  le  Sei- 
gneur dans  ses  saints  (Ps.  CL,  1),  et  le  louent 
d'avoir  donné  une  telle  puissance  aux  hom- 
mes (Maltli.,  IX,  8). 

N'omettons  pas  en  cet  endroit  une  cir- 
constance qui  relève  avec  tant  d'éclat  la 
gloire  de  notre  saint.  C'est  à  cette  occasion 
que  Roi  h  est  canonisé  par  la  voix  commune 
du  peuple, "qui  pour  lors  fut  celle  de  Dieu. 
Il  n'est  pas  nécessaire  d'avoir  recours  aux 
oracles  sacrés  des  souverains  ponlifes, comme 
à  la  canonisation  des  autres  saints,  pour 
mettre  son  nom  dans  les  fastes  de  l'Eglise. 
Dans  ce  même  temps  la  piété  des  fidèles 
érige  des  temples  et  des  autels  à  sa  mémoire, 
pour  y  porter  leurs  vœux  et  implorer  ses 
suffrages  auprès  de  Dieu. 

N'avons-nous  pas  sujet  de  croire  que  les 
saints  conservent  dans  le  ciel  les  vertus  et 
les  dons  que  Dieu  leur  a  départis  sur  la  terre 
f  pour  l'utilité  de  l'Eglise ,  quand  ils  ne  sont 
pas  incompatibles  ave  •  l'état  de  leur  gloire? 
Saint  Hernanl  dil  que  le  Fils  de  Dieu  plaide 
pour  nous  en  montrant  à  son  Père  ses  plaies, 
qui,  comme  autant  de  bouches  éloquentes, 
obtiennent  tout  ce  qu'il  demande  en  notre 
faveur.  Disons,  avec  quelque  proportion, 
que  saint  Roc!)  obtient  tout  ce  qu'il  demande 
pour  nous  à  Jésus-Christ,  quand  il  lui  repré- 
■ente  tout  ce  qu'il  a  souffert  pour  le  servn •. 


de  ses  membres  affligés,  surfont  quand  il  lui 
montre  cette  plaie  douloureuse  dont  il  fut 
frappé  dans  l'exercice  actuel  de  la  charité. 
Heureuse  ville  de  Paris,  si,  pour  détour- 
ner les  malheurs  qui  pourraient  tomber  sur 
toi,  adressant  au  ciel  les  vœux  soutenus  des 
suffrages  de  ce  grand  saint,  Dieu  te  donne 
une  réponse  semblable  à  celle  qu'il  fit  au 
prophète  lsaïe  en  faveur  d'une  ville  qu'il 
chérissait  :  Prolegam  civitalem  istam,  ut  sal- 
rem  eam  propter  me  et  propter  servummeum 
{Isa.,  XXXVII,  33);  je  protégerai  celte  ville 
chérie,  je  détournerai  de  dessus  ses  habitants 
ce  fléau  terrible  de  ma  justice  pour  l'amour 
de  moi-même   et  de  mon  serviteur  fidèle  ! 

Quelle  gloire  pour  la  ville  de  Montpellier 
d'avoir  donné  le  jour  à  ce  grand  saint!  Di- 
sons qu'elle  est  mille  fois  plus  recommanda- 
ble  de  l'avoir  donné  à  l'Eglise  pour  être  le 
protecteur  et  l'asile  des  fidèles  dans  le  plus 
horrible  de  tous  les  maux,  que  d'avoir  fondé 
une  fameuse  académie  de  médecine,  et  do 
produire  sous  un  ciel  serein  et  fécond  les 
plantes  les  plus  salutaires  pour  la  santé  des 
hommes. 

Mais  si  le  grand  saint  Roch  protège  tout 
le  monde  chrétien,  de  quelles  faveurs  ne 
comblera-t-il  pas  celte  noble  et  pieuse  con- 
frérie, qui  depuis  longtemps  fait  une  profes- 
sion si  particulière  de  l'honorer;  confrérie 
qui  a  la  gloire  de  compter  parmi  ses  confrè- 
res des  rois,  des  reines  el  plusieurs  princes 
du  sang.  Les  indulgences  accordées  par  les 
souverains  pontifes,  l'office  divin  qui  est  cé- 
lébré dans  cette  église  avec  tant  de  régula- 
rité et  d'édification,  les  verlus  d'un  digne 
pasteur  qui  anime  tout  par  sa  sagesse  et  par 
ses  exemples,  ce  zèle  empressé,  ce  soin  reli- 
gieux qu'ont  les  chefs  de  celte  compagnie  de 
procurer  la  gloire  de  leur  saint  patron,  et 
d'augmenter  son  service  et  son  culte  par 
leurs  généreuses  libéralités,  tout  sollicile 
puissamment  ce  grand  saint  d'attirer  par  ses 
suffrages  sur  cette  Eglise  et  sur  cette  pieuse 
compagnie  les  plus  abondantes  bénédictions 
du  ciel. 

Revenons,  Messieurs,  à  1  i  charité  de  saint 
Roch  pour  en  imiter  les  exemples.  Aspirons 
au  bonheur  de  pouvoir  dire  à  son  imitation  : 
La  charité  de  Jésus-Christ  nous  presse  ;  com- 
me lui  devenons  sensibles  aux  misères  des 
pauvres,  et  principalement  des  pauvres  ma- 
lades. Je  ne  prétends  pas  néanmoins  que 
vous  suiviez  certains  exemples  de  charité, 
qui  pour  plusieurs  sont  d'un  ordre  extraor- 
dinaire, je  souhaite  seulement  qu'ils  servent 
à  confondre  votre  excessive  délicatesse,  et 
que  vous  vous  accoutumiez  à  regarder  les 
pauvres  malades,  non  pas  comme  des  objets 
d'horreur  cl  de  mépris,  mais  comme  les 
membres  affligés  de  Jésus-Christ,  qui  sont 
commis  aux  soins  de  voire  charité.  Souf- 
frez donc,  âmes  dures  cl  impitoyables,  souf- 
frez que  en  vous  rapprochant  ce  grand  mo- 
dèle de  charité,  je  vous  fasse  voir  votre  in- 
sensibilité et  votre  aversion  pour  les  pauvres 
mal  ides,  condamnées  par  la  tendresse  el  par 
la  charité  héroïque  d'un  saint  qui  sacrifia 


SI 


OHATEURS  s\(  iti  -    Bl  GAULT 

sun  rcp  s,  sa  propre  vie 


ses  bien»,  ta  g  oii 
à  leur  service. 

Quels  soins,  quelle  assistance  rend-on  .1 
(es  misérables  qui  languissent  dans  les  hô- 
pitaux et  dans  leurs  liïstes  demeures,  dé- 
pourvus de  loul  secours,  accablés  de  toute 
sorte  d'infirmités  et  de  misères'.'  Où  trouve  - 
t-on  aujourd'lnii  des  chrétiens  qui  nri  on- 
tcr.l  les  dégoûts  et  les  répugnances  de  la  na- 
ture, quand  il  faut  exercer  la  charité?  Ils 
frémissent  à  la  vue  d'un  hôpital,  l'o  icur  de 
ces  lieux  les  incommode,  et  peut  être  se 
sont-ils  offensés  des  images  dont  nous  nous 
sommes  servis  pour  peindre  les  actions  hé- 
roïques de  notre  saint.  Les  pauvres  gémis- 
sent dans  la  langueur  et  dans  l'infirmité,  et 
personne  ne  les  soulage  :  Infirmait  sur  < 
fuit  qui  adjuvaret  (Psal.  CVI,  12).  On  aban- 
donne au  hasard  les  membres  affligés  de  Jé- 
sus-Christ. Chrétiens  qui  avez  de^  entrail- 
les cruelles,  que  ré,  ondrez-vous  au  jour 
terrible  du  jugement,  lorsque  le  Fils  de  Dieu, 
vous  reprochant  votre  inhumanité,  vous  di- 
ra :  J'étais  sur  mon  lit  de  douleur,  privé  de 
toutes  les  choses  nécessaires  à  la  vie,  tandis 
que  tu  éiais  dans  l'abon  lance,  (t  tu  ne  m'as 
pas  visité  {Mattli.,X\Y,k3),  tu  n'as  pas  dai- 
gné n'envoyer  aucun  secours.  Mes  frères, 
pouvons-nous  honorer  véritablement  les 
saints,  lorsque  nous  ne  voulons  pas  imiter 
leurs  vertus? 

Ne  finissons  pas  ce  discours  sans  adresser 
nos  vœux  à  ce  saint  patron,  dont  la  so'cn- 
nilé  nous  assemble  aujourd'hui  :  persuadés 
que  nous  sommes  delà  charité  qu'il  exerce 
encore  dans  les  maladies  contagieuses,  soit 
pour  les  guérir,  soit  pour  les  détourner,  al- 
lons à  lui  avec  confiance,  prions-le  d'assis- 
ter de  sa  protection  pariieulière  un  royaume 
qui  lui  donna  naissance  ;  aidés  des  suffrages 
de  cet  ange  lutélaire  de  la  France,  deman- 
dons à  Dieu  qu'il  éloigne  de  nous  pour  tou- 
jours ce  fléau  terrible  de  sa  justice,  qui  déjà 
semble  nous  menacer.  Disons  avec  le  Pro- 
phète  :  Effunde  iram  tuamin  yenlcs  quœ  le 
non  noveriint,  ei  in  régna  quœ  nomen  luum 
non  intocaverunt  (Psul.  L XX VIII,  G)  :  Sei- 
gneur, répandez  votre  colère  sur  ces  nations 
infidèles  qui  ne  vous  connaissent  pas,  faites 
ressentir  les  rigueurs  de  votre  justice  à  ces 
royaumes  barbares  qui  n'ont  jamais  invo  |ué 
votre  nom.  Mais,  Seigneur,  épargnez  un 
peuple,  qui  vous  honore,  épargnez  la  France, 
épargnez  celle  grande  ville,  qui  vous  révère 
d'un  culte  si  constant  et  si  religieux. 

Cependant  l'ennemi  est  aux  portes,  déjà  le 
feu  s'allume  à  nos  frontières,  et  nos  péchés 
nous  font  justement  appréhender  que  vous 
n'étendiez  jusque  sur  nous  ce  fléau  redouta- 
ble de  voire  indignation.  Mais  ne  nous  punis- 
se» pas  selon  Vénormilé  de  nos  iniquités,  N  i- 
gneur,  hâtez-vous  de  prévenir  par  les  effets 
de  votre  miséricorde  des  châtiments  que  nous 
n'avons  que  trop  mérités  (Ibid.  8,  9).  Nous 
joignons  à  notre  prière  les  sentiments  d'un 
cœur  contrit  cl  humilie  ;  el  comme  nous  som- 
mes capables  d'allumer  plutôt  votre  colère 
sur  nous  que  do  l'apaiser  ,  pour  trouver 
Urâcc  auprès  de  vous ,  Seigneur  ,  nous  nous 


appuyons   sur  les   mérites  cl    la  pui 

i  ut  crées  lion  devotre  se  viteurfidèl  ,  le  grand 

sain*.  Ro<  h  :  recev  1  z  par  lui  les  prières  que 
nous  \  008  offrons. 

h  m  nous  formons  des  \<v  1  ti  ardents 
pour  élre  délivrés  de  la  1  n  du  corps, 

si  nous  chargeons  les  autels  de  dont  et  de 
présents  p  ur  détourner  ce  fléau  terrible  de 
la  colère  de  Die  1,  quels  doivent  élre  nos  em- 
pressements, quelle  doit  être  la  ferveur  de 
notre  piété,  pour  demander  à  Dieu  d'être 
préservés  dn  péché,  qui  est  la  véritable  con- 
1  :  ui  de  l'âme?  Faite-  donc  par  votre  grâ- 
ce, 6  mon  Dieu!  que  nous  eu  concevions 
;  our  toujours  une  horreur  mortelle.  Faites 
enfin  que,  avant  imité  l'ardente  charité  du 
grand  saint  que  nous  honorons  aujourd'hui, 
nous  méritions  d'en  recevo  r  un  jour  avec 
lui  la  récompense  dans  le  ciel,  où  nous  con- 
duise le  l'ère  .  le  Fils  el  le  Saint-Esprit 
Ainsi  soil-il- 

PANÉGYRK  ! 

DE  SAINT  JACQUES  I.E    VHII.I  II. 

Prêché  à  Paris,  dans  V église  paroissiale  de 
Saint-Jacques  de  la  Bouclterir,  le  2")  lu.llet 
168G. 

Die  ut  se  le.irii  In  duo  lilii  mei,  utius  a  J  dexier  ni  t>  aui, 
et  nfiiis  :icJ  sini^iram  in  regno  luo. 

eur,  ordonnez  que  met  eux  fils  que  voici  soieu  a<<- 
sis  dons  votre  roi;  mme,  l'un  à  votre  droite,  cl  l'autre  à  10- 
tre  gauche  (Uuit'li.,  XX,  21). 

Jamais,  Messieurs,  demande  ne  fut  lattfl 
plus  mal  à  propos  que  celle  de  ces  deux  frè- 
res, Jacques  et  Jean,  qui,  selon  saint  Chry- 
soslome  {In  hune  loc),  saint  Augustin  (De 
Cons.  Evanj.,  c.  G5r)  et  Théophylacte  (la 
lumc  loc),  se  servirent  de  leur  mère  comme 
d'un  organe  pour  satisfaire  leur  ambition. 
Jésus-Christ  vient  de  leur  dire  qu'il  doit  être 
allaché  à  une  croix  ;  il  prédit  que  bientôt  il 
sera  livré  aux.  gentils,  qu'il  sera  moqué,  ou- 
trage, rassasié  d'opprobres,  ei  ils  aspirenta 
sa  gloire,  à  des  places  où  tout  le  inonde  les 
révère  el  reconnaisse  leur  puissance. 

Jésus -Christ  assure  que  son  royaume 
n'est  pas  de  ce  monde,  el  ils  prétendent  aux 
premiers  postes,  ils  veulent  être  assis  sur 
des  trônes  éminents  ;  il  ne  parle  tous  les 
joursqued'abaissemenl,  l'humilité  est  la  pre- 
mière leçon  qu'il  veut  qu'ils  apprennent  de 
lui,  il  met  pour  fondement  de  sa  loi  c  de  -a 
morale  la  pauvreté  et  l'anéantissement  de 
l'esprit,  el  i  s  demandent  de  tenir  les  pre- 
miers rangs  au-dessus  des  autres. 

Du    métier  de   la    piche  vouloir   prendre 
lout  d'un  coup  le>  rênes  il  ti  gouvernement  : 
pour  avoir  quitté  des  filets   el  une  barqui  . 
vouloir  élre  porté  d'abord  sur  un  siéjje  fini- 
nent;  mais  sans  expérience,  sans  étude,  s 
lumières,  aspirer  aux  plus  importante  el  plus 
difficiles  emplois  d'un  royaume  \  vouloir  le 
iv  os  sans  travail,  une  récompense  telle  que 
celle-là  ,  sans  mérites  ,  n'est-ce  ,    1  ,  ditsaiul 
Caysostome  dans  cel  endroit,  comme  si  d 
d'entre  les  athlètes   qui  seraient  uienés  parti- 
culièrement de  celui  qui  préside  aux  com 
venaient  le  prier  rfi  tes  préférer  à  tous  Ict 
autres  et  de  leur  donner  le  prix  destiné  ù  ce- 


85 

lui  qui  remportera  la  victoire  [In  cap.  XX 
Maith.)  ?  N'esl-ce  pas  une  témérité  la  plus 
injuste  et  la  plus  digne  de  toute  l'indigna- 
tion des  autres  apôtres? 

Je  ne  dis  rien,  non  plus  que  Jcsus-Cnrist , 
à  cette  mère  indiscrète  et  ambitieuse  ;  car 
enfin  ,  n'étant  pas  si  bien  instruite  dans  les 
nouvelles  maximes  du  Fils  de  Dieu  que  ses 
enfants  qui  étaient  de  ses  premiers  dise  pies, 
peut-être  pouvait-elle  s'imaginer,  dans  les 
faux  principes  du  monde  ,  que  ce  n'était  pas 
un  crime  pour  une  mère  de  favoriser  les 
vues  élevées  de  ses  entants  ,  en  leur  procu- 
rant des  établissements  honorables  par  des 
sollicitations  que  la  proximité  du  sang  sem- 
blait pi  uvoir  autoriser. 

Cependant,  Messieurs,  le  croirez-vous  ? 
Le  Sauveur,  comme  nous  le  verrons  bientôt, 
ne  laisse  pas  d'accorder  à  ces  deux  frères 
leur  demande  :  il  les  fait  asseoir  auprès  de 
lui  dans  son  royaume  ,  l'un  à  sa  droite  et 
l'autre  à  sa  gauche  ,  mais  d'une  manière 
bien  différente  de  celle  que  la  mère  et  les  en- 
fants le  prétendaient. 

Pour  expliquer  ce  mystère  ,  et  pour  tirer 
de  ce  discours  les  instruction:;  qui  nous  con- 
viennent, nous  avons  besoin  d'une  lumière 
céleste.  Jacques  et  Jean  se  servirent  de  l'en- 
tremise de  leur  mère  pour  demander  à  Jésus- 
Christ  ce  qu'ils  désiraient,  adressons-nous  à 
Marie  ,  qui  est  noire  commune  mère ,  pour 
obtenir  les  grâces  qui  nous  sont  nécessaires. 
Ave ,  Maria. 

Il  n'est  pas  facile  ,  Messieurs,  d'expliquer 
cet  endroit  de  saint  Matthieu  ,  où  \e  Fils 
de  Dieu  dit:  Si  deux  d'entre  vous  s'unissent 
sur  la  terre  ,  quelque  chose  qu'ils  demandent , 
elle  leur  sera  accordée  {Matth.,  XVIII.  19). 
Les  Pères  disent  communément  que  Dieu, 
sans  rien  diminuer  de  la  vertu  et  de  l'elfica- 
cilé  de  la  prière,  qui  est  en  quelque  manière 
toute-puissante  ,  redresse  et  corrige  seule- 
ment ce  qu'il  y  a  de  défectueux  dans  nos 
demandes,  et  qu'au  lieu  de  nous  exaucer 
selon  nos  intentions,  qui  nous  sont  quelque- 
fois désavantageuses  et  nuisibles,  il  nous  ac- 
corde nos  demandes  d'une  manière  propor- 
tionnée à  nos  véritables  besoins  et  suivant 
les  desseins  adorables  de  sa  volonté,  en  nous 
donnant  quelquechoscde  mcilleurquc  ce  que 
nous  désirons.  C'est  dans  ce  sens  que,  quand 
les  biens  temporels  que  nous  souhaitons  sont 
préjudiciables  à  noire  salut,  il  nous  donne  à 
leur  place  des  biens  spirituels  ;  quand  nous 
abuserions  de  la  sauté  du  corps  que  nous 
demandons  ,  il  nous  donne  celle  de  l'âme. 
Dieu  est  bon,  dit  saint  Augustin  ,  souvent  il 
nous  refuse  ce  que  nous  souhaitons  avec  ar- 
deur, afin  de  nous  donner  ce  que  dans  le 
fond  nous  aimerions  mieux  ,  si  la  passion 
dont  nous  sommes  prévenus  ne  nous  aveu- 
glait, et  si  noua  connaissions  nos  véritables 
intérêts  :  Bonus  auicm  Dominus  qui  non  tri- 
buit  sapequod  volumus,  utquod  tnalltmus  at- 
tribuai (Sert». 5  de  V crb.  Domini,  sec.  Matth.). 

C'est  ainsi  que  ,  par  une  bonté  admirable 
et  par  un  effet  de  cette  douceur  avec  laquelle 
il  écoule  les  vœux  cl  les  prières  qu'on  lui 


PANEGYRIQUE  DE  SAINT  JACQUES  LE  MAJEUR. 


adresse,  il  accorde  à  Jacques  et  à  Jean  la  fa- 
veur qu'ils  lui  demandent  d'être  assis  dans 
son  royaume,  l'un  à  sa  droite  et  l'autre  à  sa 
gauche.  Disciples  de  Jésus-Christ,  vous  y  se- 
rez assis,  mais  élevez  vos  vues  et  vos  pen- 
sées au-dessus  des  sens,  au-dessus  des  choses 
île  la  terre.  Par  ce  royaume  n'entendez  pas 
un  royaume  temporel  dans  la  pompe  et  dans 
l'éclat  d'une  gloire  mondaine  ;  entendez  ce 
que  je  dis  ici  d'une  manière  toute  spirituelle 
et  toute  céleste. 

Par  la  main  droite  l'Ecriture  entend  or- 
dinairement dans  un  sens  figuré  les  faveurs 
et  les  consolations,  et  par  la  gauche,  elle  en- 
tend les  travaux,  les  peines,  les  tribulations. 
Jean  sera  assis  à  la  droite  du  Sauveur,  et 
Jacques  à  sa  gauche  ;  Jean  goûtera  les  divi- 
nes douceurs  et  les  plus  sensibles  consola- 
tions ,  il  reposera  sur  le  cœur  de  Jésus- 
Christ,  il  puisera  dans  cette  source  d'amour 
un  torrent  de  voluptés  célestes,  il  sera  son 
disciple  bien-aimé  et  son  favori,  il  aura  part 
dans  ses  plus  intimes  secrets  ,  dans  ses  plus 
tendres  faveurs  :  que  dis-je  ,  il  sera  assis  à 
sa  droite  ?  Il  sera  même  assis  dans  le  Irône 
de  Jésus-Christ ,  il  occupera  sa  place,  il  sera 
le  fils  de  Marie,  par  le  témoignage  de  Jésus- 
Christ  même  :  Femme  ,  voilà  votre  Gis,  Mil- 
lier, ecce  filius  tuus  (Joan.,  XIX,  16). 

Jacques  sera  assis  à  la  gauche  du  Sauveur, 
il  passera  par  les  plus  rudes  épreuves  des 
tribulations,  il  n'aura  que  des  peines  et  des 
fatigues,  il  endurera  mille  tourments,  il  souf- 
frira un  des  plus  cruels  martyres  pour  sou- 
tenir la  foi  de  Jésus-Christ. 

Ainsi  Jésus-Christ  accorde  à  ces  deux  frè- 
res leur  demande;  ainsi  il  exauce  leur  priè- 
re, qu'il  semblait  avoir  voulu  rejeter. 

Et  pour  ne  plus  parler  que  de  saint  Jac- 
ques, dont  cette  église  célèbre  la  fête  avec 
une  solennité  particulière,  et  dont  j'entre- 
prends aujourd'hui  l'éloge,  je  dis,  suivant  la 
pensée  de  saint  Jérôme,  qui  nous  assure 
que  souvent  Dieu  nous  accorde  plus  que 
nous  ne  lui  demandons,  je  dis  que  saint  Jac- 
ques sera  assis  et  à  la  droite  et  à  la  gauche 
de  Jésus-Christ  ,  mais  en  différents  états.  Il 
sera  assis  à  sa  gauche;  prenez  bien  ma  pen- 
sée, Messieurs  ,  car  voici  tout  mon  dessein  : 
il  sera  assis  à  sa  gauche  pendant  sa  vie,  par 
les  travaux  elles  peines  qu'il  endurera  pour 
la  prédication  de  l'Evangile ,  par  ses  souf- 
frances et  par  sa  mort  ;  après  sa  mort  il  sera 
assis  à  la  droite  de  Jésus-Christ,  par  l'hon- 
neur et  la  gloire  qu'il  recevra  particulière- 
ment à  son  tombeau.  En  un  mot ,  ses  tra- 
vaux et  ses  fatigues  dans  la  prédication  de 
l'Evangile,  première  partie;  ses  souffrances 
et  sa  mort  pour  soutenir  la  gloire  de  l'Evan- 
gile, seconde  partie,  cl  c'est  ce  qui  le  place  à 
la  gauche  de  Jésus-Christ;  les  honneurs 
qu'il  reçoit  après  sa  mort,  l'éclat  et  la  gloire 
de  son  tombeau,  troisième  partie;  et  c'est  ce 
qui  le  place  à  la  droite  de  Jésus-Christ  :  trois 
parties  de  ce  discours,  pour  lesquelles  je 
demande  loutc  votre  application. 

pitKMii-n  point. 
Si  nous  considérons  le  ministère  évangéli- 


GKATKCKS  SAGIthS.  liEGAL'LT. 


5C 


«lue  dans  les  principes  de  la  religion  et  sui- 
•  ant  les   maximes   de  Jésus-Christ,  que  lei 

idées  que  nous  nous  en  formeront  seront 
différentes  de  celles  qu'eu  ont  ordinairement 

les  gens  du  monde  ICeoi  qui  le  regardent 

par  les  yeux  de  la  chair  l'envisagent  comme 
un  état  qui  nous  affranchit  des  soins  et  des 
sollicitudes  du  siècle,  comme  un  état,  où,  .1 
la  faveur  de  bénéfices  opulents,  on  trouve 
un  ample  patrimoine  sans  peine,  sans  em- 
barras, sans  travail;  mais  si  nous  !e  regar- 
dons dans  les  vues  de  Dieu,  nous  trouverons 
que  s'il  esl  le  plus  élevé  cl  le  plus  glorieux, 
il  est  aussi  le  plus  laborieux  et  le  plus  pé- 
nible. 

Jésus-Cbrist  n'a  point  caché  à  ses  apôlres 
ce  qu'ils  avaient  à  souffrir  à  son  service  :  Le 
monde,  leur  disait-il,  ne  vous  épargnera  pas; 
s'il  vous  hait,  sachez  qu'il  m'a  hai  avant  vous; 
s'ils  m'ont  persécuté,  soyez  assuré  qu'ils  vous 
persécuteront  aussi  (Joan.,  XV,  20).  Comme 
vous  n'aurez  rien  que  de  rebutant  et  pour 
l'esprit  et  pour  le  cœur  à  prêcher,  vous  ne 
pouvez  vous  attendre  qu'à  des  mépris  et  à 
des  tebuls  de  la  part  des  mondains;  la  vérité 
et  la  vertu  qui  leur  sont  si  odieuses  ne  peu- 
vent manquer  d'être  l'occasion  de  mille  ora- 
ges qui  s'élèveront  contre  vous. 

Je  vous  envoie,  leur  disait-il  encore,  com<ne 
des  brebis  au  milieu  des  loups  (Matth.,  X,  10). 
Un  ouvrier  évangélique  doit  se  regarder 
comme  une  brebis  qui  n'a  que  la  simplicité 
et  la  douceur  à  opposer  aux  persécutions  et 
à  la  fureur  du  monde.  Que  dit  à  Jacques  le 
Fils  de  Dieu  dans  notre  évangile?  Pouvez- 
vous  boire  le  calice  que  je  boirai  {Mutth.,  XX, 
22)?  il  assure  les  souffrances  et  l'amertume 
du  calice,  mais  non  pas  la  tranquillité  et  la 
gloire  d'un  siège  éclatant.  Renoncer  à  toutes 
les  douceurs  et  au  repos  de  la  vie,  renoncer 
ù  soi-même;  travailler  le  jour,  prier  la  nuit; 
n'avoir  d'autre  adoucissement  dans  ses  pei- 
nes que  l'espérance  de  pouvoir  s'y  endurcir 
par  une  longue  habitude  à  les  endurer;  por- 
ter sa  croix  tous  les  jours  en  suivant  Jésus- 
Christ,  c'est  le  sort  des  hommes  apostoliques  : 
leur  ministère  est  une  espèce  d'engagement 
au  martyre,  ils  sont  toujours  prêts  à  se  sa- 
crifier pour  le  salut  des  âmes,  ils  savent  me- 
prieer  une  vie  périssable  pour  en  retrouver 
une  immortelle. 

■Notre  apôlre,  pénétré  de  ces  grandes 
maximes,  se  consacra  tout  entier  au  minis- 
tère évangélique.  Je  ne  m'étendrai  pas  ici 
sur  ce  qu'il  fit  après  sa  vocation  à  l'aposto- 
lat, il  me  suffira  de  dire  qu'appelé  par  Je- 
sus-Chrisl  au  ministère,  il  eut  part  aux  tra- 
vaux de  sa  mission  ,  à  ïes  voyages,  à  ses 
fatigues. 

Quand  la  mission  que  le  Fils  de  Dieu  avait 
donnée  aux  apôlres  eut  été  confirmée  par  la 
descente  du  Saint-Esprit  sur  eux,  ils  se  dis- 
tribuèrent dans  toutes  les  parties  du  monde, 
comme  douze  généreux  conquérants,  pour 
soumettre  toutes  les  nations  aux  lois  et  à 
l'empire  de  Jésus-Christ  ;  ils  allèrent  partout 
où  l'esprit  de  Dieu,  l'ardeur  de  leur  charité 
et  l'impétuosité  de  leur  zèle  les  conduisirent. 

Saint  Jacques  fut  destiné  à  prêcher  l'Evan- 


gile dans  la  Judée  et  dans  la  Galilée  :  ce  fut  la 
le  premier  théâtre  d<-  son  zèle;  il  court  aui 
plus  malades,  lie!  qui  doute  que  le  ma!  ne 
soit  pas  plus  grand,  où  il  y  a  plus  d'ingra- 
titude et  un  plus  Liraud  abus  des  grâces? 
Comme  le  leu  se  communique  premièrement 
aux  parties  les  plus  proches,  ainsi  notre 
apôtre  communique  a  ces  provinces  voisines 
les  première!  ardeurs  de  sa  charité;  il  suit 
les  traces  de  Jésus-Christ,  trop  heureux  de 
mêler  ses  sueurs  a  celles  du  Sauveur  dans 
le  pénible  ministère  de  l'apostolat.  Il  sait  que 
les  principaux  soins  de  cet  aimable  Messie, 
pendant  sa  vie  mortelle,  furent  de  travailler 
au  salut  de  ce  peuple  choisi  ;  il  se  souvient 
de  celle  parole  de  Jésus-Christ  :  Allez  plutôt 
aux  brebis  perdues  de  lu  maison  vitrait 
(Matth.,  \,0),il  rappelle  dans  son  esprit  ce 
que  Jésus-Christ  avait  fait  pour  la  conver- 
sion de  la  Madeleine,  de  la  femme  chana- 
néenne,  du  publicain  il  de  tant  d'autres  sur 
lesquels  il  avait  fait  éclater  les  effets  de  sa 
grande  miséricorde. 

Fidèle  écho  de  la  voix  foudroyante  de  Jean- 
Baptiste  qui  criait  dans  le  désert,  sur  les  ri- 
ves du  Jourdain,  il  reproche  avec  véhé- 
mence aux  Juifs  endurcis  leur  opiniâlre  ré- 
sistance à  la  fjrâce;  il  les  menace  de  la  colère 
et  de  la  vengeance  de  Dieu,  s'ils  ne  devien- 
nent dociles  à  sa  parole  et  à  ses  douces  in- 
sinuations; il  leur  ouvre  l'enfer  pour  leur 
montrer  les  peines  terribles  qui  les  atten- 
dent, s'ils  ne  font  de  dignes  fruits  de  péni- 
tence. Peuple  autrefois  si  chéri  de  Dieu, 
maintenant  l'objet  de  sou  indignation  par 
vos  infidélités,  pouvez-vous,  leur  dit-il,  échap- 
per à  sa  justice?  Oui  vous  donnera  un  asile 
pour  vous  mettre  à  couvert  des  jugements 
formidables  d'un  Dieu,  qui,  mesurant  ses 
vengeances  sur  l'étendue  de  ses  miséricor- 
des qu'on  aura  méprisées,  traitera  les  pé- 
cheurs infidèles  et  impénitents  avec  d'au- 
tant plus  de  sévérité,  qu'il  aura  eu  pour  eux 
plus  de  douceur  cl  d'indulgence?  Jusqu'à 
quand  mépriserez-v  ous  les  richesses  infinies 
de  sa  boule?  jusqu'à  quand  lasserez-vous  sa 
patience?  jusqu'à  quand  foukrez-vous  aux 
pieds  le  sang  d'un  Dieu  encore  fumant  sur 
le  Calvaire,  que  vous  avez  cruellement  ré- 
pandu? 

Saint  Jacques  gronde,  tonne,  éclate  contre 
les  pécheurs,  contre  les  pharisiens,  contre 
les  prêtres,  contre  les  magiciens;  ses  paro- 
les sont  autant  de  coups  de  tonnerre  qui  jet- 
tent partout  la  terreur  et  l'effroi. 

De  la  Judée  et  de  la  Galil  e  il  1  assc  dans 
la  ville  de  Samarie.  Quels  furent  les  senti- 
ments de  notre  apôlre  lorsqu'il  y  entra.' 
Dieu  différents  de  ceux  dont  il  était  animé 
lorsque  ce  peuple  mural  et  infidèle  refusa 
de  recevoir  le  Sauveur  Luc,  1\,  '»;.  li  ne 
parla  pis  de  faire  descendre  le  feu  du  ciel 
pour  les  consumer;  il  ne  songea  qu'à  allu- 
mer dans  leurs  cœurs  le  feu  de  l'amour  di- 
vin ;  il  se  souvint  que  C 'étaient  la  les  flammes 
dont  Jesus-l'.'nisl  voulait  que  ses  disciples 
brûlassent  tout  le  monde,  quand  il  leur  di- 
sail  :  Jr  suis  venu  pour  jeter  le  jeu  dans  la 
terre,  l'ardeur  de  la  charité,  le  zèle  du  salut 


57 


des  âmes;  et  que  désiré-je  sinon  qu'il  s'al- 
lume {Luc,  XII,  49)? 

Il  sentit  ce  zèle  amer  el  chagrin  dont  il 
était  autrefois  animé  contre  les  Samaritains, 
se  changer  en  des  entrailles  de  douceur  et 
de  tendresse  envers  eux  ;  il  les  avertit  qu'il 
venait,  non  pas  pour  les  perdre,  mais  pour 
travailler  à  leur  salut;  il  leur  rappelle  le 
souvenir  des  merveilles  qu'une  femme  sa- 
maritaine avait  publiées  du  Messie.  Il  avait 
appris  dans  l'école  de  Jésus-Christ  que  l'es- 
prit de  la  nouvelle  loi  est  un  esprit  de  dou- 
ceur et  de  charité  qui  bannit  l'aigreur  et  l'a- 
mertume du  cœur;  que  les  disciples  d'un 
Dieu  qui  venait  de  mourir  pour  ses  ennemis 
ne  doivent  penser  qu'à  sacrifier  leur  vie 
pour  ceux  mêmes  qui  les  persécutent. 

Après  avoir  éclairé  cette  ville  des  lumières 
de  l'Evangile  ,  il  parcourt  toute  !a  province 
de  Samarie.  Que  n'eut-il  pas  à  souffrir  pour 
la  foi,  de  ces  peuples  rebelles  et  idolâtres  ! 
On  sait  assez  la  haine  mortelle  qui  était  en- 
tre les  Juifs  et  les  Samaritains  depuis  la  di- 
vision des  dix  tribus,  de  celles  de  Juda  et  de 
Benjamin,  qui  fut  faite  sous  l'empire  de  Jéro- 
boam, en  punition  de  l'idolâtrie  de  Salomon 
(III  Iieg.,  XII). 

Quand  noire  apôtre  veut  faire  entendre 
que  le  mur  de  séparation  va  être  abattu; 
quand  il  parle  de  la  réunion  de  toutes  les 
nations  dans  une  même  religion;  quand  il 
dit,  après  le  Sauveur,  que  le  temps  est  venu 
qu'on  n'adorera  plus  le  Père  ni  sur  cette  mon- 
tagne ni  dons  Jérusalem  (Joan.,lV,  21),  mais 
que  toute  la  terre  sera  comme  un  temple,  où, 
sans  distinction  de  lieux,  on  adorera  partout 
le  Père  en  esprit  et  en  vérité,  les  Samaritains 
s'imaginent  qu'il  veut  rassembler  les  tr.bus 
divisées  et  réunir  des  peuples  irréconcilia- 
bles; ils  le  regardent  comme  un  séditieux 
dont  les  discours  portent  à  la  ruine  de  l'Etat. 
Pcnse-t-il  de  renverser  les  fameux  temples  de 
liélhel  et  de  Fan,  d'abattre  les  deux  idoles  du 
veau  d'or  que  Jéroboam  y  avait  fait  placer 
pour  détourner  les  Israélites  du  culte  du  vrai 
Dieu  et  leur  ôter  l'envie  de  l'aller  adorer  dans 
le  temple  de  Jérusalem  (III  Reg.,  XII)?  Pcnse- 
l-il  de  détruire  les  hauts  lieux,  d'abolir  le 
culte  des  dieux  étrangers  et  de  faire  cesser 
les  sacrifices  abominables  qu'on  leur  offrait, 
on  le  poursuit  comme  un  perturbateur  du 
repos  et  de  la  tranquillité  publique,  qui,  sous 
un  spécieux  prétexte  de  religion,  vient  pour 
ruiner  les  fondements  de  l'Etat;  qui,  comme 
tout  le  monde  sail,  ne  subsistait  que  par  l'i- 
dolâtrie et  par  la  rébellion  des  sujets  contre 
leur  roi  légitime. 

Cependant  saint  Jacques  prêche  sans 
crainie  ce  nouvel  Evangile;  il  dit  hardiment 
qu'il  faut  renverser  ce  mur  fatal  qui  sépare 
depuis  longtemps  ces  deux  peuples  ;  il  publie 
hautement  que  dans  la  religion  qu'il  annonce 
il  n'y  a  point  de  distinction  entre  le  Juif,  le 
Grec,  le  Samaritain  ;  que  le  chemin  qui  con- 
duit à  la  foi  et  au  salut  est  ouvert  pour  tout 
le  monde,  cl  que  tous  ne  doivent  être  qu'un 
en  Jésus-Christ  (Kph.,  IV),  parce  qu'ils  n'ont 
tous  qu'un  même  Dieu,  un  même  baptême, 
une  même  loi,  el  que  tous  sont  appelés  à  une 


PANEGYRIQUE  DE  SAINT  JACQUES  LE  MAJEUR.  58 

même  espérance.  Quel  courage  !  A  quoi  n'est- 
ce  pas  s'exposer,  de  prêcher  des  vérités  si 
nouvelles,  qui,  selon  la  politique  établie  dans 
tout  le  pays,  paraissent  si  pernicieuses  et  si 
capables  d'attirer  sur  lui  toute  l'indignation 
des  peuples  ! 

Mais  ce  n'est  pas  assez  pour  notre  apôtre 


le  Hé!  pourquoi  resserrer  dans  un  si  petit  es- 
pace la  vaste  étendue  de  son  zèle?  Je  n'exa- 
minerai pas  ici,  Messieurs,  si  saint  Jacques 
a  été  en  Espagne  et  s'il  y  a  prêché  l'Evangile  ; 
c'est  une  question  plus  propre  pour  une  his- 
toire que  pour  un  éloge;  je  le  suppose  avec 
Pelage,  évêque  d'Oviède ,  avec  les  papes 
Léon  III  et  Callixte  II,  avec  saint  Anlonin, 
saint  Isidore,  le  vénérable  Bède  et  plusieurs 
autres  savants  auteurs,  qui,  fondés  sur  la 
tradition  de  toute  l'Espagne,  sont  de  ce  sen- 
timent. 

Des  extrémités  de  la  Palestine,  saint  Jac- 
ques regarde ,  à  travers  celte  vaste  étendue 
de  mers,  l'Espagne  comme  une  terre  de  pro- 
mission où  il  doit  entrer  pour  combattre  les 
ennemis  du  Seigneur  el  les  soumettre  à  î'em- 
pire  de  Jésus-Chrisl;  il  voit  avec  douleur  ces 
puissants  royaumes  plongés  dans  les  ténèbres 
de  l'idolâtrie  ;  il  traverse  les  mers,  il  franchit 
les  montagnes  et  les  rochers  les  plus  inac- 
cessibles; enfin,  malgré  les  orages,  les  tem- 
pêtes et  les  écueils,  il  aborde  en  Espagne. 

C'est  ici  que,  suivant  le  nom  de  Fils  du 
Tonnerre  qu'il  a  reçu  de  la  bouche  même  du 
Fils  de  Dieu,  il  en  produit  les  effets;  car, 
comme  les  foudres  et  les  éclairs  portent  leur 
lumière  et  leur  éclat  d'un  pôle  à  l'autre  ; 
comme  l'éclair  qui  est  engendré  du  tonnerre 
sort  de  l'orient  et  paraît  tout  à  coup  à  l'occi- 
dent ,  Sicut  fulyur  exil  ab  oriente,  el  par  et 
usque  in  occidentem  {M  al  th.  ,  XXIV,  27), 
ainsi  saint  Jacques  sort  de  la  Palestine  el  va 
dans  l'Espagne  pour  l'éclairer  des  lumières 
de  l'Evangile. 

Ne  semble-t-il  pas,  Messieurs,  qu'il  y  a  eu 
quelque  force  el  quelque  vertu  particulière 
dans  les  noms,  quand  Dieu  les  a  imposés  ou 
changés?  Les  parents  du  précurseur  du 
Messie  le  nommaient  Zacharie,  du  nom  de 
son  père  (Luc,  I,  59)  ,  cependant  Dieu  vou- 
lut qu'il  fût  appelé  Jean,  qui  signifie  la  grâce 
et  la  miséricorde  de  Dieu,  pour  marquer  qu'il 
avait  été  rempli  des  plus  riches  dons  du  ciel, 
et  qu'il  devait  annoncer  l'auteur  de  la  grâce 
et  de  toute  sainteté.  Jésus-Chrisl  changea  le 
nom  de  Simon  en  celui  de  Pierre  [Marc,  III, 
16),  aussi  fonda-t  il  s  >n  Eglise  sur  celle 
pierre  ferme.  Du  seul  changement  de  nom  de 
^ainl  Jacques,  nous  pouvons  juger  quelle 
fut  la  force,  l'ardeur,  l'activité  de  son  zèie. 

Le  tonnerre,  dit  saint  Augustin,  esl  comme 
la  voix  de  Dieu,  qui  souvent  s'en  est  servi 
pour  expliquer  ses  volontés  aux  hommes, 
pour  les  instruire  sur  leurs  devoirs,  pour  leur 
intimer  ses  lois.  Lorsque  le  Seigneur  donna 
sa  loi  à  Moïse  sur  la  montagne,  ce  fut  parmi 
les  éclairs  ,  les  tonnerres  el  les  foudres 
[Exod.,  XIX). 

Bien  n'est  plus  vif,  plus  subtil,  plus  rapide 
que  le  feu  du  tonnerre  :  renfermé  dans  le 
sein  de  la  nue,  il  brille  en  éclairs,  brûle  les 


M 


OftATEUIlS  SACRES.  HEGAI.'LT. 


(VI 


parties  les  plus  voisines,  et,  ne  trou  va  ni  |  as 
OM0Z  d'étendue,  il  m  bit  jour  avec  nn  mou- 
\  fuient  impétueux  à  travers  l'exhalaison  cn- 
llammée,  pari  d'une  rapidité  étonnante,  el  vu 
communiquer  bien  loin  s  s  feux  cl  tes  11  a  m- 
i.  ea,  luise,  consume,  rédoit  en  cendres  tout 
ce  qu'il  trouve,  por  e  la  frayeur  et  la  con- 
sternation dans  lo   La  la  nature. 

Tel  on  \il  sainl  Jacques,  dans  l'ardeur  de 
son  zèle  pour  la  glnire  de  Dieu  et  dans  le  feu 
de  sa  prédication,  se  communiquer  d'abord 
aux  Juifs  et  aux  Samaritains,  éclairer  ceux 
qui  élaient  assis  dans  les  ténèbres  cl  dans 
l'ombre  de  la  mort,  abattra  les  esprits  les 
plus  ailiers,  effrayer  les  plus  fiers  el  les  plus  . 
hardis  par  les  vérités  terrible*  qu'il  leur  an- 
nonçait, et,  emporté  par  son  zèle  hors  de 
lui-même,  aller  se  répandre  comme  un  fou- 
dre aux  régions  les  plus  reculées. 

Entrons,  il  ca  est  temps,  dans  l'Espagne 
où  notre  apôtre  va  porter  l'Evangile.  Déjà 
votre  esprit  vous  le  représente  dans  Sala- 
luanque,  dans  Burgos,  dans  Madrid,  dans 
Tolède,  dans  S aragosse.  Vous  le  voyez  com- 
ballre  l'idolâtrie  dans  son  centre,  vous  l'en- 
tendez lonner  contre  les  dérèglements,  dé- 
clamer conlre  l'orgueil.  Lorsque  ce  fils  du 
tonnerre  publia  l'Evangile  dans  ces  vasles 
royaumes,  comme  il  avait  fait  dans  la  Judée, 
dans  la  Galilée,  dans  la  Samarie,  on  peut 
dire  qu'il  arriva  ce  que  nous  lisons  dans  l'E- 
xode, quand  Dieu  donna  la  loi  ancienne  à 
Moïse  :  On  enlendil  des  tonnerres  parmi  des 
voix,  on  vit  briller  des  éclairs  :  Et  cœperunl 
audiri lonitrua  et  micare  fulgura(Exod.,X\X, 
1G).  Toutes  les  paroles  de  cet  apôtre  z  le 
étaient  comme  autant  d'éclairs  brillants  et  de 
tonnerres  éclatants  qui  portaient  la  lanière 
dans  les  esprits  et  la  terreur  dans  les  cœurs; 
de  sa  bouche  comme  du  trône  de  l'Agneau, 
sortaient  des  éclairs,  des  tonnerres  et  des 
voix  :  Et  de  throno  procedebant  fulgitra,  et 
voces,et  tonitrua  (Apoc,  IV, 5).  De  sorte  que 
nous  pouvons  dire  de  saint  Jacques,  lorsqu'il 
prêchait  l'Evangile,  ce  qu'un  fameux  rhéteur 
disait  d'un  orateur  de  son  temps,  qu'il  parlait 
et  haranguait  bien  moins  qu'il  ne  tonnait  et 
foudroyait  :  Non  tam  loqui  et  perorare,  quum 
fulgurare  et  lonare  videbatur  (QuintiL,  de 
Inslit.  Orat.).  Et,  pour  faire  toujours  notre 
même  allusion,  comme  on  voit  le  feu  du  ton- 
nerre renfermé  dans  une  nue,  en  partir  avec 
un  borriltlc  fracas,  briller,  éclater,  briser 
tout  ce  qui  s'oppose  à  son  passage,  ainsi 
notre  Boanergès,  après  avoir  conçu  dans  son 
cœur  le  feu  de  l'amour  s;:eré  et  une  vive  ar- 
deur du  salut  des  nations,  il  brille,  il  tonne, 
il  épouvante  les  pécheurs,  renverse  les  ido- 
les, détruit  leurs  temples  el  leurs  autels, 
brise, écrase  tout  ce  qui  s'oppose  aux  efforts 
de  son  zèle  :  Quis  poterit  lovitrmnn  c;us 
magnitudinis  intueri  (Jub,  XXVI,  1'»)? 

Que  n'ai-jc  le  secrel  de  tracer  dans  votre 
esprit  une  idée  nette  et  vive  de  toutes  les 
actions  apostoliques  de  saint  Jacques  dans 
l'Espagne,  dont  une  partie  semble  presque 
incroyable  1  Je  vous  ferais  voie  en  abrégé  : 
là  il  détruit  le  culte  sacrilège,  ici  il  élève  des 
autels  au  vrai  Dieu;  là  il  prêche  la  divinité 


'  ras-Christ,  ici  (1  montre  la  vanité  des 

-  :  la  il  combat  les  près' L'es  di  s  magi 
ciens  séducteurs,  ici  il  soutient  des  disputes 
de  religion  contre  des  prêtres  idoi 
éten  lards  de  la  crois  que  vous  voyez  arbo- 
res dans  ces  grandes  villes  ont  été  plantes 
s  soins;  ce  lieu  magnifique  où  M  jrie 
csl  honorée  avee  un  si  grand  concours,  est. 
suivant  l'ancienne  tradilion,  un  temple  qu'il 
bâtit  et  qu'il  consacra  à  Dieu  sous  les  auspi- 
t'infocation  de  celte  Vierge  incompa- 
rable. 

Je  le  vois  parcourir  tous  ces  grands  royau- 
mes. 11  poussa  jusqu'aux  coloaues  d'Hercule, 
jusqu'aux  extrémités  de  1  Enrope.  Mais  di- 
sons à  sa  gloire  qu'il  pénétra  encore  plus 
loin  :  WttJ  ultra;  car  enfin  n'est  il  pas  juste 
de  lui  attribuer,  comme  un  fruit  de  son  ai  o- 
slolal,  les  glorieuses  conquête  qu'oui  faites 
à  Jésus-Christ  les  Espagnols  dans  les  Indes 
et  dans  le  nouveau  monde,  où  il*  onl  an- 
noncé à  des  peuples  infidèles  cl  barbares 
l'Evangile  qu'ils  ont  reçu  de  la  bouche  de 
leur  apôlre? 

Mais  qui  pourrait  exprimer  les  peines  et 
les  faliuues  qu'il  endura,  les  difficultés  et  les 
obstacles  qu'il  lui  fallut  surmonter?  Il  sa\ail 
que  l'orgueil  et  lafierlédes  anciens  Espagnols 
ne  pouvait  guère  s'accorder  avec  la  honte 
et  l'humilité  de  la  croix  ;  il  savait  que  ce  peu- 
ple audacieux,  qui  par  sa  valeur  a\  it  n 
longtemps  résisté  aux  armes  victorieuses  des 
Romains,  et  qui  avait  si  sou  eut  s  roué  leur 
joug  :  Xationem  sœpc  rebell'in'em  (Tit.  Liv.. 
lib.  xxxiv),  ne  pouvait  que  irc^-dif.'cilcment 
se  soumettre  à  la  loi  de  Jésus-Chris!  ;  il  savait 
qu'une  nation  qui  dans  ces  siècles  reculés 
voulait  dominer  parloul  n'écoulerait  pas  vo- 
lontiers un  Evangile  qui  a  pour  fondement 
la  docilité  et  l'anéantissement  de  l'esprit. 
Quelle  apparence  de  planter  la  croix  dans 
un  pays  où  les  Césars  n'avaient  pu  qu'après 
plusieurs  combats  faire  entrer  les  aigles  ro- 
maines ?  Quelle  apparence  qu'une  nation 
dont  la  maxime  était  de  ne  changer  jamais, 
quittera  ses  mœurs,  abandonnera  la  religion 
de  ses  pères,  pour  en  embrasser  une  nou- 
velle sur  la  loi  d'un  homme  étranger  et  in- 
connu? 

Cependant,  Messieurs,  rien  ne  le  rebute  : 
les  difficultés  qui  paraissent  les  plus  invinci- 
bles ne  serrent  qu'à  redoubler  son  cour 
il  ose  prêcher  Jésus-ChrisI  crucifié  cl  se>  my- 
stères les  plus  humiliants,  cl  dispose  enfin 
ces  vastes  royaumes  à  devenir  un  jour  les 
plus  catholiques  du  christianisme. 

Ne  finissons  pas  celle  première  partie, 
mes  frères,  sans  faire  une  réflexion  qui  ser- 
vira de  morale  pour  noire  instruction.  Sainl 
Jacques  lui  un  des  premiers  apôtres  des 
gentils;  il  combattit  l'idolâtrie  par  tous  les 
efforts  de  son  zèle,  liiàces  au  ciel,  les  pré- 
dicateurs êrangé  iques  n'ont  plus,  nomme  lai 
apôtres  des  premiers  sièoles,  à  cowl  altrn  les 
idolâtres  i'esprit,  puisque  nous  n'adorons 
tous  qn'nn  seul  Dieu  immortel;  mais  qu'il  y 
B  |  iiini  les  chrétiens  d'aujourd'hui  d'idolà- 
1res  de  cœur,  qui  semblent  vouloir  delruire 


Cl  PANEGYRIQUE  DE  SAINT 

l'unité  de  Dieu  par  un  indigne  partage  do 
leurs  affections  à  des  objets  criminels  ! 

Cet.  adorateur  d'une  beauté  mortelle,  à  la- 
quelle, comme  à  sa  divinité,  il  donne  son 
encens, à  laquelle  il  rend  ses  hommages  sou- 
verains; ces  hommes  de  délices,  qui,  dans  les 
termes  de  l'Apôire  (PliiL,  111,  19),  font  le.ir 
Dieu  de  leur  ventre,  qui  mettent  leur  gloire 
dans  leur  propre  honte;  ces  mauvais  riches, 
qui,  par  une  avarice  sacrilège,  que  saint 
Paul  appelle  une  idolâtrie  (Coloss.,  111,  5), 
adorent  le  veau  d'or,  et  ne  reconnaissent 
d'autre  divinité  que  leurs  richesses  ;  ces 
hommes  passionnés  pour  la  gloire, qui,  pous- 
sés par  une  horrible  ambition,  ne  forment 
des  vœux  que  pour  les  charges,  les  dignités, 
les  postes  éclatants,  et  qui  n'adorent  que  la 
fortune;  tous  ces  idolâtres  qui  font  pour  l'ob- 
jet de  leur  amour,  pour  le  plaisir,  pour  l'ar- 
gent, pour  la  gloire,  tout  ce  qu'ils  doivent 
faire  pour  Dieu,  c'est  contre  celle  espèce  d'i- 
dolâtrie qu'il  faut  tourner  tout  notre  zèle  et 
toutes  nos  déclamations. 

Quel  déplorable  malheur,  dit  saint  Chry- 
soslome,  qu'après  que  par  la  prédication  des 
apôtres,  par  le  zèle  et  la  piété  des  empereurs 
chrétiens, les  idoles  ont  été  renversées;  qu'a- 
près que  le  culte  impie  et  sacrilège  a  été 
aboli,  les  chrétiens  élèvent  dans  leur  cœur 
de  nouvelles  idoles,  auxquelles  ils  sacrifient 
leur  religion, leur  conscience  et  tout  ce  qu'ils 
ont  de  plus  sacré. 

Détruisez,  Seigneur,  cette  espèce  d'idolâ- 
trie, qui  ne  règne  que  trop  parmi  les  chré- 
tiens, idolâtrie  aussi  criminelle  que  celle  de 
l'esprit.  Faites  par  votre  grâce,  ô  mon  Dieu! 
que  nous  n'adorions  que  vous,  que  nous 
n'aimions,  que  nous  ne  servions  que  vous. 

Profitons,  mes  frères,  de  la  prédication  de 
saint  Jacques  :  soyons  effrayes  par  les  éclats 
terribles  de  ce  tonnerre  que  la  miséricorde 
fait  gronder  encore  tous  les  jours  sur  la  lélc 
des  pécheurs  ;  soyons  frappés  d'une  crainte 
salutaire,  qui  nous  porte  à  faire  de  dignes 
fruits  de  pénitence. 

Nous  avons  vu  les  travaux  et  les  fatigues 
de  saint  Jacques  dans  la  prédication  de  l'E- 
vangile. Considérons  ses  souffrances  et  sa 
mort  |  our  la  gloire  de  l'Evangile  :  seconde 
partie  de  ce  discours. 

DEUXIÈME    POINT. 

Saint  Jacques  commença  ses  souffrances 
et  son  martyre  au  jardin  des  Oliviers,  la 
veille  de  la  passion  du  Sauveur;  c'est  là  qu'on 
peut  dire  qu'il  fut  assis  à  sa  gauche,  par  la 
douleur  cx<  essive  qu'il  y  ressentit  ;  il  but  en 
ce  lieu  d'amertume  une  portion  du  calice 
qui  fui  présenté  à  Jésus-Christ,  pour  vérifier 
ces  paroles  qu  il  lui  avait  dites  :  Vous  boirez 
mou  calice  :  Calicem  meum  bibetis  (Illattli., 
XX, 23).  Quelle  douleur  pour  un  disciple  qui 
aime  son  maître  et  qui  en  est  aimé  tendre- 
ment, de  le  voir  triste  jusqu'à  la  mort,  près 
d'être  livré  entre  les  mains  d'une  troupe  in- 
humaine de  bourreaux,  baigné  dans  ses  lar- 
mes et  dans  son  sang,  plongé  dans  une  agonie 
mortelle  1 

Depuis  sa  vocation  à  l'apostolat,  Il  passa 


JACQUES  LE  MAJEUR.  G2 

toute  sa  vie  dans  les  douleurs  et  dans  la 
souffrance.  Il  est  vrai  qu'il  goûta  les  dou- 
ceurs du  Thabor  (Matth.,  XVII,  1),  mais  que 
ces  joies  furent  de  peu  de  durée!  Aussi  celte 
gloire  nous  esl-elle  représentée  sous  la  fi- 
gure de  la  neige  qui  fond  au  moindre  rayon 
du  soleil.  Ces  joies  furent  bientôt  troublées 
par  le  réi  il  amer  que  fit  le  Sauveur  de  ce 
qu'il  devait  endurer  à  sa  passion.  Nous  ne 
li  ons  pas  qu'il  ait  demandé  à  Jésus-Christ, 
comme  saint  P  erre,  de  dresser  sur  cette 
montagne  des  lentes  pour  y  demeurer. 

Quelle  fut  la  douleur  de  notre  apôtre, 
Messieurs,  quand  il  vit  le  peu  de  fruit  que 
produisait  la  semence  de  la  divine  parole 
qu'il  répandait  dans  ces  pays  infidèles  !  Car 
c'est  une  opinion  commune  qu'il  ne  conver- 
tit que  très-peu  de  personnes  dans  l'Espa- 
gne. Un  laboureur  porte  avec  patience  le 
poids  du  jour  et  de  la  chaleur,  quand  il  es- 
père une  ample  moisson  ;  il  se  souvient  avec 
plaisir  de  ses  fatigues  et  de  ses  peines,  quand 
il  recueille  le  fruit  de  son  travail  :  mais 
quelle  douleur  pour  lui,  quand,  après  avoir 
cultivé  une  terre  avec  tous  les  soins  imagi- 
nables, elle  ne  produit  que  des  ronces  et  des 
épines  :  J£ tintes  ibant  et  flebant  mittentes  se- 
mina  sua  (Psal.  CXXV,  0). 

Une  des  pensées  qui  affligèrent  plus  sen- 
siblement le  Fils  de  Dien  dans  le  jardin  des 
Oliviers,  fui  de  voir  que  ses  travaux  et  sa 
passion  seraient  inutiles  à  plusieurs  parleur 
malice  :  ce  fut  cette  idée  qui  lui  fil  pousser 
la  plainte  douloureuse  que  lui  met  à  la  bou- 
che dans  un  sens  figuré  le  roi-prophète:  Quœ 
utililas  in  sanguine  meo  (Psal.  XXIX,  10)? 
Ah  !  faut-il  mourir  pour  des  ingrats  1  verser 
un  sang  capable  de  laver  mille  mondes,  et 
cependant  que,  par  l'infidélité  des  hommes, 
il  ne  sauve  qu'un  fort  petit  nombre  d'élus! 

Telle,  avec  quelque  proportion,  est  fa  dou- 
leur de  notre  apôtre.  Ah  !  Seigneur,  faut-il 
que  j'aie  répandu  une  semence  inutile  dans 
cette  terre  ingrate  ?  Fallait-il  passer  les  ter- 
res et  les  mers,  fallait-il  essuyer  tant  de 
fatigues,  répandre  tant  de  sueurs,  pour  con- 
vertir un  si  petit  nombre  d'âmes  parmi  tant 
de  peuples  auxquels  j'ai  prêché  vos  vérités 
éternelles,  ô  mon  Dieu  ! 

Mais  consolez- vous,  grand  saint,  les  dis- 
ciples zélés  que  vous  avez  convertis  feront 
fructifier  dans  son  temps  la  semence  de  la 
divine  parole  que  vous  avez  jetée  dans  ces 
terres  stériles  :  bientôt  ils  soumettront  à  Jé- 
sus-Christ ces  âmes  rebelles  qui  résistent 
avec  tant  d'opiniâtreté  au  Saint-Esprit  et  aux 
vérités  célestes  que  vous  leur  avez  annon- 
cées, il  vous  est  également  avantageux  que 
vous  triomphiez  par  vos  mains  ou  parcelles 
des  disciples  fidèles  que  vous  avez  formés 
sur  vos  exemples.  Dieu  a  écoulé  la  prépara- 
tion de  votre  Cœur  ;  si  vous  n'avez  pas  tou- 
jours vaincu,  vous  avez  du  moins  toujours 
mérité  de  vaincre. 

El  vous-même,  grand  apôtre,  vous  revien- 
drez un  jour  en  Espagne,  et  vos  ossements 
sacrés  vaincront  la  dureté  de  ces  cœurs  in- 
doeilcs;  vos  cendres,  semées  dans  ces  terres 
ingrates,  les  rendront  fécondes.  Le  royaume 


G3 


OKATEL'RS  SACHES.  BEGAULT. 


(4 


d'Espagne  sera  un  des  plus  catholiques  de 
toul  le  inonde  chrétien  ;  jamais  les  Espagnols 
^abandonneront  la  foi  qu'ils  auront  une  fois 
embrassée;  le  reste  des  idoles  qui  subsistent, 
vous  les  verrez  bientôt  tomber  au\  pieds  de 
la  croix,  bientôt  vous  verrez  leurs  temples 
abattus,  et  nos  églises  élevées  sur  les  ruines 
des  autels  où  le  démon  se  fait  encore  adorer. 

Que  dirai-je  de  la  douleur  que  ressentit 
notre  apôtre,  quand,  pour  obéir  aux  ordres 
de  la  Providence,  il  se  vil  obligé  de  quitter 
l'Espagne  sans  y  avoir  versé  sou  sang  pour 
la  gloire  de  l'Evangile  qu'il  y  avait  prêché  ? 
Mais  il  se  console  par  l'assurance  que  le  ciel 
lui  donne  que  son  sacrifice  n'est  différé  que 
pour  augmenter  ses  souffrances  :  In  nidulo 
meo  moriar,  dit-il  (Job,  XXIX,  18),  je 
mourrai  dans  ma  patrie.  Comme  le  tonnerre, 
après  avoir  brillé,  grondé,  éclaté  ici-bas, 
remonte  dans  le  lieu  d'où  il  est  parti,  et 
qu'enfin  il  s'y  perd  et  s'y  éteint ,  ainsi  notre 
enfant  du  tonnerre,  après  avoir  parcouru 
l'Espagneel  plusicursaulres  royaumes, après 
avoir  éclairé  différents  peuple;  des  lumières 
de  l'Evangile,  après  avoir  épouvanté  les  ido- 
lâtres elles  pécheurs,  retourne  enfin  dans 
la  Palestine  pour  v  reprendre  le  ministère 
de  son  apostolat  :  Numquid  mittes  fulgura  , 
et  ibunt,  et  revertenliu  dicenl  tibi  :  Adsumus 
(Job,  XXXIII,  33). 

Ce  fut  dans  la  Judée  qu'il  re prêcha  l'Evan- 
gile avec  une  nouvelle  ardeur  et  avec  tant 
de  force,  qu'Hérode  Agrippa,  ennemi  déclaré 
de  la  loi  de  Jésus-Christ,  lui  fit  trancher  la 
tête,  comme  pour  éteindre  la  religion  dans 
le  sang  de  celui  qui  en  était  un  des  plus  gé- 
néreux défenseurs.  Victime  de  son  zèle,  vic- 
time de  la  politique  de  ce  prince  cruel  et  de 
sa  haine  implacable  contre  l'Eglise  naissan- 
te, il  eut  la  primauté  du  martyre  entre  les 
apôtres  :  primauté  mille  fois  plus  glorieuse 
et  plus  avantageuse  que  celle  qu'il  demanda 
à  Jésus-Christ  par  l'entremise  de  sa  mère. 

Ici,  Messieurs,  je  me  représente  Moïse  à  la 
tète  des  Israélites  poursuivis  par  l'année  de 
Pharaon,  qui  leur  trace  le  chemin  à  travers 
la  mer  Rouge  qu'il  faut  passer  pour  éviter 
la  fureur  d'un  prince  irrité.  Moïse  élève  sa 
verge,  étend  sa  main  sur  la  mer  (Exod., 
XIV);  la  mer  s'arrête  pour  obéir  aux  ordres 
de  Dieu;  les  eaux,  de  part  et  d'autre  élevées 
et  suspendues  comme  des  murs  de  crislal , 
laissent  au  peuple  le  passage  libre  au  milieu 
des  Ilots.  Cependant  chacun  frémit  d'horreur' 
à  la  vue  d'un  spectacle  si  élonnaut  et  si  nou- 
veau ;  la  crainte  du  danger  fait  pâlir  les  plus 
hardis;  les  Israélites,  quelque  confiance 
qu'ils  aienl  en  la  toute-puissance  que  Dieu  a 
transmise  à  ce  grand  prophète,  n'osent  avan- 
cer, dans  la  crainte  de  se  voir,  au  milieu  de 
leur  course,  ensevelis  dans  ces  moQldgn.es 
d'eau. 

Dans  ce  moment  je  vois  Moïse,  pour  ras- 
surer le  peuple  et  ranimer  son  courage,  je 
le  vois  ce  généreux  capitaine  marcher  le 
premier,  franchir  ces  gouffres  et  ces  abîmes 
affreux,  arriver  enfin  à  l'autre  rivage,  forçant 
ce  peuple  timide  et  chancelant,  par  l'exemple 
de  son  intrépide  courage,  à  le  sui\  re. 


Tel  je  vois  aujourd'hui  saint  Jacques,  à  la 
téle  des  apôtres  de  Jesns-Christ ,  comme  un 
illustre  général,  passer  le  premier  à  travers 
la  mer  Rouge  qu'ils  devaient  former  Je  leur 
sang,  cl  les  conduire  tous  par  les  traces  de 
sou  sang  au  mérite  et  à  la  gloire  du  martyre, 
le  mêlant  presque  à  celui  de  Jésus-Christ  fu- 
mant encore  sur  le  Calvaire. 

Je  vous  ai  fait  voir.  Messieurs,  saint  Jacques 
assis  à  la  gauche  de  Jésus-Christ  par  les  pei- 
nes, les  travaux  et  les  fatigues  de  sa  prédi- 
cation ,  par  ses  souffrances  et  son  martyre  : 
il  est  temps  que  je  vous  le  représente  as^is 
à  la  droite  de  Jésus-Christ  par  la  gloire  qu'il 
reçoit  après  sa  mort,  principalement  à  son 
tombeau  :  c'est  la  troisième  partie  de  ce  dis- 
cours. 

TROISIEME    POINT. 

Je  ne  parlerai  pas,  Messieurs,  de  cette 
gloire  que  saint  Jacques  possède  dans  le 
ciel ,  gloire  qu  •  Dieu  donne  à  ses  élus ,  selon 
le  décret  de  sa  grâce,  et  selon  leurs  bonnes 
œuvres  (Rom.,  H,  G;  IV,  5);  je  veux  parler 
ici  de  la  gloire  particulière  qu'il  reçoit  à  son 
tombeau.  Je  trouve  cette  différence  entre  les 
tombeaux  des  saints,  principalement  celui  de 
notre  apôtre  et  les  tombeaux  ordinaires,  que 
ceux-ci  sont  l'écueil  fatal  où  se  brisent  la  pom- 
pe, l'éclat  et  toute  la  gloire  des  plus  grands 
hommes,  et  qu'au  contraire  c'est  au  tombeau 
que  commence  la  gloire  des  saint*.  Disons-le 
avec  justice  de  saint  Jacques,  qu'à  sa  mort, 
enfermé  dans  son  tombeau  ,  il  triomphe  avec 
plus  de  gloire  des  cœurs  les  plus  rebelles  : 
semblable  à  Samson,  qui  ne  triompha  jamais 
avec  plus  d'éclat  des  ennemis  qu'il  avait 
combattus  pendant  sa  vie,  que  lorsqu'il 
mourut  enseveli  sous  les  ruines  de  l'édifice 
qu'il  renversa. 

Jacques  combat  lit  pendant  sa  vieil  triomphe 
après  sa  mort  :  caché  sous  son  tombeau  il 
rend  féconde  la  semence  de  la  parole  évan- 
géliqne,  qui  durant  sa  vie  avait  |  aru  stérile 
et  infructueuse  par  l'opiniâtre  incrédulité 
des  peuples  auxquels  il  avait  prêché  :  de 
même,  en  quelque  manière,  que  les  semences 
qu'on  a  jetées  dans  la  terre  ne  produisent 
des  fleurs  e!  des  ffuits  qu'après  qu'elles  ont 
été  longtemps  cachée?  au  fond  delà  terre; 
de  même  encore,  pour  me  servir  de  la  com- 
paraison de  Jésus-Christ,  (/•■  meme  que  te 
grain  de  froment  demeure  seul  ,  cl  ne  fruc- 
tifie pas,  s'd  n'est  mort  et  enseveli  dans  la 
terre  (Joun.,  XII ,  %k  ). 

Qu'il  nous  soit  permis  de  dire  des  sacres 
ossements  de  saint  Jacques  ce  que  nous 
lisons  dans  la  Genèse  de  ceux  de  Joseph.  Ce 
grand  patriarche  fit  promettre  avec  serment 
à  ses  frères  de  les  transporter  de  l'Egypte 
dans  la  Palestine,  pour  laquelle  il  avait  tou- 
jours conservé  une  tendre  affection  :  Aspor- 
tate  oisa  meu  vobiscum  de  loco  isto  [Gen.t  L, 
-2ï  .  Saint  Jacques  avait  toujours  chéri  ten- 
drement l'Espagne  ,  qui  fut  le  théâtre  de  sa 
prédication  et  de  ses  miracles,  et  qu'il  avait 
arrosée  de  ses  sueurs  ;  il  veut  y  retourner 
pour  achever  après  sa  mort  ce  qu'il  avait 
commencé  pendant  sa  vie:  il  veut  que  son 


65  PANEGYRIQUE  DE  SAINT 

corps  soit  le  gardien  et  l'ange  lutélairc  de 
ces  grands  royaumes  :  Asporlate  ossa  mea 
vobiscum  de  loco  isto. 

Dieu  ,  qui  se  plaît  à  voir  honorer  ses  amis, 
p.irce  que  loule  leur  gloire  se  rapporte  à  lui, 
accomplira  ses  désirs  :  Desidcrium  cordis 
ejus  tribuisti  ei  (  Ps.  CXXXVIII,  17;  XX  , 
2  )  ;  il  exaucera  ses  vœux  pour  la  gloire  de 
ses  sacrées  dépouilles  ;  il  les  conduira  au 
mausolée  qu'il  lui  a  préparé.  Comme  Dieu 
créa  un  aslre  miraculeux  pour  conduire  les 
mages  au  berceau  du  Sauveur,  de  même,  si 
nous  en  croyons  de  graves  auteurs,  il  fera 
lever  une  nouvelle  étoile,  pour  conduire  ce 
précieux  dépôt  au  lieu  destiné  à  y  recevoir 
les  hommages  d'une  infinité  de  nations,  qui 
pour  ce  sujet  sera  appelé  Compostelle,  c'est-à- 
dire  ,  Champ  de  l'étoile  :  Campus  stellœ. 

G'est  de  ce  tombeau  ,  comme  d'une  chaire 
de  vérité ,  que  saint  Jacques  fera  entendre 
aux  Espagnols  le  tonnerre  de  sa  prédica- 
tion. Ce  fut  autrefois  un  prodige  étonnant 
de  voir  des  ossements  secs  s'élever  et  en- 
tendre la  voix  d'Ezéchiel  qui  leur  parlait 
au  nom  du  Seigneur:  Ossa  arida  ,  audit  e 
verbum  Domini  (Ezech.,  XXXVI!,  \k).  Mais 
ce  n'est  pas  un  spectacle  moins  surprenant 
de  voir  que  les  ossements  de  notre  apôtre 
parlent  à  des  hommes  vivants  ;  de  voir  qu'ils 
instruisent  celte  nation,  qu'ils  lui  prêchent 
les  mêmes  vérités  qu'il  leur  annonça  pen- 
dant sa  vie,  et  qu'ils  triomphent  de  leur 
incrédulité. 

Oui,  grandes  provinces,  royaumes  floris- 
sants, si  vous  avez  été  éclairés  de  la  lumière 
de  l'Evangile,  si  vous  connaissez  la  vanité 
des  idoles  ,  si  vous  adorez  le  vrai  Dieu  d'un 
culte  si  pur,  c'est,  après  la  grâce  de  Jésus- 
Christ,  à  ce  sacré  dépôt  que  vous  le  devez; 
vous  êtes  les  fruits  précieux,  quoique  tar- 
difs ,  des  conquêtes  évangéliques  de  votre 
apôtre. 

Ne  pouvons-nous  pas  dire  de  ce  tombeau 
glorieux,  ou  plutôt  de  saint  Jacques  qui  y 
est  renfermé,  ce  que  saint  Paul  dit  d'Abel, 
qu'il  parle  encore  après  sa  mort  :  Defunctus 
adhuc  loquitur  (  IJebr.,  XI  ,  k  ),  qu'il  prêche 
encore  l'Evangile  après  sa  mort.  Si  ce  vaste 
empire  sur  lequel  le  soleil  ne  se  couche  ja- 
mais est  sorti  des  ténèbres  et  des  ombres  de 
la  mort  où  il  était  enseveli;  si  lc9  peuples 
des  Indes,  si  ceux  de  la  Nouvelle-Espagne, 
dans  le  nouveau  monde,  se  soumettent  à  la 
foi  de  Jésus-Christ  en  même  temps  que  les 
Espagnols  les  soumettent  à  leur  domination, 
c'est  par  une  vertu  secrète  qui  sort  du  tom- 
beau de  leur  apôtre;  Defunctus  adhuc  lo- 
quitur. 

Mais  ce  qui  relève  encore  sa  gloire  avec 
éclat,  c'est  que  ces  vastes  royaumes  ont  <  on- 
linué  dans  la  suite  des  siècles  de  ressentir 
les  effets  de  sa  puissante  protection,  pour 
la  conservation  et  l'augmentation  de  la  foi 
qu'il  y  a  préehée.  Combien  île  fois  ,  si  nous 
en  croyons  de  fameux  historiens  ,  invoqué 
des  Espagnols  par  ce  cri  de  guerre  :  Saint 
Jacques,  l  Espagne  combat!  l'a-t-on  vu,  à  la 
tète  des  armées,  fondre  l'épéc  à  la  main  sur 
les  légions  infidèles,  jetant  partout  la  confu- 


MCQUES  LE  MAJEUR.  66 

sion  et  la  terreur!  Combien  de  fois  a-t-il 
inspiré  la  valeur  et  le  courage  à  la  nation 
espagnole  dans  des  besoins  pressants!  Com- 
bien d'insignes  victoires  lui  a-t-il  fait  rem- 
porter dans  les  conjonctures  les  plus  délica- 
tes !  Combien  de  fois  l'a-t-il  fait  triompher, 
lorsqu'à  peine  elle  était  en  état  de  se  défen- 
dre! Quelle  gloire  pour  saint  Jacques,  quelle 
gloire  pour  son  tombeau  I 

O  glorieuses  dépouilles  !  ô  tombeau  mille 
fois  plus  précieux  que  les  mines  d'or  qui  se 
trouvent  dans  les  Indes  soumises  à  l'Espa- 
gne !  quel  bonheur  pour  ce  royaume  !  Quasi 
effodientes  thesaurum  ,  gaudcntque  whemen- 
ter  cum  invenerint  sepulcrum  (Job,  III,  21). 
*  C'est  la  gloire  de  ce  tombeau  qui  place 
saint  Jacques  à  la  droite  de  Jésus-Christ  sur 
la  terre  :  car  on  en  peut  dire  avec  quelque 
proportion  ce  qu'lsaïe  a  dit  du  tombeau  de 
Jésus-Christ  :  Son  sépulcre  sera  glorieux  : 
Erit  sepulcrum  ejus  gloriosum  (Isa.,  XI,  10). 

Oui,  Messieurs,  ce  tombeau,  s'il  m'est 
permis  de  le  dire  ,  donne  à  saint  Jacques 
quelque  espèce  d'égalité  avec  celui  de  Jésus- 
Christ  ,  et,  comme  dit  saint  Bonaventure  , 
après  le  tombeau  de  Jésus-Christ,  il  n'en  est 
point  dans  toute  l'Eglise  qui  soit  en  plus 
grande  vénération  que  celui  desaint  Jacques  : 
Nullius  sancti  sepulcrum  sic  est  apudf  omnes 
homines  gloriosum  (Bonav.  serm.  2,  in  [est.  S. 
Jac).  L'Eglise  accorde  à  ceux  qui  vont  le 
visiter  des  privilèges  et  des  avantages  pres- 
que semblables  à  ceux  promis  aux  fidèles  qui 
visitent  le  sépulcre  de  Jésus-Christ;  comme 
celui  de  Jésus-Christ,  il  attire  de  toutes 
les  parties  de  l'univers  les  fidèles  qui  vont 
y  offrir  à  la  gloire  de  ce  saint  leurs  vœux 
et  leurs  hommages. 

Qu'on  vante  tant  qu'on  voudra  la  magni- 
ficence de  ces  superbes  mausolées  qui  firent 
autrefois  l'ornement  de  Rome  et  d'Athènes, 
le  tombeau  de  notre  apôtre  est  mille  fois 
plus  glorieux  ,  et ,  tandis  que  les  sépulcres 
des  conquérants  cl  des  maîtres  du  monde  ne 
sont  qu'horreur  et  solitude  ,  celui  de  saint 
Jacques  est  honoré  et  fréquenté  d'un  |>eu pie 
infini  qui  y  accourt  en  foule  pour  participer 
aux  faveurs  et  aux  grâces  que  Dieu,  par  sa 
puissante  intercession  ,  y  répand  en  mille 
manières  différentes. 

C'est  ainsi  que  Dieu  ,  qui  est  admirable  en 
ses  saints,  veut  faire  honorer  le  tombeau  de 
son  apôtre;  il  veut  que,  par  le  seul  attou- 
chement de  ses  os  sacrés,  la  vue  soit  rendue 
aux  aveugles,  l'ouïe  aux  sourds,  le  mouve- 
ment aux  paralytiques  ,  la  vie  aux  morts  : 
comme  le  prophète  Elisée  (IV  Rrg.,  XIII,  21), 
notre  illustre  apôlre  fit  des  prodiges  pendant 
sa  vie,  et  des  miracles  aprèi  sa  mort  (Eccli., 
XLVIII,  15).  11  semble  que  Dieu  ail  mis  dans 
l'Espagne  ce  sacré  monument  pour  le  sou- 
lagement et  la  consolation  de  ce  royaume  et 
de  tout  le  monde  chrétien,  comme  autrefois 
il  éleva  le  serpenl  d'airain  dans  le  désert 
pour  la  guérison  des  Israélites. 

Allez-y  donc,  peuples  fidèles,  nations  de 
la  terre  ,  allez  à  ce  tombeau  sacré,  sortez 
des  extrémités  de  l'univers  pour  y  offrir  vos 
prières  et  vos  vœux  ;  allez  à  Compostelle  rc- 


ORATEURS  SICP.  \l  il 


n 


cueillir  le  fruit  de  votre  piété  cl  de  voire  n •- 
ligion.  Vous  j  ressentirez  dans  ions  vos  be- 
soins  les  effet*  de  la  boulé  loulc-puissante 
de  Dieu  et  de  la  protection  particulière  de 
ce  grand  saint;  vous  verrez  pendus  aux 
voûtes  de  son  église  les  magnifiques  présents 
des  empereurs  et  des  rois,  et  une  infinité  de 
vœux  offerts  par  les  fidèles  de  toutes  les  par- 
tics  du  monde,  comme  autant  de  monuim  nls 
éternels  de  son  pouvoir;  et  vous  lirez  avec 
admiration,  gra\és  sur  les  marbres,  les  mi- 
racles que  Dieu  a  opérés  par  ses  puissants 
suffrages  en  faveur  de  ceux  qui  ont  honoré 
sa  mémoire  et  révéré  ses  cendrée. 

Pouvons-nous  finir  plus  ulilemcnl  ce  dis- 
cours qu'en  vous  exhortant  à  vous  conten- 
ter d'être  assis  à  la  gauche  de  Jésus-Christ 
pendant  celte  vie,  et  d'attendre  après  la  mort 
d'être  assis  à  sa  droite:  je  veux  dire  qu'il 
faut  nous  estimer  heureux  ici-bas  de  boire 
Je  calice  et  de  passer  par  les  plus  rudes 
épreuves  des  peines,  des  douleurs,  des  afflic- 
tions, dans  l'espérance  qu'un  jour  assis  sur 
des  trônes  éminents  nous  posséderons  une 
gloire  immortelle  ? 

Nous  aspirons  tous  à  ce  haut  degré  d'hon- 
neur que  Dieu  destine  à  ceux  qui  l'auront 
servi  avec  une  constante  fidélité  ;  mais  il 
nie  semble  que  Jésus-Christ  nous  dit  à  tous, 
comme  à  Jacques  et  à  Jean  :  Pouvez-* ous, 
ou  plutôt  voulez-vous  boire  le  calice?  Pole- 
slis  biberc  ealicem(Matth.,  XX,  22)?  Jacques, 
comme  Jérémie,  le  reçoit  de  la  main  du  Sei- 
gneur, et  nous  le  présente  à  tous  :  Accepi 
calicem  de  manu  Domini,  el  propinavi  cun- 
clis  y  nlilms  (Jerem.,  XV ,  17).  Souffrez,  mes 
frères,  que  je  le  prenne  de  la  main  de  notre 
apôtre  ,  el  que  je  vous  le  présente  :  il  est 
amer,  je  l'avoue  ,  mais  il  faut  le  boire  si 
nous  voulons  être  assis  auprès  de  Jésus- 
Christ  dans  sa  gloire,  si  nous  voulons  être 
rassasiés  de  ces  loircnts  de  volupté  que  Dieu 
a  préparcs  à  ceux  qui  l'aiment. 

Mais  où  trouvons-nous  des  chrétiens  qui 
soient  disposés  à  boire  ce  calice?  Chacun 
en  a  de  l'horreur,  on  le  regarde  comme  une 
coupe  empoisonnée  ;  on  dit,  non  pas  d'une 
volonté  soumise  à  celle  de  Dieu,  comme  Jé- 
sus Christ,  mais  d'une  volonté  déterminée 
et  absolue  à  le  rejeter  :  Transeat  a  me  culix 
iste  :  que  ce  calice  passe  loin  de  moi. 

Amateurs  du  siècle  et  de  ses  voluptés  , 
vous  en  voulez  d'un  calice  ,  je  veux  dire  de 
cette  coupe  fatale  présentée  par  la  fameuse 
prostituée  dont  parle  saint  Jean  dans  son  Apo- 
calypse, où  l'on  boit  à  longs  traits  les  délices 
et  les  voluptés  criminelles  du  moud  •  :  El  int- 
briati  sunt  qui  inhabitant  terram  de  vina  pro- 
sliti.ilionis ejus  (Apoc.,  XVII,  2).  Mais  le  ca- 
lice qu'a  bu  si  généreusement  notre  apôtre, 
on  le  rejette  avec  horreur,  on  regarde  avec 
indignation  les  peines  ,  les  afflictions  et  les 
souffrances;  le  seul  nom  de  la  pénitence  el 
de  la  mortification  fait  peur  aux  délicats  de 
ce  siècle. 

Ne  nous  y  trompons  pas,  mes  frères,  il 
n'est  point  d'autre  moyen  d'arriver  à  la  gloire 


(jue  d'embrasser  la  mortification  de  Jésus- 
Christ  :  Si  nous  souffrons  avec  Jés Mf-Cftrtff, 
dit  saint  I       I,  IHMM  réywrons  a<<  lui 

(Il  Tint.,  II,  12).  L'homme  innocent  allait  à 
Di(  ii  par  une  voie  de  repos,  de  douceurs,  de 
plaisirs;  l'homme  criminel  n'en  a  point  d'au- 
tre que  le  travail,  la  souffrance  ,  la  douleur. 

Qneiie  consolation  pour  un  chrétien  qui 
souffre,  d'(  Ire  assuré  qu'«n  moment  court  et 
léger  des  tribulations  d>  celte  vie,  qu'il  endure 
a\  (  c  patience  et  ave:  amour,  produit  le  p<> 
(l'-rnel  dune  souveraine  et  incomparable 
gloire  (li  Cor.,  IV,  17)1  La  mortification «Wf 
sens  et  des  passions  est  le  prix  do  roy.  MM 
auquel  nous  aspirons,  c'eêl  la  porte  pour  en- 
trer dans  le  ciel  :  le  chef  est  entré  par  celte 
porte,  les  membres  ne  peuvent  le  sa  m  par 
une  tutre  voie.  Le  disciple  n'est  pas  pus  que 
lenw'il  e  'Matih.,\,2V).  Dans  l'étal  présent, 
point  de  salut  que  par  l'amertume  du  calice  : 
La  lie  n'en  est  point  encore  épuisée  (Psu'm. 
LXXIV,  9). 

Si  saint  Jacques ,  qui  était  proche  parent 
du  -Sauveur,  n'a  pu  y  arriver  qu'à  celle  con- 
dition, que  dis-je,  saint  Jacques?  t'il  fl  fallu 
que  Jésus-Christ ,  comme  il  l'assure  lui-mé- 
m ;>,  souffrit  pour  entrer  dans  $a  gloire,  pou- 
vons-nous y  parvenir  par  un  autre  chemin 
que  par  celui  des  peines  et  des  souffrant  < 
De  quel  droit  un  étranger  pourrait-il  y  pré- 
tendre à  un  autre  titre?  Potestis  biberc  cali- 
cem ?  Ah  !  Seigneur,  si  \  ous  nous  en  donnez 
la  force  et  le  courage  ,  nous  le  pouvons  et 
nous  le  voulons  par  le  secours  de  votre  grâ- 
ce ,  que  nous  vous  demandons  pour  arriver 
un  jour  à  la  gloire  éternelle.  Je  vous  la  sou- 
haite, mes  frères,  au  nom  du  Père,  et  du  (Fils 
et  du  Saint-Esprit.  ;  ai:  si  soit-il. 

SERMON 

POUR    LE    DIMANCHE   DE   LV    Ql  INQUAGÉS1M! 

Prêché  à  Lavaur,  dans  l'église  des    Pénitents  en 

l'année  I 

Sur  les  désordres  du  carnaval. 

Factura  est  autem  cnm  appropinqnarei  Jerkuo  ,  ca?cu$ 
quidam  m  k  bai  secus  vlam  mena 

Lorsqu'il  était  près  de  Jéricho,  un  aveugle  te  Iroumle 
long  du  Cliemin  qui  demandait  l'aumône  [Luc,  XVIII,  ô'i). 


.Monseigneur 


1 


Après  que  l'Eglise  avait  consacré  par  des 
fêtes  et  des  cérémonies  saintes  plusieurs 
temps  dans  l'année  el  différents  lieux  que 
l'idolâtrie  avait  profanes  par  un  culle  sacri- 
lège et  des  dissolutions  honteuses,  nous  n'a- 
vions plus,  ce  semble,  à  désirer,  sinon  que 
ces  derniers  jours,  que  le  démon  s'était  ré- 
serves, comme  des  restes  du  pagaUM 
jours  de  débauche  et  de  libertinage,  fus*  ni 
heureusement  changés  en  des  temps  dédies 
à  la  piele  el  à  la  religion. 

C'est,  Messieurs,  ce  que  nous  voyous  dans 
la  solennité  qui  nous  assemble  aujourd'hui. 
Grèce  au  cil  I,  n  us  avons  la  consolation  de 
voir  un  peuple  choisi,  qui  n'a  pas  encore 
llechi  le  genou  devant  Baal.  Grâce  an  ciel,  un 
bon  nombre  de  fidèles  viennent  adorer  le  v  rai 


(I)  M.  Flécliier,  évêque  de  Lavaur,  depuis  évêque  de  NI 


69 


SERMON  SUR  LES  DESORDRES  DU  CARNAVAL. 


70 


Dieu  dans  son  temple  en  esprit  et  en  vérité, 
tandis  que  la  foule  des  chrétiens,  devenus 
comme  idolâtres  en  ces  jours  de  licence,  font 
un  Dieu  de  leur  ventre,  suivanl  la  vive  ex- 
pression de  saint  Paul  (Phil.,  III,  19),  et  ado- 
rent d'infâmes  divinités.  Soyez-en  béni,  Sei- 
gneur, je  puis  dire  à  celle  pieuse  assemblée 
ce  que  saint  Chrysoslome  disait  autrefois  au 
peuple  d'Antioche  dans  une  semblable  occa- 
sion :  que  d'une  fête  du  démon  vous  en  faites, 
par  les  empressements  et  la  ferveur  de  voire 
piété,  une  fête  du  Saint-Esprit  :Festum  Satn- 
nœ  fecistis  festum  Spiritus  sancti. 

Ce  n'est  pas  sans  raison  que  l'Eglise  nous 
représente  l'horrible  aveuglement  des  gens 
du  monde  sous  le  nom  do  ce  pauvre  aveugle 
de  notre  évangile,  qui,  selon  saint  Augustin, 
est  la  figure  des  libertins  marchant  dans  les 
ténèbres  de  leurs  passions  :  e'est  pour  dé- 
tourner les  méchants  de  leurs  désordres  par 
la  considération  d'un  état  si  pitoyable,  et 
pour  exciter  les  véritables  fidèles  à  concevoir 
des  sentiments  de  compassion  sur  leur  mi- 
sère. 

Pour  entrer  dans  l'esprit  de  l'Eglis'1  ,je 
vous  ferai  voir  combien  grand  et  combien 
déplorable  est  l'aveuglement  des  libertins 
dans  ces  temps  de  désordre  :  ce  sera  mon  pre- 
nne;' point.  Ensuite  je  vous  ferai  voir  ce  que 
doivent  faire  les  véritables  chrétiens  pour 
s'oppos  r  au  dérèglement  du  monde  :  ce  sera 
mon  second  point.  Demandons  les  lumières 
du  Saint-Esprit  par  l'intercession  de  Marie. 
Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

Il  est  étrange  que  Dieu  n'ait  presque  point 
reçu  d'honneurs  dans  le  monde,  que  le  dé- 
mon ne  1  s  ail  voulu  partager,  pour  ainsi 
dire,  avec  lui.  Si  Dieu  a  eu  des  temples  et  des 
aulels,  l'idolâtrie  en  a  élevé  au  démon.  Dieu 
a-t-il  exigé  des  hommes  l'adoration  et  les 
honneurs  suprêmes,  a-t-il  voulu  qu'on  lui 
offrît  des  sacrifices  ?  le  démon  a  affecté  de  se 
faire  rendre  un  culte  semblable  :  ce  singe  de 
la  Divinité,  comme  l'appelle  Tertullien,  ja- 
loux de  la  gloire  de  Dieu,  voyant  que  Dieu 
veut  être  honoré  par  le  jeûne  et  par  la  péni- 
tence, inspire  à  ses  partisans  de  l'honorer 
par  la  dissolution  cl  la  débauche  ;  et  tandis 
que  l'Eglise  nous  met  devant  les  yeux  l'image 
de  la  croix,  en  nous  rappelant  dans  l'Evan- 
gile de  ces  trois  jours  le  souvenir  des  dou- 
leurs et  d*'  la  passion  du  Sauveur  :  Nous  al- 
lons à  Jérusalem,  et  le  Fils  de  l'homme  sera 
livré  aux  princes  des  prt'tres  et  aux  docteurs 
de  lu  loi  (jui  le  condamneront  à  mort  (Mallh., 
XX,  18]  ;  le  démon  élève  par  avance  l'éten- 
dard de  la  volupté  et  du  libertinage. 

Quoique  le  malheur  des  temps  ail  réduit 
les  peuples  à  une  nécessité  qui  leur  ote  le 
moj  en  de  faire  les  dépenses  et  les  folies  qu'on 
I  usait  autrefois,  on  ne  voit  encore  que  trop 
de  désordres  et  de  dissolutions-  On  épargne- 
ra, quelle  toi i o  1  on  se  privera  longtemps  de 
choses  souvent  nécessaires,  pour  fournir  à 
des  excès  dans  ces  jours  de  débauebcs.  Le 
Sage  dit  que  les  chants  de  joie  sont  impor- 
tuns, et  viennent  à  contretemps  dans  lu  tris- 
tesse et  dans  le  deuil  (Eccli.,  XXII,  (»)  :  l'E- 


glise se  revêt  de  ses  babils  lugubres,  elle 
cesse  de  chanler  ses  cantiques  d'allégresse, 
et  les  mondains  ne  parlent  que  de  ris,  de 
jeux,  de  plaisirs.  Qui  vit  jamais  rien  de  plus 
éloigné  du  sens  et  de  la  raison?  Se  couron- 
ner de  roses,  pour  recevoir  sur  sa  tête  des 
cendres  qui  nous  marquent  la  poussière  et 
l'horreur  du  tombeau  où  nous  devons  entrer; 
se  préparera  la  pénitence  par  la  dissolution, 
à  l'abstinence  et  au  jeûne  par  les  excès  et  la 
crapule  ;  commettre  de  nouveaux  crimes, 
parce  qu'on  va  bientôt  gémir  sur  ceux  qu'on 
a  commis  ;  se  disposer  à  célébrer  les  mystè- 
res douloureux  de  la  passion  de  notre  Dieu 
par  la  recherche  de  toute  sorte  de  délices  , 
lut-il  jamais  un  aveuglement  pareil  à  ce- 
lui-là ? 

Ne  pouvons-nous  pas  avec  beaucoup  de 
raison  renouveler  ici  la  plainte  que  faisait 
autrefois  le  prophète-roi ,  que  les  vérités  sont 
diminuées  par  les  enfants  des  hommes  (PsaL 
H,  2)?  Oui,  ces  grandes  et  importantes  véri- 
tés qui  dans  d'autres  temps  touchent  les 
cœurs  les  moins  sensibles,  ne  font  aujour- 
d'hui aucune  impression  sur  l'esprit  de  la 
plupart  des  chrétiens  ;  ces  belles  idées  de  la 
vertu,  celte  horreur  du  vice  que  les  prédica- 
teurs ont  tâché  d'imprimer  dans  leurs  cœurs 
pendant  le  saint  temps  de  Pavent,  semblent 
en  ces  malheureux  jours  en  être  entièrement 
effacées;  les  mondains,  entraînés  parla  cou- 
tume et  follement  entêtés  de  je  ne  sais 
quelles  maximes  de  libertinage,  que  tout 
doit  leur  être  permis  dans  ces  icmps  qu'ils 
regardent  comme  consacrés  au  plaisir,  don- 
nent sans  aucun  scrupule  dans  toute  sorte 
de  dérèglement;. 

Que  celte  conduite  est  déraisonnable,  mes 
frères  !  Comme  s'il  était  permis  de  faire  le  > 
insensés  en  des  jours  plutôt  qu'en  d'autres  ; 
comme  si  la  sagesse  et  les  règles  d'une  bien- 
séance chélienne  n'étaient  pas  de  tous  les 
temps  ;  comme  si  le  Dieu  d'hier  n'était  pas  le 
Dieu  d'aujourd'hui  (Ilebr.,  XIII,  8).  O  aveu- 
glement déplorable  1  comme  si  dans  ces  jours 
Dieu  fermait  les  yeux  pour  ne  pas  voir  ce 
qui  se  passe  sur  la  terre  ;  comme  si  la  loi  de 
Dieu  pouvait  cesser  d'obliger  ;  comme  si  le 
pèche  perdait  quelque  chose  de  sa  laideur, 
et  que  Dieu  cessât  île  le  défendre  et  de.  le  pu- 
nir ;  comme  si  l'on  pouvait  se  dépouiller 
pendant  quelque  temps  du  nom  et  île  la  qua- 
lité de  chrétien,  pour  vivre  en  idolâtre. 

Il  faut  sans  doute  que  le  prince  des  ténè- 
bres porte  ses  partisans  jusqu'à  cet  excès 
d'aveuglement  :  car  enfin  où  lrouve-l-on  en 
ces  jours  de  la  religion  cl  du  christianisme  ï 
Voit-on  paraître  les  moindres  marques  de  la 
foi  dans  les  mœurs,  rie  la  plupart  des  ebré- 
tiens?  Ne  pouvons-nous  pas  dire  au  contraire 
que  les  idées  de  la  volupté  détruisent  tous  les 
sentiments  de  la  crainte  d'un  Dieu  vengeur 
du  crime?  Ce  qui  dans  d'autres  temps  arrête 
les  plus  forls  emportements  du  pécheur  ne 
fait  aujourd'hui  aucune  impression  sur  un  li- 
bertin livré  à  une  foule  de  plaisirs;  il  étouffe 
les  plus  violents  reproches  d'une  conscience 
naturellement  chrétienne  qui  gémit  sous  lu 
cruel  esclavage  de  ges  passions. 


:i 


ORVfKtltS  SACRI.S.  Bl  GAULT. 


En  ces  jour»;  de  licence  on  n'a  aucune  re- 
tenue, on  s'abandonne  à  tout  ce  qui  flatte 

les  sens  ;  le  péché,  «ouvert  d'un  lard  sédui- 
sant, ne  pareil  point  revêtu  de  ses  véritables 
couleurs  qui  pourraient  en  inspirer  de  l'hor- 
reur :  on  lui  donne  des  noms  qui  effacent  les 
idées  aflïcuses  qu'on  doit  naturellement  en 
concevoir.  On  s'imagine  que  comme  il  y  a 
dans  l'année  certains  temps  consacrés  plus 
particulièrement  aux  exercices  delà  piétéet 
de  la  religion,  il  doit  y  en  avoir  aussi  qu'on 
peut  donner  aux  plaisirs  et  à  de  folles  joies. 
Sur  ce  faux  principe  on  se  laisse  emporter  a 
la  violence  de  sc>  inclinations  toujours  prê- 
tes à  suivre  l'attrait  de  la  volupté  et  le  tor- 
rent de  la  mauvaise  coutume. 

De  là  vient  que  l'exemple  pernicieux  des 
libertins  l'emporte  assez  ordinairement  par- 
dessus la  vie  sage  et  modérée  des  gens  de 
bien  ;  que  souvent  les  prédicateurs  tonnent 
en  vain  contre  les  désordres  de  ces  temps,  et 
que,  malgé  les  efforts  de  leur  zèle,  un  grand 
nombre  de  pécheurs  résistent  opiniâtrement 
aux  plus  forts  mouvements  d'une  grâce  qui 
veut ,  comme  par  une  douce  violence,  les 
arracher  à  leurs  plaisirs  criminels. 

Le  dirai-je,  mes  frères?  oui,  il  le  faut  dire 
à  la  honte  des  libertins  :  ils  craignent;  quelle 
folie!  ilscraignenten  quclquemanière  que  ce 
qu'ils  appellent  indignement  bonnes  coutu- 
mes, ne  vienne  à  se  perdre,  et  que  l'empire 
de  Satan  ne  soit  entièrement  détruit:  c'est 
pour  cela  que  ses  partisans  font  de  nouveaux 
efforts  pour  lui  conserver  ces  malheureux 
restes  que  la  misère  des  temps  et  les  gens 
de  bien  n'ont  pu  jusqu'à  présent  lui  ravir; 
et  comme  si  c'élail  se  justifier  en  quelque 
sorte,  que  de  rendre  les  autres  coupables, 
on  s'étudie  à  corrompre  par  son  mauvais 
exemple  ceux  qu'une  sainte  pudeur  relient 
encore  dans  le  devoir  ;  on  \  eut  soutenir  l'em- 
pire du  libertinage,  on  s'efforce  de  renver- 
ser la  pureté  et  la  régularité  des  mœurs, 
contre  laquelle  cependant  l'esprit  et  les  scan- 
dales du  monde  ne  prescriront  et  ne  prévau- 
dront jamais. 

Ne  semblc-t-il  pas  que  dans  ces  temps  les 
principes  de  la  piété  soient  entièrement  ren- 
versés. C'est  avoir  de  l'esprit  que  de  savoir 
railler  des  plus  saints  mystères,  de  contre- 
faire les  cérémonies  de  l'Eglise  par  des  jeux 
sacrilèges,  donner  des  interprétations  ridicu- 
les aux  paroles  sacrées  de  l'Ecriture,  décrier 
la  véritable  dévotion,  sous  prétexte  de  n'at- 
taquerque  la  fausse.  On  n'est  pas  content  des 
plaisirs  ordinaires,  il  faut,  par  un  bizarre 
raffinement  de  goût,  en  inventer  de  nou- 
veaux. On  se  fait  une  vanité  ridicule  de 
commettre  plus  de  crimes  que  les  autres,  et 
on  aurait  honte  en  quelque  manière  de  ne 
paraître  pas  aussi  dissolu  que  ceux  qui  font 
profession  ouverte  de  la  débauche  la  plus 
outrée.  Aveuglement  déplorable,  qui  fait 
qu'on  lire  sa  gloire  en  ces  jours  de  ce  qui 
ferait  rougir  en  d'autres  temps  !  Quelle  cor- 
ruption d'esprit,  quelle  dépravation  de  cœur! 
folio  si  grande  que  les  infidèles  mêmes  et 
les  hérétiques  eu  ont  horreur,  el  s'étonnent 
que  des  chrétiens  qui  adorent  un  Dieu  cru- 


cilié  aient  dans  l'année  certains  jours  qu'ils 
consacrent  ainsi  aux  plaisirs  et  à  la  débau- 
che. 

Que  dirai-je,  Messieurs,  d'un  autre  trait  de 
folie,  preuve  certaine  de  l'aveuglement  dont 
lei  partisans  du  carnaval  sont  fra|  ;  es?  Nom 
voyons  avec  horreur  dans  ces  joursdi  s  hommes 
créés  à  l'image  et  a  la  ressemblance  de  Dieu,  for- 
més sur  l'image  de  Jésus-Chris'  même,  effacer, 
pour  ainsi  dire,  ces  nobles  traits,  pour  prés- 
ure la  ligure  d'objets  les  plus  monstrueux. 
Oui  le  croirait,  si  l'on  n'en  était  témoin, 
que  des  chrétiens  pussent  se  porter  à  un  tel 
excès?  O  hommes  insensés,  pourquoi  cher- 
chez-vous ces  déguisements  infâmes,  sinon 
afin  que,  cachant  ainsi  sous  des  voiles  em- 
pruntés l'honnêteté  el  la  pudeur  qui  peut- 
être  vous  retiendraient  dans  les  bornes  de  la 
sagesse,  vous  vous  abandonniez  impuné- 
ment aux  plus  honteuses  licences?  L'squctjuo 
faciès  peccuturum  sumitis  [Puai.  LXXXI,  -2  '! 
sinon  afin  que  vous  ayez  unn  entière  liberté 
de  vous  permettre  tout? 

Ah!  si  les  Pères  de  l'Eglise,  principale- 
ment saint  Cypiien,  saint  Jérôme  et  saint 
Chrysoslome,  déclament  avec  tant  de  véhé- 
mence contre  les  femmes  mondaines,  qui 
déguisent  par  des  couleurs  étrangères  leur 
visage,  pour  se  donner  un  faux  lustre  el  un 
faux  éclat;  s'ils  leur  reprochent  de  gâter  et 
de  défigurer  l'ouvrage  de  Dieu  :  qu'auraient- 
ils  dit,  si  de  leur  temps  les  chrétiens  se  fus- 
sent défigurés  comme  on  fait  aujourd'hui? 
s'ils  avaient  vu  des  membres  de  Jésus-Christ 
devenir  les  membres  des  monstres  les  plus 
affreux?  s'ils  avaient  vu  des  chréliens  cou- 
vrir leur  visage  qui  fait  la  gloire  de  l'homme, 
ce  visage  qui  porte  des  caractères  de  la  Di- 
vinité, pour  prendre  la  ressemblance  des 
bêles  les  plus  horribles  à  voir? 

Quelle  plus  insigne  folie  encore,  quel 
aveuglement  plus  déplorable,  que  des  chré- 
tiens fassent  profession  de  croire  à  un  Evan- 
gile qui  ne  parle  que  d'afflictions,  que  de 
peines,  d'abnégation  de  soi-même,  que 
de  renoncement  à  tout  ce  qui  favorise  les 
penchants,  à  tout  ce  qui  Halte  les  sens  ;  qui 
publie  bienheureux  ceux  qui  pleurent  et  qui 
souffrent;  que  des  chréliens  adorent  un  Dieu 
mort  sur  une  croix  pour  nos  crimes,  un 
homme  de  douleurs,  rassasié  d'opprobres, 
qui  par  ses  paroles  et  par  ses  exemple-  a 
condamné  si  hautement  les  plaisirs,  qui  tant 
de  fois  a  prononcé  des  arrêts  fulminants 
contre  les  ris  et  les  folles  joies  du  siècle  : 
Vœvobis  qui  ridetis  (Luc,  VI ,  25)1  Malheur 
à  vous  qui  riez  I  que  des  disciples  de  Jcsus- 
Christ,  à  la  face  des  autels,  aient  dit  ana- 
thème  au  démon  et  à  ses  pompes,  au  momie 
el  à  ses  charmes,  par  les  vœux  et  les  ser- 
ments solennels  de  leur  baptême,  auxquels 
saint  Cyprien  renvoyait  si  souvent  les  chré- 
tiens de  son  temps,  pour  leur  oter  le  goût 
des  plaisirs,  des  spectacles  el  des  assemblées 
profanes;  el  que  cependant  ces  mêmes  chré- 
tiens recherchent  avec  fureur  des  divertisse- 
ments qui  allument  el  nourrissent  les  pas- 
sions, cl  qu'on  souffrirait  à  peine  dans  des 
païens  et  des  idolâtres! 


SERMON  SUR  LES  DESORDRES  DU  CARNAVAL. 


74 


Mais  les  enfanls  du  siècle,  dont  les  gens  de 
bien  déplorent  le  malheureux,  état,  sont 
d'autant  plus  à  plaindre  dans  leur  aveugle- 
ment qu'ils  ne  le  connaissent  pas,  malgré  les 
îumières  de  la  foi  qui  les  éclaire  :  Nescierunt 
ncque  intellexerunt ,  in  tenebris  ambulant 
(Psal.  LXXXI,  5).  Et  c'est  ici  qu'on  peut  dire 
qu'en  ces  jours  principalement,  où  leur  pro- 
pre malice  les  aveugle  (Sap.,  II,  21),  il  arrive 
quelque  chose  de  semblable  à  ce  qui  arriva 
dans  l'Egypte,  quand  Dieu,  par  le  ministère 
de  Moïse,  qui  semblait  tenir  en  son  pouvoir 
la  lumière  elles  ténèbres,  couvrit  d'une  pro- 
fonde nuit  la  partie  qui  était  habitée  par  les 
Egyptiens,  tandis  que  les  Israélites  jouis- 
saient de  leur  côlé  du  jour  le  plus  serein  et 
le  plus  brillant  (Exod.,  X,  22  et  23)  ;  car  les 
mondains,  figurés  parles  Egyptiens,  rebelles 
aux  ordres  de  Dieu,  sont  dans  d'épaisses  té- 
nèbres, dans  un  horrible  aveuglement, tandis 
qu'un  petit  nombre  de  chrétiens,  fidèles  à 
Dieu,  sont  éclairés  des  lumières  d'une  grâce 
qui  les  attache  d'autant  plus  à  leurs  devoirs 
de  religion,  qu'ils  voient  les  libertins  s'aban- 
donner avec  plus  d'emportement  aux  plus 
indignes  excès. 

Et  remarquez,  Messieurs,  que  cette  igno- 
rance coupable  est  plus  fatale  que  l'aveugle- 
ment même.  La  connaissance  que  l'aveugle 
de  notre  Evangile  a  de  son  triste  état  est  le 
principe  de  sa  guérison  ;  c'est  ce  qui  l'oblige 
de  crier  à  Jésus-Christ  d'une  voix  lugubre  et 
touchante  :  Seigneur,  faites  que  je  voie  {Luc., 
XVIII,  il  ;  Marc,  X,  51).  Mais  ce  qui  aug- 
mente le  malheur  des  mondains,  c'est  «l'igno- 
rer l'état  pitoyable  où  ils  sont,  ou  de  le  vou- 
loir ignorer, etde  se  le  cacher  criminellement 
à  eux-mêmes,  parce  que  cet  état  de  ténèbres 
et  d'aveuglement  leur  paraît  commode  pour 
contenter  plus  librement  les  désirs  déréglés 
de  leur  cœur.  Jusqu'à  quand,  ô  aveugles  en- 
fants des  hommes ,  avec  un  cœur  appesanti, 
uimerez-vous  la  vanité  et  le  mensonge  (Psal. 
IV,  3)?  Jusqu'à  quand  vous  plairez-vous 
dans  vos  honteux  désordres?  Les  passions, 
les  convoitises  de  la  chair,  les  enchantements 
d'un  monde  séducteur,  qui  vous  aveuglent, 
vous  empêchent  d'ouvrir  les  yeux  aux  di- 
vines lumières  qui  viennent  vous  éclairer  ; 
mais  puissiez-vous  reconnaître  le  malheu- 
reux état  où  vous  êtes  I  puissiez-vous,  attirés 
par  le  Saint-Esprit,  recourir  à  Jésus-Christ 
et  lui  demander  d'un  cœur  sincère,  avec 
l'aveugle  dont  parle  notre  Evangile  :  do- 
mine, ut  videam  :  Seigneur ,  faites  que  je 
voie! 

Ces  avis  salulaires,  mes  frères,  donnés 
aux  mondains  et  portés  par  la  grâce  à 
l'oreille  de  leur  cœur,  dans  un  autre  temps, 
seraient  capables  de  les  rappeler  de  leurs 
désordres.  Mais,  occupés  qu'ils  sont  de  leurs 
plaisirs,  comme  ils  s'étudient  à  bannir  de 
leur  esprit  et  de  leur  cœur  tout  ce  qui  leur 
rappellerait  leurs  devoirs,  ne  nous  arrêtons 
pas  dav/intagc  à  les  vouloir  toucher;  et  s'ils 
ne  profitent  pas  de  nos  exhortations,  si  au 
contraire  ils  s'en  scandalisent,  comme  les 
pharisiens,  au  chapitre  quinzième  de  saint 
Matthieu,  se  scandalisaient  des  justes  n  - 
OiuiEiais  sacrée.  XXX. 


proches  que  leur  faisait  Jésus-Christ,  disons 
d'eux  ce  que  Jésus-Christ  disait  des  phari- 
siens mêmes  à  ses  disciples  :  Sinite  illos,  cœci 
sunt  et  duces  cœcorum  (Mallh.tWt  lk)  :  Lais- 
sez-les, ce  sont  des  aveugles  qui  conduisent 
d'autres  aveugles;  laissons-les  courir  avec  fu- 
reuraprès  les  divertissements  profanes,  lais- 
sons-les suivre  l'impétuosité  de  leurs  désirs  et 
les  attraits  du  plaisir.  Mais  non,  gémissons 
plutôt  sur  leur  triste  état;  ayons  recours  à  la 
prière,  pour  que  Dieu  daigne  éclairer  leurs 
ténèbres  d'un  rayon  de  sa  lumière  céleste, 
qui  les  porte  à  en  concevoir  de  l'horreur  et 
à  se  convertir  ;  et  après  avoir  vu  avec  des 
yeux  de  compassion  combien  déplorable  est 
leur  aveuglement,  voyons  ce  que  doivent 
faire  les  véritables  fidèles  pour  s  opposer  en 
ces  temps  au  dérèglement  du  monde  et  pour 
apaiser  la  colère  de  Dieu  :  c'est  mon  second 
point. 

seconi>   point. 

Que  doivent  faire  les  gens  de  bien,  Mes- 
sieurs, en  ces  jours  de  licence?  Fuir  le  plai- 
sir, s'éloigner  du  commerce  du  siècle,  afin 
de  ne  paraître  pas  consentir  à  ses  œuvres  de 
ténèbres.  De  tous  les  ennemis  de  la  vertu  il 
n'en  est  point  de  plus  dangereux  que  la  vo- 
lupté, dont  le  monde  se  sert  plus  ordinaire- 
ment pour  nous  tenter  et  pour  nous  perdre  : 
elle  s'insinue  agréablement  dans  le  cœur  par 
tous  les  sens,  elle  est  toujours  d'intelligence 
dans  la  place  qu'elle  attaque,  elle  séduit  la 
raison,  souvent  elle  la  met  de  son  parti; 
l'homme  ne  lui  résiste  que  rarement  de  tou- 
tes ses  forces,  et  lors  même  qu'il  parait 
vouloir  s'en  défendre  avec  plus  de  soin,  il 
sent  presque  toujours  une  inclination  se- 
crète à  se  rendre  à  ses  charmes  suborneurs; 
plus  elle  a  d'appas,  plus  elle  a  de  pouvoir, 
et  l'unique  moyen  de  la  vaincre,  c'est  de  la 
combattre  par  la  fuite.  Ah  1  qu'il  est  difficile 
de  se  retenir  sur  le  penchant  d'un  précipice, 
quand  tout  conspire  de  concert  à  nous  y 
faire  tomber!  Et  qu'il  est  dangereux,  quand 
on  se  livre  au  commerce  d'un  monde  cor- 
rompu, qu'on  ne  s'assujettisse  insensible- 
ment à  ses  pernicieuses  maximes! 

Fuyons  le  monde,  mes  frères,  le  monde, 
ce  fameux  criminel  que  Jésus-Christ  a  con- 
damné, maudit  et  frappé  d'anathème  tant  de 
l'ois;  le  monde,  ce  corps  de  méchants  qui 
n'eut  point  de  part  à  la  prière  de  Jésus- 
Christ  après  la  cène;  éloignons-nous  de  cette 
malheureuse  liabylone,  que  saint  Jean  ap- 
pelle la  mère  des  abominations  de  la  terre. 
(Joan.,  XVII,  !));  celte  infâme  liabylone  dont 
I l'air  esi  si  contagieux  :  Fugile  de  medio  liu- 
bglonis  (Apoc-,  X.  '  II,  5),  et  que  chacun  de 
nous  ne  songe  qu'à  se  sauver  de  mille 
pièges  qu'elle  tend  à  l'innocence  :  Et  salvet 
unwquisque  animatn  tuatn  (Jer.,  Ll,  6). 

Souvenons-nous  que  par  des  engagements 
solennels  nous  avons  fait  un  entier  divorce 
avec  tout  ce.  que  le  monde  a  de  plus  cha- 
înant. Profitons  de  l'avis  important  de  l'Apô- 
tre :  Gardez-vout,  dit-il  aux  Romains,  de 
vous  cvn for  mer  aux  usages  et  aux  maximes 
perverses  de  ce  siècle  (Hom.,  XI,  2);  et  au* 


OHUKl  US  SACHES.  KIXAl'LT. 


Galatcs  :  ("est,  dit  le  même  apôtre,  pour  nous 
déliwtr  de  la  corruption  d<  ce  siècle  méchant 
que  Jésus-Christ  t'est  livré  lui-même  [Gaial., 

1,  V).  Imprimons  bien  profondément  dans 
□Olre  espHl  cette  sentence  de  saint  Jérôme. 
(ju'il  est  très-difficile  et  même  impossible  de 
jouir  des  biens  présents  et  des  biens  à  ve- 
nir; d'être  toujours  dans  la  bonne  clière  et 
goûter  un  jou  dans  la  gloire  les  saintes  dé- 
lices d'une  table  <>ù  l'on  sera  nourri  de  Dieu 
même  par  une  pleine  possession  de  son  es- 
sence (Luc,  XXII,. '{0);  de  passer  des  plaisirs 
du  siècle  à  ces  torrents  de  volupté  que  Dieu 
prépare  dans  son  royaume  à  ses  e  us  :  Dif- 
ficile, imo  impossibile  est  ut  prœscntibus  quis 
et  futnris  fritatur  bonis .  ut  et  hir  ventrem  , 
et  ibi  mentem  repleut,  ut  de  deliciis  transeat  ad 
delicius  (Hieron.,  cp.  34,  ad  Julian.). 

Ecoutez  ces  terribles  paroles,  délicats  du 
siècle,  et  tremblez  pour  votre  salut;  écoutez 
la  condamnation  de  i  os  divertissements,  vous 
qui  ne  respirez  que  la  volupté,  qui  passez 
vos  jours  dans  l'oisiveté  et  dans  la  mollesse; 
vous  dont  la  vie  n'est  qu'un  corps  mons- 
trueux et  un  enchaînement  de  différents  plai- 
sirs ;  vous  qui  ne  les  interrompez,  ces  plai- 
sirs, que  pour  les  mieux  goûter  par  une  es- 
pèce de  faim  qui  en  irrite  L'appétit,  ou  pour 
leur  eu  substituer  de  nouveaux  ;  vous  qui  en 
faites  votre  plus  importante  et  presque  uni- 
que occupation. 

Mes  frères,  ces  heureux  mondains  se  plon- 
gent dans  les  délices  :  on  voit,  dit  Job,  et 
voici  la  peinture  de  la  vie  qu'ils  mènent  prin- 
cipalement en  ces  jours  de  débauche;  on 
voit  sortir  en  foule  leurs  enfants  qui  dan- 
sent et  qui  sautent  en  se  jouant  ;  ils  ont  la 
guitare  et  les  timbales  à  la  main,  et  ils  se 
divertissent  au  son  des  instruments  de  mu- 
sique; ils  passent  leurs  jours  dans  les  déli- 
ces :  Tcnent  tympanum  et  citharam,  et  gau- 
dent  ad  sonitum  organi  (Job,  XXI,  11,  12). 
Et  quel  sera  leur  sort?  Le  voici  :  en  un  mo- 
ment, quand  ils  y  pensent  le  moin-,  ils  sont 
emportés  |>ar  la  mort,  et  quelle  mort  I  I)n- 
cunt  in  bonis  dûs  suos,  ei  in  puncto  ad  in- 
terna descendant  (Ibid.)  :  et  peut-être,  comme 
Ballhazar  après  s«.n  festin  sacrilège,  ei  com- 
me le  riche  de  L'Evangile  qui  avait  passé  sa 
vie  dans  la  bonne  chère  et  dans  toute  sorte 
de  délices,  ils  se  trouvent  ensevelis  dans  les 
enfers  :  Et  sepultus  est  in  inferno  (Luc XVI, 
22)  :  catastrophe  terrible,  mais  juste,  et  très- 
ordinaire  aux  liberlii  s  qui  aiment  les  as- 
semblées mondaines,  les  jeux,  les  specta- 
cles, les  excès  dans  la  bonne  chère,  les  joies 
insensées,  les  plaisirs  criminels,  et  qui  cou- 
rent avec  emportement  après  tout  ce  qui 
peut  contenter  les  désirs  déréglés  de  leur 
cœur. 

Fuyons  la  compagnie  de  ces  partisans  d'un 
monde  corrompu,  dont  tous  les  pas  condui- 
sent au  précipice.  Détachons  notre  cœur  de 
tous  ces  vains  amusements,  fortement  per- 
suadés que  tout  ce  que  le  monde  a  de  plus 
charmant  et  de  plus  aimable  n'est  qu'on 
songe,  une  agréable  illusion,  une  ombre  fu- 
gitive qui  se  dissipe,  et  qu'il  ne  restera  à  ces 
mondains,  de  leurs  débauches  cl  de  leurs  i 


ces  q  reproches  cuisants  d'une  cons- 

clem  e  rongée  Je  mille  rem  rds,  q  e  des  re- 
grets i  orte  -  et  une  terrible  attente  des  ju- 
gements «le  Dieu.  Vains  fantômes  de  plaisirs, 
qu'ête  i  v  ,us  encore'.'  un  peu  de  fumée,  une 
vapeur  qui  parait  et  se  perd  au  même 
moment,  des  caractères  écrits  sur  la  pous- 
sière que  le  vent  emporte.  Oui,  mondains, 
il  en  sera  de  même  de  tous  ces  diveit 
ments  que  vous  recherchez  avec  taul  de 
passion. 

Si  jamais  nous  fûmes  obligés  de  nous  éloi- 
gner des  désordres  et  des  folies  du  siècle. 
principalement  dans  des  temps  où  chacun  de 
nous  doit  se  regarder  comme  chargé  du  soiu 
d'achever  la  conversion  de  nos  frères  nou- 
vellement réunis  :  Infirmum  autem  in  fide  «s- 
sumite  (Rom.,  XIV,  1)  :  Recevez  avec  cha- 
rité, dit  saint  Paul,  celui  qui  est  en  orc  fai- 
ble en  la  foi.  En  vain  le  roi  emploierait -il 
tous  ses  soins  et  toute  son  application  pour 
rappeler  dans  le  sein  de  l'Eglise  tous  ceux 
de  ses  sujets  qui  en  sont  séparés,  si  ceux  qui 
leur  doivent  l'exemple  le-  en  éloignaient 
par  une  vie  déréglée;  s'ils  détruis. lient  par 
leurs  scandales  et  parleurs  dissolutions  ce 
que  ce  prince  religieux  édifie  par  sa  piété  et 
par  son  zèle. 

Quel  sujet  de  tentation,  mes  frères,  pour 
des  nouveaux  catholiques,  s'ils  voyaient  leurs 
aînés  en  la  foi  libres  daus  leurs  paroles, dis- 
solus dans  leurs  actions,  abandonnés  à  des 
plaisirs  profanes,  livrés  à  des  passions  d'i- 
gnominie; s'ils  les  voyaient  mener  une  vie 
païenne  au  milieu  de  la  pur  te  du  christia- 
nisme, courir  aveuglément  après  les  folies 
du  monde,  suivre  im;  étui  usetnent  le  torrent 
des  coutumes  établies  par  le  libertinage,  en 
un  mot,  nier  par  leurs  actions  ce  qu'ils  con- 
fessent de  bouche  (TH.,  I,  10)! 

Quel  avantage,  dit  Eusèbe,  les  Juifs  n'ont- 
ils  pas  tiré  de  la  vie  licencieuse  depl  isieurs 
chrétiens  de  son  temps  pour  s'autoriser  dans 
leur  infidélité,  parce  qn'ils  vivaient  en  ap- 
parence d'une  plus  grande  régularité  qu'eu\l 
Aussi  peul-im  dire  hardiment  que  le  dérè- 
glement des  mauvais  chrétiens  a  souvent 
été,  sinon  la  cause,  du  moins  l'occasion  qui 
a  servi  de  prétexte  aux  hérétiques  de  se  sé- 
parer de  nou  ou  de  demeurer  dans  leur  er- 
reur. Efforçons-nous  donc  doter  ce  dernier 
retranchement  dont  les  fauteurs  Je  L'héré- 
sie, ne  distinguant  pas  comme  ils  devaient 
la  doctrine  d'à  ver  la  morale,  ont  tâché  de 
justifier  leur  schisme  et  leur  rébellion  c  nlre 
liiglise  ;  mais  ôlons  aussi  cet  obstacle  à  la 
p  rlaite  conversion  de  nos  frères  réunis. 

Prenez  bien  garde,  disait  Jésus-Christ,  de 
ne  mépriser,  de  ne  scai  aucun   de  ces 

;  tits  qui  croient  en  moi  Malt/t.,  XVIII,  10), 
et  dont  la  foi  est  encore  tendre  et  délicate  ; 
eludions-nous  au  contraire  à  les  édifier  par 
la  pureté  do  nos  mevurs;  qu'ils  troavenl  eu 
nous  des  modèles  de  vertu  qu'ils  puissent 
imiter,  ou  des  censeurs  de  leurs  vices  qu'ils 
puissent  craindre.  Faisons-leur  voir  par  nos 
actions  que  nous  sommes  du  petit  troupeau 
de  ceux  à  qui  te  l'ire  ••<■«.'  donner  te  royaume 
[Luc,  XII,  32).   Rougissons  d'en  voir  parmi 


77 


SERMON  SUR  LES  DESORDRES  DU  CARNAVAL.  7S 


les  nouveaux  catholiques,  qui,  étant  venus 
plus  lard  dans  la  vigne  du  Père  de  famille, 
ont  travaillé  avec  tant  de  diligence  et  de  fer- 
veur, qu'l's  méritent  déjà  une  pareille  et  mê- 
me plus  grande  récompense  que  nous.  Don- 
nons-leur l'exemple  qu'ils  ont  droit  d'atten- 
dre de  nous;  que  notre  bonne  conduite  soit 
à  leur  égard  comme  une  preuve  continuelle 
de  la  vérité  de  notre  religion  et  de  la  pureté 
de  sa  morale. 

C'est  ainsi  que  par  des  mœurs  sages  et  ré- 
gulières non-seulement  nous  confirmerons 
nos  frères  dans  la  foi  qu'ils  ont  heureuse- 
ment embrassée;  mais  s'il  s'en  trouvait  en- 
core qui,  par  les  préjugés  de  la  naissance  et 
de  l'éducation,  fussent  attachés  à  leurs  pre- 
mières erreurs,  nous  les  toucherons,  nous 
les  ramènerons  à  l'Eglise  ,  nous  les  conver- 
tirons. L'innocence  de  no!re  vie  sera  comme 
un  argument  sensible,  auquel  toute  l'opiniâ- 
treté de  l'hérésie  ne  pourra  remisier,  et  bien- 
tôt ils  suivront  la  créance  de  ceux  dont  ils 
auront  admiré  la  piété  et  la  vertu  :  car  enfin 
on  gagne  aisément  l'esprit,  quand  le  cœur 
est  touché  par  les  exemples  d'une  vie  édi- 
fiante et  véritablement  chrétienne. 

En  second  lieu  ce  que  doivent  faire  les 
véritables  fidèles,  dans  ces  temps  de  désor- 
dre, pour  arrêter  le  torrent  des  iniquités  qui 
inondent  la  terre,  c'est  d'opposer  les  larmes 
et  les  gémissements  aux  vaines  joies  du 
monde.  Pleurons,  mes  frères,  pleurons  pre- 
mièrement sur  nous.  Si  vous  fûtes  autrefois, 
ou  quelques-uns  d'entre  vous,  dans  le  même 
aveuglement  (et  peul-être  y  fûtes-vous  dans 
les  premiers  emportements  d'une  jeunesse 
inconsidérée  :  Eratis  enim  aliquando  tenebrœ 
[Eph.,\,  8|),  à  présent  que  Dieu  vous  a  des- 
sillé les  yeux  par  une  lumière  céleste  :  Nunc 
dutemluxin  l)o;iino  (lbid.)  ;  remplis  de  honte 
et  de  douleur,  dites-vous  à  vous-mêmes  ce 
que  l'Apôtre  disait  aux  Romains  pour  les 
confondre  :  Quel  fruit  donc  avez-vous  lire 
de  ces  désordres  dont  vous  rougissez  mainte- 
nant, puisqu'ils  n'ont  pour  fin  que  la  mort 
(Kom.,  VI,  21)?  Ah!  pleurez,  gémissez  sur 
vos  premiers  égarements  :  pénétrés  d'un  vif 
regret,  dites  avec  le  roi-prophète  :  Delictu 
juventutis  meœ  et  ignorunliasmeas  ne  mniine- 
ris  (Psal.  XXIV,  7).  Ah  1  Seigneur,  oubliez 
les  péchés  et  h  s  ignorances  d'une  volage  et 
aveugle  jeunesse. 

Mais  pleurons  aussi  sur  le  malheureux 
état  de  nos  frères,  qui,  dans  le  centre  du 
christianisme,  renouvellent  les  fêtes  les  plus 
honteuses  des  païens.  Comme  Jérémie,  re- 
gardant de  loin  les  ahominalions  de  Rnby- 
lone,  pleurait  sur  ses  crimes  et  sur  sou 
malheur,  pleurons  aussi,  mes  freres,  sur  le 
déplorable  aveuglement  des  mondains;  je  ne 
vous  l'ai  représenté  que  pour  loucher  votre 
compassion  sur  leur  triste  étal.  Ainsi  Jésus- 
Christ,  jetant  les  yeux  .sur  Jérusalem,  pleura 
amèrement  sur  elle  et  sur  ses  ignorances 
criminelles.  .Si  cognovisses  et  tu.  Ah  1  Jéru- 
salem, si  lu  avais  connu...  Mais  maintenant 
tout  ceci  est  caché  à  tes  yeux  (Luc,  Xl\.,  kl). 
Telle  doit  être  notre  douleur  et  notre  coni- 
|i  iMiëfl  sur  les  âmes  qui  se  perdent  parleur 


aveuglement  volontaire  et  par  leurs  dérègle- 
ments. 

Disons  avec  le  même  Jérémie  :  Qui  don- 
nera de  l'eau  à  ma  tête,  et  à  mes  yeux  une 
fontaine  de  larmes,  pour  pleurer  jour  et  nuit 
la  mort  des  enfants  de  la  fille  de  mon  peuple 
(Jerem.,  IX,  1)  ;  pour  pleurer  sans  cesse  la 
perte  de  ces  violateurs  de  la  loi  qui  donnent 
la  mort  à  leur  âme  par  leurs  désordres  et 
par  leurs  scandales  ? 

Nous  lisons  dans  le  Lévilique  que  Dieu 
commanda  autrefois  aux  Israélites  d'affliger 
leurs  âmes  en  sa  présence  le  dixième  jour 
de  septembre;  parce  que,  comme  remar- 
quent les  Pères  et  les  interprètes,  ce  peuple, 
enivré  d'une  folle  joie  de  voir  ses  greniers 
pleins  de  blé,  et  ses  celliers  remplis  de  vin, 
avait  coutume  d'employer  ce  temps-là  aux 
jeux,  à  la  débauche,  et  de  commettre  toute 
sorte  d'excès  :  ce  fut  ce  jour-là  que  Dieu 
consacra  par  une  fête  solennelle,  et  qu'il 
voulut  être  honoré  d'une  manière  plus  par- 
ticulière par  des  sacrifices  d'expiation  et  de 
pénitence.  Vous  affligerez  vos  âmes  en  ce 
jour-là,  dit  le  Seigneur,  et  vous   offrirez  un 

holocauste  au  Seigneur Tout  homme  qui  ne 

se  sera  point  affligé  en  ce  jour  périra  du  mi- 
lieu de  son  peuple  (  Levit.,  XXIII,  27). 

Tels  doivent  être,  mes  frères,  les  senti- 
ments de  noire  douleur  en  ces  jours  de  li- 
cence :  à  la  vue  de  tant  de  débauches  et  de 
débordements  ,  il  faut  gémir,  nous  attrister 
devant  le  Seigneur,  lui  offrir  des  sacrifices 
de  propitiation,  pour  expier  les  excès  des 
mondains :Quia  dics propitiationis  est  (lbid., 
28),  parce  que  ce  doivent  être  pour  nous  des 
jours  de  propitiation. 

Quels  étaient  les  sentiments  du  roi  David, 
quand  il  voyait  son  Dieu  outragé  par  les  pé- 
cheurs ?  Seigneur,  disait,  ce  zélateur  de  la 
gloire  de  son  Dieu,  mon  zèle  m'a  séché  de 
douleur,  parce  que  vos  ennemis  ont  oublié  vos 

commandements Je  sèche  de  douleur,  quand 

jevois  la  prévarication  des  pécheurs  qui  aban- 
donnent votre  loi  (Psal.  CXV1II,  139,158). 
Ainsi  devons-nous  sentir  s'émouvoir  notre 
cœur  à  la  vue  des  désordres  qui  se  commet- 
tent. 

Mais  ce  sont  particulièrement  les  prêtres 
qui  doivent  gémir  devant  Dieu  pour  apaiser 
sa  colère,  et  détourner  les  traits  de  son  in- 
dignation. C'est  l'obligation  que  l'Eglise  nous 
impose  par  les  paroles  de  Joél,  qu'elle  nous 
fera  chanter  dans  peu  de  jours  :  Intcr  ves- 
tibulum  cl  altare  plorabunt  sacerdotes  mini- 
siri  Domini,  et  dicent  :  Parce,  Domine,  parce 
populo  tuo  (JoeL  II,  17).  Que  les  prêtres  et 
les  ministres  du  Seigneur,  prosternés  entre 
le  vestibule  et  l'autel ,  fondent  en  larmes  et 
s'écrient  :  Pardonnez,  Seigneur,  pardonnez 
à  votre  peuple.  Le  même  prophète  nous  y 
exhorte  encore  par  ces  paroles  vives  et  tou- 
chantes :  Àccingile  vos  et  plangitc,  sacei  do- 
tes ;  ululais,  ministri  altaris,  ingredimini,  ca- 
hute in  ittCCQ,  ministri  Dei  mei  (  J cri,  I,  13  ). 
Prêtres,  couvrez-vous  de  sacs  de  pénitence, 
et  pleurez  ;  jetez  de  grauds  <  ris,  ministres 
de  l'autel,  altos  dans  le  temple,  el  couchez 
dans  le  sac  el  dans  la  cendre,    ministres  de 


iniiii  Dieu.  Préires  de  Jésus-Chrisi,  ce   do  II 
"ii.  i.'i  votre  occupation  par  avance  :  c'e 
i|ue  nous  devons  faire  en  ces  jours  de  dér<  - 
glements,  nous  affliger,  pleurer  au   pied  des 
autels,  pour  expier  les  criuies  et   les  iniqui- 

-  du  peuple. 

Il  s'en  Irouve  encore,  .Messieurs,  de  ces 
âmes  fidèles,  qui,  brûlées  de  zèle  pour  les 
intérêts  de  Dieu  et  pour  le  salut  de  leurs 
frères,  gémissent  en  secret  sur  les  désordres 
de  ce  temps,  [fleurent  sur  l'aveuglement  de 
tant  d'âmes  rachetées  du  sang  de  Jcsus-ChrM, 
qui  courent  précipitamment  à  leur  perle,  et 
s'efforcent  d'éteindre  la  juste  colère  du  ,-ei- 
gneur  que  les  pécheurs  allument  par  leurs 
iniquités.  Ce  sont  les  sentiments  que  veulent 
nous  inspirer  ces  religieux  pénitents,  p;>r 
l'établissement  de  ces  prières  publiques  pen- 
dant lesquelles  nous  les  voyons  avec  tant 
d'édification,  prosternés  au  pied  des  autels, 
répandre  devant  le  Seigneur  leur  âme  j  eue— 
trée  de  douleur  pour  les  péchés  qui  se  com- 
mettent en  ces  temps  :  heureux  si  nous  en- 
trons dans  l'esprit  d'une  si  pieuse  institution I 

Mais,  ministres  du  Seigneur  et  de  sa  pa- 
role, ne  nous  contenions  pas  de  gémir  et  de 
nous  affliger  :  animés  d'un  juste  zèle  pour  sa 
gloire,  efforçons-nous  encore  par  nos  avis 
salutaires  d'arrêter  le  cours  de  ces  désor- 
dres» Reprochons  hardiment  aux  libertins 
leur  aveuglement  criminel  et  leurs  dissolu- 
tions, suivant  ces  paroles  que  Dieu  adres- 
sait à  lsaïe  :  Criez  sans  cesse,  faites  retentir 
votre  voix  comme  une  trompette  ;  annoncez 
à  mon  peuple  les  crimes  qu'il  a  faits,  et  à  la 
maison  de,  Jacub  les  péchés  qu'elle  a  commis 
[Isa.,  LV11I,  1). 

Tournons  toule  la  véhémence  de  nos  dé- 
clamations contre  les  mondains  ;  sachons 
que  nous  nous  rendons  coupables  en  quel- 
que sortedes  dérèglements  auxquels  nous  ne 
nous  opposons  pas  avec  toute  la  vivacité  de 
notre  zèle. 

J'ose  dire  à  tous  les  ecclésiastiques  qui 
m'entendent  ce  que  Judith  disait  autrefois 
aux  prêtres  delà  ville  deBélhulie  :  O  vous, 
mes  frères,  puisque  vous  êtes  les  prêtres  du 
peuple  de  Dieu,  et  que  leur  salut  dépend  de 
vous  et  de  votre  zèle,  c'est  maintenant  votre 
office  de  toucher  leurs  cœurs,  et  de  les  rame- 
ner par  la  force  de  vos  discours  à  leurs  de- 
voirs :  Et  nunc,  paires,  quoniam  vos  estis 
presbyteri  in  populo  Dei,  et  ex  vobis  pendet 
anima  illorum  ad  eloguiwn  restrum,  corda 
eorum  erigile  (Judith.,  VIII,  21).  Méprenons 
les  libertins  avec  douceur,  mais  avec  une 
force  et  une  gravité  digne  de  noire  minis- 
tère ;  tioublons  leur  fausse  sécurité  et  leurs 
joies  criminelles  par  le  souvenir  des  terri- 
bles jugements  de  Dieu,  el  par  tout  ce  que  la 
religion  a  de  plus  effrayant.  Sans  vouloir 
adoucir  la  sévérité  de  la  morale  évangélique, 
ni  élargir  la  voie  étroite  qui  conduit  à  la  rie 
(Matth.,  VII,  21),  disons-leur  qu'il  y  a  des 
récréations  modestes,  des  plaisir?  légitimes 
el  innocents,  el  que,  comme  dit  un  ancien 
sage,  on  peul  se  divertir  sans  se  porter  à 
des  excès  coupables  :  Licet  sine  luxurtu 
ayere  fatum  divin  [Sente,  epist.  18),  Disons- 


ORATI  :  RS  SACRES.  BEGAI  :  80 

leur  enfla  qu'il    est   permis  de  •-e   réjouir* 

mais  (|U  il  faul,  comme  parle  l'Apôtre,  que 
ce  soit  toujours  dans  le  Seigneur  (l'hilip., 
IV. 

A  ces  exhortations,  mes  Ireres,  joignon 
de  ferventes  prières;  après  avoir  parlé  de 
Dieu  aux  pécheurs,  parlons  à  Dieu  des  pé- 
cheurs: offrons-lui  le  sacrifice  de  nos  cœurs 
et  de  nos  lèvres  pour  détourner  sa  co- 
lère. Si  quelqu'un  ttl  du  ,arti  du  Sei- 
gneur,  qu'il  te  joigne  à  moi  [Exoé.,  XWII, 
26);  non  pas  pour  exterminer  les  libeitisu 
au  milieu  de  leurs  débauches,  comme  lit 
-Moïse  à  l'égard  de  ungl-irois  mille  !>t  •  di- 
tes après  leur  idolâtrie  e;:r  nous  sommes 
dans  une  loi  de  douceur  qui  nous  apprend 
à  vaincre  la  dureté  des  pécheurs  par  nos 
prières  et  nos  gémissements);  mais  qu'il  se 
joigne  à  moi  pour  obtenir  de  Lieu.  |  ai  nos 
vœux  et  nos  prières,  le  pardon  de  leurs 
crimes. 

Du  temps  de  Tobie,  le  peuple  allant  en 
foule  a  certains  j  >urs  adorer  les  veaux  d'or 
que  Jéroboam  avait  f;iit  élever,  ce  saint 
homme  fuyait  lui  seul  lu  compagnie  de  ces 
lires  (Tob.  ,  I,  5);  il  allait  à  Jérusalem 
au  temple  adorer  le  Seigneur  Dieu  d'Israël, 
et  par  d'humbles  prières,  par  des  présents 
et  des  sacrifices,  il  s'efforçait  de  détourner 
de  ses  frères  les  effets  delà  vengeance  de 
Dieu.  Imitons,  mes  f.  ères,  cet  homme  de 
Dieu,  et  tandis  que  les  partisans  du  monde 
adorent  les  idoles  de  leurs  infâmes  passions, 
tandis  qu'ils  sont  dans  les  (eslins,  qu'ils  cou- 
rent aux  spectacles,  aux  assemblées  profa- 
nes, allons  dans  le  temple  du  Seigneur,  pour 
lui  rendre,  s'il  est  possible,  autant  de  gloire 
qu'on  commet  d'outrages  contre  lui. 

J'euple  acquis,  pelil  troupeau,  âmes  choi- 
sies, redoublez  vos  prières  et  vos  vœux, 
pour  apaiser  un  Dieu  justement  irrité  parles 
crimes  des  pécheurs.  C'est  particulièrement 
en  ces  jours,  où  le  vice  triomphe  avec  plus 
d'audace,  où  la  plupart  des  chrétiens  sem- 
blent vouloir  entièrement  abandonner  Dieu, 
que  nous  devons  lui  donner  des  marques 
d'une  plus  grande  fidélité;  rien  ne  peut  lui 
être  plus  agréable.  Souvenons-nous  que  Je- 
sus-Christ  témoigna  la  satisfaction  qu'il  avait 
que  ses  disciples  fussent  toujours  demeurés 
fermes  avec  lui  dans  ses  tentations  el  dans 
ses  maux:  Vos  autan  estis  gui permantittit 
mecum  in  tentationibus  meis  (Luc. .  X.X.11,28). 
Prions  pour  le  salul  de  nos  frères,  disons 
à  Dieu:  Seigneur,  ouvre/  les  veux  de  ces 
aveugles:  Domine,  aperi  ocutos  Mlomm(lV 
Reg. ,  VI, 20).  Qui  sait  si  Dieu  n'écoulera 
pas  enfin  nos  vœtix,  et  s'il  ne  se  lrou\  era  pas 
dans  les  trésors  de  sa  miséricorde  une  grâce 
puissante  et  victorieuse,  qui  arrachera  a\cc 
uue  douce  violence  ces  hommes  voluptueux 
à  leurs  plaisirs  criminels?  Ce  fut  par  des 
prières  redoublées  el  ditlerents  exercices  de 
pieté  que  saint  Charles  Borromée,  arche 
Véque  de  Milan,  changea  dans  celle  grande 
ville  en  des  fêtes  saintes  ces  jours  que  la  cou- 
tume de  plusieurs  siècles,  par  une  espèce  de 
culte  sacrilège,  avait  consacres  à  l'impiété 
cl  à  la  dissolution.  Pourquoi  ne  pourrons- 


SI 


SERMON  SIR  L'HYPOCRISIE. 


«2 


nous  pas  espérer  un  semblable  succès,  si 
notre  zèle   est  soutenu   par  des  prières  fer- 
ventes, par  les  mêmes  exercices  de  piété? 
Monseigneur, 

Pouvons-nous  rapporter  ici  les  désordres 
de  ces  temps,  sans  parler  de  ce  que  vous 
faites  pour  les  corriger  ou  pour  les  prévenir  ? 
A  peine  le  vice  (imide  et  tremblant  ose-t-il 
paraître  devant  un  si  rude  censeur.-  après 
avoir  réformé  la  langue  des  peuples,  vous 
en  réformez  les  mœurs,  et  après  leur  avoir 
appris  à  bien  parler,  vous  leur  enseignez 
par  vofre  exemple  à  bien   vivre. 

Nous  ne  louerons  plus  on  vous  ,  Mon- 
seigneur, la  force  et  la  sublimité  de  votre 
grand  génie  ,  celte  pénétration  vive  qui  ne 
trouve  aucun  nuage,  cette  science  profonde 
et  lumineuse  à  laquelle  rien  n'est  [caché. 
Nous  n'établirons  plus  votre  éloge  sur  les 
magnifiques  ouvrages  de  votre  esprit  dans 
tous  ies  genres  d'écrire;  la  place  éminente 
à  laquelle  un  rare  mérite,  de*  talents  supé- 
rieurs et  le  juste  discernement  du  roi  vien- 
nent de  vous  élever,  nous  fournissent  une 
bien  plus  noble  et  plus  riche  matière  de. 
louanges.  Au-dessus  même  de  votre  dignité, 
quelque  sublime  qu'elle  soit,  à  n'en  consi- 
dérer que  les  dehors,  vous  lui  donnez  pins 
d'éclat  que  vous  n'en  recevez  :  accoutumé 
déjà  à  regarder  l'épiscopat  plutôt  comme  un 
poids  que  comme  une  dignité,  loule  votre 
étude  est  d'en  remplir  avec  une  exacte  fidé- 
lité les  plus  pénibles  devoirs. 

La  qualité  d'évêque  n'est  pas  en  vous , 
Monseigneur,  un  vain  titre  d'honneur,  ni  un 
nom  sans  fonction.  Vous  n'eûtes  p;îs  plutôt 
entendu  la  voix  qui  vous  appelait  au  sacré 
ministère,  que  vous  courûtes  à  l'œuvre  à  la- 
quelle Dieu  vous  destinait  par  sa  provi- 
dence. A  peine  êtes-vous  sorti  des  fatigues 
d'une  importante  mission  ,  entreprise  par 
ordre  du  roi,  dans  une  grande  province  (la 
Bretagne)  dont  la  conversion  fut  comme  le 
prélude  et  les  prémices  de  votre  apostolat, 
que  vous  partez  pour  vous  rendre  aux  vœux 
d'un  troupeau  qui  soupirait  avec  ardeur 
après  son  illustre  pasteur.  Ni  le  rang  que 
vous  teniez  à  la  cour,  où  vous  fûtes  toujours 
applaudi ,  ni  les  fonctions  de  votre  charge 
auprès  d'une  auguste  princesse  dont  vous 
eûtes  toujours  toute  l'estime  et  loule  la  con- 
fiance ,  et  dont  l'éloignement  devait  vou< 
coûter  si  cher  (1),  ni  bien  d'antres  raisons 
que  la  sagesse  humaine  pouvait  regarder 
comme  des  litres  légitimes  ,  pour  être  dis- 
pensé des  règles  de  l'Eglise  sur  la  résidence, 
rien  n'est  capable  de  vous  relenir;  vous  rom- 
pez les  engagements  les  plus  forts  et  les 
plus  tendres,  pour  vous  attacher  à  voire 
épouse. 

Arrivé  dans  le  champ  de  cette  ample  mois- 
son que  Dieu  avait  préparée  à  votre  zèle, 
quelles  fatigues  ,  quels  soins,  quelle  vigi- 
lance pour  le  bien  et  le  repos  de  votre  dio- 
cèse 1  Quelle  application,  soit  à  réunir  les 

'.;  Pléchicr,  <■  mine  on  sait,  avait  été  aumônier 
ordinaire  <le  Madame-la  Dauphine. 
(:>)  Oit  reconnaît  ici  cet  enthousiasme  de  I  «lève 


familles  divisées,  et  à  éteindre  le  feu  de  leurs 
dissensions  ,  soit  à  arracher  les  restes  de 
cette  ivraie  malheureuse  que  l'ennemi  sema 
dans  le  champ  de  l'Eglise,  soit  à  nourrir  et  à 
fortifier  en  nos  frères  réunis  une  foi  nais- 
sante et  encore  faible ,  soit  à  achever  de 
former  Jésus-Christ  dans  leurs  cœurs  :  signes 
glorieux  de  votre  apostolat. 

Que  n'aurais-je  pas  à  dire,  Monseigneur, 
si  le  temps  me  !e  permettait,  de  ces  pénibles 
visites  dont  toutes  les  traces  sont  marquées 
par  des  traits  de  votre  zèle  bienfaisant?  C'est 
là  où,  comme  un  autre  saint  Paul,  vous  vous 
faites  tout  à  lous  pour  gagner  tout  le  monde 
à  Jésus-Christ;  c'est  là  où,  comme  Jésus- 
Christ  même,  on  vous  voit  aller  de  ville  en 
ville,  de  village,  en  village,  annoncer  aux 
peuples  le  royaume  de  Dieu.  Qu'il  fait  beau 
voir,  Monseigneur,  qu'après  vous  être  élevé 
comme  un  aigle  par  ces  discours  qui  sur- 
passent l'éloquence  humaine  (2),  vous  des- 
cendiez à  des  instructions  communes,  à  la 
portée  d'un  peuple  rude  et  grossier  1  égale- 
ment admirable,  soit  que  vous  charmiez  par 
vos  discours  magnifiques  la  plus  brillante  et 
la  pius  savante  cour  du  monde  et  les  plus 
augustes  assemblées  ;  soit  que,  d'un  style 
familier,  avec  des  comparaisons  et  des  para- 
boles simples,  méprisant  votre  propre  gloire 
pour  établir  celle  de  Jésus-Christ,  vous  rom- 
piez le  pain  aux  petits,  à  peu  près  comme 
ces  intelligences  supérieures  qui  ne  dé- 
daignent pas  de  conduire  des  hommes  fai- 
bles, tandis  qu'elles  donnent  le  mouvement 
aux  plus  hauts  cicux  et  aux  astres  les  plus 
éclatants. 

Veuille  ce  Dieu  qui  vous  a  comblé  de  tant 
de  grâces,  Monseigneur,  vous  les  continuer 
et  les  augmenter  pour  sa  gloire  et  pour  le 
salut  des  âmes  qui  vous  sont  commises  ! 
Puissent  ces  grandes  vertus,  que  vous  pra- 
tiquez dans  un  si  éminent  degré,  être  pour 
nous  un  continuel  motif  de  remplir  tous  nos 
devoirs  ! 

Ainsi  ,  mes  frères  ,  nous  attirerons  sur 
nous  les  bénédictions  du  ciel,  qui  seront 
suivies  du  bonheur  éternel,  que  je  vous 
souhaite  avec  la  bénédiction  de  Monsei- 
gneur, etc.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR  LE  CINQUIÈME  DIMANCHE  D'APRÈS  LA 
PENTECÔTE. 

Prêché  à  Paris  dans  l'église  paroissiale  «le  Sn'nl* 
Micolas-des-Champs,  en  l'année  IU86, 

Sur  l'hypocrisie. 

Nisi  abundaverit  justftia  vestra  plusquam  scrlbarum  et 
pharfsœorum,  non  intrabitis  in  ragnum  cœlnruoi. 

Si  voire  justice  n'eM  plus  parfait  .  acribei  et 

ries  pnaritie  s.  wnu  n'entrerez  po:nt  dans  le,  royaume  des 
cieux  [Mnilli.,  V,  20). 

I  (•  croirions-nous ,  Messieurs ,  si  l'oracle 
mène  de  la  vérité  ne  nous  en  assurait  ,  que 


pour  les  Islents  du  maître  que  nous   aVOflfl 
liai  -  la  milice  île  l'abbé  lîégauli. 


s:, 


OHATEUHS  SACRES.  BEGAULT. 


noire  verlp  ,  que  notre  jus; ii  e  eioii  <t- 1 r t*  plus 
abondante  Cl  plus  parfaite  que  c  Ile  des  scri- 
bes el   des   pharisiens'.'   Car  enfin  d'un  côlé 
ûLre  exempt  de  tous  les  vice    ,  n'être   point 
comme  le  reste  des  hommes  ,  qui  sont  ravis- 
seurs du  bien  d 'autrui  ,  injusles  ,  adullères 
(Luc,  XVJII,  H)  ;  ne  point  ebereber  à  s'en- 
richir par  des  voies  illicites  ;  d'un  autre  côté, 
pratiquer  les  plus  éclatantes  vertus  ;  jeûner 
leux  l'ois  la  semaine,  avoir   le  visage  pâle 
et  abattu  par  de  rudes  austérités;  pajer  exac- 
tement la  dîme,  même  des  plus  petites  her- 
bes ;  être  sépare,  du*  commerce  du  monde  par 
un  genre  de  vie  et  de  mœurs  plus  pures  el 
mieux  réglées  ;  offrir  un  plus  grand  nombre 
de  victimes  ;  faire  sur  soi  des  ablutions  et 
des  purifications  continuelles  ;  répandre  des 
aumônes  abondantes,  brûler  d'un  zèle  vif  et 
ardent  pour  la  loi  du  Seigneur,  en  porter  sur 
ses  habits  les  plus  notables  sentences,  écri- 
tes sur  des  bandes  de  parchemin  plus  larges 
que  les  autres,  pour  les  avoir  plus  présentes 
devant  les  yeux   [Mat th.  XXIII,  5);  gar  ci- 
scrupuleusement  jusqu'aux  moindres  tradi- 
tions ;  observer  rigoureusement  le  sabbat  ; 
fréquenter  avec  assiduité  les  synagogue-  ,  y 
faire  chaque  jour  de  longues  prières  :  peut- 
on  porter  plus  loin  la  perfection?  Aurait-on 
pu  en  demander  davantage  ,  dans  ces    heu- 
reux temps  de  l'Eglise  naissante,  où  les  fi- 
dèles possédaient  les   prémices  de  l'esprit? 
Qui  de  nous  ne  canoniserait  les  vertus  d'un 
chrétien  qui  aurait  donnédes  exemples  d'une 
vie  si  pure  et  si  sainte? 

Cependant  Jésus-Christ  nous  assure  que  si 
notre  vertu  n'est  plus  pleine  et  plus  entière 
que  celle  des  scribes  et  des  pharisiens,  nous 
n'entrerons  point  dans  le  royaume  des  <  ieux; 
cependant  Jésus-Christ  semble  traiter  plus 
sévèrement  dans  l'Evangile  les  scrihes  el  les 
pharisiens  ,  qu'il  n'a  jamais  traité  les  plus 
grands  pécheurs,  puisqu'il  recherche  ceux  - 
ci  avec  empressement  et  avec  tendresse,  qu'il 
mange  avec  eux,  qu'il  s'intéresse  à  leur  dé- 
fense ;  et  qu'au  contraire  il  rejette  avec  in- 
dignation les  scribes  et  les  pharisiens,  el  qu'il 
a  fulminé  contre  eux  autant  d'anatlièines 
qu'il  a  prononcé  de  béatitudes  et  de  béné- 
dictions pour  les  justes. 

D'où  vient  la  différence  de  ces  jugem  nls  , 
Messieurs;  d'où  vient  que  le  Fils  de  Dieu  re- 
prouve cette  vertu  des  pharisiens  ,  et  qu'il 
en  demande  une  autre  de  ses  véritables 
disciples?  C'est  que  celle-là  n'est  qu'une 
justice  feinte,  dissimulée,  corrompue  par 
l'hypocrisie, et  qi  e  notre  jusiiee  doit  être  vé- 
ritable et  sincère  :  car  Dieu  est  cs))ri!  ,  dit 
Jésus-Christ,  et  il  faut  que  ceua  qui  l'ado- 
rent, V adorent  en  esprit  et  eu  refile  :  et  sont 
lu  les  adorateurs  tjue  le  Père  demande  (Joan. 
IV,  24). 

C'est  ce  qui  m'engage  à  vous  parler  de 
l'hypocrisie,  de  te  mauvais  lendit  tles  phari- 
siens qui  corrompt  toute  la  masse  des  actions 
les  plus  saintes  (I,  Cpf.,  VI,  1).  11  est  impor- 
tant de  ne  s'y  pas  laisser  tromper,  el  de  ne 
pas  prendre  l'ombre  de  la  vertu  pour  la  ver- 
tu même.  Aussi  ,  est-ce  pour  cette  raison  que 
le  Fils  de  Dieu  nous  avertit  de  nous  garder 


des  hypocrites  [Luc.,  XII,  l).  Il  faut  donc 
que  je  vous  les  tasse  connaître  aujourd'hui, 
en  peignant  leur  véritable  caractère  ;  il  laut 
que  je  déclame  contre  eux  avec  toute  la  I  r- 
cc  el  toute  la  liberté  que  donne  le  ministère 
érangélique;  il  faut  démasquer  leurs  tau- 
vertus  ci  confondre  leur  malignité  cachée; 
on  n'a  rien  à  ménager  avec  ces  séducteurs 
publics,  cl  autant  qu  ils  s'étudient  à  se  con- 
trefaire aux  yeux  du  monde  ,  autant  faut-il 
prendre  soin  de  manifester  leur  déguisement 
et  leur  imposture.  isus-ChrisI  nous  en  a 
donné  l'exemple  :  <  r  contre  quel  viee  allu- 
ma-t-il  davantage  son  zèle  que  I  hy- 

poci  i 

J'ai  dessein  d'arraclior  le  masque  a  selle 
fausse  justice  des  pharisiens,  au  vice  infâme 
de  l'hypocrisie  ;  el  pour  vous  en  donner  de 
l'horreur,  il  me  sulfil  de  vous  le  représen- 
ter sous  ses  véritables  couleurs.  Je  veux 
donc  vous  faire  voir,  en  premier  lieu  ,  que 
l'hypocrite  n'est  pas  ce  qu'il  par,, il  en  ce 
monde  ;  en  second  lieu  ,  qu'un  jour  il  paraî- 
tra ce  qu'il  aura  éleen  effet  pendant  sa  vie. 
Ce  sont  les  deux  parties  de  ce  discours  ,  qui 
demande  toute  votre  attention.  Pour  obtenir 
les  grâces  dont  nous  avons  besoin  ,  adres- 
BOns-OOUS  à  l'esprit  de  vérité  et  deman  ions- 
lui  ses  lumières  par  l'intercession  de  la  sain- 
te Vierge.  Ave,  Maria. 

PRE1IIEB    POINT. 

Qu'est-ce  que  l'hypocrisie  ,  Messieurs  ? 
C'est,  disent  les  théologiens,  une  dissimula- 
tion par  laquelle  on  veut  paraître  vertueux 
lorsqu'on  ne  l'est  pas  :  Dissimulât io  t/ua  qui* 
juslum  se  fingit.  Qu'est-ce  qu'un  hypocrite? 
C'est  un  homme  qui  s'étudie  à  représenter 
un  personnage  différent  de  ce  qu'il  esl  : 
Aliéna  personœ  Simulator.  De  celte  notion 
il  est  aisé  de  voir  que  toute  l'application  d'un, 
hypocrite  est  de  cacher  ce  qu'il  est  en  effet. 

On  peut  distinguer  deux  genres  d'hom- 
mes dans  lj:vpucrite  :  l'homme  intérieur  et 
l'homme  extérieur;  ou  peut  distinguer  deux 
sortes  <le  poids  :  le  poids  dont  il  se  sert  de- 
vant les  hommes  ,  et  le  poids  dont  il  se  seit 
devant  Dieu.  Rien  de  mieux  réglé  que  l'hom- 
me extérieur  dans  l'hypocrite  :  tout  y  es( 
jusle,  loul  y  est  mesure  .  lout  y  est  compo- 
sé; mais  dans  l'homme  intérieur  tout  y  esj 
en  désordre  ,  tout  y  esl  de  rav<  .  tout  esl 
abominable  devant  Pieu  ;  il  semble  qu'aux 
yeux  des  hommes  on  pèse  '.ouïes  choses  au 
poids  du  sanctuaire  ;  mais  aux  yeux  de  Dieu 
on  pèse  lout  avec  un  poids  lout  différent  : 
J'ontlas  et     oinins  (I'rov..  XX,  10). 

L'homme  de  bien  n'a  égard  qu'aux  juge- 
ments de  Pieu,  et  se  met  lort  pou  en  peine  de 
l'estime   des    hommes   :  content  d  être    ver- 
tueux, il  ne  se  soucie  pas  de  le  paraître  ,  el 
uniquement  attentif  aux    idées  de  sagesse  . 
de    probité    cl   de   gloire  que   la  religion    lui 
propose,  il  oublie  presque  s'il  y    :  des  s  ec- 
laleurs  dans  le  monde,  pour  ne  regarder qt 
Dieu  ,qui  est  en  même  temps   le  témoin  ,  i 
jugent   la  couronne  de  ses  actions.    L'hvpo- 
crile  au  contraire,  sans  se  soucier  des  juge 
menti  de   Dieu  ,    n'a  égard   qu'a    ceux    des 


85 


SERMON  SUR 


hommes  dont  il  semble  attendre  toute  sa  re- 
compense ,  et  comptant  pour  rien  d'être  ver- 
tueux ,  il  lui  suffit  de  repaître  les  yeux  du 
monde  de  l'étalage  pompeux  de  fastueuses 
vertus. 

C'est  sous  cette  peinture  que  saint  Augus- 
tin nous  le  représente:  Simulât  justum  et 
non  exhibet  (Serm.Dom.  inmont.lib.  II,  c.3)  ; 
il  couvre  le  crime  sousdes  couleurs  emprun- 
tées delà  vertu;  peului  importe  d'avoir  de 
la  piété,  pourvu  qu'il  en  conserve  les  dehors 
et  les  apparences. 

Nous  pouvons  comparer  ici  cetle  justice 
de  pharisien  avec  ces  pièces  fausses  d'or  et 
d'argent  auxquelles  on  donne  cours  contre 
les  droits  sacrés  du  souverain  ;  elles  sont  frap- 
pées au  même  coin  que  la  bonne  monnaie, 
elles  portent  l'image  et  les  armes  du  prince, 
elles  ont  les  mêmes  inscriptions  ;  souvent, 
comme  si  elles  étaient  de  bon  aloi,  elles  pas- 
sent dans  le  commerce,  parce  qu'on  y  voit  les 
mêmes  caractères  :  mais  en  veut-on  sonder 
la  matière,  on  n'y  trouve  qu'un  bas  métal 
qu'on  a  mis  en  couleur,  ou  tout  au  plus  ce 
n'est  qu'une  minée  superficie  d'or  ou  d'ar- 
gent qui  en  couvre  le  défaut.  Telles  sont  les 
vertus  des  hypocrites:  elles  ont  un  dehors 
spécieux,  mais  au  fond  elles  n'ont  ni  solidité 
ni  mérite:  Hubentes  speciem  quidem  pieta- 
tis,  virlutem  autem  ejus  abneganles  (II, 
Jim.  M,  5). 

Qu'est-ce  que  la  vie  d'un  hypocrite,  dit 
saint  Basile?  C'est  une  véritable  tragédie. 
Dans  une  pièce  de  théâtre,  on  y  voit  des  dé- 
corations qui  ne  sont  rien  de  ce  qu'elles  pa- 
raissent ;  là  sont  représentés  des  bois,  des  fo- 
rêts, des  prairies ,  des  maisons  magnifiques, 
des  palais  enchantés;  là  paraissent  dans  un 
enfoncement  des  fontaines,  des  fleuves,  des 
mers  ;  on  y  voit  briller  des  éclairs,  on  entend 
gronder  des  tonnerres  :  et  tout  cela  ne  se 
passe  qu'en  fiction  et  en  peinture,  c'est  une 
machine  qu'on  fait  jouer  avec  art.  L'hypo- 
crite, dit  ce  Père,  est  un  acteur  qui  jan'e  un 
personnage  étranger  ,  tantôt  d'un  maître  , 
quoiqu'il  soit  quelquefois  un  valet,  tantôt 
d'un  prince,  d'un  roi ,  quoiqu'il  soit  homme 
particulier,  et  peut-être  de  basse  condition  : 
Hypocrita  dicitur  histrio  qui  in  theatro  per- 
sonam  mstinel  nlienam  :  siepe  heri  cum  sit 
servit*,  nul  régis,  cum  sil  privatus  (llomil.  1, 
de  Jejun.). 

Vous  voyez  représenter  sur  un  théâtre 
l'action  d'un  empereur  plein  de  clémence, 
qui  pardonne  à  un  ennemi  perfide  et  à  une 
troupe,  de  conjures;  vous  y  voyez  un  invin- 
cible héros  du  christianisme  qui  immole  et 
son  sang  et  sa  vie  pour  la  défense  de  la  loi; 
vous  y  voyez  l'innocence,  victime  de  la  pu- 
nie, prêle  à  succomber  sous  les  traits  con- 
certes d'une  injuste  calomnie  :  et  souvent 
eelui  <jui  paraîtra  sur  la  scène  sera  vindica- 
tif al  emporté;  il  n'aura  ni  piété  ni  religion  ; 
l'actrice  qui  représente  sera  peut-être  livrée 
à  la  débauche  c-t  à  l'impureté. 

Suivons  le  parallèle  de  saint  Rasilc.  L'ac- 
teur prend  tout  l'extérieur,  entre  dans  tous 
les  mouvements  de  la  personne  qu'il  repré- 
sente :  vous  le  voyez  touché  de  ses  mêmes 


L'HYPOCRISIE.  86 

sentiments,  paraître  doux,  colère,  pleurer, 
se  réjouir,  haïr,  aimer,  passionner  tous  les 
endroits  où  celui  dont  il  tient  la  place  serait 
lui-même  animé,  quoique  souvent  il  ressente 
des  mouvements  tout  contraires.  C'est  ainsi, 
continue  saint  Basile,  que  les  hypocrites  se 
composent  dans  cette  vie  aux  yeux  des  hom- 
mes ;  c'est  ainsi  qu'ils  jouent  leur  personnage 
comme  sur  un  théâtre  :  Itidem  in  hac  vita 
plerique  vitam  suam  relut  e  proscenio  ad  os~ 
tenlationem  componunt,  aliitd  in  corde  geren- 
tes.  aliud  in  specie  hominum  oculis  prœ  se  fe- 
rentes  (Ibid.). 

L'hy;>ocrite  paraît  ce  qu'il  n'est  pas,  il  fait 
tous  les  jours  des  leçons  de  douceur,  de  pa- 
tience, de  modération,  tandis  qu'il  est  dur, 
cruel,  impitoyable  ;  il  parle  avec  éloge  de  la 
force  chrétienne,  de  l'amour  des  ennemis,  du 
pardon  des  injures;  il  ne  cesse  de  louer  les 
avantages  d'une  vie  pure  et  réglée;  à  l'en- 
tendre parler,  l'ombre  du  vice  lui  fait  peur  : 
tandis  qu'il  est  déchiré,  dans  le  fond  de  son 
cœur,  par  des  fureurs,  des  jalousies,  des  dé- 
sirs de  supplanter  un  rival;  tandis  qu'il  est 
inflexible,  implacable  dans  sa  h;>ine  et  dans 
sa  vengeance;  tandis  qu'il  succombe  lâche- 
ment à  la  moindre  tentation,  qu'il  est  livré 
à  des  passions  d'ignominie  et  aux  crimes  les 
plus  énormes,  quand  il  peut  les  dérober  à  la 
connaissance  des  hommes. 

Cette  dame  s'arrange  et  se  compose  :  elle 
publie  partout  la  gloire  et  le  mérite  de  la 
sagesse  et  de  la  modestie  chrétienne;  elle  no 
saurait  souffrir  en  public  la  moindre  parole, 
quelque  enveloppée  qu'elle  puisse  être,  qui 
semble  blesser  la  pudeur  :  tout  l'offense, 
tout  la  scandalise,  elle  est  alarmée  sur  tout 
ce  qui  peut  ternir  sa  réputation.  C'est  une 
actrice  qui  joue  son  rôle  :  car  examinez  de 
près  sa  conduite,  et  vous  trouverez  qu'elle 
entretient  sans  scrupule  des  pratiques  hon- 
teuses, qu'elle  compte  pour  rien  les  yeux  de 
Dieu  qui  sont  les  témoins  de  ses  incontinen- 
ces secrètes  ,  pourvu  qu'elle  se  croie  à  cou- 
vert de  la  vue  et  delà  censure  des  hommes, 
et  que  des  ténèbres  prolondes  couvrent  les 
horreurs  de  sa  vie  criminelle. 

Ah  1  si  Dieu  nous  éclairait  d'un  rayon  de 
sa  lumière,  pour  nous  faire  voir  le  fond  des 
cœurs  et  ce  qui  se  passe  dans  le  secret  aussi 
bien  que  ce  qui  paraît  dans  le  public,  que  les 
hypocrites  seraient  différents  de  ce  qu'ils 
paraissent  à  nos  yeux!  Que  verrions-nous  , 
Messieurs?  des  personnes  chastes  sans  po- 
nté, des  fidèles  sans  religion,  des  pénitents 
sans  contrition  ,  des  humbles  sans  abais- 
sement, des  dévots  sans  piété.  Nous  verrions 
qu'un  grand  nombre  de  ceux  qui  paraissent 
les  plus  religieux  n'ont  que  l'ombre  et  l'é- 
coroe  de  la  vertu.  Nous  verrions  que  celte 
femme  hypocrite  penche  son  cœur  vers  la 
terre,  tandis  qu'elle  lève  les  jeux  au  ciel; 
qu'elle  soupire  pour  le  monde,  tandis  qu'elle 
semble  soupirer  pour  Dieu.  Nous  verrions 
que  celte  foule  de  dévotes  qui  assiègent  nos 
tribunaux  s'approchent  pour  la  plupart  de 
la  sacrée  piscine,  bien  moins  pour  se  purifier 
devant  Dieu,  que  pour  paraître  nettes  et  in- 
.  naeentei  devant  les  hommes. 


î>7 


OP.  MEURS  SACRES.  ItF.GMLT. 


L'hypocrisie  est  comme  le  fard  des  vertus  : 
Virtutum  fucus  [Julian.  Tolet. ,  Comment,  in 
Nah.,  Bibl.  Pat.  (<»,,.  I  .  En  effet,  dit  saint 

(îrégoirc  de  Nazianze  ,  comme  une  femme 
possédée  de  l'amour  du  inonde,  mais  qui  n'a 
ni  la  beauté  ni  les  agréments  qu'elle  croit 
nécessaires  pour  plaire,  a  recours  au  fard,  à 
la  peinture  et  à  des  couleurs  étrangères  :  Sic- 
nt  cum  native  pulchritudine  datituta  est,  ad 
colores ,  pi</ment a  et  fucos  confwjere  solet 
(Greg.  Naz.  ,  orat.  funeb.  patris)  :  de  même 
l'hypocrite,  manquant  d'une  vraie  cl  solide 
vertu,  fait  paraître  le  fard  trompeur  d'une 
fausse  piété;  abusant  ainsi  de  la  foi  trop  cré- 
dule de  ceux  qui  prennent  les  apparences  de 
la  vertu  pour  la  vertu  même  :  lia  hypocrita  , 
ces  paroles  sont  trop  belles  pour  ne  les  pas 
rapporter  ;  cum  solidœ  perfectœque  virtutis 
curent,  adumhrationem  quamdam  pietntis  ex- 
ternam  simulât  qua  eorum  oculos  retinrt , 
qui  adumbrntn  virtutis  simulatione  capiuntur 
{Ibid.). 

iist-il  rien  ,  Messieurs  ,  qui  nous  marque 
plus  sensiblement  le  caractère  des  hypocri- 
tes que  ce  qui  est  rapporté  au  chapitre  sep- 
tième de  saint  Matthieu,  où  il  nous  les  re- 
présente sous  l'idée  d'un  loup  qui  se  couvre 
de  la  peau  d'une  brebis  ?  Cn  loup  n'est  pas 
une  brebis  pour  en  avoir  la  toison  ;  il  n'en  a 
ni  l'innocence  ni  la  douceur,  il  conserve  tou- 
jours sous  celte  peau  empruntée  la  cruauté 
et  la  férocité  de  sa  nature.  Cet  hypocrite  pa- 
raît doux,  humble,  modeste,  tranquille,  mo- 
déré, pieux,  désintéressé;  Test-il  en  effet? 
Sondez  le  fond  de  son  cœur,  et  vous  le  trou- 
verez violent,  orgueilleux,  plein  de  lui- 
même,  dur,  cruel,  impitoyable,  impie,  sacri- 
lège; c'est  un  loup  ravissant,  un  avare  li- 
vré à  sa  cupidité,  qui  prend,  qui  retient  in- 
justement le  bien  d'aulrui  :  Jntrinsecus  ail- 
lent sunt  lupi  rnpaces  (Matth.,  Vil,  15). 

Par  ces  loups  vêtus  comme  des  brebis,  en- 
tendons encore  ces  hommes  artificieux  qui, 
sous  les  dehors  imposants  d'une  vertu  plus 
austère,  montrant  des  images  affectées  «le 
pénitence,  s'insinuent  adroitement  dans  les 
maisons  des  grands,  pour  surprendre  leur 
estime,  leur  faveur  et  leur  confiance:  qui, 
sous  un  air  apparent  de  régularité,  profitant 
à  propos  de  l'impression  que  fait  un  exté- 
rieur religieux ,  sous  prétexte  de  longues 
prières,  sous  prétexte  d'introduire  des  voies 
extraordinaires  d'oraison  et  de  nouveaux 
raffinements  dans  la  piété,  dévorent  la  subs- 
tance des  veuves  (Mure,  XII,  Fi0),  prennent 
un  ascendant  superbe  sur  l'esprit  de  certai- 
nes âmes  qui  leur  paraissent  plus  suscepti- 
bles de  séduction  :  Inirimecus  autem  sunt 
lupi  rapaces.  Homme',  fourbes  et  dissimulés, 
qui  cherchent  à  dominer  avec  une  douceur 
impérieuse,  qui,  comme  dit  saint  Paul,  com- 
mencent par  l'esprit  et  finissent  par  ta  chair 
(Galnt.,111,  :ï). 

Kst-il  encore  d'expression  plus  vive  que 
«elle  dont  se  sert  Jésus-Christ  au  chapitre 
vingt-troisième  de  saint  Matthieu,  pour  mon- 
trer que  l'hypocrite  cherche  à  couvrir  les 
plus  horribles  crimes  sous  de  vaines  appa- 
rences de  piété  :  Malheur  à  vous,  pharisiens 


hypocrites,  qui  êtes  semblables  à  des  sépul- 
cres blanchis I  Au  dehors  d'un  mausolée, 
tout  y  paraît  superbe  et  magnifique  :  tro- 
phées, titres  pompeux,  inscriptions  en  lel- 
i  ■  (!'<•  ,  figures  qui  sont  quelquefois  des 
chefs-d'œuvre  de  l'art,  tout  y  arrête  la  cu- 
riosité des  passants.  Mais  laissez  ces  dehors 
éclatants,  touillez  sous  ces  marbres,  et  qu'y 
trouverez-vous?  Un  crâne  échevelé,  un  corps 
rongé  des  serpents  et  des  vers;  horreur, 
pourriture  ,  infection  ;  et  vous  serez  con- 
traint de  \ou-  écrier  :  Quoi  donc,  ces  riches 
monuments  ne  couvrent  qu'une  poignée  de 
cendres,  des  ossements  décharnés,  un  misé- 
rable cadavre  !  Similes  est**  \t\  ulcrii  'lialha- 
tis,  qinr  a  foris  parent  bominibus  speciosa,  in- 
tus  autem  plenn  sunt  osiibus  mortuorum  et 
omni  spurcitia  [Matth.,  X.XIII,  87). 

Tels  sont  les  hypocrites  :  quand  on  n'en 
voit  que  le  dehors,  on  admire  leur  réiula- 
rilé.leur  sagesse;  veut-on  approfondir  ce 
qu'ils  sont  au  dedans  ,  on  les  trouve  remplis 
d'iniquités  et  d'abominations.  SU  et  vos  a 
foris  quidem  paretis  hominibw  jatti,  intus 
autem  pleni  estis  hypocri-i  et  iniquitute 
(Ibid.,  28). 

On  peut  dire  qu'aujourd'hui  la  dévotion 
de  bien  des  gens,  à  la  faveur  d'une  hypocri- 
sie bien  conduite,  n'est  qu'une  décoration 
de  tombeau  ,  une  cérémonie  ,  une  pure  gri- 
mace, souvent  même,  par  un  renversement 
étrange, une  occasion  de  commettre  impuné- 
ment les  pèches  les  plus  énormes  :  car  com- 
bien y  en  a-l-il  qui  portent  leur  hypocrisie 
jusque  sur  nos  autels!  Combien  y  en  a-t-il 
qui,  par  une  dissimulation  sacrilège,  font 
servir  nos  sacrements  â  des  fins  abomina- 
bles, en  couvrant  sous  une  piété  feinte  les 
horreurs  d'une  vie  honteuse  et  criminel!  ! 
Combien  qui  s'approchent  des  sacrés  mystè- 
res pour  étouffer  les  soupçons  qu'on  pour- 
rait concevoir  avec  justice  sur  leur  lausse 
vertu! 

Que  fait  une  fille  déréglée,  dans  le  dessein 
qu'elle  a  d'entretenir  son  libertinage,  et  de 
.tromper  les  yeuv  et  la  vigilance  d'une  ver- 
tueuse mère  qui  est  attentive  sur  sa  con- 
duite? Veut-elle  sauver  sa  réputation  contre 
des  bruits  qui  commencent  à  la  diffamer? 
Veut-elle  donner  un  air  d'innocence  à  des 
pratiques  ménagées  avec  art,  qui  cependant 
portent  des  coups  mortels  à  sa  vertu,  elle 
prend  un  air  sérieux  et  modeste,  elle  fait  de 
longues  lectures,  de  fréquentes  méditation-: 
elle  s'enrôle  dans  ces  sociétés  saintes  où, 
comme  par  profession  et  par  état,  on  s'en- 
gage dans  les  exercices  d'une  piété  régu  un-  ; 
elle  redouble  l'usage  des  sacrements,  elle  ne 
cesse  de  louer  la  pureté  et  la  sagesse  dans 
les  filles  chrétienne-  ;  et  tout  cela  pour  cou- 
\rir  d'un  dehors  séduisant  un  commerce  se 
ciel  d'impureté.  O  Dieu  I  n'éles-tous  pas  SS> 
s  /  outragé  par  les  vices  des  hommes, sent- 
il  encore  qu'ils  VOUS  offensent  par  leurs  faus- 
ses vertus  1 

Absalon  veut-il  f.iire  massacrer  son  frère 
Ammon,  il  lui  prépaie  un  festin  magni- 
fique Il  Rcq.,  XIII,  '2T>.  Un  homme  animé 
par  l'envie  ou  par  la  haine  \eul-i!  persécu- 


S!) 


SERMON  StR  L'HVPOCRISIE. 


!«) 


1er  le  juste,  opprimer  l'innocent,  pousser 
une  vengeance  à  l'excès,  détruire  un  enne- 
mi, ruiner  sa  réputation  par  des  calomnies 
secrètes  qu'enfantent  la  rage  et  la  fureur,  il 
faut  que  quelques  louanges  données  adroi- 
tement en  certaines  occasions,  que  quelques 
démonstrations  flatteuses  d'une  douceur  et 
d'une  amitié  apparente,  quelquefois  même 
des  pratiques  d'une  dévotion  feinte,  couvrent 
ses  détestables  desseins. 

Que  fait  un  hypocrite  pour  commettre  im- 
punément les  plus  horribles  impuretés,  des 
injustices  atroces,  des  usures,  des  concus- 
sions, des  sacrilèges;  que  fait-il  pour  parve- 
nir à  des  charges,  à  des  postes  dont  il  est  in- 
digne? Le  plus  sûr  moyen  pour  lui  sera  de 
contrefaire  l'homme  de  bien,  et  de  se  couvrir 
adroitement  des  voiles  de  la  piété  et  de  la  re- 
ligion. Avec  un  extérieur  composé,  un  lan- 
gage mesuré,  des  manières  arrangées,  des 
habits  simples  et  d'une  forme  singulière,  les 
yeux  baissés,  une  grave  modestie,  un  pro- 
fond recueillement,  un  maintien  étudié,  une 
démarche  compassée,  un  air  humble  et  mor- 
tifié, des  ecclésiastiques  que  Dieu  rejette  de 
son  sacerdoce,  ne  les  voit-on  pas  tous  les 
jours  parvenir  par  de  semblables  artifices 
aux  ordres  et  aux  dignités  de  l'Eglise? 

Tout  se  passe  en  idée  et  en  figure  dans 
l'hypocrite  :  In  imagine  perlransit  homo 
(J>A-a/.XXXVllI,7).  Il  abandonne  l'esprit  de  la 
vertu  pour  en  embrasser  l'ombre  et  l'ima- 
ge ;  il  n'aime  la  vertu  qu'autant  qu'il  croit 
qu'elle  peut  servir  aux  vues  de  son  intérêt  et 
de  son  ambition  ;  pourvu  qu'il  sauve  quel- 
ques crimes  d'éclat  sur  lesquels  on  a  plus 
d'attention,  qu'il  observe  certaines  traditions 
humaines;  que  sais-je  ?  certaines  pratiques 
frivoles  d'une  nouvelle  spiritualité,  d'une 
dévotion  bizarre,  de  goût,  de  choix  et  de  ca- 
price, qu'il  met  à  la  place  des  commande- 
ments de  Dieu,  il  s'endort  dans  une  profonde 
sécurité  sur  son  salut,  néglige  les  actes  les 
plus  importants  de  la  religion  ;  délicat  sur 
les  plus  légères  fautes,  et  secret  inlracteur 
des  plus  importantes  lois,  il  se  dispense  de 
la  pénitence  et  de  l'amour  de  Dieu;  fidèle  à 
payer  la  dîme  de  la  menthe  et  de  Vaneth,  il 
abandonne  ce  qu'il  y  a  de  plus  essentiel,  la 
justice,  la  foi,  la  miséricorde  (Matlh.  XXIII, 
23). 

Continuons  la  peinture  que  nous  faisons 
sur  l'idée  que  nous  donne  Jésus-Christ  de 
l'hypocrite  :  Scrupuleux,  jusi/u'à  craindre 
d'avaler  un  moucheron,  il  avale  un  chameau 
tout  entier  [Ibid.,  2k)  ;  occupé  sans  cesse  à 
nettoyer  le,  dehors  de  la  coupe  cl  du  plat,  il 
souffre  que  te  dedans  demeure  plein  d'immon- 
dices, de  rapine  et  d'impureté  (Ibid.,  25)  ; 
('appuyant  sur  une  fausse  justice,  au  milieu 
de  ses  plus  grands  crimes,  il  est  content  de 
lui-même,  agit  comme  s'il  était  sûr  de  Dieu; 
et,  comme  le  pharisien  de  l'Evangile  (Luc, 
XVIII,  11),  dans  une  parfaite  confiance  rend 
grâces  à  Dieu  de  ses  superbes  vertus,  se 
donne  de  secrètes  attestations  d'une  vaine 
innocence  ;  tandis  que  Dieu  le  réprouve  et 
lance  contre  lui  les  plus  horribles  anathè- 
mes. 


Ange  de  ténèbres,  il  se  transforme  en  ange 
de  lumière  ;  à  la  faveur  de  quelques  aumô- 
nes publiées  au  son  de  la  trompette,  i!  vole 
impunément  le  public  ;  il  revêt  quelques  mi- 
sérables; pour  dépouiller  cruellement  la  veu- 
ve et  Porphelin  ;  habile  à  profiler  des  con- 
jonctures qui  peuvent  favoriser  ses  projets, 
av;-c  quelle  adresse  se  sert-il  des  vertus  pour 
cacher  ses  vices?  A  ne  voir  que  ce  qu'il 
montre  au  dehors,  à  l'entendre  parler  de  lui- 
même,  comme  l'orgueilleux  pharisien,  il 
s'applaudit  de  n'avoir  aucun  vice,  et  il  les 
a  tous,  puisque,  suivant  la  parole  de  Jésus- 
Christ,  il  est  plein  de  toute  sorte  de  corrup- 
tion et  de  pourriture.  Il  semble  avoir  toutes 
les  vertus,  et  il  n'en  a  aucune,  puisque  l'hy- 
pocrisie est  un  ver  qui  ronge,  un  mauvais 
levain  qui  corrompt  tout  le  bien  que  d'ail- 
leurs il  serait  capable  de  faire;  criminel  de- 
vant Dieu,  dont  il  a  méprisé  la  vérité  et  la 
justice,  il  se  montre  innocent  devant  les 
hommes,  dont  il  a  su  par  sa  dissimulation 
ménager  l'approbation  et  l'estime. 

Avec  quelle  indignation  un  hypocrite  ne 
se  déch.iine-t-il  pas  contre  ce  qu'il  appellera 
morale  indulgente  et  relâchée  ?  Selon  sa 
théologie,  il  n'est  p  tint  de  principes  et  de 
maximes  assez  rigides  :  à  quel  excès  ne 
porte-t-il  pas  la  sévérité  de  la  loi  ?  Les  con- 
seils, selon  ses  maximes,  sont  des  préceptes  ; 
ce  qui  ne  sera  que  de  bienséance  passera 
chez  lui  pour  une  obligation  indispensable. 
Mais  allez  jusqu'à  son  cœur,  examinez  de 
près  l'intérieur  de  sa  conduite,  et  vous  trou- 
verez que  la  morale  qu'il  suit  est  toujours 
celle  qui  s'accommode  avec  son  caprice, 
avec  ses  passions,  avec  les  aises  et  les  dou- 
ceurs de  la  vie  ;  vous  trouverez  que  sa  reli- 
gion, que  son  évangile,  sont  toujours  son  in- 
térêt, sa  politique,  sa  fortune.  Selon  son  dis- 
cours, tout  est  vanité  sans  la  vertu,  et  il 
n'affecte  de  pratiquer  la  vertu  que  pour  la 
vanité. 

Censeur  rigide,  critique  impitoyable  des 
moindres  défauts  d'aulrui,  il  a  une  molle 
indulgence  pour  lui-même  dans  les  péchés 
les  pius  énormes  et  les  plus  <  dieux  ;  il  fait 
aux  autres  un  crime  de  ce  qu'il  fait  lui-même 
sans  scrupule  tous  les  jours;  toujours  atten- 
tif à  observer  la  conduite  des  autres,  il  né- 
glige la  correction  de  ses  propres  défauts  : 
Soigneux  de  remarquer  une  paille  légère  dans 
l'œil  de  son  frère,  sans  s'apercevoir  dune  pou- 
tre qui  est  dans  le  sien  (Luc,  VI,  kl),  il  cher- 
che sa  justification  dans  la  condamnation 
des  autres  :  médecin  dont  parle  Jésus-Christ, 
qui  s'applique  à  la  guérison  de  ses  malades, 
et  qui  abandonne  la  cure  de  ses  plaies  les 
plus  profondes. 

Mais  comment  est-ce  que  l'hypocrite  parait 
ce  qu'il  n'est  pas  ?  Le  voici.  Dans  l'ordre  ré- 
glé par  la  Providence,  nos  actions  et  nos  pa- 
roles, dit  saint  Thomas,  les  actes  intérieurs 
et  extérieurs  dos  vertus  ont  une  relation  na- 
turelle à  la  fin  qui  leur  est  particulière, 
comme  le  signe  à  la  chose  qu'il  signifie  :  la 
nature,  qui  est  simple  et  ennemie  du  dégui- 
sement, a  voulu  établir  cette  conformité  et 
ces  rapports,  afin  que  les  hommes,  qui  ne 


'Il 


ORATEURS  SACRF.S.  RF.CAll/l 


f« 


peuvent  pénétrer  dans  le  fond  des  c<eurs, 
fussent  conduits  paf  ces  signes  extérieurs  à 
la  connaissance  des  intentions  et  des  molifs 
qu'on  doit  se  proposer  <n  pratiquant  la 
vertu.  Que  fait  l'hyocrite!  Il  renverse  cet 
ordre  :  car,  détournant  les  prières,  les  jeûnes, 
les  aumônes,  les  ailes  delà  piété,  de  la  reli- 
gion et  des  autres  vertus,  à  l'orgueil,  au 
faste,  à  l'ostentation,  à  sa  propre  gloire,  au 
lieu  de  les  rapporter  à  leur  (in  naturelle,  à 
la  gloire  de  Dieu,  à  sa  propre  sanctification, 
à  l'édification  du  prochain,  il  est  évident 
qu'il  parait  à  nos  yeux  tout  différent  de  ce 
qu'il  est  en  effet,  lit  de  là  qu'arrive-t-il?  Que 
par  sa  dissimulation  il  attaque  directement 
li  simplicité  et  la  vérité  de  Dieu,  qu'il  ment 
au  Saint-Esprit,  et  qu'au  lieu  d'avoir  le  mé- 
rite des  vertus  qu'on  lui  voit  pratiquer  à 
l'extérieur,  il  n'en  a  que  l'ombre  et  une 
vaine  apparence,  qui  le  chargent  d'un  nou- 
veau péché  de  fourberie  et  d'imposture. 

Hypocrite,  voici  encore  les  suites  de  les 
frauduleux  déguisements  :  tu  fais  blasphé- 
mer Israël,  lu  décrédites  la  vertu,  lu  fais  que 
ces  fades  railleries,  que  ces  satires  mali- 
gnes, qui  ne  devraient  s'appliquer  qu'à  la 
fausse  dévotion,  tombent  également  sur  la 
véritable  ;  lu  fais  qu'on  impute  à  la  piété  des 
crimes  qu'elle  condamne,  à  la  religion  des 
abus  qu'elle  déteste  et  qu'elle  punit  sévère- 
ment ;  lu  fais  croire  qu'il  n'y  a  presque  plus 
dans  le  christianisme  de  véritable  sainteté, 
el  que  ce  n'est  plus  qu'un  ordre,  un  arran- 
gement purement  extérieur  de  politique,  une 
ressemblance  flalieuse  de  vertu  qui  nous  sé- 
duit et  nous  impose. 

Uxor  Jéroboam  :  Femme  de  Jéroboam  , 
âme  hypocrite  et  dissimulée,  qui  t'étudies 
avec  tant  de  soin  à  te  déguiser,  pourquoi 
feins-tu  d'êlre  une  autre  que  lu  n'es  pas? 
Quare  aliam  te  esse  simulas?  Je  te  fais  une 
prédiction  lerrible  :  Missus  sum  ad  te  durus 
vuntius  (111  lieg.,  XIV,  G).  Je  t'annonce  ici 
qu'au  jour  de  la  manifestation  universelle, 
lu  paraîtras  à  ta  houle  ce  que  lu  auras  été 
pendant  ta  vie.  C'est  ce  que  nous  allons  voir 
dans  le  second  point. 

SECOND  POINT. 

Il  n'est  rien  au  monde  de  plus  difficile  à 
sonder  que  le  cœur  de  l'homme.  On  tonnait 
le  mouvement  et  les  influences  des  astres, 
l'origine  des  venls,  le  llux  et  le  rcllux  de  la 
mer;  on  pénètre  les  secrets  les  plus  cachés 
de  la  nature  :  le  cœur  de  l'homme,  sa  fin,  ses 
intentions,  ses  desseins,  sont  inaccessibles  à 
noire  esprit.  Le  cœur  de  l'homme,  dil  Jéré- 
mie,  est  mauvais,  il  est  impénétrable  :  qui 
trouva  jamais  des  voies  sûres  et  infaillibles 
pour  conduire  dans  le  centre  de  ce  cœur, 
pour  pénétrer  ses  sombres  obscurités,  ses 
détours,  ses  artifices,  ses  déguisements  :  Pro- 
mm  est  cor  omnium  et  inscrutabile,  qui  s  co- 
(pKiscet  illud  (Jerem.,  XVII,  !>)  ?  Le  cceur  de 
l'homme  est  le  plus  grand  mystère  de  la  na- 
ture, on  n'y  trouve  rien  de  certain  que  son 
inconstance  et  sa  duplicité  ;  il  donne  mille 
signes  équivoque^  ;  quelque  vivacité  qu'on 
dit  à  sonder  ses  mouvement?,  41  en  cache  en- 


core plus  qu'on  n'en  -.Mirait  dé»  mvrir.  et 
le*,  conjectures  que  nous  en  liron>  se  trou- 
vent presque  toujours  fautives. 

Trois  choses,  dit  le  Sage,   me  paraisi 
difficiles  à  comprendre  .    et    la    quatrième 
m'est   entièrement    inconnue  :  la   trace  de 
l'aigle  qui  d'un  vol  rapide   s'éh  \  les 

airs,  la  Iracedu  serpent  qui  par  des  mouve-' 
ments  tortueux  rampe  sur  la  terre,  la  ire 
d'un  navire  qui  (end  les  eaux  au  mi  lien  de  la 
mer,  et  la  voie  de  l'homme  dans  sa  jeun. 
(l'rov.,  \XX,  18)  :  disons  encore  le  cœur  de 
l'homme,  en  quelqu  •  âge  <  t  en  quelque  état 
qu'il  se  tr  uve.  Siège  de  toutes  les  passions,  il 
est  emporté  rapidement  à  divers  si  ntimeati 
contraires,  il  donne   si  souvent  le   rhan. 
qu'on    désespère  de  pénétrer    ses  vérila!  ! 
penchants.    L'amour-propre  lui  fait  prendre 
mille  forme^  si  différentes,  qu'il  se  dérobe  à 
nos  yeux  dans  le  temps  même  que,  l'ayant 
étudié  de  plus  près,  nous  croyons  être  par- 
venus à  le  connaître;  plus   on   s'applique  à 
sonder  sa  profondeur  par  les  différentes  sail- 
lies qui  lui    échappent,  moins   on    atteint  à 
ses  véritables  motifs.  Tel  croit  l'avoir  défini, 
qu'une  bizarre  manie  qui  l'agite,  qui  l'em- 
porte, qui  lui  fait  vouloir  successivement,  et 
quelquefois  presque  en  même  temps  des  cho- 
ses contradictoires,  force  d'avouer  qu'il  s'est 
trompé  dans  la  rentable  notion  qu'il  croyait 
s'en  être  formée.  Le  cœur  de  l'homme  est 
un  gouffre  sans  fond  ;  c'est  un  labyrinthe,  on 
se  perd  dans  ses  différents  détours.  Le  Sage 
le  compare  à  un  abîme,  parce  qu'il  est  obs- 
cur et    profond  comme   un  ai  ime  :  Abyssum 
et  cor  Itominis  (Eccli.,  XL1I,  18). 

Outre  que  Dieu,  pour  une  plus  grande  per- 
fection de  l'homme,  a  voulu  qu'il  fût  lui  seul 
le  maîlre  de  ses  pensées  et  des  mouvements 
de  son  cœur,  l'homme  sait  si  bien  se  dégui- 
ser par  une  profonde  dissimulation,  qu'il  est 
impossible  de  percer  les  nuages  qui  l'envi- 
ronnent :  Qui  des  hommes,  dil  l'Apôtre,  con- 
nait  ce  qui  est  en  lui,  sinon  son  propre  esprit 
(1  Cor.,  11,  IL?  Les  anges  mêmes,  tout  éclai- 
rés qu'ils  sont,  n'y  connaissent  rien,  si 
l'homme  n'y  consent  par  la  direction  de  ses 
pensées,  ou  si  Dieu  ne  le  leur  fail  connaître 
par  des  voies  extraordinaires.  L'homme,  dit 
Dieu  à  Samuel,  voit  bien  ce  qui  parait  nu  d'- 
hors, mais  le  Seigneur  voit  le  fond  du  coeur 
(IJteo.,XVI,  U). 

Nous  pouvons  dire  que,  comme  dans  les 
objets  qui  se  présentent  à  nos  yeux,  nous 
n'en  vovons  que  les  accident'-  et  la  superfi- 
cie, sans  aller  jusqu'à  la  substance,  de 
même  nous  voyons  bien  l'extérieur  des  ac- 
tions humaines ,  mais  nous  n'en  pouvons 
découvrir  ni  le  principe  ni  la  fin  :  c'est  un 
secret  qu'il  nous  est  impossible  d'appro- 
fondir. 

L'homme  hypocrite,  abusant  du  domaine 
que  Dieu  lui  donne  sur  tout  son  intérieur  , 
se  fait  une  élude  et  un  art  de  se  cacher  et  de 

fiaraltre  sous  des  voiles  empruntés,  tout  dif- 
érent  de  ce  qu'il  est  en  effet.  Mais  à  ce  jour 
terrible  de  la  révélation  .  nous  verrons  tout 
à  découvert.  \  ous  saurez  bien,  ô  mon  Dieu  1 

nous  faire  connaître  la  différence  de  la  véri- 


m 


SERMON  SUR  L'HYPOCRISIE. 


91 


table  vertu  des  gens  de  bien,  d'avec  celte  jus- 
lice  masquée  des  hypocrites.  Dieu,  qui  lit 
dans  les  coeurs,  qui  éclaire  les  plus  sombres 
replis  des  consciences,  nous  communiquera 
sa  lumière  pour  découvrir  ce  qu'un  voile 
impénétrable  dérobait  à  nos  yeux.  De  même 
qu'au  travers  des  rayons  du  soleil  on  aper- 
çoit jusqu'aux  plus  petits  atomes,  ainsi  nous 
connaîtrons  par  une  lumière  claire  et  dis- 
tincte toutes  les  dissimulations  et  les  fourbe- 
ries de  l'homme  hypocrite  :  In  fine  hominis 
denudatio  operum  illius  [Eccli.,  II,  29). 

fin  cet  endroit  se  présente  à  mon  esprit 
celle  vision  miraculeuse  qu'eut  Ezéchiel  , 
lorsqu'il  fut  conduit  dans.lérusalem.11  décou- 
vrit sur  le  frontispice,  et  c'est  ici  l'image  de 
ces  hommes  pervers  qui  n'ont  que  la  res- 
semblance de  la  piété  et  de  la  vertu,  il  vit  à 
l'entrée  l'idole  et  l'apparence  du  zèle  :  ldo- 
lum  zeli  in  ipso  introitu  (Ezech.,  VIII,  5). 
Mais  remarquez  ce  que  l'ange  dit  à  ce  pro- 
phète :  Fode  parielem,  el  vide  obominaliones 
pessimas  (/uns  isti  faciunt  [Ibid.,  8,9): 
Prophète  ,  perce  la  muraille  ,  entre  jusque 
dans  le  sanctuaire,  entre  dans  les  coins  les 
plus  secrets,  tu  verras  des  abominations  ef- 
froyables. Dieu  nous  fera  percer  la  muraille 
qui  nous  cachait  dans  cette  vie  la  connais- 
sance de  ces  mystères  d'iniquité. 

C'est  pour  lors  que  nous  verrons  claire- 
ment dans  la  conscience  de  ces  hypocrites 
mille  crimes  qu'ils  commettaient  impuné- 
ment, lorsqu'ils  élaient  à  couvert  des  yeux 
et  de  la  censure  des  hommes  ;  alors  nous 
verrons  un  nombre  infini  d'actions  honteu- 
ses qui  n'étaient  connues  que  de  Dieu  et  des 
complices  de  leurs  désordres;  alors  nous 
verrons  que  ,  sous  un  extérieur  réformé  et 
modeste,  ils  cachaient  des  pratiques  infâmes; 
alors  nous  verrons  que,  dans  les  églises  mê- 
mes, où  ils  devaient  adorer  Dieu  dans  la 
simplicité  et  dans  la  purelé  de  leur  cœur, 
ils  se  rendaient,  coupables  des  plus  énormes 
sacrilèges  par  la  profanation  de  nos  sacrés 
mystères  :  Fode  parictem...  inqrederc,  et  vide 
abominationes  pessimas  quas  isli  faciunt. 

Le  voile  falai  qui  couvrait  tant  d'horreurs 
sera   levé.  Le  même  saint  Paul  qui   m'ap- 

firend  qu'il  nous  faudra  tous  paraître  devant 
c  tribunal  de  Dieu,  au  jour  terrible  du  juge- 
ment (Il  Cor. ,  V,  10]  ,  nous  assure  que 
Dieu  produira  dans  la  lumière  ce  qui  aura  été 
caché  dans  les  ténèbres,  et  qu'il  découvrira  les 
plus  secrètes  prnsées  des  cœurs  (I  Cor.,  IV,  5). 
Je  ne  prétends  pas,  Messieurs,  parler  ici 
dans  toulc  son  étendue  de  celle  manifesta- 
tion générale  qui  se  fera  des  crimes  de  tous 
les  pécheurs  au  jour  des  vengeances  du  Sei- 
gneur. Renfermons-nous  dans  In  suiel  que 
nous  traitons,  et  tie  disons  rien,  s'il  est  pos- 
sible, qui  ne  lui  soit  particulier. 

Nous  lisons  dans  saint  Luc  que  .lésus- 
Christ  ayanl  dil  à  ses  apôtres  :  Donnez-vous 
de  garde  du  levain  des  pharisiens,  qui  es!  l'hy- 
pocrisie (Luc,  XII,  1,  2),  ajoute  aussitôt  :  // 
ny  a  rien  de  caché  qui  ne  doive  être  découvert, 
ni  de  secret  qui  ne  doive  être  connu  (Ibiil.). 
Comme  si  le  Sauveur  voulait  dire  :  Il  est 
juste  que  l'hypocrite,  qui  s'est  toujours  étu- 


dié à  se  cacher  aux  yeux  des  hommes,  dont 
il  a  si  fort  à  redouter  la  censure  ,  paraisse 
au  jour  terrible  du  jugement  tel  qu'il  aura 
été  pendant  sa  vie,  et  qu'il  soit  couvert  à 
la  face  de  l'univers  de  toute  l'infamie  que 
méritaient  ses  crimes. 

Là  s'ouvriront  et  se  déploieront  ces  cœurs 
doubles,  ces  consciences  enveloppées  ,  qui 
réduisaient  tout  à  des  apparences  ;  le  voile 
de  la  vertu  ne  servira  plus  à  cacher  les  hor- 
reurs du  vice  ,  pour  le  faire  honorer  des 
hommes  ;  ce  fourbe,  cet  imposteur  qui  cou- 
vrait avec  adresse  les  plus  horribles  abomi- 
nations des  spécieux  dehors  de  probité  ,  de 
modération  ,  de  droiture  ;  qui  emprunta  les 
couleurs  de  la  dévotion  ,  pour  être  impuné- 
ment injuste,  impur,  sacrilège  ;  qui,  par  des 
airs  imposants,  trompa  la  confiance  Irop 
crédule  des  gens  de  bien  :  Dieu  le  fera  con- 
naître dnis  son  état  naturel,  Dieu  révélera 
toute  sa  honte  et  toute  sa  turpitude  :  Rêve- 
labitur  ignominia  tua,  dit  Isaïe  ,  videbitur 
opprobrium  tuum  (Psal.  XLV1I,  3). 

On  verra  tout  le  détail  de  ces  intrigues 
dont  la  marche  était  cachée  avec  tant  d'arti- 
fice ;  les  vues,  les  projets,  les  principes,  les 
motifs,  les  desseins  de  tant  d'actions  incon- 
nues au  monde,  seront  développés  et  mani- 
festés au  grand  jour  :  Manifestabit  consilia 
cordittm  (1  Cor.,  IV,  5).  On  débrouillera  ce 
chaos  de  crimes  et  de  circonstances  aussi 
houleuses  quelquefois  que  les  crimes  mê- 
mes. 

O  vous  qui  cherchez  Dieu  dans  la  simpli- 
cité de  votre  cœur,  vous  voyez  avec  indigna- 
tion la  véritable  vertu  méprisée,  tandis  que 
le  vice  couvert  de  spécieuscsapparenccsest  en 
honneur  dans  le  monde,  ct|vous  en  gémissez, 
peut-être  même  en  faites-vous  quelquefois 
au  Seigneur  de  justes  plaintes  avec  Jéréniio 
(Jerein.,  XII,  1).  Mais  attendez  :  le  jour  de  la 
manifestation  viendra  ,  le  temps  de  feindre 
passera  ,  la  blancheur  superficielle  dont  la 
muraille  était  enduite  s'effacera;  ces  visages 
plâtrés,  qui  liraient  tout  leur  éclat  d'un  fard 
trompeur,  paraîtront  avec  toutes  leurs  rides 
et  toute  leur  difformité  ;  les  dehors  brillants 
de  ces  magnifiques  sépulcres  disparaîtront, 
et  l'on  verra  toute  l'horreur  des  corps  morls 
qu'ils  couvraient  ;  la  Vérité  éternelle  por- 
tera le  flambeau  dans  les  plis  et  les  replis 
du  co;ur  de  l'hypocrite  :  alors  paraîtra  toute 
la  noirceur  de  ses  fourberies  et  de  ses  im- 
postures. 

On  verra  cos  calomnies  inventées  avec  arl, 
débitées  avec  des  circonstances  spécieuses; 
ces  perfidies  mêlées  de  démonstrations  d'a- 
mi lié.  ces  trahisons  secrèles  sous  l'ombre 
d'honnêteté  et  de  politesse  ;  un  orgueil  raf- 
finé el  presque  imperceptible  sous  les  cou- 
leurs de  l'humilité,  ces  cruelles  injustices  que 
l'avarice,  la  faveur,  une  intrigue  cachée ,  la 
(o  iplaisance  pour  une  créature  qui  avait 
su  plaire, ont  fait  commelire  ou  autoriser;  ce 
fonds  de  cupidité  qui  rendait  l'esprit  de  cet 
homme  d'affaires  si  fertile  en  expédients  pour 
faire  une  fortune  rapide  et  opulente,  pour 
enlever  le  bien  d'autrui,  en  se  couvrant  d'une 
vainc  ressemblance  de  dévotion  ;  cet  achar- 


1)5 


OnATFlRS  SACRFS.  HEGAUI.T. 


ncmcnl  opiniâtre  à  troubler  par  des  procès 
éternels  l'ordre  ol  la  paix  sous  prétexte  de 
les  vouloir  établir.  Cette  femme  qui,  sous 
l'ombre  d'une  feinte  pudeur,  lui  applaudie 
sur  sa  vertu,  tandis  que  dans  le  particulier 
elle  se  livrait  à  sa  passion  sans  aucun  me- - 
nagement,  paraîtra  couverte  des  plus  hon- 
teuses impuretés. 

Non-seulement  les  crimes  les  plus  secrets 
seront  révélés  à  la  honte  de  l'hypocrite,  mais 
encore  les  vertus  apparentes  dont  il  prenait 
soin  de  se  parer,  ces  aumônes  données  par 
vanité,  ces  prières,  ces  jeûnes,  ces  austérités, 
toutes  ces  œuvres  de  dévotion  et  de  charité 
faites  par  ostentation,  un  rayon  de  la  divine 
lumière  manifestera  jusqu'aux  traits  les  plus 
imperceptibles  de  toutes  ces  fausses  justices. 
11  est  juste,  Seigneur, quela  scène  finisse,  que 
le  masque  tombe,  et  que  le  personnage  pa- 
raisse dans  son  naturel.  Hypocrites,  malheu- 
reuses victimes  de  l'estime  du  monde  et  de 
votre  orgueil,  par  d'adroites  fictions  vous 
sûtes  nous  en  imposer  dans  l'impuissance  où 
nous  étions  de  sonder  le  fond  de  vos  cœurs  ; 
mais  au  jour  fatal  de  la  révélation,  tout  nous 
sera  découvert.  Hé  !  quel  sera  votre  déses- 
poir, lorsque  votre  dissimulation  sera  oppo- 
sée à  la  vérité  éternelle  d'un  Dieu  qui  con- 
fondra vos  subtilités  artificieuses  et  vos  im- 
postures ! 

Je  sais  qu'il  sera  terrihle  à  tous  les  pé- 
cheurs réprouvés  de  voir  leurs  crimes  révé- 
lés à  la  (ace  de  tout  l'univers  ;  mais  ce  sera 
un  supplice  particulier  pour  l'hypocrite  de 
paraître  aux  yeux  de  toutes  les  nations 
assemblées  un  fourbe,  un  séducteur,  lui  qui 
avait  pris  tant  de  soin  de  cacher  ses  abomi- 
nations et  de  produire  de  fausses  vertus. 

Figurons-nous  ici,  Messieurs,  qu'une  lu- 
mière céleste  rend  les  cœurs  de  tous  les  hypo- 
crites, qui  peuvent  être  dans  cet  auditoire, 
clairs  et  transparents  comme  ce  cristal  étin- 
celant,  mais  terrible,  que  vit  le  prophète 
Ezéchiel  (Ezech.,  I,  2)  ;  et  que  dans  le  mo- 
ment que  je  parle,  nous  y  découvrons  tout 
ce  qu'il  a  de  plus  caché  et  de  plus  mysté- 
rieux. Supposons  qu'à  la  faveur  de.  celle 
brillante  clarté  nous  y  voyons  toutes  les 
fourberies,  les  trahisons,  les  noirs  desseins, 
les  injustices,  les  passions  d'ignominie,  les 
impuretés,  les  impiétés,  les  sacrilèges  que 
couvrent  les  cœurs  doubles  de  ces  hommes 
qui  passent  dans  le  monde  pour  gens  de  bien 
et  de  vertu  :  quels  seraient  leur  honte  et  leur 
accablement  I  Telle  et  infiniment  plus  grande 
sera  la  confusion  des  hypocrites  ,  quand  ils 
se  verront  ainsi  a  découvert  aux  yeux  de 
loute  la  terre,  eux  à  qui  une  superbe  délica- 
tesse faisait  trouver  mille  détours  raffinés 
pour  se  mettre  à  couvert  de  tout  blâme  et  de 
toute  censure.  Quel  désespoir,  quelle  rage, 
quelle  fureur  1 

Rien  n'est  plus  lerrible  que  l'idée  d'une 
confusion  éclatante;  souvent  la  mort  a  eu 
quelque  chose  de  moins  affreux.  Quelle 
peine  n'a-t-on  pas  à  découvrir  ses  misères 
et  ses  faiblesses  ,  même  à  un  seul  ministre 
de  l'Eglise,  quoique  les  lois  les  plus  sacrées 
répondent  d'un  secret  inviolable  !   Pour  évi- 


ter une  légère  honle,  n'en  vient-on  fias  ju- 
qu'à  commettre  dei  sacrilèges  'normes,  et  à 
s'exposer  |  une  damnation  éternelle?  On 
croit  quelquefois  pouvoir  par  la  force  de  son 
esprit  se  mettre  au-dessus  de  la  censure  et 
des  jugements  des  hommes  :  mais  apprend- 
on  qu'on  décrie  notre  conduite,  qu'on  dé- 
chire notre  réputation  par  de  noires  calom- 
nies, dans  quel  trouble,  dans  quelle  agitation 
sommes-nous  !  qui  lie  est  notre  douleur,  dans 
la  crainte  d'une  confusion  qui  peut  tomber 
sur  nous  ! 

Faux  dévols,  juges  iniques,  époux,  épou- 
ses infidèles,  amis  perfides,  vous  qu'on  n'au- 
rait jamais  «rus  capables  d'une  action  qui  eût 
pu  vous  faire  rougir,  vous  qui  ménagez  avec 
des  attentions  infinies  votre  réputation  et  vo- 
tre honneur  devant  Ips  hommes  ,  pourrez- 
vous  soutenir  l'infamie  et  les  insultes  qui 
suivront  la  révélation  de  vos  turpitudes? 
Confusion  désespérante  pour  un  homme  qui 
sacrifia  tout  pour  l'estime  et  pour  la  gloire 
du  monde  ,  de  se  voir  traité  comme  un  sujet 
d'abomination  et  d'anatbème,  de  se  \oir  dés- 
honoré, moqué,  abhorré,  chargé  aux  yeux 
d'un  monde  entier  des  crimes  les  plus  noirs 
et  les  plus  honteux  ! 

Ayons  horreur  du  vice  de  l'hypocrisie  , 
mes  frères;  craignons  cette  confusion  éter- 
nelle dont  Dieu  menace  les  hypocrites.  Pre- 
nez bien  (jarde  ,  dit  le  Sage,  d'être  hypocrit  .« 
devant  les  hommes  (Ercli.  ,  I,  37).  Vous  qui 
êtes  si  délicats  sur  votre  honneur  .  craignez 
d'attirer  sur  vous  une  honte  qui  ne  s'effacera 
jamais  :  Ne  adducas  anima  tuer  inhonomtio- 
nem  (Ibid.).  Tremblons  à  ces  paroles  du  pro- 
phète  Sophonie  :  A'oici  ce  que  je  ferai,  dit  le 
Seigneur,  au  jour  terrible  de  mes  vengeances  : 
Et  erit  in  die  liostiœ  Domini,  vititaba  super 
omnesgui  induti  ?unt  veste peregrina  [Sopk., 
1.,  8)  :  Je  visiterai  dans  ma  colère  tous  ceux 
qui  sont  habillés  «le  vêtements  étrangers, 
qui,  sous  l'extérieur  imposant  de  piéie  et  de 
sagesse,  cachent  une  vie  criminelle  et  abo- 
minable; je  les  punirai  d'éternels  supplices. 

Evitons  ce  vice  infâme  de  l'hypocrisie  avec 

d'autant  plus  d'attention  que.  suivant  saint 
Jérôme,  il  est  plus  commun  dans  le  monde  : 
Hypocriseos  maculatn  haltère  »»  n  posse  tint 
paucorum  est.  eut  nullorum  (Li'>.  II  eont. 
Pelag.).  L'hypocrisie  règne  dans  la  cour  des 
princes,  elle  règne  dins  le  clergé,  dans  les 
cloîtres,  dans  dus  les  âure<.  d  n-  lOUS  les 
sexes:  c'est  une  contagion  répandue  presque 
dans  toutes  les  conditions.  Qu'il  y  s  encore 
de  pharisiens  dans  le  momie,  qu'il  y  a  peu 
de  vertus  s  dides  et  véritables  ! 

Aspirons,  mes  frères,  à  la  plus  pure  vertu  ; 
opposons  à  cette  dévotion  fe  nie  dont  on  se 
pare  une  piété  sincère,  simple,  constante, 
uniforme:  loin  de  produire  une  vaine  montre 
de  fausses  \e;ius.  étudions-nous  à  cacher, 

autant  qu'il  est  possible,  même  les  vérita- 
bles. N'imitons  pas  l'art  qui  ne  s'occupe 
qu'à  former  les  parties  extérieures,  sans  se 
mettre  en  peine  de  celles  du  dedans  qu'on  ne 
voit  pas:  imitons  plutôt  la  nature,  qui  met 
son  premier  soin  à  perfectionner  les  parties 


97 


SERMON  POUR  UN  SYNODE. 


f>8 


intérieures,  et  qui  travaille  ensuite  à  celles 
du  dehors.  l 

Offrons  à  Dieu  des  sacrifices  intérieurs, 
tels  que  lui  offrait  le  roi-prophè!e  :  Holo- 
causUimedvllata  offeram  tibi  (Psal.  LXV,  15). 
Ce  sont  les  victimes  qu'il  demande.  11  vou- 
lait dans  l'ancienne  loi  qu'on  ôtât  la  peau 
de  la  victime  :  Detraclaque  pelle  hostiœ  (Le- 
vit.,  1,6),  pour  nous  donnera  connaître  qu'il 
s'arrête  principalement  à  l'intérieur  de  nos 
actions.  Profitons  de  l'avis  important  que 
nous  donne  l'Apôtre  en  ces  ternies  figurés: 
Epulcmur  non  in  fcrmenlo  veteri,  neque  in 
fermenta  malitice  et  nequitiœ  (I  Cor.  ,  V  ,  8). 
Approciions-nous  des  autels  et  de  nos  re- 
doutables mystères,  faisons  toutes  nosœuvres 
de  piété  et  de  charité,  non  ;:vec  ie  vieux  le- 
vain des  pharisiens ,  qui  est  l'hypocrisie, 
esprit  de  mensonge,  de  fourberie,  de  dissi- 
mulation et  de  malice,  mais  avec  les  pains 
sans  levain  de  la  sincérité  et  de  la  vérité  : 
Sedin  azymis  sincerilalis  et  verilatis  (Ibid.). 

Chrétiens  ,  que  vous  servira-1-il  d'être 
applaudis  de  ceux  qui  ne  voient  que  ta  .sur- 
face de  vos  actions,  si  vous  êtes  réprouvés 
par  celui  qui  pénètre  le  fond  de  vos  cœurs  ? 
Humbles  sans  déguisement  ,  mortifiés  sans 
chagrin,  charitables  sans  ostentation,  dé- 
vots sans  dissimulation,  en  un  mot  vertueux 
sans  chercher  même  la  gloire  qui  suit  la 
vertu,  soyons  ennemis  de  l'éclat  ;  ne  cher- 
chons que  les  yeux  de  Dieu  pour  témoins  des 
actions  qui  ne  doivent  avoir  que  Dieu  pour 
objet  et  pour  récompense  ;  soyons  chrétiens 
de  bonne  foi  ;  fuyons  le  respect  humain,  qui 
ne  peut  faire  que  des  libertins  ou  des  hypo- 
crites ;  soyons  pendant  notre  vie  tels  que 
nous  serons  bien  aises  de  paraître  aux  yeux 
de  tout  le  monde  au  grand  jour  du  jugement  ; 
servons  Dieu  dans  la  simplicité  et  la  sincérité 
de  notre  cœur  :  In  simplicitate  cordis  et  sin- 
cerilate  Dei  (i  Cor.,  1,  12).  C'est  le  moyen 
de  rendre  notre  justice  abondauic  et  par- 
faite, pour  entrer  dans  le  royaume  des  deux, 
où  nous  conduisent  le  Père,  le  Fils  et  le 
Saint-Esprit.  Ainsi  soit— il. 

SERMON 

POUR  UN  SYNODE. 

Prêché  dans  l'église  cathédrale  de  Nîmes, 
«u  synode  général,  en  présence  de  M.  Vévê- 
que  de  Nîmes  ,  le  13  avril  1701 

Allendite  vobis  et  universo  gregi. 
Soyez  attentifs  sur  tous  et  sur  tout  le  troupeau  (Act., 
XX,  28). 

Monseigneur, 
Ainsi  parlait  saint  Paul  aux  prêtres  d'E- 
phèse,  qu'il  avait  assemblés  pour  les  animer 
par  une  exhortation  vive  et  touchante  à 
remplir  fidèlement  lous  les  devoirs  de  leur 
|  ministère.  Assemblés  que  vous  êtes,  Mes- 
sieurs, pour  vous  instruire  de  vos  devoirs, 
souffrez  que  j'emploie  aujourd'hui  ces  mê- 
mes paroles,  pour  vous  exhorter  à  vous 
acquitter  de  la  manière  la  plus  parfaite  de 
(  es  deux  parties  de  la  perfection  ecclésiasti- 
que, qui  regardent  et  les  pasteurs  et  le  trou- 
peau de  Jésus-Christ.  Allendite  vobis  et  uni- 
verso  y  régi. 


C'est  dans  ces  deux  mots  que,  recueillant 
en  abrégé  les  obligations  des  prêtres  qui 
sont  destinés  à  la  conduite  des  âmes  ,  je  me 
renferme  à  vous  dire  qu  ils  doivent  travail- 
ler à  leur  propre  sanctification  et  au  salut 
de  leur  prochain.  En  effet,  Messieurs,  com- 
ment pourrait-on  prétendreétablirleroyaume 
de  Dieu  dans  les  autres,  si  on  ne  l'avait  au 
dedans  de  soi-même  par  la  pratique  des 
vertus  ?  Et  comment  pourrait-on  se  contenter 
de  s'appliquer  au  soin  de  sa  propre  per- 
fection, si,  destiné  par  un  choix  particulier 
de  la  Providence  à  travailler  au  saiut  des 
âmes,  on  ne  s'étudiait  pas  à  montrer  le  che- 
min du  ciel  à  ceux  qu'on  est  obligé  d'y  con- 
duire ? 

Je  viens  donc  ici,  mes  frères,  vous  repré- 
senter vos  devoirs  envers  vous-mêmes  et  en- 
vers le  prochain  ;  je  viens  vous  montrer, 
sans  étude  et  sans  art ,  qu'un  prêtre,  qu'un 
pasteur  évangélique,  pour  remplir  les  obli- 
gations essentielles  de  son  ministère,  doit 
être  continuellement  attentif  sur  lui-même, 
pour  mener  une  vie  sainte  et  irréprochable  ; 
Âttendile  vobis  ;  et  ce  sera  mon  premier 
point  ;  qu'il  doit  être  continuellement  atten- 
tif sur  les  peuples  commis  à  ses  soins  ,  pour 
exercer  envers  eux  son  zèle  et  sa  charité,  en 
ce  qui  regarde  leur  sanctification  et  leur  sa- 
lut :  Et  universo  yregi  ;  et  ce  sera  mon  se- 
cond point. 

Ne  craignez  pas,  Messieurs,  que,  sous 
prétexte  de  la  liberté  que  donne  en  celle 
occasion  le  ministère  que  j'exerce  aujour- 
d'hui, sévère  par  un  faux  zèle  ou  par  une 
vaine  ostentation  ,  je  vienne  offenser  de 
saints  prêtres,  dont  je  révère  la  dignité  et 
dont  je  connais  la  verlu.  Je  ne  cherche  ici 
qu'à  m'instruire  ou  à  me  confondre  moi- 
même  par  ces  grandes  vérités  que  je  dois  an- 
noncer. Je  vous  demande  seulement  avec 
saint  Paul  que  vous  me  supportiez  charita- 
blement :  Scd  et  sapporlate  me  (11  Cor., 
XI,  1).  Esprit  divin  qui  présidez  à  cette 
assemblée  ecclésiastique,  mettez  à  ma  bou- 
che ces  paroles  vives  et  efficaces  qui  portent 
la  lumière  dans  l'esprit  et  le  feu  sacré  dans 
le  cœur;  nous  vous  demandons  celte  grâce 
par  l'intercession  de  Marie,  à  laquelle  nous 
allons  dire  avec  l'ange  :  Ave,  Maria. 

PREMIER  POINT. 

Quoique  la  sainteté  de  Dieu  cl  la  grâce  du 
christianisme  imposent  à  tous  les  chrétiens 
une  obligation  indispensable  d'être  saints 
(Levit.,Xl,  H;  Rom.,\,  7),  il  faut  pourtant 
avouer  que  ce  devoir  esl  plus  particulier 
aux  prêtres  de  Jésus-Chrisî.  Qu'est-ce  qu'un 
prêtre  ,  mes  frères  ?  Allons  en  prendre 
l'idée  jusque  dans  la  personne  de  Jésus- 
Chrisl  même,  le  souverain  Prêtre  et  Pon- 
tife :  car  ne  devons-nous  pas  être  saints, 
parce  que  Dieu  est  saint,  et,  si  j'ose  le  dire, 
comme  Dieu  lui-même  esl  saint?  Ecoulons 
le  grand  Apôtre  dans  son  Epîlrc  aux  Hé- 
breux, où  il  explique  d'un  style  si  sublime 
la  grandeur  et  la  sainteté  du  sacerdoce  et  du 
sacrifice  de  la  loi  de  grâce  :  'Palis  decebat  ut 
nobis  csscl  ponlifcôc  sanclus,  i)inucens.  impol* 


09 


ORATEI  Rfl  SACRBfi    BEGAOL1 

{Jlebr.. 


1"0 


lului,  segregatut  a  peccalotibus. 
Vil,  26  . 

Sur  res  Lraitl  si  nobles  cl  si  vifs,  un  prêtre 
est  un  homme  saint,  innocent,  pur,  sans  au- 
cune tache,  séparé  des  pécheurs  ;  qui,  par 
la  sublimité  de  ses  vcrlus,  autant  que  par 
l'éininence  de  son  caractère,  est  au-dessus  de 
la  terre  et  des  cicu\  :  E jcehior  cœlis  foetus. 
(l'est  un  homme  dont  la  vie  est  si  pure 
qu'il  devrait,  pour  ainsi  dire,  n'avoir  pas  be- 
soin d'offrir  à  Dieu  des  victimes  pour  ses 
propres  péchés,  comme  son  mi  nia  1ère  l'obli- 
ge d'en  offrir  tous  les  jours  pour  ceux  du 
peuple. 

Pour  montrer  l'obligation  qu'ont  tous  les 
prêtres  d'être  saints,  je  pourrais  fonder  la 
sainteté  du  sacerdoce  sur  la  grandeur  de  son 
origine.  Je  pourrais  vous  dire,  Messieurs, 
que  Dieu,  après  avoir  choisi  entre  toutes  les 
nations  de  la  terre  les  descendants  d'Abra- 
ham pour  en  faire  un  peuple  bien-aimé  : 
après  avoir  composé  tout  le  corps  de  ce  peu- 
ple de  douze  tribus,  choisit  celle  de  Lévi, 
comme  la  plus  sainte,  pour  en  tirer  les  mi- 
nistres de  son  tabernacle  ;  qu'il  fit  encore 
dans  cette  même  tribu  un  autre  choix  pour 
la  prêtrise  et  pour  le  pontifical,  en  la  per- 
sonne d'Aaron,  se  réservant  à  lui  seul  le 
choix  du  sacrificateur  qui  devait  lui  offrir 
les  victimes,  el  menaçant  de  mort  lous  ceux 
qui,  sans  ordre  el  sans  une  onction  particu- 
lière, oseraient  porter  la  main  à  l'arche  ou 
à  l'encensoir. 

Je  pourrais  dire  qu'après  le  retour  de  la 
captivité  de  Dabylone,  dans  le  temps  même 
où  le  pontificat  fut  regardé  comme  un 
moyen  de  satisfaire  une  vaine  ambition  et 
une  sordide  avarice.  ;  dans  ces  temps  de  de- 
sordre où  des  sacrilèges  le  briguèrent  par 
intérêt  el  l'usurpèrent  par  violence,  jamais 
on  ne  vit  dans  le  sacerdoce  que  ceux  de  la 
tribu  que  le  Seigneur  avait  choisie  pour 
l'exercer.  Je  pourrais  vous  dire  encore  que, 
les  ombres  ayant  fait  place  à  la  vérité,  Jé- 
sus-Christ, souverain  l'rêtre  selon  l'ordre  de 
Melchisédech,  établit  uu  sacerdoce  nouveau, 
fondé,  suivant  la  doctrine  de  saint  Paul,  dans 
son  Epîlre  aux  Hébreux,  non  pas  sur  une 
vaine  généalogie  el  sur  une  succession  char- 
nelle, comme  celui  de  la  loi,  mais  sur  la 
naissance  éternelle  et  sur  la  vie  glorieuse 
de  Jésus-Christ  même  ressuscité  :  sacerdoce 
éternel,  établi  sur  un  serment  qui  en  assure 
l'immortalité  :  Juravit  Dominus....  Tu  es  sa- 
cerdos  in  œternum  (Psal.  C1X,  k  );  sacerdoce 
céleste,  qui  est  la  source  et  le  principe  de 
la  sanctification   des  hommes. 

Mais  cherchons  dans  la  sainteté  des  fonc- 
tions du  sacerdoce  chrétien  la  nécessité  où 
sont  d'être  saints  lous  ceux  qui  l'exercent. 
Quelle  sainteté  n'exige  pas  de  nous,  mes 
frères,  un  étal  dont  toutes  les  fonctions  sont 
si  redoutables  elsi  saintes!  Quel  est  l'emploi 
d'un  prêtre  de  Jésus-Christ?  c'est  unedispen- 
sation  lidèle  de  tous  les  trésors  de  la  sagesse. 
de  la  science  et  de  la  charité  de  Dieu;  un 
exercice  continuel  doses  mise!  icordes  el  de 
ses  justices  ;  c'est  d'èlre  le  ministre  de  sa 
puissance  spirituelle,  le  dispensateur  de   sa 


parole  et  de  ses  sacrés  mj  c'est  de 

ici  ■  acilier  la  terre  avec  le  ciel,  en  portant 

ne  de  Dieu  les  \o-ux,  les  el  II  s 

gémissements  des  hommes,  et  en  rapportant 
aux  hommes  les  grâces  el  les  m  lérkordes 
de  Die B  ;  c'est  de  juucr  les  pécheurs  dans  le 
tribnnal  de  la  pénitence,  el  pleurant  an. 
meni  sur  I  uis  crimes  entré  le  vestibule  el 
l'auiel,  d'obtenir  d'un  Dieu  irrité  leur  récon- 
ciliation et  leur  salut. 

C'est,  et  tremblez  ici,  prêtres  du  Seigneur, 
c'est  de  produire  sur  nos  aulels,  dans  le  re- 
doutable sacrifie  ,  le  corps  de  Jésus-Christ, 
el  de  le  distribuer  aux  li  lèles.  Hepr  -  n'e/- 
vous,  Messieurs  .  le  saint  homme  Elie  dans 
l'ardeur  de  sa  prière  :  une  multitude  inlinie 
de  peuple  qui  l'environne,  la  \  ii  li  ne  étendue 
sur  l'autel  ,  tous  les  assistants  saisis  de 
crainte  ,  dans  un  profond  el  religieux  si- 
lence ;  le  prophète  animant  son  zèle  el  sa  foi, 
la  flamme  qui  tombe  tout  d'un  coup  du  ciel 
sur  le  sacriiiee.  et  qui  dévo.e  l'holocaust  a 
(i\l  Jif  g.,  XVII!)  :  <c  fut  un  spectacle  digne 
d'élonnement  et  d'admiration.  Mais  si  nous 
passons  des  ligures  à  la  vérité  de  nos  mys- 
tères terribles,  nous  trouverons  des  objets 
bien  plus  dignes  de  noire  admiration  :  ce 
n'est  pas  ici  un  leu  dévorant  que  le  |  rc  ro 
l'ail  descendre  sur  l'autel,  pour  consommer 
une  \iclime  matérielle  el  sensible  ;  c'est  Je- 
sus-Chiist,  victime  pure  et  sans  tache,  que 
le  prêtre,  par  la  force  des  paroles  redouta- 
bles,  fait  descendre  du  ciel  pour  embra- 
ser du  feu  de  l'amour  sacré  les  cœurs  des 
fidèles. 

Quelle  conséquence,  mes  frères  1  Si  nos 
fonctions  sont  si  sainles,  quelle  doit  être  no- 
tre innocence,  quelle  doit  être  noire  sain- 
teté !  De  la  celle  crainte  religieuse  de!  plus 
grands  sainls  pour  lous  les  ministères  ec- 
clésiastiques ;  de  là  celte  sainte  horreur 
qu'ils  avaient  des  charges  el  des  dignités  de 
l'Ëglise  :  voyant  dans  leur  propre  grandeur, 
non  pas  l'opulence  des  bénéfices  dont  ils  pou- 
vaient jouir,  ni  l'éclat  des  dignités  qu'on  leur 
offrait,  mais  les  châtiments  terribles  dont  ils 
se  rendaient  coupables  s'ils  ne  soutenaient 
par  une  vie  toute  sainte  des  emplois  formi- 
dables aux  anges  mêmes.  Après  cela  je  ne 
suis  point  surpris  si  je  vois  sainl  Grégoire 
de  Na/ianze  s'enfuir  bien  loin,  de  pour  dé- 
lie ord  une  piètre  ;  s'il  faul  qu'une  colonne 
de  feu  découvre  sainl  Cbrjsoslouie  qui  se 
cache  jour  ne  pas  consentir  à  son  ordina- 
tion; s'il  faul  que  la  voix  bégayante  d'un 
enfant  annonce  Ambroise  ovéque,  pour  le 
forcer  d'obéir  à  l'ordre  de  Dieu. 

Sans  doute  qu'ils  avaient  appris  ces  gran- 
des maximes,  que  ceux  qui  entrent  dans  le 
sneerd  ce  de  Jésus-Christ,  pour  ne  faire 
avec  lui  qu'un  seul  pontife,  doivent  imiter 
sa  samlelo,  et  qu'être  appelé  au  sacerdoce 
et  être  appelé  à  la  sainteté  csi  la  même 
chose;  que  ceux  qui  sacrifient  le  corps  elle 
sang  de  Jésns-Cbrisl  doivent  vivre  do  son 
espiil  el  faire  un  continuel  sacrifice  de  leurs 
passions  ;  que'  ceux  qui  soûl  établis  pour 
corriger  les  dérèglements  et  ramener  le* 
peuples  à  ta  justice,  doivent  atoir  uue  i 


// 


JOI 


SERMON  POUR 


héroïque,  qui  les  rende  formidables  aux  im- 
pies et  vénérables  aux  gens  de  bien  ;  que 
ceux  qui  doivent  réconcilier  les  pécheurs 
avec  Dieu  doivent  être  eux-mêmes  sans  pé- 
ché; et  qu'enfin  un  prêtre  doit  être  élevé 
au-dessus  du  peuple,  autant  par  la  supério- 
rité de  sa  verlu  que  par  la  prééminence  de 
ses  emplois.  Ainsi  ces  grands  hommes,  ju- 
geant par  des  sentiments  d'une  humble  mo- 
destie qu'ils  manquaient  de  ces  éminentes 
qualités  que  demande  la  sublimité  du  sacer- 
doce, et  se  regardant  comme  indignes  des 
saints  et  redoutables  ministères  qui  y  sont 
attachés,  cherchaient  dans  les  plus  sombres 
retraites  à  se  dérober  aux  yeux  de  ceux  qui 
s'efforçaient  de  les  porter  aux  ordres  et  aux 
dignités  de  l'Eglise. 

il  ne  suffit  pas,  pour  la  perfection  d'un 
prêtre,  qu'il  marche  dans  la  voie  des  com- 
mandements, il  faut  qu'il  coure  à  grands  pas 
dans  la  voie  même  des  conseils;  ce  n'est  pas 
assez  qu'il  soit  bon,  il  faut  qu'il  travaille  à 
devenir  meilleur;  ce  n'est  pas  assez  qu'il  ait 
une  justice  commune,  il  doit  en  avoir  une 
qui  soit  abondante;  ce  n'est  pas  assez  qu'il 
évite  ces  péchés  affreux  et  décriés,  dont  le 
monde  même,  tout  corrompu  qu'il  est,  a  de 
l'horreur,  il  faut  qu'il  s'abstienne  de  ce  qui 
a  l'apparence  même  du  mal.  Etabli  pour 
rendre  à  Dieu  de  grands  hommages,  il  doit 
donner  aux  hommes  de  grands  exemples.  Il 
faut  qu'il  ail  une  foi  vive,  capable  de  trans- 
porter les  moniagnes  ;  un  courage  que  rien 
ne  rebute  quand  il  s'agit  ou  de  la  gloire  de 
Dieu  ou  du  salut  des  âmes;  une  obéissance 
aveugle,  qui  soit  à  l'épreuve  des  plus  diffi- 
ciles commandements  ;  une  dévotion  tendre, 
qui  marque  tous  les  moments  de  sa  vie  par 
quelque  mouvement  d'amour  de  Dieu  ;  une 
humilité  profonde,  qui  le  porte  à  se  regar- 
der dans  la  maison  du  Seigneur  comme  un 
serviteur  inutile,  lors  même  qu'il  y  travaille 
avec  plus  de  succès. 

Il  faut  qu'il  ait  une  pureté  inaltérable,  qui 
le  rende  insensible  à  tous  les  charmes  de  la 
volupté;  une  prudence  évangélique,  qui  le 
fasse  ou  cacher  ou  produire,  suivant  qu'il 
convient  à  sa  propre  sanctification  ou  à  l'u- 
tilité de  l'Eglise  ;  une  patience  dans  les  per- 
sécutions, qui  bannisse  de  son  cœur  toute 
amertume;  un  amour  inviolable  pour  la  jus- 
tice, qui  le  mette  au-dessus  de  toutes  les 
considérations  humaines;  une  conversation 
s  linle,  qui  excite  dans  les  âmes  justes  le 
goût  des  choses  célestes,  et  qui  ramène  les 
pécheurs  â  la  pénitence;  une  chanté  ar- 
dente, qui  ne  refuse  aucune  peine  en  ce 
monde,  et  qui  n'attende  de  récompense  que 
dans  l'autre.  Il  faut,  dit  l'Apôtre,  qu'il  soit 
irréprochable  dans  sa  conduite,  qu'il  soit 
s.'.ns  lai  lie  devant  Dieu  et  devant  les  hom- 
mes, et  qu'il  ait  même  le  témoignage  des  in- 
fidèles pour  l'innocence  et  la  pureté  de  ses 
mœurs  (I  Tim.,  III,  2,  7).  Enfin  il  faut  qu'ap- 
pelé à  une,  vertu  sublime,  toutes  ses  actions 
se  ressentent  de  la  sainteté  de  son  état  :  car 
ce  n'est  pas  assez  d'être  saint  dans  toutes  les 
actions  du  sacerdoce,  dans  toutes  les  fonc- 
tions du  ministère  et  de   la  religion,  il  faut 


UN  SYNODE.  ittë 

l'être  encore  dans  toute  la  conduite  de  sa 
vie. 

Pourquoi  saint  Paul  prend-il  tant  de  soin 
d'avertir  tous  les  prêtres,  en  la  personne  de 
ïimothée,  de  rallumer  en  eux  ce  feu  de 
la  grâce  qu'ils  ont  reçue  dans  leur  or- 
dination (  11  Tim. ,  1,6)?  Pourquoi  le 
prophète  veut-il  que  les  prêtres  de  l'ancienne 
loi,  qui  n'étaient  que  l'ombre  et  la  figuredes 
prêtres  de  la  nouvelle,  soient  comme  revê- 
tus de  justice  (Psal.  CXXX1,  9)  ?  Pourquoi 
Isaïa  leur  recommande-t-il  si  expressément 
de  fuir  la  corruption  du  siècle  (Isa.,  LU,  11), 
de  ne  point  toucher  ce  qui  est  souillé,  d'ê- 
tre purs,  eux  qui  portent  les  vases  du  Sei- 
geur?  Pourquoi  ces  onctions  saintes  dans 
l'ordination  des  prêtres?  sinon  pour  nous 
marquer  la  vertu  éminente  et  la  sublime 
sainteté  que  doivent  avoir  les  ministres  de 
Jésus-Christ.  Ah  !  si  pour  immoler  des  bœufs 
et  des  taureaux,  si  pour  porter  les  vases  où 
étaient  mis  le  lait  et  le  sang  des  victimes,  il 
fallait  avoir  une  si  grande  pureté,  quelle 
sainteté  ne  devons-nous  pas  avoir,  nous  qui 
consacrons  dans  le  redoutable  sacrifice  , 
nous  qui  recevons  tous  les  jours  le  corps  et 
le  sang  de  Jésus-Christ  même  ? 

Mais  que  serait-ce,  ô  mon  Dieu  !  si  les 
mains  d'un  prélse,  qui  divisent  ce  corps  sa- 
cré, et  qui,  selon  saint  Cbrysostotne,  doi- 
vent être  plus  pures  que  les  rayons  du  so- 
leil, étaient  impures  et  souillées  de  crimes  ; 
si  ces  yeux  qui  voient  tous  les  jours  ce  que 
les  patriarches  et  les  prophètes  ont  désiré  de 
voir,  et  qu'ils  n'ont  pas  vu,  s'occupaient 
de  la  vanité  ;  que  serait-ce  s'ils  étaient 
pleins  d'adultère  et  de  crime?  Que  serait-ce 
si  cette  bouche,  qui  est  si  souvent  rougio 
du  sang  de  l'Agheau  sans  tache ,  s'ou- 
vrait au  mensonge,  et  à  l'impureté?  On 
aurait  horreur  de  profaner  les  vases  sacrés, 
comme  fit  Ballhazar  lorsqu'il  s'en  servit  à 
des  usages  communs  {Dan.,  V,  25)  :  racrilégn 
dont  Dieu  ne  différa  pas  la  punition  d'un 
moment.  Hé  !  que  serait-ce  si  l'on  profanai; 
par  des  crimes  honteux  un  corps  consacré  à 
Dieu  d'une  manière  infiniment  plus  sainte, 
un  corps  qui  est  comme  le  temple  et  le  sanc- 
tuaire de  la  Divinité,  comme  un  vase  pré- 
cieux qui  est  tous  les  jours  rempli  de  Dieu 
même!  Que  serait-ce,  ô  mon  Dieu!  si  ceux, 
dont  on  regarde  les  mœurs  comme  un  mo- 
dèle qu'on  doit  imiter  venaient  à  mener  une 
vie  indigue  et  scandaleuse;  si  ceux  qui  doi- 
vent sanctifier  les  peuples  en  devenaient 
eux-mêmes  les  corrupteurs?  Leur  dérègle- 
ment ne  servirait-il  pas  comme  d'une  ex- 
cuse publique  pour  autoriser  les  désordres? 
En  vain  prècherail-on ,  avec  JésQS-Chfist, 
qu'il  faut  pratiquer  ce  qu'ils  disent  cl  ne  pas 
faire  ce  qu'ils  l'ont,  la  corruption,  qui  porte 
à  faire  ce  qu'ils  font,  ne  s'en  ferait-elle  pas 
une  raison  de  mépriser  même  ce  qu'ils 
disent? 

Malheur  à  vous,  prêtres  du  Seigneur,  si, 
au  lieu  de  conduire  les  peuples  dans  les  sen- 
tiel  s  de  la  vérité  et  de  la  justice,  par  les 
exemples  d'une  vie  pure  et  régulière,  vous 
les  meniez  dans  des  précipices  par  vos  scau^ 


«0?! 


ORAIEL'HS  SACHES.  BEGAULT. 


101 


;lalcs?  Auaite  hoc,  sucerdoies...  tfuoniam  (a- 
ijueus  facii  esti*  $p$culalioni,et  rete  exparuwn 
super  Thabor  [Isa.,  V ,  1  .  Ecoulez  ceci,  prê- 
tres du  Seigneur, dit  le  prophète  Isa'ie,  écou- 
lez ceci,  vous  qui  «jusque  sur  le  Thabor, 
jusque  dans  le  sanctuaire  même,  ces  comme 
autaut  de  piégea  et  de  filets  tondus  pour  la 
perte  et  la  ruine  de  ceux  <|ui  vous  voient. 
Sachez  que  vous  égorgez  tout  ce  que  vous 
ne  vivifiez  pas;  que  vous  remplissez  de  ténè- 
bres tout  ce  que  vous  n'éclairez  pas;  qu'é- 
tant choisis  pour  être  les  pierres  triangulai- 
res du  sanctuaire,  vous  êtes,  par  vos  mœurs 
dépravées,  des  pierres  de  scandale  contre 
lesquelles  les  peuples  viennent  se  briser. 
Souvenez-vous  que  les  plus  libertins,  pour 
s'autoriser  dans  leurs  désordres  ,  pour  se 
justifier  à  eux-mêmes  et  au  monde,  ne  ci- 
tent que  les  dérèglements  des  mauvais  ecclé- 
siastiques :  Et  lu  vulneratus  es  sicut  et  nos  : 
nus  tri  similis  eflecius  es  (Isa.,  XIV,  10  l.  Ne 
trouvons-nous  pas  en  eux,  disent-ils,  les 
mêmes  blessures,  les  mêmes  faiblesses  et  la 
même  corruption? 

Que  ne  puis-je  jeter  un  voile  sur  les  pé- 
chés des  ecclésiastiques,  pour  nous  en  déro- 
ber la  connaissance  !  Mais  à  ce  jour  de  ré- 
vélation, je  sens  l'Esprit  du  Seigneur,  qui 
me  dit,  comme  au  prophète  Ezéchicl,  de  per- 
cer le  mur  du  temple,  et  d'entrer  dans  le 
sanctuaire,  pour  voir  les  abominations  de 
ceux  qui  le  déshonorent  par  leurs  scandales  : 
Fade  parielem hvjrcdere,  et  vide  abomi- 
na tiu  nés pessimas,  quai isli  faciunttiic  [Ezech., 
Vili,  S,  9).  Le  dirai-je,  mes  frères,  j'y  vois 
d'abord  à  l'entrée  l'idole  du  zèle  :  Idolum 
zeli  in  ipso  inlroitu  (ibid-,  5).  Je  vois  dans 
le  temple,  d'un  côte  septante,  et  de  l'autre 
vingt-cinq  vieillards  de  la  maison  d'Israël, 
et  Jézonias  donner  de  l'encens  aux  repré- 
sentations des  idoles  peintes  sur  les  murs 
du  temple.  J'y  vois  des  ministres  sacrilèges, 
le  dos  tourné  à  l'autel,  cl  la  face  au  soleil  le- 
vant, adorer  les  dieux  des  nations,  avec  les 
livrées  du  Dieu  d'Israël,  et  sacrifier  au  veau 
d'or  avec  les  vêtements  d'Aaron. 

Parlons  sans  figure  :  je  vois  des  prêtn  s 
de  Jésus-Christ,  qui  n'ont  que  l'ombre  et 
l'apparence  de  zèle,  se  servir  souvent  du 
prétexte  de  la  religion  pour  contenter  leur 
avarice  ou  pour  satisfaire  leur  ambition  : 
Idolum  zeli.  J'en  vois,  de  ces  piètres  indo- 
lents, négliger  leurs  plus  importants  devoirs 
pour  vaquer  aux.  affaires  séculières  ;  j'en 
vois  suivre  avec  emportement,  au  mépris  de 
leur  caractère,  les  désirs  criminels  de  leur 
cœur  ;  j'en  vois,  de  ces  indignes  ministres, 
faire,  selon  les  termes  de  l'Apôtre,  un  trafic 
honteux  de  la  piété,  vendre  pour  un  sordide 
intérêt  l'honneur  de  leur  ministère. 

A  la  vérité,  ces  temps  malheureux  ne  sont 
plus,  où.  les  prêtres  abandonnes  à  un  af- 
freux libertinage  de  mœurs,  la  prêtrise  était 
tombée  en  opprobre,  cl  le  troupeau  de.lesus- 
Christ  livré  à  la  merci  des  loups  qui  le  dé- 
chiraient :  parce  qu'au  lieu  de  pasteurs  fidè- 
les, qui  édifiassent  leur  peuple  par  leurs 
bons  exemples,  il  n'y  avait  que  des  merce- 
naires qui  ne  pensaient  qu'à  se  nourrir  du 


lait  de  leurs  brebis  et  à  se  couvrir  de  leur 
loîton.  Cependant  il  ne  s'en  trouve  encore 
que  trop,  qui  avec  moins  d'éclal  déshono- 
rent leur  caractère  ;  qui,  sous  un  fjrd  ir  un- 
peur  de  fausses  vertu-,  cachent  les  vue-,  le» 
plus  houleux;  qui  fuit  une  alliance  mons- 
trueuse d'une  vie  déréglée  avec  une  dit;  ni  lé 
toute  sainte  ;  qui,  dans  l'exercice  des  fonc- 
tions les  plus  sacrées,  vivent  comme  des  pi  0- 
fanes;  qui  font  autant  de  sacrilèges  qu'ils  of- 
frent de  sacrifices;  qui,  au  licude  se  sanctii 
dans  un  ministère  tout  div  in,  se  rendent  en- 
core plus  criminels  ;  qui  ne  rapportent  de  la 
pratique  des  choses  les  plus  saintes  «pie  If 
mépris  qui  nail  de  la  coutume  de  s'en  a 
proeher  indignemi  nt.  profanateurs  sacrilè- 
ges des  mystères  dont  ils  sont  les  dispens 
leurs. 

Mais  qu'il  nous  suffise  oe  faire  entrevoir  a 
ces  ministres  indignes  leur  honte  et  leur  fai- 
blesse; et  pour  ne  pas  blesser  l'honneur  de 
la  dignité  qui  est  sainte,  n'allons  pas  louclu  r 
de  plus  près  les  défauts  de  ceux  qui  en  sont 
•  ewjlus.  Je  parle  devant  des  préires  ver- 
tueux qui  connaissent  la  sainteté  de  leur 
état,  el  qui  savent  en  accomplir  les  devoirs. 
Passons  à  la  seconde  parlie  de  ce  discours. 
Et  après  avoir  vu  iallention  que  les  pi 
très  et  les  pasteurs  evangéliques  doivt 
avoir  sur  eux-mêmes,  pour  mener  une  vie 
sainte  et  irréprochable  :  Atlendite  vobi*. 
voyons  l'attention  qu'ils  doivent  avoir  sur 
les  peuples  commis  à  leurs  soins,  pour  exer- 
cer envers  eux.  leur  zèle  et  leur  charité  eu 
ce  qui  regarde  leur  sanctification  et  leur  sa- 
lut: Et  universo  yregi :  c'vsl  mon  second  point. 

SECOND    POINT. 

Pour  venir  d'abord,  Messieurs,  aux  preu- 
ves de  celle  seconde  proposition,  noos  n'a- 
vons qu'à  recueillir  ici  les  noms  que  l'Ecri- 
ture donne  aux.  prêtres  el  aux  pasteurs,  el 
les  avis  saiulaires  qu'elle  leur  adresse.  Tan- 
lot  elle  les  appelle  les  sentinelles  d'Israël, 
pour  leur  apprendre  qu'ils  doivent  veiller 
continuellement  sur  les  âmes  qui  leur  soiu 
commises;  tantôt  les  ministres  de  la  parole 
de  Dieu,  pour  leur  faire  comprendre  qu'une 
de  leurs  principales  fonctions  est  d'enseigner 
les  vérités  éternelles  à  ceux  qui  les  igno- 
rent ;  tantôt  les  pères  des  fidèle*,  pour  leur 
marquer  qu'après  avoir  donne  aux  peuples 
la  nourriture  de  l'âme,  ils  leur  doivent  en- 
core la  nourriture  du  corps,  quand  ils  sont 
dans  l'indigence:  lantôl  des  soldats  enrôlés 
dans  la  milice  de  Jesus-Christ,  pour  mon- 
trer qu'ils  doivent  combattre  incessamment 
contre  les  puissances  des  ténèbres,  et  soulîrir 
constamment  tou-  les  Ira. aux  de  leur  mi- 
nistère; tantôt  des  vases  d'honneur  consa- 
crés au  Seigneur,  pour  lui  élre  utiles  (II 
Tïm.,11,21  ,  prêts  à  servira  touslesusagcsoù 
la  Providence  voudra  les  employer. 

Enfin ,  pour  renfermer  dans  une  seule. 
comparaison  les  offices  les  plus  parfaits  de 
«baille  et  de  zèle,  Jésus-Cbritt  leur-mcl  de- 
vant les  veux  l'exemple  de  ces  pasteurs 
pleins  de  leudresse  et  de  sollicitude  pour  leur 
troupeau,  qui,  voyaut  que  le  loup  va  se  jeter 
cruellement  sur  leurs  brebis  .  courent  à  leur 


105 


SERMON  POUR  UN  SYNODE. 


défense,  s'exposent  aux  plus  affreux  dan- 
gers, donnent  même,  s'il  est  nécessaire,  leur 
propre  vie  pour  les  sauver. 

De  là,  mes  frères,  reconnaissons  d'abord 
dans  les  pasteurs  l'obligation  indispensable 
qu'ils  ont  d'instruire  les  peuples  et  de  leur 
prêcher  la  parole  de  Dieu.  Les  brebis,  dit  Jé- 
sus-Christ, entendent  la  voix  du  pasteur 
[Joan.,  X,  3).  Hé  1  comment  Pentendront- 
elles,  si  le  pasteur  ne  leur  parle  pas?  Je 
vous  conjure  devant  Dieu  et  devant  le  Sei- 
gneur Jésus-Christ,  disait  saint  Paul  à  Ti- 
mothée,  d'annoncer  la  parole,  de  presser  à 
temps  et  à  contre-temps,  de  reprendre,  sup- 
plier, menacer,  sans  vous  lasser  jamais  d'ins- 
truire (H  Tim.,  IV,  2)  :  employant  ainsi  ce 
qu'il  y  a  de  plus  saint  et  de  plus  terrible, 
pour  faire  sentir  aux  pasteurs  combien  ils 
sont  obligés  d'enseigner  la  vérité  à  ceux  qui 
l'ignorent,  de  confondre  ceux  qui  la  combat- 
tent, de  corriger  ceux  qui  négligent  de  la 
pratiquer. 

Malheur  à  moi,  dit  le  même  apôlre,  si  je 
ne  prêche  pas  l'Evangile  (l  Cor.,  IX,  16)  ! 
Malheur  à  ces  pasteurs  oisifs,  endormis  et 
muets,  qui  retiennent  la  vérité  captive! 
Malheur  à  ceux  qui  refusent  de  rompre  le 
pain  aux  petits  qui  le  demandent  1  Malheur 
aux  pasteurs,  ou  qui  ne  prêchent  jamais,  ou 
qui  réduisent  le  devoir  de  prêcher  à  quel- 
ques légères  instructions  qu'ils  font  de  loin 
à  loin,  sans  étude  et  sans  préparation,  parce 
qu'un  peuple  rustique  n'étant  pas  capable 
de  comprendre  des  choses  sublimes,  ils 
croient  devoir  enfouir  dans  les  villages  des 
talents  qu'ils  feraient  valoir  dans  les  villes  : 
comme  s'il  fallait  laisser  ces  âmes  languis- 
santes dans  la  disette  de  la  parole  de  Dieu, 
parce  qu'étant  grossières  et  sans  politesse, 
on  ne  trouve  pas  de  quoi  nourrir  son  ambi- 
tion et  daller  sa  vanité  1  Comme  si  la  sain- 
teté de  Dieu,  qui  veut  être  glorifié  dans  ces 
âmes,  et  le  prix  infini  que  Jésus-Christ  a 
donné  pour  les  racheter,  n'étaient  pas  des 
molifsasscz  puissants  pour  exciter  leur  zèle 
et  pour  animer  leur  charité  1 

Mais  quelle  doit  être  la  vigilance  et  la  sol- 
licitude d'un  pasteur  évangélique  ?  Sembla- 
ble à  Jésus-Christ,  qui  assure  que  les  brebis 
que  son  Père  lui  a  données  ne  périront  jamais , 
et  que  nul  ne  les  ravira  d'entre  ses  mains 
(Joan.,  X,28);  persuadé  qu'il  répondra  de- 
vant Dieu  des  âmes  qui  lui  auront  été  con- 
fiées (llebr.,  XIII,  17),  il  doit  les  garder  avec 
tant  de  soin,  ^qu'aucune  ne  périsse  par  sa 
négligence. 

Dieu ,  qui  peut  par  lui  seul  étendre 
et  affermir  la  religion,  veut  bien  néan- 
moins partager,  pour  ainsi  dire,  avec  les 
pasteurs  la  conduite  des  fidèles.  Il  les  éclaire 
intérieurement  par  des  lumières  célestes;  il 
les  touche,  il  les  porte  à  la  vertu  par  les 
mouvements  secrets  de  sa  grâce.  Mais  il 
charge  les  pasteurs  du  ministère  sensible;  il 
leur  laisse  le  soin  de  conduire  les  fidèles  par 
l'usage  des  sacrements,  par  la  pratique  des 
vertus,  par  l'exercice  des  bonnes  œuvres,  à 
la  perfection  du  christianisme;  de  les  rappe- 
ler de  leurs  égarements  par  dèi  corrections 

Oratkuks  saches.  XXX. 


salutaires,  et  de  les  faire  rentrer  dans  les 
sentiers  de  la  justice,  lorsque,  emportés  par 
la  violence  de  leurs  passions,  ils  s'en  éloi- 
gnent :  Pour  vous,  disait  saint  Paul  à  ïimo- 

thée,  veillez,  travaillez  en  toutes  choses 

remplissez  les  devoirs  de  votre  ministère  (II 
Tim.,  IV,  5).  Telle  doit  être  l'attention  du 
pasteur  fidèle  sur  ses  brebis  :  toujours  oc- 
cupé de  ses  devoirs,  il  doit  s'appliquer  sans 
relâche  à  inspirer  l'horreur  du  vice  et  l'a- 
mour delà  vertu;  rien  ne  doit  échappera 
ses  soins  et  à  sa  vigilance. 

Le  peuple  d'Israël  rendait  au  veau  d'or  des 
hommages  sacrilèges,  tout  le  camp  retentis- 
sait de  cris  et  d'acclamations  de  joie  ;  on  dan- 
sait, on  chantait  autour  de  cette  idole  enri- 
chie des  dépouilles  de  toute  l'Egypte.  Josué, 
qui  était  à  la  tête  du  camp,  crut  entendre 
une  multitude  confuse  qui  s'excitait  au  com- 
bat; sa  vigilance  n'alla  pas  plus  loin  :  Ulu- 
latus  pugnœ  audilur  in  castris  (Exod., 
XXXII,  17).  Quel  malheur  pour  Israël,  si 
Moïse,  chargé  de  la  conduite  de  ce  peuple, 
s'en  fût  tenu  au  rapport  de  Josué  1  Mais 
quelle  prévarication  pour  Moïse,  s'il  eût 
manqué  de  vigilance  et  de  zèle  dans  un 
temps  où  l'idolàtrierégnait  avec  insolenceau 
milieu  d'Israël!  N'aurait-il  pas  été  coupable  des 
abominations  de  ce  peuple  sacrilège?  Je  les 
attends  au  jour  terrible  de  la  colère  et  des 
vengeantes  du  Seigneur,  ces  prêtres  négli- 
gents, qui,  pour  prendre  tranquillement 
leurs  frivoles  plaisirs  et  pour  satisfaire  leurs 
passions,  auront  abandonné  par  une  indo- 
lence criminelle  la  conduitede  leur  troupeau. 

Mais  combien  y  en  a-t-il  aujourd'hui  de 
ces  lâches  pasteurs!  Faisons-leur  ici  le  re- 
proche que  faisait  aux  pasteurs  de  son  temps 
le  prophète  Zacharie  :  O  pastor  et  idolum 
derelinquens  gregem  (Zach.,  XI ,  17)  !  Fantô- 
mes insensibles  et  inanimés,  idoles  de  pas- 
leurs,  qui  avez  une  bouche,  et  qui  ne  parlez 
pas  [Psal.  CX1I1,  5);  qui  laissez  les  peuples 
dans  une  ignorance  profonde  de  nos  mystè- 
res, et  qui  ne  les  instruisez  pas;  qui  avez 
des  yeux  et  qui  ne  voyez  pas;  qui,  par  de 
timides  ménagements  de  la  chair,  ne  voyez 
pas  ou  ne  voulez  pas  voir  les  désordres  et 
les  abus  qui  s'établissent  impunément  dans 
vos  paroisses;  qui  avez  des  oreilles,  et  qui 
n'entendez  pas;  qui  fermez  les  oreilles  à  la  voix 
plaintive  des  malheureux  qui  gémissent  dans 
la  misère  et  dans  l'oppression  ;  qui  avez  des 
mains,  et  ne  vous  en  servez  pas  pour  distri- 
buer aux  pauvres  celte  portion  de  biens 
ecclésiastiques  dont  vous  n'êtes  que  les  dé- 
positaires et  les  économes.  O  pastor  et  ido- 
lum derelinquens  gregem!  qui  abandonnez 
indignement  le  troupeau  pour  le  salut  du- 
quel vous  devriez  sacrifier  tout  ce  que  vous 
avez  de  plus  précieux  et  de  plus  cher,  jus- 
qu'à votre  propre  vie  :  malheur  à  tous, 
pasteur,  idole  de  pasteur,  qui  n'avez  qu'une 
ombre  et  un  fantôme  de  zèle. 

Quand  je  parle  de  zèle,  mes  frères,  j'en- 
temls  parler  d'un  zèle  qui  est  réglé  par  la 
prudence,  parla  science  et  par  la  piété;  jo 
parle  d'un  zèle  qui  bannit  tout  emportement 
dans  la  défense  de  la  vérité  et  dans  la  cor- 

k 


107 


OliA'lKL'RS  SACRES.  BKf.AlLT. 


108 


roction  dos  pécheurs.  Loin  de  nous  celte 
ardeur  téméraire  et  précipitée  qui  aigiil 
les  péclieurs  au  lieu  de  les  corriger,  qui  se 
sert  du  prétexte  de  la  religion  et  de  la  gloire 
de  Dieu,  pour  exercer  ses  violences  secrètes 
et  venger  ses  injures  particulières.  Je  parle, 
non  pas  d'un  zèle  amer,  inspiré  par  l'orgueil, 
mais  de  ce  zèle  tendre  qu'une  humble  mo- 
destie accompagne,  qui  nous  fait  craindre 
pour  nous,  espérer  pour  les  pécheurs,  qui 
nous  persu  !<le  qu'ils  peuvent  se  relever  et 
se  sauver,  et  que  nous  pouvons  tomber  et 
nous  perdre,  le  parle  d'un  zèle  inséparable 
de  cette  charité  compatissante  à  la  faiblesse 
humaine,  qui  ne  rebute  personne  par  une 
indiscrète  sévérité,  et  qui  attire  tout  le 
monde  par  une  sage  indulgence  et  par  une 
charité  sans  bornes. 

Je  dis,  mes  frères,  que  notre  charité  doit 
s'étendre  à  tout  le  monde  :  Et  universo 
gregi.  La  charité  d'un  pasteur  évangélique 
ne  doit  pas  être  rétrécie;  elle  ne  doit  point  se 
borner  à  un  petit  nombre  d'âmes  dociles  et 
dévouées  à  sa  conduite,  pour  lesquelles  il 
peut  avoir  plus  d'inclination,  ou  dans  les- 
l'uelles  il  voit  plus  de  dispositions  à  la  vertu. 
Chargé  de  tout  le  troupeau,  pourrait-il  sans 
injustice  s'attacher  aux  uns  et  abandonner 
les  autres?  Le  pauvre,  l'ignorant,  le  simple, 
le  paysan  rustique  et  grossier,  cornue  e 
riche,  le  savant  et  celui  qui  paraît  avoir  le 
plus  d'esprit  et  de  politesse,  doivent  trouver 
également  accès  auprès  de  lui.  L;i  charité  ne 
défend  pas  d'avoir  ces  égards  de  discrétion 
et  de  prudence  que  le  mérite,  l'autorité,  le 
rang,  peuvent  demander  en  certaines  occa- 
sions; mais  elle  ne  veut  pas  que  dans  les 
devoirs  du  ministère  on  ait  aucune  acception 
de  personnes  :  elle  veut  au  contraire  que 
par  une  tendresse  commune  le  pasteur,  père 
de  tous,  redevable  à  tous  [Rom.  I,  IV),  ne 
se  refuse  à  personne  et  se  donne  à  tous  sans 
partage  :  Et  universo  gregi. 

Loin  d'un  ministre  de  Jésus-Christ  ers  bi- 
zarres distinctions  de  complaisance,  de  soins 
et  de  sollicitudes  pour  les  personnes  en  qui 
il  trouve  des  qualités  qui  flattent  la  vanité  ou 
l'amour-propre  ,  tandis  qu'il  néglige  celles 
qui  sont  dans  la  bassesse  et  dans  l'obscurité. 
Persuadé  par  la  foi  que  toutes  les  âmes  sont 
rachetées  du  même  sang ,  qu'elles  sont  ap- 
pelées à  la  même  félicité,  que  tout  est  égal 
en  ce  qui  regarde  la  religion  et  le  salut,  tou- 
tes ses  breb  s  lui  doivent  être  également 
chères.  Quel  mérite  y  aurait-il  s'il  ne  s'atta- 
chait à  cultiver  que  les  terres  préparées  , 
prêles  à  porter  des  fruits?  Et  quelle  récom- 
pense pourrait-il  attendre  de  ce  qu'il  aurait 
luit  plutôt  pour  lui-même  que  pour  Dieu  ? 
Sa  charilé  doit  être  telle  que  celle  de  Jesus- 
Christ  même  ,  étendue,  universelle,  ayant 
pour  objet  tous  les  hommes  ,  comme  appar- 
tenant tous  à  Jésus-Christ  et  ayant  tous  droit 
au  même  héritage. 

Il  doit  employer  ses  soins  et  ses  travaux 
partout  où  il  trouv.c  la  gloire  de  Dieu  et  le 
salut  des  âmes  :  se  faisant  toul  à  tous  ,  com- 
me l'Apôtre,  pour  gagner  toul  le  monde  a 
Jésus-Christ;  exempt  d'humeur,  de  passion, 


d'intérêt  ;  agissant  toujours  par  le  seul  mo- 
tif d'une  (liante  pure  ,  qui  soit  comme  l'âme 
et  le  principe  de  lonU  •  ses  ai  lions  :  modéré 
-  ns  faiblesse,  actif  sans  emportement, 
Ferme  sans  opiniâtreté  ,  condescendant    sans 

Batterie;  toujours  différent  de  eeafara  zé- 
lés qui  ,  déterminés  à  certaines  maximes,  et 
attachés  à  certaines  pratiques  singulières  , 
u'a  pirent  qu'à  ce  qui  est  "/rand  et  négligent 
ce  qui  est  petit  ,  dé-espèrenl  ce  qui  est  dif- 
ficile et  méprisent  ce  qui  est  aisé  :  traitant 
toute  sorte  de  plaies  ou  avec  une  onction 
fade,  ou  avec  une  incision  violente. 

Un  des  premiers  dons  du  ciel  est  celui  de 
la  foi  ;  ce  que  la  lumière  est  au  corps  poor 
marcher  dans  des  voies  sûres  ,  la  fo  l'est  à 
l'âme  pour  la  conduire  à  Dieu  pirles  sen- 
tiers d'une  véritable  justice.  Il  faut  croire 
pour  pouvoir  s'approcher  de  Dieu.  Sans  la 
foi  il  est  absolument  impossib'e  de  lui  plaire 
{Ilebr.,  XI,  0).  La  foi  est  le  fondement  do  sa- 
lut et  le  principe  de  toutes  les  \ert  s  chré- 
tiennes. De  là  naît  celle  nécessité  indispen- 
sable de  faire  tous  nos  efforts  pour  rappeler 
à  cette  divine  lumière  tous  ceux  qui  sont  en- 
core plongés  dans  les  ténèbres  de  l'erreur. 

C'est  ici  ,  mes  frères,  où  il  f  lut  que  je  vous 
exhorte  à  recueillir  dans  votre  sein  toul  I  i 
feu  de  votre  zèle  ,  et  à  employer  toutes  les 
adresses  de  votre  charité  pour  achever  de 
rassembler  ce  troupeau  qui,  pour  n'être  plus 
entre  les  mains  du  mercenaire,  n'a  pas  peut- 
être  plus  de  docilité  à  se  laisser  conduire 
par  le  légitime  pasteur.  Semblables  à  Jésus - 
Christ,  nous  sommes  particulièrement  en- 
voyés aux  brebis  perdues  de  la  maison  d'Is- 
raël (Matth.,  XV,  2\).  Vous  le  savez,  mes 
frères,  pressés  par  une  douce  et  salutaire 
violence  de  rentrer  dans  le  sein  de  l'Eglise, 
d'où  leurs  pères  sont  sortis,  on  les  a  moins 
donnés  à  l'Eglise  qu'à  nous  :  car  on  n'a  pas 
toujours  la  foi,  pour  être  parmi  les  fi'è'es. 
Après  quelques  légers  traits  d'une  sévérité 
paternelle,  on  les  a  mis  entre  nos  mains, 
comme  autrefois  Saul  fut  mis  cuire  les 
mains  d'Ananic  (.Ici.,  IX.  17),  pour  le-  in- 
struire dans  la  foi,  pour  leur  donner  le  goût 
des  vérités  céle-tes  et  de  nos  mystères,  et 
pour  les  faire  demeurer  avec  joie  d  i.is  celle 
Eglise  où  d'abord  ils  n'étaient  entres,  du 
moins  pour  la  plupart  .  qu'avec  chagrin  el 
avec  douleur. 

Quelle  prévarication  pour  Ananie  dans 
son  ministère,  s'il  eût  laissé  sans  secours  el 
sans  instruction  Saul  aveugle  el  abatte;  si, 
par  des  M)ins  charitables,  il  n'eût  fait  tom- 
ber de  ses  yeux  ces  écailles  épaisses,  qui  lui 
cachaient  iflamière  de  la  vérité I  Mais  de 
(juel  crime  ne  serions-nous  pas  coupable*. 
si,  contents  de  voir  ces  nouveaux  (idèles  as- 
sembles dans  nos  églises,  nous  les  laissions 
dans  la  faim  de  la  parole  de  Dieu  !  N'au- 
raienl  ilspas  sujet  de  regretter  dans  l'Eglise, 
comme  les  Israélites  dans  le  désert,  la  nour- 
riture de  leur  Egypte  infldète?  .  uel.e  cruelle 
injustice,  si.  encore  faibles  qu'ils  sont  dans 
la  loi.  nous  ne  prenions  pas  soin  de  les  for- 
tifier par  lous  les  secours  spirituels  dont  ils 
ont  besoin  I  Je  l'avoue,  ce   travail  est  péni- 


100 


DISCOURS  POUR  LA  BENEDICTION  D'UN  MARIAGE. 


HO 


ble  et  rebutant  :  nous  avons  affaire  à  dos  es- 
prits opiniâtres  et  à  des  cœurs  indociles  qui, 
occupés  encore  de  leurs  injustes  préventions, 
méprisent  souvent  nos  instructions  et  nos 
conseils.  Mais,  mes  frères,  c'est  notre  voca- 
tion de  les  recevoir  avec  charité  :  Infirmum 
autem  in  fide  assimile  (Rom. ,  XIV,  1).  C'est  à 
nous  de  les  traiter,  et  à  Dieu  de  les  guérir. 
Ce  n'est  pas  des  fruits  de  son  apostolat  que 
saint  Paul  se  glorifie  le  plus,  c'est  de  ses 
travaux,  c'est  des  persécutions  qu'il  a  souf- 
fertes, et ,  suivant  la  doctrine  de  ce  grand 
apôtre,  nous  serons  récompensés ,  non  pas 
selon  le  succès  de  notre  ministère,  mais  se- 
lon la  mesure  de  notre  travail. 

Mais  c'est  particulièrement  envers  la  ten- 
dre jeunesse  ,  cette  aimable  portion  ,  cette 
précieuse  espérance  du  troupeau,  que  nous 
devons  exercer  notre  zèle  :  ce  sont  ces  jeu- 
nes plantes  que  nous  devons  plus  soigneuse- 
ment cultiver.  Si  nous  ne  pouvons  pas  ga- 
gner les  pères,  que  des  préjugés  invétérés 
retiennent  encore  dans  un  opiniâtre  entête- 
ment, il  faut  tâcher  de  gagner  les  enfants, 
que  l'âge  rend  plus  dociles  et  plus  suscepti- 
bles des  instructions.  Par  le  malheur  de  leur 
naissance,  ils  ont  sucé  l'erreur  avec  le  lait; 
il  s'est  glissé  dans  leurs  veines  un  mortel 
venin,  qui  a  commencé  de  corrompre  les  fa- 
cultés de  leur  âme.  Quoique  dans  un  âge  en- 
core tendre,  incapable  de  dis  erner  la  vérité, 
ils  se  trouvent,  sans  y  penser,  comme  enve- 
loppés d.ns  le  mensonge.  Si  les  parents  par 
de*  leçons  pernicieuses  qu'ils  opposent  à  nos 
salutaires  instructions  ne  peuvent  pas  leur 
inspirer  l'amour  de  la  fausse  religion  ,  du 
moins  tâehenl-ils  quelquefois  de  leur  don- 
ner de  l'aversion  pour  la  véritable. 

Or  c'est  à  nous  à  empècîier,  par  tous  les 
efforts  de  notre  zèle,  que  l'erreur  ne  jette  en 
eux  de  plus  fortes  racines;  c'est  à  nous  à 
détruire  dès  leur  enfance  ces  semences  fata- 
les d'hérésie,  qui  sont  sorties  d'un  sang  gâté 
et  corrompu;  c'est  à  nous  à  prévenir  dans 
les  enfants  le  mal  que  nous  nous  efforçons 
de  guérir  dans  les  pères. 

Chantons-en  des  cantiques  de  joie  au  Sei- 
gneur. Déjà  nous  voyons  les  campagnes 
toutes  blanches,  et  prêtes  à  moissonner; 
liéà  nous  voyons  nos  églises  repeuplées  de 
vériublcs  fidèles.  Combien  en  pouvons-nous 
compter  dans  ce  diocèse,  qui  fut  autrefois 
l'asile  et  le  centre  de  l'hérésie,  qui  sont  con- 
vertis de  bonne  foi,  tandis  que  le  reste  est 
ébranlé!  Combien  qui  ne  demandent  plus 
que  des  Ananies  pour  les  conduire  par  la 
main  d;ins  la  voie  de  la  vérité!  Combien 
même,  qui,  sortis  du  précipice,  tendent  la 
main  à  leurs  frères  qu'ils  y  ont  laissés?  Les 
pasteurs  négligent!  ,  pour  favoriser  leur  in- 
dolence et  leur  paresse,  n'auront  plus  à  op- 
poser la  résistance  des  peuples.  N'en  dou- 
tons plu.,  mes  frères,  l'o-uvre  de.  Dieu  va 
s'achever.  Les  jours  d'aveuglement  sont 
écoulés,  et  bientôt,  si  nous  redoublons  nos 
soins,  nous  ne  verrons  plus,  selon  nos  vomix 


les  plus  ardents ,  qu'un  même  bercail  et  uu 
même  pasteur  (Joan.,  X,  16). 

Grâces  immortelles  en  soient  rendues  au 
ciel.  Je  ne  crains  point  d'être  accusé  d'avoir 
exagéré  par  un  zèle  trop  ardent  les  vertus 
et  les  obligations  des  prêtres  et  des  pasteurs 
évangéliques,  en  présence  d'un  pontife  (1) 
qui  connaît  si  parfaitement  l'éminence  de 
leur  dignité  et  l'étendue  infinie  de  leurs  de- 
voirs. C'est  aujourd'hui  l'avantage  de  mon 
ministère,  mes  frères,  de  pouvoir  vous  pro- 
poser un  modèle  et  une  preuve  tout  ensem- 
ble des  vertus  que  je  viens  de  vous  prêcher, 
dans  les  mœurs  du  pasteur  qui  nous  gou- 
verne, et  pour  nous  en  faciliter  la  pratique, 
de  pouvoir  autoriser  ces  maximes  ecclésias- 
tiques par  la  vie  et  la  conduite  d'un  illustre 
prélat  qui  nous  en  donne  tous  les  jours  des 
exemples  si  éclatants.  Quel  avantage  pour 
nous,  mes  frères,  de  pouvoir  regarder  de  si 
près  celle  douceur  si  charmante,  cette  piété 
si  solide,  cette  charité  si  tendre  et  si  efficace, 
cette  vigilance  si  active,  cette  application  si 
vive  à  tous  les  devoirs  du  ministère  évan- 
gélique,  ce  zèle  si  ardent  et  si  sage  à  rap- 
peler à  la  religion  de  Jésus-Christ,  par  toutes 
les  espèces  de  soins,  les  enfants  par  les 
pères,  les  pères  par  les  enfants,  et  tous  ceux; 
que  le  malheur  de  leur  naissance  avait  en- 
traînés dans  l'erreurl 

Faites ,  Seigneur,  que  son  épiscopat  soit 
d'aussi  longue  durée  que  les  vœux  redou- 
blés de  cette  assemblée  ecclésiastique  nous  le 
font  espérer,  et  que  le  demandent  les  besoins 
de  ce  diocèse,  dans  ces  temps  difficiles  où, 
comme  un  autre  Josué,  il  combat  avec  tant 
de  force  et  de  succès  pour  éteindre  la  race 
ennemie  des  Amalécilcg!  Puisse  le  ciel  re- 
trancher une  portion  de  nos  jours,  pour  l'a- 
jouter  à  une  vie  si  belle  et  si  précieuse  I  Et 
nous,  mes  frères,  puissions-nous,  après  avoir 
imité  de  si  grandes  vertus,  mériter  la  récom- 
pense éternelle  qui  leur  est  promise,  et  que 
je  vous  souhaite,  avec  la  bénédiction  de  Mon- 
seigneur, olc. 

DISCOURS 

I'OllR    LA    iiÉNKDICTION    D'UN    MARIAGE. 

Prononcé  à  Paris  en  1710. 

Sacraincnliim  hoc  in;iguuni  est,  ego  autem  dico  in  Cliri- 
sto  et  in  txclesia. 

Ce  sacrement  ett  grand,  je  dis  en  Jésus-Chrùt  1 1  en  l'E- 
glise [Ephes.,  V,  Jfé). 

Monsieur  cl  Mademoiselle, 
S'il  ne  s'agissait,  comme  dans  les  anciennes 
lois,  que  d'un  contrat  civil,  d'une  alliance 
purement  naturelle  ,  qui  n'aurait  d'autre 
objet  qu'une  mutuelle  société  établie  pour 
vivre  ensemble  avec  certaines  règles  do 
bienséance,  pour  avoir  et  élever  des  enfanta 
qui  par  une  succession  perpétuelle  soutins- 
sent de  génération  en  génération  les  Liais  et 
les  empires,  il  ne  sérail  pas  nécessaire  de 
nous  assembler  dans  ce  sacré  temple,  pour 
vous  flirt,  à  la  face  des  autels,  de  vives 
exhortation!  sur  les  obligations  importantes 
du  nouvel  état  où  vous  allez  vous  engager  : 


(1)  Flécliicr,  cvêqnc  de  Nimcs. 


11! 

renfermés  comme  dans  l'enceinte  de  la 
nature  et  dans  les  limites  des  vertus  pure- 
ment civiles  et  politiques,  il  suffirait  de  roui 
rappeler  l'idée  de  ce  pr<  mier  mariage  institué 
dès  l'origine  dn  monde  ,  pour  croître,  multi- 
plier et  remplir  la  terre  d'habitants  (G^n., 

J .  28). 

Mais  dans  la  loi  de  grâce  ou  nous  vivons, 
qi: 'il  faut  nous  élèvera  des  pensées  bien  plus 
sublimes!  Laissant  donc  à  part  tout  ce  qui 
se  ressent  de  la  chair  cl  du  sang,  dégagés  de 
ces  idées  grossières  cl  terrestres  qui  occupent 
les  âmes  charnelles  dans  le  mariage,  la  reli- 
gion nous  oblige  de  porter  nos  regards  jus- 
qu'au fond  des  mystères  divins  qu'il  renferme, 
et  d'en  révérer  la  grandeur,  l'excellence  et 
la  sainteté. 

A  ne  juger  du  mariage  que  par  les  idées 
qu'on  s  en  forme  communément  dans  le 
inonde,  on  verra  qu'elles  ne  sont  guère  dif- 
férentes de  celles  qu'en  ont  les  nations  qui 
ne  connaissent  pas  Dieu.  En  effet  comment 
considère-t-on  le  mariage  aujourd'hui?  comme 
un  moyen  permis  de  satisfaire  sa  cupidité,  de 
se  procurer  un  établissement  qui  flatte  sa 
vanité  et  son  ambition,  d'agrandir  son  état 
cl  sa  fortune,  de  vivre  dans  l'indépendance  , 
de  s'affranchir  des  lois  d'un  devoir  sévère  qui 
soumet  ies  enfants  à  la  volonté  de  leurs 
parents. 

Faux  préjugé,  fausses  vues  de  l'homme 
animal  qui  ne  comprend  pas  les  choses  qui  sont 
de  l'esprit  de  Dieu  (lC'or.,11,  14) ;  erreur 
infiniment  injurieuse  à  la  dignité  et  à  la 
sainteté  du  mariage  chrétien.  Contre  ces 
injustes  sentiments,  je  dis  avec  saint  Paul 
que  c'est  un  sacrement  qui  est  grand  :  Sa- 
cramenlum  hoc  magnum  est  (Eph.,  V,  32)  :  je 
dis  encore  qu'il  est  saint. 

Si  nous  remontons  jusqu'à  sa  première 
origine,  où  il  n'était  que  la  figure  du  ma- 
riage des  chrétiens,  nous  trouverons  qu'il  est 
grand,  qu'il  est  saint,  dans  son  institution 
et  dans  les  vues  de  Dieu.  Il  fut  institué  dans 
le  paradis  terrestre ,  entre  des  personnes 
toutes  pures  et  innocentes,  que  Dieu  même, 
auteur  et  instituteur  du  mariage  sanctifia  et 
bénit  :  Benedixilque  illis  Deus  (Gen.,  I,  18). 

11  est  grand,  il  est  saint;  parce  que  Jésus- 
Christ  ,  la  sainteté  même,  l'a  élevé  à  la  di- 
gnité de  sacrement;  il  est  grand,  il  est  saint 
dans  sa  signification  et  dans  les  mystères 
sacrés  qu'il  renie; me  :  Sacramentum  hue 
ma  (/midi  est,  in  Christo  dico  et  in  licclesia  , 
par  les  merveilleux  rapports  qu'il  a  avec 
Jésus-ùhrist  et  son  Eglise,  en  ce  qu'il  repré- 
sente d'une  manière  ineffable  l'union  de  la 
nature  divine  avec  la  nature  humaine,  et  de 
Jésus-Christ  avec  son  Eglise,  dont  il  est 
l'image,  et  d'où  il  lire  son  excellence  cl  son 
esprit.  Grand  et  saint  dans  ses  effets ,  qui 
sont  la  grâce  sanctifiante,  et  la  tnâce  sacra- 
menlale  qu'il  produit  en  ceux  au'il  trouve 
disposés  à  les  recevoir. 

a  lis  que  servirait-il  que  le  mariage  fût 
saint ,  si  l'on  ne  B'appliquait  à  le  sanctifier 
en  soi- même?  lui  vain  ce  sacrement  o  ri- 
r.ul-il  des  dons  célestes  cl  des  secours  spi- 
rituels en  abondance,  si,  insensible  à  la  grâce 


ORATEURS  SACRES    BEGAULT.  HÎ 

qu'il  confère,  on  mettait  des  obstacles  i  sa; 
vertu. 

Comment  donc  sarutifiera-t-onle  mariacre? 
Remplir  fidèlement  les  fins  pour  lesquelles 
Jésus-Christ  l'a  institué;  se  porter  mutuel- 
lement  à  la  vertu  ,  à  la  pratique  de  la  piété, 
delà  douceur ,  de  la  charité  et  des  bonnes 
œuvres;  s'édifier  l'un  l'autre  par  de  bons 
exemples;  mettre  à  profit  dans  les  occasions 
les  grâces  attachées  à  ce  sacrement;  élever 
ses  enfants  dans  la  crainte  de  Dieu  et  d>'  sea 
jugements,  dans  l'horreur  du  vice  et  dans 
l'amour  de  la  vertu;  avoir  un  soin  particu- 
lier de  ses  domestiques  et  de  toute  sa  fa- 
mille :  c'est  le  moyen  de  sanctifier  le  mariage. 

Suivant  l'avis  important  de  l'Apôtre,  «t  ir 
une  femme,  avoir  un  mari,  comme  n'en  ayant 
point  (I  Cor.,  VI!,  29),  modérer  les  saillies 
emportées  de  la  cupidité;  user  de  ce  monde 
comme  n'en  usant  poin!  (Ibid.,  31);  regarder 
les  plaisirs  et  les  autres  biens  de  la  vie  avec 
indifférence  comme  une  ombre  fugitive  , 
comme  une  figure  qui  passe,  comme  une 
fumée  qui  se  dissipe  dans  l'air,  comme  un 
songe  qui  s'évanouit  au  moment  qu'il  amuse 
agréablement  l'imagination  ;  ne  s'éloigner 
jamais  des  vues  de  la  foi  cl  du  salut  éternel  ; 
méditer  souvent  la  loi  du  Seigneur;  vaquer 
aux  heures  convenables  à  la  prière  ,  aux 
exercices  de  religion  et  de  miséricorde  ;  ç/est 
là  sanctifier  le  mariage  chrétien. 

Appuyons  un  peu  davantage  sur  deux 
obligations  essentielles  que  contracient  plus 
particulièrement  les  personnes  qui  s'enga- 
gent dans  le  mariage,  le  support  et  l'amour 
mutuel. 

Il  n'est  point  d'état  dans  le  monde  où  le 
support  mutuel  soit  plus  nécessaire  que  dans 
le  mariage.  Telle  est  la  condition  humaine  , 
qu'elle  est  sujette  à  mille  faiblesses  et  à  mille 
imperfections.  Avant  le  mariage  chacun  use 
d'artifice  pour  se  composer,  pour  se  dérober 
l'un  à  l'autre  la  connaissance  de  ses  défauts; 
on  s'étudie  à  se  montrer  par  le  bon  endroit:  si 
l'on  a  quelque  verlu,  quelque  talent ,  quel- 
que bonne  qualité,  on  prend  soin  de  la  faire 
paraître;  on  se  pare  de  loul  ce  qui  peut  se 
faire  honneur;  chacun  excelle  dans  l'art  de 
se  contrefaire  et  de  se  cacher.  L'avare  se 
montre  libéral  et  généreux,  le  prodigue  vous 
paraîtra  économe  et  réglé,  le  plus  emporté 
donnera  des  preuves  de  douceur  et  de  modé- 
ration; un  débauché,  un  libertin  affecte  par 
des  dehors  séduisants  d'être  sage  et  retenu. 
D'un  autre  côte,  il  arrive  ordinairement  que 
la  fille  la  plus  libre  se  donne  pour  une  vertu 
austère,  que  la  plus  vaine  parait  humble  et 
modeste,  que  la  plus  violente  devient  pour 
un  temps  dotiez  et  modérée.  Chacun  cherche 
à  se  tromper  dans  le  naturel  cl  dans  les 
mœurs,  encore  plus  que  dans  ce  qui  regarde 
les  facultés. 

Le  mol  fatal  esl-il  prononcé?  l'enchante- 
ment se  rompt,  le  masque  tombe  ,  le  fard 
tro  eur  se  dissipe;  peu  de  jours  après 
chacun  reprend  sou  humeur,  reparait  dans 
son  naturel;  et  comme  les  défauts  les  plus 
grossiers  éi  lient  cachés  sous  l'artifice  et  le 
déguisement  par  l'attention  continuelle  qu'on 


lio 


DISCOURS  A  L'ACADEMIE  FRANÇAISE. 


114 


avait  à  s'observer,  aussi  les  moindres  imper- 
fections, les  plus  petits  atomes  se  découvrent 
par  la  trop  grande  familiarilé,  par  l'habitude 
d'être  toujours  ensemble  et  de  s'étudier  de 
trop  près ,  et  par  le  peu  de  soin  qu'on  prend 
dans  la  suite  de  se  ménager  et  de  se  con- 
traindre. 

Or  c'est  là  où  le  support  est  absolument 
nécessaire,  pour  souffrir  tranquillement  les 
humeurs  et  les  défauts  l'un  de  l'autre,  quand 
on  ne  peut  pas  les  corriger;  c'est  pour  lors 
qu'il  faut  suivre,  plus  qu'en  aucun  autre 
état,  le  conseil  de  saint  Paul  :  5e  supporter 
l'un  Vautre  dans  un  esprit  de  douceur  et  de 
charité,  conserver  une  parfaite  union  de  cœurs, 
dans  le  lien  de  la  paix  (Eph.,  1 V,  2  et  3). 

11  faut  encores'aimer mutuellement.  Quand 
je  parle  ici  d'amour,  je  n'entends  pas  parler 
d'un  amour  profane  ou  purement  naturel  : 
je  parle  d'un  amour  chrétien,  qui  a  sa  source 
et  son  principe  dans  la  grâce  d'un  sacrement 
et  dans  la  charité  même  de  Jésus-Christ. 
Comme  le  lien  du  mariage  est  indissoluble  , 
l'amour  le  doit  être  aussi  :  c'est  ce  que  si- 
gnifie l'anneau  bénit,  symbole  de  l'amour  et 
de  la  fidélité.  Cependant,  chose  étrange!  soit 
bizarrerie,  soit  humeur,  soit  inconstance  et 
légèreté  de  l'esprit  et  du  cœur  humain  ,  il 
suffit,  ce  semble, que  l'amour  soit  commandé, 
pour  y  Irouver  dès  là  du  dégoût  et  une  se- 
crète répugnance;  le  précepte  semble  d'a- 
bord en  amortir  les  feux  innocents. 

C'est  ici  qu'on  peut  dire  avec  l'Apôtre, 
qu'rl  l'occasion  de  la  loi,  la  concupiscence  et 
le  péché  ont  commencé  à  revivre  (Rom.,  VII, 8). 
Souvent  une  flamme  impure,  qui  aurait  dû 
s'éteindre  par  le  mariage,  se  rallume  avec 
plus  d'ardeur  pour  des  objets  criminels,  et  un 
amour  légitime,  qui  devait  s'enflammer  da- 
vantage, se  ralentit  et  s'éteint. 

Dans  la  suite  du  temps,  les  agréments  vien- 
nent à  se  flétrir,  le  premier  éclat  d'une  bril- 
lante jeunesse  s'efface,  car  la  beauté  est  une 
fleur  qui  s'ouvre  au  matin,  qui  s'épanouit  à 
midi  et  qui  sèche  le  soir  :  des  infirmités  ha- 
bituelles font  tomber  les  grâces.  Là-dessus 
viennent  les  tribulations  de  la  vie,  compagnes 
nécessaires,  dit  saint  Paul  (I  Cor.,  Vil,  28), 
et  inséparables  du  mariage,  qui  troublent  la 
joie  el  la  douceur  de  la  société.  Le  goût  et 
les  affections  changent  :  ce  qui  d'abord  fai- 
sait plaisir,  dans  les  suites  devient  insipide 
et  quelquefois  même  odieux  ;  et  parce  que 
les  principes  el  les  motifs  de  l'amour  naturel 
se  détruisent,  on  croit  n'être  plus  si  étroite- 
ment obligé  de  s'aimer.  De  là  ces  amitiés 
étrangères;  de  là  ces  feu\  illégitimes;  de  là 
ces  guerres  domestiques  qui  portent  le  (rou- 
ble el  la  division  dans  les  familles. 

Dans  le  mariage  chrétien,  l'amour  mutuel 
doit  èlre  toujours  le  même,  parce  que  les 
motifs  spirituels  sur  lesquels,  dans  les  prin- 
cipes de  la  religion,  il  est  établi,  subsistent 
toujours. 

L'époux  doit  aimer  toujours  son  épouse,  com- 
me Jésus-Christ, Ail  l'Apôtre,  «  aimé  son  Eglise 

(I)  Comme  on  l'a  vu  dans  la  nolirc  do  l'abbé  lic- 
gauli,  ce  discours  fui  prononce,  le  30  octobre  1092,  à 


(Eph.,V,22),  amour  qui  ne  peut  être  solide  et 
durable  s'il  n'est  fondé  sur  une  considératiou 
particulière  pour  son  épouse.  A  la  vérité,  le 
mari  est  le  chef  de  la  femme  (Ibid.,  23),  dit 
saint  Paul  ;  mais  cette  qualité  ne  lui  donne 
pas  un  dur  empire  et  une  domination  tyran- 
nique  sur  elle.  La  première  femme,  comme 
le  remarque  saint  Augustin,  fut  tirée,  non  de 
la  tête  d'Adam,  parce  que  le  mari  devait  être 
le  chef;  non  des  pieds,  parce  que  la  femme 
ne  devait  pas  être  la  servante,  mais  du  enté, 
pour  marquer  que,  dans  la  subordination 
qu'elle  devait  avoir  à  son  mari,  elle  avait  une 
espèce  d'égalité  avec  lui  qui  devait  l'affran- 
chir d'une  dure  et  impérieuse  autorité  qu'il 
aurait  voulu  prendre  sur  elle. 

L'épouse  ,  suivant  l'Apôtre  ,  doit  aimer 
aussi  son  mari;  elle  doit  le  respecter  comme 
son  chef,  comme  son  conseil,  comme  sou 
guide,  comme  son  défenseur  et  son  soutien; 
elle  doit  lui  obéir  comme  l'Eglise  obéit  à  Jésus- 
Christ  (Eph.,  V,  24),  avec  une  douce  et  gra- 
cieuse condescendance. 

Aimez-vous  donc  mutuellement  dans  la 
charité  de  Jésus-Christ.  Je  finis  avec  ce  mot  : 
Que  l'amour  que  Jésus-Christ  a  pour  son 
Eglise  soit  la  règle  et  le  modèle  du  vôtre.  Il 
n'était  point  permis  d'apporter  du  feu  étran- 
ger dans  le  sanctuaire  :  que  rien  n'altère  la 
pureté  d'un  amour  sanctifié  par  ce  qu'il  y  a 
de  plus  sacré  dans  la  religion. 

Tout  nous  porte  à  bien  augurer  de  cette 
aimable  alliance  :  le  mérite  des  familles,  où 
la  noblesse  a  toujours  été  soutenue  par  la 
vertu,  où  le  véritable  honneur,  la  probité,  la 
sagesse,  la  piété,  la  religion,  sont  comme  hé- 
réditaires ;  une  parfaite  conformité  de  senti- 
ments; votre  propre  vertu,  formée  par  un 
heureux  naturel  ,  cultivée  par  une  pieuse 
éducation,  perfectionnée  par  une  pureté  et 
une  innocence  de  mœurs  qui  ne  laisse  pres- 
que rien  à  faire  aux  avis  et  aux  exhorta- 
tions. 

Que  reste-t-il  après  cela  ,  sinon  que  vous 
invitiez  Jésus-Christ  à  vos  noces,  comme  il 
fut  appelé  à  celles  de  Cana  (Joan.,  II),  pour 
qu'il  répande  sur  vous  ses  plus  abondantes 
bénédictions.  Je  vous  les  souhaite,  au  nom 
du  Père,  el  du  Fils,  et  du  Sainl-Esprit.  Ainsi 
soit-il. 

DISCOURS 

a  l'académie  française  (1). 

-,         Messieurs, 

De  toutes  les  compagnies  qui  ont  reçu 
l'honneur  que  vous  nous  faites  aujourd'hui, 
il  n'en  est  point  qui  l'ait  désiré  avec  plus 
d'ardeur  et  recherché  avec  plus  d'empresse- 
ment que  l'académie  royale  de  Nîmes.  Les 
premiers  titres  de  notre  fondation,  où  Sa 
Majesté,  en  nous  accordant  les  mêmes  pri- 
vilèges dont  vous  jouissez,  approuve  si  au- 
Ihenliquemcnt  l'émulation  que  nous  avons 
eue  de  cultiver,  à  votre  exemple,  les  sciences 
et  les  belles-lettres;  l'heureux  et  libre  choix 
une  nous  avons  fait  dans  votre  académie  d'un 

l'occasion  de  ragrépiion  de  l'académie  de  Nimcs  à 
l'académie  française. 


Ho 


ORATEURS  SACRES.  BF.GAl'LT. 


110 


illustre  protecteur  qui  en  fait  un  des  plus 
beaux  ornements  (1)  ;  l'admiration  que  vous 
excitez  dans  tout  le  inonde  par  ces  écrits  si 
dignes  de  l'immortalité;  la  réitération  pro- 
fonde que  nous  avons  toujours  eue  pour 
vous,  tribut  nécessaire  que  vous  doivent  tous 
ceux  qui  ont  quelque  goût  pour  tout  ce  qui 
forme  et  qui  polil  l'esprit  ;  l'exemple  de  plu- 
sieurs célèbres  académies,  le  désir  d'étendre 
les  limites  de  votre  empire,  tout  cela,  Mes- 
sieurs, était  de  puissants  motifs  pour  nous 
faire  souhaiter  avec  passion  une  union  étroite 
avec  vous. 

Aussi,  depuis  plusieurs  années,  et  nous 
pouvons  dire  dès  l'origine  de  noire  établisse- 
ment, nous  avions  soupiré  après  ce  bonheur. 
Un  de  nos  premiers  fondateurs,  à  qui  l'His- 
toire de  l'académie  française  est  dédiée,  avait 
été  chargé  de  nous  procurer  ce  glorie ux 
avantage  ;  mais  1rs  troubles  qu'excita  depuis 
dans  le  Languedoc  la  diversité  de  religions 
suspendirent  pour  quelque  temps  l'accom- 
plissement de  nos  vœux  et  l'exécution  de 
notre  dessein.  Aujourd'hui  que,  par  la  pro- 
tection d'un  roi  aussi  grand  par  sa  piété  que 
par  sa  valeur,  les  esprits  et  les  cœurs  étant 
réunis,  les  Muses  jouissent  dans  nos  provin- 
ces, à  l'ombre  de  ses  lauriers,  d'un  parfait 
repos  ,  nous  vous  avons  redemandé  cette 
grâce,  et  enOn  nous  l'obtenons  par  votre 
généreuse  bonté. 

Quel  avantage  pour  nous,  Messieurs,  d'ê- 
tre associés  à  tant  de  grands  hommes,  en  qui 
la  vertu  sincère  ,  le  véritable  mérite,  l'éru- 
dition profonde  ,  la  grandeur  et  la  gloire  de 
tous  les  ordres  de  l'Eglise  et  de  l'Elat  se 
réunissent;  de  pouvoir  entretenir  un  com- 
merce d'esprit  avec  un  illustre  corps,  qui 
est  comme  le  centre  de  la  pureté,  de  la  déli- 
catesse ,  de  la  politesse  et  de  l'éloquence  de 
notre  langue  1  Quel  bonheur  d'entier  en 
quelque  partage  de  la  gloire  qui  vous  envi- 
ronne ,  d'être  admis  quelquefois  dans  ce 
sanctuaire,  et  d'y  recueillir  vos  oracles  I 

Désormais,  pour  relever  la  gloire  de  notre 
origine,  nous  ne  compterons  plus  notre  éta- 
blissement que  du  jour  que  vous  nous  avez 
adoptés  :  car  comme  les  anciens  jugeaient 
que  les  enfants  qui  naissaient  depuis  que 
leur  père  était  parvenu  à  l'empire  étaient 
plus  nobles  que  ceux  qu'il  avait  eus  dans 
une  fortune  privée,  ainsi,  Messieurs,  si  nous 
pouvons  considérer  notre  académie  en  diffé- 
rents âges  et  par  rapport  à  de  différentes  nais- 
sances, nous  pouvons  dire  qu'elle  aura  quel- 
que chose  de  plus  grand  et  de  plus  noble 
depuis  l'adoption  que  vous  en  avez  faite. 

Mais  pour  soutenir  celle  alliance  avec 
quelque  mérite,  nous  travaillerons  avec  plus 
de  zèle  et  d'application  à  profiter  de  vos 
savantes  instructionset  de  v  s  grands exem- 
ple's,  que  nous  étudierons  de  plus  près.  l'ai 
une  noble  émulation  ,  nous  nous  croirons 
plus  obligés  d'imiter,  s'il  est  possible,  chacun 
en  notre  manière  et  suivant  nos  talents, 
celte  élévation  dans  les  pensées,  celle  finesse 
dans  les  tours  d'esprit ,  cette  pureté  et  i  et  le 
élégance  dans  l'expression,  qui  vous  sont  si 


fialurelles.  Nous  nous  appliquerons  avec 
plus   de   soi'i    et    avec    plus   de  fruit  â  la  re- 

eberebe  des  riebesspa  infiai      i     ' -  dans 

les  antiquités  de  notre  rllle,  superbes  mo- 
numents de  ||  grandeur  et  de  lé  in.iL'uili- 
cence  des  Romains.  Persuadés  que  vo-  lu- 
mières et  que  rotre  éloquence  se  communi- 
quent ,  nous  oserons  même  avec  plis  de 
sûreté  entreprendre  de  célébrer  les  vertus 
et  la  gloire  d  un  roi  dont  les  actions  immor- 
telles peuvent  occuper  toutes  les  académies 
du  monde. 

Je  devrais  m'élendre  sur  la  reconnaissance 
infinie  que  je  dois  vous  marquer  de  la  part 
de  notre  compagnie  pour  la  grâce  que  vous 
nous  (ailes  ;  mais  de  [dus  nobles  idées  vous 
occupent  et  vous  remplissent,  elle  récit  des 
exploit-,  glorieux  de  votre  auguste  prolec- 
teur doit,  ce  semble,  vous  rendre  indifférents 
à  tout  autre  discours. 

Louis  le  Grand,  dont  le  nom  seul  est  [\\\ 
présage  de  victoire  ,  vainqueur  sur  les  ter- 
res du  tous  si  s  ennemis,  quoique,  pour  re- 
hausser l'éclat  de  sa  gloire  ,  il  devrait  lui 
suffire  de  vaincre  par  les  mains  de  tant  de 
braves  guerriers  qu'il  a  formés  sur  ses  exem- 
ples, veut  encore  cueillir  lui-même  les  lau- 
riers dont  la  victoire  doit  le  couronner.  11 
part,  il  se  met  à  la  tête  d'une  armée  formi- 
dable,; loute  la  Flandre  tremble  au  seul  bruit 
de  sa  marche;  les  nations  frémissent  aux 
approches  de  ce  héros;  une  nuée  pleine  de 
tonnerres  grossit  sur  leur  tête  ,  l'orage  se 
forme,  la  foudre  gronde  et  menace  :  lout  le 
monde,  attentif  sur  ces  vastes  desseins,  dont 
le  secret  est  réservé  à  lui  seul  qui  les  a  con- 
çus et  qui  seul  peut  les  exécuter,  attend  en 
suspens  l'événement  de  ces  grands  projets; 
ils  éclatent  enfin  :  Namur  est  assiégée,  Na- 
mur,  celte  place  si  Gère  de  sa  silualion  natu- 
relle, de  l'abondance  de  ses  munitions ,  de  sa 
nombreuse  garnison,  de  la  force  de  ses  bas- 
tions et  de  ses  remparts,  des  armes  qui  la 
défendent  et  des  rivières   qui  l'environnent. 

Celte  citadelle  qu'on  n'o-ailallaquer  parce 
qu'on  la  croyait  imprenable  ,  qui  seule  a 
résisté  aux  efforts  de  plusieurs  puissances, 
cette  place,  la  terreur  des  plus  grandes  ar- 
mées, enveloppée  d'un  assemblage  de  toutes 
les  espèces  de  fortifications,  que  des  rochers 
escarpés,  que  des  précipices  affreux,  en  un 
mot  que  l'art  et  la  nature  rendaient  presque 
inaccessible,  Namur,  le  plus  ûer  espoir  des 
alliés,  la  première  place  de  l'Europe  par  l'im- 
portance et  par  la  suite  de  sa  conquête,  esl 
assiégée  par  l'auguste  Louis  et  réduite  en  peu 
de  jours  à  sa  puissance. 

En  vain  un  prince  ambitieux,  en  qui  une 
infinité  de  nations  mettent  leur  confiance, 
enflé  par  des  crimes  heureux,  soutenu  par 
les  forces  de  plusieurs  rois  et  de  loute  l'Eu- 
rope liguée  contre  nous:  en  va  n  un  nombre 
prodigieux  de  bataillons  et  d'escadrons, com- 
mandés presque  tous  par  des  souverains, 
s'efforcent  au  dehors  de  la  délivrer,  taudis 
qu'une  armée  entière,  animée  par  le  perance 
du  secours,  la  défend  au  dedans,  Louis  le  Grand 
force  ses  remparts,  entre  dans  les  tranchées, 


11)  Flécliier ,  évèque  de  Niiues,  présent  a  ce  discours. 


117 


DISCOURS  SUR  LÀ  DOUCEUR  DE  L'ESPRIT. 


118 


s'expose  au  feu  dos  ennemis,  est  présenl  aux 
attaques,  anime  par  sa  valeur  ses  généreux 
guerriers;  et  en  moins  d'un  mois,  malgré 
l'inconstance  des  éléments,  malgré  le  ren- 
versement des  saisons,  il  soumet  la  place  à 
sou  pouvoir,  il  y  entre  victorieux,  et  il  con- 
fond les  vains  projets  de  ses  ennemis,  qui 
semblent  n'être  venus  sur  les  bords  de  la 
Meuse  et  de  la  Sambre,  avec  ces  légions  in- 
finies, que  pour  être  spectateurs  des  prodi- 
ges de  l'invincible  Louis,  et  comme  les  té- 
moins de  ses  victoires  et  de  ses  triomphes. 

En  vain  ce  prince  artificieux,  pour  couvrir 
la  honte  de  ses  pertes,  livre-t-il  un  com- 
bat (1)  dans  des   conjonctures   qu'il  croit , 
sur  les  fausses  vues  de  sa  politique,  lui  de- 
voir être  favorables  :  les   troupes   du  roi, 
animées  par  les  exemples  récents  de  sa  va- 
leur intrépide,  pleines  encore  de  cet  esprit 
de  force  et  de  celle  noble  ardeur  qu'il  vient 
de. leur  inspirer  par  sa  présence,  soutenues 
par  la  sagesse  et  par  le  courage  de  ses  géné- 
raux, fclhl  voir  aux  ennemis  de  la  France 
que  les  armes  de  Louis  sont  toujours  prêles 
à  vaincre  quand   elles  combattent  pour  lui. 
Que  ne  puis-je,  Messieurs,  exprimer  comme 
vous  feriez,  à  la  gloire  de  ce  grand  roi,   la 
sagesse  de  ses  conseils ,   la  grandeur  et  la 
hardiesse  de  ses  projels,  le  bonbeur  de  ses 
entreprises,  sa  valeur  dans  les  combats,  le 
nombre  et  la  rapidité  de  ses  conquêtes,  cette 
intrépidité  dans  les  plus  grands  périls,  cette 
grandeur  d'âme,   ce  caractère  de  perfection 
qui  l'élève  autant  au-dessus  des  autres  rois 
que  les  rois  sont  élevés  au-dessus  de  leurs 
sujets,  celte  supériorité  de  génie  et  de  puis- 
sance qui  le  fait  dominer  sur  tous   les  em- 
pires de  l'Europe,   celte  prudence  consom- 
mée qui  étonne  et  qui  inslruit  les  plus  ha- 
biles  politiques ,  son  discernement  dans  le 
choix  de  ses  ministres,  ses  sentiments  de 
bonté,  de  modération,  de  clémence,  de  géné- 
rosité,  de   libéralité,  de  magnificence,  son 
amour  pour  la  piété  el  pour  la  justice,  son 
zèle  constant  pour  la  religion  et  pour  les 
intérêts  de  l'Eglise! 

Mais  il  n'appartient  qu'à  vous,  Messieurs, 
de  faire  un  éloge  qui  remplisse  parfaitement 
1  idée  que  nous  avons  de  tant  d'héroïques 
venus,  de  soutenir  sa  gloire  dans  la  situation 
et  dans  l'éclat  où  elle  est  ,  et  de  lui  donner 
I  immortalité  qu'il  mérite  :  car  comme  sans 
lui  vous  ne  trouveriez  point  de  sujet  qui  fût 
digne  de  vous,  aussi  sans  vous  il  ne  trouve- 
rait point  d'éloquence  qui  fût  digne  de  lui. 

(l'est  donc  \  vous  seuls,  Messieurs,  de 
célébrer  dignement  dans  vos  savants  écrits 
les  laits  prodigieux  que  la  sagesse  de  ce 
grand  mi  lui  a  fait  entreprendre,  cl  que  son 
courage  lui  a  fait  exécuter.  Il  vous  donne 
tous  les  jours  de  nouvelles  matières  d'exer- 
cer la  plus  magnifique  éloquence  et  la  poésie 
la  plus  féconde.  Vous  avez  entre  \os  mains 
le  précieux  dépôt  de  sa  gloire,  et  vous  êtes 

(1)  Le  combat  de  Sicinkcrque. 
(-2)  Flécbier. 

(•")  L'éloge,  comme  on  voit,  est  vraiment  flatteur 
pour  révéque  de  Niincs,  en  présence  de  Bossuei,  qui 


chargés  de  rendre  compie  aux  siècles  à  ve- 
nir des  événements  miraculeux  qui  reudent 
son  règne  si  florissant. 

Pour  nous  ,  sur  de  si  beaux  modèles,  et 
formés  par  les  instructions  de  cet  illustre 
prélat  (2),  dont  je  louerais  bien  volontiers 
les  vertus  extraordinaires,  le  sublime  génie 
et  cotte  éloquence  plus  qu'humaine  qui  lait 
l'admiration  et,  si  je  l'ose  dire,  le  désespoir 
de  tous  les  orateurs  français  (3),  si  sa  pré- 
sence et  sa  modestie  aussi  grande  que  son 
mérite  ne  m'imposaient  un  silence  respec- 
tueux, contre  mon  inclination,  et  peut-être 
contre  le  devoir  de  ma  juste  reconnaissance. 
Assurés  que  par  lui  les  influences  de  la  pu- 
reté de  votre  esprit  nous  seront  communi- 
quées plus  immédiatement,  nous  nous  effor- 
cerons de  suivre  vos  grands  exemples;  nous 
emprunterons  de  vous  les  termes  dont  nous 
nous  servirons  pour  louer  notre  auguste 
monarque  ;  et  nous  tâcherons  ,  par  nos 
veilles,  par  notre  travail  ,  par  notre  applica- 
tion, par  l'assiduité  à  nos  conférences  aca- 
démiques, de  remplir  votre  attente,  et  de  ré- 
pondre à  l'estime  que  vous  avez  de  nous  ,  et 
à  l'honneur  que  vous  nous  faites  aujourd'hui. 
Mainlcnant,  pénétrés  d'un  bienfait  dont 
nous  cunnaissons  parfaitement  la  valeur, 
nous  n'avons  plus  qu'à  vous  assurer  que 
notre  reconnaissance  durera  autaut  que  le 
bienfait  même. 

DISCOURS 

DE    LA    DOUCEUR    DE    L'iîSPRIT. 

Prononcé  à  Paris  le  1er  mai  1685. 

Sur  ces  paroles  de  Noire-Seigneur  :  Discite  a  me  qum 
milis  sum  (Mollit.,  XI,  22). 

il  y  a  sujet  de  s'étonner  que  les  hommes 
communément  ne  rendent  pas  un  témoigna- 
ge aussi  avantageux  qu'ils  devraient  au  mé- 
rite de  la  douceur.  Parlc-l-on  de  la  force  ,  on 
lui  donne  demagnifiqucséloges  :  c'est,  dit-on, 
cette  vertu  qui  fait  les  héros  ,  qui  rend 
un  homme  l'arbitre  souverain  de  la  p  lix  et 
de  la  guerre,  qui  soutient  les  Etats,  qui  af- 
fermit les  trônes  et  les  empires,  qui  brise 
l'audace  des  ennemis,  qui  imite  de  plus  près 
la  puissance  de  Dieu  dont  elle  porte  le  ca- 
ractère. Chacun  s'empresse  à  célébrer  sa 
gloire  par  des  chefs-d'œuvre  de  l'art  et  par 
d'immortels  écrits;  on  lui  élève  des  trophées 
et  de  superbes  monuments,  on  donne  le  nom 
de  prodiges  à  ses  exploits. 

Mais  la  douceur  de  l'esprit,  dénuée  qu'elle 
est  de  tout  éclat,  peu  de  personnes  prennent 
soin  de  relever  sa  gloire,  à  peine  lui  donne- 
t-on  rang  parmi  les  vertus  ;  souvent  on  la 
regarde  comme  l'effet  d'un  tempérament 
faible  el  insensible,  et  comme  le  partage 
d'une  âme  languissante,  qui,  ne  pouvant  se 
signaler  par  des  actions  généreuses,  cherche 
quelque  gloire  dans  l'exercice  d'une  timide 
verlu. 

assistait  à  ce  discours.  La  postérité  ,  sans  nier  les  ta- 
lents et  le  mérite  incontestable  de  Fléchier,  n'a  *)as 
ratifié  le  jugement  de  l'abbé  Bégault. 


ll:i 


OUATFUKS  SACIIKS.  BMiAlLi. 


120 


D'où  \ionl  la  différence  de  ces  jugements? 
«•'est  sans  doule  qu'on  ne  se  forme  pas  de  la 
douceur  la  véritable  idée  qu'on  en  doit  avoir. 
Il  est  vrai  qu'il  se  peut  laire  que  plusieurs 
soient  trompés  dans  les  sentiments  qu'ils  ont 
de  celte  verlu  :  car  il  est  certain  que,  comme 
il  y  a  une  vraie  cl  une  fausse  humilité,  il  y 
a  aussi  une  vraie  et  une  fausse  douceur; 
comme  il  y  a  une  force  qui  dégénère  en  té- 
mérité, il  y  a  aussi  une  douceur  qui  n'est, 
à  proprement  parler,  que  timidité,  tiédeur, 
indolence,  faiblesse  de  courage,  qui  décré- 
dite la  véritable  douceur  dans  l'esprit  de 
ceux  qui  ne  savent  pas  bien  distinguer  l'une 
d'avec  l'autre. 

Pour  détruire  la  fausse  idée  qu'on  peut 
avoir  de  la  douceur,  il  est  nécessaire  de 
montrer  quel  est  son  véritable  caractère;  et 
pour  mieux  examiner  le  sens  des  paroles 
qui  font  le  sujet  de  ce  discours,  il  faut  la 
considérer  en  Jésus-Christ,  en  qui  elle  a 
trouvé  un  nouveau  mérite  et  une  nouvelle 
gloire.  Nous  considérerons  donc  la  douceur 
de  l'esprit  en  elle-même  et  en  Jésus-Christ. 

première:  partie. 

On  a  reconnu  depuis  longtemps  l'erreur 
de  ces  philosophes  qui  mettaient  toutes  les 
passions  .su  rang  des  vices,  ne  faisant  aucune 
différence,  dit  saint  Thomas,  entre  les  ac- 
tions d'une  volonté  conduite  par  les  lumières 
de  la  raison,  et  ces  mouvements  échappés 
qui  se  passent  en  nous,  sans  nous,  c'est- 
à-dire  sans  le  consentement  de  notre  liberté. 
Sur  ce  principe,  les  écoles  de  ces  sages  nous 
ont  représenté  la  douceur  comme  une  vertu 
qui  e»t  blessée  par  les  moindres  saillies, 
quoique  involontaires,  de  la  nature,  et  ils 
ont  porté  si  loin  la  perfection  chimérique  de 
leur  morale,  qu'ils  ont  condamné  tous  les 
actes  de  la  colère,  comme  des  mouvements 
déréglés  d'une  passion  toujours  vicieuse. 

De  là  celte  prétendue  imperturbabililé  qui 
niellait  l'âme  absolument  au-dessus  des  mou- 
vements et  du  tumulte  des  passions,  au- 
dessus  de  loute  sensibilité  dans  les  disgrâces 
humaines.  Mais  ils  ne  voyaient  pas  que  chez 
eux  la  nature,  impuissante  ou  vaincue,  n'of- 
frait que  des  statues  inanimées  pour  de  vé- 
ritables sages  qu'ils  promettaient  dans  les 
principes  de  leur  vaine  philosophie. 

Nous  sommes  éclairés  de  plus  pures  .u- 
niières  ;  instruits  dans  une  meilleure  école, 
nous  savons  qu'on  nous  défend,  non  pas  de 
nous  mettre  en  colère,  mais  de  nous  y  mettre 
avec  excès,  et  que  celle  passion  peut  quel- 
quefois devenir  une  vertu. 

Moïse,  de  qui  l'Ecriture  rend  ce  témoi- 
gnage qu'il  fut  le  plus  doux  des  hommes 
(Nnni.f  XII,  3),  ne  laissa  pas,  dit  saint  Ba- 
sile, sans  rien  perdre  de  sa  tranquillité,  de 
punir  de  mort  vingt-trois  mille  des  Israélites 
qui  avaient  donné  au  veau  d'or  un  encens 
sacrilège  :  Mettez-vous  en  colère,  dit  David, 
mais  ne  péchez  pas  (Psal.  IV,  5).  Ce  saint  roi, 
qui  dit  de  lui-même  :  Souvenez -vous,  Sei- 
gneur, <lr  David  et  de  toute  sa  mtinsuélude 
(Psul.  CXXXJ,  1),  a  conservé  la  modération 
cl  la  douceur  dans  le  tumulte  des  armes  et 


dans  les  emportements  d'une  juste  indigna- 
tion. 

Dieu,  dont  la  douceur  est  ineffable,  parce 
qu'il  est  la  boulé  par  essence,  laisse  échap- 
per de  temps  en  temps  des  traits  de  sa  colère  ; 
et  le  Sauveur  du  monde,  qui  se  propose 
comme  le  modèle  d'une  parfaite  douceur,  ne 
le  voyons-nous  pasdans  l'Evangile, armé d'oa 
fouet  de  cordes,  pour  punir  les  profanateurs 
de  son  temple  Uoan.,  H,  15)  ?  D'innocentes 
émotions  ne  déshonorent  point  la  nature  ;  et 
vous,  superbes  stoïciens,  vous  les  ressen- 
tîtes, malgré  tous  vos  efforts,  malgré  votre 
ambitieuse  philosophie  et  les  austères  lois 
de  votre  morale. 

La  douceur  de  l'esprit  ne  consiste  donc  pas 
à  ne  se  mettre  jamais  en  colère,  mais  elle 
veut  qu'on  ne  s'y  mette  pas  avec  excès  et 
sans  raison. 

En  effet,  pour  comparer  la  douceur  avec 
l'humilité,  dont  elle  est,  selon  saint  Bernard, 
la  sœur  germaine;  comme  l'humilité  peut  se 
conserver  au  milieu  des  grandeurs  et  parmi 
les  applaudissements  ,  ainsi  la  douceur  ne 
perd  rien  de  son  mérite  quand  elle  se  trouve 
dans  une  âme  qui  sait  user  de  la  colère  avec 
une  sagesse  el  une  modération  qui  en  repri- 
me la  violence  et  les  excès. 

Par  la  douceur  que  Jesus-Christ  nous  en- 
seigne, n'entendons  pas  une  mollesse  d'âme 
qui,  par  humeur  ou  par  faiblesse,  donne 
dans  des  facilités  dangereuses  ;  ce  n'est  pas 
une  souplesse  d'esprit  qui  fait  condescendre 
sans  choix  et  sans  discernement  à  toutes  ks 
inclinations  des  autres,  ou  qui  fait  épouser 
aveuglément  leurs  passions  ;  ce  n'est  pas  une 
lâche  complaisance  qui  nous  assujettit  ser- 
vilement aux  volontés  ou  aux  caprices  de 
tous  ceux  de  qui  nous  avons  quelque  chose 
à  craindre  ou  à  espérer  ;  ce  n'est  pas  non 
plus  le  mouvement  d'un  esprit  adroit  et  ac- 
commodant, qui,  pour  plaire  à  toutes  sortes 
de  personnes ,  par  des  vues  d'intérêt  ou 
d'ambition,  s'assortit  à  tout,  distribue  avec 
art  des  caresses,  des  flatteries,  des  applau- 
dissements, el  qui  souvent,  plus  touché  de 
l'amour  de  la  gloire  que  des  injures  et  des 
outrages  qu'il  ressent,  supprime  ou  cache 
habilement  les  plus  violents  transports  donl 
il  se  sent  agité.  Encore  moins  ligurons-nous 
une  modération  feinte  et  politique,  qui  dissi- 
mule pour  un  temps  les  injures,  pour  s'en 
venger  plus  sûremeut  dans  des  conjonctures 
plus  favorables. 

'  «  Qu'est-ce  que  la  douceur?  C'est,  dit 
saint  Jean  Climaque  (Grad.  k),  une  assiette 
immuable  de  l'esprit,  qui  rend  l'homme  tou- 
jours égala  lui-même,  soit  dans  les  hon- 
neurs, soit  dans  les  mépris.  La  douceur, 
verlu  simple,  éloignée  de  loute  duplicité,  sait 
souffrir  avec  tranquillité  les  troubles  el  les 
déplaisirs  que  nous  cause  noire  prochain  ; 
elle  nous  porle  à  prier  pour  lui  avec  une 
parfaite  sincérité,  lorsqu'il  agit  a\  ce  injustice 
contre  nous.  La  douceur,  comme  un  rocher, 
qui.  élevé  an-dessus  de  la  mer,  rompt  tous 
bs  (lots  qui  h>  heurtent,  s'oppose  au  torrent 
des   inclin  liions   d'une   nature   déréglée,  e» 


19.1 


DISCOURS  SUR  LA  DOUCEUR  DE  L'ESPRIT. 


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demeure  toujours  ferme  et  inébranlable  au 
milieu  des  plus  violentes  agitation».  » 

Un  homme  doux  est  un  athlète  qui  combat 
lui  seul  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  difficile  à 
vaincre  au  dehors  et  au  dedans  de  lui-même  ; 
on  le  dépouillera  de  ses  biens,  de  ses  hon- 
neurs, de  ses  dignités;  on  noircira  sa  vie,  on 
déchirera  cruellement  sa  réputation  par  des 
calomnies  atroces;  on  lui  fera  mille  insultes 
et  mille  outrages,  on  donnera  un  mauvais 
sens  à  ses  paroles,  une  face  criminelle  à  ses 
meilleures  actions,  et  il  souffrira  tout  sans  se 
plaindre  et  sans  en  témoigner  le  moindre 
ressentiment,  loin  d'en  méditer  la  ven- 
geance. 

Cette  vertu  ôte  l'aigreur  à  toutes  nos  ac- 
tions, et  si  la  sagesse  en  est  le  sel,  la  dou- 
ceur en  est  comme  le  miel  qui  en  corrige 
l'amertume.  Un  homme  doux  ne  sait  ce  que 
c'est  que  de  rendre  le  mal  pour  le  mal,  c'est 
Une  colombe  qui  n'a  point  de  fiel  ;  il  ne  se 
venge  des  injures  que  par  les  bienfaits,  et  il 
lui  est  aussi  naturel  d'aimer  ceux  qui  l'ont 
chargé  d'outrages,  qu'il  le  serait  à  l'homme 
colère  et  emporté  d'avoir  pour  eux  de  la 
haine  et  de  l'indignation. 

La  douceur,  après  avoir  mis  notre  âme 
comme  dans  un  port  tranquille,  où  nous 
sommes  à  l'abri  des  agitations  qu'excitent 
en  nous  les  passions  les  plus  émues,  l'or- 
gueil, l'envie,  la  haine,  la  fureur,  les  désirs 
de  vengeance,  nous  élève  en  quelque  sorte 
dès  ce  monde,  par  une  espèce  de  ravisse- 
ment, jusque  dans  le  ciel,  pour  y  goûter  par 
avance  les  fruils  d'un  éternel  repos. 

L'homme  doux  et  paisible,  comme  s'il  était 
fixe  hors  la  sphère  du  monde,  meut  ses  pas- 
sions sans  en  être  troublé  ;  toujours  dans 
une  égale  situation,  tout  ce  qui  fait  sortir  les 
autres  de  leur  assiette  naturelle  ne  sert  qu'à 
le  fortifier  et  à  l'affermir  davantage  :  ses 
occupations  sont  sans  embarras,  son  travail 
sans  empressement,  ses  soins  sans  émotion, 
ses  désirs  sans  inquiétude  ;  son  esprit,  par- 
ticipant à  la  condition  des  intelligences  su- 
périeures, voit  sans  s'émouvoir  l'agitation  de 
toutes  les  choses  sensibles;  son  âme,  comme 
une  région  élevée  au-dessus  de  l'orage,  se 
trouve  toujours  dans  une  immobile  tranquil- 
lité; et  cette  constante  égalité,  qui  est  à  l'es- 
prit ce  que  le  tempérament  exquis  est  au 
corps,  répand  sur  son  visage  un  air  serein, 
qui  marque  dans  un  dehors  calmé  qu'au  de- 
dans règne  une  paix  profonde,  et  que  les 
passions  servent  l'homme  et  ne  le  troublent 
pas. 

De  là  nous  voyons  que  la  douceur  ne  con- 
siste pas  uniquement  à  réprimer  ces  empor- 
:  lemenls  extérieurs  qui  défigurent  l'homme, 
et  qui  effacent,  pour  ainsi  dire,  ces  nobles 
traits  que  Dieu  imprima  sur  lui  comme  des 
caractères  animés  de  son  image  et  de  sa  res- 
semblance. Si  nous  étudions  de  près  la  na- 
ture et  les  qualités  de  celle  vertu,  nous  ver- 
rons qu'elle  doit  s'appliquer  premièrement 
ei  principalement  à  travailler  au  dedans  de 
l'homme,  pour  régler  les  mouvements  de  son 
cœur. 

L'homme  en  proie  à  des   passions  muli- 


nées,  surtout  à  une  colère  tyrannique,  est 
souvent  comme  le  théâtre  d'une  guerre  ci- 
vile, qui  arme  et  soulève  contre  lui  toute.*"» 
les  puissances  de  son  âme,  y  jette  le  trouble, 
le  désordre  et  une  horrible  confusion.  Que 
fait  la  douceur?  Elle  commande  aux  vents  et 
à  la  teoipète  de  s'apaiser,  elle  fait  cesser  l'o- 
rage, ramène  le  calme,  fait  que  l'homme  pos- 
sède son  âme  dans  la  patience,  lui  donne  une 
force  que  rien  n'est  capable  d'ébranler,  une 
modération  qui  se  trouve  en  lui  toujours 
victorieuse  des  saillies  de  la  nature  et  des 
mouvements  tumultueux  des  passions. 

Et  c'est  en  quoi  consiste  le  vrai  caractère 
de  la  douceur  de  l'esprit  :  car  nous  ne  nous 
contenions  pas  ici  d'un  dehors  tranquille  et 
réglé,  il  faut  que  l'âme  soit  paisible  et  mo- 
dérée. En  vain  la  mer  est  calme  sur  ses 
bords,  si  elle  est  agitée  dans  son  sein  par  les 
orages  et  les  tempêtes.  En  vain  l'homme  ex- 
térieur paraît  doux,  si  l'homme  intérieur  est 
dans  le  trouble  et  dans  l'agitation. 

Loin  d  ici  ces  hypocrites  qui  disent  :  Paix, 
paix,  lorsqu'il  n'y  a  point  de  paix  {Jer.,  VI, 
14);  qui,  sous  une  vaine  montre  de  douceur, 
cachent  une  âme  agilée  de  mille  troubles; 
qui,  par  une  dissimulation  artificieuse,  souf- 
frent en  apparence  avec  tranquillité  l'injure 
qu'on  leur  a  faite,  et  qui  en  gravent  d'autant 
plus  profondément  le  souvenir  au  dedans  de 
leur  cœur,  qu'ils  paraissent  plus  prompts  par 
leur  silence  et  une  modération  feinte  à  en 
étouffer  toutes  les  marques  de  ressentiment. 

Mais  quels  sont  les  degrés  de  la  douceur 
évangélique  ?  «  Le  commencement  de  la  vic- 
toire qu'elle  remporte  sur  les  mouvements 
déréglés  de  la  passion  est.  dit  saint  Jean 
Cliniaque  (Ibid.),  le  silence"  de  notre  langue 
au  milieu  des  troubles  de  notre  cœur;  le 
progrès  de  cette  victoire  est  le  silence  de  no- 
tre cœur  au  milieu  de  quelques  légères  agita- 
tions qu'il  ressent  encore  ;  mais  la  perfection 
de  cette  victoire  est  une  stable  et  constante 
sérénité  de  notre  âme  au  milieu  des  mouve- 
ments impétueux  que  la  nature  corrompue, 
comme  autant  de  vents  impurs,  y  excite.  » 

Sentir  les  seules  passions  que  la  chaleur 
du  sang  élève  en  nous,  ne  souffrir  que  les 
premières  saillies  qui  vont  plus  vile  que  la 
raison,  c'est  commencer  et  même  s'avancer 
dans  la  pratique  de  celte  vertu.  Mais  avoir 
éteint  le  feu  de  la  colère,  n'en  pas  ressentir 
les  premières  atteintes ,  ou  les  étouffer  dans 
leur  naissance;  demeurer  ferme  et  égal,  ne 
changer  jamais  de  situation, lors  même  qu'on 
voit  changer  de  face  à  loul  ce  qui  nous  envi- 
ronne; se  troublerquand  il  lefaut, à  l'exemple 
deJésus-Chrisl(/oan.,Xl,23;,  et  n'être  jamais 
troublé  par  ses  passions,  les  mouvoir,  et  n'en 
èlrc  point  ému,  régner  impérieusement  sur 
soi-même;  être  insensible  aux  divers  événe- 
ments, non  pas  par  un  flegme  naturel,  ni 
par  la  vertu  d'un  heureux  tempérament, 
mais  par  le  secours  de  la  vigilance  chré- 
tienne, par  la  force  de  la  grâce,  par  juge- 
ment, pour  raison,  cl  sans  s'armer  de  ces 
ambitieuses  maximes  d'une  vainc  philoso- 
ph  e;  c'est  avoir  ai  teint  le  sublime  degré  do 
lu  douceur  de  l'esprit  dont  nous  parlons 


IIS 


ORATEURS  SACRES.  BEGAULT. 


1.. 


C'esl  l'idée  que  je  CODÇOÏI  d'une  douceur 
parfaite,  que  imu>  devons  regarder  comme 
l'assemblage  d'un  grand  nombre  de  vcrius; 
oar  comme  le  diadème  d'un  roi  est  comp 

«le  plusieurs  pierres  précieuses,  qui  forment 
celte  gracieuse  variété  dont  nos  yeux  sont 
cb armés,  c'c-i  la  comparaison  de  sainl  lean 
Climaque,  ainsi  la  souveraine  tranquillité  de 
l'âme  comprend  plusieurs  excellentes  vertus: 
la  constance,  la  force,  la  patience,  la  religion, 
la  charité,  sont  les  fleurons  qui  composent 
celle  glorieuse  couronne. 

Qu'heureux  est  celui  qui,  après  mille  com- 
bats livrés  à  une  foule  de  passions,  après 
mille  victo;res  remportées  sur  la  colère,  se 
trouve  affermi  dans  une  profonde  paix  que 
rien  n'est  capable  de  troubler! 

Divine  douceur,  vous  êtes  comme  un  avant- 
goût  de  l'éternelle  felicilé.  vous  êtes  l'âme 
de  la  société,  le  lien  des  cœurs,  un  des  fruits 
les  plus  précieux  de  la  charité.  C'est  vous 
qui  retirâtes  les  bourres  des  forêts  pour  les 
unir  ensemble;  vous  êtes  l'appui  de  la  pa- 
tience  :  mais,  c'est  tout  dire  en  un  mol,  vous 
êtes  la  vertu  de  Jésus-Christ,  vous  éles  la 
première  leçon  qu'il  est  venu  enseigner  aux 
hommes  :  Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux; 
qui  de  nous  ne  sera  louché  de  vos  charmes? 
qui  ne  s'efforcera  de  vous  acquérir  et  de 
vous  conserver,  si  nous  comprenons  une 
fois  ce  que  vous  valez,  cl  les  avantages  in- 
finis que  vous  procurez  à  l'homme  chrétien 
qui  vous  possède? 

Sur  celle  idée  que  je  viens  de  tracer  de  la 
douceur  de  l'esprit,  ne  nous  rappelons-nous 
pas  la  clémence  du  roi,  et  cet  accord  mer- 
veilleux que  nous  admirons  en  lui  de  la  ma- 
jesté qui  répand  partout  des  rayons  éclalanis 
de  grandeur  et  de  gloire,  cl  de  la  douceur 
qui  lui  donne  un  aimable  ascendant  sur  tous 
les  cœurs?  Persuadé  que  la  douceur  fait  les 
héros  aussi  bien  que  la  force,  il  ne  s'étudie 
pas  moins  à  triompher  de  lui-même  par  sa 
modération,  qu'à  dompler  les  nations  par  sa 
valeur  intrépide. 

N'est-ce  pas  son  amour  pour  celte  char- 
mante vertu  qui  l'a  arrélé  sur  le  penchant 
de  celle  course  rapide  qui  le  menait  à  la  con- 
quête de  toute  l'Europe,  qui  lui  a  fait  accor- 
der la  paix  lorsqu'il  était  en  étal  de  (ont 
vaincre,  et  qui,  après  avoir  surmonté  ce  qu'il 
y  a  de  plus  redoutable  sur  la  lerrc,  lui  a  fait 
vaincre  la  victoire  même  par  une  douceur 
et  une  modération  dont  nous  ne  voyons  point 
d'exemple?  Prêt  à  lancer  la  foudre  sur  des 
nations  ingrates  et  perfides,  quelle  gloire  de 
leur  faire  trouver  leur  bonheur  dans  les  lois 
qu'il  leur  impose!  Après  s'en  être  fait  crain- 
dre par  mille  prodiges  de  force  el  de  valeur, 
qui  ont  rempli  l'univers  du  bruit  de  son  nom 
el  de  ses  victoires,  quelle  gloire  de  s'en  faire 
aimer  par  dos  traits  aussi  éclalanis  do  dou- 
ceur et  de  clémence  ! 

N'est-ce  pas  encore  par  celte  vertu  qu'il 
triomphe  des  ennemis  de  l'Eglise,  en  détrui- 
sant l'hérésie  par  ses  bienfaits  cl  par  les 
moyens  doux  et  pacifiques  qu'il  emploie  si 
sagement  pour  al  atlre  cette  hydre  fatale  qui 
causa  tant  de  maux  à  la  France?  Heureux 


si,  comme  nous  avons  sujet  de  l'augurer, 
nous  vovons  bientôt  ses  vaux  el  ses  nobles 
projet  i  entièrement  accompli-  ! 

Après  avoir  considéré  la  douceur  de  l'es- 
pril  en  elle-même,  il  faut  que  nous  la  consi- 
dérions en  lésut-Christ  :  car  où  devons-nous 
chercher  s  on  véritable  carai  1ère,  (juin  celui 
qui  en  est  le  maître,  le  modèle  et  le  motif 
(oui  ensemble?  Apprenez  de  moi  que  je  suis 
doux. 

Dl-.l  XIÈMI      l'AUTIK. 

Dieu  csl  non-seulement  doux,  mais  il  est 
la  douceur  et  la  bonlé  par  essence  :  .Si/  at- 
teint mec  foi  ce  aux  fins  que  se  propose  sn 
providence,  il  en  d  moyens  avec  dou- 

ceur [S  ip.,  VIII,  1  ....  Il  ne  .se  Ira  ive  p<>  ut 
dans  le  tumulte,  ni  dans  l'agitation  (III  Haj-, 
XIX,  11  ;  mouvant  toutes  choses  il  demeure 
dans  une  immobile  tranquilli  e;  la  sévérité 
est  étrangère  à  sa  nature  :  dans  le  for!  même 
de  sa  colère  ii  laisse  toujours  échapper  des 
traits  de  sa  bonté;  il  souffre  avec  patience  et 
avec  douceur  des  votée  d'indignation  propres 
à  être  irisés  (Rom.,  IX, 22)....  Miséricordieux 
jusque  dans  sa  colère  (Jlab.,  111,2),  il  ne 
punit  les  méchants  que  pour  les  rappeler  à 
lui;  c'esl  en  pè:e  ou  en  médecin  qu'il  les 
châtie,  ou  pour  les  corriger,  ou  pour  les 
guérir;  s'il  fait  gronder  sur  eux  son  ton- 
nerre, ce  n'est  que  pour  les  réveiller  de  leur 
assoupissement;  ses  i  iséricorde<  s'étendent 
sur  toutes  ses  œuvres  lPsal.CXlAY,9). 

Dans  l'ancienne  loi,  les  hommes  s'étaient 
formé  de  Dieu  des  idées  bien  différentes  de 
celles  que  nous  en  avons  dans  la  nouvelle. 
Le  Juif,  toujours  en  crainte,  a  bien  plutôt 
adoré  un  Dieu  terrible  qu'un  Dieu  plein  do 
douceur  el  de  bonlé;  il  l'a  cru  plutôt  p 
lancer  des  foudres  qu'à  répandre  des  grâces; 
il  l'a  presque  toujours  envisagé  comme  un 
maître  sévère  el  comme  an  juge  formidable, 
plutôt  que  comme  un  père  tendre  el  bien- 
faisant; il  ne  voulait  pas  que  Dieu  lui  parlât  : 
Parlez-vous  min  e.  disail-il  à  Moïse....  mais 
que  le  Seigneur  ne  nous  parle  pas,  de  peur 
que  nous  ne  mourions  [Exod.,  XX,  19). 

Il  est  vrai  que  cette  loi  de  rigueur  écrite 
sur  de  la  pierre,  donnée  au  bruit  du  tonnerre 
et  parmi  les  éclairs,  semblait  contribuer  à 
inspirer  de  Dieu  des  sentiments  de  teneur. 
Ceux  mêmes  qui  s'étaient  formé  une  meil- 
leure idée  de  la  bonté  el  des  autres  attributs 
de  Dieu  ne  croyaient  pis  pouvoir  imiter  un 
si  parfait  exemplaire,  ils  se  contentaient  d'i- 
miler  quelques  traits  de  la  douceur  de  Moïse, 
de  David  et  de  quelques  autres  >ainls  per- 
sonnages qui  semblaient  être  plus  à  leur 
portée,  ne  pouvant  se  persuader  que  la  fai- 
blesse de  l'homme  pût  atteindre  si  haut  que 
de  se  |  roposer  la  douceur  d'uu  Dieu  pour  le 
modèle  de  leur  imitation. 

Mais,  depuis  que  Dieu  s'est  rendu  sem- 
blable à  nous,  depuis  qu'il  a  tempei. 
rayons  de  sa  majesté  el  de  s  i  gloire  par  les 
ombres  de  noire  mortalité,  il  nous  a  fait 
comprendre  que  non-si  ulemenl  u  >US 
rions,  mais  encore  que  nous  devions  imiter 
en  lui  ces  grandes  vertus  qui  serveut  de  Ion- 


1<25 


DISCOURS  SUR  LA  DOUCEUR  DE  L'ESPRIT. 


426 


dément  à  la  inorale  du  christianisme,  et  qui 
en  composent  l'esprit,  puisqu'il  a  voulu 
qu'une  des  premières  leçons  que  nous  ap- 
prissions de  lui  fûl  la  douceur  de  l'esprit  et 
l'humilité  de  cœur. 

Quand  Dieu,  au  commencement  du  monde, 
a  créé  le  ciel  et  la  terre,  quand  par  sa  sa- 
gesse infinie  il  a  établi  dans  la  nature  cet 
ordre  admirable  qui  publie  avec  tant  d'éclat 
sa  grandeur  et  sa  gloire,  quand  par  sa  toute- 
puissance  il  a  lire  du  néant  ce  grand  uni- 
vers, quand  pour  manifester  sa  gloire  il  a 
délivré  un  peup'e  choisi  d'une  dure  captivité, 
en  lui  traçant  un  chemin  sec  au  milieu  des 
mers,  quand  dans  la  plénitude  des  temps, 
revêtu  de  notre  nature,  il  a  ressuscité  les 
morls,  délié  la  langue  des  muels,  donné  la 
vue  aux  aveugles,  l'ouïe  aux  sourds,  guéri 
les  lépreux,  affermi  les  membres  languis- 
sants des  paralytiques,  il  ne  s'est  pas  proposé 
pour  être  notre  modèle,  dit  saint  Augustin; 
mais  quand,  dépouillé,  pour  ainsi  dire,  de 
sa  force,  il  a  pratiqué  la  douceur  de  l'esprit, 
c'est  pour  lors  qu'il  s'est  donné  pour  notre 
exemplaire  :  Apprenez  de  moi,  dit-il,  que  je 
suis  doux.  Adorable  Sauveur,  réduisez-vous 
donc  les  oracles  de  votre  sagesse  à  nous  ap- 
prendre que  vous  êtes  doux  et  huinbie  de 
cœur?  Paroles  qui  renferment  et  l'exemple 
qui  charme  et  la  loi  qui  commande. 

En  quelque  état  que  je  regarde  Jésus- 
Christ,  je  vois  partout  des  traits  de  cette  ai- 
mable douceur.  Avant  son  incarnation,  il  est 
dit  de  lui,  sous  le  nom  de  la  S  ige^se,  que 
son  esprit  sera  |. lus  doux  que  le  miel  :  Spiri- 
tus  meus  super  mel  dulcis  (Eccli.,  XXIV,  27). 
Quand  il  vient  au  monde,  il  ne  se  fait  point 
appeler  juge,  maître,  Dieu  des  armées,  Dieu 
des  venge.mces,  il  laisse  ces  noms,  propres 
à  imprimer  de  la  crainte  et  de  la  (erreur;  il 
veut  être  appelé  père,  époux,  pasteur,  Agneau, 
Dieu  de  toute  consolation,  prince  de  la  paix, 
noms  de  douceur  et  de  miséricorde.  Il  pre.d 
la  forme  d'un  enfant,  symbole  delà  douceur. 
Fut-il  jamais  une  douceur  pareille  à  celle  de 
Jésus— Cinist  ?  A-t-il  disputé,  a-t-il  crié,  a- 
t-il  fait  entendre  sa  voix  dans  les  mes  ?  A-t-il 
brhê  le  roseau  déjà  cassé?  A-t-il  achevé  d'é- 
teindre la  mèche  gui  fumait  encore  {Mai th., 
XII,  19,  20)? 

W  a  reçu  favorablement  les  pécheurs  et  les 
puhlicaius,  il  a  mangé  avec  eux;  il  a  par- 
donné à  des  coupables  condamnés  par  leurs 
propres  crimes  ;  une  femme  adultère,  co  - 
iuse  et  humiliée,  trouve  grâce  devant  ses 
yeux  ;  il  va  chercher  la  Samaritaine  avec 
beaucoup  de  fatigue  ;  il  fait  miséricorde  à  la 
pécheresse  de  Jérusalem  ;  sous  la  figure  d'un 
pasteur  tendre  qui  court  après  une  brebis 
ég<  rée,  et  qui  ,  loin  de  la  maltraiter,  la 
charge  amoureusement  sur  ses  i  paulcs,  pour 
la  remettre  dans  le  bercail,  il  cherche  avec 
mille  empressements  amoureux  l'àme  qui 
par  ses  infidélités  s'était  éloignée  de  lui,  et 
la  l'ait  rentrer  dans  les  sentiers  de  la  justice. 
Avec  quelle  bonté  supporla-l-il  les  fai- 
blesses et  le  peu  de  foi  de  se,  apôtres  I  Jac- 
ques et  Jean,  par  un  esprit  d'aigreur,  lui 
demandent-ils  qu'il  fisse  descendre  le  feu  du 


ciel  sur  les  habitants  de  Samarie,  pour  punir 
leur  dureté  et  leur  ingratitude?  avec  quelle 
douceur  an  ête-l-il  l'emportement  de  ce  zèle 
amer?  Vous  ne  savez,  leur  dit-il,  quel  esprit 
vous  anime  (Luc,  IX,  54).  Commen;  le 
voyons-nous  entrer  dans  Jérusalem?  en  roi 
doux  et  pacifique  :  Ecce  rox  tuus  venit  tibi 
mansuetus  (Matth.,  XXI,  5).  El,  pour  cou- 
ronner sa  vie  par  les  actes  d'une  incompar  - 
ble  douceur,  les  Juifs  ingrats  et  perfides 
l'attachent— ils  à  un  infâme  bois?  il  conjure 
son  Père  de  leur  pardonner;  au  milieu  des 
oulrages  dont  il  est  chargé,  au  milieu  des 
opprobres  dont  il  est  rassasié,  au  milieu  de 
mille  tourments  que  la  cruauié  d  ;  monde 
la  plus  barbare  lui  fait  souffrir,  comme  un 
agneau  patient  et  doux  (Isa.,  LUI,  7),  po.ur 
me  s*rvir  de  l'expression  d'u n  prophète,  ou 
comme  une  bre'iis  innocente  qu'on  mène  à  la 
mort,  vi'  lime  de  sa  mansuétude  et  de  sa  cha- 
rité, il  n'ouvre  pas  seulement  la  bouche  pour 
se  plaindre.  Exemples  étonnants  qui  nous 
persuadent  bien  plus  efficacement  que  les 
discours  les  plus  éloquents  et  les  plus  pathé- 
tiques 1 

Après  cela,  n'est-ce  pas  avec  justice  que  le 
Fils  de  Dieu  nous  dit  :  Apprenez  de  moi  que 
je  suis  doux.  Cœurs  pétris  de  fiel  et  d'absin- 
the, vous  n'aurez  point  de  part  à  l'esprit  de 
Jésus-Christ,  si,  dociles  à  ses  divines  leçons, 
vous  n'êtes  continuellement  en  garde  contre 
les  excès  et  Ses  emportements  de  la  colère, 
pour  les  réprimer.  Et  vous  qui  reçûtes  la 
douceur  des  mains  de  la  nature,  ne  vous 
croyez  pas  dispensés  de  l'attention  qu'il  faut 
avoir  à  chaque  moment  sur  soi  même,  pour 
vaiucre  les  pas  ions  qui  peuvent  troubler  en 
nous  le  repos  et  la  tranquillité. 

Efforçons-nous  tous  d'acquérir  et  de  con- 
server la  douceur  :  le  modèle  en  est  élevé  et 
pénible,  miis  le  maître  qui  nous  anime  con- 
naît notre  faiblesse,  et  sait  jusqu'où  peut  al- 
ler la  force  de  si  ^râce;  ses  exemples  no.us 
imposent  l'obligation  de  l'imiter;  car  il  ne 
suffit  pas  d'être  doux,  si  nous  ne  le  sommes 
comme  Jésus-Christ  même.  Après  une  ex- 
hortation si  vive  et  si  tendre  de  la  part  de  Jé- 
sus-Christ, qui  de  nous  ne  se  sentira  excité 
fortement  à  pratiquer  la  douceur? 

Souvenons-nous  qu'elle  nous  fait  propre- 
ment disciples  de  Jésus-Christ,  qu'elle  nous 
fait  vivre  de  son  esprit,  que  par  elle  nous 
acquérons  la  perfection  du  christianisme  : 
c'est  le  saint  chrême,  composé  d'huile  et  do 
baume,  symboles  sacrés  de  la  douceur  el  de 
l'humilité,  qui  nous  fait  parfaits  chrétiens  ; 
ce  sont  les  hommes  doux  et  pacifiques  qui  se- 
ront appelés  enfants  de  Dieu  (Matth.,  Y,  !)). 
Par  la  douceur  nous  répandons  la  bonne 
odeur  de  Jésus-Christ. 

Souffrons  avec  tranquillité  les  afflictions  , 
les  disgrâces,  les  infortunes;  adorons  avec 
respect,  sans  nous  plaindre,  les  plus  rudes 
dispositions  de  la  providence  de  Dieu  sur 
nous.  De  la  part  de  notre  prochain,  endurons 
sans  chagrin,  sans  aigreur,  sans  murmure  , 
les  injustices,  les  injures,  les  outrages,  la 
perte  de  nos  biens;  ayons  une  pitié  tendre 


1-27 


OIIATKIKS  SACRES.  DOM  JEROME. 


itH 


pour  si-s  faiblesses,  une  indulgence  charita- 
ble pour  ses  défauls. 

Mais  en  vain  espérons-nous  acquérir  la 
douceur,  si  nous  ne  triomphons  des  passions 
qui  nous  dominent.  Samion  ne  trouva  le 
rayon  de  miel  que  dont  In  ijueule  du  lion  égor- 
gé  et  mis  en  pièces  (Judic,  XIV,  0  et  8)  : 
étouffons  la  colère,  ou  du  moins  enchaînons 
ce  monstre  furieux  par  la  patience  et  par  la 
modération. 

Ador,.l)le  Sauveur,  qui,  par  vos  paroles  et 
encore  plus  par  vos  exemples,  nous  avez 
enseigné  la  douceur  de  l'esprit,  joignez  à  vus 
divines  leçons  la  force  et   l'onction  de  votre 


grâce  qui  nous  la  fassent  aimer.  Otez-nous, 
Seigneur,  ce  cœur  de  pierre  et  de  diamant  si 
contraire  a  la  douceur  de  voire  esprit;  don- 
nez-nous-en, suivant  votre  promesse,  un  de 
chair  Exech.t\l,  l'.ij,  où  vous  grai  iex  pro- 
fondément la  loi  de  la  douceur  avec  les  plus 
vifs  lra.il*  de  votre  amour,  Prévenez-nous  des 
bénédictioni  de  votre  divine  douceur.  Faites 
que  nous  soyons  <!u  nomhre  de  ceux  qui 
possèdent  en  patience  la  terre  que  vous  avez 
pi  omise  aux  cœurs  doux  et  pacifiques  ! 

()lj-ecro  vos  per  mansuetudinem  et  modes- 
tiam  CkfiitiÇli  Cor.,  X,  1  . 


NOTICE  SUR  DOM  JEROME. 


Geoffrin  ou  Jofrain  (Claude),  plus  connu 
sous  le  nom  de  Dou  Jérôme,  naquit  à  Paris 
vers  l'an  1639.  Entré  d'abord  dans  l'ordre  de 
Saint-François  ,  il  embrassa  ensuite  celui 
des  Feuillants,  où  il  remplit  les  charges  de 
prieur,  de  visiteur  et  d'assistant  général.  11 
prêcha  avec  succès  à  la  cour  et  dans  la  ca- 
pitale ;  mais,  s'étanl  trou\  é  impliqué  en  1717 
dans  les  controverses  jansénistes,  il  fut  exilé 
à  Poitiers.  Néanmoins  il  put  revenir  à  Paris, 
où  il  mourut  en  1721,  âgé  de  quatre-vingt- 
deux  ans.  Ses  Sermons  furent  publiés  à  Pa- 
ris en  1737,  en  5  vol.  in-12,  par  Joli  de 
Fleury,  chanoine  de  Notre-Dame.  L'année 
suivante,  il  eu  parut  une  nouvelle  édition  à 
Liège,  également  eu  5  vol.  in-12,  chez  Bron- 
cart.   Celle  édition,   corrigée   avec   le   plus 


grand  soin,  est  celle  que  nous  reproduisons. 
Les  sermons  de  Geoffrin  embrassent  toute 
l'année  ecclésiastique,  et  sont  suivis  de  plu- 
sieurs discours  sur  différents  sujets.  Son 
style,  clair,  simple,  correct,  est  quelquefois 
dépourvu  d'art  et  d'agrément.  On  a  dit  que 
son  action,  pleine  d'onction  et  de  dignité, 
son  débit  animé  et  pathétique,  ajoutaient 
beaucoup  au  mérite  de  ses  compositions,  et 
contribuèrent,  plus  que  ses  œuvres  oratoi- 
res, à  sa  renommée  comme  prédicateur  ;  ce- 
pendant, s'il  néglige  les  ornements  et  les 
fleurs  du  langage,  on  convient  assez  géné- 
ralement qu'il  rachète  cet  avantage  par  la 
solidité  des  pensées,  la  force  du  raisonne- 
ment et  une  élude  approfondie  des  livres 
saints. 


SERMONS 

DE  DOM  JÉRÔME. 


SERMON 

POUR  LA  FÊTE  DE  TOUS  LES  SAINTS. 

Qui  per  lidem  vicerunl  régna,  operali  sunt  jusliliam, 
adepli  suni  repromissiooes. 

Par  la  foi  ils  ont  acquis  des  royaume i,  ils  ont  accompli 
s  devoirs  de  la  justice,  cl  ils  ont  reçu  les  effets  des  pro- 
esses  illebr..  XI.  55k 


les 


messes  (llebr.,  XI,  55). 

Ces  paroles  de  l'apôtre  saint  Paul  renfer- 
ment toute  l'histoire  des  saints,  et  compo- 
sent un  éloye  admirable  à  la  gloire  de  lous 
ceux  que  l'Eglise  honore  en  commun  dans 
la  solennité  qui  nous  assemble.  Par  la  foi 
qui  les  a  éclairés,  ils  ont  jugé  le  monde,  ils 
ont  vaincu  tes  charmes  et  triomphé  de  ses 
efforts  :  l'er  fidem  vicerunl  rer/i.a;  par  la 
grâce  qui  les  a  soutenus  ils  ont  accompli 


toute  justice  :  Operali  sunt  justitiam  ;  et  en- 
fin la  miséricorde  de  Dieu  a  couronné  en 
eux  ses  propres  dons  :  Adepli  sunt  repro* 
misnones.  C'est  dans  cet  état  que  l'Eglise  les 
expose  aujourd'hui  à  nos  yeux  ,  pour  nous 
inviter  tout  ensemble  à  les  honorer  et  à  les 
suivre  :  c'est  à  quoi  je  veu\  vous  porter  dans 
ce  discours,  mais  il  est  nécessaire  aupara- 
vant de  remarquer  : 

1"  (Jue  nous  lous  qui  avons  été  baptisés  et 
régénérés  en  Jésus-Chrisl  sommes  appelés  à 
la  gloire  que  les  saints  possèdent ,  que  nous 
n'avons  qu'une  seule  affaire  au  monde,  qui 
est  de  conserver  la  grâce  de  notre  adoption 
cl  le  droit  qu'elle  nous  donne  à  la  gloire,  Bt 
de  travailler  à  notre  sanctification  -,  ù  qu  il 
v  a  des  obstacles  dans  la  recherche  de  1<j 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  TOUS  LES  SAINTS. 


129 

gloire  qu'il  faut  vaincre  nécessairement  ; 
3  qu'il  y  a  des  moyens  qui  nous  y  condui- 
sent qu'il  faut  embrasser,  si  nous  voulons  y 
arriver. 

L'établissement  seul  de  ces  principes  nous 
fait  connaître  ce  qui  met  la  différence  entre 
les  saints  qui  possèdent  la  gloire  actuelle- 
ment, et  ceux  qui  en  sont  exclus.  Les  saints 
la  possèdent  parce  qu'ils  ont  vaincu  les  ob- 
stacles qui  se  sont  opposés  à  eux  dans  la 
recherche  qu'ils  en  faisaient,  et  qu'ils  ont 
embrassé  les  moyens  par  lesquels  on  en  ac- 
quiert la  possession  ;  les  autres  en  sont  ex- 
clus parce  qu'ils  se  sont  laissé  vaincre  par 
les  obstacles  que  les  saints  ont  surmontés 
parla  foi,  et  qu'ils  ont  négligé  les  moyens 
que  les  élus  ont  embrassés.  Ainsi ,  mes  frè- 
res, pour  louer  les  saints  et  vous  instruire, 
je  vais  vous  marquer  dans  les  trois  parties 
de  ce  discours  ce  qu'ils  ont  fait  pour  arriver 
à  la  gloire  qu'ils  possèdent. 

1°  La  foi  a  été  triomphante  dans  les  saints 
de  tous  les  obstacles  qui  s'opposent  à  l'ac- 
quisition de  la  gloire  :  Per  (idem  vicerunl 
régna  :  première  partie;  2°  la  charité  a  été 
agissante  par  les  saints  dans  tous  les  moyens 
qui  conduisent  à  la  possession  de  la  gloire  : 
Operali  sunt  justitiam  :  seconde  partie  ;  3°  la 
foi  et  la  charité  ont  été  couronnées  dans  les 
saints  par  la  miséricorde  de  Dieu,  qui  les 
met  en  possession  de  la  gloire  qu'ils  ont  ac- 
quise :  Adepti  sunt  repromissiones  :  troi- 
sième partie. 

Demandons  les  lumières  du  Saint-Esprit 
par  l'entremise  de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Quoique  les  premières  paroles  de  mon 
texte  ne  soient  pas  prises  dans  leur  sens  na- 
turel, il  faut  néanmoins  avouer  que  le  sens 
que  l'Eglise  leur  donne  par  l'application 
qu'elle  en  fait,  est  une  explication  admira- 
ble des  effets  que  la  foi  a  produits  dans  les 
saints,  et  une  excellente  leçon  pour  tous  les 
chrétiens  qui  prétendent  à  la  gloire  qu'ils 
possèdent.  Dans  leur  sens  naturel,  elles  ne 
contiennent  proprement  qu'un  récit  des  vic- 
toires éclatantes  qu'ont  remportées  Josué, 
(îédéon  cl  David  sur  les  ennemis  du  peuple 
de  Dieu  ;  et  dans  le  sens  que  l'Kglise  leur 
donne  par  l'application  qu'elle  en  fait  et  par 
celle  que  j'en  fais  après  elle,  elles  contien- 
nent toutes  les  victoires  éclatantes  et  secrè- 
tes que  les  saints  ont  remportées  sur  le  dé- 
mon cl  sur  le  monde.  Car,  mes  frères,  il  faut 
remarquer  que,  comme  le  démon  travaille 
toujours  à  traverser  les  desseins  de  Dieu  sur 
ses  élus,  il  s'applique  à  établir  en  eux  un 
règne  qui  détruise  le  règne  de  Dieu  ,  et  vous 
savez  sans  doute  qu'il  faut  que  Dieu  règne 
dans  l'homme,  si  l'homme  veut  régner  avec 
Dieu  ;  que  son  règne  ne  s'établit  en  nous 
dans  le  monde  que  par  la  charité,  et  que 
nous  ne  régnerons  pas  avec  lui  dans  la 
gloire,  à  moins -que  le  royaume  de  Dieu,  qui 
e>l  celui  de  la  charité,  ne  soit  en  nous.  Or  le 
démon  travaille  de  sa  part  a  détruire  en  nous 
le  règne  de  Dieu,  pour  en  établir  un  autro 
que  l'Kcriture  appelle  fanldl  le  règne  du  pé- 


130 


ché,  d'autres  fois  le  règne  du  monde,  dont 
elle  dit  que  le  démon  est  le  prince,  et  il  se 
sert  de  deux  moyens  différente  pour  venir  à 
celte  fin  :  par  l'espérance  des  biens  qu'il 
nous  promet,  il  nous  abuse  en  nous  flattant  ; 
par  la  crainte  des  maux,  il  nous  épouvante 
en  nous  menaçant.  En  effet,  ôtez  aux  hom- 
mes le  désir  de  posséder  les  biens  qui  les 
flattent,  et  la  crainte  de  perdre  ce  qu'ils  pos- 
sèdent et  de  tomber  dans  les  maux  qu'ils 
appréhendent,  vous  détruirez  l'empire  du 
démon  et  vousétablirezeelui  de  Dieu.Nenoiss 
laissons  point  aller  aux  p'aisirs,  et  ne  nous 
étonnons  point  des  maux  que  nous  pouvons 
ressentir,  et  nous  aurons  vaincu  le  monde. 

C'est,  mes  frères,  ce  que  la  foi  a  fait  dans 
les  saints  :  elle  leur  a  fait  vaincre  également 
tous  les  charmes  du  monde  et  tous  les  ef- 
forts du  démon.  lu  Elle  leur  a  fait  regarder 
avec  mépris  tous  les  biens  que  le  monde 
nous  offre,  parce  qu'elle  leur  en  a  fait  con- 
naître la  vanité;  2°  elle  leur  a  fait  regarder 
sans  crainte  tous  les  maux  dont  le  démon 
nous  menace,  parce  qu'elle  leur  en  a  fait 
connaître  l'impuissance,  et  même  elle  a  fait 
voir  de  véritables  maux  dans  les  biens 
apparents  dont  il  nous  abuse,  et  des  biens 
véritables  dans  les  maux  apparents  dont  il 
nous  menace,  ce  qui  les  a  fait  triompher  de 
ses  charmes  et  de  ses  efforts. 

Oui,  mes  frères,  la  foi  leur  a  fait  mépriser 
les  biens  que  le  monde  nous  offre,  parce 
qu'elle  leur  en  a  fait  connaître  la  vanité,  et 
c'a  été  en  leur  apprenant  à  en  juger  de  ces 
trois  différentes  façons,  que  je  vous  prie  de 
bien  remarquer  :  1°  sur  la  manière  dont 
Dieu  en  parle  dans  les  saintes  Ecritures,  et 
non  pas  sur  ce  que  le  monde  en  dit;  2°  sur 
ce  qu'ils  sont  en  eux-mêmes, et  non  pas  sur  ce 
qu'ils  paraissent  à  nos  yeux  ;  3°  sur  ce  qu'ils 
doivent  être  un  jour,  et  non  pas  sur  ce  qu'ils 
sont  à  présent. 

Ils  en  ont  jugé  par  les  lumières  de  Dieu, 
qu'ils  ont  tirées  de  l'Ecriture  sainte,  et  non 
par  celles  du  monde:  c'est  le  premier  avan- 
tage que  la  foi  a  produit  dans  les  saints  :  car, 
comme  dit  l'Apôtre,  les  hommes  terrestres 
sont  tels  qu'a  été  l'homme  terrestre,  et  les 
hommes  célestes  sont  tels  qu'a  été  l'homme 
céleste.  Cet  apôtre  nous  a  voulu  marquer 
par  ces  paroles  la  grande  différence  qu'il  y 
a  entre  ceux  qui  agissent  par  la  foi  et  ceux 
qui  agissent  par  les  fausses  lumières  de  la 
raison  humaine  et  corrompue.  Et  en  effet, 
mes  très-chers  frères,  deux  hommes  régnent 
dans  le  monde,  l'homme  céleste  et  l'homme 
terrestre,  et  il  est  certain  que  la  vie  que  mè- 
nent tous  les  hommes  doit  être  nécessaire- 
ment animée  de  l'esprit  de  l'un  ou  de  l'autre 
de  ces  deux  hommes.  Le  monde  vit  de  la  vie 
de  l'homme  terrestre,  les  saints  vivent  de  la 
vie  de  l'homme  céleste  :  c'est  ce  que  l'Apôtre 
appelle  dans  un  autre  endroit,  vivre  de  la  foi. 
Or  ceux  qui  vivent  de  la  vie  de  l'homme  cé- 
leste sont  tels  que  l'homme  céleste  :  ils  pen- 
sent comme  l'homme  céleste,  ils  parlent 
comme  l'homme  céleste,  ils  jugent  comme 
l'homme  céleste;  de  sorte  que  l'homme  cé- 
leste disant  par  la  bouche  de  ses  prophètes 


131 


ORATEURS  SACRES.  DO.M  JEROME. 


43Î 


que  les  biens  du  monde  ne  sont  devant  Dieu 
que  de  la  poussière  que  le  vent  emporte,  que, 
de  la  boue  qu'on  fouie  aux  pieds,  qui. s  ne 
sont  qu'un  néant  et  ne  doivent  passer  que 
poar  un  néant  dans  l'esprit  de  ceux  qui  crai- 
gnent Dieu,  ils  se  soûl  remplis  de  ces  véri- 
tés, et  comparant  ensuite  la  conduite  de 
l'bomnie  céleste  avec  ses  paroles,  ils  ont  re- 
connu qu'il  a  méprisé  ces  biens  poui 
brasser  la  pauvreté  et  l'ignominie  de  la 
croix.  Ainsi,  du  langage  cl  de  la  conduite  de 
l'iiommc  céleste,  ils  ont  appris  à  ne  se  pas 
prévenir  et  à  ne  pas  donner  mal  à  propos  et 
aveuglément  d;ins  toutes  les  idées  du  monde, 
à  ne  pas  toujours  suivre  son  eboix,  mais  à 
se  servir  des  lumières  de  la  foi  pour  juger  de 
ces  biens,  non  pas  par  ce  qu'ils  paraissenl  à 
nos  yeux,  mais  par  ce  qu'ils  sont  en  eux- 
mêmes.  En  effet,  si  ces  grandeurs  du  monde 
qui  environnent  les  princes  servent  à  les  dis- 
tinguer, elles  ne  sont  pas  cependant  les  mo- 
tifs de  l'honneur  que  nous  leur  rendons;  les 
chrétiens  les  honorent  pour  obéir  à  la  loi  de 
Dieu  qui  l'ordonne,  el  pour  honorer  Dieu 
lui-même  dans  ces  illustres  images  de  sa 
puissance  et  de  sa  majesté  :  les  grandeurs 
mêmes  qui  ne  servent  qu'à  rendre  ces  quali- 
tés sensibles  dans  la  personne  des  princes, 
ne  servent  plus  de  rien  quand  les  princes  sa- 
vent se  distinguer  par  un  mérite  éclatant  et 
par  des  vertus  aussi  rares  que  solides;  ainsi, 
quand  nous  jugeons  par  la  loi,  nous  ne 
comptons  pour  rien  tout  ce  vain  éclat  des 
grandeurs  de  la  terre,  nous  les  regardons 
avec  les  saints  par  les  vues  de  la  loi,  comme 
une  vapeur  qui  s'évanouit  à  nos  yeux,  et  la 
foi  leur  a  fait  voir,  comme  dit  admirablement 
bien  saint  Bernard,  que  tout  ce  qu'ils  ont  de 
plus  solide  ne  va  tout  au  pius  qu'à  donner 
un  faible  remède  à  des  maux  que  la  cupidité 
cause  en  nous,  et  dont  un  peu  de  courage 
et  de  force  peut  nous  guérir  sans  leur  se- 
cours. 

Car  les  hommes  attachés  aux  biens  de  la 
terre  désirent  presque  toujours  ce  qu'ils 
n'ont  point,  ils  n'aiment  pas  ce  qu'ils  ont;  et 
ce  qu'ils  ont  et  ce  qu'ils  aiment  n'est  pis  ca- 
pable de  les  rendre  heureux;  mais  les  saints 
ont  regardé  tous  ces  biens  beaucoup  au-des- 
sous d'eux,  et  écoulant  le  témoignage  de  la 
foi  sur  la  solidité  des  biens  éleruels  ,  ils  ont 
reconnu  que  le  chrétien  qui  vit  de  la  vie  de 
Dieu  ne  devait  avoir  que  du  mépris  pour  ce 
qui  est  au-dessous  de  lui,  et  que,  comme  dit 
1  Apôtre,  ils  ne  devaient  point  considérer  les 
choses  visibles,  mais  les  invisibles,  parce 
que,  comme  ajoute  le  même  apôtre,  les  cho- 
ses visibles  son1,  temporelles,  et  les  invisi- 
bles sont  éternelles.  Faisons  ici  une  poin- 
ture du  monde,  mes  très-chers  frères.  Toute 
la  nature  humaine  est  comme  un  grand 
fleuve,  qui,  sortant  d'une  région  inconnue, 
se  va  perdre  dans  une  autre  que  nous  ne 
connaissons  point,  et  qui  dans  le  milieu  de 
sa  course  excite  qui  Ique  bruit  en  passant. 
D'où  sont  venus  tous  ceux  que  nous  avons 
vus  Oflttfe? On  sont  ailes  tous  ceux  que  nous 
avons  vus  mourir?  Qu'est  devenue  la  fortune 
de  ceux  avec  qui  nous  avons  vécu?  Mon 


Dieu,  qu'est-ce  que   le   monde   et  tous  ses 
biens? 

C<  pendant,  mes  frères,  dans  le  temps  que 
nojs  jouissons  de  ces  plaisirs,  ils  soni  capa- 
bles de  nous  ench  .ntor,  i  la  vue  de  la  foi  ne 
i  écouvre  ce  qu'ils  doivent  devenir,  el 

ne  noos  garantit  de  leurs  charmes. 

Ainsi  les  saints  ont  regardé  le  inonde  avec 
mépris  dans  les  teints  même  les  plus  beu- 
i  eux  pour  eux  :  la  foi  leur  a  fait  dire  ce  que 
disait  excellemment  saint  Augustin  :  Pour- 
quoi voulez-voui  que  je  me  rejouisse,  si  je 
me  »oi  in  quelque  prospérité  selon  le 
monde.'  N'e-i-ii  pas  vrai  que  tous  ces  a\an- 
lages  passent  en  un  moment? 

C'est  par  là,  mes  frères,  qu'ils  ont  vain  u 
les  obstacles  que  le  inonde  a  opposés  à  la  re- 
chen  lie  qu'ils  ont  faite  de  la  gloire  à  la- 
qu<  Ile  Dieu  les  avait  destinés.  Us  ont  triom- 
phé de  ses  charmes  en  suivant  les  lumières 
de  la  loi,  qui  leur  a  fait  voir  que  Dieu  parle 
dans  l'Ecriture  sainte  de  es  biens  autre- 
ment que  le  monde,  que  ces  biens  sont  fai- 
bles et  impuissants,  el  que  leur  durée  n'est 
que  d'un  moment;  encore  est-elle  interrom- 
pue par  mille  inquiétudes  et  troublée  par 
mille  chagrin-.  Ses  cffort>  n'ont  pas  été  plus 
puissants  que  si  s  charmes,  il  n'a  pas  g 
davantage  par  ses  menaces  sur  leurs  esprits 
que  par  ses  promesses;  et  la  foi,  qui  les  a 
rendus  insensibles  à  ses  biens,  les  a  ren- 
dus de  même  intrépides  à  la  vue  de  tous  ses 
maux. 

La  foi  leur  a  lait  entendre  avec  respect 
cette  voix  de  Dieu  qui  dit  dans  l'Evangile 
que  ITîglise  nous  a  fait  lire  aujourd'hui  : 
bienheureux  ceux  qui  souffrent  persécution 
pour  la  justice ,  bienheureux  ceux  qui  sont 
pauvres.  Etrange  différence  des  sentiments 
de  Jésus-Christ  et  de  ceux  du  mondel  Non, 
m  s  frères,  les  maximes  de  Jésus-Christ  et 
celles  du  monde  ne  s'allieront  jamais  ensem- 
ble- La  foi  leur  a  fait  regarder  avec  mépris 
les  efforts  impuissants  du  monde  el  du  dé- 
mon, qui,  ne  pouvant  tout  au  plus  leur  ôter 
que  des  richesses  ou  de  l'honneur,  la  santé 
ou  la  vie,  n'étaient  pas  capables  de  leur 
faire  perdre  leur  Dieu,  ni  de  leur  ravir  par 
conséquent  le  seul  bien  qui  nous  rend  heu- 
reux :  ils  ont  méprisé  tous  les  efforts  du 
monde.  Toutes  les  puissances  de  la  terre,  ir- 
ritées contre  moi,  ne  me  peuvent  ôter  que  ce 
que  je  dois  perdre  nécessairement,  ont-ils  dit, 
et  la  vie  qui  passe  emportera  tout.  Et  en- 
suis, considérant  les  récompenses  que  Dieu 
destine  à  celle  générosité,  qui  nous  lait  per- 
dre avant  le  lemp-,  pour  son  amour,  ce  que 
nous  ne  pouvons  pas  conserver  toujours  ;>ar 
tous  nos  soins,  la  foi  leur  a  fait  sentir  l'effet 
de  cette  parole  de  l'Apôtre,  lorsqu'il  nous  dit 
que  le  moment  si  cour!  et  si  létjer  des  afflic- 
tions que  nous  souffrons  en  cette  vie,  produit 
un  potdi  éternel  de  gloire.  Achat  admirable, 
dans  lequel  on  ne  considère  ce  que  l'on 
quitte  que  par  h  vue  de  ce  qu'on  acquiert, 
il  par  la  foi  ils  ont  triomphé  du  monde, 
ils  ont  surmonté  les  efforts  du  démon  ;  cl,  pé- 
nétrés  des  lumières  de  la  loi,  bien  loin  d'a- 
voir regardé  le*  tourmenta  avec  effroi  et  les 


133 


SERMON  POUR  LÀ  FETE  DE  TOUS  LES  SAINTS. 


131 


bourreaux  avec  indignation,  ils  les  ont  vus 
au  contraire  avec  amour,  sachant  bien  que 
leurs  efforts  étaient  inutiles,  et  que,  quoi- 
qu'ils eussent  la  volonté  de  leur  nuire,  ils 
n'en  avaient  pas  la  puissance. 

Mais  il  ne  suffit  pas  de  vous  avoir  fait  voir 
le  triomphe  que  la  foi  a  fait  remporter  aux 
saints  sur  les  obstacles  que  le  monde  leur  a 
opposés  dans  la  recherche  de  la  gloire,  il 
faut  vous  faire  voir  cette  foi  agissante  dans 
les  sainls  par  la  charité,  qui  leur  a  fait  em- 
brasser tous  les  moyens  qui  conduisent  à  la 
gloire  :  Operati  sunt  justitiam  :  c'est  le  second 
point. 

SECONDE  PARTIE. 

Je  ne  m'arrêterai  pas  ici  à  vous  dire  que 
la  foi  est  inutile  sans  les  œuvres  de  la  cha- 
rité :  il  faut  être  frappé  d'un  aveuglement 
déplorable  pour  ne  pas  reconnaître  une  vé- 
rité si  constante  dans  l'Ecriture,  et  pour 
croire  que  la  foi  seule  peut  nous  sauver 
sans  les  œuvres  que  la  charité  nous  fait  faire. 
Je  suppose  donc  cette  vérité,  selon  ces  pa- 
roles de  saint  Paul  que  j'ai  choisies  pour  mon 
texte.  Les  sainls,  dit  cet  apôlre,  ont  vaincu 
pai'  la  foi  tous  les  obstacles  que  le  monde  leur 
a  opposés;  et  comme  s'il  appréhendait  qu'il 
ne  se  fût  pas  suffisamment  expliqué,  il 
ajoute:  Ils  ont  accompli  les  devoirs  delà  jus- 
tice; or,  mes  frères,  il  y  a  ici  deux  choses  à 
considérer,  dont  nous  devons  tirer  deux  im- 
portantes vérités  pour  la  gloire  des  saints  et 
pour  notre  instruction  :  1  "C'est  que  les  saints, 
éclairés  par  la  foi  dont  ils  étaient  remplis, 
ont  reconnu  qu'elle  ne  suffisait  pas,  mais 
qu'il  fallait  agir  selon  ses  lumières;  2°  ils  ont 
connu  que,  pour  agir  parfaitement,  il  fallait 
accomplir  toute  justice,  d'où  je  tire  ces  deux 
conséquences  pour  notre  instruction  :  la  pre- 
mière, la  nécessité  d'agir;  la  seconde,  la  ma- 
nière d'agir. 

Et  d'abord  il  ne  faut  que  jeter  les  yeux  sur 
la  conduite  des  sainls,  pour  être  persuadé 
qu'ils  ont  cru  qu'il  fallait  agir  pour  le  salut. 
La  vie  laborieuse  qu'ils  ont  menée  sur  la 
terre  est  une  excellente  preuve  de  leurs  sen- 
timents, et  ils  auraient  moins  travaillé  pour 
acquérir  le  ciel,  s'ils  avaient  cru  que,  pour 
en  être  digne,  il  suffisait  de  croire  en  celui 
qui  le  donne. 

Je  ne  m'arrêterai  pas  à  vous  faire  voir  en 
détail  la  conduite  qu'ils  oui  tenue  ;  car,  outre 
qu'on  y  cnlre  lorsqu'on  fait  leur  éloge  en 
particulier,  il  faut  convenir  qu'il  est  beau- 
coup plus  utile  de  recourir  aux  principes 
qui  les  ont  fait  agir,  pour  reconnaître  noire 
aveuglement,  puisque,  prétendant  à  la  même 
gloire,  nous  suivons  une  conduite  tout  op- 
posée à  celle  qu'ils  ont  suivie.  Oui,  mes  frè- 
res, ils  ont  reconnu  que  le  salut  consiste 
dans  l'union  de  la  foi  avec  les  œuvres,  et 
qu'il  ne  suffit  pas,  comme  dit  le  S  inveur  du 
monde,  de  l'appeler  Seigneur,  pendant  que 
vous  ne  faites  pis  eo  qu'il  vous  dit  :  c'e  t  être 
un  moqueur,  dit  saint  Augustin,  que  d'ap- 
peler Dieu  son  Seigneur,  et  de  ne  pas  obéir 
a  ses  commandements,  parce  que  les  œuvres 
doivent  être  le  sceau  de  la  foi.  Ils  ont  recon- 


nu que  la  vie  chrétienne  doit  être  conforme 
à  la  sainteté  de  notre  baptême  ;  que,  la  vie 
n'étant  donnée  que  pour  l'action,  nos  actions 
doivent  être  saintes,  puisque,  comme  enfants 
de  Dieu,  nous  recevons  un  principe  de  vie 
divine  ;  que,  comme  nous  avons  -été  revêtus 
de  Jésus-Christ  dans  ce  sacrement,  c'est-à- 
dire  unis  à  lui,  et  rendus  semblables  à  iui 
par  la  grâce  de  notre  consécration,  nous 
sommes  aussi  obligés  de  nous  rendre  sem- 
blables à  lui  dans  notre  conduite,  afin  qu'il 
paraisse  par  nos  actions  que  nous  sommes 
animés  de  sa  vie,  et  qu'on  reconnaisse  que 
nous  sommes  véritablement  transformés  en 
Jésus-Christ. 

Ils  ont  reconnu  que,  quoique  Dieu  nous 
donne  la   gloire    gratuitement,   il    nous    la 
donne  néanmoins  comme  la  récompense  de 
nos  bonnes  œuvres;  car  voici  l'économie  du 
salut  depuis  son  commencement  jusqu'à  sa 
consommation.  Il  commence  par  la  miséri- 
corde de  Dieu   qui  nous   prévieni,  puisque 
ce  qui  précède  tout  mérite  n'en  suppose  au- 
cun. Après  cette  miséricorde,  notre  volonté 
s'unissant  aux  dons  de  Dieu  produit  les  bon- 
nes couvre^  avec  la  grâce  et  par  la  grâce.  Or, 
les  bonnes  œuvres  nous  méritent  la  récom- 
pense et  la  possession  de  la  récompense  éter- 
nelle, et  c'est  ce  que  nous  appelons  le  salut. 
Efforçons-nous,  mes  très-chers  frères,  d'as- 
surcr'nolre  vocation  et  notre  élection  par  les 
bonnes  œuvres,  comm;;  l'apôtre  saint  Pierre 
nous  le  recommande;   car  celte  gloire  qui 
est  appelée   dans    l'Ecriiure   un  prix  et  une 
récompense,  ne   s'accorde  qu'à  ceux  qui  ont 
travaillé.  Cette  gloire  qui  est  appelée  l'héri- 
tage des  enfants  de  Dieu  ne  se  donne  qu'à 
ceox  qui  ont  fait  les  œuvres  de  Dieu,  et  c'est 
une  erreur  insoutenable  de  croire  que  nos 
œuvres  ne  servent  de  rien  à  notre  salut,  par- 
ce qu'elles  ne  peuvent  rien  changer  dans  les 
ordres  ni  dans  les  décrets  de  Dieu  ;  elles  en- 
trent, mes  frères,  dans  l'ordre  de  Dieu,  et  il 
n'exécute  les    desseins   qu'il    a    formés  sur 
nous  que  par  les  œuvres  que  la  charité  nous 
fait    faire:    ainsi     nous    tîevons     travailler 
comme  si  tout  dépendait  absolument  d  «  nous, 
et  demander  miséricorde  à  Dieu  continuelle- 
ment, et  attendre  tout  de  lui   comme  si  rien 
ne  dépendait  de  nous,  et  que  nous  fussions 
absolument  inutiles   atout.   C'est  cet  admi- 
rable mystère  qu'lsaïe  nous  explique,  lors- 
qu'il nous  excite  à  acheter,   mais  à  acheter 
sans  argent.  Nous  l'achetons,  celle    gloire, 
et  néanmoins  clic  est   toute  gratuite,  parce 
que  le  travail  même  par  lequel  nous  l'ache- 
tons est  un  effet  de  la  grâce  que  met  en  nous 
celui  qui  nous  l'a  destinée. 

Enfin,  mes  frères,  ces  illustres  saints  dont 
nous  honorons  la  mémoire  ont  bien  compris 
qu'il  ne  suffisait  pas  de  bien  commencer, 
mais  qu'il  fallait  toujours  marcher  dans  les 
voies  du  Seigneur  pour  mériter  la  récompense 
(|  i  et  promise  à  ceux  qui  persévéreront 
in'à  la  fin.  Ils  ont  r  ,\ec  crainte 

l  exemple  de  Lotli,  qui  (initie  la  ville  de  So- 
dome,  qui  se  sépare  «le,  pécheurs,  qui  est 
conduit  par  l'ange  du  Seigneur  sur  la  mon- 
tagne et  dans  un  lieu  de  sûreté  en  apparence, 


135 


ORATEURS  SACRES.  I)OM  JEROME. 


150 


et  où  il  tombe  néanmoins  dans  un  désordre 
épouvantable,  parce  qu'il  s'y  endort,  c'est-à- 
dfre,  selon  les  saints  Pères,  parce  qu'il  cosse 

d'y  Taire  le  bien.  Mais  les  saints  OOl  élé  non- 
seulemenl  convaincus  qu'il  fallait  agir  pour 
le  salut,  mais  ils  ont  encore  élé  persuadés  que, 
pour  agir  pour  le  salut,  il  fallait  accomplir 
les  œuvres  de  la  justice. 

En  ellet  il  ne  suffit  pas  de  se  dire  serviteur 
du  Seigneur,  il  faut  encore  garder  ses  pré- 
ceptes, afin  de  remplir  toute  justice.  Or,  mes 
frères,  qu'est-ce  qu'accomplir  la  justice?  Ce 
n'est  autre  chose,  selon  saint  Chi ysoslome, 
qu'un  parfait  accomplissement  de  tous  les 
commandements  de  Dieu.  Car,  selon  l'expres- 
sion de  L'Ecriture  et  l'interprétation  des 
saints  Pères,  remplir  la  justice,  c'est  garder 
tous  les  commandements  de  Dieu  ;  de  sorte 
qu'il  ne  suffit  pas  d'en  garder  quelques-uns 
et  de  négliger  les  autres,  il  les  faut  garder 
tous,  comme  les  saints  l'ont  fait. 

Je  sais  cependant  qu'il  n'est  pas  absolu- 
ment vrai  que  les  saints  aient  gardé  exté- 
rieurement toutes  les  œuvres  de  la  justice  et 
pratiqué  tous  les  conseils,  il  y  en  a  qui  se 
sont  sanctifiés  dans  le  mariage,  et  qui  n'out 
pas  gardé  la  virginité;  il  y  en  a  qui  ne  se 
sont  pas  retirés  dans  la  solitude  ;  il  y  en  a 
qui  ont  possédé  de  grandes  richesses  dans  le 
monde,  et  qui  n'ont  pas  tout  quitté  pour 
Dieu.  Cependant  la  virginité  est  un  état  de 
grande  perfection,  et  l'accomplissement  des 
conseils  conduit  l'âme  dans  un  degré  plus 
éminent;  mais  aussi,  comme  l'accomplisse- 
ment de  toute  la  loi,  ainsi  que  le  dit  saint 
Augustin,  consiste  dans  la  charité,  celui  qui 
a  l'amour  de  Dieu  dans  le  cœur  accomplit 
toute  la  loi,  celui  qui  ne  l'a  pas  n'en  accom- 
plit aucun  précepte,  et  la  vertu  n'est  rien 
autre  chose  qu'un  souverain  amour  de  Dieu. 
Tous  les  commandements,  nous  dit  encore 
saint  Grégoire,  ne  regardent  que  l'amour  de 
Dieu,  et  ils  ne  sont  tous  qu'un  seul  comman- 
dement, ce  qui  se  confirme  par  ce  que  nous 
dit  l'Apôtre,  lorsqu'il  nous  montre  tous  les 
caractères  de  la  charité.  Celte  déduction  de 
vertus  qu'il  fait  sortir  de  la  charité  comme 
de  leur  source,  nous  marque  que  celui  qui  a 
la  charité  dans  le  cœur  est  en  état  d'accom- 
plir toute  la  loi,  et  doit  être  regardé  comme 
l'ayant  accomplie  tout  entière. 

Et  en  effet,  comme  remarque  admirable- 
ment saint  Augustin,  il  n'est  pas  nécessaire, 
pour  être  censé  avoir  accompli  toute  la  loi, 
d'avoir  accompli  extérieurement  tous  les 
préceptes  qu'elle  prescrit,  il  suffit  d'être  sin- 
cèrement dans  la  disposition  de  les  accom- 
plir tous,  lorsque  la  volonté  de  Dieu  nous  en 
demandera  l'accomplissement;  c'est  ce  qui 
se  fait  reconnaître  en  nous,  mes  frères,  par 
deux  dispositions  que  l'amour  de  Dieu  y 
met  ;  la  première  est  une  complaisance  et 
une  approbation  sincère  pour  toutes  les  vo- 
lontés de  Dieu  ;  la  seconde,  qui  suit  infailli- 
blement de  la  première,  c'est  une  prépara- 
tion de  cœur  très-sincère  à  faire  tout  ce 
qui  plaît  à  Dieu  ,  lorsqu'il  nous  paraî- 
tra qu'il  le  demande  actuellement  de  nous. 
L'Eglise  est  comme  un  grand  arbre,  dit   en-  - 


pore  saint  Augustin,  qui  porte  de  différents 
frui (s ,  mais  qui  n'a  pour  tous  les  fruits 
qu'une  racine,  qui  est  la  i  hanté  et  I  amour 
de  Dieu.  Ainsi  ne  nous  embarrassons  pas  de 
l'espèce  du  fruit,  mais  de  la  racine.  Toutes 
nos  œuvres  seront  bonnes,  et  nous  aurons 
part  à  tous  les  fruits  de  l'arbre,  si  nous  te- 
nons à  la  racine  par  la  charité. 

Or  qui  peut  douter  que  les  saints  n'aient 
été  dans  cette  di «position, et  qu'ainsi  ils  n'aient 
accompli  toute  justice  ?  En  premier  lieu  ils 
ont  aime  Dieu  plus  que  toutes  choses  ;  car 
on  ne  peut  non-seulement  être  saint,  mais 
on  ne  peut  être  sauvé  sans  l'amour  de  Dieu, 
et  un  amour  de  Dieu  au-dessus  de  toutes  les 
créatures,  car  qui  dit  amour  dit  préférence. 
Cet  amour  de  Dieu  a  mis  en  eux  une  souve- 
raine complaisance  pour  toutes  ses  volon- 
tés; ils  ont  aimé  ce  qu'il  aime,  ils  ont  ap- 
prouvé ce  qu'il  approuve.  Ainsi,  mes  frè- 
res ,  quoique  quelques-uns  n'aient  pis 
gardé  la  virginité ,  ils  ont  aimé  et  ils 
ont  gardé  la  chasteté  dans  leur  état,  et  ils 
seraient  demeurés  vierges,  s'ils  eussent  cru 
que  c'eût  été  la  volonté  de  Dieu,  et  c'est 
par  cette  raison  que  saint  Augustin  dit  que 
toute  l'Eglise  est  une  vierge  pure  et  sans  ta- 
che, que  toute  l'Eglise  est  solitaire,  parce 
qu'elle  a  des  membres  dans  la  solitude,  et 
que  la  charité  qui  anime  tous  les  membres 
qui  la  composent,  rend  commun  le  mérite  de 
leurs  vertus  particulières. 

En  second  lieu  ,  cet  amour  sincère  des 
venus  qu'ils  n'avaient  pas  extérieurement, 
les  a  tenus  dans  une  certaine  préparation  de 
cœur  à  pratiquer  ces  vertus,  si  Dieu  leur 
avait  fait  connaîtrequ'il  les  demandait  d'eux. 
Aussi  en  avons-nous  vu  qui  ont  quille  tout  d'un 
coup  le  monde,  où  ils  étaient  attachés  par  les 
engagements  de  leur  état  cl  par  leur  nais- 
sauce,  qui  se  sont  dépouillés  de  toutes  cho- 
ses tout  d'un  coup,  qui  se  sonl  enfonces  dans 
la  retraite  et  dans  la  solitude,  qui  se  sont 
exposés  au  martyre.  Oui  a  fait  cela, mes  très- 
cbers  frères  ï  l'amour  de  Dieu  et  la  disposi- 
tion sincère  où  ils  étaient  de  préférer  sa  vo- 
lonté à  tout  antre  intérêt  :  Operati  sunt  justi- 
tiam  ;  c'est  par  là  qu'ils  ont  accomp  i  toute 
justice,  et  qu'enfin  ils  se  sonl  ren  lus  dignes 
de  l'effet  des  promesses  de  Dieu  :  A  lepti  nuit 
repromissiones  :  c'est  le  sujet  du  troisième 
point. 

TROISIÈME   PARTIE. 

Pour  suivre  dans  celte  dernière  partie  l'or- 
dre que  j'ai  garde  dans  les  deux  autres,  il 
faudrait  prouver  que  les  saints  ont  reçu  l'ef- 
fet des  promesses  de  Dieu,  et  expliquer  la 
grandeur  de  ces  promesses:  or,  mes  frères , 
il  me  semble  qu'il  est  inutile  de  prouver 
l'un,  et  je  confesse  qu'il  m'est  impossible  de 
décrire  l'autre. 

11  est  inutile  de  prouver  que  les  saints  ont 
reçu  l'effet  des  promesses  de  Dieu  ;  il  ne  faut 
que  jeter  les  yeux  sur  ce  que  Dieu  a  dit,  sur 
ce  que  les  saints  ont  fait  et  sur  le  témoignage 
que  l'Eglise  nous  rend  aujourd'hu  .  Dieu 
nous  a  dit  en  mille  endroits  de  l'Ecriture  quo 
i  celle  gloire  était  une  couronne,  une  ivaim- 


137 


SERMON  POUR  LE  JOUR  DES  MORTS. 


13» 


pense,  un   prix  qu'il  donnerai!  à  ceux  qui 
auraient  combaltu,  travaillé  et  vaincu. 

Les  saints  ont  combattu  les  ennemis  de 
leur  salut;  ils  ont  vaincu  les  obstacles  qu'ils 
leur  ont  opposés  ;  ils  ont  travaillé  en  ac- 
complissant toute  justice,  comme  nous  l'a- 
vons dit. 

Que  faut-il  conclure  de  là,  si  ce  n'est  que 
Dieu,  qui  est  fidèle  dans  ses  promesses,  a 
couronné  en  eux  les  dons  de  sa  grâce,  en 
récompensant  d'une  gloire  éternelle  les  œu- 
vres qu'ils  onl  faites  par  la  loi  et  par  la 
charité  ?  Rt  c'est  ce  que  l'Eglise  nous  ap- 
prend p;ir  le  témoignage  qu'elle  rend  à  la 
gloire  des  saints  qu'elle  honore  en  ce  jour  : 
ils  ont  reçu  l'effet  des  promesses  de  Dieu. 

Il  ne  me  resterait  plus  qu'à  faire  la  descrip- 
tion de  l'effet  de  ces  promesses  et  do  la  gloire 
qu'ils  possèdent;  et  c'est,  mes  frères,  ce  que 
je  regarde  comme  une  entreprise  impossible; 
car  nous  ne  pouvons  expliquer  ce  que  nous 
ne  connaissons  pas,  et  Dieu  nous  a  caché  la 
gloire  qu'il  nous  promet.  Nous  savons  bien 
que  celte  gloire,  c'est  lui  même,  et  c'est  assez 
pour  nous  empêcher  d'entreprendre  d'en 
faire  la  description  ;  car,  hélas  !  qui  peut  dire 
ce  que  c'est  que  Dieu?  Cependant,  mes  frè- 
res, il  ne  faut  pas  vous  laisser  sans  vous 
donner  quelque  idée  de  la  gloire  que  les 
saints  possèdent.  Ils  sont  dans  un  lieu  où 
saint  Augustin  nous  assure  que  tout  est 
grand,  que  tout  est  éternel  ;  ici-bas  tout  est 
petit,  tout  est  fini. 

Comprenez,  mes  frères,  l'étendue  de  la 
gloire  et  de  la  récompense  des  saints  par 
cette  différence  de  la  vie  éternelle  qu'ils  pos- 
sèdent, avec  celle  qu'ils  ont  méprisée  sur  la 
terre.  Ils  jouissent  de  la  vraie  grandeur,  ils 
possèdent  la  vérité  en  elle-même,  ils  sont 
unis  à  la  source  de  toute  sainteté;  et  cette 
possession  si  abondante,  ces  unions  si  sain- 
tes dureront  pendant  toute  l'éternité  ;  car 
c'est  dans  le  sein  de  Dieu  même  qu'ils  joui- 
ront de  tous  ces  avantages,  et  c'est  là  où 
tout  est  éternel.  Or  c'est  à  la  possession  de 
semblables  biens  que  nous  sommes  appelés, 
mes  très-chers  frères,  par  la  miséricorde  de 
Dieu,  quoiqu'il  s'en  faille  bien  qu'il  nous 
prépare  de  pareils  combats  que  ceux  que  les 
saints  ont  soutenus,  et  c'est  ce  qui  nous  doit 
rendre  plus  fidèles  dans  ceux  où  il  lui  plaît 
de  nous  exposer.  Mais  comment  combat- 
tons-nous les  obstacles  qui  s'opposent  à  la 
recherche  de  cette  gloire  que  les  saints  pos- 
sèdent? De  quelle  manière  cmbiassons-nous 
les  moyens  qui  y  conduisent?  A  quoi  en 
sommes-nous  ?  Examinons-nous. 

il  ne  suffit  pas  d'éviter  les  grands  crimes, 
il  faut  accomplir  toute  justice,  au  moins 
quant  à  la  préparation  du  cœur;  c'est-à-dire 
que  l'amour  de  tous  les  préceptes  soit  dans 
notre  cœur,  pour  être  en  état  de  les  prati- 
quer dans  les  occasion!  où  nous  nous  trou- 
verons engagés,  c:  que  Uicu  nous  fera  con- 
naître s'il  les  demande  de  nous. 

Ne  craignons  donc  rien   de  la  part  de   nos 

ennemis  :  tous  leurs  efforts  seront    inutiles, 

si  nous  avons  retours  aux  Ecritures  pour  y 

prendre,  par  les  lumières  de  la  foi,  des  armes 

Ok\ti:i  us  saches.  XX.X. 


pour  triompher,  comme  les  saints,  de  tous 
les  obstacles  qui  s'opposent  à  l'acquisition 
de  la  gloire.  Si  nous  sommes  persuadés  qu'il 
faut  accomplir  toute  justice,  si  nous  voulons 
agir  véritablement  et  sincèrement  pour  le 
salut,  enfin  si  nous  considérons  toujours 
les  choses  par  leur  fin,  nous  ne  serons 
touchés  ni  des  promesses  ni  des  menaces  du 
monde,  et.  soutenus  par  l'espérance  que  Dieu 
nous  promet  après  le  combat,  nous  nous 
rendrons  dignes  qu'il  nous  fasse  remporter 
la  victoire,  et  qu'il  couronne  en  nous  ses 
miséricordes  pour  jouir  avec  les  saints  de 
la  gloire  qu'ils  possèdent  pendant  toute  l'é- 
ternité. C'est  ce  que  je  vous  souhaite. 

SERMON 

POUR  LE  JOUR   DES  MORTS. 

Sancla  ergo  et  salubris  est  cogitatio  pro  defunctis  exo- 
rare. 

Ces!  donc  une  pensée  sainte  el  salutaire  que  de  prier 
pour  les  morts  (II  Mach.,  XII,  4G). 

La  solennité  de  ce  jour  a,  mes  frères, 
plus  de  rapport,  dans  l'intention  de  l'Eglise, 
avec  la  solennité  d'hier,  qu'elle  n'en  paraît 
avoir  dans  les  objets  différents  qu'elle  nous 
propose. 

Hier  elle  nous  montrait  la  gloire  des 
saints,  et  aujourd'hui  elle  nous  expose  les 
souffrances  des  justes  ;  hier  elle  nous  ex- 
posait des  lumières  brillantes,  aujourd'hui 
ce  sont  des  feux  dévorants;  hier  des  canti- 
ques de  joie,  aujourd'hui  des  larmes  et  des 
gémissements.  Ces  objets  sont  bien  différents, 
et  néanmoins  les  intentions  de  l'Kglise  qui 
nous  les  trace  conviennent  dans  le  dessein 
qui  l'anime.  Hier  elle  voulait  réveiller  en 
nous  le  désir  de  la  gloire  en  nous  la  mon- 
trant, et  aujourd'hui  elle  veut  nous  ensei- 
gner ce  qu'il  en  coûte  pour  l'acquérir,  en 
nous  exposant  ce  que  les  justes  souffrent 
avant  que  d'en  prendre  possession.  Elle  nous 
veut  convaincre  qu'il  faut  souffrir  beaucoup, 
et  qu'il  faut  souffrir  chrétiennement  pour  y 
prétendre. 

Il  est  vrai  qu'en  nous  exposant  les  souf- 
frances des  justes  elle  veut  en  même  temps 
nous  exciter  aies  soulager;  aussi  n'est-ce 
pas  mon  dessein  de  séparer  leurs  intérêts 
d'avec  les  nôtres  ;  c'est  pourquoi  je  m'atta- 
cherai à  (rois  propositions  nui  feront  le 
partage  de  co  discours.  Dans  la  première  je 
vous  ferai  voir  que  les  âmes  soultrent  beau- 
coup, quoiqu'elles  soient  dans  une  grande 
pur<  te  :  première  partie  ;  dans  la  seconde 
je  vous  montrerai  qu'elles  conservent  une 
parfaite  tranquillité  au  milieu  de  buis  gran- 
des souffrances  :  seconde  partie;  dans  la 
troisième,  vous  verrez  qu'au  milieu  de  ces 
grandes  souffrances  elles  sont  dans  une  vé- 
ritable impuissance  de  se  soulager  elles- 
mêmes  :  troisième  partie. 

La  grandeur  de  leurs  souffrances  dans  la 
pureté  de  leur  cœur  confond  la  lâcheté  qui 
nous  fait  rejeter  les  peines  dins  la  corrup- 
tion du  nôtre;  la  tranquillité  de  leurs  âmes 
dans  la  grandeur  de  leurs  souffrances  cou- 
fond  l'impatience  de  la  nôtre  dans  la  lé- 
gèreté de  nos  peines  ;  l'impuissance  où  elles 

5 


»ont  ne   i  c    s  mlag  r  ellcs-ii.  i    Ci 

qu'elles  souffrent  confond  notre  négligence 

-,  secourir  :  voilà  toute  l'idé  i  do  mou  dis- 
cours. 
Fasse  le  ciel    que  la    p  i  lintc    de 

r  pour  les  mort*;,  que  l'Eglise  nous  veut 
inspirer  aujourd'hui,  devienne  utile  pour 
ces  âmes  et  pour  nous  !  c'est  la  grâce  que 
je  demande  à  l'Esprit-Saini  par  l'intercession 
de  Mario.  Ave,  Maria, 

PRBMlènE  PA1 

11  est  nécessaire,  mes  frères,  de  bi  •  i  éla- 
l)lir  la  pureté  du  cœur  des  justes,  pour  vous 
faire  comprendre  plus  aisément  la  grandeur 
île  leurs  souffrances  ;  car  l'une  dépend  do 
l'autre  en  quelque  sorte  ;  mais  il  faut  d'a- 
hord  convenir  de  deux  choses  :  1°  que  l'âme 
est  devant  Dieu  telle  qu'elle  se  trouve  au 
moment  de  sa  séparation  d'avec  le  ;  orps  ; 
2u  de  la  nature  de  la  pureté  du  cœur,  et  en 
quoi  elle  consiste. 

Personne  assurément  ne  doute  de  ma  pre- 
mière proposition  ;  passons  donc  à  la  se- 
conde, et  convenons  que  c'est  dans  l'amour 
de  Dieu  que  consiste  celle  pureté,  comme  au 
contraire  l'impureté  du  cœur  consiste  dans 
l'amour  de  la  créature.  Ce  sont  les  principes 
de  saint  Augustin  et  ceux  de  la  religion  : 
ce  cœur  est  fait  pour  Dieu,  et  il  doit  être 
uniquement  à  lui  ;  il  est  pur  quand  il  n'est 
occupé  que  de  lui,  il  est  corrompu  quand  il 
est  occui)é  d'autre  chose  ù  son  exclusion,  et 
il  est  impur  lorsqu'il  y  a  quelque  mélange 
d'affection  étrangère  dans  l'amour  qui  l'at- 
tache à  lui  par  préférence. 

Or,  mes  frères,  ces  deux  amonrs  se  trou- 
\aut  dans  les  créatures  suivant  différents 
degrés,  ils  v  forment  différentes  proportions 
de  pureté  eCd'impureté,  et  c'est  sur  ces  diffé- 
rents  degrés  que  l'état  des  âmes  est  réglé 
après  leur  mort. 

Il  y  en  a   en  qui   l'amour   de  Dieu  règne 
pleinement,  et  qui  sont  trouvées  pures  à  son 
jugement,  soit  qu'elles  aient   conservé  I 
innocence,  soit  qu'elles  aient  pris  soind 
purifier  par  un  long  exercice  de  vertu.  I 
les-  là  culrcut  tout  d'un  ns  ia  gloire, 

elles  jouissent  de  Dieu  en  sortant  du  monde, 
et  forment  l'étal  des  saints  dont  nous  par- 
lions hier. 

Il  y  en  a  eu  qui  l'amour  du  monde  domine 
absolument,  qui  sont  livrées  à  l'impurelc,  et 
qui  sont  enlevées  de  ce  monde  dans  l'amour 
criminel  de  ses  faux  biens.  Elles  forment 
l'étal  des  âmes  perdues  et  condamnées  .  elles 
ne  sortent  du  monde  que  pour  entrer  dans 
un  abîme  de  ténèbres  dont  elle:-  :te  sortiront 
jamais,  el  elles  sont  unies  aux  réprouves. 

Il  y  en  a  qui  tiennent  le  milieu  entre  ces 
deux  espèces  :  il  se  trouve  en  elles  un  cer- 
tain mélange  de  pureté  et  d'impureté,  qui 
les  rend  tout  ensemble  dignes  et  indigne 

Elles  en  sont  dignes,  parce  qu'elles  ont 

ié  Dieu,  el  que!!  mortes  dan 

ce  ;  elles  en  sont  im!  Iles 

ne  s  mt  pas  entièrement   purifiées  des  laulcs 

qu'elles  oui  coniuviscfi  en  cette  fi  Ion 


ORATEURS  SACRES.  ROM  II 

la  parole  de  Dieu,  n'en  d'impur  n'entrera  Jun$ 
wm. 
,!iiies-là  foi  nient  un  Iroisi   m      lai  dis- 
né  des  deux  autres,  que  l'Eglise  appelle 
purgatoire,  où  la  justice  de  Dien  l<->  purifie, 
de  les  remettre  entre  1  s  br  i  de  se  sel- 
le qui  les  attend,  poar  couronner  en 
elles  les  ouvrages  de  son  amour  qu'il  j  avait 
commencés  dès  cell  : 
'tout  ceci  est  admirablement  bien  i 
saint  Augustin  daus  son  traité  de  la  1    i, 
«le  l'Espérance  et  de  la  Cliarilé.  Il  uislingue 
trois  sortes  de  vies  pour  nous  faire  connaî- 
tre quelles  sont  les  âmes    qui   reçoivent  du 
fcoalagemeni  de  nos  prières  aprè<   I*   mort. 
Il  y  a,  dit  ce  saint  docteur,  une  sorte  do 
qnieslsi abond  nteen  Lo:mesu'uvres,qu', 
n'a  pas  besoin  de  ces    sortes  d'assistant 
C'est  celle  que  nous  avons    distinguée  d'a- 
bord  en  disant  que  i'amour  de    Du  a  ))  avait 
régné,  et  que  ceux  qui  avaient  \è.  u  dans  un 
long  exercice  de    vertu   avaient  été  lrou\   s 
purs  à  son  jugeaient.  Il  y  en  a  une  autre  si 
pleine  de   corruption,  qu'elle    ne    j  eut    être 
soulagée  par  les  assistances  des  fidèles  ;  c'est 
ceile  que  nous  avons   distinguée   en  disant 
(mic  l'amour  du  moude  avait  absolument  do- 
miné en  elle.  Enfin,  continue  ce  saint,  il  y  a 
une  autre  espèce  de   vie,  qui    n'est  pas 
bonne  qu'elle  n'ait  besoin  de  secours  après 
la  mort,  el  qui  aussi  n'est  pas    si    mauvaise 
que  les  secours  ne  lui  puissent   servir;  c'esl 
celle  do;.t  nous   parlons,  et  que  nous  avons 
distinguée  en  disant  qu'elle  tenait  le  milieu 
entre  les  deux  autres  par  un  certain  mélange 
d'impureté  cl  de  pureté.  Ce  qu'il  y  a  de  ; 
vend  nos  pri  les  à  ceux  qui  sont  dans 

cet  état,  el  ce  qu'il  j  a  d'impur  le    leur  rend 
ssaires. 

Tout  ceci  doit  vous  faire  connaître,  mes 
frères,  quelle  es,;  la  pureté  du  cœur  de  ces 
âmes  justes.  L'amour  de  Dieu  régnait  dans 
leur  cœur  quand  elles  ont  été  séparées  do 
leur  corps,  voilà  leur  justice  ;  la  charité  y 
était  dominante,  \oilà  leur  pureté;  elles  ont 
trouvées  telles  à  leur  mort,  elles  demeu- 
rent telles  devant  Dieu. 

Elles  souffrent  néanmoins  dans  celle  pu- 
reté, parce  qu'elles  sont  rede tables  à  sa 
lice;  car  il  y  a  peu  de  chrétiens,  mes  très- 
ebers  frères,  de  ceux  qui  servent  Dieu  sii. 
renient,  de  qui  on  puisse  cro 
entièrement  purifiés  par  les  exercices  d'une 
charité  ardente  cl  d'une  pénitence  exacle.  Il 
y  a  de  l'impureté  cl  du  mélange  dans   noire 
amour,  il  y   a  de  la  négligence  el  de  la  lâ- 
cheté dans  notre  pénitence  ;  ainsi,  quoique  la 
pureté   de  ces   âmes   assure  leur  salut ,  leur 
impureté  les  engage  à  la  souffrance. 

(/est  ce  quesainl  Paul  nous  enseigne  dans 

la  première  aux  Corinthiens,  où, après  avoir 

établi  ecl  excell  ni  principe  de  la  foi  et  de  la 

religion,  que  personne  ne  peut  poser  d'autre 

e  t  de  son  salul  is-Christ,  il 

I  sur  ce  fo   d  uns,  dit- 

il   bâti  r  ce  fondement  a 

de  l'argent  el  des  pi< 

âmes  en   qui   la  charité  a  été  Uo 


m 


SEP.MON  l'OUii  LE  JOUR  DES  MOUTS. 


i  £2 


triomphante.  Les  autres  bâtissent  sur  ce  fon- 
dement avec  tlu  bois,  du  foin,  de  la  paille  : 
ce  sont  les  âmes  de  qui  nous  parlons,  dont 
les  affections  aux  biens  tic  la  terre  et  aux 
choses  innocentes  n'ont  pas  été  exemptes  de 
certaines  faiblesses,  que  Dieu  ne  punit  pas 
par  la  privation  de  sa  vue,  mais  par  h*  retar- 
dement de  ce  bonheur  et  de  celle  féîicilc,  et 
par  des  souffrances  plus  vives  et  plus  cruelles 
que  tout  ce  que  les  hommes  peuvent  endu- 
rer pendant  celte  vie  :  ce  que  saint  Paul  ex- 
prime en  disant  qu'ils  passeront  par  le  feu. 
C'est  ce  que  saint  Augustin  nous  a  fait  enten- 
dre en  nous  disant  qui:  ces  bonnes  œuvres 
sont  faites  dans  la  charité,  mais  qu'elles  sont 
affaiblies  et  comme  ternies  par  les  impres- 
sions de  la  cupidité.  On  peut  dire  d'une  âme 
en  cet  état  qu'elle  est  chargée  de  dettes 
qu'elle  n'a  pr.a  payées ,  qu'elle  est  noire 
comme  l'épouàc  d  's  Cantiques ,  mais  cepen- 
dant belle  cl  éclatante. 

Mais  allons  encore  plus  loin,  car  il  faut 
conclure  qu'ayant  bâti  sur  le  même  fonde- 
ment que  les  seuils,  qui  est  Jésus -Christ,  ces 
âmes  conviennent  avec  lui  dans  une  portion 
delà  même  justice  et  dans  le  mémo  genre  de 
pureté,  qui  est  l'amour  de  Dieu  ;  et  c'est  relia 
justice  et  ce!  amour  qui  contribuant  à  ren- 
dre leurs  souffrances  plus  cruelles  et  leu:s 
peines  plus  vives,  comme  je  vais  vous  le 
taire  comprendre  en  vous  expliquant  l'état 
où  ces  âmes  se  trouvent  après  la  séparation 
de  leurs  corps,  et  leurs  sentimenls  pour 
Dieu  dans  cet  étal. 

Je  ne  vous  parle  pointue  celle  privation 
(  ruelle  de  toutes  choses  ,  de  cette  solitude  de 
l'âme  dans  le  moment  de  cette  séparation 
d'avec  le  corps,  qui  se  trouve  seule  devant 
Dieu,  tout  étant  fini  pour  elle,  el  n'ayant 
plus  ni  liaison,  ni  union,  ni  rapport  qu'à 
Dieu  seul. 

Mais  je  parle  de  ces  lumières  sur  la  ma- 
jesté de  Dieu ,  qui  sont  plus  vives;  je  parle 
de  ces  vues  de  sa  grandeur,  oui  sont  plus 
distinctes  ;  je  parle  de  celle  disposition  plus 
parfaite  pour  s'unir  à  lui  par  le  dégagement 
de  l'euibarras  des  sens,  par  l'indépendance 
des  organes,  par  la  séparation  de  sa  matière, 
par  le  rapport  plus  naturel  entre  son  enten- 
dement et  son  objet.  Ajoutez  à  cela  l'im- 
pression que  la  charité  fait  dans  le  cœur  des 
justes  pour  les  porter  vers  Dieu,  comme  vers 
leur  centre  naturel!  comme  vers  le  seul  ob- 
jet dans  la  connaissance  duquel  ils  peuvent 
trouver  leur  félicité;  cl  imaginez-  vous,  s'il 
est  possible,  quels  doivent  être  leurs  senti- 
ments cl  leurs  ardeurs  pour  Dieu  d  tus  cet 
<l.i,  quelle  doit  élre  l'impétuosité  do  l'a- 
mour qui  les  y  porte,  quelle  doit  ê(rc  la  ra- 
pidité de  ce  torrent  de  feu  qui  les  entrai  le. 

Les  expressions  me  manquent,  nies  In'.s- 
chers  frères,  pour  vous  décrire  la  qualité  des 
sentiments  de  ces  âmes  ;  je  comprends  quel- 
que chose  qu'il  ne  m'est  pas  possible  d'ex- 
primer, et  je  vous  laissée  former  l'idée  des 
brûlants  désirs  de  ces  âmes  pour  Dieu, 
que  vous  jugiez  d<:  la  grandeur  de  leurs  p"i- 
nessur  l'idée  que  vous  aurez  formée,  <n 
vous  représentant  qu'elle  conisle  à  élre  pri- 


vécs  de  ce  qu'elles  aiment  si  parfaitement  et 
avec  des  transports  si  violcnls. 

Car  dans  ce  moment  d'amour  tendre  el  im- 
pétueux qui  les  emporte  vers  Dieu  avec 
d'autant  plus  de  véhémence  qu'elles  s'en 
sentent  plus  proches,  Dieu  lui-même  les  re- 
pousse ;  une  dette  qu'il  faut  payer  les  re- 
lient dans  la  privation,  il  ne  reste  plus  qu'un 
faible  nuage  à  dissiper  pour  leur  faire  voir 
leur  Dieu  à  découvert  ;  et  sa  justice  épaissit 
ce  nuage  et  empêche  qu'il  ne  se  dissipe. 

C'est  dans  celte  privation  que  consistent 
les  plus  vives  douleurs  de  ces  âmes  justes; 
leur  propre  amour  est  le  plus  cruel  exécu- 
teur de  la  justice  do  Dieu  sur  elles. 

Remarquez  ce  que  dit  saint  Augustin,  en 
parlant  des  réprouvés  :  il  nous  enseigne  quo 
Dieiî,  qui  est  la  souveraine  bonté,  ne  tiro 
rien  de  lui  dont  il  se  serve  pour  châlier  les 
damnés;  mais  qu'il  arme  leur  propre  concu- 
piscence contre  eux-mêmes  pour  les  punir. 
Jl  les  livre,  dit  ce  saint  docleur,  absolument 
à  la  passion  à  laquelle  ils  se  sont  abandon- 
nés eux-mêmes  durant  leur  vie;  il  permet 
qu'ils  en  soient  possédés  entièrement,  et 
qu'ils  demeurent  éternellement  exposés  aux 
désirs  de  la  satisfaire  et  à  l'impuissance  d'y 
réussir  ;  et  qu'ils  soient  ainsi  déchirés  en 
même  temps,  durant  loule  l'éternité,  par  la 
haine  et  par  l'amour  du  même  objet. 

Or,  mes  frères,  il  fait  quelque  chose  de 
semblable  dans  la  conduite  qu'il  garde  sui* 
ces  âmes  justes  ;  c'est  leur  propre  amour  qui 
les  fait  souffrir,  et  il  emploie  pour  les  punir 
dans  le  temps  de  leurs  souffrances,  ce  qui  a 
ci c  le  principe  de  leur  mérite  durant  lern* 
vie-,  et  ce  qu'il  a  résolu  par  sa  miséricorde  de 
couronner  dans  l'éternité  après  leur  mort. 
Ce  n'est  pas  qu'elles  ne  soient  exposées  à 
des  peines  sensibles,  et  que  la  cruauté  du  feu 
n'entre  dans  les  tourments  que  la  justice  de 
■u  leur  fait  ressentir;  car,  comme  dit  cn- 
core  saint  Augustin,  il  ne  faut  pas,  parce 
que  l'apôtre  saint  Paul  nous  assure  que  ces 
âmes  seront  sauvées  parle  feu,  que  nous  nous 
formions  une  petite  idée  de  la  nature  de  ces 
peines  :  e  les  surpassent  infiniment  toutes 
celles  que  les  hommes  peuvent  souffrir  en 
celle  vie;  et  quelque  chose  que  l'on  nous  ra- 
conte des  tourments  des  martyrs,  rien  de 
tout  cela  ne  peut  approcher  de  ce  que  ces 
âmes  endurent. 

Ce  que  je  viens  de  vous  exposer,  mes  frè- 
res, ne  suffit  pas  :  je  vous  ai  dit  que  celte 
première  vente  qui  regarde  l'ct.il  de  ces 
âmes  servirai!  à  nous  confondre  ;  et  en  effet 
y  a-t-ii  rien  de  plus  propre  à  le  faire  que  la 
iparaison  de  leur  état  et  du  nôtre,  en  fai- 
sant réflexion  aux  principes  de  la  religion 
et  de  la  foi!  Elles  sont  justes  et  elles  souf- 
frent, nous  s». unies  dans  la  corruption,  et 
nous  ne  voulons  rien  souffrir. 

Quelle   peut  être    la  cause   d'un  tel  aveu- 

ueiit  ?  Ne   connaissons-nous  pas   noire 

.on?  Nous    n'avons  qu'à  examiner 

noire  conduite   par   les  yeux  de  la  foi,  pour 

reconnaître  combien  nous  sommes  éloignés 

de  la  perfection  qu'elle  demande  de  nous. 

ignorons-nous   que    nos    péchés   sont  des 


ilà7> 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JERuMK. 


m 


deltes  qu'on  ne  paye  que  par  les  souffran- 
ces? Il  ne  faul  que  jeler  les  yeux  sur  la  con- 
duite île  Dieu  à  l'égard  de  ces  âmes  qui  ne 
sont  chargées  que  des  seuls  restes  de  leurs 
péchés. 

Croyons-nous  que  les  pénitences  qu'on 
nous  impose  ordinairement  suffisent  pour 
satisfaire  pleinemcnl  à  la  justice  de  Dieu,  et 
qu'après  avoir  confessé  nos  péchés,  récité 
quelques  prières  ou  fait  quelques  aumônes, 
qui  n'intéressent  ni  notre  vanité,  ni  nos  plai- 
sirs, ni  notre  luxe,  ni  nos  dépenses  inutiles, 
nous  pouvons  demeurer  en  repos  et  jouir 
tranquillement  de  tous  les  biens  de  la  vie 
présente,  en  attendant  que  Dieu  nous  donne 
ceux  de  la  vie  future  comme  par  surcroît? 
Une  semblable  pensée  ne  peut  pas  entrer 
dans  l'esprit  d'un  homme  qui  a  quelque  lé- 
gère connaissance  de  la  religion. 

Enfin  voulons-nous  attendre  à  payer  nos 
deltes  dans  l'autre  vie,  pour  ne  rien  perdre 
desdeltcsde  celle-ci, Gtque,contentsde  ne  pas 
mourir  ennemis  de  Dieu,  nous  voulons  bien 
allerparaitredevantluicommedcs  geusqui  ne 
payent  qu'à  l'extrémité,  et  qui  ne  se  seraient 
jamais  mis  en  étal  de  le  faire,  s'ils  avaient 
pu  éviter  la  force  de  la  justice  qui  les  y  con- 
traint. C'est  un  étrange  aveuglement  que  de 
vouloir  prendre  ce  parti,  et  il  faut  être  bien 
téméraire  pour  exposer  son  salut  éternel 
sur  la  dangereuse  subtilité  qui  fait  voir 
quelque  différence  entre  un  semblable  débi- 
teur et  un  ennemi  de  Dieu  ou  un  homme  qui 
ne  l'aime  point;  c'est  presque  la  même 
chose. 

Ouvrez  donc  les  yeux,  mes  chers  frères, 
sur  la  nécessité  de  souffrir  pour  satisfaire 
à  la  justice  de  Dieu.  Que  la  vue  des  peines 
de  ces  âmes  justes  nous  instruise  aujourd'hui 
en  confondant  notre  lâcheté,  et  que  celle 
de  la  tranquillité  qu'elles  gardent  ;iu  milieu 
de  leurs  souffrances  nous  apprenne  à  sup- 
porter les  nôtres  a\ec  patience  :  c'est  le  sujet 
île  ma  seconde  réflexion. 

SECONDE  PARTIE. 

Quoique  ma  seconde  proposition  semble 
d'abord  être  un  paradoxe,  et  qu'il  soit  diffi- 
cile d'accorder  l'idée  d'une  profonde  tran- 
quillité avec  une  grande  agitation  dans  un 
même  cœur,  il  est  pourtant  vrai  que  tout 
cela  se  rencontre  dans  les  âmes  justes  de  qui 
nous  parlons  ,  et  que  l'arùeur  de  leurs  dé- 
sirs et  la  violence  de  leurs  tourments  ne  sont 
pas  capables  d'interrompre  la  paix  de  leur 
cœur  ni  de  donner  atteinte  à  leur  tranquil- 
lité. 

La  raison  de  ceci,  mes  frères,  c'est  que 
l'impatience  dans  les  maux  ne  vient  que  de 
la  contrariété  des  sentiments  et  de  l'opposi- 
tion de  la  volonté  de  celui  qui  souffre  et  de 
celui  qui  fait  souffrir.  Voici  le  mécompte  : 
celui  qui  souffre  ne  se  croit  pas  digne  du 
traitement  qu'il  reçoit;  il  se  plaint  de  lin- 
justice  de  celui  qu'il  en  croit  être  la  cause; 
il  se  tourmente,  il  s'agite  dans  la  reeherche 
des  moyens  de  se  délivrer  ;  et  quand  il  ne 
peut  y  réussir,  il  souffre  avec  une  opposition 


et  une  \iolence  exlréme  ce  qu'il  ne  saurait 
éviter. 

Il  n'en  est  pas  ainsi  de  ces  âmes  justes  : 
leur  volonté  est  soumise  à  celle  de  Dieu,  et 
l'amour  qui  les  attache  à  lui  nul  une  con- 
formité admirable  dans  leurs  sentiments. 

Pour  vous  donner  une  idée  de  celle  dispo- 
sition, qui  vous  la  fasse  bien  comprendre  eu 
entier  et  sur  laquelle  nous  puissions  nous 
instruire,  il  est  à  propos  de  remarquer  que 
les  âmes  souffrantes  portent  la  vue  sur  trois 
choses  dans  leurs  souffrances  :  1"  sur  celui 
qui  les  frappe;  2°  sur  le  sujet  qui  le  porte  à 
les  frapper;  3"  sur  la  fin  qu'il  se  propose  en 
les  frappant. 

1"  Celui  qui  les  frappe,  c'est  Dieu  qu'elles 
aiment;  le  sujet  pour  lequel  il  les  frappe, 
c'est  le  péché,  qu'elles  haïssent;  la  lin  qui 
le  porte  à  les  frapper,  c'est  pour  les  purifier 
et  les  rendre  heureuses,  et  c'est  ce  qu'elles 
désirent.  Ces  vues  différentes  nous  décou- 
vrent, ii  es  très-chers  frères,  le  fondement  de 
la  tranquillité  de  ces  âmes  ,  et  l'amour 
qu'elles  ont  pour  Dieu  met  leur  volonté  dans 
une  dépendance  si  absolue  de  la  sienne, 
qu'elles  ne  peuvent  plus  vouloir  que  ce  qu'il 
veut  :  elles  reçoivent  tous  ses  jugements 
avec  amour,  parce  qu'elles  les  regardent 
comme  les  jugements  d'un  père  qui  les  aime. 

Ainsi,  ce  que  sa  justice  leur  fait  souffrir 
n'affaiblit  pas  leur  amour;  au  contraire,  leur 
amour  leur  fait  aimer  sa  justice,  qui  est  in- 
séparable de  lui-même. 

■1  Mais  lorsque,  après  avoir  regardé  Dieu 
dans  lui-même,  elles  viennent  à  jeler  les 
yeux  sur  elles,  et  qu'elles  y  voient  les  restes 
des  péchés  qu'elles  n'ont  pas  effacés  par  une 
pénitence  exacte  qui  leur  attirent  les  châ- 
timents de  la  justice  de  Dieu,  la  conformité 
de  leur  volonté  avec  la  sienne  leur  douiio 
de  la  haine  pour  ce  qu'il  déteste.  Elles  en- 
trent en  indignation  contre  elles-mêmes,  et, 
voyant  que  leur  impureté  met  de  l'éloigne- 
ment  et  forme  une  séparation  entre  Dieu  et 
elles,  bien  loin  de  se  plaindre  de  ce  qu'elles 
souffrent,  elles  regardent  avec  amour  l'avan- 
tage de  pouvoir  souffrir,  parce  qu'elles  sa- 
vent que  c'est  l'unique  moyen  d'eflacer  en 
elles  <e  qui  déplait  aux  yeux  de  Dieu.  Et 
elles  sont  tellement  possédées  du  désir  de 
souffrir,  comme  le  dit  sainte  Thérèse,  que  si 
elles  ne  trouvaient  le  feu  du  purgatoire,  ce 
serait  un  enter  pour  elles,  parce  qu'elles 
perdraient  la  seule  espérance  qui  leur  reste 
de  se  rendre  dignes  de  jouir  de  Dieu  en  se 
purifiant  de  leurs  taches  par  leurs  souf- 
frances. 

Ainsi,  mes  frères,  ces  âmes  se  plongent 
avec  plaisir  dans  les  tourments,  et  elle?  de- 
meurent dans  une  paix  profonde  ,  quelque 
violents  qu'ils  soient,  parce  qu'elles  sont  ra- 
vies de  satisfaire  la  justice  de  Dieu  qo'elles 
aiment,  et  qu'elles  voient  que  leatrs  maux 
sero'.it  le  principe  de  leur  souveraine  leli- 
cité. 

.'{"  La  troisième  cause  de  leur  tr.mquillilé 
dans  les  souffrances  provient  de  ce  qu'elles 
connaissent  bien  que  Dieu  ne  les  frappe  que 
pour  les  purifier,  et  qu'il   ne   les  purifie  que 


U! 


SERMON  POUR  LE  JOUR  DES  MORTS. 


146 


pour  les  rendre  heureuses,  et  qu'ainsi,  en 
les  châtiant  comme  juste,  il  veut  les  recevoir 
comme  miséricordieux.  El  comment  serait- 
il  possible  quelles  n'aimassent  pas  cette 
justice  et  qu'elles  se  plaignissent  des  coups 
qu'elle  leur  porte?  Eile  est  toute  trempée 
dans  les  douceurs  de  la  miséricorde,  à  tra- 
vers desquelles  elles  la  regardent  ;  et  il  me 
semble  que  je  ne  puis  mieux  vous  expliquer 
la  situation  où  Dieu  paraît  à  l'égard  de  ces 
âmes  et  dans  laquelle  elles  le  regardent, 
qu'en  me  servant  de  l'expression  de  David, 
où  il  nous  représente  la  justice  de  notre  Dieu 
tout  environnée  de  bonté  :  Le  Seigneur  est 
bon  et  juste,  et  notre  Dieu  est  miséricordieux. 
Voilà,  mes  frères,  l'étal  de  Dieu  à  l'égard 
de  ces  âmes  justes.  Elles  considèrent,  d'une 
part,  mille  marques  qu'elles  ont  reçues  de 
sa  miséricorde  :  d'avoir  été-  renfermées  dans 
son  élection  gratuite,  d'être  nées  dans  son 
Eglise,  d'avoir  vécu  selon  la  foi  et  d'être 
mortes  dans  son  amour  ;  et  elles  regardent, 
d'un  autre  côté,  celles  qu'elles  attendent 
encore  comme  la  consommation  des  précé- 
dentes :  Quos  prœdestinavit,  hos  et  vocavit  ; 
quos  autem  justifteavit,  hos  et  glorificavit  :  il 
a  tout  fait  jusqu'à  la  glorification. 

Entre  ces  deux  miséricordes,  Dieu  leur 
fait  sentir  sa  justice  pour  les  punir  des  fau- 
tes qu'elles  ont  commises  dans  l'usage  des 
premières,  et  les  purifier  des  souillures  qui 
les  rendent  indignes  des  secondes. 

Vous  pouvez  bien  juger  qu'elles  ne  se 
plaignent  pas  de  celle  justice,  quelque  sé- 
vère qu'elle  puisse  être,  et  que  le  ressouve- 
nir du  passé  et  l'espérance  du  futur  adoucit 
extrêmement  toute  la  rigueur  et  toute  la 
dureté  qu'elles  ressentent.  Elles  aiment  celte 
justice  de  Dieu,  qui  châtie  ceux  qu'il  reçoit 
au  nombre  de  ses  enfants,  et  elles  reconnais- 
sent que  le  Seigneur,  qui  a  été  bon  à  leur 
égard,  n'est  juste  que  pour  devenir  pleine- 
ment miséricordieux. 

Telle  est  donc  la  paix  et  la  tranquillité  de 
ces  âmes  dans  leurs  souffrances.  Elles  disent 
sans  cesse  du  fond  de  leur  cœur  ces  paroles 
du  Prophète  :  J'ai  reconnu,  Seigneur,  que  vos 
jugements  sont  remplis  d'équité;  car  elles  ai- 
ment sincèrement  des  peines  qui  les  condui- 
sent à  la  possession  d'un  bonheur  éternel. 

Appliquons-nous  ces  vérités  ,  mes  très- 
chers  frères.  Il  faut  que  la  situation  de  ces 
âmes  dans  leurs  souffrances  nous  apprenne 
à  nous  réformer  dans  la  nôtre,,  et  que  leur 
tranquillité  au  milieu  des  tourments  qu'elles 
endurent  confonde  cette  impatience  que 
nous  faisons  paraître  dans  les  peines  légères 
que  nous  ne  saurions  éviter.  Je  n'ai  que  quel- 
ques réflexions  à  faire  avec  vous  sur  ce  sujet, 
Cl  je  passe  d'abord  à  ma  troisième  partie. 

La  première,  c'est  que  les  peines  sont  iné- 
vitables dans  cette  vie  :  nulle  condition, 
quelle  qu'elle  puisse  être,  n'en  est  exempte; 
c'est  l'ordre  de  Dieu.  La  seconde,  c'est  que 
toutes  les  souffrances,  soit  celles  de  la  vie 
présente,  soit  celles  de  la  vie  future,  sont  des 
suites  de  noire  péché  :  nous  souffrirons  dans 
le  temps  et  dans  l'éternité,  si  nous  demeurons 
dans  la  servitude  et  sous  la  tyrannie  du  pé- 


ché; nous  ne  souffrirons  que  dans  le  temps, 
si,  délivrés  de  cetle  servitude,  nous  souffrons 
pour  expier  le  péché.  La  troisième,  c'est  que 
ce  qu'on  souffre  dans  celte  vie  n'est  pas  com- 
parable à  ce  qu'on  souffre  dans  l'autre  pour 
expier  le  péché  :  les  peines  présentes  ne  sont 
que  des  peines  en  peinture,  comparées  à 
celles  du  purgatoire.  La  quatrième  ,  c'est 
qu'en  souffrant  avec  patience  et  avec  amour 
les  peines  de  la  vie  présente,  nous  pouvons 
nous  épargner  toutes  les  souffrances  de  la 
vie  future  ;  car  la  vue  de  Dieu  et  son  amour, 
qui  nous  fait  choisir  le  parti  de  souffrir  pour 
lui  en  celle  vie,  où  nous  pouvons  rejeter  les 
souffrances,  en  quelque  façon  ,  attache  un 
certain  mérite  à  ce  choix,  qui  relève  beau- 
coup ce  que  nous  souffrons  au-dessus  de  co 
que  souffrent  les  âmes  du  purgatoire,  qui 
n'ont  plus  le  mérite  de  ce  choix  dans  leurs 
souffrances. 

Il  est  aisé,  mes  frères,  si  nous  sommes  sen- 
sibles à  nos  véritables  intérêts,  de  tirer 
de  ces  vérités  une  conséquence  nalu- 
relle  :  c'est  qu'il  faut  recevoir  avec  patience 
et  avec  amour  les  souffrances  et  les  peines 
que  Dieu  nous  envoie  dans  cette  vie. 

Mais  auparavant  il  faut  s'appliquer  à  res- 
susciter en  nous  l'amour  de  Dieu;  il  faut 
mettre  ordre  au  fond  de  notre  cœur,  pour  en 
ôter  ce  qui  déplaît  à  Dieu  et  ce  qui  nous  rend 
indignes  de  son  amour,  et  ensuite  il  faut  re- 
garder les  souffrances  comme  des  moyens 
que  sa  miséricorde  nous  fournit  pour  satis- 
faire à  sa  justice  et  pour  éviter  les  châti- 
ments de  l'autre  vie.  Par  là,  mes  frères,  nous 
souffrirons  avec  mérite  et  avec  fruit,  et  nous 
nous  mettrons  en  état  de  secourir  les  âmes 
qui  sont  dans  l'impuissance  de  se  soulager 
elles-mêmes. 

TROISIÈME  PAUTIli. 

C'est  une  vérité  connue  de  tous  les  fidèles, 
que  les  âmes  justes  dont  nous  parlons  sont 
dans  l'impuissance  de  se  soulager  dans  leurs 
peines. 

L'auteur  de  l'Ecclésiastique  nous  exhorte 
à  faire  des  œuvres  de  justice  avant  notre 
mort,  parce  qu'on  ne  trouve  point  de  quoi 
se  nourrir  lorsqu'on  est  dans  le  tombeau.  Le 
Sauveur  du  monde  nous  dit  qu'i'/  viendra  une 
nuit  dans  laquelle  personne  ne  pourra  agir 
(Jorm.,  IX,  4). 

Saint  Paul  nous  exhorte  à  faire  du  bien 
pendant  que  nous  en  avons  le  temps,  et  il  li- 
mite ce  temps  à  celui  de  la  vie  présente,  car 
il  nous  dit  que  nous  comparaîtrons  devant  le 
tribunal  de  Dieu  pour  recevoir  ce  qui  est  dû 
aux  bonnes  ou  aux  mauvaises  actions  que 
nous  aurons  faites  pendant  que  nous  étions 
revêtus  de  notre  corps  :  nous  ne  serons  donc 
plus  en  état  d'en  faire  lorsque  nous  serons 
dépouillés  de  ce  corps. 

Les  saints  Pères  se  sont  servis  de  cette  au- 
torité pour  prouver  l'impuissance  où  ces 
âmes  se  trouvent  de  se  soulager  elles-mêmes 
après  la  mort.  Ainsi,  disait  saint  Augustin, 
que  personne  ne  se  flatta  d'obtenir  après  la 
mort  ce  qu'il  n'a  pas  mérité  pendant  la  vie. 


H7 


(»i:.\;    i  \CRES.  DOM  JEROME. 


148 


C'est  l'ordre  que  D'eu  ;i  établi  poor  mettre 

l'homme  en  état  de  rcl<  un  et"  à  lui  et  d'nc- 
quérir  la  gloire  ,  de  laquelle  il  s'était  exclu 
par  le  péché.  Il  a  donné,  le  temps  •  t  îe, 

pour  mériter  la  récompense  el  la  félicité  dont 
il  promet  la  possession  dans  l'aulre.  Jésus- 
,  Christ  s'est  chargé  de  satisfaire  à  Dieu  son 
Père,  et  de  rouvrir  à  l'homme  le  ciel  qu'il 
s'était  fermé  par  <on  péché,  mais  c'est  à  con- 
dition qu'il  se  rendrait  digne  d'y  entrer  par 
les  bonnes  œuvres  qu'il  se  mettrait  en  état 
de  (aire  durant  le  cours  de  celte  \ie  mor- 
telle, qu'il  lui  a  dénuée  précisément  : 
être  employée  à  celte  importante  acquisition. 
Lors  donc  qu'elle  est  finie,  le  temps  de  mé- 
riter est  fini  avec  elle,  et  l'homm.-  demeure 
dans  l'éternilé,  tel  qu'il  est  trouvé  à  la  fin  de 
celle  carrière,  il  est,  ou  couronné  de  gloire, 
s'il  est  mort  entièrement  pur;  ou  livré  à  la 
peine  élcrnelle,  s'il  est  mort  sans  la  charilé  ; 
ou  il  subit  le  feu  du  purgatoire,  s'il  est  en- 
core redevable  à  la  justice  par  le  défaut  de 
la  pénitence.  Saint  Auguslin  nous  explique, 
ceci  admirablement,  lorsqu'il  donne  le  sens 
de  ces  paroles  de  l'Ecriture  :  Faire  l  :  justice 
au  milieu  de  la  terre.  Qu'est-ce  que  veut  dire 
faire  la  juslicc  au  milieu  de  la  terre?  Est-ce 
que  ceux  qui  habitent  les  extrémités  de  la 
terre  ne  doivent  point  faire  la  justice. 
3'cslimc,  dit-il,  que  par  le  milieu  de  la  terre 
l'Ecrilure  veut  dire  tanl  que  nous  vivons 
dans  ce  corps,  afin  que  personne  ne  s'ima- 
gine qu'après  celle  vie  il  y  a  encore  du  temps 
pour  faire  la  justice  qu'on  n'a  pas  faite  ici- 
bas  et  pour  éviter  le  jugement  de  Dieu  ;  car, 
en  celle  vie,  chacun  porte  sa  terre  avec  soi, 
et  la  terre  commune  reçoit  celle  lerre  parti- 
culière à  la  mort  de  chaque  homme  pour  la 
lui  rendre  au  jour  de  la  résurreelion.  11  faut 
donc  pratiquer  la  vertu,  et  la  justice  au  milieu 
de  la  terre,  c'est-à-dire  tandis  que  noire  âme 
est  enfermée  dans  ce  corps  de  terre,  afin  que 
cela  nous  serve  pour  l'avenir.  Par  là  saint 
Auguslin  nous  fait  comprendre  comment  les 
âmes  dont  nous  parlons  sont  hors  d'étal  de 
se  soulager  elles-mêmes. 

Nous  devons  donc  nous  intéresser  pour  le 
soulagement  de  ces  âmes  ,  puisqu'elles  ne 
sont  plu9  en  état  de  s'acquitter  de  ce  qu'el- 
les doivent  à  la  justice  de  Dieu.  Car  il  ne 
faut  pas  croire  que  parce  qu'elles  souffrent 
avec  tranquillité  ,  elles  ne  souhaitent  pas 
d'êlrc  soulagées.  Il  est  vrai  que,  comme  elles 
aiment  le  Dieu  juste  qui  les  punit  ,  elles  ai- 
ment à  souffrir  parce  qu'il  l'ordonne;  mais 
elles  n'aiment  pas  ce  qu'elles  souffrent,  au- 
trement ce  ne  serait  plus  une  peine  pour 
elles.  La  cause  cl  l'effet  de  ces  souffrances  , 
qu'elles  ne  peuventaimer,  leur  en  fait  désirer 
la  fin.  Elles  souhaitent  de  jouir  de  Dieu  et 
de  ne  plus  voir  en  elles  ce  qui  lui  déplaît;  et 
comme  elles  savent  que  ,  dans  l'ordre  que 
Dieu  lient  sur  elles  ,  il  n'y  a  plus  que  le  se- 
cours qu'elles  peuvent  recevoir  de  nous  qui 
soit  capable  d'effacer  ces  traces  du  péché  qui 
soni  cause  de  leurs  souffrances  ,  et  de  faire 
finir  celte  privai  on  de  la  vue  de  Dieu  qui 
en  est  l'effet  ,  elles  s'adressent  à  nous  pour 
recevoir  cette  assistance,  et  elles  nous  la  de-' 


mandent  par  ces  paroles  que  l'Ecriture  sainte 
leur  prête  :  M iteremi ni mei,  etc. 
Il  faudrait  être  bien  dur,  mes  (rès-cheri 

frères,  ;  our  ne   pas  contribuer  >'ila- 

1 1  n us  l'obligation  où  nous  so  unes  d'éire 
sensibles  à  leurs  peines  ,  et  dans  la  f  i 
que  Dieu  nous  donne  de  les  faire  i  e-ser.  Con- 
sidérons donc  ce  que  nous  sommes  à  ces 
."mes  justes  ,  el  ce  rue  nous  pouvons  pour 
elles,  afin  de  nous  confondre  si  nous  avons 
été  négligents  à  les  secourir  dans  l'impuis- 
sance où  elles  sont  de  se  soulager  elles-mê- 
mes. Qnelles  que  soient  ces  âme-,  n 
somme  unis  à  elles,  ou  par  la  nature,  ou  par 
la  grâce,  ou  même  par  toutes  les  deux.  H  nous 
ne  sommes  point  dans  leur  alli.incc  selon  la 
nature,  nous  y  sommes  se'on  la  grâce.  Elles 
sonl  nos  proches  par  la  charité  et  dans  Jé- 
sus-Christ ,  si  elles  ne  le  sont  |  as  par  le 
sang.  Ainsi  il  faut  prier  pour  toutes  en  gé- 
néral avec  l'Eglise,  afin  que  celles  qui  sont 
sans  parents  et  sans  amis  selon  la  chair  trou- 
vent du  secours  dans  la  charité  de  celle  qui 
est  la  mère  commune  de  tous  les  fidèles  se- 
lon l'esprit.  Ce  n'est  pas  qu'il  ne  faille  avoir 
des  égards  particuliers  pour  celles  qui  nous 
sonl  unies  selon  la  nature;  car  outre  l'obli- 
gation commune  de  la  charité  ,  nous  y  som- 
mes engagés  par  justice;  et  comme  ce  serait 
une  inhumanité  insupportable  dans  un  en- 
fant de  refuser  à  son  père  ce  qui  lui  ser  it 
nécessaire  pour  l'entretien  de  sa  vie,  ce  se- 
rait quelque  chose  de  bien  plus  étrange  s'il 
lui  refusait  après  sa  mort  ce  qu'il  lui  de- 
mande p°ur  le  repos  de  son  âme  et  pour 
sa  félicité  étcmell  •. 

Cependant  il  n'y  a  rien  de  plus  ordinaire 
que  ces  marques  d'inliumanilé.  On  regarde 
avec  indignation  la  cruauté  des  frères  de  Jo- 
seph, qui,  après  l'avoir  précipité  dans  une 
citerne,  demeurèrent  sur  le  bord,  et  prirent 
froidement  leur  rep.is  ,  et  on  n'en  a  point 
pour  un  mari,  pour  un  père,  pour  un  enfant, 
qui,  après  avoir  contribué  aux  péchés  d'une 
femme,  d'un  enfant,  «l'un  père,  dont  les  res- 
tes les  retiennent  dans  les  peines  du  purga- 
toire, mangent  tranquillement  la  succession 
du  défunt  sans  être  louches  de  leurs  souf- 
frances et  sans  se  mettre  en  peine  de  les 
soulager  par  les  moyens  que  Dieu  leni 
donne. 

Mes  frères,  croyez-moi,  songeons  à  nous- 
mêmes  ,  aimons  Dieu  ,  faisons  pénitence  , 
apaisons  sa  justice  par  les  aumônes  ,  par  les 
bonne-  œuvres;  ne  nous  attendons  point  à 
la  piété  d'autrui,  on  nous  oubliera,  lïendçz- 
vous  amis  du  Lazare  ,  dit  saint  Auguslin  , 
afin  qu'il  prie  pour  vous,  si  vos  propres  frè- 
res vous  oublient.  C'est  le  rcgreldu  mauvais 
riche,  dit  ce  saint  docleur,  d'avoir  oéglig< 
mettre  dans  ses  intérêts  ce  pauvre  qui  lui 
demandait  si  peu  de  chose.  Profitez  de  son 
malheur,  et  faites  par  vous-mêmes  ce  que 
vous  n'êtes  pas  assurés  de  recevoir  d'au- 
trui. 

Mais  si  nous  voulons  qu'on  ne  nous  oublie 
pas  dans  notre  besoin,  si  nous  en  sentons  la 
nécessité,  et  si  nous  desirons  d'avoir  part  à 
la  charité   comtnuuc  ,  conlribuons  aussi  à 


H 


«49 


SERMON  POUR  LE  PREMIER  DIMANCHE  DE  L'AVENT. 


150 


In  faire  à  ceux  qui  l'attendent  de  nous  ,  et 
servons-nous  des  moyens  que  Dieu  nous 
donne  pour  les  soulager;  car,  selon  la  tra- 
dition que  nos  pères  nous  ont  laissée,  dit 
saint  Augustin  ,  et  que  l'Eglise  universelle 
observe  aujourd'hui,  lorsque  quelqu'un  est 
mort  dans  la  communion  du  corps  et  du  sang 
de  Jésus-Christ,  on  prie  pour  lui  clans  cet 
endroit  du  sacrifice  où  on  recommande  les 
morts,  et  on  fait  mention  que  c'est  pour  eux 
qu'on  offre  ce  sacrifice. 

Mais,  grâce  au  Seigneur  et  aux  divins  ef- 
fets de  ce  précieux  et  .inestimable  amour  de 
la  foi  catholique  qu'il  a  mis  dans  le  cœur  de 
notre  incomparable  monarque  ,  nos  frères 
errants  ont  presque  tous  ouvert  les  yeux,  et 
nous  ne  nous  servirons  plus  de  ces  autorités 
des  saints  Pères  que  pour  les  confirmer  dans 
la  vérité  qu'ils  ont  reçue. 

La  puissance  de  soulager  ces  âmes  réside 
donc  dans  chaque  chrétien,  et  elle  est  fondée 
sur  l'union  qui  subsiste  entre  nous  et  l'E- 
glise; car  comme  la  mort  n'empêche  pas 
qu'elles  ne  demeurent  toujours  membres  de 
l'Eglise,  et  que  nous  ne  soyons  tous  ensem- 
ble les  parties  d'un  même  corps ,  sous  un 
même  chef,  qui  est  Jésus-Christ ,  il  est  aisé 
de  comprendre  que  nous  pouvons  prier  pour 
elles,  puisque  c'est  le  propre  des  membres 
d'être  dans  cette  communion. 

Servons-nous  des  moyens  que  Dieu  nous 
donne  peur  les  soulager;  offrons  pour  elles 
le  sacrifice  adorable  du  Médiateur;  éteignons 
le  feu  qui  les  brûle  par  la  multitude  de  nos 
aumônes  ;  délivrons-les  par  nos  bonnes  œu- 
vres des  peines  qu'elles  endurent  :  ouvrons- 
leur  le  chemin  du  ciel  par  tous  les  ofiiees  de 
piélé  dont  Dieu  nous  rendra  capables  par  sa 
sainte  grâce. 

Mais  n'oublions  pas  que  nous  ne  pouvons 
leur  être  utiles  si  nous  ne  :  ouïmes  dans  une 
union  avec  elles,  qui  ne  subsiste  que  dans 
Jésus-Christ,  et  qui  est  fondée  sur  la  vie 
divine  qu'il  nous  communique  par  la  cha- 
rité. 

Adressons-nous  donc  à  Jésus-Christ  pour 
lui  demander  son  amour,  afin  que  les  œuvres 
de  piélé  que  nous  offrirons  pour  ces  âmes 
justes  soient  reçues  favorablement  :  ainsi  la 
pensée  de  prier  pour  les  morts  sera  utile 
pour  eux  et  pour  nous.  Nous  sortirons  de 
nos  péchés  ,  et  nous  les  délivrerons  de  leurs 
peines  ;  nous  leur  ouvrirons  le  ciel,  et  nous 
suivrons  le  chemin  de  la  gloire  pour  en  jouir 
éternellement  avec  elles.  Ainsi  soil-il. 

SERMON 

POUR  LE  PREMIER  DIMANCHE  DE    LAVENT. 

Sur  le  jugement  et  la  vigilance  chrétienne. 

l->ii»i  signa  in  sole,  et  luna,  et  sicllis,  et  in  terris  pres- 
sura ^T.niitiin. 

Il  n  aura  des  signet  dam  le  coleil,  dam  la  lune  ci  dans 
1rs  ('unies,  et  sur  lu  terre  les  nations  seront  dans  la  cons- 
ternation (Luc,  XXI,  23j. 

Ce  fut,  mes  frères,  drux  ou  (rois  jours 
après  l'en  r  e  triomphante  du  Sauveur  du 
monde  tfan  Jérusalem  que,  sortant  du  temple 
pour  s'en  retourner  en  Bel  liante;  ses  disciples, 

qui  s'entretenaient  en  chemin  de   la  gran- 


deur et  de  la  beauté  de  cet  édifice  et  des  dons 
magnifiques  dont  il  était  enrichi  ,  s'appro- 
chèrent de  lui  pour  lui  faire  remarquer  ce 
qu'ils  admiraient.  Maître  ,  regardez  quelles 
pierres  et  quel  édifice,  lui  dit  un  d'entre  eux; 
mais  il  leur  répondit  qu'il  viendrait  un  temps 
auquel  tout  ce  grand  édifie?  qu'ils  voyaient 
serait  détruit ,  et  qu'il  n'y  demeurerait  pas 
pierre  sur  pierre. 

Quand  ils  furent  arrivés  à  la  montagne  des 
Oliviers  ,  quatre  de  ses  apôtres  le  prièrent 
de  leur  dire  quand  arriverait  la  destruction 
du  temple  qu'il  venait  de  prédire.  Cet  événe- 
ment sera  précédé,  leur  répondit-il,  par  des 
signes  extraordinaires  et  épouvantables  , 
par  l'obscurité  du  soleil  et  de  la  lune  ,  par 
la  chute  des  étoiles,  par  1  ébranlement  de  la 
terre  et  des  cieux  ,  par  l'agitation  effroyable 
des  flots  de  la  mer  ,  par  la  consternai  ion  gé- 
nérale des  hommes, qui  sécheronlde  frayeur, 
dans  l'attente  des  maux  dont  le  monde  sera 
menacé. 

Je  ne  viens  point  ici ,  mes  frères,  pour  je- 
ter le  trouble  cl  la  frayeur  dans  les  esprits 
par  la  description  de  ces  choses  terribles. 
Cette  manière  do  irailer  le  sujet  du  jugement 
dernier  peut  bien  exciter  d  ms  l'âme  des 
mouvements  de  crainte  ,  mais  ces  mouve- 
ments finissent  d'ordinaire  avec  la  descrip- 
tion qui  les  a  excités  ,  et  on  ne  doil  pas  eu 
attendre  beaucoup  de  fruit. Attachons-nous 
plutôt  à  examiner  les  impressions  que  t'ait 
en  nous  l'idée  du  jugement  ;  s,ervons-nous-eii 
pour  apprendre  à  en  prévenir  les  fâcheuses 
suites  ,  et  à  nous  mettre  dans  un  étal  où  , 
sans  perdre  de  vue  la  miséricorde  de  Dieu  , 
nous  n'ayons  plus  que  la  crainte  salutaire 
que  doit  toujours  conserver  un  chrétien  en 
qui  Dieu  a  mis  son  amour. 

1°  L'incertitude  du  temps  où  le  jugement 
doit  arriver  est,  ce  me  semble,  la  première 
chose  qui  nous  frappe.  Nous  voudrions  bien 
savoir  quand  ce  jour  terrible  arrivera  :  ce 
fut  là  la  même  inquiétude  des  apôtres  qui  di* 
saient  au  Sauveur  du  monde  :  Dites-nou* 
quand  ces  choses  arriveront  ,  et  quel  signe  il 
y  aura  de  votre  avènement.  2"  L'abord  du 
juge  nous  fait  peur,  et  l'idée  qu'on  nous  en 
donne  nous  épouvante.//  viendra,  dit  l'Evan- 
gile, sur  une  nuée  avec  une  grande  puissance 
et  une  grande  majesté. 

Ces  craintes  sont  ,  mes  frères  ,  des  effets 
de  notre  disposition;  nous  craignons  que 
ce  jour  ne  vienne  tout  d'un  coup  nous  sur- 
prendre sans  nous  y  être  préparés  :  le  conir 
parle  par  ces  alarmes.  Nous  appréhendons 
l'abord  du  juge,  parce  que  nous  sentons  bien 
que  nous  sommes  coupables,  et  que  nous  se- 
rons condamnés  à  so  i  tribunal.  Ménageons- 
1  ;s,  mes  frères,  ces  alarmes,  pour  en  tirer  le 
fruit  d'une  heureuse  sécurité.  Nous  ci 'gnons 
que  ce  jour  ne  vienne  nous  surprendre  tout 
d'un  coup  :  vivons  aujourd'hui  comme  si  nous 
devions  mourir  demain.  Nous  craignons  l'a- 
bord du  juge,  ôlonslui  les  sujets  sur  lesquels 
il  peut  nous  couda  oncr. 

En  deux  mots,  contre  la  surprise  du  temps 
ayons  de  la    vigilance  :  première   partie  ; 


1 .1 


Oll.VII-.l.'liS  SACRES.  DOM  JI.UOUL 


152 


désarmons  par  la  pénitence  la  sévérité  de 
noire  jnge  :  seconde  partie. 

Le  jour  est  incertain  ,  le  juge  sera  inexo- 
rable, voilà  ce  que  nous  avons  à  craindre; 
voilier  sans  cesse,  voilà  le  seul  moyen  de 
prévenir  les  maux  dont  ces  terribles  vérités 
nous  menacent  :  une  vie  d'attention,  une  vie 
de  retranchement  et  de  privation  ,  c'est  celle 
qu'un  chrétien  doit  mener  pour  attendre 
avec  confiance  le  jour  du  Seigneur;  nous 
allons  en  marquer  les  règles.  Implorons  l'as- 
sistance du  Saint-Esprit.  Ave,  Marin. 

l'IUCMII  UT.    PABTfl  . 

Le  principal  motif  de  l'Eglise  en  nous  pro- 
posant cet  évangile  est  de  nous  porter  à  la 
vigilance,  et  en  cela  elle  entre  dans  l'esprit 
de  Jésus-Christ,  qui  ne  nous  a  rien  recom- 
mandé avec  plus  de  soin  que  celle  pratique 
si  essentielle  à  la  vie  chrétienne,  cl  si  impor- 
tante pour  le  salut. 

Le  Sauveur  du  monde  n'a  jamais  parlé  du 
jugement  ni  de  la  mort  qu'il  n'ait  conclu  par 
celle  instruction  :  Veillez,  parce  que  vous  ne 
savez  ni  le  jour  ,  ni  l'heure.  Ce  qui  est  arrivé 
au  temps  de  Noi  vous  arrivera,  dil-il  ailleurs, 
les  hommes  mangeaient  et  buvaient ,  les  hom- 
mes épousaient  (les  femmes  et  les  fcnnivs  des 
maris,  jusqu'au  jour  que  Noé entra  dans  l'ar- 
che ,  et  alors  le  déluge  survenant  les  fit  tous 
périr. 

La  même  chose  vous  arrivera,  mes  frères. 
Vous  n'èles  occupés  que  de  ce  qui  peut  vous 
faire  passer  la  vie  agréablement  et  dans  l'a- 
bondance ;  vous  n'avez  en  vue  que  de  faire 
voire  fortune,  que  d'établir  vos  maisons. 
Prenez-y  garde,  vous  serez  surpris!  Combien 
d'hommes  le  sont  I  Combien  en  avez-vous 
connu  qui  l'ont  été  !  La  colère  de  Dieu  fondra 
sur  vous  comme  une  pluie  subite,  elle  vous 
entraînera  comme  un  déluge,  et  vous  englou- 
tira comme  un  abîme.  Représentez-vous  ce 
que  c'est  que  d'être  éveillé  an  milieu  de  la 
nuit  par  un  bruit  confus  de  voix  terribles 
qui  crient  au  feu,  et  de  se  trouver  environné 
de  flammes  en  s'éveillant,  de  ne  voir  autour 
de  soi  rien  que  d'effroyable,  de  ne  savoir  quel 
parti  prendre,  el  de  n'en  avoir  plus  d'autre 
que  le  désespoir.  Or,  mes  frères,  l'arrivée  du 
Seigneur  el  ce  moment  affreux  de  la  mort  se- 
ront mille  fois  plus  terribles  que  tout  ce  que 
je  viens  de  vous  dire,  il  a  donc  raison  de 
nous  prêcher  :  Veillez,  veillez  tans  cesse. 

Venons  au  fond,  et  pénétrons-nous  bien 
des  raisons  qui  rendent  celle  vigilance  si  né- 
cessaire dans  l'ordre  du  salut,  que  nous  ne 
saurions  le  faire  en  la  négligeant. 

Pour  vous  en  convaincre,  ne  sortons  point 
de  l'idée  que  nous  fournil  la  conduite  de  Dieu 
sur  son  peuple.  L'ordre  qu'il  a  tenu  sur  lui, 
dit  saint  Augustin  ,  est  une  figure  de  celui 
qu'il  veut  tenir  sur  nous  pour  nous  conduire 
à  l'effet  des  promesses,  c'est-à-dire  au  salut 
dont  la  terre  promise  élail  une  excellente 
image.  11  tire  donc,  ce  Dieu  puissant.  I  lire 
son  peuple  de  l'Egypte;  il  lui  ouvre  un  pas- 
sage libre  dans  la  mer.  tandis  qu'il  y  fait 
périr  Pharaon  et  louie  son  armée.  An  sortir 
de  là,  ce  peuple  cuire  dans   le  désert  qu'il 


faut  traverser  pour  arriver  .i  la  (erre  de 
Cbanaan.  Dans  cette  terre,  il  trouve  d< 
nemis  ;  il  faut  les  combattre.  El  combien  en 
entra-t-il  enfin  dans  celle  terre.'  Deux.  Oui, 
mes  frères,  de  six  cent  mille  combattants, 
deux  seuls,  Josué  cl  Caleb,  entrent  dans  la 
terre  promise.  Voilà  la  figure  ;  voici  la 
réalité  : 

Le  chrétien  sort  du  baptême  comme  d'une 
mer  où  ses  péchés  sont  ensevelis;  il  cuire 
dans  le  monde,  qu'il  doit  regarder  *  omn 
désert  au  travers  duquel  il  faut  qu'il  passe 
pour  arriver  à  sa  pairie,  à  celte  terre  pr  ■  - 
mise  par  Jésus-Christ  cl  acquise  i  ir  l  n 
sang.  Nous  ne  sommes  donc  sur  la  lerre 
qu'en  passant:  nous  allons  tous  à  l'éternité; 
nos  jours,  qui,  comme  des  flots,  se  succèdent 
el  se  poussent  les  uns  les  autre-,  nous  y  con- 
duisent insensiblement.  Que  nous  songions 
à  la  rendre  heureuse,  cette  éternité,  ou  que 
nous  n'y  songions  pas,  nous  avançons  tou- 
jours vers  ce  terme.  Je  passe,  vous  passez, 
mes  frères,  el  tous  les  hommes  p  is-enl  avec 
nous.  Nous  nous  écoulons,  pour  ainsi  dire, 
sur  la  terre  comme  des  eaux  qui  ne  revien- 
nent plus. 

.Mais  combien  d'ennemis  sur  ce  passage  ! 
Le  démon  nous  attaque,  le  monde  nous  sé- 
duit, noire  propre  faib'esse  nous  assoupit  el 
nous  endort.  Commencez-vous  à  entrevoir  la 
nécessité  de  cette  vigilance  dans  un  pass  ige 
également  court  et  incertain,  c'est  la  vie  dont 
je  parle.  Environné  d'ennemis,  et  d'ennemis 
plus  attentifs  à  ma  perte  que  je  ne  le  suis  à 
mon  salut,  ayant  tout  à  craindre  de  la  part 
du  démon,  du  monde  el  de  moi-même,  quelle 
ne  doit  donc  pas  être  ma  vigilance  et  mon 
allenlion  ! 

Or,  c'est  cette  attention  à  laquelle  l'Eglise 
nous  exhorte  en  réunissant  aujourd'hui  tou- 
tes les  lumières  de  l'Ecriture,  toutes  les  for- 
ces de  la  parole  de  Dieu,  tous  les  molifs  qui 
peuvent  agir  sur  un  esprit  raisonnable  et 
chrétien;  car,  dans  l'épîlre  qu'elle  nous  a 
proposée  à  la  messe  ,  elle  nous  avertit  que 
le  temps  presse  et  que  l'heure  est  venue  de  nous 
révt  iller  de  notre  assoupissement.  Nous  devons 
marcher,  el  nous  dormons;  la  nuit  de  cette 
vie  e.-t  peut-être  déjà  proche  de  sa  fin.  Peut- 
être  l'éternité  commencera  pour  nous  des 
demain,  pcul-êlrc  dès  aujourd'hui  ;  cepen- 
dant nous  nous  tenons  en  repos,  comme  si 
nous  n'avions  rien  à  faire,  ou  que  nous  eus- 
sions plus  de  temps  qu'il  ne  nous  en  faut 
pour  le  grand  ouvrage  de  noire  salut. 

Il  est  donc  temps,  mes  frères,  de  sortir  de 
notre  sommeil  :  prenons  des  armes  contre  le 
démon  ;  mais  prenons  des  armes  de  lumière 
contre  les  illusions  du  monde,  et  soyons  en 
garde  contre  nous-mêmes.  C'est  là  l'idée  gé- 
nérale de  celle  vigilance  si  nécessaire  que 
saint  Paul  nous  recommande  dans  l'épilre, 
et  que  Jcsus-Christ  nous  ordonne  dans  II- 
vangile.  Formons-nous-en  une  idée  précise 
et  par  rapport  à  l'étal  où  le  chrétien  se  trouve 
dans  celle  vie.  I.  qu'est-ce  que  veiller  en  ef- 
fet suivant  (elle  idée?  C'est  être  attentif  à 
l'affaire  de  soi  salut ,  cl  y  donner  au  moins 
autant   de  som  qu'on  en  donne  au\  intérêts 


SERMON  POIR  LE  PREMIER  DIMANCHE  DE  LAVENT. 


153 

de  sa  fortune  ;  et,  en  vérité,  mes  frères,  est- 
ce  trop  donner?  (Grand  Dieu,  nous  pardon- 
rez-vous  de  mettre  les  intérêts  du  ciel  en  paral- 
lèle avec  les  intérêt  de  la  terre  I  )  Est-ce  trop 
donner,  que  de  ne  donner  au  soin  de  son  sa- 
lut qu'autant  qu'on  en  donne  à  l'établisse- 
ment de  sa  fortune?  Or,  qu'est-ce  que  l'at- 
tention à  établir  celte  fortune  produit  natu- 
rellement dans  l'esprit  d'un  homme  qui  en 
est  occupé?  1"  un  soin  exact  à  éviter  tout  ce 
qui  peut  y  être  contraire  ;  2°  une  continuelle 
application  à  ménager  (oui  ce  qui  peut  y 
contribuer.  On  n'en  d;  mande  pis  davantage 
à  un  chrétien  dans  l'affaire  de  son  salut. 

Ainsi,  mes  frères,  soyez  attentifs,  en  pre- 
mier lieu,  à  éviter  tout  ce  qui  peut  vous  dé- 
tourner des  voies  du  salut.  Ayez  la  même  at- 
tention pour  embrasser  les  moyens  qui  vous 
y  peuvent  conduire  ,  que  vous  avez  pour 
avancer  vos  affaires  temporelles  ,  et  vous 
voilà  dans  celte  vigilance  si  recommandée 
par  le  Seigneur,  et  sans  laquelle  vous  ne  le 
ferez  jamais  ;  et  dès  lors  vous  suivrez  le  con- 
seil du  roi-prophète  :  Si  vous  souhaitez  de 
voir  des  jours  heureux,  détournez-vous  du 
mal  et  faites  le  bien. 

De  ces  paroles  du  Prophète  ,  j'apprends 
que  pour  entrer  dans  la  pratique  de  la  vigi- 
lance il  faut  que  le  cœur  y  soit  préparé  par 
le  désir  et  par  l'amour.  N'est-ce  pas  en  effet 
l'amour  de  la  fortune  qui  applique  l'ambi- 
tieux aux  soins  nécessaires  pour  l'avancer? 
N'est-ce  pas  l'amour  des  richesses  qui  appli- 
que l'avare  à  l'acquisition  de  ses  biens?  N'est- 
ce  pas  l'amour  du  plaisir  qui  applique  l'hom- 
me charnel  à  la  recherche  de  la  volupté? 

C'est  là  l'objet  de  leurs  désirs,  parce  que 
c'est  là  l'objet  de  leur  amour  ;  c'es!  là  l'objet 
de  leur  amour,  parce  qu'ils  espèrent  de  trou- 
ver dans  les  honneurs,  dans  les  richesses  et 
dans  la  volupté,  ces  jours  heureux  après  les- 
quels ils  soupirent,  et  leur  application  con- 
tinuelle à  prendre  les  moyens-' qui  peuvent 
les  leur  procurer  justifie  celle  parole  de  l'E- 
vangile :  Les  enfants  du  siècle  sont  plus  pru- 
dents dans  la  conduite  de  leurs  affaires  que  ne 
le  sont  les  enfants  de  lumière. 

Par  les  enfants  du  siècle,  au  reste,  il  en- 
tend ceux  qui  n'ont  de  prétention  que  pour 
le  siècle,  et  qui  ne  sont  occupés  que  des  cho- 
ses présentes.  Avec  quelle  assiduité  en  effet 
font-ils  la  cour  à  ceux  qui  peuvent  les  servir 
auprès  des  princes  !  Quelle  application  pour 
se  les  conserver  et  pour  leur  plaire  1  Quels 
travaux  ne  souffre-t-on  pas  dans  les  emplois 
du  monde  pour  établir  sa  fortune  1  Quelle 
persévérance  ne  faut-il  pas  avoir,  pour  at- 
tendre les  temps  favorables,  pour  saisir  l'oc- 
casion, pour  ne  se  pas  décourager  des  mau- 
vais succès,  pour  soutenir  tant  d'oppositions, 
pour  digérer  tant  de  rebuts  I  De  quelle  dissi- 
mulation ne  faut-il  pas  user  envers  ceux  qui 
nous  brusquent  et  qui  nous  maltraitent  I 
Mes  frères,  il  n'en  faudrait  pas  davantage  ; 
que  dis-jo?  il  en  faudrait  moins  pour  avan- 
cer beaucoup  l'affaire  de  notre  salut.  Mais  il 
faut  le  vouloir;  il  faut  aimer  ces  jours  (  om- 
bles de  biem  dont  on  ne  jouira  que  dans 
lelerniié.  Quand  cet  amour  est  formé  dans 


iU 


un  cœur,  il  évite  tout  ce  qui  peut  l'éloigner 
de  la  possession  de  ce  qu'il  aime  et  de  ce 
qu'il  désire,  et  il  embrasse  avec  ardeur  tout 
ce  qui  peut  l'en  approcher.  Sa  vigilance,  en 
un  mot,  égale  son  amour;  et  voici  les  ac- 
tions par  lesquelles  il  est  sûr  d'avoir  en  lui 
cet  amour  et  cette  vigilance. 

Attentif  à  tout,  il  n'oublie  pas  qu'il  passe 
dans  une  terre  dangereuse  où  on  lui  tend  des 
pièges  de  tous  côtés,  et  malgré  ces  pièges,  il 
ne  perd  jamais  de  vue  l'imporlante  affaire  de 
son  salut.  Il  est  entre  deux  jours  qui  le  con- 
duisent pendant  cotte  vie,  l'Evangile  et  la  vue 
de  l'éternité,  dit  saint  Cbrysoslomc.  11  écoule 
tous  les  discours  du  monde  sur  la  fortune, 
sur  les  biens,  sur  les  grandeurs  ;  il  écoute 
même  les  promesses  que  les  grands  peuvent 
lui  faire,  avec  cette  disposition  que  le  Sage 
lui  conseille.  En  l'écoutant,  dit-il,  prenez  ses 
paroles  pour  un  songe,  et  vous  veillerez.  C'est 
ce  que  fait  cet  homme  attentif  :  il  considère 
la  puissance  des  hommes  comme  une  ombre 
qui  passe,  cl  il  écoute  leurs  paroles  comme 
un  songe,  c'esl-à-iHre  que  tout  ce  qu'on  lui 
promet  et  que  tout  ce  qu'il  pourra  obtenir  se 
dissipera  bientôt  comme  un  songe,  dont  on 
perd  souvent  jusqu'au  souvenir.  Il  examine 
tout;  il  n'enlre  pas  dans  tous  les  partis  qu'on 
lui  offre  ;  il  ne  donne  pas  dans  toutes  les  pro- 
positions qu'on  lui  fait  :  gloire,  fortune,  em- 
plois, richesses,  établissements,  tout  est  exa- 
miné par  rapport  à  sa  fin,  c'est-à-dire  à  son 
éternité.  Il  a  toujours  présente  à  l'esprit  cette 
parole  du  Sauveur  du  monde  à  ces  insensés 
qui  sont  pleins  de  desseins  pour  celte  vie 
jusqu'à  la  mort,  et  qui,  ne  voulant  rien  faire 
quand  ils  peuvent  tout,  voudront  tout  faire 
quand  ils  ne  pourront  plus  rien  :  Insensé  que 
tu  es,  on  va  te  demander  ton  âme  cette  nuit; 
et  pour  qui  sera-ce  que  tu  as  amassé? 

Avec  ces  vues -là  ,  j'entends  quand  on  a 
sans  cesse  l'Evangile  pour  règle  et  l'éternité 
pour  objet,  on  fait  à  la  vérité  moins  d'affai- 
res ,  mais  elles  sont  plus  sûres.  La  fortune 
est  médiocre  ,  mais  elle  est  moins  suspecte. 
On  a  sur  la  terre  un  établissement  plus  lé- 
ger, mais  on  a  une  espérance  plus  solide 
pour  le  ciel  ,  cl  après  tout,  que  servira  à  un 
homme  de  gagner  tout  le  monde  et  de  se  perdre 
soi-même?  Ainsi  cet  homme  vigilant  peut 
dire  au  Seigneur  comme  ce  sage  roi  :  Parce 
que  tous  vus  jugements  sont  présents  devant 
mes  yeux ,  j'ai  gardé  vos  voies,  et  je  ne  me  suis 
point  abandonné  à  l'impiété. 

Mais  comme  on  ne  se  contente  pas,  quand 
il  s'agit  d'établir  sa  fortune,  d'éviter  avec 
soin  tout  ce  qui  y  est  contraire  ,  mais  que 
l'on  embrasse  avec  avidité  tout  ce  qu'on  juge 
propre  à  y  contribuer,  il  ne  suffit  pas  d'évi- 
ter tout  ce  qui  peut  nous  détourner  des  voies 
du  salut ,  il  faut  encore  entrer  dans  tous  les 
moyens  qui  peuvent  nous  y  conduire  pour 
remplir  les  devoirs  de  la  vigilance  chrétienne. 
Aussi  l'apôtre  saint  Paul  nous  dit-il  dans  l'é- 
pître  de  la  messe,  où  nous  avons  pris  cette 
idée  de  la  vigilance,  qu'il  faut  nous  revêtir  de 
noire  Seigneur  Jésus-Christ ,  après  nous  avoir 
recommandé  de  ne  nous  point  laisser  aller  à 
la  débauche.  Ce  n'est  donc  pas  assez  de  ne 


. 


nnATKUIlS  SACRES.  I »' > M 


ISG 


point  taire  le  mal ,  il  faui  encore  faire  le 
bien,  car  la  gloire  (loi!  être  acquise  par  la 
j  ratigue  des  autres  dejustice.  V.  i-ie 

que  l'A  poire  entend  par  ces  œuvres  de  jus- 
tice '.'  que  nous  ordonne-1- il  quand  il  nous 
recommande  de  nous  revêtir  de  Jésus-Christ? 
Il  s'agit  maintenant  de  vous  l'apprendre  en 
deux  mois.  Se  revêtir  de  Jésus-Christ  < 
en  être  pénétré  :  car  on  ne  se  revêl  pas  de 
Jésus-Christ  comme  d'un  habit  qui  ne  cou- 
vre que  l'extérieur;  il  faut ,  dit  saint  Chrj  so  - 
tome  ,  que  nous  soyons  revêtus  de  Jésus- 
Christ ,  à  peu  près  comme  un  fer  rouge  e  t 
revêtu  du  feu,  rendu  à  la  fois  ardent  ('ans  b8 
substance  et  brillant  au  dehors  ;  on  peut  dire 
en  quelque  façon  qu'il  n'est  plus  du  fer,  c'est 
une  masse  de  feu.  C'est  ainsi  qu'aux  termes 
de  saint  Paul  on  se  revêt  de  Jésus-Christ, 
et  nous  en  scions  véritablement  revêtus,  si, 
brillants  par  les  lumières  de  la  foi  et  en- 
flammés par  l'ardeur  de  la  charité  ,  nous  ne 
nous  remplissons  que  de  son  esprit ,  si  nous 
nous  conduirons  en  tout  par  ses  maximes, 
si  nous  retraçons  fidèlement  sa  vie  dans  la 
noire. 

Pour  se  remplir  de  son  esprit ,  il  faut  re- 
noncer à  la  corruption  de  notre  esprit  et  de 
notre  cœur,  car  nob  inclinations  y  sont  op- 
posées; c'est  pourquoi  saint  Paul  dit  :  Que  le 
soin  de  voire  chair  ne  se  porte  point  à  satis- 
faire ses  désirs  déréglés.  Pour  suivre  ses 
maximes,  il  faut  rejeter  celles  du  monde,  se 
régler  sur  les  lumières  de  la  foi  et  de  l'Evan- 
gile, malgré  l'étrange  opposition  cuire  ces 
maximes  et  celles  du  monde.  Mais  qu'il  faut 
de  vigilance  pour  résister  aux  unes  et  pour 
suivre  les  autres!  Enfin,  pour  retracer  la 
vie  de  Jésus-Christ ,  il  faut  mener  une  vie 
toute  nouvelle  ,  opposée  à  cette  vie  molle  et 
voluptueuse,  paresseuse  et  lâche  de  la  plu- 
part des  chrétiens. 

El  par  là  vous  voyez  ,  1°  la  source  abon- 
dante de  loulcs  les  œuvres  de  justice  que 
nous  faisons  quand  nous  sommes  animés  de 
son  esprit  ;  2°  la  règle  des  œuvres  dejustice 
dans  les  maximes  de  Jésus-Christ  ;  ÎJ°  l'effet 
de  ces  œuvres  dans  le  retracemenl  de  sa  vie. 

Or,  mes  frères  ,  pour  vous  faire  sentir  vi- 
vement la  vérité  de  ce  que  j'avance  ici  ,  ap- 
pliquons ces  principes  à  ce  qui  se  passe  tous 
les  jours  sous  nos  yeux.  Ne  peut-on  pas  dire 
que  toute  l'application  d'un  homme  auprès 
d'un  grand,  de  qui  il  attend  l'établissement  de 
sa  fortune,  n'a  pour  mobile  que  ces  trois 
points  de  vue  :  ne  travaille— l-i!  pas  à  se  rem- 
plir de  son  esprit,  à  prévenir  ses  pensées  ,  à 
entrer  dans  tous  ses  désirs  et  à  ne  le  contre- 
dire sur  rien  ?  Ses  sentiments  ne  règlent-ils 
pas  sa  conduite?  Entreprend-il  quelque  chose 
qui  ne  soit  conforme  à  sa  volonté,  même  à 
ses  passions  ,  et  s'il  pouvait  le  "copier  exac- 
tement ne  s'estimerait-il  pas  heureux  ?  Ce 
qui  est  sûr,  c'est  qu'il  prend  bien  garde  que 
rien  ne  puisse  le  blesser  dans  son  extérieur, 
dans  ses  manières  cl  dans  ses  actions.  Hucllc 
vigilance  1  mes  frères.  Mais  (elle  est  celle  du 
chrétien  qui  ne  veut  pas  être  surpris  au  jour 
du  Seigneur.  Il  faut  qu'il  se  remplisse  bien 
de  cette  vérité,  qu'il  n'y  a  po      son  âme  au-  . 


(une  vie  que  par  Jésos-Chriet  à  qui  nous  do- 
re attachés;  car  Dieu  n'a  rien  pro- 
mis ni  rien  donné,  en    vertu  de  ses  proa 
.    que    par  Jésus-Christ.    Il   n'y  a    nu 

grâce,  nul  droit   a  l'héi  rnel  ,  nulle 

èrance  qu'en  Jésus-Chris!  ,  il  n«  roi)  en 
nous  que  JeSUS-ChrisI  ,  il    ne  reçoit  rien 
n   us  que  par  Jésus-Christ.  Il  faut  donc  q 
ce   soit  son  esprit  qui  anime  toutes  nos 
lions . 

Il  faut  être  dans  une  exacte  attention, -dam 
une  vigilance  continuelle  sur  nous,  |  our 
évite:- les  surprix-  ■  l'amour-prOpre  iSM 
tous  nos  mouvements ,  l<  les 

retours  sur  non   -mêmes,  les  respects  ba- 
in ins.  Car,  hélas!  que  de  vertus  ap 
par  les  hommes  seront  rejeté,  s  di  ur  ! 

que  d'actioi  ;ide 

comme  de  l'or,  qui  ne    paraîtront  plus  que 
comme  de  l'écume  aux  veux  doSeigneu    ! 

De  celte  première   attention  que  la   rigi- 
lance nous  inspire  ,  on  passe  aisément  a  ia 
seconde,  qui  consiste  à  ne  se  conduire  que 
par  les  maximes  de  Jésus-Christ  ;  car  qu 
on  est  rempli  de  son  esprit,  on  n'a  du  goût 
que  pour  ce  qui  vienl  de  Ini  ;  mais  comm 
monde  propose  aussi  des  maxime    qu'il 
\êl  d'une  apparence  de  vérité  ,  e  :  il- 

leurs s'accordent  tort  bien  avec  le  fo::d  d'a- 
mour pour  ce  monde  qui  règne  loujour- 
nous,  il  faut  une  attention  et  une  exacte  vi- 
gilance pour  démêler  la  fausseté  de  ces  maxi- 
mes, pour  nous  renfermer  dans  les  récries  de 
la  vérité,  pour  ne  pas  tomber  dans  cet  écueil 
si  ordinaire,  qui  <  onsislc  à  se  laisser  sur- 
prendre aux  apparences  ,  sans  examiner  le 
fond  des  choses,  et  à  prendre  le  faux  pour  le 
vrai.  C'esl  ce  qu'on  évite  lorsque,  par  une 
vigilance  sage,  éclairée,  continuelle,  on  n'é- 
tablit sa  conduite  que  sur  les  maximes  de 
Jésus-Christ. 

Or  c'est  en  se  conduisant  par  elles  qu'on 
retrace  la  vie  du  Sauveur  du  monde  dan- 
propre  conduite,  et  c'est  ce  que  j'appelle  le 
fruit  des  bonnes  œuvres.  A  celle  vie  In- 
quiète,  molle,  voluptueuse,  vaine,  inutile, 
succède  une  vie  tranquille,  uniforme,  sou- 
mise aux  ordres  de  Dieu,  sérieuse,  simple, 
mortifiée,  et  telle  enfin  qu'on  reconnaît  dans 
toutes  les  actions  du  chrétien  qui  la  mène, 
qu'il  est  véritablement  revélu  de  Jesus- 
Ci.rist. 

Ce  ne  sont  pas  là  des  idées  ou  des  dévo- 
tions arbitraires,  c'est  le  fond  de  la  religion. 
Il  ne  Faut  pas  s'imaginer  qu'on  suit  oblige  de 
sorlir  de  l'étal  réglé  OÙ  la  Providence  nous  | 
mis,  pour  entrer  dans  ces  pratiques.  Il  ne 
s'agit  point  de  changer  de  condition,  mais  de 
conduite,  pour  éviter  le  malheur  d'être  sur- 
pris par  le  jour  du  Seigneur;  car  il  n'y  a 
point  de  condition  à  laquelle  il  n'ail  donne 
des  lois  de  sanctification,  à  laquelle  il  n'ait 
fourni  des  exemples  excellents,  a  laquelle  il 
n'accorde  le  secours  de  sa  grâce,  pour  ac- 
complir sa  loi  et  pour  suivre  ses  exemples, 
et  à  laquelle  il  ne  promette  enfle  sa  gloire' 
pour  recompense  de  l'avoir  suivi. 

Tâchons  donc  maintenant  d'apprendre  à 
ceux  qui  n'out  pas  suivi  ces  règles,  et  qui 


157 


SERMON  POLIR  LE  PREMIER  DIMANCHE  DE  L'AVENT. 


158 


ont  irrité  le  juge  qui  paraîtra  dans  ce  der- 
nier jour  avec  un  appareil  si  terrible,  les 
moyens  d'éviter  sa  colère  et  de  se  le  rendre 
favorable.  C'est  le  sujet  du  second  point. 

SECONDE    PARTIE. 

II  ne  faut  que  recourir  aux  expressions  de 
l'Ecriture  sainte  pour  comprendre  combien 
sera  terrible  la  venue  de  notre  juge.  Qui 
pourra,  dit  un  prophète,  seulement  penser  au 
jour  de  son  avènement,  et  gui  en  pourra  sou- 
tenir la  vue?  Il  sera  comme  le  feu  qui  fond  les 
métaux. 

Il  s'avance  à  grands  pas  ce  jour  du  Sei- 
gneur, est-il  dit  ailleurs,  où  le,  plus  puis- 
sants seront  accablés  de  maux  ;  ce  sera  un  jour 
de  colère,  un  jour  d'affliction  et  de  misère,  un 
jour  où  les  villes  fortes  et  les  hautes  tours 
trembleront  au  retentissement  du  la  trompette. 
Je  frapperai  les  hommes  de  plaies,  dil  le  Sei- 
gueur  ;  leur  sang  sera  répandu  sur  la  terre, 
comme  la  poussière,  et  leurs  corps  vwrts  fou- 
lés aux  pieds  comme  du  fumier.  Tout  leur  or  et 
leur  argent  ne  pourra  les  délivrer  au  jour  de 
la  colère  du  Seigneur,  et  le  feu  dévorera  toute 
la  terre.  Alors  il  viendra  pour  juger,  et  tout 
sera  terrible  dans  l'appareil  qui  l'accompa- 
gnera. 

Avènement  au  resie  qui  ne  doit  pas  uni- 
quement s'entendre  du  jugement  dernier  et 
universel.  Ce  jour  dépeint  avec  des  couleurs 
si  terribles,  que  Sophonie  appelle  le  jour  du 
Seigneur,  ce  jour  qu'il  dit  être  si  proche,  se 
rapporte  aussi  au  jugement  particulier  qui 
sera  rendu  à  la  mort  de  chaque  homme.  En 
effet,  mes  frères,  les  yeux  de  ce  juge  redou- 
table lanceront  alors  une  lumière  qui  péné- 
trera le  fond  de  notre  âme,  et  qui  nous  en 
découvrira  toute  la  corruption.  Tout  nous 
est  à  présent  caché  :  passions,  fausses  maxi- 
mes qui  régnent  dans  le  monde,  illusions, 
exemples,  tout  semble  actuellement  nous  jus- 
tifier; mais  à  son  tribunal  tout  cela  sera  dis- 
sipé. 

Maintenant  tu  ne  le  vois  pas,  pécheur  ,  car 
celte  vie  est  un  temps  de  stupidité.  Toutes 
nos   connaissances  sont  sombres,  obscures, 
languissantes,  si  on  les  compare  à  ce  qu'el- 
les seront  au  moment  de  notre  mort.  Mais  à 
cette  mort  le  rideau   sera  levé   pour  nous 
faire  voir  les  choses  telles  qu'elles   sont  en 
elles-mêmes.  Alors  on  verra  toute  l'étendue 
des  devoirs  d'un  chrétien,  tout*  s  les  impor- 
tai les  obligations  d'un  grand,  tous  les  maux 
qu'on  a  faits,  tout  le  bien  qu'on  a  pu  faire, 
tous  les   moyens  de  sanctification  que  Dieu 
nous  a   offerts  en  vain  ;  cette   multitude  ef- 
froyable de  péchés   plus  grands,  plus  énor- 
mes, plus  scandaleux  Les  uns  que  les  autres,  | 
la  fausseté  de  celle  douleur  qu'on  prétend  en  ! 
avoir  conçue,  l'inutilité  de  cette  pénitence  f 
qu'on    croit  en  avoir   faite,  les   fondements  '} 
ruineux  de  cette  déplorable  tranquillité  dans  \> 
laquelle  nous  avons  vécu.  Maintenant  nous  J 
ne  voyons  rien,  nos  passions  répandent  un  \ 
nuage  sur  tous  ces  objets,  de  fausses  maxi- 
mes nous   rassurent,   les  préventions  nous  g  plus  de  péché  ;  car  prenez  garde  :  qu'est-ce 
aveuglent,  l'exemple  nous  séduit,  nous  som-  À  que  Dieu  hait  en  vous?  Est-ce  votre  per 
mes  entraînés  par  le  torrent;  cl,  comme  ce  -1  sonne?  nou.    Est-ce  votre  condiliou?   non 


malheureux  peuple  dont  il  est  parlé  dans  la 
Sagesse ,  nous  sommes  tous  liés  par  une 
même  chaîne  de  ténèbres  qui  ne  se  rompra 
qu'à  la  mort.  C'est  alors,  pécheur,  que  les 
lumières  qui  sortiront  des  yeux  de  ton  juge 
porteront  une  clarté  dans  ton  cœur  qui  t'en 
découvrira  le  terrible  désordre  et  l'effroyable 
difformité;  mais  songes-tu  que  peut-être 
dans  un  moment  une  main  souveraine  va  ti- 
rer le  rideau  qui  te  cache  cet  étrange  spec- 
tacle? Ah  1  Seigneur,  ouvrez-nous  les  yeux 
avant  que  la  lumière  qui  sortira  des  vôtres 
ne  nous  confonde  en  nous  pénétrant  1  Mes 
frères,  pourrions-nous  être  assez  attentifs 
aux  approches  de  ce  terrible  jour,  de  ce  jour, 
encore  une  fois,  où  nuire  juge  paraîtra  dans 
toute  sa  gloire  et  dans  toute  sa  majesté,  porté 
sur  les  nuées,  et  revêtu  de  toute  sa  puis- 
sance I  Alors  son  indignation  le  portera 
partout  où  peut  aller  le  ressentiment  d'un 
Dieu  méprisé.  Il  sortira,  dit  un  prophète, 
comme  un  guerrier  invincible;  il  excitera  sa 
colère  comme  un  homme  qui  marche  au  com- 
bat ;  il  haussera  sa  voix,  il  jettera  des  cris,  il 
se  rendra  le  maître  de  ses  ennemis.  Je  me  suis 
tu  jusquW  cette  heure,  je  suis  demeuré  dans  le 
silence;  mais  maintenant  je  me  ferai  entendre 
comme  uns  femme  gui  est  dans  les  douleurs  de 
l'enfantement;  je  détruirai  tout,  j'abîmerai 
tout. 

Mais  comprenez  bien,  mes  frères,  qu'un 
Dieu  qui  nous  avertit  si  souvent  et  de  tant  de 
manières  que  nous  serons  surpris,  est  bien 
éloigné  de  vouloir  nous  surprendre;  car  telle 
est  la  conduite  de  Dieu  à  notre  égard,  sa 
bonté  éclate  dans  les  plus  vives  représenta- 
lions  de  sa  colère.  SMus  la  description  qu'il 
nous  en  fait  est  affreuse,  plus  elle  nous 
prouve  son  amour,  puisqu'il  en  retient  les 
effets. 

Que  faul-il  donc  faire?  Car  enfin  nous 
sommes  pécheurs,  et  tout  pé<  heur  doit  être 
puni.  Ecoutez,  mes  frèrer.  ■■>  '  a  excellente  et 
celle  consolante  doctrine  ^  ■■  b«lut  Augustin. 
Il  y  a  deux  manières,  dit  cci.  ci  s.  sable  doc- 
teur, de  punir  le  péché,  ou  par  la  main  de 
Dieu,  ou  par  la  main  de  l'homme  même  ;  et 
ce  qui  prouve  celle  seconde  manière,  c'est  le 
soin  que  les  prophètes  ont  pris  de  nous  ex- 
citer à  retourner  à  lui  par  la  pénitence,  et 
l'idée  que  la  religion  nous  donne  de  cette  pé- 
nitence, comme  d'une  vertu  qui  lient  la  place 
de  la  justice  de  Dieu.  Que  faut-il  donc  faire 
si  nous  voulons  éviter  la  colère  de  notre 
juge,  de  ce  juge  irrité  à  la  vérité  contre  nos 
crimes  ,  mais  porté  naturellement  à  faire 
grâce  au  criminel?  allons  à  lui.  Mais  com- 
ment? avec  une  disposition  d'humiliation  et 
de  rcpcntancc,  avec  une  disposition  de  pri- 
vation et  de  retranchement,  avec  une  dispo- 
sition d'acceptation  cl  d'adhérence:  moyens 
uniques  de  fléchir  sa  juste  colère. 

Il  faut  donc  une  disposition  d'humiliation 
et  de  repenlanee.  Qui  a  conçu  le  péché?  c'est 
la  rébellion  et  la  révolte.  Soumettez  donc 
votre  volonté  à   celle  de  Dieu,  cl  il  n'y  aura 


159 


OHATIXÏIS  SACHES.   l'OM  JEKOMI. 


16(1 


encore;  l'une  et  l'anlre  est  de  lui,  mais  le 
péché  est  de  vous.  Séparez  ce  qui  est  de 
vous  d'avec  ce  qui  est  de  lui,  et  vous  lui  se- 
rez agréable. 

Mais  il  faut  que  cette  rébellion  soit  punie 
et  châtiée  dans  son  effet.  Vous  vous  êtes  mis 
par  le  péché  en  la  place  de  Dieu-même  ;  ren- 
dez-lui le  rang  qu'il  doit  tenir  dans  votre 
cœur.  Renoncez  à  votre  volonté  corrompue, 
entrez  dans  sa  volonté  par  la  pénitence.  Fai- 
tes donc  ce  que  ferait  sa  justice.  Quel  a  été 
l'effet  de  cette  rébellion?  l'usage  déréglé  de 
la  créature  contre  l'ordre  de  Dieu  :  renon- 
cez donc  à  tout  amour  déréglé.  Quel  doit  donc 
êlre  le  châtiment  que  vous  devez  subir? 
c'est  la  privation  des  choses  dont  l'usage  a 
été  déréglé.  Ce  moyen  est  facile  ;  car  qu'est- 
ce  que  Dieu  vous  demande?  le  sacrifice  d'une 
partie  des  choses  que  la  mort  va  vous  enle- 
ver dans  un  moment  :  prévenons  ce  sacrifice 
forcé  par  un  sacrifice  volontaire.  Vous  serez 
bientôt  dans  la  nécessilé  de  perdre,  malgré 
vous  et  sans  fruit,  ce  qui  peut  vous  former 
une  couronne  éternelle.  Le  feu  va  tout  con- 
sumer clans  un  instant  :  oui,  dans  un  instant 
tout  va  finir  pour  vous.  Imaginez-vous  que 
l'on  vient  vous  dire  :  Un  incendie  va  réduire 
en  cendre  tout  ce  que  vous  possédez  ;  vous  et 
vos  biens  allez  périr  en  même  temps;  il  n'y 
a  qu'un  moyen  de  vous  sauver,  c'est  d'en 
donner  une  partie.  Que  feriez-vous?  Entrez 
donc  dans  cette  disposition  de  privation,  et 
sentez-en  la  nécessité.  Mais  si  nous  n'avons 
pas  assez  de  courage,  au  moins  laissons  agir 
Dieu,  et  entrons  dans  une  disposition  d'ac- 
ceptation et  d'adhérence.  J'entends  par  ces 
ternies  qu'il  faut  mettre  à  profit  les  priva- 
tions que  nous  ne  saurions  éviter,  et  nous 
conformer  à  la  volonté  de  celui  qui  les  or- 
donne :  dernier  moyen  de  prévenir  le  cour- 
roux d'un  juge  irrité. 

Quand  le  malade  est  d'accord  avec  le  mé- 
decin, il  est  en  voie  de  guérison.  11  n'aurait 
pas  de  lui-même  la  force  de  se  couper  un 
bras,  le  médecin  lui  en  fait  sentir  la  néces- 
sité; eh  bien,  il  l'abandonne,  et  il  sauve  parla 
sa  vie.  Combien  de  privations  avez-vous  ren- 
dues inutiles, qui  vous  auraient  servi  si  vous 
les  aviez  ménagées  pour  votre  salut!  Com- 
bien  d'atteintes  à  vos  biens,  à  votre  honneur, 
à  votre  repos  I  Vous  ne  vous  seriez  jamais 
avisé  de  souffrir  ces  choses  pour  Dieu,  il  y 
aurait  eu  peut-être  de  l'indiscrétion  à  vous  le 
conseiller.  N'arrive-t-il  pas  tous  les  jours  la 
perte  d'un  mari,  d'un  fils  unique,  mille  au- 
tres accidents  qui  vous  humilient,  qui  vous 
ruinent,  qui  vous  déshonorent?  Naissez  la 
tête,  adore/  la  main  qui  vous  frappe.  Ces 
pertes  sont  nécessaires,  mais  elles  sont  des 
moyens  faciles,  des  moyens  uniques  d'apai- 
ser votre  juge.  Il  faut  souffrir  dans  ce  monde, 
quelque  horreur  que  nous  ayons  des  peines 
et  des  chagrins.  Le  temps  passe,  mon  cher 
frère,  les  deux  tiers  de  votre  vie  sont  passés, 
le  temps  qui  vous  reste  est  bien  court.  L'é- 
ternité est  effroyable  pour  ceux  qui  n'ont 
point  apaise  leur  juge.  Elle  commencera 
peut-être  demain  pour  vous,  cette  longue, 
celte  effrayante  éternité.  J'ai  beau  rejeter  la 


pensée  de  la  moi  t  et  du  jugement,  je  ne  pui> 
les  éviter,  je  tomberai  dans  les  mains  du 
Seigneur.  Séparons-nous  donc  de  ce  qui  nous 
a  éloignés  de  lui.  Recourons  à  lui  comme  à 
notre  père,  pour  n'y  pas  être  traînés  comme 
à  notre  juge.  Ayons  recourt  à  ta  miséricorde, 
à  sa  grâce,  à  ses  sacrements  pour  détarmi  r 
sa  justice.  Cherchons  en  un  mot  daoi 
mêmes  plaies  un  asile  contre  ses  foudn  i. 

Venez  donc  en  moi,  Seigneur  Jésus  !  Juge 
souverain!  Allumez-y  le  feu  que  rooi  élei 
venu  appoiter  sur  la  terre,  afin  qu'il  con- 
sume et  qu'il  détruise  dans  mon  cœur  tout 
ce  que  le  feu  de  votre  justice  y  trouverait  à 
détruire  lors  de  votre  dernier  avènement, 
et  afin  qu'étant  ainsi  disposé  j'attende  avac 
impatience  le  jour  de  votre  jugement,  jour 
heureux  qui  me  réunira  à  vous  pour  toute 
l'éternité.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR  LE  DEUXIÈME  DIMANCHE  DE  l'aVEHT. 

Sur  le  luxe. 

Quid  existis  \idi're?  Dominas  rnollibus  vestilum'1  Ecce 
qui  rnollibus  vesliuohir,  in  ttomibos  regum  tant. 

Qui  êtet-vom  allésvoir  '!  Un  homme  velu  mec  luxe  eiatee 
mollesse  '!  Vous  sa'-ezqve  ceux  qui  t'habillent  ami  sont  dont 
les  maisons  des  rois  {Maltli.,  M,  8). 

Ces  paroles  de  l'Evangile  nous  découvrent 
une  vérité  dont  peu  de  gens  veulent  se  con- 
vaincre :  c'est,  mes  frères,  que  le  luxe  des 
habits,  que  l'amour  des  vaines  supcrlluites 
dans  les  choses  qui  sont  à  l'usage  des  hom- 
mes, est  un  grand  péché  pour  des  chrétiens. 
Qui  éles-vous  allés  voir  dans  le  désert  ?  Est- 
ce  un  homme  vêtu  avec  luxe  et  avec  mollesse  ? 
Le  Sauveur  du  monde  veut,  il  est  vrai,  auto- 
riser par  là  la  prédication  de  Jeau,  mais  il 
veut  en  même  temps  condamner  le  luxe  des 
chrétiens,  dit  saint  Grégoire  ;  car  si  ce  luxe 
n'était  pas  un  péché,  Jésus-Christ  ne  donne- 
rait pas  des  louanges  à  la  vertu  contraire 
dans  la  personne  de  son  précurseur. 

Vous  savez  que  ceux  qui  s'habillent  de  celte 
sorte,  continue  l'Evangile,  sont  dans  les  pa- 
lais des  rois.  Paroles  qu'il  n'ajoute  pas.  dit 
saint  Grégoire,  pour  autoriser  le  luxe  dans 
la  personne  des  grands,  mais  pour  nous  ap- 
prendre que  ceux  qui  tombent  dans  le  luxe 
quittent  Jésus-Christ  pour  embrasser  le  parti 
du  monde. 

Qu'on  ne  s'imagine  donc  pas  que  l'amour 
du  luxe  et  des  superfluilés  que  la  vanité  au- 
torise puisse  être  sans  péché;  ce  serait  se 
livrer  à  une  illusion  grossière,  que  je  veux 
combattre  dans  ce  discours,  où  j'ai  dessein 
de  vous  faire  voir  l'opposition  du  luxe  à 
l'esprit  du  christianisme;  et  afin  que  muis 
puissions  donner  plus  d'atteinte  à  cet  ennemi 
déclaré  de  l'Evangile  et  des  vertus  évangéli- 
ques,  nous  attaquerons  les  raisons  que  les 
hommes  allèguent  pour  le  défendre,  et  nous 
en  ferons  voir  la  faiblesse. 

Celte  matière  au  reste  est  trop  importante 
pour  devoir  la  traiter  légèrement,  et  trop 
vaste  pour  pouvoir  la  renfermer  dan-  I  s 
justes  bornes  d'un  seul  discours.  Nous  nous 
attacherons  donc  dans  celui-ci  a  fane  voir 
l'opposition  du  luxe  à  l'esprit  du  chrislia- 


ICI 


SEUMON  POUR  LE  DEUXIEME  DIMANCHE  DE  L'AVENT. 


162 


nisme;  et  dans  le  discours  suivant  nous  achè- 
verons celle  malière.  Demandons  l'assistance 
du  Saint-Esprit.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

On  ne  peut  avoir  l'esprit  du  christianisme 
sans  posséder  trois  vertus  que  le  luxe  détruit 
entièrement  :  l'humilité,  la  pénitence  et  la 
miséricorde.  L'humilité  est  le  premier  carac- 
tère de  l'esprit  du  christianisme;  car  nous 
ne  pouvons  pas  être  chrétiens  que  nous  ne 
soyons  les  imitateurs  d'un  Dieu  anéanti.  La 
pénitence  est  le  second  caractèrede  cet  esprit  ; 
car  nous  ne  pouvons  arriver  à  la  gloire 
destinée  aux  chrétiens,  qu'en  marchant  par 
la  voie  que  le  Sauveur  nous  a  tracée.  Enfin  la 
miséricorde  est  le  troisième  caractère  de  cet 
esprit  ;  car  le  Dieu  qui  nous  a  ouvert  le  ciel 
par  son  humilité,  et  qui  nous  en  a  tracé  le 
chemin  par  ses  souffrances,  nous  a  recom- 
mandé d'aimer  comme  nous-mêmes  ceux 
à  qui  il  nous  a  unis  dans  un  même  esprit  et 
qui  marchent  dans  le  même  chemin.  La  re- 
connaissance môme  que  nous  devons  à  Jé- 
sus-Christ de  nous  avoir  réconciliés  en  nous 
mettant  dans  son  propre  corps,  exige  de  nous 
de  vivre  dans  la  charité  avec  tous  nos  frères, 
et  de  les  porter  dans  notre  cœur,  selon  ce 
que  dit  l'Apôtre  :  Faites  régner  dans  vos  cœurs 
la  paix  de  Jésus-Christ  à  laquelle  vous  avez 
été  appelés,comme  ne  faisant  tous  qu'un  corps. 

Or,  mes  frères,  1°  le  luxe  nourrit  l'orgueil 
dans  l'âme  du  chrétien,  et  d'un  enfant  de 
Dieu  qui  doit  être  humble,  il  en  fait  un  su- 
perbe; 2°  le  luxe  fait  rejeter  la  pénitence,  et 
d'un  aspirant  à  la  gloire  qui  doit  être  péni- 
tent, il  en  fait  un  voluptueux;  3°  le  luxe 
anéantit  et  exclut  la  miséricorde,  et  d'un 
membre  de  Jésus-Christ  qui  doit  être  tendre 
et  compatissant,  il  en  fait  un  inhumain.  C'e>t 
par  ces  trois  réflexions  qui  feront  toute  la 
matière  de  ce  discours  que  je  veux  vous  con- 
vaincrede  l'étrange  opposition  qu'il  y  a  entre 
l'amour  du  luxe  et  l'esprit  du  christianisme. 

Je  commence  par  le  premier  effet  du  luxe, 
qui  est  l'opposition  qu'il  a  avec  l'humilité,  et 
j'expose  d'abord  la  nature  île  celle  vertu, que 
saint  Augustin  appelle  le  caractère  et  le  par- 
tage des  chrétiens,  par  laquelle,  dit-il,  nous 
devenons  les  enfants  de  la  promesse,  et  qu'il 
regarde  comme  ce  qu'il  y  a  de  plus  impor- 
tant à  observer  dans  la  religion  chrétienne. 
Nous  disons  donc,  avec  saint  Bernard,  que 
l'humilité  est  une  vertu  qui  l'ail  que  l'homme, 
en  se  regardant  par  les  yeux  de  la  foi. et  par 
la  véritable  connaissance  de  ce  qu'il  esl,  n'a 
que  du  mépris  pour  lui-même. 

C'est,  mes  frères,  la  véritable  situation  du 
cœur  d'un  chrétien  :  il  faut  que,  dans  quel- 
que étal  de  grandeur  et  d'élévation  où  il 
puisse  se  trouver,  il  n'ait  que  du  mépris  pour 
lui-même.  Or,  selon  cette  idée,  je  dis  que 
l'amour  du  luxe  est  une  marque  certaine 
que  l'humilité  n'est  pas  dans  notre  cœur,  et 
j'ajoute  que  s'il  y  avait  en  nous  quelque 
disposition  à  cette  vertu,  le  luxe  la  détrui- 
rait entièrement.  L'orgueil  enfante  le  luxe, 
voilà  son  origine.  Le  luxe  nourrit  l'orgueil, 
voilà  son  effet.  Juge/  de  là  s'il  n'est  pas  op- 


posé à  l'humilité.  Oui,  mes  frères,  c'est  l'or- 
gueil qui  enfante  le  luxe,  et  partout  où  \o  le 
vois,  je  le  regarde  comme  une  marque  cer- 
taine qu'il  n'y  a  point  d'humililé  dans  le 
cœur  qui  l'aime.  En  voici  la  preuve. 

Qu'entendons-nous  par  le  luxe,  et  qu'est- 
ce  que  ie  luxe?  C'est  une  invention  de  l'a- 
mour-propre par  laquelle  un  homme  plein 
d'orgueil  se  cache  à  lui-même  ce  qu'il  est 
et  montre  aux  autres  ce  qu'il  n'est  point  ; 
c'est  l'art  de  se  donner  pour  ce  que  l'on  n'est 
point,  par  l'éclat,  le   faste,  la  magnificence 
dans  les  équipages,  dans  les  meubles,  dans 
les  habits  ;  et  ne  vous  y  trompez  pas,  chacun 
dans  son  état  et  par  rapport  à  ses    facultés 
peut  être  atteint   de  ce  vice.  Ce  qui  serait 
effectivement  d'un  usage  modeste  et  humble 
pour  une  personne  de  qualité  est  un   vrai 
luxe  pour  une  personne  médiocre.  II  ne  s'agit 
que  d'être  attaché  quelquefois  à  ce  qui  ne 
paraît  presque  rien  en  soi,  à  un  diamant,  à 
un  collier,  à   des  ornements  sur  un  habit, 
enfin  à  tout  ce  qui  excède  sa  condition.  Car, 
nies   frères,  c'est   le  cœur  et  les  affections 
qu'on  regarde  dans  le  chrétien,  et  il  importe 
peu  à  quoi  le  cœur  soit  attaché,  si  cette  at- 
tache le  sépare  de  Dieu  :  de  même  qu'il  est 
indifférent  par  où  l'homme  se  cache  sa  mi- 
sère, s'il  se  perd  de  vue  et  qu'il  s'élève.  Or 
il  est  certain  que  c'est  le  désir  de  s'agrandir 
et  de  se  dérober  à  soi-même  la  vue  de  sa  pe- 
titesse ;  c'est  le  dessein  d'éblouir  les  yeux  des 
autres   pour  les  empêcher  de   nous  voir  tels 
que  nous  sommes,  qui  nous   fait  ajouter  à 
notre  état  ce  qui  n'en  est  point.  Il  n'y  a  pres- 
que personne  qui  soit  content  de  ce  qu'il  est, 
et  qui,  dans  le  désir  que  l'orgueil  et  l'amour- 
propre  lui  inspirent  d'êlre  ce  qu'il  n'est  point, 
ne  veuille  faire  croire  aux  autres  qu'il  est 
déjà  ce  qu'il   désire  d'èlre.  Ainsi  un  grand 
seigneur  veut  passer  pour  plus  riche  qu'il 
n'est,  ou  aller  de   pair  avec  un  plus  grand 
seigneur  que  lui  :  il  ajoute  par  le  faste  à  ce 
qu'il  est,  et,  voulant  égaler  celui  qui  est  au- 
dessus  de  lui  par  l'éclat,  s'il  ne  le  peut  par 
la  qualité,  il  se  jette  dans  des   dépenses   qui 
éblouissent  le  monde  et  qui  le  ruinent.  Une 
personne  d'une  condition  médiocre  veut  pas- 
ser pour  plus  qu'elle  n'est  par  son  état  :  son 
orgueil  ne  peut  souffrir  qu'on  la  reconnaisse 
d'une  condition  inférieure.  Une  femme  d'un 
ordre   médiocre  se  met  comme   les  femmes 
d'un  ordre  plus  élevé  :  elle  fait  des  dépenses 
sur  elle  et  dans  ses  meubles  qui  excèdent  son 
état,  et  nous  ne  pouvons  plus  distinguer  la 
femme  d'un  magistrat  el  d'un  grand  officier, 
d'avec  celle  d'un  artisan  aisé  et  d'un  riche 
négociant.  Comment  voulez-vous  donc   que 
je  croie  que  cette  personne  aime   ce  qu'il  y 
a  de  bas  et  d'humble  dans  l'étal  où  Dieu  l'a 
mise  ?  Or  chacun  doit   aimer  ce   qu'il  y    a 
de   vil    et  d'abject    dans  son  état;  c'est  là, 
selon   saint  Ambroise,  une  partie   de  notre 
pénitence,  cl  un  des  devoirs  de  notre  soumis- 
sion aux  ordres  de  Dieu  sur  nous. 

Comment  voulez-vous  que  je  croie  que 
celle  personne  connaît  son  néant  et  qu'elle 
n'a  que  du  mépris  pour  elle-même,  ce  qui 
est  proprement  ce  qu'on  appelle  humilité, 


163 


OIUTKLIIS  SACHES.  IXJil  JEROME. 


ICJ 


quand  je  vois  que,  travaillant  à  se  cacfaor  à 
elle-même  ce  qu'elle  est  par  Tordre  de  Dieu, 

elle  l'ait  tous  ses  cITorls  pour  montrer  aux 
autres  ce  qu'elle  n'est  point  ?  Je  sais,  mes 
frères,  que  \ous  prétendes,  que  tout  cela  se 
l'ait  saiii  amour  pour  les  choses  que  je  con- 
damne, mais  par  de  certains  égards  de  bien- 
séance ;  qu'on  sait  fort  bien  ce  qu'un  est, 
mais  qu'un  ie  l'ait  pour  éviter  certaines  di >- 
linclions  désagréables  dans  le  monde,  que 
les  geas  même  d'une  piété  réglée  doivent  fuir, 
et  qu'ainsi  on  aime  l'humilité  comme  un 
chrétien  la  doit  aimer,  quoiqu'on  garde  au 
deliors  certaines  mesures  qu'une  conduite 
sage  permet  de  suivre.  Mes  frères,  ne  nous 
abusons  point  par  celle  fausse  raison  :  ne 
confondons  point  les  sentiments  de  l'esprit 
avec  les  aiïections  du  cœur;  car  souvent 
nous  avons  l'estime  des  vertus  sans  en  avoir 
l'amour,  et  elles  sont  quelquefois  dans  noire 
esprit  sans  être  dans  notre  cœur.  Ce  que 
j'avance  ici  se  peut  trou\cr  dans  toutes  les 
vertus  ;  mais  encore  plus  à  l'égard  de  celle-ci. 
Comment  démélerai-je  donc  dans  l'homme  le 
sentiment  d'avec  l'affection,  cl  l'estime  d'a- 
vec l'amour?  Ce  sera  par  la  conduite,  car  ce 
n'est  pas  l'esprit  seul  qui  la  règle,  c'est 
le  cœur  :  nous  n'agissons  pas  par  uolro 
estime  ,  mais  par  notre  amour.  Nous  avons 
tous  de  l'estime  pour  la  vertu,  il  n'y  a  rien 
en  nous  qui  s'oppose  à  cette  estime  ;  il  n'en 
est  pas  de  même  pour  l'amour.  11  n'en  coûte 
rien  pour  estimer,  l'estime  n'est  pas  con- 
traire à  nos  passions,  elle  ne  contrarie  point 
les  affections  du  cœur  ;  mais  l'amour  est  bien 
différent,  il  faut  agir,  il  emporte  avec  lui  la 
pratique  de  la  vertu  que  l'on  aime. 

Ainsi,  mes  frères,  je  reconnaîtrai  qu'une 
personne  élevée  par  sa  naissance  est  humble 
dans  sa  grandeur  et  qu'elle  conserve  cette 
humilité  lorsque  ,  la  nécessité  indispensable 
de  son  état  l'obligeant  de  paraître  dans  une 
magnificence  qui  lui  convient,  elle  gémit 
comme  Eslher,  et  qu'elle  dit  comme  cet  e 
sainte  reine  :  Vous  suvez,  mon  Dieu,  combien 
j'ai  en  horreur  toutes  les  marques  d'honneur, 
de  grandeur  et  de  gloire  que  je  porte  aux 
jours  que  je  suis  obligée  de  paraître  aux 
geux  des  hommes  ce  que  je  suis. 

Je  reconnaîtrai  dans  un  grand  seigneur  et 
dans  une  femme  de  la  première  qualité,  que 
ce  gémissement  est  sincère,  et  qu'il  pari 
d'une  aversion  véritable  qu'on  a  de  loul  ce 
faste  et  de  toute  celte  distinction  qui  convient 
si  peu  à  un  chrétien,  et  qui  l'afflige  toujours 
quand  il  est  humble,  lorsque,  vivant  ordi- 
nairement d'une  façon  simple  et  modeste,  la 
magnificence  de  son  étal  ne  parait  que  dans 
des  rencontres  extraordinaires.  Ainsi  saint 
Louis,  nous  dit  son  histoire,  était  modeste  cl 
ennemi  du  luxe  dans  son  particulier,  mais 
pompeux  et  superbe  dans  les  cérém  nies  pu- 
bliques. 

Ceci  doit  donc  servir  de  règle  air:  grands 
seigneurs  cl  à  ceux  qui  sont  dans  des  postes 
éiuiueuls,  pour  connaître  la  situation  de  leur 
cœur,  ci  pour  accorder  les  obligations  du 
christianisme  a\ec  les  obligations  de  leur  di- 
gnité; mais  à   l'égard  des   particuliers   qui 


n'ouï  point  la  rations  à  allé- 

guer, ce  D  •  pi  ul  être  que  l'envie  di 
ce  qu  il    point   (jui  leur  fait  r< 

cb  r  l'écl  it  cl  la  magu  dont  leui 

est  capable  :  CI  c'est  là  le  caractère  d  un  pur 
orgueil  enraci  le  coeur  qu   en    basse 

l'humilité  etqnieffacelecaractéredecurétien. 

Cet  orgueil   secret  produit  le  luxe 
rieur,  1 1  comme  il  est  ennaciaé  dans  le  i 
on    lient  à  ce  luxe  d'une   minière    forte  ef 
violente,  quoique  imperceptible.  Ou    <•  croil 
autorité  par  la  coutume,  on  croit  que  < 
qu'un  certain  esprit  de  bienséance  qui  nous 
y  attache  faiblement  ;  et  eu  effet,  tant  qu'on 
ne  nous  contrarie  point  dans  noire  usage, et 
qu'on  laisse  notre  orgueil  en  repos,  nOJ 

intous  point  notre  attachement;  mais 
vient-on  nous  parler  de  retranchement,  <  i  »t 
alors  que  l'orgueil  se  réveille  et  que  l'alla  lie 
se  fait  sentir.  On  g'élève  contre  les 
l'Evangile  qu'on  nous  allègue  pouraulori  er 
le  retranchement  qu'on  propose  ;  on  mé- 
prise l'exemple  des  saints  ,  on  ne  veut  point 
jeler  les  yeux  sur  les  obligations  essentielles 
iiii  christianisme,  qu'on  soutient  n'être  point 
blessé  par  cet  usage  ;  et,  par  un  aveoglemenl 
qui  est  la  juste  punition  de  l'orgueil,  on 
aime  mieux  risquer  son  salut  pour  conser- 
ver ce  qui  Halte  cet  orgueil,  en  suivant  des 
voies  incertaines,  que  d'assurer  son  salut  et 
d'exposer  ce  que  nous  aimons  eu  suivant 
les  voies  les  plus  sûres  le  la  religion  et  h  s 
règles  de  l'Ecriture.  Voilà  l'effel  de  l'orgueil 
qui  se  fortifie  dans  le  luxe  ;  car  le  luxe  nour- 
rit l'orgueil.  Pourquoi  pensez-vous  que  eelto 
illustre  reine  dont  je  viens  de  parler  re- 
garda avec  tant  d'horreur  toutes  les  marques 
de  sa  grandeur  cl  de  sa  gloire  ?  pourquoi 
pensez-vous  que  le  saint  roi  dont  j'ai  rap- 
porté l'exemple  usait  si  rarement  de  ces 
marques  éclatantes  de  sa  dignité  ?  c'en! 
qu'ils  craignaient  que  l'usage  de  ces  choses 
ne  leur  fil  perdre  la  vue  de  leur  misère  et 
ne  leur  i us;  i  ai  do  l'orgueil.  Ils  étaient 
pleins  de  cet  avertissement  si  sage  d- 1*1 
siasle  :  iN'e  vous  glnifîez  point  de  vos  vrte- 
ments.  Ils  savaient,  mes  très-ehers  frères, 
que  l'éclat  des  habits  et  la  pompe  qui  accom- 
pagnent les  dignités  ,  même  les  plus  saintes, 
sent  toujours  dangereuses  à  l'humilité  ;  eue 
c'est  comme  la  pâture  de  celte  inclination 
superbe  qui  est  dans  notre  cœur,  et  qu'enfin 
le  luxe  qui  est  pr.  doit  par  l'orgueil  nourri! 
.cil  à  son  tour.  Quelques  raisons  que 
apportiez  pour  justifier  le  luxe  ,  le 
Caste  d  la  magnificence  excitent  une  sccrèlo 
élévation  dans  le  cœur.  On  esl  plus  fier  quand 
on  est  plus  orné,  on  se  sait  bon  gré,  ou  veul 
être  regardé,  on  souffre  avec  plus  de  peine 
même  d'être  poussé  dans  une  église  OU  on 
lie  doit  venir  que  pour  s'humilier  devant 
Dieu  ;  enfin  chacun  dans  son  et.it  est  plus 
enflé,  quand  il  esl  vêtu  pompeusement.  Il 
n'en  faudrait  pas  davantage  pou,  hor- 

rer  le  luxe  à  un  homme  qui  penserait  à  SOR 
salut.  Je  ne  puis  être  sauve  s.ans  II 
lien,  je  ne  pui  irétien  >a:ts  être  hum- 

ble ;  car  liens  sont   les  enfants  de 

Dieu,  cl  le  caractère  des  enfants  de  Dieu  r  est 


m 


SERMON  POUU  LE  DEUXIEME  DIMANCHE  DE  L'AYENT. 


166 


l'humilité:  au  conlraire,  !o  caractère  des 
enfants  du  démcn,  c'est  l'orgueil;  il  faut 
donc  que  je  rejette  tout  ce  qui  procède  de  l'or- 
gueil, tout  ce  qui  peut  le  nourrir  et  le  forti- 
fier, tout  ce  qui  en  a  la  simple  apparence.  Il 
fout  que  j'aie  une  sincère  aversion  pour  tout 
ce  qui  est  du  monde,  pour  tout  ce  qui  peut 
être  produit  par  l'estime  de  moi-même,  pour 
tout  ce  qui  peut  entretenir  celte  estime,  qui 
est  le  caractère  des  enfants  du  prince  du 
monde  et  de  ceux  qui  vivent  par  son  esprit. 
Ainsi  parle  un  homme  qui  pense  sérieuse- 
ment à  faire  son  salut  :  il  plaint  les  insensés 
qui  ne  veulent  pas  voir  les  désordres  du 
luxe,  et  il  s'en  retire  sagement,  de  peur  qu'il 
ne  lui  inspire  la  mollesse  si  contraire  à  l'es- 
prit du  christianisme  et  si  inséparable  du 
luxe  :  et  c'est  là  le  second  effet  et  le  second 
degré  de  l'opposition  du  luxe  au  vérita- 
ble esprit  du  chrétien. 

Personne  en  effet  ne  peut  nier  que  l'esprit 
du  christianisme  ne  soit  un  esprit  de  péni- 
tence. Il  ne  faut  que  considérer  qui  en  est 
l'instituteur,  ce  qu'il  s'est  proposé  en  le  for- 
mant ,  qui  sont  ceux  qu'il  y  a  appelés  , 
quelles  sont  les  lois  qu'il  leur  a  données. 
L'instituteur  du  christianisme,  c'est  Jésus- 
Christ,  un  Dieu  fait  homme,  et  livré  par  son 
amour  pour  nous  aux  souffrances  et  à  la 
mort.  Lu  fin  qu'il  s'est  proposée  en  formant 
le  christianisme  a  été  d'ouvrir  un  chemin 
aux  hommes  pour  retourner  à  la  gloire 
qu'ils  avaient  perdue  par  leurs  péchés,  et 
qu'il  a  acquise  pour  eux  par  sa  morl.  Ceux 
qu'il  reçoit  dans  le  christianisme,  ce  sont  des 
hommes  rebelles  et  ennemis  de  Dieu,  exclus 
de  la  gloire,  dignes  de  la  mort  éternelle, 
qu'il  purifie  de  leurs  péchés,  qu'il  réconcilie 
avec  son  Père,  et  qu'il  remet  dans  le  chemin 
de  la  vie  éternelle.  La  condition  qui  leur  est 
imposée,  c'est  de  suivre  l'exemple  qu'il  leur 
a  donné,  et  de  garder  les  règles  qu'il  leur  a 
prescrites,  qui  sont  de  renoncer  à  soi-même, 
de  porter  sa  croix  et  de  le  suivre. 

Tout  cela  nous  fait  voir  que  l'esprit  du 
christianisme  ne  peut  être  qu'un  esprit  de 
pénitence  ,  puisque  le  chrétien  qui  y  est 
formé  est  un  péciieur  qui  vient  recevoir  les 
moyens  qu'un  Dieu  souffrant  lui  a  donnés 
pour  se  purifier  de  ses  crimes  et  pour 
se  rendre  digne  de  la  gloire,  on  prenant  part 
lui-même  à  ses  souffrances,  et  en  suivant  le 
chemin  qu'il  lui  a  tracé  cl  le:;  règles  qu'il  lui 
a  prescrites.  De  là,  mas  frères,  sonl  venues 
toutes  ces  belles  expressions  des  saints 
Pères,  pour  nous  donner  «Je  grandes  idées 
de  cet  esprit,  et  que  je  réunis  dans  celle 
seule  expression  du  concile  de  Trente:  Tonte 
la  vie  chrétienne  doit  litre  une  vie  de  péni- 
tence. Or  le  luxe  est  opposé  à  la  pénitence, 
cl  il  détruit  le  second  caractère  de  l'esprit 
chrétien. 

Pour  vous  le  faire  voir,  il  n'y  a  qu'à  con- 
sidérer la  pénitence,  dans  ce  qui  regarde  le 
cieur,  où  réside  l'essence  cl  1  aine  de  celle 
vertu,  qui  consiste  dans  le  changement  du 
cœur,  dans  son  bris  ;.ent,  dans  son. anéan- 
tissement devant  Dieu,  comme  parle  l'Ecri- 
ture. Pour  ce  qui  regarde  le  corp;  oui  reçoit 


les  ordres  du  cœur  contrit  et  pénitent,  comme 
il  a  servi  d'instrument  au  péché,  il  doit  aussi 
participer  à  la  pénitence.  Or,  mes  frères,  la 
première  et  la  plus  importante  partie  de  la 
pénitence  est  détruite  par  le  luxe,  et  cela 
par  l'opposition  qu'il  a  avec  l'humilité;  car 
comme  l'humilité  est  l'âme  de  la  pénitence, 
il  ne  peut  y  avoir  de  pénitence  véritable, 
sincère  et  de  cœur,  où  il  n'y  a  point  d'humi- 
lité. C'était  autrefois  une  coutume  ordinaire 
de  témoigner  sa  douleur  en  déchirant  ses 
habits  :  on  en  voit  mille  exemples  dans  l'E- 
criture. Job  déchire  ses  habits  dans  la  dou- 
leur que  lui  cause  la  perte  de  ses  enfants. 
Jacob  en  fait  autant  ayant  reconnu  la  robe 
de  son  fils  Joseph.  Dans  presque  tous  les 
exemples  que  l'Ecriture  nous  rapporte  de 
grandes  pénitences,  elle  nous  dit  que  ceux 
qui  s'y  sont  soumis  ont  commencé  par  dé- 
chirer leurs  habits,  par  rejeter  tous  leurs 
ajustements,  par  se  revêtir  de  sacs  et  cou- 
vrir leurs  têtes  de  cendres.  Les  Ninivitos 
crurent  à  la  parole  de  Dieu,  et  ils  se  couvri- 
rent de  sacs ,  depuis  le  plus  grand  jusqu'au 
plus  petit  ;  le  roi  même  se  lova  de  son  trône, 
quitta  son  vêtement  royal,  se  couvrit  d'un 
sac  cl  s'assit  sur  la  cendre.  Mais  tenons- 
nous-en  à  ce  qui  se  passe  dans  ce  siècle  de 
corruption;  on  n'ose  pas  encore  aujourd'hui 
se  présenter  à  la  pénitence  dans  la  magnifi- 
cence et  dans  le  luxe  ;  on  n'apporte  point  au 
tribunal  ses  ajustements  et  ses  parures,  on 
sent  bien  l'opposition  qu'il  y  a  entre  tout 
cela  et  la  disposition  d'un  vrai  pénitent.  On 
prend  un  habit  qui  a  quelque  rapport  avec 
l'action  qu'on  va  faire  ;  on  met  quelque  pro- 
portion entre  son  vêtement  et  ses  paroles, 
au  moins  afin  de  s'abuser  soi-même  et  de 
tromper  celui  qui  ne  voil  pas  le  cœur. 

Mes  frères,  tout  doit  être  vrai  dans  un 
chrétien  :  ses  paroles  ne  doivent  pas  dé- 
mentir son  cœur,  ses  habits  et  sa  conduite 
ne  doivent  point  être  contraires  à  ses  paroles, 
mais  leur  conformité  mutuelle  doit  durer 
toujours  :  ce  n'est  pas  une  cérémonie  d'un 
instant,  l'amour  de  la  simplicité  ne  doit  ja- 
mais quitter  un  cœur  qui  est  à  Dieu.  Si  vous 
ne  quittez  donc  votre  luxe  que  pour  appro- 
cher des  sacrements,  il  n'y  a  point  de  péni- 
tence intérieure,  car  il  n'y  a  point  de  péni- 
tence intérieure  et  véritable  dans  un  cœur 
où  règne  l'amour  du  luxe,  puisqu'on  quitte 
le  luxe  cl  le  faste  sans  les  abandonner.  On 
les  laisse  un  moment  pour  les  venir  repren- 
dre; ainsi  il  n'y  a  point  de  changement  de 
cœur,  et  par  conséquent  point  de  pénitence. 
On  fait  croire  aux  autres  que  l'on  condamne 
ce  qu'on  aime,  et  l'on  reprend  bientôt  après 
ce  que  l'on  n'a  point  condamné  réellement. 

C'est  ainsi,  ô  mon  Dieu  !  que  se  passe  la 
vie  des  chrétiens ,  dans  laquelle  le  luxe 
anéantit  entièrement  toutes  les  traces  de  la 
pénitence,  cl  où  nous  ne  voyons  aucun  ves- 
tige ni  aucune  marque  de  ce  caractère  de 
prit  chrétien  1  Nous  ne  voyons  plus  qu'une 
mollesse  universelle  et  générale  qui  sort  du 
>:  comme  de  SA  source  malheureuse,  et 
qui  s'est  répandue  sur  toutes  les  actions  et 
sur  tous  ies  mouvements  des  chrétiens.  Celui 


107 


OHATEUItS  SACRES.  DOM  JEROME. 


IC8 


des  habils  a  attiré  celui  des  équipages;  car 
quand  on  s'est  vu  velu  si  proprement  cl 
avec  tant  de  magnificence,  on  a  voulu  que 
tout  se  ressemblât,  ou  au  moins  on  s'est  ai- 
sément persuadé  qu'il  n'y  avait  pas  d'appa- 
rence d'exposer  des  habits  si  précieux.  On  a 
donc  cessé  de  marcher  à  pied ,  on  s'est 
épargné  celte  fatigue,  cl  on  est  devenu  pa- 
resseux, lâche,  sans  force  et  sans  vigueur  : 
de  là  ces  meubles  riches  et  brillants,  ces 
maisons  magnifiques  et  superbes,  soit  à  la 
ville,  soit  à  la  campagne.  La  commodité  des 
équipages  a  rendu  ces  maisons  de  campagne 
nécessaires;  ces  maisons  qu'on  a  embellies 
pour  le  plaisir  ont  atliré  les  parties  de  di- 
vertissements, des  fêtes,  des  repas  dans  les- 
quels on  s'est  piqué  de  joindre  la  délicatesse 
avec  l'abondance  et  la  propreté.  Par  ces  re- 
pas on  s'est  accoutumé  à  la  bonne  chère  ;  et 
plus  l'habitude  a  rendu  tout  cela  nécessaire, 
plus  la  mollesse  s'est  débordée  d'une  manière 
si  déplorable, qu'on  ne  reconnaît  plus  le  chris- 
tianisme, et  que  la  pénitence,  qui  est  un  des 
caractères  de  son  esprit,  n'y  est  plus  connue 
que  de  nom.  Mon  Dieu,  quelle  situation  pour 
un  homme  plongé  dans  tout  ce  que  je  viens 
de  dire,  el  qui  peut-être  sera  mort  dans  huit 
jours  1 

Le  second  effet  du  luxe  est  donc  l'oppo- 
sition qu'il  a  avec  l'esprit  du  christianisme; 
nous  allons  exposer  dans  la  dernière  partie 
de  ce  discours  son  troisième  effet,  en  vous 
montrant  qu'il  anéantit  la  miséricorde. 

SECONDE    PARTIE. 

Je  ne  m'arrêterai  point  à  vous  dire  que 
nous  devons  aimer  le  prochain,  et  que  l'es- 
prit du  christianisme  qui  nous  unit  à  nos 
frères  pour  ne  faire  qu'un  corps  avec  eux 
sous  Jésus-Christ  qui  en  est  le  chef,  ne  peut 
subsister  en  nous  que  nous  ne  soyons  pleins 
de  tendresse,  de  sensibilité,  de  miséricorde 
et  de  charité  pour  eux.  Jls  doivent  être  en 
nous,  et  nous  devons  être  en  eux,  si  nous 
sommes  en  Jésus-Christ  qui  nous  commande 
d'aimer  nos  frères  comme  nous-mêmes.  Nous 
devons  être  dans  le  prochain  par  l'intérêt 
que  la  charité  nous  fait  prendre  dans  ses 
besoins  ;  et  il  doit  être  en  nous  par  le^  droit 
que  la  même  charité  lui  donne  sur  nos  fa- 
cultés. 

Il  faut  supposer  ces  grands  principes  de  la 
religion  dont  tout  le  monde  convient;  mais 
il  ne  faut  pas  passer  légèrement  sur  le  ren- 
versement de  ces  mêmes  principes,  qui  pro- 
vient de  la  négligence  pour  les  pratiques 
qu'on  ne  croit  point  criminelles  ,  quoique 
elles  renversent  tout.  Tel  est  le  luxe  el  l'a- 
mour des  superfiuités  vaines  et  déréglées  qui 
étouffent  la  miséricorde  cl  la  tendresse  dans 
le  cœur  des  hommes,  el  qui  d'un  chrétien 
dont  un  des  devoirs  principaux  est  d'être 
sensible  aux  misères  de  ses  frères  qui  sont 
membres  d'un  même  corps  que  lui.  lait  un 
impitoyable  cl  un  inhumain. 

l'our  vous  prouver  ce  que  j'avance  ici,  il 
faut  établir  ce  principe  que  l'amour  que  nous 
devons  avoir  pour  le  prochain  ne  doit  pas 
cTre  un  amour  stérile;  carie  Sauveur,  qui 


noua  a  commandé  île  nous  aimer  les  uns  les 
anl  l  proposa   ui-méme  pour  exemple  ! 

Vous  vous  aimeiez,   lit-il,  comme  je  vous  ai 
aitnéi. 

Or  nous  savons  bi<  i  que  son  amour  pour 
nous  n'a  pas  été  stérile.  Il  ne  faut  donc  pas 
que  le  nôtre  pour  no<  frères  le  soit,  pour 
qu'il  puisse  être  semblable  an  sien;  el  d'ail- 
leurs il  est  impossible  qu'un  amour  véritable 
soit  oisif  el  sans  action. 

Sainl  Augustin  nous  marque  ce  que  nous 
devons  à  nos  Irères  par  le  titre  de  l'amour 
qui  nous  unit  à  eux.  II  y  a  en  eux,  dit  ce 
saint  docteur,  une  âme  et  un  corps;  nous 
sommes  redevables  à  l'un  el  à  l'autre,  et  la 
charité  nous  oblige  de  faire  du  bien  à  dus 
les  deux.  Ce  que  je  dois  à  son  corps,  c'est  sa 
santé,  c'est-à-dire  tout  ce  qui  peut  contri- 
buer à  sa  conservation  ,  et  subvenir  à  ses 
nécessités.  Je  dois  à  son  âme  ce  qui  peut 
contribuer  à  son  innocence  et  à  éloigner  les 
occasions  du  péché.  Si  je  vous  fais  donc  voir, 
mes  frères,  que  le  luxe  est  un  piège  tendu  à 
l'innocence  du  prochain,  et  que  par  là  vous 
lui  donnez  mille  occasions  de  pécher,  si  d'ail- 
leurs je  vous  montre  que  c'est  un  obstacle  à 
la  compassion  et  à  la  miséricorde  que  vous 
lui  devez,  et  que  parla  vous  le  livrez  à  la 
pauvreté  et  à  la  misère,  sans  en  être  touchés, 
n'aurai-je  pas  raison  de  conclure  que  le  luxe 
étouffe  l'amour  du  prochain,  el  qu'il  rend  les 
chrétiens  doublement  inhumains  à  l'égard  de 
leurs  frères. 

Je  laisse  là  l'oisiveté,  les  injustices,  la  va- 
nité, les  rapines,  l'avarice,  l'impureté  el  mille 
autres  crimes  dont  il  est  la  source,  et  qui 
ont  obligé  sainl  Chrysostome  à  dire  aux 
femmes,  contre  la  vanité  el  le  luxe  desquelles 
il  prêchait,  qu'il  le  regardait  en  elles  comme 
une  peste  publique  qui  tue  non  les  corps 
mais  les  âmes,  el  dont  on  peut  dire  qu'il  lue 
tous  les  deux;  c'est  aussi  comme  en  parle 
saint  Cyprien  ;  mais  je  m'attache  unique- 
ment au  scandale  que  le  luxe  donne,  luxe 
par  lequel  la  charité  dont  il  s'agit  esl  ruinée 
entièrement;  car  peut-on  l'attaquer  plus 
cruellement,  qu'en  insinuant  dans  l'âme  un 
poison  qui  la  tue? 

N'est-ce  pas  ce  que  font  les  personnes 
mondaines  à  qui  l'amour  du  luxe  el  de  la 
vanité  fait  inventer  de  nouvelles  modes  d'ha- 
bits, d'airs,  d'ajustements,  de  manières  de  se 
mettre  que  les  autres  veulent  suivre  ;  car 
celles  qui  sont  à  peu  près  du  même  rang 
brûlent  du  désir  d'être  aussi  parées  que  les 
autres,  cl  ensuite,  dit  saint  Thomas,  elles 
s'arment  contre  leurs  maris,  et  les  tourmen- 
tent jusqu'à  ce  qu'ils  les  aient  satisfaites. 
N'en  v  oyons-nous  pas  même  qui,  dans  des 
conditions  médiocres  et  beaucoup  au-dessi 
de  celles  du  premier  rang,  voulant  faire  d  B 
dépenses  qui  ne  leur  conviennent  point, 
auxquelles  le  bien  des  plus  riches  maisons 
ne  suffirait  pas,  contraignent  en  qnelqoa 
sorte  leurs  maris  par  leur  mauvaise  conduite 
à  chercher  dans  L'oppression  des  pauvres  de 
quoi  fournir  à  leur  vanité.' 

On  va  quelquefois  plus  loin,  dit  sainl  Chry- 
sostome, el  même  jusqu'à  acheter  de  la  perle 


1G9 


SERMON  POUR  LE  DEUXIEME  DIMANCHE  DE  L'AVENT. 


170 


de  son  honneur  ce  qui  doit  servir  à  satisfaire 
sa  vanité  criminelle.  Ce  désordre  et  ce  scan- 
dale ne  tinit  pas  là,  il  pa^se  jusqu'aux  gens 
de  l'état  le  plus  médiocre,  et  ceux  q,u'ii  ne 
saurait  corrompre  en  leur  inspirant  l'amour 
du  luxe,  il  attaque  leur  innocence  en  les  ap- 
pliquant à  l'entretenir.  C'est  une  belle  ré- 
flexion de  saint  Chrysostome  :  il  se  plaint 
que  le  luxe  a  corrompu  les  arts  les  plus  sim- 
ples, les  plus  nécessaires  et  les  plus  inno- 
cents, tels  que  sont  ceux  qui  regardent  uni- 
quement les  nécessités  de  la  vie  ou  qui  y  ont 
quelque  rapport. 

En  effet  y  a-t-il  rien  de  plus  innocent  que 
de  bâtir  des  maisons?  C'est  une  chose  né- 
cessaire à  la  vie,  il  faut  être  logé;  mais  le 
luxe  a  corrompu  cet  art.  On  ne  bâtit  point 
des  maisons  pour  la  seule  nécessité;  on  n'en 
fait  point  qu'on  n'y  ajoute  mille  ornements 
superflus.  De  même  y  a-t-il  rien  de  pins  né- 
cessaire que  de  faire  des  étoffes  et  des  ha- 
bits? car  il  faut  être  vêtu,  mais,  dit  saint 
Chrysostome,  l'art  de  la  draperie  consiste  à 
faire  des  étoffes  d'usage  et  de  service,  et  non 
pas  à  en  faire  de  si  fines  qu'elles  ressemblent  à 
des  toiles  d'araignée. 

L'art  de  vêtir  les  hommes  consiste  à  tailler 
les  habits  d'une  manière  propre  à  couvrir  le 
corps  pour  le  garantir  des  injures  du  temps 
et  pour  ménager  la  pudeur  de  l'âme;  mais  il 
ne  consiste  pas  à  chercher  uniquement  des 
agrémenls  dans  les  marques  de  notre  con- 
fusion, et  à  trouver  des  moyens  d'attenter  à 
la  pudeur  dans  ce  qui  n'a  été  inventé  que 
pour  la  conserver.  Les  arts,  qui  d'eux-mê- 
mes sont  fort  innocents,  sont  donc  devenus 
criminels  en  partie  par  la  corruption  du 
luxe,  et  votre  vanité  les  a  rendus  dangereux 
à  ceux  qui  les  exerçaient  avec  simplicité. 
Car  pour  vous  satisfaire  on  passe  toutes  les 
bornes  de  la  nécessité,  afin  d'alteindre  à 
l'excès  de  la  propreté  et  de  la  politesse;  et 
corrompant  ainsi  l'innocence  de  leur  pre- 
mière institution,  on  a  joint  un  artifice  su- 
perflu et  mauvais  à  un  art  qui  de  lui-même 
était  bon  et  nécessaire.  De  là  saint  Chrysos- 
tome conclut  qu'on  doit  souvent  ôier  à  ce 
travail  le  nom  d'art,  pour  le  mettre  au  nom- 
bre des  occupations  superflues;  ce  qui  fait  que 
ceux  qui  se  trouvent  dans  ces  sortes  de  pro- 
fessions, et  qui  ont  In  crainte  de  Dieu,  em- 
barrassent très-souvent  ceux  qu'ils  consul-' 
tent,  et  qui  veulent  garder  quelque  exac- 
titude. D'un  côté  le  fond  de  leur  profession 
est  hon  et  nécessaire;  mais  d'un  autre  côté 
ils  ne  peuvent  presque  plus  l'exercer  dans 
l'étal  où  vous  avez  mis  les  choses,  sans  em- 
ployer toute  leur  adresse  pour  contribuer  au 
luxe  et  à  la  mollesse.  Je  ne  doute  pas,  con- 
tinue ce  saint  docteur,  que  plusieurs  de  ceux 
qui  m'entendent  ne  méprisent  ce  que  je  dis, 
ou  qu'ils  ne  m'accusent  de  bassesse,  croyant 
que  je  m'arrête  à  de  trop  petites  clioses  (car 
ce  grand  homme  était  descendu  jusqu'à  parler 
du  luxe  des  souliers,  qu'on  brodait  alors  avec' 
beaucoup  de  soin);  mais  je  leur  déclare, 
dit-il,  que  cela  ne  m'empêchera  pas  de  m'é 


les  maux  est  qu'on  néglige  les  péchés  parce 
qu'on  les  croit  petits. 

Rapportez  en  effet,  mes  frères,  cette  con- 
duite à  vos  obligations,  et  vous  trouverez 
que  le  précepte  d'aimer  le  prochain  vous  en- 
gage à  contribuer  à  son  s'ilut  et  à  l'éloigner 
des  occasions  du  péché,  comme  nous  l'avons 
marqué  avec  saint  Augustin.  Par  votre  con- 
duite vous  contraignez  ceux  qui  dépendent 
de  vous,  ou  que  vous  employez,  à  travailler 
à  des  ouvrages  qui  ne  respire,  t  que  le  luxe 
et  la  vanité,  et  qui  ne  peuvent  servir  qu'à 
vous  perdre  ou  à  perdre  les  autres.  Vous  de- 
venez l'occasion  de  ce  que  les  autres  s'ins- 
truisent à  y  réussir,  vous  corrompez  vos 
égaux  par  votre  exemple;  en  un  mot  vous 
êtes  un  sujet  de  scandale,  et  pour  ceux  qui 
vous  voient,  et  pour  ceux  qui  travaillent 
pour  vous. 

Mais  que  ne  pourrais-je  pas  vous  dire  sur 
les  obstacles  que  votre  iuxe  forme  à  la  com- 
passion et  à  la  miséricorde  que  vous  devez 
au  pauvre  dans  ses  besoins?  Car  vous  livrez 
les  pauvres  à  la  misère  et  quelquefois  au 
désespoir,  en  leur  refusant  le  superflu  de  vos 
biens,  sur  lequel  Dieu  a  assigné  leur  subsis- 
tance, et  que  vous  consumez  cruellement  en 
superfluités  criminelles.  Vous  voyez  tran- 
quillement Jésus-Christ  au  milieu  de  v.vus 
qui  n'a  pas  de  pain,  qui  est  nu,  qui  est 
chargé  de  fers.  De  quelles  foudres  n'éles- 
vous  pas  dignes  de  le  négliger  ainsi,  lors- 
qu'il manque  de  ce  qui  lui  est  le  plus  néces- 
saire, et  cela  pour  employer  l'argent  dont  il 
devrait  élrc  nourri,  à  des  choses  non-seule- 
ment inutiles,  mais  qui  très-souvent  ne  seri 
vent  qu'au  péché  I 

Considérez  tous  ces  pauvres  qui  vous  en- 
vironnent ;  votre  magnilicence  les  irrite, 
dans  la  faim  qui  les  presse  et  qui  les  dévore. 
Lenr  nudité  crie  vengeance  contre  ces  vête- 
ments superbes  et  cet  appareil  qui  pourra 
un  jour  vous  coûter  bien  cher.  Que  doivent 
attendre  de  la  justice  de  Dieu  ceux  qui  joi- 
gnent l'injustice  à  la  dureté,  et  qui  ont  fait 
eux-mêmes  une  autre  espèce  de  pauvres 
qu'ils  ne  veulent  point  soulager,  et  dont  ils 
sacrifient  le  bien  ,  l'honneur  et  le  repos  à 
leur  luxe  et  à  leur  vanité?  Je  veux  dire  ceux 
qui  empruntent  et  qui  ne  payent  pas,  qui 
ruinent  ceux  qui  leur  prêtent,  et  qui,  au 
lieu  de  retrancher  non-seulement  le  super- 
flu, mais  même  le  nécessaire  pour  satisfaire 
leurs  créanciers,  cherchent  à  en  tromper 
id'autres  par  de  nouveaux  emprunts,  et  ne 
s'occupent  qu'à  grossir  le  nombre  des  misé- 
rables qu'ils  abîment  et  qu'ils  voient  périr 
sans  pitié. 

Faites  réflexion  sur  ces  importantes  véri- 
fiés, mes  très-chers  frères.  Que  peut  devenir 
un  chrétien  sans  humilité,  sans  pénitence, 
sans  miséricorde?  Que  peut  devenir  un 
homme  qui  fait  voir  |  ar  toute  sa  conduite 
qu'il  n'a  que  la  vanité  dans  l'esprit,  la  mol- 
lesse dans  le  cœur  cl  la  dureté  dans  l'âme? 
11  ne  «toit  attendre  assurément  aucune  misé- 
ricorde de  Dieu  .  puisqu'il  a  effacé  en  lui 


tendre  sur  cette  matière  :  la  cause  de  1ous..ttous  les  caractères  de  son  esprit! 
Orateurs  sacrés.  XXX.  <; 


iïl 


ORATEURS  SACHE*.  DUM  JEROvIE. 


\-,± 


Songez  donc  à  racheter  vos  pèches  par  la 
miséricorde;  nous  vous  ferons  voir  dans  le 
premier  discours  que  toutes  les  raisons  que 
vous  pouvez  alléguer  pour  vous  dispenser 
de  la  l'aire  et  pour  soutenir  votre  luxe,  s  ml 
frivoles.  Dieu  nous  lasse  la  grâce  de  vo.is  en 
persuader  efficacement.  Ainsi  soil-il. 

SERMON 

POU U  LE  TROISIÈME   DIMANCHE  DJi   LAVENT. 


Tu  quifl  es? 

Qui  éie.->-vous  (Joan. 


I,  10)1 


Le  luxe  des  hommes  et  leur  ambition  nous 
donnent  lieu  de  faire  celle  demande  à  lout 
le  monde.  On  est  aujourd'hui  dans  un  si 
étrange  dérèglement,  que,  n'y  ayant  presque 
plus  de  différence  dans  les  conditions  par  les 
dehors,  on  est  obligé  de  demander  aux  per- 
sonnes que  l'on  rencontre  pour  les  connaî- 
tre :  dites-nous  donc  qui  vous  êtes? 

Je  veux  vous  parler  aujourd'hui,  mes  frè- 
res, de  ce  désordre  qui  renverse  toute  l'éco- 
nomie que  la  ;  rudence  a  voulu  établir  dans 
le  monde,  et  qui  dérange  tous  les  desseins 
que  Lieu  a  formés  pour  la  conduite  des  hom- 
mes :  nous  vous  avons  fait  voir  dans  le  dis- 
cours précédent  que  le  luxe  élait  opposé  à 
l'esprit  du  christianisme  ;  il  faut  combattre 
aujourd'hui  les  raisons  que  les  hommes  em- 
ploient pour  le  défendre,  et  vous  en  décou- 
vrir la  faiblesse  et  la  fausseté.  Je  les  réduis 
à  quatre  principales.  La  première,  c'est  la 
coutume  qui  a  mis  les  choses  sur  un  certain 
pied  d'où  on  ne  peut  plus  descendre  sans 
passer  pour  singulier.  La  seconde  ,  c'est  la 
Bienséance  de  l'état  qui  engage  à  de  certai- 
nes choses  qu'où  ne  peut  quitter  sans  la 
blesser.  La  troisième,  c'est  qu'on  a  une  cer- 
taine prudence,  dont  on  se  sait  bon  gré,  qui 
règle  les  dépenses  sur  le  pied  des  fonds,  et 
avec  laquelle  on  dépense  ce  que  l'on  veut 
envers  le  prochain,  parce  qu'on  ne  viole  pas 
l'équité  envers  ses  parents,  puisqu'on  ne  dis- 
sipe pas  son  fonds  et  qu'on  n'emprunte 
point.  La  quatrième,  c'est  l'utilité  publique 
dans  ces  dépenses  ,  qui  fournissent  des 
moyens  de  vivre  à  mille  misérables  qui  pé- 
riraient absolument  s  ins  cette  ressource. 

Voilà,  si  je  ne  me  trompe,  les  principales 
raisons  que  les  hommes  allèguent  pour  sou- 
tenir leur  conduite,  et  défendre  le  luxe  con- 
tre les  règles  de  l'Evangile.  Chaque  partie 
du  ce  discours  contiendra  la  réfutation  de 
deux  de  ces  prétextes.  Examinons-les,  après 
avoir  demandé  l'assistance  du  ciel.  Ave , 
Maria. 

i'iu:Mii:iu:   PARTIE. 

Vous  me  dites  donc,  mes  frères,  que  la 
coutume  a  mis  les  choses  sur  un  certain  pied 
d'où  on  ne  peut  plus  descendre;  car  enfin 
pour  vivre  dans  le  monde  il  faut  vivre  selon 
le  monde  ,  autrement  on  se  rendra  extraor- 
dinaire; et  sur  cela  vous  êtes  en  repos.  Vous 
croyez  que  ce  n'est  pas  vivre  mal  que  de 
suivre  l'exemple  de  ceux  a\  ec  qui  vous  vifez, 
et  vous  demeurez  en  assurance  sur  la  cou- 
tume que  vous  alléguez.  Examinons  la  soli- 
dité de  ce  motif;  mais  d'abord  établissons  ce 


principe  que  la  coutume  ne  peut  jaunis  pres- 
crire contre  la  I  i  <  e  Dieu.  Quand    tous  les 
hommes  de  la  lerre  i> 'accorderaient  a  établir 
toulura  ■  •  ■  -  contre   cette 

loi,  ils  seraient  tou   •  >eal eonpablea se- 

lon les  règles  de  la  loi  é  i  a<  Ile  il  Immnal  1  . 
dit  saint  À  _u  in.  La  loi  éternelle  de  Dieu, 
c'est  la  rerge  d'Aaren  qui  défore  toutes  cel- 
les des  magie  eus  de  Pharaon.  11  ne  faut  donc 
pas  s'imaginer  que  l'on  puisse  dire  avec  rai- 
son en  toute  occasion  :  Ou  a  toujours  vceir 
de  (elle  manière;  il  ne  faut  alléguer  ni  le 
crédit,  ni  l'autorité  ,  ni  le  ran.' des  person- 
nes ;  il  ne  su  1  fi l  pas  de  dire,  encore  une  fois  : 
On  vil  ainsi  dans  le  monde.  Si  ce  que  vous 
entreprenez  de  défendre  se  trouve  contraire 
à  la  loi,  c'est  en  vain  que  vous  prêt  ndez  le 
justifier  ;  car  vous  ne  pouvez  pas  nier  que  le-. 
coutumes,  quelles  qu'elles  puissent  èire,  ne 
peuvent  donner  aucune  atteinte  à  la  loi  de 
Dieu  et  aux  règles  de  l'Evangile. 

11  est  vrai  que  la  coutume  a  force  de  loi 
parmi  les  hommes  ,  soit  pour  en  abroger 
quelques-unes,  soit  pour  en  établir  d  au- 
tres; ce  qui  ne  peut  arriver  que  par  rap,oit 
aux  pratiques  indifférentes  en  elles-mêmes. 
Mais  lorsque  les  coutumes  que  les  peuples 
établissent  sont  contraires  à  la  loi  de  Dieu 
ou  qu'elles  nous  en  éloignent,  il  faut,  dit 
saint  Augustin,  suivre  le  jugeaient  de  la  te- 
nté, et  non  pas  les  préjugés  de  la  coutume. 
Or  il  e>t  cons  ant  que  le  luxe,  qu'on  prétend 
soutenir  par  l'autorité  de  la  coutume,  est 
une  source  déplorable  de  toutes  sortes  de  dé- 
sordres, d'où  coule  dans  le  monde  une  mul- 
titude de  péchés  énormes  qui  passent  pour 
légers,  ou  même  qui  ne  pissent  plus  pour 
des  péchés,  parce  qu'ils  sont  couverts  du 
prétexte  spécieux  de  la  coutume.  Nous  nous 
trouvons  dans  un  temps  si  malheureux,  que 
nous  n'avons  plus  en  horreur  que  les  péchés 
extraordinaires,  et  nou^  ne  considérons  plus 
ceux  qui  sont  communs,  quoique  le  Fils  de 
Dieu  ait  répandu  son  sang  pour  les  laver,  <.  t 
qu'us  ferment  l'entrée  du  royaume  céleste  à 
ceux  qui  les  commettent.  Nous  vous  les  mon- 
trerons, mes  frères,  ces  péchés  dans  la  se- 
conde partie  de  ce  discours,  en  vous  décou- 
vrant les  desordres  du  luxe,  et  en  tachant 
de  vous  faire  sei.tir  la  force  et  la  solidité  des 
raisons  de  l'Evangile  et  des  principes  de  1; 
religion  qui  le  condamnent;  mais  arrêtons- 
nous  plus  longtemps  à  examiner  ce  que  c'est 
que  cette  coutume  que  Tous  alléguez  pour 
votre  défense,  cl  voyons  s'il  y  a  quelque 
sorte  d'assurance  à  vous  conduire  sur  celte 
autorité. 

Qu'est-ce  donc  en  effet  que  la  coutume? 
Ce  n'est  qu'une  suite  et  une  continuation  des 
mêmes  actions  ,  lesquelles  ,  étant  longtemps 
pratiquées  par  plusieurs  personnes,  acquiè- 
rent une  certaine  autorité  sur  l'esprit  des  au- 
tres, qui  les  entraîne  sans  réflexion,  et  qui 
contraint  ensuite  les  plus  sages  à  la  suivre 
maigre  leur  répugnance,  ou  à  la  tolérer  mal- 
ré  leurs  lumières  particulières,  (/est  un  lor- 
contre  lequel  il  est  aussi  difficile  de  se 
roidir,  que  contre  le  courant  d'un  fleuve  ra- 
pide qui  uouseulraiuc  malgré  nous.  Mais  il 


rcnl 


173  SERMON  POUR  LE  TROISIEME  DIMANCHE  DE  LAVENT. 

ne  faut  pas  que  le  nombre  nous  effraye  par      s'assemblent  et  se  réunissent 


{74 


la  grandeur  démesurée  de  ce  torrent  des  ac 
lions  des  hommes.  Il  faut  l'aller  prendre  dans 
sa  naissance,  pour  en  découvrir  la  faiblesse. 
Il  faut  détacher  un"  action  de  chaque  espèce* 
du  gros  et  de  la  multitude,  pour  l'examiner 
en  particulier  avec  précision,  et  faire  ainsi 
l'analomic  de  la  coutume,  afin  d'en  connaî- 
tre parfaitement  et  exactement  la  juste  va- 
leur. Elle  commence  nécessairement  par  une 
première  action  qui  est  suivie  des  autres,  et 
qui  par  succession  est  devenue  capable  de 
faire  une  espèce  de  loi  et  de  s'opposer  à  la 
vérité.  Pour  lors,  si  cette  première  action  est 
mauvaise,  la  coutume  est  mauvaise  ;  et  il  faut 
la  regarder  dans  cette  action,  pour  juger  de 
ce  qu'elle  est  eu  elle-même  et  de  l'autorité 
qu'on  doit  lui  donner. 

Prenons  pour  exemple  dans  cette  discus- 
sion celle  malheureuse  coutume  de  se  battre 
en  duel,  qui  s'était  tellement  établie  parmi 
notre  noblesse  française,  qu'on  n'y  connais- 
sait plus  de  bravoure  que  dans  le  carnage, 
ni  de  valeur  que  dans  les  meurtres  ;  coutume 
que  nous  avons  vue  succomber  sous  le  zèle 
de  notre  invincible  monarque,  de  qui  Dieu 
se  sert  visiblement  pour  terrasser  plus  d'un 
monstre.  Il  est  certain  que  la  première  fu- 
reur qui  a  porté  un  homme  à  cette  inhuma- 
nité a  été  regardée  de  tout  le  monde  comme 
un  violentent  de  la  loi  de  Pieu.  Or,  si  cette 
première  action  est  telle,  comme  elle  l'est  en 
effet,  que!  jugement  devons-nous  faire  de 
toutes  les  autres  actions  de  même  nature  qui 
l'ont  suivie?  Si  cette  première  action  est  di- 
gne de  condamnation  et  de  châtiment,  que 
méritent  toutes  les  autres?  Quelle  autorité 
peut  donc  avoir  la  coutume  qui  sert  de  mo- 
bile et  de  raison  à  toutes  les  actions  des  gens 
du  monde,  coutume  qui  n'est  composée  que 
de  l'assemblage  des  actions  les  plus  mauv  li- 
ses et  les  plus  corrompues?  L'augmentation 
d'un  mal  peut-elle  en  changer  la  nature?  Les 
hommes  ont-ils  l'autorité  de  rendre  juste, 
honnête,  permis,  ce  que  Dieu  a  déclaré  ne 
l'être  point?  A-t-ilditen  quelque  enlroit  des 
saintes  Ecritures  qu'il  ne  punirait  le  péché 
que  quand  il  serait  seul,  et  qu'il  le  pardon- 
nerait quand  il  serait  multiplié?  Enfin  les 
méchanls  cesseront-ils  d'être  les  ennemis  de 
Dieu,  quand  leur  nombre  sera  p'us  étendu 
que  celui  des  gens  de  bien?  Reconnaissez 
donc  de  bonne  foi ,  mes  frères,  que  la  cou- 
tume n'est  pas  capable  de  justifier  ceux  qui 
veulent  la  prendre  pour  la  règle  de  leur  con- 
duite. Car  enfin,  comme  il  arrive  que  quand 
des  gens  ont  commencé  à  passer  par  un  che- 
min qui  les  a  égarés,  la  multitude  qui  vient 
à  les  suivie  ne  rend  pas  lé  chemin  plus  droit 
ni  plus  sûr,  quoiqu'elle  le  rende  plus  agréa- 
ble et  plus  battu,  ainsi  ceux  qui  ne  se  con- 
duisent que  par  la  coutume  ne  sont  pas  plus 
en  assurance  que  ceux  qui  l'ont  commencée, 
puisqu'elle  n'est,  à  parler  proprement,  qu'un 
assemblage,  une  réunion  et  un  amas  des  fau- 
tes des  uns  et  des  autres. 

C'est  donc  en  vain  que  vous  allégueriez  la 
coutume  pour  soutenir  le  luxe  condamné 
par  la  loi  de  Dieu.   Que  tous  les  hommes 


pour  établir 
des  coutumes  et  autoriser  des  pratiques  con- 
traires aux  lois  de  Jésus-Christ,  rompons, 
mes  chers  frères,  les  chaînes  dont  ils  veulent 
nous  lier,  et  rejetons  le  joug  loin  de  nous  : 
car  celui  qui  habite  dans  le  ciel  se  rira  d'eux, 
et  le  Seigneur  s'en  moquera.  Il  leur  parlera 
dans  sa  colère,  et  il  les  épouvantera  dans  sa 
fureur.  Disons  donc  anathème  à  ce  torrent 
funeste  de  la  coutume  :  Heureux  celui  qui 
a  assez  de  force  pour  te  résister!  ne  te  sé- 
cheras-tu donc  jamais?  jusqu'à  quaud  en- 
traîneras tu  les  enfants  d'Eve  dans  cette  vaste 
et  périlleuse  mer  dont  à  peine  se  peuvent 
sauver  ceux  mêmes  qui  portent  la  croix  de 
Jésus-Christ  et  marchent  sur  ses  traces? 

Mais,  me  direz-vous,  nous  convenons  que 
la  coutume  qui  est  mauvaise  ne  nous  justi- 
fiera pas ,  et  qu'elle  est  toujours  mauvaise 
quand  elle  s'oppose  à  la  loi  de  Dieu;  mais 
quand  elle  ne  va  qu'à  maintenir  une  certaine 
bienséance  dans  la  condition  où  l'on  se 
trouve,  celte  nécessité  justifie  la  coutume,  et 
en  ce  cas  on  la  peut  suivre  en  sûreté. 

Avant  que  de  répondre  à  cette  seconde 
raison  qu'on  allègue  pour  soutenir  le  luxe, 
il  est  à  propos  de.  convenir  de  la  réalité  de 
l'état  dont  on  se  croit  obligé  de  conserver  la 
bienséance;  car  s'il  est  vrai  qu'une  grande 
partie  de  ceux  qui  s'inléressent  avec  plus  de 
chaleur  dans  ia  défense  du  luxe  ne  sont  point 
dans  leur  état  réel  et  véritable,  c'e-t-à-dire 
dans  un  état  juste,  légitime  et  selon  Dieu,  il 
est  certain  dans  ce  cas  qu'ils  n'ont  point  des 
règles  de  bienséance  à  garder,  puisque  l'état 
où  ils  sont  n'est  pas  le  leur,  et  qu'il  faut 
souvent  qu'ils  l'abandonnent  s'ils  veulent 
faire  leur  salut.  Or  le  monde  est  plein  de 
gens  qui,  comme  je  viens  de  le  dire,  se  sont 
placés  dans  des  états  contre  l'ordre  de  Dieu, 
et  qui  se  croient  dans  l'impuissance  d'être 
modestes  et  de  suivre  les  règles  de  l'Evan- 
gile, parce  qu'ils  se  sont  fait  une  nécessité 
d'être  magnifiques  contre  toutes  les  lois  de 
la  justice  et  de  l'équité;  mais  pour  pouvoir 
décider  sur  la  réalité  et  la  justice  de  l'état, 
il  faut  distinguer,  1°  celui  dans  lequel  Dieu 
nous  a  fait  naître,  et  où  nous  nous  trouvons 
par  le  bénéfice  de  la  Providence,  ou  bien  ce- 
lui dans  lequel  celle  même  Providence  nous 
a  conduits  par  une  suite  d'événements  légiti- 
mes qui  nous  ont  élevés  beaucoup  au-dessus 
de  notre  origine,  ou  par  le  fruit  de  nos  ta- 
lents et  de  nos  travaux  réglés  par  la  foi,  ou 
par  les  bienfaits  des  souverains.  2"  Il  y  a  un 
autre  état  qui  n'est  point  de  Dieu,  mais  qui 
est  l'ouvrage  de  l'avarice  et  de  l'ambition  des 
hommes  :  c'est  celui  où  nous  voyons  arriver 
ceux  qui,  poussés  par  un  esprit  de  cupidité, 
entreprennent  de  grandes  affaires,  et  pres- 
que toujours  injustes,  où  ils  s'enrichissent 
en  peu  de  temps,  et  par  où  ils  se  font  entrée 
dans  de  grandes  places  ,  ce  qui  les  met  dans 
une  condition  élevée,  qu'ils  allèguent  en- 
suite pour  prétexte  des  dépenses  excessives 
qu'ils  font,  et  d'un  luxe  effroyable,  qu'ils  ap- 
pellent tranquillement  la  bienséance  de  leur 
elat. 

Ces  derniers  n'ont  point  l'étal  du'ill  s'i- 


maginont,  leur  condition  n'est  point  légitime, 
et  il  faut  qu'ils  s'appliquent  non  à  en  recher- 
cher la  bienséance,  mais  à  en  changer  la  dis- 
position par  la  restitution  «les  bieni  mal  ac- 
quis. <| u i  sont  les  fondements  déplorables  de 
leur  élévation  ;  par  la  multitude  «les  aumn- 
n<s,  qui  sont  les  voies  de  leur  salut;  par  la 
frugali  é  d'une  vie  modeste,  privée  et  con- 
tente du  Seul  nécessaire,  pratiques  et  devoirs 
qui  sont  pour  i  ux  l'unique  moyen  de  faire 
pénitence  et  de  se  sauver. 

Cela  supposé,  je  viens  au  fond  de  la  diffi- 
culté, et  je  tombe  d'accord  qu'il  y  a  une  bien- 
séance à  garder  dans  chaque  état  :  saint  Au- 
guslin  l'a  reconnu,  et  dans  celte  excellente 
lettre  qu'il  adresse  à  Edicia,  etqui  est  pleine 
d'instructions  admirables  pour  les  femmes 
mariées,  il  remarque  que  l'Ecriture  dit  bien 
qu'il  faut  que  les  femmes  soient  habillées 
modestement,  et  qu'il  condamne  en  général 
les  parures  d'or,  la  frisure  des  cheveux  et 
les  autres  choses  par  où  les  femmes  ne  cher- 
chent qu'à  satisfaire  leur  orgueil  et  à  relever 
leur  beauté,  mais  que  cela  n'empêche  pas 
qu'il  n'y  ait  une  manière  de  s'habiller  pro- 
pre à  chaque  état.  Ces  différences  se  peuvent 
observer  sans  aller  contre  ce  que  les  règles 
du  christianisme  vous  prescrivent.  Voilà 
donc  une  bienséance  dans  chaque  état  net- 
tement établie  par  saint  Augustin  ;  mais  qui 
nous  dira  présentement  quelles  sont  les  rè- 
gles et  les  mesures  d'une  bienséance,  et  jus- 
qu'où on  peut  aller  sans  tomber  dans  l'excès? 
Car  j'avoue  que  saint  Augustin  dit,  dans  cette 
même  lettre,  que  l'Ecriture  ne  nous  prescrit 
rien  sur  un  tel  sujet,  et  que  nous  n'y  trou- 
vons pas  de  règles  qui  prescrivent  nettement 
en  particulier  jusqu'où  peut  aller  la  dépense 
de  chaque  condition. 

Ne  pensez  pas  cependant  tirer  un  grand 
avantage  de  cette  soi  le  de  silence  pour  au- 
toriser votre  luxe  ;  car  lorsque  les  choses  ne 
se  trouvent  point  réglées  en  particulier  dans 
l'Ecriture,  nous  avons  deux  autres  voies 
pour  les  régler  :  1°  l'esprit  général  de  la  re- 
ligion^" les  sentiments  des  saints  Pères  et 
des  docteurs. 

Or  le  luxe  ne  sera  assurément  favorisé 
ni  par  l'esprit  de  la  religion  et  de  la  loi  de 
Dieu,  ni  par  la  doctrine  des  Pères.  En  effet, 
l'esprit  du  christianisme  et  de  la  religion  est 
un  esprit  d'anéantissement  et  d'humilité,  de 
dépouillement  el  de  pauvreté,  de  pénitence 
et  de  mortification.  Cet  esprit-là  n'est  point 
du  tout  favorable  au  luxe,  et  si  nous  nous 
réglons  sur  ces  principes,  vous  voyez  que  la 
bit  nséance  ne  peut  pas  aller  fort  loin.  D'un  au- 
tre côté,  les  saints  Pères,  qui  ont  été  péné- 
trés de  cet  esprit  de  religion, ont  traité  le  luxe 
impitoyablement,  si  j'ose  ainsi  parler.  \  ous 
pouvez  voir  dans  leurs  écrits  de  quelle  ma- 
nière ils  l'ont  attaqué,  ce  qu'ils  ont  dit  con- 
tre ceux  qui  ont  entrepris  de  le  détendre,  et 
les  mesures  même  qu'ils  ont  prises  pour  ré- 
primer ceux  qui  ne  se  rendaient  pas  à  leurs 
remontrances  et  à  leurs  avis. 

Les  prétendus  droits  de  la  bienséance  n'au- 
ront donc  pas  beaucoup  d'étendue  si  nous 
les  réglons  aux  décisions  des  saiuls  Pères  ; 


ORATEURS  SACHES.  DOM  JEROME.  17G 

mais  tenons-nous-en  seulement  a  ce  qui  est 
ré^'lé  parmi  les  hommes  pour  marquer  la 
différence  des  états,  el  vous  verrez  que  le 
luxe  n'en  est  pas  mieux  autorisé. 

Un  juge  porte  un  habit  qui  le  distingue 
d'aï  ec  un  cavalier,  sLainsi  dans  (  baque  «  au- 
dition il  y  a  de  certaines  marques  extérieu- 
res de  1  institution  même  de»  hommes.  Ce 
n'est  donc  ni  par  la  magnificence  des  habits, 
ni  par  la  pompe  des  équipages,  ni  par  la 
Somptuosité  des  meubles,  m  parla  profusion 
de  la  table,  que  les  hommes  ont  prétendu 
qu'on  se  distinguât  entre  eux.  Vos  pères  n'eu 
ont  pas  usé  ainsi  :  on  a  vu  des  magistrats  et 
des  premières  personnes  de  l'Etat  très-mo- 
destes, et  on  en  voit  encore  qui  ne  renoncent 
pas  à  leur  dignité  et  qui  n'avilissent  pas  leur 
caractère,  quoiqu'ils  renoncent  à  ces  crimi- 
nelles el  fastueuses  distinctions. 

Mais  allons  plus  loin  :  n'esl-il  pas  même 
vrai  que  quand  on  excède  dans  son  exté- 
rieur, les  hommes  mêmes  nous  condamnent? 
Nous  avons  vu  plusieurs  fois  les  magistrats 
recourir  à  l'autorité  des  princes  pour  arrêter 
le  torrent  du  luxe,  et  faire  des  lois  pour  re- 
tenir les  hommes  dans  la  bienséance  de  leur 
état,  en  défendant  l'usage  des  choses  qui  la 
blessaient. 

Toutes  les  lois  des  princes  sarcelle  matière 
n'ont  été  faites  que  pour  le  retrancher,  parce 
que  le  luxe  peul  attirer  avec  lui  la  perle  et 
la  ruine  de  l'Etal  en  délruisanl  le  commerce 
extérieur.  Combien  d'hommes  employés  à 
faire  vos  vêlements  qui  cultiveraient  la  terre, 
qui  perfectionneraient  les  arts  el  qui  appor- 
teraient de  l'argent  dans  l'Etal,  au  lieu  d'a- 
cheter chez  les  étrangers  ce  qui  est  néces- 
saire pour  soutenir  ce  faste  1  II  ne  faut  que  la 
raison  pour  faire  sentir  aux  hommes  que 
l'excès  et  le  luxe  sont  condamnables.  U  esl 
vrai  qu'il  arrive  souvent  qu'elle  les  éclaire 
sur  le  chapitre  des  autres,  quoiqu'à  leur 
égard  elle  les  laisse  dans  l'aveuglement.  Mes 
frères,  combien  de  lois  pour  régler  en  autrui 
ce  qu'on  ne  pense  pas  régler  en  soi-même! 
Concluons  donc  que  c'est  sur  les  principes  de 
la  raison  el  sur  les  obligations  indispensa- 
bles du  christianisme  que  nous  devons  pren- 
dre des  vues  pour  régler  notre  étal  et  notre 
condition.  C'est  ainsi  que  les  sainls  en  oui 
usé.  Ils  ont  fail  passer  le  chrisli  tourne  de- 
vant tout;  ils  ont  considéré  que  comme  chré- 
tiens ils  étaient  pénitents,  disciples  d'un  Dieu 
anéanti  el  aspiranl  à  une  gloire  où  l'on  no 
peut  arriver  que  par  le  mépris  du  laste  el  par 
î'éloignemenlde  tout  ce  qui  esl  propre  à  nour- 
rir l'orgueil. 

Réglez  donc  la  bienséance  de  votre  état  sur 
des  principes  si  solides,  ne  perdez  point  de 
vue  les  obligations  de  l'homme  chrétien  quand 
il  s'agit  d'accorder  quelque  chose  à  l'homme 
du  monde.  Souvenez-vous  que  vous  y  avei 
renoncé  par  le  vœu  de  votre  baptême.  Crai- 
gnez donc  toutes  les  fois  que  la  nécessité  v  ous 
oblige  d'en  reprendre  l'usage  :  el  avant  que 
de  vous  déterminer,  prenez  pour  modèle  la 
conduite  de  Jésus-Christ  el  les  exemples  des 
sainls  «iui  ont  passé,  avec  une  conduite  aussi 
régulière  pour  Dieu    que  décente   pour  lo 


177 


SERMON  POUR  LE  TROISIEME  DIMANCHE  DE  L'ÂVENT. 


178 


monde,  par  la  condition  où  vous  vous  trou- 
vez. C'est  le  moyen  de  remplir  les  devoirs  de 
voire  état  sans  en  blesser  la  bienséance,  et 
de  voir  bientôt  dissiper  les  faux  prétexles  que 
l'amour-propre  vous  fournit  pour  défendre 
une  conduite  intolérable.  Nous  allons  exa- 
miner les  deux  autres  dans  la  dernière  par- 
tie de  ce  discours. 

SECONDE    PARTIE. 

La  (roisième  raison  qu'on  allègue  pour 
soutenir  le  luxe,  c'est  qu'on  ne  blesse  point 
la  justice  :  on  a  la  prudence  nécessaire  pour 
régler  les  dépenses  sur  le  pied  de  ses  fonds, 
prudence  qui  ne  permet  pas  qu'on  viole  l'é- 
quité ni  la  justice  au  préjudice  du  prochain. 
Ma  dépense,  dit-on,  n'excède  point  mon  re- 
venu ;  ainsi  je  n'intéresse  ni  ma  famille  nî  per- 
sonne ;  car  d'une  part  mon  fonds  demeure,  et 
de  l'autre  je  n'emprunte  rien. 

A  l'égard  de  cette  troisième  raison,  jen'exa- 
mine  pas  si  ces  vues-là  seraient  fort  sages 
pour  l'intérêt  propre  de  la  personne  qui  les 
aurait  et  pour  ceux  de  sa  famille;  car  il  me 
semble  qu'on  pourrait  tomber  dans  mille  in- 
convénients en  suivant  celle  maxime;  mais 
ce  que  je  sais,  c'est  qu'une  telle  conduite  ne 
peut  convenir  à  un  chrétien,  et  que  pour  la 
tenir  il  faut  n'avoir  aucun  égard  à  la  vie  fu- 
ture, ni  aucune  connaissance  des  principes 
les  plus  communs  et  les  plus  indispensables 
de  la  religion.  En  effet,  dès  qu'un  homme  est 
rempli  des  vues  de  la  vie  éternelle,  il  doit 
rapporter  tous  les  biens  de  celle-ci  à  rendre 
celle-là  heureuse,  et  c'est  assurément  ce 
qu'il  ne  peut  faire  qu'en  s'appliquant  à  la 
pratique  des  vertus  communes  et  générales 
du  christianisme  et  à  l'accomplissement  des 
devoirs  particuliers  et  propres  à  son  état. 

Or,  mes  frères,  il  est  certain  que  la  con- 
duite donl  nous  parlons  l'éloigné  de  l'un  et 
de  l'autre;  les  vertus  générales  de  la  religion, 
cl  communes  à  tous  les  chrétiens,  sonlla  foi, 
l'humilité  el  la  pénitence. 

Pour  vous  prouver  ce  que  j'avance,  dites- 
moi,  je  vous  prie,  quelle  peut  être  la  foi 
d'un  homme  qui  ne  songe  nullement  à  ac- 
quérir les  biens  éternels  qu'elle  lui  découvre, 
el  qui  consume  mal  à  propos  tous  lesmoyens 
que  la  miséricorde  de  Dieu  lui  a  donnés  pour 
faire  cette  acquisition.  D'ailleurs,  peut-on 
être  humble  quand  on  s'attribue  et  qu'on 
s'applique  ce  qui  ne  nous  appartient  pas 
dans  un  sens  irès-véritablc,  el  qu'on  ne  le 
rapporte  qu'à  soi?  Enfin,  un  homme  pas- 
scra-t-il  jamais  pour  pénitent,  qui  ne  3e  re- 
fuse rien  de  tout  ce  qu'il  peut  se  donner,  et 
qui,  sans  considérer  ce  qu'il  devrait,  n  ■  se 
règle  jamais  que  sur  ce  qu'il  peut?  Vous 
voyez  donc  par  là  que  la  pratique  des  vertus 
communes  du  christianisme  ne  peut  entrer 
dans  celte  conduite,  mais  elle  n'est  pas  moins 
opposée  aux  devoirs  propres  et  aux  obliga- 
tions particulières  de  l'étal  des  riches;  car, 
quoiqu'il  soit  vrai   que  ceux  à   qui    Dieu  a 


tellement  à  eux  que  d'autres  ne  puissent  pas 
les  leur  ravir  sans  injustice,  ils  ne  sont  pour- 
tant pas  abandonnés  à  leur  caprice  et  à  leurs 
passions  pour  en  faire  l'usage  qu'il  leur  plaît. 
Saint  Cyprien,  dans  le  traité  de  l'habit  des 
vierges,  dit  fort  bien  :  Servez-vous  de  vos 
richesses,  à  la  bonne  heure, elles  sont  à  vous; 
mais  servez-vous-en  pour  votre  salut,  pour 
faire  de  bonnes  œuvres.  Que  les  pauvres  et 
les  indigenls  sentent  que  vous  êtes  riches; 
car  vous  pochez  conlre  Dieu  en  cela  même, 
si  vous  ne  croyez  pas  qu'il  ne  vous  a  donne 
du  bien  que  pour  vous  en  servir  utilement 
pour  votre  salut.  Ainsi,  mes  frères,  il  a  donné 
la  voix  aux  hommes,  et  néanmoins  il  ne  s'en- 
suit pas  qu'on  la  doive  employer  à  chanter 
des  chansons  déshonnêtes.  Il  a  donné  le  fer 
aux  hommes,  mais  c'est  pour  culliver  la  lerre 
et  non  pas  pour  commettre  des  homicides. 
Vos  richesses  sont  donc  des  biens  de  Dieu  ; 
mais  ce  serait  une  grande  tenlation  s'ils  ne 
vous  étaient  pas  accordés  pour  vous  donner 
lieu  d'en  faire  un  bon  usage  et  d'en  racheter 
vos  péchés.  Les  riches  doivent  donc  suivre 
les  règles  que  Dieu  leur  a  prescrites,  et  elles 
peuvent  fort  bien  se  rapporter  toutes  à  deux 
principales,  qui  sont  comme  le  centre  de 
toute  la  discipline  de  l'Evangile  pour  les  ri- 
ches sur  ce  point  :  la  première  est  de  ne  pren- 
dre sur  son  bien  que  le  nécessaire  et  ce 
qu'exige  la  bienséance  chrétienne;  la  se- 
conde est  de  donn'-r  ce  superflu  à  la  charité 
et  à  la  justice  chrétienne.  Les  richesses  sont, 
un  fleuve  qui  doit  passer  pour  arroser  le 
champ  d'autrui  quand  il  a  arrosé  le  vôtre. 
Arrosez-le  donc,  prenez  le  nécessaire  à  vo- 
tre état,  mais  laissez  couler  le  reste,  autre- 
ment c'est  une  eau  qui  croupit  et  qui  ne 
cause  que  de  la  corruption.  Or,  quel  moyen 
d'observer  ces  règles  en  suivant  la  conduite 
des  gens  du  monde?  Car  si  un  homme  croit 
qu'il  peut  mettre  tout  son  revenu  dans  sa 
dépense,  il  ne  regardera  plus  ni  la  règle  du 
nécessaire,  ni  celle  du  superflu.  En  se  don- 
nant tout,  il  ne  réserve  rien  pour  autrui.  II 
viole  donc  les  lois  de  son  état;  il  s'ôte  le 
moyen  d'entrer  dans  la  pratique  des  vertus 
chrétiennes  ;  il  renverse  ce  bel  ordre  des 
desseins  de  Dieu  dont  nous  avons  parlé  dans 
le  premier  discours;  il  se  charge  de  répon- 
dre au  jugement  de  Dieu  de  tous  les  désor- 
dres qu'attire  ce  renversement.  Ces  biens  et 
ces  richesses  qu'il  emploie  à  ses  habits,  à  ses 
meubles,  à  ses  bâtiments,  que  les  hommes 
font  servir  à  leur  vanité  et  qu'ils  emploient 
à  leurs  plaisirs,  doivent  être  rapportes  à  la, 
fin  pour  laquelle  il  les  a  créés,  et  on  ne  peut 
s'en  servir  que  selon  ses  vues  et  ses  desseins. 
Les  créatures  sont  faites  pour  élever  l'homme 
à  la  connaissance  et  à  l'amour  de  la  souve- 
raine vérité,  el  il  les  fait  servir  à  sa  vanité. 
11  s'y  attache  comme  si  elles  étaient  son  Dieu, 
et  il  en  dispose  comme  s'il  était  le  leur. 

Or,  mes  frères,  les  rapporter  à  Dieu,  c'est 
suivre  leur  institut;   se  les  rappoi  1er,  c'est 


donné  des  biens  en  soient  les  maitres  quant  leur  faire  violence.  Un  jour  viendra,  et  peut- 

à  la  propriété,  ils  ne  le  sont  pas  quant  a  lu-  être  n'est-il  pas  loin,  qu'il  les  lirera  de  celte 

sage,  c'est-à-dire  qu'encore   que  les   biens  servitude,  et  qu'il  punira  les  tyrans  qui  les 

qu'ils  possèdent  par  l'ordre   de  Dieu  soient  y  retiennent,  et  il  écoutera,  pour  ainsi  dire, 


I7IJ 


ORATEURS  SACHES.  DOM  JEROME. 


M 


les  plainlcs  des  richesses  qu'il  vous  a  don- 
nées et  dont  vous  alni-ez.  Il  se  ron'lra 
sensible  aux  gémissements  des  pauvres  qui 
Souffrent  de  l'abus  que  vous  en  faites.  La- 
zare sera  écouté,  ses  maux  passeront,  il 
reposera  dans  le  sein  d' a  Im  alta  i;  et  vous, 
inhumains,  qui  Jailcs  souffrir  les  pauvres 
dans  cette  vie  ,  vos  biens  s'évanouiront 
dans  un  instant,  et  vous  aurez  l'enter  pour 
sépulture. 

La  dernière  raison  qu'on  allègue  pour  sou- 
tenir le  luxe  est  aussi  faible  que.  les  trois 
autres.  C'est  un  faux  prélexie  que  celui  de 
l'utilité  publique  pour  autoriser  les  dépenses 
excessives,  et  il  ne  faut  pas  croire  qu'on  en 
boit  quille  devant  Dieu  pour  dire  qu'on 
fournil  des  moyens  de  vivre  à  des  misérables 
qui  périraient  sans  ce  secours.  Car  pour 
soutenir  les  grandes  dépenses,  il  faut  ruiner 
ordinairement  des  familles,  et  lel  qui  n'était 
rien  il  y  a  vingt  ans  a  fait  peut-élre  dix  nulle 
pauvres  pour  avoir  le  moyen  de  faire  sub- 
sister vingt  valeis,  et  gagner  la  vie  à  trente 
arlis.ms  qui  sont  occupés  à  soutenir  sou 
luxe  et  à  satisfaire  ses  passions  ;  en  vérité, 
le  public  n'est-il  pas  bien  redevable  à  ces 
gens  de  bien? 

Mais  approfondissons  un  peu  ce  prétexte  , 
de  faire  subsister  les  misérables,  qui  éblouit 
ceux  qui  ne  l'examinent  pas  par  les  prin- 
cipes iiu  christianisme.  Je  soutiens  qu'il 
ruine  l'esprit  de  la  charité,  à  la  prendre  de 
toutes  manières.  En  effet,  si  on  considère  la 
charité  comme  une  partie  de  cet  amour  du 
prochain  qui  nous  oblige  de  lui  donner  gra- 
tuitement de  notre  superflu  pour  l'assister 
dans  sa  misère,  je  dis  que  ceux  qui  préten- 
dent faire  subsister  le  misérable  par  le  tra- 
vail qu'ils  lui  fournissent,  n'ont  point  celle 
charité  pure  et  désintéressée  ;  car  ce  n'est 
pas  l'amour  qu'ils  ont  pour  le  prochain  qui 
les  oblige  à  se  servir  de  lui,  mais  celui  qu'ils 
o.it  pour  eux-mêmes.  Ce  n'est  pas  le  soula- 
gement de  sa  misère  qu'ils  considèrent  dans 
le  genre  de  travail  qu'ils  lui  font  faire,  c'est 
la  satisfaction  de  leur  vanité;  et  ceci  est  si 
vrai,  qu'ils  ne  choisissent  pas  le  plus  misé- 
rable, nais  le  plus  adroit,  et  souvent  ils  ne 
les  payent  pas  avec  la  libéralité  d'un  chré- 
tien qui  veut  soulager  la  misère  du  pauvre, 
mais  avec  toute  la  dureté  que  l'économie 
peut  inspirer.  11  n'y  a  donc  point  de  charité 
dans  celle  conduite  ;  mais  quand  même  on 
n'aurait  pas  de  tels  reproches  à  faire,  il  est 
certain  qu'on  ne  fait  point  do  charité  à  un 
homme  à  qui  on  donne  ce  qu'il  a  gagné. 
C'est  une  délie  qu'on  lui  paye,  qu'on  ne  peut 
lui  refuser  sans  injustice,  et  pour  laquelle 
il  peut  vous  contraindre  :  où  est  donc  la 
charité? 

D'ailleurs,  que  deviendront  les  vieillards, 
les  malades  et  tous  ceux  qui  n'ont  ni  la 
force  ni  l'industrie  pour  vous  contenter?  Oui 
les  fera  subsister,  si  vous  ne  douiez  rien? 
Les  hôpitaux  en  seront  chargés  el  bientôt 
accablés,  si  vous  persistez  dans  les  pria* 
cipes  ilonl  VOUS  vous  servez  pour  défendre 
Voire  luxe. 

Si   nous   prenons    maintenant  la   charité 


comme  une  partie  de  cet  amour  du  pro- 
chain qui  nous  doit  faire  prendre  inti 
dans  SOU  salut,  ju  qu'à  saciilier  nus  biens 
pour  \  contribuer,  où  peut-elle  être,  celle 
charité,  dans  la  résolution:  de  ne  vouloir 
soulager  le  misérable  qu'en  le  laisant  tra- 
vailler à  satisfaire  votre  luxe  et  contenter 
vos  (tassions? 

N'est-ce  pas  en  un  sens  le  rendre  com- 
plice de  vos  iniquités  ,  et  faire  passer  le 
mauvais  état  de  sa  fortune  au-dessus  de  la 
délicatesse  de  la  conscience?  Car  ces  gens 
oppressés  par  la  misère,  emportés  par  l'in- 
térêt, cl  se  jelanl  dms  des  professions  in- 
dignes du  christianisme,  ou  au  n  oins  sus- 
pectes aux  gens  de  bien,  dallent  vos  pas- 
sions, entretiennent  votre  vanité,  nourris- 
sent votre  orgoeil,  inventent  «les  modes,  en 
un  mot  trouvent  de  nouveaux  arlilices  qui 
deviennent  des  poisons  publics  et  qui  ser- 
vent à  infecter  tout  le  monde. 

Ne  nous  alléguez  donc  point,  pour  autori- 
ser votre  luxe,  que  vous  donnez  des  moyeus 
aux  misérables  de  gagner  leur  vie,  puisque, 
pour  en  soulager  un  petit  nombre,  vous  en 
opprimez  un  tiès-giand.  Vous  vous  privez 
de  lous  les  fruits  de  la  charité,  et  vous  mus 
chargez  de  rendre  comple  à  Dieu  d'une 
multitude  infinie  de  taules  dont  vous  êtes 
cause. 

Quittez  donc  la  défense  du  luxe,  mes  très- 
chers  frères,  c'est  une  conduite  qu'on  ne 
peut  ni  soutenir  ni  suivre,  sans  renoncera 
l'humilité,  à  la  pénitence  et  à  la  miséricorde, 
sans  détruire  l'esprit  du  christianisme  en  sa 
personne  en  particulier,  ni  sans  y  donner 
atteinte  dans  celle  des  autres  par  le  scau^ 
dale,  ainsi  que  nous  l'avons  fait  voir  dans  le 
premier  discours  sur  cette  matière.  Car,  mes 
frères,  ou  il  faut  dire  que  l'apôtre  saint  Paul, 
et  le  Saint-Esprit  dont  il  n'a  été  que  l'or- 
gane, se  sont  trompés  en  opposant  le  luxe 
et  la  folle  dépense  à  l'honnêteté,  à  la  modes- 
lie,  à  la  chasteté,  à  la  piété,  comme  il  a  l'ait 
dans  la  première  Epîlre  à  Timolhée.  ou  il 
faut  convenir  que  le  luxe  et  l'usage  des  su- 
perfluilés  mondaines  que  l'orgueil  a  inven- 
tées ne  combattent  point  l'esprit  du  christia- 
nisme, et  que  c'est  une  erreur  de  croire  que 
le  retranchement  de  ces  dépenses  el  de  ces 
vanités  va  au  delà  des  choses  de  conseil,  et 
que  l'obligation  d'éviter  ce  qui  est  contraire 
à  l'esprit  du  christianisme  n'est  qu'un  sim- 
ple conseil.  Prenons  donc  des  mesures  pour 
nous  réformer,  c'est  le  parti  que  la  sagesse 
chrétienne  et  l'amour  de  notre  salut  nous 
présentent.  Retranchons  tous  les  ornements 
immodestes  qui  con\  ieiinenl  si  peu  à  la  sim- 
plicité des  chrétiens.  Qu'il  paraisse  que  v  oits 
êtes  lis  disciples  de  celui  que  vous  fuies 
gloire  de  reconnaître  pour  ratre  maître, 
nielle/  de  la  proportion  entre  sa  façon  de  vi- 
vre el  la  rétro,  l'ertuliien  disait  que  si  nous 
ne  pouvons  pas  nous  couronner  d'épines, 
comme  il  a  fait,  au  moins  ne  devons-nous 
DM  nous  couronner  de  roses  pour  lui  insul- 
ter, el  qu«'  si  nous  u    devons   p   s  ("•ire  il.it:s 

le  dépouillement  ou  il  s'est  réduit,  au  moins 
ne  devons-nous  pal  Insulter,  par  l'insolence 


m 


S6RM0N  POUR  LE  QUATRIEME  DIMANCHE  DE  L'AVENT. 


de  notre  luxe,  à  la  pauvreté  qu'il  nous  a  re- 
commandée. Oui,  mes  chers  frères,  il  la  faut 
pratiquer  chacun  dans  notre  état,  et  la  mon- 
trer dans  la  bienséance  de  la  condition  où 
la  Providence  nous  a  placés.  Nous  ne  de- 
mandons rien  d'outré,  car  il  faut  suivre  les 
règles  de  cette  même  sagesse,  et  garder  l'or- 
dre et  le  rang  où  la  Providence  nous  a  mis; 
mais  songeons  aussi  à  n'en  pas  violer  les 
devoirs.  Considérez  souvent  ce  que  devien- 
dront tous  les  biens  dont  vous  abusez,  et  à 
quoi  se  terminera  ce  qui  vous  porte  à  en 
faire  un  usage  si  éloigné  des  intentions  de 
celai  qui  vous  les  a  donnés.  Ecoutez  les  me- 
naces qu'il  vous  fait  par  la  bouche  de  son 
prophète.  Tremblez  ,  femmes  riches ,  dit-il 
par  Isaïe;  pâlissez,  femmes  remplies  d'or- 
gueil :  car  ces  palais  seront  abandonnés,  ces 
maisons,  changées  en  cavernes,  seront  cou- 
vertes pour  jamais  d'épaisses  ténèbres;  le  Sei- 
gneur rendra  chauve  la  tête  des  filles  de  Sion, 
leur  parfum  sera  changé  en  puanteur,  leur 
ceinture  en  une  corde,  et  toute  la  beauté  de 
leur  teint  en  un  visage  bridé.  Celles  gui  étaient 
élevées  sont  tombées  par  terre  et  dans  la  saleté. 
Voilà  où  se  terminent  ces  ornements  de 
pourpre  et  de  soie,  d'or,  de  perles  et  de  dia- 
mants. Les  ornements  de  Pâme  et  du  cœur 
ne  se  trouvent  guère  réunis  avec  ceux  dont 
nous  venons  de  parler,  et  voilà  pourquoi  il 
est  dit  que  les  filles  sont  corrompues  et  ont 
abandonné  le  véritable  culte  du  Seigneur. 

Qui  ne  détesterait  ce  qui  a  été  si  funeste  à 
d'autres?  (Jui  voudrait  se  servir  de  ce  qui  a 
donné  la  mort  à  ceux  qui  s'en  sont  servis? 
Si  quelqu'un  mourait  après  avoir  pris  un 
breuvage,  vous  ne  douteriez  point  que  ce 
breuvage  ne  fût  un  poison.  Si  un  aliment 
donnait  la  mort  à  celui  qui  en  mange,  vous 
le  jugeriez  mortel,  et  vous  vous  donneriez 
bien  garde  d'en  user.  Que  devez-vous  donc 
penser  de  ce  qui  a  presque  toujours  été  nui- 
sible et  toujours  dangereux?  Comment  pou- 
vez-vous  vous  flatter  que  vous  ne  périrez 
pas  par  le^  mêmes  choses  que  vous  savez  en 
avoir  fait  périr  tant  d'autres?  Tout  ce  qui 
est  arrivé  au  peuple  juif  doit  être  une  in- 
struction pour  nous  :  apprenez  donc  à  faire 
vous-mêmes,  par  un  esprit  de  pénitence  et 
de,  retranchement,  ce  que  Dieu  fera  dans  sa 
colère.  Donnez  à  son  amour  ce  que  vous  ne 
pourrez  pas  mettre  à  couvert  de  sa  justice, 
et  rendez  immortelles  comme  vous  des  ri- 
chesses avec  lesquelles  vous  périrez,  si  vous 
ne  les  employez  pas  à  acheter  le  ciel.  Le 
Seigneure»tproclie;huij)  il  ion  -nous  du  passé, 
et  songeons  à  prendre  des  dispositions  pour 
le  recevoir  dignement  dans  son  avènement. 
C'est  ce  que  je  vous  souhaite,   etc.    Ainsi 


soil-il 


SERMON 


POUR    LE   QUATRIEME    DIMANCHE    DE    LEVENT. 

Sur  la  pénitence. 

Ami')  <|umio  daçipio  imparti  Ti|ierii  Çaesarjg...  faclum 

csl  m  Ijuiii  l)'iiiiu:i  sn|i  r  Joannem...  et  veiiit  io  ornnem 
r'  i 'ii!!ii  .)<>  l'am^  |  i:i'(iii.aus  bapUsmum  pœnilenlix  m 
reijmsiunein  peucalorura. 


132 

L'an  quinzième  de  l'empire  de  Tibère,  D'un  fil  entendre 
sa  voix  à  Jean:  il  vint  dans  tout  le  pays  qui  est  aux  envi- 
rons  du  Jourdain,  prêchant  le  baptê  ne  de  la  pénitence pour 
lerémission  des  péchés  (Luc.,  III,  t  el  3). 

Voici,  mes  frères,  le  précurseur  de  Jésus- 
Christ  qui  va  paraître  pour  la  troisième  fois  : 
l'Evangile  nous  va  représenter  quelle  fut 
l'ouverture  de  sa  mission,  d'où  il  est  venu, 
comment  et  par  qui  il  a  été  envoyé,  ce  qu'il 
a  dit,  à  qui  il  a  parlé,  et  quel  a  été  le  fruit 
de  ses  paroles.  La  quinzième  année  de  l'em- 
pire de  Tibère  César,  nous  dit  saint  Luc, 
Dieu  fit  entendre  sa  parole  à  Jean,  fils  de  Za- 
charie,  dans  le  désert.  L'Eglise,  qui  nous 
propose  aujourd'hui  cet  évangile,  le  proposa 
encore  hier,  mais  avec  de  différentes  inten- 
tions. Hier,  qui  était  l'ordination  des  prêtres, 
elle  fit  lire  cet  évangile  à  ceux  qui  devaient 
être  consacrés  au  ministère  des  saints  autels, 
afin  qu'ils  apprissent  de  la  vie  et  de  la  con- 
duite de  saint  Jean  quelles  doivent  être  leur 
pénitence,  leur  retraite,  leur  sainteté,  leur 
vocation,  leur  préparation,  leur  mission  pour 
entrer  dans  ce  redoutable  ministère.  Au- 
jourd'hui elle  fait  relire  cet  évangile  pour 
nous,  mes  frères,  afin  que  nous  apprenions 
de  la  prédication  de  Jean-Baptisle,  qui  n'a 
parlé  que  de  pénitence,  comment  il  la  faut 
faire.  Je  laisse  aux  ministres  des  sacrés  au- 
tels à  étudier  la  conduite  du  précurseur  pour 
leur  servir  de  règle;  pour  nous,  nous  écou- 
terons sa  voix,  nous  exposerons  sa  doctrine, 
et  nous  réduirons  tout  cet  évangile  à  trois 
points  auxquels  je  rapporte  tout  ce  qui  y  est 
renfermé. 

1°  La  nécessité  de  la  pénitence  :  il  faut 
faire  pénitence,  c'est  la  matière  de  la  prédi- 
cation de  saint  Jean.  Première  partie.  2°  La 
difficulté  de  faire  une  vraie  pénitence;  car 
pour  qu'elle  soit  telle,  il  faut  que  les  chemins 
tortus  deviennent  droits,  et  les  raboteuoe^unis; 
c'est  l'idée  d'une  parfaite  pénitence  tracée 
dans  la  prédication  do  saint  Jean,  tirée  du 
prophète  Isaïe,  cl  que  je  tâcherai  de  bien 
expliquer  dans  la  seconde  partie.  3°  La  res- 
source dans  celte  difficulté  et  la  grâce  de 
faire  pénitence  :  c'est  ce  que  nous  trouvons 
unique  ment  en  Jésus-Chris  t.  Troisième  par  lie. 

Voilà,  mes  frères,  à  quoi  se  réduit  tout 
cet  évangile,  el  la  matière  de  ce  discours. 
Demandons  les  lumières  du  Saint-Esprit. 
Ave,  Maria. 

PREMIERE    PARTIE. 

Tout  est  grand  et  divin,  mes  très-chers 
frères,  dans  ce  que  l'Evangile  nous  rapporte 
de  la  prédication  de  saint  Jean  ;  il  n'y  a  pas 
une  parole  à  perdre,  et  chaque  circonstance 
entre  naturellement  dans  la  preuve  de  la 
nécessité  de  faire  pénitence,  qui  est  ma  pre- 
mière proposition.  1"  Je  considère  qui  est  ce- 
lui qui  est  envoyé  :  c'est  Jean-Baptiste.  2"  Je 
considère  d'où  il  vienl  :  c'est  du  désert,  c'é- 
tait sa  demeure  depuis  longtemps.  3°  De  qui 
a-t-il  mission?  de  Dieu  :  c'est  l'esprit  de  Dieu 
qui  l'envoie.  »>•  Que  vient-il  dire  de  la  part 
de  cet  Esprit  divin  qui  le  tire  de  son  deserl  ? 
Faites  pénitence,  li*  A  qui  parlc-t-il?  à  tous 
lei  homoi  s  ? 

!•  Celui  qui  est  envoyé  pour  iustruirc  les 


185 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


IS4 


hommes,  ce  prédicateur  que  l'Evangile  nous 

1>roduii,  c'est  Je. m-  Baptiste  ;  mail  qui  esi  ce 
ean-BapiisU  ?  c'eit  an  homme  formé  do  la 

main  de  Dieu,  prédit  par  les  prophètes  et 
choisi  p>>ur  rendre  témoignage  a  la  lumière: 
Fuit  homo  missus  a  Ueo,  c'est-à-dire  que 
c'est  le  ministre  de  la  foi,  le  premier  apôtre 
de  la  rcli  ion  de  Jésus-Christ,  et  qui  par 
conséquent  était  parfaitement  instruit  de  ses 
intentions,  rempli  de  ses  lumières,  possé- 
dant sa  doctrine,  informé  de  ses  desseins  et 
sachant  parfaitement  tout  ce  qui  était  néces- 
saire et  tout  ce  qu'il  fallait  observer  pour  se 
le  rendre  favorable  et  pour  profiler  de.  sa  ve- 
nue. Voilà  celui  qui  est  envoyé. 

2°  Mais  d'où  vient  cet  homme  envoyé  de 
Dieu?  Du  désert,  où  il  est  entré  dès  sa  plus 
tendre  jeunesse,  où  non-seulement  il  a  ap- 
pris de  Dieu  la  doctrine  de  son  Fils  et  tous 
les  principes  de  la  loi  nouvelle  qu'il  venait 
établir,  mais  où  il  a  vécu  conformément  à 
ces  principes,  et  où,  persuadé  de  la  nécessité 
de  faire  pénitence,  il  en  a  fait  une  effroya- 
ble, tout  juste  et  tout  innocent  qu'il  était, 
ayant  passé  sa  vie  au  milieu  des  déserts, 
couvert  de  poils  de  chameaux,  ne  mangeant 
que  dc6  sauterelles  et  du  miel  sauvage,  sans 
maison,  sans  lit,  sans  feu,  sans  secours, 
tantôt  gelé  par  le  froid,  et  tantôt  brûlé  par 
le  soleil.  Quel  prédicateur,  ô  mon  Dieu  1 
mais  quelle  preuve  de  la  nécessité  de  faire 
pénitence  1 

3°  C'est,  mes  frères,  cet  homme-là  que 
Dieu  envoie.  11  ne  vient  point  de  lui-même  ; 
mais  Dieu  l'envoie,  afin  que  nous  sachions, 
dit  saint  Ambroise,  que  rétablissement  de 
l'Eglise  n'est  pas  l'ouvrage  d'un  homme, 
mais  celui  du  Verbe  de  Dieu  qui  s'est  fait 
homme.  Précipitation,  empressement  de  va- 
nité, mission  humaine,  où  en  êtes-vous? 
Qu'avez-vous  à  dire  sur  cette  conduite  ?  Oui, 
mes  frères,  c'est  Dieu  qui  envoie  cet  homme, 
afin  que  nous  sachions  que  ce  qu'il  a  à  nous 
dire  n'est  pas  sa  doctrine,  mais  la  doctrine 
du  Verbe.  Sa  parole  c'est  celle  de  Dieu,  il 
vous  dit  ce  qu'il  a  appris  de  lui  dans  le  dé- 
sert, dans  une  retraite,  dans  un  jeûne,  dans 
une  prière  continuelle  de  plus  de  vingt  an- 
nées. Que  ce  prédicateur  est  digne  d'être 
écouté,  puisque,  outre  tôt: t  cela,  il  ne  sort  de 
sa  retraite  pour  venir  nous  instruire  qu'a- 
près en  avoir  reçu  de  Dieu  un  ordre  précis  1 

4°  Que  vient-il  dire  de  la  part  de  cet  Es- 
prit qui  l'envoie?  Faites  pénitence;  voilà 
tout  ce  qu'il  dit.  II  a  réduit  toutes  ses  ins- 
tructions presque  à  ces  seules  paroles.  Mon 
Dieu,  il  ne  faudrait  point  tant  de  discours,  si 
nous  étions  animés  de  votre  esprit,  si  nous 
étions  remplis  de  sa  force  et  de  sa  vertu. 
Faites  pénitence,  dit  saint  Jean.  Il  est  donc 
nécessaire  de  ia  faire,  puisque  cet  homme 
envoyé  de  Dieu  ne  prêche  point  d'autre  mé- 
rité. Aussi,  mes  frères,  n'y  a-t-il  point  d'au- 
tre moyen  pour  retourner  à  Dieu  après  le 
péché  (jue  la  pénitence. 

Le  Sauveur  du  monde  vient  ensuite  con- 
firmer ce  que  son  précurseur  avait  enseigné 
sur  celte  matière  ;  il  commence,  selon  saint 
Matthieu,  ses  prédications  par  celle  parole  : 


Faites  pénitence,  l'oint  de  milieu,  ou  la  pé- 
nitence ou  la  damnation. 

Saint  Pierre,  chef  visible  de  l'Eglise  de  Jé- 
sus-Christ, parlant  par  l'esprit  de  son  nui- 
tic  ne  [impose  point  d'autre  moyen  de  salut 
aux  Juifs  qui  lui  demandèrent  ce  qu'il  fallait 
qn'ih  lissent  après  avoir  entendu  sa  pre- 
mière prédication  -.Faites  pénitence,  leur 
dit-il. 

5*  Mais  qui  csl  intéressé  dans  cette  doc- 
trine? Pour  qui  est  cette  instruction?  pour 
tous  les  hommes  à  qui  le  Sauveur  du  monde 
dit  :  Si  vous  ne  faites  pénitence,  vous  périrez 
tous.  Le  ciel,  mes  frères,  n'e*t  rempli  que 
de  deux  s  >rtes  de  personnes,  d'innocents  ou 
de  pénitents;  c'esl-à-dirc  de  ceux  qui,  ayant 
conservé  la  grâce  de  leur  ba;ilé  i  e  .  y  sont 
allés  sans  se  souiller,  et  tout  pénétrés  de  la 
justice  de  Jésus-Chrisi;ou  de  ceux  qui, après 
avoir  perdu  celle  grâce,  l'ont  recouvrée  par 
la  pénitence,  et  sont  allés  dans  le  ciel,  après 
s'être  purifiés  une  seconde  fois  dans  le  sang 
de  l'Agneau  :  non,  mes  frères,  il  n'y  a  dans 
le  ciel  que  des   innocents  ou  des  pénitents. 

Saint  Jean  demande  dans  son  Apocalypse 
qui  sont  ceux  qui  paraissent  aux  y  ux  de 
l'Agneau,  et  on  1  ui  répond:  Ce  sont  ceux  q  ni  ne 
se  sont  point  sovillés,  qui  suivent  l'Agi' au 
partout  où  il  ira.  Voila  les  vierges  et  les  inno- 
cents rachetés  par  Jésus-Christ  de  la  concu- 
piscence et  délivrés  de  tous  les  engagements 
du  siècle,  qui  onl  conservé  la  grâce  reçue 
dans  le  baptême,  qui,  toujours  consacrés  à 
Jésus-Chrisl,  n'ont  j.imais  été  partagés. 

Dansun  autre chapitredu  mêmelivreilrap- 
porle  que  le  ciel  lui  lut  ouvert  de  même,  et 
que,  demandant  qui  étaient  ceux  qu'il  Toyait, 
on  lui  répondit:  Ce  sont  ceux  qui  sont  venus  ici 
après  avoir  passé  par  de  grandes  afflictions, 
et  qui  ont  lavé  et  blanchi  leurs  robes  dans  le 
sang  de  l'Agneau.  D'où  je  conclus  que  le  ciel 
n'étant  rempli  que  de  ces  deux  sortes  de  per- 
sonnes, il  n'y  a  que  deux  voies  pour  y  aller, 
l'innocence  ou  la  pénitence. 

Or,  croyez-vous,  mes  frères,  qu'il  y  ait 
beaucoup  d'hommes  sur  la  terre  qui  n'aient 
pas  perdu  l'innocence  baptismale?  combien 
y  en  a-t-il  dans  celle  assemblée?  il  faut  donc 
recourir  à  la  pénitence;  car,  outre  que  les 
plus  innocents  ne  sont  pas  exempts  de  la 
faire  (  saint  Jean  en  est  une  excellente 
preuve  )  ,  el  que  les  plus  grands  saints  sont 
ceux  qui  en  ont  porté  les  pratiques  plus 
loin,  pour  imiter  le  Sauveur  du  inonde  qui 
a  été  le  premier  el  le  plus  grand  de  tous  les 
pénitents,  il  est  bien  rare  de  trouver  des  in- 
nocents. Trop  d'ennemis  sonl  acharnes  à 
nous  enlever  cette  innocence  que  la  grâce 
du  baptême  a  mise  dans  nous, pour  que  nous 
la  conservions  sans  une  grande  attention  : 
au  dedans  et  au  dehors  de  nous  toul  cons- 
pire à  notre  perle. 

La  concupi>cencc  nous  porte  au  mal,  le 
monde  nous  y  attire,  et  applaudit  à  noire 
chute.  Nous  conservons  après  le  b  iptème  la 
concupiscence,  qui  n'esl  autre  chose  que  la 
penle  et  la  facilite  à  suivre  nos  passions  et  à 
nous  écarter  de  la  loi  de  Dieu.  Vous  savei 
sans  doute  que  la  grâce  qui  nous  rend  en- 


18c 


SERMON  POUR  LE  QUATRIEME  DIMANCHE  DE  LAVENT. 


186 


fants  de  Dieu  par  la  régénéra  lion  que  nous 
recevons  en  Jésus-Christ  dans  le  baptême, 
n'ôte  pas  toutes  les  impressions  que  nous 
avons  reçues  d'Adam  par  notre  naissance 
criminelle*.  La  concupiscence  demeure,  nous 
sommes  sains  et  vivants  par  Jésus-Christ; 
mais  au  dedans  de  nous-mêmes  il  y  a  un 
fonds  de  mort  et  de  corruption  par  lequel 
nous  tenons  encore  à  Adam  ;  ce  fonds-là  c'est 
la  concupiscence. 

Or  cette  concupiscence  et  ce  mauvais  fonds 
fait  deux  choses  en  nous  :  elle  nous  donne 
une  pente  vers  le  mal  et  une  inclination  vio- 
lente pour  tout  ce  qui  fljtle  les  passions  et 
qui  est  agréable  aux  sens,  et  en  même  temps 
elle  nous  donne  de  réloignement,  de  la  ré- 
pugnance, de  l'aversion  pour  tout  le  bien  et 
pour  tout  ce  qui  combit  les  passions.  De  là 
celle  précipitation  avec  laquelle  lous  les 
hommes  entrent  dans  les  voies  de  l'iniquité; 
de  là  celte  lenteur  avec  laquelle  ils  cher- 
chent les  voies  de  la  justice. 

C'est  ainsi  que   nuus  sommes  faits  :  nous 
avo'is  au  dedans  de  nous-mêmes  un  enne- 
mi domestique  de  notre  innocence,  que   l'a- 
pôtre saint  Paul  dit  qu'il  sentait  dans  les 
membres  de  son  corps,  toujours  combattant 
contre  la  loi  de  son  esprit.  L'éducation  de- 
vrait à  la  vérité  être  un  secours  pour  la  loi 
de  l'esprit  contre  la  loi  des  membres  dans  ce 
combat  continuel  dont  le  succès  est  si  incer- 
tain et  si  important  pour  le  salut.  11  faudrait 
que   les  soins   d'une   éducation   chrétienne 
s'appliquassent  à  affaiblir  la  concupiscence, 
en  réprimant  celle  inclination  qui  nous  porte 
au  mal,  c'est-à-dire  à  l'amour  do  (oui  ce  qui 
est  périssable,  et  en  fortifiaul  celte  faiblesse 
que   nous   ressentons   quand  il  s'agit  de  la 
pratique  du  bien  el  de  l'amour  de  ce  qui  est 
éternel;  mais  l'éducation  est  pour  ainsi  dire 
un  second  péché  d'origine,  el  il  arrive  tout 
le  contraire  de  ce  que  l'on  devrait  faire.  La 
concupiscence  et  ses  inclinations  sont  forti- 
fiées par  l'eslime  qu'on  prend  soin  de  nous 
donner  du  monde  et  de  ses  biens,  et  par  le 
peu  d'idée  qu'on   nous  donne  de  Dieu,  du 
ciel  et  de  ses  richesses.  On  ne  pense  à  nous 
former  que  pour  le  monde,  comme  si  nous 
n'élions  faits  que  pour  la  terre,  el  on  ne  nous 
parle  du  ciel  que  légèrement  et  que  comme 
d'une  chose  accessoire.  Imaginez-vous  donc 
dans  ces  circonstances  ce  que  peut  devenir 
un  chrétien  et  la  grâce  qui  l'a  rendu  enfant 
de  Dieu,   quand  il  fait  son    enirée   dans  le 
monde,  et  qu'il  se  lie  avec  ceux  qui  le  com- 
posent :  peut-il  vivre  longtemps  sans  y  per- 
dre la  vie  de  l'âme  ?  le  cœur,  amolli  par  la 
concupiscence,  prévenu  par  les  idées  d'une 
éducation  toute  païenne, etséduilpar  l'exem- 
ple, peut-il  manquer  de  s'attacher  aux  ob- 
jets qui  flattent   et  ses  sens  et  ses  passions 
l>ar  un  amour  qui  rompt  l'alliance  qu'il  avait 
laite  avec  Dieu  par  Jésus-Christ,  et  qui  L'u- 
nit sans  cesse  au   monde,  à  Satan  et  à  ses 
pompes,  auxquelles  il  avait  renoncé  par  son 
baptême? 

Ne  cherchons  donc  point  d'innocenls  sur 
la  terre.  Prêchons  la  pénitence  à  lous  les 
hommes,  comme  le  précurseur;  cardans  l'é- 


savait  si  bien  en 
pénilence,  et  qui 


lat  où  sont  les  choses,  on  peut  dire  qu'il  n'y 
a  point  d'autre  voie  pour  retourner  à  vous, 
ô  mon  Dieul  mais  ouvrez-nous  le  cœur  à 
toutes  les  preuves  que  nous  venons  de  don- 
ner de  la  nécessité  de  la  faire!  Le  premier 
homme  qui  paraît  dans  l'Evangile,  c'est  un 
homme  loul  consacré  à  la  pénitence  ;  la  pre- 
mière parole  qu'il  prononce  par  l'ordre  de 
Dieu  qui  l'en\oie,  c'est  :  Faites  pénitence, 
et  il  n'enseigne  point  d'aulrc  doctrine;  elle 
est  confirmée  par  Jésus-Christ  qui  dit  la 
même  chose  dans  sa  première  prédication. 
Tout  l'Evangile  est  presque  réduit  à  la  pé- 
nitence. Comprenez-vous  par  là,  mes  frères, 
combien  elle  est  nécessaire  au  salut? 

Mais  apprenez  encore  que  cette  pénitence 
si  nécessaire  est  bien  plus  rare  qu'on  ne 
s'imagine,  et  s'il  est  dangereux  de  s'abuser 
sur  la  nécessité  de  la  faire,  il  ne  l'est  pas 
moins  d'en  prendre  de  fausses  idées.  Don- 
nons-en de  justes,  je  vais  les  prendre  dans 
les  paroles  de  l'Evangile,  que  j'expliquerai 
dans  mon  second  point, 

SECONDE    PARTIE. 

Les  sentiments  des  saints  Pères  sur  la  ra- 
reté d'une  pénitence  sincère  et  véritable  me 
font  trembler,  mes  très-chers  frères,  et  il 
n'y  a  rien  de  plus  capable  de  jeter  la  terreur 
dans  l'âme  d'un  chrétien  qui  pense  à  son 
salut,  et  qui  connaît  qu'il  a  péché;  je  ne  ci- 
terai que  saint  Ambroise. 

Ce  grand  docteur,  qui 
quoi  consiste  la  véritable 
avait  une  si  parfaite  connaissance  du  cœur 
de  l'homme,  ne  feint  pas  de  dire  qu'il  est 
très-rare  de  trouver  des  gens  qui  aient  fait 
une  pénilence  véritable. 

Il  faul,  mes  frères,  vous  rendre  juges  de 
la  vérité  et  de  l'exaclilude  de  cette  proposi- 
tion, et  pour  vous  mettre  à  ce  point,  je  vais 
la  réduire  aux  principes  de  la  foi. 

H  faut  donc  supposer  d'abord  que  la  péni- 
tence n'est  pas  ce  que  vous  vous  imaginez. 
Ce  n'est  ni  l'austérité  de  la  vie,  ni  l'effusion 
des  larmes,  ni  la  durelé  pour  le  corps,  ni 
(ouïes  les  autres  pratiques  extérieures  qui 
frappent  et  qui  effrayent  :  tout  cela  se  peut 
faire  sans  qu'il  y  ail  dans  le  cœur  une  péni- 
tence véritable  et  sincère.  Ce  n'est  pas  non 
plus  le  simple  usage  du  sacrement  que  nous 
appelons  de  pénitence,  car  plusieurs  de  ceux 
qui  s'en  approchent  en  sortent,  non-seule- 
ment sans  être  pénitents,  mais  encore  plus 
ennemis  de  Dieu  par  l'indigne  profanation 
qu'ils  viennent  d'en  faire. 

Qu'est-ce  que  c'est  donc  que  celte  péni- 
tence véritable  et  essentielle,  sans  laquelle 
toutes  celles  dont  nous  venons  de  parler  ne 
scrvenl  de  rien? 

C'est  un  retour  sincère  de  l'homme  pé- 
cheur vers  Dieu  ,  qui  a  son  principe  dans 
lccoîur;  carie  péché,  dont  la  pénilence  est 
le  remède,  est  une  séparation  de  l'homme 
d'avec  Dieu,  qui  a  son  principe  dans  le  cœur; 
sans  cela  point  de  pénitence.  Ecoutez  l'Ecri- 
ture. Dieu  dit  à  son  peuple  qui  avait  adoré 
les  dieux  des  Babyloniens  :  Souvenez-vous  de 
ces  choses,  et  rougissez;  rentrez  dans  votre 


187 


ORATFiinS  SACRES.  POU  JEROME. 


if  H 


cœur,  prc'vni  icateurs  de  ma  loi.  Ces  paroles 
nous  donnent  une  idée  juste  et  précise  de  la 
nature  du  péché  et  de  cej  e  de  la  pénitence. 
I.o  pécbéesj  le  règue  d'une  idole  éla  lie  dans 

le  cu'ur  de  l'homme,  dont  Piou  a  élé  cliass  • 
par  le  mauvais  amour,  c'est-à-dire  par  celui 
du  monde  ou  de  nous-mêmes. 

Qu'esl-ce  donc,  encore  une  fois,  que  la 
pénitence?  C'est  le  règne  de  Dion  établi  dans 
le  cour  de  l'homme,  d'où  l'idole,  c'est-à-dire 
les  passions  qui  y  régnaient,  a  été  chassée 
par  le  bon  amour,  c'est-à-dire  par  l'amour 
de  Dieu.  L'amour  ne  consiste  pis  dans  des 
sentiments  passagers  ou  même  répétés,  ce 
sont  les  habitudes  qui  constituent  la  nature 
et  le  caractère,  de  la  volonté. 

Nous  ne  devons  donc  reconnaître  de  péni- 
tence vraie,  pleine  et  entière,  que  celle  par 
laquelle  il  se  fait  un  changement  parfait  des 
affections  du  cœur  opéré  |  ar  l'amour  de 
Dieu.  C'est  ce  qui  fait  que  saint  Augustin, 
rendant  grâce  à  Dieu  des  miséricordes  qu'il 
en  avait  reçues,  après  avoir  fait  une  confes- 
sion sincère  de  la  corruption  de  son  cœur  et 
de  sa  volonté,  parle  de  celte  manière:  Par 
où  avez- vous  fait,  ô  mon  Dieu  !  cet  heureux 
changement  en  moi,  sinon  en  faisant  que  je 
cessasse  de  vouloir  ce  que  je  voulais,  et  que  je 
commençasse  à  vouloir  ce  que  vous  vouliez  ? 
C'est  ce  changement  parfait  des  inclinations 
du  cœur  qui  fait  la  pleine  et  la  vraie  péni- 
tence opérée  par  le  nouvel  amour. 

Ce  n'est  pas  cependant  que  nous  voulions 
exclure  de  l'idée,  de  l'essence  et  de  la  nature 
de  la  vraie  pénitence,  les  larmes,  les  priva- 
tions, l'austérité  de  !a  vie  et  tout  le  reste.  Ce 
sont  des  œuvres  très-agréables  au  Seigneur, 
lorsqu'elles  sont  inspirées  par  celle  crainte 
salutaire  qui  nous  dispose  à  l'amour,  ou  bien 
commandées  par  l'amour  même;  mais  elles 
ne  peuvent  lui  être  agréables  qu'autant 
qu'elles  sont  produites  par  celte  pénitence 
intérieure  qui  est  opérée  par  le  changement 
du  cœur  que  l'amour  seul  peut  produire. 
Confirmons  tout  coci  par  les  preuves  que  no- 
tre évangile  nous  fournit.  11  dit  que  toute 
montagne  et  toute  colline  sera  abaissée,  et 
toute  vallée  sera  remplie  ;  que  les  chemins  tor- 
tus  deviendront  droits,  et  les  raboteux  unis. 

Cette  expression,  mes  chers  frères,  est  ti- 
rée d'Jsaïe  :  c'est  une  prédiction  que  le  pro- 
phète fait  du  retour  du  peuple  de  Dieu  après 
la  captivité  de  Babj  loue,  et  c'est  aussi  une 
autre  prédiction  des  cffels"  que  devait  pro- 
duire la  venue  du  .Messie  :  prédiction  qui  s'est 
accomplie  à  la  lettre  ;  car  les  montagnes  put 
élé  aplanies,  c'est-à-dire  que  les  Juifs,  qui 
étaient  liers  et  orgueilleux  parce  qu'ils  étaient 
le  peuple  de  Dieu  et  qu'ils  avaient  reçu  !a 
loi,  qui  s'élevaient  comme  des  collines  parla 
confiance  qu'ils  avaient  dans  les  œuvres  de 
la  loi  et  dans  leur  propre  justice,  se  sont 
abaissés  fous  le  joug  de  la  foi  nouvelle,  cl 
ont  reconnu  qu'il  n'y  avait  de  justice  que  par 
1  i  foi  en  Jésus-Chrisl.  La  rèele  de  l'Evangile 
a  mis  tout  de  niveau  dans  l'ouvrage  du  s,i- 
lut,  Les  princes  ei  les  sujet-,  tout  est  sur  a 
m  ose  ligne  devant  Dieu.  Il  s'e.st  fait  un  si 
t'rund  changement,  que  ceux   qui  voulaient 


être  estimés  sage*,  et  qui  passaient  pour 
tels,  sont  devenus  simples  comme  d  -  . 
fants;  ceux  qui  ravissaient  le  bien  d'anlrni 
se  sont  dépouillés  de  lents  richesses  et  ont 
ombra  scia  pauvreté  ;  ceux  qui  vivaient  dans 
les  délices  et  dans  la  magnificence  du  siècle 
ont  pris  le  parti  delà  pénitence  et  se  sont  ca- 
chés dans  les  solitudes  :  tout  cela  s'est  ac- 
compli, el  ce  sont  là  le>  miracles  de  la  venue 
de  Jésus-Christ  et  de  l'élablissement  de  PB  - 
vangile. 

Mais  encore  une  fois,  celte  expression, 
qui  signifie  tant  de  choses,  renferme  aussi 
l'idée  delà  pénitence  parfaite.  Car  remarquez, 
mes  frères,  que  ce  que  Jésus-Chris:  a  fait 
pour  venir  à  nous  dans  son  avènement,  il 
faut  que  nous  le  fassions  présentemen'  pour 
retourner  à  lui  par  la  pénitence.  Il  faut  donc 
que  cette  pénitence,  p  ur  être  vraie,  eha 
l'orgueilleux  en  un  homme  soumis,  huml 
dépendant,  simple  comme  un  cillant;  et  c'<  ^t 
là  la  vraie  explication  dos  termes  de  notre 
évangile,  abaisser  les  maniaques  et  1rs  col- 
lines. 11  faut  que  le  vide  effroyable  et  la  hon- 
teuse inutilité  de  la  vie  de  cei le  femme  du 
monde,  qui  ne  vit  que  d'amusements,  et  qui 
ne  s'est  jamais  occupée  que  de  divertisse- 
ments, de  jeu,  de  bagatelles,  d'ajustements, 
soient  remplis  par  une  exacte  fidélité  à  tons 
les  devoirs  de  son  état  cl  par  une  multitude 
de  bonnes  œuvres. 

11  faut  que  ces  gens  de  qui  le  métier  c«t  de 
ne  rien  faire,  ou  qui  se  font  une  occupation 
de  visites,  du  jeu,  des  conversations,  de  re- 
cevoir du  monde,  d'une  languissante  oisive- 
té qu'ils  portent  partout,  pour  détourner  les 
autres  du  travail,  ou  pour  passer  le  lemps 
avec  des  inutiles  comme  eux,  songent  à  em- 
brasser un  état  chrétien,  et  s'appliquent  à  eu 
remplir  les  devoirs  par  des  lectures  et  des 
occupations  utiles,  el  pour  lors  les  vallées 
seront  remplies,  aux  termes  de  notre  évan- 
gile. Il  faut  que  cet  homme  d'affaire,  qui  est 
occupé  depuis  le  malin  jusqu'au  soir  de  loulc 
autre  chose  que  de  son  éternité,  que  ses 
grands  el  ses  continuels  emplois  détournent 
des  voies  de  son  salut,  nielle  ordre  à  ses  af- 
faires temporelles  et  qu'il  ne  s'en  laisse 
poinl  accabler,  et  que  celles  dont  il  se  chan-c 
ne  soient  pas  contraires  à  l'application  rai- 
sonnable et  réglée  qu'il  doit  dasHtar  à  la 
principale,  qui  est  de  se  sauver  et  de  gagner 
le  «ici.  11  faut  que  nos  mœurs  et  toutes  nos 
actions  soient  réformées  sur  la  loi  de  Dieu, 
qui  doit  être  l'unique  règle  de  noire  conduite. 
il  faut  quitter  les  illusions  d'une  raison 
aveugle,  fixer  les  inégalités  d'an  esprit  vo- 
lage, léger  et  inconstant,  arrêter  les  unnor- 
tements  de  nos  passions,  élouffer  les  désirs 
déréglés  d'un  cœur  corrompu,  et  alors  les 
chemins  torlus  et  raboteux  deviendront 
droits.  Voilà  ce  que  produit  la  pénitence 
quanti  elle  e>t  véritable,  et  il  ne  peut  y  eu 
avoir  de  vrac  sans  cela:  elle  change  le 
cœur,  voilà  son  caractère  et  sa  nature,  et  en- 
suite le  changement  du  cœur  i  il  celui  de  la 
conduite,  el  c    :i  est  la  ssarqoe. 

Ni  u  n  vous  il i -* im  do  g  pas:  Abandon- 
nez tos  familles,   qaittes  vos  emplois*  reti- 


189 


SERMON  POUR  LE  QUATRIEME  DIMANCHE  DE  L'A  VENT. 


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rez-vons  dans  les  solitudes,  soyez  impitoya- 
bles à  votre  chair,  accablez-vous  d'austérités. 
Que  chacun  se  sanctifie  dans  son  état:  Jésus- 
christ  ne  dit  ni  au  soldat  ni  au  puhlicain 
de  sortir  du  leur,  mais  d'y  faire  leur  devoir. 
Il  y  a  une  voie  de  satisfaire  à  Dieu,  et  une 
sorte  de  pénitence  attachée  à  chaque  état, 
quand  il  est  bien  entendu.  Saint  Jean  ne  dit 
pas  aux  receveurs  publics,  qui  furent  tou- 
chés de  ses  paroles  et  de  sa  prédication  sur 
la  pénitence,  et  qui  vinrent  lui  demander  ce 
qu'ils  avaient  à  faire  :  Quittez  vos  bureaux, 
abandonnez  vos  recettes  le  salut  est  im- 
possible dans  ces  sortes  d'emplois.  Ce  grand 
saint,  tout  rempli  de  l'esprit  de  Dieu,  a  bien 
su  distinguer  les  abus  de  l'emploi  d'avec 
l'emploi  même;  il  se  contente  de  leur  dire: 
N'exigez  rien  au  delà  de  ce  qui  vous  a  été  or- 
donné. 

Il  ne  dit  pas  même  à  des  soldais,  qui  fu- 
rent touches  comme  les  autres,  de  quitter 
leur  profession  et  d'abandonner  lt  s  armes; 
car  l'état  deia  guerre  n'est  pas  contraire  à  l'E- 
vangil".  On  peut,  non-seulement  faire  péni- 
tence dans  celte  profession,  mais  on  peut  s'y 
sanctifier ,  et  elle  a  fourni  à  l'Eglise  de 
grands  saints  et  d'illustres  martyrs,  quoi- 
qu'il faille  reconnaître  qu'elle  forme  des  obs- 
tacles au  salut  que  peu  de  gens  surmontent 
aujourd'hui  :  c'est  un  effet  de  la  corruption 
du  cœur  des  particuliers,  que  la  grâce  de 
Jésus-Christ  change  quand  elle  devient  maî- 
tresse du  cœur. 

Mais,  mes  frères,  voit-on  souvent  de  ces 
Changements  qui  sont  les  marques  comme 
ils  sont  les  effets  de  la  vraie  pénitence,  se- 
lon l'idée  que  je  viens  de  vous  en  donner, 
tirée  des  paroles  de  notre  évangile?  Je  vous 
ai  promis  de  vous  rendre  juges  dans  une  af- 
faire aussi  importante,  et  dans  laquelle  vous 
avez  un  aussi  grand  Intérêt,  c'est  mainte- 
nant qu'il  faut  que  vous  rendiez  voire  juge- 
ment; croyez-vous  qu'il  ne  soit  pas  très- 
rare  de  trouver  de  véritables  pénitents? 
Suivez  les  règles  que  je  viens  de  vous  don- 
ner, car  c'est  sur  ces  règles  qu'il  en  faut 
juger. 

Iteprésenlez-vous  l'idée  d'une  pénitence 
parfaite  et  véritable  :  c'est  le  ré'ab  issement 
du  règne  de  Dieu  dans  le  cœur,  d'où  l'idole 
cl  la  passion  a  été  chassée  par  le  bon  amour. 
Vous  ne  pouvez  pas  juger  du  fond  du  cœur, 
il  vous  est  inconnu,  le  vôtre  même  ne  vous 
est  pas  ouvert,  nous  convenons  de  tout  cela  ; 
mais  il  se  déclare  par  la  conduite  et  il  se 
découvre  par  la  vie  ;  car  les  actions  de  celte 
vie  sont  produites  et  réglées  par  les  affec- 
tions du  cœur. 

Voyez-vous  bien  des  avares  et  des  gens 
attachés  au  bien,  devenir  tendres,  compa- 
tissants el  faciles  à  soulager  les  pauvres  ? 
Voyez-vous  bien  des  personnes  promptes, 
violentes,  emportées,  devenir  traitâmes,  dou- 
ces, patientes?  Voyez-vous  bien  des  gens 
dissipés  et  livrés  au  commerce  du  monde,  se 
retirer,  aimer  la  solitude  et  ne  paraître  que 
pour  le  besoin.'  Voyez-vous  bien  dis  per- 
sonnes voluptueuses,  aimant  la  bonne  chère, 
devenir  tempérantes,  mortifiées,  s'appli  ;ucr 


à  retrancher  toute  superfiuité,  et  ne  s'accor- 
der que  le  nécessaire  dans  un  ordinaire  ré- 
glé ?  Enfin  voyez-vous  bien  des  hommes  qui 
puissent  dire  d'eux-mêmes  ce  que  saint  Am- 
broise  rapporte  de  la  pénitence  d'un  jeune 
homme  qui,  pour  rompre  un  mauvais  enga- 
gement, quitla  son  pays  pour  quelque  temps? 
A  son  retour  la  personne  qui  était  complice 
de  ce  désordre  se  présenta  à  lui,  et  voyant 
qu'il  ne  lui  disait  rien,  elle  l'attaqua.  Quoi  1 
lui  dit-elle,  serait-il  bien  possible  que  vous 
ne  me  reconnussiez  pas  ?  Avez-vous  oublié 
que  je  suis  une  telle?  Je  vous  reconnais, 
lui  dit-il,  c'est  vous  ;  mais  si  c'^st  vous,  ap- 
prenez que  ce  n'est  plus  moi.  Cela  est-il 
commun  ?  Trouve-t-on  bien  des  exemples 
de  ces  changements  entiers  de  tempérament 
et  d'habitude  naturelle?  On  n'en  voit  point 
ou  presque  poinl.  Souvent  mémo,  et  c'est 
encore  un  abus  dans  les  conversions,  on  se 
singularise,  on  devient  critique,  on  juge  les 
autres;  on  se  scandalise  de  tout,  et  on  rend 
la  piété  méprisable,  en  empruntant  des  dé- 
fauts qui  lui  sont  étrangers.  En  quoi  ferons- 
nous  donc  consister  ce  changement?  A  rete- 
nir les  excès  et  les  emportements  du  tempé- 
rament, et  à  pratiquer  les  vertus  contraires 
à  ces  exc'ès;  à  être  en  garde  contre  ses  sur- 
prises ;  à  éloigner  tout  ce  qui  peut  nourrir 
ses  désordres;  à  prier  et  à  passer  toute  sa 
vie  à  satisfaire  par  la  pénitence  même  aux 
fautes  de  surprise  que  la  violence  de  ce  tem- 
pérament nous  arrache.  Or,  voyez -vous 
beaucoup  de  gens  dont  la  conduite  et  la  vie 
soient  tellement  changées ,  qu'ils  donnent 
lieu  de  douter  si  ce  sont  eux-mêmes  que  l'on 
voit  dans  leur  personne  ,  ou  si  ce  sont  d'au- 
tres hommes  sous  les  mêmes  traits?  Ne 
voyez-vous  pas,  au  contraire,  que  la  plupart 
de  ceux  que  nous  appelons  des  pénitents  ne 
sont  différents  de  ce  qu'ils  étaient  que  par 
l'usage  extérieur  des  sacrements,  et  qu'on 
les  reconnaît  presque  toujours  à  tout  le  reste 
de  leur  conduite  ?  Concluez  donc,  mes  frè- 
res, qu'il  est  encore  plus  rare  qu'on  ne  peut 
le  dire  de  trouver  de  véritables  pénitents, 
et  surtout  n'oubliez  jamais  qu'il  ne  peut  y 
avoir  de  pénitence  véritable  et  parfaite  où  le 
dérèglement  des  passions  n'est  pas  changé 
en  la  pratique  des  vertus  contraires. 

Si  ces  vérités  si  certaines  et  si  importan- 
tes font  leur  effet  sur  vos  esprits,  el  que 
Dieu  vous  les  mette  dans  le  cœur,  comme 
ceux  à  qui  saint  Jean  les  a  ptêchées,  appre- 
nez aussi  que  c'est  dans  Jésus-Christ  que 
vous  trouverez  la  force  el  les  ressources 
dont  vous  avez  besoin  dans  le  cours  de  votre 
vie  pénitente.  C'est  mon  dernier  point. 

TROISIÈME  PARTI  F.. 

Videbit  omnis  caro  salufqre  Dei  :  Tout 
homme  verra  le  Sauveur  envoyé  de  Dieu; 
rien  de  plus  consolant  pour  nous  que  ces 
paroles  après  ce  que  nous  venons  de  dire  de 
la  difficulté  et  de  la  rareté  d'une  pénitence 
véritable  et  parfaite. 

Sentez,  chrétiens,  votre  faiblesse,  confes- 
sez voire  impuissance,  avouez  votre  Inca- 
pacité,   noa-teutement  pour  changer   vos 


101 


ORATEURS  SACRES.  ROM  JEROME. 


I'»4 


cœurs  et  pour  faire  une  pénitence  parfaite, 
mais  même  pour  la  pratique  de  tout  bien 
qui  mérite  le  ciel  ;  mais  cependant  que  cette 

impuissance  de  la  uatuce  ne  soit  pas  pour 
vous  une  source  de  désespoir.  Honorez  le 
triomphe  de  la  grâce  de  Jésus-Christ  par  la 
confession  de  voire  faiblesse;  mais  mettes 
TOlre  confiance  en  celui  que  vous  aile/  voir, 
cl  qui  nous  a  été  donné  de  Dieu  pour  être 
noire  sagesse,  noire  justice,  notre  justitLa- 
tion,  notre  rédemption  et  notre  liberté  par  la 
puissance  de  son  esprit  et  de  sa  force. 

Ce  Sauveur  que  tout  homme  verra  peut 
arracher  de  votre  cœur  cet  amour  déréglé 
qui  fait  votre  crime,  qui  est  \otre  ouvrage, 
et  contre  lequel  tous  vos  efforts  sont  impuis- 
sants, et  il  De  vient  que  pour  cela.  Non,  mes 
'rôres,  rien  n'est  plus  capable  f!c  consoler  un 
l-érhour  accablé  sous  le  poids  de  ses  iniqui- 
tés, gémissant  sous  ses  passions,  et  sentant 
son  impuissance,  que  de  penser  que  Dieu 
peut  tout  sur  son  cœur,  et  qu'il  est  venu 
pour  le  délivrer;  mais  il  ne  faut  pas  nous  en 
tenir  aux  simples  gémissements,  il  faut  atti- 
rer ce  secours,  et  nous  rendre  dignes  de  celte 
force  que  nous  ne  saurions  trouver  qu'en 
Jésus-Christ.  Saint  Jean  nous  recommande 
de  préparer  les  voies  du  Seigneur,  et  il  joint 
cet  avis  avec  celui  de  faire  pénitence.  Ce  n'est 
pas  que  nous  puissions  faire  quelque  chose 
par  nous-mêmes  et  sans  la  force  que  nous 
ne  recevons  que  de  Jésus-Christ  ;  mais  celte 
force  a  ses  degrés.  Ce  changement  du  coeur 
ne  se  fait  pas  lout  d'un  coup,  il  se  fait  par 
une  certaine  suite  et  par  un  certain  ordre  de 
moyens  qui  ont  assez  de  ressemblance  avec 
ceux  dont  les  plaies  du  corps  se  guérissent 
par  les  voies  edmmunes. 

D'abord  un  homme  reconnaît  qu'il  est 
blessé,  il  appelé  ensuite  du  secours  ;  il  s'a- 
bandonne à  son  médecin,  il  écoute  ce  qu'il 
lui  ordonne,  il  suit  les  règles  qu'il  lui  pres- 
crit; enfin  il  n'a  plus  à  cœur  qu'une  seule 
affaire,  qui  est  celle  de  guérir;  et  voilà,  mes 
frères,  les  règles  qu'il  faut  suivre  pour  obte- 
nir du  Sauveur  envoyé  de  Dieu  qui  vient 
pour  tous  les  hommes,  la  grâce  d'une  péni- 
tence véritable,  sincère,  pleine  et  parfaite. 

Il  faut  que  nous  reconnaissions  que  nous 
sommes  coupables  et  indignes  de  recevoir 
miséricorde.  Il  faut  dire  mille  fois,  mais  du 
plus  profond  du  cœur,  comme  le  Pr<>phèt  • 
Mes  iniquités  se  sont  élevées  par-dessus  ma 
tête,  elles  me  sont  tin  fardeau  que  je  ne  puis 
supporter.  Il  faut  recourir  à  Jésus-Christ, 
pleurer  et  gémir  d'avoir  perdu  sa  grâce,  et  la 
lui  demander  continuellement  sans  épargner 
ni  prières  ni  larmes.  Il  faut  mettre  toute  sa 
confiance  en  Dieu,  .s'abandonner  entière- 
ment à  lui,  répéter  mille  fois  le  jour,  avec 
les  sentiments  d'une  foi  vive  et  d'une  espé- 
rance ferme  :  Videbit  omnis  caro  salulare 
Dei  :  Toute  chair  verra  le  Sauveur  qui  est 
envoyé  de  Dieu.  Car,  comme  dit  le  saint  con- 
cile de  Trente,  le  pécheur,  eu  considérant 
l'excès  de  la  miséricorde  de  Dieu,  change  M 
Crainte  en  espérance  .  et  doil  opérer  qu'il 
lui  fera  grâic  eu  considération  des  mérites 
d«  Jésus-Christ.   Enfin   celle  espérance   lui 


fait  prendre  une  résolution  sérieuse  de  chan- 
ger de  rie;  car  il  entre  dans  la  disposition 
de-  Juifs,  qui,  ayant  entendu  saint  Jean,  lui 
dirent  :  Que  devons  nous  faire?  Celle  doci- 
lité et  celle  soumission  esl  une  vraie  mar- 
que qu'on  est  louché  de  Dieu.  11  faut  écou- 
ler Jésus-Christ,  et  faire  ce  que  nous  ordon- 
nent ceux  qui  nous  parlent  de  sa  part.  En 
effet  ce  n'est  pas  au  malade  à  ordonner, 
mais  au  médecin.  Un  pécheur  qui  veul  faire 
pénitence  ne  doil  pas  donner  la  loi,  mais 
c'est  à  lui  de  la  recevoir. 

Il  faut  donc  qu'il  quitte  et  qu'il  rejette 
tout  ce  qui  peut  l'éloigner  de  Dieu,  qu'il 
écoute  avec  respect  sa  parole  et  tous  les 
avertissements  qu'on  lui  donne,  qu'il  suivi* 
avec  fidélité  toutes  les  règles  qu'on  lui  pres- 
crira, qu'il  n'épargne  ni  j  unes,  ni  aumônes, 
ni  privations,  ni  pratiques  qu'on  jugera  à 
propos  de  lui  imposer,  n'estimant  rien  de 
diflicile,  rien  de  trop  long  pour  obtenir  un 
don  si  rare  et  si  précieux. 

Qu'il  considère  que  ses  péchés  sont  réels, 
que  les  jugements  de  Dieu  sont  effroyables 
et  certains,  que  sa  vie  est  très-incertaine, 
que  la  cognée,  comme  le  dit  saint  Jean,  est 
déjà  à  la  racine  de  l'arbre,  qu'il  n'y  a  pas  un 
moment  à  perdre,  et  que  tout  esl  précieux  ; 
qu'il  ne  se  lasse  point  dans  ces  pratiques.  La 
guérison  des  plaies  du  cœur  n'est  pas  moins 
diflicile  que  celle  des  plaies  du  corps,  elle  est 
intérieure  et  plus  cachée,  on  ne  guéril  pas 
en  un  instant;  les  inclinations  du  crur  ne 
se  changent  qu'en  changeant  les  habitudes 
de  l'âme.  11  faut  du  temps  et  de  l'application 
à  de  certains  objets,  pour  qu'il  se  forme  de 
nouvelles  inclinations  et  de  nouvelles  habi- 
tudes à  la  place  des  anciennes. 

Nous  savons,  mes  chers  frères,  que  Dieu 
esl  le  maître  du  cœur,  et  que  sa  grâce  y  peut 
faire  tels  changements  qu'il  lui  plaît:  mais 
nous  savons  aussi  qu'il  ne  veut  pas  élre 
tenté,  que  c'est  une  témérité  de  demander 
des  miracles,  quand  on  ne  mérite  rien,  cl  de 
vouloir  que  Dieu  sorle  pour  nous  des  règles 
qu'il  s'est  prescrites.  Nous  ne  devons  rien 
attendre  de  notre  travail  ;  mais  lieu  veut  que 
nous  travaillions  comme  si  lout  dépendait 
de  notre  travail.  Faisons-le  donc,  mes  Irès- 
chers  frères,  et  attendons  tout  de  la  miséri- 
corde du  Seigneur  qui  esl  fidèle  à  ses   pro- 

Ainsi 


messes. 
soit-il. 


vous 


la    souhaite      etc. 


SERMON 

POUR  LE  J01.R  DE  NOËL. 

ExsnlUie  et  Ictamtni  in  Domino  Deo  vesiro,  quii  dédit 
vnbis  doclorem  justilis. 

Sufi  :  États  des  transports  d'allégresse,  iv"oui.«r:->'  us 
dans  li  Seigneur  votre  Dieu,  parce  qu  il  vous  a  donné  un 
tnaUre  <?»■'  vous  enseignera  la  justice  [Joet.,  Il,  23). 

Ce  divin  in  iilre  est  le  Messie  que  les  Juifs 
attendaient,  c'est  lui  après  lequel  toutes  les 
nations  de  la  terre  ont  soupiré,  que  n  us 
avons  reçu  dans  la  nouvelle  loi  ,  el  que  la 
foi  nous  montre  aujourd'hui  dans  l'el.ible  de 
Bethléem.  Que  l'étal  où  il  parait  à  \o>  \niv 
ne  vous  rebute  pas,  mes  frères:  ne  craigne* 
pas  de  vous  rendre  les  disciples  d'un  enfant: 


195  SERMON  POUR  LE 

toute  la  doctrine  de  la  religion  est  renfermée 
l  dans  les  lois  d'une  enfance  sage  et  chrétienne. , 
Un  superbe  qui  n'avait  pas  voulu  se  sou- 
mettre aux  conseils  d'un  Dieu  ne  devait; 
,i)lus  être  instruit  que  par  les  leçons  d'un 
enfant.  Regardons  ce  mystère  comme  le  plus 
grand  ouvrage  de  la  miséricorde  de  Dieu, 
c'est  ce  qui  doit  aujourd'hui  nous  transpor- 
ter d'amour  el  de  reconnaissance,  en  voyant 
que  le  Dieu  dont  les  Juifs  avaient  méprisé  les 
lumières  dans  la  gloire  veuille  se  faire  enfant 
pour  se  mettre  en  état  de  nous  instruire 
dans  la  chair.  Dieu  nous  donne  donc  un 
maître  dans  la  personne  de  cet  enfant,  il  im- 
primera dans  l'âme  de  ses  disciples  une 
Vertu  qui  ne  leur  fera  pas  seulement  connaî- 
tre ce  qu'ils  doivent  faire,  mais  qui  leur 
fera  pratiquer  ce  qu'ils  connaissent.  C'est 
ainsi  que  saint  Augustin  s'est  expliqué  sur 
la  doctrine  que  cet  enfant  vient  enseigner, 
el  sur  la  manière  dont  Jésus-Christ  instruit 
ses  disciples  :  il  leur  fait  des  leçons,  il  leur 
donne  des  exemples,  il  leur  accorde  des 
secours. 

1"  II  leur  fait  des  leçons  pour  les  instruire  : 
première  partie.  2°  11  leur  donne  des  exem- 
ples pour  autoriser  ses  leçons  :  seconde  par- 
tie. 3°  Il  leur  accorde  des  secours  pour  les 
mettre  en  état  de  suivre  ses  exemples  :  troi- 
sième partie. 

Voilà,  mes  frères,  les  qualités  du  maître 
de  la  justice  que  Dieu  nous  donne  et  celle  de 
ses  instructions;   il  parle,  il   fait,    et  il  fait 

f>ratiquer.  L'excellent  maître!  Ecoutons  ses 
eçons,  imitons  ses  exemples,  rendons-nous 
dignes  de  ses  secours;  ce  sera  la  matière 
de  ce  discours  :  demandons  l'assistance  du 
Saint-Esprit  par  l'intercession  de  Marie. 
Ave,  Maria. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Je  dois,  dans  celle  première  partie,  l5 vous 
découvrir  le  besoin  où  l'homme  était,  depuis 
le  péché,  d'un  maître  qui  lui  donnât  l'idée  de 
la  justice,  en  lui  inspirant  la  justice  même; 
2°  vous  convaincre  que  celui  que  nous  rece- 
vons aujourd'hui  était  seul  capable  de  l'être  ; 
3°  vous  faire  remarquer  les  manières  lou- 
chantes et  proportionnées  à  l'état  de  l'homme 
dont  il  s'acquitte  dans  celte  fonction. 

El  d'abord,  mes  frères,  il  ne  faut  que  nous 
représenter  l'état  de  l'homme  depuis  le 
péché,  pour  comprendre  la  nécessité  où  il 
était  d  avoir  un  maître  qui  lui  enseignât  la 
voie  du  salut.  Son  aveuglement  était  devenu 
si  étrange  depuis  la  perle  de  la  justice,  et 
son  dérèglement  si  général,  qu'on  ne  voyait 
plus  dans  toute  sa  conduite  que  des  marques 
déplorables  de  son  ancien  bonheur.  Des  té- 
nèbres épaisses  obscurcissaient  son  esprit, 
la  corruption  la  plus  profonde  était  maîtresse 
de  son  cœur.  Non-seulement  il  ne  savait  pas 
ce  qu'il  fallait  faire  pour  plaire  à  Dieu,  mais 
même  il  ignorait  qu'il  fut  dans  l'obligation 
de  lui  plaire. 

L'impression  du  péché  qui  l'avait  détourné 
de  son  Créateur  l'avait  attaché  aux  créatu- 
res, cl  les  fausses  idées  qu'il  s'était  foi  niées 
des  biens  cl  des  maux  l'empêchaient  de  con- 


JOUR  DE  NOËL.  tU 

naître  qu'il  n'y  a  pour  l'âme  raisonnable 
qu'un  véritable  bien ,  qui  est  la  possession 
de  Dieu,  comme  il  n'y  a  pour  elle  qu'un  mal 
véritable,  qui  est  la  perte  de  cet  unique  bien. 
C'est  ce  que  saint  Augustin  nous  a  voulu 
faire  entendre,  quand  il  a  dit  que  le  péché 
avait  rendu  l'âme  de  l'homme  toute  char- 
nelle en  l'absorbant  dans  l'amour  des  créa- 
tures. 

Tous  les  hommes  étant  tombés  dans  le 
même  degré  d'aveuglement  et  de  corrup- 
tion, nul  n'était  capabled'inslruire  les  autres, 
et  il  est  aisé  de  remarquer,  par  les  opinions 
extravagantes  qu'ils  ont  eues  sur  ce  qui  peut 
rendre  vraiment  heureux,  combien  on  de- 
vait avoir  peu  de  confiance  en  leurs  lumières. 

Voilà,  mes  frères,  une  légère  idée  de  l'état 
de  l'homme  depuis  le  péché.  Osée  l'a  touché, 
lorsqu'il  dit  qu'il  n'y  a  point  de  vérité,  qu'il 
n'y  a  point  de  miséricorde,  et  qu'il  n'y  a 
point  de  connaissance  de  Dieu  sur  la  terre. 
L'homme  malheureux  est  demeuré  durant 
quatre  mille  ans  vivant  dans  l'ignorance  de 
celui  qui  lui  avait  donné  l'être,  conversant 
avec  les  démons,  qui,  après  l'avoir  rendu 
complice  de  leurs  crimes  et  compagnon  de 
leur  malheur,  se  faisaient  adorer  de  lui. 

Ce  n'est  pas  que  Dieu  ait  abandonné  les 
hommes  absolument  durant  tout  ce  temps  :  il 
a  pris  soin  d'affermir  l'espérance  de  ses  élus 
durant  tous  les  temps,  il  a  toujours  tracé 
aux  Juifs  des  images  de  Jésus-Christ,  il  leur 
adonné  des  figures  du  Sauveur,  et  jamais  il 
ne  les  a  laissés  sans  quelques  assurances  de 
sa  puissance  et  de  sa  bonne  volonté  pour 
leur  salut. 

La  doctrine  de  ce  divin  Maître  a  jeté  quel- 
ques rayons  dans  tous  les  temps;  ceux  qui 
ont  marché  devant  lui  ont  reçu  des  lumières 
d'une  doctrine  qu'il  devait  enseigner  par  lui- 
même;  et  ceux  qui  l'ont  suivi  se  sont  con- 
duits par  les  lumières  d'une  doctrine  qu'il  a 
enseignée  :  et  comme  le  même  astre  est  tout 
ensemble  l'étoile  du  malin  et  l'étoile  du  soir, 
le  même  Maître  a  servi  aux  peuples  des 
deux  Testaments.  C'est  saint  Paul  lui-même 
qui  nous  dit  que  Dieu,  ayant  parlé  autrefois 
à  nos  pères  en  diverses  manières  par  les  pro- 
phètes, il  nous  a  parlé  en  ces  derniers  temps 
par  son  Fils. 

Dieu  a  donc  envoyé  des  prophètes  dans 
tous  les  temps,  mais  tous  en  ont  promis  un 
autre,  et  Dieu  a  partagé  entre  eux  les  mystè- 
res qui  regardaient  l'état  de  ce  prophète  et 
de  la  religion  qu'il  devait  établir.  Isaïe  a 
prophétise  la  fécondité  d'une  vierge,  la  nais- 
sance de  ce  prophète  qu'elle  devait  engen- 
drer, el  même  sa  mort.  Daniel  a  prophétisé 
le  temps  de  sa  venue,  Malachie  celle  de  sou 
précurseur,  cl  ainsi  des  autres  ;  mais  Jésus- 
Christ  est  le  prophète  de  tous  les  temps  et 
de  l'éternité  môme,  maître  de  toutes  les  vé- 
rités qu'il  vient  découvrir  avec  une  plénitude 
de  lumière,  de  certitude,  d'efficace  et  d'onc- 
tion. Ainsi  les  Juifs,  dil  saint  Augustin,  n'ont 
mérité  que  des  prophète-  quiélaieutàla  vérité 
remplis  de  l'esprit  cl  de  la  parole  de  Dieu, 
mais  pour  nous  il  nous  a  rendus  dignes  de  sa 


198 


OIIATEUKS  SACHES.  DO.M  JEKOME. 


1-ir, 


parole  même,  el  nous  n'aurons  plus  (l'autre 
prophète  tint'  lui. 

I  -<*s  prophéties  sont  accomplies,  il  a  paru 
s'ir  la  terre,  il  a  conversé  avec  les  hommi 

i  .une  le  prophète  Itaruch  l'avait  promit; 
il  est  arrivé  que  celui  qui  était  destiné  pour 
nous  instruira  ne  disparaîtra  plus  de  devant 
u  us.  el  que  nos  yen*  verront  le  Maître  qui 
nous  enseigne  selon  la  prophétie  d'isaïe. 

Je  ne  m  arrête  point  ici  à  vous  prouver 
que  toutes  ces  prophéties  se  doivent  enten- 
dre de  Jésus-Chi  ist,  et  que  cet  enfant  que  la 
foi  expose  aujourd'hui  à  nos  yeux  est  ce 
Messie  qu'on  attendait,  il  s'est  fait  connaître 
pour  tel  par  ['accomplissement  de  toutes 
les  prophéties  qui  avaient  été  faites,  et  qui 
ne  pouvaient  convenir  qu'à  lui  seul,  par  les 
miracles  qu'il  a  opérés,  el  par  rétablisse- 
ment de  son  Eglise,  qui  est  le  plus  grand  de 
tous  ces  miracles. 

II  ne  s'agit,  et  c'est  ma  seconde  réflexion, 
que  de  vous  montrer  que  cet  enfant  qui  est 
exposé  sur  la  crèche  de  Bethléem  n'y  parait 
aujourd'hui  que  pour  y  être  reconnu  de  nous 
pour  notre  malire;  car,  comme  dit  saint 
Bernard,  ce  mystère  qui  s'est  accompli  sur 
la  personne  du  Sauveur  se  renouvelle  en 
nous  si  nous  prenons  soin  de  nous  renouveler 
tous  les  ans  en  Jésus-Christ.  11  s'est  rendu 
le  maître  des  hommes,  mais  un  maître  qui 
enseigne  la  justice,  qui,  étant  juste  lui-mé  . te 
el  la  source  de  loule  sainteté,  justiîic  les 
âmes  par  ia  foi  vivante  el  agissante  par  la 
charité,  en  remplissant  en  même  lemps  leur 
esprit  de  lumière  et  leur  volonté  île  son 
amour;  car,  mes  frères,  pour  reprendre  l'é- 
tal de  l'homme  qui  attendait  ce  maître  divin, 
il  élail  aveugle  et  incapable  de  le  reconnaî- 
tre, il  sentait  bien  qu'il  n'était  pas  d'accord 
avec  lui-même,  que  les  vues  de  son  esprit 
combattaient  les  désirs  de  sa  chair.  Tantôt 
élevé  par  des  sentiments  de  grandeur,  jus- 
qu'à croire  qu'il  pouvait  être  semblable  à 
Dieu,  d'autres  fois  rabaissé  par  les  ressenti- 
ments de  sa  misère,  jusqu'à  se  contenter 
d'être  semblable  aux  bêles,  il  demeurait 
sans  se  coniiailrc,  incertain  et  flotlaut  entre 
la  présomption  el  le  désespoir. 

Il  fallait  donc,  pour  porter  les  lumières 
dans  cet  esprit,  le  faire  sortir  hors  de  lui- 
même,  et  ensuite  l'y  faire  rentrer  pour  lui 
découvrir  le  fond  de  sa  nature.  11  fallait  lui 
débrouiller  cet  assemblage  confus  de  gran- 
de'ur  et  de  misère  dont  il  sentait  les  mouve- 
ments sans  m  connaître  le,  principe.  Il  fallait 
lui  apprendre  qu'ayant  élé  grand,  il  était 
devenu  misérable  par  sa  faute.  Il  fallait  que 
le  même  Dieu  qii  l'avait  fait  grand  voulût 
bien  le  rétablir  dans  sa  grandeur.  Enfin  il 
était  nécessaire  que  l'auteur  de  sa  grandeur 
passée  s'unit  à  sa  misère  présente,  et  qu'il 
['élevai  jusqu'à  lui;  voilà  louics  les  vérités 
que  ce  maître  divin  nous  a  fait  comprendre; 
mais  comment,  me  direz-vous,  nous  les  fail- 
li connaître?  C'est,  mes  frères,  ma  troisième 
réflexion. 

C'est  en  se  montrant  à  nos  veux  sur  la 
crèche  de  Bel  le.  m  et  sous  la  forme  d'un 
enfant;   par  là  il  allie  les  vérilés  qu'il  vient 


nous  enseigner  avec  des  faits  et  avec  des 
I  ■         .     qui  fions  les  rendent 

l'Ecriture  ne  dit-  lie  ;  as  si  olement  que  nous 
entendrons,  mais  que  nous  verrons  notre 
maître.  Il  se  montre  donc  pour  d  >u-  i  - 
struire  ;  ses  leçons  sont  donc  ait 
personne  ;  la  foi  ne  vient  pas  seulement  ici 
de  ce  qu'on  a  :  uï,  Comme  saint  Paul  l'asso 
mais  de  ce  qu'on  a  \u;  les  vérités  entrent 
ici  par  Ie>  yeux,  pour  ainsi  dire.  Jésus-Chi  ist 
p  i  s,i  conduite  fait  \oir  à  l'homme  qu'il 
c  ait  blessé,  et  que  l.i  plaie  était  profonde  cl 
bien  difficile  à  guérir,  puisqu'il  ne  failli 
pas  un  moindre  remède  que  l'incarnation 
d'un  Dieu.  Kn  effet  le  grand  appareil  des  re- 
mèdes est  une  marque  de  la  grandeur  et  du 
danger  de  la  maladie.  Les  breuvages,  les 
incisions,  les  ferrements,  tout  cela  fait  juger 
à  un  malade  que  son  mal  est  considérable; 
mais  que  doit  taire  comprendre  un  Dieu  fait 
bonime,  le  Verbe  fait  chair,  dans  une  établc, 
dans  la  nudilé,  dans  la  misère,  au  milieu 
des  animaux?  Jésus-Christ  a  convaincu  le 
malade  de  la  grandeur  de  son  amour  par  la 
profondeur  de  son  anéantissement,  cl  le  pé- 
cheur, qui  ne  pouvait  rien  voir  de  si  élevé  au- 
dessus  de  lui,  ni  riea  de  si  redoutable  qu'un 
Dieu  qui  devait  le  juger,  n'a  rien  vi  qui 
entrât  plus  tendrement  dans  ses  intérêts, 
qu'un  Dieu  qui  se  révélait  de  sa  chair  et  qui 
prenait  un  corps  pour  entrer  par  les  sens 
jusqu'au  fond  de  notre  âme  et  pour  dissiper 
les  ténèbres  et  la  corruption  qui  y  régnaient; 
il  lui  fait  voir  qu'il  était  desliné  à  être  grand, 
mais  que  sa  grandeur  ne  se  trouvait  que 
dans  son  attachement  et  dans  sa  ressem- 
blance avec  celui  qui  l'avait  formé  pour  être 
tel;  que,  ne  pouvant  plus  retournera  lui, 
après  l'avoir  abandonné,  il  était  veuu  le 
chercher;  et  qu'aûn  qu'il  pût  devenir  sem- 
blable à  ce  Dieu  dans  sa  grandeur,  ce  Dieu 
élail  venu  se  rendre  semblable  à  lui  dans  sa 
misère.  11  lui  a  fait  voir  cnûn  que,  pour  ren- 
dre celte  ressemblance  parfaite,  il  fallait  que 
son  esprit  s'humiliât,  puisque  la  Divinité  s'é- 
tail  anéanlie  jusqu'àserevctirde  toutes  les  in- 
firmités et  de  toutes  les  misères  de  la  chair. 

Voilà,  mes  très-chers  frères,  les  grandes 
et  les  admirables  vérités  que  ce  divin  Maître 
nous  enseigne  sur  la  crèche  de  Belhlee  i  . 
Rien  n'eslsi  tendre  que  la  leçon  que  le  Sau- 
veur du  monde  nous  lait  aujourd'hui.  11  se 
mêle  parmi  les  créatures,  il  se  rend  créature 
lui-même;  il  s'expose  à  nos  yeux  dans  un 
élat  qui  nous  découvre  (sans  parler)  celui  de 
notre  âme,  l'amour  du  Dieu  qui  nous  cher- 
che, les  voies  pour  retourner  à  lui,  les 
moyens  d'accorder  les  contrariétés  que  nous 
sentions,  sans  en  savoir  la  source.  \  oilà  le 
langage  que  Jésus-Christ  lient  à  l'homme 
pécheur,  en  se  montrant  à  lui  dans  la  fai- 
blesse de  son  enfance  et  dans  la  pauvreté  de 
la  crèche. 

0  vous  donc,  enfanls  de  Siou,  soyez  dans 
des  transports  d'allégresse,  réjouissez-vous 
dans  le  Seigneur  votre  Dieu,  parce  qu'il 
>ous  a  donUé  un  Maître  qui  vous  enseigner.! 
la  justice!  Quel  sujet  de  joie,  mes  Irès-cbers 
frères  »  à  la  vue  des  miséricordes  de  Dieul 


197 

Afin  que  nous  fussions  instruits  sans  crainte 
d'être  trompés,  la  Vérité  est  venue  elle- 
même  dissiper  nos  ténèbres.  11  (allait  à 
l'Iionme  une  règle  infaillible  pour  se  con- 
duire sûrement,  mais  il  lui  fallait  une  régie 
sensible  pour  se  conduire  humainement. 
Dieu  est  infaillible  ,  mais  il  n'est  pas  sensi- 
ble ;  l'homme  est  sensible,  mais  il  n'est  pas 
infaillible.  Jésus— Christ  étant  Dieu  et  hom- 
me tout  ensemble,  nous  trouvons  en  sa  per- 
sonne tout  ce  qui  nous  convient  pour  être 
tout  ensemble  instruits  et  conduits;  nous 
venons  d'exposer  ses  leçons,  exposons  ses 
exemples  :  c'est  le  second  point. 


SECONDE    PARTIE. 

L'homme  n'était  pas  seulement  aveugle 
depuis  le  péché,  il  était  encore  malade,  ou 
disons  mieux  ,  l'ignorance  qui  l'aveuglait 
était  une  maladie  de  l'homme,  mais  elle  n'é- 
tait pas  la  seule;  la  cupidité  était  une  mala- 
die aussi  dangereuse  que  l'ignorance.  Ce 
n'était  donc  point  assez  d'éclairer  son  esprit, 
il  fallait  encore  guérir  son  cœur;  d'ailleurs, 
ce  malade  était  si  bizarre,  que,  quoiqu'il 
connût  le  danger  où  il  s'était  réduit,  et  la 
vertu  des  remèdes  qu'on  lui  préparait,  il  les 
aurait  rejelés  au  péril  de  sa  perle,  pour 
n'en  pas  souffrir  l'amertume.  Il  fallait  donc 
que  celui  qui  s'était  rendu  son  maître  se 
rendit  encore  son  médecin,  et  qu'il  lui  pré- 
parât ces  remèdes  d'une  manière  si  charita- 
ble et  si  proportionnée  à  sa  dangereuse  dé- 
licatesse, qu'en  leur  laissant  toute  leur  ver- 
tu, il  leur  ôlât  presque  toute  l'amertume. 

C'est  ce  que  Jésus-Christ  a  fait  en  joi- 
gnant les  exemples  aux  leçons  et  la  qualité 
de  médecin  à  celle  de  maître.  C'est  par  là 
qu'il  remplit  divinement  les  fonctions  de 
maître  de  la  justice,  en  unissant  à  culte  qua- 
lité celle  de  médecin  et  de  Sauveur,  en  ré- 
pandant des  lumières  et  en  communiquant 
la  charité,  en  dissipant  les  ténèbres  et  en 
chassant  le  mauvais  amour.  En  effet,  ce 
charitable  médecin  qui  a  préparé  ses  remè- 
des aux  malades  qu'il  voulait  guérir,  ne  s'est 
pas  contenté  de  nous  dire  simplement  qu'il 
faut  commencer  par  descendre  du  faîte  de 
lorgueil  dans  le  centre  de  l'humilité  pour 
pouvoir  arriver  à  la  grandeur  solide  et  véri- 
table que  l'homme  recherche  et  désire  ar- 
demment :  cette  vérité  toute  seule  n'aurait 
pas  été  suffisante  pour  dompter  la  férocité 
de  notre  orgueil;  qu'a-t-il  donc  fait?  il  y  a 
joint  l'exemple, il  inspire  loi-même  aux  hom- 
mes cette  humilité  si  contraire  à  leurs  incli- 
nations, cl  il  l'inspire,  non  par  la  force  de 
l'autorité,  ni  par  la  véhémence  de  ses  <!is- 
cours,  mais  par  la  voie  de  la  persuasion  ;  il 
se  rend  humble  lui-même  :  le  Verbe  se  fait 
homme,  afin"  que  l'homme,  ayant  un  tel  ob- 
jet devant  ses  yeux,  eût  horreur  de  son  or- 
gueil cl  ne  craignît  plus  de  s'humilier. 

l'our  le  détourner  de  l'amour  des  riches- 
ses, il  se  fait  pauvre;  pour  lui  adoucir  (a 
peine  de  supporter  les  injures,  il  a  voulu  en 
titre  accablé  :  ainsi,  de  toutes  les  choses  q  e 
nouj  aimions  et  dont  l'amour  et  le  désir 
nous  ai  aient  détournés  de  Dieu,  il  nous  en 


SERMON  POUR  LE  JOUR  DE  NOËL.  *98 

a  inspiré  du  mépris  ;  eu  les  rejetant  il  les  a 
rendues  viles,  et  pour  toutes  celles  que  nous 
rejetions  il  leur  a  donné  un  fonds  de  gran- 
deur et  de  dignité  en  les  choisissant,  fout 
cela  n'a  été  qu'un  effet  de  son  amour  pour 
nous,  et  du  désir  qu'il  avait  de  nous  faciliter 
l'usage  des  remèdes  sans  lesquels  nous  ne 
pouvons  guérir  de  nos  maux;  car  il  n'avait 
aucun  besoin  d'en  user  ainsi  pour  lui-même. 
Entrez  bien,  mes  frères,  dans  cette  pen- 
sée :  en  s'uni&sant  à  notre  nature,  Jésus- 
Christ  a  fait  exactement  ce  que  ferait  un 
médecin  qui  prendrait  chez  lui  un  malade 
qu'il  aime,  qu'il  a  résolu  de  guérir,  et  qui 
ménage  sa  faiblesse  avec  plus  de  soin,  afin 
d'étudier  son  mal  avec  plus  d'application,  et 
lui  faire  l'application  de  ses  remèdes  plus 
utilement. 

L'humanité  à  laquelle  il  s'est  uni,  c'est- 
à-dire  cette  chair  qu'il  a  prise  en  se  faisant 
homme,  était  pure,  saine,  exempte  de  péché, 
autrement  elle  n'aurait  pas  été  la  victime 
d'un  sacrifice  qui  devait  expier  les  péchés 
des  hommes.  Elle  a  été  cependant  traitée 
comme  si  elle  eût  été  criminelle,  et  c'est  en 
cela  qu'eile  est  semblable  à  celle  des  pé- 
cheurs, puisqu'elle  était  assujettie  aux  mi- 
sères de  celte  vie.  Il  lui  a  fait  prendre  les 
remèdes  dont  les  malades  avaient  besoin,  et 
c'est  dans  ce  sens  qu'il  s'est  chargé  de  nos 
infirmités,  et  qu'il  les  a  non-seulement  por- 
tées, mais  guéries  en  son  propre  corps,  afin 
que  les  hommes  apprissent  de  ce  qu'il  avait 
fait  sur  lui  ce  qu'ils  devaient  faire  sur  eux- 
mêmes,  et  par  là  il  nous  a  voulu  faire  com- 
prendre quelle  était  la  nécessité  de  ces  re- 
mèdes ;  car,  si  le  bois  vert  est  ainsi  traité, 
dit  l'Evangile,  que  sera-ce  du  bois  sec  ? 

Mais  il  a  voulu  aussi  en  même  temps  nous 
faire  comprendre   quelle  en   était  la  vertu, 
puisque  c'est  par  ces  remèdes  qu'il  a  guéri 
les  plaies  des  nommes,  et  que  leur  usage  a 
fait  tous  les  justes  et  tous  les  saints.  Kn  effet, 
s'il  est  vrai  que  les  hommes  ne  périssent  quo 
parce  qu'ils  souhaitent  ce  que  Jésus-'Christ 
a  méprisé,  ou  parce  qu'ils  fuient  ce  qu'il  a 
souffert,  comme  dit  saint   Augustin,  ils  ne 
se  sauvent  et  ils  ne  se  sanctifient  qu'en  em- 
brassant ce  qu'il  a  souffert  et  en  rejetant  ce 
qu'il  a   méprisé.  Ce   charitable  médecin   ne 
pouvait  donc  prendre  des  mesures  plus  natu- 
relles pour  adoucir   l'amertume  que   nous 
craignons   de  trouver  dans  l'usage  des  re- 
mèdes  qu'il  offrait   pour  nous   guérir;  car 
certainement  l'idée  de  la  nécessité  d'un  re- 
mède unique,  l'assurance  de  sa  vertu,  l'ex- 
périence de  ses  effets,  adoucissent  non-seule- 
ment la  répugnance  que  son  amertume  nous 
pourrait  causer,  mais  elle   nous  porte  à  le 
désirer   avec   ardeur  et  à   le  prendre  avec 
avidité;   cependant  ce  n'est  pas  encore  tout 
ce  qu'il  a  fait  pour  nous.  Il  est  vrai  que  ces 
réflexions  sur  la  bonté  d'un  remède  peuvent 
convaincre   l'esprit   de    la    nécessité    de    le 
prendre,  et  elles  doivent    même   le   faire; 
mais  il  faut  quelque  chose  qui  le   persuade. 
La  raison  est  louoaiae;  mais  il  reste  un  fonds 
de   répugnance.   Jésus-Christ  ,   mes  frères, 
achevé  sou  ouvrage.  Ce  charitable  médecin 


110 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


!h 


répand  dans  l'âme  DM  certaine  douceur  qui 
lui  fail  trouver  du  plaisir  dans  l'otage  de  ce 
qui  lui  paraissait  amer.  C'est  l'effet  de  cette 
grâce  que  le  Maître  de  la  justice  est  venu 
nous  apporter,  par  laquelle,  dit  saint  Au- 
gustin, il  ne  fait  pas  seulement  croire  ce 
qu'on  doit  aimer,  mais  il  fait  aimer  ce  qu'on 
croit. 

Arrêtons-nous  ici  un  moment  pour  nous 
demander  compte  à  nous-mêmes  des  effets 
que  produisent  en  nous  les  exemples  que  ce 
divin  Maître  de  la  justice  a  exposés  à  nos 
yeux;  car  ce  mystère  doit  toujours  être  nou- 
veau, il  faut  qu'il  nous  renouvelle  sans  cesse, 
il  faut  que  la  vertu  de  l'incarnation  nous  soit 
appliquée,  et  que  nous  en  ressentions  les 
effets.  Il  ne  suffit  pas  de  connaître,  de  croi- 
re, d'honorer  ce  mystère,  il  f  i ut  l«  sentir,  il 
faut  qu'il  nous  pénètre,  il  faut  qu'il  incarne, 
pour  ainsi  dire,  nclrc  esprit  en  l'humiliant, 
et  qu'il  divinise  notre  chair  en  la  dégageant 
de  toutes  les  créatures  et  de  toutes  les  affec- 
tions basses  et  corrompues.  Jugeons-nous 
sur  ces  idées,  mes  très-chers  frères;  pou- 
vons-nous dire  que  nous  ayons  abandonné 
les  choses  que  Jésus-Christ  a  méprisées  en 
se  faisant  homme,  et  que  nous  ayons  em- 
brassé celles  qu'il  a  chéries? 

Tout  pénétrés  de  l'amour  des  choses  qu'il 
a  rejetées,  nous  courons  comme  des  insensés 
après  ce  qui  n'est  capable  que  di-  nous  per- 
dre; révoltés  contre  celles  qu'il  a  choisies, 
nous  rejetons  tout  ce  qui  est  capable  de  nous 
sauver,  nous  fermons  les  oreilles  à  ses  le- 
çons, et  nous  n'ouvrons  pas  les  yeux  à  ses 
exemples.  Nous  aimons  la  maladie  qui  va 
nous  perdre,  et  nous  rebutons  les  remèdes 
qu'il  nous  a  préparés  avec  tant  de  sagesse  et 
de  bonté.  Mes  frères,  faisons -y  réflexion, 
pensons  à  nous,  rentrons  dans  nous-mêmes  : 
celui  (jui  connaît  ce  qu'il  doit  faire  et  ne  le 
fait  pas  ne  l'a  pas  encore  appris  de  Dieu  se- 
lon la  grâce,  mais  selon  la  loi,  dit  saint  Au- 
gustin ;  il  ne  l'a  pas  appris  selon  l'esprit, 
mais  seulement  selon  la  lettre;  la  lettre  lue, 
il  n'y  a  que  l'esprit  qui  vivifie. 

Que  ferons-nous  donc  dans  cet  étal  d'op- 
position effroyable  entre  nos  maximes  et  la 
doctrine  du  Maître  de  la  justice  que  Dieu 
nous  donne, entre  notre  conduite  et  ses  exem- 
ples? Prenons  des  mesures  pour  nous  rap- 
procher de  lui. 

Remplissons-nous  des  vérités  qu'il  nous  a 
enseignées,  éludions-lcs  avec  soin  ;  convain- 
qtions-nous  de  la  nécessité  de  les  suivre; 
iiinlons  ses  exemples;  regardons-les  comme 
autant  de  nouvelles  confirmations  de  ces  vé- 
rités, et  comme  autant  de  nouveaux  motifs 
qui  nous  pressent  de  les  embrasser,  et  de- 
mandons-lui ensuile  qu'il  nous  les  fasse  con- 
naître selon  la  grâce,  et  non  pas  selon  la  loi  ; 
qu'il  nous  les  apprenne  selon  l'esprit,  et 
non  pas  selon  la  lettre  qui  tue.  C'est  par  ce 
moyen  que  nous  pourrons  nous  rendre 
utile  la  connaissance  de  ce  mystère  qui  nous 
a  été  infructueux  jusqu'ici.  Les  vérités  con- 
nues doivent  servir  à  nous  faire  remarquer 
ce  que  nous  avons  déjà  reçu,  cl  nous  porter 
à  en  rendre  grâces.  Elles  nous  doivent  faire 


connaître  ce  qui  nous  manqua  et  nous  exci- 
ter à  le  demander.  Profitons  u  me  de  ce  que 
nous  avons  reçu  et  demandont  ce  qui  nous 
Banque;    nom   pour  oui  le  demander  awc 

confiance,  car  nous  avons  à  nous  adresser  à 
un  M.iilir  de  h  justiee  qui  ne  se  contente 
p;is  «le  donner  des  leçons  et  des  exemples, 
mais  qui  accorde  encore  de  très-grands  se- 
cours à  ceu\  qu'il  veut  rendre  ses  disciples: 
c'est  le  sujet  de  la  troisième  partie. 

troisième  partie. 

Dieu  promettait  des  secours  abondants  à 
son  peuple  dans  l'ancienne  loi,  et  il  les  lui 
accorde  dans  la  nouvelle.  Il  leur  disait  dans 
Isaïe  :  Je  ferai  que  les  ténèbres  qui  sont  de- 
vant eux  se  changeront  en  lumière,  et  que  les 
chemins  tortus  seront  ndressés.  Il  leur  pro- 
mettait par  le  prophèle  Ezécbîel  qu'il  chan- 
gerait leur  cœur,  et  que  de  pierre  qu'il  était, 
c'est-à-dire  dur  et  insensible,  il  le  rendrait  de 
chair,  c'est-à-dire  tendre  et  flexible  à  ses 
volontés  ;  qu'ils  marcheraient  dans  ses  voies 
et  qu'il  leur  ferait  accomplir  ses  commande- 
ments. Or,  mes  frères,  ce  qu'il  a  promis  il 
l'a  exécuté,  et  la  grâce  qu'il  nous  donne 
comme  Sauveur,  non  -  seulement  nous  dé- 
couvre sa  sagesse,  mais  même  elle  nous  la 
fait  aimer;  non-seulement  elle  nous  invi'e 
au  bien,  mais  même  elle  nous  le  persuade 
et  nous  le  fait  vouloir  si  fortement  et  aimer 
avec  tant  d'ardeur,  que  nous  surmontons 
par  la  volonté  de  l'esprit  qu'il  forme  en 
nous  la  volonté  de  la  chair  qui  a  des  désirs 
opposés  à  la  loi  de  Dieu.  C'est  ainsi  que  le 
Sauveur  du  monde  Ole  ce  cœur  dur  et  in- 
flexible, et  qu'il  donne  à  ses  disciples  un 
cœur  de  chair,  tendre,  docile,  el  qui  se  laisse 
conduire  aux  mouvements  de  sa  grâce. 

Moïse  nous  traçait  l'idée  de  ce  secours  que 
nous  devions  recevoir  de  Jésus-Christ  dans 
la  loi  nouvelle,  lorsqu'il  excitait  les  Israéli- 
tes, qui  étaient  la  figure  des  vrais  chrétiens, 
à  rendre  grâce  à  Dieu  de  tous  les  biens  qu'ils 
avaient  reçus  de  lui,  el  qu'il  leur  disait  en 
particulier  qu'il  les  avait  portes  dans  sa 
force  jusqu'au  lieu  de  su  demeure  sainte; 
c'est  ce  que  fait  Jésus-Christ,  car  il  porte 
lui-même  les  âmes,  puisqu'il  esl  vrai  dans 
un  très-bon  sens  que  ce  ne  sont  pas  tant 
elles  qui  marchent,  que  c'est  lui  -même  qui 
les  porte,  et  que  sans  ce  secours  elles  suc- 
comberaient sous  leur  faiblesse. 

Les  âmes  de  ceux  qui  sont  à  lui  sont  pour 
ainsi  dire  plulot  portées  qu'elles  ne  mar- 
chent ;  dles  marchent  cependant,  prenez 
bien  garde  de  ne  pas  diviser  les  deux  volon- 
tés dans  l'économie  du  salut  qui  e-t  l'ouvrage 
opère  ;  mais  toutes  les  démarches  qu'elle  fail 
avec  eilori  dans  Ks  \oics  de  la  justice,  elle 
les  doii  à  la  grâce  el  à  la  force  de  celui  qui 
la  porle;  ce  qui  lait  dire  à  saint  Augustin  : 
Vous  nous  portes  étant  petits,  ô  mon  Dieui 
et  DOW  n  importez  jusqu'à  l'extrémt  vieillesse, 
parce  qui  nous  n'avons  de  force  qu'allant 
que  nous  nous  appuyons  sur  vous;  el  que 
toute  notre  force  n'est  que  faiblesse  ,  lorsque 
nous  nous  appuyons  sur  nous-mimes ;  mais 


m 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINT  JEAN  EVANGELISTE. 


notre  faiblesse  se  change  en  force  lorsqu'elle 
est  soutenue  par  votre  force. 

Tout  ceci  nous  découvre,  1°  la  nature  de 
ces  secours  que  nous  donne  ce  Maître  de  la 
justice,  secours  qui  appliquent  l'âme  à  l'ac- 
tion, qui  font  faire,  qui  portent,  qui  font 
marcher,  sans  lesquels  en  un  sens  très-véri- 
table nous  ne  pouvons  rien;  2°  la  disposition 
à  nous  les  accorder  toujours,  puisqu'il  nous 
portera  dans  sa  force  jusqu'au  lieu  de  sa  de- 
meure s;iinte,  comme  dit  le  prophète,  et  le 
dessein  où  il  est  de  les  donner  à  tous,  puis- 
que, comme  dit  saint  Augustin,  il  ne  nous 
portera  pas  seulement  étant  petits,  mais  qu'il 
nous  portera  jusqu'à  l'extrême  vieillesse,  nul, 
ni  jeune,  ni  vieux,  n'étant  exclu  de  ces  se- 
cours qu'il  donne  à  tous. 

Les  conséquences  de  tous  ces  principes 
sont  faciles  à  tirer:  il  faut  nous  jeter  entre 
les  bras  de  ce  Maître  divin,  afin  que  noire 
faiblesse  soit  changée  en  sa  force,  étant 
soutenue  par  sa  force;  mais  il  faut,  pour  que 
celle  résolution  ait  tout  son  effet,  1°  être  du 
nombre  de  ses  disciples;  car  il  ne  s'engage  à 
porler  que  son  peuple,  c'est-à-dire  ceux  qui 
veulent  être  à  lui  et  qui  se  déclarent  les  dis- 
ciples de  la  justice,  comme  il  s'en  est  rendu 
leMaître.  Il  faut,  2"  s'acquitter  des  devoirs  de 
disciples,  c'est  à-dire  nous  remplir  de  sa 
doctrine,  et  faire  entrer  dans  notre  cœur  les 
vérités  qu'il  nous  enseigne  dans  ce  mystère. 
Oui,  divin  Enfant,  nous  voulons  être  vos 
disciples;  mais  faites,  ô  Maître  divin  1  que 
les  ténèbres  se  changent  devant  nous  en  lu- 
mière. Dissipez  tous  les  faux  principes  delà 
vaine  et  trompeuse  science  du  monde,  et 
remplissez  nos  cœurs  des  importantes  véri- 
tés que  vous  nous  exposez  aujourd'hui.  Fai- 
tes-nous ressentir  les  effets  de  ce  mystère, 
c'esl-à-dire  faites  que  nous  suivions  les  exem- 
ples que  vous  nous  donnez  pour  confirmer 
les  leçons  que  vous  nous  avez  faites. 

Mais  qu'enseigne  ce  Maître  divin  ?  11  nous 
enseigne,  mes  Irères,  qu'il  faut  que  nous 
soyons  humbles,  petits,  pauvres,  soumis  aux 
faiblesses  de  notre  état  présent,  et  pour  nous 
animer  à  la  pratique  de  ces  règles  devenues 
nécessaires  depuis  notre  pèche,  il  nous  en 
donne  l'exemple;  car  il  renferme  toutes  ces 
divines  perfections  sous  la  mortalité  de  no- 
tre chair,  pour  donner  lieu  à  l'état  de  bas- 
sesse et  d'humiliation  où  il  a  voulu  entrer. 

De  sorte,  ô  mon  Dieu  !  que  vous  vous 
montrez  humble  à  nos  yeux,  comme  si  vous 
n'étiez  point  élevé;  petit,  comme  si  vous  n'é- 
tiez point  grand  ;  pauvre,  comme  si  vous 
n'éliez  point  riche;  faible,  comme  si  vous 
n'étiez  pas  puissant.  Voilà,  mes  très  chers 
frères,  l'exemple  que  Dieu  nous  donne.  11 
ne  vous  demande  pas  que  pour  être  ses  dis- 
ciples vous  changiez  l'état  où  sa  providence 
▼  dus  a  placés;  gardez  les  dignilés  et  le  rang 
que  Dieu  vous  a  donnés,  demeurez  ce  que 
vous  clés,  mais  souvenez-vous  que  la  reli- 
gion exige  de  vous  que  vous  soyez  humbles, 
pelils  et  pauvres.  Soyez  humbles  dans  votre 
élévation  ;  soyez  petits  dans  v.olrc  grandeur; 
soyez  pauvres  dans  vos  richesses  ,  c'esl-à- 
Uire  ayez  dans  le  cœur  l'amour  de  ces  vertus, 

Oratrurs  sacrés.  XXX. 


ne  soyez  attachés  ni  à  votre  élévation,  ni  à 
votre  grandeur,  ni  à.  vos  richesses  ;  qu'il 
ne  paraisse  pasque  vous  êtes  élevés, quaud  la 
religion  vous  oblige  de  vous  abaisser;  et 
comme  ces  exemples  sont  difficiles  à  suivre 
dans  le  monde,  recourez  incessamment  à  l'as« 
sistance  et  aux  leçons  du  Maître  de  la  justice 
que  Dieu  nous  donne.  Jetez-vous  entre  ses 
bras,  afin  qu'il  vous  porte  dans  sa  demeure 
sainte.  C'est  ce  que  je  vous  souhaite.  AiDsi 
soit-il. 

SERMON 

POUR    LA    FÊTE    DE  SAINT   JEAN    EVANGELISTE. 

Pelnis  vklit  illnm  discipulum  q'em  diligebat  Jésus. 
Pierre  vit  venir  après  lui  te  disciple  que  Jésus  ai-naii 
(Joan.,  XXI,  20). 

Comme  il  n'y  a  point  de  caractère  qui  dis- 
tinguo saint  Jean  des  autres  disciples  avec 
plus  de  gloire  que  l'amour  singulier  dont  le 
Sauveur  du  monde  l'a  honore,  il  ne  faut 
point  chercher  d'autre  fondement  de  ses 
louanges:  car  nous  ne  pouvons  pas  lui  en 
donner  de  plus  solides  que  de  dire  que  Jésus 
l'aimait.  11  n'y  a  donc,  mes  frères,  qu'à  pro- 
poser cet  amour,  pour  combler  notre  apô- 
(re  de  gloire,  et  il  ne  faut  que.  marquer  ses 
retours  pour  celui  qui  l'a  aimé  et  sa  lidéliîé 
dans  son  amour,  pour  lui  composer  un  excel- 
lent éloge.  C'est  aussi  ce  que  j'ai  résolu  de 
faire  dans  ce  discours,  où  je  ne  vous  pai  lerai 
que  de  l'amour  reçu,  que  de  l'amour  rendu, 
et  que  de  l'amour  communiqué  aux  autres 
par  ce  disciple. 

L'amour  reçu  nous  fera  connaître  qu'il  a 
été  aimé,  c'est  la  source  de  son  bonheur: 
première  partie.  L'amour  rendu  nous  décou- 
vrira qu'il  a  aimé,  c'est  le  fondement  de  sa 
gloire:  seconde  partie.  L'amour  communi- 
qué nous  montrera  qu'il  s'est  appliqué  à 
faire  aimer  celui  qu'il  aimait,  c'est  la  preuve 
de  sa  fidélité  et  le  couronnement  de  son 
amour  pour  son  maître:  troisième  partie. 

Voilà,  mes  frères,  ce  que  nous  dirons  du 
disciple  qui'  Jésus-Christ  aimait,  après  que 
nous  aurons  demandé  le  secours  du  ciel  par 
l'intercession  de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE-  PARTIE. 

Dieu,  dit  saint  Augustin,  fait  toutes  choses 
en  faveur  de  ceux  qu'il  aime,  et  sa  lendrcsse 
est  si  grande,  qu'il  veut  bien  partager  avec 
eux  son  héritage,  s'estimant  plus  riche  en  Io 
partageant,  que  s'il  le  pos  édait  tout  seul. 

C'est  la  conduite  qu'il  tient  à  l'égard  de 
tous  les  élus  qu'il  veut  bien  admettre  avec 
lui  à  la  possesion  de  sa  gloire,  et  c'est  celle 
qu'il  a  tenue  d'une  façon  particulière  sur  le 
grand  saint  dont  la  fêle  nous  assemble. 
L'excès  de  cet  amour  dont  il  a  bien  voulu 
l'honorer  ne  lui  a  pas  permis  d'attendre 
après  sa  mort  pour  partager  avec  lui  son  hé- 
rilage.  11  a  voulu  lui  en  donner  des  marques 
éclatantes  qui  l'ont  distingué  dès  celle  vie,  et 
ne  ménageant  rien  avec  lui,  il  l'a  admis  au 
partage  de  ce  qu'il  avait  d<>  plus  précieux 
sur  la  terre.  Or,  mes  frères,  vous  convien- 
drez sans  doute  que  Jésus-Christ  n'a  rien  eu 
de  plus  cher  sur  la  terre  que  son  Eglise,  sa 

7 


20S 


Mère  et  sa  rroix,  et  qu'il  ne  pouvait  donner 
de  plus  solides  marquai  de  son  amour  â  ua 
bomme  mortel,  qu'en  partageant  ees  trois 
choses  av<'C  lui. 

C'est  ce  que  Jésus-Christ  a  fait  en  faveur 
de  saint  Jean:  il  lui  a  donne  parla  la  fonda- 
tion de  son  Eglise  qui  est  sou  ouvrage  ;  il  lui 
a  donné  pari  à  la  filiation  de  Mine  qui  est 
sa  mère  ;  il  lui  a  donné  part  au  sacrifice  de 
sa  croix  qui  est  son  trésor.  Ainsi  l'amour  de 
Jésus  pour  ce  disciple  en  a  fait  un  apôtre 
distingué  dans  la  fondation  de  l'Eglise,  un 
fils  adopté  dans  la  filiation  de  Marie,  el  un 
martyr  associé  au  sacrifice  de  la  croix.  N'ai- 
je  donc  pas  raison  de  vous  dire  que  l'amour 
qu'il  a  reçu  nous  l'ail  connaître  que  saint 
Jean  a  élé  aimé,  et  nous  découvre  la  source 
de  son  bonheur? 

Il  est  certain,  mes  frères,  que  les  apôtres 
ont  eu  une  part  si  considérable  dans  la  fon- 
dation de  l'Eglise,  que  l'apôlre  saint  Paul  ne 
craint  point  de  les  en  appeler  les  fondements; 
car  en  annonçât  au  peuple  d'Ephèse  qu'ils 
n'étaient  plus  des  étrangers,  mais  les  do- 
mestiques de  la  maison  de  Dieu,  il  les  aver- 
tit que  celte  maison  est  édifiée  sur  le  fonde- 
ment des  apôires,  dont  Jésus-Christ  est  à  la 
vérité  la  principale  pierre  de  l'angle,  n'y 
avant  point  absolument  d'autre  fondement 
que  lui.  Les  apôtres  en  effet  n'ont  point  élé 
les  objets  de  notre  foi,  nous  n'avons  point 
cru  en  eux  ;  mais  ils  ont  élé  les  ministres  de 
notre  foi,  et  c'est  par  eux  que  nous  avons 
cru  en  Jésus-Christ  qu'ils  nous  ont  annoncé. 
Ainsi  Jésus-Christ  est  la  pierre  sur  laquelle 
l'édifice  est  posé,  il  ne  peut  yen  avoir  d'au- 
tre; mais  les  apôtres  sont  les  pierres  qui 
touchent  immédiatement  à  cette  première, 
et  qui  portent  les  autres  qu'ils  ont  attirés 
par  la  prédication.  C'est  de  cette  manière 
qu'ils  sont  les  fondements  de  cet  édifice  qui 
croit  dans  les  proportions  et  dans  les  symé- 
tries convenables,  pour  être  un  saint  temple 
consacré  au  Seigneur;  el  c'est  en  vue  de  ce 
rang  que  les  apôtres  tiennent  dans  la  fonda- 
tion de  celte  Eglise,  que  Dieu  a  mis  en  eux 
tous  les  dons  nécessaires  pour  le  soutenir, 
et  qui  nous  sont  marqués  par  les  qualités 
différentes  que  l'Ecriture  leur  donne. 

Quelquefois  ils  sonl  appelés  des  montagnes, 
pour  nous  exprimer  celle  forée  et  celle  soli- 
dité inébranlable  ,  propre  à  porler  ceux 
qu'ils  font  entrer  dans  1  édifice  de  la  maison 
de  Dieu, ou  bien  pour  nous  marquer  la  subli- 
mité de  leur  docirine,  qui  est  encore  expri- 
mée par  le  miel  qui  coule  de  ces  monta- 
gnes. 

Dans  d'autres  occasions  l'Ecriture  les  ap- 
pelle des  nues,  pour  nous  marquer  ce  /ele 
et  cette  vitesse  toute  sainte  qui  les  a  portés 
jusqu'aux  exlrémilés  de  la  terre,  pour  y 
aller  ramasser  les  pierres  qui  étaient  desti- 
nées à  entrer  dans  la  maison  de  Dieu. 

Ces  vues  générales  que  l'Ecriture  nous 
donne  sur  les  apôtres  destinés  à  la  formation 
de  l'Eglise  nous  découvrent  les  distinctions 
que  l'amour  de  Jésus  lui  a  fait  faire  en  fa- 
veur de  ce  disciple  qu'il  (hérissait.  Je  les 
trouve  loutes  renfermées  dans  le  privilège 


ORATEURS  SACHES.  DOM  JEROME. 
qu'il  lui  ai  corda 


'204 


e  soir  de  la  cène  :  car  il 
<  si  certain  qu'il  ne  lui  permit  de  se  reposer 
sur  soi  sein  que  pour  nous  marquer  par 
Celte  distinction  sensible  qu'il  en  us.iit  .me 
lui  autrement  qu'avec  le  resta  les  apotri  i. 
Aussi  esl-ce  celte  faveur  qui  d  donné  sojet 
à  lous  les  Pères  de  le  regarder  tomme  un 
disci  de  distingué.  El  assurément  ceite  ap- 
plication de  la  lele  de  saint  Jean  sur  le  unir 
de  Jésus-Christ  ne  [-eut  être  regardée  que 
comme  la  preuve  d'une  union  singulière 
qu'il  avait  avec  lui,  et  si  les  apôtres  en  gé- 
néral son t  appelés  par  saint  Paul  les  fonde- 
ments de  l'Eglise,  parce  qu'ils  sont  les  pier- 
res de  cet  édifice  spirituel,  qni  <>  I  été  p  sees 
immédiatement  sur  la  première,  cl  qu'ils 
ont  lire  de  là  cette  force  el  celle  solidiié  qui 
rend  les  fondements  propres  à  porter  loul 
l'édifice,  on  peut  dire  que  saint  Jean  les  a 
surpassés  dans  cet  avantage.  En  effet,  re 
repos  de  sa  tête  sur  le  sein  du  Sauveur  du 
monde,  et  dans  un  temps  d'alarme  el  d'agi- 
tation pour  tous  les  au!res  apôtre<  que  la 
nouvelle  de  sa  mort  avait  troublés,  marque 
la  force  de  son  esprit,  la  fermeté  de  son  âme, 
et  son  union  plus  intime  à  la  pierre  angu- 
laire de  l'édifiée.  Dans  celle  rencontre  noire 
apolrereçutsansdoute  une  grâcede  solidité  et 
deforceexlraordinaircpar  l'application  exté- 
rieure de  sa  tète  sur  la  source  de  toule  la 
force  et  sur  le  principe  de  toute  la  fermeté 
apostolique  el  chrétienne.  C'est  de  là  aussi 
qu'il  a  lire  ces  lumières  si  vives  el  cette  doc- 
trine si  profonde  qui  fout  le  caractère  do 
ses  écriis. 

11  a  puisé  dans  celle  source  ce  que  les  au- 
tres n'ont  pris  que  dans  les  ruisseaux  ;  aussi 
les  Pères  ont-ils  comparé  cet  apôlre  sur  le 
cœur  de  son  maitre  à  une  éponge  plougée 
au  milieu  de  l'eau,  dont  elle  se  remplit  ielle- 
ment  qu'elle  en  regorge  de  lous  côtés.  C'est 
l'état  de  saint  Jean  sortant  de  dessus  le 
cœur  de  Jésus  sou  divin  maître,  regorgeant 
des  lumières  dont  il  s'était  rempli  dans  cel 
océan  de  sa  sagesse;  et  c'est  ce  qui  fait  dire 
à  saint  Augustin  qu'il  a  paisé  dar.s  le  sein 
même  de  la  Divinité,  parce  qu'il  a  pris  dans 
le  cœur  du  Eils,  qui  lui  fui  ouvert,  ce  que  le 
Eils  avait  appris  lui-même  dans  ie  sein  du 
Père,  où  il  est  engendre  comme  Verbe. 

Ces  lumières  qui  n'étaient  pas  éclatantes 
seulement,  mais  brûlantes  et  loules  de  feu  , 
lui  ont  donné  celte  impression  de  zèle  el  d'a- 
mour qui  le  dislingue  des  autres  apôtres,  et 
qui  le  portait  lou|ours  avec  une  ardeur  sin- 
gulière partout  où  les  intérêts  de  Jésus-Christ 
l'appelaient. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  en  le  distin- 
guai!! des  autres  apôires  dans  ia  fondation 
de  l'Eglise,  que  Jésus-Christ  lui  a  marque 
son  amour,  c'est  encore  en  le  faisant  entrer 
dans  la  filiation  de  Marie  qu'il  lui  en  a  donné 
une  preuve  très-ecla tante.  Que  celle  preuve 
de  l'amour  de  Jésus-Cbrist  pour  son  disci- 
ple  esl  exe  'llente  !  Et  pour  en  seniir  tout  le 
prix.,  considérez  qu'il  esl  donne  à  Marie  par 
Jésus-Clinsl  pour  être  son  fils;  qu'il  lui  est 
donne  par  Jesus-Chrisl  pour  lenir  sa  place 
el  pour  le  représenter;  qu'euûu  il  lui  est 


205 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINT  JEAN  EVANGELISTE. 


20G 


donné  pour  lui  rendre  tous  les  offices  que 
Jésus-Christ  aurait  dû  lui  rendre  lui-même. 
Quel  fonds  de  grandeur  et  de  richesses  pour 
ce  disciple  dans  ce  témoignage  de  l'amour  de 
son  maître  ! 

Pierre  aura  le  soin  de  l'Eglise,  mais  Jean 
aura  Marie.  Disciple  ardent  et  plein  de  feu, 
les  emplois  qu'on  vous  donne  vous  mettront 
dans  l'agitation  et  dans  le  mouvement;  mais 
celui-ci,  dont  le  coeur  est  plus  tendre  et  plus 
doux,  est  réservé  pour  des  fonctions  tran- 
quilles et  pacifiques.  On  ouvre  à  l'un  l'en- 
trée du  temple,  et  on  lui  abandonne  le  soin 
des  sacrifices  sanglants;  mais  à  ceJui-ci  on 
lui  destine  l'autel  des  encens,  et  le  sanctuairo 
est  son  partage.  Disciple  choisi  pour  ce  su- 
blime ministère,  c'est  vous  seul  qui  devez 
assister  devant  le  propitiatoire,  et  à  qui  l'ar- 
che de  la  nouvelle  alliance,  pour  ainsi  dire, 
est  confiée.  Peut-on  se  figurer  quelque  chose 
de  plus  éclatant  que  ce  témoignage  de  l'a- 
mour de  Jésus-Christ  pour  son  disciple?  Tout 
ce  que  je  viens  de  rapporter  est  d'Arnould, 
abbé  de  Bonneval  ,  disciple  de  saint  Ber- 
nard. 

Jésus-Christ  le  donne  donc  à  Marie  pour 
être  son  fils;  quelle  idée  devons-nous  nous 
former  des  dons,  de  la  pureté  et  des  grâces 
de  ce  disciple,  devenu  le  fiis  de  Marie  par 
o  lie  disposition  du  Sauveur  du  monde  !  Car 
il  a  mis  dans  saint  Jean  tous  les  dons  qui 
conviennent  au  fils  de  la  plus  sainte  de  tou- 
tes les  créatures,  puisqu'il  a  revêtu  ce  disci- 
ple de  celle  éminente  qualité. 

Peut-élre  même  pourrions-nous  dire  avec 
saint  Ambroise  qu'il  a  oublié  sa  mère,  dans 
un  sens,  pour  ne  se  souvenir  que  de  son 
disciple;  car,  voulant  disposer  de  ses  biens 
à  la  mort,  et  faisant  son  testament  sur  la 
croix,  il  partage  entre  la  mère  et  le  disciple 
les  témoignages  de  son  amour;  mais  com- 
ment fait-il  ce  partage?  îl  dit  à  ce  disciple  : 
Je  vous  fais  mon  héritier,  et  le  bien  que  je 
vous  laisse,  c'est  ma  mère  :  il  établit  sa  mère 
son  héritière  conjointement  avec  ce  disci- 
ple; mais  que  lui  dit-il  :  Voilà  voire  fds ; 
ainsi  Marie  reçoit  le  disciple  pour  partage, 
et  le  disciple  reçoit  Marie  pour  le  sien.  Or 
n'esl-il  pas  vrai  que  la  meilleure  part  est 
pour  le  disciple  ? 

Mais  voici  un  rehaussement  admirable  de 
celle  preuve  de  l'amour  de  JésUs-Chfist  pour 
son  disciple  :  c'est  qu'en  le  donnant  à  Ma- 
rie pour  son  partage,  après  l'avoir  mis  en 
quelque  sorte  d'égalité  avec  elle,  puisqu'il 
divise  tout  son  bien  en  deux  lois  ou  en  deux 
parlions  égales,  il  toit  encore  entendre  à  Ma- 
rie qu'il  lui  donne  ce  disciple  pour  tenir  sa 
place  et  pour  le  représenter,  puisqu'il  ne  lui 
dit  pas  :  Voilà  un  autre  fils  que  je  vous 
donne  ;  mais:  Voilà  votre  (Us.  11  y  a  une  force 
dans  celte  expression  qu'on  ne  remarque  pas 
assez;  car  il  semble  que  Jésus-Chiisi  s'en 
serve  pour  nous  faire  entendre  que  ce  disci- 
ple a  cessé,  pour  ainsi  dire,  d'clr  lui-même, 
pour  devenir  vraiment  Jésus-Christ  à  l'é- 
gard de  Marie,  et  qu'il  en  a  comme  conti- 
nué la  filiation  par  une  grâce  singulière: fi- 
liation qui  l'a  uni  à  lui,  afin  que  celle  saiule 


et  divine  Mère  ne  perdît  pas  son  cher  et  di- 
vin enfant,  et  qu'elle  pût  toujours  le  retrou- 
ver dans  ce  nouve au  fils.  C'est  la  glorieuse 
distinction  que  l'amour  de  Jésus-Christ  fait 
de  ce  disciple  pour  l'honorer  :  il  le  donne  à 
sa  mère  en  sa  place,  et  comme  un  autre  lui- 
même,  pour  lui  rendre  lous  les  offices  qu'elle 
devait  attendre  de  lui  ;  ce  qui  est  en  effet  une 
grande  gloire  pour  ce  disciple;  car  comme 
c'est.  Jésus-Christ  qui  nous  donne  les  talents 
pour  soutenir  les  emplois  auxquels  il  nous 
appelle,  il  avait  mis  sans  doute  dans  ce 
disciple  bien-aimé  tous  ceux  qui  conve- 
naient à  des  fonctions  si  relevées  et  si  glo- 
rieuses. 

Ainsi  nous  pouvons  dire  en  quelque  façon 
qu'il  avait  le  cœur  de  Jésus-Christ  pour  ai- 
mer cette  divine  Mère  ;  sa  sagesse  pour  ré- 
gler tout  ce  qui  la  regardait;  ses  soins,  ses 
attentions,  ses  empressements,  pour  préve- 
nir et  pour  prévoir  tous  ses  besoins. 

La  Providence  n'a  pas  permis  que  nous 
connussions  quelque  chose  de  sa  vie  en  par- 
ticulier. L'Evangile  dit  seulement  que  du 
moment  que  le  Sauveur  du  monde  l'eut  sub- 
stitué en  sa  place  à  l'égard  de  sa  sainte  Mère, 
ce  disciple  la  prit  chez  lui  :  vous  pouvez  ju- 
ger ce  que  son  amour  pour  son  Maître  et 
son  respect  pour  sa  divine  Mère  lui  firent 
faire  pour  la  consolation  de  cette  excellente 
créature. 

Mais  achevons  la  preuve  des  témoignages 
de  l'amour  de  Jésus-Christ  pour  ce  disciple, 
et  disons  que,  l'ayant  fait  le  dépositaire  de 
ce  qu'il  avait  de  plus  précieux,  il  n'avait 
garde  de  ne  pas  l'admettre  à  ses  souffrances, 
et  de  ne  pas  partager  avec  lui  sa  croix  qu'il 
a  toujours  regardée  comme  une  des  plus  ri- 
ches portions  de  ses  trésors.  Il  s'y  était  en- 
gagé, et  il  le  lui  avait  promis  lorsque  lui  et 
son  frère  saint  Jacques  lui  demandèrent  les 
deux  premières  places  dans  son  royaume. 
Vous  boirez,  leur  dit-il,  mon  calice,  et  vous 
serez  baptisés;  mais  voici  comment  ce  disci- 
ple, plus  cher  à  Jésus-Christ  que  son  liôrc, 
a  élé  traité  plus  favorablement  que  lui  dans 
le  partage  qu'il  leur  a  fait  de  ce  précieux 
trésor. 

C'est  ce  Maître  divin  qui  se  rend  lui-mémo 
l'auteur  de  son  martyre;  il  l'immole  en  quel- 
que façon  sur  le  même  autel  où  son  amour 
l'a  immolé  lui-même;  ne  quittons  donc  pas 
le  lieu  où  s'est  fait  ce  leslament  si  favorable 
à  ce  disciple,  puisque  c'est  là  où  il  lui  donne 
celle  dernière  preuve  de  son  amour.  Tous 
les  autres  apôtres  suivent  la  lâcheté  de  leur 
cœur,  et  celui-ci  seul  est  capable  de  souffrir 
avec  lui.  Il  lui  avait  promis  qu'il  boirait  en 
effet  le  calice  qu'il  allait  boire,  et  qu'il  serait 
baptisé  lui-même  comme  nous  venons  de  le 
dire;  il  a  tenu  parole  à  ce  cher  disciple,  il  a 
élé  pénétré  par  la  douleur  sur  le  Calvaire,  et 
plonge  dans  les  eaux  de.  l'affliction  à  Rome 
sous  Domitieo.  Les  autres  apôtres  ont  souf- 
fert par  la  main  des  bourreaux;  celui-ci  n'a 
point  d'autre  main  qui  l'afflige  que  celle  de 
son  Maître,  et  dans  ce  martyre  de  di.>tinction, 
c'est  l'amour  qui  le  fait  souffrir,  et  c'est  son 
cœur  qui  soullrc   uniquement.    11  demeure 


207 


OlUTEUflS  SACRES.  [>OM  J CHOME. 


debout  an  pied  de  la  croix,  c'est  là  où  s'ac- 
complit la  promesse  que  le  Sau\eur  du 
monde  loi  avait  faite  :  il  s'enivre  de  ce  ciliée 
de  douleur,  et  '.es  plaies  d'un  Maître  si  ado- 
rable et  si  tendrement  aimé  jettent  des  traits 
divins  dans  l'âme  de  ce  disciple,  qui  le  pénè- 
trent et  qui  l'enflamment  ;  il  se  transforme 
en  lui,  il  expire  avec  lui,  et  il  souffre  mille 
fois  davantage  de  ne  pas  mourir,  que  s'il  ex- 
pirait en  souffrant. 

Remarquez,  mes  chers  frères,  dans  la  con- 
duite que  Jésus-Christ  tient  sur  ce  disciple 
en  cet  te  occasion,  les  délicatesses  de  son  amour 
pour  lui  cl  les  soins  qu'il  prend  de  lui  don- 
ner part  à  si  croix  d'une  manière  distin- 
guée :  car,  l'ayant  favorisé  si  particulière- 
ment entre  ses  apôtres,  il  veut  encore  lui 
donner  comme  à  eux  la  gloire  d'un  genre 
de  martyre,  sans  laisser  aux  hommes  le 
pouvoir  d'abréger  une  vie  aussi  précieuse 
que  la  sienne,  et  qu'il  voulait  encore  hono- 
rer par  d'autres  souffrances. 

Finissons  par  un  mot  d'un  ancien  Père  qui 
peut  être  justement  appliqué  ici.  Joseph, 
voyant  ses  frèies  arriver  en  Egypte  pour 
chercher  du  soulagement  dans  l'affreuse  sté- 
rilité qui  affligeait  leur  pays,  et  ayant  fait 
remplir  tous  leurs  sacs  de  froment,  il  fll 
mettre  la  coupe  dont  il  se  servait  pour  boire 
dans  celui  de  Benjamin,  sans  qu'on  s'en 
aperçût,  voulant  par  cet  artifice  innocent  sa- 
tisfaire le  désir  qu'il  avait  de  retenir  auprès 
de  lui  ce  jeune  frère  qu'il  aimait.  Tous  eu- 
rent du  froment,  et  tous  furent  traités  comme 
ses  frères;  mais  un  seul  eut  sa  coupe,  et 
celui-là,  sur  qui  semblait  tomber  toute  sa 
colère,  était  en  effet  celui  qu'il  aimait  da- 
vantage. 

Vous  voyez  sans  doute,  mes  frères,  quelle 
est  l'application  que  je  veux  faire  de  celle 
pensée  :  tous  les  apôtres  ont  reçu  des  mar- 
ques éclatantes  de  l'amour  de  Jésus-Christ; 
mais  assurément  voici  le  plus  aimé.  Tous 
sont  nourris  du  pain  de  la  grâce,  ils  ont  tous 
mangé  sa  chair  et  reçu  son  espril  ;  mais  ce- 
lui-ci a  eu  sa  coupe  par  préférence. 

Heureux  disciple,  si  favorisé  de  votre  Maî- 
tre, si  rempli  des  marqes  de  son  amour,  si 
comblé  de  ses  biens,  à  qui  il  a  confié  tant  de 
trésors  et  rêvé  é  tant  de  secrets,  il  est  temps 
que  vous  donniez  des  marques  de  votre  re- 
connaissance, et  que  vous  Tissiez  voir  que  si 
vous  avez  reçu  des  témoignages  éclatants 
de  son  amour,  vous  avez  appris  de  cet 
amour  même  à  lui  en  donner  des  vôtres; 
elles  vont  servir  de  matière  à  la  deuxième 
partie  de  ce  discours. 

DEUXIÈME   PARTIE. 

Saint  Bernard  ne  nous  prescrit  point  d'au- 
tres mesures  pour  ces  retours  du  creur  que 
nous  devons  à  Jésus-Christ  qui  nous  a  pré- 
venus par  son  amour,  que  de  régler  notre 
conduite  sur  la  sienne,  et  de  faire  pour  lui 
ce  qu  il  a  fait  pour  nous.  C'est  une  règle  que 
l'Ecriture  nous  a  donnée,  saint  Jean  lui- 
même  nous  l'a  proposée  dans  sa  permière 
Epîlre  canonique  :  Aimons  donc  Dieu,  dit-il, 


aimés   le  pre- 


jmis/jue   c'est   lui  qui  nous  a 
mû  i . 

Ainsi,  mes  frères,  nous  ne  saurions  douter 
qu'il  ne  l'ail  suivi  dans  ce-,  retours  d'amour 
qu'il  a  eu  pour  celui  qui  l'avait  aimé  le  pre- 
mier, et  qui  avait  voulu  le  prévenir  d'une 
manière  si  éclatante  et  si  distinguée.  Il 
donc  donné  à  Jésus-Christ  tout  entier,  et 
c'est  ce  que  je  veux  vous  faire  voir  dans 
celle  deuxième  partie  :  et  il  me  semble  que 
je  ne  puis  vous  donner  une  idée  plus  noble 
et  plus  grande  de  ce  dévouement  entier  à 
Jésus-Christ,  qu'en  vous  disant  qu'il  a  été 
mesuré  sur  la  règle  du  parfait  amour  que 
Dieu  nous  a  proposé  lui-même  dans  l'une  et 
l'autre  loi.  \  ou?  (rimerez,  est-il  dit,  le  Sei- 
gneur votre  Dieu  de  tout  votre  cœur,  de  toute 
votre  âme,  de  toutes  vos  forces.  Jésus-Christ 
nous  répèle  la  même  chose  dans  saint  Mat- 
thieu. 

11  s'agit  maintenant  d'entrer  dans  le  sens 
de  ces  paroles,  pour  connaître  au  juste  toute 
l'étendue  de  cette  obligation  commune  à  l'an- 
cienne et  à  la  nouvelle  loi,  mais  qui  nous  lie 
heureusement  et  d'une  manière  bien  plus 
étroite  dans  la  nouvelle,  qu'elle  ne  faisait 
dans  l'ancienne,  afin  d'en  voir  l'accomplis- 
sement exact  dans  la  conduite  de  s.int  Jean 
envers  Jésus-Christ,  et  de  connaître  par  là 
de  quelle  manière  il  a  rendu  à  ce  cher  Maî- 
tre l'amour  qu'il  en  avait  reçu,  c'esl  à-diro 
comment  l'amour  de  Jésus-Christ  pour  ce 
disciple  l'a  rendu  capable  de  ne  vivre  que 
pour  s>n  Mailre  ;  car  nous  ne  pouvons  avoir 
d'amour  pour  Dieu  qui  ne  soit  un  effet  de 
son  amour  pour  nous.  Or  voici  comme  saint 
Bernard,  dans  le  vingtième  de  ses  admira- 
bles sermons  sur  le  Cantique  des  cantiques, 
explique  le  grandcommandement  de  l'amour 
de  Dieu  que  nous  venons  de  rapporter.  Ai- 
mer Dieu  de  toulsoncœur,  c'esl,  dil  ce  grand 
saint,  l'aimer  avec  une  certaine  ardeur  de 
distinction,  de  préférence  et  de  tendresse. 
Aimer  Dieu  de  toute  son  âme,  c'est  livrer 
son  âme  tout  entière  à  la  vérité  et  aux  seu- 
les lumières  du  Seigneur.  Aimer  Dieu  de 
toutes  ses  forces,  c  est  '  ne  rien  craindre 
quand  il  s'agit  des  intérêts  de  ce  qu'on  aime, 
et  êlre  prêt  à  tout  entreprendre  pour  don- 
ner des  preuves  de  son  amour.  Il  faut  donc 
maintenenl  que  je  vous  fasse  voir  que  rien 
n'a  pu  détourner  le  cœur  de  ce  disciple,  et 
qi;e  le  plaisir  d'être  à  Jesus-Chrisl  la  em- 
porté sur  tout  autre  plaisir,  et  que  son  es- 
piit  s'est  fermé  à  toutes  autres  lanières, 
pour  ne  se  remplir  que  de  celle  de  Dieu,  et 
qu'enfin  son  amour  n'a  été  ni  effrayé  par  la 
crainte  des  dangers,  ni  rebute  par  l'immen- 
sité des  travaux.  Mais  avant  que  d'entrer 
dans  la  preuve  de  ces  dispositions  de  noire 
apôlrc  en  détail,  je  crois,  mes  frères,  qu'il 
est  à  propos  de  vous  donner  une  idée  juste 
de  l'amour  de  Dieu  pour  la  créature,  et  en 
même  temps  de  celui  de  la  créature  pour 
Dieu. 

En  général,  qu'est-ce  que  l'amour?  C'esl 
l'union  de  deux  volontés.  Or.  quelle  a  été  la 
première  volonté  de  Dieu  sur  I  homme  ?  c'est 
de  le  rendre  heureux  en  l'attachant  à  lui;  ci 


209 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINT  JEAN  EVANGEL1STE. 


210 


«luelle  a  élé  après  le  péché  la  première  vo- 
lonté de  l'homme  à  l'égard  de  Dieu?  d'être 
tout  entier  à  lui-même  et  de  se  détacher  de 
Dieu;  car  la  conformité  de  sa  volonté  à  celle 
de  Dieu  a  duré  très-peu,  et  c'est  après  ce  peu 
de  temps  qu'est  venu  son  malheur  par  la 
soustraction  de  sa  volonté  à  celle  de  Dieu  : 
opposition  de  volonté,  principe  de  sa  perte 
et  source  de  tous  ses  maux. 

Jésus-Christ  est  vejiu  sur  la  terre  après 
quitte  mille  ans  pour  faire  une  réparation 
pleine  et  entière  de  tous  les  désordres  de 
l'homme,  en  jetant  le  feu  sur  la  terre  et  en 
donnant  à  l'homme  une  nouvelle  preuve  d'a- 
mour, qui  consiste  à  avoir  formé  le  dessein 
de  le  remettre  dans  ce  premier  ordre  de  bon- 
heur et  d'atiachement  à  Dieu,  et  de  disposer 
son  cœur  à  rentier  dans  cet  ordre  par  des 
mouvements  de  ûdélité  que  nous  appelons 
son  amour  pour  Dieu.  Voilà  donc  ce  que 
c'est  que  l'amour  de  Dieu  et  de  Jésus-Christ 
pour  la  créature.  Quel  doit  donc  être  celui 
de  l'homme  pour  Dieu  et  pour  Jé^us- Christ, 
si  ce  u'est  un  soin  de  rentrer  dans  cet  ordre 
qu'il  veut  rétablir  en  nous  attachant  à  lui 
uniquement?  Car  c'est  précisément  par  là 
que  la  réunion  des  deux  volontés  du  Créateur 
et  de  la  créature  se  peut  faire  :  réunion  dans 
laquelle  il  est  certain  que  l'amour  consiste 
essentiellement.  Vous  voyez,  mes  très-chers 
frères,  |  ar  ce  que  nous  venons  de  dire,  ce 
que  c'est  que  d'aimer  Dieu  de  tout  son  cœur. 
C'est  le  lui  donner  tout  entier,  en  le  déga- 
geant de  toutes  les  affections  qui  l'attachent 
à  autre  chose  et  qui  le  remplissent  indigne- 
ment :  car  tout  ce  qui  n'<  st  pas  Dieu  est  au- 
dessous  d'un  chrétien,  à  qui  Dieu  veut  bien 
se  donner.  Lui  seul  est  capable  de  remplir 
son  cœur.  C'est  cet  amour  de  distinction ,  de 
préférence,  de  tendresse,  qui  rend  le  cœur 
de  l'homme  insensible  à  tout  autre  plaisir 
qu'à  celui  d'être  à  Dieu  ;  c'est  cet  amour  qui 
l'honore,  en  nous  rendant  heureux,  parce 
qu'il  nous  'amène  à  lui  par  la  préférence 
que  nous  lui  devons  sur  tout  ce  qui  occupait 
notre  cœur.  Ainsi,  aimer  Dieu  <ie  tout  son 
cœur,  c'est  arracher  son  cœur  à  tout  ce  qui 
n'est  pas  Dieu ,  c'est  n'aimer  que  pour  lui  ce 
qu'il  nous  permet  d'aimer  avec  lui,  c'est  re- 
noncer à  lout  pour  être  uniquement  à  lui, 
c'est  bannir  de  son  cœur  toutes  les  créatu- 
res, pour  qu'il  y  puisse  régner  souveraine- 
ment et  lout  seul. 

Or,  mes  frères,  voulez-vous  voir  les  effets 
de  cet  amour  dans  un  cœur  que  la  miséri- 
corde de  Dieu  en  a  rempli?  Voyez  ce  qu'il 
opère  dans  celui  de  saint  Jean,  écoulez  ce 
que  l'Evangile  dit  de  lui,  et  reconnaissez,  par 
la  fidélité  de  cet  apôtre  à  la  première  parole 
du  Sauveur  du  monde,  l'abondance  de  la 
grâce  qui  l'a  prévenu  et  l'heureuse  semence 
de  lous  les  dons  qu'il  a  reçus  depuis.  Saint 
Marc  nous  dit  dans  son  Evangile  que  Jésus- 
Christ,  ayant  appelé  à  lui  Simon  et  André 
son  frère, el  que  de  là,s'étant  un  peu  avancé, 
ayant  vu  Jacques  fils  de  Zébcdée  el  Jean  son 
frère  qui  étaient  aussi  dans  une  barque,  où 
ils  raccommodaient  leurs  filets,  il  les  appela, 
Çl  qu'à  l'heure  rncuic  ils  le  suivirent,  ayant 


laissé  dans  la  barque  Zébédée  leur  père.  Re- 
marquez donc  que,  sans  hésiter  un  moment, 
ils  quittent  leurs  filets  et  leur  père,  c'est-à- 
dire  que  l'amour  de  Dieu  surmonta  en  eux 
tous  les  obstacles  qui  s'opposent  pour  l'ordi- 
naire à  la  restitution  de  notre  cœur  au  sou- 
verain qui  en  est  le  maître,  à  qui  nous  le  de- 
vons uniquement,  et  à  qui  en  même  temps 
nous  ne  pouvons  rien  offrir  s'il  n'est  précédé 
et  accompagné  du  don  de  noire  cœur.  Figu- 
rez-vous, mes  frères,  après  cela,  une  péni- 
tence véritable  et  parfaite  sans  amour  de 
Dieu. 

Dans  ce  moment,  l'amour  de  ce  disciple 
pour  Jésus-Christ  rompit  lous  les  liens  qui 
attachent  le  cœur,  el  il  soumit  à  cet  amour 
souverain  que  nous  devons  à  Dieu  toutes  les 
affections  humaines  qui  détournent  le  cœur 
et  qui  le  lient  aux  créatures.  Saint  Jean  sur- 
monte en  premier  lieu  les  affections  aux 
biens  de  la  terre  et  les  espérances  du  siècle, 
en  quittant  ses  filets,  et  on  peut  dire  qu'en 
les  abandonnant  il  bannit  de  son  cœur  tou- 
tes les  espérances  de  la  terre  pour  le  donner 
uniquement  à  Jésus-Christ.  Mais  des  filets, 
me  direz-vous?  Oui,  des  filets,  mes  frères. 
Mais  ce  n'est  rien!  Mais  c'est  tout  pour  un 
homme  qui  n'a  que  cela.  Les  filets  sont  pour 
lui  à  proportion  ce  qu'un  sceptre  est  pour 
un  roi;  c'est  tout  son  bien,  c'est  le  fonde- 
ment de  ses  espérances  pour  la  terre,  c'est 
sa  ressource,  c'est  l'unique  moyen  qu'il  a 
pour  acquérir  :  il  renonce  donc,  en  les  quit- 
tant, non-seulement  à  tout  ce  qu'il  possède, 
mais  encore  à  tout  ce  qu'il  peut  espérer.  En 
second  lieu,  les  autres  liens  qui  attachent 
le  cœur,  et  qui  le  détournent  souvent  de 
l'amour  de  Dieu,  c'est  l'amour  des  pro- 
ches et  un  certain  allachement  trop  hu- 
main aux  parents  qui  occupent  le  cœur,  au 
préjudice  de  ce  que  l'on  doit  à  Dieu.  Saint 
Jean  laisse  son  père  dans  la  barque,  dit  l'E- 
vangile ;  fidèle  à  la  voix  du  Père  qu'il  a  dans 
le  ciel,  il  ne  veut  point  partager  les  affections 
de  son  cœur  entre  lui  el  le  père  qu'il  a  sur 
la  terre;  il  s'en  sépare  pour  suivre  Jésus- 
Christ,  et  comme  il  ne  doit  l'aimer  que  pour 
lui,  il  ne  veut  plus  le  voir  qu'en  lui. 

C'est  ainsi  que  saint  Jean  sacrifie  à  l'a- 
mour parfait  de  Jésus-Christ  toutes  les  affec- 
tions humaines  qui  attachent  l'homme  par 
les  liens  les  plus  forts,  et  qui  sont  d'autant 
plus  Séduisants  qu'ils  paraissent  légitimes; 
c'est  ainsi  que  saint  Jean  donne  à  Jésus- 
Christ  un  cœur  pur  et  libre  de  tout  engage- 
ment. Voilà  ce  qui  s'appelle  aimer  Dieu  de 
tout  son  cœur,  selon  l'Evangile  :  c'est  aimer 
avec  une  certaine  ardeur  de  distinction  ,  de 
préférence  et  de  tendresse.  Voilà  ce  que  c'est 
que  de  l'aimer  de  toute  son  âme  ;  car  ce  n'est 
autre  chose  que  d'avoir  une.  souveraine 
aversion  pour  tout  ce  qui  peut  ressentir  le 
mensonge  et  l'erreur.  C'est  bannir  de  son 
esprit  toute  autre  pensée  que  celle  de  Dieu, 
c'est  rapporler  à  Dieu  toutes  celles  qu'on 
peut  former,  c'est  de  no  prendre  aucun  des- 
sein que  pour  sa  gloire,  c'est  de  rendre  à 
Dieu  cl  de  lui  offrir  sans  cesse  celle  partie  de 
nous-mêmes  capable  de  penser  cl  de  s'oc- 


2H 


ORATEI.'RS  SACRES.  DOM  JEROME. 


212 


cuper  de  lui,  le  plus  souvent  qu'il  est  possi- 
ble, paf  "les  élévations  de  cœur,  en  lui  expo- 
sant noire  misère  et  combien  nous  avons  lie- 
soin  de  son  secours.  Il  faut  entendre  comme 
saint  Augustin  l'explique  sur  l'amour  de  cet 
apôtre  pour  la  vérité,  et  sur  l'avidité  qu'il  a 
eue  de  s'en  remplir.  Voyez,  dit  ce  Père,  cet 
homme  avide,  si  j'ose  parler  de  la  sorte,  je 
veux  dire  le  bienheureux    saint  Jean,  qui 
nous  répète  souvent  qu'il  s'est  reposé  plu- 
sieurs rois  sur  le  sein  de  son  Maître,  de  peur 
qu'il  ne  semblât  s'attribuer  ce  qu'il  avait  re- 
çu; car  il  craignait  qu'on  ne  rapportai  à  sou 
esprit  les  mystères  divins  qu'il   découvraii, 
et  non  pas  à  la  source  de  toute  vérité  dont  il 
les  avait    tirés.  Ajouterai-je,  mes  frères,  à 
tout  ceci  qu'il  a  aimé  Jésus-Christ  de  toutes 
ses  forces,  c'est-à-dire  que  rien  n'a  été  capa- 
ble de  le  détacher  des  intérêts  de  ce  .Maître 
qui  l'avait  tant  aimé?  C'est  ce  qu'il  est  aisé 
de  prouver  par  ce  qu'il  a  eu  à  soutenir.  La 
persécution, les  tourments, l'huile  bouillante, 
le  bannissement,  le  travail  des  mines  durant 
son  exil,  tout  cela  ne  fut  pas  capable,  non- 
seulement  de  l'abattre,  mais  même  de   l'ef- 
frayer; il  a  soutenu  ces  travaux  apostoliques 
jusqu'à  une  extrême  vieillesse,  et  à  l'âge  de 
plus  de  cent  ans,  selon  quelques-uns,  il  ra- 
massait ce  qui  lui  restait  de  force,  alin  de 
communiquer  aux.  autres  l'amour  de  Jésus- 
Christ,  qui  avait  toujours    lirûlé  dans  son 
cœur. 

Disons  un  mot  du  soin  qu'a  eu  cet  apôlre 
de  répandre  sur  toute  l'Eglise  les  flammes  de 
l'amour  de  Dieu,  et  de  communiquer  aux  au- 
tres ce  qu'il  avait  reçu,  pour  les  engager  à 
s'unir  à  lui,  afin  de  rendre  à  Jésus-Christ 
avec  plus  d'abondance  l'amour  dont  il  avait 
voulu  lui  donner  des  preuves  si  éclatantes  et 
si  glorieuses;  c'est  la  dernière  partie. 

TROISIÈME  PARTIE. 

Je  ne  vous  dirai  qu'un  mot  des  soins  que 
notre  apôlre  a  pris  de  répandre  et  de  com- 
muniquer l'amour  qu'il  avait  reçu,  c'est-à- 
dire  de  l'application  qu'il  a  eue  toute  sa  vie 
à  exciter  les  hommes  à  l'amour  de  Dieu, 
afin  de  multiplier  sa  reconnaissance  envers 
celui  qui  l'avait  aimé  d'une  mauière  si  dis- 
tinguée. Sa  conduite,  ses  paroles,  ses  écrits 
portaient  le  feu  partout,  ne  répandaient  pour 
ainsi  dire  que  des  flammes  et  n'inspiraient 
que  de  l'amour. 

Il  fit  bien  connaître  quelle  serait  sa  con- 
duite et  de  quelle  façon  il  répandrait  partout 
le  nom  de  Jésus-Christ ,  pour  exciter  les 
hommes  à  l'aimer,  lorsque,  ayant  été  con- 
duit en  prison  avec  saint  Pierre,  après  avoir 
guéri  l'homme  boiteux  dont  il  est  parlé  dans 
le9  Actes,  les  sénateurs,  les  magistrats  et  les 
docteurs  de  la  loi,  le  grand  prêtre  Caïphe  et 
tous  ceux  qui  étaient  de  la  race  sacerdotale,: 
leur  défendirent  de  parler  en  quelque  ma- 
nière que  ce  fût,  ni  d'enseigner  au  nom  de 
Jésus-Christ  :  car  que  répondit-il  à  celte  dé- 
fense si  précise  et  accompagnée  de  menaces  : 
Jugez,  dit-il,  vous-ménus  s'il  est  juste  de  vous 
obéir  plutôt  qu'à  Dieu;  car  pour  nous  n  us 
ne  pouvons  pus  ne  point  parla  des  choses  que 
nous  avons  vu  t  <t  entendues.  Son  cœur  était 


trop  plein  de  l'-mour  de  son  Maître  pour  se 
taire  sur  sa  grandeur,  sur  ses  mystères  et 
sur  lori  ce  qui  le  regar  lait. 

Je  ne  pourrai  pis  le  niivre  partout  où 
cette  liberté  ardente,  sainte,  aposlolifl 
produite  par  son  amour,  l'a  cou  luit.  Saint 
Jérôme  dit  qu'il  fonda  et  qu'il  gouverna  tou- 
tes les  Eglises  de  l'Asie  :  ce  qui  est  rrai  de 
la  plus  grande  partie.  Son  zèle  ne  lui  per- 
mettait pas  de  se  lier  à  une  Eglise  p  rtii  B- 
lière  :  il  allait  donc  dans  tout  ce  pays,  an- 
nonçant Jesus-Christ,  fondant  des  Eglises, 
consacrant  des  é^éques.  Saint  Epiphane  nous 
assure  qu'à  plus  de  quatre-vingt-dix  a  ai  il 
commuait  encore  ces  fonctions,  son  amour 
pour  Jésus-Christ  et  son  zèle  pour  le  faire 
aimer  suppléant  aux  forces  que  la  nature  ne 
pouvait  plus  fournir. 

Vous  jugez  bien,  mes  frères,  quelles  ont 
dû  être  les  paroles  d'un  homme  si  pénétré 
de  l'amour  de  Dieu  et  si  zélé  pour  le  répan- 
dre partout.  Ses  paroles  étaient,  comme 
nous  venons  de  le  dire,  toutes  de  feu,  comme 
celles  de  celui  qu'il  aimait;  et  comme  les 
paroles  ne  sont  que  les  expressions  de  la 
pensée  et  les  images  des  sentiments  du  cœur, 
elles  n'étaient  que  comme  des  étincelles  qui 
sortaient  du  brasier  qui  brûlait  dans  le  sien. 
Il  en  donna  des  marques  jusqu'à  l'extré- 
mité de  sa  vie;  car,  ne  pouvant  plus  fairo 
de  longs  discours,  il  voulait  néanmoins 
qu'on  le  portât  dans  les  assemblées  des  ûdè- 
les,  et  là  il  exhortait  ses  disciples  à  l'amour. 
Mes  enfants,  leur  disait-il,  aimons-nous  les 
uns  les  autres.  Finissant  sa  vie  dan9  les  sen- 
timents qu'il  avait  toujours  eus  dans  le 
cœur  :  Je  n'ai  point  de  plus  grande  joie,  dit-il 
dans  sa  lettre  à  Electre,  que  d'apprendre  que 
mes  enfants  marchent  dans  la  vérité, 

La  mort  n'a  point  empêché  cet  apôtre  de 
continuer  à  répandre  parlout  les  flammes  de 
son  amour,  dont  il  avait  brûlé  toute  sa  vie. 
C'est  ce  qui  s'est  accompli  p  ir  ses  divins 
écrits  qu'il  a  laissés  à  l'Eglise, qui  sont  pleins 
d'onction,  de  douceur  et  d'amour  :  ce  qui 
fait  dire  à  saint  Grégoire  que,  si  nous  vou- 
lons que  notre  cœur  soit  embrasé  du  feu  de 
la  charité,  il  faut  écouler  et  peser  les  paroles 
de  l'apôtre  saint  Jean,  puisque  tout  ce  qu'il 
dit  étincelle,  pour  ainsi  parler,  des  flammes  de 
l'amour  divin. 

Ainsi  se  sont  terminés  tous  les  mouve- 
ments de  l'amour  de  Jésus-Christ  pour  ce 
disciple,  et  de  l'amour  de  ce  disciple  pour 
Jesus-Christ.  Jésus-Christ  l'a  aime,  c'est  la 
source  de  son  bonheur;  il  a  aimé  Jesus- 
Christ,  c'est  le  fondement  de  sa  gloire;  il  ne 
s  est  occupé  que  de  le  faire  aimer,  c'est  la 
preuve  solide  de  sa  fidélité  et  le  couronne- 
ment de  l'amour  de  son  Maître  pour  lui. 
Chrétiens,  Jésus-Christ  nous  a  aimés.  N'en 
avez- VOUS  pas  des  marques?  Ou  plutôt  que 
possédez-vous  qui  ne  soit  pas  un  effet  et  uue 
effusion  de  son  amour?  Mais,  chrétiens,  ai- 
e/vous Jesus-Christ?  (Juc  pouvez-vous 
produire  pour  nous  convaincre  que  vous 
l'aimez?  Noire  cœur  est-il  attaché  à  lui 
connu.'  au  souverain  bien?  Notre  âme  est- 
elle  pleine  des  lumières  de  la  vérité  souve- 


213 


SERMON  POUR  LE  PREMIER  JOUR  DE  L'AN. 


254 


raino?  Le  pronez-vous  pour  la  règle  de  votre 
conduite  comme  justice  souveraine?  C'est 
pourtant  de  cette  manière  qu'on  doit  lui  ren- 
dre l'amour  qu'on  a  reçu  de  lui,  cl  ce  sont 
là  les  effets  que  produit  en  nous  cet  amour 
quand  il  y  règne.  Songez-vous  à  le  faire  ai- 
mer? Ou  plutôt  ne  formez-vous  point  des 
obstacles  à  l'amour  que  lui  doivent  ceux 
avec  qui  vous  êtes  liés?  Cela  n'est  que  trop 
ordinaire. 

Mon  Dieu,  ne  cessez  point  de  nous  aimer  ; 
faites  que  nous  vous  aimions  et  que  nous 
portions  les  autres  à  le  faire,  afin  que  nous 
puissions  vous  aimer  éternellement.  C'est  ce 
que  je  vous  souhaite,  etc.  Ainsi  soil-il. 

SERMON 

POUR    LE    PREMIER    JOUR    DE    L'ANNÉE. 

Sur  la  nécessité   de  mener  une   vie  remplie 

et  occupée  ;   moyens  pour  vivre  de  cette 

manière  dans  tous  les  étals. 

Quid  hic  statis  tota  die  oliosi? 

Pourquoi  vos  jours  s'écoulenl-ils  dans  f oisiveté  (Maltli., 
XX,  6)? 

11  s'offre   aujourd'hui,  mes  frères,  à  tous 
les  chrétiens  un  sujet  bien  important  et  digne 
de  toutes  nos  réflexions.  Ces  années  qui  se 
succèdent,  cette  rapidité  avec  laquelle  elles 
s'écoulent,  la  courte  durée  de  notre  vie,  l'in- 
stabilité du  temps,  ce  torrent  qui  nous  en- 
traîne par  son  impétuosité,  sans  que  jamais 
nous  puissions  nous  retrouver  dans  le  même 
instant  d'où  il  nous  fait  sortir  sans  cesse,  ce 
jour  qui  s'éteint  pour  nous  quand  à  peine  il 
commence  à  naitre,  enfin  ce  qui  nous  envi- 
ronne,  tout  nous   découvre  la  nécessité  de 
remplir  par  des   occupations   sérieuses   un 
temps  qui  fuit  comme  l'ombre,  et  qu'il  faut 
saisir  afin  de  pouvoir  espérer  avec  confiance 
le  icpos  de  l'éternité.  L'époque  d'une  nou- 
velle année  qui  nous  rappelle  !e  souvenir  de 
toutes  celles  qui  sont  perdues  pour  nous, 
nous   avertit,    par  cette   révolution   conti- 
nuelle,   que    nous   touchons   peut-être  ,:u 
terme  de  la  carrière  que  nous  (levions  four- 
nir, et  elle  demande  de  nous  aujourd'hui  que 
nous  nous  interrogions  en  nous  disant,  peul- 
êlre  avec  trop  de  vérité  :  Pourquoi  n>s  jours 
se  sont-ils  écoulés  dans  l'oisiveté?  Quid  hic 
statis  Iota   die  otiosi?  Mes   frères,   ce    lan- 
gage est  bien  différent  de  celui  que  l'usage  a 
établi,   et  que  la  politique  dicte  en  ce  jour  : 
je  ne  viens  donc  pas  seulement  vous  propo- 
ser les  raisons   de    gémir  sur  tant  d'années 
perdues,   et  qu'il  aurait  peut-être  été  à  sou- 
haiter que  nous  n'eussions  jamais  eues  en 
notre  disposition  ;  elles  ne  sont  plus  cl  elles 
ne  reviendront  jamais,  mais  je  veux       atta- 
cher au  présent  :  il  el  seul  en  noîrc  pou- 
voir; le  perdre,  c'est  renoncer  au  plus  pré- 
cieux de  lous  les  biens,  puisque  le  ciel  même 
ne   s'acquiert   que    par   le    bon    emploi   du 
temps.  Montrons  donc  aujourd'hui  la  néces- 
sité et  les  moyens  d'en  faire  un  bon  osage  ; 
car  ce  temps  si  précieux  s'écoule  d'ordinaire 
pour  nous  dans  l'inaction,  ce  qui  est  en  abu- 
ser, et  peut-être  plus  souvent  encore  l'era- 
ployons-nous  à  faire  le  mal.  -Est-ce  là  pour- 
quoi il  nous  est  donné? 


La  vie  de  l'homme  est  un  songe  où  l'on  se 
repaît  d'illusion  ;  les  jours  passent  sans  être 
remplis,  et  quand  la  mort  nous  fait  sortir 
tout  à  coup  de  ce  sommeil  où  nous  ensevelit 
l'oisiveté,  il  ne  nous  reste  que  les  crimes 
dont  une  vie  inutile  nous  rend  coupables. 
Cependant  nous  ne  laissons  pas  que  de 
mourir  aux  yeux  du  monde  comme  justes  ; 
car  ce  n'est  pas  un  crime  selon  lui  que  de 
perdre  son  temps  et  de  le  passer  en  amuse- 
ments ;  mais  ce  grand  jour,  qui  sera  le  dé- 
nouement de  toutes  les  intrigues  de  ce  monde 
et  qui  terminera  votre  vie  et  la  mienne,  ne 
nous  excitera-t-il  point  à  rentrer  en  nous- 
mêmes  ?  c'est  donc  pour  prévenir  celte  éter- 
nité malheureuse,  qui  est  la  suite  insépa- 
rable de  l'oisiveté,  que  je  veux  aujourd'hui 
prouver  la  nécessité  de  mener  une  vie  rem- 
plie et  ocrupée  :  ce  sera  le  sujet  de  ma  pre- 
mière réflexion  ;  mais  comme  souvent  on 
donne  le  caractère  d'occupation  sérieuse  à 
mille  inutilités  qui  absorbent  toute  notre  vie, 
j'enseignerai  l'usage  que  nous  devons  faire 
de  ce  temps  si  précieux,  selon  les  divers  états 
où  nous  appelle  la  Providence,  et  ce  sera  le 
sujet  de  ma  seconde  réflexion.  En  deux 
mots,  il  est  nécessaire  de  s'occuper  ;  com- 
ment doit-on  s'occuper,  c'est  tout  le  sujet  de 
cette  instruction.  Demandons  les  lumières 
du  Saint-Esprit.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Il  est  étonnant  qu'il  faille  combattre  sans 
cesse,  et  par  conséquent  presque  toujours 
sans  succès,  une  disposition  que  tout  homme 
sensé  condamne;  en  effet,  l'inutilité  de  la  vie 
rend  l'homme  criminel  devant  Dieu,  et  par  elle 
il  se  devient  à  charge  à  lui-même.  La  nature 
et  la  loi  de  Dieu  s'accordent  donc  à  nous 
prescrire  de  remplir  notre  vie  d'occupations 
sérieuses  qui  nous  fassent  passer  le  temps 
d'une  manière  utile,  et  solide.  Cependant 
nous  nous  plaisons  à  traîner  une  vie  molle. 
et  inutile,  et  nous  nous  ensevelissons  p  r 
avance  dans  la  nuit  de  la  mortf  par  l'anéan- 
tissement continuel  où  nous  plongent  des 
jours  passés  dans  l'inutilité. 

Que  l'inaction  nous  rende  criminels  de- 
vant Dieu  ,  pouvons-nous  en  douter,  mes 
frères  ?  La  loi  de  Dieu  la  condamne,  elle  est 
le  tombeau  de  toutes  les  vertus  et  la  source 
de  tous  les  vices  proscrits  pnr  l'Evangile. 

Celui  qui  passe  sa  vie  dans  l'oisiveté,  dit 
l'Ecriture,  est  en  horreur  devant  Dieu  ;  le 
travail  nous  a  été  imposé  dans  la  personne 
d'Adam,  comme  une  pénitence  proportion- 
née aux  crimes  de  nos  premiers  pères.  Dieu 
compte  nos  années  par  nos  œuvres,  et  celui, 
est-il  dit  dans  un  autre  endroit ,  qui  mène 
une  vie  inutile,  est,  par  rapport  au  Seigneur, 
comme  s'il  n'avait  point  vécu  :  Quœ  pro 
nihilo  habentur ,  eorum  anni  erunt.  Ainsi 
vivre  dans  les  plaisirs  et  dans  l'indolence, 
ce  n'est  pas  vivre  devant  Dieu,  et  celui  qui 
est  assez  lâche  pour  consacrer  à  l'inutilité 
une  longue  vie,  quoique  parvenu  à  une  lon- 
gue vieillesse,  n'est  rien  devant  le  Seigne.  r. 
Il  faut  juger  de  notre  âge,  pour  a  nsi  dire, 
par  le  nombre  de  nos  œuvres.  Nos  jour»  ne  se 


Zl£> 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


su; 


comptent  que  par  nos  vertus,  et  nous  ne 
sommes  censés  avoir  vécu  que  le  temps  dans 
lequel  des  occupations  sérieuses  ont  rempli 
l'intervalle  de  notre  durée. 

Ne  soyez  donc  pas  étonnés,  mes  frères, 
des  châtiments  dont  le  serviteur  inutile  se 
trouve  accablé.  Car  quel  était  son  crime  , 
sinon  d'avoir  eul'oui  un  talent  qui  lui  lut 
conlié  ?  Riais  vous  dont  l'état  est  de  traîner 
une  vie  vide  de  toute  occupation,  qui  voyez 
naître  le  jour  sans  savoir  comment  vous  le 
remplirez,  qui  le  laissez  écouler  sans  vous 
appliquer  à  rien  de  sérieux,  et  qui  le  termi- 
nez enfin  sans  pouvoir  dire  à  quoi  vous 
l'avez  employé,  éles-vous  moins  coupables 
que  ce  méchant  serviteur? 

Ce  temps  qui  s'anéantit  entre  vos  mains 
est  un  don  que  Dieu  ne  vous  accorde  qu'afiii 
que,  par  l'usage  que  vous  en  ferez,  vous  de- 
veniez digne  de  participer  à  celle  plénitude 
du  bonheur  ineffable  ;  et  ne  savez-vous  pas 
que  c'est  pendant  cetie  vie,  presque  aussitôt 
terminée  que  naissante,  qu'il  faut  mériter  le 
ciel  par  la  pratique  des  vertus  chrétiennes, 
qui  s'affaiblissent  et  qui  diminuent  sans  cesse 
en  nous  si  nous  ne  faisons  chaque  jour  nos 
efforts  pour  les  augmenter?  Eourriez-vous 
vous  flatter  encore  d'être  dans  l'état  de  per- 
fection auquel  Dieu  vous  appelle,  quand 
vous  donneriez  aux  occupations  le>  pluschré- 
tiennes  et  les  plus  sérieuses  tous  les  jours 
de  votre  vie?  Les  difficultés  qui  se  rencon- 
trent dans  le  chemin  de  la  vertu  ne  de- 
vraient-elles pas  même  vous  faire  sentir 
combien  il  vous  est  nécessaire  de  remplir 
jusqu'au  moindre  moment  de  votre  vie?  Ce- 
pendant vous  la  passez  dans  l'oisiveté  !  Oui, 
mes  frères,  il  semble  que  vous  ignoriez  par 
quelles  occupations  vous  devez  la  remplir  ; 
vous  eberebez  à  perdre  ce  temps  si  pré- 
cieux ,  vous  faites  un  mérile  et  vous  savez 
bon  gré  à  ceux  qui  ,  par  les  amusements 
qu'ils  vous  procurent,  vous  le  font  écouler 
sans  que  vous  vous  en  aperceviez;  la  vie  en- 
fin est  pour  vous  comme  un  fardeau  dont 
vous  eberebez  à  être  déchargés,  et  vous  ou- 
bliez toute  l'étendue  des  obligations  qui 
doivent  remplir  un  temps  qui  vous  parait  si 
long  et  qui  peut  vous  être  si  utile. 

Vous  en  connaîtrez  le  prix,  mais  trop 
lard,  vous  qui  le  perdez  avec  complaisance 
et  a\ec  plaisir  ;  il  sera  perdu  pour  vous  sans 
ressource  ;  vous  l'apprendrez  à  votre  mort, 
et  quel  usage  alors  ne  voudriez-vous  pas  en 
avoir  fait]  Non,  il  n'est  point  de  moment 
dans  lequel  nous  ne  puissions  perdre  ou 
mériter  une  éternité  de  bonbeur,  et  nous 
consentons  avec  tranquillité  à  passer  inuti- 
lement, non-seulement  un  jour,  une  année, 
mais  tout  le  temps  que  nous  existons.  L'idée 
d'une  vie  appliquée  nous  révolte  ;  nous  fai- 
sons, eoiMii  •  les  idolâtres,  une  divinité  do 
repos.  Jaloux  de  ne  conserver  que  les  biens 
fragiles  dont  Dieu  nous  a  confié  l'administra- 
tion ,  nous  sommes  prodigues  du  trésor  le 
plus  précieux,  cl  dont  nous  serons  obligés 
de  rendre  un  compte  si  rigoureux.  Nous 
sommes  charmés  de  trouver  les  occasions 
tic  nous  priver  de  la  seule  chose  dout  nous 


soyons  maîtres  pour  parvenir  au  bonbeur 
éternel.  Nous  regardons  avec  indifférence  le 
temps  qui  nous  est  accordé,  ce  bien  unique, 
ce  bien  inexprimable,  et  nous  le  donnons 
libéralement  à  <  eux  a  qui  nous  ne  voudrions 
pas  faire  part  du  plus  léger  bienfait. 

Encore  s'il  y  avait  dans  ce  temps  des  mo- 
ments superflus,  peut-être  accorderions- 
in  us  qu'on  pourrait  les  prodiguer;  mais 
quand  il  est  passé,  nous  ne  pouvons  plus 
le  recouvrer.  La  vie  de  l'homme  est  courte, 
tout  le  monde  en  convient  ;  malgré  cet  aveu, 
comment  est-elle  employée?  L  enfance,  par 
nécessité  d'étal,  se  passe  en  inutilités  ;  dans 
la  force  de  l'âge  ,  si  vous  eu  ôlrz  ce  que  lui 
impose  le  luxe  ou  l'intérêt,  l'homme  par- 
tage son  temps  enlre  les  différents  pla  sirs 
qui  s'offient  à  lui,  et  sa  vieillesse  se  consume 
en  souvenirs  amusants  ou  en  regrets  super- 
flus. Voilà,  mes  frères,  quelle  est  la  vie  de 
riiumme  ;  mais  est-ce  là  vivre  en  chrétien  ? 
Est-ce  la  vivre  pour  Jesu^-Chrisl  ?  Est-ce  là 
imiter  sa  conduite  et  suivre  les  règles  de  son 
Evangile?  Le  Sauveur  du  monde,  qui  punit 
tous  (eux  dont  les  œuvres  ne  sont  point 
rendues  abondantes  par  la  charité ,  récom- 
pensera-t-il  des  chrétiens  qui  n'auront  à  lui 
offrir  qu'une  vie  inutile  et  vide  d'actions? 
Chaque  moment  de  notre  vie  doit  élre  con- 
sacré à  Dieu,  et  nous  vivons  sans  aucune 
idée  fixe  et  arrêtée,  sans  application  d'es- 
prit, sans  mouvement  de  notre  cœur  vers 
lui,  et  dans  une  inaction  totale.  Tout  notre 
temps  appartient  à  nos  devoirs ,  et  nous  le 
donnons  au  monde  sans  penser  seulement  à 
en  regretter  la  perte  ;  nous  le  dissipons  en 
vains  projets,  en  vains  plaisirs,  nous  le 
perdons  en  un  mot  dans  l'oisiveté  ;  la  pa- 
resse seule  le  consume,  jamais  une  occupa- 
lion  sérieuse  ne  consacre  notre  vie  à  de  so- 
lides vertus.  La  sensualité,  la  mollesse, 
l'inutilité,  voilà  en  quoi  consiste  toute  la  vie 
des  femmes  du  monde,  et  souvent  des  fem- 
mes qui  ont  une  réputation  de  piété  et  de 
vertu.  Vivre  sans  occupation,  c'est  la  science 
du  monde;  cependant  une  vie  désœuvrée  et 
inutile  conduit  l'homme  à  ne  plus  veiller  sur 
lui-même,  à  ne  plus  se  reposer  qu'en  lui- 
même.  Elle  lui  lait  perdre  nécessairement  le 
désir  des  biens  invisibles,  elle  éteint  en  lui 
la  soif  de  la  justice  dernière,  et  elle  lui  fait 
regarder  le  détachement  de  soi-même  commo 
un  point  de  perfection  imaginaire.  L'homme 
perd  toute  sou  activité  par  le  vide  donl  il  se 
laisse  absorber  ;  s'il  reste  que. que  lueur  de 
l'esprit  de  piété,  il  demeure  dans  l'inaction. 
Qui  pourrait  prévoir,  mes  frères,  tous  les 
crimes  auxquels  celle  langueur  nous  en- 
gage? il  n'est  point  de  désordre  dout  l'oisi- 
veté ne  puisse  être  la  source. 

David,  vertueux  tant  qu'une  fortune  con- 
traire le  réduisait  à  mener  une  vie  occupée, 
devient  adultère  et  homicide  dès  qu'il  se 
livre  au  repos  oisif  que  procure  l'abon- 
dance. 

Ce  sage  formé  selon  le  cœur  de  Dieu,  Sa- 
loaion  ,  modèle  par  sa  sagesse  des  plus 
grands  rois,  Salumon  se  livre  au  crime  dès 
que  la  mollesse  s'empare  de  lui.  et  lui  Ole  le 


217 


SERMON  POUR  LE  PREMIER  JOUR  DE  L'AN. 


218 


goût  de  celle  vie  remplie  à  laquelle  seule  il 
devait  tout  ce  qu'on  admirait  en  lui  de  vertu. 
Ainsi  le  prince  des  apôtres  trahit  dans  l'inac- 
tion ce  même  Dieu  pour  qui  il  se  faisait 
gloire  de  mourir,  lorsque  l'activité  de  son 
courage  était  soutenue  par  les  travaux  apo- 
stoliques qu'il  partageait  avec  Jésus-Christ. 

Les  vertus  se  sont  donc  toujours  affaiblies 
et  s'affaiblissent  encore  tous  les  jours  par 
l'oisiveté.  L'indolence  fait  naître  la  corrup- 
tion des  mœurs.  Quiconque  est  vide  d'occu- 
pation doit  bientôt  se  trouver  rempli  de  vi- 
ces ;  le  cœur  ne  reste  jamais  oisif:  quand 
l'esprit  ne  lui  offre  point  dans  une  vie  sé- 
rieuse le  véritable  objet  qui  doit  occuper  sa 
capacité,  les  passions  le  remplissent  néces- 
sairement ;  et  si  une  vie  appliquée  ne  met 
Un  frein  à  la  concupiscence  qui  se  fortifie 
toujours  en  nous  par  une  vie  de  négligence 
et  d'inattention,  cette  concupiscence,  déve- 
loppant le  levain  du  vieil  homme  avec  la- 
quel  nous  naissons,  nous  expose  à  des  chu- 
tes d'autant  plus  terribles,  qu'elles  ne  sont 
souvent  point  aperçues. 

Quand  la  vivacité  de  l'esprit  n'a  pas  pour 
objet  un  travail  sérieux  cl  assidu  qui  puisse 
le  fixer,  l'imagination  s'égare;  on  se  dis- 
sipe ;  tout  ce  qui  est  solide  ennuie,  et.  bientôt 
on  ne  trouvera  plus  en  soi  aucune  trace  de 
vertu.  En  effet  il  faut  à  l'homme  quelque 
chose  qui  l'occupe,  quoique  sa  paresse  l'en- 
gage à  fuir  toute  occupation;  et  le  vice  rem- 
plit d'ordinaire  dans  notre  vie  tout  ce  que 
nous  ne  nous  mettons  point  en  état  par  no- 
tre application  sur  nous-mêmes  de  donner  à 
la  vertu  ;  car  Pamour-propre  prend  bientôt 
naissance  dans  le  sein  de  l'indolence  et  d'une 
inaction  universelle  ;  la  volupté  triomphe 
aisément  lorsqu'on  ne  se  fait  pas  le  plan 
d'une  vie  laborieuse  et  occupée  qui  la  gêne; 
on  n'écoute  plus  que  le  goût  des  plaisirs. 
D'abord  on  ne  s'en  permet  que  de  légitimes; 
ce  sont  des  visites  que  les  lois  de  la  société, 
l'usage  du  monde,  la  reconnaissance  même, 
rendent,  dit-on,  indispensables  ;  mais  ces 
prétendus  devoirs  que  prescrit  le  dégoût  de 
tout  ce  qui  applique,  doivent-ils  absorber  la 
totalité  d'un  temps  qui  sans  doute  doit  être 
bien  plutôt  employé  à  enrichir  son  esprit  et 
son  cœur,  qu'à  une  bienséance  souvent  chi- 
mérique? et  cependant  combien  y  a-t-il  de 
chrétiens  qui  font  do  ces  visites  toute  leur 
occupation,  et  qui  se  croient  être  en  droit  de 
se  plaindre  des  fatigues  que  leur  cause,  ce 
nouveau  genre  de  vie  laborieuse  1  Mes  frères, 
si  Dieu  nous  fait  un  crime  d'une  parole  inutile, 
les  conversations  vagues,  et  dont  le  vide  fait 
encore  le  moindre  défaut,  seront-elles  jugées 
innocentes  à  ses  yeux?  Pardonnera-t-il  cette 
perle  de  temps  à  ceux  qui  doivent  régler  leur 
vie  d'une  manière  utile  pour  eux,  et  former 
tous  leurs  discours  selon  ce  que  prescrit  la 
charité?  Leur  pardonnera-t-il  la  médisance, 
sans  laquelle  presque  toutes  ces  conversa- 
tions deviendraient  insipides  et  ennuyeuses? 
cl  que  ne  sacrifie-t-on  point  pour  occuper 
agréablement  les  autres  e'  se  di-tr.iirc  soi- 
même?  Mais,  quelque  .satisfaction  que  l'on 
trouve  dans  des  discours  satiriques  el  amu- 


sants, on  se  lasse  bientôt  de  ces  inutilités, 
qui  seraient  aussi  à  charge  qu'une  vie  sé- 
rieuse, si,  par  la  variété  qu'on  sait  mettre 
dans  sa  dissipation  ,  on  n'éloignait  de  soi 
tout  ce  qui  peut  fixer.  Le  jeu  et  d'autres 
amusements  plus  criminels  encore  s'offrent 
donc  pour  distraire  de  l'ennui,  qui  peut-être 
le  suivra  bientôt.  Oui,  mes  frères,  quiconque 
est  assez  malheureux  pour  ne  savoir  point 
s'occuper,  s'expose  à  tous  les  crimes  que  les 
passions  entraînent  après  elles. 

D'abordon  necherchequedesamusements  ; 
mais,  sans  compter  qu'il  est  bien  honteux  à 
l'homme  de  ne  savoir  comment  s'occuper,  lui 
qui  est  dans  une  ignorance  si  profonde  sur 
presque  tout  ce  qu'il  peut  apprendre,  sait- 
on  garder  des  mesures  dans  tout  ce  qu'on 
donne  aux  plaisirs  ?  On  s'attache  à  l'objet 
qui  nous  plaît,  on  devient  esclave,  on  lui 
sacrifie  ses  biens,  l'état  de  toute  une  famille, 
son  repos,  ses  devoirs;  la  vertu  la  plus  chère 
ne  tient  point  contre  une  passion  qui  nous 
a  peut-être  d'abord  révoltés,  mais  qui  nous 
maîtrise  dans  la  suite.  L'éducation  des  en- 
fants, les  affaires  domestiques,  ce  qu'on  se 
doit  à  soi-même  et  aux  autres,  tout  est  né- 
gligé ;  et  ce  qu'on  recherchait  d'abord  pour 
s'épargner  un  travail  dont  on  s'était  cru  fa- 
tigué, devient  l'occupation  la  plus  triste  el  la 
plus  pénible. 

Si  l'on  donne  plus  au  sentiment,  dans  l'é- 
loignemenl  du  travail  dont  ou  s'est  fait  un 
principe  de  conduite,  est-on  exposé  à  moins 
de  dangers  ?  Des  lectures  pernicieuses  par 
les  couleurs  séduisantes  sous  lesquelles  se 
trouve  dépeinte  la  vie  la  plus  opposée  à  la 
morale  de  Jésus-Christ,  sont-elles  exemptes 
de  crime  pour  des  chrétiens  ?  Le  poison  , 
pour  être  bien  préparé,  n'en  porte  que  plus 
sûrement  le  coup  mortel,  et  n'est-ce  point 
une  témérité  impardonnable  de  s'exposer  au 
moins  à  ce  qui  peut  être  contagieux  et  à  ce 
qui  ne  peut  être  utile,  tandis  qu'on  peul 
s'instruire  et  s'occuper  d'objets  plus  dignes 
d'éclairer  un  esprit  solide  et  élevé  que  ces 
ouvrages  fabuleux,  qui  ne  plaisent  jamais 
que  dans  le  point  de  vue  où  ils  sont  nuisi- 
bles ?  Ce  poison  si  caché  se  développe  loi  ou 
tard.  Peut-on  trouver  dans  l'apologie  du  vice 
des  armes  pour  défendre  la  vertu?  Ne  doit- 
on  p;ts  craindre  de  devenir  soi-même  suscep- 
tible des  sentiments  qu'on  approuve  dans 
les  autres,  ou  du  moins  dont  on  se  fait  une 
occupation  amusante  de  les  voir  pénétrés  et 
remplis  ?  Si  ces  lectures  n'intéressent  point, 
quelle  extravagance  de  les  préférer  à  tant 
d'autres  plus  essentielles?  el  si  elles  plaisent, 
comment  encore  une  fois  peut-on  n'en  pas 
craindre  l'impression  ?  Mes  frères,  si  l'on  ne 
ressent  point  les  atlciulcs  du  vice  dont  ou 
s'occupe,  il  est  bien  à  craindre  que  l'on  ne 
soit  aveugle  sur  soi-même,  et  d'autant  plus 
malheureux  que  l'insensibilité  est  une  mort 
donl  on  ne  se  relève  presque  jamais.  Car  tel 
est  le  pernicieux  artifice  dont  le  démon  so 
sert  pour  nous  séduire.  Il  ne  nous  laisse  sen- 
tir les  plaies  mortelles  donl  il  nou>  frappe 
que  quand  notre  faiblesse  lui  permet  d'être 
assuré  que  nous  ne  pouvons  plus   secouer 


2i'J 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


!<■  jiniu  sous  lequel  il  sait  nous  captiver  in- 
sensiblement. 

Ainsi  les  passions  nourries  par  ces  idées 
se  développent  peu  ,ï  peu  ;  on  se  fait  un 
terne  de  volupté  dans  lequel  on  se  livre  avec 
tranquillité  à  tout  ce  qui  peut  sali  faire  le 
goût  des  plaisirs  ;  on  s'y  prête  peut-être  d'a- 
bord sans  y  penser,  sans  le  vouloir  :  on  cher- 
che seulement  à  se  distraire  des  peines  in- 
séparables de  la  vie  par  quelque  chose  qui 
intéresse:  l'un,  par  exemple,  se  l'ail  une 
étude  de  découvrir  en  lui-même  tout  ce  qui 
peut  flatter  l'orgueil  ;  on  s'occupe  de  son  mé- 
rite, on  aime  à  se  voir  applaudi,  on  donne 
ses  soins  à  tout  ce  que  l'art,  le  fasle  et  la 
mondanité  peuvent  nous  prêter  d'éc'at  et  de 
brillant.  Un  autre  sacrifie  volontiers  une  par- 
tie de  sa  vie  au  sommeil,  parce  qu'on  le  eroit 
nécessaire  à  sa  santé;  enfin  le  soin  de  se 
parer  absorbe  un  temps  considérable,  dans 
des  femmes  qui  même  passent  pour  chré- 
tiennes. Elles  n'ont  d'autres  désirs  que  do 
plaire,  et  le  reste  de  leur  temps  n'est  em- 
ployé qu'à  chercher  les  moyens  de  le  passer 
sans  occupation  et  sans  ennui.  De  combien 
de  crimes  se  rend  donc  coupable  tout  chré- 
tien qui  ne  sait  pas  s'occuper  !  Ee  vice  cor- 
rompt toute  sa  vie  par  l'inutilité  dans  laquelle 
elle  s'écoule  ;  il  agit  comme  s'il  n'y  avait  ni 
tentations  à  éviter,  ni  passions  à  vaincre,  ni 
vérités  éternelles  à  méditer.  N'a-l-il  donc 
point  une  âme  à  sancl.fier,  et  peut-il  par 
préférence  (oui  ace  rder  à  ses  sens,  ou  croit-il 
se  rendre  digne  de  la  posséder  en  vivant  comme 
s'il  n'avait  point  d'autre  divinité  que  l'indo- 
lence et  la  mollesse  ?  Ajoutons  encore  que  1 1 
vie  chrétienne  est  inséparablement  liée  avec 
une  vie  occupée,  parce  que  sans  elle  on  est  né- 
cessairement répandu  dans  le  monde,  et  que 
la  vie  du  monde  même  rangé  nourrit  les  pas- 
sions, quand  cette  vie  esl  l'objet  principal  de 
nos  occupations;  car  on  y  juge,  on  y  pense, 
on  y  aime,  on  y  parle  comme  le  momie,  c'est- 
à-dire  comme  d'honnêtes  gens  qui  vivent 
sans  rapport  à  Dieu,  sans  penser  à  leur  salut, 
et  qui  sont  vertueux  par  tempérament,  ou 
simplement  parce  qu'il  serait  honteux  de  vi- 
vre autrement  dans  une  société  policée.  Que 
le  désordre  de  l'oisiveté  est  donc  déplorable, 
mes  très-chers  frères  1 

Mais  il  y  a  plus  :  quand  la  loi  ne  nous 
prescrirait  pas  1  cloignement  du  repos  insi- 
pide que  donne  l'inaction,  la  nature  devrait 
nous  l'inspirer,  et  si  l'oisiveté  est  criminelle 
pour  le  chrétien,  elle  n'est  pas  moins  indigne 
de  l'homme  raisonnable. 

lin  effet,  celui  qui  nous  a  imposé  le  tra- 
vail comme  un  châtinienl,  nous  a  inspiré  en 
même  temps  un  goûl  naturel  qui  nous  l'ait 
souhaiter  d'être  toujours  occupés  par  quel- 
que chose  de  solide,  dette  oisiveté  dans  la- 
quelle notre  seule  corruption  nous  lait  trou- 
ver du  plaisir,  esl  pour  nous  une  source  d'en- 
nui. Nous  trouvons  une  satisfaction  réelle  à 
Elire  usage  de  notre  esprit,  et  l'application 
lait  une  partie  de  notre  bonheur,  dès  que 
nous  nous  conduisons  selon  les  lumières  de 
la  raison.  Si  l'homme  savait  donc  se  rendre 
heureux,  il  le  deviendrait  aisément  par  une 


vie  occupée.  Est-CC  vivre  que  de  ne  point 
pen-er.  que  de  ne  point  réfléchir,  que  d'être 
toujours  à  charge  a  toi-même  ci  aux  autres? 
Est-ce  vivre  que  de  n'avoir  d'autre  point  de 
vue  dans  sa  conduite  que  de  fuir  l'ennui? 
Combien  l'homme  est-il  plus  heureux  par  la 
satisfaction  que  donne  une  vie  utile  pour  soi 
et  pour  les  autres  ! 

Qu'il  esl  digne  d'une  créature  aussi  suscep- 
tible d'élévalion  qui;  l'homme,  de  se  trans- 
porter dans  tous  Es  lieux  de  la  terre,  de 
rappeler  les  siècles  passés,  de  pénétrer  dans 
l'avenir,  et  de  voir  toute  la  nature  soumise 
à  ses  idées,  à  son  jugement,  lui  fournir  tout 
ce  qui  peut  flatter  l'activité  de  son  esprit;  en 
un  mot  de  faire  usage  de  tous  les  dons  et  de 
tous  les  talents  que  Dieu  a  mis  en  lui  ? 

Quel  état  plus  heureux  que  celui  d'un 
homme  qui  se  suffit  à  lui-même  par  l'usage 
qu'il  sait  faire  de  ses  lumières?  Jamais  il 
n'éprouve  ni  le  chagrin  ni  l'ennui  :  il  vit  de 
son  propre  fonds;  il  pense,  il  s'occupe  ;  s'il 
a  peu  de  temps  à  passer  sur  la  terre,  ses 
jours  se  multiplient  par  son  travail;  il  a  vécu 
dans  tous  les  temps,  il  est  l'hommede  tous  les 
siècles  où  il  se  transporte  par  ses  idées.  Elles 
lui  font  franchir  toutes  les  limites;  l'éiendue 
de  ses  lumières  ne  peut  être  bornée;  toute 
la  nature  qu'il  se  rend  tributaire  lui  oITre  les 
plus  riches  dépouilles;  le  plaisir  qu'il  trouve 
dans  la  découverte  du  vrai  l'anime  à  sur- 
monter les  obstacles  qui  s'opposent  à  de  nou- 
velles connaissances  ;  des  objets  toujours 
satisfaisants  se  présentent  sans  cesse  à  lui, 
et  il  trouve  en  lui-même  un  altrail  qui  ne  lui 
laisse  éprouver  aucun  vide  ni  aucune  inquié- 
tude. Oui,  je  ne  crains  point  de  le  dire,  s'il 
est  de  vrais  plaisirs  ici-b'is  jour  des  person- 
nes raisonnables,  ils  ne  se  trouvent  que  dans 
une  vie  occupée,  et  ils  consistent  dans  un 
goût  actif  pour  nourrir  solidement  son  esprit 
et  son  cœur. 

Opposez  à  cet  état  une  vie  inutile  et  qui 
n'e-t  remplie  que  d'amusement.  Celte  femme, 
qui  ne  vit  pour  ainsi  dire  que  d'imagination 
et  qui  n'h  ibile  que  les  dehors  d'elle-même  , 
voit  sa  vie  s'écouler  sans  pouvoir  se  remire 
compte  de  l'usage  qu'elle  en  a  lait.  J'ai  vécu, 
peut-elle  dire,  trente  ou  quarante  ans.  Je 
gémis  sur  la  brièveté  de  mes  jours,  et  cepen- 
dant je  les  abrège  moi-même  par  l'inutilité 
qui  m'anéantit.  Je  crains  la  mort,  et  je  parais 
en  même  temps  comme  embarrassée  de  la 
vie.  Hors  délai  de  faire  renaître  un  temps 
qui  n'est  plus  à  mon  pouvoir,  il  ne  me  reste 
de  toul  ce'ui  qui  me  fut  donné  que  le  plaisir 
de  dater  le  moment  présent  par  l'ennui  que 
j'éprouve. 

L'oisiveté  est  donc,  mes  frères,  une  source 
inépuisable  d'ennui,  et  cet  état  esl  undes  maux 
les  plus  insupportables  a  l'homme.  Qui  iaj 
s'occuper  ne  peut  en  être  susceptible.  E'in- 
lérét  de  notre  satisfaction  personnelle  doit 
donc  nous  faire  éviter  l'oisiveté. 

A  quels  opprobres  n  est-ce  pas  être  icduil 
que  d'avoir  à  rougir  de  la  raison  !  Ce  pié- 
cieux  apanage  devient  importun  dès  que 
l'oisiveté  nous  le  rend  inutile,  Par  elle  on  se 
voit  méprisé  dans  une  société  aux  avantages 


22!  SERMON  POUR  LE  PREMIER  JOUR  DE  L'AN 

de  laquelle  on  ne  peut  participer  qu'autant 
qu'au  contribue  par  son  travail  au  bien  pu- 
blic. Celui  qui  vil  dans  l'inaction  méritc-t-il 
d'avoir  des  amis  ?  II  n'en  peut  trouver,  car 
il  en  coûte  des  soins  pour  les  acquérir  et 
pour  les  conserver. 

Mais  si  tous  ces  sentiments  qu'inspire  la 
nature  condamnent  l'oisiveté,  l'intérêt  s'op- 
pose aussi  à  ce  vice;  car  l'oisivité  entraîne 
ordinairement  après  elle  le  dérangement  de 
la  fortune  la  mieux  établie;  le  bien  ne  s'ac- 
quiert et  ne  se  canserve  que  par  des  soins 
dont  on  devient  incapable  dès  qu'on  se  livre 
à  la  paresse;  la  négligence  est  capable  de 
renverser  les  richesses  les  plus  considéra- 
bles. 

Tout  conspire  donc  à  condamner  cette  vie 
inutile  et  indolente,  tout  nous  engage  à  me- 
ner une  vie  occupée;  et  cependant  qu'il  y  a 
de  moments  perdus  par  l'inutilité,  et  qu'il 
en  est  peu  d'exactement  remplis  1  Mais  pour 
ne  point  établir  de  vérités  sans  en  faciliter 
la  pratique,  voyons  quelles  sonlfles  règles 
auxquelles  il  faut  se  conformer  pour  mener 
dans  tous  les  étals  celle  vie  vraiment  occu- 
pée ;  c'est  en  peu  de  mois  le  sujet  de  la  se- 
conde réflexion. 


222 


SECONDE    PARTIE. 

L'homme,  généralement  parlant,  trouve 
une  honte  attachée  a  la  paresse;  il  désire 
même  jusqu'à  un  certain  poinl  de  remplir  le 
temps  de  sa  vie,  et  souvent  il  ne  s'abuse 
que  sur  la  nature  de  cet  emploi  ,  qui  va- 
rie selon  les  diverses  idées  que  chacun 
s'en  forme  en  particulier.  Quelque  dilficile 
qu'il  soit  de  donner  des  règles  pour  me- 
ner une  vie  occupée,  par  la  variété  pres- 
que infinie  dos  situations  où  l'homme  se 
trouve,  on  peul  cependant  établir  des  règles 
générales  que  chacun  pouna  s'appliquer 
aisément  à  l'état  où  la  Providence  l'a  placé  ; 
mais  avant  de  les  exposer,  ébranlons  la  sé- 
curité d'un  grand  nouib.e  de  chrétiens  ;  et 
peul-élre  en  est-il,  qui  par  leur  état  sont 
consacrés  uniquement  à  Dieu  d'une  manière 
spéciale,  qui  cioient  n'avoir  rien  à  se  repro- 
cher sur  l'emploi  du  temps,  parce  qu'ils  ne 
douneot  aucun  moment  à  leurs  plaisirs.  Ces 
chrétiens  ne  savent  point  distinguer  l'essen- 
tiel de  ce  qui  n'est  qu'accessoire.  Toujours 
bornes  parce  qui  les  affecte  dans  le  moment 
présent,  ils  ne  se  permettent  jamais  de  por- 
ter plus  loin  leur  attention.  Ajoutant  par 
leur  vivacité  naturelle  à  la  valeur  de  ce  que 
les  choses  soûl  eu  elles-mêmes,  ils  se  trou- 
vent toujours  dans  le  travail,  et  cependant 
oisifs.  Leur  vie  est  toujours  agitée  par  les 
soins  cl  les  inquiétudes,  remplie  de  peines  et 
d'occupations,  quoique  très-éloignee  de  ce 
qui  <  si  solide  et  digne  de  les  occuper.  Tout 
ce  qu'ils  font  est  pour  eux  important  et  épi- 
neux ;  sans  cesse  ils  agissent,  et  toujours  ils 
restent  sans  avoir  jamais  accompli  ce  qu'ils 
doivent  faire.  Une  vie  vraiment  occupée  leur 
étalerait  .inoins  de  fatigue,  cl  on  enverrait 
le  Iruil  et  le  succès.  Mais  revenons  aux  rè- 
gles que  nous  voulons  prescrire. 

Je  dis,  1°  que  l'on  doit  distribuer  son  temps, 


en  sorte  que  ce  qui  en  mérite  le  plus  en  ait 
plus,  et  que  ce  qui  en  mérite  le  moins  en  ait 
moins.  Surtout  ayons  attention  à  ne  point 
porter  trop  loin  notre  délicatesse  sur  cette 
matière,  qui  a  une  étendue  morale;  car  sou- 
vent on  omet  une  partie  de  ses  devoirs  , 
parce  qu'on  veut  trop  s'occuper  à  réparer 
ceux  que  l'on  s'imagine  avoir  mal  remplis, 
et  pour  vouloir  trop  bien  faire  par  scrupule, 
on  ne  fait  pas  la  moitié  de  ce  qu'on  est  réel- 
lement obligé  d'accomplir. 

2°  On  doit  régler  son  temps,  afin  que  cha- 
que occupation  ait  sou  heure,  et  lorsqu'elle 
est  écoulée,  l'on  doit  passer  au  devoir  qui 
succède.  11  faut  donc  que  tous  les  moments 
aient  leur  occupation  marquée,  sans  cepen- 
dant s'imaginer  que  le  dérangement  néces- 
saire des  occupations  que  nous  nous  sommes 
proposées  nous  cause  un  désordre  qui  doive 
nous  troubler.  11  faut  avoir  de  l'exactitude 
à  suivre  le  planque  l'on  s'est  formé,  mais  il 
faut  le  suivre  sans  une  scrupuleuse  austé- 
rité. C'est  la  raison  et  non  la  crainte  qui 
doit  nous  conduire;  il  faut  donc  avoir  une 
règle  de  conduite  et  de  travail  où  la  lecture, 
jointe  à  la  réflexion,  soit  le  premier  et  le 
plus  important  devoir. 

Mais  pour  appliquer  ce  que  nous  exposons 
ici,  distinguons  trois  différentes  sortes  de 
personnes  :  les  uns  se  trouvent  réduits,  par 
une  fortune  peu  favorable,  à  la  nécessité 
d'un  travail  journalier,  qui  remplit  la  plus 
grande  partie  de  leur  vie  ;  d'autres,  jouissant 
d'une  abondance  qui  les  exempte  de  ce  tra- 
vail forcé,  sont  obligés  par  leur  rang  et  leur 
étal  de  donner  au  monde  beaucoup  de  temps, 
et  il  leur  serait  impossible  de  se  consacrer 
en  entier  à  des  œuvres  de  piété:  enfin  il  en  esl 
d'autres  qui,  dans  la  retraite  et  l'abandon 
du  monde,  peuvent  donner  uniquement  à 
Dieu  tous  les  moments  de  leur  vie.  Or,  mes 
frères,  on  doit  se  prescrire  différents  genres 
de  conduite  convenables  à  chacun  de  ces 
étals  ;  car  ce  serait  abuser  de  ce  que  je  viens 
d'établir  dans  ma  première  réflexion  que  de 
donner  tout  son  temps  à  méditer  les  vérités 
saintes,  lorsqu'on  est  appelé  comme  Marthe 
à  une  vie  que  la  nécessité  nous  oblige  d'em- 
ployer entièrement  au  travail  des  mains.  Il 
faut  donc  se  contenter  de  sacrifier  cet  état 
par  de  fréquents  retours  vers  Dieu.  On  doit 
regarder  toutes  ces  fatigues  du  corps  qu'on 
est  forcé  de  s'imposer  pour  subvenir  à  ses 
besoins  comme  une  juste  punition  du  péché. 
H  faut  faire  attention  à  ce  qu'il  en  coule  pour 
fournir  à  des  nécessités  qui  ne  sont  jamais 
entièrement  remplies,  cl  qui  ne  se  rappor- 
tent qu'à  un  corps  mortel.  11  faut  réfléchir  à 
tout  ce  qu'on  fait  pour  se  procurer  les  com- 
modités de  la  vie  qui  n'est  qu'un  passage,  et 
il  faut  examiner  quelle  proportion  l'on  met 
entre  le<  soins  que  l'on  prend  pour  celte  vie 
mortelle,  et  ceux  que  l'on  donne  à  la  sancti- 
fication d'une  âme  dont  le  sert  doit  inléres- 
scr  plus  vivement  que  ce  corps  où  elle  est 
enf  rmée  ,  et  qui  doit  être  dans  un  moment 
un  monceau  de  poussière  cl  la  pâture  des 
vers. 

Dans  ce  travail ,  on  ne  doit  se  proposer 


2iî7i 


OIlATEUtS  SVCKES.  DOM  JEROME. 


2*4 


d'autre  but  que  d'avoir  son  nécessaire  pour 

fournir  une  carrière  qui  ne  peut  être  de 
longoe  dorée.  Nous  «levons  même  élre  con- 
tents d'un  ilat  auquel  la  conformité  de  noire 
volonté  à  celle  de  Dieu  doit  nous  astreindre 
avec  plaisir,  et  par  là  il  est  clair  que  tout 
travail  qui  peulservirà  outrager  ce  Dieu  à  qui 
seul  nous  devons  consacrer  nos  actions,  nous 
est  interdit.  Mais  comme  ce  travail  ne  de- 
mande point  toute  la  capacité  de  notre  esprit, 
et  que  nous  sommes  toujours  maîtres  de  nos 
pensées,  nous  devons  sans  cesse  avoir  Dieu 
pour  objet.  Eprouvons-nous  quelque  modi- 
fication, il  faut  adorer  sa  justice  et  gémir  des 
péchés  qui  l'arment  contre  nous.  Goûtons- 
nous  quelques  plaisirs,  la  reconnaissance 
que  nous  devons  lui  en  témoigner  ne  nous 
permet  de  les  prendre  que  comme  un  délas- 
sement dont  les  voyageurs  se  servent,  non 
pour  interrompre,  mais  plutôt  pour  repren- 
dre la  roule  avec  une  nouvelle  activité. 

Dans   ces  jours  de   repos  que  Dieu  nous 
donne  pour  vaquer  uniquement  aux  œuvres 
saintes  ,  nous  devons  nous  réunir  avec  nos 
frères  pour  former  des  vœux  aux  pieds  d'un 
sanctuaire  que  notre  amour  doit  nous    faire 
désirer  d'habiter.  Le  reste  du  temps  qui   ne 
se  trouve  point  rempli  par  les  offices  publics 
doit  é  re  employé  à  des  lectures  solides  et  à 
des  réflexions  sérieuses  qui,  éclairant  notre 
esprit,  augmentent  en  nous  la  charité,  Enfin 
il  faut  pendant  ces  jours  d'abondance  donner 
à  l'âme  assez  de  nourriture  pour  l'espace  de 
temps  qu'on  est  forcé  de  donner  aux  besoins 
delà   vie  présente,  bien   moins  importants 
sans  doute,  quoique  pourtant  indispensables. 
Pour  ceux  qui,  bien  éloignés  d'être  dis- 
traits par  aucun  travail   forcé,  se  trouvent 
obligés  de  donner  un  temps  considérable  à 
la  bienséance  de  leur  état  et  à  mille  inutilités, 
leur  situation  étant  plus  dangereuse  demande 
plus  de  précaution.  Il  faut  gémir  sans  cesse 
en  se  voyant  obligés  de  se  livrer  à  cette  dis- 
sipation nécessaire.  Il  faut  se  rappeler  sou- 
vent  l'image  d'un   Dieu  dont  la   vie  a   été 
pénible  et  laborieuse.  Enfin   il  faut  édiGcr 
publiquement  par  d'éclatantes  vertus,  par  de 
grandes   aumônes  et   par   toutes  sortes   de 
bonnes  œuvres,  ceux  auxquels  on  se  trouve 
forcé  de  donner  un  temps  qu'on  souhaiterait 
employer  àseconnailre  et  à  travaillersur  soi. 
Effrayés,  comme  Judith,  des  dangers  où  la 
piété  est  exposée  dans  les  grandeurs  ,  il  ne 
faut  se  servir  de  tous  les  ornements  qu'on  ne 
pourrait  se  retrancher  sans  jeter  un  ridicule 
sur  la  vertu  même,  que  comme  nous  rappe- 
lant et  nous  représentant  la  folie  et  l'extra- 
vagance «lu  monde.   11  faut  admirer  la  con- 
duite de  Dieu  dans   les  marques  de  respect 
que  l'on  nous  donne,  cl  juger  par  ces  égards 
qu'on   reçoit  de  ses    inférieurs   des  disposi- 
tions dans  lesquelles    nous  devons  être  par 
rapport  à  Dieu.  Nous   devons  lui   sacrifier 
toul  et  n'être  flatté  de  notre  autorité  qu'au- 
tant qu'elle    nous   met  en  état  de  faire   des 
heurenx.   Nous    devons   éviter    toul  ce  qui 
conduit  au  crime,  faire  comme  Job  un  pacte 
avec   tous  nos  sens  ,  et  profiter  des   pièges 
mêmes  du  démon  pour  nous  affermir  dans 


les  sentiers  de  la  justice.  Si  le  prince  île  ce 
monde  multiplie  ses  efforts  pour  nous  séduire, 
ce  n'est  que  parce  que  son  règne  est  très-- 
courl.  Il  veul  suppléer  par  l'effort  de  ses 
coups  redoublés  au  peu  de  temps  qui  lui  est 
donné  pour  nous  tenter.  Nous  devons  donc 
opposer  nos  efforts  aux  siens,  notre  vigilance 
à  ses  artifices,  et  puisqu'il  y  a  dans  le  monde 
un  air  contagieux  qui  souffle  de  toutes  parts, 
il  faut  se  munir  sans  cesse  du  bouclier  de  la 
foi  pour  nous  garantir  des  rails  de  celui  qui 
cherche  sans  cesse  à  nous  perdre. 

Forcés  de  donner  d'abord  aux  soins  do- 
mestiques le  temps  que  nous  laissent  nos 
emplois,  nous  devons,  par  notre  douceur, 
notre  affabilité,  nous  concilier  ceux  avec  qui 
nous  vivons,  pour  leur  montrer  que  la  piété 
peut  s'allier  parfaitement  avec  les  verlus  de 
société.  Loin  de  fuir  les  liaisons  nécessaires 
de  famille,  nous  devons  nous  y  conduire  en 
nous  y  faisant  respecter  par  la  sagesse  <  t  par 
l'égalité.  Surtout  n'oublions  jamais  qu'il  nous 
est  essentiel  de  nous  retrouver  souvent  avec 
nous-mêmes,  et  dans  quelque  étal  que  nous 
soyons,  il  faut  nous  réserver  un  temps  pour 
la  lecture  et  pour  les  rellexi  >ns.  Ce  temps 
doit  être  employé  à  nous  remplir  l'esprit  de 
tout  ce  qui  peut  nous  conduire  à  la  vérité 
spéculative  et  pratique  :  conduite  bien  diffé- 
rente de  la  plupart  des  femmes  mon  laines, 
qui  par  un  caprice  insensé  rougiraient  de 
s'appliquer  à  former  leur  esprit  et  leur  cœur; 
elles  ne  se  conduisent  que  par  goût,  par  sen- 
timent, par  imagination  ;  comment  ce  qui  est 
solide  pourrait-il  leur  plaire? 

Plus  on  est  élevé  par  son  rang  et  ses  ta- 
lents naturels,  plus  on  doit  se  distinguer  par 
ses  lumières.  Pourquoi  un  sexe  si  suscep- 
tible de  gloire  renoncerait-il  donc  à  des 
connaissances  desquelles  dépendent  la  véri- 
table grandeur  et  la  véritable  estime?  La 
vivacité  ou  les  agréments  de  l'esprit  ne  don- 
nent pas  le  discernement,  et  ces  qualités  peu- 
vent-elles même  être  comparées  au  mérite 
fondé  sur  les  lumières  d'une  raison  qui 
forme  un  jugement  sûr,  et  qui  ne  s'éclipse  eu 
aucune  occasion? 

Enfin,  par  rapport  a  ceux  qui,  maîtres  de 
leur  temps  et  de  leur  genre  de  vie  ,  peuvent 
donner  à  Dieu  tous  leurs  moments  .  ils  doi- 
vent se  sanctifier  par  de  sérieuses  réflexions, 
et  leur  liberté  devient  pour  eux  une  obliga- 
tion de  s'unir  plus  particulièrement  à  Jesus- 
Christ.  Rien  ne  peut  vous  distraire  daus 
votre  retraite,  âmes  chrétiennes  séparées  du 
monde.  Vous  savez  mullip'ier  vos  jours  par 
tous  ceux  que  vous  retranchez  à  la  satisfac- 
tion des  sens  :  une  application  de  l'esprit  plus 
sérieuse  et  plus  continuelle  doit  donc  con- 
sacrer ce  temps  que  vous  refusez  à  la  nature. 
Fuyez  l'inutilité;  que  tout  seit  grand  il  digne 
de  votre  élévation  dans  votre  conduite  :  ce 
qui  est  vertu  pour  le  commun  des  hommes 
ne  suffit  pas  pour  celui  qui  peut  ne  penser 
qu'à  Jésus-Christ.  Que  les  personnes  du  sexe 
qui  se  trouvent  dans  l'étal  dont  nous  parlons 
ne  méprisent  point  le  travail  des  mains. 
L'esprit  a  besoin  de  délassement;  il  sera  plus 
porte  aux.  lectures  qui  doivent  remplir  la 


225 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINTE  GENEVIEVE. 


220 


plus  grande  partie  de  votre  vie,  si  vous  la 
sevrez  quelquefois  de  ce  qui  fait  si  légitime- 
ment ses  délices.  Il  est  encore  de  ces  femmes 
fortes  que  la  naissance  et  la  vertu  rendent 
également  dignes  de  noire  admiration  ,  et 
leur  adresse  dans  des  arts  vraiment  utiles 
ne  peut  qu'ajouter  en  elles  un  mérite  dont 
les  hommes  peut-être  devraient  être  jaloux. 

Concluons  donc ,  mes  frères  ,  de  tout  ce 
discours  que  l'oisiveté  est  criminelle  pour 
tous  les  chrétiens,  parce  que  nous  sommes 
obligés  à  mener  une  vie  sérieuse  et  occupée. 
L'inutilité  est  le  tombeau  de  toules  les  ver- 
tus et  la  source  de  tous  les  vices  ;  l'inaction 
est  à  charge  à  l'homme  par  l'ennui  qu'elle 
traîne  après  elle;  le  goût  du  travail  est  na- 
turel en  lui  par  son  fonds  d'activité;  l'indo- 
lence rend  l'homme  insupportable  à  ceux 
qui  l'environnent.  D'ailleurs  il  est  aisé  de 
ne  laisser  aucun  vide  dans  sa  vie  ;  la  lecture, 
le  travail  des  mains,  les  devoirs  particuliers 
à  chaque  état  sanctifiés  par  la  vigilance  de 
pensées  solides ,  de  fréquents  retours  vers 
Dieu,  nous  offrent  les  moyens  de  fuir  toute 
inutilité. 

Rachetons  donc  désormais  par  une  occu- 
pation assidue  ces  jours  qui  pourraient  s'être 
écoulés  trop  inutilement  pour  nous;  et  si, 
comme  vos  apôtres  ,  Seigneur ,  nous  avons 
travaillé  sans  recueillir  le  fruit  de  nos  œuvres, 
que  votre  grâce  dissipe  cette  nuit  qui  rend 
nos  peines  inutiles.  Bénissez  nos  efforts  pour 
réparer  la  perte  d'un  temps  si  précieux.  Ac- 
ceplez  le  sacrifice  que  nous  vous  faisons 
aujourd'hui  du  reste  de  notre  vie,  afin  que 
nous  la  consacrions  à  l'accomplissement  de 
vos  desseins  sur  nous,  pour  mériter  l'éternité 
bienheureuse.  Je  vous  la  souhaite.  Ainsi 
soil-il. 

SERMON 

POLin   LA    FÊTE   DE    SAINTE   GENEVIEVE. 

Confilemini  mémorise  sanctilatis  ejus. 
Ce  ébrez  par  vos  exemples  su  mémoire  qui  est  sainte  et 
merée  (Psal.  XXIX,  i). 

Comme  c'est  Dieu  qui  sanctificles  hommes, 
je  crois,  mes  chers  frères,  vous  porter  à  ren- 
dre à  la  sainteté  de  sainte  Geneviève  les 
sentiments  que  le  saint  prophète  a  en  vue  en 
exhortant  l'âme  chrétienne  à  célébrer  la 
mémoire  de  la  sainteté  de  Dieu  ,  et  je  m'en 
sers  pour  vous  porter  à  honorer  celle  dont 
nous  célébrons  la  fêle.  Remerciez-le  donc  de 
tout  ce  qu'il  a  mis  en  celte  illustre  sainte  ,  cl 
dont  nous  avons  ressenti  les  effets  d'une  ma- 
nière si  miraculeuse,  que  celte  grande  ville 
la  reconnaît  et  l'honore  comme  sa  patronne. 

Mais  comme  l'âme  chrétienne  ne  célèbre 
dignement  la  mémoire  des  saints  qu'autant 
qu'elle  travaille  à  les  imiter,  nous  ne  pou- 
vons honorer  comme  il  faut  celle  dont  l'Eglise 
fait  la  mémoire,  qu'autant  que  nous  nous 
appliquerons  à  en  suivre  les  vertus. 

Ainsi,  mes  chers  frères,  il  me  semble  que, 
pour  développer  la  grandeur  de  notre  sainle, 
et  pour  prendre  les  mesures  convenables  afin 
d'opérer  notre  sanctification,  il  faul  en  dé- 
couvrir les  sources,  pour  reconnaître  la  mi- 
séricorde de  Dieu,  qui  a  prévenu  sainte  Ge- 


neviève ;  en  raconter  les  épreuves ,  pour 
admirer  la  force  de  la  grâce  qui  l'a  soute- 
nue, cl  exposer  les  couronnes  qu'elle  a  mé- 
ritées, pour  louer  la  libéralité  qui  l'a  récom- 
pensée. Voilà  ce  qui  doit  exposer  à  vos  yeux 
la  grandeur  de  la  sainteté  de  notre  illustre 
patronne;  mais  voici  le  fruit  que  nous  de- 
vons essayer  d'en  tirer  : 

Il  faul  découvrir  les  sources  de  sa  sainteté, 
afin  d'y  aller  puiser  la  nôlre  :  première 
partie;  il  faut  en  raconter  les  épreuves, 
pour  reconnaître  si  celles  que  nous  pensons 
avoir  sonl  véritables  :  seconde  partie;  il  faut 
enfin  en  exposer  les  couronnes,  afin  de  nous 
animer  dans  les  travaux  qu'il  faul  soutenir 
pour  devenir  saints  :  troisième  partie,  que 
nous  unirons  avec  la  seconde.  Voilà  l'idée 
de  mon  discours  ;  demandons  l'assistance  du 
Saint-Esprit.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Il  y  a  deux  sources  d'où  proviennent  la 
sainteté  de  notre  illustre  patronne  :  la  misé- 
ricorde de  Dieu,  qui  l'a  prévenue;  et  le  soin 
qu'elle  a  pris  de  la  conserver  et  d'en  aug- 
menter les  effets.  J'unis  ces  deux  choses 
ensemble,  parce  qu'elles  ne  doivent  jamais 
se  séparer  dans  l'ouvrage  de  notre  salut  et 
dans  l'économie  de  noire  perfection.  En  effet, 
selon  saint  Augustin  ,  deux  écueils  détour- 
nent ordinairement  les  hommes  de  la  voie 
de  leur  salut  :  l'orgueil  et  la  paresse.  Ils 
tombent  ordinairement  dans  l'un  de  ces 
excès,  et  c'est  ce  qui  ruine  l'ouvrage  de  leur 
salut  et  de  leur  perfection  :  les  uns  l'attri- 
buent à  leurs  propres  œuvres  ;  ils  ne  regar- 
dent jamais  que  leurs  actions,  et  ils  négli- 
gent de  recourir  à  la  miséricorde  de  Dieu, 
qui  commence,  qui  soutient  et  qui  couronne 
en  nous  toutes  nos  œuvres  ;  parce  qu'ils  s'i- 
maginent qu'ils  sonl  totalement  maîtres  d'o- 
pérer leur  conversion  lorsqu'ils  le  voudront; 
les  autres,  ne  regardant  que  la  miséricorde 
de  Dieu,  ne  parlent  jamais  que  de  la  grâce 
de  Jésus-Christ,  et  négligent  d'entrer  dans 
les  voies  que  la  loi  leur  enseigne.  Ils  atten- 
dent la  perfection,  la  sainteté  et  la  gloire, 
sans  vouloir  travailler  à  l'acquérir.  Ainsi, 
les  uns  se  perdent  parce  qu'ils  sonl  superbes, 
et  les  autres  paice  qu  ils  sonl  négligents. 
Pour  éviter  ces  deux  excès,  dit  saint  Augus- 
tin, il  faut  marcher  entre  l'orgueil  et  la  pa- 
resse; il  faut  n'être  ni  superbe  ni  négligent. 
L'on  est  superbe,  lorsque  l'on  croit  que  l'on 
peut  faire  quelque  chose  pour  le  salut  par 
soi-même  ;  et  on  est  négligent,  lorsqu  on  no 
veut  rien  f.iire  du  tout.  C'est  donc,  mes  frè- 
res, ce  qui  me  fait  dire  que  nous  devons  re- 
connaître ces  deux  sources  de  sainteté  dans 
notre  illustre  patronne  :  la  miséricorde  qui 
l'a  prévenue  ,  cl  celte  dépendance  de  la  mi- 
séricorde qu'elle  a  reconnue  et  qui  l'a  em- 
pêchée d'èlrc  superbe  ;  car  les  soins  qu'elle  a 
pris  d'en  conserver  el  d'en  augmenter  les 
effets,  nous  font  voir  qu'elle  a  bien  su  qu'il 
ne  fallait  pas  être  négligent  dans  l'ouvrage 
de  sa  perfection. 

La  miséricorde  de  Dieu  l'a  prévenue;  c'est 
la  grande  source  de  sa  sainteté  :  en  effet, 


227 


ORVTEURS  SACRES.   DOM  JEROME. 


»a 


saint  .Jacques  nous  enseigne,  dans  son  Kpîlrc 
canonique,  que  toute  yrdee  excellente  tl  tout 
don  parfait  vient  d'en  Irait  et  ilesrcnd  dr  l'ai- 
des lumières.  Il  nous  a  choisis  afin  que  nous 
lussions  saints  et  irrépréhensible!  devant  ses 
yeux,  non  à  cause  que  nous  l'étions  ou  parce 
que  nous  le  devions  être,  mais  afin  que  nous 
le  lussions  par  une  suite  de  son  choix;  al  il 
me  semble,  mes  frères,  qu'on  peut  dire  qu'il 
a  choisi  notre  sainte  d'une  Façon  encore  plus 
particulière,  et  qui  nous  marque  un  effet 
aussi  abondant  que  singulier  de  sa  grande 
miséricorde  sur  elle.  G  çil  un  entant  qu'il 
prévient  en  tout,  et  qui  n'a  reçu  aucune  édu- 
cation dans  la  piété;  qu'il  va  chercher  dans 
un  vill  ige  parmi  des  gens  grossiers,  dans  la 
solitude,  dans  les  exercices  d'une  vie  cham- 
pêtre, parmi  les  bétes  et  les  animaux,  pour 
en  faire  une  des  plus  grandes  et  des  plus  il- 
lustres saintes  de  son  Eglise. 

Disons  donc  de  cetle  grande  sainte  qu'elle 
est  crue  dans  le  champ  de  l'Eglise  chré- 
tienne comme  les  grands  arbres  qu'on  ne 
sème  point,  et  qui  sortent  de  la  terre  dans  les 
plus  alîreuses  solitudes.  Les  arbres  qui  nais- 
sent'dans  les  jardins  et  dans  les  lieux  culti- 
vés appartiennent  en  quelque  façon  aux 
hommes  qui  en  ont  semé  les  graines  et  qui 
en  ont  pris  soin,  au  lieu  que  les  autres  ne 
peuvent  être  réellement  attribués  qu'à  Dieu 
seul,  qui  dès  le  commencement  du  monde  en 
a  jeté  les  semences  dans  la  terre.  De  même 
on  peut  dire  qu'il  y  a  ainsi  des  saints  qui  sont 
cultivés  par  les  soins  des  hommes,  et  qu'on 
peut  dire  en  un  sens  paraître  ne  pas  appar- 
tenir entièrement  à  Dieu.  Ce  ne  sont  pas, 
pour  ainsi  dire,  des  ouvrages  tout  purs  de  sa 
grande  miséricorde  ,  puisqu'il  s'est  servi  des 
hommes'  pour  les  rendre  ce  qu'ils  sont  ;  mais 
il  y  en  a  d'autres  à  qui  Dieu  a  pris  plaisir  de 
donner  lui-même  la  naissance,  l'arrosement, 
la  culture  et  l'accroissement. 

Telle  a  été  la  grande  sainte  Geneviève  : 
Dieu  verse  dans  son  âme  les  semences  de  la 
sainteté,  sans  que  les  hommes  y  aient  part. 
C'est  un  arbre  que  la  miséricorde  toute  seule 
fait  croître  dans  le  champ  de  l'Eglise  ;  il  n'est 
regardé  que  par  la  Providence;  il  ne  reçoit 
des  influences  que  du  ciel  pour  sa  formation 
et  psyrsa  naissance;  et  si  elle  joint  ses  soins 
à  ses  heureuses  dispositions,  ce  n'est  que 
pour  nous  apprendre  que  notre  salut  est  un 
ouvrage  commun  de  la  grâce  qui  le  com- 
mence, cl  de  notre  volonté  qui  se  laisse  con- 
duire et  qui  consent  aux  mouvements  de 
celte  grâce  qui  lui  enseigne  ce  qu'elle  doit 
faire  el  ce  qu'elle  doit  évïler  pour  arriver  à 
la  perfection  de  cet  ouvrage. 

Mais  voyons,  mes  frères,  ce  que  la  grâce 
de  Jésus-Christ,  qui  l'avait  prévenue  d'une 
manière  si  singulière,  lui  fait  faire  et  lui  fait 
éviter  pour  la  rendre  capable  de  conserver 
el  d'augmenter  par  ses  soins  cetle  grande 
miséricorde.  C'est  dans  cette  conduite  que 
nous  découvrirons  celle  seconde  source  de  sa 
sainteté,  et  qui  en  est  une  suite  et  un  effet. 
Cet  esprit  de  grâce,  qui  l'avait  remplie  el  qui 
en  avait  pris  possession,  forma  en  elle  le  don 
de  la  prière.  Ge  fut  sou  exercice  continuel  et 


la  première  chose  qu'elle  apprit  à  faire  pour 
conserver  el  pour  augmenter  la  miséricorde 
qui  dérailla  conduire  a.  nneéminente  sain- 
tek-;  ce  fui  Dieu  qui  mit  ce  don  en  elie,  car 
c'est  lui  qui  nous  enseigne  à  prier.  Ht  qu'est- 
ce  que  c'est  que  de  prier?  Ce  n'est  pas  pro- 
noncer un  grand  nombre  de  paroles  consa- 
crées sous  le  nom  de  prières,  Prier,  mes  frè- 
res, c'est  gémir  «levant  Dieu  à  la  via  te  nos 
mi-ères  et  de  noir"  pauvreté;  prier,  c'e*l  dé- 
i  rer  d'être  délivrés  d;  ce  lieu  de  misêiwe  et 
de  dangers  pour  être  parfaitement  unis  à 
Dieu;  prier,  c'est  aimer  Die  i  de  lout  son 
cœur,  ne  voir  que  lui  en  loules  choses,  ne 
vouloir  que  lui.  Or,  mes  frères,  il  n'v  a  que 
Dieu  qui  nous  accorde  ce  don  de  prière,  car 
il  n'y  a  pas  de  méthode  qui  nous  enseigne  à 
gémir,  à  désirer,  à  aimer;  autrement  nos 
gémissements,  nos  désirs,  notre  amour,  de- 
viennent suspects  quand  ils  se  font  avec 
élude  :  il  faut  qu'ils  partent  du  cœur  sans 
être  étudiés.  C'e-l  Dieu  qui  nous  fait  prier  ; 
c'est  la  charité  qui  gemil  en  nous,  dit  saint 
Augustin  ;  c'est  elle  qui  prie.  Quand  l'esprit 
prie  lout  seul,  il  est  bientôt  fatigué.  La  rai- 
son en  est,  que  la  prière  est  l'ouvrage  du 
cœur,  dit  ce  Père,  et  l'esprit  ne  peut  pas  faire 
longtemps  L'office  du  cœur. 

Demandons  à  sainte  Geneviève  qui  lui  a 
appris  à  prier,  daes  un  village,  parmi  des 
gens  sans  éducation;  d ms  les  champs,  parmi 
les  bêles  :  c  est  Dieu  lui-même.  Elle  n'avait 
point  d'autre  méthode  que  cel  attrait  inté- 
rieur de  la  grâce,  que  l'ardeur  du  Saint- 
Esprit,  qui  lui  faisait  passer  les  journées  en- 
tières dans  l'exercice  de  la  prière.  La  terre 
baignée  de  ses  pleurs  est  l'effet  de  ses  gémis- 
sements ;  elle  ne  regarde  jamais  le  ciel  sans 
soupirer  et  sans  verser  des  larmes  :  voilà 
l'effet  de  son  aident  désir  pour  Dieu.  Elle  se 
relire  des  créatures  :  c'est  l'effet  de  son  amour 
pour  Dieu;  car  il  ne  veul  point  de  partage, 
il  veut  tout.  Noire  sainte,  pénétrée  de  l'amour 
de  son  Dieu,  ne  voulut  pas  que  son  cœur  fût 
partagé  entre  lui  et  ses  créatures. 

Ainsi,  mes  frères,  elle  se  détache  de  ses 
parents,  de  qui  l'amour,  quelque  innocent 
qu'il  soit,  partage  toujours  le  cœur  el  affai- 
blit l'amour  de  Dieu.  Elle  renonce  au  ma- 
riage, dont  les  engagements  divisent  l'esprit 
et  partagent  le  cœur.  Elle  ne  pense  plus 
qu'aux  choses  de  Dieu,  el  elle  est  sainte  de 
corps  et  d'esprit. 

Ajoutez  à  cela  un  exercice  de  mortification 
continuelle  depuis  l'âge  de  quatorze  ans  jus- 
qu'à cinquante  ans.  Selon  les  auteurs  de  sa 
vie,  elle  ne  mangea  que  deux  fois  la  semaine, 
se  contentant  de  pain  et  de  fèves  cuites.  11 
est  vrai  que,  depuis  cinquante  ans jusqu à 
quatre-vingts,  elle  ajouta  un  peu  de  poisson 
elde  lait,  par  l'ordre  des  éveques  :  ma  s  elle 
ne  mangea  jamais  de  viande  et  n'usa  jamais 
de  vin.  Elle  vécut  d'une  manière  toujours 
uniforme,  ne  se  relâchant  jamais  sur  quoi 
que  ce  fut  dans  les  exercices  de  la  prière,  de 
la  retraite  et  de  la  pénitence. 

On  va  loin,  mes  frères,  quand  on  marche 
durant  quatre-vingts  années  de  ce  même  pas 
dans  la  carrière  de  la  vertu,  el  ou  arrive  eu- 


229  SEKMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINTE  GENEVIEVE 

fin  à  une  éminente  sainteté,  surtout  quand 
on  marche  sous  la  conduite  des  pasteurs  légi- 
times de  l'Eglise;  car  ce   qu'on   fait  contre 


230 


leurs  ordres  n'est  ordinairement  bon  qu'à 
nous  perdre  :  ce  qu'on  fait  sans  leurs  ordres 
est  toujours  suspect;  mais  ce  qu'on  fait  avec 
leur  approbation  est  presque  toujours  sûr 
pour  celui  qui  l'entreprend. 

Sainte  Geneviève  reçoit  la  marque  de  sa 
consécration  à.Dieu  des  mains  de  saint  Ger- 
main ;  elle  reçoit  le  voile  de  la  virginité  de 
celles  de  l'évêque  de  Chartres,  selon  la  loua- 
ble (  outume  de  ce  siècle  ;  elle  met  quelque 
modération  dans  son  abstinence,  par  l'avis 
des  évêques  :  ainsi  elle  est  toute  soumise  aux 
pasteurs  de  l'Eglise,  et  je  ne  m'étonne  pas 
de  la  voir  arriver  par  ces  voies  à  une  sain- 
teté parfaite.  Jésu^-Christ,  qui  l'avait  préve- 
nue par  sa  miséricorde  ,  l'envoie  ensuile  à 
ses  ministres  comme  pour  confirmer  en  elle 
ce  qu'il  y  a  fait  par  sa  grâce,  et  comme  les 
malades  qu'il  guérissait  durant  sa  vie  mor- 
telle recevaient  la  confirmation  de  leur  santé 
des  mains  des  ministres  auxquels  il  les  en- 
voyait. Ite,  ostendite  vos  sacerdoli.  Ainsi  il 
prévient  Geneviève  par  sa  grande  miséri- 
corde, il  la  fait  agir  par  sa  grâce,  et  il  veut 
enfin  que  ce  soit  par  la  conduite  des  évêques, 
ses  ministres  sacrés  ,  quelle  arrive  à  cette 
éminente  saintelé  dont  nous  vous  avons  dé- 
couvert les  sources  et  où  nous  devons  aller 
puiser  la  nôtre. 

En  effet,  mes  frères,  on  n'y  arrive  que  par 
les  voies  qui  y  ont  conduit  notre  illustre  pa- 
tronne. 11  faut  qu'elles  viennent  de  Dieu  : 
tout  vient  de  lui.  Tout  chrétien  est  appelé  à 
la  sainteté  et  doit  être  saint  :  Dieu  nous  a 
prévenus  de  sa  grâce  et  de  sa  miséricorde  ; 
il  a  mis  en  nous,  par  la  grâce  de  notre  bap- 
tême, la  semence  de  notre  sainteté;  il  nous 
a  prévenus  :  et  d'où  vient  donc  que  nous 
n'arrivons  pas  à  la  sainteté,  comme  Gene- 
viève ,  et  qu'au  contraire  nous  languis- 
sons et  nous  rampons,  traînant  sur  la  terre 
une  vie  misérable,  toute  remplie  de  désor- 
dres et  de  dérèglements?  D'où  vient?  c'est 
que  nous  avons  perdu  la  grâce  de  notre 
baptême,  et  même  que  nous  méprisons  les 
grâces  qu'il  nous  fait  chaque  jour.  Et  com- 
ment? en  ne  travaillant  pas  à  la  conserver  et 
à  l'augmenter;  car,  ne  pas  travailler  à  la 
conserver  et  à  l'augmenter,  c'est  vouloir  la 
perdre  et  tomber  dans  un  étal  de  paresse  et 
de  négligenre,  c'est  prendre  un  chemin  très- 
court  pour  la  perdition. 

Revenons  donc  à  notre  principe  :  Nous 
sommes  ou  paresseux  ou  superbes  :  pares- 
seux durant  toute  notre  vie,  oubliant  I  affaire 
de  notre  salut  pour  penser  à  toute  autre 
chose,  perdant  l'innocence  de  noire  baptême, 
négligeant  la  pénitence  et  les  bonnes  oeuvres  ; 
et  quand  nous  pensons  à  celte  affaire,  qui 
est  très-importante  et  la  plus  importante  de 
toutes,  nous  y  pensons  en  superbes,  comme 
si  la  chose  dépendait  de  nous  entièrement, 
soit  pour  la  commencer  quand  il  nous  plaira, 
soit  pour  la  conduire  connue  nous  le  vou- 
drions. Ainsi,  ou  nous  ne  travaillons  point 
avec  la  grâce  dont  Dieu  nous  prévient,  ou 


quand  nous  pensons  à  travailler,  nous  ne  re- 
courons pas  à  Dieu  par  la  prière  pour  le  faire 
par  son  esprit;  car,  prier,  c'est  sentir  sa  mi- 
sère et  son  impuissance,  c'est  reconnaître 
que  rien  n'est  capable  de,  nous  mettre  en  état 
de  travailler  que  lui  seul. 

Ce  n'est  ni  l'exemple ,  ni  la  société  des 
bons,  ni  les  discours  des  jusles  qui  nous 
mettent  en  état  de  travailler  :  c'est  Dieu,  par 
sa  grâce.  C'est  dans  cette  vue,  de  notre  fai- 
blesse et  de  notre  dépendance  de  son  pou- 
voir, qu'il  faut  recourir  à  lui,  et  c'est  là  ce 
qu'il  appelle  prier.  Prions-nous  ainsi,  mes 
chers  frères?  Pensons-nous  à  nous  retirer 
des  créatures  pour  prier  plus  librement  et 
pour  nous  unir  plus  parfaitement  à  Dieu? 
Nous  ne  pensons  dans  le  monde  qu'à  y  faire 
des  engagements  qui  nous  plongent  dans 
mille  commerces  capables  de  nous  faire  per- 
dre notre  sainteté,  si  nous  en  avions,  bien 
loin  d'être  portés  à  augmenter  celle  que  Dieu 
a  mise  en  nous  par  le  baptême.  On  combat 
dans  le  monde  les  desseins  de  ceux  que  Dieu 
appelle  dans  la  retraite  et  à  qui  il  donne  le 
désir  de  se  purifier  par  la  solitude  et  le  tra- 
vail. Sait-on  dans  le  monde  ce  que  c'est  que 
la  pénitence,  l'abstinence  et  l'austérité?  On 
vit  au  milieu  des  périls  ,  et  on  ne  veut  pas 
entendre  parler  de  ce  qui  peut  nous  en  ga- 
rantir; on  aime  le  danger,  on  vit  au  milieu 
de  la  contagion,  et  on  ne  veut  pas  connaître 
les  remèJes. 

Ce  qu'on  pratique  d'exercices  de  piété  et 
de  dévotion  est  pour  l'ordinaire,  ou  un  choix 
de  notre  amour-propre  et  de  notre  humeur, 
ou  un  dérèglement  dans  notre  étal,  ou  une 
illusion  de  noire  esprit,  parce  qu'on  se  con- 
duit soi-même  sans  réfléchir  et  sans  consul- 
ter des  personnes  capables  de  nous  con- 
duire. 

Après  cela,  mes  frères,  peut-on  être  sur- 
pris de  voir  dans  le  monde  si  peu  de  sain- 
teté. Mais  celle  même  que  l'on  honore  de  ce 
nom  se  dissipera  à  vos  yeux  comme  une 
ombre  lorsque  je  vous  aurai  fait  voir  par  où 
l'on  doit  juger  de  sa  solidité,  en  vous  racon- 
tant les  épreuves  où  Dieu  a  mis  celle  de  sainte 
Geneviève.  C'est  le  sujet  de  la  seconde  partie. 

SECONDE  PARTIE.     ...— 

La  véritable  sainteté-  a"  presque  toujours 
été  éprouvée  ;  c'est  par  l'exercice  que  la  ten- 
tation lui  donne  qu'elle  paraît  ce  qu'elle  est, 
et  c'est  par  la  victoire  qu'elle  remporte  sur 
la  tentation  et  par  la  résistance  qu'elle  fait 
aux  ennemis  que  Dieu  lui  donne  qu'elle  est 
véritablement  ce  qu'elle  doit  être.  Vous  savez 
ce  que  l'ange  dit  à  Tobie  dans  l'Ecriture  :  Ne 
vous  étonnez  pas  de  la  conduite  que  Dieu  a 
gardée  avec  vous  en  vous  exposant  à  de  si 
rudes  ennemis  après  tant  de  bonnes  œuvres 
que  vous  aviez  faites  ;  c'est  cela  même  qui 
l'a  obligé  de  vous  traiter  ainsi,  et  parce  que 
vous  lui  étiez  agréable,  il  fallait  que  votro 
vertu  et  votre  sainteté  fussent  éprouvées  par 
la  tentation. 

/  Vous  savez  de  quelle  minière  il  fait  parler 
un  autre  an^c,  à  'occasion  du  saint -homme 
Job.  Il  n'est  pas  donnant,  dit  le  malin  esprit, 


•I 


qu'un  homme  qui  reçoit  sur  la  terre  tant  de 
faveurs  ei  tant  d'effets  de  votre  libéralité 
vive  par  celle  considération  «I  mis  la  jaslice 
et  dam  l'innocence;  mais  il  serait  véritable- 
ment innocent  et  juste,  s'il  vivait  <le  même 
dans  l'afflii  lion  cl  dans  la  souffrance.  Ce  ten- 
tateur, dit  saint  Augustin,  fut  admis  à  éprou- 
ver l'amour  chaste  et  gratuit  de  cet  homme 
juste  qui  demeura  seul,  privé  de  ses  biens  , 
de  sa  famille  et  de  ses  enfants,  mais  plein  de 
Dieu.  Voilà  une  solide  sainteté  reconnue  par 
l'épreuve.  De  plus,  l'Apôtre  nous  dit  que  la 
vertu  se  perfectionne  dans  la  faiblesse t  d'où  il 
tire  celte  conséquence  :  Je  prendrai  donc 
plaisir  à  me  fortifier  davantage  dans  mes  in- 
firmités, parce  que  c'est  par  là  que  je  suis  as- 
suré que  lu  vertu  que  Jésus-Christ  a  mise  en 
moi  s'y  confirmera  ,  qu'elle  s'y  établira  et 
qu'elle  y  demeurera  d'une  manière  fixe,  so- 
lide et  permanente. 

Pour  reconnaître  donc  la  solidité  de  la 
vertu  et  de  la  sainteté  de  noire  grande  sainte, 
et  admirer  la  force  de  la  grâce  qui  l'a  sou- 
tenue, il  faut  raconter  les  épreuves  auxquel- 
les il  a  plu  à  Dieu  de  l'exposer.  Or,  l'histoire 
de  sa  vie  nous  apprend  que  Dieu  l'exposa  à 
deux  différentes  épreuves,  qu'un  savant  in- 
terprète de  l'Ecriture  dit  être  les  deux  plus 
sûres  pour  reconnaître  la  solidité  de  la  vertu  : 
ce  sont  celles  dont  le  Sage  dit  que  les  impies 
se  servent  contre  le  juste  :  luterrogeons-le 
par  les  outrat/cs,  afin  que  nous  reconnaissions 
quelle  est  sa  douceur,  et  que  nous  fassions  l'é- 
preuve de  sa  patience. 

Or,  voici  les  deux  épreuves  où  Dieu  mil  la 
sainteté  de  Geneviève  :  il  l'éprouva  par  une 
maladie  horrible  ;  il  l'éprouva  par  des  ca- 
lomnies effroyables.  Vous  savez  sans  doute 
que  Dieu  permit  que  celle  sainte  fille  tombât 
dans  une  effroyable  maladie  :  elle  fut  frap- 
pée d'une  lèpre  terrible,  qui  l'exposa  à  d'é- 
tranges épreuves  ;  car,  sans  m'arrêler  à  vous 
faire  une  affreuse  peinture  de  cet  horribie 
mal,  je  me  contenterai  seulement  de  vous 
dire  que,  pour  en  concevoir  une  idée  qui  ne 
vous  donne  point  d'horreur  et  qui  vous  en 
exprime  néanmoins  toute  la  cruauté,  il  la 
faut  regarder  comme  celle  que  l'Ecriture 
nous  présente  cl  dont  le  démon  frappa  le 
saint  homme  Job.  Nous  lisons  qu't'/  fut  frap- 
pé d'un  ulcère  effroyable  depuis  les  pieds  jus- 
qu'à la  tête.  Saint  Grégoire  nous  averlit,  sur 
cet  endroit  de  l'Ecriture,  qu'il  y  a  deux  cho- 
ses à  considérer,  qui  marquent  toute  l'éten- 
due de  cette  maladie  :  1°  sa  qualité  ;  c'est  le 
dernier  et  le  plus  horrible  du  tous  les  maux. 
Vous  concevez  aisément  ce  que  c'est  que  la 
lèpre.  2"  Son  étendue;  il  n'y  a  nulle  partie 
qui  n'en  soit  infectée  cl  qui  ne  seule  de  la 
douleur.  Voilà  la  nature  de  l'épreuve  que 
Dieu  donne  à  la  veitu  de  notre  illustre 
sainte.  Ouels  durent  être  ses  sentiments, 
pour  porter  cette  croix  aussi  longtemps 
qu'elle  a  fait  et  avec  autant  de  perfection  ! 

Mais  pour  entrer  un  peu  dans  le  détail  de 
cette  circonstance,  et  vous  faire  voir  com- 
bien est  grande  l'épreuve  d'une  maladie 
longue  et  fâcheuse  ,  disons  qu'elle  nous  ex- 
pose ordinairement  à  des  dangers  dont  on 


ORATEURS  SACHES.  DOM  JEROME.  «Zî 

ne  se  tire  que  par  le  secours  d'une  grande 
verlu. 

Elle  nous  expose  à  l'impatience  ;  surtout 
quand  les  maux  sont  el  longs  et  cruels; 
car  pour  lors  il  est  bien  difficile  qu'on  ne  e 
plaigne  de  la  violence  de  ces  maux,  et  qu'où 
ne  s  impatiente  dam  leur  durée. 

Elle  nous  expose  au  relâchement  ;  il  est 
bien  diflicile  qu'on  n'écoule  un  peu  trop  la 
nature  qui  cherche  à  se  soulager,  et  que,  par 
une  condescendance  intéressée  pour  ceux 
qui  nous  sollicitent  à  le  faire,  nous  ne  quit- 
tions les  exeicices  de  piété  et  de  pénitence 
que  nous  pratiquions  durant  la  santé  ,  pour 
nous  nietlre  dans  une  vie  plus  douce  ,  sous 
un  prélexie  qui  esl  quelquefois  légitime,  qui 
même  peut  être  nécessaire  dans  les  rencon- 
tres ,  mais  qui  est  souvei.t  suspect ,  parce 
qu'on  le  porte  trop  loin.  En  effet,  la  mtladie 
même  que  Dieu  nous  envoie  nous  tient  lieu 
de  l'austérité  que  nous  interrompons. 


Elle  nous  expose  au  changement  :  car 
quand  on  a  donné  entrée  à  cette  délicatesse 
qui  nous  a  fait  interrompre  nos  exercices  de 
pénitence,  non-seulement  on  ne  les  reprend 
plus  qu'avec  peine  ,  mais  on  est  encore  bien 
tenté  de  se  laisser  persuader  que  ces  mêmes 
exercices,  qu'il  a  clé  nécessaire  de  quitter 
durant  le  cours  du  mal  pour  guérir,  pour- 
raient bien  en  avoir  été  la  cause,  et  qu'ainsi 
on  doit  par  prudence  y  apporter  quelque 
modération  pour  s'empêcher  d'y  retomber. 
Voilà  le  grand  chemin  au  relâchement  ,  el 
voilà  le  péril  que  court  la  vertu  durant  les 
maladies,  même  quand  elles  sont  faibles.  H 
est  vrai,  cependant,  mes  frères,  qu'une  verlu 
forte  et  solide  se  lire  de  ces  dangers  qui 
n.e  sont  pour  elle  que  des  épreuves  qui  en 
dérouvrent  la  solidité  et  qui  la  mettent  dans 
toul  son  jour.  Car  elle  lienl  l'âme  dans 
une  parfaite  tranquillité  contre  l'impatience; 
elle  la  tient  dans  une  égale  sévérité  contre 
le  relâchement,  et  sa  constante  uniformité  la 
met  à  l'abri  contre  le  changement 

C'est  ce  que  la  grâce  de  Jesus-Christ  a 
fait  dans  sainte  Geneviève  :  elle  est  demeu- 
rée tranquille  ,  paisible  ,  résignée  ,  soumise 
dans  les  plus  grandes  violences  de  son  mal  , 
et  toutes  ses  impatiences  se  sont  apaisées 
sans  causer  aucun  trouble  dans  son  âme  , 
quand  elle  a  comparé  ses  maux  à  ceux  que 
son  époux  avait  soufferts  pour  elle.  Ainsi  je 
puis  dire  d'elle  ce  que  saint  Grégoire  a  dit  du 
sainl  homme  Job. On  peut  juger  de  la  grandeur 
de  sa  sainteté  par  l'étendue  de  sa  patience 
au  milieu  d'un  horrible  mal  qui  ne  laisse  pas 
une  seule  partie  de  son  corps  sans  son  tour- 
mcnl  particulier. 

Elle  a  conservé  dans  sa  plus  grande  fai- 
blesse, et  dans  les  défaillances  où  son  mal 
l'exposait,  celle  austérité  qu'elle  a  gardée 
durant  toute  sa  vie  .  point  de  relâche,  point 
de  soulagement;  le  pain  et  l'eau  font  toute  sa 
nourriture  et  toute  sa  douceur  dans  les  lan- 
gueurs et  les  dégoûts  que  lui  causait  son 
mal.  Il  esl  vrai  que  l'on  ne  peut  donner 
celte  conduite  pour  on  exemple  qu'il  faille 
suivre.  I  oui  le  monde  i,c  le  peut  pas;  mais, 
comme  Terlullicu  l'a  dit,  si  tous  les  hommes 


233 


&ERMON  POUU  LA  FETE  DE  SAINTE  GENEVIEVE. 


234 


ne  peuvent  pas  se  couronner  d'épines  pour 
imiter  le  couronnement  du  Sauveur  du 
monde ,  ils  doivent  au  moins  ne  pas  se  cou- 
ronner de  roses  pour  ne  point  déshonorer  le 
supplice  d'un  Dieu  par  une  mollesse  indigne 
d'un  chrétien.  Ainsi ,  mes  frères  ,  si  nous  .ne 
pouvons  pas  être  austères  dans  la  maladie 
comme  sainte  Geneviève  ,  nous  ne  devons 
pas  être  sensuels,  voluptueux,  délicats,  éloi- 
gnés de  l'esprit  de  pénitence  qui  duit  régner 
dans  toute  la  vie  d'un  chrétien. 

Où  Irouvons-nous  des  gens  qui  demeurent 
paisibles  et  tranquilles  dans  les  maux  dont  il 
a  plu  à  Dieu  d'éprouver  leur  vertu  ?  Com- 
bien d'inquiétudes  ,  de  murmures  ,  d'impa- 
tiences! On  exagère  les  moindres  maux  ,  on 
n'a  point  d'expressions  assez  fortes  pour  les 
expliquer.  Ils  sont  cruels,  ils  sont  extrêmes, 
ils  sont  insupportables.  11  est  rare  de  trouver 
des  gens,  même  parmi  les  plus  vertueux,  qui 
porlent  leurs  maux  non-seulement  sans  se 
plaindre,  mais  sans  les  exagérer  jusqu'à 
l'excès. 

Combien  de  délicatesse  pour  éviter  jus- 
qu'aux moindres  choses  qui  peuvent  inté- 
resser la  santé  le  moins  du  monde  !  L'air,  le 
vent,  le  bruit,  le  chaud,  le  froid,  on  prend 
des  soins  extrêmes  pour  éloigner  tout  ce 
qu'on  s'imagine  qui  peut  nuire.  On  passe 
par-dessus  les  lois  de  l'Eglise,  dans  la  seule 
idée  que  leur  observation  peut  incommoder. 
Nous  nous  formons  mille  nécessités  que  nous 
voyons  seuls,  et  que  nous  admirons  que  les 
autres  ne  voient  pas.  On  fait  tout  ce  qu'on 
peut  pour  donner  des  marques  de  la  fai- 
blesse de  sa  foi  ,  et  pour  sauver  la  vie  du 
corps  on  risque  celle  de  l'âme;  on  étouffe  le 
nouvel  homme  pour  ne  pas  laisser  mourir  le 
vieux.  Nous  demandons  à  Dieu  que  son 
royaume  arrive  ,  et  nous  faisons  tous  nos 
efforts  pour  n'y  pas  entrer,  et  pour  nous  en 
éloigner  quand  il  veut  nous  l'ouvrir. 

Mais  notre  grande  sainte  n'a  pas  seulement 
passé  par  celte  épreuve,  elle  a  soutenu  celle 
de  la  calomnie, qu'on  peut  appeler  véritable- 
ment la  pierre  de  touche  de  la  sainteté.  Elle 
a  toujours  inspiré  de  la  terreur  au  juste  , 
qui  demande  à  Dieu  par  la  bouche  de  son 
prophète  d'en  être  délivré  :  Seigneur,  déli- 
vrez mon  âme  des  lèvres  des  injustes  et  de  In 
langue  trompeuse.  C'est  ce.  qui  fait  dire  à 
saint  Augustin  que  la  calomnie  est  dure  et 
pénible  aux  plus  saints  ;  et  c'est  aussi  ce 
qui  engage  Salomon  à  nous  dire  que  la  ca- 
lomnie trouble  le  sage  et  abat  la  fermeté  de 
son  coeur;  celle  épreuve  est  donc  terrible  et 
redoutable  même  ;iu  juste. 

Ne  nous  en  étonnons  pas,  mes  frères;  voici 
les  effets  qu'il  en  faut  craindre,  et  le  péril  où 
elle  nous  expose  :  elle  nous  abat  et  porte 
notre  esprit  au  découragement;  elle  débau- 
che notre  cœur  el  nous  porte  au  relâche- 
ment. En  effet,  il  est  certain  que  rien  n'est 
.  si  capable  de  troubler  un  homme  sage  qui 
est  véritablement  à  Dieu,  et  d'abattre  la  fer- 
meté de  son  cœur,  que  lorsque  l'on  noircit 
sa  réputation  par  des  calomnies,  cl  qu'on  le 
fait  passer  pour  un  ennemi  de  la  foi  et  de  la 
justice,  lui  qui  se  sent  porté  à  donner  sa  \  io 
Orateurs  sacrés.  XXX. 


pour  l'un  et  pour  l'autre  ;  el  ce  qui  fait  qui: 
la  calomnie  nous  détourne  du  service  de 
Dieu,  c'est  que  lorsqu'elle  a  abattu  notre  es- 
prit et  qu'elle  l'a  plongé  dans  la  tristesse  et 
le  découragement ,  le  démon  se  sert  de  celle 
mauvaise  disposition  pour  nous  porter  au  vice 
el  au  péché,  sous  le  prétexte  que  nous  neper- 
dons  rien  en  faisant  les  choses  dont  on  nous 
soupçonne,  et  qu'il  n'y  a  point  de  risques  à 
courir  pour  notre  réputation  ,  en  devenant 
véritablement  ce  qu'on  nous  croit  être,  puis- 
qu'on nous  traite  déjà  comme  si  nous  l'étions. 

Voilà  l'épreuve  où  le  démon  mit  la  verlu 
de  notre  sainte.  Saint  Paulin  l'appelle  le  der- 
nier filet  que  le  démon  réserve  pour  surpren- 
dre les  âmes  des  justes  ;  mais  ,  comme  re- 
marque irès-bien  saint  Jérôme,  la  calomnie 
ne  trouble  pas  l'esprit  du  véritable  sage,  car 
pour  le  juste  qui  est  affermi  dans  la  piété,  et 
qui  n'a  point  d'autres  intérêts  que  ceux  de 
Jésus-Christ ,  il  résiste  à  cette  tentation 
comme  à  toutes  les  autres  ,  par  la  grâce  de 
celui  qui  le  soutient.  Elle  ne  sert  même  qu'à 
découvrir  davantage  sa  vertu  ;  c'est  la  véri- 
table marque  de  la  fidélité  que  l'on  a  pour 
Dieu,  et  le  vrai  moyen  de  se  convaincre 
qu'on  le  sert  pour  lui  seul ,  qu'on  méprise 
les  hommes  ,  qu'on  n'agit  que  par  la  foi  ; 
Dieu  permet  souvent  que  les  justes  soient 
punis  par  leur  propre  vertu  ,  et  qu'on  les 
noircisse  par  de  fausses  accusation:),  au  lieu 
des  louanges  qu'ils  ont  méritées.  11  faut  alors 
rentrer  en  soi-même  :  une  âme  qui  sait  ce 
qu'elle  est  devant  Dieu  doit  être  peu  tou- 
chée de  ce  qu'elle  n'est  point  ;  et  s'il  ne  s'a- 
git surtout  que  de  motifs  el  de  sentiments 
intérieurs,  elle  ne  doit  avoir  que  du  mépris 
pour  de  faux  reproches  qu'elle  voit  détruits 
par  la  sincérité  de  son  cœur  et  par  le  témoi- 
gnage de  sa  conscience.  C'est  ce  que  nous 
voyons  dans  la  conduite  de  notre  sainte  :  le 
démon  la  rend  suspecte,  elle  passe  pour  une 
hypocrite,  même  pour  une  sorcière  ;  on  va 
jusqu'à  attenter  à  sa  vie.  Que  fait  la  grâce 
en  elle?  Elle  lui  fait  reconnaître  que  c'est 
Dieu  qui  permet  qu'on  la  traite  ainsi,  et  bien 
loin  de  se  plaindre  ou  de  faire  de  grands 
discours  pour  sa  justification  ,  comme  ferait 
une  fausse  ou  médiocre  vertu,  clic  dit  comme 
le  Prophète  :  Ils  me  maudiront,  Seigneur,  et 
vous  me  bénirez;  gue  ceux  qui  s'élèvent  con- 
tre moi  soient  couverts  de  honte  ;  mais  votre 
serviteur  sera  dans  la  joie.  Elle  lui  fait  con- 
naître que  c'est  une  gloire  pour  elle  que  d'ê- 
tre traitée  comme  Jésus-Christ  l'a  été,  qui 
n'a  permis  qu'on  l'appelât  hypocrite,  sama- 
ritain ,  séducteur  du  peuple  ,  que  pour  con- 
soler ses  serviteurs  qui  devaient  être  traités 
de  la  sorte.  Ainsi  elle  aime  ceux  qui  la  per- 
sécutent et  qui  la  foulent  aux  pieds.  Elle  re~ 
connaît  ce  que  dit  saint  Augustin  :  Je  n'étais 
que  comme  une  grappe,  avant  que  les  hom- 
mes me  foulassent  aux  pieds;  mais  depuis 
qu'ils  l'ont  fait,  je  suis  devenue  comme  de 
bon  vin. 

Enfin  celle  grâce  lui  fait  connaître  que 
Dieu  mettra  fin  à  cette  persécution,  de  quel- 
que manière  que  ce  soil.    En  effet  il  envoie 

saint  Germain  d'Auxerre,  qai  prend  sous  sa 

8 


238 


Ull.\ïi;iKS  SACHES.  IKi.M  JLItOMh. 


protection  celle  sainte,  qui  rend  lémoignage 
a  sa  verlu,  et  qui  la  remet  dans  la  vénéra- 
lion  duc  à  sa  sainleté  ,  que  la  persécution  , 
la  maladie  et  la  calomnie  firent  paraître 
d'autant  plus  éclatante,  qu'ils  la  montrèrent 
plus  solide. 

Voilà  la  pierre  de  louche  de  la  sainteté  : 
elle  n'est  véritable  que  quand  elle  est  solide, 
et  elle  n'est  solide  que  quand  elle  a  passé  par 
les  épreuves.  Jugez-vous  là— di  ssus  ,  mes 
chers  frères,  et  îeconnaissez  quelle  est  la 
vôtre. 

Je  n'ai  pas  le  temps  de  vous  exposer  les 
couronnes  que  la  sainteté  de  Geneviève  a 
méritées.  Ouire  celle  qu'elle  possède  dans  le 
ciel,  vous  savez  de  quelle  manière  elle  est 
honorée  sur  la  terre.  Aucun  roi  ne  l'a  ja- 
mais tant  été  que  celte  simple  bergère,  que 
les  rois  mêmes  implorent  dans  leurs  besoins 
et  qui  leur  obtient  mille  grâces. 

Il  fait  bon  servir  Dieu,  mes  frères  ,  on  ne 
le  sert  jamais  en  vain  ;  et  s'il  ne  nous  ré- 
compense pas  dans  celte  vie,  c'est  un  grand 
effet  de  sa  miséricorde  de  nous  réserver  tout 
pour  l'autre;  c'est  ce  que  je  vous  souhaite  , 
au  nom  du  Père  ,  el  du  Fils  et  du  Saint-Es- 
prit. Ainsi  soit-il. 


POUR   LA  FKTE 


SERMON 

DE  L'kPIPIlâME  DE  NOTRE- 
SEIGNEUR. 


Ubi  est  qui  natus  est  rcx  JucJaeorum  ? 
Où  est  le  roi  des  Juifs  qui  est  nouvellement  né  (Matth., 
11,2)? 

L'Evangile  nous  représente  aujourd'hui 
des  effets  bien  étranges  que  produit  la  nou- 
velle de  la  naissance  de  Jésus-Christ.  Hé- 
rode  demande  où  est  le  lieu  de  cette  nais- 
sance ;  les  premiers  d'entre  les  prêtres  cl  les 
docteurs  du  peuple  se  mettent  en  devoir  de 
le  lui  apprendre  et  ils  le  cherchent  dans  les 
Ecritures;  les  mages  demandent  :  Où  est 
le  roi  des  Juifs  qui  est  nouvellement  né?  Tou- 
tes ces  différentes  personnes  se  remuent  sur 
la  nouvelle  de  cette  naissance  ;  ils  recher- 
chent tous  où  est  le  roi  des  Juifs  ,  mais  ils 
sont  animés  par  des  motifs  bien  opposés  ,  el 
nous  verrons  des  choses  étonnantes  dans  ces 
différents  caractères. 

Hérode  le  cherche  et  il  ne  le  tronve  point; 
les  prêtres  cherchent  le  lieu  de  sa  naissance, 
ils  le  trouvent,  mais  ils  n'en  profilent  pas;  les 
mages  le  cherchent,  ils  le  trouvent,  mais  ils 
ne  s'en  séparent  plus  après  l'avoir  trouvé. 
Hérode  le  cherche  et  il  ne  le  trouve  point  , 
car  il  ne  le  cherche  que  pour  le  détruire; 
les  prêtres  le  cherchent  et  ils  le  trouvent  , 
mais  ils  n'en  proGtenl  point,  parce  qu'ils  ne 
le  cherchent  que  par  des  vues  basses  d'in- 
térêt et  de  fausse  gloire  ;  les  maucs  le  cher- 
chent et  ils  le  trouvent,  et  comme  ils  le  cher- 
chent de  bonne  foi  et  dans  la  vue  de  l'hono- 
rer sincèrement ,  ils  ne  s'en  séparent  plus 
après  l'avoir  trouvé.  Or,  mes  frères,  ces  per- 
sonnes si  diQércnles  qui  se  remuent  dans 
Jérusalem  sur  la  nouvelle  de  la  naissance  du 
roi  des  Juifs,  nous  apprennent  qu'il  y  a  en- 
core et  qu'il  y   aura  toujours  dans  l'Eglise 


des  gens  qui  chercheront  lésus-ChrisI  avec 

des   \  lies  l>ieri  dillereiilCS. 

Les  libertins  le  cherchent  comme  Hérode, 
sans  le  Irouver,  parce  qu'ils  le  cherchent 
pour  le  détraire;  les  hypocrites,  et  les  bai 
ministres  de  l'Evangile  le  cherchent  connue 
les  prélres  de  Jérusalem,  ils  le  trouvent  p.mr 
les  antre*  ,  mais  ils  n'en  profilent  pai  pour 
eux-mêmes;  les  gens  de  bien  le  cherchent  el 
le  trouvent  comme  les  mages  ,  et  ils  ne  s'en 
séparent  pins  api  rèt  l'avoir  trouvé,  parce  que 
leur  recherche  est  sincère  el  qu'ils  le  veu- 
lent honorer. 

Marquons  ces  trois  différents  caractères 
pour  apprendre  a  éviter  en  IleroJe  la  re- 
cherche des  liberlios  :  première  partis;  i 
plaindre  dans  les  prélres  la  rechen  h 
hypocrites  :  deuxième  partie  ;  à  imiter  dans 
les  mages  la  recherche  des  jusles  :  troisième 
partie. 

Demandons  l'assistance  du  ciel  par  l'en- 
tremise de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  marquer 
exactement  le  caractère  de  ces  deux  espèces 
de  gens  qui  cherchent  Jèsus-Christ  dans  cet 
évangile,  mais  qui  le  cherchent  inutilement. 
Nous  n'en  parlerons  que  légèrement  ,  afin 
d'approfondir  ce  qui  regarde  la  conduite  des 
justes  qu'il  faut  imiter. 

Commençons  par  Hérode,  qui  représente 
dans  sa  recherche  celle  des  libertins  et  des 
impies  qui  ne  cherchent  Jésus-Christ  que 
pour  le  détruire,  cl  par  là  le  cherchent  inu- 
tilement. Ce  qui  (rouble  ce  prince  à  la  nou- 
velle de  la  naissance  du  nouveau  roi,  c'est 
d'abord  la  crainte  de  perdre  son  royaume  ; 
car  il  esl  dit  dans  Michée,  en  parlant  do 
Bethléem  :  C'est  de  vous  que  sortira  celui  qui 
doit  régner  dans  Israël,  dont  la  génération 
est  dès  le  commencement,  dès  l'éternité.  Et 
ensuite  la  crainte  de  perdre  la  vie,  car  les 
oracles  de  l'Ecriture  annoncent  que  ce  nou- 
veau prince  doit  être  équitable,  qu'il  rendra 
la  justice  à  tout  le  monde,  et  qu'il  punira  les 
crimes  sans.disliuclinn.  Ceu\  d'Herodc  l'ef- 
frayent, et  sa  conscience  qui  les  lui  repré- 
sente lui  fait  appréhender  la  venue  de  celui 
qui  peut  les  punir. 

Ainsi,  mes  frères,  une  double  crainte 
anime  Hérode  à  la  persécution  du  prince 
nouveau-né:  celle  de  perdre  les  biens  qu'il 
possède,  celle  de  souffrir  des  maux  qui  l'ef- 
frayent. Poussé  par  cette  passion,  il  le  cher- 
che, et  il  le  cherche  inutilement.  Or  c'est  en 
cela  qu'il  nous  représente  la  recherche  mal- 
heureuse des  impies  cl  des  libertins,  en  qui 
la  nouvelle  de  la  naissance  du  Sauveur  du 
monde  fait  les  mêmes  impressions  qu'en  ce 
malheureux  prince,  el  qu'elle  anime  à  une 
recherche  aussi  vaine. 

(Jue  les  impies  et  les  libertins  méprisent 
la  religion  et  ses  lois,  qu'ils  se  moquent  de 
ses  mystères  et  de  ses  vérités,  qu'ils  se  pi- 
quent d'une  prétendue  force  d'esprit,  qui 
n'est  qu'un  affreux  abîme  d'erreur  oà  ils  se 
plongent  volontairement  par  une  déplorable 
témérité  qui  les  porte     hasarder  souvent  les 


257 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  L'EPIPHANIE. 


258 


choses  les  plus  absurdes,  et  par  un  étour- 
dissement  affecté  qui  les  empêche  de  se  re- 
connaître ;  qu'ils  fassent,  dis-je  ,  tout  co 
qu'ils  voudront:  il  y  a  une  persuasion  qui 
vient  du  fond  de  la  nature  même,  par  la- 
quelle, indépendamment  de  nos  raisonne- 
monts  et  avant  toutes  nos  connaissances, 
nous  sommes  convaincus  par  une  lumière 
qui  naît  avec  nous  et  forcés  d'avouer  qu'il 
y  a  une  divinité  de  laquelle  nous  dépendons. 
De  là  naissent  les  lumières  qui  troublent  les 
esprits  forts  malgré  eux,  et  une  idée  de  la 
souveraineté  et  de  la  justice  de  Dieu  qui  les 
tourmente. 

Et  quoique  Dieu  punisse  les  libertins  et  les 
impies  en  retirant  d'eux  sa  vérité  cl  en  les 
abandonnant  à  leurs  ténèbres,  elle  y  laisse 
néanmoins  des  impressions ,  après  même 
qu'ils  l'ont  effacée  de  leur  cœur,  et  qu'ils  ont 
résolu  de  ne  rien  croire  de  tout  ce  qu'elle  or- 
donne. Elle  les  convainc  de  leur  malice,  elle 
déchire  leur  conscience  ;  et,  semblable  à  la 
lumière  du  soleil  qui  est  insupportable  à 
l'œil  malade  pendant  qu'elle  est  la  joie  et  la 
vie  de  l'œil  sain,  elle  les  blesse,  elle  les  of- 
fense incessamment  par  son  éclat.  Faites 
tout  ce  qu'il  vous  plaira,  voire  fortune  sera 
renversée  par  cet  enfant  nouveau-né,  il  dé- 
truira votre  fausse  grandeur  ;  vos  plaisirs 
passeront,  et  vos  crimes,  qui  ne  passeront 
point,  seront  punis  par  le  juge  que  vous  mé- 
prisez, et  de  qui  l'autorité  se  fait  sentir  en 
vous  malgré  vous-même;  et  comme  Hérode 
qui  cherche  à  le  détruire  sert  à  le  manifes- 
ter, vous  qui  sortez  de  l'ordre  par  voire  pro- 
pre volonté,  vous  y  rentrerez  malgré  vous, 
et  en  refusant  les  effets  de  sa  miséricorde,  sa 
justice  sera  manifestée. 

Qu'ils  s'écoutent  plutôt  eux-mêmes,  qu'ils 
rentrent  (Sans  leur  cœur,  qu'ils  parlent  de 
bonne  foi,  et  ils  avoueront  que  les  absurdi- 
tés où  il  faut  qu'ils  tombent  nécessairement 
en  niant  1rs  vérités  de  la  religion  sont  plus 
insoutenables  que  les  vérités  auxquelles  ils 
affectent  de  ne  se  pas  soumettre.  Ainsi  tous 
leurs  efforts  ne  peuvent  nous  découvrir  que 
leur  misère  ;  mais  ils  ne  sont  pas  sans  re- 
mède, car  la  miséricorde  de  cet  enfant  est 
encore  plus  grande  que  celte  misère.  Songez 
donc,  mes  frères,  à  vous  soumettre  à  son 
empire  et  à  vi\  re  selon  ses  lois,  si  vous  vou- 
lez sauver  et  vos  biens  et  votre  âme. 

Ce  fut  la  folie  d'Hérode  de  ne  pas  exami- 
ner les  intentions  et  les  desseins  de  ce  nou- 
veau roi.  Celui  qui  promet  des  biens  éternels 
ne  veut  pas  vous  ôter  ceex  de  cette  vie.  Ne 
vous  effrayez  point,  il  ne  vient  pas  vous  dé- 
pouiller de  vos  richesses,  il  vient  seulement 
en  régler  l'usage.  Les  mages  l'adorent  et  se 
soumettent  à  son  empire  :  il  ne  leur  ôte  pas 
leur  dignité,  au  contraire  il  les  protège,  il 
prend  soin  d'eux,  cl  il  les  reconduit  dans 
leurs  États  ;  Hérode  refuse  de  le  reconnaître, 
et  il  péril  malheureusement. 

Ouvrez  donc  les  yeux,  imitateurs  de  ce 
prince  aveugle  et  impie  ;  apprenez  qu'on  ne 
trouve  point  Jésus-Christ  quand  on  le  cher- 
che pour  le  détruire,  c'est  tout  ce  que  je  vous 


dirai  sur  cet  article;  passons  à  la  seconde 
réflexion. 

DEUXIÈME  PARTIE. 

L'étal  des  hypocrites  et  des  faux  ministres 
de  l'Evangile,  représentés  par  les  premiers 
d'entre  les  prêtres  et  les  docteurs  du  peuple, 
me  pénètre  jusqu'au  fond  du  cœur,  et  il  faut 
vous  marquer  leurs  caractères  dans  celui  de 
ces  prêtres  et  de  ces  docteurs.  Remarquons 
seulement  que  ce  qui  les  porte  à  rechercher 
le  lieu  de  la  naissance  du  Messie,  pour  con- 
tenter Hérode  qui  le  leur  demandait  en  pré- 
sence des  mages,  c'est  : 

1*  La  crainte  de  s'attirer  sa  haine,  s'ils  ne 
lui  rendent  pas  la  réponse  qu'il  leur  de- 
mande; 2°  l'envie  de  se  conserver  son  estime 
en  le  satisfaisant. 

Mais  pour  y  réussir  que  font -ils?  ils  lui 
cachent  une  partie  des  lumières  qu'ils  lirent 
des  Ecritures.  Ils  lui  disent  le  lieu  où  il  est 
né,  et  ils  lui  cachent  que  c'est  un  roi  bien 
différent  de  tous  les  rois  de  la  terre,  puis- 
qu'il est  éternel,  c'est-à-dire  un  Dieu.  Ainsi 
l'intérêt  et  l'ambition,  la  crainte  de  perdre 
et  le  désir  d'acquérir,  les  appliquent  à  la  re- 
cherche du  lieu  de  la  naissance  du  Messie  ; 
ils  le  trouvent,  ils  l'enseignent  au\  autres, 
et  eux-mêmes  ne  profitent  pas  des  lumières 
qu'ils  tirent  de  l'Ecriture  qu'ils  expliquent. 

Ces  deux  motifs  de  la  recherche  des  prê- 
tres de  notre  évangile  nous  découvrent  le 
caractère  honteux  des  indignes  ministres  de 
la  loi  nouvelle,  qui  ne  s'appliquent  à  leurs 
fonctions  que  par  des  considérations  d'inté- 
rêt et  par  des  vues  d'ambition,  et  qui,  par 
une  profanation  qu'on  ne  peut  assez  déplo- 
rer, font  servir  la  dignité  de  leur  ministère 
à  l'établissement  d'une  misérable  fortune  et 
à  la  satisfaction  de  leur  orgueil. 

Ce  que  je  dis  ici,  mes  frères,  ne  se  voit  que 
trop  souvent  à  la  honte  de  l'Evangile  et  à  la 
condamnation  de  tels  ministres.  Ce  n'est  pas 
qu'ils  ne  soient  quelquefois  remplis  des  lu- 
mières de  Dieu,  et  qu'ils  n'enseignent  fort 
bien  ses  voies  aux  hommes;  car,  comme  dit 
l'apôtre  saint  Paul,  il  a  donné  à  son  Eglise, 
les  uns  pour  être  apôtres,  les  autres  pour 
être  pasleursct  docteurs,  afin  qu'ils  travail- 
lent à  la  perfection  des  saints,  aux  fonctions 
de  leur  ministère  et  à  l'édification  du  corps 
de  Jésus-Chrisi ,  el  leurs  lumières  sont  sou-, 
vent  indépendantes  de  leur  ministère.  Ne 
prétendez  pas,  disait  saint  Jérôme,  vous  dé- 
fendre d'embrasser  la  vérité  que  je  vous  prê- 
che, parce  que  ma  vie  n'y  est  pas  conforme; 
car  j'ai  à  vous  dire,  ma  doctrine  n'est  pas  de 
moi,  c'est  de  Jésus-Christ.  En  effet,  comme 
les  canaux  qui  portent  l'eau  pour  désaltérer 
le  public  n'en  conservent  quelquefois  que  la 
fange,  de  même  le;  mauvais  ministres  peu- 
vent désaltérer  les  autres,  pendant  que  la 
soif  des  biens  de  la  terre  el  des  dignités  pé- 
îissables  les  brûle  et  les  consume. 

Ainsi,  semblables  à  ces  malheureux  l'abri- 
c.ileurs  de  l'arche  de  Noé,  qui  fournirent  à 
sa  famille  un  asile  contre  les  inondations  du 
déluge,  cl  qui  n'y  entrèrent  pas  eux-mêmes 
ils  enseignent  -tuk   hommes  les  moyeni  d'é- 


239 


OUATKIUS  SACHES.   UO.M  JLUOMi;. 


240 


viter  les  effets  de  la  colère  de  Dieu,  cl  ils  y 
demeurent  exposés. 

Semblables  encore,  dil  saint  Augustin,  à 
ces  pierres  qu'on  plantait  sur  les  grandes 
roules,  qui  montraient  le  chemin  aux  pas- 
sants, sans  sortir  du  lieu  où  elles  étaient  po- 
sées, ils  enseignent  le  bien,  et  ils  ne  le  font 
pas.  Ils  découvrent  les  voies  du  Seigneur,  et 
ils  suivent  celles  du  monde  ;  ils  montrent  aux 
justes  qui  cherchent  Jésus-Christ  sincère- 
ment, où  il  est  et  où  on  le  trouve,  et  ils  de- 
meurent dans  Jérusalem,  au  milieu  d'une 
ville  troublée  et  auprès  d'un  prince  agité  de 
ses  passions.  Ces  mauvais  docteurs  ne  lais- 
sent pas  cependant  d'être  utiles  aux  autres  : 
les  mages  lurent  très-bien  instruits  par  les 
prêtres  de  Jérusalem,  quoiqu'ils  fussent  fort 
corrompus.  Ils  apprirent  fort  exactement  où 
était  Jésus-Christ,  de  ceux  mêmes  qui  ne  se 
mirent  nullement  en  peine  de  l'aller  cher- 
cher. 

Nous  confessons  en  gémissant  qu'il  n'y  a 
que  trop  de  ces  indignes  ministres  dans  l'E- 
glise sainte  de  Jésus-Christ,  et  nos  frères 
nouvellement  réunis  à  l'unité  doivent  recon- 
naître notre  bonne  foi  sur  cet  article  comme 
sur  tous  les  autres  ;  car  enfin  nous  condam- 
nons le  mal  où  il  est. 

Non,  non,  mes  très-chers  frères,  l'Eglise 
sainte  n'autorise  point  les  désordres  de  ses 
ministres  ;  elle  punit  par  la  sévérité  de  ses 
lois  les  fautes  dont  elle  connaît  qu'ils  sont 
coupables.  C'est  pourquoi  saint  Augustin  di- 
sait aux  manichéens  :  Quittez  ces  impiétés 
dont  vous  blessez  l'honneur,  cessez  de  ca- 
lomnier l'Eglise  catholique,  cl  de  la  décrier 
en  blâmant  les  mœurs  de  ceux  qu'elle  con- 
damne elle-même,  et  qu'elle  s'efforce  tous 
les  jours  de  corriger  comme  de  mauvais  en- 
fants. Voilà  en  effet  l'esprit  de  l'Eglise  et  la 
véritable  situation  de  ses  enfants.  Sans  con- 
fondre la  dignité  avec  la  personne  qui  la 
déshonore,  nous  honorons  l'aulorilé  et  nous 
en  condamnons  l'abus.  Aussi  n'a— t-il  jamais 
été  raisonnable  de  mépriser  le  ministère 
parce  que  le  ministre  s'est  rendu  digne  de 
mépris.  Non,  mes  frères,  jamais  il  n'a  été 
raisonnable  d'abandonner  la  maison  de 
Dieu  pour  se  retirer  dans  celle  d'un  étran- 
ger, à  cause  que  ses  ennemis  domestiques 
en  auraient  sali  le  dehors.  Ces  ministres 
aveugles  dont  nous  venons  de  parler  sont 
dignes  de  notre  compassion  ;  car,  après  avoir 
enseigne  par  intérêt,  comme  le  dit  un  pro- 
phète, ils  se  reposent  en  disant:  Le  Seigneur 
ri est-il  ]><is  (tu  mili'.u  de  nous?  et  ils  demeu- 
rent en  repos  à  la  veille  d'être  confondus  et 
frappes  de  la  main  de  Dieu. 

Prions  pour  eux,  mes  très-chers  frères, 
afin  qu'ils  se  corrigent  par  leur  bonne  vo- 
lonté et  par  l'assistance  de  Dieu,  et  qu'ils  re- 
couvrent par  la  pénitence  ce  qu'ils  ont  perdu 
par  leurs  péchés.  Examinons  présentement 
la  voie  des  justes  dans  la  recherche  des  ma- 
ges. C'est  la  dernière  réflexion. 

THOISIÎ:VIE   I'AHTIE. 

La  recherche  des  mages  donne  une  excel- 
lente idée  de  celle  des  justes  que  nous  de- 


vons nous  proposer  pour  modèle,  par  la  fa- 
cilite qu'ils  ont  eue  à  s'engager  dans  cette 
recherche,  par  leur  constance  à  la  sou- 
tenir, par  leur  dévouement  plein  et  entie.- 
à  celui  qu'ils  ont  trouvé:  tout  l'ordre  du 
salut  est  aisé  à  remarquer  dans  ce  que  nous 
venons  de  dire;  car  il  consiste,  1°  à  suivre  la 
lumière  qui  se  montre  à  nous,  cl  à  obéir  a 
la  voix  du  ciel  qui  nous  prévient  en  nous 
appelant:  ±  à  mépriser  le  monde  qui  s'y  op- 
pose, et  à  détruire  les  ob-lacles  qu'il  y  forme; 
3°  à  se  livrer  pleinement  à  Jésus-Christ,  et 
à  ne  rien  ménager  pour  assurer  et  aiïcrmir 
notre  attachement  à  lui. 

Et  d'abord  les  mages  se  mettent  en  devoir 
d'aller  chercher  le  Sauveur  du  monde  aussi- 
tôt qu'ils  s'y  sentent  appelés.  Celte  prompti- 
tude est  assurément  merveilleuse,  si  l'on  fait 
réflexion  sur  la  faiblesse  de  l'attrait  qui  les 
appelle  ,  et  sur  la  force  des  en" a 
qu'il  fallait  rompre  pour  le  suivre.  En  effet 
cet  attrait,  c'est  une  étoile  que  Dieu  fait  na- 
raîlre  ;  donnez-lui  telle  qualité  qu'il  vous 
plaira,  après  tout  c'est  une  étoile,  et  l'attrait 
paraît  toujours  bien  faible.  Dieu  leur  parle 
intérieurement  par  sa  grâce,  comme  le  dit 
saint  Chrysostome,  et  il  fallait  bien  que  la 
chose  fût  ainsi  ;  car  il  n'y  a  que  la  grâce  du 
Père  qui  nous  attire  par  le  Fils  qu'il  a  en- 
voyé -,  mais  obéir  à  la  première  *oix  de  la 
grâce  qui  parle  dans  le  cœur,  quelle  gloire 
pour  ceux  qui  suivent  avec  une  si  grande 
promptitude  l'attrait  de  Dieu  qui  les  appelle  ! 

Mais  quelle  confusion  pour  nous  qni  ré- 
sistons depuis  si  longtemps  aux  attraits  dont 
la  miséricorde  de  Dieu  se  sert  pour  nous  ap- 
peler !  Considérons  un  peu  notre  état,  et 
examinons-nous  pour  nous  humilier  et  pour 
nous  confondre.  Combien  les  moyens  dont 
Dieu  s'est  servi  pour  nous  soumettre  à  son 
empire  sont-ils  plus  forts  que  ceux  qu'il  a 
employés  pour  amener  les  rois  à  l'élable  ! 
Jésus-Christ  est  reconnu,  et  nous  l'adorons; 
la  religion  est  établie,  et  nous  l'embrassons; 
les  vérités  sont  reçues,  et  nous  les  croyons. 
Voilà  assurément  des  avantages  que  les  ma- 
ges n'avaient  point  quand  ils  ont  suivi  l'é- 
toile pour  aller  se  soumettre  au  roi  qui  ve- 
nait de  naître. 

De  quoi  s'agit-il  pour  nous,  mes  irères? 
d'imiter  celui  que  nous  adorons  ,  de  garder 
les  lois  de  la  religion  que  nous  avons  em- 
brassée ,  de  pratiquer  les  vérités  que  nous 
avons  reçues  ;  en  un  mol  nous  vous  deman- 
dons des  choses  sans  lesquelles  vous  conve- 
nez avec  nous  qu'il  est  impossible  d'être 
sauvé. 

Depuis  combien  de  temps  Dieu  nous 
pressc-t-il  de  satisfaire  à  ces  indispensables 
devoirs,  par  des  mouvements  intérieurs  qui 
nous  agitent  et  qui  nous  troublent,  par  des 
prédications  et  des  avertissements  qui  de- 
vraient nous  engager,  par  des  afflictions  et 
des  amertumes  qui  nous  dégoûtent  de  tout, 
et  qui  nous  font  sentir  le  vide  cl  l'amertume 
do  monde  que  nous  ne  quittons  po  ni?  Mais. 
me  tiirez-vous,  c'est  la  grâce  qui  a  fait  mar- 
«  lier  les  mages  :  donnez-moi  une  grâce  sem- 
blalle  à  celle  des  mages,  cl  je  fciai  ce  qu'ils 


241 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  L'EPIPHANIE. 


2:» 


ont  fait.  Dieu,  mes  frères,  la  donne  comme 
il  lui  plaît;  mais  il  ne  nous  sera  jamais  per- 
mis de  rejeter  sur  lui  ce  qui  n'est  qu'un  effet 
de  notre  dureté  et  de  notre  obstination;  car 
nous  avons  reçu  de  très-grands  secours  de 
sa  miséricorde,  et  nous  les  avons  méprisés, 
et  il  n'y  a  pas  un  de  nous  qui  ose  dire  qu'il 
a  fait  tout  ce  qui  a  dépendu  de  lui  pour  mé- 
nager les  secours  qu'il  a  reçus.  Aussitôt 
qu'ils  ont  vu  l'étoile  ils  quittent  tout,  et  ils 
viennent  le  chercher  où  il  est  :  c'est  là  noire 
malheur  ;  l'étoile  paraît,  et  nous  ne  la  sui- 
vons pas. 

Il  faut  aller  chercher  Jésus-Christ  où  il  est, 
il  n'est  pas  dans  le  lieu  d'où  il  nous  tire,  il 
en  faut  sortir.  Voyez  les  pauvres  bergers  qui 
apprennent  la  naissance  de  Jésus-Christ, 
aussitôt  ils  quittent  tout  :  Passons  à  Bethléem. 
Si  nous  avions  suivi  cette  première  grâce, 
nous  en  aurions  mérité  une  plus  forte. 

Ainsi,  pleins  d'ingratitude  pour  Dieu,  abu- 
sant de  ses  secours  ordinaires,  nous  atten- 
dons qu'il  fasse  pour  nous  ce  qu'il  ne  doit 
faire  que  pour  ceux  qui  l'aiment  ;  n'est-ce 
pas  ajouter  encore  à  l'infidélité? 

Mais  mille  choses  s'opposent  à  celte  fidé- 
lité :  il  y  a  des  difficultés  à  vaincre  et  des 
obstacles  à  surmonter  dont  on  ne  devient 
pas  maître  aisément.  Pouvez-vous  dire,  mes 
frères,  qu'il  y  ait  rien  de  comparabledans  cet 
obstacle  à  ce  qui  devait  d'abord  arrêter  les 
rois  ?  Tout  s'oppose  à  l'obéissance  qu'ils 
rendent  à  la  voix  de  Dieu  :  leur  religion, 
leur  profession,  leur  état.  Ils  sont  idolâtres, 
voilà  l'obstacle  de  la  religion  ;  ils  sont  ma- 
ges, voilà  celui  de  leur  profession  ;  ils  sont 
rois,  voilà  celui  de  leur  état.  Cependant  ni 
leur  religion,  ni  leur  profession,  ni  leur  état, 
ne  sont  pas  capables  de  les  arrêter  ;  ils  vont, 
ces  idolâtres,  chercher  un  Dieu  pour  l'adorer 
dans  son  anéantissement.  Ils  n'écoutent  point 
les  sages  et  les  philosophes  :  les  lumières  et 
les  oppositions  de  la  raison  et  du  bon  sens, 
si  contraires  en  apparence  à  ce  qu'ils  entre- 
prennent, ne  les  retiennent  point.  Ces  prin- 
ces risquent  tout  pour  aller  se  rendre  escla- 
ves d'un  enfant  qui  naît  dans  la  misère  et 
dans  la  pauvreté. 

Or,  mes  frères,  qu'y  a-l-il  dans  ce  qui  nous 
retient  qui  ait  quelque  rapport  avec  ces 
obstacles?  Si  nous  considérions  les  vues  que 
la  religion  nous  donne  sur  les  choses  pré- 
sentes que  l'expérience  nous  fait  connaître, 
et  sur  les  futures  que  la  foi  nous  promet;  si 
nous  examinions  en  gens  sages  ce  que  nous 
possédons  en  celte  vie,  et  si  nous  regardions 
en  chrétiens  ce  que  nous  espérons  dans  l'au- 
tre, nous  aurions  honte  d'avouer  publique- 
ment ce  qui  nous  arrête.  Appliquons-nous 
donc  à  ce  qui  nous  retient,  cela  se  peut-il 
comparer  avec  ce  que  nous  espérons  ?  Aban- 
donner Dieu,  résister  à  sa  voix,  rejeter  sa 
grâce,  risquer  son  salut;  et  cela  pourquoi? 
Pour  rien.  Quelle  faiblesse  1  quelle  misère  l 
quel  avcuglcmentl  lin  veiilé,  il  est  surpre- 
nant qu'avec  toutes  les  raisons  que  nous 
avons  de  mépriser  le  monde,  et  ce  que  nous 
en  disons  nous-mêmes  tous  les  jours,  on  s'y 


attache  et  qu'on  ne  veuille  pas   le   quitter 
malgré  toutes  ses  amertumes. 

Ouvrons  donc  les  yeux,  rien  n'est  digne 
de  nous  attacher  que  ce  qui  peut  nous  ren- 
dre heureux;  rien  ne  peut  nous  rendre  heu- 
reux que  ce  qui  est  meilleur  que  nous;  rien 
n'est  meilleurque  ce  qui  est  éternel  etdivin; 
car  tout  ce  qui  est  mortel  passe,  et  nous 
sommes  immortels. 

Allons,  mes  frères,  un  peu  d'efforts;  quit- 
tons ce  qui  nous  quittera;  un  instant  qui  ne 
peut  pas  être  fort  éloigné  va  nous  montrer 
une  nouvelle  terre,  et  alors  ce  que  nous  au- 
rons cru  de  plus  important  dans  celle-ci  ne 
nous  paraîtra  qu'une  vapeur.  Le  ciel  mérite 
bien  qu'on  se  fasse  quelque  violence;  on  ne 
saurait  y  aller  que  par  celte  voie  ;  on  en  est 
même  récompensé  dès  cette  vie  par  la  paix 
dont  jouit  une  âme  chrétienne  qui  suit  l'at- 
trait de  la  grâce  comme  les  mages,  et  qui 
marche  dans  les  voies  de  Dieu.  On  y  trouve 
des  obstacles,  mais  pour  apprendre  à  les 
vaincre  il  faut  jeter  les  yeux  sur  la  constance 
dont  ils  nous  ont  donné  l'exemple  dans  la 
recherche  qu'ils  ont  faite  du  roi  nouvelle- 
ment né. 

Or  il  est  certain  que  la  fidélité  de  ces  saints 
mages  fut  exposée  à  de  grandes  épreuves 
dans  la  recherche  qu'ils  faisaient  du  Sau- 
veur; car,  ayant  quitté  leur  pays  pour  obéir 
à  la  voix  de  Dieu,  et  ayant  fait  un  assez  long 
voyage  pour  venir  chercher  celui  dont  la 
naissance  leur  avait  été  annoncée  par  l'étoile 
qui  les  conduisait,  ils  devaient  croire  qu'il 
était  dans  le  lieu  où  l'étoile  avait  disparu,  et 
que  Jérusalem  était  le  terme  de  leur  voyage. 
Cependant,  quand  ils  entrent  dans  cetle 
grande  ville  et  qu'ils  s'informent  où  est  le 
roi  des  Juifs  qui  est  nouvellement  né,  cha- 
cun les  regarde,  et  personne  ne  sait  que  leur 
répondre. 

Que  devaient-ils  penser  en  se  voyant 
abandonnés  de  cette  manière?  Ne  devaient- 
ils  pas  croire  que  celui  qui  les  avait  appe- 
lés avait  abusé  de  leur  crédulité,  et  que,  les 
ayant  conduits  par  une  étoile  qui  ne  parais- 
sait plus,  il  les  avait  tirés  de  leur  pays  pour 
les  livrer  entre  les  mains  d'un  prince  cruel 
de  qui  ils  devaient  tout  appréhender?  Celle 
circonstance  est  très-considérable  dans  l'é- 
preuve où  Dieu  met  leur  fidélité  ;  car  Hé- 
rode  était  un  prince  intéressé  ,  fier  et  cruel. 
11  lut  troublé,  dit  l'Evangile,  quand  il  apprit 
la  naissance  du  nouveau  roi;  il  pouvait 
craindre  raisonnablement  el  pour  lui-mémo 
et  pour  ses  enfants.  Ces  princes  lui  annon- 
çaient la  naissance  du  roi  des  Juifs;  ils  ne 
pouvaient  la  prouver  que  par  l'étoile  qui  les 
avait  conduits;  elle  a  disparu.  Il  pouvait 
très-bien  les  prendre  pour  des  gens  qui  vien- 
nent sous  ce  prétexte  étudier  sa  contenance 
pour  le  surprendre.  Ce  sont  des  princes  qu'il 
doit  respecter,  mais  ce  sont  des  ennemis 
d'autant  plus  redoutables  ;  et  quelque  res- 
pect qu'on  leur  rende,  on  n'en  garde  guère 
avec  des  gens  qu'on  doit  craindre  quand  on 
est  plein  d'ambition.  C'est  à  <  es  épreuves  que 
Dieu  met  la  fidélité  de  nos  saints  uiages  ; 
mais  comme  il  les  soutient  toujours  par  la 


148  ORATEURS  SACHES.  DOM  JEROME 

?;râce  qui  les  a  appelés,  cl  que  leur  fidélité  à 
,i  uivre  les  a  rendus  dignes  qu'il  l'augmen- 
Iflt,  il  ne  les  met  à  ces  ('-preuves  <|iie  pour 
faire  paraître  leur  constance  avee  plus  de 
gloire.  Ainsi,  nies  frères,  rien  n'est  capable 
de  les  ébranler  dans  la  résolution  de  cher- 
cher le  nouveau  roi.  Le  témoignage  qu'ils 
ont  dans  leur  cœur  de  la  naissance  du  nou- 
veau roi  remporte  sur  l'impossibilité  appa- 
renle  de  le  trouver;  l'étoile  qui  a  disparu  les 
conduisait,  mais  la  grâce  de  Dieu  les  Faisait 
marcher. 

Ainsi  ils  n'ont  pas  compté  absolument  sur 
cette  étoile  qui  pouvait  disparaître;  mais  ils 
se  ont  appuyés  sur  la  parole  intérieure  de 
celui  qui  ne  peut  l.omper.  Ils  ne  ciaignent 
ni  la  colère  de  ce  peuple,  ni  la  tyrannie  de 
leur  roi.  Ils  publient  ce  qu'ils  ont  vu,  et 
lorsqu'il:;  interrogent  les  prêtres  sur  la  nais- 
sance du  nouveau  roi,  ils  leur  reprochent  en 
effet  leur  indifférence  et  leur  assoupisse- 
ment sur  une  merveille  ai.ssi  importante  que 
ce  qu'ils  leur  annoncent. 
Le  reproche  qu'ils  font  aux  Juifs  et  aux 


ministres  de  leur  loi  ne  nous   regarde  pas; 


244 

main,  une  mauvaise  raillerie,  une  o,  position 
domestique,  nous  empêchent  de  poursuivre 
le  bien  que  nous  avions  commencé.  On  ne 
voit  que  des  légèretés  et  des  inconstances 
dans  la  pratique  du  bien  ;  semblable  au  ro- 
seau, on  est  porté  et  incliné  selon  ies  diffé 
rents  mouvements  des  \ents  qui  nous  agi- 
tent, et  pour  peu  qu'il  y  ait  de  concurr.  n 
entre  noire  salut  et  notre  santé,  entre  nos  in- 
térêts et  ceux  de  Dieu,  c'est  toujours  te  qui 
le  regarde  qu'on  remet,  si  on  ne  l'abandonne 
pas  absolument. 

.Mais,  mes  très-chers  frères,  si  nous  nous 
reconnaissons  dans  celle  peinture,  et  que 
notre  faiblesse  nous  ait  fait  succomber  dans 
les  épreuves  ou  il  a  plu  à  Dieu  d'exposer  no- 
tre fidélité,  relevons-nous  donc  :  l'étoile  re- 
paraîtra pour  nous  conduire;  si  nous  allons 
une  lois  où  est  Jesus-Christ.  que  ce  soit  pour 
ne  le  plus  quitter,  comme  les  mages  qui  ne 
s'en  séparent  plus  après  lavoir  trouvé.  L'E- 
vangile nous  marque  ies  sources  de  leur  at- 
tachement à  ce  di\  .n  enfant  qu'ils  trouvèrent, 
dans    ce  qu'il   dit    qu'ils   firent   en    entrant 


pas  ;      dans  l'élablc  de  Bethléem  sur  laquelle  l'étoile 
mais  celui  qu'ils  nous  font  doit  nous  confon-     s  arrêta.  Ils  se  prosternèrent,  ils  l'adorèrent, 


dre,  mes  très-chers  frères.  En  effet ,  est-ce 
ainsi  que  nous  soutenons  les  entreprises  que 
nous  avons  commencées  pour  Dieu?  Est-ce 
ainsi  que  nous  marchons  dans  ses  voies 
lorsqu'il  nous  y  fait  entrer  par  sa  grâce?  La 
moindre  difficulté  nous  arrête,  le  plus  léger 
obstacle  renverse  nos  desseins  et  nous  fait 
abandonner  nos  résolutions  :  prêts  à  sur- 
monter toutes  les  difficultés  qui  se  rencon- 
trent dans  nos  affaires  temporelles,  nous  ne 
voulons  point  en  avoir  dans  celle  de  notre 
salut.  Si  l'étoile  disparaît  un  moment,  si 
Dieu  se  cache  pour  nous  éprouver,  s'il  nous 
laisse  tomber  dans  quelque  trouble,  nous 
nous  plaignons,  nous  voulons  tout  abandon- 
ner. Quoi!  vous  qui  cherchez  Dieu,  vous 
avez  si  longtemps  été  infidèle  à  ce  Dieu  que 
vous  recherchez,  et  vous  ne  voulez  pas  qu'il 
vous  punisse  !  vous  l'avez  négligé,  ei  vous  ne 
voulez  pas  qu'il  se  venge  1  vous  êtes  tout 
rempli  de  misère,  il  est  in tî ni  dans  ses  per- 
fections,et  vous  ne  voulez  pas  qu'il  se  fasse 
acheter! 

Par  où  connaîlra-t-on  votre  constance  si 
vous  ne  voulez  rien  souffrir  dans  votre  rc- 
chcrche?Si Dieu  vousenvoieqm  lqucépreuve, 
c'est  afin  que  vous  avanciez  par  l'usage  que 
vous  en  ferez.  Sa  main  ne  vous  quittera  pas: 
vous  êtes  à  son  égard  comme  des  gens  qu'on 
jette  dans  les  (lois  de  la  mer  pour  les  préser- 
ver des  suites  fâcheuses  de  quelques  morsu- 
res venimeuses.  Souvenez-vous  qu'ilcstégalc- 
ment  votre  père  dans  tous  les  temps,  quel- 
que conduite  qu'il  tienne  à  votre  égard.  Les 
ténèbres  ,  les  abattements  ,  les  dégoûts  ,  les 
ennuis,  les  aridités,  les  découragements  ne 
vous  nuiront  pas,  pourvu  que  vous  demeu- 
riez dans  la  soumission  cl  dans  la  confiance. 
Jetez  les  yeux  sur  Abraham,  sur  Joseph,  sur 
les  mages,  ils  ont  été  plus  éprouvés  que  vous, 
mais  notre  malheur  vient  de  ce  que  tout  nous 
détourne  et  que  loul  nous  arrête  ;  une  légère 
indisposition  ,  une  affaire,   un    respect  bu- 


ils  reconnurent  leur  néant,  et  ils  admirèrent 
sa  grandeur;  les  présents  marquèrent  les 
vues  que  la  foi  leur  donne;  l'or,  la  souve- 
rainelé  et  la  royauté;  l'encens,  la  divinité; 
la  myrihe,  son  humanité.  Dons  mystérieux, 
qui  d'un  côté  nous  représentent  les  qualités 
de  l'enfant,  et  de  l'autre  les  dispositions  de 
leur  âme  el  l'amour  de  leur  cœur. 

Après  cela,  comment  s'en  fuss.  nl-ils  sépa- 
rés, étant  remplis  des  vues  de  leur  néant  et 
de  celle  de  sa  grandeur  ?  car  que  peut  deve- 
nir la  créature  qui  n'est  rien,  quand  elle  se 
sépare  de  Dieu,  par  q ui  seul  elle  est  quelque 
chose?  Si  Adam  n'eût  jamais  perdu  la  vue  de 
son  néant,  jamais  il  ne  se  lut  séparé  de  D  eu, 
cl  jamais  il  ne  fût  déchu  de  la  grandeur  où  il 
l'avait  élevé;  c'est  aussi  pour  ne  s'en  plus 
séparer  que  nos  saints  adorateurs  de  la 
grandi  ur  de  Dieu  dans  son  abaissement  lui 
consacrent  tout  ce  qu'ils  lonl  dans  les  pré- 
sents qu'ils  lui  offrirent.  En  effet,  que  signi- 
fie l'or  qu'ils  lui  présenlenl,  sinon  le  sacri- 
fice de  leur  cœur,  qui  se  donne  à  lui  par 
l'amour?  Que  signifie  l'encens,  sinon  celui  de 
leur  esprit  qu'ils  lui  soumettent  par  la  foi? 
Enfin,  que  signifie  la  myrrhe,  sinon  le  sa- 
crifice de  leur  corps  qu'ils  lui  livrent  par  la 
mortification  7  C'est  par  de  semblables  offran- 
des qu'on  se  rend  digne  de  Dieu,  et  qu'on 
s'unit  à  lui  ;  our  ne  s'en  sét  arer  jamais  ;  car 
il  ne  faut  point  espérer  d'élre  uni  à  Dieu  par 
une  pieté  solide,  si  nous  ne  sommes  pas  ani- 
mes par  une  foi  vive,  affermis  par  une  espé 
rame  inébranlable,  et  conduits  dans  tous 
no  mouvements  par  une  charité  véritable 
et  un  amour  sincère.  II  faut  que  les  lumières 
de  l'esprit,  anéanties  par  la  foi,  se  perdent 
dans  Dieu,  comme  la  fumée  de  l'encens  se 
dissipe  dans  l'air.  Il  faut  que  la  chair  et  !i  s 
sens  soient  plongés  dans  l'amer  tome  repré- 
sentée par  la  myrrhe.  Il  faut  enfin  que  le 
rcnir,  dégage  et  purifié  de  toutes  les  affec- 
tions de  la  terre,  cl   éle\e   par   l'amour  de 


245 


SERMON  POUR  LE  QUATRIEME  DIMANCHE  D'APRES  L'EPIPHANIE. 


246 


Dieu,  devienne  de  l'or  par  le  prix,  de  sa  cha- 
rité dont  il  est  la  figure. 

Ne  nous  flattons  pas  aisément,  dit  saint 
Chrysostome,  d'être  dans  ces  dispositions  à 
l'égard  du  Sauveur  du  monde,  car  il  est  aisé 
de  s'y  tromper  ;  mais  voici  une  règle  sûre  que 
ce  saint  docteur  nous  propose. 

Les  mages,  dit  ce  saint  évêque,  présentè- 
rent de  l'or  au  Sauveur  par  honneur  et 
comme  par  hommage  ;  car  il  n'en  avait  pas 
besoin  ;  mais  il  est  maintenant  dans  la  né- 
cessité, et  non-seulement  vous  ne  lui  offrez 
pas  de  î'or,  vous  lui  refusez  du  pain.  Ces 
rois  ne  se  rebutent  point  de  voir  Jésus-Christ 
pauvre,  la  foi  leur  décomre  sa  grandeur  dans 
cette  pauvreté  ;  et  vous  le  voyez  sans  habits, 
sans  retraite,  exposé  à  la  misère  et  à  toutes 
les  injures  de  la  saison  en  la  personne  du 
pauvre  :  ouest  votre  foi? 

Les  mages  de  l'Evangile  font  un  long 
voyage  pour  le  venir  adorer  étant  encore 
enfant,  et  vous  refusez  de  faire  quelques  pas 
pour  l'aller  visiter  étant  malade,  et  le  se- 
courir dans  les  prisons,  quoiqu'il  attache  la 
récompense  éternelle  à  ces  libéralités,  et 
qu'il  se  promette  lui-même  avec  toute  sa 
gloire,  pour  ces  aumônes  qu'il  vous  deman- 
de :  où  sont  votre  foi,  votre  espérance  et 
votre  amour?  Par  où  pensez-vous  tenir  à 
Jésus-Christ,  si  vous  n'y  êtes  pas  attachés 
par  ces  vertus?  Sachez,  dit  ce  saint  évêque, 
que  vous  ne  serez  les  adorateurs  de  Jésus- 
Christ  qu'en  a|  parence,  si  vous  demeurez 
dans  ces  dispositions  d'insensibilité  envers 
les  pauvres  ;  car  c'est  dans  leur  personne 
où  il  veut  être  adoré  particulièrement  par 
les  grands  du  monde,  et  leur  sanctification 
est  attachée  principalement  à  la  pratique  de 
cette  vertu. 

Retraçons-nous  sans  cesse  l'idée  delà  re- 
cherche'des  justes,  afin  qu'elle  serve  à  ré- 
gler celle  des  âmes  qui  pensent  à  le  devenir. 
Dieu  nous  appelle,  quittons  tout,  il  le  mérite 
bien  ;  que  rien  ne  nous  arrête  :  il  nous  sou- 
tiendra dans  les  diificullés  qui  se  présente- 
ront ;  remettons  entre  se9  mains  tout  ce  qui 
est  à  nous,  il  le  conservera,  c'est  un  fidèle 
dépositaire,  entre  les  mains  de  qui  tout  pro- 
fite ;  car  pour  des  choses  périssables  qu'on 
lui  confie,  il  nous  comble  de  biens  éternels. 
Je  vous  les  souhaite.  Ainsi  soil-il. 

SERMON 

rotin  le  quatrième  dimancbe  d'aphès   L'é- 
PIPIIAISIE. 

Pour  une  assemblée  de  charité. 
Sur  les  épreuves  et  les  peines  dans  cette  vie. 

M  tos  magnus  faclusesl  in  mari,  ita  ul  navicula  operi- 
rclur  Bucubul;  ipse  verodormiebat. 

//  s'éleva  sur  la  mer  une  si  mande,  tempêtl ,  que  les  (lois 
i  m  raient  la  barque;  el  pendant  ce  temps-là  Jésus  dormait 
(Mallk  ,  vnr,  24J. 

L'évangile  que  l'Eglise  nous  propose  cette 
semaine  nous  rapporte  que  Jésus-Christ, 
étant  entré  dans  une  barque  avec  ses  disci- 
ples, leur  ordonna  de  le  passer  à  l'autre 
bord  du  lac  de  Génézarcth;  mais  comme  ils 
passaient,  Jésus,  qui  était  à  la  poupe,  s'y 
endormit.  Aussitôt  il  s'éleva  une  si  grande 
tempête  sur  le  lac,  que  les  vagues  entraient 


avec  violence  dans  la  barque,  qui  se  trouva 
en  peu  de  temp.i  près  d'être  submergée.  Les 
disciples,  saisis  d'effroi,  éveillèrent  leur  Maî- 
tre, en  lui  disant  :  Seigneur,  sauvez-nous, 
nous  pe'rissons. 

Celte  circonstance  de  la  vie  du  Sauveur  du 
monde,  et  le  danger  où  se  trouvent  ses  dis- 
ciples en  sa  compagnie,  nous  représentent 
l'état  et  le  danger  où  nous  sommes  sous  les 
yeux  de  Jésus-Christ.  La  barque  est  frap- 
pée par  une  terrible  tempête,  les  vents  souf- 
flent violemment,  les  flots  se  multiplient  avec 
violence,  et  la  barque  en  est  presque  cou- 
verte. 

Instruisons-nous  sur  ces  événements.  Ré- 
veillons Jésus-Christ,  excitons  notre  foi,  et 
apprenons  dans  cet  entrelien,  1*  que  Dieu 
ne  permet  les  tempêtes  et  les  épreuves  que 
par  un  effet  de  sa  miséricorde  et  pour  notre 
sanctification  :  première  partie;  2°  quelle 
est  la  faiblesse  de  notre  foi  qui  les  y  rend 
contraires  el  qui  nous  effraye  :  deuxième 
partie  ;  3u  qu'il  faut  donc  recourir  à  Jésus- 
Chnist,  adorer  sa  conduite  sur  nous,  et  en- 
trer dans  les  desseins  de  sa  miséricorde  pour 
en  profiter  :  troisième  partie.  Demandons 
les  lumières  de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

L'ouvrage  de  notre  sanctification  est  pré- 
cisément l'ouvrage  de  lamiséricordedeDieu  : 
ainsi  nous  devons  regarder  tout  ce  qui  con- 
tribue à  la  consommation  de  cet  ouvrage 
comme  renfermé  dans  l'ordre  de  cette  misé- 
ricorde. Or,  mes  frères,  les  tempêtes  et  les 
grandes  épreuves  sont  nécessaires  pour  la 
consommation  de  l'ouvrage  de  notre  sancti- 
fication. Nous  devons  les  envisager  comme 
de  favorables  effets  de  cette  grande  miséri- 
corde. Voici  quel  a  été  le  langage  des  apô- 
tres envoyés  pour  fortifier  le  courage  des 
disi  iples  nouvellement  engagés  dan9  le  chris- 
tianisme :  c'est,  disent-ils,  par  beaucoup  de 
peines  et  de  souffrances  que  nous  devons  en- 
trer dans  le  royaume  de  Dieu. 

Telle  est  la  doctrine  qu'ils  ont  enseignée 
à  cette  Eglise  dont  nous  avons  le  bonheur 
d'être  les  membres,  et  en  effet  il  n'y  a  de 
salut  pour  nous  que  par  là,  c'est  dans  les 
souffrances  que  nous  trouverons  noire  sanc- 
tification. L'homme  innocent  serait  allé  à 
Dieu  par  la  voie  du  repos,  du  plaisir  et  do 
la  grandeur  ;  le  pécheur  ne  peut  plus  l'at- 
teindre que  par  la  voie  du  travail,  de  l'anéan- 
lissemeni,  des  souffrances ,  du  dépouille- 
ment, de  la  pauvreté,  au  moius  dans  la  pré- 
paration du  cœur,  que  Dieu  prend  plaisir 
d'éprouver  quelquefois  par  ces  tristes  évé- 
nements pour  connaître  sa  sincérité.  Pour 
vous  donner  la  raison  de  tout  ce  que  j'avance 
ici,  mes  chers  frères,  jetez  les  yeux  sur  le 
caractère  de  celui  qui  à  rouvert  le  chemin 
au  salut,  sur  la  qualité  de  ceux  qu'il  y  a 
fait  entrer,  sur  les  règles  qu'il  leur  a  pré- 
sentées et  sur  les  traces  qu'il  a  pris  soin  de 
leur  marquer  pour  y  arriver. 

C  est  Jésus-Christ  qui  lions  a  rouvert  le 
chemin  du  ciel.  Dieu,  dit  sainl  Paul, l'adonné 
pour  chef  à  toute  l'lï(jli$ç.  Hé  I  qu'est-ce  que 


217 


ORATEURS  SACRES.  UOM  JEROME. 


24K 


Jésus-Christ  ?  C'est,  dit  le  môme  apôtre  ,  le 
médiateur  entre  Dieu  et  les  hommes.  Comment 
s'esl-il  rendu  médiateur  entre  Dieu  et  les 
Jionimes  ?  c'est  en  rapprochant  l'homme  de 
Dieu  et  Dieu  de  l'homme,  ce  qu'il  a  fait  par 
les  mériles  infinis  de  cet  état  d  Homme-Dieu, 
par  les  humiliations,  les  rabaissements  de  sa 
vie  humaine  ,  par  le  sacrifice  de  sa  vie  ,  sa- 
crifice qui  u  réparé  la  gloire  de  son  Père  of- 
fensé par  le  péché  de  l'homme  ,  et  racheté 
l'homme  qui  s'était  perdu  par  son  péché. 

Voilà  le  caractère  de  celui  qui  nous  a  ou- 
vert le  chemin  et  qui  nous  est  proposé 
comme  un  exemple  ,  afin  ,  dit  saint  Pierre  , 
que  nous  marchions  sur  ses  pas;  car  c'est  à 
quoi  nous  avons  été  appelés,  et  ce  qui  nous 
paraîtra  d'autant  plus  raisonnable  ,  que  l'é- 
tal où  nous  étions  quand  il  nous  a  appelés  , 
et  où  nous  sommes  encore  par  l'infidélité  de 
notre  cœur  ,  nous  y  engage  nécessaire- 
ment. 

Pour  se  former  une  idée  juste  de  l'homme 
qui  entre  dans  la  voie  du  salut ,  il  faut  le 
considérer  avant  son  entrée  et  après  son  en- 
trée. Avant  son  entrée  il  est  pénétré  de  l'ini- 
quité de  son  péché  ,  portant  le  caractère 
d'ennemi  de  Dieu  ;  depuis  qu'il  est  entré 
dans  la  voie  du  salut,  il  est  purifié  :  il  sort  en 
y  entrant  de  dessous  l'empire  de  la  mort , 
mais  il  en  porte  le  principe  au  dedans  de 
lui-même.  Il  n'est  plus  ennemi ,  mais  il  est 
toujours  en  danger  de  le  devenir.  Il  n'a 
qn'une  ressource  ,  c'est  de  porter  ses  yeux 
Incessamment  sur  Jésus-Christ,  de  ne  perdre 
jamais  de  vue  les  exemples  et  le  modèle  qui 
lui  est  proposé,  de  s'appliquer  sans  relâche 
à  marcher  sur  ses  pas,  à  lui  en  demander 
continuellement  la  grâce  et  la  force;  c'est 
par  là  uniquement  qu'il  y  peut  arriver. 

Car  enfin,  dit  saint  Paul,  nul  n'est  cou- 
ronné qu'après  avoir  combattu  selon  la  loi  des 
combats.  On  ne  doit  donc  point  prétendre  au 
prix  de  la  victoire  sans  avoir  combattu  selon 
les  lois  et  les  règles  qui  ont  été  prescrites, 
et  la  couronne  n'est  glorieuse  que  quand 
elle  a  coûté  beaucoup  de  peines  à  acquérir. 
Or  Dieu,  qui  est  le  souverain  Seigneur,  ne 
nous  a  proposé  la  possession  de  son  royau- 
me qu'à  condition  que  nous  la  mériterions 
par  les  souffrances,  et  c'est  ce  qui  est  con- 
forme à  la  conduite  qu'il  a  gardée  lui-même 
et  à  notre  qualité  de  chrétiens. 

Ces  principes  étant  supposés,  convenons, 
s'il  vous  plaît, de  quelques  vérités  que  je  vous 
prie  de  bien  entendre. 

1"  Qu'il  n'y  a  rien  que  l'on  oublie  plus  fa- 
cilement que  ces  principes;  qu'il  est  très-rare 
de  trouver  des  chrétiens,  je  dis  même  parmi 
les  gens  qui  ont  quelque  sorte  de  piété,  qui 
gardent  quelque  ordre  dans  leur  conduite, 
et  qui  soient  attentifs  à  éviter  autre  chose 
que  les  grands  vices  et  les  passions  d'éclat  ; 
qui  aient  de  Jésus-Christ  et  de  la  religion 
les  idées  qu'ils  en  devraient  avoir  ;  qui  con- 
naissent comme  il  faut  le  fond  de  l'homme  ; 
qui  soient  instruits  des  engagements  d'un 
chrétien,  des  voies  du  salut  et  des  conditions 
sans  lesquelles  il  n'y  a  aucune  espérance 
pour  la  possession  du  royaume  de  Dieu. 


1  Ou'il  n'est  que  trop  certain  j  ce  qui  est 
une  suite  de  la  première  vérité)  qu'il  faut 
partager  les  chrétiens  en  deux  ordres  :  Us 
uns  sortent  des  voies  du  salut  et  se  jettent 
dans  l'égarement;  les  autres  à  la  vérité  n'en 
sortent  pas.  mais  ils  y  marchent  arec  une 
lenteur  très-dangereuse  ;  troisième  vérité, 
suite  des  deux  premières  et  qui  est  la  preuve 
de  la  nécessité  des  tempêtes  et  des  grandi  -, 
épreuves,  c'est  que  par  là  Dieu  rappelle  dans 
la  voie  ceux  qui  en  sont  sortis,  et  le>  ramène 
dans  le  chemin  du  salut  qu'ils  ont  quitté,  et 
par  là  encore  il  fait  avancer  ceux  qui  mar- 
chent avec  lenteur. 

Entrez  bien,  s'il  vous  plait,  dans  ces  con- 
sidérations :  nous  devons  dans  ce  monde 
regarder  Dieu  ,  dit  saint  Augustin,  comme 
un  bon  père  qui  veut  châtier  ses  enfants  ; 
mais  non  pas  comme  un  juge  cruel  qui  con- 
damne ou  qui  punit  des  criminels.  Voici 
donc  la  conduite  que  Dieu  tient  avec  nous, 
qui  sommes  composés  de  corruption  et  d'in- 
lirmilé,  dont  la  vie  est  remplie  de  malice  et 
de  faiblesse. 

S'il  ne  nous  donnait  que  des  jours  de  joie, 
l'infirmité  et  la  faiblesse  se  trouveraient  sou- 
lagées ,  mais  la  malice  et  la  corruption  ne 
seraient  pas  réprimées  comme  elles  doivt  nt 
l'être.  Si  tous  nos  jours  étaient  des  jours 
d'affliction  et  d'adversité,  il  châtierait  notre 
corruption,  mais  il  accablerait  notre  fai- 
blesse. Il  fait  donc  un  sage  mélange  de  l'un 
et  de  l'autre  pour  remédier  à  tout.  Il  nous 
donne  du  bien  et  nous  fait  goûter  quelque 
joie  pour  nous  faire  reprendre  des  forces,  et 
il  se  sert  des  jours  de  l'adversité  pour  domp- 
ter nos  passions  et  pour  arrêter  le  cours  de 
nos  iniquités. 

Ainsi,  afin  que  nous  ne  doutions  pas  de 
son  amour,  et  que  nous  connaissions  sa  pro- 
vidence ,  il  nous  donne  des  jours  de  joie,  et 
afin  qu'on  sache  qu'il  prend  soin  de  nous 
corriger,  et  que  ,  sentant  des  coups  de  sa 
justice,  nous  pensions  à  revenir  à  lui,  il 
nous  envoie  des  jours  de  tristesse,  et  il  nous 
frappe  pour  nous  réveiller  ;  mais  celte  voie 
dont  il  se  sert  porte  un  miel  avec  elle  ,  qui 
doit  ouvrir  les  yeux  du  pécheur  et  lui  faire 
connaître  ses  misères. 

Nous  sommes  plongés  dans  des  jours  de 
tristesse,  ils  sont  longs,  ils  sont  durs,  ils 
sont  cruels,  si  vous  voulez  ;  ne  nous  en  plai- 
gnons pas  néanmoins  ,  nos  iniquités  sont 
montées  bien  haut  ;  et  prions  le  Seigneur  de 
ne  point  entrer  en  jugement  avec  les  habi- 
tants de  la  terre,  parce  qu'il  n'y  a  point  de 
vérilé  ,  il  n'y  a  poinl  de  connaissance  de 
Dieu  sur  la  terre.  Les  outrages,  le  mensonge, 
l'homicide,  le  larcin,  l'usure  ,  l'adultère,  se 
sont  répandus  comme  un  déluge;  c'est  pour- 
quoi nous  pouvons  dire  comme  un  prophè- 
te :  La  terre  sera  désolée,  et  ions  ceux  <ytu  y 
habitent  tomberont  dans  la  langueur,  jus- 
qu'aux béte*  de  la  campagne  !  Les  misères 
qui  nous  accablent  sont  des  preuves  de  la 
grandeur  de  nos  iniquités  ;  car  on  doit  juger 
de  la  profondeur  et  des  dangers  des  plaies 
par  la  qualité  des  remèdes  qu'on  y  applique. 
A  des  maux  si   terribles  ,  il  fallait  donc  des 


240  SERMON  POUR  LE  QUATRIEME  DIMANCHE  D'APRES  L  EPIPHANIE, 

châtiments  sévères;  à  de  vieilles  plaies  si 


2oO 


profondes  ,  si  enracinées,  si  ulcérées,  il  fal- 
lait des  remèdes  caustiques  et  brûlants.  Nous 
ayons  oublié  ce  que  nous  devions  à  Jésus- 
Christ  ;  humilions-nous.  Nous  n'avons  pas 
voulu  entendre  quand  on  nous  a  dit  qu'il  se 
montrerait  à  nous  dans  un  entier  dépouille- 
ment, qu'il  a  mené  une  vie  de  souffrance  et 
de  soumission  ,  pour  nous  tracer  le  chemin 
unique  de  l'éternité  et  la  seule  voie  du  sa- 
lut ;  nous  ne  nous  sommes  attachés  qu'aux 
biens  d'ici-bas,  et  nous  ne  nous  sommes  oc- 
cupés que  du  soin  d'en  amasser;  vous  en 
avez  fait  vos  idoles  :  ah  1  dit  le  Seigneur  dans 
sa  colère,  je  les  dissiperai  dans  un  temps  où 
vous  ne  vous  y  attendrez  pas.  Je  permettrai 
qu'on  vous  les  enlève  ,  je  tarirai  vos  sour- 
ces, et  je  ruinerai  vos  moissons.  Je  permet- 
trai que  la  main  avare  des  hommes  avides 
exige  de  vous  avec  violence  ce  que  vous  ne 
leur  devez  nullement.  Je  souffrirai  que  vous 
soyez  réduits  à  une  telle  extrémité,  que, 
pressés  par  la  misère,  vous  ouvriez  les  yeux 
comme  l'enfant  prodigu.',  et  que  vous  disiez 
comme  lui  :  Combien  y  a-t-il  de  serviteurs  à 
gages  dans  la  maison  de  mon  père,  qui  ont  du 
pain  en  abondance  ?  et  moi  je  suis  ici  à  mou- 
rir de  faim  ;  il  faut  que  je  m'en  aille  trouver 
mon  père.  s 

C'est  le  dessein  de  ce  Père  charitable  dans 
ces  coups  qu'il  nous  porte  ,  mes  très-chers 
frères.  C'est  par  un  effet  de  sa  miséricorde 
qu'il  nous  réveille  avec  une  sorte  de  violen- 
ce, de  peur  que  la  fausse  douceur  de  l'assou- 
pissement du  péché  ne  nous  livre  entière- 
ment au  terrible  et  funeste  sommeil  de  la 
mort. 

Que  si  quelqu'un  n'est  pas  tout  à  fait  hors 
de  la  voie,  et  qu'il  marche  encore,  mais  len- 
tement, dans  le  chemin  du  salut,  je  lui  dirai  : 
Vous  êtes  donc  de  ces  lâches  et  timides  que 
la  tempête  effraye,  qui  croyez  tout  perdu 
parce  que  quelques  commodilés  vous  man- 
quent, et  vous  regardez  déjà  comme  une 
ruine  totale  de  votre  famille  le  tetranehe- 
menl  d'un  superflu  que  vous  deviez  à  votre 
religion? 

Reconnaissez  donc  maintenant  combien 
vous  êtes  éloignés  de  l'esprit  du  christia- 
nisme et  des  engagements  de  votre  baptême. 
Avouez  en  frémissant  que  vous  êtes  terrible- 
ment attachés  à  la  terre,  et  souvenez-vous 
que  ceux  qui  veulent  devenir  riches  tombent 
dans  la  tentation,  dans  les  pièges  du  diable  et 
dans  une  multitude  de  désirs  pernicieux  qui 
précipitent  les  hommes  d<ms  Vabhne  de  la  dam- 
nation. Comprenez  bien  que  ceux  qui  se  ré- 
voltent contre  l'ordre  de  Dieu,  jusqu'à  se 
plaindre  avec  aigreur  lorsqu'il  lui  plaît  de 
reprendre  ce  qu'il  n'a  fait  que  leur  prêter 
pour  un  peu  de  temps,  tiennent  à  ces  biens 
par  un  amour  qui  est  la  racine  de  tous  les 
maux,  et  par  où  quelques-uns  se  sont  éga- 
rés de  la  foi.  Tremblez,  mes  frères,  tremblez 
de  celte  disposition. 

Ne  comptez  donc  point  sur  cette  prétendue 
vertu  dont  vous  vous  flattez,  disciples  de  Jé- 
sus-Christ, qui  ne  voulez  le  suivre  que  quand 
la  mer  est  calme,  qui  lui  faites  des  reproches 


dès  qu'il  semble  dormir  pour  vous,  et  qui 
lui  dites  par  vos  craintes  et  par  vos  alarmes  : 
Quoi!  Seigneur,  vous  ne  vous  mettez  pas  en 
peine  du  péril  où  nous  sommes?  Il  vous  frappe 
comme  l'ange  que  le  Seigneur  envoya  à 
Pierre  dans  la  prison;  il  le  frappe  pour  le 
faire  marcher,  après  avoir  porté  la  lu- 
mière dans  la  prison  pour  l'éclairer.  II  vous 
frappe  de  même  pour  vous  réveiller  d'un 
sommeil  dangereux,  et  pourvous  faire  mar- 
cher d'un  pas  plus  léger  dans  la  voie  du  sa- 
lut; car  toutes  ces  tempêtes  sont  des  effets 
de  sa  miséricorde,  il  n'a  en  vue  que  votre 
sanctification,  c'est  la  faiblesse  de  votre  foi 
qui  les  y  rend  contraires,  et  qui  vous  ef- 
fraye d'abord;  c'est  le  sujet  de  la  deuxième 
partie. 

DEUXIÈME   PARTIE. 

Quelque  violente  que  soit  la  tempête  dont 
nous  sommes  frappés,  le  calme  est  entre  nos 
mains.  Ecoutez  ces  excellentes  paroles  et 
celte  solide  instruction  de  saint  Augustin. 

La  tribulation  va  fondre  sur  vous;  mais 
que  sera-t-elle  pour  vous?  Ce  que  vous  vou- 
drez, dit  ce  Père,  c'est-à-dire  un  exercice  de 
vertu,  une  ample  moisson  de  mérite,  ou  un 
fruit  de  damnation  ;  tel  qu'elle  vous  trouvera, 
telle  sera-t-elle  à  votre  égard. 

Le  succès  de  tous  ces  mouvements  est  donc 
entre  vos  mains.  Vous  pouvez  voir  finir  heu- 
reusement la  tempête  qui  vous  épouvante; 
et  les  flots  qui  semblent  devoir  submerger  la 
barque  qu'ils  couvrent  de  toutes  parts  peu- 
vent servir  à  vous  purifier. 

Il  ne  s'agit  que  de  réveiller  le  Seigneur, 
que  vous  avez  laissé  endormir  par  la  fai- 
blesse de  votre  foi,  et  pour  cela  je  vous  prie 
de  faire  attention  à  ces  deux  propositions  : 
c'est  que  nous  ne  devons  point  nous  livrer 
aux  plaintes  et  à  l'agitation,  et  que  ce  sera 
très -utilement  que  nous  nous  abandonne- 
rons à  l'ordre  de  Dieu  et  à  la  conduite  qu'il 
lui  plaît  de  (enir  sur  nous. 

Considérez  donc,  mes  très-chers  frères, 
que  nos  plaintes  et  nos  actions  ne  changent 
rien  dans  l'état  où  nous  mettent  les  événe- 
ments qui  nous  pressent,  elles  retombent  au 
contraire  sur  nous,  et  elles  nous  rendent 
coupables  en  augmentant  nos  peines,  et  que 
tout  ce  qui  nous  arrive  a  été  prédit;  ainsi  il 
est  vrai  que  Dieu  ne  nous  surprend  point; 
ou  ne  sait  point  la  religion,  on  ne  fait  point 
attention  à  ce  que  disent  les  saintes  Ecritu- 
res, et  c'est   un   grand  malheur  assurément. 

1  °  Le  Seigneur  ne  nous  a-"-il  pas  dit,  qu'au- 
cun d?.  nous  par  tous  ses  soins  ne  peut  ajouter 
à  sa  taille  la  hauteur  d'une  coudée?  Qu'est-ce 
que  cela  veut  dire,  si  ce  n'est  que  les  inquié- 
tudes troublent  1  homme  et  ne  lui  servent 
de  quoi  que  ce  soit? 

Ecoutez  comme  a  parlé  un  de  ces  Juifs  que 
saint  Augustin  appelle  des  chrétiens  de  l'An- 
cien Testament.  C'est  ce  célèbre  Mardochée 
adressant  sa  prière  à  Dieu  sur  l'etal  déplora- 
ble où  les  Juifs  se  trouvaient  par  l'orgueil 
et  la  fierté  du  cruel  Aman,  qui  abusait  avec 
tant  d'injustice  et  de  cruaulé  de  l'autorité 
qu'Assuérus    lui   avait    donnée    dans    soa 


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OftATEIRS  SACHES.   DOM  JEKOME. 


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royaume  :  Seigneur,  S  igneur,  Itoi  toui-puis- 
tant,  toutes  choses  sont  entre  vos  mains  el  sou- 
mises à  votre  pouvoir,  et  rien  ne  peut  résister 
à  votre  volonté.  Le  danger  des  Juifs  élait  ex- 
trême, et  leur  perte  était  connue  assurée  : 
les  ennemis  du  peuple  de  Dieu  avaient  ré- 
solu de  les  perdre  et  d'exterminer  l'héritage 
ilu  Seigneur.  Font-ils  des  plaintes?  Murmu- 
rent-ils contre  cette  justice?  Disent-ils  comme 
les  apôtres  timides  :  Vous  ne  vous  mettez  poin  ' 
en  peine  du  péril  où  noua  sommes/  Ils  demeu- 
rent tranquilles,  abattus  sous  la  main  de 
Dieu  qu'ils  adorent.  Seigneur,  ne  méprisez 
pas,  disent-ils,  ce  peuple  (/u  •  vous  avez  rendu 
pauvre  et  que  vous  avez  racheté  d'Egypte.  Ils 
attirent  sur  eux  les  yen*  de  Dieu,  qui,  con- 
tent de  leur  soumission,  confond  leurs  en- 
nemis et  dissipe  la  terrible  tempête  qui 
leur  montrait  un  naufrage  prochain  et  iné- 
vitable. 

Quelle  a  été  la  patience  de  Job? Mes  frères, 
jamais  tempête  ne  fut  plus  violente  que  celle 
que  le  démon  excita  contre  lui  avec  la  per- 
mission de  Dieu.  Il  perdit  ses  biens,  ses  en- 
fants, ses  amis,  sa  santé.  Réduit  sur  un  fu- 
mier et  persécuté  par  sa  propre  femme  qui 
lui  insulte  dans  ses  malheurs,  que  dit-il? 
quelle  est  la  contenance  de  cet  homme  , 
qui,  de  très-riche  qu'il  élait,  perdit  en  un 
instant  ses  biens  el  ses  enfants?  !1  adore  Dieu 
dans  une  paix  profonde.  Le  Seigneur  m'a  tout 
ûté,  dit-il,  il  ne  dit  pas,  dit  saint  Grégoire: 
Le  diable  m'a  loutôté;  il  ne  voit  que  Dieu 
seul  dans  tout  ce  triste  événement  :  Il  n'est 
arrivé  que  ce  qu'il  lui  a  plu;  que  le  nom  du 
Seigneur  soit  béni. 

Ce  n'est  pas  qu'il  ne  sente  ses  perles  el 
qu'il  ne  soit  sensible  à  ses  malheurs;  c'est 
la  belle  remarque  de  saint  Grégoire.  Il  ne 
méprise  pas  les  fléaux  de  Dieu,  comme  un  in- 
sensible, dit  ce  saint  pape,  i7  ne  s'emporte  pas 
non  plus  contre  ses  jugement*  comme  un  in- 
sensé ;  mais  pour  ne  point  témoigner  de  regret 
par  son  insensibilité,  il  se  jette  contre  terre  en 
gémissant  sous  la  pesanteur  de  tant  de  fléau..-, 
et  pour  faire  voir  gue  les  châtiments  ne  le  pou- 
vaient pas  séparer  de  celui  qui  les  lui  faisait 
sentir,  il  se  prosterne  contre  terre,  en  disant  : 
Que  le  nom  du  Seigneur  soit  béni. 

C'est  ainsi  qu'on  peut  se  plaindre  dans  les 
calamités  qui  nous  accablent,  sans  crainte 
que  nos  plaintes  retombent  sur  nous  et  nous 
rendent  coupables  en  augmentant  nos  pei- 
nes; autrement  que  faisons-nous  par  nos  in- 
quiétudes et  nos  impatiences,  si  ce  n'est  de 
nous  croire  plus  sages  que  Dieu,  et  de  faire 
entendre  que  si  nous  étious  les  maîtres  des 
événements,  nous  réglerions  les  choses  d'une 
autre  façon? 

N'est-ce  pas  accuser  la  justice  de  Dieu  que 
d'appeler  de  ses  jugements,  et  de  prétendre 
qu'il  y  a  de  l'excès  dans  la  conduite  qu'il 
tient  sur  nous?  Peut-on  doutef  que  de  pa- 
reils  sentiments,  qui  augmentent  nos  in- 
quiétudes, ne  nous  rendent  pas  plus  crimi- 
nels,  quand  on  considère  avec  quelle  ri- 
gueur Dieu  punit  les  Juifs  do  leurs  murmu- 
res, quoiqu'ils  lussent  accablés  de  fatigues, 
d'afdictious  et  de  misères?  Ajoutez    à  ceci 


que  loul  ce  qui  nous  arrive  a  été  prédit,  et 
(|Ue  l)i<  u  ne  nous   surprend  point. 

un    lecondeetexccll  nie  réflexion  éa 

saint  Augustin.  Vous  failes,  dit-il,  profession 
d<  croire  lout  ce  que  Jésus-Chrisl  vous  a  dit 
dans  les  Ecritures,  el  vous  vous  IroaMea 
qu  ind  ce  qu'il  vous  a  dit  rient  à  s'accom- 
plit.  JésuS-Cbrist  ne  vous  a-t-il  pis  dil  que 
(il  à  tort  qui'  vous  comptei  sur  vos  riches- 
ses,  sur  votre  établissement,  sur  vos  char- 
ges, sur  voire  fortune?  In.-en  é  que  tu  es,  on 
va  te  redemander  ton  âme  celle  nuit  même; 
pour  (iui  sera-ce  que  tu  os  amassé?  Ne  nous 
dirons-nous  jamais  une  bonne  fois  que  nous 
ne  somme  ■  pas  chrétiens  pour  le  temps  qui 
s'écoule,  que  nous  ne  faisons  que  passer  sur 
la  terre  pour  aller  à  l'élernilé,  que,  n'étant 
pas  de  ce  monde,  nous  ne  devons  pas  être 
surpris  si  Dieu  nous  afllige,  puisque,  lais- 
sant jouir  le  monde  d'un  moment  de  joie,  il 
ne  vous  promet  que  ies  larmes  et  des  afflic- 
tions? Songez  donc  que,  vous  plaignant  de 
vos  souffrances,  c'est  dire,  que  vous  voulez 
être  dans  la  joie  avec  le  monde,  dans  le  mo- 
ment si  court  de  cette  vie,  pour  pleurer  éter- 
nellement avec  lui  dans  l'autre. 

Pensons  donc,  mes  frèri  s.  à  reco.iiir  promp- 
temcnl  à  Jésus-Christ;  adorons  sa  conduite 
sur  nous ,  entrons  avec  une  profonde  hu- 
milité dans  les  desseins  éternels  de  sa  mi- 
séricorde, afin  d'en  profiler  pour  notre  jus- 
tification. C'eit  le  sujet  du  troisième  point. 

TROISIÈME  PART1L. 

Enfin,  dit  saint  Augustin,  les  disciples  se 
réveillèrent;  car  réellement  c'étaient  eux  qui 
dormaient,  puisque  Jésus-Christ  ne  s'assou- 
pit que  lorsque  notre  foi  s'endort.  Il  leur 
vint  dans  L'esprit  qu'ils  avaient  avec  eux  le 
dominateur  des  vents  et  de  la  tempéle.  Ils 
vinrent  donc  à  lui,  ils  le  réveillèrent,  et  il 
fit  cesser  la  tempête.  Faisons  ta  même  chose, 
continue  saint  Augustin,  réveillons  Jésus- 
Chrisi ,  el  disons-lui  :  Seigneur,  nous  péris- 
sons, et  nous  voulons  ne  pas  périr;  mais  ;:fin 
que  celte  prière  ait  son  effet,  remarque/  s'il 
vous  plaît,  qu'il  faut  la  faire  à  Jésus-Christ 
avec  foi  et  avec  confiance,  el  ensuite  rece- 
voir avec  amour  et  avec  douceur  ceu\  que 
Dieu  nous  envoie.  Lu  effet,  mes  frères,  Jé- 
sus-Christ ne  pt  nuit  au  démon  d'exciter  la 
tempête  dont  il  est  parlé,  que  pour  donner 
occasion  aux  apôlres  de  se  troubler,  et  pour 
leur  faire  connaître  par  le  trouble  leur  infir- 
mité et  leur  imperfection  ;  car,  ajanl  dessein 
de  faire  voir  la  puissance  de  si  grâce  par  le 
renouvellement  qu'il  avait  résolu  de  faire 
dans  le  cœur  de  ses  apôtres,  il  a  voulu  que 
leur  crainte  el  leur  timidité  leur  fussent  con- 
nues à  eux-mêmes  et  ensuite  à  toute  l'Eglise, 
afin  qu'on  ne  pût  rapporter  qu'a  Dieu  el  a 
la  plénitude  de  son  esprit  celte  force  et 
celle  fermeté  avec  laquelle  ils  devaient  dans 
la  suile  affronter  les  plus  grands  périls. 

Proliions  de  celte  exe  lienle  leçon.  Humi- 
lions-nous de  nos  plainte»,  de  nos  murmu- 
res, de  nos  agitations,  de  no-  défiances.  Mé- 
connaissons que  nous  avons  mérite  de  plus 
grands  reproches  que  ceux  que  J  es  us- Christ 


253 


SERMON  POUR  LE  QUATRIEME  DIMANCHE  D'APRES  L'EPIPHANIE. 


çr;j 


fit  à  ses  disciples ,  en  leur  disant  :  Que  crai- 
gnez-vous, gens  de  peu  de  foi? 

Seigneur,  nous  avons  oublié  que  vous  étiez 
avec  nous  ;  ie  péril  nous  a  effrayés,  mais  en- 
fin nous  revenons  à  vous  pour  vous  prier  de 
ranimer  en  nous  celle  foi  assoupie  et  pres- 
que éteinte,  cette  foi  qui  est  la  source  de  la 
prière  que  vous  écoulez,  qui  obtient  tou- 
jours ce  qu'elle  demande,  parce  qu'elle  ne 
demande  jamais  que  l'accomplissement  de 
votre  volonté,  Domine,  salva  nos,  perimus, 
faites  cesser  la  tempête  ;  Seigneur,  ne  per- 
mettez pas  que  nous  périssions. 

Avec  ces  dispositions,  vous  pouvez  répa- 
rer les  désordres  de  vos  infidélités  et  de  vos 
défiances  ;  mais  s>uvenez-vous  qu'il  faut 
que  vous  receviez  avec  amour  et  avec  dou- 
ceur ceux  que  Dieu  vous  envoie  pour  les 
soulager  dans  leurs  misères.  Celte  condition 
dont  je  vous  parle  ici  est  établie  même  par 
Jésus-Christ  :  Donnez,  et  il  vous  sera  donné  : 
Date,  et  dabitur  vobis.  On  ne  peut  donc  ob- 
tenir miséricorde  de  Dieu  qu'en  la  faisant 
aux  autres  ;  et  voici  l'équité  de  cette  condi- 
tion expliquée  par  Jésus-Christ  qui  l'a  po- 
sée. Il  parle  d'un  homme  injuste  et  cruel 
qui  refuse  de  faire  miséricorde  pour  fort  peu 
de  chose  à  un  aulre  homme,  après  avoir 
reçu  lui-même  de  leur  maître  commun  une 
somme  très-considérable.  Ne  fallait-il  pas, 
lui  dit-il,  que  vous  eussiez  pitié  de  votre  com- 
pagnon comme f avais  eu  pitié  de  vous?  Ad- 
mirable conduite  de  notre  Dieu  1  11  ne  peut 
rien  recevoir  de  la  créature,  c'est  elle  au 
contraire  qui  reçoit  tout  de  lui;  cependant, 
pour  peu  qu'elle  ne  soit  pas  ingrate,  et 
qu'elle  achète  du  propre  fonds  de  son  Dieu  la 
miséricorde  qu'il  lui  veut  faire  et  les  ré- 
compenses éternelles  qu'il  lui  prépare,  il 
met  l'homme  en  sa  place  ;  il  subslilue  le  pau- 
vre et  l'affligé,  et  il  veut  bien  mettre  sur  son 
compte  et  tenir  comme  fait  à  lui-même  ce 
que  l'on  fera  pour  celui  qu'il  met  sous  nos 
yeux,  et  de  qui  il   nous  expose  les   misères. 

Il  ajoute  encore  à  toutes  ces  avances  de 
sa  miséricorde,  qu'il  se  servira  envers  nous 
de  la  même  mesure  dont  nous  nous  serons 
servis  envers  les  autres,  c'est-à-dire  qu'il 
veut  bien  que  nos  propres  intérêts  nous  ser- 
vent de  règle  pour  mesurer  le  soulagement 
que  nous  devons  donner  à  la  misère  de  nos 
frères,  et  c'est  ce  que  j'ai  appelé  recevoir 
avec  amour  ceux  que  Dieu  nous  envoie  et 
qui  nous  disent  :  Sauvez-nous,  comme  nous 
le  dirons  nous-mêmes  au  Seigneur. 

Ceci  est  la  grande  règle  de  l'aumône.  Sc- 
ion l'esprit  de  Jésus-Christ,  elle  doil  avoir 
tieux  proportions,  l'une  à  vos  misères  et  aux 
dettes  que  nous  voulons  racheter,  l'autre  à 
la  misère  des  pauvres  et  aux  besoins  que 
nous  devons  soulager. 

Je  vous  laisse  le  soin  d'examiner  vos  con- 
sciences, que  chacun  se  juge  avec  équité, 
CD  considérant  son  état,  ses  devoirs,  l'em- 
ploi de  sa  vie,  l'usage  de  son  temps,  celui  de 
son  bien,  ses  obligations  et  celles  du  chris- 
tianisme, en  un  mot  ce  que  nous  devons  à 
Dieu,  à  noire  prochain  cl  à  nous-mêmes;  il 
n'y  a   personne  qui   ne   doive  dire  avec  le 


Prophète  :  Seigneur,  si  vous  examine;  mes  pé- 
chés, gui  pourra  subsister  devant  vous  ?  et 
ce  que  saint  Augustin  a  dit  en  parlant  à 
Dieu  :  Malheur  à  ceux  gui  ont  •>  ené  une  vie 
louable  et  réglée,  si  vous  venez  à  les  juger  sans 
miséricorde! 

Ne  nous  flattons  point,  toutes  les  calami- 
tés qui  nous  accablent  sont  des  suites  de  nos 
péchés.  Dieu  est  irrité,  mais  il  est  équitable, 
et  durant  cette  vie  il  se  ressouvient  loujours 
de  sa  miséricorde  quand  il  nous  châtie.  Nous 
devons  juger  de  la  grandeur  de  nos  iniquités 
par  la  pesanteur  des  fléaux  dont  il  nous  ac- 
cable. Disons  donc  avec  le  Prophète  :  Nous 
avons  péché  avec  nos  pères,  nous  avons  fait 
des  actions  injustes,  nous  sommes  tombés  dans 
l'iniquité. 

Voilà  l'idée  que  nous  devons  prendre  de  nos 
misères;  voici  cependant  notre  consolation, 
c'est  que  le  Seigneur  est  plein  de  miséricorde, 
et  que  la  rédemption  que  nous  trouverons  en 
lui  est  abondante.  Mais  il  faut  l'acheter  par 
une  miséricorde  proportionnée  à  la  misère 
de  ceux  qui  s'adressent  à  nous  de  sa  part,  en 
nous  demandant  les  secours  temporels. 

Vous  les  écoulerez  avec  attention  et  vous 
les  recevrez  avec  douceur,  si  vous  faites  ré- 
flexion sur  l'excès  de  leur  misère  et  sur  les 
devoirs  indispensables  de  votre  état. 

L'extrémité  de  leur  misère  ne  peut  vous 
être  mieux  représentée  que.  par  la  descrip- 
tion que  le  Sauveur  du  momie  nous  fait  lui- 
même  de  celle  d'un  pauvre  abandonné  par 
un  riche  inhumain.  Il  y  avait  un  pauvre,  dit 
Jésus-Christ,  tout  couvert  d'ulcères,  couché  à 
la  porte  d'un  riche,  qui  eût  bien  voulu  se  ras- 
sasier des  miettes  gui  tombaient  de  la  table  du 
riche  ;  mais  personne  ne  les  lui  donnait. 

Il  n'y  a  qu'une  différence  enlre  ce  que  le 
Seigneur  nous  rapporte  dans  cet  évangile  et 
ce  que  nous  voyons  sous  nos  yeux,  c'est  que 
le  pauvre  abandonné  esl  seul,  et  nous  som- 
mes accablés  par  la  multitude;  car  la  misèro 
est  répandue  dans  tous  les  étals  ;  qui  esl-co 
qui  ne  souffre  point,  et  combien  y  a-t-il  de 
gens  en  état  de  dire  :  Sauvez-nous,  nous  pé- 
rissons ! 

Les  pauvres  multipliés  sont  couverts  d'ul- 
cères; toutes  sortes  de  misères  les  acca- 
blent, la  faim,  la  soif,  la  nudité,  le  froid,  la 
maladie;  une  honnête  pudeur  les  cache  sou- 
vent à  nos  yeux  et  les  resserre  dans  leur  ac- 
cablemcnl  ;  imposons  silence  à  nos  passions 
et  à  la  cupidité,  et  la  charité  nous  les  dé- 
couvrira. 

Ils  voudraient  se  rassasier  des  miellés  qui 
tombent  de  la  table  des  riches,  qui  se  plai- 
gnent eux-mêmes  de  ce  que  les  biens  dimi- 
nuent, quoiqu'on  puisse  certainement  assu* 
rer  qu'un  nécessaire  commode  ne  vous  a  pas 
encore  manqué. 

Cet  élal  malheureux  cl  si  pressant  mérite 
bien  qu'on  soit  attentif  à  la  voix  de  ceux  qui 
l'exposent  et  qu'on  les  reçoive  avec  amour, 
mais  aussi  avec  discernement.  Souvenez- 
vous  seulement,  mes  frère-,  que  vous  y  êtes 
obligés  sur  votre  salut,  et  que  vous  ne  devez 
attendre   qu'une  funeste    condamnation   si 


2B5 


ORATF.l  RS  SACRES    ï)OM  JEROME. 


vous  y  manquez  et  si  vous  endurcissez  vos 
cu'urs  sur  ces  pressantes  misères. 

Vous  ries  donc,  chargea  dans  voire  étal, 
par  un  ordre  de  Dieu  précis  et  indispensable, 

•le  les  assister.  Pourquoi  ?  c'est  qu'il  a  mis 
des  fonds  entre  vos  mains,  qui  sont  des  res- 
sources assignées  pour  eux  par  l'autorité  de 
votre  Dieu,  propriétaire  incontestable  de 
tous  les  biens  <iue  vous  possédez. 

Ainsi,  quand  on  vous  dit  qu'il  faut  les  as- 
sister, ce  n'est  pas  une  charité  que  l'on  vous 
demande,  c'est  une  dette  qu'on  exige  de 
vous.  Ne  croyez  pas  que  vous  donniez  ce  qui 
est  à  vous  ;  apprenez  que  vous  ne  fjitcs  que 
payer  ce  que  vous  devez. 

Ce  que  je  vous  dis  ici  est  certain  dans  tous 
les  temps,  même  de  prospérité,  où  on  ne 
vous  demande  que  le  superflu;  car  ce  su- 
perflu appartient  toujours  aux  pauvres  qui 
sont  dans  le  besoin,  et  cela  par  ordre  précis 
de  Dieu.  Mais  dans  les  temps  de  calamité  et 
de  misères  pressantes,  il  faut  aller  au  delà 
du  superflu,  il  faut  prendre  sur  le  néces- 
saire, selon  la  bienséance,  et  sur  ses  commo- 
dités. 11  faut  se  sentir  de  la  misère,  il  faut 
partager  le  poids  des  calamités,  les  riches  et 
les  grands,  les  femmes  vaines  et  dont  la  vie 
n'est  que  mollesse,  plaisir  et  sensualité,  plus 
que  les  autres,  parce  qu'elles  ont  plus  con- 
tribué à  attirer  la  colère  de  Dieu  par  l'abus 
des  biens  qu'il  leur  a  donnés. 

En  un  mot,  il  faut  que  votre  aumône  soit 
en  tout  temps  un  sacrifice,  mais  dans  les 
temps  de  calamité  il  faut  qu'il  vous  en  coûte. 
et  que  vous  vous  arrachiez  une  partie  du 
nécessaire;  mais  que  dis-je  du  nécessaire, 
hélas  !  nous  serions  bien  contents  si  vous 
donniez  le  superflu  de  vos  tables,  de  vos 
meubles,  de  vos  équipages,  de  vos  habits, 
de  votre  jeu,  de  votre  sensualité. 

Vous  souffrez,  dites-vous,  vous  êtes  obligé 
de  vous  retrancher;  on  tarit  vos  sources,  l'on 
augmente  vos  charges  ;  j'en  tombe  d'accord. 
Nous  autres  religieux,  nous  nous  en  sentons 
comme  vous,  et  peut-être  plus  que  vous; 
mais  après  tout  il  faut  convenir  que  nous  ne 
sommes  pas  encore  réduits  à  l'état  de  ces  gé- 
néreux chrétiens  de  Macédoine,  que  saint 
Paul  proposait  aux.  fidèles  de  Corinthe  pour 
les  exhorter  à  soulager  les  pauvres  de  l'E- 
glise de  Jérusalem  qui  avaient  été  pillés  par 
les  Juifs.  Ils  étaient,  dit  ce  saint  apôtre, 
éprouvés  par  de  grandes  afflictions,  et  quoi- 
que leur  pauvreté  fût  profonde,  ils  ont  ré- 
pandu avec  abondance  les  richesses  de  leur 
charité  sincère.  Ils  se  sont  portés  d'eux-mê- 
mes à  donner  ce  qu'ils  pouvaient,  et  même 
au  delà  de  ce  qu'ils  pouvaient,  nous  conju- 
rant avec  beaucoup  de  prières  de  recevoir 
leurs  aumônes. 

Seigneur,  quand  vous  plaira-t-il  de  donner 
aux  pauvres  de  votre  Kglise  la  consolation 
de  rendre  un  semblable  témoignage  de  la 
charité  et  du  zèle  de  ceux  à  qui  il  faut  arra- 
cher par  imporlunité  ou  par  de  .pieux  arli- 
fices  ce  qu'ils  ont  tant  de  fois  refusé  à  leurs 
fréquentes  sollicitations? 

Tout  cela,  me  dit-on,  est  bien  facile  à 
dire;  les  temps  sont  devenus  si  dilficiles.  la 


nécessité  nous  presse  si  fort,  nous  savons  ce 
qoe  la  loi  ordonne;  mais  si  pour  l'observer 
il  faut  donner  ce  que  vous  demandez,  de  quoi 
\  i\  rons-nous?  Mais  êtes-vous  assez  ■feogléi 
pour  croire  que  Dieu  vous  abandonnera 
quand  vous  commencerez  à  être  fidèles  et 
Charitables?  Ne  prétendez  done  pas  vous 
mettre  à  couvert  sous  le  faux  prétexte  d'une 
nécessité  que  votre  cupidité  vous  rend  seule 
extrême,  et  ne  perdez  jamais  de  vue  qu'il 
n'y  a  point  de  plus  grande  nécessité  que  celle 
de  votre  salul. 

Considérez,  dit  saint  Rasile,  la  conduite 
des  naotoniers  dans  le  temps  d'une  dange- 
reuse tempête  :  ils  déchargent  leurs  vais- 
seaux, et  ils  jettent  dans  la  mer  ce  qu'ils  ont 
de  plus  précieux,  lorsque  la  tempête  les  ex- 
po>e  ;iu  péril  de  perdre  la  vie. 

Notre  âme  est  accablée  de  péchés,  c'est 
par  là  que  la  tempête  est  excitée.  Déchar- 
geons-nous de  ce  fardeau  par  le  moyen  de 
l'aumône.  Il  est  bien  plus  juste  que  nous  fas- 
sions la  même  chose;  car  les  mariniers  per- 
dent pour  jamais  ce  qu'ils  ont  jeté  dans  la 
mer,  et  se  réduisent  par  celle  perle  à  la  pau- 
vreté le  resle  de  leurs  jours,  au  lieu  qu'en 
nous  déchargeant  du  fardeau  si  accablant  de 
nos  péchés,  nous  nous  remplissons  d'autant 
plus  de  ces  richesses  inestimables  que  rien 
ne  nous  saurait  ravir. 

Non,  mes  frères,  vous  ne  perdrez  pas  vos 
biens  lorsque  vous  vous  en  déferez  par  la 
distribution  des  aumônes;  mais  les  pauvres 
qui  vous  tendent  la  main  pour  les  recevoir 
vous  serviront  de  vaisseaux  pour  vous  les 
conserver  et  pour  les  faire  arriver  au  poil. 

N'ayons  donc  que  des  sentiments  de  dou- 
ceur et  d'humanité  pour  les  p  uvres;  parta- 
geons avec  eux  le  fardeau  d'une  précieuse 
abondance,  afin  qu'ils  s'en  chargent  avec 
joie  et  qu'ils  le  déposent  dans  le  sein  de  Jé- 
sus-Christ. C'est  en  lui  que  je  vous  souhaits 
le  bonheur  étemel.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR    LF    DIMANCHE   DE  LA   SEPTLAGÉS1MK. 

De   l'aumône. 

Ile  et  vos  in  vineam  meam,  et  quod  jusium  fuerit  dabo 

voliis. 

Allez-ivus-en  aussi  vous  autres  à  ma  vigne,  et  je  vous  don- 
tierui  ce  </"'  tara  raisonnable  {Mattli.,  II,  4). 

Puisque  le  père  de  famille,  ligure  de  Jésus- 
Christ,  ne  promet  la  recompense,  figure  de 
la  béatitude  éternelle,  qu'à  ceux  qui,  étant 
conduits  dans  sa  vigne,  ligure  de  L'Bglise, 
auront  travaillé  fidèlement  à  l'ouvrage  assi- 
gné à  chacun,  ouvrage  qui  est  la  figure  des 
devoirs  propres  à  chaque  eiat,  il  e>l  impor- 
tant, mes  très-chers  frères,  de  savoir  préci- 
sément ce  que  Jésus-Christ  demaude  de  nous 
dans  celui  où  la  Providence  nous  a  placée, 
afin  de  pouvoir  nous  assurer  la  récompense 
qu'il  a  promise  aux  serviteurs  fidèles. 

C'est  la  fin  que  je  me  propose  dans  ce  dis- 
cours, et  comme  je  parle  à  des  personnes 
riches  aux  termes  de  l'Ecriture,  c'est-à-dire 
à  qui  Dieu  a  donné  des  biens  de  ce  monde, 
et  qui,  bien  loiu  de  fermer  leurs  cœurs  et 
leurs  entrailles  en   voyant  la   nécessite  de 


SERMON  POUR  LE  DIMANCHE  DE  LA  SEPTUAGES1ME.  258 

s'assemblent  au  contraire      a  placés  pour  sa  gloire  et  pour  leur  saint 


257 

leurs  frères,  ne 

que  pour  contribuer  à  leur  soulagement,  je 
veux  travailler,  autant  que  Dieu  m'en  rendra 
capable,  à  forliûer  cette  heureuse  disposition 
dans  ce  discours,  qui  n'aura  que  deux  par- 
ties. Dans  la  première,  j  essayerai  de  vous 
faire  voir  que  ce  que  Dieu  exige  principale- 
ment des  riches,  c'est  qu'ils  assistent  les 
pauvres  dans  leurs  besoins;  c'est  là  le  mi- 
nistère dont  ils  sont  chargés  dans  la  famille 
de  Jésus-Christ,  c'est  proprement  leur  tâche 
dans  la  vigne  du  Seigneur.  Dans  la  seconde, 
j'essayerai  de  vous  faire  voir  que  c'est  à  l'ac- 
complissement de  ce  devoir  que  Dieu  a  atta- 
ché des  récompenses  capables  de  nous  le  faire 
aimer. 

Nous  tirerons  les  preuves  de  ces  proposi- 
tions de  notre  évangile,  après  que  nous  aurons 
demandé  l'assistance  du  ciel.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

La  preuve  de  ma  proposition  dépend  de 
trois  vérités  importantes  qu'il  faut  établir  : 
la  première,  que  les  biens  des  riches  ne  sont 
point  proprement  à  eux,  ils  les  tiennent  de 
la  main  de  Dieu,  à  qui  ils  appartiennent  en 
propriété;  ils  n'en  sont  que  les  économes, 
c'est  là  proprement  l'état  des  riches.  Dieu  ne 
leur  en  a  donné  l'usage  qu'à  des  conditions 
qui  regardent  le  bon  ordre  de  sa  famille,  la 
culture  de  sa  vigne  et  ses  desseins  éternel^ 
sur  les  différents  ouvriers  qu'il  y  appelle; 
ces  conditions  forment  les  devoirs  de  l'état 
îles  riches.  Le  violement  de  ces  conditions 
rend  les  riches  prévaricateurs  dans  leur  mi- 
nistère, et  les  charge  de  tous  les  désordres 
qui  s'ensuivent  de  ce  violement.  De  là  l'obli- 
gation précise  et  indispensable  pour  les  riches 
d'assister  les  pauvres  dans  leurs  besoins; 
car  c'est  pour  remplir  ce  devoir  que  le  Sei- 
gneur les  a  mis  dans  sa  vigne. 

Non,  chrétiens,  les  biens  du  monde  que 
vous  possédez  ne  sont  point  à  vous  propre- 
ment; vous  les  tenez  delà  main  de  Dieu, 
c'est  à  lui  qu'ils  appartiennent  en  toute  pro- 
priété, il  \ous  l'apprend  par  la  parabole  de 
l'Evangile;  car  comme  ceux  qu'il  envoie 
dans  la  vigne  n'en  sont  pas  les  propriétaires, 
mais  de  simples  ouvriers  à  qui  il  donne  le 
soin  de  la  cultiver  aux  conditions  d'une  ré- 
compense qu'il  leur  promet,  ces  biens  sont 
des  moyens  qu'il  fournit  à  ceux  de  votre 
étal  pour  mériter  par  les  bonnes  œuvres  la 
béatitude  qu'il  leur  a  gratuitement  préparée 
pour  l'éternité. 

D'ailleurs,  mes  frères,  tout  ce  que  nous 
tenons  de  la  main  d'un  autre,  et  qu'on  peut 
nous  ôler  quand  on  veut  sans  nous  en  don- 
ner de  raison,  et  même  dans  le  temps  que 
nous  en  avons  plus  de  besoin,  suivant  les 
projets  que  nous  avons  formés  et  les  desseins 
que  nous  avions  pris,  est  une  preuve  sensible 
que  nous  ne  sommes  pas  des  maîtres  en  pro- 
priété. 

Tels  sont  les  biens  de  la  terre  cl  les  ri- 
chesses que  vous  possédez.  Dieu  vous  les 
donne,  car  c'est  la  Providence  qui  vous  a 
placés  où  vous  êtes.  Tous  les  hommes  sont 
égaux  à  ses  yeux  ;  ce  sont  des  ouvriers  qu'il 


dans  des  endroiis  différents  de  sa  vigne.  11 
vous  les  a  donc  donnés  ces  biens  sans  que 
vous  les  ayez  acquis,  comme  les  ouvriers 
qu'il  envoie.  Mais  il  vous  les  ôle  quand  il 
lui  plaît.  Ecoutez  le  discours  d'un  homme 
riche.  Voici,  dit-il,  ce  que  je  ferai  :  j'abattrai 
mes  greniers,  et  j'en  ferai  de  plus  grands. 
Mon  âme,  ajoute— t-il,  tu  as  beaucoup  de  bien 
en  réserve  pour  beaucoup  d'années;  repose- 
toi,  bois,  mange,  fais  bonne  chère.  Voilà  le 
langage  d'un  homme  qui  se  croit  maître  de 
ses  biens,  et  qui  forme  des  projets  sur  ce 
qu'il  croit  lui  appartenir,  et  dont  il  se  pro- 
pose de  disposer  souverainement. 

Mais  entendons  parler  Jésus-Christ  :  Insensé 
que  tu  es,  on  va  te  redemander  ton  âme  cette 
nuit  même  :  et  pour  qui  sera  ce  que  tu  as  amas- 
se? C'est  donc  une  grande  folie  que  de  former 
des  projets  sur  ce  qui  ne  nous  est  donné 
qu'en  dépôt.  Ouvrons  maintenant  les  yeux 
sur  ce  qui  se  passe,  ne  voyez-vous  pas  tous 
les  jours  des  desseins  formés  sur  le  bien  que 
l'on  possède  et  sur  les  richesses  qu'on  voit 
entre  ses  mains,  renversés  par  celui  qui  en 
est  le  propriétaire,  et  qui,  n'ayant  fait  que 
les  prêter,  se  fâche  enfin  de  l'abus  qu'on  en 
fait  ?  L'établissement  de  cet  enfant,  cette 
charge  qu'on  allait  acheter,  ce  mariage  prêt 
à  conclure,  ce  bâtiment  et  ces  palais  dont  on 
avait  arrêté  les  desseins  et  déjà  jeté  les  fon- 
dements :  on  avait  amassé  de  quoi  fournir  à 
tout,  mais  on  ne  pensait  pas  que  rien  de  touf 
cela  n'était  à  nous,  pas  même  notre  vie.  Ils 
meurent  tout  d'un  coup,  et  au  milieu  de  la 
nuit,  dit  l'Ecriture,  ils  seront  remplis  de 
trouble,  et  ils  passeront.  Oui,  mes  frères, 
celui  qui  fait  violence  aux  desseins  de  Dieu 
sera  emporté  sans  qu'on  voie  la  main  qui  le 
frappe.  Commencez-vous  à  comprendre  que 
les  biens  qui  sont  entre  vos  mains  ne  sont 
pas  à  vous?  car  pour  qu'ils  vous  appartins- 
sent en  toute  propriété,  ii  faudrait  que  nul 
autre  ne  pût  vous  les  ôler  malgré  vous,  et 
que  vous  fussiez  en  droit  de  vous  les  faire 
rendre  si  quelqu'un  avait  entrepris  de  vous 
les  ôter. 

Apprenez  donc  de  l'apôtre  saint  Paul  à 
n'être  point  orgueilleux  et  à  ne  pas  mettre 
votre  confiance  en  des  richesses  incertaines 
et  méprisables;  reconnaissez  ce  que  voua 
êtes  :  en  voici  l'idée  dans  l'aveu  que  Job  fait 
de  sa  misère. 

Ecoutez,  riches,  grands  seigneurs,  femmes 
vaines,  entêtées  de  votre  naissance,  gens  de 
fortune  éblouis  et  enivrés  par  l'ahondancc 
de  vos  biens;  voici  votre  origine.  Qu'avez- 
vous  apporté  en  ce  monde?  vous  y  êtes  en- 
trés nus.  Voici  votre  fin,  qu'en  emporlerez- 
vous?  vous  en  sortirez  nus.  Vos  biens,  vos 
dignités,  vos  palais,  vos  charges,  vos  maisons 
de  délires,  tout  cela  demeurera  sur  la  terre. 
Vous  n'avez  donc  que  ce  que  vous  avez  reçu 
et  que  ce  qui  vous  sera  ôté  peut-être  dès  de- 
main. Qu'avez-vou<  donc  qui  soit  à  vous? 
Où  est  votre  domaine?  que  possédez-vous 
qu'il  ne  faille  pas  peidre  malgré  vous?  quel 
est  votre  droit  de  propriété?  Dieu  seul  eu 
est  revêtu. 


ORATEURS  SACHES.  DON  JEROME. 


Remplissez  vous  donc  bien  de  celle  vérilé, 
<,iii  8|  parlienl  à  la  fui  cl  à  la  religion,  que 
Dieu  et  ni  la  souveraine»  raison  et  la  sagesse 
éternelle,  il  conduit  toutes  choses  à  ses  lins; 
il  place  les  hommes  suivant  ses  desseins 
éternels;  il  fait  le  riche  comme  il  lait  le  pau- 
vre, le  petit  connue  le  grand. 

Nous  vous  dirons  dans  un  moment  quelles 
sont  ses  vues  dans  celte  inégalité  de  condi- 
tions, qui  lendent  toutes  à  notre  sanctifica- 
tion :  retenez  seulement  que  celui  qui  vous 
n  placé  sur  la  terre  dans  un  élal  agréable 
selon  les  sens,  vous  a  chargé  d  un  ministère, 
et  que  vous  ne  tenez  dans  sa  vigne  ce  rang 
où  il  vous  a  placé  qu'à  des  conditions  qu'il 
faut  vous  expliquer. 

Le  propriétaire  de  la  vigne  dil  à  un  ouvrier 
qui  se  plaint  :  Mon  ami,  je  ne  vous  fais  point 
de  tort,  ne  vous  êtes-vous  point  accordé  avec 
moi?  Nous  avez  reçu  vos  Mens  de  Dieu,  qui 
ne  vous  les  a  donnés  qu'à  certaines  condi- 
tions; c'est  un  pacte  qu'il  a  fait  avec  vous. 
Lors  donc  que  nous  vous  demandons  ce  qu'il 
s'est  réservé  par  le  pacte,  nous  ne  vous  fai- 
sons point  de  tort. 

Voici  les  conditions  :  vous  ferez  deux  paris 
dans  les  biens  que  vous  avez  reçus  de  moi; 
l'une  pour  vous,  l'une  pour  le  pauvre.  La 
première  part  s'appellera  le  nécessaire,  la 
seconde  le  superflu  :  Toile  quod  tuum  est: 
Prenez  ce  qui  vous  appartient  et  donnez 
l'aumône  de  ce  que  vous  avez  de  superflu. 

Voilà  voire  ministère,  voilà  ce  que  j'exige 
de  vous  en  vous  pinçant  avantageusement 
dans  ma  vigne.  C'est  là  votre  lâche  :  répri- 
mer la  cupidité  en  la  renfermant  dans  le 
nécessaire  el  en  la  forçant  de  distribuer  le 
superflu;  c'est  par  là  que  vous  vous  sancti- 
Gerez. 

Non,  mes  frères,  vous  n'avez  droit  que  sur 
le  nécessaire,  c'esl  ce  que  Jésus-Christ  nous 
a  enseigné  dans  celle  excellente  prière  qui 
est  le  modèle  de  toule  prière  chrétienne,  et 
qui  renferme  toul  l'ordre  de  nos  désirs  et  de 
nos  devoirs.  Il  nous  apprend  à  ne  demander 
que  le  nécessaire  et  à  le  demander  chaque 
jour  :  Panem  nostrum  quotidianum.  Panem, 
le  nécessaire,  point  de  supci Huilé;  quotidia- 
num,  au  jour  le  jour  ;  point  d'amas,  point  de 
ces  avares  prévoyances,  quoique  nous  n'ex- 
cluyons  pas  une  prudence  sage  el  éclairée; 
point  de  ces  soins  empressés  d'acquérir  , 
d'accumuler,  qui  déshonorent  la  Providence, 
et  qui  marquent  que  nous  n'établissons  point 
notre  confiance  dans  le  Dieu  rivant  qui  nous 
fournit  tout  ce  qui  est  nécessaire  à  la  vie. 

C'est  dans  ce  sens  que  l'apôtre  saint  Paul, 
interprète  de  l'Evangile,  nous  dit  dans  1  Kpî- 
tre  à  Timothée,  qu'ayant  de  quoi  nous  nour- 
rir et  nous  vêtir,  nous  devons  vire  content  s; 
el  il  nous  en  donne  la  raison  :  C'est ,  dil-il , 
que  nous  n'avons  rien  apporte  en  ce  monde,  et 
que  nous  ne  devons  en  rien  rapporter.  Nous 
ne  sommes  dans  ce  monde  qu'en  passant  pour 
aller  à  notre  patrie ,  nous  n'avons  droit  que 
sur  ce  qu'il  nous  faut  pour  fournir  aux  néces- 
sités de  notre  passage. 

Entrez  bien,  s'il  vous  plaît,  dans  ce  grand 
principe  de  la  vie  chrétienne  :  nous  sommes 


faits  pour  Dieu  M  nullement  pour  le  monde; 
ainsi  tout  amour  des  créatures  pour  elles- 
mêmes  est  mauvais  et  déréglé, ce  qui  n'exclut 
cependant  pas  l'usage  des  créatures  ,  ni  mê- 
me une  sorte  d'amour,  mais  l'amour  d 
créatures  pour  elles-mêmes,  c'est-à-dire  un 
amour  qui  se  repose  sur  la  créature  ,  qui  |  n 
l'ail  sa  fin  ,  et  qui  tend  à  jouir  de  ce  qui  n'est 
donné  que  pour  l'usage,  et  qui  n'est  pas  no- 
tre bien  véritable. 

Car  prenez  garde  que  sainl  Augustin  dis- 
tingue deux  sortes  d'amour,  l'un  qu'il  ap- 
pelle amour  passager,  charitas  trantitorta, 
el  un  autre  qu'il  appelle  un  amour  fixe  et 
permanent,  charitas  tnansoria;  amour  des 
moyens  qui  nous  conduisent  à  noire  fin  dans 
l'ordre  de  Dieu  ;  amour  qui  nous  attache  à 
noire  bien  véritable,  unique,  fixe,  éternel, 
qui  (Si  Dieu. 

Ainsi  les  biens  que  Dieu  vous  a  donnés 
sont  des  moyens  que  sa  providence  vous 
fournit  pour  conserver  votre  vie,  pour  gar- 
der les  bienséances  de  voire  état  et  pour  sa- 
tisfaire aux  nécessités  de  votre  passage  dans 
la  condition  où  il  vous  a  placé  ;  vous  pouvez 
les  aioier  de  cet  amour  de  moyen  pour  aller 
à  Dieu. 

L'usage  que  vous  en  ferez  étant  donc  ren- 
fermé dans  les  borne-;  d'une  véritable  néces- 
sité ne  peut  pas  être  désagréable  à  Dieu, 
puisqu'il  est  dans  son  ordre  el  que  vous  de- 
vez vous  sanctifier  en  l'observant. 

Mais  prenez  garde  que  je  dis  une  véritable 
nécessité  ,  une  nécessité  réelle  ,  el  non  pas 
une  nécessité  imaginaire  qui  n'est  fon  Jée  que 
sur  la  concupiscence  et  sur  les  fausses  maxi- 
mes du  monde  ;  car  ce  serait  être  déraison- 
nable, el  même  aller  contre  l'ordre  de  Dieu, 
que  de  ne  vouloir  pas  qu'une  femme  de  con- 
dition soit  autrement  vêtue  que  celle  qui  n'en 
est  pas. 

L'ordre  demande  qu'il  y  ail  de  la  distinc- 
tion dans  les  personnes  d'une  haulo  naissan- 
ce et  celles  du  commun;  entre  les  magistrats 
ou  des  gens  placés  dans  les  charges  publi- 
ques et  éminentes  ,  et  des  particuliers  qui 
n'ont  point  de  rang.  Mais  l'ordre  de  Dieu  est 
entièrement  renversé  par  les  excès  où  la  cu- 
pidité a  poussé  le  luxe  dans  les  habits,  la 
magnificence  dans  les  meubles  ,  la  vanité 
dans  les  équipages,  la  superfluile  sur  les  ta- 
bles, et  les  dépenses  énormes  dans  une  infi- 
nité de  choses  qui  ne  servent  qu'à  la  vanité, 
au  plaisir  el  à  la  volupté. 

Par  là  vous  faites  voir  que  vous  ue  regar- 
dez plus  les  biens  que  Dieu  vous  a  donnés 
pour  en  user  simplement, mais  pour  en  jouir; 
ce  n'est  plus  un  usage,  c'esl  une  jouissance: 
vous  vous  attachez  à  ces  biens  pour  eux- 
mêmes,  vous  ne  les  regardez  pas  comme  dt  » 
moyens  pour  aller  à  Dieu,  vous  vous  y  repo- 
se/, vous  en  faites  votre  lin:  vous  les  recher- 
chez pour  la  vanité,  pour  la  volupté,  pour  la 
curiosité,  (tour  le  plaisir;  en  un  mol  vous 
vous  rende/,  le  propriétaire  de  la  rigne 
dans  laquelle  le  Seigneur  ue  vous  a  introduit 
que  pour  v  être  l'un  des  ouviiers  de  journée; 
vous  ne  laites  plus  de  dislin  lion  entre  le  su- 
I  erflu  et  le  nécessaire  comme  Dieu  l'exige  de 


2Gl 


SERMON  POUR  LE  DIMANCHE  DE  LA  SEPTUAGES1ME. 


îifiâ 


vous,  ci  l'orgueil  qui  vous  domine  croissant 
tous  les  jours,  vous  vous  fuites  tous  les  jours 
de  nouvelles  nécessités  qui  vous  obligent  de 
confondre  le  superflu  avec  le  nécessaire.  Es- 
sayons de  vous  faire  sentir  la  nécessité  de 
distinguer  ces  deux  choses  que  la  cupidité 
vous  fait  confondre  ,  par  une  belle  réflexion 
sur  la  conduite  que  Dieu  a  gardée  avec  le 
premier  homme. 

Il  le  plaça  dans  le  paradis  terrestre,  qui 
était  un  lieu  de  délices  ;  il  lui  donna  l'usage 
des  fruits  de  tous  les  arbres  de  ce  Heu  char- 
mant ,  il  n'y  en  eut  qu'un  seul  auquel  il  lui 
défendit  de  toucher  sous  peine  de  la  vie.  Que 
prétendait-il,  dit  saint  Augustin,  en  lui  faisant 
cette  défense,  et  quelle  était  la  différence  de 
cet  arbre  avec  tous  les  autres?  D'où  avait-il 
pris  ce  poison  capable  de  tuer  celui  qui  en 
ferait  usage? 

Dieu  voulait  faire  sentir,  mes  frères,  sa 
souveraineté  à  Adam  ;  il  voulait  lui  appren- 
dre qu'il  était  une  créature  dépendante  de 
son  pouvoir ,  qu'il  était  dans  un  lieu  où  il 
n'était  pas  le  maître  ,  et  d'où  il  pouvait  être 
chassé  par  celui  qui  l'y  avait  placé.  En  effet, 
dit  saint  Augustin  ,  le  péché  d'Adam  ne  fut 
que  l'amour  de  l'indépendance,  il  agit  comme 
étant  le  maître  absolu  de  tous  les  biens  qu'il 
avait  reçus  de  Dieu. 

Riches  de  la  terre,  Dieu  vous  a  placés  dans 
une  espèce  de  paradis  terrestre.  Vous  avez 
tout  en  abondance,  il  y  a  un  nombre  de  cho- 
ses dont  l'usage  vous  est  permis  dans  les  rè- 
gles de  la  nécessité,  et  celte  nécessité  va  plus 
loin  pour  vous  que  pour  une  infinité  d'au- 
tres, il  faut  l'avouer;  mais  il  vous  a  fait  une 
loi,  c'est  de  distribuer  aux  pauvres  ce  qui 
vous  reste,  après  avoir  satisfait- aux  néces- 
sités de  votre  condition  réglée  par  l'Evangile, 
par  l'esprit  de  la  religion  ,  par  l'exemple  de 
Jésus-Christ,  par  celui  des  saints  et  par  la 
doctrine  de  l'Eglise,  qui  est  celle  des  Pères. 
11  a  mis  sa  main  sur  celte  portion  des  biens 
dont  il  vous  a  donné  l'usage  ,  il  se  l'est  ré- 
servée pour  les  pauvres,  qui  sont  ses  enfants 
comme  vous.  Voire  orgueil  ne  peut  pas  souf- 
frir cette  dépendance,  vous  ne  voulez  point 
recevoir  celle  loi,  ni  reconnaître  de  maître 
au-dessus  de  vous  ;  vous  voulez  être  de  peti- 
tes divinités  dans  votre  élévation. 

On  vous  fera  sentir  dans  un  instant  quo 
vous  n'êtes  que  de  faibles  créatures  ,  cl  vous 
serez  chasȎs  non-seulement  de  votre  para- 
dis terrestre,  mais  de  celui  que  Dieu  prépare 
à  ceux  qui  ont  eu  soin  des  pauvres,  qui  ont 
nourri  ceux  qui  avaient  faim  et  vêtu  ceux  qui 
étaient  nus;  car  vous  n'avez  pas  tenu  les  con- 
ditions du  pacte  que  Dieu  avail  fait  avec  vous, 
cl  par  le  violement  de  ces  conditions  vous  êtes 
devenus  prévaricateurs  dans  votre  ministère, 
et  chargés  de  tous  les  désordres  qui  suivent 
de  ce  violement. 

Les  voici  ces  désordres  :  écoulez-les  bien  ; 
mais  auparavant  établissons  ce  principe  que 
Dieu,  qui  gouverne  et  qui  règle  tout  par  sa 
providence,  a  fourni  dans  sa  famille  des  biens 
suffisants  pour  la  subsistance  de  tous  ceux 
qui  la  composent.  Ne  voyez-vous  pas  que  le 
sa^c  cl  charitable  père  ch:  famille  \  icut  à  tou- 


tes les  heures  du  jour  chercher  des  ouvriers  ? 
11  sort  dès  la  pointe  du  jour,  à  la  troisième, 
à  la  sixième  ,  à  la  neuvième  heure,  et  enfin 
il  sort  encore  à  la  onzième  heure  du  jour, 
pour  que  personne  ne  resle  oisif  et  sans  oc- 
cupation ;  il  pourvoit  à  tout  et  il  promet  à 
chacun  ce  qui  lui  convient. 

C'est  pour  cela  qu'il  a  réglé  le  partage  des 
biens  entre  ses  enfants;  partage  si  raisonna- 
ble et  si  plein  de  justice,  qui  donne  aux  riches 
le  droit  de  prendre  le  nécessaire  pour  eux 
sur  les  biens  qu'il  leur  a  donnés,  leur  com- 
mandant d'ailleurs  de  répandre  le  superflu 
sur  les  pauvres  pour  leur  subsistance  :  par 
là  Dieu  rend  une  espèce  d'honneur  à  l'état  où 
il  vous  a  mis  ;  il  consent  que  vous  vous  par- 
tagiez le  premier  en  prenant  sur  ses  biens 
qui  sont  entre  vos  mains  ce  qui  est  néces- 
saire selon  la  bienséance  réglée  de  votre  état; 
mais  pour  le  superflu,  il  veut  que  vous  le  ré- 
pandiez sur  le  pauvre,  et  souvenez-vous  que 
ce  devoir  est  essentiel  dans  votre  état,  c'est 
votre  ministère. 

Nous  sommes  tous  égaux  devant  Dieu,  tous 
enfants  de  la  même  famille.  Nous  avons  tous 
été  tirés  de  la  terre  et  nous  retournerons  tous 
dans  la  terre.  Nous  sommes  des  ouvriers  ap- 
pelés et  introduits  dans  la  vigne  par  le  père 
de  famille;  nous  aurons  tous  la  même  récom- 
pense. Il  est  vrai  que  l'ordre  que  le  père  a 
établi  dans  cette  famille  demande  que  celle 
égalité  soil  cachée  dans  l'espace  si  court  de 
la  vie  présente  par  la  différence  des  condi- 
tions; mais  il  veut  que  la  foi  la  fasse  subsis- 
ter entre  ses  enfants,  et  que  la  charité  se  dé- 
couvre par  le  soin  que  les  aînés,  qui  sont  les 
riches,  se  chargent  de  prendre  des  pauvres, 
qui  sont  les  cadets  de  celle  famille;  en  sorte 
que  c'est  un  ordre  admirable  de  la  sagesse  de 
Dieu.  Ce  que  la  nature  ne  fait  point,  la  grâce 
l'établit,  et  le  riche  trouve  le  moyen  de  se 
sanctifier  en  donnant  avec  amour  ce  qui 
n'est  point  à  lui,  comme  le  pauvre  se  sancti- 
fie en  demandant  avec  humilité  ce  qui  lui 
appartient  des  biens  de  son  père  ;  c'est  la  pen- 
sée de  saint  Augustin. 

Mais  si  le  riche,  oubliant  ses  devoirs  et 
confondant  le  superflu  avec  le  nécessaire, 
donne  tout  à  sa  cupidité  et  ne  réserve  rien 
pour  le  pauvre;  si,  méprisant  ces  lois  si  pré- 
cises el  si  essentielles  de  son  état,  il  dit,  com- 
me le  prince  superbe  et  insolent  dans  l'Ecri- 
ture :  Et  qui  est  le  Seigneur?  Ne  suis-je  pas 
le  maître  de  mon  bien?  la  confusion  el  le  dés- 
ordre se  répandra  par  toute  la  famille  de  ce 
père  qui  a  réglé  toute  chose  avec  tant  de  sa- 
gesse. 

L'un  nagera  dans  l'abondance  et  dans  les 
superfluités  ,  pendant  que  l'autre  sera  abîmé 
dans  la  misère  et  dans  une  affreuse  indigen- 
ce; que  produira  celte  effroyable  inégalité,  si 
ce  n'est  ce  que  l'injustice  et  la  durcie  des 
mauvais  riches  nous  fait  voir  tous  les  jours? 
Qui  est-ce  qui  ne  sera  pas  tenté  de  croire 
qu'il  n'est  pas  possible  qu'un  Dieu  sage,  jus- 
te, toul-puissani,  charitable,  soit  le  père  ten- 
dre de  ceux  qui  passent  leur  vie  dans  l'op- 
pression, dans  la  misère,  dans  l'accablement, 
dans  le  besoin  de  toutes  <  hoscs;  sans  paiu; 


2C5 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


164 


sans  feu,  sans  vêtements,  errants  et  vaga- 
liomls,  sans  retraite,  sans  ressource,  sans 
consolation,  et  cela  par  la  faute  de  ceux  à 
(]ui  rien  ne  manque,  qui  sont  dans  l'abon- 
dance, (liez  qui  tout  brille,  qui  regorgent  de 
lionne  chère,  qui  sont  abîmes  dans  la  mol- 
lesse, et  qui  donnent  tous  les  jours  an  luxe, 
au  plaisir,  à  la  vanité,  ce  qui  suffirait  pour 
faire  subsister  honnêtement  dix  de  leurs  frè- 
res qui  périssent  faute  de  secours'.' 

Seigneur,  vous  vous  êtes  plaint  souvent 
par  vos  prophètes  que  la  mauvaise  vie  de  vo- 
tre peuple  était  cause  que  les  païens  blas- 
phémaient votre  nom  adorable,  cl  qu'ils  mé- 
prisaient ce  Dieu  à  qui  des  hommes  si  déré- 
glés se  vantaient  d'appartenir.  Que  diraient- 
ils,  Seigneur,  ces  païens  qui  prenaient  tant 
de  soin  pour  qu'il  n'y  eût  point  de  pauvres 
parmi  eux  ,  s'ils  voyaient  la  conduite  des 
chrétiens  qui  se  vantent  d'appartenir  à  Jésus- 
Christ  ,  qui  se  glorifient  d'être  les  dépositai- 
res de  son  Evangile  ,  qui  se  font  un  devoir 
d'en  faire  tous  les  jours  leur  lecture  ,  et  qui, 
voyant  la  misère  de  leurs  frères  sans  les  se- 
courir, lisent  leur  condamnation  sans  en  être 
touchés  !  Ne  diraient-ils  pas  qu'il  faut  ou  que 
notre  esprit  soit  égaré,  si  notre  religion  est 
véritable,  ou  que  notre  religion  est  fausse  et 
même  détestable,  puisqu'elle  fait  des  hommes 
si  déréglés? 

Cependant,  riches  de  la  terre,  c'est-à-dire, 
riches  voluptueux,  prodigues  pour  le  luxe, 
avares  pour  la  charité,  insensibles  à  la  mi- 
sère du  pauvre,  sensibles  à  la  volupté,  atten- 
tifs aux  plaisirs,  vous  demandez  lousles  jours 
àDieu  tranquillement  que  son  nom  soit  sanc- 
tifié, et  au  sortir  de  votre  prière  vous  ne  voyez 
pas,  vous  ne  sentez  pas  que  votre  conduite 
est  un  blasphème  continuel  contre  la  vie  de 
Jésus-Christ,  contre  les  règles  de  l'Evangile, 
contre  les  lois  de  votre  état  1  Mais  à  quoi  pen- 
sez-vous donc  quand  vous  prononcez  ces  pa- 
roles :  Sanctificetur  nomen  tuum,  que  votre 
nom  soit  sanctifié?  N'appréhendez-vous  pas 
qu'il  ne  vous  prenne  au  mot  et  qu'il  ne  sanc- 
tifie sur  vous  son  nom  terrible  en  vous  écra- 
sant par  un  coup  de  sa  justice  et  de  son  in- 
dignation? Car  vous  êtes  cause  que  son  saint 
nom  est  blasphémé,  non  par  les  païens, mais 
par  vos  frères  que  vous  y  contraignez  en 
quelque  sorte. 

N'êles-vous  pas  cause  en  cfTel  et  des  plain- 
tes et  des  murmures  que  forment  contre  Dieu 
ceux  qui  s'en  croient  abandonnés?  N'est-ce 
pas  vous  qui  donnez  lieu  à  leur  désespoir,  à 
leurs  in  précalions  et  aux  emportements  où 
les  conduisent  les  extrémités  où  ils  sont  ré- 
duits? N'est-ce  pas  la  misère  qui  les  jelle 
dans  la  débauche,  cl  qui  les  contraint  d'em- 
brasser des  professions  où  la  perle  de  leur 
âme  est  assurée  ? 

Quoi  !  des  chrétiens  qui  foui  profession 
d'adorer  un  Dieu  qui  a  donné  sa  propre  vie 
pour  leur  salui,  et  qui  leur  recommande,  par 
la  loi  qu'il  leur  a  laissée,  de  faire  pour  leurs 
frères  ce  que  lui-même  a  l'ail  pour  eux,  ver- 
ront périr  ces  mêmes  frères  sans  en  être  tou- 
chés ,  .pendant  qu'ils  peuvent  soulager  leurs 
Uiisércs  cl  sauver  leurs  âmes  de  «la  morl  au 


prix  de  mille  choses  qu'ils  consacrent  au 
plaisir  et  à  la  vanité!  Malheur  à  vou-,  riche-, 
qui  avez  votre  consolation  en  ce  monde  I  ter- 
rible parole!  fasse  le  ciel  qu'elle  ne  tombe  ja 
mais  sur  aucun  de  ceux  qui  m'écoulent  ;  mais 
au  contraire  faites,  Seigneur,  que,  s'a<  quit- 
tant du  ministère  que  vous  leur  ;we/.  conGé 
dans  votre  famille  ,  et  s'appliquant  avee 
amour  à  soulager  la  misère  de  leurs  frères, 
ils  méritent  les  récompenses  que  vous  avez 
bien  voulu  attacher  à  l'accomplissement  de 
ce  devoir  :  je  vais  vous  les  exposer  dans  la 
dernière  partie  de  ce  discours. 

SECONDE    PARTIE. 

Je  vous  dirai  d'abord  que  la  récompense 
est  attachée  à  la  grandeur  de  l'action  même, 
c'est-à-dire  que  le  seul  avantage  de  faire 
l'action,  de  soulager  la  misère  du  pauvre, 
tient  lieu  de  récompense  à  celui  qui  la  fait.  Je 
vous  dirai  ensuite  que  celle  action  augmente 
de  mérite,  et  par  conséquent  de  récompense 
et  de  prix ,  par  la  dignité  des  personnes  qui 
reçoivent  le  soulagement.  Enfin  je  vous  dirai 
que  la  magnificence  de  celui  au  nom  de  qui 
le  soulagement  est  donné  met  le  comble  à  la 
récompense. 

11  est  certain,  mes  frères,  qu'il  y  a  des  ac- 
tions si  grandes  par  elles-mêmes,  que  le  seul 
avantage  de  les  avoir  faites  tient  lieu  de  ré- 
compense à  leur  auteur  :  telle  est  la  libéra- 
lité et  celte  grandeur  d'âme  qui  fait  qu'un 
homme  ne  regarde  ses  biens  que  comme  des 
moyens  propres  à  soulager  la  misère  des 
autres. 

Les  païens  l'ont  si  bien  reconnu,  qu'ils 
n'ont  pas  craint  de  dire  d'un  homme  libéral 
qu'il  ne  paraissait  pas  un  homme  mortel, 
mais  une  divinité  favorable,  dont  le  sein  était 
toujours  ouvert  pour  les  malheureux. 

En  effet,  quelle  gloire  plus  touchante  pour 
on  homme  que  d'entendre  dire  qu'il  n'est  né 
que  pour  le  bien  général  du  monde,  et  qu'il 
ne  met  sa  félicité  qu'à  rendre  les  autres  heu- 
reux? Quel  sera  donc  pour  un  chrétien  le 
mérite  d'une  action  qui  a  la  charité  pour 
principe,  et  qui  lui  donne  l'avantage  d'être 
le  vengeur  de  la  religion,  l'exécuteur  tl  s 
desseins  de  son  Dieu  et  le  consolateur  de  ses 
frères? 

Je  vous  disais  il  n'y  a  qu'un  moment  que 
le  riche  qui  a  des  biens  de  ce  monde,  et  qui 
ferme  ses  entrailles  sur  la  misère  du  pauvre, 
rend  suspecte  la  justice  cl  l'équité  de  Dieu, 
donne  lieu  de  douter  de  la  vérité  de  ses  pa- 
roles, jelle  des  soupçons  sur  la  Providence, 
et  porte  à  croire  que  s'il  est  père  de  tous  les 
hommes,  il  est  un  père  injuste  dans  la  distri- 
bution de  ses  biens,  qui  met  les  uns  dans 
une  abondance  monstrueuse,  pendant  qu'il 
laisse  les  autres  dans  la  nécessite. 

Le  riche  charitable,  au  contraire,  dissipe 
ces  soupçons,  venge  la  religion,  prouve  la 
Providence  et  fait  sentir  aux  misérables  qu'il 
est  un  Dieu  sage  et  puissant,  attentif  à  leurs 
misères,  qui  sait  leur  fournir  des  secours 
quand  ils  se  croient  abandonnés  absolument, 
et  qui  les  obligent  de  dire  comme  saint  Pierre 
sortant  du  cachot   où   il  était    lie  de  deux 


SERMON  POUR  LE  DIMANCHE  DE  LA  SEPÏUAGF.SIME. 


206 


chaînes  :  Je  sais  maintenant  qu'il  y  a  un  Dieu, 
ses  yeux  se  sont  ouverts  sur  mes  misères;  car 
il  m'a  envoyé'  son  ange. 

C'est  en  effet  ce  litre  honorable  que  le 
riche  mérita  de  porter  dans  l'exercice  de  la 
charité  ;  car  les  esprits  bienheureux  sont  ap- 
pelés par  l'apôtre  saint  Paul,  les  serviteurs 
et  les  ministris  qui  sont  envoyés  pour  exercer 
leur  ministère  en  faveur  de  ceux  qui  doivent 
être  les  héritiers  du  salut,  et  c'est  la  gloire 
du  riche  d'être  appelé  par  la  miséricorde  de 
Dieu  dans  la  dispensalion  de  sa  providence, 
de  sa  libéralité  et  de  ses  soins  sur  les  pau- 
vres qui  sont  les  héritiers  du  salut. 

Quelle  gloire  en  effet  pour  une  âme  chré- 
tienne d'aller  porter  la  consolation  dans 
celle  d'un  pauvre  que  la  misère  avait  plon- 
gé dans  la  douleur,  de  s'entendre  appeler  la 
bienfaitrice,  la  libératrice,  la  prolectrice  des 
malheureux  qui  sont  les  noms  de  Dieu  même  ! 
Quelle  récompense  pour  une  aumône  qui 
n'intéresse  ni  la  nécessité,  ni  la  bienséance 
réglée  de  l'état,  que  d'entendre  dire  de  soi: 
Elle  a  servi  à  marier  ma  fille,  elle  m'a  tiré 
de  la  misère,  et  m'a  sauvé  de  divers  périls  1 
Que  si  ces  titres  et  ces  éloges  son'  trés-ho- 
norables  sur  la  terre,  ils  le  seront  bien  da- 
vantage étant  écrits  dans  le  livre  de  vie,  et 
subsistanldevanl  Dieu  durant  tou!e  l'éternité, 
surtout  si  nous  y  ajoutons  l'augmentation 
du  prix  et  de  la  valeur  de  l'aumône  prise  de 
la  dignité  delà  personne  qui  la  reçoit. 

Le  Sage  nous  recommande  de  prendre 
garde  à  qui  nous  faisons  du  bien,  et  il  ajoute 
que  c'est  au  juste  à  qui  il  faut  en  faire.  Chré- 
tiens, on  veut  épargner  ici  le  soin  de  faire 
le  discernement  ;  car  si  c'est  le  juste  qu'il 
faut  choisir  pour  assurer  la  récompense  que 
Dieu  promet  à  celui  qui  donne  en  son  nom, 
vous  devez  donner  sûrement  aux  personnes 
pour  qui  nous  parlons. 

Ce  sont  des  vierges  (1)  chrétiennes  qui  ont 
tout  abandonné  pour  conserver  leur  foi,  et 
qui,  dans  le  désir  ardent  de  garder  une  très- 
exacte  fidélité  au  Seigneur,  qui  les  a  retirées 
d'un  royaume  de  ténèbres  où  régnent  les 
ombres  de  la  mort,  sont  entrées  dans  les 
voies  de  la  plus  haute  perfection,  en  se  con- 
sacrant par  des  vœux  solennels  aux  exer- 
cices d'une  pénitence  continuelle  et  sévère. 

Ne  doutez  pas  que  la  dignité  de  tels  pauvres 
ne  relè\e  le  prix  de  voire  aumône.  Nous 
vous  disions,  il  n'y  a  qu'un  moment,  que 
c'était  une  gloire  pour  vous  d'être  destinés 
dans  l'ordre  de  Dieu  à  êlre  les  ministres  de 
la  Providence  dans  le  soin  des  pauvres;  mais 
quel  rehaussement  de  gloire  iians  celte  cir— 
conslancc-i  i  1  Dieu  vous  choisit  pour  acquit- 
ter ses  promesses;  il  s'est  engagé  de  donner 
le  centuple  à  ceux  qui  auront  abandonné 
pour  lui  leurs  maisons,  leur  père,  leur  mère, 
leurs  frères  et  leurs  terres;  c'est  à  vous  qu'il 
alrcsse  ces  illustres  pauvres,  que  la  foi  et 
la  rcl'gion  onl  dépouillés  entièrement,  pour 
leur  donner  ce  qu'il  leur  a  promis  cl  pour 
acquilter  sa  parole.  Il  est  des  pauvre.,  dit 
saint  Augustin,  qu'il  faut  prévenir,  et  ne  pas 


ce  Père,  rechercher  si  les  serviteurs  de  Dieu 
n'ont  pas  besoin  de  votre  secours,  et  ne  pas 
dire:  Je  leur  donnerai  s'ils  me  demandent. 
C'e;t  une  honte  et  une  confusion  pour  vous 
d'attendre  qu'un  ministre  de  Jésus-Christ 
vous  dise  qu'il  est  dans  le  besoin. 

Suivez  l'exemple  des  habitants  de  Thessa- 
loniquc:  ils  n'attendirent  pas,  dit  saint  Paul, 
que  les  ptuvres  de  Jérusalem  leur  deman- 
dassent. Nous  n'avions  pas  besoin  de  les  pres- 
ser, au  contraire,  dit  cet  apôtre,  ils  sont  ve- 
nus au-devant  de  nous,  et  ils  nous  ont  solli- 
cités avec  beaucoup  d'instances  de  recevoir 
ce  qu'ils  étaient  en  état  de  nous  donner;  ils 
ont  mên:e  été  au  delà  de  ce  qu'ils  pouvaient. 
Ne  vous  laissez  pas  vaincre  par  des  peuples 
étrangers  et  infidèles.  Donnez  des  marques 
éclatantes  de  votre  foi.  Consacrez  une  por- 
tion de  vos  richesses  à  l'entretien  des  domes- 
tiques de  la  foi,  et  contribuez  à  la  subsi- 
stance de  ces  vierges  chrétien  nés  qui  élèvent 
jour  et  nuit  pour  vous  vers  le  ciel  des  mains 
innocentes  et  pures;  contribuez,  dis-je,  à  les 
faire  vivre,  en  leur  donnant  quelque  chose 
des  biens  que  vous  avez  reçus  des  mains  de 
leur  époux;  vous  vous  attirerez  les  effets  de 
cette  magnificence  du  Seigneur,  qui  met  en- 
fin le  comble  à  la  récompense  attachée  à 
l'exercice  de  l'aumône. 

Car  comme  c'est  non-seulement  en  son 
nom  que  vous  donnez,  mais  même  que  c'est 
lui  qui  reçoit  ce  que  vous  mettez  dans  la 
main  du  pauvre,  puisqu'il  dit  dans  l'Evan- 
gile que  c'est  lui-même  qui  a  eu  faim  et  soif 
dans  sa  personne;  c'est  lui-même  qui  se 
charge  aussi  de  vous  en  marquer  sa  recon- 
naissance et  qui  se  constitue  votre  débiteur. 
C'est  ce  qui  fait  que  nous  voyons  dans  cette 
parabole,  que  le  père  de  famille  prend  soin 
(le  faire  distribuer  la  récompense  à  chaque 
ouvrier.  Surtout  n'oubliez  pas,  chrétiens, 
que  les  mains  de  Jésus-Christ  onl  la  vertu 
de  mulliplier  ce  qu'elles  reçoivent  et  ce 
qu'elles  touchent;  car  vous  savez  que  de 
cinq  pains  qu'on  lui  présenta  dans  le  désert 
il  en  nourrit  cinq  mille  personnes;  ainsi  le 
peu  que  vous  donnerez  multipliera  à  l'infi- 
ni dans  les  mains  du  Seigneur  ce  que  vous 
donnerez  ;  et  ne  voyez-vous  pas  dans  notre 
évangile  que  ceux  qui  n'avaient  travaillé 
dans  la  vigne  que  depuis  la  onzième  heure 
reeurent  autant  que  ceux  qui  avaient  porté 
le  poids  du  jour  et  de  la  chaleur?  Telle  est  la 
bonté  et  la  magnificence  de  notre  Dieu  à  qui 
tout  est  possible,  et  qui,  ne  regardant  que  le 
cœur,  porte  des  jugements  bien  différents  de 
ceux,  des  hommes. 

Ne  perdez  donc  pas  cet  avantage  que  la 
miséricorde  de  Dieu  vous  offre;  car  oulre 
que  c'est  un  devoir  essentiel  dans  votre  con- 
dition, et  que  l'état  de  riches  vous  engage  à 
secourir  le  pauvre  si  précisément  que  je  ne 
craindrai  pas  de  vous  dire  que  de  ne  le  pas 
faire  quand  vous  le  pouvez,  c'est  vivre  dans 
l'état  de  péché,  el  d'un  péché  qui  exclut  du 
ciel,  c'esl  qu'enfin  l'aumône  est  presque  la 
seule  voie  que  la  miséricorde  de  Dieu  vous 
ouvre  pour  rentrer  i  n  grâce  avec  lui,  et  pour 


attendre  qu'ils  demandent..  Vous  devez,  dit 
(1)  Ce  discours  fui  prononcé  pour  le  soulagement  des  religieuses  anglaises,  dans  leur  église 
Orateurs  saches.  XXX.  9 


207 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROMI.. 


<J68 


obtenir  le  pardon  d'un  nombre  infini  do  fau- 
lei  dont  vous  de,  coupable».  Car  que  pour- 
rions-nous exiger  <le  vous?  De  longues  priè- 
res el  de  fréiueules  réflexions  sur  L'étal  de 
votre  vie,  sur  la  justice  île  Dieu,  sur  les  re- 
ntes éternelles? V  us  êtes, dites-vous,  char- 
gés de  trop  de  soins,  voire  imagination  t 
trop  vive,  vous  n'êtes  pas  capables  de  ces 
alicnlio.is.  Sonl-CC  des  jeûnes  que  nous  vous 
demanderions?  Mais  vous  êtes  si  faiblesel  d'un 
tempérament  trop  délicat  pour  pouvoir  sou- 
tenir ces  sortes  de  pratiques.  Serait-ce  la 
retraite  du  monde,  le  silence,  la  séparation? 
Vos  engagements  ne  ic  permettent  pas;  vous 
avez  une  Famille  qu'il  faut  entretenir;  la  so- 
litude vous  fait  peur,  elle  vous  jette  dans  un 
abattement  et  un  chagrin  contraire  à  votre 
santé. 

Il  faut  pourtant  expier  vos  péchés  et  satis- 
faire à  la  justice  de  Dieu,  et  je  ne  vois  que 
l'aumône  par  où  vous  puissiez  les  racheter 
et  apaiser  la  colère  du  Seigneur.  Je  vous  dis 
donc  ce  que  dit  Daniel  à  Nabuchodonosor  : 
Rachetez  vos  péchés  par  l'aumône:  Peccata 
tua  eleemosynis  redime:  mais  en  vous  pres- 
crivant ce  conseil,  j'ai  trois  avis  à  vous  don- 
ner, et  je  finis. 

Le  premier,  c'est  qu'il  ne  faut  pas  regar- 
der vos  péchés  en  gros,  superficiellement, 
en  général  ;  il  faut  entrer  dans  le  détail,  en 
examiner  la  qualité,  le  nombre,  les  circons- 
tances, les  suites,  la  durée  et  vos  habitudes  : 
en  voici  la  raison,  et  c'est  le  second  avis. 

Le  second  avis,  c'est  qu'il  faut  mettre  une 
proportion  entre  vos  aumônes,  et  vos  pé- 
chés ;  car  s'il  est  vrai  que,  comme  l'eau  éteint 
le  feu  quand  il  est  ardent,  Vaumône  résiste 
au  péché,  comme  dit  l'Ecriture,  il  est  vrai 
aussi  qu'on  n'éteint  pas  un  grand  feu  avec 
un  verre  d'eau,  et  par  conséquent  on  ne  sa- 
tisfait pas  à  tant  de  sortes  de  péchés  dont  on 
s'est  rendu  coupable  par  une  légère  aumône. 
On  ne  satisfait  pas  à  sa  justice  pour  tant  de 
divertissements  criminels  que  l'on  a  pris, 
pour  tant  de  folles  dépenses  que  l'on  a  faites 
en  meubles,  en  bijoux,  en  festins,  en  jeux, 
en  habits,  pour  tant  de  temps  peniu  en  visi- 
tes inutiles,  en  conversations  libres  et  peu 
chrétiennes,  en  menant  une  vie  oisive,  molle, 
el  par  là  même  scandaleuse,  parce  qu'on 
donne  en  passant  une  aumône  médiocre  :  il 
faut  de  la  proporlion.il  faut  qu'il  en  coûte 
auv  passions,  il  faut  incommoder  l'homme 
corrompu,  il  faut  que  l'amour-propre  souf- 
fre et  que  l'orgueil,  la  vanité  et  la  mollesse 
e:\  fassent  les  frais. 

Enfin  le  troisième  el  dernier  avis  est  très- 
imporlant  :  c'est  qu'il  ne  faut  pas  croire  qu'il 
sufiil  à  un  pécheur  de  donner  l'aumône  pour 
ôtre  sauvé,  sans  qu'il  renonce  à  son  péché  ; 
car  toute  aumône,  pour  être  méritoire  et 
digne  d'ôlre  offerte  à  Dieu,  doit  être  faite 
dans  l'étal  de  grâce,  ou  au  moins  dans  le  de- 
sir  de  celle  grâce  ;  autrement  ce  serait  regar- 
der Dieu  comme  un  méchant  juge  qu'on 
pourrait  corrompre  avec  de  l'argent.  Or 
Dieu,  mes  frères,  ne  peut  pas  manquer  de 
condamner  le  pecbe,  el  il  n'y  a  point  d'au- 
mône qui  puisse  lui  rendre  un  cœur  agréa- 


ble, tant  qu'il  est  encore  attaché  au  péché; 
roi  là  donc  ce  que  signifient   ces  paroi 
Rachetez  vos  péchés  par  l'aumône. 

i  que  Dieu,  accordant  sa  grâce  par 
éricorde  à  (eux  qui  font  des  aumônes 
par  un  esprit  de  pieté,  ci  en  vue  de  i  elle  (  lia- 
nte qu'ils  font  aux  autres  pour  l'amour  de 
lui,  la  leur  fait  aussi  en  les  relevant  de  leurs 
péchés,  en  les  ressuscitant  à  la  grâce,  et 
même  en  leur  remeltanl  la  peine  qu  ils  ont 
méritée,  et  c'est  ce  que  le  Sauveur  du  monde 
nous  vr  ut  apprendre  quand  il  nous  dit  : 
Bienheureux  ceux  qui  sont  miséricordieux, 
purée  qu'Ut  obtiendront  miséricorde. 

Nous  vous  rendons  grâces,  ô  Seigneur  !  de 
ce  que  vous  voulez  bien  mettre  noire  bon- 
heur entre  nos  mains,  puisque,  par  la  dis- 
position favorable  de  vos  bontés  pour  nous, 
nous  pouvons  acheter  la  miséricorde  au  prix 
de  la  miséricorde  ;  mais  comme  le  prix  Blême 
csl  encore  un  don  de  votre  miséricorde,  ren- 
dez nous  capables  de  faire  miséricorde  de 
telle  mani' rc  que  nous  soyons  dignes  de  la 
recevoir  ;  c'est  ce  que  je  vous  souhaite. 
Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POOIt    LE    DIMANCHE    DE    LA    Ql  INQIAGESIME. 

Sur  les  plaisirs. 

Domine,  ul  videam. 

Seigneur,  faites  que  je  voie  (Luc,  XVIII,  40). 

Si  les  aveugles  à  qui  j'ai  dessein  de  parler 
aujourd'hui  étaient  dans  la  disposition  de 
celui  dont  il  est  parlé  dans  l'Kvangile,  je 
serais  assuré  de  leur  guérison.  S'ils  connais- 
saient leur  mal,  s'ils  désiraient  d'en  être  dé- 
livrés et  qu'ils  s'adressassent  avec  humilité 
au  Sauveur  du  monde  pour  lui  dire  :  Set- 
(jneur,  faites  que  je  voie,  il  leur  dirait  sans 
doute  comme  ta  ces  aveugles  :  Voyez,  vo  re 
foi  vous  a  sauvés. 

Mais  j'entreprends  de  parler  à  des  gens 
qui  aiment  la  fausse  joie  du  monde,  el  qui 
veulent  pisser  leur  vie  dans  lecommerce  des 
plaisirs,  pendant  qu'elle  doit  être  employée 
à  (oui  autre  chose;  à  des  chrétiens  enfin 
qui  regardent  comme  innocents  de9  diver- 
tissements malheureux  qui  les  déshonorent 
cl  qui  les  perdent  :  et  j'entreprends  de  les 
convaincre  de  ce  qu'ils  refusent  de  connaî- 
tre, de  leur  taire  condamner  ce  qu'ils  justi- 
fient, et  de  les  détacher  de  ce  qu'ils    aiment. 

faites  donc,  ô  mon  Dieu!  que  je  voie 
moi-même  de  celte  vue  qui  nous  fait  entrer 
dans  les  vérités  de  la  religion,  d'une  ma- 
nière propre  à  en  persuader  les  aulres  ;  fai- 
te» que,  dans  ce  temps  où  l'amour  des  plai- 
sirs el  des  divertissements  du  monde,  si  na- 
turel à  l'homme  corrompu,  se  réveille  el  se 
l'ait  sentir  à  ceux,  mêmes  qui  gardent  quel- 
que règlement  dans  leur  conduite,  je  paisse 
persuadera  ceux  qui  m'écoulenl,  l"  que  tous 
les  plaisirs  en  géi  eral  ne  conviennent  point 
au  chrétien  qui  y  a  renonce  :  '2  qu'il  y  en  a 
be;ucoup,  donl  l'usage  passe  pour  innocent 
dans  le  monde,  qu'un  chrétien  ne  peut  pas 
prendre  sans  se  rendr  coupable  :  .'{  enfin 
quelesl  l'usage  réglé  qu'un  chrétien  doil  fait*. 
de  ceux  mêmes  qui  lui  sont  permi». 

Voilà,  mes  frères,  trois    propositions  que 


2C9 


SERMON  POUR  LE  DIMANCHE  DE  LA  QMNQUAGESIME. 


270 


uous  examinerons  dans  ce  discours.  Don- 
nez-moi, ô  mon  Dieu  !  les  lumières  néces- 
saires pour  les  bien  exposer  et  pour  les 
bien  établir  :  Domine,  ut  videam  :  je  vous  le 
demande  par  l'intercession  de  Marie.  Ave, 
Maria. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Tous  les  plaisirs  en  général  ne  convien- 
nent pas  à  un  chrétien  qui  y  a  renoncé.  Celle 
vérité,  mes  frères,  est   si  certaine,    qu'il  ne 
faudrait  pas  se  mettre  en  peine  de  la    prou- 
ver, si  le  chrétien  connaissait  bien  qui  lie  est 
la  nature  de  son  êire,  quelle  est  la  qualité  de 
sa  vie,  et  qu:  lie  est  la  dignité  de  sa  fin  ;  mais 
parce  qu'il  n'y    a   presque  rien   qu'il  sache 
moins  que  ce  qui  regarde  son  état  par  rap- 
port à  Jésus-Christ,  il  faut  le  lui  rclracer  en 
peu  de  paroles,  et    pour  le   convaincre  que 
les  plaisirs  ne  lui  conviennent   plus,  je  vais 
lui  faire  voir  d'où  il  sort,  où  il  esl,  où  il  va. 
Voici,  mes  frères,  une    excellente  défini- 
tion des  chrétiens    r,ue   l'apôtre   saint   Paul 
nous  donne,  qui  renferme    le  système  de   la 
rédemption.  Le  chrétien    est  un    homme  af- 
franchi de  l'esclavage  du   péché  par  Jésus- 
Christ  et  devenu  esclave  de  la   justice  par 
Jé>us-Christ.  Or,  pour  bien  entrer  dans  celle 
idée,  il  faut,    mes    frères,   vous   proposer    le 
système  de  la  rédemption  renfermé  dans  qua- 
tre   vérités.  1°  L'homme,  en  perdant  la  jus- 
lice,  s'était  livré  à  la  mort  et   à   la   nécessité 
de  souffrir   éternellement.  2*  Le  Sauveur  du 
monde  l'a  relevé  de  celle  chute  et   la  déli- 
vré de  cette  fatale  nécessité.  Le  voilà  délivré 
du  péché  et  de  ses   suites,  mais  comment? 
c'est  la  troisième   vérité.  3°  Le  Sauveur   du 
monde  a  pris  sur  lui  par  amour  la  peine  que 
l'homme  coupable  devait  souffrir  ;  il  a  satis- 
fait pour  lui  à  son  Père  par  le  mérite  de  sa 
mort  qui  était  infini,  mais  à  quelles  condi- 
tions ?  les  voici  ;   c'est   la  quatrième  vérité. 
&■"  C'est  à  condition  que   l'homme  prendrait 
part  aux  souffrances  du  Sauveur,  et  que,  dé- 
livré de  la  mort  et  des  peines   éternelles   par 
son  amour,  il  n'irait  à  la  gloire  de  la  vie  fu- 
ture que  par  le  chemin  des  souffrances  de  la 
vie  présente  que  le  Sauveur  lui  a  lui-même 
tracé. 

Voilà,  mes  frères,  le  système  de  la  ré- 
demption, l'idée  de  l'être  du  chrétien  et  sa 
définition,  affranchi  de  l'esclavage  du  péché 
par  Jésus-Christ,  et  devenu  esclave  de  lajus- 
lice  par  Jesus-Christ. 

Cela  étant  posé,  je  dis,  mes  frères,  que  si 
je  considère  d'où  sort  le  chrétien,  les  plai- 
sirs ne  lui  conviennent  en  aucune  façon.  Il 
sort  de  l'abîme  de  la  mort  éternelle,  pour 
entrer  dans  la  vie  de  la  grâce  par  le  mérite 
de  la  mort  d'un  Dieu,  qui  lui  donne  cel  être 
de  grâce.  Le  chrétien  esl  donc  proprement 
U(l  enfant  et  une  production  de  la  morl  de 
Jésus-Chris'.  Aussi,  mes  frères,  saint  Paul 
dit-il  à  tous  les  chrétiens  qu'ils  sonl  morts, 
et  que  leur  vie  esl  cachée  avec  Jésus-Christ 
dans  Dieu  ;  comme  s'il  voulait  dire  que  ce 
n'est  pas  ici  proprement  leur  vie,  et  qu'ils 
n'ont  rien  à  chercher  en  ce  monde  que  les 
maux  et  les  afflictions,  comme  Jésus-Christ. 
Lu  effet,  le  baptême  par  lequel  nous  rece- 


vons la  vie  est  une  véritable  mort;  c'est 
pourquoi  saint  Paul  dit  qu'en  le  recevant 
nous  avons  été  ensevelis  avec  Jésus-Christ 
pour  représenter  sa  mort;  c'est-à-dire  que 
comme  il  est  mort  véritablement,  et  qu'il  a 
perdu  la  vie  naturelle  pour  nous  donner  la 
vie  de  la  grâce,  il  faut  que  nous  mourions 
véritablement  au  péché  et  à  l'amour  du 
monde  pour  recevoir  celle  vie  sainte  qui 
nous  unit  véritablement  à  lui,  et  c'est  pour 
cola  qu'on  nous  demande,  avant  que  de  nous 
donner  le  baptême,  si  nous  ne  renonçons 
pas  à  Salan,  au  monde  et  à  ses  pompes. 

Nous  sommes  donc  morts  au  monde  et  à 
ses  plaisirs  par  le  baptême  et  par  la  nature 
de  l'être  que  nous  y  recevons,  et  nous  de- 
vons être  pour  les  plaisirs  du  monde  dans 
l'insensibilité  des  morts  quant  aux  affections 
du  cœur,  si  nous  ne  pouvons  pas  l'être  ab- 
solument quant  aux  sentiments,  c'est-à-dire 
que  s'il  esl  impossible  de  ne  les  pas  sentir,  il 
nous  est  défendu  de  les  aimer. 

Voilà  l'état  du  chrétien,  voilà  d'où  il  sort, 
le  voilà  considéré  du  côté  d'un  Dieu  mort 
pour  lui,  et  ne  vivant  que  par  sa  mort.  Les 
plaisirs  ne  convienneut-ils  pas  bien  à  un 
homme  dans  cet  étal,  qui  doit  n'être  pas  plus 
touché  qu'un  morl  de  toutes  les  choses  du 
monde,  et  qui  doit  é:re  bien  aise  qu'on  le  re- 
garde comme  un  homme  qui  n'est  bon  à  rien 
quand  il  s'agit  des  plaisirs  du  monde  ;  ce  que 
je  viens  de  vous  dire  vous  découvre  déjà 
quelle  doit  être  sa  vie,  ce  Dieu  de  qui  il  l'a 
reçue  lui  a  marqué  à  quoi  il  la  doit  occuper. 
Si  quelqu'un  veut  venir  après  moi,  dit  Jé- 
sus-Christ, qu'il  renonce  à  soi-même,  qu'il 
porte  sa  croix  tous  les  jours,  et  qu'il  me 
suive.  Combaltre  en  soi  toutes  les  inclina- 
tions d'Adam,  crucifier  sans  cesse  sa  chair  et 
sa  cupidité,  voilà  l'emploi  de  la  vie  d'un 
chrétien.  V ous  pleurerez  et  vous  gémirez,  vous 
autres,  et  le  monde  sera  dans  la  joie,  voilà  la 
vie  d'un  chrétien. 

Ceux  qui  appartiennent  à  Jésus-C/irist  ont 
crucifié  leur  ciiair  avec  ses  passions  et  ses  dé~ 
sirs  déréglés,  dit  saint  Paul  ;  c'est  par  là 
qu'on  reconnaîtra  le  chrétien  qui  est  à  Jé- 
sus-Christ, c'est-à-dire  qui  vit  de  l'esprit  de 
Jésus-Christ  :  et  son  emploi  est  de  marquer 
en  lui  ce  caractère  de  mort,  en  prenant  soiu 
de  crucifier  sa  chair  et  de  combattre  en  tou- 
tes chose;  ses  désirs  déréglés.  Les  plaisirs  ne 
conviennent-ils  pas  bien  encore  à  un  homme 
sur  qui  toutes  ces  obligations-là  tombent, 
qui  d'ailleurs  se  doit  regarder  sur  la  terre 
non- seulement  comme  un  étranger,  mais 
comme  un  homme  banni  et  exilé,  qui  soupire 
incessamment  après  sa  patrie,  après  son 
partage,  après  son  héritage,  après  ses  véri- 
tables biens,  qui  n'a  sur  la  terre  que  le. s  gé- 
missements en  partage  pour  pleurer  son 
bannissement  ?  C'est  ce  qui  fait  dire  à  saint 
Augustin  qu'il  ne  nous  appartient  pas  en  un 
sens  1res  véritable  de  chanter  les  louanges 
de  Dieu  C'était,  dit-il,  l'occupation  d'Adam 
dans  le  temps  de  son  innoce  ic  !  il  était  :. eu- 
roux,  et  il  possédait  Dieu  ;  nui  ses  enfants 
sont  malheureux,  parce  qu'ils  en  sont  sé- 
parés. Ainsi  il  ne  leur  convient   que  de   gé- 


271 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


171 


mir.  Co  n'csl  pas  proprement  à  eoi  à  clian- 
ter  les  louanges  du  Seigneur  dans  une  Irrc 
étrangère  :  (Juomodo  cantabimui  eanticum 
Ijomiiu  in  terra  aliéna  t  Comment  pouvons- 

nous  chanter  dans  une  terre  étrangère?  Mais 
ils  ne  sont  pas  seulement  dans  une  terre 
étrangère,  ils  sont  dans  un  pays  ennemi,  où 
règne  le  prince  du  monde,  qui  n'a  d'autre 
point  de  vue  que  celui  de  les  perdre,  de  les 
détourner  du  chemin  qui  les  ramène  à  leur 
pairie,  et  de  conomprela  fidélité  qu'ils  doi- 
vent à  leur  souverain.  C'est  pour  cela  que 
ses  sujets,  les  amateurs  du  monde,  qui  sont 
les  habitants  de  celle  terre,  dil  saint  Augus- 
tin, leur  présentent  le  fruit  du  pays,  les  dé- 
lices de  cette  vie,  et  qu'ils  les  invitent  à  en 
goûter  avec  eux.  Ces  fruits  sont  empoison- 
nés comme  celui  qui  corrompit  nos  premiers 
parents.  Si  nous  en  goûtons,  nous  nous  ar- 
rêterons sur  la  (erre,  nous  nous  fixerons  de 
cœur  el  d'affection  où  nous  ne  devons  que 
passer  ;  nou  ferons  notre  patrie  du  lieu  de 
notre  exil,  el  c'est  là  sans  doute  le  plus 
grand  de  tous  les  maux  qui  puissent  nous 
aniver. 

Aussi  est-ce  pour  l'éviter  qu'il  nous  est 
recommandé  dans  l'Ecriture  de  veiller,  de 
marcher  toujours  avec  circonspection,  de 
ne  nous  point  arrêter,  de  ne  prendre  les 
choses  qu'en  passant. 

C'est  pour  cela  que  les  saints  onl  renoncé 
à  la  joie  et  au  repos  de  ce  monde,  jusqu'à 
craindre  d'élre  trop  bien  couchés,  trop  bien 
assis,  trop  bien  nourris,  de  peur  de  se  repo- 
ser sur  la  terre.  C'est  pour  cela  que  saint 
Paul  veut,  dil  saint  Chrysoslome,  que  non- 
seulement  nous  ne  recherchions  pas  les  plai- 
sirs ni  la  délicatesse,  mais  même  que  nous 
ayons  une  sainte  haidiesse  et  une  certaine 
joie  dans  les  maux  qui  peuvent  abréger  la 
vie,  comme  élanl  ce  qui  peut  contribuer  à 
nous  délivrer  plus  tôt  de  ce  lieu  de  misère. 
Il  veut  que,  bien  loin  d'aimer  la  vie  présente 
pour  les  plaisirs,  nous  apprenions  à  la  souf- 
frir avec  patience,  comme  un  mal  pénible 
et  nécessaire,  afin  de  rejeter  la  joie  et  d'ai- 
mer les  maux  qui  la  peuvent  accourcir. 

Voilà  l'idée  du  christianisme  ;  mais,  ô  mon 
Dieu  !  où  en  est  la  pratique?  Donuez-nous- 
la,  Seigneur  ;  pénéirez-nous  d'une  vue  elfi- 
cace  de  nos  devoirs.  Domine,  ut  videam  : 
Seigneur,  faites  que  je  voie,  el  faites  par  \  o- 
tre  grâce  que  nous  soyons  en  effet  ce  que 
nous  devons  être. 

Ah  1  mes  frères,  quand  on  regarde  les 
choses  par  ces  vues,  et  qu'on  entre  un  peU 
dans  les  principes  de  la  religion,  on  voit 
bien  que  les  plaisirs  ne  conviennent  point  à 
un  chrétien  1 

Mais  ne  nous  arrêtons  pas  là:  pour  nous 
en  convaincre  parfaitement,  ne  nous  conten- 
ions pas  de  considérer  d'où  nous  sommes 
sorlis  ni  où  nous  sommes  ;  voyons  où  nous 
allons  et  si  c'est  par  la  voie  des  plaisirs 
qu'on  y  peut  arriver.  Voici  ,  mes  frères,  ce 
que  saint  Paul  nous  enseigne.  C'eut,  dit-il, 
par  beaucoup  de  peines  et  d'afflictions  (juc  nous 
devons  ender  dans  le  royaume  de  Dieu.  Le 
royaume   des  deux  se  prend  par  violence, 


r'  a  sont  les  violents  ejui  l'en/portent,  dit 
Jésus-Chrisi  lui-même. Celte  parole  est  lerri- 
ur  les  âmes  lâches  et  qui  ne  songent 
qu'A  satisfaire  leurs  inclinations;  elle  est 
cependant  capitale  dans  la  religion.  Nous 
n'avons  [  oint  d'autre  voie  pour  aller  à  l'é- 
ternité bienheureuse  que  le  travail,  que  la 
souffrante,  que  l'anéantissement  ;  je  ne  m'ar- 
rêterai pas  à  multiplier  les  lémo.gnages  de 
l'Ecriture  qui  prouvent  celle  vérité  fonda- 
mentale delà  religion  ;  je  vous  prie  seulement 
d'appliquer  ici  un  des  principes  qu<*  j'ai  établis 
d'abord,  en  vous  traçant  le  système  de  la 
rédemption. 

Le  Sauveur  du  monde  nous  a  délivrés  de 
la  mort  cl  nous  a  rendu  le  droit  à  la  gloire 
que  nous  avions  perdu  par  le  péché,  mais 
c'est  à  condition  que  nous  ne  pourrions  y 
aller  que  par  le  chemin  des  souffrances 
qu'il  nous  a  (racé  et  qu'il  a  lenu  lui-même. 
Il  n'y  a  donc  plus  d'autre  voie  que  celle-là 
depuis  que  l'homme  esl  devenu  l'ennemi  de 
Dieu,  el  que  Dieu  s'est  rendu  le  Sauveur  de 
l'homme.  Celle  gloire  que  nous  espérons,  el 
à  laquelle  nul  ne  veut  renoncer,  quelquedé- 
réglée  que  soit  sa  vie,  est  un  héritage  qu'il  a 
acquis  par  sa  mort  el  qu'il  adesline  à  ses  en- 
fants. Or,  ses  enfants  sont  ceux  qui  onl  re- 
noncé aux  fausses  joies  du  monde,  el  qui 
portent  sa  croix  après  lui  ;  car  Dieu  châlit 
celui  qu'il  aime,  dit  l'Apôtre,  et  il  fiappe  de 
renjes  tous  ceux  qu'il  reçoit  au  nombre  de  ses 
enfants.  Si  donc  vous  n'avez  point  de  pari  à 
sa  croix  et  à  ses  souffrances,  si  vous  n'êtes 
pas  châtiés,  vous  n'êtes  donc  pas  des  enfants  lé« 
gi limes.  Après  cela,  pouvons-nous  être  étonnés 
qu'il  dise  que  ceux  qui  pleurent  sont  bienheu- 
reux, parce  qu'il  seront  consolés,  el  qu'au  con- 
traire il  prononce  malédiction  sur  ceux  qui 
rient  maintenant,  parce  qu'ils  seront  réduits 
aux  pleurs  et  aux  larmes  dans  l'éternité  ? 

Mais  finissons  cette  première  partie.  Ne 
voilà-t-il  pas,  mes  frères,  assez  de  raisons 
pour  vous  convaincre  que  le  plaisir  ne  con- 
vient nullement  au  chrétien,  soit  qu'on  con- 
sidère ce  qu'il  a  été,  ce  qu'il  est  ce  qu'il  dé- 
sire d'être?  Rien  ne  l'invite  à  la  joie:  ni  le 
lieu  où  il  est,  ni  le  temps  de  la  vie  qu'il 
passe,  ni  le  sujet  qui  excite  ordinairement  la 
joie  des  hommes.  O  mon  Dieu  !  donnez-nous 
le  véritable  esprit  de  notre  sainte  religion. 
Si  nous  l'avions,  mes  frères,  nous  n'aurions 
pas  de  peine  à  nous  laisser  convaincre  qu'il 
y  a  beaucoup  de  plaisirs,  qui  passent  pour 
innocents  dans  l'usage  du  monde,  qu'an  chré- 
lien  ne  peul  prendre  sans  se  rendre  coupable; 
c'est  la  deuxième  partie. 

DEUXIEME    PARTIE. 

De  tous  les  plaisirs  qui  passent  pour  inno- 
cents dans  l'usage  du  monde  ,  j'en  choisis 
trois  qui  me  paraissent  les  plus  communs, 
dont  je  vais  vous  découvrir  la  malignité,  en 
vous  montrant  en  même  temps  qu'un  chré- 
tien ne  peul  les  prendre  sans  se  rendre  cou- 
pable. 

Nous  parlons  quelquefois  contre  les  spec- 
tacles, contre  le  bal,  les  danses,  el  enfla 
coulrc  les  jeux  de  hasard  ;  mais  comme  ce 


275 


SEKMQN  POUR  LE  DIMANCHE  DE  LA  QU1NQUAGESIME. 


274 


n'est  qu'en  passant,  ce  que  nous  disons  fait 
peu  d'impression.  11  est  donc  à  propos  de 
découvrir  toute  la  malignité  de  tous  ces 
fruits  de  l'iniquité.  ïl  n'y  a  pas  de  temps  ni 
d'occasion  plus  propre  à  le  faire  que  celle- 
ci  ;  car  c'est  dans  ces  jours  d'assemblées  et 
de  joie  qu'on  pense  principalement  à  pren- 
dre ces  sortes  de  divertissements  pernicieux. 
A  l'égard  des  spectacles,  c'est  un  divertis- 
sement dont  l'usage  ne  peut  être  permis  à 
un  chrétien  ;  et  voici,  mes  frères,  les  fonde- 
ments que  j'ai  pour  les  condamner  :  tous 
les  saints  Pères  l'ont  toujours  interdit  aux 
chrétiens;  ils  ont  toujours  eu  raison  de  le 
leur  défendre. 

Depuis  Tertullien  qui  a  commencé  à  paraî- 
tre en  l'an  19i,  vers  la  fin  du  deuxième  siècle, 
jusqu'à  saint  Bernard  qui  est  le  dernier  des 
Pères,  qui  vivait  au  douzième  siècle,  pas  un 
des  Pères  n'a  parlé  de  ce  divertissement  que 
comme  d'un  poison  pour  les  chrétiens.  De- 
puis saint  Bernard  jusqu'à  nous,  on  ne 
trouvera  pas  un  seul  auteur  ecclésiastique 
qui  ail  dit  que  ce  divertissement  fût  sans  pé- 
ril, et  qu'un  chrétien  qui  veut  vivre  selon 
l'Evangile  le  pût  prendre  légitimement  et  ordi- 
nairement. Je  dis  plus  :  qu'on  consulte  qui 
on  voudra,  on  ne  trouvera  personne  qui 
ose  signer  que  la  comédie  et  l'opéra  peuvent 
être  un  divertissement  innocent  et  permis  à 
Un  chrétien. 

J'ajoute  à  tout  cela  que  ceux  qui  n'osent 
retrancher  ce  divertissement  aux  personnes 
qui  les  consultent,  et  qui,  par  ignorance, 
par  lâcheté,  par  complaisance  ou  par  in- 
térêt, craignent  de  le  condamner  absolument, 
disent  tous  que  c'est  mieux  fait  de  s'en  abs- 
tenir, que  l'usage  en  est  dangereux,  et  que 
souvent  il  produit  de  déplorables  effets.  D'où 
je  conclus  que  ce  divertissement  ne  peut  être 
permis  à  un  chrétien,  puisque  les  saints  Pè- 
res en  ont  toujours  interdit  l'usage,  et  que 
dans  le  plus  grand  relâchement  il  a  toujours 
été  regardé  comme  très-dangereux. 

Mais  si  les  saints  Pères  l'ont  toujours  dé- 
fendu, ils  ont  toujours  eu  raison  de  le  faire, 
les  intérêts  de  la  religion  les  ont  portés  à 
employer  leur  zèle  contre  ce  divertissement 
qui  la  détruit.  Car,  mes  frères,  la  religion 
peut  être  attaquée  de  trois  différentes  ma- 
nières, dans  son  auteur  qui  est  Dieu,  dans 
sa  doctrine  qui  est  l'Evangile,  dans  ses  sujets 
qui  sont  les  chrétiens. 

La  religion  a  été  attaquée  dans  son  auteur 
par  les  païens  et  les  idolâtres  qui  se  sont  fait 
des  dieux  pour  les  adorer.  Elle  a  été  atta- 
quée dans  sa  doctrine  par  les  hérétiques  qui 
se  sont  fait  une  créance  et  formé  des 
lois  contre  les  siennes.  Elle  l'a  été  dans  ses 
sujets  par  les  tyrans  qui  ont  tourmenté  les 
chrétiens  pour  les  arracher  des  aulels  du  vrai 
Dieu,  et  pour  les  détourner  de  la  pratique  de 
sa  loi.  Or,  mes  frères,  ceux  qui  onl  lu  les  ou- 
vrages de  Tertullien  contre  les  spectacles,  et 
ceux  de  saint  Cyprien,  qui  \ivail  dans  le 
même  siècle,  environ  vingt-huit  ans  après, 
ce  que  saint  Augustin  a  cent  sur  le  même 
suj>  l  en  mille  endroits  de  ses  ouvrages  vers 
U  lia  du  quatrième  siècle;  ce  que  dit  saint 


Chrysostome,  environ  dans  le  même  temps, 
ve«s  la   fin  du   quatrième  et  au  commence- 
ment du  cinquième,  reconnaissent  que  tout 
ce    qu'ils   ont   dit  roule   sur  ce  qu'ils  pré- 
tendent que  les  spectacles  réunissaient  toute 
la  malignité  de  ces  trois  ennemis  de  la  reli- 
gion, puisqu'on  y  rend  une  espèce   de   culte 
au  démon,  en  y  étalant  ses  pompes,  que  l'on 
y  enseigne  une  doctrine  et  des  maximes  tout 
opposées  à  l'Evangile,  et  que  l'on  y  débauche 
les  sujets  du  Seigneur  par  ies  charmes  et  par 
les  plaisirs  qui  leur  inspirent  l'amour  du  mon- 
de, et  qui  les  rendent  prévaricateurs  et  vio- 
lateurs des   vœux  et  des  promesses  de  leur 
bap'.ême.  Eh  !  qu'on  ne  nous  dise  pas  que  les 
raisons   des  samts   Pères  contre  les    spec- 
tacles ne  subsistent  plus,   qu'on  a  épuré  la 
comédie,  que  l'on  a  pris  soin,  dans  ces  der- 
niers temps,  de  rendre   honnête  ce  qui  ne 
l'était  pas  dans  ces  temps  anciens  ;  car  c'est 
dire  que  le  poison   qui  se  donnait   alors   à 
découvert  se  donne  à  présent  dans  un  breu- 
vage agréable  et  sous  des  fleurs;  c'est-à-dire 
que  le  démon,  plus  rusé  qu'autrefois,  a  trou- 
vé ou  a  formé  des  gens  qui,  pour  rendre  son 
culte  plus  praticable,  en  ont  ôlé  l'horreur  , 
et  qui,  pour  étendre   son   empire  et  multi- 
plier ses  sujets,  ont  trouvé  le  secret  d'ouvrir 
la  porte  de  son  temple  à  mille  gens  à  qui  la 
bienséance  et  l'honnêteté  en  fermait  l'entrée; 
et  en  effet  on  ne  fait  nlus  difficulté  d'aller  en- 
tendre ce  qui  corrompt  le  cœur,  parce  qu'on 
ditqu'on  n'y  voit  rien  qui  blesselesyeux.Non, 
mes  frères,  il  n'y  a  aucune  différence  entre  les 
speciacles  anciens  et  ceux  d'aujourd'hui,  eu 
égird  aux  déplorables  effets  qu'ils  produi- 
sent. On  y  étale  les  pompes  du  monde  et  de 
Salan  comme  autrefois  ;  ou   y  débite   peut- 
être  plus  finement  une  détestable   doctrine, 
toute  contraire  à  celle  de  l'Evangiie  et  de   la 
religion,  et  il  n'est  que  trop  vrai  qu'on   y 
débauche  les  sujets  de  Dieu  pour  en  faire  des 
idolâtres  du  monde.  Mais  parce  qu'il  y  a  mille 
gens  qui  se  croient  en  sûreté,   au   milieu  do 
ces  dangers,  en  prétendant  ne  point  ressen- 
tir ces  effets  et  être  tournés  de  telle  manière 
que  ce  poison  qui  peut  en  gâter  d'autres   est 
pour  eux  sans    malignité,  et  qu'il  pourrait 
peut-être  absolument  se  faire  que  cela  serait 
vrai  de   quelque  particulier,  et  qu'ainsi  ou 
pourrait  conclure  que  celle  sorte  de  divertis- 
sement ne  devrait  être  interdit  qu'à  ceux  qui 
ne  pourraient  le  prendre  sans  danger,  voici 
une  raison  qui  me  paraît  si   forte   pour  eu 
interdire  l'usage  à   tout  chrétien,  que  je  ne 
crois  pas  qu'on  puisse  n'être  point  convain- 
cu, après  y  avoir  réfléchi,  qu'on   ne  peut  le 
prendre  sans  se  rendre  coupable. 

Il  n'y  a  point  de  salut  sans  la  charité;  elle 
a  deux  objets,  Dieu  et  le  prochain.  Nous  ne 
saurions  être  sauvés  sans  aimer  Dieu  plus 
que  nous-mêmes,  et  le  prochain  comme  nous- 
mêmes  :  voilà  notre  foi.  L'amour  du  prochain 
est  donc  sur  la  même  ligne  que  celui  que  je 
me  dois  à  moi-même.  Je  ne  m'aime  qu'autant 
que  j'aime  mon  salut  et  que  je  hais  tout  ce 
qui  y  est  contraire;  je  n'aime  donc  mon 
prochain  qu'autant  que  j'aime  son  salut  et 
que  je  hais  tout  ce  qui  y  est  contraire. 


27:. 


OKATEURS  SACRES.  DOM  JEHOME. 


27G 


Celte  obligation  d'aimer  le  s;ilut  de  son 
prochain  est  telle,  qu'à  l'exception  de  mon 
salut  propre,  que  je  ne  dois  p;is  exposer  pour 
le  Bien,  je  suis  obligé  de  donner  tout  ce  qui 
est  à  moi  pour  le  salut  de  mon  frère,  et  jus- 
qu'à ma  vie  même,  s'il  est  nécessaire  de  la 
donner  pour  le  sauver  ;  ceci  est  sans  dif- 
liculté. 

Or  voici  ce  que  l'ait  un  chrétien  qui  pré- 
tend faire  son  divertissement  des  spectacle-.  : 
il  renverse  toute  l'économie  de  la  charité 
chrétienne,  et  il  en  viole  le  précepte  de  la 
manière  du  monde  la  plus  indigne  de  la  reli- 
gion; il  sacrifie  le  salut  de  son  frère  à  son 
plaisir,  lui  qui  est  obligé  de  donner  sa  vie 
même  dans  la  nécessité  pour  le  sauver,  s'il 
ne  peut  l'être  qu'en  l'exposant  ;  il  contri- 
bue à  entretenir  le  comédien  et  l'acteur  de 
l'opéra  dans  une  profession  qui  le  dégrade  de 
la  qualité  de  chrétien  en  quelque  sorte,  qui 
le  fait  renoncer  à  l'avantage  d'être  membre 
de  Jésus-Christ  pour  en  faire  un  ministre  du 
démon,  puisque  les  pasteurs  de  l'Eglise  ne 
les  regardent  point  comme  des  ouailles  ,  et 
qu'ils  leur  refusent  le  pain  de  la  vie  même  à 
la  mort,  s'ils  ne  promettent  de  se  reconnaî- 
tre par  acte  public,  de  quitter  le  parti  du  dé- 
mon et  de  rentrer  dans  celui  de  Jés.us-Christ 
qu'ils  ont  lâchement  abandonné.  Après  cela 
vous  croyez  prendr.eavec  innocence  un  diver- 
tisscmentqui  coûte  si  cher  au  malheurcuxqui 
vous  le  donne?  Vous  sacrifiez  à  votre  plaisir 
cette  âme  rachetée  du  sangd'un  Dieu?  et  vous 
estimez  moins  que  votre  joie  et  votre  passe- 
temps  ce  qui  a  coûté  la  vie  d'un  Dieu?  Voir 
Jésus-Christ  mourir  pour  le  salut  de  ses  pro- 
pres ennemis  ,  et  ne  vouloir  pas  se  priver 
d'un  divertissement  pour  le  s., lut  de  son  fière, 
quel  effroyable  aveuglement  ! 

Ah!  chrétiens,  souvenez-vous  que  celui  à 
qui  la  perte  de  son  frère  ne  paraît  rien  est 
dans  un  grand  danger  de  se  perdre  lui-même, 
s'il  n'est  pas  déjà  perdu  par  l'extinction  de  la 
charité.  Je  vous  laisse,  mes  frères  ,  faire  ré- 
flexion sur  cette  raison  que  je  viens  de  vous 
exposer. 

Il  faut  diredes  danses  etdu  bal  ce  que  no  is 
venons  de  (iiie  des  spcclac.es.  Tous  les  saints 
Pères  qui  en  ont  parlé  ont  regardé  les  bals 
et  les  danses  comme  les  principales  parties 
de  ces  pernicieux  divertissements  ;  ils  ont 
toujours  envisagé  ces  plaisirs  comme  oppo- 
sés a  l'esprit  du  christianisme  et  à  la  dignité 
de  la  religion  chrétienne. 

Je  ne  vous  rapporierai  pas  en  détail  ce  que 
saint  Clément  d'Alexandrie,  Tertullien,  saint 
Cyprien,  saint  Augustin  et  saint  Chrysostome 
ont  dit  contre  ces  divertissements  pernicieux; 
mais  je  vais  vous  diic  en  abrégé  le  fond  de 
leurs  raisons,  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  essentiel 
dans  les  motifs  importants  qu'ils  ont  eus  de 
les  condamner. 

1"  Us  ont  regardé  la  danse  comme  un  reste 
dn  paganisme,  ils  l'ont  considérée  dans  sou 
origine  comme  une  espèce  d'idolâtrie;  et  en 
effet  l'idolâtrie  publique  dont  il  est  parlé 
dans  L'Ecriture  est  celle  où  le  peuple  adora 
le  veau  d'or,  cl  qui  lut  accompagnée  des 
danses ,  ce  qui  leur  fait  dire  que  la  danse 


des  gens  du  monde  est  dans  son  principe  fille 
de  I  idolâtrie  |  et  que  ,  l'une  et  rentre  avant 
eu  une  même  origine,  les   chrétiens  sont 

obligés  d'y  renoncer,  attendu  que  ce  qui  n'a 
aucune  ntilité  réelle,  que  ce  qui  ne  pcul  ser- 
vir qu'à  l'amour  du  monde  et  à  corromi  i 
les  mœurs,  doit  être  interdit  à  un  chrétien  , 
et,  (  omme  le  dit  Tertullien,  ce  qui  a  Oé  dans 
son  commencement  consacre  à  l'idolâtrie  i  - 
lient  la  tache  de  sa  profanation. 

2°  Ils  ont  donc  regardé  la  danse  comme 
l'ouvrage  du  mond  •  el  comme  une  partie  es- 
sentielle de  ses  pompes,  auxquelles  nous 
avons  renoncé  par  notre  baptême,  que  nous 
ne  pouvons  plus  pi  en. Ire  sans  nous  rendre 
prévaricateurs  de  nos  promesses  el  de  nos 
vœux.  Ces  divertissements ,  selon  saini  Au- 
guslin  ,  sont  les  dangereuses  persécutions 
que  le  démon  emploie  pour  nous  faire  quit- 
ter le  parti  de  Dieu. 

:i°  Us  ont  prétendu  que  la  danse  n'inspire 
qu'un  mauvais  amour  et  ne  serl  qu'à  cor- 
rompre la  pureté.  Hue  voy-z-vous  dans  ces 
abominables  assemblées  de  bals  et  de  dans. 
Qu'y  dites-vous  ?  Qu'y  faites-vous  qui  n'ins- 
pire pis  l'impureté?  les  suites  en  sont  ef- 
froyables. 

Ce  sont  là  à  peu  près  les  raisons  que  les 
Pères  ont  alléguées  contre  les  danses,  et  c'est 
sur  ces  raisons  que  l'Eglise  les  a  tant  de  fois 
défendues  à  ses  enfants.  D'où  je  conclus 
qu'un  chrétien  ne  peul  pas  prendre  ce  diver- 
tissement sans  se  rendre  coupable.  Aussi  . 
mes  frè:es,  le  Sage  nous  donne-t-il  cet  avis, 
de  ne  nous  pas  trouver  avec  une  femme  qi  i 
danse,  de  peur  que  nous  ne  périssions; 
comme  s'il  voulait  nous  faire  entendre  qu'il 
y  a  un  poison  dans  ce  divertissement  qui  a 
la  force  de  tuer.  On  ne  peut  s'exposer  au 
péril  de  se  perJrc,  sans  péché  :  l'expérience 
ne  fait  que  trop  voir  que  cet  avis  est  véri- 
table, songez  y.  De  là  je  conclus  que  c'est 
un  désordre  digne  d'élre  pleuré  par  tous  les 
justes  ,  de  voir  ces  danses  et  ces  bals  faire 
aujourd'hui  une  partie  des  noces  des  chré- 
tiens, el  que  ceux  qui  on:  reçu  un  très-grand 
sacre  lient,  comme  l'appelle  sain'.  Paul  .  as- 
semblent leurs  amis  pour  en  faire  presque 
toujours  la  profanation  avec  plus  de  pompe, 
par  l'usage  <t'un  divertissement  si  dan 
reux.  Ah  1  tiignile  du  christianisme  ,  on  ne 
vous  connaît  plus!  De  là  je  conclus  que  c'est 
une  chose  dopiorablc  ,  selon  les  obligations 
du  christianisme  ,  qu'on  se  fasse  un  devoir 
dans  des  familles  chrétiennes  de  faite  donner 
des  leçons  réglées  pour  la  danse  à  déjeunes 
enfants  ,  et  de  former  dans  des  àmos  pures 
des  inclinations  qui  les  porteront  probable- 
ment ,  un  jour .  à  des  plaisirs  criminels. 
.l'avoue  qu'on  peut  et  même  qu'on  doit  leur 
apprendre  à  êlre  dans  une  contenance  con- 
venable  et  décente.  La  religion  n'exclut  ni 
I  s  grâce-  innocentes  ni  la  bienséance;  mais 
si  Icn  danses  ont  clé  si  sagement  el  si  sou- 
vent défendues  par  les  Pères  et  par  les  con- 
ciles, pourquoi  des  pères  t  I  des  mère-  cli  ■<■- 
liens,  qui  ne  doivent  songer  qu'au  salul  de 
leurs  cillants,  souffriront-ils  qu'on  leur  eu 
donne  des  premiers  préceptes  ?  Faites-j  ré- 


SERMON  POUR  LE  DIMANCHE  DE  LA  QUINQUAGESIME 


277 

flexion ,  mes  frères.  L'apprentissage  d'un 
exercice  criminel  ne  peut  jamais  être  inno- 
cent,  et  souvenez-vous,  mères  chrétiennes, 
de  ce  qu'a  dit  saint  Ambroise  à  l'occasion  de 
la  fille  d'Hérodiade  :  Qu'une  mère  adultère 
apprenne,  si  elle  veut,  à  sa  fille  à  danser: 
mais  pour  une  mère  chrétienne,  il  faut  qu'elle 
apprenne  à  la  sienne,  non  pas  la  danse,  mais 
la  religion  et  la  piété.  Vous  pouvez  f.iire  ap- 
prendre à  vos  enfants  à  bien  marcher,  à  se 
tenir  droits  ,  mais  jamais  d'assemblée  de 
danses  chez  des  chrétiens  !  Formez  le  corps, 
à  la  bonne  heure  !  donnez-lui  de  la  grâce  , 
mais  jamais  aux  dépens  de  l'âme. 

Enfin,  mes  frères,  le  jeu  ,  considéré  comme 
remplissant  la  vie  des  gens  du  monde  et  dont 
il  es!  pour  ainsi  dire  la  plus  sérieuse  occu- 
pation ,  ne  peut  pas  être  un  divertissement 
légitime  pour  un  chrétien.  Les  saints  Pères 
l'ont  condamné  ,  l'Eglise  l'a  frappé  d'ana- 
thème;  elle  nous  défemi  par  ses  lois  de  don- 
ner les  sacrements  à  ceux  qui  tiennent  des 
lieux  ouverts  où  on  donne  à  jouer  publique- 
ment. Les  ordonnances  civiles  condamnent 
ceu\  qui  les  tiennent  ;  mais  allons  au  fond 
et  aux  raisons  solides  que  les  Pères,  les  con- 
ciles et  les  magistrats  ont  eues  de  condam- 
ner ce  divertissement.  Il  y  a  trois  choses  à 
considérer  :  le  jeu  en  soi,  le  gain  du  jeu  , 
les  suites  du  jeu.  En  soi  il  ne  vaut  rien, 
quand  il  passe  l'amusement  sage  et  mesuré 
que  l'on  se  doit  à  soi-même  ;  le  gain  qu'on 
y  lait  est  illicite  ,  les  suites  en  sont  ef- 
froyables. 

En  premier  lien  il  ne  vaut  rien  en  soi  et  il 
porte  sa  condamnation  quand  il  est  considé- 
rable et  f.  cquent.  Vous  ne  pouvez  jouer ,  si 
ce  n'est  j.otir  vous  délasser  véritablement, 
qu'en  usant  ma!  à  propos  de  deux  choses  que 
l'on  peut  dire  qui  ne  sont  point  à  vous,  dans 
un  très-bon  sens.  1°  Le  temps  de  la  vie  qui 
se  passe  en  parties  de  jeu  nous  est  donné 
pour  faire  notre  salut  ;  si  vous  êtes  justes  , 
il  faut  acquérir  le  ciel  par  les  bonnes  œuvres, 
et  ne  pas  donner  au  jeu  un  temps  si  pré- 
cieux ;  si  vous  êtes  pécheurs,  le  jeu  vous  est 
interdit  ;  le  temps  si  court  de  la  vie  nous  est 
donné  pour  nous  convertir,  et  non  pas  pour 
faire  une  occupation  sérieuse  de  ce  qui  ne 
peut  être  tout  au  plus  qu'un  délassement. 

2°  Le  bien  et  les  sommes  que  \ous  expo- 
sez au  jeu,  quand  elles  sont  considérables  , 
ne  sont  point  à  vous  ;  ou  c'est  votre  néces- 
saire ,  ou  c'est  votre  superflu  :  si  c'est  votre 
nécessaire,  vous  ôlez  à  votre  famille  ce  qui 
lui  appartient  ,  vous  la  ruinez  et  vous  ne  le 
pouvez  pas ,  parce  que  vous  n'en  êtes  pas  le 
maître;  m  c'e-t  votre  superflu  ,  il  est  aux 
pauvres.  Dit  a  leur  a  assigné  leur  subsistance 
là-dessus.  Quelle  cruauté  déjouer  la  vie  des 
misérables  !  Prenez  garde  ,  Dieu  aura  son 
retour  sur  la  vôtre. 

En  second  lieu  ,  le  gain  du  jeu  n'est  point 
légitime.  Souvent  t'est  un  enfant  qui  expose 
un  bien  dont  il  n'a  pas  la  disposition,  contre 
lequel  on  peut  revenir.  C'est  un  homme  qui 
doit  et  qui  joue  le  bien  de  ses  créanciers  ; 
c'est  une  femme  qui  joue  à  l'insu  et  contre 
le  gré  de  son  mari  qui  s'en  désespère.  Vous 


278 

ne  pouvez  pas  profiter  de  son  injustice  ,  le 
droit  que  vous  acquérez  sur  ccqu'elle  expose 
injustement  n'est  pas  légitime.  Mais  j'ajoute 
que  quand  même  on  n'exposerait  au  jeu  que 
ce  qu'on  y  peut  exposer,  ce  n'est  point  un 
titre  pour  acquérir,  et  sans  faire  attention 
que  l'on  n'a  point  d'action  en  justice  pour  le 
gain  du  jeu  ,  selon  Dieu ,  l'homme  ne  doit 
gagner  son  pain  qu'à  la  sueur  de  son  front. 
Un  gain  légitime  doit  être  le  fruit  d'un  tra- 
vail légitime,  et  pour  un  chrétien  est-ce  un 
travail  que  le  jeu?  Peut-il  y  avoir  de  la  jus- 
tice dans  un  exercice  défendu  par  les  lois 
divines,  ecclésiastiques  et  civiles?  Ainsi, 
mes  frères  ,  un  homme  qui  fait  profession 
d'être  joueur,  ou  qui  s'est  enrichi  dans  le 
jeu,  ne  doit  pas  vivre  du  bien  qu'il  a  acquis, 
il  faut  qu'il  le  donne  aux  pauvres.  Le  bien 
acquis  parle  péché  ne  doit  pas  servir  à  nous 
faire  vivre  plus  à  notre  aise;  il  n'est  pas 
juste  qu'un  homme  soit  plus  heureux  selon 
le  monde  par  ce  qui  l'a  rendu  criminel  de- 
vant Dieu,  et  que  ce  qui  doit  faire  sa  dam- 
nation, s'il  ne  fait  pénitence  ,  soit  la  source 
de  sa  félicité  en  cette  vie.  Delà  concluez  que 
tous  les  gens  qui  ont  acquis  du  bien  par  le 
péché  ne  sont  pas  seulement  obligés  de  quit- 
ter le  péché,  qui  a  été  la  source  de  leur  gain, 
mais  qu'ils  doivent  renoncer  à  leur  gain.  Si 
cependant  ils  étaient  à  un  tel  point  de  pau- 
vreté qu'ils  ne  pussent  vivre  d'autre  chose, 
alors  ils  pourraient  prendre  le  nécessaire,  en 
faisant  pénitence. 

En  troisième  lieu,  enfin  ,  tes  suites  du  jeu 
sont  effroyables  :  1°  la  perle  du  temps,  2°  la 
ruine  des  affaires  et  de  sa  famille  ,  3"  l'inca- 
pacité où  se  réduisent  les  joueurs  pour  tous 
les  emplois  ;  car  on  ne  veut  d'eux  en  aucun 
endroit,  personne  ne  s'y  fie,  on  leur  retire 
toutes  les  affaires  et  avec  raison  ;  4°  les  in- 
trigues du  jeu,  les  engagements  funestes 
qu'il  attire  :  on  se  laisse  perdre  avec  une 
femme  pour  gagner  d'un  autre  côté,  on  lui 
gagne  son  bien  pour  la  réduire  à  la  néces- 
sité de  composer;  5" l'asservissement  indigne 
d'un  homme  non-seulement  chrétien ,  mais 
même  raisonnable  ,  qui  est  là  dans  une  ap- 
plication inquiète  et  fatigante  ,  dans  une  at- 
tention agitée  ,  les  yeux  sur  trois  dés  qu'il 
regarde  comme  les  instruments  et  le  mobile 
de  son  sort ,  tout  transporté  ,  tout  hors  de 
lui-même,  jusqu'à  ce  qu'il  voie  la  décision 
de  ce  qu'il  attend.  S'il  gagne,  il  est  transporté 
par  les  mouvements  d'une  fausse  joie;  s'il 
perd  ,  il  s'abandonne  aux  emportements 
d'une  véritable  fureur  ;  il  blasphème,  il  brise 
tout  ce  qu'il  trouve  sous  sa  main  ,  il  est  hors 
de  lui-même  ,  il  fait  peur.  Est-ce  là  un  di- 
vertissement? Voilà  donc  les  suites  du  jeu  , 
on  commence  par  peu  et  on  s'engage  insen- 
siblement. En  vérité  un  chrétien  peut-il 
prendre  ces  sortes  de  divertissements  sans  se 
rendre  coupable.'  Ajoutons  un  mot  de  l'u- 
sage qu'il  doit  faire  des  plaisirs  qui  lui  sont 
permis  :  c'esl  la  troisième  partie. 

TROISIÈME   runii:. 

Ma    dernière   proposition    renferme  trois 
choses  qu'il  faudrait  exposer  si  j'en  avais  le 


m 


ORATEURS  SACRES.  DO.M  JEROME. 


28Q 


temps  :  1°  la  qualité  dos  divertissements  qui 
soul  permis  à  un  chrétien  ;  2"  la  fin  qu'il  doit 
se  proposer  en  les  prenant;  3e  le  temps  de 
les  prendre  et  celui  qu'il  y  doit  donner. 

A  l'égard  delà  qualité,  il  faut  que  lea  diver- 
tissements d'un  chrétien  soient  dignes  de  lui 
et  qu'ils  ne  soie  ni  pas  indignes  de  Dieu,  c'est- 
à-dire,!"  qu'il  puisse  les  prendre  sans  désho- 
norer sa  qualité  de  chrétien,  de  frère  de  Jé- 
sus-Christel d'enfant  de  Dieu;  2°  que  l'usage 
lui  en  puisse  être  rapporté  :  car  un  chrétien 
qui  est  tout  à  Dieu  ne  doit  jamais  agir  que 
pour  Dieu  ;  ainsi  une  couvi  rsation  réglée  , 
une  mu' ique  chrétienne,  un  jeu  d'adresse  , 
Dne* promenade  ,  ce  sont  des  divertissements 
qu'un  chrétien  peut  prendre  avec  innocence» 
La  fin  qu'il  s'y  doit  proposer  ne  doit  jamais 
être  le  plaisir  attaché  au  divertissement, 
mais  le  besoin  qui  en  rend  l'usage  néces- 
saire. Ce  doit  être  le  délassement  d'un  esprit 
fatigué  à  qui  on  les  permet,  comme  on  donne 
des  remèdes  au  corps  pour  le  soulager  dans 
ses  maladies.  C'est  l'idée  que  les  Pères  nous 
donnent  sur  les  divertissements  permis  au 
chrétien  ;  par  où  vous  voyez  ,  mes  frères  , 
que  comme  on  ne  considère  pas  les  remèdes 
pour  eux-mêmes,  mais  pour  l'effet  qu'ils  pro- 
duisent, qu'on  a  toujours  quelque  répugnance 
à  en  user,  et  qu'il  n'y  a  que  la  nécessité  qui 
contraigne  à  les  prendre,  on  doit  se  régler 
de  même  dans  l'usage  des  divertissements  , 
si  on  veut  en  user  en  bon  chrétien  :  car  de 
rechercher  le  plaisir  pour  le  plaisir  et  en 
faire  sa  fin.,  rien  n'est  plus  contraire  à  l'obli- 
g  lion  de  renonrer  à  soi-même,  qui  est  l'âme 
des  vertus  chrétiennes. 

A  l'égard  du  temps  et  de  la  durée,  il  faut 
le  régler  sur  le  même  principe  ,  c'est-à-dire, 
qu'il  faut  donner  au  divertissement  celui 
qu'on  donne  à  l'usage  des  remèdes,  et  aucun, 
si  on  peut  •  car  comme  ceux  qui  s'habituent 
à  prendre  des  remèdes  usent  leur  corps  , 
ruinent  leur  tempérament  et  n'ont  jamais  de 
sanié,  un  chrétien  qui  passe  sa  vie  dans  les 
délices  et  dans  les  plaisirs  n'a  ni  force  ni  vi- 
gueur selon  l'esprit.  Il  est  toujours  languis- 
sant sous  le  joug  de  ses  passions  ;  c'est  un 
misérable  qui  traîne  une  vie  sujette  à  autant 
de  maladies  qu'il  a  de  désirs  déréglés  :  ce 
n'est  pas  là  être  un  chrétien,  c'est  être  un  es- 
clave du  démon. 

Si  quelqu'un  de  vous  ,  mes  frères,  se  sent 
touché  des  vérités  que  j'ai  exposées  dans  ce 
discours,  et  si  Jésus-Christ  1  i  a  fait  com- 
prendre que  ni  les  plaisirs  ni  la  joie  du 
monde  ne  conviennent  point  à  un  chrétien, 
que  ceux  qu'il  a  regardés  comme  innoce  ts 
sont  pernicieux  et  qu'il  doit  même  garder 
une  nès-sage  précaution  dans  l'usage  de 
ceux  qui  peuvent  lui  être  permis  ,  qu'il  est 
heureux  1  Le  Sauveur  du  monde  fait  pour  lui 
dans  ce  moment  ce  qu'il  a  fait  autrefois  pour 
l'aveugle  de  l'Evangile.  Qu'il  lasse  donc 
maintenant  à  son  tour,  à  l'égard  du  Sau- 
veur, ce  que  fit  cet  aveugle  après  sa  guérisou  : 
11  le  suivit ,  dit  l'Evangile,  rendant  grâces  à 
Dieu  ;  ce  qui  nous  apprend  ,  selon  saint 
Chrysoslomc  ,  qu'il  n'y  a  point  de  meilleure 
marque  du  sentiment  que  nous  avons  des 


miséricordes  du  Sauveur,  que  de  marcher 

sur  ses  pas  et  d'aller  à  lui  par  !a  voie  qu'il 
nous  a  trac.  e. 

Ainsi  ,  focs  frères  ,  il  faut  donc  que  celui 
qui  se  sent  louché  renon  e  à  la  fausse  joie 
du  monde  et  qu'il  ne  prenne  aucune  part  à 
celle  qui  s'offre  à  lui  dans  ces  jours  de  plai- 
sir. Rien  n'est  si  opposé  à  toute  l'ancienne 
discipline  de  l'Eglise,  à  l'esprit  de  la  religion, 
que  la  profanation  qu'on  lait  d'un  temps  qui 
a  toujours  été  consacré  à  la  pratique  des 
bonnes  œuvres.  Je  n'ai  pas  le  loisir  de  vous 
rapporter  quels  étaient  les  exercices  des 
chrétiens,  même  jusqu'au  temps  de  saint 
Charles  dans  le  dernier  siècle  ,  depuis  la 
Septuagésime  jusqu'au  carême  :  ils  étaient 
bien  différents  de  ceux  que  la  corruption  et 
le  relâchement  ont  introduits  depuis. 

Je  vous  prie  seulement  de  faire  celle  ré- 
flexion, s'il  est  à  propos  de  se  préparer  à  la 
pénitence  par  l'usage  de  la  joie  et  des  plai- 
sirs; si  c'est  se  bien  disposer  à  recevoir  la 
miséricorde  que  nous  demandons  dans  le 
carême,  que  de  commettre  de  nouveaux  pé- 
chés en  satisfaisant  les  désirs  déréglés  de  son 
cœur  et  en  s'abanuonn  tnt  à  ses  passions. 
Non,  mes  très  chers  frères,  il  n'y  a  point  de 
temps  moins  propre  à  prendre  des  divertis- 
sements, même  permis,  que  celui-ci,  où  nous 
devons  nous  préparer  à  la  pénitence  que 
nous  allons  commencer,  à  la  mémoire  de 
la  passion  du  S  luveur  du  monde,  que  nous 
soleniiisons  à  la  fin  du  carême  ,  en  achevant 
notre  pénitence,  et  à  la  grâce  de  la  résur- 
rection qui  doit  être  le  fruit  de  notre  péni- 
tence. 

Mon  Dieu  ,  le  monde  ne  vous  connaît  pas. 
Domine,  ut  videam  ,  ouvrez-nous  ies  yeux 
sur  nos  obligations  ,  faites  que  nous  vous 
connaissions  et  que  nous  agissions  confor- 
mément à  cette  connaissance.  C'eslceque  je 
vous  souhaite.  Ainsi  soil-il. 

SERMON 

POUR  LE   IOLR  DES  CENDRES. 

Sur  la  pensée  de  la  mort. 

Memenio,  liomo,  quia  pulvis  es,  cl  la  |iul\ereni  rêver- 
ions. 

Souvient-loi,  o  homme,  que  lu  n'es  que  cendre,  el  que  lu 
retourneras  en  cendre  [Office d*jowr\. 

Faut- il  le  dire  aux  hommes  à  des  jours 
précis,  et  est-il  nécessaire  qu'il  y  ait  des 
temps  désignés  pour  les  avertir  qu'il  faut 
mourir?  Tout  ce  qui  nous  environne  ne  nous 
le  dit-il  pas  ,:ss  z?  .\o,i,  chrétiens,  ce  n'est 
pas  précisément  pour  nous  avertir,  ni  pour 
nous  convaincre  de  celte  nécessité,  dont 
nous  sommes  assez  persuadés,  que  l'Eglise 
nous  dit  tous  les  ans  à  l'ouverture  de  la 
quarantaine  que  nous  commençons  aujour- 
d'hui; Votu  n'êtes  <,ur  poudre,  et  tous  retour- 
nerez en  pou<lrc  ;  mais  c'est  p.'Ur  nous  obliger 
de  tirer  de  celle  nécessité  inévitable  1  s  con- 
séquences que  nous  n'en  tirons  point .  Ou'il 
faille  mourir,  tout  le  inonde  le  sail;  bi  D 
mourir,  tout  le  monde  l'opère;  s'y  bien  pré- 
parer, c'est  ce  qu'on  néglige.  Voilé  pourtant 
la  conséquence  naturelle  de  ces  deux  propo- 
sitions dont  on  convient,  cl  qu'on  ne  lire 


281 


SERMON  I  POUR  LE  JOUR  DES  CENDRES. 


282 


presque  jamais.  Cependant  c'est  la  seule 
voie  d'assurer  son  salut,  selon  toute  l'ana- 
logie de  la  foi  et  de  la  religion.  On  demeure 
sur  ce  point  dans  une  stupidité  et  dans  une 
inaction  qui  ne  se  comprend  point:  et  voilà, 
mes  frères,  la  pratique  dans  laquelle  je  vou- 
drais aujourd'hui  vous  apprendre  à  entrer, 
pour  entrer  moi-même  dans  l'esprit  de 
l'Eglise,  et  joindre  mes  faibles  efforts  à  la 
voix  de  cette  mère  charitable  qui  dit  à  ses 
enfants  :  Souvenez-vous  que  vous  n'êtes  que 
poudre  ,  et  que  vous  retournerez  en  poudre. 

Je  voudrais  donner  dans  ce  discours  l'idée 
d'une  certaine  préparation  à  la  mort  qui  en- 
trât dans  tous  les  mouvements  de  notre  vie, 
et  qui,  sans  en  troubler  ni  l'ordre,  ni  les  jus- 
tes engagements,  ni  même  les  plaisirs  inno- 
cents et  réglés,  uous  pût  mettre  en  étal  d'en 
attendre  la  fin  avec  tranquillité,  et  de  la 
voir  approcher  avec  amour,  comme  un  pas- 
sage à  la  vie  bienheureuse  que  nous  atten- 
dons. 

Or,  celte  préparation  consiste  en  deux 
choses  qui  feront  le  partage  de  mou  discours  : 
la  première  est  d'avoir  toujours  présente 
l'idée  de  la  mort  :  premier  point  ;  la  seconde, 
c'est  de  régler  tous  les  mouvements  de  noire 
vie  sur  l'idée  de  la  mort  :  second  point. 

Heureux,  mes  très-chors  frères,  si  de  l'a- 
vis important  que  l'Eglise  nous  donne  au- 
jourd'hui :  Mémento  ,  hemo,  nous  appre- 
nions à  tirer  ces  conséquences  si  nécessai- 
res, de  ne  perdre  jamais  de  vue  la  pensée  de 
la  mort,  dérégler  notre  vie  sur  la  pensée  de 
la  mort.  Par  là  nous  serions  dans  l'état  où 
doit  vivre  un  homme  qui  doit  mourir  comme 
un  chrétien,  qui  doit  vivre  toujours.  Deman- 
dons l'assistance  du  Saint-Esprit.  Ave,  Ma- 
ria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

11  y  a  longtemps  que,  pour  faire  connaître 
aux  hommes  la  nécessité  de  ne  perdre  ja- 
mais l'idée  de  la  mort,  l'Ecriture  leur  a  dit  : 
Souvenez-vous  de  votre  fin  dernière,  et  vous 
ne  pécherez  jamais  ;  mais  il  y  a  longtemps 
aussi  que  les  hommes  négligent  cet  avertis- 
sement si  nécessaire,  et  qu'aveuglés  sur  leurs 
vérilaîdes  intérêts,  ils  perdent,  en  rejetant 
celle  pensée,  on  des  plus  grands  remèdes  à 
leurs  maux,  et  un  des  moyens  les  plus  effi- 
caees  pour  assurer  leur  salut  éternel.  Leur 
mécompte  sur  cet  article  si  important  vient 
des  vues  différentes  qu'ils  onl  sur  la  mort, 
plus  fausses  les  unes  que  les  autres  :  1" 
quelquefois  ils  rejettent  celle  pensée  comme 
incommode,  cl  parce  qu'elle  leur  représente 
toujours  ce  qu'ils  ne  voudraient  voir  jamais  ; 
bien  loin  de  s'en  entretenir,  ils  fo  l  leurs 
efforts  pour  en  éloigner  jusqu'à  l'idée  même; 
2°  ce  qui  lait  qu'ils  négligent  davantage  celle 
pen-éc,  c'esi  qu'ils  n'en  connaissent  pas  l'u- 
tilité, et,  se  persuadant  mal  à  propos  que  la 
mort,  qui  est  la  destruction  de  la  vie,  ne 
doit  rien  avoir  do  commun  avec  clic,  ils 
croient  qu'il  suffit  d'y  penser  quand  il  faut 
mourir:  3"  ils  regardent  celte  application 
comme  impossible,  et  dans  la  variété  des 
ouins  qui  les  occupent  et  qui  les  partagent, 


ils  ne  croient  pas  qu'il  soit  possible  de  cou- 
server  toujours  une  idée  qu'on  perd  quel- 
quefois même  dans  le  repos  de  la  solitude  et 
dans  la  plus  profonde  tranquillité.  Essayons 
de  dissiper  ces  erreurs,,  et  de  faire  voir  à 
l'homme  combien  il  est  séduit  par  ces  faus- 
ses idées,  afin  que,  l'ayant  convaincu  de  la 
nécessité  de  penser  à  la  mort,  nous  n'ayons 
plus  qu'à  lui  apprendre  la  manière  de  le 
faire  facilement. 

lu  11  est  vrai,  mes  chers  frères,  que  la 
pensée  de  la  mort  est  incommode,  et  je  con- 
viens avec  vous  que  l'Ecriture  même  l'a  re- 
connu. 0  mort  1  que  ton  souvenir  est  amer! 
nous  dit-elle;  mais  je  ne  pense  pas  qu'un 
chrétien  qui  croit  une  autre  vie  et  qui  songe 
à  son  salul  veuille  parler  ainsi  aux  condi- 
tions que  l'Ecriture  semble  l'accorder,  car 
elle  ajoute,  à  un  homme  qui  vit  en  paix  ait 
milieu  de  ses  biens  ;  par  où  il  paraît  que  l'E- 
criture ne  permet  de  parler  ainsi  qu'à  ceux 
qui  mettent  tout  leur  bonheur  dans  la  pos- 
session des  biens  présents,  et  qui,  renonçant 
à  tous  les  avantages  de  la  vie  éternelle  et 
bienheureuse,  s'en  veulent  tenir  à  ceux  de 
celte  vie  mortelle  et  passagère.  Mais,  mes 
frères,  n'outrons  rien,  parlons  avec  préci- 
sion :  tous  ceux  que  l'idée  delà  mort  effraye 
ne  sont  pas  du  nombre  de  ces  malheureux 
qui  renoncent  au  salut  éternel,  et  qui,  no 
s'altachanl  qu'au  présent,  veulent  bien  aban- 
donner le  futur  au  hasard  :  je  reconnais 
avec  vous  que  dans  un  certain  sens  l'idée  do 
la  mort  n'accommode  presque  personne,  et 
qu'elle  fait  de  terribles  impressions,  aussi 
bien  sur  ces  pécheurs  attachés  aux  seuls 
biens  de  la  terre,  que  sur  ces  justes  à  qui  la 
foi  a  déjà  appris  à  mépriser  ce  qu'elle  en- 
lève. 

Or,  mes  frères,  recherchons  ensemble  le 
vrai  principe  de  cette  crainte,  pour  essayer, 
non  pas  d'en  guérir  l'homme  absolument  ; 
car,  outre  que  je  ne  crois  pas  qu'il  fût  aisé 
et  peut-être  possible  d'y  réussir,  je  suis  per- 
suadé qu'il  n'est  pas  nécessaire  de  le  faire  ; 
mais  pour  apprendre  à  nous  servir  avanta- 
geusement de  cette  crainte  et  à  faire  entrer 
dans  l'ouvrage  de  noire  salut  ce  qui  est 
réellement  incommode  à  nos  passions,  je  dis 
plus,  ce  qui  est  combattu  et  rejeté  par  les 
inclinations  dont  nous  sommes  plus  vive- 
ment touchés  dans  notre  état  présent. 

Pour  cela,  mes  frères,  il  faut  se  représen- 
ter deux  choses  :  la  première,  c'est  l'état  où 
fut  l'homme  avant  son  péché,  et  la  seconde, 
c'est  celui  où  il  est  aujourd'hui.  Autrefois  il 
fut  innocent,  c'esl  ainsi  que  Dieu  le  créa  ;  et 
durant  cet  état  heureux,  sa  chair,  soumise  à 
son  esprit,  et  son  cspr.1  à  Dieu,  formait  par 
celle  soumission  une  certaine  harmonie  qui 
lui  rendait  la  vie  non-seulement  douce  et 
charmante,  mais  encore  innocente  cl  agréa- 
ble à  Dieu.  Alors  l'idée  de  la  mort  était  hor- 
rib'c  de  toutes  façons,  parce  qu'elle  ne  pou- 
vait être  que  la  destruction  d'une  vie  cou- 
for. ne  à  sa  volonté  et  aux  desseins  de  Dieu. 
Elle  ne  pouvait  que  finir  une  vie  toute  pure, 
en  rompant  la  paix  et  l'union  entre  une  âme 
et  un  corps  qui  tous  deux  étaient  saints  : 


28? 


ORATLl'RS  SACRES.  I>()M  JEROME. 


2X4 


aussi  ne  put-elle  entrer  dans  le  paradis  ter- 
restre, parce  qu'elle  éiait  un  châtiment,  et 
l'homme  qui  n'en  avail  entendu  parler  d  mis 
cl"  lien  que  comme  d'une  menace,  n'en  sen- 
tit les  trilles  efl'ets  qu'après  en  avoir  élé 
chassé  comme  un  criminel.  .Mais  ce  change- 
ment dans  son  élat  n'en  fil  point  dans  ses  in- 
clinations, et  c'est  où  nous  sommes  à  pré- 
sent •  I  perdit  l'innocence  de  la  vie,  mail  il 
en  conserva  l'amour;  cl  comme  si  l'homme 
eût  continué  à  être  heureux,  quoiqu'il  fût 
corrompu  et  sujet  à  mille  misères,  il  n'en  re- 
garda la  fin  qu'avec  horreur. 

Ces  sentiments,  qui  sont  passés  de  notre 
premier  père  dans  ses  enfants,  s'y  fortifient 
à  proportion  que  leur  loi  est  plus  faible.  Ils 
aiment  la  vie,  toute  fragile  et  toute  miséra- 
ble qu'elle  est;  et  les  justes  mêmes  sont  vive- 
ment frappés  de  la  crainte  de  la  voir  finir, 
quoiqu'ils  sachent  qu'elle  doit  être  pour  eux 
le  commencement  d'une  vie  plus  heureuse. 

Dieu  a  voulu  que  cet  ordre  fût  établi,  afin 
que  nous  puissions  lui  faire  un  sacrifice  qui 
nous  fût  utile,  d'une  nécessité  qui  nous  est 
devenue  inévitable,  et  qu'en  soumettant  les 
sentiments  d'une  nature  aveugle,  qui  aime 
toujours  ce  qu'elle  ne  devrait  pins  aimer, 
aux  vues  de  la  foi,  qui  nous  apprend  à  sa- 
crifier ce  que  nous  aimons  mal,  nous  pus- 
sions faire  entrer  dans  l'ordre  de  notre  sa- 
lut  ce  qui  est  une  suite  nécessaire  du  pre- 
mier péché. 

Cette  crainte  de  la  mort,  mes  frères  (en-  . 
trez  bien  dans  ceci),  qui  est  naturelle  dans 
son  principe,  et  une  peine  du  péché  dans  , 
l'ordre  de  Dieu,  se  trouvera  donc  presque 
toujours  dans  tous  les  hommes,  selon  qu'ils 
aimeront  plus  ou  moins  la  vie  qu'elle  leur 
fait  perdre.  Elle  se  trouvera  même  dans  les 
saints  qui  ne  l'aiment  que  dans  l'ordre  de 
Dieu.  Jésus-Chrisl  môme  en  a  élé  touché, 
pour  apprendre  à  ceux  qui  en  sont  agites 
qu'elle  n'est  pas  criminelle  en  elle-même, 
mais  qu'elle  peut  entrer  dans  leur  pénitence 
et  contribuer  à  l'ouvrage  de  leur  salut.  Ainsi, 
mes  très-chers  frè;  es,  regardant  la  mort  dans 
cette  vue,  hien  loin  qu'on  doi\e  rejeter  l'idée 
de  la  mort  comme  incommode,  à  cause  de  la 
crainte  cl  du  liuuble  qu'elle  excite  dans 
l'âme,  il  faut  l'entretenir  dans  notre  esprit, 
cl  la  ménager  avec  sagesse,  à  cause  des  biens 
qu'elle  peut  nous  faire- 
Car  enfin,  mes  frères,  il  faut  mourir,  pul- 
vis  es.  Rejetez-en  la  pensée  tant  qu'il  vous 
plaira,  servez-vous  de  toutes  sortes  de  moyens 
pour  l'éloigner,  vous  ne  sauriez  empêche/ 
que  la  mort  n'arrive,  elle  qui  esl  hien  plus 
terrible  que  la  pensée  de  la  moi  t.  Le  torrent 
du  monde  qui  court  toujours  vous  eut;  aine. 
Nous  mourons  tous,  et  nous  nous  écoulons 
sur  la  terre  comme  des  eaux  qui  ne  revien- 
nent plus.  On  ilira  demain  de  vous  et  de  moi 
ce  que  nous  disons  aujourd'hui  d'un  autre 
qui  vivait  hier  avec  nous.  Cet  homme,  qui 
prêchait  celle  année  en  telle  église  esl  mort, 
il  est  passé.  Nous  sommes  dans  celle  lie 
comme  un  homme  qui,  voyagent  sur  mer, 
dépend  du  v.  isseau  dans  lequel  il  esl  en 
fermé  :  quoi  qu'il  fasse,  il  marche  toujours  ; 


qu'il    se  tienne   debout,  qu'il    s'a-  m  ,| 

m, inge,  qu'il  repose,  qu'il  parle,  qu'il  ne 
fasse  rien,  il  avance  toujours  dans  ia  route, 
et  son  voyage  ne  dépend  ni  de  sa  pensée  ni 
de  ses  réflexions. 

Il  en  est  de  même  de  nous  :  quoi  que  nous 
fassions,  nous  avançons  toujours  vers  noire 
(in;  nos  années  qui  passent  aussi  bien  du- 
rant le  sommeil  que  dans  le  travail,  m 
entraînent  insensiblement  vers  le  tombeau, 
et  sans  qu'il  soit  née  ■  ia  i  que  nous  y  pen- 
sions, nous  ne  laissons  pas  que  d'arriver  SU 
terme.  Les  païens  mêmes  ne  nous  ont-iK 
dit  que  nous;  commençons  de  mourir  en  nais- 
sant, p  tree  que  nous  ne  naissons  que  pour 
mourir  '.'  Kl  en  effet  ne  pouvons-nous  pas 
dire  avec  saint  Augustin  qu'Adam  es'  mort 
au  même  moment  qu'il  a  mangé  d  i  fruit 
défendu,  selon  la  menace  que  Dieu  lui  avait 
faite?  car  son  corps  ayant  élé  frappé  en 
même  len  ps  d'une  corruption  mortelle,  qui 
l'a  altéré  dans  toutes  ses  parties,  tout  le 
reste  de  sa  vie  n'a  plus  é^é  qu'une  Bourse  non 
interrompue  »ers  la  mort,  où  il  esl  enfin  ar- 
rivé au  moment  que  Dieu  avait  marq  e.  Kl 
qu'est-ce,  selon  saint  Augustin,  que  la  vie 
des  enfanta  de  ce  coupable,  sinon  une  mala- 
die <]ui  commence  au  moment  qu'ils  '.lais- 
sent, et  qui  ne  finit  que  quand  ils  meurent? 
Il  ne  faut  qu'être  raisonnable  |  our  se  dire 
souvent  à  soi-même  :  Si  la  mort  esl  inév  ila- 
b!e,  comme  je  ne  puis  pas  en  douter,  c'est 
en  vain  que  j'en  rejette  la  pensée,  puisqu'en 
l'éloignant  de  mon  esprit  je  ne  m'éloigne  pas 
de  la  mort,  ou  je  ne  l'eloignc  pas  de  nui. 

Mais ,  me  direz-vous ,  en  rejetant  celte 
pensée,  j'éloigne  ce  qu  m'incommode,  et  je 
m'épargne  toujours  un  chagrin  qui  vient 
troubler  lu  repos  de  ma  vie.  A  cela  je  réponds 
trois  choses  :  1  c'est  que  nous  ne  pouvons 
l'élo  guer  si  absolument  qu'elle  ne  se  pré- 
sente malgré  nous,  et  souvent  qu'elle  ne 
vienne  troubler  nos  plaisirs  malgré  tous  nos 
soins  ;  2°  c'est  que  si  vous  ri  g.irdez  ce  trou- 
ble eu  Jésus-Christ,  vous  le  trouvera  urée- 
avantageux  :  car  comme  il  procède  de  la 
crainte  de  la  mort,  et  que  la  mort  esl  une 
peine  de  notre  péché  et  la  consommation  de 
notre  pénitence  en  celle  \ie,  chaque  I 
qu'un  chrétien  frappé  de  celte  crainte  se 
soumet  aux  ordres  de  Dieu  et  ace  pie  sa 
mort,  il  meurt  eu  quelque  lac  n.  et  mull'. 
plie  le  sacrifice  de  sa  vie.  qu'il  ne  peut  faire 
qu'une  fois;  3°  c'est  qu'après  tout  un  s'ac- 
coutume à  celle  pensée  ;  l'habitude  à  son 
entretenir  en  efface  l'horreur.  La  peur  de  In 
mort  esl  une  vraie  crainte  d'enfnil,  qui 
tremble  en  voyant  un  masque,  et  qui  s'ap- 
proche de  la  flamme  sans  rrayeur.  Nous  crai- 
gnons la  mort  :  ce  fantôme,  quoique  mépri- 
sable, nous  donne  de  l'horreur,  et  le  péché, 
qui  est  si  terrible,  qui  brûle  et  qui  consume 
notre  âme,  ne  nous  donne  pas  la  mo  ndre 
pe  ir.  Mais  après  tout  la  peur  d  •  la  mon 
procé  le  que  d'ignoram  e  ;  car  qn'eet-ci  jue 
mourir,  c'esi  |  ropremenl  quitter  ses    èse- 

menlS.    Le  corps  est  connue    le  vêlement   de 
l'Ame  que  nous  reprendrons  un  j  m     plus 

éclatant  cl  plein  de  gloire.  Celle  iuce  v  (  as- 


285 


SERMON  I  POUR  LE  JOUR  DES  CENDRES. 


28G 


sûrement  belle  et  bien  solide;  mais  pour  y 
bien  entrer,  prenez  garde  qu'il  y  a  certains 
objets  que  le  chrétien  ne  doit  jamais  regar- 
der seuls  :  il  ne  doit  jamais  rrgarder  ses  pé- 
chés, sans  jeter  les  yeux  en  même  temps  sur 
le  sang  de  Jésus-Christ,  où  il  trouve  de  quoi 
se  purifier  ;  il  ne  doit  jamais  séparer  la  misé- 
ricorde de  Dieu  de  sa  justice  ;  ainsi  jamais  il 
ne  doit  regarder  la  mort  sans  jeter  les  yeux 
sur  la  vie  éternelle  qui  doit  la  suivre.  La 
erainle  qui  pouvait  le  troubler  est  modérée 
par  l'espérance  qui  le  console,  et  parla  il  ne 
lui  reste  de  cette  crainte  qu'autant  qu'il  en 
est  besoin  pour  le  conserver  dans  un  certain 
état  de  vigilance,  si  recommandé  par  le  Sei- 
gneur dans  l'Evangile,  et  qui  le  garantit  de 
ce  malheur  si  terrible,  mais  si  commun,  d'ê- 
tre frappé  de  la  crainte  et  du  coup  en  même 
temps.  Ainsi,  comme  l'éclair  nous  avertit 
avant  que  le  tonnerre  tombe,  et  peut  quel- 
quefois nous  donner  le  temps  de  nous  mettre 
à  couvert,  heureux  celui  que  celte  crainte 
réveille,  et  qui  s'en  sert  pour  n'être  pas  sur- 
pris ! 

2U  Après  ce  que  je  viens  de  dire,  je  ne 
saurais  croire  qu'un  chrétien  veuille  rejeter 
la  pensée  de  la  mort  à  cause  du  trouble  qu'il 
peut  en  recevoir,  à  moins  qu'il  ne  fût  assez 
déraisonnable  pour  dire  qu'il  ne  voudrait 
pas  d'un  remède  qui  doit  lui  conserver  la 
vie,  parce  qu'il  ressentirait  quelque  petit-dé- 
goût ou  quelque  légère  amertume  c:i  le  pre- 
nant. C'est  une  erreur  épouvantable  de  dire 
qu'il  suffit  d'y  penser  quand  il  faut  mourir, 
el  que  la  mort  éiant  la  destruction  de  notre 
vie,  elle  ne  doit  avoir  rien  de  commun  avec 
elle.  Ne  vous  y  trompez  point,  chrétiens,  car 
on  ne  se  trompe  qu'une  fois  sur  cet  impor- 
tant article  :  si  la  mort  est  la  destruction  de 
la  vie  dans  un  sens,  elle  en  est  la  perfection 
dans  un  autre. 

Pour  entrer  comme  il  faut  dans  ceci,  re- 
marquez, mes  frères,  qu'il  y  a  dans  le  chré- 
tien, 1"  la  vie  de  la  nature  qui  fait  l'homme 
et  l'enfant  d'Adam;  2"  la  vie  de  la  grâce,  qui 
fait  le  chrétien,  le  juste  et  l'enfant  de  Dieu; 
3  la  yie  de  la  gloire,  qui  fait  le  bienheureux 
et  qui  est  en  nous  par  le  droit  que  nous  y 
donne  la  qualité  d'enfant  de  Dieu,  que  nous 
avons  reçue  à  notre  baptême. 

Or,  chrétiens,  pour  arriver  à  la  possession 
de  celte  vie  de  la  gloire,  qui  n'est  en  nous 
ici-bas  (iue  par  l'espérance,  il  faut  vivrede  la 
vie  de  la  grâce,  et  retracer  celle  de  Jésus- 
Christ  qui  ne  reconnaît  pour  prédestinés  à  la 
gloire  que  ceux  qui  ont  porté  son  image  sur 
la  terre.  C'est  ce  qui  ne  se  peut  faire  qu'en 
détruisant  la  vie  des  sens,  qu'en  nous  sépa- 
rant du  inonde,  qu'en  renonçant  à  son  propre 
esprit.  Hél  quel  peut  être  ie  moyen  le  plus 
efficace  pour  détruire  en  nous  l'amour  du 
monde,  que  la  pensée  de  la  mort  !  car  si  nous 
ne  nous  occupons  que  de  la  pensée  de  la 
vie  présente, nous  perdons  les  vues  do  l'éter- 
nité. Renonçant  à  la  vie  de  l'esprit,  nous 
nous  abîmons  dans  celle  des  sens,  et  effaçant 
en  nous  l'image  du  nouvel  homme.  Dieu'  ne 
verra  plus  en  nous  que  celle  de  l'homme 
corrompu. 


N'est-ce  pas  là  ce  que  l'Ecriture  veut  nous 
apprendre,  lorsqu'elle  nous  rapporte  le  lan- 
gage de  ceux  qui  n'avaient  nulle  vuesur  l'é- 
ternité. Ne  pensons,  disent-ils,  qu'à  boire  et 
à  manger,  puisque  nous  mourrons  demain. 
C'est  ce  discours  déplorable  que  fait  précisé- 
ment un  homme  qui  rejette  la  pensée  de  la 
mort  et  qui  ne  se  remplit  que  de  l'idée  des 
choses  présentes  :  il  s'aveugle,  il  se  perd  de 
vue,  et,  ne  songeant  plus  qu'il  est  destiné  à 
vivre  toujours  avec  Dieu,  il  ne  s'occupe  que 
du  soin  de  vivre  un  moment  avec  le  monde. 
Au  contraire,  un  chrétien  qui  pense  à  la 
mort,  qui  considère  cette  défaillance  conti- 
nuelle et  successive  de  son  être,  qui  regarde 
la  vie  qui  le  soutient,  par  le  moyen  d'un  feu 
naturel,  comme  la  lumière  d'une  lampe  qui 
meurt  en  dépérissant  peu  à  peu,  à  mesure 
qu'elle  luit,  s'apprend  à  mépriser  une  vie 
qu'il  voit  périr.  11  combat  les  désirs  déréglés 
de  la  conserver,  et  en  jetant  les  yeux  de  la 
foi  sur  une  autre  beaucoup  plus  heureuse 
qui  lui  est  promise,  il  travaille  à  s'en  rendre 
digne  en  détruisant  la  vie  des  sens,  afin  quo 
quand  la  mort  viendra  pour  achever  de  dé- 
truire cette  vie  mortelle,  elle  le  trouve  en  état 
d'aller  prendre  possession  de  celle  qu'il  at- 
tendait. 

Il  faut  donc  qu'un  chrétien  ne  perde  ja- 
mais celte  pensée,  qu'il  ait  toujours  la  mort 
présente,  et  qu'il  fasse  sa  devise  de  celte  pa-« 
rôle  de  saint  Paul  :  Quolidic  morior. 

3"  Maisle  moyen,  dit-on,  d'avoir  toujours 
cette  pensée  dans  l'esprit  au  milieu  des  af- 
faires qui  nous  occupent?  Il  faudrait  lout 
abandonner,  et,  9 'enfonçant dans  la  solitude, 
ne  regarder  plus  que  le  tombeau.  Mes  frères, 
ne  nous  jetons  point  dans  ces  extrémités  , 
n'outrons  rien,  s'il  vous  plaît.  Je  ne  saurais 
nier  que  ceuxqui  sont  débarrassés  de  tous  les 
soins  du  monde,  et  qui  n'emploient  plus  leur 
vie  qu'à  l'usage  précis  pour  lequel  Dieu  nous 
l'a  donnée,  c'esl-à-uirc,  à  se  rendre  dignes 
de  la  vie  éternelle,  comme  les  solitaires  qui 
sont  uniquement  occupés  de  ces  soins,  no 
soient  les  plus  heureux;  mais  comme  tout  le 
monde  ne  peul  pas  être  dans  la  même  situa- 
tion, il  y  a  des  manières  différentes  de  con- 
venir dans  les  choses  essentielles  pour  lous 
les  étals,  et  comme  le  Seigneur,  qui  dit  que 
nous  ne  saurions  être  ses  disciples  si  nous 
ne  portons  toujours  notre  croix  en  marchant 
après  lui,  a  pris  soin  d'attacher  des  croix  à 
lous  les  étals,  afin  qu'il  pût  avoir  des  disci- 
ples dans  chaque  condition,  de  même  cetio 
pensée  de  la  mort  si  salutaire  pour  nous  ra- 
mener à  nous-mêmes,  si  nécessaire  pour 
nous  entretenir  dans  les  vues  de  notre  être 
pour  le  temps  et  pour  l'éternité,  peut  se  for- 
mer partout.  Les  images  de  la  mort  sont  ex- 
posées partout,  et  nous  ne  saurions  jeter  les 
yeux  eu  nul  endroit  qu'ello  ne  vienne  se  pré- 
senter aussitôt  à  nous. 

Voici  donc  la  manière  de  conserver  celte 
pensée  au  milieu  de  ses  occupations;  il  n'y 
a  qu'un  moment  que  je  vous  disais  que  le 
chrétien  est  dans  celle  vie  comme  un  homme 
dans  un  vaisseau.  Représentez-vous  donc 
que,  contraint  ;!o  relâcher,  il  descend  à  lerre 


S87 


ORATEl'RS  SACHES.  I)OM  JEROME. 


288 


pour  se  délasser  dos  agitations  de  la  mer  et 

respirer  un  air  plus  pur  ;  il  se  promène  le 
long  'lu  rivage,  j'où  il  ne  ft'é!oigne  jamais, 
ou  s'il  s'en  éloigne,  il  ne  pense  qu'à  se  rem- 
barquer ;  dans  la  crainte  d'é:re  surpris,  il 
retourne  la  té!e  de  temps  en  temps  vers  le 
vaisseau,  pour  voir  si  on  ne  mel  p as  ;i  la 
voile.  C'est  ainsi,  chrétiens,  que  nous  devons 
agir  :  notre  vie  n'est  qu'un  passage  ,  c'est 
une  navigation  ;  notre  unique  affaire  c'est 
d'arriver  au  port  et  d'y  arriver  heureuse- 
ment. Il  y  a  des  emplois  qui  nous  occupent 
durant  cette  navigation,  et  même  légitime- 
ment :  ce  serait  assurément  un  mal  que  de 
se  tenir  à  ne  rien  faire  ;  il  y  a  même  de  cer- 
tains délassements  nécessaires  après  un  tra- 
vail fort  et  laborieux,  qu'on  ne  peut  con- 
damner ;  mais  il  faut  se  souvenir  que  Dieu 
est  le  pilote  qui  peut  nous  faire  partir  quand 
il  lui  plaira;  et  aGn  d'éviter  la  surprise,  il 
faut  de  temps  en  temps  jeter  les  yeux  du  côté 
du  vaisseau,  c'est-à-dire  qu'au  milieu  de  nos 
occupations  il  faut  se  rappeler  la  pensée  de 
la  mort.  La  Providence  nous  facilite  cette 
pratique,  en  mettant  de  tous  côtés  l'image 
de  la  mort  sous  nos  yeux.  Ces  cérémonies 
lugubres  que  vous  trouvez  dans  les  églises 
sans  les  aller  chercher,  les  pompes  funèbres 
qui  vous  arrêtent  dans  les  rues,  les  mon- 
ceaux d'ossements,  les  sépulcres  sur  lesquels 
vous  passez,  les  épitaphes  exposées  à  vos 
yeux,  qui  vous  apprennent  qu'un  tel  est 
mort  jeune,  l'autre  dans  un  âge  plus  avancé, 
celui-ci  dans  les  fonctions  de  la  magistra- 
ture, cet  autre  dans  l'emploi  des  armes,  ne 
sont-ce  pas  autant  d'objets  que  les  yeux 
ne  peuvent  éviter,  et  dont  l'esprit  peut  tirer 
des  pensées  fort  utiles  à  l'âme?  Ainsi,  mes 
frères,  parmi  les  engagements  qui  nous  oc- 
cupent, au  milieu  des  soins,  des  affaires,  de 
l'attention  que  nous  donnons  aux  choses 
présentes,  Dieu  nous  offre  des  images  capa- 
bles de  nous  rappeler  dans  nous-mêmes,  et 
de  nous  faire  penser  à  notre  condition  mor- 
telle. Les  portraits  de  vos  ancêtres  que  vous 
conservez  chèrement,  leurs  noms  que  vous 
portez  et  dont  vous  tirez  en  partie  votre 
gloire,  leurs  successions  dont  vous  êtes  les 
maîtres,  leurs  maisons  que  vous  habitez, 
tout  cela  ne  vous  apprend-il  pas,  si  vous 
voulez  l'entendre,  que,  comme  ils  vous  ont 
fait  place,  il  faudra  que  vous  la  fassiez  bien- 
tôt à  d'autres  qui  vous  suivent.  Car  enfin  la 
vie  de  nos  pères  est  passée,  la  nôtre  s'écoule 
et  finira  bientôt,  ceux  qui  nous  doivent  sui- 
vre mourront  pareillement  :  de  sorte  que 
les  vies  des  hommes  se  succèdent  incessam- 
ment les  unes  aux  autres,  et  se  terminant 
toutes  par  la  mort,  elles  ressemblent  aux  va- 
gues de  la  mer  qui  se  suivent  et  qui  roulent 
les  unes  sur  les  autres  par  un  mouvement 
perpétuel  et  réglé,  jusqu'à  ce  qu'elles  soient 
arrivées  sur  le  rivage  où  elles  se  brisent  ;  ce 
qui  fait  dire  si  à  propos  à  saint  Augustin 
que  le  monde,  à  proprement  parler,  ou  plu- 
tôt la  vie  présente,  n'est  que  l'entrée  des 
hommes  dans  un  lieu  où  ils  ne  doivent  pas 
demeurer,  et  la  sortie  de  ce  lieu  d'exil  et  de 
misères.  Vos  propres  enfants  qui  croissent 


sous  vos  yeux  sont  pour  vous  des  imagei  de 
mort.  Le  soin  de  les  placer  dantdei  charges 
dont  |'acbal  vous  dépouille  d'une  partie  dfl 
roi  biens  ne  vous  avertit-il  pas  que  <l.ins 
peu  vous  serez  dépouillé  du  reste?  Cei  'ou- 
trais de  mariage  dressés  par  rapport  i  la  vie 
sont  remplis  de  cas  de  mort,  et  où  l'on  | 
à  se  quitter  lorsqu'on  paraît  n'être  occupé 
que  du  soin  de  l'établir.  Chaque  empli  i  M 
présente-t-il  pas  une  idée  de  mort  à  celui  qui 
le  remplit?  Un  savant  attaché  sur  ses  livres 
ne  voit-il  pas  une  image  de  la  mort  en  par- 
courant les  ouvrages  d'un  auteur  qui  n'est 
pins?  Un  juge  qui  condamne  un  coupable  ne 
doit-il  pas  se  dire  à  lui-même  qu'il  faut  crain- 
dre la  sentence  d'un  plus  grand  jutre  i  qui  il 
doit  répondre  de  ses  jugements,  et  de  qui  il  sera 
peut-être  condamné  demain,  et  sans  appel? 
En  voilà  assez,  chrétiens,  pour  vous  convain- 
cre que  rien  n'est  plus  aisé  ,  comme  rien 
n'est  plus  utile,  que  de.  s'entretenir  dans  les 
pensées  de  la  mort;  mais  il  ne  suffit  pas  de 
rouler  simplement  ces  pensées  dans  son  es- 
prit, il  faut  qu'elles  servent  à  régler  les  mou- 
vements de  notre  vie;  car  c'est  là  précisément 
le  motif  qui  oblige  l'Eglise  de  nous  les  propo- 
ser, Mémento,  horno,  c'est  aussi  ce  que  nous 
allons  vous  marquer  dans  la  seconde  partie. 

SECONDE  PARTIE. 

Ce  serait  en  vain,  mes  frères,  qu'un  chré- 
tien aurait  toujours  présente  la  pensée  de 
la  mort,  s'il  ne  s'appliquait  pas  en  même 
temps  à  régler  tous  les  mouvements  de  sa 
vie  sur  cette  pensée,  et  je  l'estimerais  mal- 
heureux si ,  négligeant  de  sonner  à  la  vie 
future,  il  avait  toujours  devant  les  yeux  une 
idée  importune,  qui  ne  servirait  qu'à  trou- 
bler toutes  les  joies  de  la  vie  présente,  il  est 
donc  néeessaire  que  le  désir  de  l'éternité 
bienheureuse  joigne  ces  deux  choses  en  lui, 
je  veux  dire  que  l'idée  de  la  mort  lui  soit 
toujours  présente,  et  qu'il  règle  tous  ses  mou- 
vements sur  cette  idée ,  afin  qu'il  vive  de 
telle  manière  qu'il  soit  toujours  en  état  d'at- 
tendre la  mort  avec  tranquillité,  sans  rien 
négliger  des  affaires  justes  et  raisonnables 
qui  doivent  l'occuper  durant  cette  vie.  Or, 
pour  arriver  à  cet  état,  il  faut  supposer 
comme  une  chose  hors  de  doute  que  toutes 
nos  entreprises  ont  trois  rapports  :  le  pre- 
mier, à  la  mort  dans  l'ordre  naturel;  le  se- 
cond, au  jugement  qui  doit  la  suivie  dans 
l'ordre  de  Dieu,  et  le  troisième,  à  l'éternité. 
Car,  mes  très-chers  frères,  toutes  nos  entre- 
prises seront  terminées  par  la  mort;  elles 
seront  examinées  au  jugement  de  Dieu,  et 
elles  Dons  conduiront  à  une  éternité  de  biens 
ou  de  maux,  selon  qu'elles  seront  trouvées 
à  ce  jugement. 

Que  doit  donc  faire  un  chrétien  qui  n  v  eut 
rien  risquer  dans  la  grande  affaire  de  son  sa- 
lut, et  qui  veut  vivre  comme  un  homme  qui 
doit  mourir?  11  faut  qu'il  se  represe.  te  trois 
choses  essentielles  au  bon  reniement  de  sa 
vie  :  1  qu'il  ne  peut  aller  loin,  et  que  toutes 
ses  entreprises  seront  bientôt  renversées  par 
la  mort  ;  ~2"  qu'il  faudra  dans  peu  rendre 
compte  au  Seigneur,  nou  -seulement  de  ses 


«h 


SERMON  I  POUR  LE  JOUR  DES  CENDRES. 


2!J0 


entreprises,  mais  même  de  ses  intentions  les 
plus  secrètes;  3°  qu'enfin  il  se  prépare  par 
ses  actions,  par  ses  entreprises,  par  sa  con- 
duite, une  éternité  qui  sera  réglée  par  la  na- 
ture de  ses  œuvres. 

Ah  1  chrétiens  ,  les  beaux  et  les  solides 
principes  pour  régler  sa  vie!  Il  faut  que  je 
meure,  j'ai  un  compte  à  rendre  à  Dieu,  et 
mon  éternité  sera  telle  qu'aura  été  ma  viel 
Qu'arrivc-t-il  en  réglant  .-a  vie  sur  ces  prin- 
cipes ?  1°  que  l'idée  de  la  mort  modérera 
tous  les  desseins  de  fortune,  d'établissement, 
de  grandeur,  et  retiendra  l'homme  dans  les 
bornes  d'une  juste  médiocrité  et  de  la  modes- 
lie  chrétienne  ;  2°  que  la  crainte  des  juge- 
ments de  Dieu  lui  f<  ra  rejeter  toutes  les  voies 
injustes  de  réussir  dans  ce  qu'il  désire,  et 
arrêtera  l'impétuosité  de  ses  passions  ;  3°  que 
la  vue  de  l'éternité  le  fera  entrer  dans  la 
pratique  du  bien,  et  lui  donnera  de  l'amour 
pour  les  vertus.  Développons  un  peu  ces 
idées,  et  apprenons  d'abord  à  regarder  nos 
entreprises  par  leur  durée,  et  à  nous  dire  à 
nous-mêmes,  dans  les  projets  que  nous  fe- 
rons :  Après  tout,  ceci  finira;  et  quand  même 
je  réussirais  dans  ce  que  j'entreprends,  ce 
qui  n'est  pas  certain,  cela  n'ira  pas  loin.  Re- 
marquez que  ,  dans  l'éloge  que  l'Ecriture 
fait  d'un  grand  roi,  elle  nous  dit  qu'il  vit  la 
fin  des  temps;  et  c'est,  mes  frères,  ce  que  je 
souhaiterais  qu'un  chrétien  vît  toujours,  car 
cette  pensée  de  la  fin  des  choses  élève  l'esprit 
au-dessus  du  monde  et  rend  le  cœur  capable 
de  grandes  choses.  Je  ne  voudrais  pas  ce- 
pendant qu'un  chrétien  se  bornât  à  regarder 
la  fin  des  choses  dans  cette  destruction  gé- 
nérale qui  doit  tout  consumer  ;  car  comme 
nos  entreprises,  dans  le  train  ordinaire,  du- 
rent plus  que  nous,  et  que  nous  laissons  sur 
la  terre  les  édifices  que  nous  avons  élevés, 
les  biens  que  nous  avons  acquis,  les  familles 
que  nous  avons  établies,  cette  vue  de  la  fin 
des  choses  par  rapport  à  elles-mêmes  ne  me 
paraît  pas  assez  intéressante.  Je  voudrais 
donc  qu'il  regardât  souvent  la  courte  durée 
de  ses  entreprises  par  rapport  à  lui-même  ; 
car  comme  les  choses  sont  faites  pour  nous 
et  non  pas  nous  pour  elles,  nous  en  senti- 
rons mieux,  la  courte  durée,  en  faisant  une 
solide  réflexion  sur  le  peu  de  temps  que  nous 
avons  à  en  jouir. 

C'est  ici  un  des  plus  grands  points  de  la 
sagesse  de  l'homme  chrétien,  de  ne  se  pas 
laisser  surprendre  à  l'illusion  dont  le  démon 
se  sert  pour  le  tromper,  en  le  flattant  de  vi- 
vre longtemps  ;  car  maintenant  il  ne  dit  plus 
aux  hommes,  pour  les  perdre  ,  ce  qu'il  dit 
au  premier  pour  l'abuser;  il  lui  promit  qu'il 
ne  mourrait  point,  et  il  lui  était  alors  facile 
de  le  lui  faire  croire,  puisque,  outre  qu'il 
avait  été  formé  pour  ne  point  mourir,  et  qu'on 
se  laisse  convaincre  aisément  de  ce  qu'on 
souhaite,  c'est  qu'étant  le  premier  homme, 
il  n'avait  vu  mourir  personne.  Il  est  vrai 
que  Dieu  1  avait  assuré  qu'il  mourrait  s'il 
violait  son  commandement  ;  le  serpent  ce- 
pendant l'assurait  du  contraire;  sa  femme, 
dans  qui  le  discours  du  serpent  aval  jeté  un 
doute  violent,  le  sollicitait,  et  toutes  ces  ap- 


parences fortifièrent  la  tentation»  Il  crut  donc 
qu'il  ne  mourrait  point;  telle  fut  la  manière 
dont  le  serpent  le  séduisit  ;  mais  maintenant 
que  nous  savons  tous,  et  par  une  longue  ex- 
périence, qu'il  faut  mourir,  et  qu'on  meurt 
effectivement  et  en  tout  temps,  et  à  tout  âge, 
le  démon  nous  dit  que,  n'ayant  pas  été  de 
ceux  qui  ont  été  emportés  dans  la  jeunesse, 
et  que  notre  tempérament  étant  vigoureux, 
nous  serons  du  nombre  de  ceux  qui  ne  quit- 
tent la  vie  que  quand  il  est  absolument  im- 
possible de  tenir  davantage. 

Ainsi  il  nous  montre  une  longue  suite 
d'années ,  à  peu  près  comme  on  nous  fait 
voir  les  perspectives  qui  nous  découvrent 
une  belle  et  vaste  campagne,  sans  nous  aver- 
tir que  ce  ne  sont  que  des  traits  trompeurs 
d'une  toile  ou  d'une  muraille  qui  va  nous 
arrêter  à  quatre  pas.  Il  nous  flatte  d'une  lon- 
gue vie,  sans  nous  dire  qu'elle  peut  être  ter- 
minée dans  un  moment,  et  qu'il  n'y  a  rien 
de  si  incertain  que  sa  durée.  Que  doit  donc 
faire  un  homme  sage  pour  éviter  l'illusion 
dans  une  affaire  aussi  importante?  Le  voici, 
mes  (rès-chers  frères  :  1°  11  faut  qu'il  consi- 
dère d'une  part  combien  on  vit  dans  le  train 
ordinaire,  et  jusqu'où  peuvent  aller  les  plus 
robustes  et  les  plus  forts;  2°  il  faut  ensuite 
qu'il  examine  combien  il  a  vécu;  3"  qu'il  re- 
garde combien  il  peut  espérer  de  vivre  en- 
core, même  en  se  flattant;  et  qu'enfin  il  se 
dise  à  lui-même  :  On  vil  pour  l'ordinaire 
jusqu'à  soixante-dix  ans,  allons  jusqu'à  qua- 
tre-vingts ans  ;  peu  y  arrivent,  mais  on  y  ar- 
rive quelquefois.  J'en  ai  déjà  passé  cin- 
quante, je  ne  puis  espérer  d'en  vivre  encore 
autant,  mais  en  me  flattant,  je  peux  encore 
compter  sur  quarante  ;  rien  cependant  n'est 
plus  incertain  que  celte  espérance,  il  en  faut 
convenir.  Est-il  temps  de  songer  à  s'établir, 
quand  ou  n'a  plus  qu'une  vingtaine  d'années 
à  vivre?  un  homme  qui  assiste  à  un  specta- 
cle n'aurait-il  pas  perdu  l'esprit  s'il  voulait 
faire  bâtir  une  maison  pour  le  voir  plus  com- 
modément? Et  qu'est-ce  que  c'est  que  tout 
ceci,  sinon  un  spectacle  exposé  à  mes  yeux, 
qui  va  disparaître  dans  un  moment?  Prœterit 
figura  hujus  mundi,  la  figure  do  ce  monde 
passe.  Ce  spectacle  va  être  enlevé  dans  un 
instant.  Qu'est-ce  donc  que  vingt  années? 
Qu'est-ce  que  c'est  même  que  mille  ans,  se- 
lon le  langage  de  l'Ecriture?  Mille  ans  sont 
devant  vos  yeux,  Seigneur,  comme  le  jour 
d'hier  qui  est  passé,  dit  un  prophète.  Eh  bien  1 
quand  je  serai  un  peu  plus  haut,  serai-je 
plus  heureux?  Quand  je  serai  un  peu  plus 
bas,  en  serai-je  beaucoup  plus  mal?  Quand 
je  pourrais  parvenir  à  la  plus  haute  fortune, 
ce  qui  est  très-incertain,  combien  tout  cela 
durcra-l-il?  Que  sont  devenus  tous  ceux  que 
j'ai  connus,  qui  semblaient  élrc  arrivés  au 
comble  des  grandeurs  du  siècle?  Tout  est 
passé.  La  mort  est  inévitable  ,  l'heure  est 
certaine,  le  jugement  sans  appel,  l'éternité 
sans  fin.  Quelles  vues,  ô  mon  Dieu  I  cl  on  n'y 
pense  pas  !  Croyez-moi ,  mes  très-chers  frè- 
res, »  elle  pensée  est  bien  capable  d'arrêter 
un  homme,  de  le  faire  rentrer  dans  lui-même, 
de  le  retenir  dans  les  bornes  de  la  modéra- 


291 


ORATEURS  SACRES.  DuM  JEROME. 


iron  rhrétienne,  et  enfin  de  l'obliger  de  se 

■  lire  à  lui-même  :  Je  suis  bien  insensé  «le 
courir  après  du  venl  el  de  la  ramée,  et  de 
poursuit  re  des  biens  itnaginain  s,  qui  ne  font 
que  passer  comme  des  fanlôm  s,  et  qui  nous 
laissent  les  mains  villes,  comme  les  son  ses 
de  la  nuit.  Je  ne  dis  pas,  chrétiens,  que  cette 
pensée  doive  vous  empêcher  de  travailler 
dans  la  condition  où  la  Providence  vous  a 
placés,  ni  de  songer  à  l'établissement  d'une 
famille  dont  Dieu  vous  a  chargés;  mais  avec 
cette  pensée  on  travaille  en  ehréli  ns,  avec 
moins  d'attache,  d'avidité,  d'empressement  : 
on  pense  à  soi,  on  règle  ses  affaires  sur  son 
salut,  on  fait  attention  miip  ses  entreprises, 
on  examine  la  nature  de  ses  affaires,  par 
rapport  au  jugement  qui  suit  la  mort,  et  au 
compte  qu'il  en  faudra  rendre  au  Seigneur. 

C'est  la  seconde  vue  que  doit  avoir  un 
homme  chrétien  qui  veut  régler  les  mouve- 
ments de  sa  vie  sur  la  pensée  de  la  mort  :  il 
regarde  ses  plans,  ses  entreprises,  ses  pro- 
jets, non-seulement  du  côté  de  la  mort  qui 
doit  tout  dissiper,  mais  du  côté  du  jugement 
qui  doit  la  suivre,  Pour  bien  entrer  dans 
cette  seconde  vue.  il  faut  établir  quelques 
principes  qui  appartiennent  à  la  foi  :  lu  que 
nous  ne  sommes  sur  la  terre  que  pour  y  opé- 
rer notre  salut;  2"  qu'il  faut  le  faire  dans  la 
profession  réglée  où  la  Providence  nous  a  at- 
tachés; 3' que  notre  sanctification  se  fera  en 
remplissant  les  devoirs  de  notre  profession  ; 
t°  que  les  devoirs  sont  renfermés  dans  les 
rèjjle-  que  Dieu  a  prescrites  dans  ses  Ecrilu- 
res  pour  ceux  de  cette  profession  ;  5°  que  le 
jugement  de  chaque  chrétien  ne  sera  qu'un 
examen  de  la  conduite  de  sa  vie,  par  rapport 
à  ces  règles,  suivi  d'une  sentence  rigoureuse. 

Cela  étant  ainsi,  le  chrétien  qui  pense  au 
jugement  n'y  pense  que  pour  le  prévenir,  et 
le  prévenir,  c'est  se  juger  soi-même,  en  se 
renfermant  dans  les  justes  règles  de  son  état. 
Dieu,  mes  frères,  prend  plaisir  à  nous  voir 
prévenir  les  rigueurs  de  sa  justice,  et  rien 
ne  lui  est  plus  agréable  qu'un  homme  qui 
examine  sa  conduite,  qui  entre  en  compte 
avec  lui-même,  qui  remarque  ses  péchés,  qui 
les  confesse,  qui  les  punit,  qui  les  efface,  et 
qui  ôte  à  cette  justice  les  sujets  de  ses  juge- 
ments et  de  ses  vengeances.  Rien  n'est  si 
agréable  à  ses  yeux  qu'un  chrétien  rempli 
de  l'idée  du  compte  qu'il  lui  doit  rendre  de 
sa  vie,  et  appliqué  à  en  mesurer  tous  les 
mouvements,  par  les  lègles  qu'il  lui  a  pres- 
crites dans  si  s  Kcrilures  :  cette  idée  n'empê- 
che point  un  homme  de  travailler,  mais  elle 
fait  qu'il  travaille  plus  chrétiennement,  plus 
solidement,  [dus  sûrement.  Celle  pensée 
n'est  point  contraire  aux  affaires  temporel- 
les, quand  elles  sont  bonnes;  elle  n'est  con- 
traire qu'aux  mauvaises  cl  à  celles  qu'on  ne 
lait  que  par  des  voies  injustes. 

(Juand  un  homme  est  occupé  de  cette  pen- 
sée, il  prévient  l'examen  el  le  jugement  qu'il 
appréhende,  par  celui  qu'il  fan  lui-même  de 
toutes  les  choses  qu'on  lui  propose.  Il  ne 
donne  ni  dans  toutes  les  vues,  ni  dans  toutes 
les  impressions  que  le  monde  reçoit.  Il  ne 
se  règle  pas  sur  le  jugement  des  hommes  qui 


poui  il  .lient,  ni  sur  des  règles  arbitrait 
qui  ne  sont  établies  que  sur  l'autorité  di  s 
hommes;  mais    il    se  règle  sur  la  parole  du 
Seigneur  qui  le    confondra  :  il  ne  regarda 

pas  si  une  allairc  est  honnête  selon  le  monde, 
m  lis  il  examine  si  elle  est  juste:  il  se  met 
bien  dans  l'esprit  qu'elle  ne  le  peut  être  -i 
elle  n'est  conforme  à  la  loi  el  à  la  parole  do 
Seigneur.  Ainsi  on  ne  voit  point  dans  la  con- 
duite de  cet  homme  d'équivoques,  d  ^ur- 
piises,  de  duplicité,  de  mauvaise  lui  :  tout 
est  franc,  lout  <st  ouvert,  tout  e-t  siinèrc 
dans  ses  manières  et  dans  son  procé  lé.  Ah  ! 
chrétiens,  que  cet  état  est  lu  ureux  '.  ./  mar- 
chais, A\\  David,  dan*  l'innoceneede  mon  <■ 
un  milieu  dr  ma  maison.  Quel  repos I  Quelle 
tranquillité  !  Quelle  paix!  Ouelle  assurai 
pour  le  temps  et  pour  l'éternité  dans  une 
pareille  conduite!  Ce/ut  qui  marche  simple- 
ment, dit  le  Sage,  marche  avec  assurance.  Une 
conduite  réglée  sur  ces  principes  mène  à  l'é- 
ternité bienheureuse,  où  on  n'arrive  que 
par  la  pratique  des  bonnes  œuvres,  et  où  elle 
conduit  ceux  qui  soi  t  assez  sages  et  assez 
heureux  pour  la  suivre.  C'est  là  enfin  la  der- 
nière vue  qu'un  chrétien  doit  prendre  pour 
régler  sa  vie  sur  la  pensée  de  la  mort  ;  car 
comme  nous  devons  êlre  jugés  sur  nos  ac- 
tions, il  faut  compter  que  nulle  de  nos  ou- 
vres ne  périt,  et  que  telles  que  nous  les  fai- 
sons à  présent,  telles  nous  les  trouverons  i 
noti"  mort.  Elles  passent  présentement  de 
notre  esprit,  elles  s'évanouissent  dès  qu'elles 
sont  faites, elles  s'elTacent  de  notre  mémoire  : 
on  ne  se  souvient  plus,  d'une  année  à  une 
autre,  des  pensées  et  des  sentiments  qu'on 
forma  hier;  mais  cependant  tout  cela  de- 
meure fixe  :  l'Eglise  nous  en  avertit,  pour 
nous  faire  songer  à  ce  jugement  lerril.le, 
lorsqu'elle  nous  voit  occupés  de  l'idée  ce  la 
mort  dans  le  temps  où  nou-.  nous  as  embloni 
pour  rendre  les  derniers  devoirs  à  nos  amis  : 
Liber  scriplus  proferctur.  Le  livre  qui  est 
écrit  sera  ouvert,  nous  dit-elle.  Non,  mes 
frères, nos  œuvres  ne  périssent  point: comme 
c'est  par  1rs  bonnes  œuvres  que  Dieu  a  ré- 
solu de  mettre  le  sceau  à  notre  prédestina- 
tion,et  que  c'est  sur  les  mauvaises  qu'il  nous 
condamnera,  t*  utes  ces  œuvres  doivent  être 
regardées  comme  une  semence  que  nous 
jetons  en  terre  durant  notre  vie,  qui  est  le 
temps  de  semer,  et  elle  lever  i  au  lemps  de  no- 
tre mort,  qui  est  celui  de  la  moisson.  C'est 
la  pensée  de  s  tint  Paul, qui  ditsi  précisément 
aux  Calâtes  :  Xe  vous  y  trompez  pas,  on  ne 
se  moque  pas  de  Dieu;  l  homme  ne  recueillera 
que  ce  (ju'il  aura  semé. 

C'est  donc  ici  la  dernière  attention  que 
doit  faire  un  chrétien  quand  il  |  ense  à  régler 
sa  vie  sur  la  pensée  de  la  mort.  Il  regarde 
ses  oeuvres  par  rapport  à  l'éternité,  il  les 
regarde  par  les  vues  de  la  foi,  suivant  les 
expressions  de  l'Ecriture  dont  nous  venons 
de  nous  servir,  comme  la  semence  qui  pro- 
duira la  moisson  dont  il  doit  se  nourrir  du- 
rant toute  l'éternité. 

In  chrétien  prend  donc  soin  de  faire  choix 
du  grain  qu'il  doit  Berner  par  rapport  à  la 
moisson  qu'il  doit  faire,  et  comme  le  compte 


•293 


SERMON  H  POUR  LE  MERCREDI  DES  CENDRES. 


BS4 


qu'il  doit  rendre  de  sa  conduite  au  tribunal  du 
Seigneur, qu'il  ne  peut  éviter,  l'oblige  à  pren- 
dre garde  de  ne  rien  faire  qui  mérite  sa  con- 
damnation, les  vues  de  l'éternité,  qui  doit 
être  réglée  sur  la  nature  de  ses  œuvres,  le 
rendent  attentif  à  n'en  faire  que  de  celles 
qui  peuvent  le  rendre  heureux,  et  à  mulli- 
plier  les  actions  qui  ont  la  charité  pour  prin- 
cipe, l'Evangile  pour  règle,  et  la  gloire  de 
liirv  pour  fin.  Semblable,  dit  saint  Chryso- 
slome.  à  un  homme  qui,  ne  demeurant  dans 
lin  pays  qu'en  passant  pour  aller  s'établir 
dans  un  autre  où  il  doit  demeurer  toujours, 
fait  marcher  devant  lui  ce  qu'il  a  de  plus  pré- 
cieux et  transporte  ses  meilleurs  effets  dans 
le  lieu  de  sa  résidence,  de  même  le  chrétien 
convaincu  »,»«  celui  qui  sème  dans  l'esprit 
recueillera  la  vie  éternelle,  comme  pari-'  saint 
Paul,  fait  marcher  devant  lui  l'aumône,  les 
jeûnes,  la  pénitence,  la  mortification  des  sens, 
la  retraite,  le  silence,- les  retranchements: 
il  met  à  profit  les  pertes,  les  maladies,  les 
contradictions,  tous  les  fâcheux  effets  de  la 
malignité  des  hommes,  de  leur  injustice,  de 
leur  mauvaise  loi,  de  leur  perfidie;  il  fait 
entrer  l'esprit  du  christianisme  dans  toutes 
les  souffrances  qui  ne  sont  pas  même  de  son 
choix,  et,  par  un  art  excellent  que  la  charité 
nous  enseigne,  il  change  en  or  pour  l'éter- 
nité ce  qui  n'est  que  delà  l>oue  dais  le  temps. 

Heureux  c;jlui  qui  sait  ainsi  régler  sa  vie, 
et  qui,  entrant  dans  le  sens  des  paroles  dont 
l'Eglise  se  sert  pour  faire  l'ouverture  de  ce 
temps  favorable  et  de  ces  jours  de  salut  : 
Souvenez-vous,  ô  homme,  que  vous  n'êtes 
que  poussière  :  Mémento,  liomo,  quia  pulvis 
es,  en  sait  tirer  les  conséquences  1 

Heureux  celui  qui,  prenant  soin  de  s'en- 
tretenir dans  la  pensée  de  la  mort,  règle  sa 
vie  sur  celte  pensée,  et  se  met  en  état  d'at- 
tendre la  fin  de  ses  jours  avec  tranquillité, 
de  voir  approcher  la  mort  sans  frayeur,  et  de 
la  recevoir  avec  amour,  comme  un  passage 
à  la  vie  bienheureuse  que  nous  attendons  1 
Ah!  mes  frères,  qu'il  est  heureux  de  savoir 
éviter,  dans  la  surprise  de  ce  moment  terri- 
ble et  imprévu,  les  troubles  et  les  agitations 
d'une  conscience  mal  réglée  !  Mes  frères, 
songez-y,  représentez-vous  ce  qui  s'offrira 
tout  d'un  coup  à  vos  yeux  dans  le  moment 
fatal  et  décisif  de  votre  éternité;  car  voici  ce 
qui  s'offrira  alors  a  vous:l°  l'étal  où  vous  vous 
trouverez  dans  ce  moment  vous  découvrira 
les  illusions  de  votre  état  passé,  tout  sera 
fini  pour  vous;  2°  tous  les  désordres  de  voire 
vie  se  présenteront  en  foule  à  votre  esprit, 
pour  vous  faire  sentir  plus  vivement  les 
justes  motifs  de  votre  crainte  présente  :  vous 
ne  dérouvrirez  de  tous  côtés  que  des  sujets 
de  condamnation  ;  8U  votre  sort  futur,  mais 
prochain,  qui  \ous  fera  entrevoir  votre  mal- 
heur pour  l'éternité  et  les  supplices  qui  vous 
attendent,  ne  montrera  rien  que  d'affreux. 
Songez-y  donc,  mes  Irès-chers  frères,  tra- 
vaillez à  éviter  celle  terrible  et  déplorable 
surprise,  dans  laquelle  on  ne  tombe  qu'une 
fois,  et  d'où  on  ne  se  relève  jamais.  Mourons 
à  nous-mêmes  par  la  pensée  de  la  mort, afin 
que  nous  ne  mourions  pas  pour  l'éternité. 


Nous  essayerons,  en  traitant  les  devoirs  du 
christianisme  dans  le  cours  de  celte  qua- 
rantaine, de  vous  apprendre  à  vivre  comme 
des  enfants  de  Dieu,  élus  en  Jésus-Christ  et 
destinés  parses  méritesà vivreloujours. C'est 
ce  que  je  vous  souhaite. 

AUTRE  SERMON 

POUR    LE  MERCREDI     DES    CENDRES. 

Sur  la  cérémonie. 
Etat  du  pécheur  en  lui-même. 
Mémento,  ho  no,  quia  pulvis  es,  et  in  pulverem  rever- 
teris 

0  homme,  souviens-toi  que  lu  n'es  que  poudre  ,  el  que  lu 
retourneras  en  poudre  (Ojjice  du  jour). 

Comme  il  n'y  a  aucune  cérémonie  de  l'E- 
glise qui  ne  soit  établie  dans  la  vue  de  nous 
instruire,  j'ai  cru,  mes  frères,  que  nous  ne 
pouvions  mieux  faire  dans  ce  discours  que 
de  nous  appliquer  à  reconnaître  ce  qu'elle 
veut  nous  enseigner  par  la  cérémonie  des 
cendres  qu'elle  vient  de  mettre  sur  la  tète  de 
ses  enfanls. 

Nous  voyons  dans  l'Ecriture  que  l'usage 
en  a  souvent  été  mystérieux  :  quelquefois 
elles  ont  été  employées  pour  marquer  la  co- 
lère de  Dieu,  comme  lorsqu'il  commanda  à 
Moïse  et  à  Aaron  de  prendre  plein  leurs 
mains  de  cendres,  et  de  les  jeter  en  l'air 
contre  Pharaon.  11  en  est  de  même  de  la  con- 
duite des  peuples  de  Béthulie  sous  Judith,  et 
des  Juifs  sous  Mardochée,  qui  se  couvrirent 
la  têle  de  cendres  pour  obtenir  miséricorde 
de  Dieu.  D'autres  fois  elles  ont  servi  pour 
apaiser  la  colère  de  Dieu,  comme  nous  voyons 
par  le  conseil  que  les  prophètes  donnèrent 
aux  Juifs  en  plusieurs  endroits  de  se  couvrir 
de  cendres  el  de  recourir  à  Dieu  dans  cet  état 
pour  le  fléchir. 

C'est  ce  qui  fait,  mes  frères,  que  quand  je 
les  regarde  aujourd'hui  dans  les  mains  des 
ministres  de  l'Eglise  qui  les  appliquent  sur 
la  tête  des  chrétiens,  il  me  semble  qu'elles 
signifient  encore  la  même  chose,  et  c'est, 
seion  moi,  la  raison  de  l'usage  que  l'Eglise 
en  lait  dans  celte  cérémonie.  Elle  les  répand 
sur  la  tête  de  ses  enfants,  comme  si  elle  leur 
disait  :  Pécheurs,  vous  qui  n'êtes  que  cen- 
dre, et  qui  osez  combattre  la  volonté  de  votre 
Dieu,  souvenez-vous  qu'il  est  prêt  à  vous 
réduire  en  cendre.  Mais  en  même  temps 
qu'elle  les  menace,  elle  les  console,  et,  pre- 
nant ces  paroles  dans  le  sens  de  la  miséri- 
corde de  son  époux,  au  nom  duquel  elle  les 
prononce,  elle  leur  dit  encore  :  Souvenez- 
vous  que,  quoique  vous  soyez  moins  que  de 
la  poussière,  vous  pouvez  néanmoins  apai- 
ser la  colère  de  Dieu  irrité  par  vos  crimes, 
si  vous  avez  recours  à  la  pénitence,  et  que 
vous  vouliez  vous  couvrir  de  cendres;  car 
c'est  à  quoi  je  vous  invile  en  les  répandant 
sur  vos  têtes. 

Voilà,  mes  frères,  l'esprit  de  la  cérémonie 
qui  nous  assemble.  Je  m  arrête  donc  à  con- 
sidérer deux  choses  dans  les  cendres  qu'on 
nous  met  sur  la  têle  pour  en  expliquer  le 
mystère  :  la  première,  ce  qu'elles  sont  en 
elics-méines  ;  la  seconde,  ce  qu'elles  opèrent 
par  l'usage  qu'on  en  fait. 


iM 


OHATEl'KS  SACHES.  DOM  JEROME. 


m 


Si  nous  les  considérons  dans  ce  qu'elles 
sont,  elles  ne  me  paraissent  que  le  reste  d'un 
corps  consumé  par  le  feu,  et  une  légère  sub- 
stance qui  peul  cire  dissipée  par  le  moindre 
venl;  si  nous  considérons  ce  qu'elles  opèrent 
par  l'usage  qu'on  en  lait  ordinairement,  il 
me  paraît  qu'elles  servent  à  61er  les  plus 
grandes  lâches  et  à  purifier  les  choses  souil- 
lées; c'est  même  l'osage  auquel  l'Ecriture  les 
destine  en  ordonnant  que  l'on  nettoie  les  au- 
tels avec  la  cendre. 

Quand  je  m'arrête  à  ce  qu'elles  sont,  et 
que  |e  vois  l'Eglise  les  mettre  sur  la  têle  du 
pécheur,  je  comprends  qu'elle  ne  les  y  met 
que  pour  l'obliger  à  reconnaître  ce  qu'il  est 
devenu  par  son  péché  :  c'est  ce  que  nous  ex- 
pliquerons dans  la  première  partie;  quand  je 
m'arrête  à  ce  qu'elles  opèrent,  je  comprends 
que  l'Eglise  ne  les  met  sur  la  têle  du  pé- 
cheur que  pour  lui  apprendre  ce  qu'il  peut 
devenir  par  la  pénitence  :  ce  sera  l'objet  de 
la  seconde  partie. 

Entrons  dans  l'esprit  de  l'Eglise,  appre- 
nons à  connaître  ce  que  nous  sommes  de- 
venus par  le  péché  et  ce  que  nous  pouvons 
devenir  par  la  pénitence.  Adressons-nous  au 
Saint-Esprit  par  l'intercession  de  Marie.  Ave, 
Maria 

PREMIÈRE   PARTIE. 

11  n'y  a  rien,  mes  frères,  qui  nous  marque 
mieux  l'état  du  pécheur,  et  qui  soit  plus  pro- 
pre à  nous  en  faire  comprendre  la  misère, 
que  les  cendres  que  l'Eglise  met  aujourd'hui 
sur  la  tête  de  ceux  qu'elle  considère  sous 
cette  qualité  :  c'est  pourquoi  Dieu,  voulant 
faire  connaître  à  l'homme  ce  qu'il  était  de- 
venu par  son  péché,  se  sert  de  la  comparai- 
son de  la  poussière  et  de  la  cendre  pour  lui 
donner  une  juste  idée  de  ce  qu'il  est  devenu  : 
il  lui  Fait  un  grand  détail  de  toutes  les  misè- 
res qu'il  s'est  attirées  par  son  péché;  et  pour 
lui  donner  une  idée  qui  les  renferme  toutes, 
il  se  sert  de  celte  expression  :  Vous  n'êtes 
que  poudre.  Ceux  qui  ont  parlé  par  son  es- 
prit ont  suivi  ces  expressions  :  Job  compare 
toute  la  grandeur  humaine  à  la  poussière  et 
à  la  cendre  ;  le  prophèle-roi,  en  marquant  la 
différence  des  justes  et  des  pécheurs,  com- 
pare les  uns  aux  arbres  plantés  sur  les  eaux 
courantes  et  qui  portent  leurs  fruits  en  leur 
temps,  et  les  autres  à  la  poussière  que  le 
vent  emporte  de  dessus  la  terre.  Appliquons- 
nous,  mes  frères,  à  en  reconnaître  la  ju  - 
tesse,  et,  développant  le  mystère  que  l'Eglise 
nous  propose  aujourd'hui  dans  la  cérémonie 
des  cendres,  faisons  voir  au  pécheur  ce  qu'il 
est  dans  l'état  du  péché. 

Pour  le  faire  d'une  manière  sensible,  per- 
mettez-moi de  considérer  dans  les  cendres, 
1"  leur  substance  ;  2°  leur  figure. 

Or,  pour  expliquer  l'idée  que  j'ai  formée, 
je  dis  que  leur  substance  ne  doit  être  regar- 
dée pour  ainsi  dire  que  comme  un  néant,  et 
que  leur  figure  n'est  presque  pour  ainsi  dire 
que  l'effet  d'une  imagination  qui  se  joue  ,  et 
même  je  ne  sais  si  l'on  peut  véritablement 
appeler  une  substance  cc.qui  n'est  propre- 
ment que  les  restes  d'une  substance  consu- 


mée par  le  feu;  car  rien  n'approche  davan- 
tage do  né  'ni  que  la  cendre  :  c'est  la  der- 
nière chose  qui  demeure  après  la  destruc- 
tion du  corps  d'où  elle  est  tirée,  et  elle  ne 
peut  plus  être  i  ban  ée  en  autre  chose  qu'en 
ce  qu'elle  e  I  ;  c'est  donc  l'image  la  plus  s  li- 
sible et  ia  pi  s  naturelle  du  néant.  En  effet, 
si  vous  considérez  la  grandeur  et  la  magni- 
ficence d'un  bâtiment  et  la  multitude  des  cho- 
ses qu'il  contenait  avant  que  le  feu  l'eût  dé- 
truit, et  que  vous  regardiez  les  cendres  qui 
demeurent  après  la  consommation,  vous  «se- 
rez obligés  de  convenir  qu'il  esl  réduit  à  i  ien. 
Ainsi  on  peut  dire,  dans  un  sens  très-vérita- 
ble, que  la  cendre  n'est  rien,  ou  que,  si  c'est 
quelque  chose,  c'est  l'image  du  néant.  Ce- 
pendant, dans  ce  monceau  de  cendres  qui 
n'est  rien,  et  qui  n'est  éclairé  que  par  la 
lueur  mourante  du  feu  qui  va  s'éteindre,  les 
hommes  trouvent  quelquefois  différentes  li- 
gures de  choses  :  ils  y  voient  ce  qui  n'est  pas, 
et  par  le  feu  de  leur  imagination  ils  se  trom- 
pent eux-mêmes  et  ils  prennent  plaisir  à  s'a- 
buser. Or  voilà  ton  image,  pécheur,  et  c'est 
ton  crime  qui  a  mis  celle  ressemblance  entre 
la  cendre  et  toi.  Tu  n'es  donc  qu'un  néant 
dans  l'état  du  péché;  mais,  ne  connaissant 
pas  la  misère  de  ton  imagination,  tu  l'abuses 
sous  de  trompeuses  apparences,  et  lu  le 
flattes  malheureusement  d'un  espoir  qui  te 
trahira. 

Essayons  donc  aujourd'hui  de  t'ouvrir  les 
yeux  en  suivant  les  intentions  de  l'Eglise, 
et,  imitant  le  roi  des  Ninivites,  qui  s'assit 
sur  la  cendre  pour  prêcher  la  pénitence,  ar- 
rêtons, pour  ainsi  dire,  sur  nos  létes  celles 
que  les  ministres  de  l'Eglise  viennent  d'y 
mettre,  pour  reconnaître  ce  que  nous  som- 
mes et  pour  apprendre  à  devenir  ce  que  nous 
pouvons  êlrc. 

Je  ne  sais,  mes  frères,  si  vous  ne  me  dés- 
approuvez pas  d'avoir  comparé  le  pécheur 
à  la  cendre,  puisque  les  justes  mêmes  n'ont 
pas  cru  se  déshonorer  en  s'y  comparant  : 
Je  parlerai  à  mon  Seigneur,  quoique  je  ne 
sois  que  poudre  et  que  cendre,  disait  autrefois 
Abraham  à  Dieu.  Il  esl  vrai  qu'on  peut  dire 
qu'il  parlait  de  son  corps,  qui  n'est  que  pous- 
sière et  que  cendre,  dans  les  justes  couine 
dans  les  pécheurs,  ou  que,  se  regardant  par 
rapport  à  Dieu,  sa  justice  personnelle  ne  l  i 
paraissait  que  de  la  cendre,  en  comparaison 
de  la  souveraine  sainteté. 

Mais  le  pécheur  n'est  que  poussière,  de 
quelque  façon  qu'il  se  regarde  ;  c'est  un 
néant  partout,  et  sans  parler  de  ce  qui  lui 
esl  commun  avec  les  justes  du  côte  de  son 
élre,  je  ne  m'arrête  qu'à  ce  qu'il  se  procure 
lui-même  par  son  péché,  n'y  avant  point  vé- 
ritablement, dans  un  sens,  d'autre  néant 
que  celui-là.  C'est  ce  qu'il  sera  lac. le  de 
comprendre,  si  nous  établissons  une  fois  ce 
principe  de  la  foi,  qu'il  n'y  a  point  d'autre 
vie  que  la  vie  de  la  grâce,  la  vie  naturelle 
n'étant  rien,  si  elle  ne  sert  à  celle-ci,  cl  la 
vie  éternelle  n'étant  auire  chose  que  la  vie 
de  la  grâce  dans  sa  consom  nation. 

Ce  principe  étant  établi,  il  n'est  pas  diffi- 
cile de  faire  voir  au  pécheur  qu'il  est  reduil 


297 


SERMON  II  POUR  LE  MERCREDI  DES  CENDRES. 


298 


dans  le  néant,  et  que  la  cendre  qu'on  lui 
met  aujourd'hui  sur  la  tête  est  un  symbole 
admirable  de  l'état  de  misère  et  d'anéàntis- 
semenl  où  il  est  réduit  par  son  péché  :  il  n'y 
a\  mes  frères,  qu'à  faire  réflexion  sur  ce 
qu'il  était  avant  son  péché,  où  il  est  tombé 
par  son  péché,  en  quel  état  il  est  réduit  par 
son  péché. 

Pour  faire  comprendre  au  pécheur  ce  qu'il 
était  avant  son  crime,  il  faudrait  lui  décrire 
les  grandeurs  de  la  grâce  chrétienne  et  les 
effets  merveilleux  de  son  baptême,  et  c'est, 
mes  frères,  ce  qui  n'est  pas  facile  à  faire, 
parce  qu'à  peine  le  peut- on  comprendre, 
dit  saint  Augustin.  Par  cette  grâce  nous  som- 
mes faits  participants  de  la  nature  divine  : 
c'est  sur  cela  que  saint  Denis  appelle  un 
homme  qui  a  reçu  le  baptême,  déitié,  ce  qui 
est  exactement  vrai,  puisque  par  la  grâce 
de  son  baptême  il  est  tellement  uni  à  Dieu, 
et  Dieu  tellement  uni  à  lui,  que  Dieu  de- 
meure en  lui,  et  il  demeure  en  Dieu.  Il  se 
fait  dans  son  âme,  par  la  grâce  et  par  la 
charité,  ce  qui  s'est  fait  en  quelque  sorte 
dans  l'humanité  sainte  par  la  vertu  de  l'u- 
nion hypostatique;  et  c'est  ce  qui  fait  dire  à 
saint  Augustin  en  tant  d'endroits  que  nous 
sommes  faits  saints  dans  le  baptême  par  la 
même  sainteté  qui  a  rendu  saint  Jésus-Christ 
même;  nous  sommes  les  membres,  et  il  est 
notre  chef,  et  l'onction  de  la  tête  est  répan- 
due sur  les  parties  du  corps. 

C'est  là  le  mystère  que  nous  enseigne  le 
chrême  que  l'Eglise  applique  sur  le  sommet 
de  la  tête  des  enfants  dans  le  baptême;  car 
de  même  que  Notre-Scigneur  est  devenu 
christ  et  oint  à  l'instant  qu'il  a  été  conçu 
dans  le  sein  de  la  Vierge,  parce  que  celle 
sainte  humanité  unie  au  Verbe  a  reçu  l'onc- 
tion de  la  grâce  et  de  la  divinité  même, dont 
elle  fut  toute  pénétrée  dès  ce  moment  et  pour 
toujours,  ainsi  le  chrétien  par  son  baptême 
est  uni  au  corps  de  Jésus-Christ,  il  reçoit 
l'onction  de  la  grâce  qui  est  s.i  charité,  et 
avec  la  charité  le  Saint-Esprit,  et  avec  le 
Saint-Esprit  toute  la  divinité  qui  demeure  et 
qui  habite  en  lui  :  Mansioncm  upud  eum  fa- 
ciemus. 

11  est  donc  rendu  participant  de  la  vie  de 
Dieu,  et  celte  grâce,  dit  saint  Thomas,  est 
comme  une  autre  âme  surnaturelle  ajoutée 
à  son  âme  :  c'est  pourquoi  Dieu  est  appelé 
l'âme  de  noire  âme  ;  car  comme  notre  corps 
vil  de  noire  âme,  de  même  c'est  de  cette  âme 
divine  que  coulent  en  nous  toutes  les  habi- 
tudes surnaturelles  des  vertus;  et  comme 
toutes  les  puissances  naturelles  coulent  en 
nous,  pour  ainsi  dire,  de  la  substance  de  no- 
tre âme,  on  peut  dire  du  chrétien  que  quand 
il  agit,  c'est  Dieu  qui  agit  en  lui  ;  quand  il 
prie,  c'est  Dieu  qui  prie  en  lui. 

Par  là  je  découvre  la  grandeur  du  chré- 
tien ;  par  la  grâce  de  Jésus-Christ  il  vit  de  la 
vie  de  Dieu,  il  agil  par  le  principe  de  la  vie 
de  Dieu,  et  il  a  droit  de  se  reposer  dans  la 
vie  de  Dieu.  Mais  que  lui  arrive-l-il  par  son 
péché?  11  éteint  en  lui  le  principe  de  la  viede 
Dieu,  il  se  réduit  dans  l'impuissance  malheu- 
reuse d'agir  par  lo  principe  de  vie,   et  il  se 

OllATElKS    SACRÉS.    XXX. 


dépouille  du  droit  qu'il  a  à  l'héritage  éter- 
nel. Le  grand  édifice  de  sa  prédestination 
élevé  sur  les  mérites  du  sang  d'un  Dieu,  qui 
lui  donnela  qualité  de  son  fils  adoplif,  tout  ce 
grand  édifice  est  consumé  par  le  feu  du  pé- 
ché, et  il  se  trouve  réduit  dans  un  néant 
plus  déplorable  que  n'est  celui  où  paraît  à 
nos  yeux  un  superbe  et  magnifique  palais 
que  le  feu  a  dévoré  et  dont  il  ne  reste  plus 
que  la  cendre. 

Dans  cet  état  le  pécheur  n'est  plus  que 
cendre  :  Mémento,  homo,  quia  pulvis  en; 
car,  comme  dit  saint  Grégoire,  que  signifie 
la  poussière,  sinon  les  pécheurs?et  d'où  vient 
qu'il  les  appelle  ainsi,  si  ce  n'est  parce  que, 
n'étant  point  affermis  par  le  poids  de  la  rai- 
son et  de  la  foi,  le  moindre  vent  des  tenta- 
tions les  enlève? 

Voilà  l'état  du  pécheur  :  il  devient  le  jouet 
de  ses  passions,  et  il  est  continuellement 
battu  par  les  désirs  déréglés  de  son  cœur  : 
tantôt  élevé  par  l'ambition,  tantôt  aballu  par 
la  tristesse,  quelquefois  violemment  agité 
par  la  colère,  d'autres  fois  languissant  dans 
l'oisiveté;  enfin  il  est  semblable  à  ces  tour- 
billons de  poussière  que  le  vent  agile,  qui 
tournent  et  qui  n'avancent  point,  etqui,  après 
avoir  incommodé  ceux  qu'ils  ont  enveloppés, 
sont  dissipés  par  le  même  vent  qui  les  a  éle- 
vés, sans  qu'il  en  reste  rien. 

C'est  l'image  des  impies  qui  ne  marchent 
point  dans  les  voies  droites  de  la  vérité  et  du 
la  justice,  mais  qui  tournent  incessamment 
autour  d'un  cercle  formé  par  leurs  passions, 
par  l'illusion  et  par  l'erreur,  et  qui  enfin 
comme  la  poussière  sont  enlevés  tout  d'un 
coup  de  dessus  la  terre  et  dissipés  par  le 
vent  :  Tanquum  pulvis  quem  projicit  vcnlus 
a  facie  terrœ. 

Peut-on  abaisser  davantage  l'homme  pé- 
cheur? mais  peut-on  donner  une  idée  trop 
basse  de  ce  qui  n'csl  rien?  Néanmoins,  mes 
frères,  celte  cendre  s'élève  contre  Dieu; 
celte  poussière  gonflée  d'orgueil  se  flatte  de 
pouvoir  travailler,  quand  il  lui  plaira,  à 
l'ouvrage  de  son  salut  ;  elle  se  figure  des  for- 
ces et  des  ressources  qu'elle  n'a  point  :  res- 
source dans  l'espérance  de  vivre,  fausse  et 
illusoire;  ressource  dans  une  certaine  ten- 
dresse de  cœur  et  de  désir  de  salul,  encore 
plus  fausse  et  plus  dangereuse;  ressource 
dans  une  idée  de  la  miséricorde  de  Dieu, 
aussi  fausse  et  aussi  téméraire  que  les  deux 
autres.  Le  pécheur,  trompé  par  son  imagina- 
tion, croit  voir  dans  toutes  ces  ressources 
des  fondements  d'espérance  pour  son  salut, 
qui  ne  sont  réellemi  nt  que  dans  sa  seule  ima- 
gination :  ainsi  le  pécheur,  privé  de  la  vie 
et  réduit  par  ses  habitudes  dans  l'impuis- 
sance morale  de  faire  le  bien  pour  se  réta- 
blir, se  flatte  néanmoins  d'une  vaine  espé- 
rance, el  s'abuse  malheureusement  par  ce 
faux  espoir. 

C'est  encore  par  celle  illusion  qu'il  doit 
se  reconnaître  dans  la  cendre  qu'on  lui  met 
sur  la  tête;  car,  ainsi  que  nous  le  disions  il 
n'y  a  qu'un  moment,  comme  dans  un  mon- 
ceau de  cendre,  qui  n'est  éclaiié  que  par  l.i 
lueur  mourante  d'un  feu  qui  in  s'éteindre, 

10 


ORATEURS  SACRES.  f>O.M  JEROME. 


l'imagination  q  i  s'abuse  elle-même  nous 
fait  voirdes  Bgores  qni  n'y  sont  point,  ainsi, 
mes  frères,  ce  pécheur  qui  n'est  plus  qu'un 
mooceaa  «le  cendre  animé  par  on  rayon  de 
vie  qni  va  se  dissiper,  se  Halte  limerai 
ment  dans  l'affaire  de  son  salut,  et  se  nour- 
rit d'une  espérance  qui  n'est  propre  qu'a  le 
séduire.  O  homme  1  souviens-toi  done  qu,: 
tu  n'es  que  cendre;  ta  vie  te  trompe,  ion 
cœur  te  séduit,  et  tu  te  sers  de  ton  Dieu  même 
pour  l'abuser.  Car  remarquez,  mes  frères, 
que  !c  pécheur  compte  sur  le  temps  pour 
faire  pénitence,  sur  le  changement  de  son 
c  or  pou  la  faire  sincèrement,  et  sur  la 
grâce  de  Jésus-Christ  pour  opérer  ce  chan- 
gement; et  voici  l'illusion  du  pécheur  qui  se 
Halte  d'une  espérance  sans  fondement,  et  qui 
voit  ce  qui  n'est  point. 

Comme  il  jouit  encore  de  la  vie,  il  espère 
d'en  jou  r  longtemps  ;  comme  il  se  sent  de  la 
force  et  de  la  vigueur,  il  regarde  la  mort 
dans  un  point  de  vue  très-éloigné,  et  il  ne 
peut  croire  qu'il  est  en  péril  de  mourir  bien- 
tôt :  ainsi  il  remet  à  faire  dans  un  temps  in- 
certain ce  qu'il  devrait  commencer  dans  le 
temps  dont  il  jouit  :  il  se  promet  une  longue 
suite  d'années,  il  se  figure  une  longue  vie 
vers  la  fin  de  laquelle  il  se  propose  de  met- 
tre quelques  moments  en  réserve  pour  son- 
ger à  l'affaire  de  soi;  salut;  et  il  ne  pense 
pas  que,  tandis  qu'il  dispose  dans  son  ima- 
gination d'un  temps  qui  ne  lui  appartient 
point,  sa  vie,  comme  parie  l'Ecriture,  n'est 
qu'une  vapeur  qui  paraît  un  peu  de  temps, 
et  qui  disparaît  aussi  à  l'heure  qu'il  y  pense 
le  moins.  Ceci  est  d'expérience;  profitez, 
mes  très-chers  frères,  du  malheur  d'autrui, 
réveillez-vous. 

Un  autre  mauvais  office  que  lui  rend  son 
imagination  abusée,  e'  qui  regarde  ses  in- 
clinations, c'est  que  son  cœur  le  séduit  :  il 
croit  y  voir  ce  qui  n'y  est  point,  il  se  rassure 
sur  un  certain  désir  de  salut  qui  n'est  qu'un 
effet  de  l'amour  que  tous  les  hommes  ont  na- 
turellement pour  la  félicité,  et  sur  une  idée 
de  ne  vouloir  pas  finir  sa  vie  dans  les  pra- 
tiques ni  dans  les  engagements  qui  l'ont  oc- 
cupé, et  de  changer  sur  la  fin  de  ses  jours  de 
conduite,  de  sentiments  et  d'inclinations  : 
idée  qui  n'est  qu'une  tromperie  du  cœur 
pour  s'abuser  lui-même  et  pour  apaiser  par 
là  sa  conscience  ;  tout  cela  séduit  le  pécheur 
en  lui  montrant  des  ressources  et  des  espé- 
rances aussi  fragiles,  et  moins  solides  en- 
core que  celles  qu'il  établit  sur  la  longueur 
de  la  vie. 

Car,  mes  frères,  il  lui  arrive  plutôt  de  vi- 
vre que  de  changer  les  inclinations  de  son 
cœur  et  les  sentiments  qui  ont  réglé  toute  sa 
vie.  Mon  Dieu,  nenous  laissons  point  séduire 
par  le  vain  espoir  de  changer  quand  il  nous 
plaira  1  Que  cette  fausse  tendresse  sur  l'ar- 
ticle du  salut  ne  nous  trompe  point;  car 
'  elle  nous  conduira  infailliblement,  à  une  in- 
sensibilité qui  nous  mettra  dans  l'impuissance 
de  quitter  notre  pèche  et  de  ehanger  nos  in- 
clinations. Les  inclinations  nous  font  agir. 
les  actions  forment  en  nous  les  habitudes, 
les  habitudes  nous  engagent  dans  une  espèce 


de  nécessité  qui  nous  arrête  dans  le  mal 

d'une   manière  a    n'en    poinoir    plus    sorlir. 

Saint  Augustin  explique  admirablement toot 
rogrès  de   l'iniquité:  il  dit  que  d'abord 

nations  qui  se  forment  de  notre  cor- 
ruption ne  sont  que  comme  des  vapeurs  lé- 
gères que  le  moindre  rayon  de  soleil  peut 
dissiper  :  quand  elles  p  !  11  ut  au\  actions, 
;  est  comme  de  la  neige,  un  rayon  un  peu 
plus  fort  peut  la  fondre;  quand  elles  sont 
passées  en  habitudes,  elles  deviennent  comme 
de  la  glace  formée  par  un  froid  extrême,  un 
rayon  plus  ardent  la  surmonte  encore,  et 
lorsqu'il  a  agi  quelque  temps  dessus,  nous 
la  voyons  fondre  à  nos  yeux:  mais  quand 
1'babttude  est  invétérée,  le  cœur  devient 
comm  du  cristal  qui  ne  peut  plus  se  résou- 
dre en  eau;  il  devient  endurci,  rien  ne  peut 
le  toucher,  et  il  est  moralement  impossible 
qu'il  sorte  de  cet  état  malheureux.  Ne  vous 
fiez  donc  pas  à  cette  idée  de  changement, 
ci  tte  espérance  est  vaine,  votre  cœur  s'en- 
durcira, vous  périrez,  parce  que  vous  avez 
voulu  vous  tenir  dans  le  péril,  dit  le  Sage, 
et  vous  ne  connaîtrez  votre  malheur  que 
quand  vous  ne  pourrez  plus  y   remédier. 

Je  sais  que  le  pécheur  se  flatte  de  la  m  lé- 
ricordedeson  Dieu,  et  c'est  justemei.t  pour 
achever  de  le  séduire  qu'il  se  propose  cette 
dernière  idée  d'une  grâce  qui  le  convertira. 
Car,  mes  frères,  quoiqu'il  soit  certain  qu'il 
n'y  a  nul  état  dans  cette  vie  où  l'on  ne 
puisse  espérer  et  compter  sur  la  miséricorde 
de  Dieu,  et  ou  il  ne  puisse  faire  ressentir  les 
effets  de  sa  grâce,  il  est  vrai  cependant  qu'il 
faut  convenir  de  certains  principes  indubi- 
tables parmi  les  théologiens:  c'est  qu'encore 
qu'il  y  ait  une  grâce  suffisante  et  ordinaire 
pour  tous  les  hommes  rachetés  du  sang  de 
Jésus-Christ,  il  est  pourtant  certain  qu'il  y 
a  des  pécheurs  à  qui  les  grâces  ordinaire-  ne 
suffisent  pas,  il  leur  faut  des  grâces  extra- 
ordinaires pour  les  convertir  :  il  n'est  pas 
sûr  que  Dieu  leur  accorde  ces  grâces  extra- 
ordinaires, parce  qu'ils  se  sont  rendus  in- 
dignes de  sa  miséricorde.  L'Ecriture  ne  nous 
dit-elle  pas  que  Dieu  a  des  jours  de  miséri- 
corde auxquels  il  pardonne  au  pécheur, 
mais  qu'il  a  aussi  des  jours  de  colère  aux- 
quels il  ne  lui  pardonne  pas?  Ainsi,  mes 
frères,  il  n'est  pas  sûr  que  Dieu  nous  donne 
ces  grandes  grâces  absolument  nécessaires 
pour  fondre  un  cœur  de  cristal  et  de  roche, 
pour  changer  des  habitudes  invétérées  et 
pour  opérer  le  plus  grand  miracle  de  sa 
grâce. 

Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  sûr,  c'est  que  le 
moyen  le  plus  certain  pour  s'en  rendre  In- 
digne, c'est  de  mépriser  toutes  les  grâces 
ordinaires  qu'il  nous  fait  dans  la  roe  de 
celle  dont  nous  nous  Hâtions;  car  il  n'y  a 
rien  de  si  contraire  au  bon  sens  que  de  se 
llalter  que  ce  Dieu  que  nous  outrageons 
tous  les  jours  de  propos  délibéré  fera  pour 
nous,  quand  nous  ne  pourrons  plus  l'outra- 
ger, tout  ce  qu'il  peut  faire  de  plus  considé- 
rable. Reconnaissons  donc,  mes  frères,  que 
toutes  ces  idées  d'espérances  sont  vaines, 
qu'elles    sont  semblables  à  ces  ligures   que 


50) 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  D'APRES  LES  CENDRES. 


l'imagination  se  représente  flans  un  mon- 
ceau de  cendres  qu'un  peu  de  vent  dissipe 
en  un  instant;  et  après  avoir  regardé  ces 
cendres  qu'on  nous  met  sur  la  têle  dans  ce 
qu'elles  sont  en  elles-mêmes,  e(  nous  y  être 
reconnus,  regardons-nous  dans  ce  qu'elles 
opèrent  par  l'usage  qu'on  en  fait,  et  appre- 
nons ce  que  nous  pouvons  devenir  par  la 
pénitence  :  c'esl  le  sujet  de  mon  second 
point. 

SECONDE    PARTIE, 

Quoiqu'il  soit  vrai,  mes  très-chers  frères, 
qu'on  ne  puisse  trop  parler  de  la  vertu  cl  de 
la  force  de  la  pénitence,  soit  à  cause  qu'on 
publie  la  miséricorde  de  Dieu  en  le  faisant, 
parce  qu'il  en  est  l'auteur,  et  que  c'est  lui 
qui  nous  la  donne,  soit  à  cause  qu'on  con- 
sole l'homme  pécheur  par  celle  voie,  Dieu 
la  lui  ayant  donnée,  dit  sainl  Augustin,  de 
peur  que  le  désespoir  n'accroisse  et  ne  mul- 
tiplie ses  péchés,  je  crois  néanmoins  qu'il 
esl  plus  ulile  de  vous  animer  à  l'enlrepren- 
dre,  que  de  vous  en  décrire  la  force  et  la 
verlu  ;  car  que  pourrais-je  vous  diresurcette 
matière  que  la  loi  chrétienne  ne  vous  ail 
déjà  appris?  Mais  quelle  confusion  pour  vous 
si,  en  étant  instruits,  vous  négligez  de  re- 
courir à  ce  remède  ! 

La  pénitence  rétablit  en  nous  l'innocence 
que  le  péché  nous  a  ôlée;  vous  l'avez  per- 
due et  vous  ne  songez  pas  à  la  recouvrer  : 
la  pénitence  efface  les  péchés,  et  nous  déli- 
vre des  délies  que  nous  avons  contractées  ; 
vous  en  êtes  chargés,  el  vous  ne  songez  pas 
à  les  payer.  La  pénitence,  par  une  légère  sa- 
tisfaction, suspend  l'arrêt  de  mort  qui  nous 
menace  ;  par  des  larmes  et  par  des  soupirs 
elle  apaisa  la  colère  d'un  Dieu,  et  par  des 
peines  qui  ne  peuvent  durer  tout  au  plus 
qu'autant  que  notre  vie,  elle  nous  en  épar- 
gne de  cruelles  qui  ne  doivent  finir  jamais. 
Enfin,  mes  frères,  la  pénitence  nous  pu- 
rifie, elle  nous  rétablit  dans  notre  étal,  elle 
nous  fait  renaître,  dit  saint  Ambroise,  par 
une  renaissance  qu'on  doit  appeler  une  ré- 
surrection, el  elle  place  au  rang  des  vierges 
celui  qui  s'était  souillé  parmi  les  adultère-;. 
Voilà  quelle  esl  la  vertu  de  la  pénitence,  qui 
n'en  a  point  d'autre  que  celle  du  sang  de 
Jésus-Chrisl.  Elle  nous  est  figurée  par  les 
cendres  que  l'Eglise  nous  met  sur  la  tête, 
pour  nous  apprendre  que  comme  les  cen- 
tres purifient  les  choses  souillées  et  leur  ren- 
dent leur  première  beauté,  ainsi  la  péni- 
tente nous  rétablit  dans  l'état  d'où  nous  som- 
mes déchus  :  elle  nous  rend  la  vie,  elle  nous 
met  en  état  d'agir  par  principe  de  vie  el  elle 
nous  redonne  non-seulement  le  droit  à  la 
gloire,  mais  elle  nous  en  ouvre  le  chemin 
et  nous  y  conduit.  Quand  vos  péchés,  dit  le 
Seigneur,  seraient  comme  ircarlate,  ils  devien- 
dront blancs  comme  In  neige. 

Vous  n'ignorez  pas  toutes  ces  choses,  mes 
cher»  frères,  cl  c'esl  ce  qui  fait  que  je  ne 
m'étends  pas  davantage  ;  mais  comme  on  ne 
les  sait  qu'à  sa  condamnation  lorsqu'on  n'a- 
git pas  selon  la  connaissance  qu'on  en  a,  je 
veux  vous  convaincre  d'embrasser  celte  pé- 


nitence dont  vo.is  connaissez  la  vertu,  et 
dont  vous  ne  devez  pas  ignorer  la  néeessité. 
il  y  faut  exhorter  les  pécheurs  en  tout 
temps  ;  mais  on  ne  peut  le  faire  plus  à  pro- 
pos qu'en  celui-ci,  que  saint  Augusliu  ap- 
pelle des  jours  saints  et  précieux.  En 
effet,  Dieu  a  des  jours  de  miséricorde  et  des 
jours  de  colère,  el  nous  commençons  au- 
jourd'hui ces  jours  heureux  où  tout  contri- 
bue à  nous  assurer  des  effets  de  sa  miséri- 
corde. Profitons  de  l'occasion  qu'il  nous  pré- 
sente. Toute  l'Eglise  gémit  dans  ce  saint 
temps,  elle  est  dans  les  larmes  et  dans  la 
pénitence,  elle  redouble  ses  prières,  elle  de- 
mande miséricorde  pour  ses  enfants,  et  Jé- 
sus-Chrisl,  qui  est  son  chef,  va  se  mettre  à 
sa  tète  pour  la  conduire  dans  le  désert  prier 
et  jeûner  avec  elle.  Voilà,  mes  frères,  le 
temps  de  la  miséricorde:  Dieu  pou  rail-il  re- 
fuser quelque  chose  à  des  suppliants  péné- 
trés de  son  amour?  y  a-t-il  quelque  maladie, 
quelque  invétérée  qu'elle  puisse  être,  que  la 
vertu  de  la  pénitence    ne  guérisse  ? 

Ne  laissons  donc  pas  échapper  ce  temps 
précieux  el  favoraide,  mes  très-chers  frères, 
ne  passons  pas  ce  carême,  comme  nous  en 
avons  passé  tant  d'autres,  sans  profiter  de 
la  miséricorde  que  Dieu  nous  offre  ;  joignons- 
nous  à  l'Eglise  pour  prier,  et  prions  avec 
elle  pour  obtenir  grâce;  jeûnons  avec  elle, 
et  tâchons  de  profiter  de  lous  les  moyens 
qu'elle  nous  donne  pour  nous  réconcilier 
avec  Dieu.  De  mon  côté,  je  n'oubl-'erai  rien 
(  autant  que  Dieu  m'en  rendra  capable)  pour 
vous  y  conduire,  pour  vous  marquer  les  rè- 
gles de  vos  engagements  et  les  obligations  de 
vos  états,  pour  vous  enseigner  la  manière 
de  faire  pénitence  et  de  vous  sanctifier  dans 
vos  conditions.  Priez  pour  moi,  mes  frères, 
et  demandez  à  Dieu  qu'il  mette  dans  ma 
bouche  les  paroles  de  votre  salut.  La  seule 
chose  que  je  me  propose,  si  Dieu  m'en  rend 
capable,  c'est  de  vous  instruire  sans  vous 
troubler,  de  vous  corriger  sans  vous  déses- 
pérer, et  de  vous  régler  sans  vous  flatter: 
c'esl  là  où  se  terminent  toutes  mes  vue». 
Que  Dieu  bénisse  mes  travaux,  afin  qu'ils 
puissent  vous  servir  à  mériter  le  ciel.  Je 
vous  le  souhaite,  etc.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR    LE    .IIÎU01    D'APRES    LES    CENDRES. 

Des  devoirs  envers  les  domestiques. 

Domine,  (.uer  meus  iacei  in  domo  paralvticus.  et  maie 
tomuelur. 

Seigneur,  fai  chez  mol  un  serviteur  malade  d'une  uara- 
lijste  qui  le  tourmente  fort  {Matlli.,  VIII,  0). 

Après  les  louanges  que  le  Sauveur  du  monde 
donne  au  eenlenier  de  notre  évangile,  je  ne 
craindrai  pas  de  le  proposer  pour  modèle 
aux  chrétiens,  el  ils  ne  doivent  point  avoir 
de  honle  d'apprendre  d'un  infidèle  de  qui  Jé- 
sus-Christ a  loue  hautement  la  piété,  quelle 
doit  être  la  conduite  d'un  maître  chrétien  à 
l'égard  de  es  domestiques.  Les  obligations 
qui  le  lient  à  ceux  qui  le  servent  sont  très- 
grandes,  et  j'ajoute  très-relevées  dans  l'ordre 
de  Dieu;  mais  la  négligence  qu'on  apporte  à 

remplir  les  engagements  dam  lesquels  ou 


303 


ORATEURS  SAl  EtES    M)M  JKROME. 


entre  par  ces  obligations  est  si  déplorable, 
que  j'ai  cru  qu'il  sérail  très-utile  de  vous 
parler  aujourd'hui  de  celle  matière. 

Chacun  se  trouve  bien  d'être  maître,  ceux 
qui  ne  le  sont  pas  font  tout  ce  qu'ils  peuvent 
pour  le  devenir,  ccu\  qui  le  sont  se  glori- 
fient de  l'être;  mail  peu  s'appliquent  à  con- 
naître les  obligations  de  cet  état,  ei  moins 
encore  pensent  solidement  à  s'en  acquitter. 
Cependant  l'ignorance  de  ces  obligations  im- 
portantes n'excuse  pas  ceux  qui  les  ont  con- 
tractées; ils  doivent  s'instruire  de  leurs  de- 
voirs ,  et  la  négligence  à  les  remplir  dans 
ceux  qui  les  connaissent  esl  suffisante  pour 
les  perdre  éternellement. 

Essayons  donc  de  traiter  aujourd'hui  celle 
matière  de  telle  sorle  qu'en  instruisant  les 
uns  dans  ces  devoirs,  nous  proposions  aux 
autres  l'exemple  de  ce  centenier  de  l'Evan- 
gile de  qui  le  Sauveur  du  monde  a  admire  la 
foi  et  qui  produit  aux  maîtres  chrétiens  un 
modèle  si  excellent  de  la  justice  et  de  la 
charité  qu'ils  doivent  à  leurs  domestiques; 
nous  apprendrons  à  ceux-ci  en  [tassant  leurs 
devoirs  envers  leurs  maîtres  :  ainsi  je  rédui- 
rai toute  cette  matière  à  deux  propositions. 

1*  Un  maître  chrétien  est  lié  à  sou  domesti- 
que par  des  obligations  très -pressantes, 
mais  qu'on  ne  veut  point  reconnaître:  pre- 
mier point  ;  2°  en  conséquence  de  ces  obli- 
gations ,  un  maître  chrétien  entre  dans  des 
engagements  à  l'égard  de  son  domestique 
qu'on  ne  songe  point  à  remplir  :  second 
point.  En  deux  mois,  ce  que  c'est  qu'un  maî- 
tre chrétien  dans  l'ordre  de  Dieu  :  première 
partie;  ce  qu'il  doit  à  son  domestique,  s'il 
veut  ne  pas  violer  cet  ordre  sur  lequel  il 
sera  jugé  :  seconde  partie.  Demandons  l'as- 
sistance du  ciel.  Ave,  Maria. 

: 'RI  Mil  RI     PARTIE. 

Pour  prendre  une  idée  précise  de  l'étal 
d'un  maître  chrétien  dans  l'ordre  de  Dieu,  et 
entrer  naturellement  dans  celle  des  obliga- 
tions qui  le  lient  à  son  domestique,  il  est 
nécessaire  d'établir,  1°  que  Dieu  esl  égale- 
ment le  maître,  le  souverain  el  le  père  de 
ceux  qui  leur  sont  soumis  :  cette  proposition 
appartient  à  la  foi;  elle  est  de  l'apôtre  saint 
Paul,  qui  l'a  établie  dans  son  Epitrc  aux 
Epbésiens,  comme  un  fondement  solide  des 
devoirs  des  maîtres  à  l'égard  «le  leurs  do- 
mestiques. Vous  avez,  leur  dit-il,  les  uns  et 
les  autres  un  maître  commun  dans  le  ciel, 
qui  n'aura  point  d'égard  à  la  condition  des 
personnes;  nous  tirerons  dans  un  moment  la 
conséquence  de  ce  principe:  première  vérité. 

2°  L'inégalité  des  conditions  qui  fait  les 
souverains  cl  les  sujets,  les  maîtres  et  les 
serviteurs,  les  riches  et  les  pauvres,  n'est 
point  un  effet  du  hasard  ni  de  la  fortune  : 
tout  cela  esl  réglé  dans  l'ordre  de  !a  Provi- 
dence. Voici  comme  parle  le  Saint-Esprit 
par  la  bouche  du  Sage  :  Le  riche  et  le  pauvre 
se  sont  rencontres,  et  le  Seigneur  est  le  crài- 
teur  de  l'un  et  de  l'autre;  c'est  Dieu  lui-même 
qui  vous  a  placé  dans  celte  condition  ,  vous 
J  eles  par  son  ordre:  seconde  veiné. 

3  Dans  chacune  de  ces  conditions  établies 


'0» 

par  la  Providence,  il  y  a  des  devoirs  essen- 
ln  ls  qui  en  font  la  perfection  quand  ou  les 
accomplit,  et  le  désordre  quand  on  l< 
glige;  el  c'est  à  l'accomplissement  de  ces  de- 
voirs que  l'apôtre  saint  Paul  exhorte  les 
chrétiens  de  1  hessalonique  :  Nous  vous  ex- 
hortons, dit-il,  de  vous  appliquer  chacun  a  te 
ijur.  tous  are:  à  faire,  el  qu'il  répète  t  <•- 
fortement  dans  le  dernier  chapitre  de  la  se- 
conde lettre  aux  Corinthiens;  et  même  jui- 
(jui-là  qu'il  exhorte  les  iidèles  de  cette  Eglise 
d'éviter  la  conversation  de  ceuv  qui  ne  tra- 
vaillent pas,  el  de  se  séparer  de  ceux  qui  ne 
s'appliquent  pas  à  remplir  les  devoirs  de  leur 
état.  C'est  à  quoi  on  ne  pense  guère  dans  le 
monde,  cependant  c'est  en  cela  que  consiste 
la  vraie  piété;  connaître  ses  devoirs  et  les 
remplir  :  troisième  vérité. 

Ces  principes  étant  établis,  nous  allons  re- 
conoaîlre  les  obligations  qui  lient  l^s  m 
chré  iens  à  leurs  domestiques, en  réfléchissant 
sur  les  desseins  que  Dieu  s'esl  proposés  dans 
celle  diversité  de  conditions  qu'il  a  établies 
dans  le  monde  comme  maître  et  souverain  ; 
sur  les  besoins  mutuels  où  les  hommes  se 
trouvent  suivant  l'ordre  de  ses  desseins;  en- 
fin sur  les  devoirs  dont  chaque  condition  esl 
chargée  selon  cet  ordre  de  Dieu,  pour  sub- 
venir à  ces  besoins  mutuels.  Je  ne  prétends 
pas  regarder  ici  les  desseins  de  Dieu  dans 
cet  ordre  purement  naturel  qui  ne  nous 
montre  que  la  beauté  de  l'univers  dans  la 
variété  des  conditions  qui  le  composent,  ou 
sa  magnificence  dans  les  utilités  du  com- 
merce qui  l'enrichissent  ;  mais  je  les  regarde 
dans  cel  ordre  naturel  formé  par  son  amour, 
et  dans  les  vues  de  sa  miséricorde  qui  a  réglé 
toutes  choses  pour  sa  gloire  et  pour  le  salut 
de  ses  enfants. 

Or,  mes  frères,  il  me  semble  que  les  des- 
seins que  Dieu  a  eus  en  formant  le  monde 
dans  cette  variété  d'états  cl  de  conditions, 
qui  met  les  uns  dans  l'élévation  et  les  a  lies 
dans  l'abaissement,  a  été  que  les  hommes 
apprissent  à  le  connaître,  quoiqu'il  affectât 
de  se  cacher  à  eux  pour  exercer  leur  foi  et 
pour  la  couronner;  el  qu'aussi  il  a  voulu 
unir  les  hommes  les  uns  aux  autres  par  les  liens 
d'un  amour  devenu  comme  nécessaire  par  celle 
subordination  qui  les  rend  dépendants  les 
uns  des  autres.  Terlullien  nous  explique  ce 
premier  dessein  de  Dieu  par  des  paroles 
qui  semblent  renfermer  un  paradoxe,  il  se 
fait  connaître,  dit-il,  quoiqu'on  ne  le  voie  pas, 
et  il  se  rend  invisible,  quoiqu'on  le  voie.  Eu 
effet,  quiconque  regardera  l'ordre  de  l'uni- 
vers dans  les  différentes  espèces  de  créatu- 
res, qui  sont  toutes  les  ouvrages  de  Dieu, 
dans  leurs  mouvements  et  dans  leur  durée, 
reconnaîtra  non-seulement  l'existence,  mais 
la  puissance,  la  grandeur  el  la  majesté  de 
Dieu  qui  les  a  faites,  qui  les  souticut,  el  qui 
se  montre  suffisamment  en  elles  el  par  elles. 

N'est-ce  pas  ce  que  saint  Paul  a  voulu  ap- 
prendre aux  Romains,  lorsqu'il  dit  que  de- 
puis la  création  du  monde,  les  perfections 
invisibles  de  Dieu,  sa  puissance  éternelle  et 
sa  diviuiic  deviennent  visibles  par  la  con- 
naissance,   que  les   créatures  nou>  eu  don- 


'Mi 


SERMON  POUR  LE  JEUDI 


nent?  Et  il  tire  de  cet  argument  une  preuve 
de  l'existence  de  Dieu  suffisante  pour  rendre 
inexcusables  à  son  jugement  ceux  qui  ne  s'y 
rendent  pas.  C'est  ce  qui  a  fait  appeler  si  à 
propos  l'univers  et  toutes  les  créatures  qu'il 
renferme,  l'évangile  des  philosophes  et  des 
païens,  par  lequel  Dieu  leur  est  annoncé. 
Mais  quiconque  considérera,  non  pas  les 
créatures  insensibles,  mais  l'homme  pour 
qui  eiles  ont  été  faites,  l'homme  qui  est  le 
chef-d'œuvre  de  ce  divin  ouvrier,  l'homme 
qui  est  son  enfant ,  de  qui  il  se  dit  en  mille 
endroits  le  tendre  Père,  l'homme  pour  le- 
quel il  a  donné  la  vie  de  son  Fils,  et  qui 
verra  un  homme  au-dessus  d'un  autre  hom- 
me qui  n'est  pas  plus  que  lui,  considérant 
cet  homme  placé  dans  un  état  si  différent  de 
celui  d'un  autre,  dans  une  condition  si  oppo- 
sée, l'un  souverain  et  l'autre  son  esclave, 
l'un  dans  l'élévation,  et  l'autre  dans  l'abais- 
sement, l'un  possédant  tout,  et  l'autre 
n'ayant  rien:  ah!  il  reconnaîtra  que  Dieu 
étant  également. père  de  celui  qui  est  misé- 
rable et  de  celui  qui  est  heureux,  également 
maître  des  biens  et  des  conditions  qui  les 
distinguent  et  qui  mettent  en  eux  une  diffé- 
rence si  sensible,  n'a  pas  fait  l'un  pour  le 
sacrifier  à  l'autre,  puisque  c'est  lui  qui  a  créé 
les  unset  les  autres.  Il  reconnaîtra  qu'il  y  a  ici 
quelque  mystère, et  qu'il  veut  se  rendre  visi- 
ble etinvisible  tout ensembledansl'unetdans 
l'autre.  En  effet,  mes  frères,  il  se  rend  visible 
au  malheureux  dans  la  personne  qui  estau- 
dessus  de  lui,  parce  qu'il  la  charge  du  soin  de 
le  soulager.  Cependant  il  demeure  invisible, 
parce  que  tout  se  fait  par  des  voies  très-sen- 
sibles et  par  des  moyens  tout  humains;  il 
se  rend  visible  en  quelque  sorte  à  celui  qui 
est  heureux  et  dans  l'élévation,  par  la  loi 
qu'il  lui  impose  de  soulager  les  misérables, 
et  il  se  cache  aussi  en  quelque  façon  sous 
ces  avantages  humains  qu'il  tire  de  l'accom- 
plissement de  cette  loi,  parles  services  que 
lui  rend  celui  qu'il  soulage  :  ainsi  il  se  mon- 
tre à  ceux  qui  regardent  sa  conduite  avec 
une  certaine  attention,  et  il  se  cache  aux 
superbes  qui  ne  veulent  pas  voir  les  princi- 
pes que  nous  avons  établis,  et  qui  ne  jugent 
des  choses  que  par  des  vues  basses  que  leur 
suggèrent  leur  orgueil  et  leurs  passions. 

Ajoutons  à  cela  qu'il  veut  encore  par  ce 
moyen  rendre  l'amour  comme  nécessaire 
entre  les  hommes  en  les  mettant  dans  une 
dépendance  mutuelle  les  uns  des  autres, 
et  les  lier  d'abord  dans  la  société  humaine 
pour  les  préparer  à  une  alliance  que  la  cha- 
rité doit  rendre  toute  sainte.  C'est  pour  cela 
que  je  vous  ai  «lit  qu'il  fallait  faire  deux  ré- 
flexions sur  les  besoins  dans  lesquels  les 
hommes  tombaient  selon  l'ordre  des  desseins 
de  Dieu  ;  car,  mes  frères,  retenez  bien  cette 
venté,  s'il  vous  plaît:  il  n'y  a  que  Dieu  seul 
qui  n'ait  aucun  besoinde  ceux  qui  le  servent, 
et  qui  soit  un  Seigneur  absolument  indépen- 
dant de  ses  sujets  et  de  ses  serviteurs.  Tous 
les  hommes,  de  quelque  condition  qu'ils 
puisent  être,  sont  dépondants  les  uns  des 
autres.  Ecoulez  parler  saint  Augustin  sur  le 
psaume  LXIX.  Mes  frères,  dit  ce  K.unl  doc 


D'APRES  LES  CENDRES.  366 

leur,  vous  n'èles  pas  absolument  ni  pleine- 
ment les  maîtres  de  vos  serviteurs.  D|où 
vient  cela?  c'est  que  vou.î  êtes  tous  deux 
créatures  de  Dieu,  cl  que  devant  ses  yeux 
vous  êtes  dans  une  parfaite  égalité.  Souve- 
nez-vous de  nos  principes,  vous  êtes  diffé- 
rents dans  l'ordre  présent;  vous  faites  chacun 
un  personnage  dans  l'économie  de  ses  des- 
seins, vous  représentez  un  maître  et  vous 
l'êtes  en  effet  ;  mais  vous  ne  l'êtes  pas  plei- 
nement ni  indépendamment.  Votre  domes- 
tique représente  un  serviteur  et  un  sujet, 
mais  quand  l'ordre  présent  sera  accompli, 
vous  vous  trouverez  égaux,  et  le  plus  grand 
du  monde  est-il  sorli  de  cette  vie,  il  ne  sera 
pas  autre  que  le  plus  misérable  de  tous  les 
hommes.  Ainsi  donc  dès  à  présent  il  n'est 
pas  plus  devant  Dion  qu'il  sera  alors  ;  vous 
êtes  égaux  aux  yeux  de  Dieu,  et  aucun  de 
vous  n'est  ni  véritablement  maître  ni  vérita- 
blement serviteur.  De  plus,  avec  toule  cette 
différence  que  Dieu  a  mise  entre  vous  et  vo- 
tre domestique  dans  l'ordre  présent,  vous 
êtes  néanmoins  dans  une  dépendance  mu- 
luelle  si  véritable  et  si  réelle,  que  si  votre 
domestique  a  besoin  de  vous  pour  sa  nourri- 
ture et  pour  sa  vie,  vous  avez  besoin  de  lui 
pour  une  infinité  de  choses  où  son  secours 
vous  est  nécessaire.  Par  là  nous  pouvons 
dire  avec  toute  assurance  et  dans  le  vrai, 
que  les  plus  grands  seigneurs  et  les  plus 
puissants  monarques  sont  plus  dépendants 
que  les  autres,  parce  que,  formant  de  plus 
grandes  entreprises,  ils  ont  besoin  de  plus 
de  secours.  Us  dépendent  pour  la  guerre  des 
soldats  et  des  capitaines  qui  les  défendent  et. 
qui  les  font  triompher  de  leurs  ennemis.  Ils 
dépendent  pour  le  commerce  des  négociants 
qui  enrichissent  leurs  sujets,  et  par  leurs 
sujets  leurs  personnes.  Us  dépendent  poui' 
la  police  qui  règle  leurs  royaumes,  et  qui  en 
fait  des  Etals  heureux,  des  magistrats  et 
des  officiers  qui  tiennent  la  main  à  l'obser- 
vation des  lois  qu'ils  y  ont  établies;  ce  qui 
en  passant  vous  doit  donner  une  faible  idéo 
des  grandeurs  du  monde,  puisqu'elles  ne 
sont,  à  proprement  parler,  qu'une  extension 
de  dépendance,  et  une  servitude  réelle  que 
les  hommes  ont  relevée  par  quelque  sorte 
d'honneur  el  de  prérogatives  qu'ils  y  ont  at- 
taché;. Mais  prenons  des  exemples  plus 
communs:  le  grand  éclat  de.  ces  conditions 
éminentes  nous  empêche  d'en  voir  la  dépen- 
dance, ceux  menus  qui  les  possèdent  n'en 
connaissent  pas  la  servitude,  parce  qu'elle 
es!  adoucie  p;;r  tant  d'agréments  pour  IV.- 
monr-propre,  qu'à  peine  peut-elle  s'y  faire 
sentir  un  moment.  Nuis  la  considérons 
mieux  dans  une  condition  médiocre,  où  nous 
expérimentons  tous  les  jours  (pie  si  nos  do- 
mestiques ont  besoin  de  nous,  nous  avons 
besoin  d'eux,  et  que  s'ils  ne  peuvent  se  pas- 
ser de  nous  pour  vivre,  nous  ne  pouvons 
pas  noi!  plus  nous  passer  d'eux  pour  vivre 
commodément  et  dans  la  bienséance  de  notre 
étal:  nul  n'est  donc,  absolument  parlant, 
serviteur. 

Or,  mes  frères,  il  était  nécessaire  que  cela 
fût  ainsi:  9«lon  l'ordre  des  desseins  de  Dieu. 


507 


OISATKUHS  SACHES.  OOM  JEltOMK. 


30fJ 


il  fallait  que  h  s  bommea  sentissent  des  be- 
soins mutuels,  afin  que  chacun  glorifiât  Dieu 
dam  sou  état;  que  celui  qui  eil  heureux  re- 
coiuiûi  lu  faiblesse  de  son  bonheur  par  les 
besoins  qu'il  y  ressent  et  par  les  dépendan- 
ces qu'il  lui  laisse.  H  fallait  qu'il  y  eût  des 
besoins  mutuels,  afin  que  la  providence  de 
Dieu  parût,  elle  qui  met  abondamment  dans 
la  main  des  uns  ce  qui  manque  a  la  néces- 
sité des  autres.  Il  fallait  qu'il  y  eût  des  be- 
soins mutuels,  afin  que  la  nécessité  récipro- 
que liât  les  hommes  d'affection  ;  que  le  ser- 
viteur regardât  son  maître  comme  son  père, 
que  le  maître  regardât  sou  serviteur  comme 
son  enfant.  11  fallait  enfin  qu'il  y  eût  des  be- 
soins mutuels,  pour  que  la  foi  du  domesti- 
que fût  éprouvée,  et  qu'il  apprît  à  connaître 
et  à  servir  Dieu  dans  la  personne  de  celui 
qui  est  chargé  de  prendre  soin  de  sa  subsis- 
tance et  de  sa  vie. 

Nous  le  dirons  bientôt,  il  faut  que  le  maî- 
tre se  regarde  comme  dépositaire  des  biens 
de  Dieu,  et  comme  le  •.  érilable  ministre  de 
ses  desseins.  C'est,  mes  frères,  ce  que  j  ap- 
pelle le  devoir  essentiel  du  maître  chrétien, 
d'où  il  faut  prend  te  l'idée  précise  de  cet  état, 
et  par  où  nous  achèverons  de  prouver  que 
les  maîtres  sont  lié  j  à  leurs  domestiques  par 
des  obligations  indispensables.  Toutes  les 
vérités  que  nous  venons  d'exposer  me  font 
comprendre  qu'un  maître  chrétien  est  pro- 
prement l'homme  de  Dieu  choisi  par  sa  pro- 
vidence pour  exécuter  les  desseins  qu'il  a 
formés  sur  tous  ceux  qui  sont  sous  sa  dé- 
pendance et  qui  composent  la  famille  dont  il 
est  le  chef.  C'est  l'idée  exacte  que  nous  de- 
vons en  avoir;  la  condition  d'un  maître 
chrétien  ,  c'est  un  pur  ministère1  qu'il  lient 
de  la  main  de  Dieu;  son  autorité  et  sa  puis- 
sance sont  une  participation  de  l'autorité 
souveraine  de  celui  qui  est  seul  maître  par 
sa  nature. 

Ces  choses,  mes  frères,  ne  sont  pas  des 
imaginations  de  l'homme,  ce  sont  des  vérités 
divines  ;  et  quoique  la  concupiscence  ,  l'or- 
gueil et  l'amour-propre  aient  répandu  sur 
notre  esprii  des  nuages  qui  nous  empéchi  ni 
de  les  voir  clairement ,  elles  n'en  sont  pas 
moins  réelles  :  voici  comme  l'Ecriture  et  les 
Pères  ont  parlé  sur  celte  matière. 

Vous,  maîtres,  dit  saint  Paul,  témoigin  z  de 
l'affection  à  vos  serviteurs,  sachant  que  vous 
avez  les  uns  et  les  autres  un  Maître  commun 
dan::  le  ciel;  vous  n'avez  donc,  vous, maîtres, 
qu'une  autorité  soumise,  qu'un  pur  minis- 
tère. Voilà  comme  parle  l'Écriture;  et  voici 
comme  saint  Augustin  s'exprime  :  Dans  la 
maison  d'i.n  juste  qui  vit  par  la  foi  et  qui  se 
regarde  ù  i-Las  comme  un  étranger,  celui  </ui 
commande  ne  commnde  }>as  par  une  passion 
de  dominer,  mais  par  un  dessein  de,  servir.  Ce 
n'est  pas  par  un  sentiment  d'orgueil  pou 
lever  au-dessus  désunir* s,  ruais  par  un  senti- 
ment île  l/ienvi  illance  et  dans  la  vue  d'aider 
ceux  (jui  lui  sont  soumis  et  de  leur  faire  du 
bien.  Ce  sainl  docteur  n'a  donc  regardé  un 
maître  chrétien  que  comme  l'Immole  de 
Dieu,  chargé  île  sa  pari  d'un  ministère  qui  le 
lie  à  ceux  qui  dépendent  de  lui.  C'est  donc 


une  vérité  certaine  et  solidement  établie  ;  de 
là  ,  mes  frères  ,  quelles  conséquences  en 
faut-il  lirer?  Les  voici  :  1  C'est  que,  comme 
vous  tenez  toute  cette  puissance  et  celte  auto- 
rité de  Dieu,  vous  ne  la  pouvez  posséder  lé- 
gitimement qu'aux  condition!  que  Dieu  vous 
l'a  donnée;  v  .us  ne  pouvez  en  user  que 
pour  les  fins  que  Dieu  lui-même  vous  g  pres- 
crites :  cela  est  constant.  Ainsi,  lorsque  »ous 
regardez  extérieurement  le  rang  où  Dieu 
vous  a  mis,  et  que  vous  fait  s  r<  ndre  ce  qui 
est  dû  à  ce  rang,  vous  devez,  par  une  vue  in- 
térieure, solide  et  véritable,  reconnaître  qm 
vous  n'avez  rien  naturellement  aa-dessus  de 
vos  domestiques,  que  le  droit,  non  pas  prin- 
cipalement de  vous  faire  obéir,  mais  de  fair  : 
obéir  à  Dieu,  el  élre  en  élat  de  répondre  que 
c'est  pour  Deu  que  v  ous  commande!,  et  que 
vous  avez  en  vue  dans  vos  commaudem'nls 
la  gloire  de  Dieu  el  le  bien  de  ceux  qui  vous 
sont  soumis.  2°  Vous  devez  penser  que  c'est 
sur  vous  que  Dieu  se  repose  jour  tous  les 
besoins  de  vos  dom  sliques,  et  que  c'est  entre 
vos  mains  qu'il  a  mis  tous  les  moyens  néces- 
saires pour  les  soulager;  car,  encore  une 
fois,  qu'étes-vous  comme  maîtres  et  comme 
puissants  ?  vous  êtes  les  ministres  des  lilM  - 
lités  du  grand  maître  et  de  l'unique  souve- 
rain. Les  biens  qu'il  donne  se  réduisent  à 
deux  espèces  différentes,  ceux  du  temps  et 
ceux  de  l'éternité,  lea  passagers  et  les  éter- 
nels, ceux  qui  sont  communs  aux  bons  et 
aux  méchants,  et  ceux  qui  ne  sont  destinés 
que  pour  les  justes.  Il  donne  les  uns  immé- 
diatement par  lui-même,  et  il  met  les  autres 
entre  les  mains  de  ses  ministres  pour  les 
distribuer  en  son  nom,  par  ses  ordres  et 
suivant  les  règles  qu'il  a  prescrites.  Ce  do- 
mestique qui  manque  des  choses  nécessaires 
à  sa  subsistance  vous  isi  envoyé  par  sa  pro- 
vidence afin  de  les  obtenir  de  vous  ;  c'esl  par 
ces  besoins  qu'il  vous  est  assujetti,  il  ne  vous 
regarderait  pas  s'il  n'en  était  pressé;  il  espère 
par  ses  services  obtenir  de  vous  ce  qui  lui 
manque,  il  attend  de  Dieu  la  sanctification 
de  son  âme  et  le  repos  éternel  ;  et  il  attend 
de  vous  ce  qui  le  peut  retirer  de  sa  misère 
et  lui  rendre  la  \ie  supportable,  et  c'est  mit 
vous  que  Dieu  se  repose  pour  ces  sec  ours. 
,'J"  Enfin  vous  devez  donc  examiner  avec 
beaucoup  d'attention  jusqu'où  peut  aller  le 
bien  que  vous  devez  faire:  car  \ous  êtes 
obligés  de  l'aire  celui  que  voua  ;  ouvez  :  si 
vous  pouvez  beaucoup,  vos  obligations  crois- 
sait selon  la  mesure  de  votre  pouvoir;  si 
vous  pouvez  peu.  Dieu  ne  demande  que  peu 
e  vous;  mais  si  \ous  ne  faites  rien,  vous 
C  inhaliez  les  desseins  de  Dieu,  vous  abusez 
du  ministère  qu'il  vous  a  confie,  vous  vous 
servei  du  pouvoir  et  du  bien  qu'il  vous  a 
confiés  contre  lui-même,  el  vous  méritez  qu'il 
VOUS  traite  romme  un  roi  traiterait  un  sujel 
qui  voudrait  se  rendre  maître  d'une  place 
qu'il  lu:  aurai!  confiée  pour  \  ron-erv er son 
autorité.  Ces  principes  poses ,  et  qu'on  ne 
peut  révoqner  en  doute,  où  en  •<  ni  eeai 
qui,  regardant  leurs  biens  ,  leur  fortune  et 
leur  autorité  comme  des  apanages  de  leur 
naissance  ou  le  fruit  d'un   travail   qu'on  ue 


509 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  D'APRES  LES  CENDRES. 


510 


peut  condamner,  croient  se  pouvoir  rendre 
le  centre  de  tous  ces  avantages,  et  s'imagi- 
nent que,  (ont  étant  pour  eux,  tout  doit 
leur  être  sacrifié;  qui  regardent  un  domesti- 
que comme  un  esclave,  un  chrétien  comme 
une  bête,  un  enfant  de  Dieu  comme  tin  ani- 
mal de  service  ;  qui  forcent  à  devenir  crimi- 
nel celui  que  Dieu  leur  envoie  pour  qu'ils 
l'empêchent  d'être  malheureux,  et  qui,  après 
avoir  épuisé  les  forces  du  corps  de  ce  do- 
mestique ,  l'exposent  à  mourir  sans  avoir 
connu  ni  Dieu  ni  la  religion,  et  sans  savoir 
où  prendre  de  quoi  soulager  les  incommodi- 
tés d'une  vieillesse  que  les  travaux  du  ser- 
vice ont  avancée,  et  que  la  pauvreté  rend  in- 
supportable. Ah  1  Seigneur,  quels  dispensa- 
teurs de  vos  biens  !  Quels  ministres  de  vos 
libéralités  !  Quels  agents  de  votre  providence, 
et  que  le  nombre  est  petit  de  ceux  qui  savent 
ce  que  c'est  que  d'être  maître,  et  maître 
chrétien,  c'est-à-dire  selon  l'ordre  de  Dieu  1 
J'ai  pris  soin  de  vous  tracer  une  légère 
idée  des  obligaiions  qui  lient  un  maître  chré- 
tien à  son  domestique.  Il  faut  vous  tracer 
l'engagement  où  il  est  à  l'égard  de  ce  do- 
mestique, en  conséquence  de  ses  obliga- 
tions :  vous  savez  ce  que  c'est  qu'un  maître 
chrétien  dans  l'ordre  de  Dieu  ,  apprenez 
maintenant  ce  qu'il  doit  à  ce  domestique,  s'il 
ne  veut  pas  violer  cet  ordre  sur  lequel  il 
sera  jugé:  c'est  mon  second  point. 

SECONDE    PARTIE. 

L'auteur  de  l'Ecclésiastique  nous  a  marqué 
tous    les  engagements  où  sont  les  maîtres 
chrétiens  à  I  égard  de  leurs  domestiques  dans 
(es  trois  paroles  :  punis,  disciplina,  opus.  Le 
pain,  la  correction  elle  travail  sont  dus  à 
l'esclave  ;  la  condition  d'esclave  ne  se  trouve 
plus  dans  le  christianisme  ;  ceux  qui   nous 
servent   sont  des   hommes   libres,   rachetés 
par  le   sang   adorable   de  Jésus-Christ    et 
ayant  droit  à  la  même  gloire  que  nous  ;  voici 
donc  le  scr.s  qu'il  faut  "donner  à  ces  paroles, 
et  la  nature  de  ves  devoirs  :  panis  ;  vous  de- 
vez à  votre  domestique  la  subsistance,  pre- 
mier devoir  ;  vous  lui   devez  une  éducation 
qui  réponde  à  sa  religion  ;  disciplina,  second 
devoir  :  vous  lui  devez  un  emploi  et  des  occu- 
pations par  lesquelles   il  s'acquitte  de  son 
devoir;  opus,  troisième  et  dernier  devoir: 
ce  sent  là,   maîtres  chrétiens,   vos  obliga- 
tions   et    des   engagements    indispensables 
dans    l'ordre  de   votre   salut:   il  dépend   en 
partie  du  soin  que  vous  aurez   pris  de  vous 
en  acquitter,  et  afin  que  vous  n'en  doutiez 
pas,  ces  devoirs  sont    fondés  sur  les  obliga- 
tions essentielles  ie  votre  état  de  maîtres  dans 
l'ordre  de  Dieu  ;  car.  suivant  cet  ordre  lixe 
et  invariable,  et  que  rien  ne  saurait  changer, 
voici,  encore  une  fois,  l'idée  de  vos  obliga- 
tions, et  ce  que  vous  êtes  à   l'égard  de   vos 
domestiques,   selon   l'ordre  éîabli  par  celui 
qui  est  également  votre  maître  et  le  leur. 

1"  Vous  êtes  les  dispensateurs  de.;  fonds 
que  Dieu  a  destinés  pour  leur  subsistance, 
e'csl  le  fondement  de  votre  premier  devoir  à 
leur  égard;  punis,  un  entretien  qui  con- 
vienne à  leur  élat  de  serviteur.  2*  Vous  êtes 
les  dépositaires  des  secours  que  Dieu  leur  a 


préparés  pour  leur  sanctification.  C'est  le 
fondement  de  votre  deuxième  devoir  à  leur 
égard  :  disciplina,  une  éducation  qui  ré- 
ponde à  leur  religion  de  chrétien.  3°  Vous 
êtes  les  modérateurs  des  travaux  où  leur 
condition  les  engage  ;  opus,  c'est  le  fonde- 
ment de  votre  troisième  devoir  à  leur  égard  ; 
des  emplois  et  des  occupations  pour  remplir 
leur  état  de  serviteurs  et  de  domestiques. 
Ces  principes  établis,  entrons  maintenant 
dans  le  détail  de  ces  devoirs;  considérons-en 
l'étendue  et  apprenons  à  les  remplir.  Or  il  y 
a  plusieurs  obligations  renfermées  dans  l'é- 
tendue du  premier  devoir.,  suivant  les  sens 
différents  que  les  saints  Pères  et  les  interprè- 
tes de  l'Ecriture  ont  donnés  au  terme  de 
pain.  D'abord  vous  devez  à  vos  domestiques 
la  nourriture  et  l'entretien,  ceci  est  fondé  sur 
ces  paroles  du  XXVe  chapitre  du  Deuléro- 
nome  :  Vous  ne  lierez  point  la  bouche  du 
bœuf  qui  foule  vos  grains  dans  retire  ;  ce  qui 
veut  dire  que  celui  qui  travaille  mérite  qu'on 
le  nourrisse  ;  et  saint  Paul  nous  dit  dans  la 
première  aux  Corinthiens  ,  chapitre  IX  : 
Croyez-vous  que  Dieu  se  mette  en  peine  de  ce 
qui  regarde  les  bœufs  ?  N'est-ce  pas  plutôt 
pour  nous-mêmes  qu'il  a  fait  celte  ordon- 
nance? II  est  vrai  que  saint  Paul  parle  du 
travail  des  ministres  de  l'Evangile  qui  leur 
donne  droit  sur  les  biens  de  ceux  pour  le  sa- 
lut desquels  ils  sont  occupés  ;  mais  on  peut 
aussi  très-naturellement  appliquer  ce  pas- 
sage au  droit  que  vos  serviîeurs,  qui  travail- 
lent pour  vous,  ont  sur  des  biens  dont  vous 
n'êtes  que  les  dépositaires  et  les  dispensa- 
teurs, et  sur  lesquels  Dieu  votis  a  chargés  de 
leur  fournir  la  nourriture  et  l'entretien. 

Cette  nourriture  et  cet  en: retien  doivent 
convenir  à  leur  état  de  serviteur,  c'est  ce 
que  signifie  cette  expression  panis  dont  le 
Saint-Esprit  s'est  servi.  Car  comme  le  bœuf 
qui  foule  la  gerbe  ne  prend  que  le  nécessaire 
sans  délicatesse,  et  se  contente  du  grain  qu'il 
trouve  sous  ses  pieds  ,  on  ne  doit  que  le  né- 
cessaire à  des  domestiques,  et  ils  ne  peuvent 
exiger  davantage.  Qu'ils  se  ressouviennent 
de  leur  état,  qui  est  un  état  d'humilité  qu'ils 
doivent  aimer,  et  dans  lequel  ils  douent 
apprendre  à  glorifier  Dieu  ,  comme  nous  le 
dirons  dans  tout  le  reste  de  ce  discours,  où 
nous  unirons  les  devoirs  d  s  domestiques  à 
ceux  des  maîtres,  y  ayant  une  relation  na- 
turelle enîre  les  uns  et  les  autres.  Il  faut 
donc  leur  donner  le  nécessaire  modeste- 
ment, mais  honnêtement,  de  peur  que,  les 
traitant  avec  avarice  et  avec  dureté,  ils  ne 
tombent  dans  le  libertinage.  La  chaiité  vous 
doit  faire  prévenir  ces  désordres,  vous  y 
trouverez  même  votre  intérêt  ;  mais  la  justice 
vous  oblige  de.  fournir  à  leurs  besoins. 

De  plus,  comme  ce  terme  de  pain,  panis, 
se  doit  entendre  des  gages  qu'ils  acquièrent 
liar  leur  travail  cl  de  la  récompense  qu'ils 
méritent  par  leur  fidélité  d.ins  leur  service, 
il  faut  voir  de  quelle  manière  l'Ecriture' 
sainte  s'explique  sur  cette  matière.  Celui,  dit 
l'auteur  de  l'Ecclésiastique,  '/ni  arrache  ù  un 
homme  le  pain  qu'il  a  gagne  par  son  travail 
est  comme  celui  qui  assassine  son  prochain. 


-Il 


ORATEURS  SACRES.  MO  M  JEROME. 


"I 


Sachez,  dit  saint  Jacques  ,  que  le  salaire  que 
vous  fuites  perdre  à  vus  domestiques  i  rie  con- 
tre vous,  ri  que  leurs  cris  montent  jusqu'aux 
oreilles  du  Dieu  des  (innées,  C'est  donc  BIM 
chose  horrible  que  de  retenir  le  salaire  des 
domestiques  ;  cependant  combien  y  a-t-il  do 
maisons  où  on  ne  les  paye  point,  d'où  ils  ne 
peuvent  sortir  pour  se  retirer,  et  se  luire  un 
petit  établissement  avec  les  fruits  de  quinze 
ou  vingt  années  de  service  !  Combien  d'au- 
tres cherchent  querelle  à  leurs  domestiques 
en  les  niellant  dehors  pour  les  frustrer  de 
leurs  gages  !  On  les  rend  responsables  de  ce 
qui  sou\cnt  n'est  pas  sur  leur  compte,  ou 
dont  ils  n'étaient  point  chargés,  ou  qu'on 
n'est  point  certain  qu'il  se  soit  perdu  par 
leur  faute.  N'est-ce  pas  là  une  injustice 
criante?  Car  quelle,  juste  raison  pourriez- 
vous  alléguer  de  retenir  une  dette  certaine 
pour  un  dommage  incertain  ?  les  soupçons 
et  les  défiances  peuvent-ils  être  un  juste 
titre  pour  les  priver  de  ce  que  vous  leur  avez 
promis  lorsqu'ils  se  sont  engagés  à  votre 
service  ,  et  de  ce  qu'ils  ont  acquis  en  vous 
servant? 

Rendez-leur  donc  justice,  vous  contre  qui 
ils  n'osent  ni  ne  peuvent  la  demander.  Crai- 
gnez celui  qui  les  vengera,  devant  qui  vous 
allez  être  égaux  dans  un  moment,  et  qui 
vous  châtiera  éternellementcomme  d'injustes 
dispensateurs  d'un  fonds  commun,  dont  vous 
vous  êtes  rendus  propriétaires  contre  ses  in- 
tentions, au  préjudice  de  ceux  qui  étaient 
ses  enfants  comme  vous. 

Croyez-moi  ,  mes  frères,  payez  les  pages 
de  vos  domestiques  tous  les  ans,  à  moins 
qu'ils  ne  vous  prient  de  les  leur  conserver. 
Ne  les  laissez  point  accumuler  ;  on  se  réduit 
quelquefois  dans  une  espèce  d'impuissance, 
pour  n'avoir  pas  gardé  d'ordre  dans  ses 
affaires  ;  et  cette  raison  là,  bien  loin  de  vous 
justifier  devant  Dieu,  vous  rend  encore  plus 
criminels.  Payez-les  tous  les  ans,  et  quand 
ils  vous  servent  avec  fidélité  et  avec  amour, 
ajoutez-y  quelques  petites  récompenses  ;  re- 
tranchez-la s'ils  se  relâchent,  vous  les  ani- 
merez par  là  à  faire  leur  devoir.  Qu'importe 
par  où  l'amour  de  la  vertu  entre  dans  le 
cœur,  pourvu  qu'il  y  soit? 

Par  ce  mot  punis  les  Pères  ont  entendu  l'as- 
sistance qu'on  doit  aux  domestiques  dans 
leurs  maladies.  Oui,  mes  frères,  vous  éles 
obligés  de  les  assister  :  la  raison  de  celle 
obligation  est  qu'ils  sont  à  vous  et  qu'ils  vous 
appartiennent;  et  si  vous  avez  soin  de  vos 
chevaux  et  de  vos  chiens  malades  parce  qu'ils 
sont  à  vous,  si  vous  les  nourrissez,  si  vous 
cherchez  des  remèdes  pour  les  guérir,  à  plus 
forte  raison  devez-vous  exercer  la  charité  et 
la  justice  envers  des  hommes  vos  semblables 
et  vos  frères  qui  vous  servent  et  qui  sont 
tombés  malades  à  voire  service.  C'est  donc 
une  cruauté  insupportable  de  chasser  un  do- 
mestique malade,  et  de  lui  refuser  les  ali- 
ments et  les  remèdes  nécessaires  à  sa  guéri- 
son,  tandis  que  vous  les  prodiguez  pour  de 
vils  animaux. 

Kt  ne  pensez  pas  en  être  quittes  devant 
Oieit  en  'es  envoyant  dans  des  hôpitaux  où 


vous  les  recommandez,  et  où  on  n'ose  pas 
vous  refuser  une  place  parce  que  vous  avez 
«le  l'autorité.  Les  hôpitaux  ne  sont  établis 
que  pour  les  pauvres  abandonnés  el  qui  n'ont 
pas  d'autres  ressources;  les  domestiques  qui 
vous  servent  actuellement  ne  sont  pas  de  ce 
nombre  :  faites  réflexion  que  par  là  vous 
manquez  à  un  devoir  essentiel  de  votre  état 
de  maître  et  de  dispensateur  des  fonds  que 
Dieu  a  mis  enlre  vos  mains;  caries  biens  que 
vous  possédez  par  un  effet  de  la  disposition 
et  de  la  volonté  de  Dieu,  sont  un  fonds  assi- 
gné à  tous  c ■•(  ux  qui  sont  dan.  la  misère;  mais 
c'est  une  ressource  pour  ce  domestique  dans 
sa  maladie,  sur  laquelle  il  a  acquis  un  droit 
privilégié,  en  se  liant  à  vous  comme  maître, 
par  les  services  qu'il  vous  a  rendus  el  par 
ceux  qu'il  est  disposé  de  vous  rendre.  Que 
faites-vous  donc  lorsque  vous  l'envoyez  dans 
un  hôpital  ?  vous  lui  refusez  ce  que  vous  lui 
devez  légitimement,  et  vous  ôlez  a  un  pauvre 
qui  n'a  point  de  maître  la  place  qui  lui  ap- 
partient et  que  Dieu  lui  a  destinée.  Ainsi  vous 
faites  injustice  à  l'un  el  à  l'antre;  vous  man- 
quez au  devoir  de  votre  état,  et  vous  trou- 
blez l'ordre  de  Dieu.  On  ne  pense  point  à  ce 
devoir,  on  songe  à  se  décharger ,  et  on  ne 
voit  point  au  contraire  qu'on  atti;e  par  là 
sur  sa  personne  et  sur  sa  maison  la  colère  et 
l'indignation  du  Seigneur. 

L'Ecriture  sainte  rapporte  que  les  Amalé- 
cites,  ayant  surpris  Siceleg  en  l'absence  de 
David  ,  enlevèrent  ce  qu'il  y  avait  de  plus 
précieux  ,  emmenèrent  les  hommes  el  les 
femmes  en  captivité  ,  et  mirent  le  feu  à  la 
ville.  Ce  prince  trouva  à  son  retour  le  reste 
de  ce  peuple  dans  une  c  msternalion  effroya- 
ble :  saisi  lui-même  d'une  douleur  extrême, 
il  consulta  Dieu  et  résolut  de  poursuivre  ces 
brigands  avec  six  cents  hommes.  Sur  leur 
chemin  ils  rencontrèrent  un  homme  malade 
à  qui  ils  donnèrent  à  boire  cl  à  manger,  et 
le  conduisirent  à  David.  Qui  es-tu?  lui  de- 
manda ce  prince.  Je  suis,  répondit-il ,  un 
Egyptien,  esclave  d'un  Atnalêeite,  qui  m'a'. un- 
donna  ily  a  trois  jours  parce  que  je  suis  tombé 
malade.  Pourrai»-tu  nous  conduire  à  leur 
camp,  reprit  David?  Oui,  seigneur.  Avecie 
tjuide  il  joignit  les  Amalécites,  qui.  en  ré- 
jouissance d  !S  pillages  qu'ils  remportaient 
des  terres  des  Philistins  et  de  Juda,  buvaient 
et  mangeaient  épais  dans  la  campagne.  Da- 
vid les  attaqua,  les  tailla  en  pièces  ,  reprit 
tout  le  butin  (l  les  captifs,  parmi  lesquels 
étaient  ses  deux  femmes. 

Ainsi,  mes  frères,  Dieu  vengea  l'inhuma- 
nité de  ce  maître  barbare  qui  avait  abandonné 
son  serviteur  malade,  et  toute  l'armée  fut  dé- 
faite par  un  petit  nombre  de  gens  qui  trou- 
vèrent ce  domestique,  laisse  comme  une  bêle 
dans  la  campagne  sans  aucune  compassion 
pour  sa  misère* 

Ah!  qu'il  y  a  de  gens  qui  ressemblent  en 
leurs  manières  à  ces  Amalécites  !  on  va  cher- 
cher bien  loin  la  cause  des  malheurs  qui  ac- 
cablent une  famille,  et  on  ne  voit  poiut  que 
c'est  le  violement  de  certains  devoirs  qu'on 
ne  veut  pas  connaître,  quoique  essentiels 
dans  l'ordre  de  Dieu  :  c'est  l'effet  d'une  iu- 


;i5 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  D'APRES  LES  CENDRES. 


3U 


justice  sur  laquelle  on  ne  fait  point  d'atten- 
tion, parce  qu'elle  regarde  des  gens  de  qui 
on  ne  tient  aucun  compte  et  qu'on  estime 
moins  que  des  bêles  :  mais  Dieu,  qui  les  re- 
garde autrement  que  vous,  et  aux  yeux  de 
qui  le  maître  est  souvent  moindre  que  le  ser- 
viteur, prend  leur  cause  en  main,  se  venge 
de  vos  injustices  dès  cette  vie,  et  vous  dé- 
pouille des  biens  dont  vous  n'avez  pas  usé 
selon  les  règles  qu'il  vous  a  prescrites. 

Détournez,  mes  frères,  de  dessus  vos  fa- 
milles les  effets  de  cette  indignation  du  Sei- 
gneur, suivez  l'exemple  du  centenicr  de  no- 
tre évangile  :  il  ne  met  pas  son  serviteur  à  la 
porte,  il  ne  l'envoie  pas  à  l'hôpital,  quelque 
incommode  et  à  charge  que  lui  soit  sa  para- 
lysie :  il  le  garde  dans  sa  maison  ,  il  le  fait 
traiter  dans  sa  maladie,  et  après  avoir  épuisé 
les  remèdes  humains,  il  prie  ses  amis  d'inter- 
céder pour  lui  auprès  du  Sauveur  du  monde, 
qui  faisait  alors  de  grands  miracles  :  il  y 
vient  lui-même.  Voilà,  mes  frères,  l'exemple 
que  vous  donne  un  homme  de  guerre,  il  y  a 
des  gens  de  bien  dans  toute  profession  :  ce 
qu'un  idolâtre  qui  ne  connaissait  point  Jé- 
sus-Christ fit  peut-être  alors  par  des  motifs 
de  compassion,  d'intérêt,  d'honneur,  d'ami- 
tié, faites-le  par  des  vues  de  religion,  de  cha- 
rité, de  justice  et  d'obéissance  aux  lois  de 
l'Evangile. 

La  charité  vous  oblige  pour  l'exemple 
d'aller  aux  hôpitaux  et  d'aller  visiter  les  pau- 
vres de  votre  paroisse;  mais  quand  vos  do- 
mestiques sont  malades,  la  justice  vous  oblige 
d'en  avoir  soin.  Alors  faites  vos  hôpitaux  de 
leurs  chambres;  vous  serez  là  plus  en  as- 
surance et  moins  exposés  à  la  vainc  gloire  : 
toutes  les  œuvres  extérieure  s  et  éclatantes 
sont  peu  de  chose  devant  Dieu,  si  elles  ne 
procèdent  d'un  fonds  de  charité  sincère  qui 
vous  porte  à  remplir  vos  devoirs  ,  c'est-à- 
dire  ceux  qui  sont  essentiels  à  votre  état. 

Enfin  le  mol  panis  s'entend  d'un  établisse- 
ment qu'on  doit  procurer  aux  domestiques 
qui  ont  servi  fidèlement  etavec  affection.  Ceci 
n'a  pas  tant  l'air  d'une  obligation  et  d'un  de- 
voir, que  d'un  avantage  et  d'une  gloire  atta- 
chée à  la  condition  d'un  maître  qui  a  entre 
ses  mains  de  quoi  faire  aisément  la  fortune 
d'un  homme  et  l'établir  dans  une  espèce  de 
repos.  Y  a-t-il  rien  de  plus  touchant  que 
d'entendre  dire  :  Je  suis  redevable  de  mon 
établissement  et  de  ma  fortune  à  un  maître 
que  j'ai  servi  ?  Y  a-t-il  rien  de  plus  grand  que 
de  rendre  un  homme  coulent,  de  le  combler 
de  joie,  de  prévenir  ses  besoins,  de  le  mettre 
en  état  d'êlre  heureux?  C'est  par  là  qu'an 
maître  se  rend  semblable  à  Dieu  en  quelque 
sorte  dans  l'ordre  naturel.  Faire  du  bien  ! 
non,  mes  frères,  rien  n'est  si  digne  d'un  chré- 
tien que  celle  disposition  généreuse,  tendre 
cl  bienfaisante,  qui  lui  fait  mellre  son  bon- 
heur à  procurer  celui  des  personnes  qui  lui 
■ont  soumises  dans  l'ordre  de  Dieu.  Rien  au 
contraire  n'est  si  indigne  d'un  enfant  de  Dieu, 
que  d'abandonner  des  serviteurs  de  qui  on  a 
consommé  la  jeunesse  et  la  force.  Il  est  vieux, 
il  est  usé,  il  n'est  bon  à  rien;  qu'en  faire? 
C'est  justement  par  là  qu'il  mérite  que  vous 


en  preniez  soin.  Etablissez-le, soyez  son  pro- 
tecteur, ne  le  laissez  point  tomber  dans  la 
pauvreté;  que  ce  domestique  qui  vous  a  servi 
fidèlement  vous  soit  cher  comme  votre  âme  : 
Sit  tibi  dilectus  quasi  anima  tua.  Voilà  les 
sens  à  peu  près  que  les  saints  Pères  ont  don- 
nés à  cette  première  parole  du  Sage,  partis, 
et  l'étendue  du  premier  devoir  d'un  maître 
chrétien  à  l'égard  de  sesdomestiques.  Voyons 
le  second,  qui  consiste  dans  l'éducation  :  di- 
sciplina. 

Celui-ci,  mes  frères,  est  d'autant  plus  élevé 
au-dessus  du  premier,  qu'il  regarde  l'âme, 
qui  est  infiniment  plus  noble  que  le  corps, 
et  que  le  salut  du  domestique  en  dépend,  ce 
qui  n'entre  point  en  comparaison  avec  sa 
nourriture  et  son  établissement.  Saint  Au- 
gustin veut  que  nous  imitions  les  anciens 
patriarches.  Selon  le  témoignage  de  l'Ecri- 
ture, ils  ne  mettaient  de  différence  entre 
leurs  enfants  et  leurs  esclaves  que  pour  ce 
qui  concernait  les  biens  temporels,  car  ils 
les  aimaient  tous  également  en  Dieu  de  qui 
nous  attendons  les  biens  éternels;  ce  qui  est 
tellement  conforme  à  l'ordre  naturel,  dit  ce 
Père,  que  le  nom  de  père  de  famille  est  venu 
de  là,  nom  que  les  méchants  mêmes  affec- 
taient; car  on  ne  s'avise  pas  de  dire  maître 
de  famille,  mais  père  :  ainsi  ceux  qui  sont 
vraiment  pères  de  famille  ont  un  soin  égal 
que  tous  ceux  de  leur  maison  :  domestiques 
aussi  bien  qu'enfants,  servent  et  honorent 
Dieu. 

Or  vos  domesliques  sont  à  vous  :  ils  vous 
doivent  regarder  comme  leur  père,  parce  que 
Dieu  se  sert  de  vous  pour  les  délivrer  de 
l'ignorance  et  du  péché,  et  pour  leur  donner 
la  vie  de  l'âme.  C'est  par  là,  maîtres  chré- 
tiens, que  votre  état  est  bien  relevé,  mais 
vous  ne  vous  avisez  guère  de  le  regarder  de 
ce  côté-là  ;  ce  sont  des  grandeurs  très-émi- 
nentes  dans  l'ordre  de  Dieu,  mais  très-petites 
dans  votre  eslime.  C'est  par  là  que  vous  êtes 
les  dépositaires  des  secours  que  Dieu  a  pré- 
parés à  ces  hommes  pour  leur  sanctification  ; 
car  pour  l'ordinaire  ce  sont  des  gens  qui 
sortent  jeunes  de  leurs  provinces,  de  dessous 
la  conduite  d'un  père  et  d'une  mère  qui  ne 
leur  ont  donné  nulle  éducation.  S'ils  sont 
baptisés,  ils  ne  connaissent  ni  Dieu  ni  la  reli- 
gion, ils  ont  besoin  de  toutes  sortes  d'instruc- 
lions;  et  Dieu,  qui  vous  les  envoie  comme 
dépositaires  des  secours  qu'il  leur  a  prépa- 
rés, vous  charge  du  soin  de  les  leur  donner, 
et  dans  l'instant  qu'ils  sont  liés  à  vous  par 
l'engagement  qu'ils  se  sonl  fait  de  vous  ser- 
vir, vous  regardez-vous  comme  obligés  de 
les  garantir  de  la  mort  du  péché,  de  l'igno- 
rance etdc  la  corruption?  Voilà  l'obligation, 
en  voici  retendue. 

Vous  devez  donc  les  faire  instruire  si  vous 
ne  le  faites  pas  vous-même,  leur  faire  ap- 
prendre à  connaître  Dieu,  à  l'aimer,  à  l'a- 
dorer et  à  le  servir;  les  faire  instruire  exac- 
tement sur  Ions  les  devoirs  du  chrétien  et 
sur  ceux  de  leur  état;  envoyez-les  aux  in- 
structions qui  se  font  dans  la  paroisse.  Et 
vous,  gens  de  qualité,  qui  avez  un  grand 
nombre  de  domestiques,  ayez  un  ecclésias- 


SIS 


OHATEURS  BAGRK8.  I>0\|  jr.HOMF- 


S1G 


tique  de  la  paroisse  qui  vienne  instruire  \os 
gens  chez  vous.  Vous  devez  I  s  envoyer  à  la 
messe  de  p.iroisse.  aux  proues,  aux  prédica- 
tions, et  leur  donner  le  loi  ir  de  vaquer  à 
ces  devoirs.  Vous  devez  les  assembler  pour 
prier  Dieu  en  votre  présence  et  avec  vous 
au  moins  le  soir:  tenir  la  nain  pour  qu'ils 
se  confessent  souvent,  qu'ils  gardent  le  ca- 
rême, qu'ils  sanctifient  le  dimanche  et  les 
fêles;  où  en  êtes-vons  sur  cet  article?  Vous 
ne  vous  embarrassez  guère  s'ils  connussent 
Dieu,  s'ils  le  servent,  s'ils  \w  sont  fidèles, 
pourvu  qu'ils  vous  servent:  mais  il  viendra 
un  temps  où  vous  connaîtrez  ce  que  c'est  que 
d'avoir  été  maîtres  comme  vous  l'avez  été. 

Vous  devez  les  édifier  par  votre  conduite, 
ne  rien  faire  vous-même  ni  ne  rien  souffrir 
qui  puisse  leur  êlre  une  occasion  de  péché. 
Souvenez-vous  de  ce  qu'a  dit  Jésus-Christ 
contre  ceux  qui  sont  des  sujel  ;  de  chute  et 
de  scandale  à  ces  petits  qui  croient  en  lui. 
Mais,  ô  mon  Dieu!  qu'est-ce  que  c'est  que  la 
plupart  des  maisons  des  grands,  sinon  le 
cenlre  de  tout^  sorte  de  scandales,  le  irône 
où  régnent  le  monde,  le  vice  et  la  corrup- 
tion! Hélas  1  bien  loin  qu'ils  y  trouvent  des 
ressources  contre  l'ignorance  et  le  péché, 
c'est  là  où  l'on  réussit  en  peu  de  temps  à 
leur  effacer  toutes  les  idées  du  bien,  et  où 
tout  les  porte  à  se  corrompre.  Ainsi,  bien 
loin  ('e  trouver  des  maîtres  qui  les  préser- 
vent de  la  mort,  ils  tombent  entre  les  mains 
de  cens  qui  font  eux-mêmes  ou  qui  souffrent 
qu'on  fasse  chez  eux  tout  ce  qui  peut  leur 
faire  perdre  la  vie  de  l'âme;  bien  loin  de  leur 
fournir  des  moyens  pour  se  sanctifier,  on 
leur  apprend  à  se  pervertir  et  on  leur  montre 
les  voies  de  se  perdre.  Mais,  par  la  grâce  de 
Jésus-Christ,  toutes  les  maisons  ne  sont  pas 
dans  le  même  désordre  :  il  y  a  des  familles 
chrétiennes  où  Jésus-Christ  est  connu  et 
servi,  et  où  l'on  apprend  à  le  connaître  et  à 
le  servir  à  ceux  qui  les  composent.  Il  faut 
prendre  garde  à  bien  choisir  ceux  qu'on 
admet  (liez  soi,  suivant  ce  que  dit  le  Pro- 
phète :  Je  ne  me  servais  que  de  ceux  qui  mar- 
chaient dans  rinnocence ;  et  souvenez-vous 
qu'un  domestique  vicieux  fera  plus  de  mal 
en  un  mois  de  résidence  dans  votre  maison, 
soit  à  vos  enfants,  soit  aux  autres,  que 
l'homme  le  plus  sage  ne  leur  fera  de  bien  en 
dix  années. 

Mais  quand  leurs  fautes  ne  sont  que  des 
faiblesses,  vous  leur  devez  la  correction  pour 
les  retirer  de  leurs  défauts;  il  no  faut  point 
user  de  mollesse  ni  se  rebuter  de  leurs 
plaintes  et  de  leurs  murmures;  car  comme 
ce  n'est  pas  être  bienfaisant,  dit  saint  Au- 
gustin ,  que  d'aider  une  personne  pour 
perdre  un  plus  grand  bien,  ce  n'est  pas  être 
un  innocent  que  de  la  laisser  tomber  dans 
un  plus  grand  mal  sous  ombre  de  lui  en 
épargner  un  petit.  Bnfin,  s'ils  ne  se  corrigent 
pas,  chassez-les,  de  peur  qu'ils  ne  gâtent  les 
autres;  ils  n'ont  plus  à  faire  avec  vous,  du 
moment  que,  ne  leur  étant  plus  utiles  pour 
leur  salut,  ils  peuvent  eux-mêmes  devenir 
un  obstacle  à  celui  des  autres.  Il  nous  reste 
à  exposer  le  sens  et  l'étendue  de  la  troisième 


parole  de  rBocléefaetJqae,  tara  rtw.  Vous 
devez  les  tenir  dans  des  occupations  par  les- 
quelles ils  s'acquittent  de  leur-,  devoirs,  car 
vous  êtes  les  modérateurs  des  travail  1  <»ù 
leurs  conditions  les  engagent  :  cette  dernière 
réflexion  regarde  les  dosnealiqe  <t  au  ant  que 
vous. 

A  leur  égard,  voici  ce  qu'ils  doivent  sa- 
voir :  ils  doivent  vous  servir,  et  ils  n'a»  quer- 
n  ut  de  droit  sur  tous  les  avantagea  qu'ils 
peuvent  tirer  de  vous,  qu'en  vous  servant 
selon  l'ordre  de  Dieu,  qui  les  J  oblige  ex- 
pressément :  et  voici,  selon  saint  Paul, 
connue  ils  dosent  servir  :  1°  d'il  e  manière 
respectueuse  et  même  avec  crainte;  ±  •  acè* 
renient  et  de  bonne  foi;  3°  d'une  maniera 
toujours  égale  et  uniforme,  soit  qu'on  les 
observe,  soit  qu'on  les  abandonne  à  leur 
bonne  foi,  parce  qu'ils  ne  doivent  pas  servir 
comme  s'ils  s'avaient  en  vue  que  de  plaira 
aux  hommes,  mais  comme  serviteurs  de 
Jésus-Christ;  \°  d'une  manière  pleine  d'af- 
fection, se  soutenant  par  la  vue  de  Jésus- 
Christ,  qui  doit  être  leur  motif  dins  leurs 
mouvements,  et  par  celle  de  la  récompense 
qu'il  leur  prépare,  qui  doit  couronner  leurs 
travaux.  Voilà  les  motifs  qui  dohcnl  vous 
animer  dans  les  services  que  vous  êtes 
obligés  de  rendre  à  vos  maîtres,  vous,  chré- 
tiens, que  la  Pro\idence  a  fait  naitre  dans 
la  dépendance,  et  v;>us,  maître-,  ce  sont  ceux 
qui  doivent  vous  rendre  attentifs  à  les  tenir 
appliqués  à  ce  travail,  dans  lequel  ils  trou- 
veront leur  sanctification,  et  non  pas  préci- 
sément l'utilité  que  vous  en  relirez,  ni  l'a- 
vantage d'être  servi.  .Mais  s  uvcuez-voiis  que 
c'est  abuser  du  pouvoir  que  vous  avez  sur 
eux  de  les  accabler  de  travail  el  de  les 
surcharger  comme  des  bêles.  Ayez  de  l'huma- 
nité, ce  sont  vos  frères,  et  que  les  travaux 
que  vous  exigerez  d'eux  puissent  servir  à 
leur  sanctification,  c'est-à-dire  qu'il  s  soient  de 
telle  nature  qu'ils  puissent  les  porter  au 
bien,  et  qu'ils  puissent  honorer  Dieu  en  les 
faisant,  ce  qui  exclut  tout  ce  que  vous  exigez 
d'eux  en  les  rendant  les  instruments  de  vos 
passions,  et  ce  que  vous  ne  pouvez  faire 
vous-même  sans  offenser  la  majci  lé  de  Dieu. 
Surtout  dans  les  temps  où  ils  n 'au. ont  peint 
à  vous  servir,  occupez-les  à  quelque  ouvrage 
utile;  car  l'oisiveté  est  la  m'rr  de  loti 
cet,  et  principalement  pour  les  personnes 
dont  la  science  n'est  pas  le  partage. 

Souvener-VOUS  que  vous  repondrez  au  ju- 
gement de  Dieu  de  les  avoir  exposés  aux  éc- 
rasions de  pécher  :  par  exemple,  à  combien 
de  péchés  n'exp  isez-vous  pis  vos  gens  en 
les  laissant  trois  ou  quatre  heures  à  la  porte 
des  spectacles,  d'une  maison  où  vous  allez 
jouer?  Les  désordres  qui  arrivent  de  là  sont 
infinis.  Vous  n'avez  du  monde  que  pour  vous 
suivie,  me  direz-vous,  vous  n'irez  pasaenls: 
d'accord  :  mais  faut-il  que  vous  alliez  dans 
ces  lieux,  et  que,  sans  compter  le  mal  que 
vous  faites  vous-mêmes  en  y  allant,  vous 
vous  chargiez  encore  de  celui  que  Ce  omet- 
tent les  gens  par  qui  vous  vous  y  faites  suivre? 
Qoel abîme I  Ah!  mes  frères,  c'e-l  uneelïrova- 
ble  chose,  selon  les  vues  de  la  foi,  que  d'être 


Si- 


sermon  POUR  LE  VENDREDI  D'APRES  LES  CENDRES. 


118 


grand  seigneur  !  Que  Dieu  vous  ouvre  les 
yeux  ! 

De  plus,  dans  les  travaux  auxquels  vous 
les  appliquerez,  ayez  égard  à  leurs  avanta- 
ges ;  qu'ils  apprennent  en  vous  servant  des 
choses  qui  puissent  leur  être  utiles  dans  la 
sui!e,  qui  les  rendent  propres  à  servir  les 
autres  et  qui  les  perfectionnent  dans  leurs 
talents.  Enfin,  pour  ceux  qui  n'ont  point  de 
travaux  particuliers,  comme  les  domestiques 
des  jeunes  gens,  occupez-les,  comme  on  fait 
dans  les  maisons  chrétiennes,  en  les  faisant 
travailler  à  des  ouvrages  qui  puissent  leur 
servir;  à  lire,  à  écrire.  Mai<  finissons.  Sou- 
venez-vous donc  que  vous  êtes  liés  à  vos  do- 
mestiques par  des  obligations  irès-précises, 
et  qu'en  vertu  de  ces  obligations  vous  êtes 
entrés  avec  eux  dans  des  engagements  dont 
Dieu  vous  demandera  compte  et  sur  lesquels 
vous  serez  jugés  :  ceci  est  très-important  , 
on  n'y  pense  pourtant  point.  Instruisez-vous 
sur  cet  article,  afin  d'en  remplir  les  devoirs 
et  de  vous  assurer  les  récompenses  que  le 
seul  et  unique  Maître  souverain  prépare  à 
ceux  qui  les  auront  remplis.  Ainsi  soil-il. 

SERMON 

POUR   LE    VENDREDI  D'APRES  LES  CENDRES. 

Conserver  la  charité  fraternelle. 

Ego  anteni  dico  vobis,  diligite  inimicos  vestros 

El  moi  je  vous  dis,  aimez  vos  ennemis  (Maillt.,  V,  44). 

Je  n'entreprends  pas  d'établir  la  nécessité 
du  précepte  d'aimer  ses  ennemis;  elle  l'est 
suffisamment  par  l'autorité  de  Jésus-Christ. 
qui  nous  en  a  fait  une  loi  dans  ces  paroles 
de  mon  texte.  Il  ne  s'agit  pas  non  plus  de 
vous  en  montrer  l'utilité  :  c'est  par  là  que 
nous  conservons  la  charité,  sans  laquelle  il 
n'y  a  point  de  salut.  Il  s'agit  d'aller  à  la  fin 
de  ce  précepte,  qui  est  d'établir  la  paix  et  de 
la  faire  régner  parmi  les  chrétiens,  en  sorte 
qu'ils  soient  tous  unis  par  le  lien  de  l'amour 
fraternel. 

Ain  i,  mes  frères,  mon  dessein  n'est  pas 
aujourd'hui  de  vous  convaincre  que  vous 
devez  aimer  vos  ennemis;  mais  je  veux  es- 
sayer de  vous  apprendre  à  n'en  point  faire, 
et  à  conserver  la  paix  et  la  charité  avec  tout 
le  monde.  Pour  cela  je  vais  vous  proposer 
deux  moyens  qui  feront  le  partage  de  mon 
distours  :  le  premier, de  ne  jamais  rien  faire 
volontairement  qui  puisse  déplaire  au  pro- 
chain :  première  partie;  le  srcoi.d,  tic  ne  se 
pas  offenser  aisément  de  ce  que  son  prochain 
l'ait  cl  qui  peut  nous  déplaire  :  seconde 
partie. 

Beaucoup  de  délicatesse  sur  le  chapitre  du 
prochain,  et  peu  sur  soi-même.  Vous  verrez 
que  celte  attention  forme  un  certain  tempé- 
rament mêlé  d'humilité,  de  patience  et  de 
charité,  piopre  à  nous  faire  vivre  en  paix 
avec  tout  le  monde,  et  à  conserver  la  charité 
fraternelle  qui  nous  est  si  recommandée. 
Demandons  l'assistance  du  ciel.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

L'apôtre  saint  Paul  nous  averti!  dans  le 
X 1 1 1 *-•   chapitre  aux  Romains  que  l'amour 


qu'on  a  pour  le  prochain  ne  permetpas  qu'où 
lui  fasse  aucun  mal;  rar  il  est  impossible 
que  celui  qui  aime  sincèrement  son  prochain 
attente  en  aucune  manière  à  sa  vie,  à  son 
honneur,  à  ses  biens  et  à  son  repos.  C'est, 
mes  frères,  sur  ce  fondement  et  sur  ce  prin- 
cipe de  saint  Paul  que  j'établis  le  premier 
moyen  que  je  vous  propose  pour  conserver 
la  charité  avec  nos  frères,  qui  consiste  à  ne 
faire  jamais  rien  volontairement  qui  puisse 
leur  déplaire. 

Il  faut,  mes  très-chers  frères,  être  exacts 
dans  les  moindres  choses  sur  cette  matière, 
si  nous  voulons  conserver  la  charité  et  ne 
nous  point  attirer  d'ennemis.  Car  nous  som- 
mes d'une  délicatesse  si  grande  et  si  étrange 
les  uns  pour  les  autres,  que  les  plus  légères 
rencontres,  des  riens,  nous  exposent  à  per- 
dre le  bien  inestimable  de  la  charité  et  de  la 
paix;  et  si  nous  voulons  examiner  sérieuse- 
ment les  sources  et  l'origine  de  la  plupart  des 
différends  qui  divisent  non- seulement  les 
particuliers,  mais  les  familles  et  les  royaumes 
entiers,  nous  trouverons  que  ce  ne  sont  son- 
vent  que  des  défauts  d'honnêteté,  de  petits 
refroidissements,  des  soupçons,  un  malen- 
tendu, des  entêtements,  une  fausse  gloire, 
des  intérêts  plus  frivoles  que  l'on  ne  peut 
dire;  de  sorte  qu'il  n'y  a  rien  de  si  vrai  que 
d'avancer  qu'il  en  est  à  peu  près  des  maladies 
de  l'âme  qui  en  attaquent  la  vie,  qui  n'est 
autre  que  la  charité,  comme  de  celles  du 
corps:  quoique  celles-ci  ne  soient  pas  toutes 
mortelles  de  leur  nature,  elles  peuvent  le  de- 
venir si  on  les  irrite  et  qu'on  les  envenime. 
La  gangrène  peut  se  mettre  à  la  moindre 
égralignure,  si  des  humeurs  malignes  se  jet- 
tent sur  cette  partie  blessée,  et  par  là  nous 
causer  la  mort  par  une  plaie  que  nous  avions 
regardée  comme  une  bagatelle.  De  même  le 
moindre  mécontentement  nue  l'on  aura  don- 
né à  quelqu'un,  soit  par  quoique  défaut  do 
zèle  dans  la  défense  de  ses  intérêts,  soit  par 
quelque  contradiction  imprudente,  peut  être 
cause  de  la  mort  de  son  âme  et  de  la  nôtre, 
parre  que  ce  léger  refroidissement  peut  être 
le  principed'une  aigreurqui  pourra  augmen- 
ter dans  la  suite,  jusqu'à  éteindre  la  charité 
en  lui  et  en  nous. 

Il  faut  donc  que  ces  considérations  nous 
obligent  à  veiller  extrêmement  sur  nous-mê- 
mes, pour  ne  rien  faire  qui  déplaise  au  pro- 
chain. Ce  qui  produit  ordinairement  l'indif- 
férence, l'aigreur  et  la  haine,  c'est,  ou  qu'on 
attaque  le  prochain  dans  ses  intérêts  ,  ou 
qu'on  le  contredit  dans  ses  sentiments  ,  ou 
qu'on  le  combat  dans  ses  passions.  Il  faut, 
mes  frères  ,  si  nous  voulons  ne  nous  point 
faire  d'ennemis  et  conserver  la  charité  et  la 
paix  avec  nos  frères,  avoir  une  attention 
particulière,  l°à  ne  l'attaquer  presque  ja- 
mais dans  ses  intérêts  ;  1'  à  ne  le  pas  con- 
tredire facilement  dans  ses  sentiments  ;  3°  à 
ne  le  pas  combattre  témérairement  dans  ses 
passions  :  c'est  une  excellente  conduite  pour 
ni"  lui  déplaire  jamais  et  pour  le  ménager. 
Eclaircissons  un  peu  ces  règles  ,  afin  d'aller 
au-devant  de  toutes  les  difficultés  qu'on 
pourrait  trouver  dans  leur  pratique. 


31!) 


ORATF.l'RSSAWF/v  DO  M  JEROME. 


ylO 


A  l'égard  de  la  première  ,  qui  est  de  n'at- 
taquer presque  jamais  le  prochain  dan^  w  s 
intérêt».,  je  découvre  des  difficultés  immen- 
ses, et  je  ne  doute  pas  qu'on  ne  me  dite 
d'abord  :  Si  nous  n'attaquons  jamais  per- 
sonne dans  ses  intérêts  ,  nous  perdrons  tou- 
jours infailliblement  les  nôtres;  et  qu'on  ne 
me  fasse  ensuite  celle  question  :  Ne  peut-on 
jamais  plaider  sans  perdre  la  charité? 

Il  faudrait  des  discours  entiers  pour  bien 
résoudre  ces  questions  importantes  et  pour 
donner  sur  cette" matière  tous  les  éclaircis- 
sements nécessaires  ,  selon  les  principes  de 
la  religion  ;  mais  je  me  contenterai  d'y  ré- 
pondre en  marquant  toutes  les  mesures 
qu'on  doit  garder  pour  ménager  la  paix  et  la 
charité  chrétienne,  qu'il  ne  faut  jamais  per- 
dre, pour  quelques  intérêts  que  ce  soit .  Eta- 
blissons donc  tout  ce  qu'on  peut  dire  sur 
celle  matière,  qui  est  très-importante. 

1°  H  n'est  pas  absolument  défendu  de  pi  i- 
der;  2°  on  ne  plaide  presque  jamais  sans  un 
très-grand  péril  pour  la  charité-,  3°  on  doit 
faire  chrétiennement  toutes  les  démarches 
nécessaires  pour  éviter  les  procès  ;  4"  il  faut 
prendre  de  grandes  mesures  quand  on  est 
forcé  de  plaider. 

Et  d'abord  on  ne  peut  nier  qu'à  prendre 
la  chose  absolument,  il  ne  soit  permis  de 
plaider,  parce  qu'en  effet  le  procès,  quand  il 
est  juste,  est  autorisé  non-seulement  par  les 
lois  civiles,  mais  par  la  droile  raison  et  par 
la  loi  de  Dieu. 

C'est  la  droile  raison  et  la  loi  de  Dieu  qui 
ordonnent  qu'il  y  ait  des  juges  dans  les 
royaumes,  pour  arrêter  la  cupidité  et  les  en- 
treprises des  grands,  qui  oppriment  les  pau- 
vres et  les  faibles.  Qui  pourrait  dire  en  effet 
qu'il  serait  illicite  de  mener  l'injustice  et  la 
violence  au  pied  du  trône?  Il  n'est  donc 
pas  absolument  défendu  de  plaider  ,  cela  est 
hors  de  doute,  mais  on  ne  le  fait  presque  ja- 
mais sans  un  très-grand  péril. 

C'est  ce  qui  vous  paraîtra  sans  difficulté  , 
si  vous  me  permettez  de  vous  faire  remar- 
quer le  motif  qui  vous  fait  entreprendre  les 
procès  ,  la  disposition  du  cœur  de  ceux  qui 
plaident,  la  conduite  qu'ils  gardent  en  plai- 
dant ,  le  scandale  qu'ils  donnent,  et  enfin  le 
temps  qu'ils  y  perdent.  Examinons  toutes 
ces  choses,  vous  verrez  qu'il  est  vrai  qu'elles 
nous  exposent  souvent  à  une  espèce  de  né- 
cessité de  perdre  la  charité. 

Le  motif  qui  nous  porte  à  entreprendre 
presque  tous  les  procès,  c'est  assurément  la 
cupidité  et  l'amour  des  biens  de  la  terre; 
c'e>l  le  désir  d'en  avoir,  c'est  l'attachement 
à  ceux  qu'on  possède,  c'est  l'envie  de  les 
augmenter.  Car,  mes  frères,  on  verrait  bien 
peu  de  procès,  si  on  était  dans  celte  indiffé- 
rence que  Jésus-Christ  demande  de  ses  disci- 
ples, qu'on  regardât  les  biens  de  la  terre 
avec  les  vues  de  la  foi  ,  qu'on  songeât  aux 
leçons  que  le  Sauveur  nous  a  faites  dans  l'E- 
vangile, lorsqu'il  nous  a  donné  pour  règle  et 
pour  maxime  de  notre  conduite  d'éviter  toute 
contestation  ,  d'offrir  notre  manteau  à  ceux 
qui  veulent  nous  ôler  notre  robe  ,  de  ne 
point  résister  au  mal  qu'on  nous  veut  faire, 


de  ne  point  intenter  de    procès   pour  r 
\  reries  biens  qu'on  nous  a  enlevés. 

Je  sais  fort  bien,  mes  frères,  que  les  paro- 
les *  1  ii  Sauveur  ne  renferment  qu'un  conseil 
qu'il  propose  aux  chrétiens  ,  et  qu'on  est 
obligé  en  conscience  de  conserver  son  bien] 
mais  je  sais  aussi  que  dans  la  préparation 
du  cœur  les  chrétiens  doivent  recevoir  ce 
conseil  comme  un  commandement ,  c'e-t-a- 
dire  que  non-seulement  ils  doivent  être  dans 
une  volonté  sincère  d'abandonner  leurs 
biens  aussitôt  qu'ils  connaissent  que  Dieu  le 
demande  d'eux,  mais  qu'il  faut  encore,  lors- 
qu'ils sont  contraints  de  s'opposer  aux  des- 
seins de  ceux  qui  leur  veulent  ôler  ce  qui 
leur  appartient ,  qu'ils  soient  aussi  détaches 
de  leurs  intérêts  par  leurs  dispositions  inté- 
rieures, que  si  réellement  ils  en  avaient 
abandonné  la  conservation  et  la  dei 
Jugez  ,  mes  frères  ,  si  celte  préparation  du 
cœur  est  ordinairement  celle  d'un  homme 
qui  défend  ce  bien  auquel  il  est  attaché.  La 
cupidité  est  l'ennemie  de  la  charité  et  la 
ruine  du  «alut;  mais  comme  on  s'abuse  faci- 
lement sur  celte  matière,  le  prétexte  de  sou- 
tenir une  affaire  juste  ,  de  ne  demander  que 
ce  qui  est  légitimement  à  nous,  et  de  ne  sol- 
liciter les  juges  que  pour  faire  cesser  une 
vexation  que  l'on  souffre  ,  nous  empêche  de 
voir  au  dedans  de  nous-mêmes  les  désordres 
de  la  cupidité,  qui  nous  anime  et  qui  ruine 
la  charité.  Il  faut  donc  nous  la  découvrir  par 
quelque  chose  de  plus  sensible,  et  pour  cela 
examinons  la  disposition  du  cœur  où  on  est 
pour  l'ordinaire  en  plaidant. 

Avouons-le  ,  la  haine,  l'envie,  l'aigreur 
éclatent  dans  l'usage  où  l'on  est  de  se  dé- 
chirer l'un  l'autre,  et  de  débi'er  mille  médi- 
sances contre  ses  parties.  On  va  fouiller 
dans  les  cendres  des  morts  pour  y  réveiller 
une  houle  oubliée  et  en  couvrir  le  front  des 
vivants  :  on  recherche  toutes  les  affaires  les 
plus  secrètes  d'une  famille  pour  la  décrier, 
quoique  cela  ne  serve  de  rien  à  l'affaire  dont 
il  s'agit;  mais,  par  une  erreur  intolérable,  on 
se  croit  tout  permis  ;  voilà  nos  dispositions, 
où  est  la  charité  ? 

De  plus,  quel  est  le  procédé  qu'on  garde  , 
c'esl  ordinairement  d'user  de  toutes  sortes 
de  finesses  et  de  déguisements,  c'est  de  tâ- 
cher de  se  surprendre  l'un  l'autre  eu  se  ten- 
dant des  pièges,  en  multipliant  les  procédu- 
res, en  corrompant  les  juges  ,  si  on  peut,  en 
donnant  à  de  mauvaises  affaires  un  tour  qui 
les  rend  d'abord  douteuses  ,  et  en  achevant 
de  les  rendre  bonnes  par  des  sublililés  qui 
peuvent  abuser  les  hommes  ,  mais  qui  nous 
rendent  plus  criminels  devant  Dieu,  et  qui 
nous  laissent  dans  l'obligation  de  restituer  , 
ce  qu'on  ne  fait  jamais,  et  ce  qu'on  ne  peut 
manquer  à  faire  sans  se  perdre  essentielle- 
ment. Or  ce  bien  que  vous  emportez  par 
une  subtilité  ,  par  une  équivoque  ,  par  un 
tour  que  vous  donnez  à  une  affaire  ou  par 
la  prévarication  des  juges  à  qui  vous  cachez 
quelque  circonstance  ,  ce  bien-là  n'est  point 
à  vous;  il  vous  sera  peut-être  donne  par  le 
jugement  des  hommes  .  il  vous  sera  rede- 
mandé au  jugement  de  Dieu.  Ce  bien-là  que 


521 


SERMON  POUR  LE  VENDREDI  D'APRES  LES  CENDRES. 


322 


vous  laissez  dans  voire  famille  est  un  poi- 
son qui  lue  l'âme  de  ceux  à  qui  vous  le  lais- 
sez ;  car  il  porte  avec  lui  une  obligation  de 
restituer,  dont  vos  enfants  s'acquitteront 
encore  moins  que  vous.  Quel  abîme,  ô  mon 
Dieu  !  et  quel  effroyable  aveuglement  pour 
des  biens  qui  périront  demain,  et  qu'on  pré- 
fère aux  biens  éternels! 

D'ailleurs  le  scandale  qu'on  donne  est  tel 
qu'on  engage  ses  amis  dans  sa  passion  :  il 
faut  qu'ils  cessent  de  voir  ceux  avec  qui 
nous  sommes  en  procès,  et  qu'ils  rompent 
toute  société  avec  eux  ,  s'ils  veulent  conser- 
ver notre  amitié.  H  faut  qu'un  tel  soit  dans 
mes  intérêts  et  dans  mes  sentiments,  dit  un 
homme  qui  est  en  procès  ,  c'est-à-dire  qu'il 
reçoive  le  venin  de  ma  passion. 

Le  mauvais  procédé  que  l'on  garde  contre 
ceux  avec  qui  l'on  plaide  leur  est  une  occa- 
sion de  scandale  :  ils  se  croient  permis  de 
faire  contre  nous  ce  que  nous  faisons  contre 
eux,  et  par  là  le  chemin  est  ouvert  aux  hai- 
nes, aux  médisances,  aux  injustices,  aux 
recommandations  criminelles  et  détestables. 
On  emploie  auprès  des  juges  des  gens  qui 
leur  sont  des  occasions  de  péché  ;  on  com- 
munique son  venin^aux  avocats,  qu'on  rend 
les  instruments  de  sa  passion  ;  on  les  engage 
de  lâcher  une  infinité  de  traits  contre  l'hon- 
neur de  nos  adversaires  ,  et  dont  le  public 
est  aussi  blessé  par  les  impressions  qu'il  re- 
çoit de  ces  médisances  que  par  les  jugements 
qu'elles  lui  donnent  lieu  de  faire,  quoique 
les  avocats  soient  obligés  de  ne  point  servir 
la  passion  de  leurs  clients,  ni  d'employer 
des  paroles  injurieuses  dans  leurs  plaidoyers, 
ni  de  ne  rien  avancer  conlre  l'honneur  des 
parties,  à  moins  qu'il  ne  s'agisse  d'un  point 
essentiel  à  leurs  causes. 

La  doclrine  de  saint  Augustin  est  admira- 
ble sur  cet  article  :  il  suppose  comme  un  fait 
constant,  dans  sa  lettre  à  Macédonius,  vice- 
roi  d'Afrique  ,  qu'un  avocat  est  obligé  de 
restituer  ce  qu'il  a  reçu  pour  avoir  donné  un 
b.in  tour  à  une  mauvaise  affaire  et  avoir  em- 
porté une  cause  injuste.  Mais  où  trouve-t-on, 
mes  frères,  entre  ceux  qui  font  la  profession 
d'avocats  ,  de  procureurs  ,  etc.,  ou  qui  l'ont 
faile,  des  gens  qui  aienlassez  de  droiture  pour 
dire  à  une  partie  :  Voilà  l'argent  que  vous  m'a- 
vez donné  pour  vous  avoir  fait  gagner  une 
mauvaise  cause;  rendez  à  votre  parlie  ce  que 
vous  lui  avez  enlevé  par  mon  ministère? 

Cependant,  lorsque  ceux  de  cette  profes- 
sion qui  n'ont  pas  reçu  dans  l'ordre  revien- 
nent à  eux  et  veulent  faire  une  sérieuse 
pénitence,  il  faut  qu'ils  en  passent  par  là,  et 
quand  la  parlie  refuse  de  profiter  de  l'avis  et 
de  rendre  ce  qu'elle  a  acquis  par  un  procès 
injuste,  l'avocat  ne  doit  point  profiter  de  ce 
qu'il  a  eu  pour  récompense  d'avoir  appuyé 
l'iniquité  ;  car  il  n'y  a  personne  d'assez  mau- 
vais sens  pour  prétendre  qu'on  ne  doive  res- 
tituer que  ce  qu'on  a  volé  en  secret,  et  non 
pas  ce  qu'on  a  enlevé  publiquement  dans  lo 
sanctuaire  même  de  la  justice,  où  l'on  punit 
les  autres  crimes,  et  qu'on  n'a  ohlenu  qu'en 
[rompant  le  juge  et  en  éludant  les  lois. 

Lnfin  le  temps  qu'on  y  emploie  et  qu'on  y 


perd  est  quelque  chose  de  si  considérable  , 
que  c'est  à  la  matière  que  nous  traitons  que 
saint  Augustin  applique  le  conseil  de  saint 
Paul  aux  Ephésiens  ,  de  racheter  le  temps. 
Cédez,  dit  saint  Augustin  ,  une  partie  de  ce 
qu'on  vous  demande,  afin  de  vous  exempter 
de  plaider  ,  et  achetez  ainsi  ,  en  cédant  une 
partie  de  ce  qui  est  à  vous  ,  le  lemps  que 
vous  emploieriez  à  la  défendre,  et  que  le 
procès  que  vous  entreprendriez  vous  enlè- 
verait. Comptez  ,  dit  ce  Père  ,  cet  échange 
pour  beaucoup  :  car  le  temps  de  la  vie  ne 
nous  est  pas  donné  pour  défendre  au  prix  de 
notre  repos  et  de  l'application  que  nous  de- 
vons donner  à  l'affaire  de  notre  salut  ,  des 
biens  périssables  qu'il  faudra  nécessairement 
abandonner  à  la  mort. 

On  ne  saurait  assez  déplorer  sur  ce  point- 
ci  en  particulier  l'aveuglement  de  ceux  qui 
passent  des  vingt  et  des  trente  années  dans 
la  poursuite  d'un  procès,  où  ils  perdent  leur 
temps,  leurs  biens  el  très-souvent  leur  sa- 
lut. Solliciteurs  et  gens  qui  trouvez  des  ex- 
pédients pour  plaider,  vous  pouvez  dire  : 
J'ai  travaillé  toute  ma  vie  à  entretenir  la  di- 
vision entre  ceux  parmi  lesquels  vous  étiez 
venu  ,  ô  mon  Dieu  !  établir  la  paix  ,  et  que 
vous  avez  souhaité  si  ardemment  d'y  voir 
régner.  Mais  on  ne  saurait  regarder  sans 
indignation  des  ecclésiastiques  et  quelque- 
fois des  religieux  qui  se  chargent  de  sollici- 
ter les  affaires  de  leurs  parents  et  de  leurs 
amis  ,  qui  pour  cela  abandonnent  sans  scru- 
pule ou  leur  résidence  ou  leur  retraite  ,  et 
donnant  à  ces  indignes  emplois  toute  leur 
industrie,  tout  leur  lemps,  toute  leur  vigilan- 
ce ,  se  laissent  emporter  au  torrent  des  sol- 
licitations et  des  affaires  avec  une  telle  rapi- 
dité, qu'ils  ne  se  donnent  pas  le  loisir  de 
faire  sur  eux-mêmes,  ni  sur  leurs  obligations 
qu'ils  oublient,  la  moindre  réflexion  qui  leur 
puisse  être  utile  pour  le  salut. 

Jugez  donc,  mes  frères,  par  toul  ce  que 
nous  venons  de  dire  ,  si  on  ne  s'expose  pas 
à  un  très-grand  péril  en  plaidant,  si  la  cha- 
rité ne  court  pas  de  très-grands  risques  ,  et 
si  enfin  l'Apôtre  n'a  pas  raison  de  dire  : 
C'est  déjà  un  grand  mal  parmi  vous  de  ce  que 
vous  avez  des  procès  les  uns  contre  les  autres. 
De  là  ,  mes  frères  ,  il  est  facile  de  conclure 
que  nous  devons  tout  employer  avant  que 
d'entreprendre  un  procès  pour  les  affaires 
même  les  plus  justes.  C'est  pour  cela  que 
sainl  Paul  ajoute  :  Pourquoi  ne  souffrez-vous 
pas  plutôt  qu'on  vous  fasse  tort  ?  Ainsi  ,  mes 
frères,  un  chrétien  qui  veut  remplir  son  de- 
voir doit  redemander  ce  qui  lui  appartient  , 
et  représenter  son  droit  doucement,  il  doit 
remontrer  ou  par  lui-même  ou  par  ses  amis 
l'injustice  du  procédé  qu'on  garde  avec  lui. 
Il  doit  rechercher  toutes  sortes  de  voies  d'ac- 
commodement et  d'arbitrage,  en  relâchant 
de  ses  biens  et  de  ses  intérêts  pour  rendre 
l'accommodement  plus  facile  ,  et  acheter  la 
paix  sans  blesser  la  justice  qu'il  se  doit,  par 
toulcs  les  voies  qui  peuvent  se  présenter. 

J'ajouterai  encore  que  quand  l'avantage 
.qui  reviendrait  du  gain  d'une  affaire  n'est 
pas   de   conséquence,   cl  que  le  dommage 


338 


OIIATKI  US  SACRES.  1>0M  JEROME. 


•11101)  recevra  celui  qui  la  perdrait  serait 
considérable  pour  lui,  la  charité  nous  doit 
souvent  faire  abandonner  noi  intén  ts,  parte 
qu'elle  court  risque  dan  lc->  procès,  et  (|ue 
rien  n'est  plus  opposé  à  l'esprit  de  Jésus- 
Chrisl.  Dieu  se  plaint  par  Isaïe  (]ue  ceux  de 
son  peuple  qui  jeûnaient  avec  exactitude  ne 
laissaient  pas  d'exiger  avec  rigueur  de  leurs 
débiteurs  ce  qui  leur  était  dû.  Dieu  rejette 
leurs  jeûnes  à  cause  de  celle  flurelé;  cepen- 
dant nous  voyons  à  présent  des  dévols  qui 
tiennent  la  même  conduite,  et  qui  préten- 
dent qu'on  ne  peut  pas  les  blâmer  d'être 
sévères  et  même  cruels  à  l'égard  de  et  u\ 
qui  leur  sont  redevables,  parce  qu'ils  ne  font 
que  poursuivre  leurs  droits  et  qu'ils  ne  de- 
mandent que  ce  qui  est  juste,  ne  considérant 
pas  qu'ils  blessent  la  justice  chrétienne,  en 
ce  qu'ils  ne  veulent  rien  céder  de  leurs 
droits,  et  qu'ils  préfèrent  leurs  intérêts  par- 
ticuliers à  la  charité. 

Je  m'attends  que  vous  allez  me  dire  que 
les  ecclésiastiques  et  les  religieux  plaident 
comme  les  autres,  et  qu'ils  redemandent  ce 
qui  leur  est  dû  avec  autant  de  dureté  que 
les  gens  du  monde.  Je  vous  avoue  de  bonne 
foi  que  celle  conduite  est  scandaleuse,  mais 
comme  il  se  passe  bien  des  choses  dans  les 
communautés  qui  ne  dépendent  pas  des  par- 
ticuliers, et  sur  quoi  on  ne  les  consulte  pas, 
faites-moi  l'honneur  de  me  croire  quand  je 
vous  assure  qu'il  y  en  a  même  plusieurs  qui 
les  condamnent  sans  les  pouvoir  empêcher. 
J'avoue,  mes  frères,  que  c'est  une  chose 
honteuse  de  voir  que  ceux  qui  font  profes- 
sion de  mépriser  les  biens  de  la  terre  les 
défendent  avec  plus  de  chaleur  et  quelque- 
fois par  les  mêmes  voies  que  ceux  qui  ne 
s'en  peuvent  passer  par  les  engagements  de 
leur  condition. 

Ce  n'est  pourtant  pas  qu'il  soit  absolu- 
ment défendu  à  des  religieux,  d'avoir  quel- 
quefois des  procès,  pour  des  raison;  impor- 
tantes, pour  éviter  des  dommages  et  des 
pertes  considérables  ,  pour  se  tirer  d'une 
oppression  violente,  pour  arrêter  le  cours 
de  quelque  injustice,  et  pour  empêcher  l'e 
d'une  entreprise  capable  de  ruiner  le  bien 
d'une  communauté  et  d'en  troubler  le  repos  : 
de  même  que  dans  le  monde,  quand  vous 
avez  affaire  à  des  gens  qui  abusent  de  votre 
bonté,  qui  vous  insultent  parce  qu'ils  savent 
que  vous  craignez  Dieu,  il  est  permis  de 
plaider,  après  avoir  cherché  toutes  les  voies 
d'accommodement,  n'entrant  dans  les  procès 
que  par  contrainte,  conservant  la  charité 
dans  son  cœur,  la  témoignant  par  toutes 
sortes  de  bonnes  manières,  gardant  exacte- 
ment la  justice  dans  toutes  les  démarches. 
Je  crois  qu'avec  de  semblables  dispositions 
un  n'attttque  point  le  prochain  dans  ses  inté- 
rêts. Au  contraire  on  lui  fait  du  bien  en 
l'avertissant  de  son  injustice,  el  en  essayant 
de  le  rappeler  à  lui-même  pour  l'obliger  de 
rendre  ce  qui  n'est  point  a  lui.  Mais  venons 
à  la  seconde  manière  de  blesser  le  prochain, 
que  lacharilô  ne  souffre  point,  c'est  lorsque 
nous  entreprenons  de  le  contredire  dans  ses 

geuliuieuts. 


Il  n'y  a  point  d'homme  qui  n'aime  ses 
opinions,  el  que  le  fonds  de  la  cupidité  ne 
porte  à  vouloir  régner  sur  les  esprits  îles 
autres.  Or  il  y  règne  en  quelque  sorte  par 
la  créance  qu'on  donne  a  ses  sentiments,  cl 
c'est  une  espèce  d'empire  dont  l'orgueil  se 
repaît,  que  de  voir  un  chacun  applaudir  à 
ses  opinions.  Ainsi  il  est  bien  ai>.e  qu'on 
ajoute  foi  à  une  nouvelle  qu'il  débite,  et  qu'il 
croit  soutenir  en  étalant  ses  conjectures 
dans  une  conversation,  et  quoique  l'objet 
soit  de  peu  de  conséquence,  si  néanmoins 
vous  venez  à  le  contredire  dans  ses  senti- 
ments, vous  le  blessez,  el  voici  pourquoi. 

C'<  si  que  vous  ne  sauriez  le  combattre 
sans  lui  faire  sentir  en  même  temps  que 
vous  avez  plus  de  lumières  que  lui,  de  sorte 
que  vous  le  représentez  à  lui-même  sous 
une  idée  qui  lui  déplaît.  Vous  lui  montrai 
son  erreur,  cela  l'humilie.  Vous  vous  pré- 
sentez à  lui  sous  une  idée  qui  le  choque,  qui 
l'irrite  el  qui  excite  sa  jalousie  en  le  convain- 
cant que  vous  jugez  plus  sainement  que  lui  : 
ainsi  vous  détruisez  son  petit  empire,  <t 
voilà  cet  homme  qui  s'applaudissait  à  lui- 
même  dans  la  flatteuse  idée  de  régner  sur 
les  autres,  qui  en  voit  régner  un  autre  sur 
lui. 

Qu'arrive-l-il  de  là?  il  commence  dès  ce 
moment  à  vous  regarder  comme  son  concur- 
rent. Son  esprit  s'aigrit  contre  vous,  il  cher- 
chera à  vous  contredire  en  tout  ce  qu'il 
pourra,  la  charité  s'altérera  de  part  et  d'au- 
tre ,  et  vous  sortirez  tous  les  deux  de  la 
conversation  moins  disposés  à  vous  aimer 
que  vous  ne  l'étiez  en  y  entrant.  Cette  ma- 
ligne disposition  croîtra  à  proportion  que 
l'objet  de  la  dispute  lui  paraîtra  plus  de 
conséquence  :  si  c'esï  quelque  point  qui  re- 
garde la  doctrine,  il  s'en  lera  un  point  d'hon- 
neur ;  si  c'est  quelque  pratique  qui  regarde 
la  piélé,  selon  son  sens,  il  s'en  fera  un  point 
de  religion.  Si  ce  sont  des  opinions  delen  lues 
par  un  corps  où  il  est  lie,  il  s'en  fera  un  de- 
voir; de  sorte  que,  ses  idée*  animant  sa  cu- 
pidité et  servant  de  prétexte  à  son  ressenti- 
ment, il  poussera  sa  haine  contre  vous  san> 
scrupule,  parce  qu'il  ne  la  regardera  que  com- 
me un  zèle  qu'il  doit  à  la  défense  de  la  justice 
et  de  la  vérité;  et  vous  qui  avez  occasionne 
celle  animosiie  par  votre  contradiction  indis- 
crète, vous  serez  responsable  devant  Di 
des  désordres  qui  s'ensuivront. 

Mais  cet  homme  est  dans  l'erreur,  dinv- 
vous.  Tour  vous  répondre-,  mes  frères  il  y  a 
plusieurs  choses  à  considérer  :  ou  ce  sont  de 
ces  erreurs  dangereuses  qui  regardent  la  re- 
ligion, la  loi.  les  bonnes  mœurs  :  il  est  abso- 
lument nécessaire  de  s'y  opposer;  il  faut 
réprimer  les  libertins,  les  impies,  les  blas- 
phémateurs, les  médisants  déclares  qui  dé- 
chirent les  souverains,  les  prélats,  les  servi- 
teurs de  Dieu;  ils  ne  veulent  point  avoir  de 
paii  avec  personne,  il  n'en  faut  point  avoir 
avec  eux.  Ou  ces  erreurs  ne  sont  pas  de 
conséquence  :  très-souvent    il   ne    faut   rien 

dire.  Le  Sauveur  de  nos  Ames  ne  s'est  atta- 
che qu  à  combattre  les  erreurs  qui  regardent 
Dieu  et  les  moyens  du  salut.   Il  savait  tout, 


m 


SERMON  POUR  LE  VENDREDI  D'APRES  LES  CENDUES. 


52G 


et  néanmoins  il  n'a  pas  entrepris  de  redresser 
les  hommes  dans  les  égarements  où  ils  étaient 
sur  les  effets  de  la  nature,  sur  l'éloquence, 
sur  des  erreurs  de  fait  dont  les  histoires 
étaient  remplies;  et  comaieles  hommes  n'ai- 
ment pas  à  être  contredits,  il  faut  pren- 
dre garde  à  n'en  venir  là  que  bien  à  propos; 
car  en  voulant  quelquefois  les  combattre  sur 
des  choses  humaines,  indifférentes  et  de  peu 
de  conséquence,  nous  les  aigrissons  contre 
nous,  et  nous  nous  mettons  hors  d'état  de 
les  servir  utilement  dans  des  occasions  essen- 
tielles; mais  si  ces  erreurs  peuvent  avoir  des 
suitesdecoi!séquence,ily  a  plusieurs  choses  à 
observer.  l°S'ilestdangereuxdelaisser  passer 
un  tel  sentiment:  car  quelquefois  l'envie  na- 
turelle et  maligne  que  nous  avons  de  repren- 
dre, ou  l'attachement  que  nous  avons  pour 
un  sentiment  que  les  autres  combattent, 
nous  fait  voir  du  danger  où  i!  n'y  en  a  point, 
et  nous  nous  engageons  dans  des  contesta- 
tions qui  ruinent  la  charité,  plus  par  l'amour 
de  nos  propres  pensées  et  de  nos  opinions 
que  par  celui  de  la  vérité,  ou  par  le  désir 
sincère  d'être  utile  au  prochain.  2°  Il  faut 
considérer  si  la  personne  est  d'un  rang,  d'un 
âge  à  bien  prendre  ce  que  nous  lui  dirons  ; 
car  si  elle  est  beaucoup  plus  âgée  que  nous, 
si  elle  est  d'une  condition  beaucoup  plus 
éminente,  si  elle  a  des  avantages  qui  lui 
donnent  une  créance  plu  ;  entière  dans  l'es- 
prit de  ceux  qui  sont  présents,  et  qu'elle  pa- 
raisse disposée  à  soutenir  ses  sentiments  avec 
obstination  ;  ce  que  vous  lui  direz  l'irritera, 
elle  entraînera  tous  les  autres  dans  ses  sen- 
timents, vous  vous  aigrirez  peut-être  vous- 
même,  vous  perdrez  le  respect,  vous  vous 
attirerez  des  alfaires  ;  la  charité  sera  détruite, 
et  la  vérité  méprisée.  3°  II  faut  au  si  consi- 
dérer vous-même  quelles  sont  vos  disposi- 
tions; car  si  vous  n'avez  pas  de  ces  qualités 
même  extérieures  qui  attirent  la  créance, 
que  vous  soyez  suspect,  il  vaut  mieux  gar- 
der te  silence  pour  l'intérêt  de  la  charité  et 
pour  celui  de  la  vérité.  4"  Quand  vous  auriez 
tous  les  avantages  possibles,  il  faut  encore 
étudier  les  manières  de  contredire  les  senti- 
ments d'aulrui.  Il  faut  éviter  les  airs  cho- 
quants, impérieux,  décisifs,  qui  humilient 
et  qui  irritent  ;  c'est  bien  assez  qu'un  homme 
soit  obligé  de  reconnaître  qu'il  était  dans 
l'erreur,  sans  vouloir  le  dominer  avec  em- 
pire et  triompher  de  son  aveu.  La  charité 
est  douce,  elle  prend  toutes  sortes  de  mesu- 
res et  de  manières  pour  ménager  le  prochain 
sans  le  rabaisser.  Voilà  tout  ce  qu'il  y  a  à 
remarquer  sur  cet  article. 

Il  n'y  a  plus  que  le  chapitre  des  passions, 
c'est-à-dire  des  inclinations  des  hommes  où 
la  charité  nous  oblige  d'avoir  des  ménage- 
ments, pour  ne  pas  entreprendre  de  les  com- 
battre témérairement  :  mais  comme  ce  troi- 
sième devoir  a  beaucoup  de  rapport  avec  le 
second,  je  me  contenterai  seulement  de  dire 
que  si  les  liassions  des  autres  sont  des  pé- 
(  liés  ou  de  simples  défauts,  la  charité  nous 
oblige  a  garder  différentes  mesures.  En  effet, 
quoique  ce  soient  des  péchés  cl  souvent 
même  des  emportements  qui  sonl  quelque- 


fois suivis  de  scandale,  on  n'est  pas  toujours 
obligé  de  les  combattre,  il  suffit  de  n'y  pas 
contribuer  pour  n'en  être  pas  coupable;  car 
pour  les  combattre  il  faut  prendre  garde  si 
les  £ens  sont  en  état  de  bien  prendre  nos 
oppositions,  si  ce  que  nous  leur  dirons  ne 
les  portera  pointa  quelques  extrémités,  et  si 
le  mal  que  nous  avons  lieu  d'en  craindre 
n'est  point  plus  grand  que  le  bien  que  nous 
leur  voulons  procurer;  car  alors  il  faut  les 
souffrirenpalienceetavec charité,  prier  pour 
eux,  et  attendre  une  circonstance  favorable 
de  parler  utilement. 

Que  si  ces  passions  ne  sont  que  de  sim- 
ples défauts,  il  faut  encore  prendre  différen- 
tes mesures  pour  conserver  la  charité.  A 
l'égard  de  ceux  qui  sont  au-dessus  de  nous 
soit  par  l'âge,  soit  par  la  condition,  soit  par 
le  mérite,  il  ne  nous  appartient  pas  de  les 
reprendre.  A  l'égard  de  ceux  qui  sont  nos 
égaux,  il  y  a  toujours  plus  d'humilité  et  sou- 
vent même  plus  de  charité  à  les  souffrir;  car 
saint  Paul  nous  recommande  de  porter  les 
fardeaux  les  uns  des  autres,  si  nous  voulons 
accomplir  la  loi  de  Jésus-Christ,  et  la  loi  de 
Jésus-Christ  est  la  charité.  Nous  souffrons 
des  défauts  de  nos  frères,  ils  souffrent  des 
nôtres, et  si  l'on  voulait  secombattre  l'un  l'au- 
tre sur  ses  défauts,  notre  vie  ne  serait  qu'une 
guerre  perpétuelle.  Enfin,  à  l'égard  des  per- 
sonnes qui  sont  au-dessous  de  nous  et  même 
dont  nous  avons  la  charge,  comme  des  mè- 
res à  l'égard  de  leurs  filles,  des  maîtres  et  des 
maîtresses  à  l'égard  de  leurs  domestiques, 
il  faut  beaucoup  de  discrétion;  car  il  faut 
distinguer  entre  les  choses  de  surprise  et 
celles  qui  sonl  d'habitude.  Il  faut  considérer 
le  tempérament  et  l'impétuosité  du  naturel, 
l'âge  et  la  légèreté  de  l'esprit,  la  nature  des 
choses,  leur  peu  de  conséquence,  les  temps, 
les  lieux  et  les  occasions  :  tout  cela  justifie 
extrêmement  de  certaines  actions.  Un  jeune 
homme  n'a  pas  toute  la  telenue  d'un  homme 
âgé;  une  fille  qui  est  encore  jeune  n'a  pas 
tout  l'éloignemenl  pour  lesajusteraenls,pour 
les  plaisirs,  pour  le  monde,  que  la  maturité 
de  l'âge  et  les  réflexions  pourront  lui  donner 
un  jour  :  c'est  vouloir  rompre  la  paix  et 
troubier  le  repos  de  sa  famille,  que  d'être 
incessamment  après  eux  et  de  les  chicaner 
sur  la  moindre  chose. 

Vous  êtes  chargé  de  leur  éducation  :  d'ac- 
cord; mais  prenez  garde  qu'il  y  a  souvent  plus 
d'humeur  et  de  chagrin  dans  vos  répréheu- 
sions  que  de  véritable  désir  de  vous  acquit- 
ter de  votre  devoir.  Vous  les  aigrissez 
contre  vous,  ils  vous  aiment  moins,  ils  se 
font  un  plaisir  de  votre  éloiguemenl  cl  un 
supplice  de  votre  présence.  La  charité  s'af- 
faiblit, et  ils  sont  moins  disposés  à  recevoir 
de  bons  avis  et  de  solides  conseils,  parce 
qu'ils  sonl  rebutés  de  vos  censures  aigres  et 
perpétuelles.  11  y  a  de  certains  défauts  atta- 
chés à  l'âge  et  au  tempérament,  qui  sont 
dans  le  train  de  vie,  comme  des  hôtelleries 
sur  une  roule  :  tous  ceux  qui  voyagent  par 
ce  chemin  logent  toujours  dan-,  le  même 
endroit  :  vous  avez  passé  par  là,  on  vous 


527 


ORAThUltS  SACHES.  l>OM  JEROME 


a  soufTcrl  ;  les  antres  y  passent,   il  faut   les 
souffrir. 

Enfin,  nies  Irès-chers  frères,  il  faut  loul 
faire  pour  conserver  la  pais  el  a  charité  : 
c'est  la  vie  de  l'âme,  mille  fois  plus  pré- 
cieuse que  celle  du  corps.  Nous  ménageons 
tout  pour  la  conservation  de  notre  vie,  ne 
négligeons  rien  pour  conserver  la  charité. 
Ne  manquons  à  aucun  des  devoirs  de  l'honnê- 
teté etdelabienséaiicequi  servent;-!  entretenir 
la  paix,  parmi  les  hommes;  mais  si  nous 
prenons  garde  à  ne  rien  faire  qui  leur  dé- 
plaise, il  ne  faut  pas  s'offenser  aisément  de 
ce  qu'ils  font  et  qui  peut  uous  déplaire.  C'est 
le  second  moyen  d'entretenir  la  charité,  et 
la  seconde  partie  de  ce  discours. 

SECONDE  PARTIE 

Le  second  moyen  dont  j'ai  a  \ous  entrete- 
nir n'est  pas  moins  important  que  le  pre- 
mier, pour  conserver  la  charité  fraternelle 
el  ne  se  point  faire  d'ennemis.  Car  en  vain 
emploierions-nous  tous  nos  efforts  pour 
éviter  de  déplaire  à  nos  frères,  si  nous  ne 
nous  app.iquious  à  les  souffrir  lorsqu'ils 
nous  déplaisent  ou  qu'ils  manquent  à  notre 
égard. 

Il  faut  donc,  mes  frères,  que  l'amour  de  la 
charité  et  de  la  paix  nous  oblige  à  nous  gué- 
rir d'une  fausse  délicatesse  qui  nous  rend 
très-sensibles  aux  défauts  d'autrui,  et  qui, 
par  l'impression  de  cette  sensibilité  dange- 
reuse, nous  refroidit  à  leur  égard  et  nous 
fait  prendre  des  manières  qui  ruinent  la  cha- 
rité. Pour  cela  il  ne  faudrait  qu'un  peu  de 
patience,  un  peu  d'humilité  el  un  peu  de 
raison,  pour  considérer  en  chrétien  com- 
bien les  choses  qui  nous  blessent  sont  légè- 
re», et  combien  il  y  a  de  faiblesse  à  en  pa- 
raître blessés.  Or,  mes  frères,  dans  le  grand 
nombre  de  ces  sortes  de  choses,  je  nvarrê- 
lerai  à  celles  dont  on  se  plaint  plus  ordinai- 
rement, et  qui  renferment  toutes  les  autres 
dont  on  peut  se  plaindre.  Elles  se  réduisent 
ordinairement,  ou  aux  manières  qui  nous 
déplaisent,  ou  aux  paroles  qui  nous  offen- 
sent, ou  aux  jugements  qui  nous  blessent. 
Tout  cela  est  si  peu  de  chose  qu'il  faut  être 
bien  malheureux  et  bien  aveugles  pour  en 
prendre  occasion  de  nous  refroidir  à  l'égard 
de  notre  prochain,  et  souvent  de  perdre  le 
bien  inestimable  de  la  charité. 

A  l'égard  des  manières,  elles  nous  déplai- 
sent pour  l'ordinaire,  ou  quand  il  y  a  de  l'in- 
civilité, ou  quand  elles  marquent  de  l'in- 
différence, ou  quand  elles  font  paraître  quel- 
que mépris  pour  nous. 

Nous  ne  voyons  autre  chose  dans  le 
monde  que  des  gens  qui  s'étudient  et  qui 
s'examinent  les  uns  les  autres  jusque  dans 
les  moindres  mouvements,  pour  reconnaître 
si  on  ne  manque  point  à  ce  qu'ils  prétendent 
leur  être  du  :  si  on  manque  à  leur  rendre 
une  visite,  si  on  passe  devant  eux,  si  dans 
une  conversation  ou  porte  la  parole  à  d'au- 
tres qu'ils  croient  au-dessous  d'eux,  enfin  si 
on  oublie  a  leur  rendre  quelqu'un  de  ces  de- 
voirs que  la  civilité  a  établis  parmi  le* 
hommes,   L'inattention  la  plus  légère  suffit 


pour  qu'il»  vous  observent  sur  tout,  pour 
mépriser  tout  ce  que  vous  direz,  et  pour  vi- 
vre avec  vouid'uui'  Façon  aigre  et  tout  op- 
posée à  la  charité.  Mon  Dieu,  que  nuus  soin- 
mes  misérables  1  nous  demandons  des  civi- 
lités et  des  respects  ;  oulie  qu'ils  ne  nou»( 
sont  pas  dus,  et  que  pro'  remenl  ce  ne  soril  ' 
que  des  remèdes  à  notre  faiblesse,  c'est  qu'a 
parler  de  bonne  loi  il  n'y  en  a  guère  de  sin- 
cères. Ce  n'est  qu'un  certain  jargon,  un  pelit 
rôle  de  paroles  apprises  par  cœur,  qu'on  va 
répéter  partout,  el  qu'on  n'a  pas  plutôt 
achevé  de  prononcer  à  celui  qui  les  a  enten- 
dues et  qui  les  a  prises  pour  lui  ,  qu'on  Ml 
prêt  à  le  tourner  en  ridicule,  aussitôt  qu'il 
ne  peut  plus  nous  entendre.  Voilà  pourtant 
ce  qui  nous  amuse,  cl  le  défaut  de  ces  sortes 
de  choses  que  nous  connaissons  vaines  est 
capable  de  nous  irriter  contre  ceux  qui  y 
manquent,  et  de  nous  faire  perdre  le  bien 
inestimable  de  la  charité. 

Mais  le  manquement  a  ces  devoirs,  me 
direz-vous ,  marque  une  cei  laine  indiffé- 
rence pour  nous  qui  nous  déplaît.  Hél  sa- 
vez-vous,  mon  frère,  que  cette  indifférence 
dont  vous  vous  plaignez  est  la  plu»  avanta- 
geuse situation  d'esprit  où  le  prochain 
puisse  être  à  votre  égard  ?  Son  amour  et  - 
applications  vous  occupent  souvent  contre 
votre  devoir  et  vous  détournent  de  Dieu  ;  sa 
haine  vous  irrite  et  vous  fail  perdre  la  cha- 
rité; mais  celle  indifférence  qui  tient  le  mi- 
lieu entre  l'un  et  l'autre  vous  laisse  d'une 
part  dans  la  liberté  d'aller  à  Dieu,  el  de  l'au- 
tre en  état  d'exercer  la  charité  sans  intérêt. 
Qu'un  chrétien  serait  heureux  cl  que  sa  dis- 
position serait  souhaitable,  s'il  n'avait  ja- 
mais dans  sa  conduite  aucun  égard  à  la  dis 
position  des  autres,  et  qui,  sans  se  mètre  en 
peine  s'il  en  esl  aimé  ou  s'il  en  est  h  i  .  le- 
rait  toujours  dans  la  vue  de  Dieu,  et  par 
l'amour  de  la  charité  el  de  la  paix,  ce  qui 
serait  nécessaire  pour  être  aime  ou  pour 
n'être  point  haï  ! 

Car  comme  la  vraie  valeur  consiste  i 
faire  sans  témoins  et  dans  l'obscurité  i 
qu'on  serait  capable  de  faire  a  la  vue  de  tout 
le  moude ,  ainsi  la  véritable  fidélité  pour 
Dieu  et  l'amour  sincère  de  son  devoir  se 
montreraient  par  celle  indifférence  pour  loul 
ce  qui  n'est  pas  Dieu,  et  ce  serait  la  être  un 
vrai  et  un  parlait  chrétien.  Cet  homme  n'au- 
rait nul  égard  ni  à  l'indifférence,  ni  à  l'in- 
civilité, ni  uièine  au  mépris  qu'on  pourrait 
avoir  pour  lui.  Connue  il  ne  regarderait  que 
Dieu  et  son  devoir,  il  trouverait  sa  récom- 
pense et  sa  gloire  a  plaire  à  l'un  et  a  faire 
l'autre.  Mes  frères,  demandons  celle  dispo- 
sition à  Dieu,  car  c'est  lui  seul  qui  don.ie 
celte  paix  que  les  hommes  ne  peuvent 
donner. 

Pour  ce  qui  esl  des  paroles,  elles  nous 
déplaisent,  ou  quand  il  y  a  de  la  brusquerie 
qui  nous  choque,  ou  bien  des  railleries  qui 
nous  offensent.  Or,  mes  Irères.  pour  préve- 
nir les  mauvais  effets  que  l'une  et  l'autre  de 
ces  choses  peuvent  produire  au  préjudice  de 
la  charité,  il  faut  considérer  que  les  brus- 
queries qui  nous  choquent  sont  souveut  des 


329 


SERMON  POUR  LE  PREMIER  DIMANCHE  DE  CAREME 


effets  involontaires  d'une  méchante  humeur 
qui  domine  celui  qui  nous  les  a  faites,  et 
qu'il  en  a  très-souvent  de  la  honte  quand  il 
vient  à  y  réfléchir.  Il  est  plus  digne  de  notre 
pitié  que  de  notre  colère,  et  il  n'y  a  rien  de 
si  déraisonnable  que  de  vouloir  perdre  la 
raison,  pour  se  venger  d'un  autre  qui  n'en  a 
point. 

Pour  les  railleries ,  je  tombe  d'accord 
qu'elles  blessent  très-souvent  :  c'est  une 
peste  dans  la  société  qu'un  railleur  perpé- 
tuel, et  un  chrétien  qui  veut  vivre  selon  ses 
obligations  doit  éviter  les  railleries  piquan- 
tes, comme  un  très-grand  mal.  Mais  après 
tout  nous  ne  pouvons  les  empêcher  absolu- 
ment :  tant  que  les  hommes  s'aimeront  eux- 
mêmes,  ils  auront  de  l'envie  les  uns  contre 
les  autres,  ils  se  piqueront,  ils  se  rabaisse- 
ront, ils  se  déchireront  les  uns  les  autres  par 
des  coups  de  langue.  Les  princes  et  les 
grands  seigneurs  n'en  sont  pas  même 
exempts  :  ceux  qui  viennent  de  leur  rendre 
les  plus  profonds  respects  se  moquent  d'eux 
en  les  contrefaisant,  les  raillent  dès  qu'ils  ne 
les  voient  plus,  et  souvent  leur  lâchent  le 
couplet  de  chanson. 

C'est  ainsi  que  se  joue  la  comédie  du 
monde  :  tout  s'y  passe  en  grimaces,  et  c'est 
une  espèce  d'extravagance  que  de  se  persua- 
der qu'on  aura  pour  nous  une  conduite  par- 
ticulière. Après  tout,  si  on  nous  raille  quel- 
quefois, souvent  nous  le  méritons.  Il  y  a 
souvent  tant  de  petitesse,  tant  de  badineries, 
tant  de  légèreté,  tant  de  misère  dans  notre 
conduite,  que  nous  ne  devons  pas  être  sur- 
pris lorsqu'on  les  remarque,  ni  étonnés  lors- 
que les  hommes,  qui  sont  pleins  de  malignité, 
en  raillent  quand  ils  les  ont  remarquées. 
Croyons  seulement  qu'on  nous  épargne  sur 
bien  des  articles  ;  apprenons  à  nous  corriger 
de  nos  défauts  ou  à  gémir  devant  Dieude  ceux 
d'autrui  ;  ne  nous  faisons  jamais  de  plaisir 
de  leurs  blessures,  et  ne  perdons  point  la 
charité,  parce  qu'ils  n'en  ont  point. 

Mais  des  paroles  ,  ajoute-t-on  ,  passent 
bien  vite,  il  n'en  est  pas  de  même  des  juge- 
ments fixes  qui  nous  blessent  et  qui  nous 
déshonorent.  Mais,  hélas  !  il  ne  faut  guère 
plus  d'attention  pour  en  connaître  la  fai- 
blesse, l'impuissance  et  la  vanité.  Car  ou  ces 
jugemeuts  et  ce  qu'on  dit  de  nous  sont  faux, 
ou  ils  sont  vrais.  S'ils  sont  vrais,  n'est-ce  pas 
une  chose  terrible  que  nous  ne  nous  mettions 
pas  en  peine  d'être  pauvres  et  dénués  de 
tout  devant  Dieu,  et  que  nous  soyons  si  sen- 
sibles aux  pensées  que  les  hommes  ont  de 
nous?  Pouvons-nous  témoigner  davantage 
combien  nous  estimons  les  hommes  plus 
que  Dieu,  en  paraissant  indifférents  à  ses  ju- 
gements, et  si  sensibles  à  ceux  des  créatu- 
res? Y  a-t-il  rien  de  plus  horrible  que  de  ne 
se  pas  soucier  de  déplaire  à  Dieu,  pourvu 
qu'on  ne  déplaise  pas  aux  hommes?  Ah! 
mes  frères,  humilions-nous.  Si  ces  jugements 
sont  faux,  pourquoi  le  témoignage  de  noire 
conscience  et  le  jugement  solide  que  Dieu 
fait  de  nous,  ne  nous  consolent-ils  pas?  Si 
les  hommes  nous  traitent  avec  injustice  sur 
ce  qu'ils  ne  connaissent  pas,  combien  y  a-l- 
Oratf.i'rs  sacrés.  XXX. 


530 

il  en  nous  de  défauts  secrets  qui  méritent  le 
traitement  dont  nous  nous  plaignons  juste- 
ment à  d'autres  égards?  Le  Sauveur  de  nos 
âmes  a-t-il  été  traité  d'une  autre  manière, 
et  pouvons-nous  nous  plaindre  quand  on 
nous  traitera  comme  lui? 

Demandons-lui  donc,  mes  frères,  qu'il 
change  notre  cœur  et  qu'il  nous  donne  la  pa- 
tience et  un  peu  de  cette  raison  qui  procède 
de  la  foi,  et  qui  nous  fasse  regarder  les  cho- 
ses comme  nous  devons,  afin  de  nous  les 
faire  estimer  ce  qu'elles  valent.  N'oubliez 
rien  pour  ne  point  déplaire  au  prochain,  ne 
l'attaquez  jamais  avec  témérité  ni  dans  ses 
intérêts,  ni  dans  ses  sentiments,  ni  dans  ses 
passions. 

Etudiez-vous  dans  votre  façon  de  vivre, 
dans  vos  discours,  dans  vos  gestes  même, 
de  ne  blesser  jamais  personne.  Les  gens  du 
monde  sont  si  circonspects  auprès  des  grands 
dont  ils  dépendent  ou  de  qui  ils  attendent 
quelque  bienfait  !  Il  n'y  a  rien  de  si  honnête, 
rien  de  si  complaisant  que  toutes  leurs  ma- 
nières. Ah  1  mes  frères,  faisons  pour  la  cha- 
rité ce  qu'ils  font  pour  un  misérablelnterêt. 
Ménageons  autant  nos  frères,  qui  sont  nos 
supérieurs,  selon  saint  Paul,  qu'ils  ména- 
gent ceux  de  qui  ils  croient  dépendre.  Sou- 
venons-nous de  ce  que  l'Apôtre  recommande 
aux  chrétiens,  de  faire  toutes  choses  pour 
vivre  en  paix  avec  tout  le  monde. 

Ainsi  on  ne  peut  ni  on  ne  doit  dire  ■  Je  ne 
me  mets  pas  en  peine  si  je  suis  mal  ou  bien 
avec  telle  personne  :  c'est  ne  pas  connaître 
le  fond  de  la  religion,  ni  l'essence  de  la  cha- 
rité chrétienne,  qui  fait  tout  et  qui  souhaite 
tout  pour  le  bien  de  la  paix ,  quand  il  n'y  a 
rien  de  contraire  à  la  vérité  et  à  la  justice. 

Mais  parce  que  nous  no  sommes  pas  maî- 
tres de  changer  la  disposition  des  autres,  et 
que,  quelque  chose  que  nous  puissions  faire, 
il  y  aura  toujours  des  antipathies,  des  hu- 
meurs brusques,  des  railleries,  des  incivili- 
tés, des  médisances,  de  faux  jugements,  de- 
mandons à  Dieu  qu'il  nous  rende  insensibles 
à  ces  sortes  de  choses,  qu'il  mette  en  nous  la 
patience,  l'humilité,  les  vues  de  la  foi,  qu'il 
nous  fasse  envisager  les  choses  d'une  ma- 
nière chrétienne  et  tranquille,  qu'il  nous 
donne  une  crainte  salutaire  de  nous  attirer 
l'inimitié  de  nos  frères,  de  perdre  la  charité 
que  nous  devons  à  notre  prochain,  et  cet 
amour  mutuel  qui  nous  lasse  passer  nos 
jours  dans  une  paix  qui  soit  le  commence- 
ment de  celle  dont  nous  jouirons  dans  le 
ciel,  et  que  je  vous  souhaite.  Ainsi  soitil. 

SERMON 

POUR  LE   PREMIER  DIMANCHE  DE  CARÊME. 

Homélie.  —  .Sur  la  tentation. 

Ductus  est  Jésus  in  deserltfm  a  spirilu. 

L'esprit  mena  Jésus  dans  le  désert  (Matlli.,  IV,  1). 

Le  Sauveur  du  monde  venait  d'être  bap- 
tisé par  saint  Jean,  et  il  était  sorti  du  Jour- 
dain plein  du  Saint-Esprit,  selon  le  témoi- 
gnage de  saint  Luc,  lorsque  cet  esprit  dont  il 
était  rempli  le  conduisit  dans  le  désert  qui 
était  proche  du  Jourdain.  Or,  mes  frères,  cq 

il 


TÔ1 


ORATEURS  SACRES  HOM  JEROME. 


3T3 


qui  se  passe  ici  à  l'égard  la  Saavear  est,  ce 
me  semble,  une  excellente  expression  de  la 
conduite  que  Dieu  lient  but  une  âme  qui 
pense  à  faire  pénitence,  cl  dans  laquelle  il 
en  a  l'orme  le  désir. 

J'j  vois  les  mouvements  de  l'esprit  de  Dieu 
qui  conduit  d'ahord  cette  âme  dans  la  soli- 
tude :  conduite  marquée  par  rentrée  de  Jé- 
sus-Christ au  désert.  le  vois  la  force  de  l'es- 
prit de  Dieu  qui  soutient  celte  âme  dans  les 
«'preuves  où  elle  est  exposée  :  conduite  an- 
noncée par  la  tentation  de  Jésus-Christ  dans 
le  désert.  J<>  vois  enfin  la  douceur  de  l'esprit 
de  Dieu  qui  console  celte  âme  dans  ses  ten- 
tations et  dant  ses  peines  par  les  soins  que 
les  anges  prennent  de  Jésus-Christ  dans  le 
«Jésci  t  :  c'osl  à  celte  idée  que  je  m'arrête  pour 
vous  expliquer  toutes  les  parties  de  l'évan- 
gile que  l'Eglise  nous  propose  aujourd'hui, 
et  que  je  réduirai  aux  mouvements  des  trois 
différents  esprits  dont  il  parie,  et  qui  agis- 
sent sur  Jésus-Christ.  L'Espril-Saint  le  con- 
duit, l'esprit  malin  le  tente,  et  enfin  les  es- 
prits célesles  le  servent. 

Voilà,  mes  frères,  la  lettre  de  noire  évan- 
gile, et  en  voici  le  sens  :  point  de  véritable 
pénitence  sans  retraite  et  sans  solitude  ; 
point  de  retraite  et  de  solitede  sans  épreu- 
ves cl  sans  tentations;  point  de  tentations  et 
point  d'épreuves  sans  consolations  et  sa:is 
secours.  Si  donc,  mes  frères,  nous  voulons 
songer  à  faire  une  sincère  pénitence  dans  ce 
temps  si  favorable  où  l'Eglise  la  commence, 
à  l'exemple  et  sous  la  conduite  de  son  chef, 
qui  est  Jésus-Chris!,  apprenons  à  entrer  dans 
la  retraite  qui  nous  convient. 

Jésus-Christ  est  conduit  dans  le  désert  : 
première  partie;  préparons-nous  à  la  tenta- 
tion qui  nous  attend  :  Jésus-Christ  est  lente 
par  le  diable  ;  deuxième  partie;  soulenons- 
nous  par  l'espérance  de  la  consolation  qui 
ne  peut  nous  manquer  :  les  anges  viennent 
pour  secourir  Jésus-Christ  :  troisième  par- 
tie. C'est  lout  ce  qui  est  renfermé  dans  notre 
évangile,  que  nous  expliquerons  après  avoir 
imploré  l'assistance  et  les  lumières  de  PEs- 
prit-Sainl  par  l'intercession  de  Marie.  Ave, 
Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Il  est  à  propos,  mes  frères,  de  vous  dire 
d'abord  que  je  ne  prétends  pas  restreindre  aux 
seuls  pénitents  l'exemple  que  le  Sauveur 
du  monde  nous  donne  aujourd'hui  dans  l'E- 
vangile. 11  regarde  les  justes,  et  il  les  re- 
garde même  précisément;  car  quiconque  a 
reçu  l'esprit  de  Dieu  a  un  grand  amour  pour 
la  retraite  :  il  regarde  le  monde  avec  mé- 
pris, et  il  n'a  que  de  l'horreur  pour  l'esprit 
du  monde,  parce  qu'il  sera  toujours  inallia- 
l)lc  avec  celui  de  Dieu. 

C'est  la  disposition  où  la  grâce  du  baptême 
doit  mettre  tout  chrétien  ;  mais  comme  il 
est  rare  d'en  trouver  qui  suivent  ces  impres- 
sions, ce  n'est  point  à  ces  justes  dont  le  nom- 
bre- est  si  petit  que  je  veux  persuader  la  né- 
cessité de  la  retraite,  qu'ils  aiment  et  qu'ils 
pratiquent,  c'est  à  ceux  qui,  ayant  perdu 
relie  justice,  songent  à  la  recouvrer    parla 


pénitence,  que  je  propose  l'exemple  du  Sau- 
veur du  monde,  et  je  veux  leur  faire  voir, 
1"  la  nécessité  de  celte  retraite  et  de  cette  - 
p'iratiou  du  monde,  sans  laquelle  lli  m-  p 
vcnl  être  de  véritables  pénitents  :  _' 
c'esl  que  celte  retraite  et  cette  séparation  du 
monde  pour  un  homme  qui  y  est  lié  par  sa 
condition  et  par  ses  emplois;  'A  je  \e  \ 
leur  tracer  la  pratique  de  la  retraite  sur  l'i- 
dée que  nous  leur  en  aurons  donnée,  et  leur 
fournir  les  moyens  d'y  entrer  et  de  s'y  >-ou- 
tenir. 

Nécessité  de  la  retraite,  nature  de  la  re- 
traite, pratique  de  la  retraite  sur  l'exemple 
de  Jésus-Christ  conduit  au  désert  par  l'Es- 
prit-Saint  :  voilà  tout  mon  dessein. 

Une  faut  point  sortir  de  notre  évangile 
pour  chercher  des  preuves  delà  nécessite 
de  celle  retraite  et  de  cette  séparation  du 
monde,  sans  laquelle  le  pécheur  qui  cher- 
che à  se  convertir  ne  peut  devenir  un  péni- 
tent. 

Jésus-Chrisi  sorlaitdes  eaux  du  Jourdain, 
figure  du  baptême  et  de  la  pénitence,  quand 
la  voix  du  ciel  fit  entendre  ces  paroles  : 
Ce>(mon  Fils  bien-uimé.  Alors,  dit  sainl 
Matthieu,  c'est-à-dire  sans  délai,  sans  retar- 
dement, dan,  l'instant  même,  il  est  conduit 
par  l'esprit,  dit  le  même  évangéliste,  l'esprit 
le  chassa,  dil  sainl  .Marc,  il  fui  poussé  par 
l'esprit,  dit  saint  Luc;  et  où  est -il  conduit, 
poussé,  chassé  ?  dans  le  dé.<crt,  disent  les 
trois  évangélistes. 

Quelle  induction  devons-nous  tirer  de  to:;l 
ceci  ?  la  voici  :  Jésus-rhrist  est  reconnu  ]  ar 
la  voix  du  ciel  pour  le  Fils  de  Dieu,  qui  lui 
plaît  uniquement,  en  qui  il  a  mis  toute  son 
affection  ;  les  âmes  sortent  des  eaux  du  bap- 
tême, et  les  vrais  pénitents  entrent  dans  celte 
filiation  divine  annoncée  par  la  voix  du 
i  iel,  et  font  partie  de  ce  Fils  en  qui  le  Père 
éternel  a  placé  toutes  ses  complaisances.  Ils 
sont  animés  du  même  esprit;  c'est  par  l'opé- 
ra ;on  de  ecl  esprit  en  eux  qu'ils  deviennent 
les  enfants  de  Dieu  ;  car  c'est  cet  esprit,  dit 
saint  Paul  ,  qui  rend  témoignage  que  nous 
sommes  les  enfants  de  Dieu. 

Or,  dès  que  cel  esprit  esi  en  nous,  il  doit 
y  opérer  ce  qu'il  a  produit  en  Jésus-Christ. 
11  la  conduit  dans  le  désert,  il  doit  donc  nous 
conduire  dans  la  retraite.  11  ne  peut  donc  y 
avoir  de  véritable  justice,  ni  de  véritable 
conversion,  qui  ne  soit  opérée  par  l'esprit 
de  Dieu  et  par  la  charité  qui  nous  élève  à  la 
filiation  divine.  Cet  esprit  saint  arrache  au 
monde  ceux  qu'il  unit  à  Dieu:  il  les  conduit,  il 
les  pousse,  il  les  chasse  dans  le  désert  maigre 
leur  résistance  et  leur  opposition, quelagràrc 
leur  fait  surmonter.  Je  dois  donc  juger  de  la 
conversion  par  l'impression  de  cel  esprit  qui 
la  forme,  et  de  sa  sincérité  parla  rafle  du 
monde,  parla  séparation,  par  la  retraite.  Ou 
elle  sera  i  ntière,  je  jugerai  que  la  conver- 
sion est  plein;1  :  où  elle  sera  imparfaite,  je 
juger,  i  que  la  conversion  c^t  faible;  ou  Je 
ne  verrai  ni  fuite,  ni  séparation,  ni  retraite, 
je  dirai  hardiment  et  arec  assurance  qu'il  n'y 
a  point  de  conversion,  et  que  ce  qui  \  arait 
tel  au  jugement  des  hommes  n'a  que  Pappa- 


3:s 


SERMON  POUR  LE  PREMIER  DIMANCHE  DE  CAREME. 


354 


rente  d'une  conversion  et  n'est  point  un  ou- 
vrage de  l'esprit  de  Dieu. 

Mais  si  la  vérité  cl  l'essence  de  la  conver- 
sion supposent  la  nécessité  de  la  séparation 
et  de  la  fuite  du  monde,  la  conservation  de 
cette  grâce  qui  nous  convertit  et  sa  perfection 
est  une  autre  preuve  essentielle  de  la  néces- 
sité de  cette  retraite. 

Les  saints  Pères  n'ont  point  eu  deux  sen- 
timents sur  cette  matière  :  ils  sont  tous  con- 
venus"de  celte  vérité  (que  la  seule  raison  et 
le  bon  sens  nous  apprendraient,  quand  la 
loi  et  la  parole  de  Dieu  ne  le  feraient  pris), 
qui  consiste  à  savoir  que  les  plaies  de  l'âme 
ne  se  peuvent  guérir  que  dans  la  retraite,  et 
qu'il  faut  à  cet  effet  se  détacher  du  monde, 
fuir  les  occasions,  se  séparer  des  personnes 
qui  ont  causé  noire  chute,  pour  nous  atta- 
cher à  Dieu  qui  est  noire  médecin,  et  pour 
nous  appliquer  aux  saints  exercices  qu'il 
nous  a  prescrits,  et  qui  sont  les  remèdes 
nécessaires  pour  guérir  les  plaies  du  péché, 
qu'il  nous  a  pardonné  p;:r  la  grâce  de  la  pé- 
nitence qui  nous  a  rendu  la  vie,  et  pour  en- 
tretenir cl  fortifier  celte  vie  nouvelle  en  nous. 

Entrons  un  peu  dans  les  raisons  que  les 
Pères  ont  eues  de  nous  ordonner  la  retraite, 
elles  sont  très-importantes.  En  effet,  n'est-il 
pas  juslc  que  celui  qui  a  abusé  des  créatures 
en  soit  privé?  qu'on  chasse  du  monde  et 
qu'on  dépouille  de  ses  biens  celui  qui,  en 
n y ant  reçu  l'usage  de  Dieu,  ne  s'en  est  ser- 
vi que  pour  l'offenser?  La  Justice  humaine 
n'ôle-t-clle  pas  l'autorité  à  un  homme  qui  l'a 
employée  contre  les  intentions  cl  les  intérêts 
ilu  souverain  qui  la  lui  a  confiée?  C'est dôrtC 
une  règle  certaine  que  l'homme  os;  déchu 
par  son  péché  du  droit  de  jouir  des  biens 
dont  l'usage  lui  était  permis  dans  son  inno- 
cence; et  cette  règle  est  conforme  à  la  con- 
duite de  Dieu  en  vers  notre  premier  père  après 
son  péché,  il  chassa  Adam  du  paradis  de  dé- 
lices, il  le  condamna  à  gagner  son  pain  à  la 
sueur  de  son  front,  afin,  dit  saint  Augustin, 
qu'il  affligeât  par  un  travail  continuel  le 
corps  qui  s'étail  révolté  conlre  son  esprit, 
et  qu'ayant  été  chassé  si  justement  d'un  sé- 
jour si  heureux,  il  se  rendît  digne  d'y  rentrer 
un  jour  par  le  mérite  et  la  satisfaction  de  sa 
pénitence. 

Mais  si  cet  homme  dont  le  cœur  a  suivi 
les  attraits  du  monde  est  capable  de  se  lais- 
ser séduire  une  seconde  fois,  y  a-t-il  rien  de 
plus  important  pour  son  salut  que  de  s'éloi- 
gner, que  de  fuir  ce  qui  a  causé  sa  chute? 
lit  qui  est-ce  qui  ne  comprend  pas  le  danger 
que  court  un  COBUT  en  qui  les  passions  sont 
encore  vives,  et  à  la  veille  de  voir  renaître 
des  affections  vicieuses  qu'il  a  à  peine  com- 
battues, s'il  demeure  parmi  des  objets  qui 
vont  exciter  des  désirs  capables  de  surmon- 
ter sans  beaucoup  de  peine  cette  volonté  nou- 
velle qui  vient  d'être  formée  dans  le  com- 
mencement de  sa  conversion?  Ahl  mes  f;è- 
res,  quand  un  homme  est  délivré  d'une  fièvre 
mortelle,  el  que  les  restes  de  sa  maladie  le 
tiennent  dans  la  langueur  el  dans|a  crainte 
d'-uno  rechute,  il  prend  toutes  sortes  de  pré- 
oaulions,  il  évite  jusqu'aux  moindres  baga- 


telles qui  lui  peuvent  nuire;  toute  son  atten- 
tion est  de  se  priver  de  tout  ce  qui  lui  plaît 
et  lé  ilatte,  dès  qu'il  peut  renouveler  sa  ma- 
ladie, et  de  prendre  tous  les  remèdes,  quelque 
amers,  quelque  dégoûtants  qu'ils  soient,  dès 
lors  qu'ils  sont  nécessaires  pour  une  guéri- 
son  parfaite.  Pourquoi  ne  faisons-nous  pas 
pour  la  vie  de  notre  âme  et  pour  l'éternité 
bienheureuse  ce  que  le  sens  commun  nous 
dicte  pjur  le  soulagement  du  corps  et  pour 
la    conservation   d'une  vie   qui  dure  si  peu? 

Où  en  sommes-nous?  Où  est  noire  foi,  ô 
mon  Dieu!  Quoi  1  faut-il  que  nous  ne  soyons 
occupés  que  du  soin  d'une  vie  animale  qui 
va  finir  malgré  toutes  nos  précautions,  et 
que  nous  négligions  la  vie  de  notre  âme  qui 
doit  durer  toujours,  tandis  qu'il  ne  tient 
qu'à  nous  de  la  rendre  heureuse  pendant 
toute  l'éternitél 

Par  où  prétendons- nous  conserver  la 
grâce  de  la  vie  nouvelle  que  nous  avons  re- 
çue dans  notre  conversion,  si  ce  n'est  en 
nous  attachant  à  celui  qui  en  a  été  l'auteur 
par  sa  miséricorde?  Il  a  parlé  au  cœur  de 
Jérusalem,  dit  son  prophète,  il  lui  a  dit  que 
ses  maux  sont  finis,  que  ses  iniquités  sont 
pardonnées,  qu'elle  a  reçu  de  la  main  du  Sei- 
gneur une  doub'e  grâce  pour  l'expiation  de 
tous  ses  péchés;  mais  qu'ajoute-t-il?  On  a 
entendu  la  voix  (le  celui  qui  crie  dans  le  dé- 
sert: Préparez  la  voie  du  Seigneur,  rendez 
droits  ses  sentiers  dans  la  solitude,  où  celui 
qui  a  parlé  à  votre  cœur  et  qui  s'est  l'ait  en- 
tendre à  vos  oreilles  vous  apprendra  les  voies 
qu'il  faut  tenir,  et  vous  conduira  dans  les 
sentiers  de  la  justice. 

C'est  dans  le  même  dessein  qu'il  invile  sou 
peuple  à  fuir  du  milieu  de  Babylone;  c'est 
par  l'éloignemenl  de  celte  ville  criminelle 
qu'on  distingue  ce  peuple  choisi.  Dès  qu'oit 
est  assez  heureux  d'être  d«  ce  nombre,  on 
court  pour  entendre  sa  voix  dans  la  soli- 
tude, où  il  dit  par  un  autre  prophète  qu'il 
parlera  au  cœur  de  celui  qu'il  aura  attiré  dou- 
cement à  lui. 

Comptez  donc,  mes  Ircs-chers  frères,  que 
sans  la  retraite  les  conversions  qu'on  pré- 
tend être  véritables  ne  sont  qu'en  paroles  et 
en  idées,  ou  qu'elles  ne  sont  que  superficiel- 
les el  passagères. Nous  en  avons  l'expérience, 
cl  tous  ces  projets  magnifiques  qnc  l'on 
forme  dans  sa  conversion  pour  l'amende* 
ment  de  sa  vie  se  terminent  presque  toujours 
à  des  rechutes  encore  plus  dangereuses  et 
plus  mortelles  que  le  premier  état  d'où  l'on 
.s'était  efforcé  de  sortir.  C'est  donc  une  né- 
cessité de  se  retirer  et  de  se  séparer  du 
inonde,  si  vous  voulez  conserver  la  t:râce  de 
la  conversion  et  être  de  véritables  pénitents 
Mais  qu'est-ce  que  c'est  qtic  cette  retraite  et 
celte  séparation  du  monde  pour  un  homme 
qui  y  est  lié  par  sa  condition  et  par  ses  em- 
plois? Pour  bien  éclaircir  ce  point  très-im- 
portant, il  faut  établir  des  principes  dans 
lesquels  je  vous  prie  de  bien  entrer.  Les 
voici. 

ïe  dis  donc  qu'à  proprement  parler  un 
chréli  u  n'a  plus  rien  de  commun  avec  lo 
monde;  il  y  a  renoncé,  il  devrait  s'en    tenir 


335 


OU  Vin  RS  sU'-RLS.  DOM  JP.ROME. 


éloigné,  '•'  ne  point  entretenir  «lo  commerce 
avec  lui,  sM  était  possible.  Mais  comme  1  é- 
i.ii  des  conditions  réglées  par  la  Providence 
l'y  tient  nécessairement,  et  qu'il  y  est  lié  par 
des  besoins,  par  des  engagements,  par  îles 
dépendances  qu'il  ne  peut  et  qu'il  ne  doit  pas 
rompre,  l'usage  des  biens  du  monde  ne  lui 
est  pas  défendu,  le  commerce  avec  ceux  qui 
forment  le  mon. le  ne  lui  est  pas  interdit;  il 
peut  vivre  avec  eux  et  garder  ses  liaisons 
ot  ses  richesses  ;  mais  c'est  à  condition  néan- 
moins d'aimer  Jésus-Christ  par-dessus  tout, 
de  ne  mettre  sa  confiance  qu'en  lui  seul,  et 
non  pas  dans  des  biens  périssables,  de  se 
faire  volontiers  de  ses  richesses  un  trésor 
dans  le  ciel,  d'être  prêt  à  les  abandonner 
dès  qu'il  ne  pourra  plus  les  conserver  sans 
perdre  Jésus-Christ,  de  renoncer  même  à 
son  père,  à  sa  mère,  à  ses  enfants  et  à  sa 
propre  femme,  dès  qu'ils  lui  sont  un  obsta- 
cle à  son  salut.  Car  sans  ce.tie  disposition, 
lorsqu'on  déclare  et  qu'on  proleste  que  l'on 
renonce  au  monde,  ce  n'est  renoncer  au 
monde  que  de  bouche,  et  non  pas  en  effet. 

Ceci  va  si  loin,  et  est,  nies  frères,  d'une  si 
importante  nécessité,  que  lorsqu'un  homme 
reconnaît  que  la  société  du  monde  l'entraîne 
dans  le  mal,  :\u\\  ne  peut  résister  à  la  tenta- 
tion des  r:cl:esses,  et  qu'elles  sont  des  occa- 
sions de  péché  invincibles  à  sa  faiblesse,  il 
est  dans  une  obligation  indispensable  de 
quitter  le  monde  et  d'abandonner  ses  biens. 
Il  doit  renoncer  à  tout  dès  qu'il  ne  peut  con- 
server rien  sans  perdre  Jésus-Christ,  et, 
comme  dit  saini  Grégoire,  la  fuite  extérieure 
et  la  séparation  du  monde  par  un  renonce- 
ment réel,  qui  n'est  qu'un  conseil  en  général, 
devient  un  précepte  dans  celte  occasion  et 
dans  ces  circonstances. 

De  cette  doctrine  des  Pères  comprenons 
qu'il  y  a  deux  sortes  de  retraites  et  de  sépa- 
rations du  monde  :  une  de  précepte  cl  de  né- 
cessité absolue,  sans  laquelle  point  de  salut; 
celle  qui  consiste  dans  le  dégagement  du 
cœur,  qui  fait  que  le  ebrélien  use  du  monde 
sans  s'y  attacher,  aimant  J  sus-Christ  par- 
dessus tout,  et  mettant  sa  confiance  unique- 
ment en  lui.  L'autre  de  conseil  et  de  perfec- 
tion :  elle  consiste  dans  le  renoncement  réel 
à  tous  les  biens  du  monde,  dans  la  fuite  et 
la  séparation  effective  qu'un  plus  grand 
amour  pour  Jésus-Christ  inspire,  et  que  la 
crainte  de  se  corrompre  par  l'usage  de  ce 
qui  est  permis  fait  regarder  comme  néces- 
saire. Or,  quand  le  momie  a  séduit  le  cœur 
du  chrétien  jusqu'à  lui  faire  abandonner  Jé- 
sus-Christ plutôt  que  de  perdre  ses  biens,  il 
doit  se  délier  beaucoup  de  ce  qui  s'appelle 
disposition  et  préparation  de  cœur;  car 
comme  il  a  été  trompé  par  son  pr  >pre  cœur, 
il  est  bien  à  craindre  que  la  retraite  que  je 
viens  d'appeler  de  précepte,  qui  suffit  pour 
un  juste,  ne  suffise  pas  entièrement  pour 
un  pénitent.  Celle  que  nous  avons  appelée 
de  conseil  devient  donc  quelquefois  néces- 
saire pour  lui  :  ainsi  la  retraite  qui  lui  con- 
vient, et  que  Dieu  demande,  ne  consiste  pis 
toujours  dans  un  simple  dégagement  de  cœur 
de  ce  qui  est  bon  en  soi  et  mauvais    pour 


lui,  mais  souvent  dans  une  séparation  réelle 
de  ce  qui  n  <orrompu  le  cœur  :  le  bon  usage 
ne  subit  plus,  il  faut  aller  jusqu'à  la  priva- 
Lion 

Vous  entendrez  peut-être  mieux  ces  \éri- 
lés  par  les  règles  que  je  vais  roui  propo- 
ser, qui  renferment  ce  que  j'appelle  la  pra- 
tique de  la  retraite,  et  qui  apprendront  aux 
pénitents  les  moyens  d'y  entrer  et  de  s'y 
soutenir. 

Il  faut  bien  s'assurer  de  la  retraite  inté- 
rieure, c'est-à-dire  de  celle  du  cœur;  elle  est 
nécessaire  et  essentielle,  sans  elle  il  ne  peut 
y  a\oir  de  pénitence  véritable.  Ceci,  mes 
frères,  est  capital  :  il  faut  sortir  de  ce  cœur 
criminel,  il  faut  fuir  ce  cœur  corrompu,  il 
faut  qu'il  soit  changé,  qu'il  soit  brisé,  qu'il 
soit  détruit  entièrement,  cl  que  l'amour  de 
Dieu  crée  en  nous  un  cœur  pur;  c:r  il  u'j  a 
que  lui  qui  renouvelle  au  fond  de  nos  entrai!- 
les  ecl  esprit  de  droiture  et  de  justice  qui 
fait  les  véritables  pénitents  :  c'csl  l'ouvrage 
de  son  esprit. 

Mais  comme  le  cœur  de  l'homme  est  un 
abîme  que  la  seule  lumière  de  Dieu  peut  son- 
der, il  faut  que  nous  soyons  dans  une  conti- 
nuelle inquiétude  sur  ce  changement  si  né- 
cessaire, sur  ce  renouvellement  si  essentiel, 
que  nous  ne  nous  lassions  jamais  de  demander  à 
Dieu  qu'il  sonde  lui-même  notre  cœur,  de 
peur  que,  ne  nous  connaissant  pas  assez 
nous-mêmes,  nous  ne  nous  reposions  sur 
une  fausse  et  dangereuse  sécurité.  Nous  de- 
vons donc  lui  dire  tous  les  jours,  comme  le 
sainl  roi  pénitent:  Mon  Dieu,  éprouvez-moi 
et  sondez  mon  cœur  ;  interroyez-moi,  et  con- 
naissez les  sentiers  par  lesquels  je  marche; 
voyez  si  la  voie  de  l'iniquité  se  trouve  en  moi, 
et  conduisez-moi  dans  la  voie  éternelle,  l.e 
moyeu  de  s'en  assurer  autant  qu'on  le  peut, 
c'est  de  passer  de  cette  première  règle  à  la 
seconde  que  voici. 

Il  faut  ne  rien  ménager  dans  l'abandon- 
nement  réel  cl  effectif  de  tout  ce  qui  a  cor- 
compu  le  cœur,  il  faut  quitter  absolument  et 
fuir  sans  délai  tout  ce  qui  nous  éloigne  de 
Dieu.  Cette  seconde  règle  est  pour  le  moins 
aussi  importante  que  la  première,  car  on  ne 
peut  juger  que  le  cœur  est  changé  que  par 
ce  second  degré  de  fuite  et  de  retraite  ;  et  en 
effet,  quand  on  n'a  pas  le  courag  :loi- 

gher  de  l'objet  et  de  l'occasion  de  son  péché, 
il  est  sûr  que  le  mauvais  amour  \it  toujours 
dans  le  cœur,  et  qu'on  est  encore  esclave  de 
la  passion  qui  nous  a  rendu  coupab'c.  Ne 
ménagez  donc  rien;  quiltez  votre  charge,  si, 
incapable  d'en  remplir  les  devoirs,  elle  est 
pour  vous  une  occasion  prochaine  de  com- 
mettre le  péché;  vous  ne  devez  l'occuper  ou 
y  être  attaché  qu'autant  qu'elle  est  pour 
vous  un  moyen  d'aller  à  Dieu  et  d'opérer 
votre  salut  ;  si  elle  y  est  un  obstacle,  ce  ne  s.o 
donc  que  des  vues  d'intérêt  et  de  fa  ire 

qui  vous  y  retiennent;  quels  motifs I  quelle 
suite!  une  source  féconde  de  mil  le  péchés  et  une 
voie  (faillible  de  condamnation.  Quittez, 
n'bésilez  point  :  Dieu,  pour  qui  vous  fuyez, 
aura  soin  de  voire  famille. 

Rompez  dès  aujourd'hui  tout  commerce  avec 


337 


SERMON  POUR  LE  PREMIER  DIMANCHE  DE  CAREME. 


558 


ees  personnes  qui  ont  été  cause  de  vos  ini- 
quités; fuyez-les,  fermez-leur  toutes  les 
avenues  de  voire  maison.  Toutes  les  raisons 
du  monde,  toutes  tes  considérations  humaines 
n'ont  rien  que  de  faible  et  de  frivole  contre 
la  prudence  de  l'Evangile  et  les  solides  inté- 
rêts du  salut.  Si  une  fois  le  cœur  est  changé, 
et  que  cet  heureux  changement  ail  opéré 
dans  vous  ce  second  degré  de  fuite,  vous 
vous  entretiendrez  dans  une  certaine  dispo- 
sition d'esprit  renfermée  dans  une  troisième 
règle  qui  est  comme  la  perfection  de  la  re- 
traite dont  je  parle,  ot  le  fruit  des  deux  au- 
tres pratiques  que  je  viens  de  vous  pro- 
poser. 

Elle  consiste  dans  une  certaine  applica- 
tion à  profiler  sagement,  avec  ardeur  elavec 
une  espèce  d'avidité,  de  toutes  les  occasions 
d'augmenter  sa  retraite,  et  à  suivre. avec  foi, 
avec  amour  et  avec  reconnaissance  ,  lous 
les  événements  par  lesquels  Dieu,  qui  veille 
à  notre  salut,  nous  fournit  les  moyens  de 
fuir  et  de  nous  séparer  entièrement  du 
monde. 

Les  désagréments  que  vous  y  recevez,  les 
pertes  que  vous  y  essuyez,  le  renversement 
de  vos  projets,  les  obstacles  invincibles  que 
la  Providence  oppose  à  votre  établissement 
temporel  et  à  l'accomplissement  de  vos  dé- 
sirs, ne  sont-ce  pas  autant  de  voies  que  Dieu 
vous  ouvre  pour  vous  en  retirer?  Donnez 
ce  que  vous  ne  pouvez  pas  sauver;  ne  cou- 
rez pas  avec  obstination  ;iprès  ce  qui  vous 
fuit;  écoutez  la  voix  de  Dieu  qui  vous  parle 
par  cet  événement.  Le  monde  vous  rejette, 
quittez  le  monde;  un  emploi  vous  manque, 
reconnaissez  que  c'est  Dieu  qui  ne  veut  pas 
que  vous  vous  engagiez  plus  avant  dans  le 
monde;  regardez  toute  celte  conduite  par 
les  yeux  de  la  foi  ;  ne  vous  estimez  pas  mal- 
heureux de  rester  en  arrière  tandis  que  d'au- 
tres s'avancent  qui  ne  le  méritent  peut-être 
pas  tant  que  vous,  tout  cela  ne  se  l'ail  pas 
sans  raison.  Vous  savez  quelles  sont  les  sui- 
tes des  engagements  du  monde;  votre  expé- 
rience a  dû  vous  l'apprendre  :  ce  mauvais 
succès  est  un  effet  des  soins  de  Dieu  pour 
votre  salut;  laissez-vous  conduire  par  sa 
providence  :  il  fait  pour  vous  ce  que  le  pro- 
phète Osée  dit  qu'il  fera  en  faveur  de  son 
peuple,  qui  suivait  les  voies  de  l'idolâtrie, 
pour  le  ramener  à  son  culte.  Je  m'en  vais 
fermer  son  chemin,  dit-il,  avec  une  haie  d'é- 
pines ;  comme  s'il  voulait  dire  :  Je  vous  ren- 
drai la  voie  du  monde  dure  et  pénible. 
Jérusalem  poursuivra  ceux  qu'elle  aimait,  et 
elle  ne  les  pourra  atteindre  ;  elle  les  cher- 
chera, et  elle  ne  les  trouvera  point  jusqu'à  ce 
qu'elle  soit  réduite  à  dire  :  Il  faut  que  j'aille 
retrouver  mon  époux,  parce  que  fêlais  alors 
plus  heureuse  que  je  ne  le  suis  maintenant.  Je 
ferai  cesser  tous  ses  cantiques  de  joie,  ses  jours 
solennels,  son  sabbat  et  toutes  ses  fêtes.  Après 
cela  néanmoins  je  l'attirerai  doucement  à 
moi,  je  la  mènerai  dans  la  solitude  et  je  lui 
parlerai  au  cœur.  Ne  voyez-vous  pas,  mes 
très-chers  frères,  dans  ces  expressions  de 
l'esprit  de  Dieu,  une  idée  naturelle  de  la 
conduite  qu'il  tient  sur  nous  en   faisant  par 


des  voies  humaines  tout  ce   qu'il  faut   pour 
nous  dégager  du  monde  ? 

Je  voudrais  que  ceux  qui  y  sont  retenus 
par  des  engagements  chrétiens  et  qu'ils  ne 
peuvent  rompre  voulussent  vivre  selon  les 
règles  que  je  viens  de  tracer,  dans  celte 
idée  de  la  retraite  et  de  la  solitude  qui  con- 
vient à  tout  le  monde,  où  l'esprit  de  Dieu 
conduit  les  véritables  pénitents,  où  néan- 
moins nous  ne  devons  pas  nous  flatter  d'une 
fausse  tranquillité,  et  où  au  contraire  il  faut 
nous  préparer  à  la  tentation  qui  nous  at- 
tend; car  Jésu'-Christ  est  tenté  dans  le  dé- 
sert par  le  malin  esprit  :  c'est  le  s-jjet  du  deu- 
xième point. 

DEUXIÈME     PARTIE. 

Il  faut  expliquer  d'abord  ce  que  c'est  que 
d'être  tenté  et  pourquoi  le  Sauveur  du  monde 
l'a  été.  Nous  dirons  ensuite  que  tout  chré- 
tien et  tout  pénitent  qui  pense  à  suivre  Jé- 
sus-Christ dans  le  désert  de  la  manière  que 
nous  venons  de  marquer  doit  s'attendre  à  la 
tentation.  Nous  expliquerons  les  différentes 
tentations  qu'il  doit  craindre  en  expliquant 
celle  que  le  démon  emploie  contre  Jésus- 
Christ.  Enfin  nous  apprendronslesmoyeus  de 
vaincre  les  tentations  en  expliquant  les  ré- 
ponses du  Sauveur  du  monde  au  démon  : 
c'est  touie  la  matière  de  cette  deuxième  par- 
tie tirée  de  l'Evangile. 

La  tentation  peut  se  prendre  de  deux  dif- 
férentes façons  :  ou  comme  une  épreuve 
dont  on  se  sert  pour  découvrir  quelque 
chose  qu'on  veut  savoir,  ou  comme  une  sol- 
licitation qu'on  emploie  auprès  d'un  homme 
pour  le  porter  à  ce  qu'on  souhaite  de  lui. 

La  première  sorte  de  tentation  convient  à 
Dieu,  non  qu'il  ail  besoin  d'aucune  épreuve 
pour  s'assurer  de  ce  qu'il  ne  sait  pas,  mais 
afin  que  l'homme  se  conduise  lui-même  par 
l'épreuve  où  il  le  met,  ou  que  les  hommes  ap- 
prennent de  lui  ce  qu'ils  ne  savaient  pas,  en 
le  voyant  sortir  de  l'épreuve  où  il  a  été  ex- 
posé. C'est  dans  ce  sens,  selon  saint  Augus- 
tin, que  l'Ecriture  dit  que  Dieu  tenta  Abra- 
ham en  lui  commandant  d'immoW  r  son  fils  ; 
car  Die;:,  dilce  saint  docteur,  n'avait  pas  be- 
soin de  celle  épreuve  pour  connaître  quel 
était  le  cœur  de  ce  patriarche,  et  si  Abra- 
ham se  connaissait  bien  lui-même,  nous  do  le 
connaissions  pas.  li  fallait  que  sa  fidélité  pa- 
rût ou  pour  lui-même,  ou  an  moins  pour 
nous  :  pour  lui-même,  afin  qu'il  sût  combien 
il  avait  sujet  de  rendre  grâces  à  Dieu;  pour 
nous,  afin  que  nous  fussions  instruits,  ou  de 
ce  que  nous  avons  à  demander  à  Dieu,  ou  de 
ce  que  nous  avons  a  imiter  en  ce  saint  pa- 
triarche. C'est  dans  ce  sens  que  l'Ecriture 
dit  quelquefois  que  Dieu  lente  les  hommes. 

La  seconde  sorte  de  tentation  ne  convient 
qu'au  démon;  car  il  est  dit  dans  les  mêmes 
Ecritures  que  Dieu  ne  lente  personne,  c'est- 
à-dire,  comme  l'explique  saint  Augustin,  de 
cette  sorte  de  tentation  qui  peut  nuire;  mais 
pour  le  démon,  il  est  appelé  le  testateur, 
c'est-à-dire  celui  de  qui  l'exercice  et  la  prin- 
cipale occupation  est  de  solliciter  les  hum- 
ilies au  péch  . 


s:.') 


ORATEURS  SACRES.  DO\I  JF.IU'Ml  . 


340 


Ce  n'est  pas  que  le  démon  ne  lente  aussi 
dans  le  premier  sens  que  nous  venons  de 
donner  au  terme  de  lentalion,  c'est-à-dire 
qu'il  n'emploie  des  moyens  pour  découvrir 
ce  qu'il  ne  sait  point,  et  c'est  ce  que  vous  al- 
lez voir  dans  les  raisons  pour  lesquelles  lo 
Sauveur  du  monde  a  v<  ul:i  être  tenté. 

Le  Père  éternel  venait  de  l'appeler  son 
Fils  aux  bords  du  Jourdain,  et  le  Saint-Es- 
pril  était  descendu  sur  lui  sous  une  forme 
visible;  mais  toutes  ces  preuves  de  la  divi- 
nité étaient  contre-balancées  par  les  infirmi- 
tés de  l'humanité,  et  entre  autres  par  la  laim 
qu'il  endura  ;  près  ce  jeûne  de  quarante 
jours, de  sorte  que  l'auge  superbe,  ne  pouvant 
accommoder  ces  bassesses  de  la  nature  hu- 
maine avec  les  grandeurs  de  la  nature  di- 
vine, s'adressa  à  lui  <  n  la  manière  que  ie 
raconte  notre  évangile,  afin  de  le  tenter  et 
de  découvrir  s'il  était  le  véritable  Fils  de 
Dieu. 

Il  raisonnait  de  cette  manière  :  Si  c'est  vé- 
ritablement le  Fils  de  Dieu,  il  ne  se  laissera 
pas  mourir  de  faim,  puisqu'il  a  la  puissance 
de  changer  ces  pierres  en  pain;  d'un  autre 
côté,  s'il  ne  le  fait  pas,  sans  doute  il  n'est  pas 
le  Fils  de  Dieu,  l'ar  là  cette  tentation  est 
une  épreuve  dont  il  se  sert  pour  découvrir 
ce  qu'il  veut  savoir;  mais  en  même  temps 
c'est  une  sollicitation  au  péché  ;  car  il  veut  le 
faire  tomber  dans  la  vaine  gloire,  en  lui  per- 
suadant de  faire  un  miracle  sans  nécessité, 
ou  dans  la  défiance  des  soins  de  Dieu  sur  lui, 
qui  l'abandonne  dans  un  extrême  besoin  , 
et  qui  l'expose  au  péril  de  mourir  de  faim. 

Le  Sauveur  du  monde  est  donc  tenté  par 
le  démon  des  deux  différentes  manières  dont 
nous  avons  expliqué  la  tentation,  avec  cette 
différence  que  toutes  ces  tentations  n'ont  été 
qu'extérieures,  et  n'ont  fait  aucune  impres- 
sion sur  l'esprit  ni  sur  le  cœur  de  Jésus- 
Christ.  H  était  incapable  de  sentir  au  dedans 
de  lui  aucun  mouvement  qui  pût  le  porter 
au  mal  qui  lui  était  suggéré  au  dehors,  par 
où  la  tentation  qui  n'est  d'abord  qu'exté- 
rieure devient  intérieure  et  fait  ses  impres- 
sions sur  le  cœur.  C'est,  mes  frères,  à  cette 
double  tentation  que  se  doit  attendre  tout 
chrétien  qui  suit  Jésus-Christ  et  tout  pénitent 
qui  pense  à  la  retraite  et  à  la  séparation  du 
monde,  et  c'est  notre  troisième  réflexion. 

Car  comme  le  chrétien  pénitent  veut  se  ti- 
rer de  l'esclavage  du  démon,  rompre  les  liens 
qui  l'attachent  au  monde,  renoncer  à  l'ini- 
quité et  marcher  dans  les  voies  de  la  iustire, 
le  démon  ne  manque  jamais  de  le  tenter, 
c'est-à-dire  de  le  mettre  à  l'épreuve  pour  re- 
connaître si  c'est  tout  de  bon  qu'il  l'aban- 
donne, s'il  est  vrai  qu'il  quille  le  monde  de 
bonne  foi  et  qu'il  renonce  au  commerce  de 
l'iniquité  poursuivre  les  sentiers  delà  vertu. 
Alors  le  démon  se  sert  de  tout  pour  s'assu- 
rer de  la  sincérité  do  notre  résolution.  Nos 
amis,  nos  proches,  nos  parents,  les  faux  sa- 
ges du  monde  sont  ceux  qu'il  emploie  pour 
nous  éprouver  et  nous  interroger  sur  nos 
desseins,  afin  de  les  pénétrer  :  différentes 
tentations  que  le  démon  emploie,  c'est  no- 
tre quatrième  réflexion. 


I  il-il  possible,  vous  disent  de  fauv  amis, 
que    vous    prétendiez   rompre   avec   tout    le 

monde  ei  mener  une  vie  chagrine,    sans 

société,  sans  pl.,isir.->?  Vous    ne  soutiendrez 
jamais  ce  projet. 

Une  famille  ambitieuse  et  intéressée  se 
tourmente  de  voir  un  homme  qui,  se  livrant 
autrefois  au  soin  de  ses  affaires  temporel! 
sans  songer  à  celle  de  son  salut,  veut  penser 
à  présent  à  cet  unique  nécessaire;  qu'il  ne 
veut  plus  se  charger  de  toutes  sortes  d'alTaires 
comme  auparavant;  qu'il  n'en  veut  même 
entreprendre  de  bonne,  qu'autant  qu'elles  iu- 
le détourneront  plus  de  la  principale  et  de  la 
seule  que  nous  ayons  sur  la  terre. 

Quoi  donc  1  lui  disent  sa  femme  ,  ses 
proches,  voulez-vous  tout  abandonner?  Que 
deviendra  votre  famille ,  si  vous  ue  vous 
occupez  pas?  Est-il  temps  de  vous  retirer 
quand  vous  êles  encore  dans  la  force  et  dans 
les  occasions  de  travailler  utilement  pour 
vos  enfants?  Qui  vous  a  mis  ces  pensées-là 
dans  l'esprit?  Est-ce  que  Dieu  peut  exiger 
que  vous  renonciez  à  l'établissement  de  la 
famille  qu'il  vous  a  donnée? 

Ainsi  parlaient  les  gendres  de  Lot  lorsqu'il 
leur  proposa  de  se  retirer  de  Sodome.  Us 
traitèrent  de  rêverie  le  conseil  qu'il  leur 
donnait;  mais  les  anges,  voyant  qu'il  différait 
toujours,  le  prirent  par  la  main  avec  sa  femme, 
le  conduisirent  hors  de  la  ville,  et  lui  dirent  : 
Sauvez  votre  vie.  Heureux  <eux  à  qui  le 
Seigneur  envoie  des  anges,  c'est-à-dire  des 
ministres  de  sa  parole  pour  leur  faire  une 
sainte  violence  ,  afin  qu'ils  s'éloignent  des 
lieux  et  des  occasions  où  leur  salut  est  eu 
danger  1 

Que  les  amis  du  monde  ,  dos  parents  et 
nos  proches  sont  pour  l'ordinaire  de  mauvais 
conseillers  dans  l'affaire  du  salut  !  C'est  d'eux 
que  le  démon  s  >  sert  d'abord  pour  éprouver 
notre  Fermeté  et  sonder  notre  cœur.  Ce  n'est 
pas, pourtant  que  nous  devions  espérer  d'éviter 
la  tentation  entièrement  par  cét'e.  fuite;  car 
quand  le  démon  reconnaît  que  la  résolution 
est  prise  de  l'abandonner,  que  c'est  tout  de 
bon  qu'on  pense  à  renoncer  au  monde  ,  alors 
il  sollicite,  il  remue  les  passions  pour  empê- 
cher l'exécution  de  ces  desseins,  et  il  l'ail 
tous  ses  efforts  pour  retenir  so;s  son  empire 
les  sujets  qui  lui  veulent  échapper.  Il  passe 
d.'  celle  première  épreuve  ,  qui  u'e>l  en 
quelque  façon  qu'extérieure ,  à  la  tentation 
intérieure  ,  dont  les  différents  degrés  sont 
marqués  dans  notre  évangile  :  car  Jt.-us- 
Christ  ayant  jeûne  (fumante  jours  et  quai  an. e 
nuits.il  eut  faim,  et  le  tentateur,  Rapprochant 
de  lui,  lui  dit  :  Commandez  i/ue  ces  pierret  te 
chanijent  en  pain. 

Celte  première  tentation  intérieure  à  l'égard 
des  hommes  est,  selon  les  Pères,  une  tenta- 
lion  de  voluplé.  Ce  jeûne  dans  Jésus-Christ 
est  une  ligure  de  la  privation  du  plaisir:  celle 
faim  qui  se  fait  sentir  après  quelque  temps 
est  un  désir  de  reprendre  ce  qu'on  a  quille; 
celle  sollicitation  que  le  démon  fait  de  <  dan- 
ger les  pierres  en  paie  est  celle  si  ggestion 
,  extérieure  qui  représenté  le  plaisir  qui  passe 
dans   L'Ame  ,  qui  y  excite  l'inclination  inté- 


«! 


341 


SERMON  POUR  LE  PREMIER  DIMANCHE  DE  CAREME. 


rieure  pour  la  volupté,  et  qui  porte  le  cœur 
à  la  désirer. 

Voicidoncla  première tcntaiion  intérieure, 
à  laquelle  un  homme  qui  pense  à  se  retirer 
pour  faire  pénitence  doit  se  préparer  d'abord  : 
c'est,  mes  frères  ,  la  crainte  de  vivre  sans 
plaisirs.  S'en  priver  pour  quelque  temps  , 
passe;  on  jeûnera  bien  quelque  temps,  mais 
la  faim  se  fait  sentir  après  le  jeûne,  le  désir 
revient  après  la  privation.  Toujours  sans 
plaisirs,  ne  faisant  plus  ce  qu'on  avait  ac- 
coutumé de  faire,  faisant  toujours  ce  qu'on 
n'a  jamais  fait,  voilà  une  privation  et  une 
contrainte  qui  effrayent  :  forte  tentation  pour 
ceux  qui  commencent.  Ah!  combien  y  en 
a-t-il  que  la  crainte  de  vivre  sans  plaisirs  a 
détournés  de  se  donner  à  Dieu!  Combien  en 
détourne-t-elle  encore  tous  les  jours!  Ecou- 
tons saint  Augustin,  il  parle  sur  cette  matière 
avec  cette  noble  simplicité  qui  règne  dans 
ses  Confessions.  Je  comprends  bien  que  tout 
fait  peur  à  qui  ne  connaît  d'autres  plaisirs 
que  ceux  du  péché,  quand  on  pense  à  s'en 
retirer.  Plus  j'approchais  de  ce  moment  où  je 
devais  être  tout  autre  que  je  n'avais  été,  dit  ce 
grand  homme  en  parlant  de  lui-même,  plus 
je  me  trouvais  saisi  d'une  crainte  que  me 
donnait  la  vue  d'un  tel  changement.  Ceux 
avec  qui  l'amitié  me  liait  depuis  fort  long- 
temps me  venaient  dire  :  Quoi!  vous  nous 
quitterez  ,  et  dès  ce  moment  nous  ne  vous  se- 
rons plus  rien?  Dès  ce  moment  telle  et  telle 
chose  vous  sera  interdite  pour  jamais  ?  La 
voix  tyrannique  de  l'habitude  me  disait  en- 
core :  Croyez-vous  donc  vous  pouvoir  passer 
de  ces  sortes  de  plaisirs'/  Mais  qu'est-ce  que 
ces  plaisirs? Tout  y  était  misérable  et  honteux; 
et.  cependant  j'hésitais  encore.  Tant  il  est  vrai 
que  la  vue  de  la  contrainte  et  l'appréhension 
de  rester  sans  plaisirs  arrêtent  la  plupart  des 
hommes  et  les  empêchent  de  suivre  Jésus- 
Christ  dans  le  désert. 

Nous  reviendrons  dans  un  moment  à  la 
réponse  que  Jésus-Christ  fait  au  démon  : 
elle  renferme  un  remède  admirable  contre 
la  tcntaiion  de  la  volupté;  mais  auparavant 
examinons  un  peu  les  termes  dont  le  dé- 
mon se  sert  lui-même  dans  sa  proposition  , 
et  voyons  si  nous  ne  trouvons  point  dans  ses 
propres  paroles  de  quoi  rendre  vaine  et 
inutile  la  tentation  qui  nous  effraye,  et  ap- 
prenons à  vaincre  les  tentations  :  c'est  noîro 
cinquième  réflexion. 

Le  tentateur,  s'approchant  de  Jésus-Christ, 
lui  dit  :  Commandez  que  ces  pierres  devien- 
nent du  pain. 

Il  y  a,  ce  me  semble,  deux  choses  à  consi- 
dérer dans  ces  paroles.  L'action  qu'il  propose 
renferme  un  changement  d'une  substance  en 
une  autre  :  convertir  des  pierres  en  pain;  et 
le  fruit  et  l'avantage  de  ce  changement  : 
Jésus-Christ  apaisera  sa  faim.  Sur  quoi  je  dis 
que  quand  le  démon  nous  tente  par  la  vo- 
lupté, il  nous  propose  de  changer  des  pierres 
en  pain,  c'est-à-dire  qu'il  veut  nous  obliger 
à  faire  un  changement  conlre  l'ordre  de  Dieu, 
qui  nous  engage  à  de  grands  travaux,  c:  d'où 
n«us  ne  devons  tirer  qu'une  légère  satisfac- 
tion. 


Parlons  sans  allégorie,  mes  chers  frères , 
et  disons,  en  nous  attachant  au  sens  naturel 
de  ces  paroles,  que  pour  résister  à  la  tenta- 
tion de  la  volupté  et  du  plaisir,  il  ne  faut  que 
considérer  la  faiblesse  de  cet  attrait  et  le 
comprendre.  Je  vous  renvoie  à  votre  expé- 
rience pour  vous  faire  avouer  ce  que  les 
plaisirs  coûtent ,  et  le  peu  que  valent  des 
plaisirs  qui  coûîent  si  cher. 

Si  nous  examinons  la  réponse  du  Sauveur 
du  monde  au  démon,  nous  apprendrons  qu'il 
y  a  une  nourriture  pour  le  chrétien  qui  se 
donne  à  Dieu,  qui  n'est  pas  connue  de  ceux 
qui  ne  se  nourrissent  que  du  pain  des  pé- 
cheurs. Oui,  rnrs  frères  ,  l'homme  ne  vit  pas 
seulement  de  pain,  mais  de  tout  ce  qui  sort  de 
la  bouche  de  Dieu  ,  c'est-à-dire  de  tout  ce 
qu'il  plaît  à  Dion  delui  donner.  Dieu  ne  laisse 
pas  sans  consolation  et  sans  plaisirs  ceux 
qui  quilt  ni  les  fausses  joies  delà  terre  pour 
le  suivre  dans  la  solitude.  Sa  parole  est  pour 
eux  une  abondante  et  délicieuse  source. 
Il  y  a  ,  dit  saint  Augustin,  dans  les  livres 
saints  des  délices  inexprimables.  Croirail-on 
en  trouver  dans  les  festins,  dans  la  bonne 
chère  ,  dans  les  divertissements  et  dans  les 
folies  du  théâtre,  et  que  l'on  n'en  trouve 
point  dans  les  saintes  Ecritures?  Que  ce 
jugement  serait  peu  solide!  L'âme  qui  s'é- 
lève au-dessus  de  ces  bassesses,  et  qui  goûte 
ces  autres  plaisirs  ineffables  de  la  parole  de 
Dieu,  dit  sans  crainte  avec  le  Prophète,  parce 
qu'elle  le  dit  avec  vérité  :  Les  injustes  m'ont 
raconté  leurs  plaisirs,  mais  ils  ne  sont  point 
comparables  à  votre  loi.  Que  vos  paroles  ma 
sont  douces!  elles  le  sont  plus  que  le  miel  ne 
l'est  à  ma  bouche.  Mais  elles  ne  sont  douces, 
mes  chers  frères,  qu'à  mesure  qu'elles  pénè- 
trent au  dedans;  elles  ne  se  goûtent  que  de 
cette  manière  :  en  effet  le  sentiment  de  l'in- 
telligence elle  goût  propre  pour  discerner  la 
vérité  est  au  fond  de  l'âme. 

Mais  remarquez  que  pour  goûter  cette 
douceur  il  faut,  1°  que  le  cœur  ne  soit  point 
corrompu  par  la  malice  du  péché  :  car  comme 
les  viandes  les  plus  délicates  paraissentamères 
à  ceux  à  qui  la  lièvre  fait  perdre  le  goût,  do 
même  le  pain  de  la  vérité  paraît  amer  à  ceux 
à  qui  l'amour  des  choses  du  monde  ôte  I  ; 
goût  de  celles  de  Dieu. 

2"  Il  faut  que  ,  quoique  celle  parole  soit 
accompagnée  d'un  a  si  grande,  douceur,  on  ne 
la  goûte  pas  aussitôt  qu'on  commence  à  s'y 
appliquer.  Dieu  éprouve  notre  amour,  notre 
constance  et  notre  lidélilé.  Purifions  donc, 
notre  cœur,  clayons  un  peu  de  patience, 
nous  goûterons  les  délices  célestes  ,  et  nous 
apprendrons  par  noire  expérience  qu'un 
homme  qui  se  relire  du  monde  pour  suivre 
les  mouvements  de  l'esprit  do  Dieu  qui  l'ap- 
pelle dans  la  retraite,  y  trouve  des  plaisirs 
plus  solides  que  ceux  qu'il  abandonne. 

TBOISIKMB    PAHTIB. 

.  Ce  serait  ici  le  lieu  de  vous  parler  des  mo- 
tifs qui  doivent  vous  soutenir  par  l'espérance 
de  la  consolation  qui  ne  peut  vous  manquer; 
mais  je  vois  bien  que  nous  n'en  aurons  pas 

le  temps.    Heureux  si  déjà  u  us  ayons  pu 


oiiATEUHS  SACRES.  iio.M  JEROME. 


i* 


mettre  le  chrétien  en  état  de  ne  pas  craindre 
ce  qui  l'empêche  de  foire  le  premier  pas  pour 
suivre  Jésus-Christ  dam  le  désert  de  la  ma- 
nière qui  lui  convient!  Disons  cependant  un 
mot  de  la  consolation  solide  que  vous  pou- 
vez trouver  dans  la  pénitence. 

Ce  n'est  donc  pas  seulement  celte  privation 
de  plaisirs  qui  cllïa y e  d'abord  :  c'est  une  cer- 
taine contrainte  où  on  se  va  mettre  en  ne 
faisant  plus  ce  qu'on  avait  accoutumé  de 
faire  ,  en  se  liant  à  certains  exercices  qui 
tiennent  dans  une  gène  incommode;  mais  il 
ne  faut  qu'un  moment  pour  dissiper  celle 
crainte  :  car  il  faut  reconnaître  ,  1°  que 
l'homme  ne  saurait  être  indépendant;  il  ne 
peut,  quoi  qu'il  fasse,  se  dispenser  d'être 
esclave.  En  refusant  de  se  soumettre  à  Dieu, 
que  fàit-il  autre  chose  que  de  ne  pas  servir 
un  bon  maître?  mais  il  ne  peut  se  mettre  eu 
état  de  ne  point  servir  absolument,  car  il  faut 
nécessairement  que  celui  qui  refuse  d'être 
esclave  de  la  charité  le  soit  de  l'iniquité. 
2"  Que  l'homme  est  créé  pour  être  heureux  : 
il  ne  peut  trouver  son  repos  dans  lui-même, 
il  faut  donc  qu'il  le  cherche  hors  de  lui  :  or 
il  est  nécessaire  qu'il  soit  esclave  des  choses 
dans  la  possession  desquelles  il  prétend  trou- 
ver son  bonheur  :  ainsi,  si  vous  mettez  votre 
félicité  dans  la  possession  des  choses  de  la 
terre,  vous  leur  servirez,  vous  en  serez  es- 
clave; si  vous  la  mettez  dans  les  biens  éter- 
nels, vous  servirez  Dieu,  et  vous  serez  es- 
clave de  la  justice  et  de  la  loi. 

L'appréhension  de  la  contrainte,  la  crainte 
de  perdre  les  plaisirs  dont  vous  jouissez,  vous 
empêchent  donc  de  suivre  Jésus-Christ  dans 
le  désert  et  de  prendre  le  joug  du  Seigneur; 
mais  que  faites-vous?  vous  refusez  de  servit- 
un  bon  maître  pour  demeurer  soumis  à  un 
tyran;  vous  croyez  qu'en  vous  retirant  de 
I)ieu  pour  vivre  au  gré  de  vos  passions,  vous 
serez  heureux;  il  n'en  sera  rien  :  il  est  im- 
possible qu'en  quittant  la  source  de  la  félicité 
vous  soyez  heureux  ,  je  veux  dire  pleine- 
ment, avec  paix  ,  avec  tranquillité.  Je  m'eu 
rapporte  à  vous-mêmes  dans  ce  moment  : 
étes-vous  libres  dans  vos  conditions ,  sans 
dépendance  dans  votre  fortune  ,  sans  con- 
trainte dans  vos  désirs,  sans  opposition  dans 
vos  desseins?  Avez-vous  tout  ce  que  vous 
souhaitez?  ne  vous  manque-t-il  rien?  Si 
même  tous  vos  souhaits  sont  remplis,  votre 
cœur  et  votre  esprit  sont-ils  pleinement 
tranquilles,  sans  nouveaux  désirs,  sans  scru- 
pules, sans  remords?  S'il  en  reste,  point  de 
bonheur  entier;  car  la  félicité  est  un  étal  par- 
fait par  l'assemblage  de  tous  les  biens;  s'il 
en  manque  un  seul,  vous  ne  pouvez  pas  être 
heureux. 

Mais,  me  direz-vous,  scrai-jc  absolument 
libre  en  changeant  de  conduite,  cl  ne  scrai-je 
plus  esclave  en  me  soumettant  au  joug  de 
Jésus-Christ?  Oui,  vous  le  serez  encore;  mais 
vous  étiez  esclave  de  l'iniquité ,  et  vous  le 
serez  de  la  charité.  Vous  serviez  des  créa- 
tures qui  sont  faites  pour  vous ,  et  de  qui 
vous  êtes  le  souverain,  et  vous  sen  irei  Dieu 
pour  qui  vous  êtes  fait,  et  de  qui  vous  êtes 
la  créature.  Vous  suiviez  des  lois  dures  qui 


vous  conduisaient  à  la  mort  par  les  chemins 
de  l'iniquité;  *uus  en  suivrez  tVagréablea  é 
l'esprit,  qui  vous  conduiront  a  la  ne  par  les 
sentiers  de  la  justice;  cl  parce  que  celle  ser- 
vitude qui  nous  lient  sous  la  dépendance  de 
Dieu  est  notre  condition,  c'est  en  elle  aussi 
que  consiste  notre  bonheur  pré*<eDt.  Aus<i , 
lanl  que  nous  nous  tenons  dans  cette  dépen- 
dance, nous  nous  trouvons  dans  un  étal  qui 
unit  l'esclavage  avec  la  liberté.  Nous  ne  pou- 
vons pas  dire  absolument  que  nous  soyons 
libres,  parce  <|uc  nous  obéissons  ;  nous  ne 
pouvons  pas  dire  aussi  que  nous  soyons  es- 
claves, parce  que  le  plaisr  et  l'onction  nous 
font  trouver  tout  agréable.  Iles  Irères,  il  faut 
goûter  de  ces  fruits  de  la  retraile  et  de  la  dé- 
pendance pour  en  ressentir  la  douceur. 

Fiez-vous-en  a  saint  Augustin  :  il  a  senti 
les  difficultés  qui  vous  effrayent,  il  a  com- 
battu contre  la  pensée  de  la  retraile  qui  vous 
rebute  :  la  crainte  d'être  sans  plaisirs  lui  a 
fait  résister  à  l'espril  de  Dieu,  et  il  a  fallu 
que  cet  esprit  l'ail  chassé  dacs  le  désert. 
Combien  trouvai-je  tout  d'un  coup  de  dou- 
ceur  (dit-il  dans  le  neuvième  livre  de  ses 
Confessions)  à  me  .«errer  de  celles  que  f avais 
cherchées  jusqu'alors  dans  les  amusements  du 
siècle!  Car  au  lieu  qu'un  moment  auparavant 
j'étais  dans  une  crainte  effroyable  de  les  per- 
dre, je  me  faisais  un  plaisir  d'y  renoncer  et 
de  les  quitter,  parce  que  vous  les  chassiez  de 
mon  cœur,  douceur  souveraine,  solide  et  vé~ 
rituble!  et  que  vous  y  entriez  en  leur  place,  6 
mon  Dieu! 

Nous  ne  saurions  aller  plus  loin  dans  l'ex- 
plication des  autres  parties  de  notre  évan- 
gile; ce  sera  bien  assez  si  nous  avons  pu 
mettre  le  chrétien  qui  pense  à  faire  pénitence 
en  état  de  se  retirer  du  monde,  à  l'exemple 
de  Jésus-Christ,  et  de  mépriser  la  tentation 
que  l'ennemi  de  notre  salut  oppose  à  ce  des- 
sein. 

.Mais,  ô  mon  Dieu  !  c'est  l'ouvrage  de  votre 
esprit.  Faites  donc  qu'il  le  produise  en  nous  ; 
qu'il  nous  arrache  au  monde,  à  qui  nous 
tenons  si  étroitement  et  si  indignement , 
après  y  avoir  renoncé  par  notre  baptême; 
qu'il  nous  chasse  dans  le  désert,  et  qu'il  nous 
conduise  dans  celte  retraite  et  dans  celte  so- 
litude intérieure  où,  travaillant  à  nous  puri- 
fier, nous  nous  préparerons  à  goûter  les  dou- 
ceurs qu'on  trome  dans  la  méditation  de 
vos  paroles,  qui  nourriront  notre  âme  plus 
délicieusement  encore  que  toutes  les  voluptés 
de  la  terre  ne  peuvent  faire.  C'est  ce  que 
nous  vous  demandons,  au  nom  du  l'ère,  etc. 
Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR  LE  lundi  DE  la  l'in  Mii.ui;  IBNUMI   M 

CARÈMK. 

De  la  tentation. 

Duclus  esl  Jésus  a  s|>iritu  in  dcscrium  ,  Si  laMaNUV  a 

diabolo. 

L'espril  mena  Ji'sus  dans  le  désert ,  afin  qu'il  y  fût  Un'.c 
par  le  démon  (Matlh.,  IV,  l). 

Il   ne  faut  pas  espérer  de  passer  celle  vie 

sans  être  exposé  à  la  tentation,  après  ce  que 

:    l'évangile  da  jour  d'hier  nous  i apporte  de  la 

„  conduite  de  l'Esprit-Saiot  sur  la  personne  du 


545 


SERMON  POUR  LE  -LUNDI  DE  LA  PREMIERE  SEMAINE  DE  CAREME. 


34t> 


Sauveur  du  monde.  C'est  une  nécessité  telle- 
ment liée  avec  l'état  et  la  condition  des  hom- 
mes, que  l'Ecriture,  selon  la  remarque  de 
saint  Grégoire,  ne  dit  pas  seulement  que  la 
vie  y  est  exposée,  mais  qu'elle  est  elle-même 
une  tentation. 

11  est  vrai  que  l'homme  trouve  les  moyens 
de  vaincre  la  tentation  dans  la  tentation 
même;  mais  s'il  veut  se  rendre  attentif  à 
examiner  d'une  part  la  nature  des  objets 
dont  le  démon  se  sert  pour  exciter  les  pas- 
sions, et  de  l'aulre  les  conditions  sur  les- 
quelles il  lui  promet  de  les  satisfaire,  cet 
examen  peut  beaucoup  servir  à  rendre  ses 
eflbrls  impuissants,  et  à  conduire  le  chré- 
tien à  cet  élat  de  piété  et  de  paix  qu'il  ne 
peut  trouver  qu'en  demeurant  dans  l'ordre 
de  Dieu  et  en  méprisant  tout  ce  que  le  monde 
lui  offre  pour  l'en  retirer.  C'est  cet  examen 
qui  va  /aire  le  sujet  de  ce  discours  ,  et  puis- 
que le  démon  tente  le  Sauveur  de  nos  âmes 
par  la  volupté  et  par  l'ambition,  reconnais- 
sons que  ce  sont  les  deux  grandes  voies  dont 
l'esprit  séducteur  se  sert  ordinairement  pour 
tenler  les  hommes  du  siècle,  pour  les  retirer 
de  l'ordre  de  Dieu,  et  pour  les  jeter  dans  des 
agitations  violentes  où  ils  perdent  le  repos 
de  la  vie  présente  et  l'espérance  de  celui  de 
la  vie  future. 

Faisons  donc  voir  :  1°  la  faiblesse  de  l'at- 
trait du  plaisir  marquée  dans  les  paroles 
mêmes  du  démon  ;  Die  ut  lapides  isti  panes 
fiant  :  première  partie;  2°  la  faiblesse  de  l'at- 
trait des  grandeurs  renfermée  dans  les  con- 
ditions sous  lesquelles  il  les  promet  :  Hœc 
omnia  tibi  dabo,  si  cadens  adoraveris  me: 
seconde  partie. 

C'est  par  ces  deux  réflexions  que  je  veux 
apprendre  au  chrésien  à  mépriser  les  tenta- 
tions du  démon  et  à  les  vaincre,  mais  tou- 
jours par  le  secours  de  la  grâce  de  Jésus- 
Christ,  que  je  demande  par  l'intercession  de 
Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Dieu  n'a  pas  créé  l'homme  pour  être  sou- 
mis à  la  misère,  et  la  terre  aurait  toujours 
été  pour  lui  un  lieu  de  plaisir  s'il  eût  été 
toujours  innocent  ;  sans  mourir  et  sans  avoir 
souffert,  il  aurait  été  transféré  du  paradis 
de  délices  où  Dieu  l'avait  placé,  dans  le  bon- 
heur éternel.  Mais  étant  tombé  volontaire- 
ment de  l'état  d'innocence  et  de  bonheur 
dans  lequel  Dieu  l'avait  formé,  il  s'est  trouvé 
réduit  à  la  misère;  la  terre  ne  lui  produit 
plus  que  des  ronces  et  des  épines,  et  ce  n'est 
plus  sur  la  terre  qu'il  doit  jouir  des  délices 
et  du  plaisir.  Il  est  vrai  que  celte  justice  que 
Dieu  exerce  sur  lui  est  tempérée  par  de  fa- 
vorables conditions;  car  en  le  rendant  misé- 
rable il  ne  lui  ôle  pas  l'espérance  de  la  féli- 
cité, il  ne  fait  qu'en  transférer  la  jouissanco 
dans  l'autre  vie,  et  par  la  courte  privation 
de  quelques  plaisirs  qui  n'en  ont  que  le  nom, 
il  lui  en  promet  d'éternels. 

Le  malheur  de  l'homme  est  de  ne  pas  vou- 
loir s'accommoder  à  celte  sage  disposition, 
et  c'est  le  faible  dont  le  démon  se  sert  pour 
le  tenter  en  le  retirant  de  l'ordre  de  Dieu;  il 


réveille  dans  l'homme  le  désir  naturel  qu'il 
a  pour  le  plaisir,  en  lui  montrant  des  objets 
qui  flattent  ses  sens,  et,  se  prévalant  de  l'a- 
mour qu'il  conserve  pour  la  félicité,  il  lui 
fait  croire  qu'il  la  rencontrera  dans  la  jouis- 
sance des  objets  qu'il  lui  a  montrés  :  de  sorle 

j  que  l'homme,  oubliant  l'état  de  sa  condition 
présente,  veut  être  heureux  contre  l'ordre 
de  Dieu;   se  laissant  tromper  à  de   fausses 

[  apparences  dont  le  démon  se  sert  pour  l'atti- 
rer, il  cherche  toujours  ce  qu'il  ne  rencontre 
jamais;  enfin,  malheureux  dans  tous  les 
temps,  il  perd  le  droit  à  la  félicité  éternelle 
en  poursuivant  une  félicité  imaginaire  dont 
il  ne  jouit  point. 

Trop  heureux  si  je  pouvais  aujourd'hui 
vous  obliger  à  réfléchir  sérieusement  sur  ce 
que  l'expérience  vous  apprend  tous  les  jours, 
et  vous  convaincre,  en  examinant  les  pa- 
roles mêmes  du  démon,  que  celui  qui  vous 
tente  ne  cherche  qu'à  vous  séduire.  En  effet, 
rapporte  l'Evangile,  le  tentateur,  s'appro- 
chant  de  lui,  lui  dit  :  Commandez  que  ces  pier- 
res se  changent  en  pain.  L'action  qu'il  propose 
renferme  le  changement  d'une  substance  en 
une  autre  :  de  convertir  des  pierres  en  pain. 
Sa  proposition  est  la  même  toutes  les  fois 
qu'il  nous  tente  par  la  volupté,  et  qu'il  es- 
saye de  nous  tirer  de  l'ordre  de  Dieu  par  l'at- 
trait du  plaisir  :  il  nous  propose  de  changer 
des  pierres  en  pain,  c'est-à-dire,  mes  frères, 
qu'il  veut  nous  obliger  à  faire  un  change- 
ment contre  l'ordre  de  Dieu,  qui  nous  engage 
à  de  grands  travaux,  et  dont  nous  ne  devons 
tirer  qu'un  profit  léger  et  qu'une  faible  sa- 
tisfaction. 

Parlons  maintenant  sans  allégorie,  et  di- 
sons, en  nous  attachant  au  sens  de  ces  pa- 
roles, que  pour  résister  à  la  tentation  de  la 
volupté  et  du  plaisir,  il  ne  faut  que  considé- 
rer la  faiblesse  de  cet  attrait;  et  pour  com- 
prendre ce  que  j'avance  ici,  je  vous  ramène 
à  votre  expérience,  gens  du  siècle,  pour  vous 
faire  avouer  que  les  plaisirs  coûtent,  et  qu'ils 
valent  peu  après  avoir  coûté  beaucoup.  Je 
suis  très-persuadé  que  nous  désirerions  peu 
de  choses  avec  ardeur,  si  nous  connaissions 
parfaitement  ce  que  nous  désirons  et  combien 
il  y  a  d'erreur,  de  passion  et  d'aveuglement 
dans  nos  désirs. 

C'est  au  prix  de  vos  biens,  de  votre  repos, 
de  votre  santé  et  de  votre  salut  que  vous 
achetez  le  plaisir;  et  comme  si  vous  ne  vi- 
viez que  pour  le  plaisir,  c'est  à  celte  idole 
que  vous  immolez  tout.  La  bonne  chère,  les 
jeux,  les  divertissements,  la  débauche  vous 
engagent  dans  de  grandes  dépenses,  vous  ne 
retenez  que  par  des  chaînes  d'or  les  objets 
de  vos  passions  captifs  sous  vos  désirs.  On 
s'épuise  bientôt  quand  on  veut  renverser 
l'ordre  de  la  nature  pour  se  procurer  dans 
une  saison  des  mets  qu'elle  ne  veut  produire 
que  dans  une  autre;  on  .n'épargne  rien  quand 
on  veut  séduire  l'innocence  et  corrompre  la 
fidélité;  car  voilà  les  plaisirs  du  monde,  et 
on  ne  voit  que  trop  de  gens  qui  n'ont  pas 
même  le  nécessaire  dans  leurs  besoins,  pour 
n'avoir  pas  voulu  se  modérer  dans  leurs 
plaisirs. 


317 


OHATEURS  SACRES.  l)OM  JI-.ltOME. 


548 


N'est-ce  pas  encore  pont  M  jouir  que  l'on 
sacrifie  sa  santé?  d'où  viennent  les  ineom* 
modîtés  qui  rendent  la  vie  si  désagréable, 

ces  maladies  douloureuses  (|iii  durent  quel- 
quefois toute  la  vie,  quoiqu'on  les  ait  prises 
de  fort  bonne  heure,  et  qui  donnent  des  re- 
pentira inutiles  cl  des  chagrins  mortels'  I  n 
vérité,  est-ce  aimer  la  vie  que  de  s'exposer, 
pour  quelques  années  de  plaisir,  à  mourir 
tous  les  jours  durant  un  fort  long  temps,  et  à 
(rainer  une  vie  languissante  telle  ojne  la 
mènent  ceux  qui  sont  frappés  des  mal.idi  s 
dont  je  viens  de  parler?  maladies  qui  ne  sont 
pas  seulement  douloureuses  et  cruelles  pour 
leurs  personnes  ,  mais  contagieuses  pour 
ceux  qui  les  approchent,  et  qui,  en  dédui- 
sant leur  santé,  éteignent  leur  famille. 

La  bonne  chère  n'est-elle  pas  une  vraie 
fatigue  du  corps  et  une  honteuse  agitation 
de  l'âme?  Quels  mouvements  ne  se  donne-I- 
on pas  la  veille  d'une  fête  el  d'un  divertisse- 
ment! combien  de  soin  pour  s'y  préparer  1  On 
souffre  mille  incommodités  pendant  qu'elle 
dure,  et  on  en  sort  presque  toujours  accable 
de  lassitude  et  de  chagrin. 

Les  engagements,  les  pratiques  secrètes, 
les  commerces  que  l'on  veut  couvrir  remuent 
mille  passions  pour  en  contenter  une  seule, 
et  ne  donnent  pas  un  moment  de  repos.  Que 
d'égards,  que  de  précautions,  que  de  feintes 
et  d'arliûces  pour  se  cacher I  quelle  crainte 
n'a-t-on  pas  de  la  colère  d'une  mère,  de  la 
violence  d'un  maii,  des  reproches,  du  bruit 
et  de  la  révolte  de  toute  une  famille  I  Combien 
d'inquiétudes,  de  chagrins,  de  soupçons,  de 
jalousies  tant  qu'un  commerce  dure!  Quelle 
rage,  quelle  fureur,  quand  il  est  rompu  par 
l'infidélité,  elquel  désespoir  quand  il  devient 
public! 

Toutes  ces  choses-là  ,  qui  sont  mêlées 
dans  ce  que  vous  appelez  des  plaisirs,  sont 
comme  autant  de  pointes  aiguës  qui  vous 
piquent  sans  cesse,  et  qui  vous  obligent 
quelquefois  de  vous  plaindre  du  malheur  de 
votre  condilion;  mais,  comme  dit  si  bien  le 
saint  homme  Jol>,  en  parlant  de  ceux  dont 
il  fait  la  description,  chapitre  111,  ils  se  ré- 
jouissent parmi  tout  cela,  et  ils  se  figurent 
îles  plaisirs  au  milieu  des  épines.  Les  char- 
mes que  vous  trouvez  dans  les  voluptés  de 
celle  vie  vous  rendent  comme  insensibles 
aux  peines  que  vous  y  endurez.  Vous  êlo* 
comme  enivrés  d'absinlhe  :  or,  remarquez 
qu'il  y  a  dans  ce  breuvage  la  substance  et 
la  vapeur;  la  substance  a  une  amertume  qui 
pique,  el  la  vapeur  est  une  fumée  qui  assou- 
pit. Les  idées  i\e>  plaisirs  blessent,  mais  ils 
enivrent,  et  l'ivresse  empêche  qu'on  ne  res- 
sente l'amcrlume,  on  ne  veut  pas  qu'il  y  en 
ail.  Los  choses  que  vous  souffrez  pour  les 
plaisirs  de  celle  vie  sont  très-amères;  et 
néanmoins  l'aveuglement  de  votre  cupidité, 
l'amour  déréglé  du  plaisir,  ainsi  qu'une 
ivresse  et  une  aliénation  d'esprit ,  vous  Oient 
le  sentiment  de  celle  amertume. 

Il  n'est  pas  nécessaire  de  tomber  dans  ces 
grands  e\cés  pour  se  détourner  des  \oies  du 
salut.  Sans  s'engager  dans  les  désordres  dont 
nous  avous  tracé  uuc  légère  idée,  il   sullil 


pour  se  ;  erdre  de  mener  une  vie  molle,  oi- 
sive, i  ituptueose.  La  vie  chrétienne  est  une 

rieuse,  pénitente,  laborieuse.  Ne  vous 
inslrolrec-vons  jamais  par  votre  propre  ex- 
périence ?  \<>us  sacrifiez  vos  biens,  voire 
honneur,  votre  sanlé,  votre  repos  pour  des 
plaisirs  dont  vous  ne  jouissez  jamais  tran 
quillement;  vous  aspirez  au  salut  éternel, 
on  ne  l'acquiert  point,  mes  frères,  en  com- 
battant l'ordre  de  Dieu,  en  violant  ses  com- 
mandemenis,  en  méprisant  se*  exem  II 
rejetant  ses  instructions  ;  el  c'e^t  de  lou*  nu 
crimes  qu'un  chrétien  se  rend  coupable, 
lorsque,  dans  le  désir  de  se  rendre  béerons 
sur  la  lerre,  il  donne  dans  tous  les  plaisirs, 
il  éloigne  toutes  les  peines,  il  ne  pense  qu'à 
conlenler  ses  sens  el  à  éviler  tout  ce  qui  peut 
le  faire  souffrir. 

Les  plaisirs  coûtent  donc  bien  cher,  puis- 
qu'on les  achète  aux  dépens  des  biens,  de  la 
santé,  du  repos  et  même  du  salut  ;  mais  que 
valent  donc  des  plaisirs  qui  coûtent  si  cher, 
et  quelle  douceur  goûle-t-on  dans  l'usage  de 
ces  délices  auxquelles  on  sacriûe  lout? 

Je  ne  sais  si  l'on  s  en  doit  rapporter  à  vo- 
tre témoignage,  vous  qui  les  goûtez,  gens  du 
siècle;  car  comme  vous  en  êtes  enivrés, 
vous  n'êtes  pas  en  état  d'eu  juger.  Li  I  hom- 
mes, dit  saint  Grégoire,  qui  sont  altérés  du 
plaisir  du  monde,  souffrent  une  infinité  de 
peines  et  d'inquiétudes  pour  en  jouir,  de 
sorte  que  ce  qu'ils  boivent  est  très-amer; 
niais,  pareequ'ils  avaient  avec  beaucoup  d'a- 
vidité, et  qu'ils  sont  enivrés  de  celte  ab- 
sinihe  mortelle,  l'ivresse  ne  leur  permet  pas 
<ie  ressentir  assez  vivement  quel  esl  le  mal 
de  cette  amertume.  Ils  en  sont  donc  de  mau- 
vais juges.  Cependant,  quoi  qu'ils  en  puis- 
sent dire,  ils  ne  sauraient  disconvenir  que 
s'ils  trouvent  quelque  douceur  dans  leur 
usage,  cette  douceur  ne  dure  qu'un  instant. 
Je  ne  le  prends  pas,  si  vous  voulez,  du  colé 
du  plaisir  même,  quoiqu'il  soit  vrai  qu'é- 
tant précédé  d'un  désir  qui  agite  l'âme,  et 
suivi  d'un  chagrin  de  le  voir  finir  qui  la 
trouble  toujours,  il  consiste  dans  un  certain 
point  de  jouissance  qui  le  fait  échapper  quand 
on  croit  le  tenir  ;  mais  je  le  prends  du  côté 
de  la  vie  qu'il  faut  posséder  pour  en  jouir, 
el  qui  est  si  courte,  que  loul  ce  qui  est  me- 
suré par  sa  durée  ne  doit  être  compte  pour 
rien  quand  on  juge,  des  choses  a\ec  rais. m. 

Je  prends  donc  un  homme  jouissant  de 
tous  les  plaisirs  de  1 1  vie  :  c'est  une  qualité 
qu'un  peut  donner  à  lout  homme  qui  a 
longtemps  le  train  du  monde,  el  je  lui  de- 
mande combien  il  eu  a  joui.  S'il  oie  de  sa 
via  l'enfance  où  on  ne  les  connaît  pas,  la 
vieillesse  où  on  les  regrette,  la  maladie  où 
on  les  rebute,  le  sommeil  où  on  ne  les  sent 
point,  les  chagrins  et  les  afflictions  OÙ  ils 
nous  dégoûtent,  ce  qu'ils  coulent  à  acqué- 
rir, el  ce  qu'on  souffre  quand  on  n'en  jouit 
plus,  sur  ce  pied-là  il  trouvera  que  d'une  vie 
de  trente  années,  il  n'en  aura  pas  eu  (rois 
où  il  ail  goûte  de  vrai  plaisir;  cl  pour  cela 
sacrifier  lout  sans  ménager  son  propre  >a- 
lull  De  bonne  loi,  il  ne  faul  qu'un  peu  de 
raison  pour  rejeter  le  démon  quand  il  uoUS 


34«> 


SERMON  POPR  LE  LUNDI  DE  L\  PREMIERE  SEMAINE  DE  CAREME. 


350 


tonte  parle  plaisir,  et  un  retour  sur  ce  que 
le  plaisir  nous  coûte  ne  devrait-il  pas  être 
plus  que  suffisant  pour  résister  à  la  force 
de  cel  atlrait  ? 

Mais,  ô  mon  Dieu!  que  feront  ces  ré- 
flexions, si  elles  ne  sont  animées  et  soute- 
nues de  votre  grâce?  à  quoi  servi; ont-elles, 
si  elles  ne  sont  produites  en  nous  par  cet  es- 
prit qui  conduit  aujourd'hui  le  Sauveur  du 
monde  au  désert?  Car  les  hommes,  dit  saint 
Grégoire,  sont  semblables  à  ces  animaux 
qui,  accoutumés  au  travail,  y  reviennent 
sans  qu'on  les  y  force  :  quand  une  fois  ils, 
sont  engagés  dans  la  servitude  du  monde,  ils 
s'accoutument  tellement  à  ces  peines  et  à 
ces  fatigues,  que,  bien  loin  de  s'en  éloigner 
par  es  sortes  de  réflexions,  ils  se  chagri- 
nent de  n'y  être  pas,  et  le  long  usage  qui  de- 
vrait les  avoir  dégoûtés  de  ces  travaux  leur 
y  fait  trouver  un  plaisir  auquel  ils  ne  peu- 
vent plus  renoncer.  11  ne  faut  pas  cependant 
que  cette  dangereuse  disposition  nous  oblige 
d'abandonner  de  tels  malades  ;  peut-être 
que  quelques-uns  voudront  guérir  :  ainsi, 
après  avoir  donné  des  secours  contre  la  ten- 
tation du  plaisir,  donnons-en  contre  celle  de 
l'ambition  :  c'est  le  second  point. 

SECONDE    PARTIE. 

Les  désirs  de  l'ambition  succèdent  pour 
l'ordinaire  à  ceux  du  plaisir,  et  nous  voyons 
assez  souvent  qu'après  qu'un  homme  s'est 
lassé  dans  les  délices  d'une  vie  molle  et  vo- 
luptueuse, il  songe  à  s'établir  dans  le  monde. 
En  sortant  des  dérèglements  d'une  jeunesse 
emportée,  il  se  livre  aux  désirs  d'une  ambi- 
tion qui  le  dévore;  et  ainsi,  toujours  es- 
clave de  ses  passions,  qui  se  succèdent  les 
unes  aux  autres,  le  démon  le  domine  tou- 
jours, et  se  servant  de  différents  attraits 
pur  le  soumettre  à  sa  tyrannie,  il  le  tient 
dans  un  asservissement  d'autant  plus  déplo- 
rable qu'il  est  volontaire. 

C'est  contre  cette  seconde  tentation  qu'il 
faut  essayer  de  lui  fournir  des  armes,  et  afin 
qu'elles  soient  de  même  nature  que  celles 
que  nous  lui  avons  données  contre  la  pre- 
mière, il  faut  faire  réflexion  sur  les  paroles 
mêmes  du  démon,  cl  lui  faire  voir  la  fai- 
blesse de  l'attrait  des  grandeurs  dont  il  se 
sert  pour  le  tenter,  renfermée  dans  les  con- 
ditions sous  lesquelles  il  les  lui  promet.  Le 
diable,  dit  l'évangéliste,  le  transporta  encore 
sur  une  montagne  fort  haute,  et  lui  montrant 
tons  les  royaumes  du  monde  et  la  gloire  qui 
les  accompagne,  il  lui  dit  :  Je  vous  donnerai 
toutes  ces  choses,  si  en  vous  prosternant  de- 
vant moi  vous  m'adorez.  C'est  la  condition 
qu'il  y  met,  car  il  veut  se  faire  des  adora- 
teurs, il  veut  former  sa  religion,  et  il  a  tou- 
jours dans  le  cœur  de  se  rendre  semblable  à 
Dieu. 

Mais  comme  il  continue  à  tenter  les  chré- 
tiens de  la  même  manière  par  le  ministère 
du  :110ml"  cl  des  hommes  qui  sont  à  lui,  il 
faut  apprendre  à  lui  résister;  car  il  y  a  en- 
core aujourd'hui  des  personnes  qui  disent 
de  sa  part  :  Nous  vous  donnerons  tout  ciq 
que  vous  voyez,  si  vous  voulez  vous  pros- 


terner pour  nous  adorer.  Ces  personnes,  dit 
saint  Chrysostome,  paraissent  des  hommes 
au  dehors;  mais  ils  sont  en  effet  les  instru- 
ments du  démon.  Pour  résister  donc  à  celte 
seconde  tentation,  il  faut,  comme  nous  l'a- 
vons remarqué  dans  le  premier  point,  con- 
sidérer la  faiblesse  de  l'ai  Irait  dans  ces  pa- 
roles mêmes  :  Je  vous  donnerai,  dit-il,  toutes 
ces  choses,  si  en  vous  prosternant  devant 
moi  vous  ni1  adorez.  Examinons  cette  pro- 
messe, et  ayons  recours  à  l'expérience  el  à 
la  foi.  Voici  trois  propositions  indubitables, 
qui  nous  découvrent  la  faiblesse  de  cet  at- 
trait : 

1°  C'est  qu'il  ne  promet  toutes  ces  choses 
qu'à  condition  qu'on  l'adorera  :  quelle  hor- 
reur 1  Le  Sauveur  en  est  frappé  si  vivement, 
qu'il  ne  peut  garder  la  modération  qu'il  avait 
eue  jusqu'alors  ;  ici  il  chasse  le  démon  :  Re- 
tirez-vous  de  moi  !  2°  C'est  que  le  démon 
n'accorde  pas  toujours  ces  choses,  quoiqu'on 
l'adore  ;  car  outre  qu'il  n'en  est  pas  le  mai- 
tre,  el  qu'il  n'en  peut  disposer  que  par  l'or- 
dre de  Dieu,  il  ne  donne  pas  toutes  les  cho- 
ses dont  il  pourrait  disposer  et  qu'il  promet, 
car  il  est  l'esprit  de  mensonge.  3°  C'est  que, 
supposé  qu'ii  les  accorde,  il  ne  vous  restera 
à  la  fin  de  votre  vie  que  le  crime  de  l'avoir 
adoré.  Tout  finira,  ces  biens  périront,  vous 
mourrez,  et  vous  ne  conserverez  de  votre 
prévarication  que  l'infidélité  et  le  crime  ; 
c'est  là  uniquement  tout  ce  qui  vous  res- 
tera. 

Raisonnons,  chrétiens,  sur  ces  trois  pro- 
positions, dont  l'expérience  nous  découvre 
la  vérité,  et  pour  reconnaître  la  faiblesse  de 
i'altrait  des  grandeurs,  des  richesses,  des  di- 
gnités el  de  la  gloire  du  monde  dont  le  dé- 
mon se  sert  pour  nous  tenter,  disons-nous  à 
nous-mêmes  :  Mais  s'il  ne  les  promet  qu'à 
condition  qu'on  l'adorera,  n'est-ce  pas  un 
crime  à  un  chrétien  de  se  soumettre  à  ado- 
rer le  démon  ?  S'il  ne  les  accorde  pas  tou- 
jours, quoiqu'on  l'adore,  n'est-ce  pas  un 
aveuglement  terrible  à  un  chrétien  que  de 
s'exposer  à  ce  crime  au  hasard  de  n'en  tirer 
aucun  avantage?  et  si  même  en  me  les  ac- 
cordant il  ne  me  restera  à  la  fin  de  la  vie  que 
le  crime  de  l'avoir  adoré,  quel  sera  mon  dé- 
sespoir, lorsque,  étant  abandonné  de  toutes 
choses,  je  ne  verrai  plus  devant  moi  que 
mon  crime,  et  je  connaîtrai  mon  erreur 
quand  il  ne  sera  plus  temps  de  la  réparer  1 
Ces  réflexions  suffisent  pour  faire  connaître 
la  faiblesse  do  l'attrait  des  grandeurs,  et  il 
n'en  faut  pas  davantage  à  un  chrétien  qui 
pense  sérieusement,  pour  lui  faire  mépriser 
des  avantages  et  des  biens  qu'il  ne  peut  dé- 
sirer qu'avec  beaucoup  de  honte,  poursui- 
vre qu'avec  incertitude  et  acquérir  qu'en 
faisant  une  perle  irréparable. 

Non,  mes  frères,  ni  le  démon,  ni  le  monde 
qui  est  son  ministre,  ne  promet  les  gran- 
deurs qu'à  condition  qu'on  l'adorera.  L'a- 
poire  saint  Paul  n'appelle-l-il  pas  du  nom 
d'idolâtrie  l'amour  que  nous  avons  pour  ol- 
le  ■  ?  Et  les  saints  Pères  ne  nous  enseignent- 
ils  pas  que  si  los  devoirs  que  les  hommes 
leur  rendent  ne  sont  pas    précisément   tels 


564 


ORATEURS  SACRKS.  DOM  JKROML. 


;ii 


quc  le  culte  qu'on  rend  à  la  Divinité,  ils 
leur  consacrent  néanmoins  ce  qui  ne  doit 
être  que  pour  elle  seule?  Comment  lionore- 
t-on  et  adore-t-on  Dieu?  c'est  en  l'aimant, 
non  colitur  nisi  amando;  cl  comment  l'aime- 
t-on  de  toutes  ses  pensées,  de  toutes  ses  af- 
fections? c'est  en  lui  rapportant  tous  ses 
soins  et  toutes  ses  occupations,  et  c'est  là 
précisément  le  culte  qu'on  rend  aux  gran- 
deurs humaines.  On  leur  donne  toutes  les 
pensées  de  son  esprit,  tous  les  désirs  de  son 
cœur,  toutes  les  affections  de  son  âme  ;  on 
se  contente  de  rendre  à  Dieu  de  temps  en 
temps  quelques  devoirs  légers  cl  extérieurs 
où  le  cœur  n'a  point  de  part  et  n'entre  pres- 
que pour  rien. 

Jugez-vous  par  votre  conduite,  gens  du 
siècle,  et  vous  reconnaîtrez  que  vous  avez 
passé  avec  le  monde  la  convention  que  le 
démon  propose  au  Sauveur  dans  cet  évan- 
gile :  Je  vous  donnerai  toutes  ces  choses,  si 
en  vous  prosternant  devant  moi  vous  m'ado- 
rez. Que  faites-vous  tous  les  jours  en  vous 
attachant  auprès  d'un  prince  ou  d'un  mi- 
nistre que  vous  croyez  capable  de  satisfaire 
votre  avarice,  de  conlenler  votre  ambition 
et  d'établir  votre  fortune?  Ne  vous  rendez- 
vous  pas  dépendants  de  ses  volontés,  sou- 
mis à  son  humeur,  esclaves  de  son  caprice, 
victimes  de  ses  passions,  approbateurs  de  ses 
désordres  et  complices  de  ses  iniquités? 
N'est-ce  pas  là,  mes  frères,  vous  prosterner 
aux  pieds  d'une  idole  pour  l'adorer,  dans  la 
vue  d'en  obtenir  ce  que  vous  espérez?  La 
honte  de  cotte  conduite  ne  vous  fait-elle  pas 
rentrer  dans  vous-mêmes?  Faut-il  que  vous 
soyez  esclaves  de  votre  ambition,  au  préju- 
dice de  ce  que  vous  avez  de  plus  précieux, 
et  que  vo\is  vous  immoliez  vous-mêmes  à 
un  autre  malgré  les  lumières  de  votre  rai- 
son qui  vous  y  fait  découvrir  mille  défauts 
et  qui  vous  oblige  de  le  mépriser  en  secret 
dans  le  moment  même  que  vous  l'adorez  en 
public?  C'esl  une  chose  bien  honteuse  que 
de  se  laisser  dominer  par  l'amour  de  ce  qui 
est  périssable,  quand  on  sait  qu'on  est  im- 
mortel ,  de  ramper  sur  la  terre  quand  on 
peut  s'élever  dans  le  ciel,  et  de  se  rendre 
esclave  des  hommes  quand  on  est  destiné  à 
régner  avec  Dieu. 

Mais  après  tous  ces  sacriBces,  après  tou- 
tes ces  dégradations  indignes  d'un  chrétien, 
étes-vous  assurés  de  réussir?  Ne  savez-vous 
pas  que  le  démon  est  l'esprit  de  mensonge, 
que  le  inonde  est  un  trompeur,  et  que  s'il  ne 
promet  ce  qui  Halle  votre  ambition  qu'à  con- 
dition qu'on  l'adorera,  il  ne  l'accorde  pas 
toujours  quoiqu'on  l'adore?  Je  n'en  veux 
pas  d'aulrepreuveque  celle  que  votre  propre 
expérience  vous  fournit.  Comme  elle  est 
plus  sensible,  elle  est  plus  convaincante,  et 
vous  pouvez  juger  de  L'infidélité  du  monde 
en  rélléchissant  sur  la  dureté  qu'il  a  pour 
vous. 

lin  effet,  qu'avez-vous  avancé  depuis  tant 
d'années  d'adoration,  d'esclavage  et  de  ser- 
vitude? A  la  cour  on  vous  oublie,  dans  la 
guerre  vous  .vous  ruinez,  dans  les  affaires 
on  vous  supplante.  Combien  u'a-t-on  pas  \u 


dans  tons  les  siècles  de  gens  semblables  a 
l'impie  Achab,  qui,  après  avoir  dépouillé  la 
maison  de  Dieu,  <  'esl-à-dire  oté  au  Seigneur 
ce  qu'ils  ont  porté  BUI  pieds  des  idoles  dont 
ils  redoutaient  la  colère  ou  de  qui  ils  vou- 
laient gagner  la  faveur,  ont  enfin  luecoml 
Le  monde,  qui  est  le  ministre  de  Satan,  sera 
toujours  semblable  à  Holopherne,  minisire 
de  Nabuchodonosor,  qui  fut  un  prince  cruel. 
Les  hommes  vont  au-devant  de  lui,  comme 
les  peuples  de  Réthulie  allèrent  au-devant 
de  cet  impitoyable  ministre  :  comme  eux  ils 
le  couronneront  en  l'adorant;  comme  eux  ils 
feront  leurs  efforts  pour  l'adoucir  par  leur 
musique  et  par  leur  chant  en  le  comblant 
de  louanges,  en  flattant  ses  désirs,  en  applau- 
dissant à  ses  passions;  mais  il  sera  toujours 
dur  et  insensible,  jamais  il  ne  se  laissera  flé- 
chir. Mes  frères, prenez  garde  que  l'appui  sur 
lequel  vous  vous  reposez  ne  vous  manque 
j>ar  les  disgrâces  qui  lui  peu\cnt  arriver. 
Combien  voit-on  de  gens  s'être  attachés  à  la 
fortune  des  puissances  de  la  terre,  et  qui  ont 
été  ensevelis  dans  la  même  infortune  qui  a 
précipité  ces  bras  de  chair  sur  lesquels  ils 
s'appuyaient  ! 

11  est  vrai  qu'il  est  des  siècles  où  la  justice 
règne,  et  que  nous  vivons  dans  un  temps  où 
les  puissances  ont  les  yeux  ouverts  pour 
chercher  le  mérite  et  couronner  la  vertu  ; 
mais  après  tout,  ces  puissances  ne  pement 
point  changer  la  nature  des  choses,  ni  aller 
contre  les  ordres  de  Dieu.  Si  vous  vous  ren- 
dez esclave  de  celte  fortune  dont  les  princes 
peuvent  être  les  auteurs,  si  vous  faites  ré- 
gner dans  votre  cœur  l'amour  des  choses  qui 
la  forment,  si  vous  abandonnez  Dieu  pour  la 
terre,  si  vous  adorez  le  monde  et  ses  biens, 
quelle  que  puisse  être  votre  élévation,  il  ne 
vous  restera  à  la  fin  de  votre  vie  que  le  crime 
de  les  avoir  adorés. 

Jugez  quel  sera  votre  désespoir,  lorsque, 
étant  abandonnés  de  tout,  vous  ne  verrez  plus 
que  votre  crime,  et  vous  reconnaîtrez  totre 
erreur  quand  il  ne  sera  plus  temps  de  la  ré- 
parer. Celledernière  réflexion  est  pénétrante, 
et  je  suis  fâché  de  ne  la  pouvoir  toucher  au- 
jourd'hui qu'en  passant.  Comme  donc  tous 
les  biens  qui  composent  et  qui  forment  votre 
fortune  sont  périssables,  ils  périroul;  comme 
vous  êtes  mortels,  vous  qui  eu  jouissez,  vous 
mourrez;  et  un  jour,  qui  n'est  peut-être  pis 
bien  loin,  viendra  où  vous  direz  :  De  quoi 
nous  a  servi  notre  orgueil,  et  qu'avons-nous 
tiré  de  la  vaine  ostentation  de  nos  richesses? 
Tout  vous  échappera  dans  ce  moment  :  le 
prince  n'aura  plus  de  sujets,  le  plus  riche 
de  tous  les  hommes  sera  aussi  pauvre  que 
le  dernier  des  esclaves,  et  les  richesse!  étant 
évanouies,  leurs  malheureux  adorateurs  ne 
verront  plus  que  le  crime  de  les  avoir  ado- 
rées. 

Si  c'est  à  cette  terrible  et  inévitable  ca- 
tastrophe que  doit  se  terminer  toute  l'ambi- 
tion des  hommes,  il  n'en  faut  pas  datants  S 
pour  rendre  vains  les  efforts  du  démon  quand 
il  se  sert  de  l'ambition  pour  nous  tenter.  Dans 
le  moment  do  voire  mort,  votre  âme  se  truu- 
•vera  seule  devant  Dieu,  sans  autre  relation 


55' 


SERMON  POUR  LE  MARDI  DE  LA  PREMIERE  SEMAINE  DE  CAREME. 


354 


qu'à  lui,  sans  autre  liaison  qu'avec  lui,  loute 
nue,  revêtue  de  ses  seules  iniquités.  Repré- 
sentez-vous le  moment  de  la  mortd'un  grand, 
d'un  riche,  d'un  homme  à  qui  le  démon  a 
tenu  ce  discours  :  Je  vous  donnerai  toutes  ces 
choses  si  vous  voulez  m'adorer;  qu'est  deve- 
nue loute  cette  grandeur  ? 

Scrvez-vousdoncdecesréflexions,  mes  très- 
chers  frères,  pour  combattre  les  efforts  du 
démon,  soit  qu'il  travaille  à  vous  attirer,  soit 
qu'il  veuille  vous  retenir. 

Si  vous  n'êtes  pas  dans  le  monde,  que  le 
plaisir  ne  vous  y  engage  pas;  il  coûte  trop, 
et  il  vaut  trop  peu.  Que  l'ambition  ne  vous 
y  attire  point  :  c'est  un  crime  d'adorer  le 
démon,  c'est  une  folie  de  l'adorer  au  hasard, 
et  le  sujet  d'un  désespoir  éternel  lorsqu'on  a 
eu  la  faiblesse  de  l'adorer. 

Que  si  vous  habitez  dans  la  Babylonc  du 
inonde,  fasse  le  ciel  que  ces  lumières  éclai- 
rent les  ténèbres  de  vos  âmes,  et  que  l'amer- 
tume d'avoir  vécu  dans  ces  égarements  vous 
fasse  goûler  avec  plus  de  reconnaissance  et 
plus  de  joie  la  bonté  du  libérateur  qui  veut 
vous  délivrer  par  sa  grâce,  à  laquelle  il 
faut  recourir  et  que  je  vous  souhaite.  Ainsi 
soit-il. 

SERMON 

POUR      LE      MARDI    DE     LA    PREMIÈRE      SEMAINE 
DE    CARÊME. 

Sur  les  devoirs  des  pères  et  mères  envers  leurs 
enfants. 

Miserere  mei,  Domine  fili  David:  filia  mea  maie  a  dœ- 
monio  vexatur. 

Seigneur,  fils  de  David,  ayez  pilié  de  moi  :  ma  fille  est 
misérablement  tourmentée  par  le  démon  (Matth.,  XV,  22). 

Quiconque  ne  connaîtrait  pas  l'amour 
d'une  mère  pour  son  enfant  devrait  être  sur- 
pris des  paroles  de  la  Chananéenne,  et  on 
aurait  de  la  peine  à  comprendre  comment  elle 
est  elle-même  un  objet  de  pitié  pour  le  Sau- 
veur du  monde,  parce  que  sa  fille  est  misé- 
rablement tourmentée  par  le  démon;  mais 
quiconque  saura  rjuel  doit  être  l'amour  d'une 
mère  chrétienne  pour  le  salut  de  son  enfant 
sera  surpris  de  l'insensibilité  de  la  plupart 
de  celles  qui,  ayant  des  enfanls  en  plus  grand 
danger  que  la  fille  de  la  Chananéenne,  ne 
songenl  pas  à  faire  tous  leurs  efforts  pour  les 
en  retirer. 

Voici  donc,  mes  frères,  tout  le  plan  de  ce 
discours  :  je  vais  vous  apprendre  que  celte 
insensibilité  des  mères  chrétiennes  et  cette 
stupidité  dans  une  affaire  aussi  importante 
pour  leur  salut  cl  poureclui  de  leurs  enfa'nls 
procèdent  de  l'ignorance  où  elles  sont,  1°  du 
danger  de  leurs  enfants,  qui  sont  tourmentés 
du  démon  saiii  qu'elles  le  sachent;  21  du  re- 
mède à  ce  mal,  qui  est  entre  leurs  mains  ; 
'.)"  de  l'intérêt  qu'elles  ont  dans  le  danger  de 
leurs  enfants,  et  combien  il  leur  est  impor- 
tant de  n'être  pas  la  cause  de  leur  chute. 

Ainsi  j'ai  cru  que,  pour  les  réveiller  de 
cet  assoupissement  et  pour  les  rendre  sen- 
sibles à  des  intérêts  si  importants,  je  devais 
faire  voir  dans  ce  discours,  1°  le  malheur  des 
enfanls  qui  sont  lourmenlés  par  le  démon  : 
première  partie;  2  le  remède  à  ce  malheur  : 


deuxième  partie;  3°  l'obligation  l'appliquer 
ce  remède  :  troisième  partie. 

C'est  pour  instruire  les  mères  chrétiennes 
que  nous  faisons  ce  discours.  Demandons 
l'assistance  du  ciel  par  le  secours  de  la  plus 
sainte  mère  qui  fut  jamais.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Ne  vous  paraît-il  pas  étrange,  pères  et 
mères  chrétiens,  de  m'entendre  dire  que  la 
plupart  de  vos  enfanls  sont  misérablement 
tourmentés  par  le  démon,  comme  la  fille  de 
la  Chananéenne,  et  ne  croyez-vous  pas  que 
c'est  outrer  les  choses  que  de  faire  d'abord 
une.  semblable  proposition? 

Ecoutez  ce  que  dit  saint  Augustin,  et  après 
que  je  vous  aurai  exposé  les  preuves  de  ma 
proposition  par  lesparolesdecesaintdocteur, 
et  raisonné  sur  des  principes  de  foi,  j'espère 
de  vous  rendre  si  sensible  ce  que  j'avance, 
que  vous  ne  pourrez  vous  dispenser,  si  vous 
êtes  véritablement  pères  et  mères  de  vos 
enfants  selon  l'esprit,  et  non  pas  seulement 
selon  la  chair,  de  gémir  sur  leur  malheur  et 
de  travailler  à  éviter  celui  qui  vous  menace. 

11  arrive  quatre  choses  dans  la  formation 
des  hommes,  dit  saint  Augustin  :  le  père  en- 
gendre le  corps,  Dieu  crée  son  âme,  le  péché 
la  corrompt,  et  le  démon  la  possède.  Il  paraît 
donc  d'abord  que  vos  enfants  tombent  sous 
l'empire  du  démon  dès  le  moment  de  leur 
naissance,  et  que  devenir  homme  et  être  pos- 
sédé du  démon,  c'est  la  même  chose  dans  la 
voie  ordinaire;  et  n'est-ce  pas  ce  que  l'A- 
pôtre nous  apprend  lorsqu'il  nous  appelle 
des  enfants  de  ténèbres  et  de  colère?  Les 
exorcismes  que  la  sainte  Eglise  fait  sur  les 
enfants  avant  que  de  leur  conférer  le  bap- 
tême ne  nous  montrent-ils  pas  qu'ils  sont 
en  la  possession  du  démon,  puisqu'elle  le 
chasse  pour  y  préparer  la  demeure  de  Jésus- 
Christ?  Le  Sauveur  du  monde  y  vient  par  le 
baptême,  il  y  demeure  par  la  grâce.  De  morts 
qu'ils  étaient,  il  les  rend  vivants;  d'enfants 
de  ténèbres,  ils  deviennent  enfants  de  lu- 
mière, et  Jésus-Christ  les  retirant  de  dessous 
l'empire  du  démon,  avec  lequel  ils  étaient 
destinés  ta  l'enfer,  les  adopte  et  leur  donne 
droit  à  son  héritage  éternel,  c'est-à-dire  à  la 
gloire. 

Il  faudrait  pénétrer  dans  le  fond  de  l'âme 
et  découvrir  ce  qui  s'y  passe,  pour  pouvoir 
dire  exactement  combien  peu  dure  cet  heu- 
reux étal,  qui  finit  bientôt,  dans  la  plupart 
des  hommes,  par  la  perle  de  la  grâce  du 
baptême  qui  en  est  la  source  et  le  fondement. 
Car,  hélas!  mes  frères,  on  peut  assurer  har- 
diment que  dans  la  plupart  les  premiers  soins 
de  leurs  parents,  le  premier  usage  de  leur 
liberté,  le  premier  office  que  le  monde  leur 
rend,  c'est  de  leur  faire  perdre  l'innocence  et 
de  chasser  Dieu  de  leur  cœur. 

L'état  de  notre  naissance  en  Jésus-Christ 
nedure  pour  l'ordinaire  guèredavantage  que 
dura  l'état  d'innocence,  c'est-à-dire  que  la 
plupart  des  hommes  emploient  le  premier 
usage  de  leur  liberté  à  perdre  la  grâce  de 
leur  baptême,  cl  qu'ils  renoncent  à  la  qua- 
lité d'enfunts  de  Dieu  -pour  redevenir    les 


583 


ORATEURS  SACRES.  ItOM  JEROME. 


i;r, 


enfants  cl  les    esclaves  du   démon,   aussitô 
q no  par  eux-mêmes  ils  sont  capables  de  f.iirc 
usage  de  lour  esprit  ol  do  leur  (  <our. 

Ce  qu'il  y  a  d'étrange,  c'e^l  que  lotit  ceci 
se  passe  d'une  manière  insensible,  et  que  ce 
meurtre  de  l'a  Me,  cet  asservissement  a  l'em- 
pire du  démon,  ne  se  font  point  sentir.  La 
mort  de  l'âme  ne  rend  pas  ses  sujets  immo- 
biles à  nos  yeux  comme  la  mort  du  corps; 
elle  ne  les  rend  pas  des  objets  d'horreur;  ils 
vivent,  ils  conversent,  ils  rient  avec  nous, 
et  souvent  le  coup  qui  les  lue  leur  attire  nos 
louanges,  notre  estime,  notre  admiration  et 
noire  amour. 

Mais,  pères  et  mères  chrétiens,  si  ces 
morts  terribles  et  détestables  commencent 
pour  l'ordinaire  dans  l'Intérieur  de  vos  fa- 
milles, si  vous  y  livrez  vous-mêmes  vos  en- 
fants, si  vous  en  êtes  les  meurtriers  après  en 
avoir  été  les  pères,  et  qu'après  tout  nous  ne 
puissions  pas  vous  rendre  ces  morts  sensi- 
bles, ne  serait-ce  pas  beaucoup  si  nous  vous 
faisions  voir  la  réalité  de  cette  mort,  et  si 
nous  vous  découvrions  <lc  quelle  manière 
elle  arrive? 

Or,  que  cette  mort  soit  réelle,  il  est  aisé  de 
le  démontrer  ;  la  preuve  dépend  de  deux 
principes,  l'on  de  foi,  et  l'autre  d'expérience. 
La  foi  nous  enseigne  que  celui  qui  perd  la 
grâce  de  son  baptême  redevient  esclave  du 
démon  ;  quoiqu'il  ait  été  régénéré  en  Jésus- 
Christ,  il  rentre  sous  celle  domination  mal- 
heureuse :  car,  comme  dit  l'apôtre  saint  Pier- 
re, Quiconque  est  vaincu  est  l'esclave  du 
vainqueur.  Vous  êtes  esclaves  de  celui  que 
vous  servez,  dit  saint  Paul  ;  et  cet  esclavage 
est  d'autant  plus  terrible  qu'il  est  volontaire 
et  du  choix  de  celui  qui  s'y  soumet.  Il  est 
d'autan!  plus  terrible  que  le  choix  de  ce  nou- 
veau et  détestable  maître  ne  se  peut  faire 
qu'en  se  rendant  coupable  de  perfidie  à  l'é- 
gard du  parti  qu'on  a  choisi  et  auquel  on 
s'est  attaché  par  un  engagement  solennel. 

11  est  encore  certain  que  cette  grâce  reçue 
dans  le  baptême  a  besoin  d'être  entretenue 
et  comme  fomentée  dans  l'âme  d'un  enfant 
qui  l'a  reçue,  et  qu'il  ne  peul  recevoir  celle 
assistance  et  ce  secours  que  par  les  soins 
d'un  père  et  d'une  mère  chrétiens  et  dune 
bonne  éducation  :  la  grâce  a  ses  degrés  com- 
me la  nature,  l'homme  chrétien  a  ses  âges 
comme  l'homme  charnel,  dit  saint  Augustin, 
et  comme  nous  voyons  qu'un  enfant  nouvel- 
lement né  perdrait  bientôt  la  vie  qu'il  aurait 
reçue  si  on  l'abandonnait  après  sa  naissance 
et  qu'on  l'exposât  à  toutes  les  injures  de  l'air 
et  à  l'intempérie  des  saisons,  de  même  la  vie 
de  Jésus-Christ  formée  en  nous  par  le  baptê- 
me est  bientôt  éteinte  quand  on  ne  prend 
pas  soin  de  l'y  conserver  et  de  la  fomenter 
par  une  éducation  chrétienne,  de  L'augmen- 
ter par  les  soins,  de  nourrir  ce  nouvel  hom- 
me intérieur  qui  est  enfant,  de  le  soutenir, 
ce  nouvel  homme,  par  le  lait  d'une  sainte 
doctrine,  de  le  garantir  de  l'air  con  agiras 
du  inonde,  et  d'empêcher  qu'il  ne  voie  ou 
qu'il  n'entende  quelque  chose  qui  puisse  don- 
ner atteinte  à  celle  rie  nouvellement fort»  B. 
Test    pourquoi,  mes    frères,    chaque    mère 


chrétienne  doit  être  à  l'égard  de  ses  enfanis, 
dans  la  disposition  où  saint  Paul  dit  aui  Gfl 
laies  qu'il  etail  à  leur  égard  :  il  faul  qu'elles 
soirnl  toujours  dans  l'inquiétude  de  l  enfan- 
tement, jusqu  ,i  ce  qu'elle!  voient  Jésus- 
Christ  forme  en  ras,  c'est-à-dire,  agissant 
en  eux  parla  foi,  par  l'espérance  el  par  la 
charité. 

Vois*,  mes  frères,  ce  que  la  foi  nous  rend 
Certain  ;  mais  n'est-il  pas  encore  aussi  sûr 
par  l'expérience  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  p 
gligé  qu''  cette  éducation  chrétienne 7  A  pei- 
ne en  connaîl-on  les  obligations.  In  père  el 
une  mère  ne  se  regardent  que  dans  un  cer- 
tain ordre  naturel  par  rapport  à  leurs  en- 
fants :  ils  croient  avoir  satisfait  à  toutes 
leurs  obligations  quand  ils  leur  ont  amassé 
du  bien,  qu'ils  les  ont  élevés  dans  la  bien- 
séance et  dans  l'honnêteté,  qu'ils  les  nul 
avancés  dans  les  éludes,  qu'ils  les  ont  ren- 
dus dignes  d'exercer  avec  honneur  les  char- 
ges et  les  emplois  qu'ils  leur  destinent,  et 
qu'ils  leur  ont  procuré  des  alliances  hono- 
rables. On  appelle  un  homme  qui  en  u>e 
ainsi  un  bon  père,  et  un  enfani  heureux 
quand  il  lombe  en  de  semblables  mains  ; 
mais,  ô  mon  Dieu  !  ouvrons  on  peu  les  yeux. 

A  quoi  tous  ces  soins-là  se  terminent-ils? 
Au  monde,  à  la  terre,  à  la  vie  présente,  au 
temps.  Ce  père  dans  tous  ces  mouvements- 
là  n'a  en  vue  que  l'établissement  de  son  en- 
fant. Tout  se  termine  à  la  terre,  à  une  for- 
tune qui  durera  peut-être  vingt,  peut-élre 
trente  ans,  comme  si  cet  enfant  n'était  que 
pour  le  monde,  comme  s'il  n'y  avait  point 
d'autre  félicité  pour  lui,  et  voilà  cet  enfant 
livré  au  monde.  lÀsl-ce  là  en  bonne  foi,  mes 
frères,  une  éducation  telle  qu'on  la  doit  don- 
ner à  un  chrétien  destiné  pour  le  ciel,  à  qui 
le  monde  et  la  fortune  ne  doivent  servir  que 
de  moyen  pour  y  arriver,  et  qu'il  est  obligé 
de  fouler  aux  pieds  el  d'abandonner  quand 
ils  deviennent  un  obstacle  à  son  salut  et  à 
sa  fin  ?  Un  père  et  une  mère  ne  se  regardent 
presque  jamais  dans  l'ordre  surnaturel  el  du 
côté  de  1  âme  :  ils  ne  comprennent  point  que 
Dieu  les  associe  avec  lui  dans  l'ouvrage  de 
la  prédestination  et  du  salut  de  leurs  enfants, 
qu'il  les  a  rendus  les  dépositaires  de  sa  grâ- 
ce, el  que,  pouvant  lui  seul  faire  le  salul  de 
ses  élus,  parce  que  véritablement  ce  aalal  est 
son  ouvrage,  il  a  voulu  que,  comme  il  se  lait 
pendant  celle  \ie  par  l'alliance  des  œuvres 
avec  la  foi,  il  se  commençât  pendant  l'en- 
fance par  l'alliance  de  l'éducation  avec  la 
grâce  du  baptême. 

Il  y  aurait  une  infinité  de  raisons  à  don- 
ner de  celte  conduite  de  Dieu,  qui  marque  sa 
miséricorde  par  la  facilité  qu'il  a  \oulu  don- 
ner à  l'homme  pour  son  salut,  el  avec  com- 
bien de  justice  il  le  condamne  lorsqu'il  l'a 
négligé.  Mais  tenons-nous-en  à  notre  sujet; 
il  suflit  que  nous  fassions  voir  ;in\  pères  et 
aux  mères  chrétiens  comment  l'ieu  les  asso- 
cie à  l'ouvrage  du  salul  de  leurs  enfants; 
comment  il  leur  abandonne  ces  jeunes  âmes 
ci  ces  jeunes  niante;.,  comme  une  terre  où  il 
vient  de  r.  pandre  la  semence  de  l'éternité, 
afin  qu  ils  la  cultivent  :  comment  elle  ne  peut 


SERMON  POUR  LE  MARDI  DE  LA  PREMIERE  SEMAINE  DE  CAREME. 


558 


y  cire  conservée  que  par  leurs  soins,  et 
qu'elle  y  meurt  misérablement  quand  ils  la 
négligent. 

Que  ces  pères  et  ces  mères  me  disent  main- 
tenant quelle  est  l'application  qu'ils  ont  don- 
née et  qu'ils  donnent  à  ces  devoirs  si  impor- 
tants ;  qu'ils  nous  disent  s'ils  ont  seulement 
connu  celte  obligation,  et  si,  s'élevant  au- 
dessus  des  vues  de  la  terre  et  du  monde,  ils 
ont  regardé  leurs  enfants  dans  cet  ordre  de 
Dieu.  Qu'ils  reconnaissent  donc  ici  leur  né- 
gligence, mais  qu'ils  reconnaissent  que  la 
plupart  de  leurs  enfants,  ayant  perdu  la 
grâce  de  leur  baptême  en  acquérant  l'usage 
de  la  raison,  sont  tombés  sous  la  puissance 
flu  démon ,  qui  les  tourmente  misérable- 
ment. 

Nous  voyons  les  effets  sensibles  de  celle 
possession  tous  les  jours,  mais  nous  ne  re- 
montons jamais  jusqu'à  la  source,  et  c'est 
notre  amour-propre  qui  nous  la  cache,  de 
peur  de  nous  i  onfondre  en  nous  ia  décou- 
vrant ;  mais  pour  vous  la  faire  voir,  il  faut 
vous  faire  observer  en  quoi  consiste  cette 
possession.  Elle  consiste  ,  mes  très-chers 
fi  ères ,  dans  l'asservissement  de  l'âme  au 
démon  par  le  péché,  dans  la  soumission  à  ses 
lois;  car,  comme  nous  l'avons  dit  avec  saint 
Paul, vous  êtes  l'esclavedeceluiquevous servez. 
Il  ne  faut  donc  pas  s'attendre  à  voir  les  effets 
de  celte  malheureuse  possession  par  les  agi- 
tations du  corps,  c'est  par  le  dérèglement 
des  passions  ;  ce  n'est  pas  par  des  mouve- 
ments contraires  aux  lois  de  la  nature,  c'est 
par  une  conduite  opposée  à  la  loi  de  Dieu. 

Ainsi,  pères  et  mères,  quand  vous  vous 
plaignez  des  emportements  d'un  enfant,  que 
vous  lui  voyez  passer  trente  années  dans  la 
débauche,  dissiper  son  bien,  se  marier  con- 
tre votre  gré,  vous  outrager  en  votre  per- 
sonne, vous  déshonorer  dans  votre  réputa- 
tion ,  dites  alors  qu'il  est  tourmenté  par  le 
démon,  mais  demandez  à  Dieu,  comme  la 
Ghananéenne,  qu'il  ait  pitié  de  vous.  Si  vous 
remontiez  jusqu'à  la  source  de  ces  désor- 
dres, vous  seriez  pour  la  plupart  obligés  de 
dire  comme  ce  père  à  qui  Jésus-Christ  de- 
mandait depuis  combien  de  temps  son  fiis 
était  agité  du  démon,  cl  qui  lui  répondit  que 
c'était  dès  son  enfance;  car  il  est  souvent 
vrai  que  les  dérèglements  dont  vous  vous 
plaignez  sont  les  suites  déplorables  de  la 
perte  de  l'innocence  du  baptême,  qui  s'est 
laite  dans  voire  maison,  dans  votre  sein,  par 
votre  négligence  et  souvent  par  votre  mi- 
nistère. 

Voilà  donc  cette  possession  et  ses  effets  ; 
voilà  de  quelle  manière  la  plupart  des  enfants 
sont  tourmentés  par  le  démon  comme  la  tille 
de  la  Chananécnne. 

Mais  parce  que  ce  n'est  pas  assez  de  dé- 
couvrir des  maux  si  nous  n'en  donnons  les 
remèdes,  et  que  même  ces  remèdes  ne  pour- 
raient pas  être  appliqués  si  utilement  si  uous 
ne  découvrions  la  source  des  maux,  mar- 
quons ici  par  quels  degrés  le  démon  ren  re 
dans  une  âme  d'où  il  a  été  chassé  par  le 
baptême,  et  comment  il  s'en  remet  en  pos- 
'on  pour  )a  tourmenter  ensuite  miséra- 


blement par  le  dérèglement  des  passions, 
par  le  désordre  de  ia  conduite  et  par  une  vie 
tout  opposée  aux  engagements  du  bap- 
tême. 

Je  trouve  trois  différentes  voies  qui  rou- 
vrent l'entrée  au  démon  et  par  lesquelles  il 
revient  dans  l'âme  pour  la  tourmenter  :  la 
concupiscence,  les  préventions  et  l'exemple. 
La  concupiscence,  qui  demeure  après  le  bap- 
tême et  qui  est  favorable  au  démon,  incline 
l'âme  du  côté  du  mal;  les  préventions  la  sé- 
duisent en  faveur  du  monde,  et  enfin  l'exem- 
ple l'entraîne  dans  le  désordre. 

L'homme,  formé  pour  être  heureux,  dé- 
sire de  l'être.  Ce  bonheur,  avant  sa  chute, 
consistait  en  deux  choses  :  dans  l'éloigne- 
ment  du  mal  et  de  la  douleur,  et  dans  la 
jouissance  du  repos,  du  plaisir  et  de  la  oaix. 
L'homme,  déchu  par  le  péché  de  cette  jouis- 
sance du  plaisir,  n'est  plus  que  dans  l'espé- 
rance durant  celle  vie.  Il  ne  veut  point  se 
résoudre  à  aitendre,  il  veut  goûter  du  plai- 
sir dès  à  présent;  il  cherche,  il  trouve  des 
apparences,  il  se  laisse  prendre  à  ce  qui  le 
touche  :  première  source  de  chute,  première 
voie  qui  fait  rentrer  le  démon  dans  une 
âme. 

Celte  première  corruption  intérieure,  qui 
est  la  concupiscence,  s'unit  avec  une  autre 
qui  est  extérieure,  et  qui  n'est  nuire  chose 
que  les  préventions  et  les  préjugés  du  monde. 
L'une  fait  chercher  l'autre,  qui  s  offre  et  se 
présente.  Mais  avant  d'aller  plus  loin,  il  faut 
entendre  ce  que  signifie  ce  mot  de  concu- 
piscence, qu'on  ne  prend  ordinairement  que 
pour  les  désirs  déréglés  de  la  chair,  et  qui 
néanmoins  s'étend  beaucoup  plus  loin  ;  car, 
selon  l'idée  que  nous  en  donne  saint  Augus^ 
tin,  c'est,  à  proprement  parler,  un  certain 
poids  que  le  péché  laisse  en  nous,  par  lequel 
l'âme  est  inclinée  et  penche  vers  la  terre,  où 
elle  est  toujours  prêle  à  s'attacher  par  le 
désir  de  jouir  des  créatures;  c'est  un  certain 
fond  de  corruption  que  les  théologiens  ap- 
pellent l'amorce  du  péché,  c'est-à-dire  une 
inclination  qui  porte  l'homme  à  désirer  ce 
que  Dieu  défend  et  à  rejeter  ce  qu'il  com- 
mande ;  c'est  comme  une  espèce  de  forge  al- 
lumée en  nous  par  le  feu  du  péché,  d'où  sor- 
tent les  armes  malheureuses  des  passions 
dont  le  démon  se  sert  pour  nous  engager  à 
détruire  nous-mêmes  noire  innocence;  c'est 
un  feu  tout  prêt  à  s'allumer,  dans  lequel  il 
souffle  incessamment  pour  causer  en  nous 
ces  ardeurs  qui  nous  portent  avec  tant  de 
véhémence  vers  les  objets  qui  nous  plai- 
sent. 

Voilà  la  disposition  où  nous  sommes  tous 
après  le  baptême.  Avec  un  fonds  naturel 
très-susceptible  de  la  corruption  dont  le 
monde  est  rempli,  les  préventions  qui  nous 
parlent  en  sa  laveur  nous  séduisent  bien 
vile.  Etant  reçues  dans  ce  mauvais  fond,  un 
enfant  ne  voit  et  n'entend  rien  qui  m>  lui 
parle  on  faveur  du  monde,  vers  lequel  son 
âme  penche  et  est  toujours  prête  à  s'engager 
par  le  désir.  H  ne  voit  que  des  objet-,  qui 
flattent  ses  sens,  il  n'entend  que  des  discours 
qui  sout  capables  de  lui  persuader  que  la 


-.:.'• 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


9M 


souveraine  félicité  consiste  dan9  la  jouis- 
sance de  ce  que  le  monde  promet  :  ju;;ez  des 
ra*a:^cs  que  ces  secours,  unis  à  la  COOCD- 
pisccncc,  peuvent  produire  dans  une  âme 
qu'elle  lient  toute  penchée  du  côté  de  la  terre 
et  du  monde. 

C'est  là,  mes  frères  ,  ce  que  j'appelle  les 
préventions  qui  séduisent  un  jeune  cœur. 
Hé!  comment  pourrait-il  s'en  défendre,  puis- 
que nous-mêmes,  avec  tout  le  secours  que 
nous  avons  et  qu'il  n'a  pas,  nous  avons  bien 
de  la  peine  à  nous  en  garantir?  Comment 
voulez-vous  qu'il  n'estime  pas  le  monde  et 
tout  ce  que  le  monde  prometVSon  propre  fonds 
l'en  sollicite  :  vos  discours,  vos  souhaits,  vos 
approbations,  vos  projets,  vos  manières,  vos 
chagrins  même,  tout  parle  en  sa  faveur. 
Il  estime  donc  ce  que  vous  estimez,  il  désire 
ce  qu'il  estime,  il  aime  ce  qu'il  désire,  et  c'est 
cet  amour  qui  le  perd,  car  il  consacre  à  ce 
monde  les  premiers  mouvements  de  son 
cœur,  et  il  en  chasse  Dieu  pour  qui  il  est 
créé  et  à  qui  il  avait  été  consacré  par  le  bap- 
tême. 

Dès  qu'il  a  fait  un  pas  dans  le  monde,  il  se 
laisse  emporter  où  le  torrent  de  la  coutume 
et  de  l'exemple  entraîne  tous  ceux  qu'une 
éducation  chrétienne  n'a  pas  fortifiés  :  ainsi 
vous  les  voyez  bientôt  livrés  à  toutes  sortes 
d'excès,  agités  par  leurs  passions,  plus  mal- 
heureux que  la  fille  de  la  Chananéenne, 
parce  que  c'est  leur  âme  qui  est  tourmentée 
par  le  démon  ;  mais  ne  vous  effrayez  pas, 
vous  avez  dans  les  mains  les  remèdes  à  ces 
maux,  pères  et  mères  chrétiens  ;  ce  qu'il  y  a 
de  triste,  c'est  que  vous  ne  pensez  pas  à 
vous  en  servir  :  je  vais  vous  les  exposer  dans 
la  deuxième  partie  de  ce  discours. 

DEUXIÈME  PARTIE. 

Puisque  nous  avons  remarqué  que  le  dé- 
mon se  remet  en  possession  de  l'âme  d'où  il 
a  été  chassé  par  le  baptême,  en  y  retournant 
par  trois  voies  qui  lui  en  ouvrent  le  chemin, 
il  est  facile  de  comprendre  que  le  soin  des 
mères  chrétiennes  les  doit  appliquer  à  fermer 
ces  trois  voies  au  démon  et  à  conserver  la 
grâce  du  baptême  dans  leurs  enfants,  1"  par 
le  soin  de  combattre  la  concupiscence  dans 
ses  premiers  mouvements;  "2°  par  le  soin  de 
verser  de  bonnes  impressions  dans  leurs  es- 
prits contre  les  préventions  ;  3°  par  le  soin 
de  les  engager  comme  naturellement  dans  le 
bien  par  de  bons  exemples,  de  leur  cacher  le 
monde  et  de  les  cacher  eux-mêmes  aux  yeux 
du  monde. 

Ajoutons  un  quatrième  moyen,  qui  est  un 
moyen  général  de  réussir  et  sans  lequel  on 
ne  peut  réussir,  qui  est  de  recourir  à  Dieu 
par  la  prière.  Nous  parlerons  plus  particu- 
lièrement de  la  prière  et  du  recours  à  Dieu 
par  les  gémissements,  lorsque  nous  marque- 
rons ce  qu'on  peut  faire  pour  réparer  les 
défauts  do  l'éducation  quand  on  a  manqué 
de  la  donner  à  ses  enfants  et  qu'on  les  voit 
tourmentés  misérablement  par  le  démon  dans 
un  âge  où  ils  ne  sont  plus  sous  la  conduite 
des  pères  et  mères. 

Contentons-nous  de  vous  dire  seulement  que 
vous  ne  devez  jamais  manquer  d'offrir  vos 


enfants  à  Dieu,  et  de  lui  demander  tous  les 
ioori  qu'il  les  conserve  dans  la  grâce  de  leur 
baptême. Une  illustre  princesse,  c'était  sainte 
Elisabeth,  allait  à  l'église  dès  qu'elle  se  trou- 
vait enceinte,  et  offrait  à  Dieu  le  fruit  de  ses 
entrailles,  faisant  continuellement  d<  s  \<iux 
pour  qu'il  pût  recevoir  la  çrâce  du  baptême, 
et  elle  les  continuait  toujours  pour  obtenir 
de  Dieu  qu'il  la  lui  conservât.  Ce  doit  être 
là  une  des  principales  dévolions  d'une  mère 
chrétienne.  Une  foule  de  femmes  saintes  et 
illustres  nous  en  ont  donné  l'exemple;  et  en 
vérité,  être  chargé  de  l'éducation  d'un  en- 
fant, être  dépositaire  de  la  grâce  de  Jésus- 
Christ,  avoir  son  salut  entre  les  mains,  ce 
salut  duquel  on  doit  répondre  à  Dieu,  c'est 
quelque  chose  d'assez  important  pour  re- 
courir souvent  à  lui  par  la  prière  et  lui  de- 
mander continuellement  qu'il  nous  aide  par 
sa  miséricorde  à  nous  acquitter  d'une  obli- 
gation si  fort  élevée  au-dessus  de  nos  forces. 
Le  moyen  est  donc  entre  vos  mains  :  l'avez 
vous  fait?  le  faites-vous? 
'.  Vous  devez  vous  appliquer  à  réprimer  les 
premiers  mouvements  de  la  concupiscence 
qui  paraissent  dans  les  enfants  :  la  ven- 
geance dans  leurs  petits  ressentiments,  la 
gourmandise  dans  leurs  avidités,  l'orgueil 
dans  leurs  obstinations,  et  toutes  les  autres 
petites  étincelles  qui  sortent  de  celte  four- 
naise de  tous  les  vices,  ainsi  que  nous  ve- 
nons d'appeler  la  concupiscence,  qui  n'est 
pas  encore  assez  allumée  pour  causer  des 
incendies  ,  mais  qui  les  causera  si  vous 
n'amortissez  pas  ces  petites  ardeurs  nais- 
santes. 

Il  faut  pour  celade  la  force, dit  saint  Iiernard; 
il  ne  faul  pas  se  laisser  vaincre  par  un  faux 
amour  pourses  enfants,  qui  vous  porteàleur 
pardonner  tout  à  cause  delà  faiblesse  de  leur 
âge,  car  ils  savent  bien  qu'ils  font  mal.  S'ils 
ne  le  savaient  pas,  ils  ne  se  cacheraient  pas 
pour  le  faire,  ils  ne  rougiraient  point  quand 
on  les  en  reprend.  Il  faut  donc  les  punir  pour 
réprimer  ces  premiers  mouvements,  et  leur 
faire  sentir  par  la  punition  leurs  devoirs, 
s'ils  ne  sont  pas  capables  de  les  comprendre 
par  raison.  11  faut  de  la  discrétion  dans  les 
punitions,  mais  aussi  il  ne  faut  point  de  fai- 
blesse. Ayez  de  la  tendresse,  mais  défiez- 
vous  du  faux,  amour;  surtout  ne  faites  rien 
ni  par  emportement  ni  par  humeur. 

Kn  second  lieu  vous  devez  preudre  soin  de 
verser  de  bonnes  impressions  dans  leur  es- 
prit, pour  les  garantir  des  préventions  qui 
peuvent  les  séduire.  11  faut  commencer  par 
leur  donner  une  grande  idée  de  la  religion: 
de  Dieu,  qui  en  est  l'auteur;  de  sa  puissance, 
qui  nous  a  créés;  de  sa  miséricorde,  qui 
nous  a  rachetés;  de  sa  honte,  qui  nous  a 
destinés  pour  la  gloire. 

Il  faut  leur  faire  entendre  que  le  ciel,  qu'il 
nous  a  promis,  doit  être  la  récompense  des 
bonnes  œuvres,  qu'elles  doivent  être  produi- 
tes par  l'amour  de  Dieu,  et  qu'elles  consis- 
tent dans  la  pratique  de  sa  loi;  il  faut  leur 
apprendre  ce  qu'elle  ordonne  et  ce  qu'elle 
détend,  leur  donner  de  l'amour  pour  l'un  et 
de  l'horreur  pour  l'autre,  leur  faire  entendre 


3G1 


GERMON  POUR  LE  MARDI  DE  LA  PREMIERE  SEMAINE  DE  CAREME. 


5Ca 


qu'il  est  bien  plus  facile  et  plus  honnête  de 
l'aire  ce  que  Dieu  commande  que  de  faire  ce 
qu'il  défend,  leur  proposer  la  conduite  des 
saints  et  les  difficultés  qu'ils  ont  surmontées, 
l'éternité  de  cette  gloire  et  de  ses  plaisirs,  la 
courte  durée  de  celle  de  la  terre  et  sa  fin  iné- 
vitable par  la  mort,  les  châtiments  que  Dieu 
prépare  aux  prévaricateurs  de  sa  loi;  leur 
représenter  l'enfer  et  ses  horreurs,  qu'on  ne 
peut  fuir  quand  on  tombe  dans  le  péché. 

Il  faut  leur  insinuer  qu'on  est  attaqué  par 
des  tentations  quand  on  marche  dans  les 
voies  de  Dieu,  que  le  monde  parmi  lequel  on 
a  à  vivre  est  tout  plein  de  sujets  révoltés 
contre  Dieu,  qu'il  faut  les  éviter  comme  ses 
ennemis,  qu'ils  enseignent  et  pratiquent  des 
maximes  contraires  à  sa  loi,  qui  leur  sont 
inspirées  par  le  démon  ,  auquel  ils  obéis- 
sent; que,  comme  nous  sommes  misérables 
et  que  sans  la  grâce  nous  serions  du  nombre 
de  ses  ennemis,  nous  nous  sentons  portes  à 
suivre  ces  détestables  maximes  par  un  mau- 
vais fonds  qui  est  en  nous,  mais  qu'il  faut 
résister  à  ces  tentations  et  intérieures  et  ex- 
térieures, en  recourant  à  Dieu  par  la  prière, 
par  la  lecture  et  la  méditation  des  saintes 
Ecritures,  par  la  fréquentation  des  sacre- 
n.ents,  dont  il  faut  leur  exposer  la  force  et  la 
vertu,  par  la  retraite,  par  la  société  des  gens 
de  bien,  avantage  qu'il  leur  faut  procurer  de 
bonne  heure. 

Il  faut  réduire  les  principales  vérités  de  la 
religion  à  des  maximes  générales,  courtes, 
faciles,  qu'on  leur  répète  souvent  pour  les 
leur  mettre  dans  l'esprit,  sans  les  rebuter.  Ce 
furent  de  semblables  impressions ,  versées 
dès  la  jeunesse  dans  l'âme  du  vénérable 
Elcazar,  qui  le  rendirent  intrépide  à  la  vue 
de  la  mort,  et  qui  l'obligèrent  de  s'y  livrer 
plutôt  que  d'être  infidèle  à  la  loi  de  son  Dieu. 
Ces  impressions,  qu'il  avait  reçues  dès  son 
bas  âge  ,  le  défendirent  dans  sa  vieillesse 
contre  la  sollicitation  de  ses  faux  amis. 

Ce  furent  encore  de  semblables  impres- 
sions, versées  dans  l'âme  de  la  chaste  Su- 
Banne,  qui  lui  firent  mépriser  les  sollicita- 
tions, les  menaces  et  les  dangers  où  la  jeta 
la  passion  des  deux  vieillards  qui,  n'ayant 
pu  lui  ravir  l'honneur,  attentèrent  à  sa  vie. 
L'Ecriture  nous  en  rend  un  témoignage  for- 
mel :  elle  dit  que  ses  parents  étaient  des 
gens  justes ,  qui ,  s'acquitlant  des  devoirs  de 
leur  condition,  lui  avaient  appris,  en  l'ins- 
truisant selon  la  loi,  à  ne  pas  craindre  la 
mort  quand  il  s'agissait  de  perdre  l'inno- 
cence et  la  grâce  de  Dieu. 

Croyez-vous,  pères  et  mères,  que  de  sem- 
blables impressions,  versées  dans  l'âme  de 
vos  enfants  avec  le  même  esprit,  ne  produi- 
raient pas  de  semblables  effets?  Vous  avez 
dû  le  faire,  vous  l'avez  pu  :  l'avez-vous  fait? 
Examinez-vous  là-dessus. 

En  troisième  lieu,  vous  devez  les  engager 
dans  le  bien  comme  naturellement,  par  de 
bons  exemples,  leur  cacher  le  monde  et  les 
cacher  eux-mêmes  à  ses  yeux.  Comme  co 
devoir  est  un  des  plus  importants  de  votre 
état,  il  renferme  aussi  un  des  moyens  les 
plus  efficaces  pour  réussir  à  retenir  vos  en- 

OllATF.CRS    SVCRÉS.    XXX. 


fants  dans  le  devoir  et  à  les  former  au  bien. 
Car,  mes  frères,  la  coutume  et  non  pas  la 
raison  est  la  règle  de  la  conduite  de  la  plu- 
part des  hommes,  et  surtout  ils  font  tout  ce 
qu'ils  voient  faire,  sans  trop  se  soucier  de  ce 
qu'on  doit  faire  ni  si  les  autres  font  bien  :  de 
sorte  qu'ils  suivent  dans  leurs  mœurs  et 
dans  leurs  opinions  la  mode  qu'ils  trouvent 
établie  ,  comme  ils  la  suivent  dans  leurs 
habits. , 

Or,  mes  frères,  si  cela  est  vrai  des  hom- 
mes formés,  qui  se  devraient  conduire  par 
la  raison,  cela  l'est  encore  davantage  pour 
des  enfants  qui  n'en  ont  point,  et  qui  natu- 
rellement imitent  ce  qu'ils  voient  faire. 
Comme  ils  ne  voient  que  vous, ils  n'ont  puint 
d'autre  modèle  que  celui  que  vous  leur  don- 
nez :  le  respect,  la  crainte,  l'amour,  le  be- 
soin qu'ils  ont  de  vous,  tout  les  porte  à  se 
former  sur  vous;  et  si  un  ancien  Père  a  dit 
autrefois  que  ce  que  nous  entendions  dire  et 
ce  que  nous  voyions  lai.  c  souvent  acquérait 
la  force  et  l'autorité  d'une  loi  pour  nous, 
l'expérience  ne  nous  fait-elle  pas  voir  tous 
les  jours  que  nous  nous  conformons  aux 
mœurs  de  nos  amis  et  que  nous  ressemblons 
à  ceux  avec  qui  nous  vivons? 

Il  dépend  donc  de  vous  en  partie  de  former 
les  mœurs  de  vos  enfants  par  les  vôtres,  et  do 
les  prévenir  contre  la  force  du  mauvais 
exemple  en  les  établissant  dans  la  pratique 
du  bien  par  la  loi  des  exemples  qui  ne  leur 
montrent  que  la  vertu. 

Vous  devez  leur  cacher  le  monde  et  les 
cacher  eux-mêmes  à  ses  yeux.  Qu'est-ce  que 
de  les  cacher  au  monde?  C'est  de  ne  pas 
souffrir  qu'ils  en  goûtent  les  plaisirs,  qu'ils 
en  voient  les  pompes  et  la  vanité;  ou  du 
moins,  si  on  la  leur  montre  en  partie  et  si  on 
leur  en  parle,  comme  cela  est  même  néces- 
saire à  un  certain  âge,  c'est  de  leur  en  mon- 
trer en  même  temps  tout  le  faux,  tout  le 
puéril,  en  un  mot  le  mauvais  côté,  qui  est 
toujours  le  côté  vrai.  Qu'est-ce  que  de  les 
cacher  aux  yeux  du  monde?  C'est  ne  pas 
souffrir  que  ceux  avec  qui  ils  sont  liés  leur 
en  inspirent  l'amour  ,  en  leur  parlant  des 
choses  qui  s'y  passent,  en  les  louant  de  leur 
beauté,  de  leur  bonne  grâce,  de  leur  esprit , 
de  leurs  ajustements. 

Mais,  ô  mon  Dieu!  que  ce  langage  est  peu 
entendu  des  pères  et  des  mères!  Ils  produi- 
sent leurs  enfants  au  monde,  ils  se  réjouis- 
sent quand  ils  les  voient  propres  pour  y 
réussir;  ils  tirent  vanité  des  applaudisse- 
ments que  le  monde  donne  à  des  qualités 
naissantes,  qui  peut-être  seront  la  cause  de 
leur  damnation.  Une  mère  qui  ne  peut  plus 
être  du  monde  p.ir  elle-même  continue  à  en 
être  par  sa  fille  :  elle  s'en  sert  pour  attirer 
du  monde  chez  elle,  et,  semblable  â  ces  gens 
dont  il  est  parlé  dans  les  Actes,  qui  s'irritè- 
rent contre  l'apôtre  saint  Paul,  qui  chassa 
un  esprit  de  python,  c'est-à-dire  do  devine- 
resse, qui  était  dans  une  fille  qui  leur  appar- 
tenait et  qui,  attirant  beaucoup  de  monde, 
chez  eux,  leur  apportait  un  fort  grand  gain; 
elle  fait  commerce  de  la  beauté,  de  l'esprit, 
de  l'enjouement  et  des  autres  qualités  d'un 

M 


OKATKl'RS  SACRES.  t)0\!  JEROME. 


enfant,  funestes,  à  l'innocence  et  dangereuses 
pour  son  salut,  et  quand  on  entreprend  de 
parler  contre  les  jeux,  les  danses,  les  assem- 
blées, les  parties  de  plaisir  où  ces  dangereu- 
ses qualités  s'étalent  avi  c  pompe  et  avec 
éclat,  on  nous  traite  comme  le  furent  saint 
Paul  et  Silas  :  Ces  /tommes  troublent  toute 
notre  ville  ;  ce  sont  des  Juifs  qui  veulent  in- 
troduire une  manière  de  vie  qu'il  ne  nous  est 
pas  permis,  à  nous  qui  sommes  Romains,  de 
recevoir  et  de  suivre.  Voila  le  langage  que 
tiennent  contre  les  ministres  de  Jésus-Christ 
qui  ont  un  peu  d'exactitude  les  pères  et  les 
mères  qui  sont  du  monde  et  qui  veulent  que 
leurs  enfants  en  soient  :  Vous  vous  troublez 
par  votre  sévérité;  ce  que  vous  nous  dites 
n'est  bon  que  pour  vous  qui  êtes  hors  du 
monde  ,  mais  il  est  impraticable  pour  les 
gens  qui  en  sont. 

Vous  voyez  donc  ,  pères  et  mères ,  que 
vous  avez  des  moyens  en  main  pour  empê- 
cher le  retour  du  démon  dans  l'âme  de  vos 
enfants,  et  que  vous  ne  vous  en  servez  pas, 
du  moins  pour  la  plupart.  Vous  contribuez 
donc  à  les  mettre  dans  un  état  plus  miséra- 
ble que  celui  de  la  fille  de  la  Chananéenne. 
Est-il  possible  que  vous  ne  connaissiez  pas 
l'intérêt  que  vous  avez  dans  leur  perte? 
Essayons  de  vous  le  faire  sentir  dans  la  troi 
sième  partie  de  ce  discours. 

TROISIÈME  PARTIE. 

Il  ue  faut,  mes  frères,  que  le  seul  exemple 
du  châtiment  de  Dieu  sur  la  personne  du 
grand  prêtre  Héli  pour  vous  faire  compren- 
dre combien  vos  intérêts  sont  mêlés  avec 
ceux  de  vos  enfants,  et  que  vous  ne  sauriez 
les  exposer  à  la  possession  du  démon,  en  né- 
gligeant leur  éducation,  sans  vous  exposer  à 
une  damnation  éternelle. 

Ce  grand  prêtre  était  d'une  vertu  recon- 
nue, et  si  la  Providence  ne  l'eût  pas  fait  père 
de  deux  enfants,  la  justice  de  Dieu  n'eût 
peut-être  ri«3n  trouvé  en  sa  personne  di.  ne 
de  châtiment  ;  mais  il  eut  de  l'indifférence 
pour  l'éducation  de  ses  enfants,  comme  la 
plupart  des  hommes.  Qu'arriva-t-il,  nies  frè- 
res? Dieu  permit  qu'il  fût  affligé  par  de  très- 
grandes  disgrâces  :  ces  deux  mêmes  enfants 
furent  lues  a  la  guerre,  et  enGn  ce  vénérable 
vieillard,  tombant  de  sa  chaire,  se  tua  misé- 
rablement; et  c'est  ainsi  que  Dieu  mit  quel- 
que proportion  entre  son  châtiment  et  son 
crime,  et  lit  connaître  qu'il  mourait  pour 
n'avoir  pas  dignement  occupé  celte  chaire, 
en  négligeant  ics  obligations  que  la  qualité 
de  maître  de  ses  enfants  lui  imposait. 

S'il  vous  faut  des  raisons  particulières 
pour  vous  convaincre  que  cette  sévérité  de  la 
justice  de  Dieu  est  équitable,  sachez  qu'en 
manquant  à  ce  d  voir  vous  avez  exposé  la 
grâce  que  Jésus-Christ  avait  mise  dans  l'âme 
de  vos  enfants  par  le  baptême:  que  vous 
avez  violé  es  ordres  que  la  Providence  avait 
établis  pour  le  salut  de  vos  enfants  ;  que 
vous  avez  abandonné  ceux  dont  il  voulait 
que  vous  fussiez  les  prolecteurs  :  car  c'esi  la 
qualité  qu'on  pcul  donner  à  un  père  cl  a  une 


mère  chrétiens  :  Jésus-Christ  lear  confie 

élus;  et  qu'enfin  rou«  :.v< ■/  VÎO  é  une  obi 
tion  essentielle  de  votre  état  de  père  et   de 
rnère. 

En  voilà  assez  pour  vous  faire  lentir  l'in- 
térêt que  vous  avez  dans  le  danger  de  vos 
enfants, puisque  v  us  en  répon  Irez  sur  votre 
salut.  Mais,  me  direz-vons,  \  a-i-il  point  «te 
moyen  de  réparer  les  tautes  que  j'ai  faites 
dans  l'éducation  de  mes  enfants?  Il-  ion 
eux,  ils  ne  sonl  plus  sous  ma  conduite.  Je 
suis  peut-être  cause,  pour  ne  les  avoir  pas 
bien  élevés,  des  péchés  qu'il-  commettent  ai. 
jourd'hui  :  faut-il  que  je  périsse,  et  n'y  t-t-il 
point  de  miséricorde  pour  moi?  N'outrons 
rien,  mes  frères,  en  cette  vie  il  n'y  a  point 
de  péché  dont  nous  ne  puissions  obtenir  mi- 
séricorde. Il  faut,  1*  comme  la  Chananéenne 
de  notre  évangile,  que  vous  recouriei  à  Jc- 
sus-Clirisl  et  que  vous  lui  disiez  a\ec  larmes 
et  avec  gémissements  :  Mon  i'ieu,  ayez  com- 
passion de  moi;  ne  m'imputez  pas  les  péchés 
de  mes  enfants,  dans  lesquels  j'ai  tant  de 
part  à  cause  de  la  négligence  et  de  la  fai- 
blesse que  j'ai  eues  dans  leur  éducation  !  Ce 
n'est  pas  sans  raison  que  saint  Paul  dit  que 
la  vie  d'une  veuve  chrétienne  doit  être  une 
vie  de  larmes  et  de  gémissements  :  elle  a  or- 
dinairement bien  des  fautes  à  pleurer,  et  si 
elle  examine  avec  soin  tous  les  manque- 
ments qui  lui  sonl  arrivés  dans  la  pratique 
de  ses  devoirs,  elle  ne  saurait  assez  gémir. 
Mais  souvenez-vous  que  Dieu  ne  se  coutente 
pas  de  larmes  stériles  ni  d'inutiles  gémisse- 
ments :  faites-en  une  sérieuse  pénitence. 

2°  Essayez,  par  toutes  sortes  de  voies  de 
douceur  et  de  charité, de  donner  avec  adresse 
de  bons  conseils  à  vos  enfants,  à  qui  vous 
avez  manqué  de  donner  l'éducation  que  vous 
leur  deviez.  Essayez  de  leur  inspirer  l'amour 
du  bien  et  de  les  retirer  du  monde  et  du  mal, 
en  prenant  garde  cependant  de  les  irriter 
contre  vous,  ^'il  vous  reste  encore  du  bien  à 
1<  ur  faire,  s'ils  espèrent  quelque  chose  de 
vous,  servez-vous  de  ce  moyen  pour  vous 
faire  écouter  :  l'intérêt  rend  les  gens  atten- 
tifs et  dociles.  Priez  incessamment ,  et  faites 
prier  et  pour  eux  et  j  ur  vous.  Quand  même 
vous  leur  auriez  donne  une  éducation  extrê- 
mement chrétienne,  ne  manques  jamais  à  ce 

voir.  Job  vous  en  a  donne  un  admirable 
exemple;  car  quoiqu'il  eût  irès-bien  élevé 
ses  enfants,  jusque-là  même,  comme  le  re- 
marque saint  Grégoire,  que  dans  tous  les 
f,  slins  qu'ils  firent  ensemble  ils  ne  péchèrent 
point,  ni  dans  leurs  actions,  ni  dans  leurs 
discours,  il  disail  n  aiuuoins.  en  offrant  tous 
les  jours  à  Dieu  des  sacrifices  :  Pestf-étre 
qu'ils  ont  péché  et  qu'ils  n'onl  pas  béni  Di<  u 
dans  leur  cœur.  Ce  saint  homme  a»ait  soin, 
"comme  vous  voyez,  de  purifier  jusqu'à  leur 
cœur  et  à  leurs  pensées,  et  pour  des  enfants 
qui  n'étaient  plus  sous  sa  conduite  et  qui 
étaient  engagés  dans  le  marias  .Quedirojtf  à 
cela  d  s  p<  res  el  des  mères  chrétiens  qui  ne 
connaissent  pas  seulement  les  ouvres  exté- 
rieures de  ceux  qui  leur  sonl  soumis '.'Ouelles 
excuses  pourront-ils  trouver,  eux  qui  ne  -o 
mettent  nullement  en  peine  des  plaies  que 


SERMON  PUlit  LE  JEUDI  DE  LA  PREMIERE  SEMAINE  DE  CAREME. 


*'i>5 

ceux  qui  sont  soumis   à  leur  conduite  ont 
contractées  par  leurs  actions? 

3°  11  faut  que  les  pères  et  mères  fassent  en 
sorte  que  les  enfants  de  leurs  enfants  ne 
soient  pas  négligés,  qu'ils  leur  procurent  de 
leurs  père  et  mère  une  meilleure  éducation 
que  celle  qu'ils  leur  ont  donnée  ;  qu'ils  pren- 
nent soin  qu'on  mette  auprès  d'eux  des  maî- 
tres excellents  pour  la  piété,  la  capacité,  la 
sagesse,  la  raison  et  la  douceur.  11  n'y  a 
point  d'emploi  ni  plus  grand  ni  plus  difûcile, 
que  celui  de  former  l'esprit  et  le  cœur  et  de 
régler  la  conduite  d'un  jeune  homme.  Il  faut 
qu'ils  fassent  mettre  leurs  petites  filles  dans 
des  monastères  ,  mais  bien  choisis  ,  et  où 
la  vanité,  la  mollesse,  l'ambition  n'entrent 
point. 

k"  11  faut  qu'ils  contribuent,  selon  leurs 
moyens,  à  entretenir  les  écoles  de  charité 
des  paroisses  où  on  élève  les  enfants  pau- 
vres :  à  payer  les  honoraires  de  ceux  qui 
leur  font  les  catéchismes  et  qui  les  instrui- 
senl;  enfin  qu'Usaient  recours  à  la  miséri- 
corde de  Dieu,  qu'ils  gémissent  devant  Dieu, 
en  faisant  ce  que  je  viens  de  marquer,  et 
qu'ils  espèrent  qu'il  leur  fera  miséricorde. 

Par  rapport  aux  enfants  qui  reconnaissent 
que  leurs  pères  et  mères  les  ont  négligés,  et 
qu'ils  n'en  ont  reçu  nulle  éducation,  l8  il 
faut  qu'ils  tâchent  par  la  lecture  des  bons  li- 
vres à  se  remplir  des  vérités  qui  regardent 
leur  salut,  cl  à  s'instruire  des  devoirs  de  leur 
état ,  qu'on  a  négligé  de  leur  apprendre; 
2°  qu'ils  aienl  recours  à  leurs  pasteurs,  qui 
sont  les  pères  de  leurs  âmes,  à  des  gens  sa- 
ges et  éclairés,  qui  suppléeront  par  leur  ins- 
truction au  défaut  do  leur  éducation  ;  3'  si 
Dieu  les  a  engagés  dans  le  mariage,  et  qu'ils 
deviennent  pères,  il  faut  qu'ils  prennent 
garde  à  ne  pas  tomber  dans  la  même  faute 
à  l'égard  de  leurs  enfants,  qu'on  a  commise 
à  leur  égard. 

Ainsi,  mes  frères,  que  chacun  tâche  d'ac- 
complir ses  devoirs  et  de  réparer  ses  fautes, 
c'est  le  vrai  moyen  d'être  en  grâce  avec 
Dieu  et  d'attendre  avec  confiance  la  misé- 
ricorde que  je   vous  souhaite.  Ainsi  soil-il. 

SERMON 

POUIl   LE    JEUDI  DU  LA   r-REMIKRK  SEMAINE 
DE  CARÊME. 

Sur  la  prière. 

Mulior  ('.liati,iii;r:i  cla  n:» vit  dicens  :  Mis  porc  mei,  l)o- 
mine,  liii  Davi  i ,  Olia  mea  maie  ;i  dœraonto  vexatur. 

emme  cliananéenne  s'écria,  en  disant  :  Seigneur,  (ils 
de  David,  uyet  pitié  de  moi,  ma  fille  eu  misêrubtemenl 

l  ihitt.  niée  pir  le  détuon  (Munit.,  XV,  22). 

Les  saints  Pères  ont  toujours  considéré  la 
conduite  de  celle  femme  chananeenue,  dont 
nous  parle  l'évangile  de  ce  jour,  comme  un 
rare  exemple  de  plusieurs  vertus,  que  le 
Sauveur  du  monde  expos  lit  à  nu>  yeux  pour 
nous  Instruire.  Les  uns  ont  admiré  cette  foi 
vive  qui  la  fait  recourir  à  Jésus-Christ  dans 
sa  misère;  les  autres  ont  été  charmés  de 
celte  patience  héroïque  qui  lui  fait  souffrir 
tous  les  rebuts  du  Sauveur  du  monde  qui 
pénible  la  rejeter;  d'autres  enfin  ont  admiré 


jGo 


celle  humilité  profonde  qui  lui  fail  recevoir 
les  mépris  que  le  Sauveur  du  monde  fait 
d'elle,  nomsetilcmenl  sans  s'en  plaindre, 
mais  même  y  ajoutant  les  traits  les  plus  op- 
posés à  l'orgueil  naturel.  Toutes  ces  vertus 
sont  admirables,  mes  frères,  et  il  n'y  a  rien 
que  de  rare  dans  la  conduite  do  cette  illus- 
tre femme;  mais  comme  toutes  ces  vertus 
n'ont  paru  que  dans  l'exercice,  de  la  prière, 
et  qu'elles  n'ont  été  que  des  accompagne- 
ments qui  l'ont  rendue  parfaite,  parlons  de 
sa  prière  et  des  vertus  qui  l'ont  accom- 
pagnée. 

Apprenons  donc  dans  ce  discours,  1"  qu'il 
faut  prier  :  première  parliej2°  comment  il 
faut  prier  :  seconde  partie.  Apprenons  de 
l'exemple  de  la  Chananéenne  la  nécessité  de 
la  prière,  et  la  manière  de  prier  comme  il 
faut;  ne  soyons  pas  honteux  d'apprendre 
d'une  païenne  comment  i!  faut  accomplir  un 
des  plus  importants  devoirs  de  la  religion. 
Demandons  l'assistance  du  Saint-Esprit. 
Ave,  Maria. 

PREMIERE    PARTIE. 

Je  trouve  deux  raisons  qui  On!  obligé  la 
Chananéenne  d'avoir  recours  à  Jésus-Christ, 
et  qui  sont  pour  tous  les  chrétiens  les  deux 
fondements  de  ia  prière  :  la  première  a  été 
le  sentiment  et  la  vue  do  sa  misère;  la  se- 
conde a  été  l'espérance  en  la  vertu  de  Jésus- 
Christ  qui  pouvait  la  soulager.  Depuis  long- 
temps sa  fil'e  gémissait  sous  l'empire  du  dé- 
mon qui  la  tourmentait,  sans  que  tous  les 
remèdes  humains  lui  eussent  été  d'aucun  se- 
cours. La  réputation  des  prodiges  qu'opérait 
Jésus-Christ  lui  inspire  une  vive  confiance 
que  lui  seul  guérira  sa  fille  malade.  Elle 
vient,  mes  frères,  dit  l'Evangile,  le  trouver 
vers  Tyr  et  Sidon,  et.  comme  un  autre 
Abraham  docile  à  la  voix  de  Dieu,  elle  sort, 
elle  s'éloigne  de  son  pays,  mais  elle  ne  lo 
quitte  que  pour  prier  Jésus-Christ,  et  l»o 
prier  d'une  manière  si  efficace,  que  nous  de- 
vons dire  qu'elle  n'en  sort  que  par  une  se- 
crète prévention  de  la  grâce;  car  elle  pri>, 
et  la  prière,  selon  saint  Augustin,  est  le  pre- 
mier fruit  de  la  foi.  Celle  femme  sort  donc 
d'un  pays  idolâtre,  pressée  par  sa  misère,  sol- 
licitée par  la  réputation  de  Jésus-Christ,  et 
persuadée  qu'il  peut  ia  soulager.  Elle  prie, 
ci  elle  crie  en  priant.  Or,  mes  frère  ,  les  mo- 
lifsqui  ont  engagé  cette  femme  à  recourir  à 
la  prière  sont  les  mêmes  qui  nous  prouvent 
la  nécessité  de  prier.  Il  faut  prier,  mes  frères, 
et  pour  vous  on  convaincre  j'établis  trois 
principes  tirés  de  l'Ecriture  sainte,  d'où  nous 
tirerons  celte  conséquence  :  Donc  il  faut 
prier. 

1°  Nous  sommes  dans  la  misère;  2"  il  n'y 
a  que  la  grâce  de  Jésus-Christ  cl  que  la  puis- 
sance du  Rédempteur  qui  puisse  soulager  no- 
tre misère;  >i"  le  Rédempteur  n'accorde  du 
soulagement  à  notre  mi-ère  qu'à  la  prière. 
Et  d'abord  nous  ne  pouvons  disconvenir  que 
nous  ne  soyons  dans  la  misère  :  c'est  le  fon- 
dement de  la  nécessité  de  la  prière.  Dans  l'é- 
tal d'innocence  l'homme  n'aurait  prie  qu'en 
louant  Dieu  :  depuis  le  péché  nous  ne  devons 


B07 


ORATEURS  SACRES.  ROM   IKIIOMI.. 


plus  prier  qu'en  gémissant.  Saint  Augustin 

nous  dit  qu  il  n'y  aura  pins  de  prière  dans 
l'antre  vie,  parce  qu'il  n'y  aura  plui  île  ten- 
tation, el  que  nous  ne  serons  plus  dans  L'at- 
tente du  bien  qui  nous  est  promis.  Nous  le 
verrons  ce  bien  el  nous  le  posséderons.  Le 
même  Père  nous  faii  comprendre  encore  la 
nécessité  de  prier  dans  celle  vallée  de  mi- 
sère ,  en  se  faisant  celle  question  à  lui- 
même  :  Pourquoi  la  prière  convient-elle  par- 
ticulièrement aux  veuves?  C'est,  dit-il,  à 
cause  qu'elles  sont  ordinairement  privées 
de  loul  secours  cl  de  toute  consolation  hu- 
maine. Ainsi  ,  ajoute-il ,  toute  âme  qui  , 
comme  elle  le  doit  sentir,  se  trouve  aban- 
donnée et  sans  consolation  ici-bas  où  nous 
sommes  éloignés  du  Seigneur  el  comme  bors 
de  notre  pairie,  doit  se  lrou\cr  aussi  sans 
doule  dans  une  espèce  de  viduilé,  dans  la- 
quelle elle  doit  prendre  Dieu  pour  son  défen- 
seur et  pour  son  appui,  el  elle  ne  doit  point 
cesser  d'implorer  sa  protection  et  son  se- 
cours par  de  ferventes  prières. 

Or,  mes  frères,  voilà  notre  étal,  il  n'y  a 
donc  aucun  de  nous  qui  ne  doive  dire  :  .S'ei- 
yneur,  ayez  pitié  de  moi,  mon  âme  est  extrê- 
mement malade  el  tourmentée  par  le  démon. 

En  effet,  nous  pouvons  considérer  le  chré- 
tien, 1*  ou  dans  l'état  du  péché,  2"  ou  nou- 
vellement converti ,  3°  ou  dans  cel  état  de 
justification  qu'on  peut  appeler  un  élal  par- 
fait, par  la  conservation  de  l'innocence  du 
baptême,  ou  par  la  réparation  d'une  péni- 
tence accomplie.  Or,  dans  tous  ces  états,  je 
dis  que  l'homme  est  dans  la  misère,  selon 
l'expression  de  1  Ecriture.  Dans  l'étal  du  pé- 
ché, c'est  la  misère  même.  Voici  comme  en 
parle  le  Prophète  :  Je  suis  enfoncé  dans  un 
abîme  de  boue,  où  je  ne  trouve  point  de  fond  ; 
mes  os  se  sont  séché  s  comme  un  foyer  oit  le 
feu  brûle  sans  cesse;  j'ai  été  frappé  comme 
l'herbe,  el  mon  cœur  est  devenu  sec;  la  pour- 
riture et  la  corruption  se  sont  formées  dans 
mes  plaies.  Voilà  quelle  csl  la  misère  de 
l'homme  dans  l'état  du  péché. 

Que  si  la  miséricorde  de  Dieu  a  déchiré  en 
l'homme  cette  cédule  du  péché,  cette  coulpe 
qui  nous  rend  dignes  de  la  damnation,  si 
elle  nous  a  retirés  de  l'empire  du  démon  par 
l'effusion  de  sa  suinte  grâce  et  de  sa  charité 
divine,  elle  n'a  pas  détruit  les  restes  du  même 
péché;  ils  subsistent,  ils  tiennent  encore  no- 
tre âme  dans  les  liens  cl  dans  une  guerre 
continuelle.  C'est,  mes  frères,  ce  que  les 
nouveaux  pénilcnts  ne  ressentent  que  trop, 
par  les  combats  que  leur  livre  la  mémoire  des 
faux  plaisirs  passés,  et  les  chaînes  invisibles 
qui  les  attachent  encore  malgré  eux  au\ 
créatures  qu'ils  ont  aimées,  les  attirent  vers 
elles,  leur  inspirent  des  affections  criminel- 
tes,  et  leur  causent  des  tentations  terribles  ; 
par  là  ils  sentent  quelle  est  leur  misère.  Lu 
crainte  el  le f]'roi,  dit  le  saint  roi  David,  m'ont 
surpris,  et  je  me  suis  plongé  dans  la  misère, je 
mis  continuellement  tout  courbé,  je  marche 
tout  le  jour  avec  un  visnt/c  triste;  voilà  la  mi- 
sère de  l'homme  converti. 

Celui  qui  est  justifié,  ou  parce  qu'il  a  con- 
servé la  grâce  de  son  baptême, ou  parce  qu'il 


l'a  recouvrée  par  une  sincère  pénit  nce,  <  -t 
encore  dans  la  misère:  il  esl  sur  la  terre,  il 
csl  dans  un  corps  do  mort,  ion  .une  Ml  noie 
à  une  chair  qui  est  une  source  inépuisable 
de  misère.  Ecoutez  ce  que  dit  saint  l'aul  : 
Lorsque  je  veux  faire  le  bien,  je  trouve 
m oi  une  lui  qui  s'y  o]>pose,  parce  que  le  mat 
réside  en  moi  :  car  je  me  plais  dan»  la  loi  d<" 
Dieu  selon  l'homme  intérieur,  c'es'-a-  ire. 
Ion  saint  Augustin,  selon  l'homme  renou- 
velé, el  c'est  l'effet  de  la  grâce  de  Jésus- 
Christ;  mais  je  sens  une  autre  M  dan»  les 
membres  de  mon  corps;  malheureux  que  je 
suis!  qui  me  délivrera  de  ce  corps  de  m 

Voilà  la  misère  de  l'homme  même  justifié, 
qui  ne  l'est  jamais,  pour  ainsi  dire,  dans  ce 
bas  monde  qu'imparfaitement,  parce  qu'il  <  -t 
t.  ujours  expose  à  mille  infirmi  es  el  à  mille 
périls  de  perdre  la  giâre.  C'est  là  sa  misère  ; 
ce  qui  fait  dire  au  Prophète  que  les  pins  j  ri- 
tes même  n  ont  rien  d  ms  leur  chair  qui  soil 
sain.  Etrange  composé  que  l'homme,  qui  est 
en  même  temps  chair  et  esprit,  sainteté  et 
corruption,  \  ie  et  mort  !  Le  chrétien  est  com- 
posé de  deux  hommes.  Jésus-Christ,  qui  y 
demeure  par  la  foi,  l'excite  au  bien  par  la 
grâce  ;  l'homme  de  péché,  qui  y  habile  par  la 
concupiscence,  le  porte  au  mal  par  sa  vo- 
lonté charnelle.  Qu'il  est  aise  de  concevoir 
par  ces  idées  la  nécessité  de  la  prière  !  Quelle 
humiliation  à  un  enfant  de  Dieu  de  sentir  la 
concupiscence,  d'en  souffrir  la  violence,  et 
d'y  être  assujetti  toute  sa  vie!  Mais, mes  frè- 
res, l'Apôtre  qui  nous  décrit  cette  misère 
nous  marque  en  même  temps  à  qui  nous  de- 
vons avoir  recours  pour  en  êlre  soulages; 
car,  après  avoir  dit,  Qui  me  délivrera  ue  ce 
corps  de  mort?  il  ajoute  :  ce  sera  la  grâce  de 
Dieu  par  Jésus-Christ;  c'est  mon  second 
principe.  Il  n'y  a  que  la  grâce  de  Jésus-Christ 
qui  puisse  nous  tirer  de  noire  misère  et  nous 
soulager. 

En  effet,  mes  frères,  noire  force  consiste 
à  n'espérer  qu'en  Dieu,  cl  à  n'attendre  rien 
de  lui  que  par  Jésus-Christ,  qui  nous  a  été 
donné  pour  être  notre  sagesse,  notre  justice, 
notre  sanctification  et  notre  rédcmplion. 
Quelle  misère  pour  l'homme  !  manquer  de 
tout,  el  ne  savoir  ni  ce  qu'il  doit  demander, 
ni  comment  il  le  faul  demander!  Il  n'y  a  que 
la  grâce  qui  nous  convertit  quand  nous  som- 
mes pécheurs;  c'esl  la  grâce  qui  nous  change 
le  cceur;  le  changement  ducœur.  c'est  sa  cou 
version,  el  la  conversion  du  cœur  est  le  plu* 
grand  ouvrage  de  la  grâce. 

Mais  comme  il  n'y  a  que  ia  charité  qui 
convertisse  parfaitement,  c'esi  elle  qui  for- 
tifie les  nouveaux  pénitents,  el  qui  les  sou- 
lage dans  les  misères  où  ils  sont  exposes  par 
les  tentations.  Car,  mes  frères,  pi  eue/  bien 
garde  que  la  force  de  cette  loi  du  péché  qui 
demeure  dans  l'âme,  après  même  M  justifi- 
cation, ne  peul  élre  détruite  que  par  les 
effusions  du  saint  amour.  L'homme  n'offenso 
Dieu  qu'en  aimant  les  créatures  :  comme  il 
ne  s'est  engagé  dans  leur  captivité  qu'en 
multipliant  les  mouvements  de  ce  premier 
amour,  qui  a  commencé  son  crime,  il  ne  se 
rétablit  dans  la  sainteté  qu".  n  commençant 


360 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA  PREMIERE  SEMAINE  DE  CAREME. 


570 


d'aimer  Dieu,  comme  la  source  de  tout  bien  : 
et  comme  ses  misères  ne  diminuent  qu'à 
proportion  que  Dieu  fait  croître  en  lui  son 
amour,  et  qu'il  n'y  a  que  la  grâce  du  Sau- 
veur qui  soit  capable  de  le  soulager,  de 
même  c'est  elle  qui  fait  persévérer  le  juste 
qui  a  été  justifié  ;  c'est  par  elle,  c'est  avec 
elle  qu'il  fait  le  bien,  et  il  a  besoin  de  son 
secours  pour  chaque  action  et  pour  surmon- 
ter les  oppositions  que  ce  corps  de  mort, 
qui  est  la  source  de  toutes  ses  misères,  forme 
à  l'exercice  du  bien.  En  un  mot,  il  ne  peut 
vaincre  la  moindre  tentation,  sans  un  se- 
cours particulier  de  cette  grâce  qui  le  l'ait 
triompher  de  ses  ennemis. 

Ce  principe  étant  supposé,  ajoutons  que 
celtegràce,  absolument  nécessaireàl  homme 
en  quelque  état  qu'on  le  regarde,  est  accor- 
dée à  l;i  prière,  et  que  comme  l'état  du  jusle 
même  consiste  à  ne  s'attribuer  aucun  bien, 
à  se  sentir  capable  de  tout  mal,  à  triompher 
d'un  ennemi  domestique  qui  ne  laisse  pas  un 
moment  de  repos  ou  d'assurance,  et  à  dé- 
pendre à  chaque  moment  d'une  grâce  qui 
n'est  pas  due  et  dont  on  est  indigne,  on  voit 
évidemment  les  raisons  pour  lesquelles  la 
prière nousest  si  souvent  recommandée  dans 
l'Ecriture. 

Le  Fils  de  Dieu  nous  dit  qu'il  faut  tou- 
jours prier  et  ne  se  point  lasser  de  prier, 
qu'il  faut  toujours  veiller  en  priant  pour 
éviter  tous  les  maux,  afin  que  nous  connais- 
sions que  s'il  nous  excite  si  souvent  à  la 
prière,  c'est  pane  qu'elle  est  le  canal  par 
lequel  il  a  résolu  de  nous  accorder  les  grâ- 
ces dont  nous  avons  incessamment  besoin. 
Voici  comme  il  parle  dans  saint  Matthieu  : 
C'eut  pourquoi  je  vous  dis  que  quoi  que  ce 
soit  que  vous  demandiez  dans  la  prière,  croyez 
que  vous  l'obtiendrez,  et  il  vous  sera  accordé; 
dans  saint  Luc  :  Quiconque  demande  reçoit; 
et  dans  saint  Jean  :  En  vérité,  en  vérité  je 
vous  le  dis,  tout  ce  que  vous  demanderez  à 
mon  Père  en  mon  nom,  il  vous  le  donnera. 
D'où  il  est  aisé  de  conclure  que  le  salut  de 
l'homme,  en  quelque  état  qu'il  se  trouve, 
soit  de  péché,  soit  de  justice, dépend  de  l'exer- 
cice continuel  de  la  prière,  et  c'est  ce  qui 
en  marque  démonslrativement  la  nécessité. 
Le  pé.heur  n'obtient  donc  la  grâce  de  sa 
conversion  que  par  la  prière;  mais  le  pé- 
cheur, dira-t-on,  peul-il  prier  ?  Hé  1  qui  peut 
en  douter,  mes  frères,  lorsque  la  miséricorde 
de  Dieu  l'a  prévenu?  Saint  Augustin  avance 
trois  propositions  sur  celle  matière,  qui  mé- 
ritent loutc  voire  attention.  1  Nul,  dit-il,  ne 
revient  du  péché  à  la  grâce,  s'il  n'est  appelé 
de  Dieu.  2*  Quoiqu'un  pécheur  ait  été  appelé 
de  Dieu,  il  ne  peut  rien  faire  pour  son  salut 
s'il  n'est  pas  assisté  par  la  grâce.  3"  Dieu  ne 
donne  cette  grâce  qu'à  celui  qui  la  demande. 
Remarquez  bien,  mes  frères,  la  doctrine  de 
saint  Augustin  sur  celle  matière,  par  la- 
quelle je  vais  achever  de  vous  convaincre  de 
la  nécessité  de  la  prière. 

Dans  toule  la  suite  des  grâces  que  Dieu 
nous  accorde  libéralement  pour  notre  salut, 
il  y  en  a  toujours  -une  qu'il  nous  donne  sans 
que  nous  l'ayons  méritée  et  sans    que   nous 


la  lui  demandions,  parce  qu'elle  nous  est 
donnée  pour  demander,  et  cette  grâce  est  la 
foi.  La  foi  est  donc  donnée  à  celui  qui  ne 
prie  pas,  parce  qu'elle  est  donnée  aGn  qu'on 
prie.  Mais  comme  il  y  a  une  grâce  de  Dieu 
donnée  sans  qu'on  la  lui  demande,  telle 
qu'esi  celle  du  commencement  de  la  foi,  il 
faut  aussi  convenir  que  toutes  les  autres 
grâces  de  Dieu,  comme  la  justification,  la 
charité,  l'humilité,  la  continence,  l'accrois- 
sement de  la  foi,  ne  sonl  données  qu'à  celui 
qui  prie  et  selon  la  mesure  de  sa  prière  ; 
Dieu  n'accorde  pas  les  grâces  qu'il  nous  a 
préparées  sans  que  nous  priions,  et  quoi- 
qu'il le  puisse  faire  absolument,  il  ne  le  fait 
pas  ordinairement,  parce  qu'il  veut  nous 
obliger  de  prier,  1°  pour  exiger  de  nous 
l'honneur  qui  lui  est  dû  et  que  nous  lui 
rendons  par  la  prière,  qui  est  un  acle  de  re- 
ligion ;  2]  afin  de  nous  tenir  dans  l'humilité, 
et  que  nous  reconnaissions  que  nous  tenons 
tout  de  lui  ;  3°  pour  exciter  en  nous  le  désir 
de  sa  grâce  et  de  ses  biens,  la  prière  étant 
l'effet  de  ce  désir. 

Dieu  veut  bien  nous  accorder  des  grâces, 
dil  saint  Augustin,  mais  il  ne  les  accorde 
qu'à  celui  qui  les  lui  demande,  de  peur  d'ex- 
poser  sa  grâce  au  mépris  de  celui  qui  ne  la 
lui  demande  pas.  Ainsi  la  prière  est  le  moyen 
de  les  recevoir  toutes  ;  c'est  le  canal  par  le- 
quel il  faut  nécessairement  qu'elles  décou- 
lent de  Dieu  sur  nous.  Toule  la  vie  chré- 
tienne n'est  de  la  part  de  Dieu  qu'une  con- 
tinuelle effusion  de  son  amour  dans  l'âme 
de  l'homme,  et  de  la  part  de  l'homme  ce 
n'est  qu'un  regard  perpétuel  vers  Dieu,  et 
une  continuelle  invocation  de  sa  grâce  par 
les  désirs  de  son  cœur. 

Il  est  vrai  que  Dieu  ne  nous  donne  pas 
tout  d'un  coup  d'une  manière  détaillée  tou- 
tes les  vertus  dont  nous  avons  besoin  pour 
lui  être  agréables  ;  mais  je  puis  dire  qu'il 
nous  les  donne  toules  dans  le  principe  qui 
est  la  prière,  et  quand  il  en  allume  le  désir 
en  nous,  qui  est  la  source  de  la  prière,  il 
nous  donne  tout  avec  lui.  Que  conclurons- 
nous  maintenant  de  nos  principes  ?  Nous 
sommes  tous  dans  la  misère,  il  n'y  a  que 
la  grâce  de  Jésus-Christ  cl  la  vertu  du  Ré- 
dempteur qui  puissent  nous  soulager  ;  nous 
n'obtenons  celle  grâce  et  ce  secours  que  par 
la  prière.  Que  faul-il  conclure,  mes  frères, 
sinon  qu'il  faut  prier,  ou  que  nous  ne  sen- 
tons pas  notre  misère,  ce  qui  est  un  mal- 
heur terrible  ;  ou  que  si  nous  la  sentons, 
nous  ne  voulons  pas  en  sorlir,  et  que  nous 
nous  glorifions  dans  noire  pauvreté?  Or 
celle  disposition  nous  rend,  selon  saint  Au- 
gustin, abominables  aux  yeux  de  Dieu  ;  car 
quand  l'homme  est  misérable,  et  qu'il  est 
humble,  comme  celte  Femme  de  notre  évan- 
gile, sa  p.iuvrelé  excile  la  compassion  de 
Dieu,  et  son  humilité  la  mérite  ;  mais  quand 
l'hommo  est  tout  ensemble  et  pauvre  et  su- 
perbe, Dieu  n'a  poinl  pitié  de  lui  comme 
pauvre,  parce  qu'il  ne  peul  le  souffrir  comme 
superbe. 

Supposons  donc  que  nous  nous  connais- 
sions pauvres  et   misérables  devant  Dieu, 


571 


0l;\ïï.UUS  SACHES.  DOM  JEROME. 


•■72 


gopposons  que  nous  voulions  élrc  soulagés 
dans  noire  misère,  en  cas  que  nous  vou- 
lions  recourir   i  DU  u  par  la  i>ri*'rc   pour 

a  soulagés,  et  que  nous  soyons  p.irl.i  ite- 
uicnl  ■  onvaiims  if  «•  la  nécessité  d'y  recou- 
rir, pouvoz-v  mis  me  demander  maintenant 
quand  il  f.iut  prier  et  ce  qu'il  faut  demander 
en  priant  ? 

En  effet  il  faul  toujours  prier,  mes  frères, 
puisque  notre  misère  nous  presse  toujours. 
Marque-t-on  à  un  mendiant  accablé  par  sa 
pauvreté  quand  il  doil  demander  du  pain  ? 
Il  crie  toujours,  il  prie  toujours,  il  s'expose 
toujours.  C'est  là  l'éial  véritable  de  l'homme 
ea. celle  vie,  dit  saint  Augustin:  vous  êtes 
pauvres  et  mendiants  des  biens  du  ciel,  il  ne 
faul  donc  pas  demander  quand  il  faul  prier, 
comme  on  ne  doit  pas  demander  quand  il 
faut  aimer;  il  faul  faire  l'un  el  l'autre  tou- 
jours; car  comme  c'est  l'amour  qui  nous 
fait  prier  et  qui  forme  en  nous  le  désir  de 
Dieu  et  de  ses  biens,  désir  qui  est  l'essence 
de  la  prière  ;  comme  il  faut  aimer  toujours, 
c'est-à-dire  être  dans  la  disposition  de  ne 
rien  faire  contre  la  volonté  de  Dieu,  il  faut 
prier  toujours,  c'est-à-dire  faire  toutes  nos 
actions  selon  sa  volonté,  en  désirant  tou- 
jours sa  grâce.  On  ne  demande  pas  quand 
une  femme  est  obi  gée  d'aimer  son  mari,  ni 
un  enfant  d'aimer  son  père  ;  ainsi,  mes  frè- 
res, ne  nous  arrêtons  point  à  ces  questions 
inutiles. 

ïl  faut  prier  toujours,  parce  que  nous 
sommes  toujours  misérables  et  que  nous 
avons  toujours  besoin  de  la  grâce  de  Jésus- 
Christ  :  si  nous  ne  prions  pas,  c'est  que 
nous  ne  sentons  pas  notre  misère,  et  c'est 
un  grand  malheur.  La  mesure  de  notre 
prière  doit  être  prise  sur  la  mesure  de  notre 
besoin;  et  la  vie  chrétienne  ne  doit  être 
qu'un  regard  continuel  de  l'homme  vers 
Dieu,  et  une  continuelle  invocation  de  sa 
grâce  ;  ce  qui  vous  marque  tout  ensemble 
et  combien  vous  devez  prier,  et  ce  que  vous 
devez  demander. 

Oui,  mes  frères,  il  faut  demander  la  grâce 
de  Jésus-Christ  :  1"  pour  connaître  sa  vo- 
lonté ;  2°  pour  l'exécuter  en  tout  s  choses; 
car  quand  nous  sommes  abandonnés  à  la 
nôtre,  nous  sommes  abandonné:;  à  notre 
propre  misère.  Il  n'est  pas  défendu  cepen- 
dant de  demander  des  choses  temporelles, 
car  il  n'est  pas  contre  l'ordre  de  vouloir 
avoir  le  nécessaire  ;  mais  il  faut  loujoins  les 
demander  d'une  manière  subordonnée  et 
dans  la  vue  de  son  salut,  du  salut  du  pro- 
chain et  de  la  gloire  de  Dieu.  Si  ce-  condi- 
tions manquent  dans  nos  prières  pour  obte- 
nir les  choses  temporelles,  l'on  n'est  plus 
dans  l'ordre  de  D.cu.  En  un  mot,  le  prin< 
général  est  qu'on  ne  doil  rien  désirer  en 
cette  vie  que  par  rapport  à  l'autre;  il  faut 
donc  prier,  m  s  frères  :  voyons  maintenant 
comment  il  faut  pi  ier. 

SBOOHOB   PARTII-: 

Après  vous  avoir  convaincus  de  la  né- 
cessite de  la  prière,  il  faut  maintenant  vous 
marquer  la  manière  de  la  faire  chrétienne- 


ment. Ce  sera  la  femme  de  notre  évangile 
qui  nous  instruira  par  *on  exemple,  et    qui, 
après  nous  avoir  ens<  igné  qu'il   faul   pi 
par  le  recours  qu'elle  a   eu  à  léaus-Cbrist 

dans  sa    misère,  nous    enseignera.    

cou ni  il   l  ut    prier,    par    les    dén     i 

le  a  faites  auprès  de  Jésus-Christ. 

.Mais  avâot  que  d'aller  plus  avant,  il  me 
semble  qu'il  est  nécessaire  de  vous  expliquer 
ce  que  c'est  que  la  prier-  chrétienne,  al 
comment  on  (Toit  entendre  l'obligation  de 
prier  toujours,  afin  qu'ensuite  nous  puissi' 
mieux  vous  faire  comprendre  la  aine  t  de 
prier  chrétiennement.  H  n'y  a  rien  où  'ou 
se  trompe  davantage  parmi  le  monde  et  d i 
le  vulgaire,  que  daiu>  l'idée  de  la  |  re- 

tienne :  on  s'imagine  que  la  prière  consiste 
dans  la  récitation  d'un  grand  bmm  biv  de 
paroles  saintes  consacrées  par  l'Eglise  se 
le  nom  de  prière,  el  c'est  en  cela  (lue  1'  u 
s'abuse  :  car  il  y  a  bien  de  la  différence  entre 
dire  des  prières  cl  prier. 

Le  Fils  de  Dieu  aous  commande  de  prier, 
in.  is  il  nous  défend  de  dire  eu  priant  beau- 
coup de  paroles  :  \oici  comme  il  parle  on 
saint  Matthieu  :  y  usez  paid  umgi  indnêmhn 
de  paroles  dans  vos  prières,  comme  l<s  païens. 
Ce  n'est  pas  assurément  que  le  Seigneur 
condamne  les  offices  publics  qui  se  font  dans 
l'église;  mais  il  condamne  l'abus  qu'on  en 
fait,  Terreur  de  ceux  qui  croient  prier,  en 
disant  un  grand  nombre  de  paroles  saintes 
sans  attention  ,  et  sans  ressentir  le  moindre 
mouvement  de  componction  dans  l  !  c;eur.  U 
condamne  ceux  quis'assujel  issent  à  dire  un 
gran  ;  nombre  de  prières,  et  qui  ne  se  cou- 
cheraient pas  ,  pour  quelque  raison  que  ce- 
fût,  sans  les  avoir  récitées;  mail  qui  pour 
l'ordinaire  ne  les  disent  que  ;  our  s'en  dé- 
charger, qui  sortent  de  celle  prière  connue 
ils  y  sont  entrés |  el  qui  lie  pensent  poini  | 
purifier  leur  cœur.  Voilà  ce  que  le  Fils  de 
Dieu  condamne. 

Apprenez  aujourd'hui,  mes  frères,  qu'il  y 
a  (rois  sortes  de  prières,  celle  de  la  bouche, 
celle  de  l'esprit  et  celle  du  cour,  (".elles  de.  la 
bouche  et  de  l'esprit  sans  celle  du  cœur  ne 
valent  rien;  mais  celle  du  cœur  sanctifie 
celles  de  la  bouche  et  de  l'esprit.  Combien  de 
gens  s'imaginent  que  l'oraison  consiste  dans 
une  certaine  méthode  de  médit.:  sur  les 
mystères,  par  les  rè.les  qui  non-  n  'lit 

à  tormer  des  pensées  qui,  se  bu  I  les 

unes  aux  autres,  nous  font  passer  une  heure 
en  la  présence  d  i  Di<  u  ,  à  la  fin  de  laquelle 
nous  nous  trouvons  aussi  *up  rbes  ,  tussi 
vains,  aussi  sensuels,  aussi  attachés  aux 
t  botes  de  1,:  terre  ,  a  si  fiers  el  aussi  i 
portés  qu'auparavant!  C'est  lien  là,  i 
frères,  tomber  dans  le  désordre  des  païens 
condamne  par  le  1  ils  de  Dieu,  qui  défend  tion- 
seulemenl  l'abondance  des  paroles  v  ai  s 
prononcées  sans  attention,  mais  encore  celle 
des  paroles  mentales  formées  sans  affection 
et  sans  piele. 

Car  prenez-y  garde,  mes  frères,  vous  qui 
peut-être  vous  appliquez  à  l'oraison  meu- 
la  e,  VOUS  trouverez  que  vous  étudies  aussi 
bieu  les  paroles  de  votre  esprit  que  celles 


37:. 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA  PREMIERE  SEMAINE  DE  CAREME. 


57  4 


de  vofre  bouche.  Voiis  cherchez  insensi- 
blement et  sans  vous  en  apercevoir,  com- 
ment vous  pouvez  vous  expliquer  à  Dieu; 
vous  vous  appliquez  plutôt  à  arranger 
vos  pensées,  afin  que  vous  ayez  de  quoi 
remplir  une  heure  selon  votre  projet,  qu'à 
purifier  votre  cœur  ;  mais  ce  n'est  pas  là 
prier,  c'est  se  satisfaire  soi-même,  et  il  arrive 
souvent  que  la  prétendue  dévote  sait  par  où 
elle  prendra  congé  de  Dieu  avant  que  d'avoir 
commencé  à  lui  parler.  Voici  donc  l'idée  de 
la  prière  ;  elle  est  l'ouvrage  du  cœur  ;  c'est 
pourquoi  saint  Augustin  l'appelle  le  cri  du 
cœur  et  le  désir  du  cœur. 

L'oraison  ne  consiste  par.  dans  ces  métho- 
des de  préludes,  de  considérations,  de  ré- 
flexions, d'affections,  de  colloques  ;  ce  n'est 
pas  que  je  les  condamne,  à  Dieu  ne  plaise  1 
les  saints  Pères  les  ont  enseignées:  elles 
servent  à  quelques  bonnes  âtnes,  elles  peu- 
vent servira  les  enflammer  du  désir  des 
choses  de  Dieu,  elles  peuvent  servir  à  leur 
mettre  devant  les  yeux  ce  qu'elles  doivent 
désirer  et  demande!-  ;  mais  ce  que  je  blâme  , 
c'est  qu'on  fasse  consister  l'oraison  à  s'atta- 
cher scrupuleusement  à  l'observation  de 
ces  règles ,  et  qu'on  croie  non-seulement 
n'avoir  pas  bien  prié  y  i  l'on  n'a  suivi  ces  mé- 
thodes, mais  même  qu'il  est  impossible  de 
bien  prier  en  ne  les  suivant  pas. 

D'où  il  arrive  qu'on  se  fait  de  la  prière  un 
exercice  long  à  apprendre  et  difficile  à  pra- 
tiquer; que  la  plupart  des  chrétiens  regardent 
l'exercice  de  I  oraison  comme  quelque  chose 
qui  n'es!  propre  que  pour  les  gens  d'esprit 
ou  jour  des  personnes  retirées  du  monde,  et 
que  les  personnes  du  commun,  ne  pouvant 
pas  s'embarrasser  dans  ces  sortes  de  prati- 
ques difficiles  de  prier,  se  dispensent  de  le 
Faire.  C'est  ainsi  que  le  démon  rend  la  prière, 
ou  superstitieuse,  en  la  mettant  dans  des 
choses  purement  extérieures,  ou  impossible 
à  de  certaines  gens,  en  la  plaçant  dans  des 
méthodes  qu'ils  ne  peuvent  suivre;  et  c'est 
là  peut-être  la  plus  dangereuse  tentation 
que  le  démon  nous  puisse  livrer  ;  car  comme 
il  voit  que  tout  notre  salut  dépend  de  la 
prière  et  de  l'oraison  fréquente  et  assidue 
qu'il  n'en  faut  pas  séparer,  il  travaille  par  sa 
ruse  et  par  sa  malignité  à  nous  détourner  de 
Ce  devoir,  et  pour  y  réussir  il  nous  en  rend 
l'cccrcicc  difficile,  il  nous  persuadequ'il  n'est 
praticable  que  pour  les  religieux,  les  reli- 
gieuses, pourdes  personnes  retirées  du  monde, 
pour  des  gens  qui  ont  de  grandes  lumiè- 
res et  beaucoup  d'esprit,  mais  qu'il  est 
impraticable  pour  les  simples  femmes,  pour 
l'artisan,  pour  le  négociant,  pour  l'homme 
qui  a  de  grandes  affaires,  pour  une  femme 
qui  a  un  grand  nombre  d'enfants  à  élever. 
Voilà  l'artificedu  démon  par  lequel  il  nous 
oie  le  moyen  d'être  soulagés  dans  nos  misè- 
res cl  d'obtenir  la  grâce  de  Jésus-Christ  pour 
faire  le  bien  et  pour  éviter  le  mal  qu'il  nous 
fait  faire  infailliblement  lorsque  nous  som- 
mes destitués  de  ce  secours.  Détrompons- 
nous,  mes  liès-cliers  frères,  de  cette  erreur 
si  pernicieuse  à  notre  salut.  La  prière  ne 
se  fait  point  par  paroles,  mais  par  désirs  ; 


elle  ne  consiste  point  en  de  belles  pen- 
sées, mais  en  de  saintes  affections;  ce  n'est 
point  l'ouvrage  de  l'esprit  humain,  mais  de 
l'esprit  de  Dieu  qui  prie  en  nous.  La  prière, 
dit  saint  Augustin,  est  une  sorte  d'affaire  qui 
se  traite  plutôt  par  des  gémissements  et  des 
larmes  que  par  des  paroles.  On  ne  demande 
point  pour  cela  des  pratiques  étudiées,  ni 
des  règles  humaines,  quoique,  comme  j'ai 
déjà  dit,  on  ne  doive  pas  les  rejeter  ,  non 
plus  que  les  paroles  qui  sont  nécessaires, 
selon  saint  Augustin,  pour  nous  remettre 
dans  l'es;  rit  te  que  nous  avons  à  demander  ; 
mais  on  demande  la  simplicité  et  la  com- 
ponction. 

11  n'y  a  point  d'homme  accablé  d'affaires, 
de  femme  chargée  d'enfanls,  d'artisan,  de 
domestique.de  femme  de  village,  qui  ne  puisse 
dire  du  fond  du  cœur  et  avec  un  sentiment  vif, 
intérieur  et  profond  :  Mon  Dieu,  faites-moi 
miséricorde  !  voilà  comme  prie  la  Chananéen- 
ne  ;  mon  Dieu,  convertissez  mon  cœur  1 
mon  Dieu,  faites-moi  haïr  le  péché  !  Mon 
Dieu,  faites-moi  garder  vos  commandements! 
mon  Dieu,  faites-moi»  marcher  dans  vos 
voies  1  mon  Dieu  ,  donnez-moi  votre  grâce 
pour  vaincre  les  tentations  de  mes  ennemis, 
et  avoir  la  vie  éternelle  !  Voilà  prier,  mes 
f  ères,  voilà  faire  l'oraison  ;  car  enfin,  rete- 
nez-le bien,  voici,  selon  saint  Augustin,  ce 
que  c'est  que  la  prière.  Prier  beaucoup,  dit 
ce  Père,  c'est  frapper  longtemps,  et  par  les 
élans  d'une  véritable  piété,  à  la  porte  de  celui 
yue  nous  prions.  Faisons  donc  souvent  et  du 
fond  du  cœur  des  élévations  de  cœur  à  Dieu 
cl  à  Jésus-Christ.  Un  désir  continuel,  formé 
par  la  charité,  soutenu  par  la  foi,  nourri  par 
l'espérance,  est  une  prière  continuelle  ;  et 
c'est  uniquement  par  l'ardeur  du  désir  que 
se  mesurent  nos  prières. 

Car  encore  un  coup,  prier  n'est  rien  au- 
tre chose  que  d'exposer  nos  désirs  à  quel- 
qu'un qui  puisse  nous  donner  ce  que  nous 
désirons  ;  si  nous  les  exposons  à  un  homme, 
nous  prions  un  homme  ;  si  nous  les  expo- 
sons à  Dieu,  nous  prions  Dieu.  Si  les  désirs 
que  nous  exposons  à  Dieu  sont  des  désirs 
des  biens  terrestres,  nous  prions  Dieu  de 
nous  les  donner,  mais  nous  n'invoquons  pas 
Dieu  ;  prenez  garde  à  cette  différence,  parce 
que  ce  n'est  pas  Dieu  alors  que  nous  dési- 
rons faire  venir  à  nous,  ce  qui  s'appelle  l'in- 
voquer, ce  sont  les  biens  de  la  terre  ;  et  cello 
prière  ne  vient  point  du  Saint-Esprit,  mais 
du  monde  et  de  la  convoitise  du  monde  qui 
est  en  nous,  à  moins  que  nous  ne  deman- 
dions des  choses  temporelles  selon  l'ordre 
de  notre  salut,  et  qu'elles  n'aient  une  liai- 
son bien  marquée  avec  les  choses  éternelles. 

Mais  au  contraire,  si  nos  désirs  -ont  des 
biens  eélestes,  alors  non-seulement  nous 
prions  Dieu,  mais  nous  invoquons  Dieu.  La 
prière  de  la  foi,  la  prière  chrétienne  est  donc 
le  désir  d  s  choses  d'en  haut,  que  nous  expo- 
sons à  Dieu.  Ce  désir  est  la  voix  cl  le  lan- 
gage par  lequel  le  cœur  parle  à  so  i  Dieu, 
et  quand  ce  di  sir  est  ardent,  il  s'appelle  le 
cri  du  rii'ii  .  Vous  voyez  par  là  comment  on 
doit  entendre  l'obligation  de  prier  toujours  ; 


57; 


OltAILL'riS  SACKI-.S.   l»OM   Jl  l'.OMK 


" 


car  celui  qui  désire  toujours  les  choses  d'i  u 
haut,  qui  ne  regarde  que  Dieu  et  les  choses 
éternelles,  prie  toujours.  Ce  principe  étant 
supposé  ,  tirons-en  des  conséquences  qui 
nous  apprendront  de  quelle  manière  il  faut 
prier,  et  exposons  en  peu  de  paroles  ce  que 
l'Evangile  nous  rapporte  des  dispositions  de 
la  Chananéenne  aux  pieds  de  Jésus-Christ. 

1°  La  prière  n'étant  que  le  désir  de  notre 
cœur  pour  les  choses  d'en  haut,  il  faut  être 
persuadé  que  celui  à  qui  nous  exposons  no- 
tre désir  peut  et  veut  nous  accorder  ce  que 
nous  désirons  ;  2°  il  ne  faut  pas  se  rebuter  des 
re;ardemenls  qu'il  y  apporte  ;  .'{u  il  faut  être 
persuadé  que  nous  ne  méritons  point  de  l'ob- 
tenir, que  c'est  une  grande  roisérico' de  qu'il 
nous  lait  quand  il  nous  accorde  ce  que  nous 
lui  demandons.  Ce  sont  les  dispositions  que 
les  saints  Pères  ont  admirées  dans  celte  fem- 
me païenne  de  notre  évangile.  On  doil  admi- 
rer sa  fui,  sa  patience,  sou  humilité.  Supposé 
donc  que  vous  sachiez  ce  que  c'est  que 
prier,  il  faut  que  la  foi  accompagne  votre 
prière,  que  la  patience  la  soutienne  et  que 
l'humilité  la  couronne.  C'est  ainsi  que  prie 
la  Chananéenne,  et  c'est  la  manière  de  prier 
chrétiennement. 

Sa  foi  paraît  en  ce  qu'elle  a  cru  que  Jé- 
sus-Christ pouvait  guérir  sa  fille  malgré  la 
longueur  et  la  violence  de  son  mal,  malgré 
l'inutilité  de  tous  les  autres  remèdes  ,  et 
malgré  la  répugnance  qu'elle  avait  comme 
païenne  de  croire  en  Jésus-Christ.  Elle  vient 
à  lui,  et  elle  croit  fortement  qu'il  guérira 
sa  fille. 

Voilà,  mes  frères,  la  première  dispo- 
sition avec  laquelle  il  faut  prier.  Quelque 
chose  que  vous  lui  demandiez  dans  la  prière, 
vous  l'obtiendrez  si  vous  le  demandez  avec 
foi,  dit  le  Fils  de  Dieu.  Or,  mes  frères,  cette 
foi  n'est  pas  seulement  une  foi  spéculative, 
c'est  une  foi  pratique,  qui  non-seulement 
nous  fait  croire  que  Dieu  peut  nous  accor- 
der les  choses  que  nous  lui  demandons, 
mais  qui  produit  une  certaine  confiance  dans 
notre  cœur,  et  qui  nous  met  dans  une  espé- 
rance certaine  d'ohlenir  de  la  miséricorde  de 
Dieu  ce  <iue  nous  lui  demandons  par  Jésus- 
Christ.  C'est  ce  que  nous  enseigne  l'apôtre 
saint  Jacques,  lorsqu'il  dit  qui/  demande 
avec  foi  sans  aucun  doute.  Ainsi,  chrétiens, 
quand  nous  commençons  nos  prières,  pour 
demander  à  Dieu  la  conversion  de  notre 
cœur,  que  nous  lui  disons  comme  le  publi- 
cain  :  Mon  Dieu,  ayez  pitié  de  moi,  qui  suis  un 
pécheur,  croyons  fermement  qu'il  nous  fera 
miséricorde;  quelque  invétérée  que  soit  la 
plaie  de  notre  péché,  il  la  guérira,  mes  Irè- 
res,  si  nous  le  demandons  avec  foi;  il  le 
peut,  car  il  est  tout-puissant;  il  le  veut,  car 
il  est  bon;  enfin  il  le  fera,  car  il  l'a  promis 
cl  il  est  fidèle. 

Croyez  donc,  chrétiens,  et  appuyez  votre 
foi  et  votre  confiance  sur  sa  puissance,  sur 
sa  miséricorde  et  sur  sa  parole.  Il  n'y  a  que 
votre  indignité  qui  puisse  vous  faire  crain- 
dre; c'est  en  vue  de  celte  indignité  que  vous 
devez  souffrir  en  patience  les  rebuts  de  Dieu 
cl  lu  retardement  qu'il  apporte  à  vous   ac- 


corder ce  que    vous  lui  demandez;    c>8t  !e 
second  exemple  que  nous  donne  l'illustre 
femme  de  notre  é\  ingile. 
Sa  patience  parait,  dit  laint Jérôme,  en  <e 

qu'elle  a  soullert  tant  de  rebuts  du  Fils  de 
Dieu.  Ah  !  mes  frères,  ce  qui  lait  que  nous 
n'obtenons  pas  de  Dieu  ce  que  nous  lui  de- 
mandons, c  est  que  nous  nous  lassons  de  de* 
mander.  Nous  sommes  impatients  dans  I  i 
prière,  nous  nous  plaignons  qu'il  nous  irai  e 
comme  celle  femme  de  l'Evangile,  qu'il  ne 
répond  point  aux  demandes  que  nous  lui 
faisons.  Mais  s'il  nous  traite  comme  •  I  ■, 
c'est  à  nous  d'en  user  comme  elle  a  fait, 
puisqu'il  nous  la  propose  pour  modèle.  Il 
ne  faut  point  se  lasser  de  demander.  Mes 
frères,  pouvons-nous  nous  plaindre  des  re- 
tardement* (iue  Dieu  apporte  à  nous  accor- 
der ce  que  nous  lui  demandons,  si  nous  con- 
sidérons ce  que  nous  sommes,  ce  qu'il  <  »t, 
et  combien  esl  grande  la  chose  que  nous  lui 
demandons  ? 

Nous  sommes  des  misérables,  des  ingrats, 
des  perfides  dignes  des  supplices  éternels. 
Nous  demandons  grâce  à  Dieu,  lui  que  n  us 
avons  mille  fois  abandonné,  méprisé,  vendu. 
Nous  lui  demandons  sa  grâce,  son  amiiié, 
son  paradis,  et  nous  «-ommes  surpris  de  ce 
qu'en  punition  de  notre  infidélité  il  souffre 
que  nous  lui  demandions  quelque  temps  ce 
que  nous  avons  perdu  par  notre  I  iule,  et  ce 
que  nous  ne  pouvons  plus  attendre  que  de 
sa  miséricorde  infinie.  Celui  qui  cherche 
un  trésor  ne  se  lasse  point,  son  espéram-e 
le  soutient.  Que  de  persévérance  auprès 
d'un  juge  pour  obtenir  justice!  et  on  se  dé- 
courage en  priant  Dieu  I  Il  semble  qu'il  ne 
soit  pas  assez  grand  pour  être  prié  avec 
une  persévérance  respectueuse,  ou  qu  ie 
que  nous  demandons  ne  soit  pas  assez  im- 
portant pour  être  attendu  ai  ec  patience. 

Comme  Dieu  peut  nous  refuser  ce  quo 
nous  lui  demandons,  il  esl  juste  qu'il  ne  l'ac- 
corde qu'au  temps qu'ilest marqué.  Souffrons 
donc  les  retardement?,  dont  il  plait  à  Dieu 
d'user  avant  que  de  nous  exaucer  dans  les 
justes  prières  que  nous  lui  faisons.  1°  U  le 
fait,  chrétiens,  afin  que.  priant  longtemps, 
vous  fassiez  plus  d'estime  d'une  chose  qui 
vous  a  coûté  beaucoup,  et  que  vous  conser- 
viez avec  plus  de  soin  une  grâce  que  vous 
n'avez  obtenue  qu'après  de  longues  prier  s. 
2°  Il  le  fait,  parce  que  souvent  les  choses 
que  vous  demande/  ne  vous  sont  pas  propres 
dans  le  temps  que  vous  les  lui  demandez.  Il 
attend,  pour  vous  les  accorder,  de  certaines 
circonstances  qui  sont  avantageuses  pour  le 
salut,  et  que  lui  seul  connaît.  3°  11  le  fait, 
afin  que  par  l'exercice  de  votre  foi  et  de  vo- 
tre persévérance  dans  la  prière,  votre  cœur 
s'ouvre  par  ces  différents  cris  que  TOUS  pous- 
se/ vers  lui,  cl  qu'étant  comme  di  aie, 
comme  plus  ouvert,  plus  étendu,  il  soit  ca- 
pable de  recevoir  une  plus  grande  grâce.  » 
Il  le  fait,  afin  que  ce  retardement  vous  ob  i 
géant  de  rentrer  en  vous-même,  vous  exa- 
miniez avec  plus  de  soin  quelle  est  la  dis- 
position de  votre  cœur,  cl  s'il  n'y  a  rien  qui 
s'oppose   à  l'exécution  de    ses    devoirs,   o 


377 


SERMON  POUR  .LE  SAMEDI  DE  LA  PREMIERE  SEMAINE  DE  CAREME. 


378 


Enfin  il  le  fait,  aGn  de  vous  obliger  de  reve- 
nir plus  souvent  à  lui,  et  pour  vous  contrain- 
dre pour  ainsi  dire  à  former  une  espèce  de 
familiarité  par  l'assiduité  de  vos  prières. 

Rien  n'est  plus  naturel  à  l'homme  que 
l'impatience,  puisqu'il  est  superbe  et  préci- 
pité dans  ses  désirs,  et  rien  n'est  plus  inju- 
rieux à  Dieu  que  cette  précipitation,  qui 
semble  lui  imposer  des  lois  en  même  temps 
que  l'on  implore  sa  clémence,  et  qui  veut 
changer  en  une  espèce  de  servitude  cette 
bonté  toute  gratuite  par  laquelle  il  nous  pro- 
met de  nous  faire  grâce. 

Le  vrai  fidèle  ne  se  lasse  pns,  dit  l'Ecri- 
ture; il  sait  que,  comme  Dieu  pourrait  ne 
lui  point  accorder  ce  qu'il  lui  demande,  il 
est  juste  qu'il  ne  le  lui  donne  qu'au  moment 
qu'il  a  marqué.  Par  celle  humble  attente  des 
promesses  de  Dieu,  il  rend  hommage  à  sa 
souveraine  volonté,  qui  est  entièrement  in- 
dépendante de  sa  créature,  et  qui  dispense 
ses  faveurs  à  qui  il  veut,  au  moment  et  se- 
lon la  mesure  qu'il  lui  plaît.  Ne  vous  lassez 
donc  pas,  chrétiens,  mais  humiliez-vous 
dans  ces  retardements,  et  contraignez  Dieu 
par  votre  humilité  à  faire  ce  qu'il  semble  re- 
fuser à  votre  persévérance. 

C'est  le  troisième  exemple  que  nous  donne 
la  Chananéenne,  elle  s'humilie  plus  que  le 
Fils  de  Dieu  ne  la  rabaisse. 

Ah  1  mes  frères,  nous  ne  saurions  trop 
nous  humilier  dans  la  prière.  L'Eglise,  toute 
sainte  qu'elle  est,  s'humilie  en  priant;  elle 
ne  demande  rien  par  elle-même,  ellp  finit 
toutes  ses  prières  par  Jésus-Christ.  Recon- 
naissons que  nous  ne  sommes  que  des  néants 
devant  Dieu,  indignes  d'obtenir  quelque 
chose  que  ce  soit  par  nous-mêmes,  mais  at- 
tendons tout  de  celte  victime  qui  prie  pour 
nous  auprès  de  son  Père. 

Prions  donc,  mes  frères,  prions  beaucoup, 
puisque  nous  n'avons  que  ce  moyen  d'ob- 
tenir le  secours  de  la  grâce  de  Jésus-Christ, 
sans  laquelle  nous  ne  pouvons  rien;  prions 
toujours,  désirons  toujours  les  choses  éter- 
nelles et  la  grâce  de  Jésus-Christ.  Prions 
avec  foi,  avec  patience,  avec  humilité,  avec 
espérance,  et  soyez  sûrs  que  Dieu  vous  fera 
miséricorde.  C'est  ce  que  je  vous  souhaite. 
Ainsi  soit-il. 

SERMON 

l'Ol  II    LE    SAMEDI    DE    LA    PII  KM  II.  Il  12    SEMAINE 
DB    CABÊUE. 

Sur  la  çjloire  étemelle. 

Transfigurants  est  antn  eos. 

il  fui  trmufiguré  devant  eux  (Muitli.,  XVII,  2). 

C'est  avec  grande  raison  que  le  Père  éter- 
nel nous  commande  dans  cet  évangile  d'é- 
couler ce  Fils  bien-aimé  qui  se  transfigure 
Cil  présence,  de  ses  apôtres,  puisque  c'esl 
un  excellent  maître,  et  que  personne  n'a 
jamais  l'ail  uni:  leçon  plus  complète  ut  plus 
achevée  que  celle  qu'il  fait  aujourd'hui  sur 
le  Tliabor.  Vous  comprenez  sans  douic,  par 
ce  que  je  \icns  de  vous  élire,  que  je  veux 
vous  parler  de  la  gloire  éternelle  à  laquelle 
nous  aspirons  tous.  Il  la  montre  dans  sa 
transfiguration  ,    cl  il   nous  la  promet  en 


même  lemps  en  la  faisant  éclater  sur  lui, 
parce  qu'étant  notre  chef  il  nous  assure  par 
là  que,  comme  ses  membres,  nous  avons 
droit  d'y  prétendre. 

Mais  il  ne  suffit  pas  que  nous  soyons  as- 
surés de  l'existence  de  celte  gloire,  si  nous 
ignorons  le  chemin  pour  y  arriver.  Il  nous 
l'enseigne,  mes  frères,  et  comme  il  se  pré- 
sente des  obstacles  qui  peuvent  nous  en  dé- 
tourner, il  nous  les  découvre  aujourd'hui. 
C'est  ce  qui  rend  accomplie  la  leçon  qu'il 
nous  fait  dans  notre  évangile.  Il  n'y  a  pas 
une  parole  dont  le  sens  n'ait  rapport  à  l'idée 
que  je  vous  donne. 

Arrêtons-nous  particulièrement  à  trois 
circonstances  sur  lesquelles  j'établirai  les 
trois  propositions  de  ce  discours  :  1°  A  ce 
qui  s'accomplit  sur  la  personne  de  Jésus- 
Christ  :  il  est  transfiguré  en  présence  de  ses 
disciples,  il  nous  montre  en  sa  personne  une 
expression  et  une  idée  de  celle  gloire  que 
nous  attendons;  2'  à  l'entretien  de  Jésus- 
Christ  avec  Moïse  et  Flie,  dans  lequel  il 
parle  des  souffrances  qu'il  allait  endurer 
dans  Jérusalem,  nous  enseignant  par  là  que 
la  croix  est  le  chemin  de  la  gloire,  et  que  les 
souffrances  nous  en  rendent  dignes;  3*  au 
jugement  des  évangélistes  sur  les  paroles  dei 
saint  Pierre  :  Seigneur,  nous  sommes  bien  ici* 
qui  tombent  d'accord  qu'il  ne  savait  ce  qu'il 
disait,  par  où  ils  nous  découvrent  les  obsta- 
cles qui  nous  détournent  de  la  gloire,  qui 
sont  de  vouloir  être  heureux  en  celle  vie  et 
d'éloigner  les  souffrances  et  la  croix. 

Ces  trois  choses  réunies  composent  une 
leçon  admirable  pour  tous  les  chrétiens  sur 
le  sujet  de  la  gloire  éternelle,  elle  leur  en- 
seigne le  chemin,  elle  leur  en  découvre  les 
obstacles. 

Ainsi,  mes  frères,  tenons-nous  assurés  de 
la  gloire,  sur  la  transfiguration  du  Sauveur: 
premier  point;  instruisons-nous  de  la  voie 
qui  y  conduit  dans  l'entretien  de  Moïse  et 
d'Flie  :  deuxième  point;  profitons  de  l'er- 
reur de  saint  Pierre  pour  i viler  les  égare- 
ments qui  nous  en  pourraient  délourner  : 
troisième  point.  C'est  à  quoi  se  réduit  la 
leçon  renfermée  dans  cet  évangile,  que  nous 
exposerons  après  avoir  imploré  le  secours 
du  ciel.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

C'est  seulement  pour  notre  consolation,  et 
pour  nous  donner  le  plaisir  qu'on  ressent 
toujours  en  parlant  des  biens  qu'on  attend, 
que  je  veux  faire  réflexion  sur  quelques  cir- 
constances de  l'Evangile,  qui  nous  assure 
de  la  gloire  que  nous  espérons;  car  il  n'esl 
pas  nécessaire  d'entreprendre  de  prouver 
lexisteuce  et  la  réalité  de  celte  gloire,  qui 
est  aussi  liée  avec  la  connaissance  de  noire 
être  qu'avec  celle  do  l'être  de  Dieu.  Fn  effet 
ces  langueurs  secrètes  de  noire  âme,  ces 
abattements  intérieurs,  ces  dégoûts  involon- 
taires dans  la  jouissance  des  biens  présents, 
sont  des  preuves  de  l'existence  des  biens  fu- 
turs, et  nous  ne  saurions  connaître  l'immoi'- 
(alité  de  nolro  âme  sans  conclure  qu'il  y  a  do* 


ORATEURS  SACHES.  DOM  JEROME, 
ui  sont 


580 


Siens  de  même  nature  qu'elle-  qai 

irc  • 
Comment   justifierions  -  nom  a  un  nntre 

côté  la  conduite  d'un  Dion  de  qui  la  n;iture 
n'est  que  justice  et  que  bonté,  si  nous  le 
regardions  comme  abandonnant  ses  réatu- 
res  au  hasard,  souffrant  les  méchants  dans 
la  prospérité  et  dans  les  honneurs, cl  laissant 
les  justes  dans  la  misère  et  dans  l'oppression, 
si  nous  n'étions  persuadés  qu'il  y  a  d'autres 
biens  que  ceux  de  la  terre  pour  ses  élus,  et 
qu'il  les  afflige  dans  les  choses  liasses  et  pé- 
rissables, parce  qu'il  connaît  1  i  valeur  infi- 
nie du  prix  dont  il  les  doit  récompenser 
dans  l'éternité?  Mais  sans  nous  étendre 
lur  ces  grandes  preuves  de  la  gloire  que 
nous  attendons,  je  me  resserre  dans  celle  que 
l'Evangile  nous  fournit,  et  comme  nous  nous 
tommes  proposé  d'en  examiner  toutes  les 
parties,  commençons. 

Je  vois  trois  circonstances  dans  cet  évan- 
gile qui  m'assurent  de  la  réalité  de  la  gl<  ire 
que  nous  attendons  par  Jésus-Christ  :  ce  qui 
se  fait  sur  sa  personne;  le  soin  qu'il  prend 
d'y  appeler  Moïse  et  Elie  pour  les  en  rendre 
témoins  ;  la  manière  dont  il  ordonne  a  ses 
disciples  de  publier  ce  mystère. 

11  est  nécessaire  de  supposer  d  abord  une 
des  grandes  vérités  de  la  religion,  qui  est 
souvent  répétée  par  saint  Augustin,  cl  qui 
sert  à  entrer  dans  la  connaissance  de  la  plus 
grande  partie  des  mystères  qui  regardent 
l'Homme-Dieu:  c'est  que  le  Sauv- ur  ne 
forme  qu'un  corps  avec  les  chrétiens,  dont 
il  est  le  chef,  et  que  comme  lui  et  les  siens 
ne  composent  qu'un  seul  Christ  parfait  et 
accompli,  il  y  a  dans  tout  ce  qui  le  regarde 
une  relation  à  ses  membres;  de  sorte  qu  on 
doit  dire  qu'encore  que  dans  tous  les  mou- 
vements du  Sauveur  il  y  ait  quelque  chose 
qui  lui  soit  propre,  ils  conviennent  tous  du 
moins  sous  quelque  rapport  à  ses  élus. 

C'est  ce  qu'il  est  facile  de  reraarqu  r  dans 
ce  qui  lui  arrive  aujourd'hui.  Le  Sauveur  est 
transfiguré   en   présence    de    ses  disciples, 
c'est-à-dire,  mes  frères,  que,  laissant  répan- 
dre  sur  son  corps  la  gloire  dont  son   âme 
jouissait,  et  qu'il  retenait  durant  le  cours  do 
sa  vie  mortelle  pour  être  en  état  d'accomplir 
les  desseins  qui  regardaient  son  incarnation, 
il  parut  à  leurs  yeux  revêtu  de  l'éclat  de  la 
gloire  éternelle,  et  tel  qu'il  paraîtra  au  jour 
du  jugement.  Cette  action  ne  fut  proprement 
qu'une  cessation  de  miracles  :    il  avait  voile 
sa  gloire  pendant  qu  il  était  sur    la    terre, 
semblable  en  quelque  sorte  aux  princes  de 
la  terre  dont  il  est   le  maître  et  le  roi,  qui 
dans  le  combat  ne  portent  point  les  marques 
de   leur   dignité    royale,  et   qui   s  habillent 
comme  le  reste  des  soldats,  mais  bien  diffé- 
rent de  ces  princes  qui  no  se  déguisent  de  la 
sorte  que  de  peur  de  s'attirer  sur  eux,  s  ils 
étaient  reconnus,  les  eflorts   de  leurs  enne- 
mis; Jésus-Christ  au  contraire  se  voila  ici- 
bas,  de  peur  que  l'éclat  de  sa  majesté  ne  mit 
d'abord  tous  ses  ennemis  en  fuite  et  n  épou- 
vantât les  siens. 

Or  ,    dans   cette  action    du    Sauveur   du 
monde,  il  y  a  deux  choses,  l'une  regarde  pré- 


ienl  lésos-Cbrist,  et  c'est  le  cl  ai  gemenl 

qai  se  fait  sur  sa  nature  humaine,  qui  quoi- 
qo  mortelle  et  passible,  parait  néanui  ini 
revêtue  de  la  clarté  des  corps  glorieoi  :  r  ia« 
Ire   qui    nous    regarde,   et   i  'est  BC« 

que  nous  recevons  de  l'existence  de  lagjoire 
éternelle,  qu'il  promet  à  tous  ses  dis<i|  I 
et  qu'il  rend  sensibl    â  Cl  ni  qu'il  appelli 
cette  action,  où  il  leur  déc  >uvre  ce  que  tous 
doivent  al  eudre  cou, me    i  -      i  ml  n  i,  par 
ce  qui  parait  sur  lui-même  ci. mine  leur  chef. 

Il  leur  donne  donc  une  idée  et  une    ; 
rance  de  cette  tram    g   ration  glorieuse  qui 
changera  ce  corps  mortel,  et  le  ren  Ira  con- 
forme   au    corps   glorieux    de    Jésus-Chris', 
puisque   ce  qui   s'accomplit  en  Jésus-Christ 
dans  celte   rencontre    est   moins   un   n 
(îue  la  manifestation  de  la  gloire  qui  lui  était 
naturelle.  C'est  l'idée  que  lous  les  Pères  nous 
donnent  de  celle  action,   et  ils  la  regardent 
comme  un  moyen  que  Jésus-Ch  i^t  a  choisi 
I  our  assurer  ses  discip'es  delà  gloire  f  ture. 
Saint  Rernard  nous  enseigne  que  cette  gloire 
qui  couvre  Jésus-Christ  sur  le  Thabo.  est  la 
même  dont  il  sera  environné  après  sa  résur- 
rection, que  celte  gloire  dont  il  es'    revêtu 
est  celle  qui  nous  est  destinée,  et  que  l'éclat 
n'en  est  exposé  à  nos  yeux  sur  le  Thabor 
que  pour  nous  en  assurer  un  jour  la  posses- 
sion. ,,  .. 

Ajoutez  que  Jésus-Christ  veut  que  Moïse 
et  Elie  soient  présents  à  cette  action,  afin 
de  rendre  encore  plus  certaine  cette  assu- 
rance qu'il  nous  donne  en  la  personne  do- 
ses apôtres.  Car,  mes  frères,  les  Juifs,  qui 
l'accusaient  d'être  un  violateur  de  la  loi  et 
usurpateur  de   la    gloire  de   son   Père, 


un   . 

n'auraient  pas  manque  de  convaincre  ses 
apôtres  de  la  fausseté  de  la  doctrine  de  leur 
maître,  ou  au  moins  de  rendre  celte  action 
suspecte,  quand  ses  disciples  l'auraient  pu- 
bliée. Us  auraient  dit  qu'il  avait  usé  d'arti- 
fices pour  les  surprendre,  cl  que  celle  gloire 
n'était  qu'une  illusion.  Il  fallait  donc  que 
Jésus-Christ  se  fit  reconnaître  pour  le  Fils 
de  Dieu  en  établissant  une  loi  nouvelle. 

Or.  Moïse  avait  intérêt  à  conserver  la  loi 
ancienne  ,  et  Elie  à  soutenir  la  gloire  de 
Dieu;  car  Moïse  ayant  donné  la  loi,  les 
Juifs  ne  pouvaient  pas  dire  que  ce  saint 
prophète  eût  voulu  rendre  témoignage  a 
vertu  d'un  homme  qui  la  violait,  ei  qu'il 
cûl  honoré  de  sa  présence  l'ennemi  déclare 
des  ordres  qu'il  avait  autrefois  publiés  de  la 
pari  de  Dion.  D'un  autre  côte.  Elie.  qui  avait 
été  brûlé  d'un  zèle  si  ardent  pour  la  gloireet 
le  service  de  Dieu,  n'aurait  pas  rendu  témoi- 
gnage à  Jésus-Christ, ni  obéi  à  ses  ordre  , 
l'eût  regardé  comme  un  homme  oppos 
Dieu,  qui  eût  voulu  se  ren  Ire  égal  à  lui.  et 
usurper  injustement  une  gloire  dont  ce  pro- 
phète avait  été  si  jalout  durant  sa  rie. 

Ces  arguments,  qui  confirment  I  assurance 
cl  la  solidité  de  la  gloire  que  le  Sauveur 
nous  montre  sur  le  Thabor,  sont  de  saint 
Chrrsostomc,  et  il  ajoute  que  dans  ce  mo- 
ment il  voulut  l'aire  connaître  qu  il  était  le 
maître  de  la  vie  et  de  la  mort,  qu  il  dominait 
dans  le  ciel  et  daus  les  enfers,  cl  qu'il  pre- 


581 


SERMON  POUR  LE  SAMEDI  DE  LA  PREMIERE  SEMAINE  DE  CAREME. 


ES 


naît  des  témoins  de  sa  gloire  parmi  les  vi- 
vants en  la  personne  d'Elio,  et  parmi  les 
morts  en  celle  de  Moïse.  Saint  Thomas  dit 
que  le  soin  qu'il  prit  d'assembler  ces  deux 
prophètes  et  ces  trois  disciples  sur  le  Tha- 
bor,  fui  pour  nous  apprendre  que  comme, 
lorsqu'il  lit  son  entrée  dans  la  ville  de  Jéru- 
salem où  il  devait  être  immolé,  il  y  avait  des 
troupes  qui  le  précédaient  et  d'autres  qui  le 
suivaient,  pour  marquer  qu'il  était  le  Sau- 
veur de  tous,  et  que  ceux  qui  étaient  morts 
avant  lui,  comme  ceux  qui  mourraient  après, 
n'élaient  sauvés  que  par  sa  mon,  de  même 
dans  l'action  qu'il  a  choisie  pour  assurer  les 
hommes  de  la  réalité  de  la  gloire,  il  veut 
qu'il  y  ait  des  hommes  qui  l'avaient  précédé 
en  la  personne  de  Moïse  et  d'Elie,  et  des 
hommes  qui  ledevaientsuivre  en  la  personne 
de  ses  disciples,  pour  nous  faire  entendre 
qu'en  donnant  des  assurances  de  sa  gloire  en 
la  présence  de  ces  deux  sortes  de  personnes, 
elle  était  préparée  pour  tous  ,  et  que  tous 
ceux  qui  lui  appartiennent  y  sont  véritable- 
ment appelés. 

Les  apôtres,  qui  avaient  été  les  témoins  et 
qui  avaient  reçu  les  assurances  de  la  gloire, 
eurent  ordre  d'en  assurer  les  autres,  et  de 
leur  apprendre  ce  qui  s'était  passé  dans  celle 
action,  afin  qu'ils  le  publiassent  à  loute  la 
terre  ;  aussi  sainl  Pierre  dit-il  dans  sa  seconde 
Epîtrc  canonique  :  Ce  ne  sont  point  des  fables 
ni  des  fictions  ingénieuses  que  nous  vous  ra- 
contons, car  nous  avons  été  les  spectateurs  de 
sa  majesté,  et  vous  entendîmes  nous-mêmes 
cette  voix  qui  venait  du  cid ,  lorsque  nous 
étions  avec  lui  sur  la  sainte  montagne. 

11  est  vrai  que  Jésus-Christ  commanda  à 
ses  apôtres  de  ne  parler  à  personne  de  cette 
vision  jusqu'à  ce  que  le  Fils  de  l'homme  fût 
ressuscité  d'entre  les  morts.  Les  Pères  en 
rendent  différentes  raisons  qui  regardent  les 
Juifs  el  l'étal  où  était  alors  la  religion  que 
Jésus-Christ  venait  établir  pour  nous. 

Pour  nous,  contentons-nous  seulement  de 
faire  une  réflexion  qui  nous  regarde  :  c'est 
qu'en  commandant  de  publier  ce  qu'ils  ont 
vu,  il  nous  apprend  que  nous  avons  droit  à 
la  gloire  qu'il  leur  a  montrée;  autrement 
quelle  serait  la  nécessité  de  nous  en  rendre 
témoignage?  Recevons-le  donc  ce  témoi- 
gnage comme  la  preuve  de  cette  gloire;  le 
Sauveur  en  est  revêtu,  nous  avons  part  à  ce. 
qui  le  louche,  le  Père  éternel  publie  qu'il  est 
son  fils,  Moïse  el  Elie  y  sont  présents,  il  or- 
donne à  ses  disciples  de  la  publier  ;  tenons- 
nous  donc  certains  de  cette  gloire  autorisée 
par  tant  de  témoignages  ;  mais  comme  les 
disciples  n'ont  ordre  de.  ne  la  publier  qu'a- 
près que  le  Fils  de  l'homme  sera  ressuscité 
d'entre  les  morts  ,  apprenons  de  là  que  , 
comme  sa  mort  a  précédé  sa  résurrection,  et 
qu'il  n'est  entré  en  possession  de  celle 
gloire  qu'il  nous  montre  sur  le  Thabor, 
qu'après  avoir  passé  par  les  souffrances 
qu'il  doit  endurer  sur  le  Calvaire,  nous  n'y 
arriverons  que  par  la  croix  ;  c'est  la  seule 
vo  e  qui  y  conduise,  cl  c'est  ce  dont  il  fut 
question  dans  l'entretien  qu'eurent  avec  lui 


Moïse  et  Elie,   comme   nous  allons   le  voir 
dans  la  deuxième  partie. 

DEUXIÈME   PARTIE. 

Quand  les  saints  Pères  ont  réfléchi  sur  la 
seconde  circonstance  de  notre  évangile,  qui 
doit  servir  de  matière  à  la  deuxième  partie 
de  ce  discours,  ils  l'ont  regardée  comme 
une  marque  des  soins  que  Jésus-Christ  a 
pris  d'instruire  e!  d'enseigner  ses  disciples, 
et  dans  leurs  personnes  tous  les  chrétiens.  Il 
a  voulu  les  instruire,  lorsque,  dans  une  ac- 
tion où  il  donnait  des  preuves  de  sa  gloire, 
il  ne  parle  que  des  douleurs  de  sa  passion, 
et  leur  apprendre  par  là  qu'il  y  avait  une 
liaison  aussi  nécessaire  entre  les  souffrances 
et  la  gloire,  qu'il  y  en  a  entre  les  moyens 
et  la  fin.  Il  leur  fait  voir  ce  qui  les  attend,  il 
leur  montre  ce  qu'ils  doivent  espérer,  mais 
il  leur  enseigne  en  même  temps  les  moyens 
pour  y  arriver,  et  il  leur  déclare  les  condi- 
tions sous  lesquelles  il  donnera  ce  qu'il  a 
montré. 

En  effet,  quel  rapport  et  quelle  convenance 
y  aurait-il  entre  un  spectacle  tout  de  gloire 
et  tout  brillant  d'éclal,  et  un  entrelien  dans 
lequel  on  ne  parle  que  de  souffrances,  de 
passion  et  de  mort?  H  a  donc  voulu  les  ani- 
mer à  embrasser  ces  moyens  en  choisissant 
Moïse  el  Elie,  pour  faire  avec  eux  cet  entre- 
tien si  plein  de  mystères  et  d'instruction  ; 
car  comme  les  apôtres,  ainsi  que  tous  les 
Juifs,  étaient  remplis  de  la  grande  idée  du 
zèle  de  ces  deux  personnes  qui  avaient  tant 
travaillé  pour  la  gloire  de  Dieu,  et  tant 
souffert  pour  ses  intérêts,  l'un  sous  Pharaon, 
et  l'autre  sou  s  Achab,  il  voulait  leur  appren- 
dre, en  les  choisissant  pour  assister  à  une 
action  où  sa  gloire  ne  devait  paraître  qu'un 
moment,  qu'il  fallait  souffrir  beaucoup  pour 
se  rendre  digne  d'une  gloire  qui  ne  devait 
Onir  jamais,  el  que  le  zè!e  qu'ils  avaient  fait 
paraître  dans  un  temps  de  faiblesse,  de  lan- 
gueur, d'incertitude,  d'obscurité,  comme  ce- 
lui où  ils  avaient  vécu,  devait  être  un  motif 
pour  nous  animer  dans  un  temps  de  force, 
de  certitude  et  d'assurance. 

Or,  mes  frères,  si  nous  ne  voulons  pas  que 
tout  ce  qui  se  passe  dans  cet  entrelien  soil 
une  raison  pour  nous  confondre  cl  pour  nous 
condamner,  après  en  avoir  ainsi  expliqué  le 
mystère  par  les  pensées  et  les  lumières  des 
saints  Pères,  entrons  dans  la  preuve  de  la 
vérité  qu'il  nous  enseigne,  et  convainquons- 
nous  qu'il  n'y  a  point  d'autre  voie  que  celle 
des  souffrances  pour  arriver  à  la  gloire  que 
Jésus-Christ  nous  découvre  et  qu'il  nous 
promet. 

Il  faut  ne  pas  entendre  la  religion,  selon 
saint  Augustin,  pour  pouvoir  douter  de  celte 
vérité.  Quiconque  saura  ce  qu'Adam  a  fait 
dans  le  monde,  et  ce  que  Jésus-Christ  y  est 
venu  faire,  comprendra  facilement  qu'on  ne 
va  plus  à  la  gloire  que  par  les  souffrances  ; 
Adam,  par  sa  désobéissance,  avait  perdu  cet 
état  de  félicité  et  de  bonheur  dans  lequel 
Di.u  avait  placé  l'homme  dans  sa  création  ; 
on  devait  aller  à  la  gloire  par  la  félicité,  et  la 
jouissance  des  avantages  de  la  tic  présente 


ORATKIJItS  SACRES.  DON!  JEROME 


»l 


étail  le  chemin  qui  nous  conduisait  à  la  pos- 
session de  Ceux  de  la  vie  future  ;  ma  S,  m  >l 
frères,  cet  état  n'a  pas  duré  longtemps  :  le 

péché  d'Adam  nous  en  a  l'ail  déchoir,  et  I  in- 
fidélité qu'il  a  eue  pour  un  Dieu  qui  l'avait 
comblé  de  liions  nous  aurait  plongés  dans  des 
misères  éternelles,  si  la  boulé  de  ce  même 
Dieu  ne  l'avail  porlé  à  nous  fournir  des 
moyens  pour  nous  en  délivrer. 

Le  moyen  dont  il  s'est  servi  a  été  de  nous 
donner  un  second  homme  capable  de  réta- 
blir ce  que  l'autre  avait  ruiné,  mais  qui,  en 
se  rendant  notre  Rédempteur,  et  en  nous  re- 
donnant par  sa  rédemption  les  droits  à  la 
gloire  que  nous  avions  perdus  par  l'infidélité 
du  premier,  devenait  le  maître  des  condi- 
tions auxquelles  il  fallait  l'acquérir,  el  se 
réservait  à  nous  marquer  le  chemin  qu'il 
fallait  suivre  pour  y  arriver,  el  comme  il  est 
la  source  de  la  vie,  el  que  nous  ne  la  pou- 
vons recevoir  que  de  lui,  il  est  aussi  la  lu- 
mière, et  c'est  par  lui  que  nous  apprenons 
le  chemin  qu'il  faut  tenir  pour  arriver  à  la 
perfection  et  à  la  consommation  de  cette  vie. 
C'est  pour  cela  qu'il  est  appelé  chez  les  pro- 
fihètes,  le  précepteur  des  hommes,  le  maître 
des  peuples,  la  voie  qui  conduit  à  la  vie ,  et 
que  le  Père  élernel ,  rendant  témoignage  à 
sa  mission  dans  cet  évangile,  nous  ordonne 
de  l'écouler. 

Remarquons  donc  que  ce  témoignage  du 
Père  étemel  porte  sur  la  gloire  dont  il  est 
environné,  et  sur  l'entretien  qu'il  a  avec 
Moïse  et  Llie;  car  le  Père  éternel  dit  qu'il 
est  son  Fils,  et  par  là  il  nous  assure  que  ce 
n'est  point  ici  une  illusion,  que  cette  gloire 
qui  brille  aux  yeux  des  apôtres  est  solide  et 
réelie,  et  qu'étant  son  Fils  il  ne  peut  nous 
tromper  ;  mais  il  ajoute  qu'il  faut  l'écouter, 
parce  que  c'est  de  lui  que  nous  devons  ap- 
prendre la  voie  pour  arriver  à  celte  gloire 
qu'il  nous  a  découverte  pour  nous  animer  : 
et  il  nous  fait  ce  coininamlcment  dans  le 
temps  qu'il  vient  de  finir  un  entretien  avec 
Moïse  et  Elie,  où  il  n'a  parlé  que  de  ses  souf- 
frances el  de  sa  passion,  pour  nous  appren- 
dre qu'on  ne  peut  y  arriver  que  par  celle 
voie. 

Consultons  donc  ce  divin  maître  que  le 
ciel  nous  donne.  11  ne  nous  enseigne  rien 
autre  chose  dans  tout  le  corps  de  sa  doctrine: 
yrous  pleurerez  et  vous  gémirez,  vous  mures  ; 
et  le  monde  sera  dans  la  joie,  dit-il;  eous  se- 
rez dans  la  tristesse,  mais  votre  tristesse  se 
changera  en  joie.  En  un  mot  tous  ceux  qui 
sont  à  lui  ont  crucifié  leur  chair  avec  leurs 
passions  el  leurs  désirs  déréglés. 

C'est  donc  là  la  voie  qu'il  nous  a  ensei- 
gnée pour  arriver  à  la  gloire,  c'est  à  ces  con- 
ditions qu'il  nous  la  promet.  El  en  vérité  y 
a-t-il  rien  de  plus  juste  que  ces  conditions  ? 
vous  avez  abusé  de  la  félicite,  vous  on  soie/ 
privés  sur  la  terre.  Connue  pécheurs,  vous 
devriez  être  livrés  à  la  douleur  pour  tou- 
jours :  je  vous  en  relire  pour  l'éternité  en  la 
prenant  sur  moi-même,  mais  à  condition  que 
vous  y  serez  exposés  durant  le  temps  de 
celle  vie,  que  les  peines  et  les  douleurs  qui 
en  sonl  inséparables  vous  seront  précieuses, 


que  la  joie  el  les  plaisirs  qui  s'y  rencontr 
rous  leront  suspects,  el  que  vous  porterez 
avec  patience  les  chagrins  delà  vie  que  vous 
tarez  morne  reçus  avec  arnour.  que  vous 
n'en  rechercherez  jamais  les  déliées  avec 
dérèglement,  et  que  vouspasserezautravers 
de  ceux  qui  s'y  présenteront  sans  vous  y  at- 
tacher. 

Non.  mes  frères,  rien  do  plus  raisonnable 
que  ces  conditions  :  vous  devenez  les  enfants 
de  Dieu  par  adoption,  vous  êtes  les  héritiers 
comme  enfants  ;  vous  devez  donc  prendra 
les  charges  de  la  succession,  et  les  voilà. 
Quand  nous  n'aurions  pas  perdu  les  droits  à 
la  gloire  éternelle  par  le  crime  de  notre  pre- 
mier père,  Dieu  ne  pouvait-il  pas  nous  !a 
faire  acheter  par  le  mépris  dis  biens  pré- 
sents, el  ne  l'avait-il  pas  mise  d'abord  au 
prix  de  l'obéissance  qu'il  exigea  du  premier 
homme  ? 

Tout  le  commerce  de  celle  vie  n'est  qu  un 
échange  perpétuel  de  ce  que  nous  avons 
contre  ce  que  nous  n'avons  pas  et  ce  que 
nous  désirons  d'avoir;  tout  coûte  ici-bas 
jusqu'aux  moindres  choses,  tout  s'achète 
chèrement  dans  ce  monde,  et  nous  ferons 
difficulté  de  sacrifier  la  jouissance  d'un  plai- 
sir léger,  court,  interrompu  et  défectueux, 
pour  nous  acquérir  la  possession  d'une  féli- 
cité telle  que  celle  de  la  gloire  qui  ne  doit 
point  finir,  doit  nous  c  mnaissons  la  valeur, 
et  à  l'espérance  de  laquelle  personne  ne  veut 
renoncer. 

.Mais  pour  vous  soutenir  et  vous  encoura- 
ger, considérez  la  grandeur  de  cet  héritage, 
laites  une  comparaison  entre  ce  que  roua 
souffrez  et  ce  que  vous  acquérez  en  souf- 
frant. La  peine  est  légère,  el  Dieu  lui-même 
en  est  pourtant  la  récompens  .  Oui,  je  souf- 
frirai un  moment,  et  je  serai  heureux  dans 
l'éternité;  les  hommes  me  feront  souffrir,  et 
un  Dieu  me  couronnera  :  ..jouions  à  lout 
ceci  que,  comme  affranchis  de  Jesus-Christ 
par  la  rédemption,  nous  sommes  nécessaire- 
ment obligés  de  tenir  les  conditions  qu'il  a 
mises  au  salut  qu'il  nous  a  mérité,  et  aux- 
quelles il  s'o«t  lui-même  soumis,  en  n'arri- 
vant à  la  gloire  que  par  sa  passion  ;  et  con. 
cluons  avec  saint  Augustin  que  la  croix  est 
le  chemin  du  ciel;  qu'en  rejetant  les  souf- 
frances nous  renonçons  à  l'héritage  éternel, 
et  qu'il  ne  recev  ra  au  nombre  de  ses  enfan  l 
que  ceux  qui  auront  passé  par  celle  voie. 
puisque,  n'avani  qu'un  Fils  unique  qui  était 
innocent,  il  a  voulu  qu'il  y  passât. 

Prenez  donc  garde,  chrétiens,  à  ne  pas 
donner  dans  cette  illusion  si  commune,  si 
agréable,  mais  si  dangereuse,  qu'on  peut 
être  heureux  dans  colle  vie  avec  le  monde, 
et  dans  l'autre  avec  Jesus-Christ  ;  c'est  l'er- 
reur de  saint  Pierre  condamnée  par  lesévan- 
gélistes,  que  nous  allons  examiner  dans  la 
troisième  partie. 

TB   II!  Il   Ml     l'AUTIE 

Il  n'y  a  point  de  chrétien  qui  ne  soit  con- 
vaincu de  la  solidité  de  la  gloire  future,  cl 
qui  n'espère  d'en  jouir.  Il  n'y  en  a  guère  qui 
ne  sachent  qu'il  faut  souffrir  pour  y  arrive/; 


385 


SERMON  POUR  LE  SAMEDI  DE  LA  PREMIERE  SEMAINE  DE  CAREME. 


38(i 


mais  il  y  en  a  pou  qui  tirent  de  ces  vérités 
les  conséquences  qu'il  en  faut  tirer.  Or,  mes 
frères,  l'assurance  du  bonheur  de  la  vie  fu- 
ture doit,  1°  nous  en  inspirer  le  désir,  qui 
ne  peut  être  en  nous  sans  nous  donner  du 
dégoût,  ou  du  mépris,  ou  au  moins  de  l'in- 
différence pour  la  vie  présente  :  situation 
que  saint  Paul  exige  des  chrétiens.  C'est,  dit 
saint  Augustin,  l'état  d'un  juste  qui  souffre 
le  monde  et  qui  ne  l'aime  pas. 

2°  La  vue  de  la  nécessité  de  souffrir  pour 
arriver  au  bonheur  de  cette  vie  future  doit 
nous  faire  rechercher  les  souffrances  avec 
ardeur,  ou  les  recevoir  avec  joie,  ou  au 
moins  nous  les  faire  porter  avec  patience  et 
avec  résignaiion  ;  c'est  le  dernier  degré.  Mais 
qu'arrive-t-il,  mes  frères?  Nous  croyons  vo- 
lontiers l'excellence,  la  grandeur  et  l'éier- 
nilé  des  biens  futurs  ;  cette  idée  est  agréable, 
il  est  doux  de  se  la  représenter  quelquefois, 
c'est  un  soulagement  dans  les  chagrins  de 
notre  étal  présent  ;  cependant  nous  croyons 
tellement  cette  vie  future,  que  nous  donnons 
tous  nos  soins  à  la  vie  présente.  Nous  croyons 
qu'il  faut  souffrir  en  celte  vie,  mais  nous  le 
croyons  de  telle  manière  que,  sans  vouloir 
passer  outre  ,  nous  nous  en  tenons  à  la 
créance  seule,  et  pendant  que  nous  nous 
disons  convaincus  de  la  nécessité  de  souffrir, 
nous  faisons  tous  nos  efforts  pour  rendre 
celle  vie  agréable  et  pour  en  éloigner  tous 
les  chagrins. 

Voilà,  mes  frères,  l'erreur  de  saint  Pierre 
condamnée  par  les  évangélistes  ;  car  que 
dit  cet  apôtre?  1"  il  dit  :  Nous  sommes  bien 
ici.  Oubliant  le  bonheur  de  la  vie  future,  et 
se  voulant  attacher  à  celui  de  la  vie  pré- 
sente, il  est  charmé  par  l'éclat  d'une  gloire 
passagère  qui  ne  brillait  à  ses  yeux  que 
pour  lui  donner  une  idée  de  la  gloire  et  la 
lui  faire  désirer.  2"  Il  dit:  Faisons  ici  trois 
lentes.  Dans  la  vue  de  se  mettre  à  couvert 
de  tout  ce  qui  pouvait  troubler  la  douceur 
qu'il  espérait  goûter,  et  dans  la  jouissance 
de  cette  gloire  qu'il  avait  vue,  il  oublie  qu'il 
fallait,  passer  par  les  souffrances  pour  arri- 
ver à  la  possession  de  celle  que  celle-ci 
signifiait. 

Ainsi  cet  apôtre  est  condamné  par  les 
évangélistes.  Il  ne  savait,  est-il  dit,  ce  qu'il 
disait.  11  était  donc  dans  l'erreur,  et  certai- 
nement nous  le  serons  de  même  si  ,  comme 
cet  apôtre,  nous  croyons  qu'il  est  possible 
d'être  heureux  en  celle  vie  avec  le  monde, 
et  dans  l'autre  avec  Jésus-Christ.  C'est  ne 
point  connaître  le  chrétien,  et  n'avoir  nulle 
idée  de  l'ordre  que  Dieu  a  établi,  que  de 
vouloir  jouir  du  repos  cl  delà  gloire  avant 
les  travaux  et  les  souffrances.  Or,  mes  frères, 
combien  de  chrétiens  qui  s'abusent  comme 
cetapôtrel  On  ne  peut  être  néanmoins  dans 
celle  erreur  sans  s'égarer  de  la  voie  qui  con- 
duit à  la  félicité  éternelle.  Il  ne  suffit  pas  de 
la  connaître  et  de  la  croire,  il  faut  la  désirer, 
et  ou  ne  peut  la  désirer  véritablement  que 
ce  désir  ne  produise  deux  effets. 

1°  Un  dégoût  pour  la  vie  présente,  qui 
nous  retient  dans  la  misère  et  qui  retarde 
notre  bonheur;  2  un  amour  pour  les  peines 


et  les  incommodités  de  cette  vie,  qui  sont  les 
voies  et  les  moyens  pour  arriver  au  bonheur 
de  l'autre.  Et  en  vérité,  pouvons-nous  dire 
que  nous  nous  regardons  comme  des  étran- 
gers et  des  exilés  sur  la  terre,  quand  nous 
ne  pensons  qu'à  nous  y  établir  par  des  al- 
liances, par  des  charges,  par  de  nouvelles 
acquisitions  de  biens  ou  d'honneurs,  par  des 
bâtiments?  quand  vous  regardez  comme  le 
seul  objet,  ou  du  moins  comme  le  plus  vif 
de  vos  désirs,  la  prospérité  de  votre  famille, 
le  bon  état  de  vos  affaires,  la  beauté,  l'agré- 
ment et  la  commodité  de  vos  logements,  la 
propreté  et  la  délicatesse  de  votre  table,  la 
force  et  la  vigueur  de  votre  santé?  Ne  pou- 
vez-vous  pas  dire  comme  cet  apôtre  qui  «c 
trompe  :  ISous  sommes  bien  ici,  et  véritable- 
ment ne  le  pensez-vous  pas  ?  Oui ,  mal- 
heureusement pour  vous,  cela  est  ainsi,  et 
ce  sentiment-là  est  véritablement  dans  votre 
cœur. 

Il  est  vrai  qu'il  arrive  quelquefois  que 
vous  tenez  un  langage  contraire,  lorsque 
vous  demandez  à  Dieu  que  son  royaume  ar- 
rive ;  mais  voire  cœur,  qui  est  sincère,  dé- 
ment votre  langue,  car  en  demandant  que  le 
règne  de  Dieu  arrive,  c'est  demander  la  lin 
de  celte  vie,  et  vous  ne  voulez  pas  qu'elle 
unisse.  La  seule  idée  que  cette  fin  doit  arri- 
ver vous  trouble  et  vous  agite  ;  vous  la  re- 
jetez comme  quelque  chose  d'importun,  vous 
ne  voulez  pas  qu'on  vous  en  parle  ;  et,  eni- 
vrés de  ces  douceurs  de  la  vie  présente  , 
vous  ne  voulez  entendre  parler  de  celles  de 
la  vie  future  que  pour  vous  flatter  agréable- 
ment de  l'espérance  de  passer  de  douceur  en 
douceur,  el  o'être  heureux  dans  l'autre  vie 
après  l'avoir  été  dans  celle-ci. 

La  sincérité  et  la  bonne  foi  de  votre  cœur 
sur  cet  article  se  découvrenl  par  votre  con- 
duite, et  il  paraît  que  vous  vous  trouvez  bien 
ici  et  que  vous  ne  pensez  point  à  l'autre  vie, 
puisque  vous  ne  donnez  vos  soins  qu'à  celle- 
ci,  que  vous  ne  travaillez  qu'à  la  rendre 
longue  el  heureuse  ,  par  l'assemblage  de 
tous  les  biens  que  vous  pouvez  vous  procu- 
rer, et  par  l'éloignemenl  de  tous  les  maux 
qu'il  est  en  votre  pouvoir  d'éviter. 

S'il  arrive  malgré  vous  que  les  chagrins 
cl  les  peines  vous  attaquent,  vous  gémissez, 
mais,  comme  dit  saint  Augustin,  en  versant 
des  larmes  qui  sont  aussi  criminelles  que 
votre  joie,  parce  qu'elles  coulent  de  la  même 
source ,  et  qu'après  avoir  joui  du  monde, 
pendant  que  le  monde  vous  aimait,  vous 
l'aimez  encore  lorsque  vous  n'êtes  plus  rien 
pour  lui. 

Voilà,  mes  frères,  comme  nous  sommes 
faits  pour  la  plupart.  Nous  connaissons  qu'il 
y  a  une  gloire  éternelle,  et  nous  ne  pensons 
non  plus  à  nous  en  rendre  digues  que  si 
nous  é.ions  persuadés  qu'il  n'y  en  a  point. 
Nous  sommes  convaincus  qu'on  n'y  va  que 
par  la  voie  des  souffrances,  et  nous  les  évi- 
tons comme  de  grands  maux.  Nous  nous 
aveuglons  au  milieu  de  nos  lumières  ,  et 
faisant  profession  d'écouter  la  vérité  qui 
nous  instruit,  nous  suivons  l'erreur  qui 
nous  égare  ;  nous  ne  sommes  chrétiens  quo 


r,K? 


ORATEURS  BACRÊS.   DOM 


de   boucha  ci  en    paroles,  et  nous  jouîmes 
paYeni  de  m  ur  cl  l'effet. 

Oncle  sera  II  conclusion  (le  ce  discours  .' 
de  demander  à  Dieu  qu'en  nous  renouvelant 
l'idée  de  la  glaire,  il  en  nette  l'amour  de  s 
notre  cœur,  mais  coi  amour  effectif  qui  mus 
en  lasse  senlir  la  privation,  qui  nous  fi' 
regarder  la  vie  présente  comme  un  bannis- 
sement de  notre  patrie  et  comme  un  retar- 
dement de  notre  félicité  ;  que  cet  amour 
nous  ronde  les  douceurs  de  celle  rje  su  pec- 
les,  parce  qu'elles  ne  sont  propres  qu'à  nous 
y  attacher  ,  qu'il  nous  en  fasse  aimer  les 
peines,  parce  qu'elles  nous  en  donnent  du 
dégoût,  ei  que  sans  elles  nous  ne  saurions 
désirer  véritablement  les  eboses  d'en  haut. 
Dieu  ne  donne  cette  gloire  qu'à  ses  enfants, 
et  ses  enfants  ne  sont  reconnus  que  par  ce 
caractère;  car,  comme  dit  le  saint  apôtre: 
Si  vous  n'avez  pas  de  part  à  la  croix  et  à  M 
souffrance,  vous  êtes  les  enfants  d'un  adultère, 
et  non  pas  des  enfants  légitimes. 

Que  celte  parole  est  terrible  pour  ceux 
qui  ne  pensent  qu'à  la  vie  présente  et  à  la 
joie,  et  qu'elle  renverse  bien  les  faux  princi- 
pes de  ceux  qui  se  flattent  de  pouvoir  élre 
heureux  en  celte  vie  avec  le  monde,  et  dans 
l'autre  avec  Jésus-Christ  ! 

Mes  frères,  le  Sauveur  du  monde  est  des- 
cendu du  Thabor  pour  monter  sur  le  Cal- 
vaire, et  c'est  de  dessus  la  montagne  des  O  i- 
viers  qu'il  monte  d  ms  le  sein  de  son  Père  : 
il  faut  le  suivre  partout,  si  nous  voulons  al- 
ler où  il  est.  C'est  ce  que  je  vous  souhaite. 
Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR  LE  DEUXIÈME  DIMANCHE  DE  CAUÊME. 

Ecouter  Jésus-Christ   comme  notre    unique 
docteur. 

Hic  est  Filius  meus  dileclus  in  quo  milii  boue  roni[>la- 
cui  ;  ipsuffi  aii'liie. 

C'est  mon  i'ila  bkn-aimé,  dans  lequel  j'ai  mis  toute  mon 
affection;  écoulez-le  (ttallh.,  XVII,  G). 

C'est  aujourd'hui,  mes  frères,  que  la  pro- 
phétie d'Isaïe  esl  accomplie,  où  Dier.  promet- 
tait à  son  peuple  que  celui  qui  l'instruirait  ne 
disparaîtrait  plus  de  devant  lui,  et  que  ses 
jeux  verraient  le  maître  qui  l'enseignerait. 
//  vous  dira,  ajoute  le  prophète ,  c'est  ici  lu 
voie,  marchez  dans  le  chemin  sans  vous  dé- 
tourner ni  à  droite  ni  à  gauche,  lit  c'est  au- 
jourd'hui que  le  l'ère  éternel  nous  le  montra 
sur  le  Thabor. 

Il  y  a  trois  choses,  mes  frères,  à  considé- 
rer dans  les  paroles  d'Isaïe,  qu  il  faut  appli- 
quer à  Jésus-Christ,  de  qui  elles  se  doivent 
entendre,  et  dont  nous  devons  tirer  les  ins- 
tructions qui  feront  le  sujel  de  ce  discours. 
I.a  première,  c'est  que  Dieu  donnera  un 
maître  à  son  peuple,  il  le  lui  promet  :  la 
condc,  c'est  que  ce  maître  lui  enseignera  le 
chemin,  il  l'en  assure  ;  la  troisième,  c'est 
qu'il  faut  marcher  dans  le  chemin  qu'il  en- 
seignera sans  se  détourner  ni  à  droite  ni  à 
gauche,  il  le  lui  recommande.  Or  Jésus- 
Christ  est  ce  maître  promis  qui  nous  en- 
seignera et  que  nous  devons  suivre  ;  car  en 


vain  nous  enseignerait-il  ai  non  ai* 

\  Kl 

Disons  donc,  mes  frères,  en    partageant  De 
discours   i    que  léeoa-Guriet  esl 

que  maître,  et  que  nous    n'eu  d<  tint 

consulter  d'autres  :  première   pai 
non    ne    •  inmcs  ses  discii. les  qu'autant  < 
nous  réglons  notre  con  luite  sur  si  ères 

et  sur  la  foi  :  deuxième  partie  ;  3  enfin  de 
quelle  manier,  il  le  faut  consulter,  pour  en- 
tée,- connaissance  de  la  Fai  et  s.'  t 
gler  sur  ses  lumières  :  troisième  partie.  Ces 
ileux  d'  i  nieres  parties  n'en  feront  qu'une. 
Demandons  les  lumières  du  Saint-Esprit. 
Ave,  Maria. 

PHKMlÈllE    PAKTIE. 

Ce  qui  se  passe  sur  le  Thabor,  mes  M 
esl  une  preuve  de  ma  première  proposition. 
Moïse  et  Eiic  paraissent  à  co  é  de  Jésus- 
Christ  dans  le  miracle  de  la  transfiguration, 
parce  que  la  loi  et  les  prophètes  rendent  té- 
moignage au  Messie  que  le  Père  éternel  de- 
vait nous  envoyer  ;  mais  après  que  le  Père 
éternel  a  parlé  du  milieu  de  la  nuée,  el  qu'il  a 
dit  àtous  les  hommes  en  la  personne  des  trois 
a  poire*,  témoins  de  celte  merveille,  que  i 
son  Fils  bien-aimé,  et  que  c'est  lui  qu  il  faut 
écouler,  Moïse  el  Clie  ne  paraissent  plusja 
loi  et  les  prophètes  se  retirent,  et  non  n'a- 
vons plus  d'autre  maître  que  Jésus-Chrisl. 

Aussi  l'apôtre  saint  Paul  dW  aux  I 
chap.  I,  que  Dieu  ayant  parlé  plusieurs  fois 
à  nos  pères  en  diverses  manières  p  ir  les  pro- 
phètes, nous  a  parlé  en  ces  derniers  temps  par 
son  luis.  El  cerles,  mes   frères,  quel   esl  ce 
Fils,  si  ce  n'est  celui  que  Moïse  avait  promis 
que  Dieu  enverrait,  el  dont  Dieu  lui-même 
a  dit  :  le  voilà,  écoutez-le.  Y.:us  ne  roui 
l'as  que  Dieu  vous  parlât  dans  sa  maji  - 
le  voilà  qui  s'esi  re\  élu  de  votre  chair,  pour 
se  remire  à  portée  de  votre  faiblesse.  Il  pos- 
sède la  vertu  de  tous   les  autres  propb* 
qui   n'ont  été  que  ses   figures;  il  a  plus 
zèle  qu'Elie,  il  a  plus  de  douceur  que  Moi  c  : 
il  ne  vous  pariera  i  i  dans  le  Teu  ni  parmi  les 
tonne  res,'ni     travers  ces  nues  qui  épou- 
vantent et  qui  effrayent.  Le  Seigneur  vous 
suscitera   un   prophète  comme   moi,  de  votre 
natiun  <t  d'entre  vos  frères;  cesl  lui  que  vous 
écoulerez. 

Dieu  ne  nous  parle  plus  que  par  son  Fils, 
cl  c'est  lui  que  nous  devons  regarder  comme 
noire    unique    maître;    vous    n'avez     donc 
qu'un  docteur  et  qu  un  maître,  qui  esl  Jé- 
sus Christ  ,  el  i   est  tellement  s  lire, 
que  nous  ne  pouvons  en  avoir  un  autre    i 
il  n'y  a  que  de   lui   qu'il  soil  dit  qu'»7  sel   la 
vraie  lumière  qui  illumine  tout  homm 
dans  le  monde.    Il    n'y   a  que  Un  qui   pu 
dire  :  Je  suis   la  lumière  du  i.onde.  e'es 
dire,  comme    l'expliquent   les   sainls    Pères, 
que  nous   n'avons   de   vraie  lumière  pour  le 
salut  que  par  le  Fils  de  Dieu,  qui  est   la  lu- 
mière souveraine,  originale  ci  rabstanti 
ci  partout  où  il  n'est  point,  régnent  et  do- 
minent les  ténèbres  de  l'erreur,  du  péché  et 
de  la  mort. 

Cela  -tant  supposé  comme  une  écrite  fon- 


589 


SERMON  POUR  LE  DEUXIEME  DIMANCHE  DE  CAREME. 


damenlale  de  notre  religion,  je  dis,  mes  frè- 
res, que  nous  ne  devons  uniquement  con- 
sulter que  Jésus-Christ;  c'est  l'importante 
instruction  que  je  lire  de  cette  vérité.  Saint 
Pierre  nous  l'a  enseignée,  par  la  réponse 
qu'il  fit  au  Sauveur  du  monde,  lorsque  Jé- 
sus-Christ, voyant  un  nombre  de  ses  disci- 
ples qui  se  retiraient  de  sa  suite,  il  demanda 
aux  douze  apôtres  :  Et  vous,  ne  voulez-vous 
point  aussi  me  quitter?  Saint  Pierre  lui  ré- 
pondit :  A  qui  irions-nous,  Seigneur?  Vous 
avez  les  paroles  de  la  rie  éternelle.  Ce  qui 
nous  apprend  qu'il  n'y  a  nul  maître  sem- 
blable à  Jésus-Christ,  et  que  sou  école  est 
celle  de  la  vie  éternelle.  Il  est  vrai  que  Jé- 
sus-Christ nous  dit  dans  l'Evangile  que  sa 
doctrine  n'est  pas  sa  doctrine,  mais  c'est 
pour  nous  apprendre  que,  comme  Dieu,  il 
reçoit  du  Père  éternel  sa  na'ure,  et  par  con- 
séquent si  doctrine,  sa  science  et  sa  sagesse, 
qui  sont  en  Dieu  sa  nature-  même;  et  ceci 
prouve  qu'il  n'y  a  dans  l'Eglise  qu'une  source 
de  doctrine  qui  vient  de  Dieu  par  Jesus- 
Christ  et  qui  est  répandue  par  lui  dans  ses 
apôtres  et  dans  les  pasteurs. 

Ainsi  il  n'y  a  que  lui  qui  soit  pasteur  et 
maître,  nous  ne  connaissons  la  vérité  que 
par  li  lumière  que  Dieu  nous  donne.  Les 
divers  partages  qu'il  en  fait  aux  hommes 
sont  ce  qui  fait  qu'il  y  en  a  de  plus  intelli- 
gents les  uns  que  les  autres,  et  la  mesure 
même  que  Dieu  en  donne  à  chaque  homme 
a  besoin  d'être  continuellement  conduite 
par  la  grâce.  Sans  celte  lumière  notre  rai- 
son serait  un  principe  d'erreur;  en  nous 
faisant  éviter  un  inconvénient,  elle  nous 
engagerait  dans  un  autre. 

Nous  sommes  donc  dans  une  dépendance 
totale  de  Dieu  pour  nous  comluire  avec  sa- 
gesse. Sans  lui  nous  ne  pouvons  que  nous 
égarer.  De  là  je  conclus  que  nous  ne  devons 
consulter  que  Jésus-Christ.  A  qui  irions- 
nous,  Seigneur,  sans  vous?  Enseignez-moi 
donc  à  faire  votre  toloité,  car  vous  êtes  mon 
Dieu.  Or,  mes  frères,  il  faut  expliquer  cette 
pioposilion,  et  marquer  ce  qu'on  doit  enten- 
dre par  l'obligation  de  ne  consulter  que  Jé- 
sus-Christ. On  n'entend  pas  par  là  qu'il  faille 
s'en  tenir  à  la  simple  prière,  ni  à  la  seule 
lecture  de  l'Ecriture  sans  la  tradition. 

A  Dieu  ne  plaise  que  nous  rejetions  la  tra- 
dition, qui  est  celle  chaîne  qui,  ayant  com- 
mencé par  Jésus-Christ  et  par  les  apôtres, 
lie  tous  les  âges  de  l'Eglise  par  une  suite 
non  interrompue  !  C'est  à  elle  qu'il  faut  re- 
courir ,  et  au  consentement  unanime  des 
saints  Pires,  pour  l'intelligence  de  l'Ecri- 
ture, et  pour  régler  les  difficultés  sur  les- 
quelles m  is  o .sullons  Jésus-Christ.  Nous 
n'entendons  pas  non  plus  qu'il  ne  faille  pas 
consulter  ni  les  docteurs,  ni  les  pasteurs,  ni 
les  évéques,  ni  les  personnes  pleines  de  l'es- 
prit de  Dieu  et  de  la  doctrine  de  l'Eglise,  ni 
enfin  les  supérieurs  que  Dieu  nous  a  don- 
nés. 

A  Dieu  ne  plaise  que  nous  pensions  à 
troubler  l'ordre  si  divinement  établi  par  la 
Providence,  dont  l'observation  est  si  néces- 
saire, et  sans  lequel  nous  ne  pourrions  évi- 


ter de  tomber  dans  l'illusion  et  dans  un  dé- 
sordre capable  de  nous  perdre  !  Jésus-Chri  t 
nous  enseigne  une  conduite  bien  différente 
de  celle-ci  dans  l'Evangile.  Il  donne  aux 
Juifs  un  avis  très-important  :  en  leur  défen- 
dant de  mépriser  leurs  pasteurs,  il  ne  se 
contente  pas  de  leur  recommander  ce  point, 
il  le  pratique  lui-même,  puisqu'il  ne  prive 
pas  même  du  pouvoir  d'enseigner  leurs 
docteurs,  tout  corrompus  qu'ils  étaient.  Il 
veut  qu'on  les  respecte,  à  cause  de  ce  siège 
d'honneur  dans  lequel  ils  sont  assis,  et  de  la 
doctrine  sainte  qu'ils  enseignent. 

Mais  si  le  Sauveur  donne  cette  autorité 
aux  ministres  de  la  loi  de  Moïse,  que  di- 
rons-nous des  ministres  de  la  loi  de  grâce 
et  des  pasteurs  de  son  Eglise?  de  quelle  ma- 
léilietion  ne  se  rendraient  pas  dignes  ceux 
qui  détourneraient  leur  peuple  de  la  soumis- 
sion, de  la  dépendance  et  de  la  confiance 
qu'ils  doivent  avoir  en  eux?  Saint  Bernard 
a  trop  recommandé  celle  soumission  à  ses 
enfants,  pour  que  ceux  qui  le  sont  vérita- 
blement soient  seulement  capables  d'y  don- 
ner la  moindre  atteinte.  Il  faut  demeurer 
dans  la  subordination,  et  y  tenir  attachés 
ceux  qui  s'adressent  à  nous,  dit  ce  Père  si 
plein  de  respect  pour  la  sainte  hiérarchie  de 
l'Eglise. 

Voici  donc  ce  que  nous  entendons,  mes 
frères,  lorsque  nous  disons  qu'il  faut  con- 
sulter Jésus-Christ  seul,  c'est  que  quoique 
nous  le  consultions  par  la  prière,  par  la 
lecture  de  l'Ecriture  sainte,  par  la  tradi- 
tion, nous  ne  devons  consulter  que  Jésus- 
Christ,  c'est-à-dire  ne  chercher  qu'à  con- 
naître sa  volonté,  parce  qu'elle  seule  doit 
être  la  règle  de  notre  conduite,  comme  la 
vérité  seule  qui  peut  nous  régler. 

Ainsi ,  lorsque  ,  dans  la  recherche  que 
nous  faisons  de  la  vérité  seule,  sans  aucune 
duplicité  de  cœur,  nous  consultons  ou  l'E- 
criture, ou  les  saints  Pères,  ou  les  ministres 
de  Jésus-Christ,  s  ins  dessein  de  les  détour- 
ner au  gré  de  nos  passions,  ni  de  trouver  en 
eux  des  approbateurs  des  désirs  déréglés  do 
notre  cœur,  mais  dans  une  sincère  intention 
d'apprendre  à  connaître  la  volonté  de  Dieu, 
cela  s'appelle,  mes  frères,  ne  consulter  que 
Jésus-Christ. 

Jésus-Christ  est  le  Pasteur  unique  ;  tous 
les  vrais  pasteurs  ne  sont  qu'un  pasteur  avec 
lui,  il  parle  seul  par  la  bouche  de  tous  ;  car 
tous  les  saints  Pères,  ces  maîtres  si  sages  et 
si  éclairés,  n'ont  fait  que  suivre  ce  Pasteur 
unique,  cl  ils  ont  conservé  sans  mélange  de 
nouveauté  la  vérité  ancienne  qui  leur  était 
venue  de  Jésus-Christ  par  les  apôtres.  Ils 
ont  enseigné  dans  l'Eglise  ce  qu'ils  avaient 
appris,  et  ils  ont  hissé  à  leurs  enfants  ce 
qu'ils  avaient  reçu  de  leurs  pères.  Toute  vé- 
rité vient  de  Jésus-Christ,  et  ainsi  lorsque 
nous  ne  recherchons  que  la  vérité,  nous  ne 
consultons  que  Jésus-Christ;  car  il  n'y  a 
qu'un  Christ  formé  des  chrétiens  et  du  Sau- 
veur. 

H  n'y  a  qu'un  docteur  dans  l'Eglise  for- 
mée des  pasteurs  et  de  Jésus-Christ,  comme 
il  n'y  a  qu'un  sacerdoce,  dit  saint  Cyprien, 


39t 


ORATEURS  SACRF.S.  nn.M  JEROME. 


m 


qu'un  adorateur,  qu'un  pasteur,  qu'an  ma  - 
ire,  tout  est  renfermé  dans  l'unité  de  Jéi us- 
Christ.  Il  n'y  a  encore  nue  fois  qu'une  source 
<!c  doctrine  qui  vient  de  Dieu  par  Jésus- 
Christ. 

De  là,  mes  frères,  jugez  de  re  discours  or- 
dinaire; on  dii  quelquefois  :  Ce  prédicateur 
ne  dit  rien  que  de  commun.  Kt  c'est  là  sa 
gloire,  Car  il  ne  doit  y  avoir  rien  de  si  com- 
mun parmi  les  chrétiens  que  l'Evangile,  l'E- 
criture sainte  et  la  religion;  et  c'est  là  toute 
la  science  d'un  prédicateur.  Malheur  à  ceux 
qui  prêchent  aulre  chose  et  qui  entretien- 
nent les  disciples  de  Jesus-Christ  de  leurs 
imaginations!  Si  je  pouvais  composer  mes 
discours  des  seules  p  rôles  de  l'Ecriture,  ah  1 
mes  frères,  qu'ils  seraient  beaux  1  C'est  à 
quoi  les  ministres  de  l'Evangile  se  doivent 
app  iquer.  Ils  parlent  au  nom  de  Jé»us- 
Christ, ils  le  doivent  faire  selon  son  esprit. 
Pierre  baptise,  mais  c'est  au  nom  de  Jésus  - 
Christ,  et  c'est  Jésus-Christ  seul  qui  bap- 
tise. C'est  pourquoi  saint  Augustin  ne  veut 
pas  que  les  hommes  qui  enseignent  les  au- 
tres se  donnent  l'avantage  de  dire  qu'ils  en 
sont  les  maîtres;  car  lorsque  ceux  qui  nous 
écoulent  sont  persuadés  de  ce  que  nous  di- 
sons, cela  ne  vient  pas  de  nos  paroles,  mais 
de  la  \érilé  qui  éclaire  l'homme  intérieur, 
et  que  nous  contemplons  par  un  œil  secret 
que  nous  avons  au  fond  de  notre  âme.  Ne 
pensez  pas,  mes  frères,  dit  ce  Père  dans  le 
troisième  traité  sur  l'Epître  de  saint  Jean, 
qu'aucun  homme  apprenne  quoi  que  ce  soit 
d'an  autre  homme  :  nous  pouvons  bien  aver- 
tir extérieurement  par  le  bruit  de  notre 
voix  ,  mais  ce  bruit  est  inutile  et  ne  fait 
rien,  si  nous  n'avons  au  dedans  celui  qui 
enseigne. 

Voulez-vous  vous'en  convaincre?  Vous  en- 
tendez la  prédication  que  je  vous  fais;  com- 
bien de  personnes  sortiront-elles  d'ici  aussi 
peu  touchées  qu'elles  y  sont  eniréesl  Ce- 
pendant j'aurai  parlé  à  tout  le  monde,  mais 
ceux  qui  ne  sont  pas  instruits  par  l'onction 
secrète,  ceux  auxquels  l'esprit  de  Dieu  ne 
parle  point  dans  le  cœur,  ne  remporteront 
rien.  Les  discours  et  les  exhortations  exté- 
rieures sont  des  secours  et  des  avertisse- 
ments; mais  celui  qui  enseigne  les  âmes  a 
sa  chaire  dans  le  ciel,  et  c'est  Jésus-Christ.  11 
y  a  un  nombre  qui  profile,  mais  ce  nombre 
qui  profite  est  le  plus  petit,  le  nombre  qui 
écoule  est  le  plus  grand.  Toute  la  ville  d'An- 
tioche  s'assemble  pour  entendre  Paul  et  Bar- 
nabe, mais  peu  embrassent  la  foi. 

Voilà  donc,  mes  frères,  une  vérité  incon- 
testable, que  Jésus-Christ  est  noire  unique 
Maître,  et  que  nous  ne  devons  consulter  que 
lui;  d'où  je  conclus,  pour  notre  instruction, 
qu'il  y  a  une  obligation  mutuelle  à  ne  con- 
sulter que  Jésus-Christ,  et  pour  ceuv.  à  qui 
on  a  recours,  afin  d'apprendre  sa  volonté,  et 
pour  ceux  qui  la  veulent  savoir.  De  là  nais- 
sent deux  conséquences  nécessaires  ,  l'une 
pour  le  ministre  de  la  vérité  qui  est  consulté, 
l'autre  pour  le  fidèle  qui  consulte. 

La  première  conséquence  qu'il  en  faut  ti- 
rer à  l'égard  des  ministres  de  la  parole,  c'est 


qu'ils  doivent  consulter  eux-mêmes  ' 
Chris!  avant  que  de  répon  Ire.  On  n'entend 
que  lui  sur  la  montagne,  il  ne  faut  donc  |  ar- 
lerqne  son  langage;  car  si  je  substitue  le 
mien  au  sien,  je  forme  un  nouvel  obstacle 
qui  empêche  qu'il  ne  soit  écoulé. 

Il  est  donc  vrai,  mes  frères,  cl  il  n'en  faut 
pas  douter,  que,  dans  le  désir  de  connaître 
la  volonté  de  Dieu,  nous  pouvons  el  nous 
devons  nous  adresser  à  .es  ministres,  qui 
soat  les  canaux  par  lesquels  il  se  communi- 
que à  nous,  el  le!  h.m->  dont  il  se  mi  pour 
déclarer  sa  volonté  à  ceux  qui  cherchent  la 
vérité  avec  un  cour  droit  :  el  qu'il  \  a  pour 
les  ministres  de  Jésus-Chrisl  une  obligation 
indispensable  de  consulter  Dieu  avant  qu'on 
les  consulte.  Car  si  c'est  lui  qui  e>l  la  source 
de  toute  venté,  où  la  peuvcr.l-il-  prendra 
leurs?  Il  y  a  donc  pour  eux  une  obligation 
essentielle  de  se  remplir  de  la  science  de 
l'Eglise,  c'est-à-dire  de  l'Ecriture,  des  saints 
Pères,  des  canons  et  des  conciles,  de  la 
science,  des  règles  de  la  conscience,  de  l'es- 
prit de  la  religion  et  de  ses  vérité-.  :  en  un 
i  jot  ils  doivent  ne  rien  dire  d'eux-mêmes,  dit 
saint  Augustin  ;  il  faut  qu'ils  suive  'ils  (ra- 
ces de  ceux  qui  les  ont  précédés,  c'est-à-dire 
des  saints  Pères;  ils  sont  o  igés  de  fonder 
toujours  leurs  sentiments  et  leurs  résolutions 
sur  leur  autorité  :  c'est  lavis  important  que 
donne  saint  Jérôme  à  ceux  qui  sont  ministres 
de  la  vérité. 

Il  fautdonc  qu'un  ministre  de  Jésus-Chrisl 
dépende  de  Jésus-Christ  eu  tout.  C'est  en  son 
nom  qu'il  parle,  c'est  selon  son  esprit  et  s  m 
langage  qu'il  doit  parle/,  c'est  à  Jésus  -Christ 
à  lui  ouvrir  la  bouche,  el  non  pas  a  la  va- 
nité el  à  l'ambition.  Il  est  envoyé  de  sa  part, 
il  doit  recevoir  de  Jésus-Christ  ce  qu'il  dit, 
non  par  une  nouvelle  révélation,  mais  par 
la  prière.  Il  r.c  s'agit  pas  d'agir  en  enthou- 
siaste et  en  illuminé;  ce  n'est  ni  I  goût  ni 
le  sentiment  qui  doit  conduire  :  le  bon  sens, 
éclairé  par  la  science,  est  le  mobile  de  tout 
ministre  de  Jésus-Christ  qui  veut  bien  déci- 
der :  l'étude  de  l'Ecriture  sainte  et  des  saints 
IV  res  doit  guider  ses  décisions.  Il  doit  ensei- 
gner la  doctrine  de  Jésus-Christ,  il  doit  an- 
noncer des  choses  et  non  pas  des  paroles,  des 
instructions  et  non  pas  des  déclamations;  il 
doil  instruire  et  non  pas  divertir  par  de  vai- 
nes expressions  et  par  des  pensées  curieuses; 
en  un  mot,  il  doit  dépendre  de  Jésus-Chrisi 
en  tout,  c'est  la  première  conséquence  que 
nous  avons  tirée  a  l'égard  des  ministres  de 
la  vérité. 

La  seconde,  qui  regarde  !e  lidèle  qui  con- 
sulte, vous  regarde,  mes  frères,  et  comme 
nous  ne  devons  parler  que  d'après  Jésus- 
Christ,  vous  ne  devez  consulter  que  lui  :  c'est 
le  sujet  de  la  deuxième  partie. 

DBt  XIBMB   e  \hi  m  . 

Pour  consulter  de  bonne  foi  el  entrer  dans 
la  doctrine  de  Jésus-Christ  en  vrai  disciple 
du  Saineurdumonde.il  faut,  1  avoir  de 
certaines  disposition-  ;  2  lever  les  obstacles 
qui  se  présentent;  3"  suivre  des  règles  juste! 
et  précises. 


393 


SERMON  POUR  LE  DEUXIEME  DIMANCHE  DE  CAREME. 


594 


La  première  disposition  c'est  de  reconnaî- 
tre le  besoin  qu'on  a  de  recourir  à  Jésus- 
Christ,  et  de  considérer  ce  qu'il  est  et  ce  que 
nous  sommes.  Il  faut  dire  ce  que  saint  Paul 
disait  dans  ses  Epîtres  aux  fidèles  :  Autrefois 
vous  étiez  lumière  par  votre  baptême;  â  pré- 
sent vous  êtes  ténèbres  par  vos  péchés,  par 
vos  passions,  par  vos  préventions;  vous  êtes 
dans  l'égarement,  dans  l'erreur,  vous  mar- 
chez comme  des  aveugles,  vous  marchez 
comme  si  vous  n'aviez  point  des  yeux,  vous 
vous  heurtez  en  plein  midi  comme  si  vous 
étiez  dans  les  ténèbres.  Voilà  l'état  de  l'hom- 
me éloigné  de  son  Dieu,  qui  suit  les  maxi- 
mes corrompues  qui  régnent  dans  le  monde, 
les  mouvements  de  ses  passions,  les  fausses 
lumières  de  sa  raison  corrompue  ;  il  se  heurte 
en  plein  midi,  c'est-à-dire  au  milieu  des  lu- 
mières de  l'Evangile  et  de  la  religion. 

C'est  dans  cette  vue  de  notre  égarement  et 
de  nos  ténèbres  qu'il  faut  reconnaître  la  né- 
cessité où  nous  sommes  de  retourner  à  Jé- 
sus-Christ; car  nous  vivons  avec  des  gens 
qui  travaillent  continuellement  à  établir  le 
règne  du  mensonge  et  à  s'opposera  celui  de 
la  vérité,  et  nous  voyons  régner  partout  les 
ténèbres  et  l'aveuglement. Ce  n'estdonc  qu'en 
Jésus-Christ  qu'on  peut  trouver  la  vérité,  la 
voie  et  la  vie  ;  c'est  à  lui  qu'il  faut  aller,  c'est 
lui  seul  qui  nous  peut  éclairer  :  Seigneur, 
c'est  vous  qui  faites  lutte  ma  lampe,  éclairez 
mes  ténèbres.  Il  faut  donc  se  bien  convaincre 
deces  deux  vérités,  et  entrer  dans  la  seconde 
disposition,  qui  est  plus  difficile  que  la  pre- 
mière; car  l'on  convient  aisément  qu'on  est 
aveugle,  c'est  un  langage  qui  ne  coûte  rien 
à  tenir,  mais  tel  connaît  sa  misère  et  ses  té- 
nèbres qui  n'en  veut  pas  sortir. 

Il  faut,  pour  entrer  dans  la  seconde  dispo- 
sition, vouloir  être  éclairé  et  renoncer  à  une 
volonté  corrompue  qui  s'oppose  à  la  lumière; 
car  il  est  dit  que  le  Seigneur  a  envoyé  ses 
prophètes  pour  éclairer  ses  serviteurs,  et 
qu'ils  n'ont  pas  voulu  l'être.  Ils  se  sont  ca- 
chés au  fond  des  prisons,  ils  ont  eu  peur  de 
voir  la  lumière  qui  les  aurait  éclairés;  ils  se 
sont  renfermes,  comme  dit  saint  Jérôme,  dans 
les  ténèbres  de  leur  cœur  et  dans  leurs  pen- 
sées malignes  et  criminelles,  comme  dans 
l'obscurité  d'une  prison.  Or,  on  regarderait 
assurément  comme  insensé  un  homme  qui, 
lorsqu'on  le  voudrait  retirer  du  fond  d'un 
cachot,  rejetterait  cetle  grâce  et  préférerait  la 
captivité  et  les  ténèbres  à  la  lumière.  On  ne 
voit  point  d'exemple  dans  le  monde  d'une 
folie  si  étonnante,  et  cependant  dans  l'ordre 
du  salut  rien  de  si  commun.  11  y  a  des  mala- 
dies dont  on  ne  veut  pas  guérir. 

Qu'il  y  a  de  gens,  mes  frères,  qui  se- 
raient convertis,  éclairés,  sains  et  guéris, 
s'ils  n'avaient  pas  appréhendé  de;  l'être  !  Le 
jeune  homme  de  l'Evangile  fait  paraître  une 
belle  disposition  en  demandant  ce  qu'il  faut 
faire  pour  être  sauvé;  cependant  il  ne  dési- 
rait pas  sincèrement  d'être  parlait.  Tous  les 
jours  nous  faisons  de  malheureuses  expé- 
riences de  cette  disposition,  nous  sommes 
attristés  quand  on  nous  découvre  la  vérité, 
lorsqu'elle  blesse  nos  passions.  Ces  passions 

OlUTEMlS   SACRÉS.    XXX 


font  sur  l'esprit  ce  qu'un  nuage  fait  sur  les 
yeux,  et  il  faut  que  ce  nuage  soit  dissipé  par 
la  grâce  de  Jésus-Christ.  Car  comme  ce  n'est 
pas  assez  d'avoir  des  yeux  bien  sains  pour 
voir  les  objets,  et  qu'il  'aut  encore  que  la  lu- 
mière les  éclaire,  de  même  il  ne  suffit  pas 
que  noire  cœur  soit  sans  passions,  il  faut  un 
certain  degré  de  lumière  vive  et  ardente  pour 
former  celte  bonne  volonté  qui  fait  voir  et 
aimer  ce  qu'elle  découvre.  C'est  l'impureté 
de  la  terre  qui  fournit  la  matière  des  nuages, 
comme  c'est  l'impureté  du  cœur,  causée  par 
le  mauvais  amour,  qui  forme  les  nuages  qui 
empêchent  de  découvrir  la  vérité.  Mais  si  la 
volonté  est  saine,  droite  et  sincère,  vous  le 
connaîtrez  par  l'application  à  ôler  les  obsta- 
cles qui  vous  empêchent  de  recourir  à  la  lu- 
mière et  de  rechercher  la  vérité  dans  Jésus- 
Christ  :  troisième  disposition  dont  l'examen 
forme  notre  seconde  réflexion. 

En  effet,  le  premier  obstacle  qu'il  faut  le- 
ver, c'est  la  négligence  effroyable  dans  l'af- 
faire de  notre  salut.  Nous  connaissons  notre 
aveuglement,  nous  savons  que  notre  con- 
duite n'est  pas  réglée,  nous  voulons  sortir 
de  cette  langueur,  et  la  négligence  nous  fait 
différer  de  jour  en  jour  :  nos  affaires,  nos 
engagements,  nos  occupations,  un  surcroît 
d'accablement,  une  timidité,  une  noncha- 
lance, l'âge,  les  sociétés,  le  quartier  où  on 
loge,  l'espérance  de  changer  et  de  se  dé- 
payser, tout  cela  fait  toujours  remettre  ;  le 
temps  de  la  vie  se  passe,  la  mort  vient  et  elle 
nous  emporte  avec  le  regret  et  souvent  avec 
le  désespoir  de  ne  pouvoir  plus  faire,  quand 
nous  pensons  le  vouloir,  ce  que  nous  avons 
toujours  différé  d'entreprendre  quand  nous 
l'avons  pu.  Il  y  a  une  certaine  paresse  qui 
nous  empêche  de  faire  tout  ce  que  nous  pou- 
vons pour  notre  salut,  qui  est  un  péché 
morte!,  et  il  y  a  bien  des  gens  qui  sont  dans 
cet  état  sans  le  connaître,  qui  y  persévèrent 
et  qui  s'y  perdront. 

Il  faut  donc  lever  cet  obstacle  par  la  vue 
de  l'importance  du  salut.  Il  faut  se  sauver, 
mes  chers  frères,  il  ne  s'agit  que  de  ce  point- 
là.  C'est  un  effroyable  aveuglement  que  de 
négliger  le  seul  nécessaire,  et  la  paresse  qui 
nous  empêche,  comme  nous  venons  de  le 
dire,  de  faire  tout  ce  que  nous  pouvons  pour 
nous  sauver,  est  un  état  de  damnation  où 
bien  des  gens  sont  sans  y  faire  réflexion. 

Le  second  obstacle  est  celui  de  trouver  la 
vérité.  On  s'imagine  des  difficultés  à  appren- 
dre ce  qu'il  faut  faire  dans  son  état  et  dans 
les  engagements  du  monde,  au  milieu  de  tant 
de  contestations  et  de  diversités  d'opinions. 
Les  uns  approuvent  ce  que  les  autres  con- 
damnent; les  uns  soutiennent  que  le  bal,  les 
danses,  les  spectacles,  les  plaisirs,  les  jeux, 
la  magnificence  dans  les  habits,  sont  des  cho- 
ses dangereuses  à  un  homme  qui  veut  vivre 
chrétiennement  et  qu'il  n'y  peut  preudre 
part;  d'auires  sont  plus  commodes,  et  ne 
condamnent  pas  absolument  tout  ce  dont 
nous  venons  de  parler. 

Que  faire  dans  cette  variélé  de  sentiments 
et  d'avis?  c'est,  mes  frères,  une  grande  ten- 
tation et  un  grand  sujet  de  gémissement  do 


OltAfKI'KS  SACRES.  KO.M  JUIOUI.. 


Z% 


voir  les  ténèbres  répandues  ■■ur  les  vérités  et 
les  règles  les  ploi  certaines  delà  mofale.i 
pendant  on  peut  «lire  que  ce  n'est  point  là 
Une  raison  pour  demeurer  dans  l'égarement 
c(  pour  s'abandonner  aux  désirs  de  sa  cupi- 
dité. Ce  n'est  pas  tant  la  difficulté  de  décou- 
vrir la  vérité  qui  nous  empêche  de  la  cher- 
cher, que  la  crainte  de  la  trouver  qui  nous 
en  détourne,  e.'esl  une  secrète  opposition 
formée  par  nos  passions  contre  la  nécessité 
d'en  embrasser  les  voies. 

Examinons-nous  :  nous  nous  dérobons  à 
nous-mêmes,  et  nous  sommes  les  dupes  de 
notre  cœur,  si  j'ose  parler  ainsi.  Que  faut-il 
donc  faire?  il  faut  chercher  la  vérité,  sincè- 
rement. Un  cœur  double  mérite  d'être  rejeté 
et  de  ne  pas  découvrir  la  lumière  ;  mais  il  est 
impossible  qu'elle  se  cache  à  ceux  qui  l'ai- 
ment sincèrement:  car  Dieu  ferait  plutôt  un 
miracle  pour  faire  connaître  la  vérité  à  ceux 
qui  la  recherchent  sans  partage  et  sans  au- 
tre intérêt  que  celui  de  la  trouver,  plutôt  que 
de  i  ermetlre  qu'ils  fussent  trompés. 

Le  troisième  obstacle  est  une  fausse  sécu- 
rité et  une  vaine  présomption  de  suivre  la 
vérité;  rien  n'est  si  dangereux  que  la  pré- 
somption de  se  croire  en  assurance.  En  vé- 
rité, est-ce  agir  sagement  que  de  prendre 
son  parti,  que  d'appuyer  son  état,  son  éta- 
blissement, les  règles  de  sa  vie,  sur  de  dan- 
gereuses probabilités,  sur  des  apparences  de 
vrai,  sur  la  coutume,  sur  l'exemple  des  gens 
du  monde,  souvent  qu'on  méprise  et  de  qui 
on  ne  voudrait  pas  prendre  conseil? 

Voyez  ce  qui  arrive  aux  pharisiens  et  aux 
Juifs  dans  l'Evangile:  ils  disent  aifîrmalive- 
ment  et  d'un  air  décisif,  en  parlant  de  Jésus- 
Christ,  qu'il  n'est  pas  le  Messie  ;  ils  en  don- 
nent la  raison,  ils  la  tirent  même  des  Ecri- 
tures :  Pour  nous,  disent-ils,  nous  savons 
biin  d'où  est  celui-ci,  au  lieu  que  quand  le 
Christ  viendra,  personne  ne  saura  d'où  il  est. 
Quelle  présomption  !  et  combien  de  fois  ne 
croit-on  pas  être  fort  intelligent  dans  les  Ecri- 
tures et  dans  les  voies  de  Dieu,  lorsqu'on  est 
dans  un  aveuglement  aussi  grand  que  celui 
des  Juifs  1  Ils  confondaient  les  deux  naissan- 
ces du  Fils  de  Dieu,  et,  sans  penser  à  celte 
génération  éternelle,  qu'on  ne  peut  connaî- 
tre, dont  il  est  parlé  dans  les  prophètes,  ils 
s'en  tiennent  à  sa  naissance  temporelle.  C'est 
là  où  est  leur  mécompte  et  leur  présomp- 
tion, et  c'est  par  où  nous  leur  ressemblons 
quelquefois,  en  donnant  aux  Ecritures  et  à 
la  loi  un  sens  favorable  à  nos  passions,  et 
en  demeurant  en  repos  sur  ces  éq  ivoques 
et  sur  ces  pernicieuses  interprétations. 

Examinez  donc  vos  voies,  faites  une  dis- 
cussion exacte  de  tout  ce  que  vous  avez  pris 
pour  cerla:n,  sans  l'avoir  bien  examine. Nous 
avez  cru  jusqu'ici  que,  pourvu  que  vous 
confessiez  vos  péchés  dans  la  disposition  de 
faire  la  pénitence  qui  vous  serait  enjointe, 
sans  penser  à  changer  votre  cœur,  c'eiail  là 
ce  qui  s'appelait  faire  pénitence;  que  l'on 
pouvait  avoir  plusieurs  b  néficei  sans  au- 
cune chaige  particulière,  comme  on  pouvait 
avoir  plusieurs  terres;  qu'il  était  permis  de 
passer  uuc  partie   de  sa  vie  dans  le  jeu  oi. 


dans  l'oisiveté,  »t  que  l'on  pouvait  rendre 
■aspects  les  sentim  >nls  el  la  coi  duite  d'an- 

trui  sur  le  rapport  de  gens  qui  paraissent 
avoir  quelque  probité. 

Il  faut  donc  rentier  sérieusement  en  soi- 
méme,  se  défaire  de  tontes  œs  pi   renliofw, 

examiner  une  bonne  fois  tous  les  principes 
qu'on  s'est  faits  ou  qu'on  a  suivis  parce 
qu'ils  nous  accommodaient  ou  parce  qu'on 
le-  a  trouvés  établis.  En  effet,  avez-w  -  <!■  s 
assurances  si  certaines  pour  le>  suivr.  n  .1- 
vcz-vous  pas,  au  contraire,  des  lois  q  u  vous 
les  défendent?  Une  foule  de  gens  -  -  <{ ui 
pensent  autrement,  uuc  multitude  de  saints 
qui  ont  leiiu  une  voie  loul  opposée,  tout 
cela  n'est-il  pas  capable  de  troubler  un  peu 
votre  tranquillité?  Quel  rapport  de  la  loi  de 
Jésus-Christ,  de  sa  doctrine,    de  m- 

ples,  de  sa  conduite  avec  la  vôtre.'  Ah!  qu'il 
y  aura  de  difîéreuce  enlie  ies  vues  que  vous 
aurez  à  ia  mort  cl  celles  que  vous  avez  à 
présent  1 

Mes  frères,  prenez  le  plus  sûr;  à  quoi  cela 
va-t-il?  à  vous  dépouiller  un  peu  plus  tôt 
de  ce  qu'il  faudra  perdre  nécessairement. 
Vous  mourrez  demain,  el  pour  qui  seront 
tous  vos  biens?  Mais,  après  avoir  ôle  les 
obstacles  qui  nous  empêchent  de  chercher 
la  vérité ,  il  faut  suivre  des  règles  pour  la 
trouver.  * 

Première  règle  :  il  faut  recourir  à  Dieu 
par  la  prière.  Dites-lui  donc  de  tout  votre 
cœur  :  Seiyneur,  enseignez-moi  à  faire  votre 
volonté,  parce  que  vous  éles  mon  Dieu;  Sei- 
gneur, que  votre  volonté  soit  fnile.  C'est  la 
rè^le  que  Jésus-Christ  nous  enseigne  lui- 
même. 

Deuxième  règle:  il  faut  lire  les  Ecritures, 
le»  ouvrages  des  saints  Pères,  qui  sont  les  dé- 
positaires de  la  vérité,  s'instruire  des  devoirs 
d'un  chrétien,  des  obligations  de  notre  eiat, 
des  obligations  d'uu  juge,  d'un  père  et  d'une 
mère,  des  enfants,  des  maîtres,  des  grands 
seigneurs.  Nous  parlons  a  Dieu  ;  ar  la  prière, 
et  il  nous  répond  par  l'Ecriture.  In  juge 
consulte  les  lois  ;  un  philosophe,  les  auteurs 
de  sa  profession  ;  un  chrétien  doit  de  mémo 
consulter  l'Ecriture. 

Troisième  règle  :  il  faut  écouter  le  cri  de 
sa  conscience.  Dieu  parlepard  s  événements, 
el  il  forme  en  même  temps  dans  le  cœur  des 
sentiments  propres  à  nous  faire  entendre  sa 
voix,  si  nous  y  donnions  de  l'atten  ion.  U  a 
coutume  de  se  faire  entendre  par  plusieurs 
circonstances  particulières,  par  de  certains 
événements  de  notre  fie,  par  de  certaines 
affaires  que  nous  regardions  comme  infail- 
libles, qui  ne  réussissent  pis,  par  le  renver- 
sement de  nos  projets  et  de  nos  desseins,  où 
reluisent  des  marques  visibles  de  sa  volonté, 
et  en  même  lemps  il  excite  daus  le  fond  du 
cœur  de  certaines  e  lions  pour  nous  dis- 
poser à  faire  ce  qu'il  désire  de  nous,  el  par 
!  squelles  il  surmonte  dans  notre  ca'ur  toutes 
les  répugnances  que  la  crainte  de  nous  en- 
gager pourrait  tonner  dans  nos  esprits. 
Mus  nous  n'écoulons  poinl  notreconscience, 
el  il  y  a  uuc  infinité  de  langages  que  les 
hommes  soûl  coupables  de  ue  poiut  euleu 


507 


SERMON  POUR  LE  LUNDI  DE  LA  DEUXIEME  SEMAINE  DU  CAREME. 


598 


dre,  parce  que  c'est  leur  cupidité  qui  les  en 
empêche.  Ces  langages  sont  clairs  en  eux- 
mêmes,  mais  les  hommes  forment  des  nua- 
ges pour  n'y  rien  comprendre.  Une  mort  su- 
bite, un  renversement  de  fortune,  la  conver- 
sion d'un  liherlin,  la  chute  de  ceux  qui  pa- 
raissaient les  plus  affermis  dans  la  piété;  en 
un  mot,  comme  tout  est  muet  pour  ceux  qui 
n'écoutent  que  les  sens,  tout  parle  pour  ceux 
que  la  foi  rend  attentifs  à  Dieu.  Suivez  l'exem- 
ple de  Samuel  :  il  est  averti  par  une  voix,  et 
dites  à  Dieu  comme  lui  :  Parlez,  Seigneur, 
voire  serviteur  écoute. 

Quatrième  règle  :  il  faut  consulter  les  mi- 
nistres de  Jésus-Christ  pour  apprendre  à 
connaître  la  volonté  de  Dieu  et  à  y  entrer. 
Il  faut  chercher  les  plus  gens  de  bien,  ceux 
qui  sont  pleins  de  l'esprit  de  Dieu,  remplis  de 
la  science  de  l'Eglise,  c'est-à-dire  de  qui  les 
décisions  et  les  règles  sont  tirées  de  l'Evan- 
gile, de  la  discipline  de  l'Eglise;  ceux  qui 
sont  les  plus  sévères,  non  d'une  sévérité  af- 
fectée, mais  d'une  sévérité  sage,  mesurée, 
judicieuse,  charitable,  qui  aille  à  détruire  les 
passions,  l'amour  du  monde  et  de  nous- 
mêmes. 

Quand  la  gangrène  et  la  corruption  sont 
dans  une  plaie,  le  meilleur  chirurgien  est 
celui  qui  coupe  beaucoup  et  qui  n'est  point 
amolli  par  les  cris  du  malade.  Nous  sommes 
tous  pleins  de  corruption,  le  désordre  est 
dans  toutes  les  affections  de  notre  cœur. 
Que  nous  sommes  donc  redevables  à  ceux 
qui  arrachent  et  qui  retranchent  le  mauvais 
amour  qui  corrompt  tout,  qui  déracinent  cet 
orgueil,  cet  amour  de  soi-même,  qui  damne 
tant  de  gens  et  dont  on  ne  s'accuse  point  1 
Si  le  feu  était  près  de  prendre  dans  votre  mai- 
son, vous  plaindriez-vous  d'un  homme  qui 
viendrait  interrompre  votre  sommeil  pour 
vous  en  avertir?  Ne  le  regarderiez-vous  pas 
au  contraire  comme  un  ami?  Hé  !  mes  frères, 
le  feu  de  la  justice  de  Dieu  va  vous  consu- 
mer, et  vous  vous  liez  avec  des  gens  qui  l'ont 
ce  qu'ils  peuvent  pour  vous  empêcher  d'y 
penser  !  Que  deviendront  ces  faux  amis  dans 
le  moment  d  ■  votre  mort,  qui  n'est  peut-être 
pas  éloignée  ?  Aimez  donc  ces  véritables  amis 
qui  ne  peuvent  se  résoudre  à  vous  voir  pé- 
rir. 

Nous  finissons  par  relie  dernière  règle. 
Quand  il  s'agit,  nies  frères,  de  prendre  une 
résolution  sur  une  difficulté,  voici  la  manière 
de  consulter  dans  les  doutes  qui  naissent  sur 
les  obligations  chrétiennes.  L'Eglise  nous 
renvoie  a  ce  qui  a  été  déterminé  par  le<  sen-, 
liments  et  la  conduite  des  saints  en  de  pareils 
cas.  Si  on  ne  trouve  point  ce  qu'on  cherche, 
elle  consent  qu'on  interroge  les  docteurs. 
Mais  elle  vcul  que  ces  docteurs  qu'elle  pcç- 
met  de  consulter  préfèrent  la  gloire  de  Dieu 
à  tous  les  intérêts  temporels.  Surtout  ne 
nous  flattons  d'aucune  assurance,  si  nous 
suivons  dans  noire  conduite  des  maximes 
qui  ne  sont  pas  entièrement  conformes  à  la 
loi  de  Dieu,  qui  est  notre  règle,  et  c'est  en 
vain  que  nous  nous  flattons  d'arriver  à  la 
gloire  que  les  saints  possèdent,  si   nous  no 


marchons  pas  sur  les   vestiges   qu'ils  nous 
ont  laissés  pou,-  y  aller. 

Car,  mes  frères,  retenez  bien  cet  avis  : 
dans  les  .sffaires  d'importance,  où  il  n'est 
pas  permis  de  risquer,  il  faut  prendre  tou- 
jours le  plus  sûr.  Or  il  n'est  pas  permis  de 
ri  querdans  l'affaire  du  salut,  puisqu'elle  est 
sans  contredit  la  plus  importante  qu'un 
chré'ien  puisse  avoir;  il  faut  donc  toujours 
prendre  le  parti  le  plus  sûr,  et  suivre,  la  voie 
qui  est  reconnue  pour  !a  plus  certaine,  et 
c'est  assurément  la  voie  étroite;  c'est  donc 
celle-là  qu'il  faut  suivre. 

Personne  ne  disconvient  que  la  voi  > 
étroite  ne  conduise  à  Dieu,  et  que  c'est  par 
elle  qu'on  va  à  la  gloire  sûrement.  Une  infi- 
nité de  gens  au  contraire  doutent  au  moins 
qu'on  y  puisse  aller  par  la  voie  des  plaisirs, 
de  la  vie  molle  et  voluptueuse,  et,  en  sui- 
vant les  règles  et  les  maximes  du  monde,  il 
faut  mille  distinctions,  mille  subtilités,  mille 
ménagements,  pour  faire  que  ces  règles  et 
ces  maximes  puissent  avoir  un  certain  air 
de  vérité  qui  nous  mette  en  repos  ;  et  après 
tout  cela  il  se  trouve  encore  une  infinité 
de  gens  qui  condamnent  ces  règles  et  ces 
maximes.  Ceux  qui  les  défendent,  au  con- 
traire, avouent  qu'on  peut  mieux  faire,  et 
qu'il  y  a  plus  de  sûreté  à  se  régler  sur  les 
maximes  de  l'Evangile  et  à  suivre  la  voie 
étroite. 

Il  faut  donc  vouloir  risquer  son  salut  en 
ne  prenant  pas  le  plus  sûr,  ou  prendre  le 
plus  sûr  en  embrassant  la  voie  étroite.  De 
là  concluez,  mes  frères,  que  de  deux  senti- 
monts  qu'on  me  proposera,  quand  j'aurai 
consulté  celui  qui  aura  plus  de  rapport  avec 
ce  que  Jésus-Christ  enseigne,  et  qui  me  fera 
marcher  dans  la  voie  éîroile,  ce  sera  te  plus 
sûr,  et  par  conséquent  celui  que  doit  pren- 
dre un  chrétien,  qui  ne  doit  penser  qu'à  mou- 
rir, et  qui  ne  doit  point  songer  à  s'établir 
ici-bas. 

J'espère,  mes  frères,  que  si  vous  entrez 
dans  les  dispositions  que  j'ai  essayé  de  vous 
marquer,  et  que  si  vous  suivez  ces  règles, 
vous  trouverez  la  \ érilé  ;  que  votre  conduite 
sera  réglée  sur  la  loi  ;  que  Jésus-Christ  vous 
reconnaîtra  pour  ses  disciples,  et  qu'il  vous 
donnera  la  récompense  qu'il  a  préparée  à 
ceux  qui  le  suivent  :  c'est  ce  queje  vous  sou- 
haite. Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR    LE    LUNDI    DK    LA    DEUXIÈME    SEMAINE 
DE    CARÊME. 

De  la  mort  dans  le  péché,  parce  qu'il  est  juste 
que  Dieu  abandonne  ceux  qui  virent  dans 
le  péché,  et  quiconque  Dieu  abandonne 
meurt  infailliblement  dans  ce  péché. 

EgO  v;iflo,  r|iia>roiis  me,  et  in  percato  vesiro  moriemini. 
Je  m'éh  vais ,  voua  me  chercherez,  et  tout  mourrez  datis 
votre  péché  (Joan.,  VIII,  21). 

Il  n'y  a  que  deux  choses  dans  ces  paroles 
de  l'Evangile,  mais  elles  renferment,  mes 
très-chers  frères,  le  plus  terrible  effet  de  la 
justice  de  Dieu  sur  nous  :  la  première,  c'est 
l'éloignement  de  Dieu  et  le  délaissement  du 


398 


OKATKIRS  SACRES.  DOM  JfJtOMI-:. 


4i»0 


chrétien  :  Je  m'en  tait;  la  seconde,  e*esl  l'en* 
durcissement  du  chrétien  <  i  ta  mort  dans  le 
péché  :  Et  vous  mourrez  dans  votre  péché. 
l'iicn  n'est  pli. s  terrible  pour  un  chrétien  que 
l'abandonnement  de  Dieu,  et  rien  n'est  plus 
certain  pour  lui  que  1  i  mort  dans  le  péché, 
si  Dieu  l'a  une  fois  abandonné. 

On  convient  aisément  de  ces  vérités,  quand 
on  lesregaide  en  général  ou  quand  on  les 
applique  aOX  Juifs,  pour  qui  elles  ont 
premièrement  dites.  On  y  reconnaît  bien 
quelque  chose  de  terrible,  mais  l'horreur  de 
ces  terribles  vérités  ne  produit  pas  tout  l'ef- 
fet qu'elles  devraient  produire  ,  parce  qu'on 
néglige  de  s'en  faire  l'application  ,  et  qu'on 
ne  se  dit  pas  à  soi-même  :  C'est  moi  que 
Dieu  menace  des  mêmes  châtiments  qu'il  a 
fait  ressentir  aux  Juifs  ,  et  peut-être  \a-l-il 
dans  un  moment  exécuter  les  menaces  qu'il 
me  fait  en  leur  personne. 

C'est  de  celte  manière,  mes  très-chers  frè- 
res, que  j'ai  dessein  de  vous  les  exposer  au- 
jourd'hui ;  je  veux  vous  montrer  comme  des 
Vérités  incontestables  les  principes  qui  sont 
renfermés  dans  ces  paroles  du  Sauveur,  pour 
vous  les  appliquer  par  des  conséquences 
aussi  incontestables  que  les  vérités  mêmes 
dont  elles  sont  la  suite.  Voici  les  paroles  du 
Bauveur  du  monde  :  Je  m'en  vais,  et  vous 
mourrez  dans  votre  péché,  et  voici  les  vérités 
qu'elles  renferment  : 

1°  Que  celui  qui  veut  vivre  dans  son  péché 
mérite  que  Dieu  l'abandonne  :  première  par- 
tie ;  2"  que  celui  que  Dieu  abandonne 
mourra  infailliblement  dans  son  péché  :  se- 
conde partie.  D'où  je  tire  cette  conséquence, 
par  une  application  de  ces  vérités  à  l'état  où 
se  trouvent  les  chrétiens  ,  que  comme  il  y  a 
peu  de  chrétiens  qui  ne  vivent  pas  dans  le 
péché,  il  y  a  un  très-grand  nombre  de  chré- 
tiens qui  meurent  dans  le  péché.  Aujour- 
d'hui, mes  frères,  nous  nous  contenterons 
d'établir  les  deux  premières  vérités  renfer- 
mées dans  les  paroles  du  Sauveur  du  monde, 
et  nous  réserverons  à  en  tirer  les  conséquen- 
ces et  à  nous  en  faire  l'application  dans  un 
autre  discours  ,  afin  de  traiter  cette  matière 
avec  plus  d'étendue. 

Demandons  l'assistance  du  ciel  par  l'en- 
tremise de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREùlKRE    PARTIE. 

La  première  vérité  qui  est  renfermée  dans 
les  paroles  du  Sauveur  du  monde  est  si  cer- 
taine et  d'une  évidence  si  sensible  ,  qu'il  ne 
serait  menu:  p  as  nécessaire  de  la  prouver; 
car  qui  ne  demeurera  pas  d'accord  qu'un 
chrétien  qui  veut  vivre  dans  le  péché  mérite 
que  Dieu  l'abandonne,  s'il  fait  réllexion  sur 
ce  que  mérite  l'opposition  de  la  volonté 
d'une  créature  à  celle  de  Dieu,  le  violentent 
de  ses  lois,  le  mépris  <le  ses  menaces,  l'abus 
de  ses  grâces  ,  enfin  l'injuste  préférence  du 
néant  des  choses  présentes  et  périssables 
aux  trésors  immenses  des  biens  futurs  et 
éternels?  Mais  s'il  n'est  pas  nécessaire  de 
démontrer  une  vente  si  évidente  par  elle- 
même  ,  il  est  à  propos  de  la  mettre  dans  un 
certain  jour,  qui   nous  fasse  voir  la  justice 


de  Dieu  dans  sa  <  ouluile  ,  et  l'iniquité  du 
pécheur  qui  s'attire  volontairement  le  plus 
terrible  elTct  de  sa  colère. 

Or,  mes  frères,  pour  bien  entrer  dans 
cette  vue  ,  il  faut  que  nous  établissions  une 
comparaison  entre  les  Juifs  et  nous  qui 
nous  fisse  trouver  dans  la  conduite  que 
Dieu  doit  tenir  à  notre  égard  la  même  équité 
que  nous  trouvons  dans  celle  qu'il  a  tenue  à 
l'égard  des  Juifs.  Les  i  bâtiments  dont  Dieu  a 
puni  leur  infidélité  sont  des  figures  de  ceux 
qu'il  prépare  a  la  notre  ,  et  ils  doivent  croî- 
tre â  proportion  que  les  circonstances  ren- 
dent I  infidélité  plus  énorme.  Cela  étant 
ainsi,  examinons  la  menace  que  le  Sauveur 
du  monde  fait  aujourd'hui  aux  Juifs  dans 
notre  évangile  ,  lu  raison  qu'il  a  eue  de  la 
leur  faire  ,  les  effets  de  cette  menace  dans 
son  exécution  ;  et  nous  verrons  qu'il  nous 
fait  la  même  menace  ,  qu'il  nous  la  fait  avec 
plus  de  raison  ,  et  qu'il  exécute  par  consé- 
quent avec  plus  de  justice  ,  par  rapport  à 
nous,  la  menace  qu'il  fait  aux  Juifs  de  les 
abandonner. 

En  effet ,  comment  celte  séparation  du 
Sauveur  du  monde  est-elle  une  menace  pour 
les  Juifs?  c'esl ,  mes  frères,  parce  que  sa 
présence,  ses  discours,  ses  miracles,  ses  ver- 
tus étaient  autant  de  preuves  de  sa  mission  ; 
c'étaient  autant  de  lumières  qui  leur  décou- 
vraient qu'il  était  le  Messie,  qu'ils  fermaient 
les  yeux  â  ces  lumières,  et  qu'ils  laissaient 
passer  le  temps  qu'il  leur  avait  donné  pour 
en  profiter;  c*  lui  de  sa  vie  finissant ,  et  lui 
se  retirant  d'eux  par  sa  mort,  qui  approchait, 
il  les  devait  abandonner  à  leur  dureté  et  à 
leur  obstination.  C'est  là  proprement,  selon 
saint  Augustin  ,  le  péché  que  Jésus-Christ 
leur  reprochait  :  St  je  n'étais  pas  venu,  et  que 
je  ne  leur  eusse  point  parlé,  ils  n'aurait nt 
point  de  péché;  mais  maintenant  Us  sont  sans 
excuse  de  leur  péché. 

Voilà,  mes  frères  ,  leur  péché  :  leur  obsti- 
nation a  été  la  cause  de  l'abandonnement  qui 
les  a  engagés  ensuite  dans  cet  aveuglement. 
Elle  leur  a  fait  regarder  comme  un  ennemi 
celui  qui  leur  enseignait  la  vérité.  Elle  les 
a  jetés  dans  cette  ingratitude  qui  les  a  por- 
tés à  donner  la  mort  à  leur  bienfaiteur. 
Voilà  par  où  ils  se  sont  attiré  l'effet  de  la 
menace  du  Sauveur  :  Je  m'en  vais  ,  rt  vous 
mourrez  dans  votre  péché;  et  telle  est  la  jus- 
lice  de  Dieu  dans  sa  conduite.  Or  nous  n'a- 
vons maintenant  qu'à  nous  faire  l'applica- 
tion de  tout  ce  que  nous  venons  de  dire  des 
Juifs,  et  nous  serons  persuadés  que  celui 
qui  veut  vivre  dans  son  poché  mérite  que 
Dieu  l'abandonne. 

Le  Sauveur  du  monde  nous  menace  comme 
il  a  menacé  les  Juifs  ,  et  il  n'y  a  pas  un  de 
nous,  mes  frères,  à  qui  il  soit  arrive  de  tom- 
ber dans  le  péché  mortel  une  seule  fois,  qui 
ne  doive  craindre  par  conséquent  et  écouter 
en  tremblant  celte  parole  :  Je  ■»*«■  vais. 
No.:s  sommes  donc  menaces  également,  puis- 
que celle  menace  nous  regarde  comme  les 
Juifs,  ci  plus  que  les  Juifs  :  mais  nous  som- 
mes menacés  avec  beaucoup  plus  de  raison, 
car  le  péché  des  chrétiens  est  bien  plus  graud 


401  SERMON  POUR  LE  LUNDI  DE  LA 

que  celui  des  Juifs.  L'obstination  des  chré- 
tiens est  bien  plus  volontaire,  et  leur  ingra- 
titude est  bien  plus  énorme.  Les  Juifs  sont 
abandonnés  pour  un  moindre  péché  que  ce- 
lui des  chrétiens  ;  il  n'y  a  donc  point  de  chré- 
tien qui  veuille  vivre  dans  son  péché,  qui  ne 
;  mérite  que  Dieu  l'abandonne  :  cette  consé- 
quence est  infaillible  ,  puisque  le  péché  du 
chrétien  est  plus  grand  sans  comparaison 
que  celui  des  Juifs. 

Mais  pour  le  prouver  il  n'y  a  qu'à  faire 
réflexion  que  nous  sommes  plus  méchants 
qu'eux  ,  si  nous  ne  les  surpassons  pas  en-  . 
core  :  le  crime  redouble  d'énormité  à  pro- 
portion que  celui  qui  le  commet  est  dans  un 
état  plus  saint.  Or  toute  justice  vient  de  Jé- 
sus-Christ :  plus   nous  sommes  unis  à  lui , 
plus  nous  devons  être  saints,  le  chrétien  plus 
que  le  juif,  le  religieux  plus  que  le  séculier, 
le  prêtre  plus  que  celui  qui  n'est  pas  honoré 
du  sacerdoce.  C'est  pourquoi  les  saints  nous  { 
ont  dit  tant  de  fois  qu'il  ne  fallait  pas  regar- 
der les  fautes  des  chrétiens  comme  de  simples 
péchés,  mais  comme  des  crimes  qui  en  renfer- 
maient plusieurs  autres.  Tous  les  péchés  qui; 
corrompen  ll'eprit,  ceux  qui  sou  illent  le  corps,, 
ceux  qui  blessent  la  société  établie  par  Jésus-  , 
Christ  parmi  les  hommes  ,  ont  donc  des  de- 
grés d'iniquité   dans  les    chrétiens    qui  les, 
rendent  bien  plus  énormes. 

Un  chrétien  ne  peut  aimer  le  monde,  ni  sui- 
vre les  œuvres  et  les  pompes  de  Satan,  sans 
tomber  dans  une  espèce  d'apostasie  spiri- ; 
tuelle  contre  la  foi  ,  parce  qu'il  renonce   par  ' 
son  action  au  culte  du  vrai  Dieu,  qu'il  avait  '' 
embrassé,  pour  servir  le  diable.  C'est  une; 
espèce  d'idolâtrie  ,  puisque  c'est  rendre  à  lai 
créature  et  au  démon  dans  la  créature  l'hon- 
neur qui  n'est  dû  qu'à  Dieu  seul ,  en  le  lui  •' 
rendant  contre   ses    propres  lumières.  Les! 
chrétiens  ne  peuvent  tomber  dans  des  péchés 
qui   souillent  le  corps  sans   commettre  une 
espèce  de  sacrilège,  parce  que  ces   péchés  : 
violent  la  sainteté   du  sacrement  de  Jésus- 
Christ,  c'est-à-dire  du  baptême,  et  profanent  \ 
le  temple  de  Dieu.  Ils  ne  peuvent  commettre 
de  ces  péchés  de  violence  qui  blessent  la  so-  ; 
ciété,  sans  attaquer  celui  qui  en  est  l'auteur,  • 
sans  l'aire  des  plaies  aux  membres  du  corps 
mystique  dont  Jésus-Christ  est  le  chef,  sans 
le  blesser  lui-même  ,  puisqu'il  dit   en  tant 
d'endroits  qu'il  souffre  dans  la  personne  de  ■ 
ses  membres,  et  sans  troubler  la  paix  d'un 
royaume  que  le  Sauveur  du  monde  a  acquis 
par  son  sang. 

Enfin  le  chrétien  ne  commet  point  de  crime 
qui  ne  renferme  un  adultère,  puisqu'il  n'y  a 
point  d'âme  chrétienne  qui  ne  soit  devenue 
l'épouse  de  Jesus-Christ  par  son  baptême.  Il 
n'en  commet  point  qui  ne  le  rende  un  perfide 
devant  Dieu,  puisqu'il  manque  à  la  parole 
qu'il  lui  a  donnée  dans  son  baptême  de  mou- 
rir plutôt  que  de  violer  le  n  oindre  de  ses 
commandements.  Quels  sont  donc  les  crimes 
du  chrétien  ,  à  considérer  la  sainteté  de  son 
étal ,  son  union  à  Jésus-Christ ,  ses  engage- 
in  nls  avec  Dieu?  Jugez-en,  mes  .frères,  sur 
celle  règle,  et  voyez  combien  ses  péchés  sur- 


DLUXIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


402 


passent  ceux  des  Juifs  et  quelle  vengeance 
Dieu  en  doil  tirer. 

Que  dirons-nous  maintenant  de  l'obstina- 
tion avec  laquelle  le  chrétien  persévère  dans 
un  état  si  déplorable  ,  où  il  se  jette  par  son 
propre  choix  ?  Nous  dirons  que  son  obsti- 
nation est  bien  plus  volontaire  que  celle  des 
Juifs. 

En  effet  les  Juifs  ne  connaissaient  point 
les  mystères  que  Dieu  voulait  accomplir  par 
Jésus-Christ  ;  ils  ne  connaissaient  pas  même 
absolument  Jésus-Christ ,  ni  pour  le  Fils  de 
Dieu,  ni  pour  le  Messie;  c'esl  ce  que  l'Apô- 
tre nous  fait  entendre,  quand  il  dit  que  s'ils 
eussent  connu  cette  sagesse,  ils  n'eussent  ja- 
mais crucifié  le  Seigneur  de  la  gloire.  Mais 
pour  nous,  mes  frères,  nous  connaissons  les 
mystères  de  cette  sagesse  cachée,  nous  con- 
naissons Jésus-Christ,  par  qui  Dieu  les  a  ac- 
complis, et  nous  savons  de  plus  qu'ils  n'ont 
.  été  accomplis  que  pour  nous. 

Nous  ne  saurions  donc  alléguer  l'igno- 
irance  pour  nous  excuser  dans  nos  péchés  ; 
c'est  la  malice  seule  qui  nous  les  fait  com- 
Imcttre,  c'est  la  corruption  de  notre  cœur  qui 
nous  y  engage;  nous  fermons  les  yeux  aux 
^lumières  de  la  foK  nous  ne  voulons  point  con- 
naître les  œuvres  éclatantes  de  la  Divinité, 
!et  nous  sommes  du  nombre  de  ces  malheu- 
reux dont  parle  l'Apôtre,  qui  pèchent  volon- 
tairement après  avoir  reçu  la  connaissance 
de  la  vérité  ,  et  pour  qui  il  n'y  a  plus  désor- 
mais d'hostie  pour  les  péchés  :  car  rien  n'ir- 
rite Dieu  davantage  que  l'ingratitude  et  le 
mépris  de  la  grâce  reçue  ;  et  pour  compren- 
dre jusqu'où  la  pousse  le  chrétien  qui  veut 
[Vivre  dans  son  péché,  i!  ne  faut  que  suivre 
H'Apôtre  dans  ce  qu'il  continue  de  nous  dire 
dans  son  Epître  aux  Hébreux.  :  Celui,  dit-il, 
qui  viole  la  loi  de  Moïse  est  condamné  sans 
miséricorde  à  mort,  sur  la  déposition  de  deux 
ou  trois  témoins  ;  combien  donc  croyez-vous 
que  celui-là  sera  jugé  digne  d'un  plus  grand 
châtiment  qui  aura  foulé  aux  pieds  le  Fils  de 
Dieu,  qui  aura  tenu  pour  vil  et  profane  le 
sang  de  l'alliance  ,  par  lequel  il  avait  été 
sanctifié,  et  qui  aura  fait  outrage  à  l'esprit  de 
la  grâce? 

Je  sais  bien,  mes  frères,  que,  selon  le  sen- 
timent de  très-savants  théologiens,  ces  paro- 
les semblent  ne  se  devoir  entendre  que  de 
l'aposlasie  parfaite  de  la  religion  et  de  la 
foi  en  Jésus-Christ,  qui  renferme  form  Ile- 
ment  toutes  les  profanations  dont  parle  saint 
Paul;  mais  ,  outre  qu'il  y  a  une  espèce  d'a- 
postasie dans  chaque  péché  mortel  ,  comme 
nous  l'avons  établi  il  n'y  a  qu'un  mo-nent,  il 
est  certain  que  le  chrétien  qui  demeure  dans 
l'habitude  du  péché  mortel ,  quand  ce  serait 
même  dans  une  certaine  vue  de  n'y  pas  de- 
meurer, de  ne  pas  y  vouloir  persévérer  jus- 
qu'à la  fin,  cl  avec  espérant  c  d'en  sortir  dans 
un  certain  temps  ,  il  est ,  dis-jc,  certain  que 
ce  chrétien  tombe  dans  toutes  les  profana- 
tions marquées  par  saint  Paul. 

Il  foule  aux  pieds  le  Fils  de  Dieu,  en  mé- 
prisant toute  la  vertu  de  son  incarnation  et 
en  s'opposant  autant  qu'il  est  en  lui  à  l'ac- 
complissement de  ses  grands  desseins  ,  qui 


403 


OltATElItS  SACRES.  D  ,\|  JEltOME. 


il)* 


regardent  la  gloire  de  bou  Père,  le  talut  de., 
nommes  et  le  rétablissement  de  i'empin  de 
Dieu,  qu'il  a  eu  en,  vue  en  se  faisant  homme. 

Jl  lient  pour  vil  et  profane  le  sang  de  l'al- 
liance par  lequel  il  avait  été  sanctifié  ,  i  n 
méprisant  le  fruit  de  la  mort  de  Jous-Christ, 
qui  n'a  souffert  que  pour  expier  le  pêche  ; 
en  détruisant  en  lui-même  la  sanctification 
d''  sou  lime,  opérée  par  le  baptême  dont  elle 
est  l'ouvrage,  ce  que  saint  Paul  appelle  ex- 
poser le  Sauveur  à  l'ignominie  ;  et  en  lui  im- 
posant, autant  qu'il  est  en  lui,  une  nouvelle 
nécessité  de  mourir,  ce  que  saint  Paul  ap- 
pelle crucifier  de  nouveau  Jésus-Christ. 

Enfin  il  fait  outragé  à  l'esprit  de  la  grâce,  en 
demeurant  dans  l'état  du  péché  sous  /espé- 
rance de  la  trouver  toujours,  lorsque,  après 
avoir  erré  tout  à  loisir  dans  les  v.,ics  du 
monde,  après  avoir  satisfait  les  désirs  déré- 
glés de  son  cœur  et  contenté  toutes  ses  pas- 
sions ,  il  lui  plaiia  de  retourner  à  Dieu 
comme  au  seul  parti  qui  lui  reste  à  prendre. 
C'est  là  ,  mes  frères  ,  le  plus  grand  outrage 
qu'on  puisse  faire  à  l'esprit  de  la  grâce;  car 
c'est  se  vouloir  servir  d'elle  contre  l'inten- 
tion de  celui  qui  en  est  l'auteur,  qui  nous  l'a 
méritée  par  sa  mort,  et  qui  ne  nous  la  donne 
que  pour  nous  faire  mourir  au  péché,  en 
voulant  nous  servir  d'elle  pour  vivre  dans 
l'habitude  du  péché. 

Que  doit  donc  attendre  un  chrétien  qui  a 
passé  une  grande  partie  de  sa  vie  dans  cet 
état,  et  qui  a  poussé  l'ingratitude  envers 
Dieu  jusqu'à  cet  excès  d'insolence  ?  L'apôtre 
saint  Paul  nous  le  n. arque  ,  dans  son  Epilre 
aux  Hébreux  ,  par  une  comparaison  dont 
l'application  nous  devrait  tous  faire  trem- 
bler. 

Quand  une  terre  ,  dit  cet  apôtre,  souvent 
abreuvée  des  eaux  de  la  pluie  qui  y  tombe  , 
ne  produit  que  des  ronces  et  des  épines ,  elle 
est  eu  aversion  à  son  maitre,  cHe  est  mena- 
cée de  sa  malédiction,  et  à  la  fin  il  y  met  le 
feu.  Voilà,  mes  frères,  le  sort  aussi  bien  que 
la  peinture  de  ce  chrétien  ingrat  ,  et  Dieu 
veuille  que  ce  ne  soit  pas  celui  de  la  plupart 
de  ceux  qui  m' écoutent I 

Appelés  à  la  connaissance  du  vrai  Dieu 
par  sa  miséricorde  ,  régénérés  par  la  grâce 
de  Jésus-Christ ,  sanctifiés  par  le  baptême  , 
instruits  par  l'Evangile  ,  fortifiés  par  les  sa- 
crements, animes  par  les  exemples,  pressés 
par  les  grâces  intérieures,  chrétiens  ingrats, 
reconnaissez-vous.  Vous  méprisez  celui  qui 
vous  a  comhlés  de  biens  ,  vous  l'outragez 
dans  son  sacrifice,  dans  sa  parole  ,  dans  ses 
sacrements,  dans  sa  propre  personne;  chré- 
tiens qui  voulez  vivre  dans  votre  péché,  re- 
connaissez-vous dans  cette  image.  Vous  ne 
produisez  pour  tous  fruits  des  soins  qu'il 
prend  de  vous  que  l'ambition,  l'impur.  ,  . 
l'injustice,  Pinsensibililé,  l'avarice,  la  médi- 
sance; après  cela  n'esl-il  pas  juste  que  \ 
soyez  abandonnes  de  celui  <iue  v  u;s  mépri- 
sez avec  lant  d'insolence,  et  qu'il  ne  vous 
fasse  nulle  miséricorde  .'  Aussi  i  sl-il  certain 
que  comme  vous  avez  mérité  que  1)  <  u  \>u> 
a bandonue,  parce  que  vous  voulez  vivredans 
ie  péché,  le  chrétien  mourra  infailliblement 


dans  s  m  péché  s'il  esi  abandonné  de  Dieu  : 

I  li    seconde    vérité    renfermée  dans    les 

paroles  du  Sauveur  du  monde, et  la  deuxième 
partie  de  ce  discours. 

DEUXIÈME    PA»TIK. 

Je  dis,  mes  frères,  que  celui  que  Dieu  aban- 
donne mourra  dans  son  péché  infailliblement, 
et  non  pas  nécessairement  ;  car  nous  ne  ou- 
naissuns  pas  des  pécheurs  en  cette  vie,  quel- 
que abandonnés  qu'ils  puissent  j r  qui 
Dieu  ne  répande  encore  quelques  grâces,  et 
imu-.  n'en  c<  nnaissons  point  non  plui  dequi 
la  volonté  soit  dans  une  impuissance  absolue 
de  correspondre  aux  bons  mouvements  et 
aux  lumières  qui  leur  sont  donnés  ;  mais 
comme  il  n'y  a  qu'un  mira»  le  dans  l'ordre  de 
la  grâce  qui  puisse  retirer  un  homme  de  l'é- 
tal déplorable  par  lequel  il  a  mérité  par  ses 
injustices  que  Dieu  se  relire  de  lui  et  qu'il 
l'abandonne,  nous  ne  devons  pas  nous  y  at- 
tendre ,  et  c'est  une  effroyable  témérité  que 
de  compter  sur  ce  que  Dieu  ne  nous  a  point 
promis,  quoiqu'il  lui  soit  arrivé  quelquefois 
de  le  faire,  par  cette  puissance  extraordi- 
naire qui  n'agit  pas  souvent. 

En  elfet .  Die  i  tient  deux  sortes  de  con- 
duite dans  l'ordre  de  la  grâce  ,  comme  dans 
celui  de  la  naiure  :  il  y  a  une  conduite  mira- 
culeuse et  extraordinaire  dont  il  use  envers 
qui  il  lui  plaît,  et  sans  autre  engagement  que 
celui  de  faire  paraître  sa  puissance  abs  due 
quand  il  veut  ;  il  y  a  une  conduite  réglée  et 
ordinaire  dont  il  use  envers  tous  ,  à  laquelle 
il  s'est  comme  lié  par  Tordre  qu'il  lui  a  plu 
de  mettre  dans  les  différents  êtres  :  ainsi , 
par  exemple,  il  prend  des  pains  dans  le  dé- 
sert ,  il  les  multiplie  dans  ses  mains  ,  et  il 
nourrit  d'une  substance  qu'il  produit  par  sa 
seule  vertu  une  multitude  de  peuple  qui  l'a- 
vait suivi  ;  voilà  un  effet  de  cette  conduite 
miraculeuse. 

De  même,  en  un  sens  ,  il  nourrit  tous  les 
hommes  comme  il  a  nourri  ce  peuple;  mais 
il  les  nourrit  du  fruit  de  leurs  travaux,  el  des 
semences  qu'ils  ont  répandues  sur  la  terre 
il  en  produit  des  moissons  qui  fournis»)  ni 
régulièrement  à  tous  leurs  besoins  :  voilà 
un  effet  deceite  conduite  ordinaire  et  réglée. 

Dans  l'ordre  de  la  grâce,  il  convertit  Saul 
en  un  moment,  et  d'un  persécuteur  il  en  lait 
un  apôtre  ;  il  change  le  cœur  d'un  larron  à 
l'extrémité  de  sa  \ie,  et  d'un  scélérat  il  eu 
fait  un  saint:  voilà  un  effet  de  va  conduite 
extraordinaire  et  miraculeuse,  dont  il  use 
quand  il  veut  ,  envers  qui  il  lui  plaîi. 

Dans  la  conduite  ordinaire  il  verse  la  grâce 
dans  le  cœur  du  chrétien  ,  comme  un 
mence  divine  qu'il  doit  cultiver  par  ses  soins  : 
il  faut  que  par  cette  grâce  il  combatte  ce  qui 
s'oppose  en  lui  à  l'établissement  du  règne  de 
Dieu  ;  il  faut  que  par  une  j  remière  Victoire 
il  se  rende  di  ne  d'un  nouveau  secours  qui 
lui  en  l'as  e  remporter  une  plus  gr  nde  ,  et 
qu'ainsi  .  de  misant  ja-u  à  peu  les  ennen  is 
du  repue  de  Dieu  ,  il  le  rende  le  malin 
soin  de  s<i ii ,  rjpur. 

i  'est  sur  celle  dernière  idée  de  la  conduite 
de  Dieu  qu'un  doit  dire,  mes  frères,  que  celui 


m 


SERMON  POUR  LE  LUNDI  DE  LA  DEUXIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


406 


qui  l';i  forcé  de  l'abandonner  en  voulant 
vivre  dans  son  péché  monrra  infailliblement 
dans  le  péché,  et  en  voici  la  raison  :  il  s'est 
non-seulement  fortifié  par  les  obstacles  qui 
s'opposaient  à  sa  conversion  ,  mais  il  a  en- 
core affaibli  tous  les  secours  qui  la  pou- 
vaient opérer.  H  faut  donc  qu'il  périsse  in- 
failliblement dans  le  péché.  Ce  qui  n'eût 
peut-être  été  d'abord  qu'un  effet  de  la  fai- 
blesse de  l'homme  est  devenu  dans  la  suite 
un  ouvrage  de  sa  malignité  et  un  choix  libre 
et  volontaire  de  sa  corruption.  Ce  péché  est 
devenu  une  habitude  par  l'amour  déterminé 
de  son  objet  ;  cette  habitude  s'est  comme 
changée  en  la  nature  même  de  l'homme. 

C'est  ce  que  saint  Augustin  nous  explique 
si  bien,  lorsqu'il  dit  que  ,  les  péchés  crois- 
sant toujours,  on  tombe  dans  des  crimes  qui 
s'accumulent  si  fort,  qu'ils  submergent  l'âme, 
etqu'alors  l'homme  se  trouve  dans  une  néces- 
sité inévitable  de  pécher.  D'ailleurs  le  dé- 
mon ,  qui  ne  l'attaquait  d'abord  que  comme 
ennemi,  le  domine  ensuite  en  vainqueur  et 
le  menace  comme  un  esclave. 

Que  fait  un  homme  en  effet  qui  vit  et  qui 
persévère  dans  le  mal ,  sinon  de  former  une 
prison  à  sa  propre  conscience,  en  sorte  qu'il 
est  comme  enfermé  dans  la  corruption  de  son 
cœur  qui  le  presse?  et  c'est  ainsi  que  cet 
homme  travaille  à  sa  perte  en  fortifiant  tous 
les  obstacles  qui  s'opposent  à  sa  conversion, 
et  si  Dieu  par  un  juste  jugement  l'ayant 
abandonné  à  son  iniquité  et  à  son  propre 
aveuglement,  il  s'est  renfermé  dans  lui-même 
comme  dans  une  prison  ,  assurez-vous  qu'il 
n'en  sortira  plus,  parce  qu'il  est  indigne  de 
la  grâce  qui  lui  ferait  trouver  des  moyens 
de  se  délivrer,  et  qu'il  a  affaibli,  par  un  effet 
du  même  aveuglement  et  de  la  même  iniquité, 
le  reste  des  secours  que  Dieu  lui  donne. 

La  beauté  de  la  vertu  ni  la  difformité  du 
vice  qu'il  entrevoit  encore  ne  le  touchent 
point,  tfes  passions  lui  font  également  ap- 
préhender la  pratique  de  l'un  et  la  privation 
de  l'autre  ;  il  s'élève  contre  les  instructions 
qu'on  lui  donne,  il  rend  inutiles  les  remèdes 
que  Dieu  a  établis  dans  son  Eglise,  il  ne  pro- 
fite point  des  afflictions  que  Dieu  lui  envoie 
pour  se  faire  connaître  à  lui-même,  par  la 
considération  de  sa  faiblesse  et  de  sa  mort 
même  ;  il  n'est  point  effrayé  par  la  crainte 
des  jugements  de  Dieu  ,  dont  l'idée  frappe 
encore;  son  esprit;  il  combat  cette  crainte, 
comme  une  timidité  honteuse  et  capable 
d'ailleurs  de  troubler  son  repos  ;  il  ferme  l'o- 
reille à  la  paro.e  de  Dieu  qu'il  vient  en- 
tendre, il  méprise  les  conseils  qu'on  lui 
donne,  il  s'en  lit  nt  aux  maximes  pernicieuses 
du  monde  corrompu  ,  pour  lesquelles  il  s'est 
déclare,  et  la  crainte  qu'on  lui  reproche 
Qu'il  n'est  pas  ferme  dans  ses  principes  lui 
fail  rejeter  avec  affectation  tout  ce  qui  semble 
les  combattre. 

Les  fléaux,  les  disgrâces,  les  perles,  les  af- 
flictions que  Dieu  lui  envoie  pour  le  dégoû- 
ter tiu  monde,  ne  servent  quâ  L'y  engager 
davantage  ou  à  le  rendre  plu>  criminel  ;  car 
ou  il  l'abandonne  à  des  blasphèmes,  ou  il 
s'anime  à  la  vengeance,  ou  il  cherche  des 


moyens  d'adoucir  ses  chagrins  par  de  nou- 
veaux crimes  et  de  réparer  ses  pertes  par  de 
nouvelles  injustices.  Il  méprise  la  prière  ,  il 
rejette  toutes  les  bonnes  œuvres  ;  comme  il 
est  sans  pitié  pour  lui-même,  il  est  sans  mi- 
séricorde pour  les  autres,  et  il  mérite  que 
Dieu  n'en  ait  plus  pour  lui. 

Ainsi,  mes  frères ,  ce  malheureux  affaiblit 
tellement  tous  les  secours  que  Dieu  lui  donne 
encore  pour  l'exciter  à  faire  ce  qu'il  pour- 
rail  et  pour  le  préparer  à  en  recevoir  de  plus 
forts,  qu'enfin,  si  nous  ne  disons  pas  qu'il 
n'en  reçoit  plus  absolument,  ils  sont  si  ra- 
res ,  ils  sont  si  faibles ,  ils  sont  si  languis- 
sants, qu'avec  de  tels  secours  il  mourra  in- 
failliblement dans  son  péché  ;  car,  pour  bri- 
ser les  chaînes  dont  il  s'est  chargé,  pour  dé- 
truire la  prison  où  il  s'est  renfermé  lui- 
même  ,  il  faudrait  que  Dieu  sortît  de  cette 
conduite  ordinaire  et  réglée  à  laquelle  il  lui 
a  plu  de  se  lier;  et  par  où  ce  malheureux 
peut-il  prétendre  que  Dieu  le  fera  pour  lui? 
ou  plutôt  que  u'a-t-il  pas  fait  pour  s'en  ren- 
dre indigne  ? 

Réunissons  toutes  les  vérités  que  nous 
avons  exposées  dans  ce  discours,  et  con- 
cluons qu'il  n'y  a  rien  de  si  juste  que  cet 
éloignement  de  Dieu  et  les  suites  terribles 
de  cet  éloignement.  Vous  voulez  vivre  dans 
votre  péché,  qui  est  mille  fois  plus  énorme 
que  celui  des  Juifs;  il  s'est  éloigné  d'eux,  il 
s'éloignera  de  vous;  ils  sont  morts  dans  leurs 
péchés,  vous  mourrez  donc  dans  le  vôtre. 

Ce  que  Dieu  fait  pour  vous  inviter  à  la  pé- 
nitence ne  sert  qu'à  vous  retenir  dans  vos 
désordres;  sa  bonté  même  l'obligera  donc  un 
jour  à  vous  punir  :  car  comme  ceux  qui  use- 
ront bien  des  richesses  de  sa  bonté  trou- 
veront leur  salut  dans  sa  patience,  ceux  au 
contraire  qui  en  abuseront  y  trouveront  un 
redoublement  de  supplices. 

11  est  vrai ,  mes  frères,  que  Dieu  est  bon  ; 
mais  si  nous  abusons  de  sa  patience,  ce  sera 
celte  patience  même  qui  nous  punira,  et  rien 
ne  justifie  plus  la  conduite  de  Dieu  dans  l'a- 
bandounement  du  chrétien.  Car  qu'anïve- 
t-il  lorsqueDieu  nous  supporte  dans  nos  ini- 
quités et  qu'il  ne  nous  châtie  pas  selon  nos 
crimes?  Il  arrive,  dit  saint  Pau!  ,  que  nous 
nous  amassons  un  trésor  de  colore  pour  le 
jour  de  la  manifestation  du  juste  jugement  de 
Dieu  :  trésor  de  colère,  au  reste  ,  où  il  ré- 
serve tous  les  effets  de  son  indignation  et 
tous  les  châtiments  que  vous  ave/  mérités' 
par  vos  péchés.  En  effet ,  pbuvez-vous  croire 
que  tant  de  crimes  puissent  demeurer  im- 
punis ?  Il  les  réserve  dans  ses  trésors  ,  e( 
comme  les  richesses  qu'on  réserve  sont  ca- 
chées, les  châtiments  sont  cachés  sous  cette 
patience  méprisée.  Il  ne  punit  pas,  il  souffre, 
et  c'est  ce  qui  nous  trompe  ;  car  ce  trésor  sera 
ouvert  en  un  moment,  et  tout  cela  par.  îlra 

Prenez  garde  que  saint  Paul  n'appelle  pas 
sans  sujet  un  trésor  de  colère  celte  patience 
méprisée;  cela  veut  dire  que,  comme  les  tré- 
sors sont  ordin  ircment  cachés,  cette  eot  t 
de  Dieu  est  cachée  sous  cette  patience  aux 
yeux  de  l'impénitent  qui  les  ferme,  pour  ne 
pas  connaître  celui  qui  ne  le  châtie  point,  et 


407 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


«IX 


qui  néanmoins  ne  châlic  jamais  d'une  ma- 
Dière  plus  terrible  et  plu>  redoutable  que 
quand  il  affecte  (le  ne  point  châtier.  Compre- 
nez bien  ceci,  mes  frères  :  l'endurcissement 
du  cœur  du  pécheur  ne  se  fait  point  par  la 
puissance  de  Dieu,  mais  il  se  l'orme  au  con- 
traire par  son  indulgence  et  par  la  grande 
douceur  dont  il  agit  envers  les  pécheurs  : 
ainsi,  quand  il  dit  dans  l'Ecriture  qu'il  a  en- 
durci Pharaon,  c'a  été  par  sa  patience. 

En  effet,  quand  Dieu  l'a  frappé  de  quel- 
ques plaies,  il  s'est  repenti  dans  le  moment, 
au  lieu  que  quand  il  recevait  de  sa  part 
un  traitement  plus  favorable,  il  s'enflait  d'or- 
gueil. 

Mais  peut-être  me  direz-vous  :  Pourquoi 
l'a— t— il  endurci?  11  l'a  fait,  vous  répondrai-je, 
parce  que  Pharaon,  par  la  multitude  de  ses 
péchés,  a  mérité  d'être  châtié,  non  comme 
un  enfant,  pour  sa  propre  correction,  mais 
d'élre  endurci  pour  sa  perte,  comme  un  eu- 
nemi. 

Voilà,  mes  frères,  ce  qui  nous  arrive  : 
nous  avons  méprisé  les  grâces  de  Dieu,  nous 
avons  fermé  notre  cœur  à  toutes  les  voies 
différentes  dont  il  s'est  servi  pour  nous  ap- 
peler à  lui. Ni  ses  faveurs,  ni  ses  châtiments 
ne  nous  ont  point  touchés-,  ingrats  dans  les 
biens  qu'il  lui  a  plu  de  nous  faire,  impatients 
dans  les  disgrâces  dont  il  a  voulu  se  servir 
pour  nous  uétacherdu  monde  et  nous  rame- 
ner à  lui,  il  nous  abandonne  à  nous-mêmes, 
et  nous  laisse  remplir  ce  trésor  de  colère 
que  uous  ne  voyons  pas  à  présent,  parce  que 
nous  vivons  dans  la  fausse  joie  que  nos  pas- 
sions nous  donnent,  mais  qui  paraîtra  telle 
qu'elle  est  au  jour  de  sa  colère  et  de  la  ma- 
nifestation de  son  juste  jugement. 

Vous  voyez  tousles  jours  que  lorsque  vous 
traitez  trop  doucement  vos  propres  enfants, 
et  que  vous  leur  pardonnez  autant  de  fois 
qu'ils  font  des  fautes,  ils  deviennent  par 
celte  indulgence  tellement  insupportables, 
que  vous  êtes  contraints  de  leur  en  Taire  des 
reproches  et  de  leur  dire  :  C'est  moi  qui  vous 
ai  fait  ce  que  vous  êtes  ;  malheureux,  si  je 
ne  vous  avais  pas  traités  avec  tant  de  dou- 
ceur, vous  ne  seriez  pas  devenus  si  inso- 
lents ;  c'est  la  faute  que  j'ai  faite  dont  je  porte 
la  peine. 

Or,  mes  frères,  vous  leur  parlez  de  cette 
sorte,  non  pour  leur  dire  que  vous  soyez 
l'auteur  deleur  malice,  ou  que  vous  leur  ayez 
inspiré  cet  orgueil  qu'ils  font  paraître  dans 
leurs  réponses  pleines  d'arrogance  ,  mais 
parce  qu'ils  se  sont  endurcis  en  abusant  de 
la  grande  bonté  et  du  trop  d'indulgence  que 
vous  avez  eu  pour  eux.  C'est  ainsi  que  Dieu 
en  use  avec  nous.  Moins  il  nous  châtie  quand 
nous  sommes  pécheurs,  et  plus  nous  devons 
craindre  sa  patience  ;  c'esi  la  plus  grande 
punition  qu'il  nous  puisse  fairo  ressentir  : 
et  si  nous  prospérons  en  vivant  dans  le 
crime,  c'est  une  preuve  presque  certaine  que 
nous  mourrons  dans  noire  péché. 

Quelles  conséquences  tirerons-nous  de 
l'exposition  de  ces  vérités  si  terribles,  mais 
si  certaines  ?  Les  voici,  mes  frères.  Trem- 
blons tous  faut  que  nous  sommes ,  si  nous 


avons  commis  un  seul  péché  mortel  , 
puisqu'il  n'en  faut  pas  davantage  pour  nous 
perdre  éternellement  :  car  enlin  considérez 
la  mesure  des  péchés  de  ceux  que  Dieu  par 
sa  miséricorde  a  élevés  à  un  état  plus  saint 
et  plus  relevé  que  celui  des  autres.  L'ange 
et  le  premier  homme  sont  des  exemples  qui 
devraient  faire  frémir.  11  n'y  a  rien  de  plus 
saint  que  l'état  d'un  chrétien,  et  rien  par 
conséquent  qui  mérite  tant  les  effets  de  la 
colère  de  Dieu,  que  la  profanation  de  cet  état 
si  élevé. 

Si  depuis  longtemps  nous  vivons  dans 
l'habitude  du  péché,  quelle  doit  donc  être 
notre  frayeur  !  car  nous  n'avons  nul  droit  à 
la  grâce  de  Dieu,  il  ne  nous  doit  rien  que  la 
damnation,  et  mourant  dans  cet  état  nous 
mourrons  dans  notre  péché. 

Que  celui  qui  a  confessé  son  péché  n'y  re- 
tourne donc  plus;  qu'il  espère  que  Dieu  lui 
a  pardonné,  s'il  unit  la  pratique  de  toutes 
les  bonnes  œuvres  avec  un  cœur  vivement 
contrit;  mais  que  ceux  qui  ne  fonl  point  pé- 
nitence, qui  vivent  dans  la  joie,  que  Dieu 
n'afflige  point,  sentent  que  cette  prospérité 
est  à  craindre  et  qu'elle  est  bien  dangereuse. 
Dieu  est  juste,  le  péché  doit  être  puni  ;  s'il 
ne  l'est  point  en  cette  vie  ,  il  le  sera  en 
l'autre. 

Recourons  donc  sans  délai  ,  mes  frères,  à 
la  miséricorde  de  Dieu  ;  ne  nous  servons  pas 
de  la  patience  qu'il  a  eue  jusqu'ici  pour  per- 
sévérer dans  nos  crimes  ;  mais  servons-nous- 
en  pour  retourner  à  lui  et  pour  trouver  no- 
tre salut  dans  sa  bonté  ;  songeons  à  faire 
pénitence  et  à  nous  châtier  nous-mêmes,  de 
peur  que  le  défaut  de  ces  châtiments  ne  soit 
une  marque  de  sa  colère  et  de  notre  répro- 
bation. Défions-nous  de  la  prospérité  du 
monde  ;  troublons-la  par  les  larmes  de  la 
pénitence  ;  craignons  ce  que  dit  saint  Jérô- 
me, que  cette  dangereuse  tranquillité  ue 
soit  un  indice  de  la  plus  horrible  tempête. 
Servons-nous  îles  moyens  communs  et  géné- 
raux que  Dieu  nous  laisse  pour  la  détour- 
ner,  en  rappelant  sa  grâce  et  son  amour. 

Pleurons,  jeûnons,  prions,  achetons  la  mi- 
séricorde par  celle  que  nous  ferons  aux  mi- 
sérables. EnOn.  n'oublions  rien  pour  empê- 
cher que  Dieu  ne  nous  abandonne,  et  ne  né- 
gligeons rien  pour  recouvrer  sa  grâce  :  c'est 
ce  que  je  vous  souhaite.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

TOIR    LE    MAR01    DE    LA    DEUXIÈME    SEMAINE 
DE    CARÉMI . 

Sur  le  malheur  de  l'état  des  riches  selon  te 
monde  qui  jouissent  de  leur  abondance. 

Homo  quidam  eratdives,  et  eral  quidam  mendicus  Do- 
mine. Latarus. 

Il  i/  avait  un  lu  mine  riche;  il  y  avait  atusi  wi  pauvre  ap- 
pels ïa:u>r  [Luc.,  Ml,  19, 

L'évangile  que  l'Eglise  nous  proposera 
dans  peu  de  jours  et  dont  je  prends  mon 
texte,  nous  présente,  mes  frères,  deux  ob- 
jets :  un  riche  cl  un  pauvre,  un  pécheur  et 
un  juste  ;  l'un  dans  l'abondance ,  l'autre 
dans  une  extrême  nécessité;  l'un  dans  les  dé- 
lices, l'autre  dans  les  souffrances;  l'un  daus 


409 


SERMON  POUR  LE  MARDI  DE  LA  DEUXIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


410 


l'enfer  après  sa  mort,  et  l'autre  dans  le  sein 
d'Abraham. 

Ces  objets  si  différents,  la  disposition  si 
opposée  de  ce  pécheur  et  de  ce  juste,  la  con- 
duite si  extraordinaire  que  la  Providence 
tient  à  leur  égard,  ce  jugement  si  terrible 
rendu  contre  le  riche,  la  fin  si  heureuse  du 
pauvre,  tout  cela,  mes  frères,  nous  fournit 
une  ample  matière.  Il  faut  essayer  de  la  ré- 
duire à  un  certain  point  qui  renferme  tout 
ce  qui  est  contenu  dans  cet  évangile,  et  qui 
nous  conduise  à  la  fin  qu'il  paraît  que  ie 
Sauveur  du  monde  s'est  proposée.  Or,  mes 
frères,  il  me  semble  que  le  Sauveur  nenous 
a  tracé  l'histoire  des  péchés  de  ce  riche,  et 
celle  de  la  justice  de  ce  pauvre,  que  pour 
nous  mettre  dans  l'état  où  saint  Paul  dit  que 
la  miséricorde  divine  l'avait  mis  :  Je  sais  vi- 
vre pauvrement ,  je  sais  vivre  dans  l'abon- 
dance, disait-il.  11  faut  donc,  en  exposant  cet 
évangile,  apprendre  à  ceux  qui  sont  dans  la 
prospérité  le  moyen  de  ne  pas  s'y  perdre 
comme  ce  mauvais  riche,  et  donner  quelque 
consolation  à  ceux  qui  sont  dans  la  misère 
et  dans  l'affliction. 

Dans  ce  discours  nous  établirons  les  véri- 
tés qui  nous  donneront  une  idée  du  danger 
que  courent  les  pécheurs  dans  la  prospérité 
parcelle  du  mauvais  riche  :  première  partie  ; 
dans  la  seconde,  nous  appliquerons  ces  vé- 
rités, quelque  tristes  qu'elles  soient  pour 
les  riches,  afin  de  les  instruire  ou  au  moins 
de  les  confondre  dans  leur  malheureuse 
prospérité  :  seconde  partie.  Dans  l'une  et 
dans  l'autre  le  pauvre  trouvera  des  motifs 
de  se  consoler  dans  ses  afflictions  par  l'espé- 
rance du  bonheur  que  la  pauvreté  a  mérité 
au  Lazare.  C'estlamatièrede  votre  attention, 
demandons  les  lumières  du  ciel..4ve  ,  Maria. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Pour  nous  donner  une  juste  idée  de  l'état 
des  pécheurs  dans  la  prospérité,  sur  celle  de 
ce  mauvais  riche  de  l'Evangile,  qui  puisse 
Consoler  les  justes  dans  leurs  afflictions  et 
leur  faire  porter  avec  patience  les  épreuves 
ou  il  plaît  à  Dieu  de  les  mettre,  il  est  néces- 
saire d'établir  quatre  importantes  vérités  qui 
nous  serviront  de  règles  pour  juger  de  cet 
état,  et  nous  en  verrons  des  preuves  dans 
le  riche  de  l'Evangile. 

1°  Toute  l'Ecriture  est  pleine  d'expressions 
qui  forment  des  préjugés  funestes  contre 
1  état  des  riches  et  contre  la  prospérité  de 
celte  vie  ;  2°  le  fondement  de  ces  préjugés 
est  établi  sur  la  difficulté  réelle  de  faire  son 
salut  dans  la  prospérité  et  dans  l'état  des 
riches;  31  la  preuve  de  celle  difficulté  se 
tire  des  crimes  ordinaires  et  presque  inévi- 
tables où  tombent  les  riches,  et  où  la  prospé- 
rité les  jette;  k"  souvent  Dieu  punit  ces 
crimes  dès  cette  vie,  ou  s'il  en  réserve  les 
châtiments  pour  l'autre,  sa  justice  prépare 
des  supplices  éternels  à  ceux  qui  ont  abusé 
de  leur  prospérité  cl  de  leurs  richesses. 

Etablissons,  mes  frères,  ces  quatre  véri- 
tés, et  ensuite  nous  dirons  ce  que  c'est  que 
cet  état  des  riches  si  agréable  aux  sens,  si 
recherché  des  hommes  avec  tant  d'ardeur, 


si  périlleux,  si  méprisable  en  lui-même,  et 
quelle  doit  être  la  consolation  des  justes, 
lorsqu'au  milieu  de  leurs  afflictions  ils  consi- 
dèrent cet  état  dans  les  vues  de  la  foi. 

Je  commence  par  la  première  vérité,  et  je 
dis  que  l'Ecriture  est  pleine  d'expressions 
qui  forment  des  préjugés  funestes  contre 
l'état  des  riches  et  contre  la  prospérité  de 
cette  vie.  C'est  déjà  assurément  un  puissant 
préjugé  contre  cet  état,  que  les  richesses  et 
les  biens  temporels  qui  en  font  l'avantage  se 
trouvent  entre  les  mains  des  méchants.  C'est 
une  marque  de  leur  peu  de  valeur,  et  que 
Dieu  ne  les  estime  guère,  puisqu'il  les  donne 
à  ses  ennemis.  11  nous  a  comblés  en  Jésus- 
Christ  de  toutes  sortes  de  biens  spirituels 
pour  le  ciel,  il  n'est  point  parlé  de  grâces 
temporelles,  elles  sont  d'ordinaire  abandon- 
nées aux  réprouvés  :  étrange  préjugé  si  nous 
avions  la  foi.  Il  n'y  a  que  les  biens  spirituels, 
les  biens  célestes  et  les  biens  éternels,  qui 
soient  le  partage  des  élus  et  des  prédestinés. 
C'est  un  grand  préjugé  contre  cet  état  des 
richesses,  que  le  Fils  de  Dieu  venant  au 
monde  ne  l'ait  pas  choisi  :  Vous  savez  quelle 
a  été  la  bonté  de  Noire-Seigneur  Jésus-Christ, 
dit  saint  Paul,  qui  étant  riche  s'est  rendu 
pauvre  pour  l'amour  de  nous;  terrible  préjugé 
contre  la  prospérité  du  monde  1  Dominus,  qui 
in  nullis  divitiis  invenitur,  semper  pauperes 
justificat ,  divites  prœdamnat  :  Jésus-Christ 
prend  partout  le  parti  des  pauvres,  et  il  est 
toujours  disposé  à  condamner  les  riches. 

Ce  n'est  pas,  mes  frères,  que  l'étal  des 
riches  soit  pernicieux  absolument  par  lui- 
même.  A  Dieu  ne  plaise  que  nous  parlions 
ainsi  1  car  ce  pauvre  qui  est  enlevé  par  les 
anges  après  sa  mort  est  porté  dans  le  sein 
d'Abraham,  comme  dans  le  lieu  de  repos.  Or 
Abraham  était  un  homme  riche.  Ce  ne  sont 
donc  pas  les  richesses  qu'on  blâme  précisé- 
ment. Lazare  est  riche  en  Dieu  comme 
Abraham,  dit  saint  Augustin,  et  Abraham 
est  pauvre  comme  Lazare,  de  cœur  et  de  vo- 
lonté. Dieu  ne  rejette  pas  les  puissants,  dit 
Job,  étant  puissant  lui-même  ;  la  puissance 
et  les  richesses  viennent  de  lui,  et  elles  sont 
bonnes  dans  leur  principe;  mais  la  corrup- 
tion de  notre  cœur  en  lait  une  source  de  dés- 
ordres, et  c'est,  mes  frères,  celte  malice  et 
celte  corruption  du  cœur  qui  attirent  la  ma- 
lédiction de  Dieu,  et  qui  l'obligent  à  se  servir 
d'expressions  qui  forment  des  préjugés  si  fu- 
nestes contre  l'état  des  riches  et  contre  la 
prospérité  temporelle  de  cette  vie.  Malheur  à 
vous,  riches,  parce  que  vous  avez  votre  con- 
solution!  Malheur  à  vous,  qui  êtes  rassasiés! 
Malheur  à  vous,  qui  riez  maintenant  !  Malheur 
à  vous,  lorsque  les  hommes  diront  du  bien  de 
vous!  C'est  ainsi  que  parle  l'Ecriture. 

Mais,  mes  frères,  voyons  quel  est  le  fon- 
dement de  ces  préjugés,  et  pourquoi  l'Ecri- 
ture se  sert  de  semblables  expressions  en 
parlant  des  riches  et  de  ceux  qui  vivent  dans 
la  prospérité  du  siècle.  C'est  qu'il  y  a  de  très- 
réelles,  de  très-grandes  et  de  très-etonnantes 
difficultés  pour  faire  son  salut  dans  cel  état  : 
c'est  ma  seconde  vérité. 

Voici  comme  parle  l'Ecriture  :  //  est  bien 


l\\ 


ORATF.I'RS  SACRES.  DCM  JEROMI  , 


411 


difficile  qu'un  riche  entre  d  ns  le  roijanme  du 
ciel,  j*   i  mis   le  dis  encore  une  foi",  il  est  otite 

aisé  qu'un  chant> un  passe  par  le  trou  du  g 
aiguille,  qu'un  riche  entre  dan<  le  royaume  de 
Dteu.  VA  dans  un  autre  endroit  qui  prouve 
cette  vérité  par  un  exemple  :  Un  jeune 
homme  s'approche  du  Sauveur  du  monde,  <t 
lui  demande  :  Quel  bien  faut-il  que  je  fus  >■ 
pour  acquérir  la  vie  éternelle?  Jésus-t hrist 
lui  répondit  :  Gardez  les  commandements. 
Mais,  Seigneur,  lui  répondit  ce  jeune  homme, 
je  les  ai  gardés  tous  dès  ma  jeunesse;  que  me 
rcste-t-il  encore  à  faire  '.'  Jésus  lui  dit  :  Si  vous 
voulez  être  parfait,  allez,  vemlez  ce  que  vous 
avez,  et  donnez-le  aux  pauvres.  Ce  jeune 
homme  à  ces  paroles  s'en  alla  triste  ,  parce 
qu'il  avait  de  grands  biens. 

Considérez,  mes  frères,  les  dispositions  de 
oe  jeune  homme,  et  vous  verrez  quel  est 
l'obstacle  que  les  richesses  apportent  au 
salut  et  à  la  perfection.  Il  avait  gardé  les 
commandements  de  Dieu,  et  vécu  dans  une 
espèce  de  justice  qui  fait  dire  à  l'evangé- 
liste  saint  Marc  que  Jésus-Christ,  jetant  la 
vue  sur  lui,  l'aima.  Il  désirait  d'arriver  à  la 
vie  éternelle,  il  se  met  en  devoir  d'en  ap- 
prendre le  chemin,  il  s'adresse  à  celui  qui 
pouvait  le  lai  enseigner,  et  il  n'est  parlé  que 
de  lui  qui  soit  venu  à  Jésus-Christ  pour  lui 
faire  une  telle  demande,  et  qui  ne  fût  conduit 
par  aurun  autre  motif  que  par  celui  du  salut. 
Cependant  l'amour  de  ses  richesses  l'emporte 
sur  toutes  ses  bonnes  dispositions  et  les  rend 
inutiles.  Ah!  mes  frères,  que  les  richesses 
forment  un  grand  obstacle  au  salut!  Mais 
d'où  vient  cette  difficulté  du  salut  dans  les 
richesses?  le  voici. 

L'amour  déréglé  de  l'homme  fait,  ou  qu'il 
se  lie  à  ses  biens  pour  le  plaisir,  ou  qu'il  lie 
ses  biens  à  lui  par  orgueil  et  par  ambition. 
L'homme  s'aim"  et  cherche  à  se  satisfaire 
dans  cet  amour  par  la  jouissance  des  créa- 
tures, c'est-à-dire  de  tous  les  biens  qui  peu- 
vent contenter  son  avarice,  son  ambition,  sa 
volupté;  c'est  là  son  péché  et  la  source  de  ^a 
damnation  :  car  il  doit  aimer  Dieu  plus  que 
toutes  choses,  et  rapporter  l'usage  de  tout  à 
sa  gloire;  de  sorte  qu'on  doit  juger  des  |  é- 
rils  d'un  étal  pour  le  salut  à  proportion 
qu'il  fournit  plus  ou  moins  de  moyens  de  sa- 
tisfaire cet  amour,  et  c'est  par  là  que  celui 
des  richesses  est  si  dangereux;  car,  nous 
rendant  maîtres  des  biens  de  la  terre,  il 
soumet  toutes  les  créatures  à  nos  désirs. 
Toutes  choses,  dit  le  Sage,  obéissent  à  l'ar- 
gent, parce  qu'il  donne  à  c  lui  qui  le  possède 
un  pouvoir  général  de  satisfaire  ses  pas- 
sions. C'est  là  véritablement  le  Dieu  du  siècle 
que  toutes  les  créatures  adorent,  à  qui  per- 
sonne ne  résiste,  et  sous  l'empire  duquel 
tout  le  monde  se  soumet  aveuglement.  Si 
donc  vous  unissez  un  grand  amour  de  soi- 
méme,  tel  qu'il  est  dans  l'homme  ,  et  de 
grands  moyens  de  se  satisfaire,  tels  que  les 
richesses  les  fournissent,  vous  formerez  de 
très-grandes  difficultés  pour  le  salut. 

Reprenons  la  comparai  ton  dont  le  Sauveur 
du  monde  s'est  servi  pour  nous  faire  cotrt- 
nrendre  la  difficulté  du  salut  dans  l'et.il  des 


riclic-,  et  cx|  liqunns-la  pour  vous  faire  en- 
t'cr  dam  <  ■  lie  importante  vérité.  Il  non-  dit 

qu'il  est  plus  aise  qu'un  «ha     'au   passe    \     r 
le  trou  d'une  aiguiÛe,  qu'un  riche  entre  .1 
le  royaume  de  Dieu  ;    c Ysl-a-dire,   que   c'est 
un  miracle  de  1 1  gr&  e  de  lésas-Christ, 
nous  devons  attendre  de  celui  iam  qui  n 
ne  |  ou  vous  rien  pour  notre  salut;  ei  1 
qui  doit   consoler  les    buriibb-   et   confondre 
les  orgueilleux.  Plusieurs  traduisent  le  mot 
de  chaîne  iu  par  celui  de  câble,  mais  le  sens 
de  la  comparaison  est  toujours  le  même, 
un  câble  est  un  cordage  compose  d'un  très- 
grand  nombre  de  lils,  qui,  tournés  les  uns  sur 
ies  autres,  forment  un  corps  dur  et  <-olide. 

Représentez-vous  donc,  mes  tr  i-ehers 
frères,  l'image  d'un  riche  :  c'est  un  chrétien 
qui  ne  devrait  que  passer  légèrement  sur  la 
mer,  mah  qu'une  infinité  de  passion»,  il  en- 
gagements, d'occupations,  de  désirs,  de  pro- 
jets et  de  vues,  lient  et  attachent  à  la  terre, 
rendent  coupable  et  éloignent  du  salut;  car 
il  est  constant,  dit  saint  Augustin,  que  les 
riches  sont  exposés  à  plus  de  péchés,  étant 
plus  engagés  dans  les  affaires,  dans  les  p 
sirs,  dans  les  emplois  du  monde,  ayant  l'ad- 
ministration et  la  dispensationde  plus  grands 
biens.  Par  là  il  est  aisé  de  comprendr  q 
y  contractent  plus  de  péchés:  voilà  leur  état, 
et  voici  la  difficulté  du  salut  dans  cet  état. 

En  effet,  il  n'est  pas  absolument  impos- 
sible qu'un  câble  passe  par  le  trou  d'une 
aiguille;  mais  prenez  garde  qu'il  n'y  a  qu'un 
moyen  pour  y  réussir,  c'est  de  désunir  et  de 
séparer  toutes  les  petites  ficelles  qui  le  com- 
posent, et  de  le  réduire  à  un  étal  de  simpli- 
cité et  de  petitesse  proportionnée  à  l'espace 
par  lequel  on  veut  le  faire  passer,  ce  qui  est 
assurément  un  travail  long  et  difficile,  et 
même  le  câble  cesse  proprement  d'être  ce 
qu'il  était. 

Or,  mes  frères,  quelle  étonnante  difficulté 
quand  il  s'agit  de  rompre  les  liaisons  d'un 
riche  avec  les  créatures,  ces  engagements  à 
la  terre,  ces  désirs  pour  le  bien,  l'amour  dé- 
réglé de  lui-même,  rattachement  à  sa  for- 
tune, pour  le  réduire  à  la  simplicité  des 
pauvres  d'esprit,  n'aimant  plus  son  bien  que 
par  rapport  a  Dieu,  le  regardant  comme  un 
dépôt  dont  il  doit  rendre  compte,  étouffant 
tous  ses  désirs  au  lieu  de  les  multiplier,  et 
ne  mettant  à  ses  désirs  d'autre  mesure  que 
la  pure  nécessité  de  son  état  dans  l'usage 
qu'il  en  doit  faire!  car  sans  cela  il  ne  peut 
entrer  dans  le  royaume  de  Dieu,  comme  le 
câble  dans  sa  grosseur  ne  peut  p  isser  par  le 
trou  de  l'aiguille.  Lire  riche,  mon  Dieu] 
quelle  difficulté  pour  le  salut!  Mais  on  ne  se 
contente  pas  d'être  criminel  par  la  seule  pos- 
session de  ses  richesses,  la  prospérité  ictte 
dans  des  crimes  presque  inévitables,  et  c'est 
la  troisième  vérit"  dont  je  dois  vous  parler  : 
a  oici  comme  je  l'établis. 

L'Apôtre  dit  dans  son  Epltre  a  Timothée 
que  cruT  qui  veu  eut  d  venir  riches  loml  ■  t 
dans   la  tentation  et  dam  du  diab  e, 

ci  se' livrent  à  divers  déêirê  inutiles  et  perni- 
cieux qui  ]>rt  cipilent  les  hommes  dans  l'abime 


4r 


SERMON  POUR  LE  MARDI  DE  LA  DEUXIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


AU 


déperdition;  sur  quoi,  mes  frères,  je  raisonne 
ainsi:  S'il  est  vrai  que  le  seul  désir  des  riches- 
ses est  unegrandetentation  etun  piégedu  dia- 
ble qui  en  fait  tomber  plusieurs  dans  la  per- 
dition, que  doit-il  arriver  quand  on  les  pos- 
sédera avec  cet  amour  déréglé  qui  en  rend  le 
seul  désir  criminel  ?  On  ne  les  désire  que 
dans  la  vue  de  se  satisfaire;  on  se  satisfera 
donc  indubitablement  quand  on  les  possédera; 
aussi  voyons-nous  que  l'Evangile  ne  met 
point  de  différence  entre  être  riche  de  cette 
manière  et  être  pécheur  réellement.  11  ne 
faut  point  aller  chercher  d'autres  crimes  des 
riches  que  ceux  que.Iésus-Christ  allègue  pour 
la  condamnationdecelui  dontil  cstparlé  dans 
l'Evat  gile.  Il  était  riche,  voilà  son  crime, 
c'est-à-dire,  il  a  aimé  ses  richesses  d'un 
amour  déréglé  ;  il  était  riche  dans  le  cœur. 
Or,  qui  peut  douler  que  ce  ne  soit  là  un  pé- 
ché, puisque  cette  disposition  est  opposée  à 
l'esprit  de  la  religion  ?  premier  péché  du  ri- 
che, le  repos  dans  ses  richesses. 

En  effet,  mes  frères, pouvez-vous  bien  com- 
prendre qu'ayant  un  Sauveur,  en  la  personne 
de  Jésus-Christ,  qui  nous  a  rachetés  parle 
dépouillement  de  toutes  choses  et  par uneex- 
trême  pauvreté  ,  nous  puissions  prétendre 
au  salut  sans  nulle  pratique  de  pauvreté? 
Cela  est-il  possible?  11  y  a  donc  nécessai- 
rement une  pauvreté  qui  convient  à  tout 
chrétien  et  qui  est  nécessaire  pour  le  sa- 
lut. Mais  quelle  est  cette  pauvreté?  Ce  n'est 
pas  celle  qui  réduit  l'homme  à  la  nécessité, 
comme  les  misérables  ;  ce  n'est  pas  celle 
qui  le  réduit  au  dépouillement  et  à  la  dé- 
sappmpriation  ,  comme  les  religieux  ;  m  lis 
c'est  celle  qui  réduit  le  chrétien  à  ne  point 
désirer  les  richesses  quand  il  en  manque  et 
qu'il  a  !e  nécessaire,  ou  à  ne  les  point  aimer 
quand  il  les  po  sède  ;  c'est  celle  que  nous  ap- 
pelons pauvreté  d'esprit,  qui  consiste  à  ai- 
mer la  privation  des  riches-es  en  vue  de  son 
salut,  et  à  n'en  point  aimer  la  possession; 
sans  cela  il  n'y  a  point  de  salut. 

Le  royaume  de  Dieu  n'est  promis  qu'aux 
pauvres  d'esprit,  et  on  ne  peut  assez  répéter 
cette  vérité  aux  riches,  afin  qu'ils  ne  se 
trompent  point  et  qu'on  ne  les  abuse  pas. 
Le  câble  ne  passe  point  par  le  trou  de  l'ai- 
guille, ni  le  riche  n'entre  point  dans  le  ciel; 
non  pas  qu'on  ne  puisse  y  entrer  en  possédant 
les  richesses,  mais  il  y  faut  entrer  par  la 
pauvreté.  11  est  difficile  d'être  pauvre  de  cette 
manière  dans  les  richesses,  et  d'aimer  la  pau- 
vreté dans  l'abondance.  Cette  disposition  est 
très-rare,  c'est  une  grande  grâce  de  Jésus- 
Christ. 

Ainsi,  riches,  prenez-y  garde  :  vous  serez 
coupahlesdu  premiercrimedu  mauvais  riche, 
si  vous  aimez  vos  richesses  et  si  l'amour  de 
la  pauvreté  n'est  pas  dans  votre  cœur.  Sur- 
tout ne  croyez  jamais  qu'il  y  soit,  tant  que 
vous  chercherez  avec  inquiétude  à  multi- 
plier vos  biens,  tant  que  vous  ne  songerez 
qu'à  augmenter  voire  fortune,  tant  que  vous 
ne  vous  appliquerez  <|u'à  accumuler  terre 
sur  terre,  maisons  sur  maisons,  contrais  sur 
contrats.  Comment  peut-on  croire  que  vous 
n'aimez  point  ce  que.  vous  poursuivez,  je  ne 


dis  pas  par  des  voies  injustes,  mais  par  des 
empressements  indignes  d'un  chrétien  ?  Com- 
menlcroira-t-on  que  vous  aimez  ce  que  vous 
évitez  par  toutes  sortes  desoins,  je  veux 
dire,  cette  pauvreté,  dont  le  seul  nom  nous 
fait  trembler? 

Cet  amour  des  richesses  engendre  bientôt 
un  second  crime  que  l'Evangile  reproche  au 
mauvais  riche  :  c'est  le  mauvais  usage  ries 
richesses,  car  dès  qu'on  les  aime  d'un  amour 
déréglé,  on  ne  s'en  sert  d'ordinaire  que  cri- 
minellement. La  raison  en  est  évidente,  l'a- 
mour réglé  des  richesses  étant  un  amour  qui 
vient  de  Dieu,  on  en  rapporte  presque  tou- 
jours l'usage  à  Dieu;  comme  au  contraire 
l'amour  déréglé  des  richesses  étant  un 
amour  qui  vient  de  nous,  c'est-à-dire  de  l'a- 
mour de  nous-mêmes,  l'usage  n'en  est  com- 
munément réglé  que  par  notre  cupidité,  qui 
les  emploie  à  satisfaire  les  désirs  déréglés  de 
notre  cœur  et  à  contenter  nos  passions. 

Vous  voyez,  mes  frères,  quel  est  l'usage 
que  ce  riche  fait  de  ses  biens  :  il  était  vêtu  de 
pourpre  et  de  lin,  et  il  se  traitait  magnifique- 
ment tous  les  jours.  Mais  est-ce  là  un  péché? 
Oui,  mes  frères,  vous  ne  sauriez  en  douter, 
puisqu'il  est  condamné  pour  cela,  puisque 
saint  l'aul  ordonne  aux  riches  de  n'être  point 
orgueilleux,  puisque  saint  Jacques  leur  dit: 
Vous  avez  vécu  sur  la  terre  dans  les  délices 
et  dans  le  luxe,  vous  vous  êtes  engraissés 
comme  des  victimes  préparées  pour  le  jour  du 
sacrifice.  Il  suffit  donc  rie  vivre  dans  la  bonne 
chère  et  dans  le  luxe,  pour  se  rendre  une 
victime  éternelle  de  la  justice  de  Dieu. 

Mais  c'était  son  bien  qu'il  mangeait,  et 
que  deviendront  ceux  qui  volent  celui  d'au- 
tiui,  ceux  qui  entretiennent  leur  luxe  aux 
dépens  de  leurs  créanciers  ?  où  sera  leur 
ressource,  si  celui-ci  est  damné,  quoiqu'il 
n'ait  mangé  que  son  bien?  Oui,  mes  frères, 
ce  n'était  que  son  bien  qu'il  mangeait,  et 
voici  une  vérité  que  vous  ne  voulez  pas  com- 
prendre et  qui  damnera  presque  tous  les  ri- 
ches :  c'est  que  vos  richesses  ne  sont  pas  des 
titres  pour  augmenter  vos  dépenses,  mais  ce 
sont  des  obligations  réelles  et  indispensables 
de-  multiplier  vos  bonnes  œuvres;  de  sorte 
que  dans  des  conditions  qui  sont  égales, 
unies  à  des  richesses  qui  ne  le  sont  point, 
l'esprit  du  christianisme  ne.  veut  pas  que  les 
dépenses  soient  inégales.  11  est  permis  à  la 
vérité,  mes  frères,  et  il  est  juste  d'observer 
une  bienséance  dans  son  état  ;  mais  cette 
bienséance  doit  être  réglée,  non  pas  par  la 
quantité  des  biens,  non  par  notre  <upidité, 
mais  par  l'esprit  du  christianisme;  non  par 
les  méchantes  maximes  du  siècle,  mais  par 
les  règles  de  l'Evangile;  non  par  l'exemple 
des  hommes  emportés  par  la  vanité  et  pur 
l'amour  d'eux-mêmes,  mais  par  celui  des 
gens  de  notre  condition  qui  sont  modérés  et 
chrétiens.  Car  si  on  suit  d'autres  règles,  et 
qu'il  soit  permis  d'égaler  ses  dépenses  à  son 
bien,  on  tombera  dans  le  troisième  crime  du 
m  lirais  riche,  qui  est  l'oubli  du  pauvre  et 
l'insensibilité  pour  sa  misère.  Ah!  mes  Irères, 
ce  péché  est  bien  plus  grand  qu'on  ne  se 
l'imagine.  La  cupidité  nous  en  cache  Ténor- 


4M  ORATEURS  SACRES.  DON  JEROME- 

«nité,  parce  qu'il  est  commun,  et  peut-être, 

bien  loin  de  l'avoir  en  horreur,  vous  ne  le 
regardez  pas  même  comme  un  péché.  Or 
cet  oubli  du  pauvre  renferme  trois  choses; 
écoulez-les,  riches  de  la  terre. 

La  première,  c'est  le  violement  d'un  pré- 
cepte qui  vous  regarde,  et  dont  l'observation 
est  essentielle  dans  votre  étal.  Le  nécessaire 
est  ,i  vous,  mais  il  y  a  obligation  de  donner 
le  superflu  aux.  pauvres.  C'est  un  précepte 
bien  formel  dans  l'Ecriture,  et  ce  sera  un 
des  principaux  articles  sur  lesquels  les  chré- 
liens  seront  jugés,  et  c'est  une  vérité  de  foi. 

Dieu  dit  à  son  peuple  dans  le  Deuléro- 
nome  :  //  ne  se  trouvera  parmi  vous  aucun 
pauvre,  ni  aucun  mendiant,  afin  que  le  Sei- 
gneur votre  Dieu  vous  bénisse.  Si  chacun 
donnait  ce  qu'il  peut  donner,  et  qu'on  se 
rendît  justice,  il  n'y  en  aurait  point  parmi 
vous;  car  Dieu,  qui  a  pourvu  à  tout,  a  ré- 
pandu sur  la  lerre  autant  de  bien  qu'il  en 
faut  pour  la  subsistance  des  hommes,  mais 
les  uns  se  l'approprient  au  préjudice  des 
autres. 

La  doctrine  de  l'Ancien  Testament  se 
trouve  confirmée  dans  le  Nouveau  ;  car 
comme  c'est  le  même  Dieu  qui  est  l'auteurde 
l'un  et  de  l'autre,  il  a  établi  la  chai ité  dans 
tous  les  deux.  Ainsi  il  dit  en  saint  Luc  : 
Donnez  l'aumône  de  ce  que  vous  avez  de  su- 
perflu. Ordonnez  aux  riches,  dit  saint  Paul, 
d'être  charitables  et  bienfaisants.  Voilà  ce 
qu'on  leur  prescrit,  non  par  des  lois  tempo- 
relles qui  peuvent  changer,  mais  par  des  lois 
fixes,  invariables  et  éternelles.  C'est  donc 
un  grand  péché  que  de  les  violer.  N'en  dou- 
tez pas,  riches  du  monde,  car  c'est  une  in- 
justice et  un  larcin  que  vous  faites  aux  pau- 
vres si  vous  y  manquez. 

La  seconde  chose  renfermée  dans  ce  pé- 
ché, c'est  que  vos  biens  ne  sont  point  à  vous, 
dit  Job  :  ils  appartiennent  à  Dieu.  H  y  a  une 
pauvreté  essentielle  à  la  créature,  qui  la 
suit  au  milieu  des  plus  grandes  richesses, 
et  elle  consiste  en  ce  que  tout  ce  que  vous 
croyez  posséder  ne  peut  vous  appartenir 
souverainement.  Dieu  y  a  un  droit  inaliéna- 
ble, par  lequel  il  nous  les  Ole  quand  il  lui 
plaît;  et  ce  qui  est  bien  plus  considérable, 
il  nous  ôle  nous-mêmes  à  ces  biens,  en  nous 
retirant  la  vie  quand  il  le  veut.  Or,  mes  frè- 
res, en  vertu  de  ce  droit,  il  a  assigné  l'entre- 
tien du  pauvre,  qui  est  son  enfant  comme 
nous,  sur  le  superflu  du  bien  dont  il  uous  a 
rendus  les  possesseurs,  de  sorte  que  quand 
vous  le  lui  refusez,  c'est  un  larcin  que  vous 
lui  faites. 

C'est  pourquoi  saint  l'aul,  recommandant 
aux  riches  d'assister  les  pauvres,  se  sert 
d'un  terme  qui  veut  dire  partager.  Oui,  le 
superflu  de  notre  bien  est  la  part  du  pauvre, 
dont  nous  ne  sommes  que  les  dépositaires, 
et  quand  vous  lui  refusez  l'aumône,  vous 
lui  ôlez  sa  part  d'un  patrimoine  qui  est  com- 
mun entre  lui  et  vous,  et  qui  lui  est  assigné 
sur  votre  abondance.  C'est  donc  un  larcin 
que  vous  lui  faites,  et  Dieu  s'en  vengera  ; 
car  ce  riche  impitoyable  vomira  1rs  richesse» 
qu'il  a  dévorées,  et   le  Seigneur,  dit  Job,  les 


416 

retirera  hors  de  ses  entrailles ,  parce  qu'il  n'a 
]j>is  relevé  lu  maison  du  pauvre. 

h'nlin  la  troisième  chose  qui  est  renfer- 
mée dans  l'oubli  du  pauvre,  c'est  le  défaut 
de  pitié  pour  votre  propre  âme,  et  un  t<  rri- 
ble  aveuglement  dans  l'affaire  de  votre  s  ilu:  ; 
car  les  riches  doivent  savoir  que  le  priai  i|  ,il 
moyen  que  Dieu  leur  donne  pour  obtenir  le 
don  de  la  pénitence,  c'est  l'aumône,  c'est  de 
se  faire  des  intercesseurs  auprès  de  lui,  dans 
la  personne  des  pauvres  qu'ils  assistent. 
Ainsi  se  retrancher  ce  moyen,  soit  eu  D'as- 
sistant point  les  pauvres,  soit  en  les  assistant 
mal,  ce  qui  arrive,  ou  lorsqu'on  fait  l'.iu- 
mône  sans  charité,  qu'on  donne,  non  parce 
qu'on  aime  le  pauvre,  mais  parce  qu'on  a 
honte  de  refuser,  ou  lorsqu'on  la  fait  sans 
humilité,  ne  considérant  pas  qu'on  a  plus 
de  besoins  devant  Dieu  que  le  pauvre  n'a  de 
nécessité,  et  que  les  misères  de  notre  âme 
sont  plus  grandes  incomparablement  que 
celles  de  sa  fortune;  soit  enfin  lorsqu'on  ne 
proportionne  pas  le  secours  qu'on  lui  donne 
au  besoin  qu'il  a,  aux  moyens  que  nous  pos- 
sédons et  à  la  multitude  des  péchés  que  nous 
devons  racheter  par  cette  voie  :  se  remm- 
ener, dis-je,  ce  moyen,  c'est  être  sans  pitié 
pour  son  âme,  c'est  renoncer  à  la  voie  du 
salut  que  Dieu  vous  a  ouverte  dans  votre 
état,  riches  du  monde  ;  c'est  vous  perdre  de 
gaieté  de  cœur.  Ce  péché-là  en  vérité  ne  mé- 
rite-t-il  pas  bien  que  Dieu  nous  punisse? 
C'est  la  quatrième  vérité  que  j'ai  à  établir. 

Il  est  certain  que  Dieu  permet  quelquefois 
que  ceux  qui  ont  été  durs  envers  les  pau- 
vres, et  qui  ont  abusé  de  leur  prospérité, 
tombent  eux-mêmes  dans  la  misère  dès  cette 
vie,  pour  donner  aux  autres  des  marques 
éclatantes  de  sa  justice,  quoique  les  hommes 
s'aveuglent  pour  ne  pas  voir  ces  exemples, 
qui  les  instruisent  de  ce  qu'ils  ne  reuli  nt 
pas  apprendre.  Des  expériences  si  sensibles 
ne  les  effrayent  point,  ils  entrent  froidement 
dans  ces  mêmes  postes  d'où  ils  ont  vu  tom- 
ber tant  d'autres,  et  ils  y  montent  par  les  mê- 
mes voies. 

Ainsi  on  rejette  sur  d'autres  causes  ces 
renversements  de  fortune,  ces  chutes,  ces 
humiliations  par  lesquelles  Dieu  punit  la 
dureté  cl  l'insolence  des  mauvais  riches  : 
mais  comme  ce  malheur  n'arrive  pas  tou- 
jours, et  qu'il  en  traile  plusieurs  comme  ce- 
lui de  l'Kvangile,  qu'il  a  laisse  jouir  de  sa 
fortune  jusqu'à  la  mort  sans  le  châtier  de 
son  insolence  et  de  sa  dureté,  il  remet  à  leur 
faire  sentir  dans  l'autre  monde  les  effets  de 
sa  colère,  qu'ils  ne  sauraient  éviter.  Voilà, 
mes  frères,  d'importantes  vérités,  qui  doi- 
vent nous  donner  une  juste  idée  do  la  condi- 
tion des  riches,  si  on  la  regarde  dans  lis 
vues  de  la  toi:  mais  qu'est-ce  qu'un  riche, 
qu'est-ce  qu'un  homme  dans  la  prospérité  du 
monde,  si  on  applique  ces  principes  it  ces 
ventes  à  son  état? 

C'est,  mes  frères,  ce  qu'il  faut  que  nous 
fassions  a  présent,  pour  qu'il  ne  manque 
rien  à  l'idée  que  nous  voulons  vous  donuer 
de  la  condition  d'uu  riche   et   de  toute  sa 


417 

prospérité 
cours. 


SERMON  POUR  LE  MARDI  DE  LA  DEUXIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


4!8 


c'est  la  seconde  partie  de  ce  dis- 


SECONDE    PARTIE. 


Si  nous  appliquons  à  l'état  d'un  riche  dans 
la  prospérité  du  monde  les  vérités  que  nous 
venons  d'établir,  nous  trouverons,  mes  frè- 
res, par  les  principes  de  la  foi,  que  c'est  un 
homme  attaché  à  une  condition  terrible  pour 
ses  dangers,  méprisable  dans  ses  biens, 
courte  dans  sa  durée,  déplorable  dans  sa  fin. 

Ces  quatre  choses,  bien  considérées,  sont 
propres  à  consoler  les  justes  dans  l'affliction, 
61  elles  ne  le  sont  pas  moins  à  instruire  les 
pécheurs  ou  à  les  confondre  dans  leur  mal- 
heureuse prospérité. 

Première  condition  d'un  riche ,   état   de 

firospérité  terrible  dans  ses  dangers  :  c'est 
a  conclusion  des  trois  premières  vérités  que 
je  viens  d'établir.  Car,  mes  frères,  quicon- 
que considérera  avec  attention  les  préjugés 
terribles  que  l'Ecriture  nous  fournit  contre 
cet  état,  suivant  la  première  vérité  que  j'ai 
établie,  les  difficultés  pour  le  salut  qui  sont 
attachées  à  cet  état,  que  j'ai  exposées  dans 
ma  seconde  vérité,  et  enfin  les  péchés  dont 
on  ne  s'exempte  point  dans  cet  état,  suivant 
ma  troisième  vérité,  comprendra  sans  doute 
que  saint  Jacques  a  eu  raison  de  dire  aux 
riches  :  Pleurez,  poussez  des  cris  comme  des 
hurlements,  dans  la  vue  des  misères  qui  doi- 
vent fondre  sur  vous.  Mais  quiconque  fera 
réflexion  sur  la  manière  dont  les  riches  écou- 
tent les  paroles  de  cet  apôtre,  et  le  peu  d'im- 
pression qu'elles  font  sur  leurs  esprits,  com- 
prendra encore  bien  mieux  combien  est  ter- 
rible le  péril  où  leur  état  les  expose. 

Car  enfin,  mes  frères,  être  en  péril,  c'est 
quelque  chose  ;  mais  encore  peut-on  l'éviter 
quand  on  le  connaît;  y  être  et  ne  le  savoir 
pas,  c'est  être  en  quelque  sorte  hors  d'espé- 
rance d'en  être  délivré,  sans  une  espèce  de 
miracle;  mais  être  en  péril,  et  le  connaître 
sans  en  être  touché,  se  croire  en  assurance 
au  milieu  du  danger,  s'irriter  contre  ceux 
qui  nous  en  avertissent,  c'est  le  danger  lui- 
même.  Abraham,  dans  notre  évangile,  ré- 
pond au  mauvais  riche  qu'un  mort  ne  serait 
pas  capable  de  les  ébranler,  quand  il  revien- 
drait pour  leur  dire  ce  qu'ils  souffrent  dans 
les  enfers. 

C'est  pourtant  la  disposition  malheureuse 
de  la  plupart  des  riches;  car  où  en  trouve- 
t-on  qui  soupirent  dans  leur  état,  qui  gémis- 
sent à  la  vue  de  leur  misère,  qui  en  sentent 
le  poids,  qui  pensent  à  s'en  décharger,  qui 
s'alfligenl  quand  leurs  biens  augmentent,  et 
à  qui  la  prospérité  fasse  peur  ?  Ne  voyons- 
nous  pas  tout  le  contraire,  mes  très-chers 
frères?  L'amour  de  leurs  richesses  est  une 
espèce  d'ensorcellement  qui  leur  ferme  les 
yeux  pour  ne  pas  voir  le  péril  où  ils  sont,  et 
qui  les  rend  sourds  pour  ne  pas  entendre  la 
voix  du  Seigneur  qui  leur  parle  par  l'Ecri- 
ture. Ils  se  croient  en  assurance  dans  les 
plus  grands  dangers;  ils  se  ferment,  parleur 
orgueil,  par  leur  présomption  et  par  leur 
fausse  sécurité,  les  trésors  de  la  miséricorde 
de  Dieu  qui  peut  les  sauver.  Ali  1  mes  frères, 


que  cet  état  est  donc  terrible  pour  ses  dan- 
gers !  mais  qu'il  est,  méprisable  dans  ses 
biens  !  seconde  vérité. 

11  n'en  faut  point  chercher  d'autres  preu- 
ves que  ce  que  l'Evangile  nous  dit  des  biens 
dont  ce  riche  malheureux  a  joui  durant  sa 
vie,  et  par  lesquels  son  état  est  distingué  de 
celui  du  pauvre  qui  était  couché  à  sa  porte. 
11  était  vêtu  magnifiquement,  il  tennit  une 
grande  table;  c'est  tout  ce  que  l'Evangile 
nous  rapporte  de  sa  prétendue  félicité.  L'es- 
prit de  Dieu  qui  parle  est  aussi  exact  à  nous 
dire  les  avantages  de  sa  condition  qu'il  l'a 
été  à  nous  raconter  ses  péchés.  N'ajoutons 
donc  rien  à  l'idée  qu'il  nous  a  donnée  de  son 
bonheur,  comme  nous  n'avons  rien  ajouté  à 
celle  qu'il  nous  a  donnée  de  ses  crimes;  et 
en  effet,  mes  frères,  à  parler  proprement, 
toute  la  différence  de  l'état  d'un  riche  et  de 
celui  d'un  pauvre,  tous  les  avantages  de  l'un 
sur  l'autre  ne  consistent  qu'à  avoir  avec  plus 
d'abondance  ce  qui  est  nécessaire  à  la  vie. 

Entiez  bien  dans  cette  pensée,  mes  frères, 
et  connaissez  une  bonne  fois  ce  que  c'est  que 
ces  biens  pour  lesquels  on  se  doune  tant  de 
peine,  et  combien  ils  sont  méprisables  en 
eux-mêmes.  De  quel  avantage  jouit  un 
homme  très-riche,  dont  un  autre  ne  jouisse 
pas  dans  une  fortune  très-médiocre,  dont  le 
pauvre  même  ne  jouisse  pas,  dans  le  peu  que 
le  riche  lui  donne  de  son  superflu?  Le  pau- 
vre a  faim  et  le  riche  aussi  ;  le  pauvre  se 
nourrit,  le  riche  de  même  :  mais  le  pauvre 
se  rassasie  de  viandes  communes,  et  le  riche 
de  mets  exquis;  le  pauvre  est  néanmoins 
rassasié  comme  le  riche,  sa  santé  est  aussi 
bonne  et  souvent  meilleure  que  celle  de  l'au- 
tre. Ils  possèdent  donc  tous  deux  le  même 
bien,  avec  cette  différence  que  le  pauvre  a 
fait  moins  de  frais  pour  l'acquérir,  et  qu'il 
trouve  plus  aisément  dans  un  repas  frugal 
tout  ce  que  le  riche  cherche  dans  les  festins 
magnifiques,  et  ce  qu'il  a  de  la  peine  à  trou- 
ver avec  beaucoup  de  dépense. 

Vous  voyez  donc  que  la  condition  des 
riches,  cette  prétendue  félicité  de  leur  état, 
ce  grand  fracas  des  biens  de  la  fortune,  se 
terminent  à  fort  peu  de  chose,  et  que,  dans 
une  condition  médiocre  et  même  pauvre,  on 
jouit  avec  tranquillité  des  seuls  vrais  biens 
que  les  richesses  peuvent  produire.  Car,  pour 
pousser  encore  plus  loin  la  pensée  de  saint 
Augustin  sur  cette  matière,  et  vous  donner 
une'juste  idée  des  richesses,  apprenez,  mes 
frères,  que  les  biens  de  la  terre  ne  sont  dans 
l'institution  de  Dieu  que  des  remèdes  natu- 
rels aux  maladies  du  péché.  Le  manger  est 
le  remède  de  la  faim  ;  le  boire  est  celui  de  la 
soif,  le  sommeil  est  le  remède  de  la  lassitude, 
le  vêlement  celui  du  froid  :  ainsi,  mes  frères, 
quand  je  vois  tant  d'appareil  pour  le  repas 
d'un  homme  et  pour  le  reste  des  choses  qui 
regardent  le  nécessaire  à  la  vie,  je  me  dis  à 
moi-même  :  Il  faut  que  la  maladie  de  cet 
homme-là  soit  bien  plus  grande  que  la 
mienne,  puisque  pour  le  guérir  il  faut  tant 
de  choses  dont  je  ne  me  suis  jamais  servi  ; 
ou  s'il  fait  tout  ce  fracas  par  ostentation, 
celte  vanité  me  parait  aussi  ridicule  que  celle 


4M 


ORATI  l  RS  SACHES.  DOM  JEIW)\'I 


MO 


d'un  malade  qui,  D'ayant  besoin  que  d'un»! 
médei  ine,  en  ferait  préparer  une  quantité 
dans  d.  s  vases  différents. 

Ou'}  a  i-il  donc  de  considérable  dans  une 
fortune  qui  nous  confond  avec  lei  autres 
dans  les  vrais  biens  qu'elle  peut  produire, 
ou  qui  ne  nous  en  distingue  que  p  ir  des  en- 
droits qui  nous  rendent  effectivement,  ou 
plus  malheureux,  ou  plus  ridicules? 

C'est,  oies  frères,  en  réduisant  la  fortune 
des  riches  à  ce  point-là.  qui  est  le  vrai, qu'elle 
nous  doit  paraître  méprisable.  Car,  comme 
saint  Jérôme  le  disait  autrefois,  si  .Moïse 
avait  réduit  en  poudre  le  tcau  d'or ,  et 
si,  ayant  jeté  cette  poudre  dans  l'eau,  il  l'a- 
vait fait  boire  aux  entants  d  Israël,  c'était 
pour  leur  en  donner  du  mépris,  et  leur  faire 
connaître  qu'ils  avaient  été  insensés  de  ren- 
dre à  une  chose  si  vile  le  culte  qui  n'est  dû 
qu'à  Dieu.  En  vérité,  l'effet  des  grands  biens 
et  tout  le  fruit  qu'on  en  retire  doivent  les 
rendre  bien  méprisables.  La  démonstration 
que  je  viens  de  faire,  et  le  jugement  que  je 
porte  de  ceux  qui  sont  ensorcelés  par  l'a- 
mour des  richesses,  et  que  l'état  des  grandes 
conditions  éblouit,  paraîtront  peut-être  sin- 
guliers; mais  j'ai  une  troisième  chose  à  dire 
sur  les  a\antages  prétendus  de  la  condition 
des  riches,  qui  peuvent  se  procurer  parleurs 
biens  tous  les  plaisirs  qu'ils  s'imaginent  , 
c'est  que  cette  condition  et  ce  bonheur  sont 
de  très-courte  durée. 

Vous  êtes  hommes  comme  les  autres,  ri- 
ches de  la  terre,  heureux  selon  le  monde; 
vous  êtes  hommes,  ainsi  vous  voyez  par  ex- 
périence combien  la  vie  est  courte,  et  il  n'est 
pas  nécessaire  de  vous  le  prouver;  mais  ce 
qu'il  y  a  de  particulier  pour  vous,  c'est  que 
vos  richesses  qui  vous  font  aimer  la  vie  con- 
tribuent à  vous  la  faire  perdre  plus  tôt  que 
les  autres.  Vous  vous  faites  un  poison  de  ce 
que  Dieu  vous  a  donné  pour  la  conserver,  et 
pendant  que  la  tempérance  fait  vivre  les  pau- 
vres de  longues  années,  les  excès  de  la  vo- 
lupté avancent  vos  jours  et  vous  détruisent  : 
ce  qui  faisait  dire  si  agréablement  à  saint 
Jérôme  que  les  mets  grossiers  dont  on  se 
nourrit  dans  la  solitude  n'ont  pas  le  goût  des 
nôtres,  mais  aussi  qu'ils  n'en  ont  pas  la  ma- 
lignité. 

Mais  ajoutons  que,  quelque  longue  que 
puisse  être  la  vie  des  riches,  il  est  vrai  de 
dire  qu'elle  est  déplorable  dans  sa  fin.  Or, 
mes  frères,  cette  lin  se  peut  considérer  ou 
dans  ce  qui  la  précède  ou  dans  ce  qui  la 
suit.  Ce  qui  la  précède,  c'est  la  perle  de  tous 
les  biens  dont  ils  ont  joui  dans  cette  vie;  ce 
qui  la  suit,  c'est  le  sentiment  de  tous  les 
tourments  qui  les  attendent  dans  l'autre. 

Y  a-t-il  rien  de  plus  déplorable  que  l'état 
d'un  homme  qui  se  voit  au  milieu  de  sa  fa- 
mille, maître  de  grands  biens,  revêtu  de  di- 
gnités, comblé  d'honneurs,  et  qui  pense  que 
dans  un  moment  tout  cela  disparaîtra  pour 
ne  revenir  jamais?  Quelle  peut  être  la  vio- 
lence que  souffre  un  homme  qui  se  sent  ar- 
rache du  monde,  où  il  est  attache  par  es 
lit  us  les  plus  agréables  et  les  plus  forts  ! 
que41c  ragol  quel  désespoir  ! 


Les  considération!  de  la  religion  ne  sont 
guère  capables  de  consoler  cet  homme  ricl 
car.  ue  les  ayant  pas  écoutée!  pendaoi  la  >ie, 
difficilement  les  écoutera-t-il  à  la  mort;  et 
quand  même  l'accablement  de  la  maladie  le 
rendrait  insensible  à  eette  séparation,  com- 
me il  arrive  souvent,  il  mourra  sans  violen- 
ce, mail  que  suivra-t-il  ;iprès  sa  mort?  il 
aura  l'enfer  pour  sépulture. 

Je  ne  veux  point  vous  faire  d'autre  des- 
cription des  tourments  qu'il  endure  que 
celle  qui  nous  est  tracée  dans  l'Evangile. 
L'enfer  est  préparé  pour  sa  d<  meure,  en  quit- 
tant celle  superbe  maison  qu'il  habitait  ;  la 
flamme  lui  lient  lieu  <ie  la  pourpre,  dont  il 
était  revêtu  ,  el  la  fumée  noircit  ce  corps  qui 
étail  délicatement  enveloppé  dans  le  lin.  D'or- 
gueilleux qu'il  étail  en  méprisant  le  pauvre, 
il  devient  pauvre  lui-même  el  mendiant  a 
son  tour,  et  il  est  obligé  d'avoir  recours  à 
Lazare,  qu'il  voit  dans  le  sein  d'Abraham, 
el  à  qui  il  demande  une  goutte  d'eau  pour 
rairaîcliir  sa  langue,  parce  qu'il  souffre 
d'extrêmes  tourments  dans  la  flamme  qui  le 
dévore.  Mais  comme  il  a  délaissé  le  pauvre 
dans  sa  misère  ,  le  pauvre  l'abandonne  dans 
ses  tourments,  et  lui  laisse  sentir  les  funes- 
tes productions  des  biens  qu'il  avait  pris 
pour  son  partage.  Abraham,  qui  insulte  à 
ce  choix  d'une  manière  cruelle,  lui  apprend 
qu'il  ne  doil  pas  espérer  de  voir  ces  tour- 
ments finir  :  Mon  fils  ,  souvenez-vous  que 
vous  avez  reçu  vos  biens  duns  cette  vie,  et  que 
Lazare  n'y  a  eu  que  des  maux  ;  c'est  pourquoi 
il  est  maintenant  dans  la  joie,  el  vous  êtes 
dans  les  tourments. 

Telle  est  la  tin  déplorable  de  la  condition 
des  riches  qui  le  sont  comme  celui  de  notre 
évangile  ,  el  doul  le  nombre  esl  plus  grand 
qu'on  ne  s'imagine.  Or,  mes  frères,  com 
on  est  toujours  en  danger  de  devenir  mau- 
vais riche  dès  qu'on  est  riche,  souvent ■/- 
vous  de  tout  ce  que  nous  venons  de  vous 
annoncer. 

Mais  vous,  justes,  que  Dieu  laisse  dans 
l'affliction  ,  et  qu'il  expose  aux  misères  de 
celle  vie,  vous  qu'il  relient  dans  un  élat  que 
le  monde  méprise  ,  apprenez  à  mépriser  la 
grandeur  du  monde  el  à  estimer  la  médio- 
crité de  votre  étal.  On  ne  peut  être  grand, 
on  ne  peul  être  ric::e  sans  être  exposé  à 
d'étrange!  dangers,  car  la  condition  de  ceux 
qui  le  sonl  est  terrible  pour  ses  périls.  N'est- 
ce  donc  pas  un  grand  avantage  que  de  se 
voir  dans  un  elal  plus  sûr  par  lui-même,  el 
qui  expose  notre  salul  à  moins  de.  dangers? 
Mais,  me  direz  -  vous  ,  il  nous  expose  à 
beaucoup  de  misères,  et  le  monde  n'a  que 
des  duretés  pour  nous.  Vous  êtes  exclus  de 
ses  honneurs,  de  ses  plaisirs  et  de  ses  lu 
pendant  que  les  méchants  les  possèdent. 
Que  celte  différence  ne  vous  trouble  pu, 
vous  la  verrez  bientôt  finir:  un  moment  de 
patience,  et  vous  vous  trouverez  dans  l'éga- 
lité :  la  mort  \a  dissiper  tout  cet  éclat  qui 
environne  le  riche  ;  elle  finira  les  misères 
qui  vous  accablent  ,  et  dans  un  instant  ou 
oe distinguera  plus  celui  qui  était  le  maître 
de  tant  de  biens  d'avec  celui  qui  ne  les  pws- 


621 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA 


sédnit  point.  Que  cette  mort  qui  doit  vous 
égaler  en  détruisant  tout  ce  qui  vous  distin- 
gue ,  doit  faire  aussi  dans  votre  esprit  des 
impressions  hien  différentes  de  celles  qu'el- 
le fera  dans  l'esprit  des  riches  1  Ils  la  re- 
gardent avec  horreur,  parce  qu'elle  viendra 
leur  annoncer  la  fin  d'une  félicité  préten- 
due qu'ils  ont  à  peine  possédée  ,  et  le  com- 
mencement d'un  état  malheureux  qui  durera 
toujours;  et  vous,  la  recevant  avec  tran- 
quillité, vous  la  regarderez  comme  celle  qui 
va  vous  mettre  en  possession  des  fruits 
abondants  d'une  fv  licite  éternele  ,  dont  les 
misères  passagères  de  cette  vie  si  courte 
ont  été  les  semences. 

Mais  finissons  ,  mes  chers  frères.  Saint 
Chrysostome  exhortait  autrefois  les  chré- 
tiens à  avoir  l'histoire  de  ces  deux  hommes 
de  l'Evangile  peinte  dans  leurs  maisons,  afin 
qu'ils  s'instruisissent,  par  la  vue  fréquente 
d'un  sort  si  différent,  des  desseins  de  Dieu 
sur  eux  ,  dans  l'inégalité  des  conditions  où 
la  Providence  les  a  placés. 

Pour  vous  ,  si  vous  ne  faites  pas  peindre 
cette  histoire  pour  en  orner  vos  maisons, 
ce  qui  conviendrait  bien  mieux  que  tant  de 
tableaux  profanes  et  quelquefois  impudiques 
qu'on  y  voit  avec  scandale,  et  qui  font  une 
partie  du  luxe  des  mauvais  riches,  impri- 
mez-la dans  votre  esprit  et  rappelez-la  sou- 
vent à  votre  mémoire. 

La  félicité  du  riche  a  passé  bien  vite,  et 
il  est  tombé  dans  la  damnation  éternelle  ;  la 
misère  du  pauvre  n'a  pas  duré  plus  long- 
temps ,  et  il  est  placé  dans  le  sein  d'Abra- 
ham. Dans  un  moment ,  riches  de  la  terre, 
toute  votre  félicité  n'aura  rien  déplus  réel 
que  celle  de  ce  mauvais  riche  ;  quelle  estime 
en  devez-vous  faire?  dans  un  moment, 
justes  affligés, vos  misères  peuvent  être  chan- 
gées en  des  joies  divines  et  éternelles;  com- 
bien doivent-elles  vous  être  précieuses! 

Mais  vous  qui  êtes  riches,  vous  pouvez 
avoir  part  aux  fruits  de  ces  misères  ,  sans 
renoncer  à  l'état  où  la  Providence  vous  a 
mis.  C'est  en  les  estimant  dans  votre  cœur, 
c'est  en  y  entrant  par  une  tendre  compas- 
sion, c'est  en  soulageant  les  pauvres  par 
une  libéralité  chrétienne.  Représentez-vous 
donc  ce  pauvre  dans  la  gloire  ,  et  apprenez 
qu'on  n'y  va  que  par  la  pauvreté  ;  regardant 
sa  misère  en  la  personne  des  pauvres  qui 
sont  auprès  de  vous  ,  dépouillez-vous  pour 
les  revêtir;  soyez  pauvres  avec  eux  et  de 
cœur  et  de  volonté  ,  si  vous  voulez  être  ri- 
ches dans  le  royaume  de  Dieu  comme  La- 
zare ,  car  ce  royaume  n'est  promis  qu'aux 
pauvres. 

Seigneur,  nous  vous  faisons  aujourd'hui 
la  demande  du  Sage,  daus  la  prière  que  nous 
vous  adressons  :  Ne  nous  donnez  ni  la  pau- 
vreté ,  ni  les  richesses  ,  de  peur  quêtant  ras- 
sasiés des  biens  de  celte  vie,  nous  ne  soyons 
tentés  de  vous  renoncer,  et  de  dire  :  Qui  est 
le  Seigneur  ?  ou  qu'étant  contraints  par  la 
pauvreté,  nous  ne  soyons  lentes  de  murmurer 
contre  votre  saint  nom.  Eloignez-nous  de 
ces  deux  extrémités,  qui  exposent  les  hom- 
mes à  de  si  grandes  tentations.  Ne  nous  ré- 


DEUXIEME  SEMAINE  DE  CAREME.  VA 

duisez  pas  dans  celle  affreuse  mendicité  qui 
fait  souvent  perdre  la  crainte  de  Dieu  et  des 
hommes.  Ne  nous  mettez  pas  dans  cette 
dangereuse  abondance  qui  porte  l'homme  à 
vous  oublier. 

Donnez-nous  cette  richesse  des  vrais  chré- 
tiens qui  consiste  à  avoir  peu  ,  à  ne  rien  dé- 
sirer, et  à  n'être  ardents  et  avides  que  du 
seul  bien  qui  peut  remplir  le  cœur.  Rendez- 
nous  les  maîtres  de  ce  cœur,  et  remplissez- 
le  de  plus  eu  plus  des  effets  de  votre  misé- 
ricorde ,  afin  qu'étant  notre  conducteur  et 
notre  guide,  nous  passions  de  telle  sorte  par 
les  biens  temporels  et  périssables,  que  nous 
ne  perdions  pas  les  éternels.  C'est ,  mes  frè- 
res, ce  que  je  vous  souhaite.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR  LE  JEUDI  DE  LA  DEUXIÈME  SEMAINE 
DE    CARÊME. 

Des  supplices  du  pécheur. 

Mortuus  esidives,  et  sepullus  est  in  inferno. 
Le  riche  mourut,  et  il  fui  enseveli  dans  l'enfer  (Luc, 
XVI,  22). 

Tout  ce  que  l'Evangile  nous  dit  de  ce  mau- 
vais riche  dont  l'Iîglise  nous  expose  aujour- 
d'hui l'histoire  ou  la  parabole,  se  rapporte  à 
ce  qu'il  souffre  dans  les  enfers  et  à  ce  qui 
lui  a  mérité  ses  souffrances.  C'est  aussi  ce  à 
quoi  je  veux  m'attacher  dans  ce  discours; 
j'ai  dessein  de  vous  faire  voir  les  peines 
de  ce  misérable  et  les  crimes  de  ce  pécheur. 

11  souffre,  et  il  souffre  cruellement  ;  c'est 
ce  que  nous  apprenons  de  sa  propre  bouche  : 
Crncior  in  hac  (lamma  ;  il  a  été  riche,  et  il  a 
vêtu  en  riche  ;  c'est  tout  ce  que  l'Evangile 
nous  rapporte  de  son  péché  :  Erat  dives,  in- 
duebatur  purpura  et  bysso,  et  epulabntur  qtio- 
tidie  splendide.  Regardons-le  dans  l'éternité 
avant  que  de  le  considérer  dans  le  temps  : 
c'est  ce  qui  formera  les  deux  parties  de  ce 
discours,  afin  qu'étant  frappés  de  l'horreur 
de  ses  peines,  nous  pensions  plus  sérieuse- 
ment à  éviter  les  désordres  de  sa  conduite. 
Il  élève  les  yeux  au  ciel  dans  l'état  où  il  est, 
dit  l'Evangile,  mais  il  les  élève  inutilement, 
parce  qu'il  n'y  a  plus  de  grâce  pour  lui.  Pour 
nous,  mes  frères,  qui  sommes  persuadés  que 
Dieu  ne  la  refuse  jamais  dans  cette  vie  à 
ceux  qui  la  lui  demandent  par  son  esprit, 
adressons-nous  à  lui  par  Marie,  pour  obte- 
nir celle  dont  nous  avons  besoin.  Ave , 
Maria. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

L'Evangile  nous  exprime  toutes  les  quali- 
tés et  toutes  les  circonstances  des  peines  que 
souffre  le  mauvais  riche  dans  l'enfer.  1°  Elles 
sont  cruelles  ;  2"  elles  sont  éternelles  ;  3°  elles 
sont  de  son  choix  :  la  peine  de  l'enfer  est  le 
châtiment  du  péché,  et  on  n'a  commis  le  pé- 
ché que  par  sa  volonté. 

La  théologie  nous  apprend  à  distinguer  la 
peine  du  dam,  qu'elle  fait  répondre  à  l'aver- 
sion de  Dieu  qui  est  reiilVrn.ee  dans  le  péché, 
et  la  peine  du  sens,  qu'elle  fait  répondre  à 
l'attachement  de  la  créature  ;  c'est-à-dire, 
mes  frères,  qu'une  âme  ijui  est  séparée  de 
Dieu  dans  le  temps  par  le  péché  en  est  se- 


m  ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME 

parée  pour  l'éternité,  et  qu'ayant  recherché 

et  joui  d'un  plaisir  illicite,  ti.ius  l'usage  qu'elle 
a  f.iit  «le  la  créature  contre  l'ordre  de  Dieu, 
elle  est  punie  et  châtiée  par  des  peines  sen- 
sibles dans  l'éternité. 

Mais  à  quoi  me  suis-je  engagé  quand  je 
vous  ai  promis  d'exprimer  cette  première 
peine  qui  consiste  dans  la  privation  de  Dieu? 
Puer  ego  sum,  et  nescio  loijui.  i'our  le  faire, 
il  faudrait  que  je  comprisse  moi-même  et 
que  je  fusse  capable  de  vous  faire  com- 
prendre ce  que  c'est  que  Dieu;  car  la  pri- 
vation et  la  perte  d'un  bien  ne  se  peut  com- 
prendre qu'en  comprenant  la  grandeur  du 
bien  qu'on  a  perdu.  Or,  mes  frères,  nous  ne 
comprenons  pas  ce  que  c'est  que  Dieu,  et 
l'idée  que  nous  en  avons  étant  faible,  celle 
que  nous  nous  formons  de  sa  perle  n'est  pas 
capable  de  nous  toucher.  D'ailleurs,  comme 
dans  cette  vie  nous  en  supportons  la  priva- 
tion sans  douleur,  nous  nous  accoutumons 
à  juger  de  l'une  par  l'autre,  et,  ne  ressen- 
tant point  sa  perle  dans  le  temps,  nous  som- 
mes peu  touchés  de  ce  qu'on  nous  dit  de 
l'éternité. 

Essayons  néanmoins  de  faire  comprendre 
la  peine  de  celte  privation,  et  pour  cela  il 
faut  se  représenter  la  disposition  de  l'àme 
du  mauvais  riche  dans  l'étal  où  la  mort  s'em- 
pare de  lui.  Elle  n'est  autre  chose  que  la  sé- 
paration de  l'âme  d'avec  le  corps.  Prenons 
donc  cette  âme  dans  le  moment  de  cette  sé- 
paration :  elle  n'est  plus  unie  au  corps  sen- 
suel et  voluptueux  de  ce  mauvais  riche;  elle 
n'est  plus  enivrée  de  délices  ,  ni  plongée 
dans  les  plaisirs  qu'elle  goûtait  par  son  corps 
dont  elle  est  séparée  ;  il  est  dans  le  tombeau 
et  elle  dans  l'enfer.  Dans  ce  moment  tout  a 
cessé  d'être  pour  elle  ;  il  n'y  a  plus  ni  ciel, 
ni  terre,  ni  richesses,  ni  hommes,  ni  domes- 
tiques, ni  parents,  ni  amis;  elle  se  trouve 
en  un  instant  dans  une  épouvantable  pau- 
vreté par  la  perte  universelle  de  tous  ses 
biens,  dans  une  affreuse  solitude  par  la  lin 
subite  de  toute  sorte  de  société,  dans  une  dé- 
solation effroyable  par  la  séparation  de  tout 
ce  qui  était  capable  de  la  consoler. 

Cette  âme,  dans  cet  état,  n'a  plus  de  liai- 
son qu'avec  Dieu,  elle  ne  voit  plus  que  lui; 
elle  est  son  ouvrage  et  il  est  salin  naturelle: 
de  sorte  que  par  son  propre  poids,  si  j'ose 
ainsi  parler,  elle  est  portée  vers  lui.  Cette 
inclination,  ou,  disons  mieux,  celte  rapidité, 
ne  se  fait  pas  sentir  durant  la  vie  ;  elle  est 
arrêtée  par  son  corps  et  par  mille  objets 
présents  qui  la  remplissent  ;  elle  ne  com- 
prend pas  quelle  est  sa  tin,  comme  lors- 
qu'elle ne  voit  plus  que  lui.  et  qu'elle  n'est 
plus  distraite  par  les  autres  objets.  Cette 
âme  n'a  plus  en  soi  que  son  être  et  son  pé- 
ché. Elle  paraît  devant  Dieu,  non-seulement 
comme  devant  son  principe  ,  mais  aussi 
comme  devant  son  juge.  Celle  inclination 
naturelle  qui  la  porle  vers  sa  tin  l'attire  et 
lui  imprime  un  mouvement  de  désir,  à  peu 
près  comme  nous  voyons  que  l'aimant  im- 
prime un  certain  attrait  dans  l'aiguille  qu'il 
a  touchée,  et  la  met  dans  une  agitation  vio- 
lente jusqu'à  ce  qu'elle  y  soit  unie. 


VA 

Or,  mes  frères,  celle  âme,  ainsi  attirée 
par  son  inclination  naturelle  et  par  l'im- 
pression du  désir  de  sa  lin.  se  sent  séparée 
pour  toujours  de  l'unique  objet  qui  peut  lui 
donner  du  repos.  Deux  mouvements  l'agi- 
tenl  donc  eu  même  lemps  :  l'un  qui  l'attire, 
l'antre  qui  la  repousse.  Elle  connaît  bien 
qu  elle  ne  peut  être  absolument  sépar. 
Dieu,  qui  est  le  principe  de  son  e$m  née  :  mais 
en  même  temps  elle  sait  bien  qu'elle  ne  p  ut 
y  être  unie  comme  à  sa  (in,  à  laquelle  elle  a 
renoncé  par  son  péché.  Elle  demeure  tou- 
jours déchirée  par  ces  deux  mouvements, 
l'un  naturel,  qu'elle  sent  malgré  elle  :  elle 
connaît  pour  son  supplice  que  Dieu  e- 
fin,  qu'il  est  le  bien  essentiel,  dans  la  seule 
jouissance  duquel  elle  pourrait  trouver  son 
repos  ;  elle  sent  une  inclination  de  s'y  unir 
qui  l'emporte  avec  une  rapidité  violente, 
pendant  que  sa  volonté  excile  un  autre  mou- 
vement contraire  à  celui-ci,  qui  la  relient,  et 
qui  est  une  suite  de  celte  aversion  qu'elle  a 
conçue  contre  Dieu,  lorsque  par  le  péché 
elle  l'a  quitté  pour  la  créature.  Car  comme 
la  volonté  demeure  attachée  au  choix  qu'elle 
avait  fait  pendant  que  l'âme  était  unie  au 
corps,  clic  se  trouve  dans  un  état  d'inflexi- 
bilité quand  l'âme  a  été  séparée  de  son  corps  ; 
et  comme  elle  a  voulu  par  le  péché  se  sépa- 
rer de  lui  pour  s'attacher  à  la  créature,  et 
qu'elle  a  été  surprise  dans  cet  état  de  rébel- 
lion, elle  veut  encore  s'en  détacher  pour  ne 
plus  connaître  sa  perle  et  ne  plus  senlir  la 
violence  de  cette  séparation.  Voilà  enGn  d'où 
provient  celle  haine  naturelle  de  Dieu  pour 
le  damné,  et  du  damné  pour  Dieu.  Dieu  le 
hait  comme  un  rebelle  à  sa  volonté,  et  il 
hait  Dieu  comme  ennemi  de  la  sienne.  L'op- 
position constante  de  ces  deux  volontés  met 
l'âme  dans  un  état  de  \  iolencé  qui  est  la  plus 
grande  peine  qu'on  puisse  imaginer,  puis- 
que c'est  vouloir  toujours  ce  qui  ne  sera 
jamais,  et  ne  vouloir  jamais  ce  qui  sera  tou- 
jours. 

En  effet,  mes  frères,  imaginez-vous  la 
chose  du  monde  que  vous  ayez  le  plus  ar- 
demment désirée  ;  souvenez-vous  de  tous  les 
transports  et  de  toutes  les  impatiences  que 
vous  ont  causés  les  relardements  que  l'on  a 
apportés  à  l'accomplissement  de  ce  désir,  des 
inquiétudes  et  des  chagrins  que  vous  en 
avez  soufferts.  Si  quelqu'un,  en  vous  faisant 
de  la  valeur  et  du  prix  des  choses  que  vous 
souhaitiez  un  rapport  qui  eût  augmenté 
votre  estime,  vous  eût  dit  en  même  temps  : 
C'est  en  vain  que  vous  vous  agitez,  ce  que 
vous  souhaitez  n'arrivera  jamais,  quel  n'eût 
pas  été  votre  supplice  s'il  eût  fallu  demeurer 
toujours  dans  le  désir  ardent  de  l'obtenir  et 
dans  l'impuissance  de  le  posséder,  sans  que 
rien  au  monde  eût  été  capable  de  vous  tenir 
lieu  de  celle  chose  ardemment  désirée,  ou 
d'en  effacer  l'idée  incessamment  présente  a 
votre  esprit! 

Voilà,  mes  frères,  une  légère  idée  de  ce 
que  la  théologie  appelle  la  peine  du  dam,  qui 
repond  à  l'aversion  de  l'âme  pour  Dieu  ; 
mais  comme  l'àme  a  goûte  par  le  corps  des 
plaisirs  criminels  dans  l'usage  déréglé  des 


42;: 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA  DEUXIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


426 


créatures,  quoiqu'elle  dût  rendre  son  corps 
spirituel,  bien  loin  de  consentir  à  ses  incli- 
nations charnelles  et  corrompues,  elle  est 
devenue  charnelle  elle-même  ,  et  la  justice 
de  Dieu,  qui  se  venge  dans  l'autre  vie,  veut 
que  le  corps  et  elle  soient  tourmentés  par  le 
feu  :  Crucior  in  hac  flamma  ;  c'est  ce  qu'on 
appelle  la  peine  du  sens. 

Or,  l'Evangile,  qui  nous  fait  voir  la  justice 
et  la  sagesse  de  Dieu  tout  ensemble  dans  la 
proportion  entre  les  peines  et  les  délices 
criminelles  du  mauvais  riche,  nous  dit  que  , 
pour  le  punir  des  excèsde  sa  bonne  chère, 
il  est  exposé  à  une  soif  excessive  causée 
par  l'ardeur  des  flammes  qui  le  dévorent. 
11  demande  à  Abraham  qu'il  envoie  Lazare, 
afin  qu'il  trempe  le  bout  de  son  doigt  dans 
l'eau  pour  lui  rafraîchir  la  langue,  parce 
qu'il  brûle,  et  qu'en  punition  des  excès  de 
son  luxe  et  de  sa  vanité  dans  les  habits,  il 
est  enveloppé  dans  une  flamme  qui  lui  fait 
comme  un  vêtement  de  fèu. 

L'Ecriture  parle  en  effet  quelquefois  du 
lieu  où  les  damnés  doivent  souffrir  ces  hor- 
ribles tourments,  comme  d'un  étang  en- 
flammé au  milieu  duquel  ils  sont  plongés  ; 
d'autres  fois  elle  l'appelle  le  puits  de  l'abîme, 
un  lac  rempli  de  mille  horreurs  que  la  colère 
de  Dieu  a  inventé  pour  se  venger  de  ses 
ennemis.  C'est  au  milieu  de  ce  lac  qu'est 
placé  le  mauvais  riche  de  notre  évangile  ;  sa 
peau,  tout  ardente,  est  comme  un  va-e  en- 
flammé dans  lequel  sa  chair,  ses  nerfs,  ses 
os  ,  ses  veines  brûlent  incessamment;  son 
sang  et  ses  humeurs  y  bouillent,  pour  ainsi 
dire,  et  son  âme,  qui  est  unie  à  toutes  ses 
parties  qui  souffrent,  endure  dans  chacune 
en  particulier  des  maux  qui  passent  infini- 
ment tout  ce  que  l'imagination  nous  en  peut 
représenter. 

Saint  Augustin  et  sain!  Grégoire  après  lui 
se  servent  d'une  excellen  tecomparaison  pour 
nous  faire  comprendre  comment  l'âme  souf- 
frira le  tourment  du  feu,  toute  spirituelle 
qu'elle  est.  Le  feu, disent  ces  saints  docteurs, 
sera  à  l'égard  de  l'âme  dans  l'enfer  ce  que 
son  corps  lui  est  sur  la  terre.  Dieu  lui  for- 
mera un  corps  de  feu  dans  lequel  elle  sera 
renfermée  comme  dans  un  corps  de  terre 
qu'elle  anime  durant  la  vie.  Comme  elle  est 
lout  entière  dans  le  corps,  et  toute  dans  cha- 
que partie  qu'elle  anime,  elle  sera  toute  dans 
ce  corps  de  feu,  et  toute  dans  chaque  partie 
de  ce  corps  pour  y  souffrir  partout. 

Nous  voyons  l'union  de  notre  âme  avec 
notre  corps  sans  la  comprendre;  nous  con- 
naissons bien  que ,  toute  spirituelle  qu'elle 
est,  elle  souffre  tous  les  maux  du  corps  par 
une  suite  i  e  cette  union,  sans  savoir  com- 
ment. Or,  ce  (jue  Dieu  fait  à  présent  pour 
nous  montrer  sa  puissance,  il  le  fera  alors 
pour  nous  taire  ressentir  sa  colère,  et  ce 
qu'il  y  a  «le  terrible,  c'est  que  les  douleurs 
que  lame  souffre  présentement  sont  finies 
par  la  mort,  et  celles-là  ne  le  seront  jamais. 
En  effet,  l'âme  dans  celte  vie  est  tellement 
unie  au  corps,  qu'elle  cède  aux  grandes  dou- 
leurs et  qu'elle  se  retire,  parce  que  sa  liai- 
sou  avec  ses  membres  est  maintenant  si  dé- 
OiuTEtms  sacrés.  XXX. 


licate,  qu'elle  ne  peut  soutenir  longtemps 
l'effort  de  ces  douleurs  aiguës  ;  mais  alors 
l'âme  sera  tellement  jointe  au  corps,  et  ce 
corps  sera  tel,  que  ce  nœud  ne  pourra  être 
rompu  par  aucune  douleur  que  ce  soit.  La 
mort  ne  pourra  plus  la  délivrer;  la  douleur 
demeurera  pour  tourmenter  l'âme,  et  l'âme 
subsistera  toujours  pour  sentir  la  douleur. 
Ni  l'une  ni  l'autre  ne  sera  détruite,  afin  que 
le  supplice  dure  toujours. 

Si  vous  me  demandez  maintenant  comment 
il  se  peut  faire  qu'un  Dieu  aussi  juste  que 
le  nôtre  punisse  d'un  tourment  si  cruel  et 
durant  toute  l'éternité  pour  un  péché  qui 
quelquefois  n'est  pas  sorti  du  cœur  où  il  a 
été  formé,  qui  n'a  duré  qu'autant  de  temps 
qu'une  action  qui  passe  en  un  moment,  et 
qui  n'a  pu  faire  au  prochain  qu'un  tort  fini 
et  limité,  je  vous  dirai  avec  tous  les  théolo- 
giens qu'il  n'y  a  rien  de  si  juste  que  cette 
conduite,  parce  qu'il  faut  considérer  dans  le 
péché  :  1°  L'objet  qu'il  attaque,  qui  est  Dieu  : 
son  mérite  infini  demande  une  satisfaction 
infinie  ;  c'est  ce  qui  se  voit  par  celle  que  son 
propre  Fils  lui  a  présentée  ;  de  sorte  que  le 
pécheur  qui  renonce  au  mérite  de  cette  sa- 
tisfaction pour  se  remettre  dans  l'état  où  il 
était  avant  qu'elle  lut  offerte,  doit  à  la  gran- 
deur de  Dieu  une  satisfaction  infinie  ;  et 
comme  celle  d'une  créature  ne  peut  être  in- 
ïînie  en  quelque  sorte  que  par  la  durée,  Dieu 
s'en  venge  durant  toute  l'éternité.  2°  En  con- 
sidérant l'homme  qui  offense  Dieu ,  nous 
trouverons  que  l'homme  qui  meurt  pécheur 
mérite  d'être  puni  durant  toute  l'éternité, 
parce  que,  comme  dit  saint  Grégoire,  Dieu 
qui  pénètre  le  cœur  voit  dans  celui  qui  pè- 
che une  volonté  déterminée  à  pécher  tou- 
jours s'il  le  pouvait,  un  attachement  à  l'ob- 
jet de  son  crime  qui  lui  l'ait  souhaiter  de  vi- 
vre toujours  pour  ne  s'en  séparer  jamais. 
Nonobstant  toutes  les  défenses  du  premier 
être,  il  meurt  dans  cet  état.  Cette  volonté 
qui  est  ennemie  de  Dieu,  parce  qu'elle  est 
fixée  dans  cette  disposition,  est  donc  éter- 
nellement digne  du  châtiment  que  souffre  le 
damné.  Enfin,  Dieu  qui  est  juste  traite  le 
pécheur  comme  il  a  été  traité  lui-même  : 
l'homme  a  méprisé  l'éternité  des  biens  qui 
lui  était  offerte  à  condition  qu'il  ne  péchât 
pas,  il  le  châtie  par  une  éternité  de  maux  : 
ce  qui  est  d'autant  plus  juste  qu'en  mépri- 
sant celte  éternité  de  biens,  c'est  Dieu  même 
qu'il  a  méprisé. 

Le  mauvais  riche  ressentira  la  peine 
cruelle  de  ses  péchés,  qui  semblent  n'avoir 
été  que  les  péchés  d'un  honnête  homme  se- 
lon le  monde,  comme  nous  le  dirons  dans  un 
moment,  et  il  la  ressentira  pendant  toute  l'é- 
ternité, parce  qu'il  reconnaîtra  toujours  qu'il 
souffre  ses  peines  par  son  choix,  puisqu'il 
n'a  péché  que  par  une  détermination  libre 
de  sa  volonté.  Il  verra  son  erreur  dans  ce 
choix  volontaire  qu'il  a  l'ait  des  délices  pas- 
sagères de  la  vie  prétente,  malgré  la  connais- 
sance qu'il  avail  de  leur  courte  durée  et  lou« 
les  les  lumières  qu'il  avait  reçues  pour  évi- 
ter les  malheurs  dont  il  ne  sortira  jamais. 
Ainsi  il  se  dira  toujours  à  lui-même  .  J'ai  ce 

14 


m 


OlIA'lEtltS  SACHES.  DOM  JEltOMI.. 


4.. 


que  j'ai  choisi,  je  suis  ce  que  j'ai  bien  voulu 
être,  j'ai  vécu  selon  les  désirs  déréglés  de 
mes  passions,  sans  écouler  les  menaces  d'un 
châtiment  éternel;  j'ai  joui  du  présent  sans 
me  mettre  en  peine  du  futur;  le  présent  a 
passé,  je  savais  qu'il  passerait:  le  futur  est 
venu,  je  savais  qu'il  viendrait  bientôt  ;  il  dé- 
pendait de  moi  de  le  rendre  meilleur,  je  l'ai 
négligé  :  il  ne  m'en  reste  que  des  regrets  qui, 
loin  de  changer  mon  sort,  eu  augmentent  la 
cruauté. 

Voilà,  me»  frères,  ce  que  je  voulais  vous 
exposer  du  tourment  de  ce  riche  malheu- 
reux :  je  souhaite  qu'il  fasse  impression  sur 
vos  esprits,  et  plus  encore  sur  vos  cœurs; 
mais  souvenez-vous  qu'on  le  mérite  pour 
moins  de  chose  que  vous  ne  croyez  :  c'est  ce 
que  nous  allons  voir  en  examinant  son 
crime  dans  la  seconde  partie  de  ce  dis- 
cours. 

SECONDE  PARTIE. 

Quoique  les  tourments  du  mauvais  riche, 
que  nous  venons  de  décrire,  soient  effroya- 
bles, il  ne  faut  pourtant  pas  se  former  une 
idée  extraordinaire  de  ses  péchés.  Il  n'a  rien 
fait  que  ce  que  nous  voyons  tous  les  jours, 
et  qui  ne  soit  très-commun  parmi  les  riches. 
Cette  réflexion  doit  nous  effrayer,  mes  frè- 
res ;  car  ses  péchés  sont  d'autant  plus  terri- 
bles, que,  passant  pour  rien  dans  l'esprit  de 
la  plupart  des  hommes,  ils  sont  néanmoins 
les  seuls  fondements  de  sa  condamnation 
dans  le  jugement  de  Jésus-Christ. 

C'est  la  pensée  de  saint  Augustin,  qui  nous 
apprend  à  ne  point  chercher  d'autres  crimes 
dans  la  vie  du  mauvais  riche  que  ceux  que 
le  Sauveur  lui-même  nous  a  marqués,  ni 
d'autre  cause  de  sa  perle  étemelle  que  celle 
qui  est  alléguée  par  la  vérité  même.  L'Evan- 
gile ne  l'accuse  point' d'avoir  été  un  médi- 
sant, ni  d'avoir  foulé  les  pauvres  ;  il  était 
riche,  il  l'était  d'un  bien  qui  lui  appartenait 
légitimement.  Si  vous  voulez  connaître  son 
péché,  il  faut  vous  en  tenir  à  ce  que  Jésus- 
Christ  nous  en  a  dit  dans  son  Evangile.  Il 
était  bien  vêtu  et  faisait  bonne  chère,  voilà 
quel  fut  son  crime.  Qu'y  a-t-il  là  dedans  qui 
ne  soit  pas  reçu  par  la  plus  grande  partie 
des  riches,  et  qui  ne  soit  pas  approuvé  par 
une  conduite  semblable  à  la  sienne?  Cdait 
un  homme  qui  aimait  la  vie,  qui  cherchait 
à  la  passer  agréablement,  et  qui  contribuait 
aux  plaisirs  des  autres.  Il  est  vrai  qu'il  ne 
songeait  pas  à  soulager  les  pauvres,  il  ne 
s'embarrassait  guère  des  affaires  de  son  sa- 
lut ni  des  obligations  de  la  loi  ;  mais  est-ce 
que  l'on  est  damné  éternellement  pour  cela? 
Aimer  à  être  riche,  à  s'habiller  magnifique- 
ment, à  faire  bonne  chère,  et  n'avoir  pas  soin 
des  pauvres,  oui,  mes  frères,  il  faut  renon- 
cer à  l'Evangile  et  à  la  religion,  ou  il  faut 
croire  que  cela  suffit  pour  élre  damne. 

Mais  pour  expliquer  la  grandeur  de  son 
péché,  établissons  ce  principe  essentiel,  qu'ou- 
tre les  lois  générales  de  la  religion  qui  sont 
communes  à  tous  les  états,  il  y  en  a  de  par- 
ticulières à  chaque  condition  qui  ne  sonl  que 
des  moyens  d'accomplir  les  lois  générales, 


ou  pour  mieux  dire  que  les»  1  g  -  réoérale* 
l'accommodait  à  chaque  étal  par  des  prati- 
que-, propret  et  singulières,  l'ar  la  vus 
rOJCI  que  personne  ne  pouvant  élre  «au\é 
MBl  accomplir  la  loi,  nul  ne  le  peut  élre 
dans  sa  condition  sans  accomplir  celles  qui 
lui  sont  propres. 

Or,  voici  les  lois  de  la  condition  des  ri- 
ches, marquées  par  saint  Paul  :  Commandez, 
d il- il  a  Timolhée,  aux  riches  d*  riciie  point 
.yiipcrUes,  et  de  ne  mettre  point  leur  conlianec 
en  des  richesses  périssables  et  incertain'  l , 
mais  dans  le  Dieu  vivant  qui  nous  fournil 
avec  abondance  ce  qui  est  nécessaire  à  la  v  ie  ; 
qu'ils  se  rendent  riches  en  bonnes  œuvres, 
afin  de  s'acquérir  un  trésor,  et  de  s'établir  un 
fondement  solide  pour  l'avenir,  et  par  là 
d'arriver  à  la  véritable  vie  par  le  bon  usage 
de  la  vie  présente.  Or,  mes  frères,  toutes  ces 
règles  se  réduisent  à  avoir  Dieu  présent,  et 
à  le  regarder  comme  auteur  de  sa  fortune  et 
de  son  bien  ;  à  consulter  sa  volonté  pour  l'u- 
sage de  ce  bien  :  enGn  à  s'appliquer  aux  bon- 
nes œuvres  ,  et  c'est  ce  qui  fait  que  la  prati- 
que de  ces  règles  est  tellement  nécessaire, 
que  sans  elle  il  n'y  a  point  de  salut  pour  les 
riches.  Quelques  voiles  qu'ils  recherchent 
pour  se  couvrir  et  pour  s'aveugler  volontai- 
rement eux-mêmes,  et  ne  pas  voir  la  vérité 
qui  leur  parle  par  ce  saint  apôlre,  ils  ne  se- 
ront sauvés  qu'en  suivant  ces  divines  règles. 
C'est  ce  que  Jésus-Christ  nous  découvre  dans 
la  condamnation  du  mauvais  riche,  qui  n'est 
livré  aux  peines  éternelles  que  pour  la  trans- 
gression de  ces  lois. 

Il  a  oublié  Dieu,  c'est  la  première  circons- 
tance de  son  péché ,  et  ne  se  confiant  qu'en 
ses  richesses,  il  s'est  regardé  au  milieu  de 
ses  biens  avec  orgueil ,  et  il  a  cru  être  indé- 
pendant. Or,  c'est  le  péché  ordinaire  des  ri- 
ches. Les  biens  tournent  presque  toujours 
les  yeux  de  l'homme  qui  les  possède  du  côté 
de  la  terre,  et  ne  lui  permettent  plus  d'en  re- 
garder Dieu  comme  l'auteur.  En  effet  un 
homme  qui  est  dans  les  richesses  et  dans 
l'abondance ,  y  est  entré  ou  par  une  nais- 
sance heureuse  qui  l'a  mis  au  milieu  des  ri- 
chesses, sans  qu'il  y  ait  pensé;  il  s'est  trouvé 
ce  qu'il  est,  sans  y  avoir  contribué  en  rien  ; 
ou  bien  sa  fortune  est  son  ouvrage,  il  la 
lient  de  son  travail  et  de  sou  industrie,  il  est 
ce  qu'il  s'est  fait.  Or,  l'homme,  dans  l'un  ou 
dans  l'autre  cas,  a  tellement  les  yeux  atta- 
chés a  la  lerre,  qu'il  ne  les  élève  prpsquc 
jamais  jusqu'au  ciel,  pour  reconnaître  que 
la  source  de  ses  biens  est  là,  et  que  cal 
Dieu  qui  l'a  fait  ce  qu'il  est.  Il  est  tellement 
enferme  dans  un  certain  cercle  de  causes 
naturelles  et  humaines,  qu'il  n'en  sort  point. 
Sa  naissance,  sa  famille,  ses  riches  succes- 
sions, le  crédit  de  ses  parents,  ses  talents  et 
son  industrie  :  c'est  autour  de  tout  cela  qu'il 
roule  incessamment,  saus  penser  que  Dieu 
est  l'auteur  de  son  êlrc  cl  de  son  bien.  Sa 
conduite  marque  bien  qu'il  est  rempli  de 
ces  sentiments  et  d'une  fausse  conlianec  en 
lui-même.  Toutes  ses  espérance  sont  en  son 
bien  :  comme  il  n'a  l'esprit  rempli  que  de 
vues    humaines,    il    n'a   recours  qu'à   des 


429 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA  DEUXIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


430 


moyens  humains  pour  réussir  dans  les  en- 
treprises qu'il  médite,  et  pour  détourner  les 
maux  qu'il  craint. 

Ainsi,  mes  frères,  cet  homme  qui  a  déjà 
du  bien  croit  que  ,  pourvu  qu'il  en  ait  da- 
vantage, tout  lui  réussira ,  et  que  rien  ne 
sera  capable  de  lui  nuire;  qu'avec  du  bien  il 
poussera  ses  enfants  dans  les  grandes  char- 
ges, il  établira  sa  maison,  il  deviendra  ter- 
rible à  ses  ennemis,  il  se  mettra  à  couvert 
de  tous  les  coups  de  la  fortune,  il  bravera 
toutes  les  injures  des  temps.  N'est-ce  pas  là 
la  façon  de  penser  des  gens  qui  ont  de  grands 
biens?  Est-ce  à  Dieu  qu'ils  ont  recours,  ou 
bien  à  leur  fortune  ?  Est-ce  du  ciel  ou  de  la 
terre  qu'ils  attendent  leur  protection  ?  Dieu 
étant  ainsi  oublié,  il  ne  faut  pas  s'étonner 
si  ce  n'est  pas  lui  qu'on  consulte  dans  l'u- 
sage des  biens,  dont  à  peine  on  veut  le  re- 
connaître pour  l'auteur  et  pour  le  conserva- 
teur ;  car  on  se  regarde  comme  l'artisan  de 
sa  fortune;  on  n'en  cherche  les  sources  que 
dans  des  principes  tout  humains  ;  on  ne 
songe  à  en  user  qu'en  suivant  des  règles  tout 
humaines;  ainsi,  mes  frères,  celle  de  ne 
prendre  dans  ce  bien  que  le  pur  nécessaire 
à  sa  condition ,  celle  de  régler  ce  nécessaire 
par  les  lumières  saintes  de  la  prudence  chré- 
tienne, ne  sont  point  suivies. 

C'est  à  quoi  a  manqué  ce  mauvais  riche, 
c'est  à  quoi  manquent  la  plupart  de  ceux 
qui  le  sont.  Il  était  vêtu  magnifiquement,  et 
il  faisait  bonne  chère.  Voilà  l'usage  que  fait 
de  ses  richesses  un  homme  qui  s'en  croit  le 
maître  et  le  souverain,  et  qui  ne  consulte 
que  lui-même  et  ses  passions  pour  en  user. 
Tout  est  magnifique  sur  sa  personne  et  sur 
sa  table;  il  donne  à  sa  vanité  ce  qu'il  y  a  de 
plus  précieux,  et  ne  refuse  rien  à  sa  délica- 
tesse. Il  est  également  coupable  par  ses  pro- 
fusions et  par  son  luxe  ;  il  ne  suit  point  cette 
règle,  si  sagement  établie  par  la  Providence 
pour  la  sanctification  du  riclte  et  pour  le 
soulagement  du  pauvre,  de  ne  prendre  que 
le  nécessaire  dans  sa  condition.  Il  confond 
ce  superflu  avec  le  nécessaire,  et,  sans  exa- 
miner son  besoin,  il  va  où  le  conduisent  la 
vanité  et  le  plaisir.  Enfin  il  ne  considère  pas 
ce  qu'il  est ,  mais  ce  qu'il  a  ;  il  confond  sa 
qualité  avec  son  bien  ;  il  ne  se  règle  plus  sur 
ce  qu'il  doit  à  sa  condition,  mais  sur  ce  qu'il 
peut  par  ses  facultés  ;  et  n'est-ce  pas  là,  mes 
frères,  ce  que  nous  voyons  tous  les  jours 
dans  la  conduite  des  riches  qui  ne  peuvent 
pas  se  laisser  convaincre  qu'ils  ne  sont  pas 
les  maîtres  absolus  de  leurs  biens,  mais  qu'ils 
n'en  sont  que  Ie9  économes  établis  de  la  part 
de  Dieu?  Se  incsure-l-on  par  ce  qu'on  se  doit, 
ou  bien  par  ce  que  l'on  peut?  Ne  croit-on 
pas  être  juste  et  ne  faire  tort  à  personne, 
lorsque,  oubliant  les  pauvres,  on  donne  à 
sa  delicalesse  et  à  son  luxe  ce  qu'on  leur  re- 
fuse? mais  en  vérité  est-ce  là  faire  un  bon 
usage  de  ses  richesses?  et  que  fait-on  pour 
établir  ce  fondement  solide  pour  l'avenir,  et 
pour  arriver  à  la  véritable  vie  par  le  bon 
usage  de  la  vie  présente?  Quelle  peut  être 
envers  Dieu  la  piété  d'un  homme  à  qui  les  ri- 
chesses le  font  oublier. 


Jugez-vous ,  riches  de  la  terre  ;  vous  en 
êtes  si  occupés  ,  qu'à  peine  levez-vous  les 
yeux  au  ciel  :  les  soins  de  vous  rendre  la  vie 
agréable  emportent  tout  votre  loisir,  votre 
vie  se  passe  dans  les  occupations  de  ce  misé- 
rable de  l'Evangile  :  lnduebatur....  epulaba- 
tur.  Après  vous  être  appliqués  à  orner  votre 
corps,  à  embellir  vos  maisons  ,  à  chercher 
vos  plaisirs,  à  goûter  les  délices  de  la  bonne 
chère,  vous  donnez  vos  soins  à  vos  affaires, 
et  votre  vie  roule  ainsi.  Quel  est  donc  le 
temps  que  vous  prenez  pour  servir  Dieu  ? 
Savez-vous  qu'il  attend  de  vous  ce  qu'il 
n'exige  pas  des  misérables  ,  et  que  vous  le 
devez  prier  plus  longtemps  et  plus  souvent? 
car  le  Seigneur,  en  vous  donnant  du  bien,  a 
prétendu  se  faire  en  vous  des  adorateurs  plus 
fidèles  et  plus  assidus.  En  effet,  si  l'Apôtre 
dit  que  la  vierge  qui  n'est  point  partagée  par 
les  soins  du  mariage  ne  doit  diviser  ni  son 
cœur  ni  ses  soins,  mais  les  donner  tous  à  se 
rendre  agréable  à  Dieu,  je  dis  de  même  qu'un 
homme  que  la  Providence  a  dégagé  des  em- 
barras du  négoce  et  des  soins  qui  l'appli- 
quent au  travail  pour  gagner  de  quoi  vivre, 
doit  prier  Dieu  davantage  qu'un  autre.  11 
vous  a  comme  gagés  pour  le  servir,  il  vous 
donne  les  fruits  de  la  terre  sans  travail,  afin 
qu'étant  délivrés  de  ces  soins  vous  vous  ap- 
pliquiez à  le  louer,  à  le  bénir,  à  l'honorer,  à 
porter  les  autres  à  le  faire  par  votre  exem- 
ple, et  à  lui  faire  rendre  ces  devoirs  dans 
vos  maisons  par  ceux  qui  vous  sont  soumis. 

Si  nous  passons  de  la  piété  qui  regarde 
Dieu  à  la  pénitence  qui  est  la  voie  du  ciel, 
où  on  ne  peut  arriver  qu'en  portant  sa  croix 
avec  Jésus-Christ ,  quels  trésors  les  riches 
s'acquerront- ils  par  l'exercice  de  cette 
vertu  ?  Je  ne  veux  pas  parler  des  vices,  des 
excès  et  des  emportements  qu'on  leur  peut 
reprocher  ;  je  parle  seulement  de  l'opposi- 
tion qu'il  y  a  entre  la  vie  des  riches  et  celle 
de  Jésus-Christ.  Ne  vous  appliquez-vous  pas 
à  écarter  tous  les  maux  de  la  vie  et  à  vous 
en  procurer  tous  les  biens?  Ne  fuyez-vous 
pas  jusqu'à  la  moindre  incommodité  des 
saisons,  et  ne  vous  en  donnez- vous  pas  tous 
les  plaisirs?  Les  mets  les  plus  délicieux,  les 
vins  les  plus  délicats  et  les  plus  fins,  les  mai- 
sons les  plus  charmantes,  les  logements  les 
plus  commodes  ,  les  ameublements  les  plus 
précieux,  ne  sont-ce  pas  là  les  emplois  les 
plus  légitimes  que  vous  faites  des  biens  que 
Dieu  vous  a  donnés?  lnduebatur  purpura, 
epulabalur  quotidic  splendide.  Hé  !  mes  frè- 
res, ne  reconnaissez-vous  point  qu'en  vi- 
vant ainsi  vous  combattez  toutes  les  prati- 
ques de  la  mortification,  de  la  modestie,  de 
l'humilité  chrétienne?  Jésus-Christ  a-t-il  fait 
une  loi  pour  vous  différente  de  celle  de  tous 
les  chrétiens?  vous  a-t-il  enseigné  un  autre 
chemin  pour  arriver  à  la  gloire  que  celui 
qu'il  a  suivi  iui-même?  Pouvcz-vous  dire, 
vivant  dans  les  délices,  que  vous  êtes  les 
membres  d'un  chef  couronné  d'épines .'  Pou- 
vez-vous  dire,  passant  votre  vie  dans  toutes 
les  commodités  qui  la  rendent  agréable,  ou 
dans  des  impalicticcs  terribles  quand  il  vous 
arrive  le  moindre  contre  temps  qui  trouble 


451 


ORATKI  RS  SACRES    l»OM  JKROME. 


■ri 


votre  tranquillité,  que  vous  ('tes  les  disciples 
d'un  mallre  qui  a  passé  sa  vie  dam  la  pau- 
vreté, dans  la  misère,  dans  les  larmes  et 
dans  L'exercice  d'une  patience  invincible  ? 
Pouvez- VOUS  espérer,  en  mourant  sur  un  lil 
de  délices,  après  avoir  passé  une  longue  \ie 
dans  la  joie,  dans  la  prospérité  et  dans  l'hon- 
neur, d'aller  prendre  possession  d'une  gloire 
que  Jésus-Christ  ne  s'est  acquise  qu'en  finis- 
sant sur  une  croix  une  vie  qu'il  avait  passée 
dans  la  misère?  Ou  il  y  a  pour  vous  un  au- 
tre Evangile,  ou  vous  serez  condamnés, 
comme  le  mauvais  riche,  par  L'Evangile  qui: 
nous  avons  reçu  de  Jésus-Christ.  Morluus 
est  clives,  et  sepullus  est  in  inferno.  Eu  vivant 
ainsi,  il  n'a  point  eu  de  miséricorde  pour  les 
pauvres  .  Plein  d'indulgence  pour  lui-même, 
il  n'a  eu  que  de  la  dnreté  pour  les  malheu- 
reux. Quoi  I  Dieu  oublié,  votre  corps  adoré 
comme  une  idole  et  le  pauvre  rebuté,  ne 
sont-ce  pas  là  assez  de  crimes  pour  mériter 
une  condamnation  semblable  à  celle  du 
mauvais  riche  de  l'Evangile? 

Quelles  sont  donc  les  bonnes  œuvres  d'une 
vie  passée  sans  piété,  sans  pénitence  et  sans 
miséricorde?   Où   sont  les  pauvres  familles 
que  vous  avez  soutenues?  où  sont  les  mi- 
sérables que  vous  avez   soulagés?  où  sont 
les  malades  que  vous  avez  assistés? où  sont 
les  captifs  que  vous  avez  rachetés?  où  sont 
les  orphelins  à  qui  vous  avez  servi  de  père? 
c'est  ce  que  Dieu  vous  demandera,  car  c'est 
ce  qu'il  attendait  de  vous  comme  riches.  Il 
veut  que  vous  soyez  riches  en   bonnes  œu- 
vres, à  proportion  que  vous  l'éles  des   biens 
de  la  terre.  Si  vous  avez  ces  richesses  péris- 
sables que  sa  providence  donne,    pourquoi 
n'avez-vous  pas  les   richesses  saintes  qu'on 
acquiert  par  la  libéralité  chrétienne?  Mais, 
dites-vous,  après  vos  dépenses   faites,  il  ne 
vous  reste  rien.  Pensez-vous  que  cette  rai- 
son vous  justifie  ?  ou  plutôt  ne  comprenez- 
vous   pas  qu'elle    n'est   suffisante  que  pour 
vous  condamner?  Car  c'est  une  preuve  que, 
manquant    aux   obligations   de  votre   état, 
vous  n'avez  pas  consulté  Dieu  dans  l'usage 
que  vous  deviez  faire  des   biens  que   vous 
aviez  reçus  de  lui.  Vous  avez  confondu  le 
nécessaire  avec  le  supcrlla,  la  famille  avec 
la  condition,  et,  vous   élevant  avec  fierté, 
vous  avez  cru  être  les  maîtres  de  votre  for- 
tune, et  ne  devoir  consulter  que  le  monde  et 
vos    passions  dans  l'usage   qu'il  on    fallait 
faire.  Ainsi  vous  avez  employé  les  biens  que 
Dieu  vous  avait  donnés  pour  acquérir  la  vie 
éternelle,  à  rendre  agréable  cette  vie  d'un 
moment;  ne  vous  plaignez  donc  pas.  viola- 
teurs des  lois  de  votre  condition,  dispensa- 
teurs injustes  des  biens  de  Dieu,  si,   après 
avoir  joui  des  délices   de  la  vie  présente,  il 
vous  abandonne  aux  supplices  éternels  de  la 
future.  Souvenez-vous  de  ce  que  vous  avez 
reçu  :  Ilecordarc   quia  recepi-ii.    Qu'on  est 
heureux,  mes  frères,  quand,  après  avoir  re- 
connu qu'on  mérite  ce  jugement,  on  poulie 
détourner,  cl  qu'on  a  en  main  de  quoi  éviter 
une  si  terrible  condamnation  I 

C'est  à  quoi  je  vous  exhorte,  riches  delà 
terre,  si  vous  avez  été  les  imitateurs  de  ce- 


lui de  notre  évangile.  H  ne  fut  pas  un  de  ces 
scélérats  dont  la  conduite  lait  horreur.  Il 
oublia  Dieu,  et  ne  se  confia  que  dans  ses  ri- 
chesses; il  négligea  de  suivre  la  volonté  de 
Dieu,  et  il  ne  consulta  que  les  lois  corrom- 
pues du  inonde  dans  l'usage  de  ces  Lieu-  li 
négligea  la  pratique  des  bonnes  SMVras,  et, 
insensible  aux  misères  d'aulrui,  il  l'appliqua 
à  lui  seul  les  richesses  que  Dieu  lui  avait 
données  pour  acquérir  le  ciel  en  soulageant 
les  autres.  Recourez  donc  à  Dieu,  el  raeoa* 
naissez-le  pour  l'auteur  de  votre  fortune  et 
pour  le  maître  de  tout  ce  qui  est  entra  vos 
mains.  Consultez-le  dans  l'usage  que  w,us 
en  devez  laire,  el  rachetez  vos  pe  liés  par 
l'aumône. 

On  ne  vous  fixe  pas  à  des  libéralités  que 
votre  bien  ne  peut  porter.  Ne  vous  ex< 
pas  sur  ce  que  vous  no  connaissez  pas  les 
pauvres,  et  que  les  occasions  vous  raanqnei  I 
de  faire  l'aumône.  Ils  sont  exposés  a  \o> 
yeux,  et  comme  ce  mauvais  riche  ne  pouvait 
sortir  de  sa  maison  sans  passer  sur  le  ventre 
du  Lazare  qui  était  couché  à  sa  porte,  en 
quelque  li«*u  que  vous  alliez,  vous  trouve- 
rez des  misérables  qui  demandent  votre  se- 
cours. Les  hôpitaux  en  sont  pleins,  les  pa- 
roisses regorgent  de  pauvres,  les  greniers  des 
maisons  des  particuliers  en  crèvent,  si  j'ose 
ainsi  parler.  Est-ce  que  vous  notes  pas  cer- 
tains de  leurs  misères,  et  que  vous  craignez 
qu'il  n'y  ail  de  la  feinte?  Consultez  vos  pas- 
teurs, vous  verrez  ce  qu'ils  vous  diront  de 
la  misère  des  paroisses;  confiez-leur  vos  au- 
mônes :  voilà  les  moyens  de  racheter  vos  pé- 
chés et  d'éviter  la  condamnation  du  mauvais 
riche.  Je  ne  vous  presse  pas  de  faire  l'au- 
mône, tant  pour  l'intérêt  des  pauvre-,  que 
pour  le  vôtre.  Dieu  saura  bien  les  faire  sub- 
sister si  vous  les  abandonnez  ;  mais  qui  est- 
ce  qui  vous  retirera  des  mains  de  sa  justice, 
si  vous  vivez  sans  charité'.'  Il  peut  en- 
voyer un  corbeau  pour  nourrir  les  pauvres, 
comme  il  en  envoya  un  à  Elie  ;  mais  le  mau- 
vais riche  élève  sa  voix  inutilement  vers 
Abraham.  Personne  ne  viendra  pour  vous 
délivrer  ;  songez-y  donc,  el  méritez  par  là 
le  séjour  éternel  de  Lazare:  je  vous  le  sou- 
haite. Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POfR  LE  SAMEDI   DE   LA    DEIXIKME   SKVIAINE  DE 
CAU1M1  . 

5ur  la  médisance. 

Eltt  Jésus  ejiriens  dxmonium,  et  illud  erat  niut'im 
JëiUi  chassa  du  corps  d'un  homme  un  démon  qui  était 
muet  (Luc,  XI,  U). 

Le  Sauveur  du  monde  ayant  fait  un  grand 
nombre  de  miracles  qui  avaient  excite  I  en- 
vie et  la  jalousie  des  pharisiens  contre  lui,  il 
en  lil  un  nouveau  dans  une  maison  de  la  Ca- 
illée où  il  s'assembla  une  si  grande  loulo  de 
peuple,  que  ni  lui  ni  ses  disciples  ne  pou- 
vaient prendre  leur  repas.  On  lui  présenta 
alors  un  possédé  qui  était  aveugle  et  muet, 
cl  il  le  guérit.  Tout  le  peuple,  ravi  en  admi- 
ralion,  disait  hautement  ;  N'est-ce  pas  /<;  le 
pis  de  David?  Col  applaudissement  irrita  de 


i'ô 


SERMON  POUR  LE  SAMEDI  DE  LA  DEUXIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


434 


nouveau  des  pharisiens  et  des  docteurs  de  la 
loi  qui  étaient  venus  de  Jérusalem  et  qui  fu- 
rent présents  à  ce  miracle,  de  sorte  que,  ne 
pouvant  supporter  la  gloire  que  s'acquérait 
le  Sauveur  du  monde,  et  ne  pouvant  d'un 
autre  côté  nier  la  vérité  du  miracle  qu'il  ve- 
nait de  faire,  ils  eurent  recours  à  l'artifice 
ordinaire  de  l'orgueil,  de  l'envie,  de  la  médi- 
sance et  de  la  calomnie.  Ils  dirent  au  peuple 
que  le  Sauveur  du  monde  était  possédé  du 
démon,  et  qu'il  ne  chassait  les  démons  que 
par  le  prince  des  démons. 

Or,  mes  frères,  tout  ce  qui  est  renfermé 
dans  cet  évangile  n'est  qu'une  réfutation  de 
cette  médisance.  Jésus-Christ  s'y  applique  à 
les  confondre  et  à  leur  faire  voir  que  ce 
qu'ils  dirent  se  détruit  de  lui-même  ;  mais 
comme  il  ne  s'agit  de  rien  moins  entre  nous 
que  de  justifier  le  Sauveur  du  monde,  j'ai 
cru  qu'il  fallait,  pour  entrer  dans  l'esprit  de 
l'évangile  de  demain,  et  suivre  la  conduite 
de  Jésus-Christ,  combattre  la  médisance,  ce 
vice  si  commun  dans  le  commerce  du  monde. 
Voici  donc,  mes  frères,  ce  qui  le  distingue  et 
ce  qui  doit  nouiJ   en  donner  de   l'horreur. 

1°  On  commet  ce  crime  avec  plus  de  faci- 
lité qu'aucun  autre  :  première  partie  ;  2°  il 
produit  des  effets  très-déplorables  :  deuxième 
partie  ;  3°  on  le  répare  plus  difficilement  que 
tout  autre  :  troisième  partie. 

Remarquez  que  la  facilité  qu'on  a  à  le 
commettre  en  augmente  la  malignité,  que 
les  effets  qu'il  produit  la  découvrent,  et  en- 
Gn  que  la  difficulté  de  le  réparer  n'en  ôte 
pas  l'obligation.  Demandons  le  secours  du 
ciel.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Le  premier  caractère  du  péché  de  la  mé- 
disance, qui  le  distingue  de  tous  les  autres, 
n'est  pas  un  des  moindres  motifs  qui  nous  en 
doit  inspirer  de  l'horreur  :  c'est,  mes  frères, 
qu'étant  un  des  plus  considérables  et  des 
plus  dangereux  péc  hés,  on  le  commet  néan- 
moins avec  plus  de  facilité.  Pour  bien  expli- 
quer ceci,  il  faut  établir  ce  principe,  que 
tous  les  hommes  naissent  avec  une  pente  gé- 
nérale vers  tous  les  vices,  et  que  la  concu- 
piscence laisse  en  nous  le  fond  et  la  source 
de  tous  les  péchés  ;  c'est  ce  qui  l'ait  qu'il  n'y 
a  point  de  péché,  quelque  énorme  qu'il  soit, 
dans  lequel  le  plus  juste  ne  puisse  tomber, 
si  Dieu  l'abandonne  à  lui-même. 

Ce  mauvais  fond  est  corrigé  en  nous  par 
le  secours  actuel  que  Dieu  nous  donne, et  par 
ceu\  qu'il  promet  à  nos  prières,  à  nos  tra- 
vaux et  à  notre  vigilance;  celle  grâce  du 
Rédempteur,  toujours  nécessaire,  toujours 
nouvelle,  nous  fait  triompher  de  la  concu- 
piscence, cl  nous  délivre  de  la  tyrannie  de 
nos  passions;  mais  ce  qu'il  y  a  de  particulier 
par  rapport  au  vice  dont  nous  parlons,  c'est 
que,  le  Créateur  ayant  mis  dans  chaque 
homme  des  inclinations  contraires  à  chaque 
vice,  comme  des  digues  naturelles  qui  em- 
pêchent le  débordement  de  ces  torrents,  et 
qui  en  suspendent  la  chute  en  quelque  façon, 
le  seul  vice  de  la  médisance  paraît  excepté. 
Ka  effet,  le»  un*  sont  arrêtes  par  la  pudeur, 


les  autres  par  la  crainte  de,  la  dépense,  d'au- 
tres par  la  vue  des  châtiments,  quelques-uns 
par  la  faiblesse  naturelle  et  par  les  défauts 
de  tempérament,  et  d'autres  par  l'amour  de 
la  santé;  mais  l'homme  n'est  combattu  dans 
le  vice  de  la  médisance  par  aucun  endroit; 
il  ne  rencontre  aucun  obstacle,  tout  l'excite, 
tout  lui  est  favorable.  Après  cela,  peut-on 
s'étonner  s'il  fait  de  si  terribles  débordements 
dans  le  commerce  du  monde,  et  de  si  grands 
ravages  dans  la  société  chrétienne?  Peut- 
être  n'aviez-vous  jamais  regardé  ce  vice  par 
cet  endroit.  Oui,  mes  frères,  nous  y  sommes 
portés  plus  qu'à  aucun  autre,  car  la  médi- 
sance, qui  est  une  production  de  l'envie,  a 
son  principe  dans  l'orgueil,  et  il  est  très-vrai 
que  nous  sommes  pour  l'ordinaire  plus  mé- 
disants par  vanité  que  par  malice.  Qu'est-ce 
en  effet  qui  irrite  les  pharisiens  contre  le 
Sauveur  du  monde?  ce  sont  les  miracles 
qu'il  fait  à  leurs  yeux  :  il  vient  de  délivrer 
ce  possédé;  sa  réputation  s'établit,  la  leur 
diminue;  on  croit  en  lui,  on  les  quitte;  ils 
sont  superbes,  envieux,  et  ils  sont  médisants. 
La  médisance  est  produite  par  l'envie,  et  l'en- 
vie est  produite  par  l'orgueil,  et  comme  l'or- 
gueil est  l'amour  de  notre  propre  excellence, 
et  que  l'envie  n'est  autre  chose  que  la  haine 
de  l'excellence  d'aulrui,  l'amour  de  notre  ex- 
cellence nous  porle  à  haïr  celle  des  autres, 
elle  nous  incommode,  elle  nous  donne  du 
prochain  une  idée  qui  ne  nous  plaît  pas,  et 
elle  affaiblit  celle  que  nous  nous  sommes  for- 
mée de  nous-mêmes.  La  médisance  s'offre  à 
nous  tout  à  propos  comme  un  moyen  natu- 
rel pour  diminuer  le  prochain,  et  pour  nous 
relever  sur  son  abaissement;  elle  affaiblit 
l'idée  de  son  excellence,  et  elle  grossit  celle 
de  la  nôtre;  ainsi,  comme  nous  avons  tous 
de  l'orgueil,  et  que,  selon  saint  Augustin,  le 
plus  humble  de  tous  les  hommes  n'est  pas 
celui  qui  n'en  a  point,  car  tous  les  hommes 
en  ont,  mais  celui  qui  eu  a  le  moins,  nous 
sommes  tous  portés  à  la  médisance  plus  ou 
moins,  et  nous  avons  tous  notre  manière 
d'abaisser  les  autres  pour  nous  élever  :  hom- 
mes, femmes,  jeunes,  vieux,  sages  et  dévols, 
ce  vice  est  né  avec  nous,  et  s'il  y  a  quelques 
gens  sages  qui  veillent  assez  sur  eux-mêmes 
pour  s'abstenir  de  médire  de  ceux  qui  leur 
déplaisent,  il  n'y  en  a  guère  qui  ne  soient 
sensibles  au  plaisir  d'entendre  médire. 

Avec  cette  disposition  naturelle  on  tombe 
dans  ce  péché  le  plus  aisément  du  monde; 
car  il  est  encore  différent  des  autres  en  cela, 
qu'il  n'en  coûte  rien  pour  le  commettre,  et 
qu'on  pense  gagner  beaucoup  en  le  com- 
mettant. Il  ne  faut  ni  dépense  ni  force  pour 
médire;  on  le  fait  en  parlant,  et  c'est  un 
grand  plaisir  pour  un  homme  superbe  et  lâ- 
che de  pouvoir  se  venger  de  son  ennemi 
sans  être  exposé  aux  ressentiments  de  sa 
colère;  c'est  un  grand  plaisir  pour  un  hom- 
me rempli  d'orgueil  et  de  timidité,  de  pouvoir 
censurer  sans  crainte  la  conduite  de  ceux 
qui  le  gouvernent,  décrier  les  plus  justes, 
déchirer  les  évêques,  blâmer  les  princes, 
condamner  les  ministres,  parler  avec  har- 
diesse de  la  vie  etdes  actions  de  c>ux  qu'on 


4r/.  ORATEURS  SACRES 

doit  approcher  avec  respect  et  qu'on  ne  regarde 
qu'en  tremblant.  Il  y  a  quelque  chose  de 
plus,  c'est  que  dans  ce  péché  on  se  cache 
son  propre  cœur  plus  facilement  que  dans  un 
autre,  et  on  s'abuse  en  pensant  se  justifier, 
soit  par  les  intentions  qu'on  se  propose, 
soit  par  les  manières  dont  on  se  sert.  Nos 
pharisiens  s'imaginent  qu'ils  ont  raison  d'en 
usercomme  ils  fontavecleSauveur  duraonde, 
ils  tâchent  de  se  persuader  qu'ilesl  l'ennemi 
de  la  loi,  pour  justifier  et  même  pour  sanc- 
tifier leur  conduite  par  leurs  intentions  qu'ils 
croient  droites;  il  n'y  a  pasjusqu'aux  louan- 
ges qu'on  donne  à  de  certaines  gens,  qui  ne 
nous  doivent  être  suspectes,  car  souvent  ce 
n'est  pas  le  désir  de  leur  rendre  justice,  mais 
celui  d'abaisser  d'autres  personnes  qui  nous 
déplaisent, et  dont  le  mérite  peut  êlre  en  con- 
currence avec  ceux-là. 

Ainsi  donc  un  dévot  qui  veut  médire  cher- 
chera dans  une  intention   prétendue  bonne 
un  prétexte  pour  croire  qu'il  le   fait  sainte- 
ment, et  quand  une  fois  il  s'est  bien  persuadé 
que  c'est  l'amour  de  la  vérité  et  de  la  juslicc 
qui  l'anime,  il  va  sans  remords  jusqu'au  li- 
belle diffamatoire,  sur  la  bonne  foi  de  son 
intention.  Que  si  un  reste  de  pudeur  ou  l'a- 
mour de  lui-même  lui  fait  encore  garderquel- 
ques  mesures,  elles  ne  sont  plus  que  dans  les 
manières  ;  car,  comme  dit  fort  bien  saint  Ber- 
nard, il  y  a  deux  sortes  de  médisance  :  les 
uns  vomissent  avec  une  simplicité  grossière 
le  venin  de  leur  malice,  et  disent  sans  pu- 
deur et  sansarliGcetoutce  qui  leur  vient  dans 
la  bouche,  et  ils  sontlesmoinsdangereux  ;  les 
autres tâchentdecouvrir  etde  déguiser  par  le 
fard  d'une  modestie  feinte  la  malice  qu'ils  ont 
conçue  dans  leur  cœur.  Vous  les  voyez,  dit 
ce  Père,  avec  un  extérieur  affecté,  un  visage 
triste,  les  yeux  baissés,  un  ton  de  voix  com- 
patissant, produire  au  dehors  la  médisance, 
et  la  rendre  d'autant  plus  plausible  qu'ils 
font  croire  davantage  à  ceux  qui  les  écou- 
tent qu'ils  !a  publient  malgré  eux,  et  qu'elle 
est  l'effet  plutôt  d'une  charité  tendre  et  af- 
fectueuse, que  d'une  animosité  malicieuse. 
J'en  ai  certes, dit  l'un,  beaucoup  de  douleur, 
parce  que  je  l'aime  beaucoup;  je  n'ai  pu  le 
faire  revenir  à  lui-même  sur  ce  sujet.  11  y  a 
bien  longtemps  que  j'avais  reconnu  ce  défaut 
en  lui,  jamais  on  n'en  eût   rien  su,  si  j'en 
avais  été  instruit  tout  seul  ;  car  volontiers  je 
ne  me  mêle  pas  des  affaires  d'autrui;  cepen- 
dant, puisque  la  chose  est  découverte  par  un 
autre,  je  ne  puis  plus  nier  la  vérité.  Il  faut, 
dit  un   autre,  que  j'avoue,  quoiqu'à  regret, 
que  ce  qu'on  dit  d'un  tel  est  véritable;  et  il 
ajoute  :  C'est  grand  dommage;  car  c'est  une 
personne  qui  d'ailleurs  a  de  grands  talents 
et  plusieurs  bonnes  qualités;  mais  pour  en 
parler  franchement,  il  est  gâté  sur  ce  cha- 
pitre, et  on  ne  le  peut  excuser  en  ce  point. 
Voilà,  mes  frères,  la  description  que  saint 
Bernard  nous  fait  de  cet  homme  qui  s'abuse 
lui-même,  car  il  se  remplit  de  l'idée,  ou  qu'il 


DOM  JEROME. 


fait  une  bonne  œuvre  en  commettant  un  pé- 
ché, ou  il  s'imagine  qu'on  ne  découvrit  a  pas  sa 
malignité  sous  la  fausse  apparence  dont  il 
essaye  de  se  couvrir;  et  tout  cela  se  termine 


à  le  rendre  médisant   et   hypocrite  tout  à  la 
fois.  .Mais  ajoutons  encore,  pour  fi  ni .  cette 
première  partie,  qu'il  n'y  a   point  de  crime 
qui  soit  plus  aisé   a  commettre  que  celui  de 
la  nu  -disant  e,  parce  qu'il  n'est  point   : 
sairc  de  le  cacher.  Cette  dangereuse  lac  II 
que  nous  avons  à  le  commettre  peut   nous 
faire  croire  que  ce  qui  est  de  soi-même  éi 
fendu  selon  la  raison  devient  permis    par  la 
coutume,  comme  dit  saint  (iré^oire  :  la   li- 
berté qu'où  se  donne  de  censurer  la    vie  du 
prochain,  celte  manière  délirer  tous  les  agi  - 
ments  de  la  conversation  en  déchirant  son 
frère,  et  cet  art  malin  de  décrier  sa  conduite 
avec  esprit,  tout  cela  a  été  l'horreur  de  la 
médisance  la   plus  cruelle,  et  en  a  fait  un 
commerce   de  plaisanterie  et   d'enjouement 
auquel  presque  tout  le  monde  applaudit.  La 
médisance  est  presque  devenue  le  caractère 
d'un  honnête  homme.  Mes  frère-s,  où  en  som- 
mes-nous? Gémissons;  car  nous  voyons  sur 
cet  article  ce  qu'a  dit  saint  Augustin,  que  les 
pèches,  quelque  grands  qu'ils  soient,  passent 
pour  petits,  ou  même   ne   passent  pas  pour 
péchés  lorsqu'ils   sont  tournes  en  coutume, 
et   même   on  passe   pour  un    sot  quand  on 
veut  les  cacher.  On  se  doit  à  soi-même  et  à 
sa  réputation  de  les   commettre   publique- 
ment. Voilà   la   malheureuse  facilité  qui  est 
cause  que  l'on  tombe  dans  ce  péché  plus  ai- 
sément que  dans  tout  autre.  La  plupart  des 
péchés  et  des  peines  qui  les  suivent  provien- 
nent souvent  d'une  parole,  et  c'est  avec  jus- 
tice que  la  médisance  est  condamnée,  puis- 
qu'elle détruit  la  charité  et  cause  des  inimi- 
tiés  mortelles.   Dieu  désire  avec  ardeur  de 
nous  voir  unis,  et  rien  ne  nous  désunit  tant 
que  les  paroles   libres.  les  railleries  et   ies 
médisances.   Voilà,  mes    frères,    l'idée   que 
nous  devons  avoir  de   la    médisance;   celle 
malheureuse   facilité  à  commettre  ce  crime 
qui  le  distingue  de  tous  les  autres  nous  doit 
donc   rendre  plus  vigilants  et  plus  attentifs 
sur  nous-mêmes,  afin  de  l'éviter.  11  faut  nous 
accoutumer  à  retrancher  de  nosconversaiions 
tout  ce  qui  peut  avoir  l'air  de  médisante,  et 
être  extrêmement  réservés   sur  tout  ce  qui 
peut  intéresser  le  prochain;  car  il  n'est  pas 
difficile  de   passer  d'une   plaisanterie  à   une 
vraie  médisance.  Il  n'y  a  que  deux  occasions 
dans  lesquelles  il  «fit  permit  de  dire  du  mal 
de  quelqu'un  et  île  parler  des   désordres  du 
prochain  :    en   premier    lieu,  lorsqu'on  est 
.  obligé  de  conférer  avec  des  personnes  sages 
pour  délibérer  avec  elles  de  la  manière  dont 
ou  corrigera  ceux  qui  ont  commis  quelques 
fautes;  c'est  alors  le  désir  de  leur  salut  qui 
nous  oblige  tle  découvrir  leurs  fautes;  mais 
cela  ne  regarde  i|ue  les   personnes  qui  sont 
chargées  devant  Dru  de  la  conduite  de ceu  \ 
dont  J  est  question.  Ln  second  lieu,  loi  >qu  il 
s'agît  de  pourvoir  à  la   sûreté  de  ceu\  qu., 
ne   connaissant   point    la  malice  et  1 
ruplion  d'un  méchant  homme,  pourrairi. 
fréquenter  comme   s'il  était  homme  de  bien. 
Ainsi,  suivant  ces  règles,  celui  qui,  ouïr- 
cas  de  celte  nécessite,  dit  quelque  i  hose  d'il  i 
autre,  ou  pour  l'accuser,  ou  pour  le  blâmer, 
est  un  médisant,  quand  même  ce  qu'il  dirait 


457 


SERMON  POUR  LE  SAMEDI  DE  LA  DEUXIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


438 


serait  vrai;  car  ici  il  n'est  pas  question  de 
ealomnie,  mais  de  médisance. 

Continuons  à  vous  en  donner  de  l'horreur, 
et  marquons  quelles  en  sont  les  suites;  car 
il  y  en  a  de  très-déplorables  :  c'est  son  second 
caractère  et  la  deuxième  partie. 

DEUXIÈME  PARTIE. 

Pour  bien  décrire  toutes  les  suites  de  la 
médisance  ,  il  faut  remarquer  ce  que  ce  pé- 
ché a  de  particulier.  Or  le  voici,  mes  frères  : 
c'est  que  du  même  coup  dont  celui  qui    le 
commet  se  frappe  lui-même  ,  il  blesse  celui 
qui  est  attaqué  par  sa  médisance,  et  ceux  qui 
la  lui  entendent  faire.  La  malignité  même  de 
ses  effets  se  porte  jusqu'aux  absents,  qui  ap- 
prennent la  médisance  quand  elle  est  faite. 
Pendant  que  les  autres  péchés  ne  corrompent 
tout  au  plus  que  le  coupable  et  son  complice, 
celui-ci  répand   son  venin  partout  ;  et  les 
effets  paraissent  même  plus  étonnants  à  l'é- 
gard de  ceux   qui  entendent  la  médisance  : 
car  après  lout,  qu'un  homme  se  perde  parce 
qu'il  le  veut,  il  est  dans  la  liberté  de  le  faire; 
qu'il  se  venge  d'un  homme   qu'il  croit  son 
ennemi,  ses  intérêts  l'y  portent  :  mais  qu'il 
perde  les  autres  parce  qu'il  se  veut  perdre, 
et  qu'il  engage  dans  les  désordres  de  son  pé- 
ché ceux  qui  n'ont  nulle  part  à  ce  qui  le  re- 
garde, c'est  ,  mes  frères  ,  ce  qui  me  paraît 
terrible  dans  ce  péché  ,  et  c'est  pourtant  un 
de  ses  effets.  Celui  qui  inédit ,  dit  le  Sage,  est 
comme  iin  serpent  qui  mord  en  secret,  et  fait 
pusscr  son  venin  dans  sa  morsure    Le  médi- 
sant répand  donc  son  poison  dans  l'âme  de 
celui  qui  l'écoute;  car  quelle  est  son  inten- 
tion ,  dit  saint  Bernard,   lorsqu'il  débite  sa 
médisance  ,  si  ce  n'est  de  rendre  méprisable 
celui  qu'il  a  entrepris  de  décrier  ,  et  de  faire 
en  sorte  que  ceux  devant  qui  il  en  dit  du 
mal  conçoivent  du  mépris  et  peut-être  de  la 
haine  dans  leur  cœur  ?  Et  en  vérité  on  n'a 
pas  beaucoup  de  peine  à  réussir;  car  natu- 
rellement nous  ne  sommes  pas  trop  portes  à 
avoir  bonne  opinion  de  notre  prochain,    et 
l'amour-propre  nous  fait  trouver  un  certain 
plaisir  dans  l'humiliation  d'autrui,  qui  nous 
ouvre   le   cœur   pour  recevoir  lout   ce  qui 
peut  donner  atteinte  à  sa  gloire,  avec  autant 
de  complaisance  que  si  on  nous  élevait  nous- 
mêmes  à  proportion   qu'on   l'abaisse.   Mais 
prenez  garde  ,  s'il  vous  plaît,  au  progrès  de 
cr  vice  :  ce  venin  n'a  pas  plutôt  attaqué  no- 
tre cœur  qu'il  commence  à  produire  son  effet 
par  le  mépris  que  nous  concevons  pour  ceux 
de  qui  nous  avions  de  l'estime  avant  la  mé- 
disance. Nous  nous  servons  ensuite  de  celte 
idée  qu'on  vient  de  nous  donner,  pour  juger 
de  leur  conduite  et  même  de  leurs  intentions 
sur  la  parole  d'un  homme  irrité;  voilà  le  ju- 
gement   téméraire.   Enfin  il   arrive  souvent 
que   (elle  idée  règle  notre  conduite   à  leur 
c^ard    :    nous     agissons    sur     l'impression 
que  nous  avons  reçue  et  sur  le  jugement 
que  nous  avons -formé,  traitant  mal  les  per- 
sonnes dont   on  nous   a  mal   parlé,  prônant 
des  mesures  contre  elles,  leur  faisant  des  af- 
faires. Et  voilà  l'injustice  :  car  quand  même 


ce  qu'on  a  dit  pourrait  être  vrai,  les  choses 
peuvent  changer  ,  et  il  n'est  pas  permis  de 
traiter  comme  un  coupable  celui  qui  est 
peut-être  innocent  devant  Dieu.  Mais  il  y  a 
plus,  nous  devenons  presque  toujours  mé- 
disants nous-mêmes  pour  écouter  un  homme 
qui  l'est.  La  dangereuse  crédulité  de  notre 
âme,  nous  faisant  prendre  pour  vrai  ce  qui 
nous  doit  être  toujours  très-suspect,  nous 
fait  très-souvent  débiter  pour  certain  ce  qui 
n'a  ordinairement  aucun  fondement  que  la 
passion  de  celui  qui  l'a  inventé.  Ainsi  nous 
voilà  médisants  nous-mêmes  ,  et  en  répan- 
dant le  venin  que  nous  avons  reçu,  nous  in- 
fectons tout  le  public.  Dangereux  piège  1  et 
d'autant  ph:s  dangereux  qu'on  ne  se  trouve 
presque  en  aucune  conversaiion  où  il  ne  soit 
tendu. Il  n'y  a  point  d'autre  remède  que  celui 
que  le  Sage  nous  donne.  Le  vent  d'aquilon, 
dit-il ,  dissipe  la  pluie  ,  et  le  visage  triste  la 
langue  médisante.  11  faut  prendre  en  cette 
rencontre  un  visage  sérieux,  qui  dans  notre 
silence  même  soit  une  secrète  condamnation 
de  la  médisance  de  ceux  auxquels  nous  ne 
pouvons  pas  nous  opposer  ouvertement,  à 
cause  du  respect  que  nous  leur  devons.  Je 
vous  exhorte,  mes  très-chers  frères,  à  garder 
exactement  cette  règle  comme  la  seule  qui 
puisse  vous  garantir  du  poison  de  la  médi- 
sance, et  qui  soit  capable  de  la  ruiner  dans 
son  principe  ;  car  ce  qui  irrite  davantage  la 
passion  de  médire,  c'est  la  pente  naturelle 
que  les  hommes  ont  à  écouter  ceux  qui  mé- 
disent et  à  médire  avec  eux;  au  lieu  que  si 
les  médisants  trouvaient  quelque  résistance 
dans  ceux  qui  les  écoutent,  ils  verraient  re- 
tomber sur  eux  la  honte  qu'ils  veulent  attirer 
sur  les  autres,  et  ils  craindraient  de  se  nuire 
plus  à  eux-mêmes  qu'à  ceux  qu'ils  auraient 
entrepris  de  décrier.  C'était  dans  cet  esprit- 
là  que  saint  Paul  défendait  aux  chrétiens  de 
Corinthe  de  manger  avec  les  médisants  ;  car 
c'est  en  quelque  façon  approuver  le  crime 
que  d'entretenir  quelque  commerce  avec  les 
vicieux.  11  n'est  pas  possible  de  rapporter 
les  différents  et  les  déplorables  effets  que  la 
médisance  produit  sur  ceux  qu'elle  décrie. 
Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'il  est  indubitable 
qu'elle  ruine  souvent  la  charité  dans  l'âme 
de  celui  qu'on  attaque;  car  un  homme  qui 
se  voit  déchiré  la  perd  ordinairement  à  l'é- 
gard de  celui  qui  le  déchire,  et  quelque 
vertu  qu'on  puisse  avoir,  on  n'apprend  guère 
avec  tranquillité  les  médisances  qui  nous 
blessent  et  qui  nous  flétrissent.  On  doit  en 
général  extrêmement  éviter  les  rapports,  do 
peur  d'irriter  ceux  de  qui  on  les  fait.  Tout 
le  monde  est  plein  de  faux  amis,  qui,  sous 
prétexte  de  nous  avertir  de  ce  qu'on  dit  de 
nous  ,  nous  irritent ,  mettent  le  poison  dans 
noire  cœur  et  nous  font  perdre  la  charité. 
Avez-vous  entendu,  dit  l'Ecriture,  une  parole 
contre  votre  prochain,  faites-la  mourir  dans 
vous.  On  ne  peut  pas  dire  ,  mes  frères,  jus- 
qu'où peut  aller  le  tort  que  la  médisance  fait 
à  un  homme  dans  le  commerce  du  monde  ; 
le  désordre  qu'elle  cause  dans  ses  affaires  , 
la  désolation  où  elle  le  met.  Celui-ci,  décrié 
dans  l'esprit  de  son  maître  ,  est  chassé  d'un 


n 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JKROME. 


140 


emploi  qui  faisait  s<>n  établissement,  et  sa 
famille»  qui  est  ruinée  par  ce  renversement, 

se  trouve  ensuite  exposée  à  mille  dangei  s 
pour  le  salut.  Cet  autre,  rendu  suspect  par 
la  même  \oie,  n'entre  point  dans  une  charge 
où  il  aurait  fait  un  très-grand  bien.  Il  de- 
meure inutile,  et  le  public  privé  du  bien  qu'il 
aurait  fait,  soit  dans  l'Eglise,  suit  dans  l'Etat. 
Quels  obstacles  les  médisances  et  les  calom- 
nies des  pharisiens  contre  Jésus-Cbrist  n'ouï— 
elles  pas  apportés  au  fruit  de  la  prédication  du 
Sauveur  du  monde!  Combien  de  gens  ont  été 
détournés  de  croire  en  lui  par  l'opposition 
que  les  doc  leurs  de  la  loi  ,  qui  étaient  en 
crédit  parmi  les  Juifs,  paraissaient  avoir 
pour  Sa  personne  et  pour  sa  doctrine  !  Quel 
toi  t  ont-ils  donc  fait  à  ceux  qui  se  seraient 
convertis  et  aux  Juifs  !  Et  quel  tort  la  mé- 
disance nu  fait-elle  pas  tous  les  jours  au 
fruit  <le  la  prédication  de  sa  parole  et  de  sa 
doctrine!  Quel  abîme,  ô  mon  Dieu  !  funeste 
médisance  !  par  là  on  met  des  divisions  dans 
des  familles,  on  allume  des  haines  qu'on  ne 
peut  plus  éteindre,  et  qui  deviennent  des 
sources  de  damnation  héréditaires  dans  des 
maisons.  .Mais,  outre  tous  ces  caractères  qui 
distinguent  ce  crime  et  que  nous  venons  de 
rapporter,  il  y  a  encore  celui-ci,  c'est  qu'on 
le  répare  plus  difficilement  que  les  autres, 
quoique  celte  difficulté  de  le  réparer  n'en 
ôle  pourtant  pas  l'obligation.  C'est  le  sujet 
du  troisième  point.  , 

TROISIÈME   PARTIR. 

Puisque  nous  avons  marqué  les  effets  de 
la  médisance  qui  en  rendent  les  suites  déplo- 
rables, et  que  nous  avons  fait  voir  que  le 
même  coup  dont  celui  qui  le  commet  se  tue 
lui-même,  blesse  mortellement  celui  de  qui 
il  fait  la  médisance  et  ceux  qui  la  lui  enten- 
dent faire,  il  faut  que  la  réparation  de  ce  pé- 
ché, pour  être  parfaite,  se  porte  sur  ces  me- 
nu s  effets,  et  que  pour  cela  le  médisant 
change  de  conduite,  que  celui  dont  il  médit 
soit  rétabli  devant  les  hommes,  et  enfin  que 
le  public  soit  désabuse. 

Or,  mes  frères,  les  facilités  que  nous  avons 
à  commettre  ce  péché,  et  dont  nous  avons 
parlé.  se  changent  en  difficultés  quand  il  en 
faut  faire  pénitence,  et  ce  qui  rend  sa  nais— 
sance  aisée  s'oppose  à  sa  destruction.  En 
effet,  il  faut  être  bien  vigilant  pour  ne  pas  se 
laisser  surprendre  à  une  inclination  qui  est 
née  avec  nous  ,  qui  est  comme  mêlée  dans 
les  qualités  du  tempérament,  cl  qui  Halte  no- 
tre amour-propre  si  délicatement,  surtout 
quand  nous  nous  sommes  laisses  alierà  ce 
penchant,  et  que  nous  avons  suivi  cette  pente 
avec  plaisir.  11  faut  qu'un  homme  superbe 
soit  bien  changé  pour  fermer  les  yeux  sur 
les  faiblesses  du  prochain,  et  les  tenir  telle- 
ment ouverts  suc  ses  propres  défaut*,  que  , 
toujours  occupé  de  ses  misères,  il  ne  regarde 
plus  celle  des  autres.  11  faut  un  prodigieux 
changement  dans  un  homme  du  monde  pour 
l'obliger  de  luir  les  conversatioi  s  où  l'on 
médit  ;  ou  bien  il  lui  faut  une  grande  force 
pour  les  entretenir  sans  médire.  Il  faut  nue 
grande  foi,  et  que  les  jugementl  de  Dieu 


aient  fait  une  forte  impression  sur  nos  esprits 
pour  regarder  tfrex  horreur  ce  que  le  monde 
regarde  avec  complaisance,  et  pour  détester 
comme  un  crime  digne  de  toute  la  colère  de 
Dieu  ce  qui  nous  attire  l'approbation  et  les 
applaudissements  des  hommes  :  oui,  mes  frè- 
res, ces  difficultés  ont  obligé  les  saints  l'eres 
à  regarder  le  crime  cl  l'habitude  de  la  mé- 
disance comme  une  marque  de  réprobation, 
et  à  nous  faire  remarquer  que,  dans  le  cours 
de  la  passion  du  Sauveur  ,  un  disciple  qui  a 
fui  vient  rejoindre  son  maître,  un  apôtre  qui 
l'a  renié  fait  pénitence,  un  traître  qui  l'a 
trahi  se  repent  et  s'étrangle  lui-même  pour 
s'en  punir  ;  mais  que  pas  un  des  pharisiens 
ne  vient  se  dédire  des  médisance!  qu'ils 
avaient  faites  contre  un  innocent. 

Pour  ce  qui  regarde  les  intérêts  de  la  per- 
sonne qui  a  été  ilélrie  par  la  médisance,  les 
difficultés  de  la  réparation  sont  encore  plus 
grandes.  L'honneur  est  un  sentiment  si  déli- 
cat, qu'on  ne  guérit  jamais  parfaitement  les 
plaies    qu'on   lui    a   faites    une  fois,   el  que, 
quelques  soins  que  vous  preniez  de  contre- 
dire ce  que   vous  avez  dit,  il  demeure  une 
certaine  tache,  une  certaine  cicatrice  sur  ce- 
lui de  qui   vous  avez  parlé,  surloul  si   vous 
êtes  un  homme  d'autorité  et  de  crédit.  Il  y  a 
de  certaines  impressions  qui  se  font  sur  ceux 
qui  ont  entendu  ce  que   vous  avez  dit,  elles 
ne  s'effacent  jamais  entièrement.  On  m'a  dit 
une  chose  contre  une  personne  :  j'ai  tous  les 
sujets  du  monde  de  la   croire   fausse,  je  le 
prouverais  peut-être  bien  à  une  autre  ;  mais 
je  ne  puis  plus  m'en  convaincre  si  parfaite- 
ment que  celle  idée  ne  se  présente  à  moi  tou- 
tes les  fois   qu'on  me  parlera  de  cette   per- 
sonne, et  il  faut  que  la  raison  et  la  considé- 
ration de  la  justice  fassent  de  grands  efforts 
pour  m'empêcher  de  ne  pas  me  déterminer 
sur   son    chapitre  par  cette  idée   qu'un  tel 
m'en  a  donnée.  Mais  allons  plus  loin  :  nous 
ne  voyons   point  d'hommes   qui   songent  à 
restituer  à  un  autre  ccqu'ils  peuvenllui  avoir 
fait  perdre  par  les  mauvais  discours  qui  ont 
ruiné  ses   affaires  et  renversé  sa   fortune. 
Nous  n'en  voyous  point  qui   s'appliquent  à 
faire  autant  de  bien  sir  tel  article  qu'ils  peu- 
vent avoir  fait  de  mal  ;  ou  n'en  trouve   pas 
même  qui  pensent  à  connaître  les  mauvaises 
suites  que  leurs  médisances  ont  pu  avoir,  et 
à  rechercher  les  dommages  qu'elle!  ont  pu 
ai  uir  causes.  On  les  regarde  toujours  comme 
legèies.  et  ou  ne  se  persuade  jamais  que  ce 
qui  est  léger  puisse  produire  de  grands  et  de 
funestes  effets  :  ainsi  le  prochain,   flétri  dans 
son  honneur,  déchiré   dans   sa    réputation, 
détruit  dans  sa  fortune  par  la  médisante,  de- 
meure accable  sous  l'injustice  ;  t  t  celui   qui 
tombe  dans  ce  vice  demeure  eu  repos,  sans 
penser  même  qu'il  est  obligé  de  la  reparer. 
La   doctrine  de  Jésus-lin  isl  est   rejetée,   sa 
vertu    rendue  suspecte,   ses  miracles  traites 
comme  des  opérations  de  l'esprit  malin,  sa 
personne  attachée  sur  la  croiv,  et  li  s  pbari- 
Bieus  s'apjil  ludissenl  du  BU<  ces  de  leurs  mé- 
disances. Vos  »  enlables  disciples  so.it  liâtes 
à  peu  près  de  même,  6  mon  Dieu  !  Les  justes 
sont  opprimés   par  les  méchants,   et  on   ne 


dl 


SERMON  POUR  LE  TROISIEME  DIMANCHE  DE  CAREME. 


442 


songe  pas  à  ce  qu'on  leur  doit  ;  ces  injustices 
ont  commencé  avec  le  monde  ;  on  se  trompe 
bien  quand  on  espère  de  voir  en  cette  vie 
l'impiété  humiliée  el  l'innocence  victorieuse. 
C'est  un  bien  réservé  pour  l'éternité  ;  cepen- 
dant, mes  frères,  cette  réparation  est  néces- 
saire pour  opérer  son  salut. 

Enfin  ce  qui  rend  la  médisance  si  difficile 
à  réparer,  c'est  qu'on  ne  réussit  pas  ordinai- 
rement à  désabuser  ceux  devant  qui  elle  a 
été  faite  ;  ils  raillent  souvent  quand  on  en- 
treprend de  le  faire,  ils  vous  traitent  de 
scrupuleux,  et  il  leur  reste  des  impressions 
dont  vous  n'êtes  point  le  maître,  quoique  vous 
en  soyez  les  auteurs.  Vous  l'êtes  bien  moins 
encore  de  celles  qu'elles  ont  faites  sur  mille 
autres  personnes  qui  vous  ont  entendu  mé- 
dire, el  c'est  dans  ce  sens  que  le  Sage  com- 
pare les  paroles  du  médisant  au  vol  des  oi- 
seaux ;  car  comme  on  ne  peut  arrêter  les  oi- 
seaux quand  ils  sont  en  l'air,  et  qu'ils  s'en- 
volent sans  qu'on  sache  où  ils  vont,  ainsi  une 
parole  qui  déshonore  la  réputation  du  pro- 
chain n'est  plus  en  la  puissance  de  celui  qui 
l'a  dite.  Elle  se  répand  de  tous  côtés  en  un 
instant  par  les  divers  rapports  qu'on  eu  fait, 
sans  qu'on  puisse  prévoir  les  mauvais  effets 
qu'elle  peut  avoir.  Mais  quoi  donc,  me  direz- 
vous,  il  faut  donc  se  désespérer  quand  on  se 
trouve  coupable  de  beaucoup  de  médisances  ? 
Non,  mes  frères,  mais  la  pénitence  et  la  ré- 
paration de  ce  péché  sont  très-difficiles.  En 
effet,  quand  on  veut  penser  sérieusement  à 
la  faire  ,  il  faut  prendre  toutes  sortes  de 
moyens  pour  réparer  le  tort  qu'on  a  fait  au 
prochain;  il  faut  consulter  vos  pasteurs  et 
des  j^ens  sages  et  éclairés,  pour  examiner 
avec  eux  la  nature  et  le  degré  de  votre  pé- 
ché, elles  suites  qu'il  peut  avoir  eues,  afin 
d'y  apporter  le  remède  le  plus  convenable.  11 
faut  en  faire  pénitence  en  le  détestant  devant 
Dieu,  en  cessant  de  le  commettre,  en  évitant 
les  compagnies  qui  vous  y  engagent,  en  vous 
retirant  du  grand  monde,  en  gardant  le  si- 
lence, eu  ne  vous  occupant  plus  que  de  la 
vue  de  vos  misères,  en  fermant  les  yeux  à 
celles  du  prochain,  en  vous  faisant  une  loi 
de  n'en  parler  jamais  que  pour  en  dire  du 
bien.  Ces  mêmes  règles  vous  peuvent  servir 
pour  vous  empêcher  de  tomber  dans  ces 
désordres,  si  ce  n'est  pas  en  vous  un  péché 
d'habitude.  Ayez  une  attention  particulière 
pour  ne  rien  dire  qui  puisse  offenser  le  pro- 
chain ;  que  les  malheureuses  facilités  qui 
nous  engagent  dans  ce  péché  augmentent 
votre  attention  ;  que  les  déplorables  effets 
qu'il  produit  vous  en  éloignent  ;  que  l'extrême 
difficulté  de  le  réparer  vous  le  fasse  craindre. 
Enfin  aimons  nos  frères,  vivons  avec  eux 
dans  la  paix,  c'est  un  commencement  du  bon- 
heur  éternel  ;  je  vous  le  souhaite.  Ainsi 
soit-il. 

SERMON 

II  II  î.i;  TROISIÈME  DIMANCHE  DE  CAREME. 

De  l'amour  de  Dieu. 

Omne  rpgnuni  ,n  seipsuiu  divin  m  desolabilnr. 

Tout  rmiuume  (iivi.sii  contre  lui-même  sera  déiruil  (Luc. 
\I,  17).    '  v 

lé  veux  appliquer  ceé  paroles  de  l'Evan- 


gile au  cœur  de  l'homme,  qui  est  si  souvent 
appelé  le  royaume  de  Dieu  dans  l'Ecriture, 
et  vous  faire  voir  aujourd'hui  comment  la 
division  de  ce  royaume  en  cause  la  deslruc- 
i  lion.  Celte  division  est  produite  par  le  par- 
tage des  affections  du  cœur,  et  lorsque 
l'homme,  qui  se  doit  tout  entier  à  Dieu,  se 
veut  donner  en  partie  à  la  créature,  il  tombe 
dans  cette  division  qui  cause  sa  ruine  :  c'est 
ce  qu'il  sera  facile  de  vous  faire  voir.  Mais 
comme  il  ne  suffit  pas  de  découvrir  à  l'homme 
les  maux  dont  il  est  menacé,  si  en  même 
temps  on  ne  lui  en  donne  les  remèdes,  je 
ne  veux  pas  me  contenter  de  vous  dire  qu'il 
faut  que  l'homme  n'aime  que  Dieu,  et  qu'il 
est  malheureux  lorsqu'il  aime  autre  chose  : 
je  veux  vous  expliquer  tout  ce  qui  regarde 
ce  commandement  de  la  loi  nouvelle,  autant 
que  Dieu  m'enrendra  capable,  et  je  vaisdivi- 
ser  cette  matière  en  quatre  propositions. 

Dans  la  première,  je  vous  ferai  voir  que 
l'homme  est  obligé  d'aimer  Dieu,  et  qu'il  est 
misérable  quand  il  manque  à  cette  obliga- 
tion :  première  partie;  2"  je  vous  découvrirai 
en  quoi  consiste  cet  amour  de  Dieu,  afin  que 
l'homme  ne  s'abuse  pas  en  croyant  l'avoir, 
quand  il  ne  l'a  point  :  ce  sera  la  seconde 
partie. 

Dans  le  discours  suivant,  nous  ferons  voir, 
3°  quelle  doit  être  la  mesure  de  cet  amour; 
4°  enfin  je  vous  donnerai  des  règles  pourcon- 
naflre  si  nous  avons  cet  amour,  et  en  quel 
degré  il  est  en  nous. 

Aujourd'hui  nous  n'examinerons  donc  que 
les  deux  premières  propositions.  Demandons 
l'assistance  du  ciel.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Tout  le  monde  convient  qu'il  faut  aimer 
Dieu,  mais  peu  de  gens  s'appliquent  comme 
ils  le  doivent  à  remplir  ce  lie  obligation.  Ainsi, 
mes  frères,  mon  dessein  n'est  pas  propre- 
ment d'établir  ce  premier  devoir  des  chré- 
tiens, qui  n'est  combattu  de  personne;  mai» 
je  veux  en  combattre  la  négligence,  et  si  je 
vous  montre  les  fondements  de  cette  obliga- 
tion dans  la  première  partie  de  ce  discours, 
ce  n'est  que  pour  vous  découvrir  la  terrible 
condamnation  que  vous  vous  attirez  en  ne 
vous  appliquant  pas  à  la  remplir.  Voici  donc, 
mes  frères,  les  fondementsdeeelleobligation  : 

1°  La  nalure  de  l'être  du  chrétien  :  il  n'est 
fait  que  pour  aimer  Dieu  ;  2°  la  perfection  de 
sou  être  :  il  ne  la  peut  trouver  que  dans 
l'exercice  de  cet  amour;  3"  le  commandement 
qui  lui  en  est  fait,  qui  ne  lui  laisse  aucun 
prétexte  de  s'en  dispenser. 

En  effet ,  mes  frères,  nous  ne  connaissons 
pas  la  nature  de  notre  être  comme  chrétiens, 
si  nous  ne  savons  pas  que  nous  ne  sommes 
faits  que  pour  aimer  Dieu.  C'est  ce  que  saint 
Augustinnousrépètecn  tant  d'endroits  deses 
admirables  ouvrages.  Toute  la  différence,  dit 
ce  saint  docteur,  qu'il  y  a  entre  un  Juif  el  un 
chrétien,  est  formée  par  la  crainte  el  par 
l'amour  :  Soyez  les  imitateurs  de  Dieu,  dit 
saint  l'aul,  comme  étant  ses  enfants  bien- 
uimés.  Dieu  a  fait  les  créatures  pour  leur 
faire  porter  les  traits  de  ses  divines  perfec- 


;»:, 


ORATEl'RS  SACRES.  HOM  JEROME. 


141 


lions,  mais  il  a  adopté  ses  enfants  pour  avoir 
des  objets  et  des  imitateurs  de  son  amour. 
Or  pour  bien  entendre  eeci .  il  faut  supposer 
quelques  vérités  importantes. 

Première  vérité,  c'est  que  l'homme  en  gé- 
néral n'.i  été  fait  que  pour  aimer  Dieu  :  c'est 
la  fin  que  Dieu  s  est  proposée  dans  sa  créa- 
tion, lui  imprimant  en  lui  les  traits  de  sa 
divinité,  il  a  versé  dans  son  cœur  des  étin- 
celles de  son  amour.  C'est,  mes  frères,  ce 
que  nous  enseigne  le  grand  saint  Rasile, 
lorsqu'il  dit  que  la  charité  que  nous  devons 
avoir  pour  Dieu  n'est  pas  une  chose  qui 
s'enseigne,  ni  qui  s'acquiert  par  une  in- 
struction étrangère,  mais  qu'à  l'instant  que 
l'homme  a  été  créé,  notre  constitution  natu- 
relle nous  a  donné  une  faculté  raisonnable 
qui  nous  fait  trouver  en  nous-mêmes  cette 
inclination  à  aimer  Dieu.  Car  comment  pour- 
rait-il se  faire,  ajoute-t-il,  qu'étant  portés 
naturellement  à  aimer  ce  qui  est  aimable,  et 
ceux  à  qui  nous  avons  obligation,  nous  eus- 
sions manqué  d'aimer  Dieu  à  qui  nous  som- 
mes infiniment  obligés,  et  qui  est  infiniment 
aimable? 

Seconde  vérité,  c'est  que  le  péché  qui'a 
corrompu  l'homme  a  affaibli  les  perfections 
qu'il  avait  reçues  dans  sa  création.  Il  lui 
reste  à  la  vérité  quelques  lueurs  qui  luj  font 
reconnaître  la  grandeur  de  Dieu,  mais  il 
ne  lui  reste  aucune  étincelle  de  ces  divines 
flammes  qui  le  porte  à  l'aimer.  De  là  vient 
que  nous  avons  vu  des  philosophes  qui  ont 
eu  quelques  connaissances  de  Dieu,  mais 
qui  n'ont  jamais  ni  pratiqué  ni  enseigné  son 
amour. 

Troisième  vérité,  c'est  que  lorsque  Dieu  a 
voulu  rétablir  la  loi  de  cet  amour,  il  a  com- 
mencé cet  ouvrage  dansle  premier  testament, 
où  il  a,  dit  saint  Augustin,  écrit  sa  loi  sur 
des  labiés  de  pierre,  afin  que  les  Juifs,  la 
voyant  devant  leurs  yeux,  apprissent  qu'elle 
avait  été  écrite  autrefois  dans  le  cœur  de 
l'homme,  afin  qu'ils  craignissent  le  péchéqui 
l'avait  effacée,  et  qu'ilsdèsirasscntlcKédemp- 
teur  qui  devait  venir  la  rétablir.  C'est  donc 
par  lui  que  cet  ouvrage  a  été  accompli  ;  c'est 
cet  homme  nouveau  qui  est  venu  établir  le 
règne  de  l'amour  de  Dieu  dans  le  monde; 
c'est  pourquoi  saint  Paul  appelle  son  incar- 
nation et  sa  venue  au  monde  le  grand  mys- 
tère de  la  piété  :  Magnum  pietalis  sacramen- 
tum  ;  comme  s'il  voulait  dire,  le  grand  ou- 
vrage de  l'amour,  le  désir  de  rétablir  le  cœur 
de  l'homme,  l'amour  de  Dieu  pour  l'homme 
ne  pouvant  le  porter  à  rien  de  plus  grand 
que  de  faire  son  Fils  homme,  et  de  nous 
apprendre  parla  qu'il  voulait  que  nous  l'ai- 
massions par  son  Fils  et  dans  son  Fils. 

C'est,  mes  frères,  celte  dernière  vérité 
qui  nous  découvre  la  nature  de  notre  être. 
Comme  chrétiens  nous  ne  composons  qu'une 
seule  et  unique  personne  avec  Jésus-Christ. 
Tous  les  chrétiens,  étant  les  membres  d'un 
corps  mystique  dont  il  est  le  chef,  ne  doivent 
point  avoir  d'autre  vie  ni  d'autre  espril  que 
le  aien,  et  -par  conséquent  d'autre  être  que 
celui  de  Jésus-Christ.  Si  donc  le  Sauveur  du 
inonde  a  élé  formé  pour  apaiser  la  colère 


de  Dieu  et  pour  l'aimer,  et  si  Dieu  a 
rassemblé  tous  les  chrétiens  dans  son  Fils 
pour  l'établir  leur  chef  et  ne  former  qu'un 
corps  d'eux  tous,  afin  de  ne  voir  en  eux  loua 
que  son  Fils  et  que  leur  amour  fût  le  même 
que  le  sien,  comme  les  actions  du  corps  ne 
sont  pas  différentes  de  celles  du  chef,  l'être 
du  chrétien  est  donc  un  être  d'amour,  et  il 
n'est  fait  véritablement  que  pour  aimer  Dieu. 

Voilà,  mes  frères,  le  premier  fondement 
de  celle  obligation  indispensable;  l'autre  en 
est  une  suite  :  car  si  le  chrétien  n'est  fait  que 
pour  aimer  Dieu,  il  ne  peut  trouver  la  per- 
fection de  son  élro  que  dans  l'exercice  de  cet 
amour,  comme  l'homme  naturel  ne  trouve  la 
perfection  de  sa  vie  que  dans  les  actions  de 
la  vie  même,  par  lesquelles  il  croit  et  s'avance 
jusqu'à  un  âge  formé  et  parfait.  N'est-ce  pas 
ce  que  nous  enseigne  saint  Paul,  lorsqu'il 
dit  que  nous  sommes  l'ouvrage  de  la  grâce 
du  Sauveur,  étant  créés  en  Jésus-Christ 
dans  les  bonnes  œuvres,  afin  que  nous  y  mar- 
ehiont.  Nous  sommes  donc  son  ouvrage, 
élant  créés  en  Jésus-Christ  dans  les  bonnes 
œuvres.  Or  qu'est-ce  qu'être  créé  en  Jésus- 
Christ,  sinon  de  n'avoir  d'être,  de  vie,  de  sub- 
sistance, de  mouvement,  d'opération  qu'en 
lui  et  par  son  esprit  et  sa  grâce:  en  sorte 
que,  pratiquant  la  vérité  par  la  charité,  nous 
croissions  en  toutes  choses  dans  Jésus-Christ, 
qui  est  notre  chef,  jusqu'à  ce  que  nous  par- 
venions à  l'état  d'un  homme  par  fait,  à  la  mesure 
de  l'âge  et  de  la  plénitude,  selon  laquelle  Jésus* 
Christ  doit  être  formé  en  nous? 

Par  où  vous  voyez,  mes  Irès-chers  frères, 
que  l'Apôtre  parle  de  la  formation  et  de  la 
perfection  de  l'homme  chrétien  comme  de 
celle  de  l'homme  naturel,  et  qu'ainsi  on 
doit  dire  que  si  l'homme  naturel  n'est  formé 
que  pour  vivre,  et  qu'il  ne  peut  arriver  qu'en 
vivant  à  la  perfection  de  son  être,  l'homme 
chrétien  qui  est  formé  par  la  grâce  pour  aimer 
Dieu  par  Jésus-Christ  cl  dans  Jésus-Christ, 
avec  lequel  il  ne  forme  qu'un  corps,  ne  peut 
arriver  à  la  perfection  du  christianisme  que 
par  l'amour.  De  là  saint  Paul  fait  sorlir  toutes 
les  vertus  qui  concourent  à  la  perfection  de 
l'homme  chrétien,  de  la  charilé,  comme  de 
leur  source;  et  il  renferme  toute  l'observation 
de  la  loi  dans  l'amour.  Voilà,  mes  frères,  le 
second  fondement  de  l'obligation  où  nous 
sommes  tous  d'aimer  Dieu  :  non-seulement 
nous  ne  pouvons  arriver  à  la  perfection  que 
par  l'amour  de  Dieu,  mais  nous  ne  pouvons 
vivre  spirituellement  qu'eu  l'aimant. 

Le  troisième  fondement  de  celle  obligation 
est  établi  sur  le  commandement  que  Dieu 
nous  a  fait  de  l'aimer,  qu'il  appelle  lui-même 
le  premier  et  le  grand  commandement.  Mon 
Dieu,  dit  saint  Augustin,  qui  étes-vous  et  qui 
suis- je  pour  m'honorer  d'un  commandement 
aussi  dons  que  celui  de  vous  aimer,  et  pour  ne 
pas  soutïrirque  j'y  manque,  sans  vous  mettre 
en  colère  contre  moi,  et  sans  me  f.iire  des 
menâtes?  N'esl-ce  pas  une  assez  grande  mi- 
sère de  ne  vous  point  aimer".'  En  nous  faisant 
ce  commandement,  il  n'a  donc  songe  qu'à 
notre  bien  ;  car,  comme  dit  le  même  Père, 
l'ulilile  de  tous  ses  préceptes  n'eet  que  pour 


SERMON  POUR  LE  TROISIEME  DIMANCHE  DE  CAREME. 


445 

nous.  Dieu  esl  heureux  sans  que  nous  l'ai- 
mions :  mais  nous  ne   saurions   l'être  sans 
l'aimer.  C'est  pourquoi,  voulant  nous  rendre 
heureux,   il  nous  fait  une  loi  de  cet  amour. 
Entrons  un  peu  dans  la  considérai-ion  de 
cette  tendre  conduite deDieu  sur  nous:  ilcon- 
naîtl'inconstanceet  lalégèrelédenotre  cœur, 
ilavoulule  ûxerparun  précepte,  et  donner  à 
l'homme  le  moyen  de  reconnaître  par  un  seul 
commandement  tous  les  biens  qu'il  a  reçus 
de  lui,  qui  sont  en  si  grand  nombre  qu'il  est 
impossible  de  les  compter,   et  dont  la  gran- 
deur  est  si  vaste,   qu'un  seul  de  ses  bien- 
faits le  devait  obliger  à  rendre  toutes   sortes 
d'actions  de  grâces  à  son  bienfaiteur.   Tels 
sont,  par  exemple,   les  soins  qu'il  a  pris  de 
lui,  depuis  qu'il  s'est  laissé  surprendre  par 
les  artifices  du  serpent,  et  qu'il  est  tombé 
dans  le  péché,  et  du  péché  dans  la  mort.   Il 
lui  a  donné  la  loi  pour  secours,   les  anges 
pour  guides,   les  prophètes  pour  maîtres.  Il 
a  essayé  d'arrêter  par  la  terreur  et  par  les 
menaces  l'inclination  qu'il  avait  au  mal.  Il 
a  excité  par  les  récompenses  le  penchant  na- 
turel qu'il  pouvait  avoir  vers  le  bien;  il  s'est 
servi   de  la  mort  de   différentes   personnes 
pour  le  faire  rentrer  en  lui-même.  Tout  cela 
peut  assurément  rendre  Dieu  maître  absolu 
du  coeur  de   l'homme;    mais,  outre   le  don 
qu'il  nou9  a  fait  de  son  Fils,   qu'il  a  envoyé 
pour  nous  retirer  de  la  mort  et  pour  nous 
donner  une  nouvelle  vie  toute  d'amour,  il 
veut  encore  nous  lier  à  lui  par  un  comman- 
dement, et  nous  rendre  l'obligation  de  l'aimer 
indispensable,   en    faisant  un  précepte  qui 
renferme  toute  la  loi.   Aussi  l'appelle-l-il  le 
premier  et  le  plus  grand  de  tous  les  précepics, 
afin  que,  connaissant  que  nous  ne  pouvons 
l'accomplir  sans  son  secours,  nous  sachions 
en  même  temps  qu'il  est  prêt  à  nous  l'accor- 
der, puisqu'il  nous  oblige  de  l'accomplir  par 
un  commandement  exprès. 

H  rappelle  le  premier  ci  le  plus  grand  de 
tous  les  précoptes,  afin  de  faire  comprendre 
à  l'homme  que  s'il  méprise  tous  les  soins 
qu'il  a  pris  do  se  rendre  aimable,  et  tous  les 
mouvements  que  sa  tendresse  l'engage  à.  se 
donner  pour  gagner  son  cœur,  il  se  revêtira 
de  toute  sa  puissance  pour  se  venger  de  tous 
ses  mépris  et  de  son  ingratitude.  Après  vous 
avoir  découvert,  mes  très-clicrs  frères,  ces 
fondements  de  l'obligation  où  nous  sommes 
d'aimer  Dieu  oldel'aimer  sur  toutes  choses, 
il  n'est  pas  difficile  de  vous  faire  conclure 
qu'un  homme  qui  néglige  de  la  remplir  s'al- 
lirc  une  effroyable  condamnation,  et  com- 
bien il  se  rend  misérable  en  n'aimant  pas 
son  Dieu.  Quelle  plus  terrible  condamna- 
tion, en  effet,  que  d'être  frappé  d'analhème 
par  un  apôtre  qui  le  fulmine  contre  ceux 
qui  n'aimrnt  pas  Jésus-Christ  I  Toutes  les  af- 
fections étrangère!,  dit  saint  Chrysoslomc, 
nous  séparent  in  visiblement  de  Dieu  dès 
celle  vie.  jusqu'à  ci;  qu'elles  nous  en  sépa- 
rent pour  jamais  dans  l'autre.  Quelle  plus 
terrible  condamnation  que  d'être  rejeté  par 
•Jésus-Christ,  qui  déclare  indigne  de  lui  celui 
Oltl  aime  son  père  ou  sa  mère  plus  que  lui  I 
Mais  aussi,  mes  frères ,  quoi  de  plus  digne 


446 


de  cette  condamnation   qu'un  homme  qui, 
comme  dit  le  grand  saint  Basile,  devient  vo- 
lontairement et  par  son   choix  un  sujet  de 
confusion  à  Jésus-Christl  car,  selon  la  pen- 
sée de  ce  Père,  le   démon,   qui   nous  séduit 
maintenant,  et  qui  met  tout  en  usage  pour 
nous  faire  oublier    notre  bienfaiteur    par 
l'attachement  qu'il  nous  donne  aux  charmes 
trompeurs  de  ce  monde,   ne   manquera   pas 
d'insulter  à  notre  perte  et  à  notre  condam- 
nation, et  de  nous  couvrir  de  honte  au  sortir 
de   cette  vie,   en   nous    reprochant    devant 
Dieu  le  mépris  que  nous  avons  fait  de   ses 
bontés,  et  il  fera  gloire  de  nous  convaincre 
de  désobéissance,  d'infidélité  et  d'apostasie, 
par  le  mépris  que  nous  avons  fait  des  com- 
mandements de  Dieu.  J'avoue,  dit  ce  grand 
saint,  que  cette  insolence  outrageuse  avec 
laquelle   il   s'élèvera   contre    Dieu,  et   cette 
gloire  de  notre  ennemi,  qui  pourra  se  vanter 
d'avoir  été  préféré,  tout  trompeur   et  tout 
méchant   qu'il   est,  à  un  Dieu  qui   nous   a 
comblés  de  se9  biens  et  qui  n'a  rien  oublié 
pour  se  faire  aimer  de  nous,  me  paraît  plus 
insupportable   que  tous   les   tourments    de 
l'enfer,  n'y  ayant  rien  de  plus  horrible  pour 
un  chrétien  que  d'avoir  donné  à   l'ennemi 
de  Jésus-Christ  l'occasion  et  la   matière  de 
s'élever  contre  celui  qui  est  mort  et  qui  est 
ressuscité  pour  nous,  et  à  qui  nous  sommes 
redevables  de  tout. 

C'est  néanmoins  ce  que  nous  faisons  tous 
les  jours  :  nous  préparons  durant  cette  vie 
à  l'ennemi  de  Jésus-Christ  le  triomphe  dont 
il  jouira  à  notre  mort.  Ceci  est  sensible,  mes 
frères,  car  comme  nous  ne  saurions  servir 
deux  maîtres,  qu'il  faut  nécessairement  que 
l'un  donne  l'exclusion  à  l'autre,  et  que  celui 
que  nous  servons  règne  dans  notre  cœur  et 
que  nous  soyons  à  lui,  ainsi,  mes  frères,  l'en- 
nemi de  Jésus-Christ  y  règne,  si,  au  préju- 
dice de  l'amour  que  nous  lui  devons,  nous 
sommes  attachés  aux  créatures  et  aux  faux 
biens  de  ce  monde  trompeur.  Au  moment  de 
notre  mort,  montrant  les  armes  dont  il  s'est 
servi  pour  nous  vaincre,  il  insultera  à  Jésus- 
Christ,  en  lui  faisant  voir  que  les  objets  de 
nos  passions  ont  eu  plus  de  charmes  pour 
notre  cœur  quelui-mêmeavec  toute  sa  gloire. 
Mon  Dieu,  de  quelle  condamnation  un  cœur 
ne  se  sent-il  pas  digne  par  une  si  horrible 
perfidie  1  Vous  n'attendez  pas  à  la  punir  dans 
l'éternité,  Seigneur,  mon  Dieu  ;  et  le  désir  de 
sauver  cet  homme  qui  veut  se  perdre  en  re- 
jetant votre  amour  vous  oblige  à  lui  faire 
ressentir  dès  celte  vie  la  misère  effroyable  où 
il  s'engage  lorsqu'il  vous  abandonne,  en  lui 
faisant  trouver  sa  peine  dans  les  objets  mê- 
mes de  son  indigne  amour. 

C'est  là  l'effet  d'un  déplorablo  aveugle- 
ment, ô  homme  malheureux  1  de  ne  pas  pro- 
filer de  cette  conduite  de  ton  Dieu,  et  de 
vouloir  être  misérable  dans  le  temps  cl.  dans 
l'éternité,  quand  tu  peux  être  heureux  dans 
l'un  et  dans  l'autre  eu  aimant  ton  Dieu. 
Saint  Crégoirc,  dans  sou  commentaire  sur 
Job,  fait  une  belle  distinction  des  œuvres  dos 
hommes.  Il  y  a  dans  celle  vie,  dit  <  c  saint 
I  pape,  des  actions  laborieuses,  il  y  en  a  de 


U7 


ORATF.UHS  BACHES.  DOM  JEROME. 


418 


raines,  mais  il  s'en  trouve  qui  sonl  tout  en- 
semble et  vaincs  et  laborieuses.  Supporter 
les  maux  de  la  vie  présente  pour  l'amour  de 
Dieu,  c'est  une  chose  pénible,  mais  qui  n'est 
pas  vaine;  s'abandonner  aux  voluptés  par 
un  amour  déréglé  pour  le  siècle,  c'est  une 
chose  vaine  qui  n'est  pas  pénible  ;  mais 
souffrir  les  maux  et  les  disgrâces  du  monde 
pour  l'amour  du  monde,  c'est  assurément 
une  chose  qui  est  tout  ensemble  et  vaine  et 
laborieuse,  puisque  la  peine  et  la  douleur 
de  l'esprit  ne  sont  point  soulagées  par  la 
consolation  de  la  récompense.  Le  premier 
état  est  celui  des  iustes  qui  craignent  Dieu, 
qui  l'aiment  et  à  qui  tout  est  utile  pour  le 
salut  ;  le  second  est  celui  des  pécheurs  livrés 
à  l'iniquité,  qui  n'aiment  ni  ne  craignent 
Dieu;  le  Iroisième  est  celui  d'un  irès-grand 
nombre  de  gens  qui  ne  sont  pas  absolument 
livrés  à  l'iniqui'.é,  mais  qui  sont  remplis  et 
pénétrés  de  l'amour  du  monde  ;  en  telle  sorte 
que,  sans  penser  à  Dieu,  ils  ne  travaillent 
qu'à  s'en  faire  aimer,  et  ils  ne  songent  qu'à 
posséder  ce  monde  et  ses  biens. 

Or,  mes  frères,  la  vie  de  ces  personnes  est 
tout  ensemble  et  vaine  et  laborieuse.  Elle 
est  vaine  :  car,  hélas  !  qu'est-ce  que  toute  la 
vie  de  l'homme  du  monde  le  plus  occupé, 
mais  qui  n'aime  point  Dieu?  C'est  une  gran- 
de fable  et  un  long  mensonge,  dit  saint  Au- 
gustin. Elle  est  laborieuse,  et  c'est  l'effet  de 
l'indignation  de  Dieu  dans  celte  vie,  sur 
l'homme  qui  lui  ôte  son  cœur  pour  le  donner 
au  monde.  Je  ne  veux  alléguer  d'aulres 
preuves  que  celle  que  votre  propre  expérien- 
ce vous  fournit.  Appliquez-vous  à  vous-mê- 
mes, mes  très-chers  frères,  et  considérez 
quelle  est  la  situation  de  votre  cœur,  tantôt 
agile  par  de  vaines  jo'es,  tantôt  rempli  de  dé- 
sirs qui  lui  font  perdre  le  repos,  tantôt  ef- 
frayé par  des  craintes  sans  fondement  et  sans 
utilité. 

Figurez-vous  quelque  étal  que  vous  vou- 
drez en  cette  vie,  vous  trou\erez  qu'on  n'y 
peut  avoir  de  repos,  ni  dans  les  petites  ni 
dans  les  grandes  conditions.  Elles  sont  tou- 
tes sujettes  à  des  peines  et  à  des  agitations 
fâcheuses  ;  on  n'y  trouve  point  la  tranquil- 
lité qu'on  y  cherche.  Les  petites  conditions 
sonl  exposées  à  l'injustice  et  à  l'oppression, 
et  les  grandes  à  l'envie  et  à  la  haine.  Qui 
voyez-vous  ici  dans  l'abondance ,  s'écrie 
saint  Augustin?  Personne  ;  l'abondance  de 
l'homme  dans  celte  vie  n'est  que  misère  et 
affliction.  Plus  les  hommes  sonl  dans  l'abon- 
dance, plus  ils  sont  dans  le  besoin,  poursuit 
ce  saint  docteur;  car  ils  en  sont  plus  déchi- 
rés par  leurs  désirs,  plus  dissipés  par  leurs 
passions,  plus  tourmentés  par  leurs  craintes, 
plus  rongés  par  leurs  chagrins.  Ils  désirent 
ce  qu'ils  n'ont  pas,  ils  n'aiment  pas  ce  qu'ils 
ont,  et  ce  qu'ils  ont  et  ce  qu'ils  aiment  n'est 
propre  qu'à  les  tourmenter.  Il  faut  que  votre 
misère  soit  bien  pressante,  puisque  souvent, 
lorsque  vous  êtes  au  milieu  de  ces  agitations 
cl  environnés  de  périls,  vous  souhaitez  la 
mort,  dit  saint  Chrysoslomc,  et  vous  appelez 
mille  fois  heureux  ceux  qui  vivent  daus  la 
solitude  et  dégagés  du  soin  du  monde. 


Telle  est  et  telle  sera  la  misère,  ô  homme 
qui  refuses  d'aimer  Dieu,  et  qui  donnes  ton 
cœur  aux  créatures!  Car  apprends  aujour- 
d'hui cette  belle  maxime  de  saint  Augustin, 
que  la  rentable  félicité  ne  consiste  pas  abso- 
lument a  posséder  ce  qu'on  aime,  mais  à  ai- 
mer ce  qui  doit  être  aimé. 

C'est  être  misérable  que  d'aimer  des  cho- 
ses nulsîbli  s  et  mauvaises  ;  mais  c'est  être 
encore  plus  misérable  que  de  les  avoir  obte- 
nues et  de  les  aimer.  Quoil  chrétien,  est-il 
possible  que  tu  veuilles  passer  ta  vie  dans 
ces  misères  ?  Car  enfin  I  application  acca- 
blante et  continuelle  que  l'on  a  vers  ces  dif- 
férentes choses  du  siècle  abrège  et  diminue 
beaucoup  cette  vie,  qui  d'elle-même  est  si 
courte  ;  et  à  la  fin  de  ces  applications  si  la- 
borieuses, qu'arrive-t-il  ?  qu'ayant  été  raine 
aussi  bien  que  pénible,  ce  monde  et  tous  ses 
biens  s'évanouiront,  et  tu  demeureras  seul 
et  dépouillé  de  toutes  choses,  livré  à  la  juste 
condamnation  que  Dieu  prépare  à  ceux  qui 
ne  l'ont  point  aimé. 

Réveille-toi,  chrétien,  et  ne  sois  pas  assez 
aveugle  pour  le  précipiter  dans  des  misères 
éternelles.  Eu  supportant  les  misères  prés  lû- 
tes, ressouviens-loi  delà  dignité  de  ton  être  ; 
tu  n'es  formé  que  pour  aimer  Dieu  ;  pense 
qu'il  n'est  rien  de  si  doux  que  la  voie  quo 
Jésus-Christ  l'a  ouverte  pour  arriver  à  la 
perfection  de  l'être  que  lu  liens  de  lui,  puis- 
que tu  la  trouveras  dans  l'exercice  de  l'a- 
mour. Ecoute  le  Seigneur  ton  Dieu  qui  te 
commande  de  l'aimer,  et  qui  te  menace  si  lu 
refuses  de  le  faire.  Dis-lui  donc  avec  saint 
Augustin  :  O  mon  Dieu,  pourquoi  me  mena- 
cer si  je  ne  vous  aime  pas  ?  Me  faul-il  d'au- 
tres châtiments  pour  le  défaut  de  cet  amour, 
que  le  défaut  de  mon  amour  même,  et  y  a  t-il 
une  plus  effroyable  misère  pour  un  chrétien, 
que  celle  de  ne  vous  pas  aimer,  Seigneur  ! 
C'est  par  là  que  je  conclus  qu'il  faut  aimer 
Dieu,  et  c'est  de  l'idée  juste  de  la  nature  de 
cet  amour  que  je  vais  vous  entretenir  dans 
la  seconde,  partie  de  ce  discours. 

SECONOE    PARTIE. 

Ce  sera  le  Seigneur  lui-même  qui  nous 
apprendra  ce  que  c'est  que  de  l'aimer,  et 
quelle  est  la  nature  de  cel  amour  qu'il  de- 
mande de  nous  ;  car  on  s'en  forîM  de  tes- 
fausses  idées,  et  on  se  Halle  quelquefois  de 
l'aimer  quand  on  en  est  fort  éloigné.  Voici, 
mes  frères,  comme  il  a  parlé  autrefois  par  la 
bouche  de  Salomon.  L'amour  de  Dieu,  c'est 
l'observation  de  ses  lois;  aimer  Dieu,  c'est 
garder  ses  commandements.  La  Sagesse  in- 
carnée, dont  celle  de  Salomon  n'était  que  la 
ligure,  nous  enseigne  celle  vérité,  et  nous  la 
repèle  plusieurs  fois  dans  l'Evangile  de  saint 
Jean,  le  disciple  et  le  docteur  de  l'amour. 
Celui  qui  garde  les  commandements  de  Dieu 
et  qui  les  observe,  c'est  celui-là  qui  l'aime  : 
Jlœc  est  cliaritas  Dci,   ut  mandata  rjus  furia- 

us.  L'amour  de  Dieu  consiste  donc  a  gar- 
der ses  commandements.  Il  y  a,  dit  sainl  Ba- 
sile, une  conuesilé  et  une  union  si  parfaite 
entre  l'amour  de  Dieu  et  l'observation  de  ses 
commandements,   que   Jvsus-Ohrisl  deiifinu 


W) 


SERMON  POUR  LE  TROISIEME  DIMANCHE  DE  CAREME. 


m 


l'un  par  l'autre  dans  l'Evangile  ;  et  en  effet 
l'un  ne  peut  être  sans  l'autre.  Nous  ne  pou- 
vons aimer  Dieu,  sans  accomplir  ses  com- 
mandements, c'estlui-même  qui  ledit.  Siquel- 
qu'un  m'aime,  il  gardera  ma  parole.  Nous  ne 
pouvons  accomplir  ses  commandements  sans 
qu'il  nous  donne  son  amour,  qu'il  vienne  en 
nous  et  qu'il  y  habite  avec  son  Père  ;  c'est 
ce  qu'il  continue  de  nous  dire  dans  le  même 
endroit  de  l'Evangile  :  Mon  Père  l'aimera,  et 
nous  ferons  en  lui  notre  demeure. 

Ces  trois  choses-là  sont   inséparables  :  on 
ne  peut  aimer  Dieu  sans  garder  ses  comman- 
dements, on  ne  peut  avoir  un  vrai  plaisir  de 
lui  plaire  sans  l'aimer;  et  quand  on  l'aime 
et  qu'on  garde  ses  commandements,  il  vient 
en  nous  avec  son  Père  et  il  y  fait  sa  demeu- 
re,  c'est-à-dire,   il    augmente   en  nous  cet 
amour,  en  sorte  qu'il  fait  que  nous  persévé- 
rons dans   l'observation  de  ses  commande- 
ments jusqu'à  la  fin.  Voilà  donc,  mes  frères, 
l'idée  juste  de  l'amour  de  Dieu,  selon  qu'il 
nous  l'a  donnée  lui-même.  Aimer  Dieu,  c'est 
garder   ses   commandements  ;    aimer  Dieu, 
c'est  être  dans  une  disposition  sincère  de  lui 
plaire  en  toutes  choses  et  de  ne  lui  déplaire 
en  aucune.   Aimer  Dieu,  c'est  le  préférera 
toutes  choses,  et  à  soi-même  principalement, 
en  sorte  que  nous  soyons  prêts  à    sacrifier 
tous    nos  désirs  et  toutes  nos  passions  à  sa 
volonté.  Aimer  Dieu,  c'est  être  prêt  à  perdre 
plutôt  les  biens,  l'honneur  et   même  la  vie, 
que  de  violer  le  moindre  de  ses  commande- 
ments. Car  enfin,  mes  très-chers  frères,  ce- 
lui qui  s'imagine  qu'on  peut  aimer  Dieu  sans 
garder   ses  commandements    s'oppose    for- 
mellement aux  paroles  de  la  Vérité  même. 
Prenons   donc   une  idée  juste  de  cet  amour, 
pour  ne  nous  pas  tromper.  Nous   n'aimons 
Dieu  qu'autant  que  nous  observons  ses  pré- 
ceptes, et  moins  nous  sommes  fidèles  dans 
l'observance  de   ses   préceptes,  moins  nous 
avons  d'amour  pour  lui.  Mais  il  ne  suffit  pas 
de  vous  avoir  donné   cette  idée  de  l'amour 
de  Dieu,  il  la  faut  expliquer,   et  vous  faire 
sentir  pourquoi  l'Ecriture  et  les  saints  Pères 
ont  dit  que  l'observation  de  la  loi  et  des  pré- 
ceptes est  l'amour  de  Dieu  ;  car  il  n'est  pas 
vrai,  absolument  parlant,  que  cette  obser- 
vation soit  l'amour,  puisqu'un  esclave   peut 
bien  les  observer  pour   quelque  temps    par 
une  crainte  servile.  La  charité,  dit  saint  Au- 
gustin, nous  est  donnée  indépendamment  de 
nous.  Elle  est  répandue  dans  nos  cœurs  par 
le  Saint-Esprit,  dit  saint   Paul,  qui  nous  a 
été  donné;  et  quant  à  l'observation  des  pré- 
ceptes, elle  est  de  nous  et  de  l'amour  de  Dieu 
qui  est  en  nous  par  le  Saint-Esprit.  Or,  mes 
frères,  ce  qui  est  produit  par  une  chose  n'est 
pas  la  chose  même  :  ainsi  l'observation  de 
la  loi  étant  le  signe  de  l'amour,  le  signe  est 
pris  pour  la  chose  signifiée;  mais  l'observa- 
tion de  la  loi  étant,  comme  dit  saint  Rasile, 
le  propre  effet,   la  production  immédiate  et 
comme    l'accomplissement    de   l'amour,    la 
cause  et  l'effet  sont  confondus,  en  sorte  que 
l'un  est  pris  pour  l'autre. 

Par  ou   connaîlrai-jc  donc  que  l'amour 
de  Dieu  est  dans  un  cœur,  si  ce  n'est  par  le 


signe  qui  me  le  montre  !  car  l'amour  est 
proprement  une  union  de  deux  volontés. 
Cette  union  est  quelque  chose  de  sensible, 
et  elle  l'est  par  l'observation  de  la  loi;  car 
prenez  garde  que  la  charité  qui  est  répan- 
due dans  nos  cœurs  en  renferme  les  désirs, 
et  en  règle  les  affections,  en  sorte  qu'elle 
retranche  toutes  celles  qui  sont  opposées 
aux  désirs  et  à  la  volonté  de  Dieu,  pour 
conformer  la  nôtre  à  la  sienne.  C'est  pour- 
quoi le  précepte  d'aimer  Dieu  ne  s'accom- 
plira dans  toute  son  étendue  que  dans  la 
gloire,  parce  qu'il  n'y  aura  proprement  que 
dans  la  gloire  que  notre  volonté,  dégagée  de 
toutes  les  impressions  de  la  concupiscence, 
n'aura  plus  d'opposition  à  celle  de  Dieu. 
Or,  mes  frères,  par  où  puis-je  connaître 
celte  conformité  de  volonté,  qui  est  l'ouvrage 
principal  de  l'amour,  si  ce  n'est  par  l'amour 
même  qui  est  l'accomplissement  de  la  loi? 

Par  la  loi  de  Dieu  je  connais  sa  volonté: 
c'est  la  volonté  de  Dieu,  par  exemple,  que 
j'aime  mon  ennemi,  que  je  lui  fasse  du  bien; 
ainsi  celui  qui  doit  être  aimé  a  déclaré  sa 
volonté  en  imposant  une  loi  pour  qu'on 
l'aime  cet  ennemi.  Il  faut  donc  que  celui  qui 
doit  aimer  fasse  voir  que  sa  volonté  est  con- 
forme à  celle  de  Dieu.  11  faut  qu'il  aime  cet 
ennemi  pour  l'accomplissement  de  la  loi 
qu'il  a  reçue.  Car  si  je  découvre  une  conduite 
contraire  à  la  loi,  je  vois  de  l'opposition 
dans  les  volontés,  et  par  conséquent  point 
d'amour. 

Ne  nous  abusons  donc  pas  en  nous  repais- 
sant de  l'idée  d'un  faux  amour  qui  ne  consiste 
qu'en  paroles.  L'amour  de  Dieu,  mes  frères, 
n'est  point  oisif:  il  agit,  et  il  agit  fortement. 
Trouvez-moi  un  homme  qui  ait  de  l'amour 
pour  la  vie  et  qui  ne  fasse  rien  pour  la  con- 
server, qui  ait  de  l'amour  pour  les  richesses 
et  qui  ne  se  mette  pas  en  peine  d'en  acqué- 
rir, qui  veuille  convaincre  un  grand  seigneur 
et  un  ministre  de  sa  fidélité  el  de  l'attache- 
ment (ju'il  a  pour  lui,  et  qui  tienne  une  con- 
duite tout  opposée  à  ce  qu'il  désire,  et  je 
vous  accorderai  qu'on  peut  avoir  de  l'amour 
pour  Dieu  sans  observer  sa  loi.  Mais  sou-, 
venez-vous,  mes  frères,  de  ce  que  dit  saint 
Jean  Climaque,  que  celui  qui  se  vante  d'a- 
voir de  l'amour  pour  Dieu,  et  qui  en  même 
temps  a  de  la  haine  pour  son  frère,  ressem- 
blée celuiqui  s'imagine  ensonge  qu'ilcourt: 
toutes  ces  idées  d'amour  de  Dieu,  tous  ces  at- 
tendrissemenlsde  <  œurqui  nepassent  jamais 
l'imagination,  sont  autant  de  songes,  selon 
l'idée  de  cet  excellent  maître  de  la  vie  chré- 
tienne, el  d'autant  plus  dangereux  qu'ils 
nous  entretiennent  dans  un  sommeil  qui 
nous  empêche  d'agir,  et  d'où  il  est  déplora- 
ble de  ne  sortir  qu'à  la  mort. 

Car,  mes  très-chers  frères,  si  c'est  une 
obligation  indispensable  pour  le  chrétien 
d'aimer  Dieu,  si  cet  amour  consiste  dans 
l'observation  des  commandements,  sera-t-il 
temps  de  penser  à  aimer  Dieu  quand  il  fau- 
dra mourir  ?  Quelle  marque  donnerons-nous 
de  notre  amour,  lorsque,  après  avoir  passé 
notre  vie  non-seulement  sans  faire  la  vo- 
lonté de  Dieu,  mais  même  sans  la  connaître, 


i',\ 


onvil.l  RS  SACRES.  DOM  JERO 


45i 


nous  loi  demanderons  son  amour  éternel 
pour  récompense  d'avoir  suivi  nos  passions 
en  loulei  choses  contre  ses  lois.' 

Songeons  donc,    mes    frères,   à    éviter    la 

terrible  condamnation  doni  J)icu  menace 
il, -m  s  notre  évangile  ceux  qui  pensent-â  div  i- 
>er  son  royaume  eu  partageant  leur  coeur 

où  il  veui  régner  seul.  .Mon  Dieu,  donnez- 
nous  de  L'aversion  pour  lout  ce  qui  n'est 
pas  vous  el  pour  tout  ce  qui  ne  nous  con- 
duit pas  à  vous;  faites  que,  pour  votre 
amour  et  par  votre  amour,  nous  accomplis- 
sions vos  divines  lois;  je  vous  le  souhaiic. 
Ainsi  soil-il. 

SERMON 

POUR    LE  LUNOl    DE    LA   TROISIÈME  SEMAINE    DE 
CARÊME. 

De  l'amour  de  Dieu. 

Omne  regnum  in  seipsum  divisuiu  desobbilur. 
Tout  rounume  divisé  contre  lui-même  sera  détruit  (Luc . , 
XI,  17). 

Il  faut  achever  aujourd'hui,  mes  très- 
chers  frères,  la  matière  dont  nous  commen- 
çâmes à  vous  entretenir  hier,  et  après  vous 
avoir  fait  voir  que  le  chrétien  doit  donner 
à  Dieu  son  cœur  tout  entier,  pour  éviter 
l'effroyable  condamnation  dont  il  se  rend  di- 
gne en  le  voulant  diviser,  et  vous  avoir  ex- 
pliqué en  quoi  consiste  cet  amour  que  Dieu 
demande  de  lui,  il  faut  exposer  dans  ce  dis- 
cours les  deux  propositions  qui  nous  restent 
pour  achever  celte  matière. 

Je  vais  donc  vous  faire  voir  quelle  doit 
être  la  mesure  de  notre  amour  pour  Dieu  : 
première  partie;  j'essayerai  de  vous  don- 
ner des  règles  pour  connaître  si  cet  amour 
est  en  nous,  et  en  quel  degré  il  y  est  :  se- 
conde partie. 

Demandons  l'assistance  du  ciel.  A  ve,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

La  vraie  mesure  de  l'amour  de  Dieu,  dit 
saint  Bernard,  est  de  ne  s'en  point  propo- 
ser. En  clïet,  si  nous  examinons  les  termes 
dont  Dieu  s'est  servi  lorsqu'il  nous  a  fait  ce 
commandement,  nous  trouverons  que  saint 
Bernard  est  entré,  quand  il  nous  a  donné 
celle  règle,  dans  les  intentions  du  Sauveur 
du  monde.  Voici  les  termes  du  commande- 
ment de  Jésus-Christ  :  Vous  aimerez  le  Sei- 
gneur de  tout  votre  cœur ,  de  tout  votre  es- 
prit et  de  toutes  vos  forces.  Or,  vous  voyez 
qu'il  renferme  lout,  et  qu'un  chrétien  qui 
veut  satisfaire  au  précepte  dans  toute  son 
étendue  ne  doit  avoir  aucun  désir  qui  ne 
soit  pour  Dieu,  aucune  pensée  qui  ne  tende 
à  Dieu,  et  qu'il  ne  doit  faire  aucun  mouve- 
ment ni  aucun  usage  de  son  âme,  qui  ne  lui 
soit  consacré  par  la  charité. 

C'esl,  mes  frères,  ce  que  saint  Bernard 
nous  explique  dans  l'excellent  traite  qu'il 
nous  a  laissé  de  l'amour  de  Dieu.  Quand 
Dieu  nous  a  commandé,  dil-il,  de  l'aimer  de 
tout  noire  cœur,  de  toute  notre  âme  et  de 
toutes  nos  forces,  voici  quelle  est  l'étendue 
qu'il  a  voulu  donner  à  ce  précepte.  H  a  pré- 
tendu que  le  chrétien  l'aimât  de  lout  ce  qu'il 
est,  de  tout  ce  qu'il  sait,  de  tout  ce  qu'il  peut. 

Par  l'obligation  de  l'aimer  de  tout  ce  qu'il 


est,  il  découv  rc  au  chrétien  ce  que  nous  vous 
exposâmes  hier,  mes  très-cberi  frères,  et  ce 
que  nous  répéterons  encore  dans  un  moment. 

>u  être  est  un  être  d'amour,  qu'il  ; 
fait  (jue  pour  aimer  Dieu,  et  qu'il  rend' 
l'être  qu'il  a  reçu  de  lui,  s'il  manque  à  l'ai- 
mer. C'est  ce  que  le  Seigneur  exprimi 
l'obligation    de  l'aimer   de   lout    son    cnur, 
pour  nous  faire  entendre  que  comme  le  cour 
est  tellement  le  principe  de  la  vie  naturelle 
de  l'homme,  qu'il  entre  dans  toutes  ses  opé- 
rations! l'amour  de  Dieu  doit  être  de  même 
le  principe  de  la  vie  du  chrétien  et  animer 
toutes  les  siennes. 

Par  l'obligation  de  l'aimer  de  lout  ce 
sait,  saint  liernard  explique  celle  autre  par- 
tie du  précepte  qui  regarde  l'esprit,  en  ap- 
prenant au  chrétien  que  toutes  les  pensées 
de  son  esprit  doivent  se  rapporter  à  Dieu,  et 
qu'il  ne  lui  est  pas  permis  de  s'appliquer  à 
aucun  exercice  de  l'esprit,  capable  non-seu- 
lement de  le  détourner  de  Dieu,  mais  même 
qui  ne  puisse  contribuer  à  l'accroissement 
et  à  la  perfection  de  cet  amour. 

Par  l'obligation  de  l'aimer  de  lout  ce  qu'il 
peut,  saint  Bernard  explique  cette  dernière 
partie  du  précepte,  en  nous  montrant  que 
loulcs  les  actions  du  chrétien  doivent  être 
des  actions  d'amour,  c'est-à-dire  produites 
par  amour  et  rapportées  à  la  gloire  de  Dieu  ; 
qu'elles  doivent  être  faites  dans  les  vues  du 
plus  grand  et  du  plus  parfait  amour  dont  le 
chrélien  est  capable,  el  qu'il  n'y  a  rien  qui 
soit  digne  de  Dieu,  que  ce  qu'on  fait  avec 
toute  la  vertu  dont  on  est  capable.  Voilà,  dit 
saint  Bernard,  la  règle  que  le  chrélien  se  doit 
prescrire  dans  son  amour,  aimer  sans  mesure  : 
car  s'il  est  vrai  que  le  chrétien  n'a  été  formé 
que  pour  aimer,  el  que.réuni  à  la  personne  de 
Jésus-Christ  comme  le  membre  à  son  chef,  il 
ne  compose  avec  lui  qu'un  corps  mystique 
dont  l'amour  de  Dieu  est  tout  l'exercici 
est  vrai  qu'il  ne  puisse  trouver  la  perfection 
de  cet  être  d'amour  que  dans  l'exercice  de 
l'amour  même,  comme  l'homme  naturel  ne 
se  perfectionne  dans  la  vie  qu'en  passant  par 
des  âges  dii'érents  et  eu  faisant  des  actions 
de  \ie  qui  le  couduiscut  à  Page  parfait; 
quand  un  chrétien  me  demandera  quelle  doit 
cire  la  mesure  de  son  amour,  je  lui  deman- 
derai quelle  est  celle  qu'il  veut  donner  à  sa 
vie:  je  lui  deaiaudcrai  si,  en  se  contentant 
d'être  vivant  par  sa  naissance,  il  eût  voulu 
demeurer  enfant  sans  aller  plus  loin;  si, 
étant  homme,  il  ne  désire  pas  de  vivre  le 
plus  qu'il  pourra  ;  cl  si ,  dans  la  disposition 
de  son  cœur,  il  ne  voudrait  pas  que  la  me- 
sure de  sa  vie  fût  de  n'en  point  avoir.  Si  cela 
est  ainsi,  il  est  aisé  de  lui  faire  comprendre 
qu'il  ne  doit  point  donner  de  bornes  à  son 
amour;  c  ir  nous  sommes  obligés,  dit  saint 
Paul,  de  travailler  sans  cesse,  jusqu'à  ce  que 
nous  soyons  arrives  à  l'état  d'un  liommr  par- 
fait, à  le  mesure  de  l'Agt  i  !  de  la  pïinitudc  qui 
doit  former  JéiUS-Christ  en  n   u< 

De  là  j'apprends  plusieurs  vérités  impor- 
tâmes :  1  Que  la  vie  de  Jesus-Cbrisl  est  en 
moi,  cl  que  je  ne  forme  qu'un  corps  avec  lui; 
1  que    la  perfection  de   cette  vie  n'est  pas 


153 


SERMON  POUR  LE  LUNDI  DE  LA  TROISIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


AU 


pour  le  temps,  mais  pour  l'éternité;  parce 
que  cet  âge  parfait  et  celte  plénitude  sont  la 
consommation  de  la  charité  et  le  parfait  ac- 
complissement du  précepte  d'aimer  Dieu,  ce 
qui  ne  sera  que  dans  le  ciel  ;  qu'il  faut  que 
je  travaille  continuellement  à  avancer  dans 
cet  amour;  que  je  ne  dois  pas  me  contenter 
d'être  un  enfant  dans  celte  vie  divine,  parce 
que  dès  qu'on  veut  fixer  cette  vie  à  un  cer- 
tain degré,  on  l'éteint  entièrement.  Celui  qui 
n'avance  point  recule  dans  cette  carrière,  dit 
saint  Bernard.  Ainsi  je  ne  dois  donner  au- 
cune limite  à  mon  amour,  el  à  quelque  de- 
gré de  perfection  que  la  miséricorde  de  Dieu 
ait  voulu  que  je  le  conduise,  je  dois  toujours 
désirer  quelque  chose  de  plus  parfait,  puis- 
que je  suis  obligé  de  tendre  à  un  degré  de 
plénitude  que  je  ne  trouverai  point  dans  cette 
vie  mortelle. 

C'est  ce  que  saint  Bernard  nous  a  voulu 
faire  entendre  quand  il  dit  qu'un  chrétien 
qui  veut  remplir  son  devoir  sur  l'amour  qu'il 
doit  à  son  Dieu  comme  sa  vie,  doit  commen- 
cer en  l'aimant  avec  ardeur,  qu'il  doit  conti- 
nuer en  l'aimant  plus  ardemment,  et  qu'il  doit 
finir  en  l'aimant  très-ardemment.  Ceci  nous 
donne  une  excellente  idée  de  la  vie  chré- 
tienne, qui  ne  doit  être  qu'un  cercle  d'actions 
et  de  mouvements  d'amour  de  Dieu,  comme 
la  vie  d'un  homme  du  monde  el  d'un  pécheur 
n'est  qu'un  cercle  d'actions  et  de  mouve- 
ments d'amour  du  monde. 

Ceci  nous  apprend  que  saint  Thomas  a  eu 
raison  de  dire,  que  non-seulement  un  chré- 
tien, mais  même  un  homme  ne  peut  com- 
mencer sa  vie  raisonnable  que  par  un  mou- 
vement d'amour  de  Dieu,  s'il  ne  veut  faire 
une  injure  à  son  Créateur,  et  lui  ôter  son 
cœur  pour  le  donner  à  quelque  créature,  et 
que  ce  progrès  d'amour  auquel  nous  sommes 
obligés  ne  peut  se  fairesi  nous  n'aimons  Dieu 
dans  une  totalité  qui  donne  l'exclusion  à 
toute  mesure.  Ceci  nous  apprend  qu'il  ne 
faut  pas  réduire  l'obligation  d'aimer  Dieu  à 
certains  jours  et  à  certaines  conjonctures, 
parce  que  celte  obligation  étant  en  quelque 
sorle  dans  l'être  du  chrétien  ce  que  la  faculié 
de  raison  est  dans  l'être  de  l'homme,  il  n'y  a 
aucun  temps  dans  la  vie  du  chrétien  où  il 
puisse  êlre  sans  aimer  son  Dieu,  comme  il 
n'y  a  aucun  temps  dans  celle  de  l'homme  où 
il  puisse  être  sans  raisonner. 

Mais  il  faut  donner,  mes  frères,  quelques 
éclaircissements  à  ces  grandes  vérités,  pour 
prévenir  toutes  les  difficultés  qu'on  pourrait 
avoir  sur  celte  obligation  d'aimer  Dieu  sans 
mesure,  en  tout  temps,  et  de  tout  notre 
cœur.  Car  mon  dessein  n'est  pas  de  dire  par 
la  que  le  chrétien  doil  êlre  dans  l'exercice 
continuel  d'a<  les  d'amour  de  Dieu,  et  qu'il 
quille  tout  autre  emploi  pour  s'appliquer 
sans  relâche  à  produire  de  semblables  actes: 
Ce  serait  une  illusion.  Nous  avons  déjà  dit 
que  l'amour  de  Dieu  consiste  dans  l'observa- 
tion de  la  loi,  et  qu'ainsi  ne  rien  faire  contre 
la  loi,  c'est  aimer  Dieu.  S'appliquer  aux  de- 
voirs de  la  condition  chrétienne  et  réglée  où 
la  providence  de  Dieu  nous  a  placés  pour 
plaire  à  Dieu  qui  nous  y  a  mis,   et  le  faire 


avec  charité  et  avec  amour,  c'est  aimer  Dieu. 
Demeurer  dans  la  soumission  à  tous  ses 
commandements,  et  ne  pas  persévérer  dans 
la  transgression  d'aucun,  c'est  aimer  Dieu. 
Les  fautes  mêmes  d'infirmité  et  de  faiblesse, 
les  manquements  qui  viennent  de  défaut  de 
vigilance  et  de  surprise,  n'empêchent  pas 
que  le  fond  du  cœur  ne  soit  à  Dieu. 

Ceci,  mes  frères,  nous  apprend  que  ce 
commandement  qui  demande  une  totalité 
entière  dans  son  accomplissement,  s'arcom- 
mode  néanmoins  avec  notre  infirmité  pré- 
sente. Dieu  l'a  publié  dans  toute  son  étendue, 
non  pas  afin  de  nous  obliger  à  son  accom- 
plissement dans  toute  l'étendue  qu'il  lui  a 
donnée,  car  cela  est  impossible  à  la  faiblesse 
présente,  mais  il  a  voulu  nous  apprendre  où 
nous  devions  tendre,  dit  saint  Augustin,  et 
qu'élant  destinés  à  l'aimer  éternellement 
dans  la  gloire,  où  ce  précepte  s'accomplira 
dans  toute  sa  plénitude,  il  fallait  commencer 
dès  celte  vie  à  l'aimer  dans  toute  la  pléni- 
tude dont  nous  étions  capables,  et  avancer 
toujours  dans  cet  amour,  pour  approcher 
de  la  perfection  à  laquelle  nous  sommes  ap- 
pelés. 

Ainsi,  mes  frères,  il  est  très-vrai  de  dire 
que  nos  faiblesses  et  nos  infirmités  ne  dé- 
truisent pas  l'amour  de  Dieu.  Il  y  a  diffé- 
rents états  de  faiblesse  que  l'Ecriture  nous 
montre  dans  des  exemples  frappants.  Le  pa- 
ralytique est  porté  sur  son  lit,  il  se  repose 
et  se  plaît  dans  ses  faiblesses;  c'est  là  le 
mauvais  état.  Jésus-Christ  le  guérit,  il  porte 
son  lit,  il  n'aime  pas  ses  faiblesses,  mais  il  les 
supporte;  c'est  là  un  bon  état.  Enfin  il  parvient 
àun  état  parfait,  dans  lequel  pourtant  il  faut 
veiller,  de  peur  de  se  réconcilier  avec  ses  fai- 
blesses.Ainsi,  bien  loin  que  nos  faiblesses  et 
nos  infirmilés,étantà  présent  dans  l'ordre  do 
Dieu,  affaiblissent  l'amour  de  Dieu,  j'ose 
dire  au  conlrairc  que  de  s'humilier  dans  ses 
faiblesses,  de  gémir  dans  ses  infirmilés  et  de 
les  supporter  sans  les  aimer,  c'est  aimer 
Dieu.  Mon  Dieu,  que  vous  êtes  aimable  dans 
les  facilités  que  vous  donnez  pour  remplir 
l'obligation  de  vous  aimer  1 

Cel  amour  entier  que  Dieu  exige  de  nous 
n'exclul  pas  celui  que  nous  devons  à  notre 
prochain,  puisqu'au  contraire  celui  que  nous 
devons  à  nos  frères  fait  partie  de  celui  qu'il 
exige  de  nous.  Le  Sauveur  nous  dit  dans 
l'Evangile  que  ce  second  commandement  est 
semblable  au  premier,  voulant  nous  faire 
connaître  qu'il  y  a  une  liaison  si  étroite  en- 
tre ces  deux  commandements,  qu'on  les 
trouve  unis  l'un  à  l'autre;  car  l'amour  de 
Dieu  doit  êlre  la  fin  de  celui  du  prochain  ;  et 
nous  ne  devons  l'aimer  que  pour  Dieu. 

Saint  Augustin  nous  explique  ceci  admi- 
rablement, en  distinguant  deux  sortes  d'a- 
mour. Il  appelle  l'un  amour  fixe,  de  repos  et 
de  (in,  c'est-à-dire  un  amour  qui  subsiste 
toujours,  dans  lequel  la  créature  doil  se  re- 
poser ;  il  appelle  l'autre  un  amour  de  passar/e 
et  de  relation,  c'est-à-dire  qui  nous  conduit 
à  un  autre  amour,  et  dans  lequel  la  créature 
ne  se  doil  pas  fixer,  parco  qu  il  ne  l'unit  pas 
à  sa  fin.  Leprcmicr  amour  csl  celui  que  nous 


ISS 


OHATEl'itS  SALUES.  DOM  JEROME. 


iv 


devons  à  Dieu  :  lui  seul  est  no're  fin.  cl  l 'est 
en  lui  seul  que  noire  volonté  doit  s'arrêter. 
Le  sectOd  amont  est  celui  que  nous  (levons 
à  la  créalure.  Nous  ne  pouvons  l'aimer  lé- 
gitimement que'pour  Dieu.  L'amour  du  pro- 
chain doit  être  rapporlé  à  un  autre  qui  lui 
est  supérieur  cl  qui  doit  régner  dans  notre 
cœur  et  en  régler  tous  les  mouvements. 
Voilà  pourquoi  saint  Thomas,  expliquantes 
passage  de  la  première  Epître  aux  Corin- 
thiens, où  saint  Paul  nous  dit  que  celui  qui 
se  marie  est  divisé,  nous  avertit  que  celte  di- 
vision ne  doit  être  que  dans  les  devoirs  ex- 
térieurs, et  qu'elle  ne  doit  rien  diminuer  de 
l'ardeur  et  de  la  fidélité  avec  laquelle  nous 
devons  aller  à  notre  fin  principale  qui  est 
Dieu,  à  qui  tout  doit  être  rapporté. 

Il  faut  encore  entendre  parler  le  grand 
saint  Augustin  sur  cette  matière  dans  le  ser- 
mon o49\  Ce  saint  docteur  dislingue  (rois 
sortes  d'amour:  le  premier  c'est  l'amour  de 
Dieu  ,  Charitas  diviua  ;  le  second  c'est  l'a- 
mour de  la  créature,  mais  un  amour  licite, 
permis  et  réglé,  Charitas  humana  licita  ; 
c'est  relui  qu'un  mari  porte  à  sa  femme, 
une  mère  à  son  enfant,  un  ami  à  son  ami. 
Cetamourest  tellement  permis  que,  quoique 
ce  ne  soit  pas  un  mérite  particulier  pour  un 
homme  de  l'avoir,  parce  qu'il  est  naturel 
d'aimer  son  enfant,  sa  femme,  son  ami ,  celui 
qui  ne  l'a  pas  mérite  d'être  condamné.  Non 
laudandtis  est  qui  amat  filios,  sed  datnnandus 
est  qui  non  amat.  Aussi,  mes  frères,  cet 
amour-là  se  trouve-t-il  entre  les  impies,  les 
infidèles  et  les  païens. 

Mais  il  n'en  faut  pas  demeurer  là.  II  y  a 
un  troisième  amour  humain  qui  est  défendu , 
Charitas  humana  illicita  :  c'est  l'amour  qui 
attache  un  homme  à  la  créature  pour  la  dé- 
baucher. Mettez,  dit  saint  Augustin,  l'amour 
de  Dieu  entre  l'amour  défendu  et  l'amour 
permis,  et  demandez  à  cet  amour  de  Dieu 
avec  lequel  des  deux  il  veut  se  joindre  pour 
demeurer  ensemble  dans  le  même  cœur,  il 
rejettera  l'amour  illicite  avec  lequel  il  ne 
peut  compatir,  mais  non  pas  l'amour  humain 
quand  il  est  honnête,  parce  qu'il  ne  peut 
même  souffrir  celui  qui  ne  l'est  pas,  de  même 
qu'un  homme  qui  a  quelque  reste  d'amour 
pour  sa  femme  ne  peut  se  résoudre  à  amener 
dans  sa  maison  une  concubine  qu'il  voit  en 
secret.  Ainsi,  mes  frères,  l'amour  de  Dieu  re- 
jettera toujours  l'amour  défendu,  mais  il  s'u- 
nira avec  l'amour  permis  ;  d'où  il  faut  con- 
clure que  l'amour  de  la  créature,  quand  il 
est  réglé,  n'est  pas  contraire  à  l'amour  de 
Dieu,  quoiqu'il  soil  humain,  puisqu'il  fait  al- 
liance avec  lui,  et  qu'il  le  perfectionne  en  s'y 
unissant.  Aimez  donc,  continue  saint  Augus- 
tin, aimez  vos  enfants,  aimez  vos  femmes, 
aimez  vos  amis,  et  ne  croyez  pas  que  cet 
amour  soil  contraire  à  celui  que  vous  devez 
à  Dieu  dans  toule  l'étendue  que  je  viens 
d'expliquer,  quoiqu'il  y  ait  encore  quelque 
faiblesse  et  quelque  imperfection  dans  cet 
amour,  quoiqu'il  y  ait  de  l'humain  et  du  sen- 
sible dans  votre  tendresse. 

Mais  prenez  garde  que  si  on  ne  condamne 
pas  absolument  celte  sorte  de   faiblesse  qui 


procède  d'un  sentiment  humain  ,    on  ai 
tout  ce  qui    va    a   donner   a    la   créalure    la 
moindre  préférence  au-dessui  deJésue*Cbi  i^i  : 

car  alors  \  DOS  soumettriez  Dieu  a  la  (  realure, 
en  la  regardant  comme  voire  On  ;  vous  n'au- 
riez plus  pour  elle  cet  amour  de  passage  qui 
lui  convient,  mais  cet  amour  fixe  et  de  repos 
qui  n'appartient  qu'à  Dieu.  Aimez  donc  vo- 
tre mari  et  vos  enfants  selon  )ésUS-Cbrisl  ; 
n'aimez  en  eux  que  Jésus-Christ;  haïsses 
toul  ce  qu'il  y  a  dans  leur  conduite  d'opposé 
à  la  volonté  de  Jésus-Christ:  c'est  là  la  di- 
vine charité,  et  cet  amour  rentrera  dans  ce- 
lui de  Dieu,  comme  l'effet  dans  sa  cause. 

l'.ir  là  vous  voyez  que  l'on  ne  donne  point 
de  bornes  à  l'amour  de  Dieu,  quoiqu'on 
rende  aux  hommes  tous  les  devoirs  de  l'a- 
mour humain,  parce  qu'on  rapporte  tout  à 
Dieu  et  qu'on  le  regarde  comme  la  fin  de 
toutes  choses.  Examinons  maintenant  quel- 
les sont  les  règles  sur  lesquelles  nous  pou- 
vons reconnaître  si  nous  avons  l'amour  de 
Dieu  et  en  quel  degré  nous  l'avons  :  c'est  le 
sujet  du  second  point. 

seconds:  partie. 

Je  ne  vais  pas  vous  dire  à  chacun  en  par- 
ticulier si  \ous  avez  l'amour  de  Dieu,  ni  en 
quel  dégrevons  l'avez;  mais  je  vais  vous 
proposer  des  règles  générales  que  vous  pou- 
vez vous  appliquer  pour  connaître  quelle 
est  votre  disposition  et  où  vous  en  êtes  sur 
cet  article  si  important  pour  le  salut.  Elles 
sont  tirées  de  cet  excellent  livre  de  saint  Au- 
gustin de  laDoctrinechrétienne;  voici  comme 
il  parle  :  Celui-là  aime  Lieu  véritablement  qui 
a  un  amour  bien  régir  ;  celui-là  ne  l'aime  pas 
qui  aime  ce  qui  ne  doit  jias  être  aimé.  Ainsi, 
mes  frères,  celui-là  l'aime  qui  n'aime  pas 
plus  ce  qui  doit  être  aimé  moins,  qui  n'aime 
pas  avec  égalité  ce  qui  doit  être  plus  ou  moins 
aimé,  et  qui  n'aime  pas  plus  ou  moins  ce 
qui  doit  être  aimé  également.  Expliquons 
tout  ceci  en  le  réduisant  à  trois  propositions 
claires  et  distinctes. 

Celui  qui  aime  ce  qu'il  ne  doit  point  aimer 
n'a  pas  l'amour  de  Dieu;  celui  qui  aime  ce 
qu'il  doit  aimer  a  l'amour  de  Dieu:  celui 
qui,  en  aimant  ce  qu'il  doit  aimer,  suit  l'ordre 
que  Dieu  lui  prescrit,  peut  connaître  en  quel 
degré  est  son  amour.  Voilà  donc  tout  le  sujet 
de  celle  seconde  partie. 

Et  d'abord  celui-là  n'aime  pas  Dieu  qui 
aime  ce  qu'il  ne  doit  pas  aimer,  la  raison  en 
est  évidente  :  ce  qu'il  ne  doit  point  aimer  est 
rejeté  de  Dieu  et  lui  déplait  absolument;  or 
il  ne  peut  aimer  ce  que  Dieu  rejette  et  ce  qui 
lui  déplaît,  sans  être  dans  une  volonté  oppo- 
sée à  celle  de  Dieu,  ce  qui  est  incompatible 
avec  l'amour.  11  esl  certain  qu'il  y  a  des 
choses  que  Dieu  rejette  et  qui  lui  déplaisent: 
ainsi  un  homme  qui  aime  le  monde  et  toutes 
les  choses  qui  sont  du  monde  n'aime  point 
Dieu.  Mais,  me  direz-vous, qu'est-ce  qu'aimer 
le  monde,  et  d'où  vient  qu'en  l'aimant  on  ne 
peut  aimer  Dieu?  Hien  de  plus  important, 
mes  frères,  que  de  le  savoir,  puisque  nuire 
salut  dépend  de  celle  haine  et  de  cet  amour. 

Or,  pour  bien  expliquer  ceci,  il  faut  d'à- 


£.f>7 


SERMON  POUR  LE  LUNDI  DE  LA  TROISIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


458 


bord  définir  le  monde  et  reconnaître  ce  que 
c'est  que  ce  monde  que  Dieu  a  déclaré  son 
ennemi  en  tant  d'endroits  de  l'Ecriture. 

Par  ce  monde,  mes  frères,  nous  n'enten- 
dons pas  ces  maisons,  ces  villes,  ces  assem- 
blées de  gens  que  nous  voyons;  nous  n'en- 
tendons pas  même  ces  hommes  qui  forment 
ces  assemblées,  qui  remplissent  ces  villes, 
qui  tiennent  les  premiers  rangs,  ou  qui  ne 
tiennent  que  les  derniers  dans  la  république 
et  dans  les  royaumes.  Les  disciples  du  Fils 
de  Dieu  demeuraient  dans  les  villes,  ils  en- 
traient dans  les  assemblées  des  hommes, 
comme  ils  y  entrent  encore  aujourd'hui,  et 
il  y  a  des  élus  dans  toutes  les  conditions, 
comme  il  y  a  des  réprouvés;  l'Eglise  est  ré- 
pandue dans  tout  le  monde.  Mais  dans  le 
monde,  il  y  a  un  monde,  dit  saint  Augustin, 
qui  hait  le  monde  et  qui  persécute  le  monde; 
et  voici  comment  ce  saint  docteur  explique 
ce  paradoxe. 

Du  milieu  de  cette  masse  corrompue  par 
Adam,  il  s'élève  un  nombre  de  gens  choisis 
par  la  miséricorde  de  Dieu,  qui,  en  vivant 
selon  l'esprit,  en  gardant  ses  commande- 
ments, en  marchant  dans  ses  voies,  en  usant 
de  toutes  les  choses  du  monde  selon  sa  vo- 
lonté, forment  le  monde  que  saint  Augustin 
appelle  le  monde  réconcilié,  purifié  et  destiné 
au  salut.  Ceux  au  contraire  qui  rejettent  les 
lumières  de  l'esprit  de  Dieu,  qui  violent  ses 
commandements  et  qui  refusent  de  marcher 
dans  ses  voies  pour  suivre  celles  de  leurs 
passions,  demeurent  volontairement  dans  la 
corruption  qu'ils  ont  tirée  d'Adam,  l'aug- 
mentent par  la  leur  propre,  et,  abusant  de 
toutes  les  choses  du  monde  par  l'usage  qu'ils 
en  font  contre  la  volonté  de  Dieu,  forment 
ce  monde  perdu,  souillé  et  condamné  :  de 
sorte  que  lorsque  nous  disons  que  le  monde 
est  l'ennemi  de  Dieu,  c'est  de  celui-là  que 
nous  parlons,  parce  que  ses  sentiments  sont 
opposés  à  ceux  de  Dieu  et  à  ceux  du  monde 
saint  qui  lui  appartient;  car  la  justice  et  la 
loi  de  Dieu  règlent  les  sentiments  du  monde 
qui  appartient  à  Dieu,  et  au  contraire  le 
monde  perdu  et  réprouvé  de  Dieu  suit  les 
désirs  de  ses  passions  déréglées,  cl  roule 
dans  l'assouvissement  des  trois  concupis- 
cences dont  parle  saint  Jean. 

Qu'est-ce  donc,  mes  chers  frères,  que  d'être 
du  monde?  c'est  aimer  ce  que  le  monde  aime, 
haïr  ce  qu'il  hait,  suivre  ses  sentiments,  et 
vivre  selon  ses  principes.  Par  là  vous  vous 
rendez  ennemis  de  Dieu,  car  Dieu  hait  tout 
ce  que  le  monde  aime,  il  aime  tout  ce  qu'il 
bail,  et  il  y  aura  toujours  une  opposition 
irréconciliable  entre  leurs  sentiments  et  leurs 
principes.  Voilà  donc,  mes  frères,  une  excel- 
lente règle  pour  reconnaître  si  l'on  aime 
Dieu  :  il  ne  faut  que  s'examiner  et  se  dire  à 
soi-même  :  J'appartiens  à  Dieu  par  mon  bap- 
tême, je  suis  de  l'Eglise,  je  suis  du  monde 
réconcilié;  n'ai-je  point  d'amour  pour  les 
choses  que  je  ne  dois  point  aimer,  pour  les 
biens,  pour  les  honneurs,  pour  les  commo- 
dité! de  la  vie,  pour  les  plaisirs?  Ne  fais-jc 
point  de  tout  cela  mon  bonheur  et  mon  re- 
pos? Car  l'amour  de  toutes  ces  choses  est 
Orateurs  sacrks.  XXX. 


condamné  par  Jésus-Christ  :  j'y  ai  renoncé 
par  le  baptême,  qui  m'a  donné  entrée  dans 
son  Eglise  et  qui  m'a  associé  au  monde  ré- 
concilié. 

Mais  par  où  pourrai-je  reconnaître  si  j'ai 
l'amour  de  ces  choses?  sera-ce  par  la  pos- 
session? suis-je  l'ennemi  de  Dieu  parce  que 
j'ai  des  richesses,  ou  parce  que  ma  condition 
et  ma  naissance  m'ont  mis  dans  les  honneurs 
du  monde?  A  Dieu  ne  plaise  que  nous  avan- 
cions ces  principes  1  Je  sais  bien  que  l'état 
des  riches  est  dangereux,  qu'on  arrive  diffi- 
cilement au  salut  par  la  voie  des  honneurs; 
mais  je  ne  dis  pas  que  cet  état  y  soit  absolu- 
ment contraire.  Si  cela  était,  il  faudrait  le 
quitter,  et  on  ne  pourrait  jamais  y  faire  son 
salu!;  mais  il  y  a  eu  des  riches  qui  se  sont 
sanctifiés  dans  les  richesses.  Ce  n'est  donc 
pas  pour  être  dans  la  possession  des  choses 
que  le  monde  aime  qu'on  est  du  monde, 
comme  on  n'est  pas  à  Jésus-Christ  pour  être 
privé  de  cette  possession  :  car  un  grand  sei- 
gneur peut  être  à  Jésus-Christ  dans  la  pos- 
session de  ces  biens,  et  un  religieux  peut  être 
du  monde  après  y  avoir  renoncé.  Par  où 
connaîtrai-je  donc  si  je  suis  l'ennemi  de  Jé- 
sus-Christ et  si  j'ai  l'amour  de  ces  choses 
dans  le  cœur?  Sera-ce  par  le  désir  de  con- 
server les  biens  que  j'ai,  ou  par  les  soins 
que  je  me  donne  pour  les  augmenter? 

Cet  état,  mes  frères,  est  encore  fort  dange- 
reux ,  et  il  approche  davantage  de  l'amour 
du  inonde  qui  nous  rend  ennemis  de  Jésus- 
Christ';  mais  parce  qu'il  y  a  un  désir  réglé 
de  conserver  son  bien  contre  les  injustices 
et  les  violences  de  ceux  qui  veulent  nous  le 
ravir,  et  une  application  à  l'augmenter  par 
un  travail  chrétien  et  réglé  par  la  justice,  ce 
désir  et  cette  application  ne  sont  pas  encore 
des  marques  certaines  de  cet  amour  du  monde 
qui  nous  rend  ennemis  de  Jésus-Christ. 

Voici  donc,  mes  frères,  à  quoi  vous  recon- 
naîtrez que  vous  avez  l'amour  du  monde: 
c'est,  par  exemple,  lorsque,  possédant  ces 
biens,  vous  en  faites  un  usage  contraire  à  la 
volonté  de  Dieu,  que  vous  n'êtes  riches  que 
pour  vous-mêmes,  sans  vouloir  répandre  de 
vos  richesses  sur  les  autres,  selon  l'ordre  de 
Dieu.  C'est  lorsque,  vous  dépouillant  de  toute 
sorte  d'humanité  à  l'égard  du  pauvre,  vous 
vous  rendez  insensibles  à  sa  misère  sans  la 
soulager,  ou  bien  que  vous  vous  réduisez  à 
une  impuissance  criminelle  de  la  soulager 
autant  que  vous  le  devez,  parce  que  vous 
vous  êtes  fait  une  nécessité  volontaire  d'être 
ambitieux,  superbes  et  voluptueux.  C'est 
lorsque  vous  établissez  votre  félicité  et  votre, 
bonheur  dans  la  possession  de  vos  richesses, 
que  vous  vous  en  remplissez  comme  si  elles 
ne  devaient  jamais  finir,  que  vous  ne  pensez 
qu'à  elles,  que  vous  ressentez  de  l'horreur 
pour  tout  ce  qui  n'est  pas  richesses  ou  gran- 
deur, comme  pour  la  pauvreté;  que  vous 
méprisez  l'humilité,  que  vous  éloignez  do 
vous  la  mortification  des  sens.  Ah  !  c'est  pour 
lors  que  vous  avez  l'amour  du  monde  et  que 
vous  n'aimez  point  Dieu.  Le  Seigneur  vous 
regarde  comme  ses  ennemis,  et  voici  comme 
il  parle  de  vous  dans  son  Evangile  :  Malheur 

15 


*50 


OIUTI.l  l!S  SACRES.   1)0 M  Jl.ltOME. 


0 


à  vous,  rit  lies,  parce  que  l  oui  et     i  \i$  ! 

Malheyt  à  voua  uni  nez  maintenant  !  Ualht 
à  vous,  torique  lee  hommes  il  roui  du  bien  de 
tout  '■  Vous  avez  l'amour  du   monde!  el  »• 

j  |es  ennemis  de  Jésus -Christ  lorsque, 
pour  contenter  le  désir  d'augmenter  vos 
biens,  vous  prenez  des  voies  injustes,  lors- 
que vous  entiez  dans  des  commerces  d'usure, 
lorsque  vous  vous  absorbez  totalement  dans 
les  soins  de  la  vie  présente  <  l  que  vous  né- 
gligez les  affaires  de  votre  s.  lut,  lorsque, 
dans  la  crainte  de  perdre  les  biens  présents 
ou  de  les  voir  diminuer,  vous  entreprenez 
pu  vous  soutenez  des  procès  injustes,  lorsque 
vous  ne  restituez  pas  les  biens  mal  acquis, 
cl  que  vous  n'examinez  pas  avec  soin  si  vous 
devez  en  faire  la  restilulion,  lorsque  vous  ne 
payez  pas  vos  dettes  et  que  vous  failcs  souf- 
frir le  prochain  en  lui  retenant  ce  qui  est  à 
lui,  pour  ne  pas  voir  diminuer  vos  biens  en 
le  lui  rendant. 

Enfin,  mes  frères,  tenez  celle  règle  pour 
certaine  que  vous  aimez  le  monde,  et  que 
par  conséquent  l'amour  de  Dieu  n'est  point 
en  vous,  lorsque,  pour  les  biens  qu'on  ap- 
pelle du  monde,  ou  pour  les  augmenter,  ou 
pour  en  user,  vous  violez  la  loi  de  Dieu;  car 
alors  le  monde  triomphe  dans  votre  cœur, 
el  Dieu  en  est  rejeté.  Voilà  donc  ce  qu'il  faut 
que  vous  sachiez,  el  ce  qui  concerne  la  pre- 
mière règle  :  vous  aimez  ce  que  vous  ne  devez 
point  aimer. 

La  seconde  règle  pour  reconnaître  si  on 
aime  Dieu,  c'est  d'examiner  si  on  aime  ce 
qu'on  doit  aimer.  Or,  mes  frères,  ce  que  nous 
devons  aimer,  c'est  Dieu  môme,  comme  nous 
vous  l'avons  fait  voir;  mais  par  où  connaî- 
trons-nous que  nous  aimons  Dieu  véritable- 
ment? ce  sera  non-seulement  en  n'aimant 
pas  ce  qu'il  a  condamné ,  c'est-à-dire  le 
inonde,  comme  nous  venons  de  le  dire,  mais 
encore  en  aimant  ce  qu'il  a  aimé.  Car  si  l'a- 
mour n'est  qu'une  union  parfaite  de  volonté-, 
il  ne  peut  y  avoir  d'amour  sincère  et  véritable 
si  nous  ne  haïssons  ce  que  liait  celui  que  nous 
aimons,  et  si  nous  n'aimons  pas  ce  qu'il 
aime.  Nous  devons  donc  aimer  ce  que  Dieu 
a  aimé  et  ce  qu'il  aime  sur  la  lerre.  Mais 
qu'est-ce  que  Dieu  a  aimé  et  qu'aimc-i-il 
sur  la  terre?  Cette  demande,  mes  frères,  est 
d'une  grande  étendue,  el  il  faudrait  dire  bien 
des  choses  pour  y  répondre  entièrement; 
mais  contentons-nous  de  dire  qu'il  y  a  trois 
choses  auxquelles  on  peut  rapporter  l'amour 
de  Dieu,  et  sur  lesquelles  nous  pouvons  juger 
du  nôtre. 

Dieu  a  aimé  Jésus-Christ  fait  homme  pour 
sa  gloire  el  pour  notre  rédemption;  il  aime 
l'Eglise  formée  par  son  sang;  il  aime  notre 
salut,  qui  est  le  fruit  de  sa  mort.  Si  donc  nous 
aimons  Dieu,  il  faut  que  nous  aimions  ces 
trois  choses  de  la  manière  à  peu  près  que 
Dieu  les  a  aimées. 

Or,  mes  frères,  aimez-vous  Jésus-Christ , 
incitez-vous  en  lui  loulc  votre  complaisant  c 
comme  Dieu  l'y  a  mise?  Mon  Dieu  !  à  peine 
Jésus  —  Christ  esl -il  connu  défi  chrétiens. 
Nous  ne  sommes  capable  d'aimer  Dieu  que 
par  Jésus-Christ,  ni  de  Faire  aucun  bien  que 


par  sa  verln,  et  à  peine  recourons-no 
lui.  Il   nous  a  été  donne  je  ur  eli  e  non 
gesse,  notre  justice,  notre  justification,  î.otre 
sanctification  et  noire  rédemption: 
qui  est  la  voie,  la  venté  et  I  :  vie  :   persOOM 
ne  va  à  son  Père   que  par  lui,  el  à  peint:  le 
connaissons-nous.   Nous  nous  formons   dfS 
ilées  de  dévotion  chimériques   et   mal    ré- 
glées, el  nous  négligeons  celai  qui  doit  être 
l'uniqne  objet  de   celle  d'an  chrétien;  car 
nous  ne  devons  aller  à  Dieu  que  par  Jésus- 
Christ,  ni  aux  s.iinls  que  dans  Jésus-Christ 
et  par  Jesus-Christ. 

Si  nous  aimions  Jésus- Christ  ,  nous  aime- 
rions sa  croix,  sa  pau\  reté,  ses  humiliations, 
et  nous  serions  prêts  à  embrasser  tous  les 
états  de  sa  vie.  Bien  loin  d'avoir  de  la  i  om- 
pluisance  en  nous  voyant  dans  des  condi- 
tions éminentes  selon  le  monde,  nous  trem- 
blerions «le  nous  voir  où  Jésus-Christ  n'a 
point  voulu  être,  et  d'où  il  a  enseigné  à  ses 
disciples  de  s'éloigner  ;  cl  si  la  Provi 
nous  relient  dans  ces  conditions,  nous  n'y 
demeurerions  qu'avec  crainte  et  dans  une 
allenlion  continuelle  sur  nous,  pour  éviter 
les  périls  et  pour  attirer  sur  nous  l'assis- 
tance de  Jésu^-Christ. 

Jugez,  mes  frères,  de  votre  amour  pour 
Jésus- Christ  par  celle  légère  idée  que  je 
vous  donne  ;  mais  souvenez-vous  que  vous 
ne  sauriez  aimer  Dieu  sans  aimer  Jesus- 
Christ,  ni  aimer  Jésus-Christ  sans  aimer  ce 
qu'il  aime. 

Or,  l'objet  de  son  amour  a  été  son  Eglise, 
qu'il  a  formée  par  son  sang,  en  le  versant 
pour  la  sanctification  d'un  nombre  d'élus 
qu'il  a  tirés  de  la  masse  de  corruption  où 
tous  les  hommes  étaient  engagés  par  le  pé- 
ché d'Adam,  et  où  ceux  qui  renoncent  à  la 
ve.tu  de  ce  sang  verse  pour  leur  salut  de- 
meurent par  une  nouvelle  corruption  qui 
lei.r  esl  propre  et  particulière.  Chrétiens, 
aimez-vous  celte  Eglise  sainte  qui  esl  la  fa- 
mille de  Jésus-Chrisl?  En  ressentez-  ^>us 
les  maux?  en  procurez-vous  la  gloire?  ai- 
mez-vous sa  discipline  et  ses  saintes  lois  ? 
les  suivez-vous?  ne  vous  en  dispensez-vous 
point  avec  scandale  ou  sans  raison?  Ne  con- 
tribuez-vous point,  par  votre  avarice  el  par 
votre  ambition,  à  lui  donner  des  ministres 
qui  la  déshonorent,  en  employant  votre  cré- 
dit el  vos  sollicitations  pour  en  faire  donner 
les  dignités  cl  les  biens  à  des  sujets  qui  en 
sont  incapables  et  propres  à  la   scandaliser  .' 

Ministres  de  l'Eglise,  aimez-vous  l'Eglise  ? 
Avez-vous  reçu  la  dignité  e  le  rang  que 
vous  y  tenez  dans  les  dispositions  convena- 
bles? V  avez-vous  eé  appelés,  ou  vous  y 
êtes-vous  ingérés  de  vous-mêmes  par  ambi- 
tion ou  pour  vivre  plus  commodément?  En 
exercez-vous  les  fonctions  selon  son  esprit 
el  selon  les  règles  sacrées  de  sa  discipline? 
les  savez-vous,  et  vous  appbque/-v  ou*  à 
les  connaître  ?  El  vous,  mes  frères,  hono- 
rez-vous ies  ministres  qui  servent  l'Eglise 
avec  zèle,  el  qui  s'allèchent  à  sa  discipline 
ni  a  ses  sain  es  lois?  Ne  cher,  lu  /-vous  point 
ceux  qui  se  relâchent  en  laveur  de  vos  pas- 
sions, el  ne  contribuez-vous  poinl  à  les  met* 


•il  il 


SERMON  POUR  LE  LUNDI  DE  LA  TROISIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


Wi 


tre  en  crédit  ou  à  les  protéger  dans  leur  re- 
lâchement? vous  soumettez-vous  avec  res- 
pect et  avec  sincérité  aux  pasteurs  qui  la 
gouvernent,  et  n'affectez-vous  point  de  don- 
ner dans  des  nouveautés,  au  préjudice  de 
leurs  sentiments  et  au  scandale  des  Gdèles  ? 

Enfin,  mes  très-chers  frères,  vous  aimez- 
vous  vous-mêmes  comme  vous  le  devez  , 
c'est-à-dire,  aimez-vous  votre  saiut?  le  re- 
gardez-vous comme  votre  plus  importante 
affaire,  et  embrassez-vous  avec  ardeur  tous 
les  moyens  d'y  réussir  ?  Evitez-vous  tous  les 
pièges  que  Jésus-Christ  vous  a  découverts  ? 
suivez-vous  toutes  les  impressions  qu'il  vous 
donne,  et  êtes-vous  prêts  à  tout  sacrifier 
pour  votre  âme,  comme  Jésus-Christ  a  donné 
sa  vie  pour  la  racheter,  après  que  vous  l'a- 
vez exposée  à  la  mort  éternelle  par  vos  pé- 
chés? 

Voilà,  mes  frères,  ce  que  Jésus-Christ 
aime  et  ce  que  vous  devez  aimer  si  vous  ai- 
mez Jésus-Christ  véritablement.  Sans  un 
amour  sincère  pour  ce  que  je  viens  de  vous 
dire,  c'e«l  en  vain  que  nous  nous  flattons 
d'aimer  Dieu.  Je  dis,  sans  un  amour  sincère, 
c'est-à-dire  un  amour  agissant,  et  non  pas 
Un  amour  d'idée  qui  demeure  dans  notre 
imagination,  el  qui  ne  règle  point  notre  con- 
duite: car  comme  Dieu  ne  s'est  pas  contenté 
de  former  l'idée  d'un  Dieu  homme  pour  sa 
gloire  et  notre  rédemption,  mais  que  ce  Dieu 
homme  a  vécu  avec  nous  et  qu'il  est  mort 
pour  nous;  comme  il  n'a  pas  seulement  con- 
çu l'idée  d'une  Eglise,  mais  qu'il  l'a  formée 
par  son  sang,  après  l'avoir  instruite  par  ses 
prédications,  éclairée  par  ses  lumières,  édi- 
Gée  par  ses  vertus,  établie  par  ses  miracles, 
et  animée  par  son  esprit;  comme  il  n'a  pas 
formé  seulement  un  dessein  sur  noire  salut, 
mais  qu'il  a  donné  sa  vie  pour  nous  rache- 
ter; comme  il  nous  a  tracé  le  chemin  de  la 
gloire  par  sa  conduite,  qu'il  nous  soutient 
dans  celle  vie  par  ses  grâces  et  par  tous  les 
autres  moyens  qu'il  nous  a  fournis,  cl  des- 
quels il  a  rendu  son  Eglie  dépositaire  pour 
nous  ies  administrer  ;  il  faut  aussi,  mes  frèivs, 
que  notre  conduite  et  noire  vie  rendent  té- 
moignage de  la  sincérité  de  noire  amour  pour 
Jésus-Christ,  pour  l'Eglise  et  pour  notre  sa- 
lut; autrement  il  n'y  a  point  en  nous  d'a- 
mour pour  Dieu,  et  nous  n'aimons  pas  ce 
qu'il  aime.  Voilà  donc,  mes  frères,  les  règles 
par  lesquelles  nous  pouvons  connaître  que 
1  amour  de  Dieu  esl  en  nous;  en  voici  deux 
autres  par  lesquelles  nous  pourrons  connaî- 
tre en  quel  degré  il  y  est. 

La  première,  c'est  d'en  juger  par  la  fidé- 
I  te  et  l'exactitude  que  nous  avons  dans  l'ob- 
servation de  ses  commandements:  car  si  cet 
amour  consiste  dans  l'observation  de  sesf 
commandements,  comme  nous  l'avons  dit, 
cet  amour  doit  être  plus  ou  moins  parfait 
dans  ceux  qui  sont  plus  ou  moins  fidèles  à 
lesf  observer.  C'est  là-dessus,  mes  frères, 
qu'il  faut  nous  juger.  Avez-vous  une  souve- 
raine horreur  pour  tout  ce  que  Dieu  défend, 
el  |i  hésitez-vous  jamais  quand  il  s'agit  de  re- 
jeter ce  qui  Halle  vos  passions,  quand  vous 
y  voyez  quelque  chose  qui  peut  être  con- 


traire à  la  volonté  de  Dieu?  Au  contraire, 
hésitez-vous,  cherchez-vous  des  prétextes 
el  des  interprétations  à  sa  loi  pour  les  expli- 
quer selon  les  désirs  déréglés  de  votre  cœur? 
Penchez-vous  plutôt  du  côté  de  la  loi  dans 
les  choses  qui  ont  quelque  doule?  Avez- 
vous  autant  de  vivacité,  autant  d'activité, 
autant  de  vigilance  pour  plaire  à  Dieu  dans 
vos  pensées,  dans  vos  paroles,  dans  vos  ac- 
tions, dans  vos  affections,  qu'en  a  un  ma- 
gistrat qui  recherche  une  dignité  supérieure, 
qu'un  militaire  qui  a  besoin  d'une  pension 
et  qui  la  demande,  qu'un  ecclésiastique  qui 
désire  et  qui  tache  d'obtenir  un  bénéfice, 
qu'un  domestique  qui  cherche  à  entrer  en 
condition?  Jugez-vous  sur  votre  fidélité,  sur 
votre  exactitude,  sur  votre  zèle. 

La  seconde  règle,  qui  est  une  suite  de  la 
première,  c'est  de  connaître  si,  dans  l'amour 
qu'on  a  pour  Dieu,  on  y  suit  l'ordre  de  Dieu, 
c'est-à-dire  si,  dans  les  choses  qu'on  peul 
aimer  pour  lui,  on  n'aime  pas  moins  ce  qui 
doit  être  aimé  davantage,  ou  plus  ce  qui  doit 
l'être  moins.  Par  exemple,  nous  devons  ai- 
mer notre  vie,  mais  nous  devons  l'aimer 
moins  que  Dieu;  nous  pouvons  et  nous  de- 
vons aimer  noire  corps,  mais  moins  que  no- 
tre âme.  11  fauW  donc  nous  juger  selon  cet 
ordre  ;  car  si  nous  avons  plus  de  soin  de  no- 
tre corps  que  de  noire  âme,  et  que  nous  né- 
gligions noire  salut  plus  que  notre  vie,  en 
supposant  que  cet  amour  ne  nous  engage  à 
rien  contre  notre  âme  ni  contre  notre  sa'ut, 
l'amour  de  Dieu  est  plus  ou  moins  ardent, 
selon  le  degré  de  notre  fidélité  et  de  notre 
zèle. 

Il  y  a  donc  des  choses  que  nous  devons 
aimer  avec  inégalité,  mais  il  y  en  a  d'autres 
que  nous  devons  aimer  également.  Par 
exemple,  vous,  pères  et  mères,  vous  devez 
aimer  vosenfanls  avec  égalité:  si  le  caprice, 
la  passion,  la  complaisance  vous  en  fait  ai- 
mer un  plus  que  l'autre,  el  que,  sans  faire 
de  tort  considérable  à  celui  que  vous  aimez 
moins,  vous  le  négligiez  cependant  en  plu- 
sieurs choses,  pour  contenter  vos  sens  et 
votre  humeur  dans  les  soins  empressés  que 
vous  donnez  à  l'autre,  vous  ne  suivez  pas 
l'ordre  de  Dieu,  et  votre  amour  est  moins 
parfait  à  proportion  que  vous  vous  en  éloi- 
gnez. Nous  devons  encore  aimer  tous  nos 
frères,  mais  inégalement:  vous  êtes  plus  re- 
devables à  vos  proches  qu'aux  étrangers,  à 
vos  domestiques  qu'à  ceux  du  dehors;  ainsi 
voire  amour  n'esl  pas  bien  ré^lé  lorsque 
vous  voulez  faire  pour  les  étrangers  autant 
que  pour  vos  proches,  et  pour  ceux  du  de- 
hors autant  que  vous  faites  pour  vos  domes- 
tiques. 

Un  homme  donc  aime  Dieu  quand  il  aime 
cequ'il  doit  aimer,  quand  il  n'aime  ce  qu'il 
doit  aimer  que  pour  Dieu  et  dans  l'ordre  de 
Dieu.  Voilà  les  règles,  mes  très-chers  frères, 
par  lesquelles  nous  pouvons  reconnaître  si 
l'amour  de  Dieu  est  en  nous  et  en  quel  de- 
j;ré  il  y  esl.  Oui,  mes  frères,  il  faut  aimer 
Dieu.  Une  âme  est  misérable  quand  elle  no 
l'aime  point.  Cet  amour  consiste  dans  l'ob- 
servation do  sa  loi,  cl  en  vain  nous  Hâtions- 


4CS 


OKATEURS  SACHES.  DOM  JEROME. 


m 


nous  de  l'aimer  si  nous  ne  sommes  pas  fi- 
dèles à  garder  jusqu'au  moindre  <le  ses  com- 
mandements. Nous  ne  devons  point  donner 
de  mesure  à  iclamour,  il  n'en  a  point  donné 
lui-même  à  celui  qu'il  a  eu   pour  nous. 

Reconnaissez  donc,  par  les  règles  que  je 
viens  de  vous  donner,  en  quel  degré  cet 
amour  est  en  vous.  Enfin,  si  vous  trouvez 
dans  votre  co'ur  la  moindre  étincelle  de  l'a- 
inour  (h;  Dieu,  ayez  bien  soin  de  l'y  nourrir. 
Appliquez-vous  à  l'aecroîtrc  par  d'humbles 

Prières,  par  la  douleur  de  la  pénitence,  par 
amour  de  la  justice,  par  la  pratique  des 
bonnes  œuvres,  par  une  vie  chrétienne  et 
réglée.  Mon  Dieu,  donnez-nous  votre  amour, 
afin  que  nous  ne  soyons  jamais  séparés  de 
vuus.  C'est  ce  que  je  vous  souhaite.  Ainsi 
soit-il. 

SERMON 

POUR    LE    MARDI    DE    I.A    TROISIÈME    SEMAINE 
DE   CAREME. 

De  la  correction  fraternelle. 

Si  peccaverit  in  te  frater  tuus,  vade  et  corripe  eurn. 
Si  voire  frère  a  péché  contre  vous ,  allez  le  reprendre 
[Uatth.,  Xvni,  15). 

Cet  évangile  est  la  suite  d'un  discours  que 
fil  le  Sauveur  du  monde  à  ses  disciples  sur 
le  chemin  de  Capharnaùm,  où,  après  leur 
avoir  donné  plusieurs  instructions  sur  ce 
qu'ils  devaient  au  prochain,  il  s'étend  un 
peu  davantage  sur  ce  qui  regarde  le  pardon 
des  injures  ,  et  la  manière  dont  il  faut  répon- 
dre à  ceux  qui  nous  ont  offensés,  afin  de  les 
faire  rentrer  dans  leur  devoir,  et  de  les  ra- 
mener à  celle  union  et  à  celle  parfaite  intel- 
ligence qui  doit  élre  enlre  les  chrétiens,  eux 
qui  sont  les  enfants  d'un  même  Père  et  frè- 
res de  Jésus-Christ. 

lui  effet  tout  ce  qui  est  rapporlé  dans  cet 
évangile  nous  conduit  à  cette  fin  ;  car  Jésus- 
Christétablitd'abord l'obligation  d'aller  cher- 
cher notre  frère  quand  il  a  péché  :  Allez, 
commandement  qui  nous  oblige  quelquefois 
sous  peine  de  péché.  Ensuite  il  établit  le 
fruit  de  cette  pratique  :  S'il  vous  écoute,  s'il 
reçoit  bien  votre  charitable  correction,  vous 
aurez  gagné  votre  frère;  il  était  perdu  par 
l'offense  que  la  haine  qu'il  avait  pour  vous 
lui  avait  fait  commettre  contre  vous,  et  vous 
l'aurez  gagné  en  dissipant  celte  haine  et  en 
le  ramenant  à  vous  par  la  charité. 

Enfin  il  nous  montre  la  sagesse  et  la  me- 
sure qu'il  faut  garder  dans  cette  pratique  : 
S'il  ne  vous  écoute  point,  prenez  encore  une 
ou  deux  personnes,  afin  que  la  confusion  lo 
ramène  p'us  aisément.  S'il  ne  vous  écoule 
point  encore,  dites-le  ù  f lù/lise.  Ayez  recours 
aux  pasteurs, avertissez-les  de  l'égarement  et 
du  péril  de  votre  frère.  S'il  n'écoute  pas  l'E- 
glise  même,  et  s'il  persévère  dans  ses  iniqui- 
tés et  dans  des  péchés  scandaleux  qui  obli- 
gent les  pasteurs  de  lui  refuser  la  communion 
des  fidèles,  séparez-vous  de  lui,  et  n'ayez 
plus  avec  lui  de  communications  extérieu- 
res, quoique  vous  deviez  le  regarder  cl  le 
traiter  avec  charité. 

\  oilà  les  fruits  de  cette  charité  cl  de  cello  * 


union  à  laquelle  il  \eut  que  chacun  de  ses 
enfants  contribue,  l'un  en  faisant  la  correc- 
tion, l'autre  en  la  recevant  avec  humilité. 
Saint  Pierre  dit  ensuite  a  lésus-ChrisI  :  l'ar- 
donnerai-je  jusqu'à  s^pt  fois?  Jésus  lui  ré- 
pondit :  Je  ne  vous  dis  pas  Seulement  l  ]>t 
fois,  maiê  septante  fois  sept  fois.  Oui,  i  I 
frères,  retenez -bien  ce  principe  :  la  charité 
n'a  point  de  bornes  quant  à  la  préparation 
du  cœur,  c'est-à-dire  quant  à  l'oubli  des  in- 
jures reçues;  mais  la  justice  donne  des  bor- 
nes à  la  charité  quant  à  la  punition  et  aux 
mesures  qu'il  faut  prendre  avec  ceux  qui 
abusent  de  notre  bonté,  et  qui  ne  craignent 
pas  de  nous  outrager  parce  que  nous  som- 
mes charitables.  Voilà  ce  qui  est  contenu 
dans  l'évangile  de  ce  jour;  nous  en  expli- 
querons toutes  les  parties,  en  établissant  les 
trois  propositions  qui  feront  la  matière  de 
ce  discours.  Il  faut  du  zèle  pour  la  correc- 
tion de  nos  frères,  mais  il  doil  élre  vrai,  il 
doit  être  sage,  il  doil  élre  modéré. 

1°  Il  doit  être  vrai,  car  s'il  n'y  a  point  de 
zèle  dans  le  cœur,  on  néglige  ce  préceple  : 
première  partie  ;  ±  il  doit  élre  sage,  car  s'il 
n'y  a  point  de  sagesse  el  de  discrétion  dans 
l'esprit, on  viole  ce  précepte  :  deuxième  par- 
tie; 3  il  doil  être  modéré,  c.ir  s'il  n'y  a  poiut 
d'agrément  et  do  douceur  dans  les  manières, 
on  outre  le  précepte  :  troisième  parlie.  Je 
joindrai  ces  deuv  dernières  en  une  seule. 

Voilà,  mes  frères,  la  manière  de  faire  chré- 
tiennement la  correction  fraternelle  :  vous 
verrez  les  défauts  dans  lesquels  on  tombe, 
ou  en  ne  la  faisant  point,  ou  en  la  faisant 
mal.  Etudions  les  uns  pour  éviter  les  autres, 
et  demandons  l'assistance  du  Saint-Esprit 
par  l'intercession  de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

l.a  première  proposition  que  j'avance  sur 
la  correction  fraternelle,  c'esl  qu'il  faut  que 
le  zèle  qui  nous  porte  à  la  faire  soit  vrai, 
parce  que  s'il  n'y  a  point  de  zèle  dans  le 
cœur  du  chrétien,  il  négligera  ce  préceple. 
Or,  nus  frères,  celle  proposition  renferme 
deux  choses  qu'il  faut  expliquer  pour  la 
bien  entendre  :  le  fondement  du  zèle  qui 
nous  porte  à  corriger,  c'est  le  précepte  que 
Jésus-Christ  nous  en  a  fait;  et  le  fondement 
de  ce  précepte  de  la  loi  nouvelle.ee  qui  nous 
découvrira  les  raisons  que  Jesus-Christ  a 
eues  de  nous  faire  ce  commandement. 

Je  dis  donc  que  le  fondement  de  ce  zèle 
est  le  préceple  que  Jésus-Clirist  nous  en  a 
fait.  Oui,  mes  frères,  le  chrétien  doit  accom- 
plir ce  précepte,  parce  que  .lesus-Christ  le 
lui  a  ordonné  d'une  manière  si  précise,  qu'en 
de  certaines  occasions  il  suffit  de  le  négliger 
pour  perdre  sa  grâce  et  pour  encourir  son 
indignation. 

En  effet, nous  sommes  quelquefois  obi 
sous  peine  de  péché,  de  faire  la  correction 
fraternelle.  Je  d,s  quelquefois,  el  non  pas 
toujours,  parce  que  ce  précepte  n'oblige 
qu'en  de  certaines  occasions.  Je  sais,  par 
exemple  .  que  mon  frère  est  tombé  dans  le 
pèche,  il  est  en  péril  ou  d'y  persévérer  ou  de 
se  perdre;  personne  ne  l'a  averti  du  danger 


46' 


SERMON  POUR  LE  MARDI  DE  LA  TROISIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


4CG 


où  il  est,  je  ne  vois  personne  qui  le  doive 
faire,  il  ne  me  peut  arriver  aucun  dommage 
considérable  en  le  faisant, et  surtout  j'ai  lieu 
d'espérer  moralement  que  ma  correction  lui 
sera  utile  :  voilà  l'occasion  où  le  précepte 
m'oblige  sous  peine  de  péché,  et  où  le  chré- 
tien, soit  inférieur,  soit  égal,  soit  supérieur, 
doit  s'animer  à  l'accomplir,  de  p,eur  qu'il  ne 
s'attire  l'indignation  de  celui  qui  a  fait  la  loi. 
Prenez  garde,  dit  saint  Augustin,  de  n'être  ni 
lâche  à S l'égard  du  mal  pour  l'approuver,  ni 
négligent  à  le  reprendre  ;  car  il  ne  suffit  pas 
de  dire  :  Je  n'ai  pas  d'autorité  sur  cette  per- 
sonne-là, Dieu  vous  l'a  donnée  dès  qu'il  vous 
commande  de  la  reprendre.  Voilà  votre  auto- 
rité, vous  l'avez  même  sur  une  personne  plus 
élevée  que  vous,  si  vous  gardez  les  mesures 
que  l'Apôtre  vous  prescrit  et  que  nous  allons 
vous  marquer. 

Mais,  me  direz-vous,  on  ne  m'écoulcra 
pas.  Je  réponds  que  si  vous  êtes  dans  l'obli- 
gation de  reprendre,  supposé  que  cela  ar- 
rive, vous  aurez  toujours  fait  votre  devoir; 
car  Dieu  ne  vous  commande  pas  de  changer 
votre  frère,  mais  de  le  reprendre.  Mais  celui 
que  je  reprendrai  se  moquera  de  moi,  mo 
tournera  en  ridicule  et  me  traitera  de  criti- 
que indiscret;  peut-être  même  l'exposerai- 
je  à  faire  des  railleries  qui  lui  feront  com- 
mettre un  nouveau  crime.  En  ce  cas,  mes 
chers  frères,  si  vous  étiez  absolument  assu- 
rés que  cela  dût  être  ainsi,  vous  feriez  bien 
de  vous  dispenser  de  le  reprendre;  cepen- 
dant quelle  assurance  en  avez-vous?  La  ma- 
nière dont  il  recevra  votre  correction  dépen- 
dra beaucoup  de  celle  dont  vous  la  lui  fe- 
rez. 

Enfin,  ajoute-t-on,  c'est  une  chose  dange- 
reuse et  même  désagréable  de  se  charger  de 
reprendre.  On  ne  sait  comment  s'y  prendre: 
le  mondées!  délicat, et  d'ailleurs  on  a  affaire 
à  des  gens  qui  deviennent  nos  ennemis  dèi 
que  vous  vous   déclarez   contre  leurs  pas- 
sions, qui  en  gardent  des   ressentiments  et 
qui   s'en  souviennent  dans   les  occasions. 
Mon   Dieu!   on   n'a   point  tous   ces  égards 
quand  il  s'agit  de  médire  ou  de  dire  un  bon 
mot  :  on  ne  craint  point  de  s'attirer  des  en- 
nemis pour  contenter  sa  passion,  et  tout  fait 
peur  quand  il  s'agit  de.  remplir  son  devoir. 
Apprenez  donc  de  saint  Augustin  qu'il  ar- 
rive souvent  que,  par  une  dangereuse  dissi- 
mulation, nous  faisons  semblant  de  ne  pas 
voir  les  fautes  du  prochain, pour  n'être  point 
obligés  de  l'instruire,  de  le  convertir,  de  le 
reprendre  ou  même  de  le  corriger;  et  nous 
tombons   dans   cet  écueil    parce  que   nous 
fuyons  la  peine, parce  que  nous  n'avons  pas 
l'assurance  de  résister  en    face  à  ceux  que 
nous  devons  reprendre,  parce  que  nous  ap- 
préhendons de  les  offenser,  de  crainte  qu'ils 
ne  nous  nuisent  dans  quelques  biens  tempo- 
rels que  notre  convoitise  veut  encore  acqué- 
rir ou  que  notre  faiblesse  a  peur  de  perdre. 
Ainsi,  poursuit   saint   Augustin,  encore  que 
les  gens  de  bien   aient  en  horreur  la  vie   des 
méchants,  et  que  c'est  ce  qui  fuit  qu'ils  ne 
tombent  pas  avec  eux  dans  la  damnation,  tou- 
tefois, parce  qu'ils  les  épargnent   dans  leurs 


offenses  mortelles,  c'est  avec  justice  qu'ils  se- 
ront châtiés  avec  eux. 

Voilà,  mes  frères,  comme,  a  parlé  saint 
Augustin,  et  en  voilà  assez  pour  vous  con- 
vaincre qu'il  faut  s'appliquer  avec  zèle  à 
l'accomplissement  de  ce  précepte.  Mais  . 
comme  il  faut  que  ce  zèle  soit  vrai,  ce  n'est 
point  assez,  pour  l'exciter  en  vous,  que  de 
vous  avoir  montré  qu'il  est  fondé  sur  un  pré- 
cepte qu'il  faut  accomplir  :  il  faut  aller  plus 
avant,  et  vous  découvrir  sur  quoi  ce  pré- 
cepte est  fondé,  afin  que  le  zèle  qui  est  excité 
par  le  précepte  soit  conforme  aux  fonde- 
ments du  précepte  même. 

Pour  vous  faire  entrer  dans  cette  pensée, 
il  faut  que  vous  appreniez  que  la  charité  qui 
nous  unit  rend  le  péché  de  mon  frère  en  un 
sens  le  mien,  comme  le  mal  que  souffre  un 
membre  du  corps  est  le  mal  de  tout  le  corps 
et  de  tous  ses  membres.  La  charité  qui  me 
lie  avec  mon  frère  me  fait  connaître  qu'il  est 
tombé  dans  la  plus  grande  des  misères,  qu'il 
a  perdu  son  âme  :  de  sorte  que,  souffrant 
dans  sa  personne  et  pouvant  le  gagner  par 
ma  correction ,  comme  le  Fils  de  Dieu  me  le 
dit,  je  la  lui  dois,  parce  qu'il  est  perdu  par 
son  néché,  parce  que  je  suis  lié  à  lui  par  la 
charité. 

Voilà  donc,  mes  frères,  les  deux  fonde- 
ments sur  lesquels  ce  précepte  de  Jésus- 
Christ  est  établi  :  la  charité  et  la  miséricorde  ; 
et  il  ne  doit  point  y  en  avoir  d'autre  :  car, 
comme  dit  saint  Augustin,  si  vous  enlrepre- 
nez  de  corriger  votre  frère  parce  que  vous 
êtes  blessé  par  son  péché,  et  que  vous  vous  re- 
cherchiez dans  la  correction  que  vous  lui  fai- 
tes, vous  faites  mal;  mais  si  vous  n'avez  que 
l'amendement  et  le  salut  de  votre  frère  en  vue, 
pour  lors  vous  remplissez  votre  devoir.  De  là, 
mes  frères,  vous  voyez  que  des  deux  fonde- 
ments de  ce  précepte  il  faut  en  tirer  deux 
règles  infaillibles,  par  lesquelles  nous  pou- 
vons reconnaître  si  ce  zèle  qui  nous  porte  à 
l'accomplir  est  vrai. 

La  première  nous  regarde,  et  c'est  d'exa- 
miner sincèrement  devant  Dieu  si  c'est  réel- 
lement la  charité  qui  nous  anime.  Lorsquo 
nous  entreprenons  de  reprendre  notre  pro- 
chain, il  faut  que  ce  soit  la  charité  qui  nous 
fasse  agir,  et  qu'elle  soit  véritablement  dans 
le  cœur. 

La  seconde  regarde  le  prochain,  et  c'est 
d'examiner  s'il  est  encore  dans  le  péché,  et 
si  cette  misère  qui  excite  notre  miséricorde 
est  réelle,  ou  au  moins  si  nous  avons  des 
fondements  raisonnables  et  solides  pour  le 
croire.  Il  faut  que  ce  soit  la  misère  de  mon 
frère  qui  mette  ma  charité  en  mouvement,  et 
que  réellement  elle  soit  dans  mon  âme  ;  il  n'y 
a  rien  que  les  saints  Pères  nous  recomman- 
dent si  fort  que  de  nous  bien  éprouver  nous- 
mêmes,  pour  reconnaître  si  c'est  la  charité 
et  non  pas  l'amour-propre  qui  nous  porte  à 
corriger  notre  frère.  Venez, dit  saint  Bernard, 
comme  un  véritable  Samaritain,  vous  appli- 
quer à  guérir  les  plaies  de  votre  frère,  mais  à 
condition  que  votre  remède  sera  composé  de 
deux  amours  :  l'amour  de  votre  frère  fera  en- 
trer la  douceur  oUms  la  composition  de  votre 


4G7 


ORATKUtS  SACHES.  f>OM  JEKOML 


remède,  et  l'amour  de  Dieu  y  donnera  la  force. 

Quand  mus  roulez  corriger  totn  frère, df t 
saint  Augustin,  oublie*  l'injure  que  vous  en 
avez  reçue,  et  ne  VOUS  $  armez  (jue  de  la  pluie 
qu'il  s'ist  faite  à  lui-même  en  vous  o/fensant. 
Ainsi,  mes  frères,  il  n'y  a  que  l'amour  du 
prochain  qui  doive  BOUS  animer  à  ce  devoir, 
et  voici  comme  parle  encore  saint  Augustin, 
pour  nous  faire  comprendre  arec  quel  soin 
nous  devons  nous  examiner  nous-mêmes  de- 
vant Dieu,  pour  reconnaître  si  c'est  vérita- 
blement cet  amour  <|ui  nous  fait  agir  :  Vous 
ne  devez  jamais  entreprendre,  dit-il,  de  corri- 
ger les  pêches  d'autrui  qu'aprii  avoir  sondé 
votif- même  votre  conscience  avec  grand  soin, 
et  qu'elle  ne  vous  ait  répondu  clairement  nue 
vous  n'agissez  que  par  un  pur  amour  de  lui- 
même.  Voilà  les  règles,  il  faut  nous  les  ap- 
pliquer. 

Si  tes  injures,  continue  ce  1  ère,  ou  les  me- 
naces et  les  persécutions  de  ceux  que  VOUS  re- 
prenez vous  ont  ulcéré  l'esprit,  quoique  vous 
espériez  de  les  pouvoir  quérir,  il  ne  faut  pas 
néanmoins  que  vous  entrepreniez  de  leur  rien 
repondre,  jusqu'à  ce  que  vous  ayez  première- 
ment guéri  le  trouble  de  votre  esprit i  One 
cette  règle  bien  méditée  devrait  faire  rentrer 
en  eux-mêmes  ceux  qui,  ayant  l'esprit  dlc  § 
contre  leur  prochain  par  des  injures  souvent 
chimériques,  entreprennent  non-seulement 
de  les  reprendre  dans  le  trouble  de  leur  es- 
prit, qui  se  manifeste  toujours  par  la  ma- 
nière dont  ils  en  parient  et  parce  qu'ils  n'eu 
disent  jamais  de  bien,  mais  même  qui  s'ex- 
pliquent contre  eux  par  des  plaintes  et  des 
invectives  publiques,  par  des  libelles  et  des 
satires  que  la  charité,  disent-ils,  leur  arra- 
che, afin  de  les  charger  de  confusion,  de  leur 
donner  de  l'horreur  deux-mêmes,  ei  de  les 
obliger  de  retourner  à  Dicul  Est-ce  là  en  vé- 
rité un  ouvrage  de  la  charité  ou  bien  de  la 
vengeance?  Cette  conduite  est-elle  celle  d'un 
homme  qui  aime  son  prochain  vêriiablc- 
ment,  ou  de  celui  qui  le  hait  comme  son  en- 
nemi? Ecoutons  encore  ce  qu'ajoute  saint 
Augustin  :  Tout  ce  que  vous  pourrez  dire  avec 
vu  esprit  ému  sera  l'effet  d'une  impétuosité  de 
vengeance,  et  non  pas  un  zèle  pur  de  cor- 
rection. 

Commencez  donc,  mes  frères,  par  corriger 
les  mauvaises  dispositions  de  votre  cœur; 
car  tant  que  votre  esprit  est  ulcéré,  ce  n'est 
pas  l'intérêt  du  prochain,  mais  c'est  le  vôtre 
qui  vous  fait  agir;  et  ainsi,  bien  loin  que 
cette  correction  soit  un  remède  pour  le  mal 
de  votre  frère,  comme  le  veut  Jésus-Christ , 
qui  vous  ordonne  de  la  lui  faire,  c'est  un 
poison  qui  envenime  et  qui  augmente  sa 
plaie  et  la  vôtre.  Si  donc  la  charité  est  en 
vous,  elle  ne  vous  fera  agir  que  sur  un  objet 
solide  Comme  ce  précepte  est  fonde  sur  la 
miséricorde, ainsi  que  nous  l'avons  dit, il  faut 
que  le  prochain  Soit  vraiment  tombé  dans  la 
misère  et  qu'elle  nous  soit  connue,  pour 
l'exercer  à  son  égard;  car  il  faut  pour  le 
moins  garder  autant  de  mesure  dans  le  sou- 
lagement des  misères  spirituelles  que  dans 
le  soulagement  des  misères  qui  regardent  le 
corps. 


Ainsi,  comme  on  s'informe  du  bien  ot 
des  facultés  d'un  homme,  et  qu'on  veut 
les  connaître  avant  que  de  lui  confier  -on 
argent  et  son  bien,  il  faut  île  même  que  la 
i  i  ère  du  prochain  nous  soil  connue  et  que 
nous  avons  lieu  de  ne  pas  douter  qu'il  soll 
dans  le  péché,  et  dans  un  |  éché  qui  poisse  le 
perdre,  puisqu'il  s'agit  de  le  gagner  n  exer- 
çant la  correct  ion  rnvers  lui.  Il  faut  donc 
bien  prendre  garde  de  reprendre  un  homme 
d'une  faute  dont  il  s'esi  corrigé,  ni  même  de 
la  lui  reprocher  en  le  reprenant  d'une  autre 
dont  il  serait  véritablement  coupabb  .  Enfin  , 
mes  hères,  supposé  que  vo're  zélé  soil  irai 
et  reconnu  pour  tel  par  les  règles  que  je 
viens  de  vous  donner,  il  faut  encore  beau- 
coup de  sagesse  dans  la  pratique  de  ce  de- 
voir, de  peur  qu'agissant  avec  indiscrétion 
nous  nous  éloignions  du  but  que  nous  de- 
vons nous  proposer,  et  qu'ainsi  un  zèle  in- 
discret ne  nous  fasse  vu. 1er  le  précepte  que 
nous  entreprenons  d'accomplir  aans  sagesse  : 
c'est  le  sujet  du  second  point. 

SECONDE    PARTIE. 

Il  faut,  dit  saint  Bernard,  que  celui  qui  en- 
treprend de  corriger  son  frère  compose  ce  re- 
mède, qu'il  prépure  à  son  péché,  de  l'huile  de 
la  miséricorde  et  du  vin  de  la  charité.  .Mais  co 
n'est  pas  assez  :  II  faut  encore,  ajoute  ce 
saint  docteur,  qu'il  se  Souvienne  que  s'il  em- 
ploie ce  remède  du  Samaritain  pour  guérir  les 
plaies  de  son  frère,  il  doit  être  lui-mime  un 
Samaritain,  c'est-à-dire  un  homme  plein  de 
sagesse,  de  circonspection  et  de  ménagements , 
non-seulement  dans  la  composition  du  rem 
mais  encore  dans  l'application.  Ce  s;:int.  qui 
s'est  toujours  méfié  de  ses  propres  lumières, 
ne  B'allacbant  qu'à  l'Ecriture  ou  à  l'autorité 
des  saints  Pères  ,  a  toujours  usé  de  celle 
même  précaution  dans  de  pareilles  rencon- 
tres. Ne  croyez  pus,  dit-il,  que  je  parle  de 
moi-même  lorsque  je  vous  lionne  cet  avis; 
écoulez  ce  que  demande  le  Prophète  :  Donnez- 
moi  ,  dit-il  à  Dieu,  cette  bonté  et  cette  dou- 
ceur qui  procèdent  de  la  miséricorde  et  de  la 
compassion  envers  mon  frère.  Donnez -moi 
cette  ferveur  et  ce  zèle  pour  la  discipline  qui 
procède  de  In  charité.  Donnez-  moi  cette 
science,  cette  sagesse  et  cette  circonspection  si 
nécessaire»  pour  n'être  point  affaibli  pi.r  la 
compassion  ni  emporté  par  le  zèle,  mais  pour 
savoir  m  nager  l'un  et  l'autre  avec  discrétion 
pour  l'utilité  de  mon  pi  ochain. 

Et  sans  sortir  de  noire  évangile,  mes  frè- 
res, le  Eils  de  Dieu  lui-même,  qui  nous  l'ail 
ce  commandement,  ne  nous  marquc-t-il  ; 
combien  il  faut  de  sagesse  et  de  discrétion 
pour  l'accomplir?  11  veut  que  la  fonte  se  re- 
présente en  particulier,  afin  que  la  charité 
qui  nous  fait  désirer  son  amendement  lui 
épargne  la  confusion.  S'iV  ne  tous  écoute 
pas,  dit-il.  i>renez  encore  avec  tous  une  ou 
deux  personnes 

Cependant,  comme  (oui  ceci  est  :  énéral, 
passons  à  des  vues  particulières  qui  nous 
mettent  dans  la  pratique  de  cettt  te  si 

nécessaire  dans  l'accomplissement  d    ce  pré- 
cepte, et  sans  laquelle  ou  le  \  iole    ~  '.nauc- 


/m 


SERMON  POUR  LE  MARDI  DE  LA.  TROISIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


470 


ment.  Or,  mes  frères,  cette  sagesse  et  celte 
discrétion  se  doivent  étendre  sur  celui  qui 
doit  faire  la  correction  :  il  faut  qu'il  examine 
s'il  est  capable  de  la  faire,  et  qu'il  ne  s'y  en- 
gage qu'avec  sagesse.  Sur  le  sujet  qui  le 
porte  à  la  faire,  il  faut  qu'il  examine  s'il  est 
tel  qu'il  ne  puisse  s'en  dispenser  légiti- 
mement. 

Celui  qui  entreprend  de  faire  la  correction 
à  quelque  autre  se  doit  donc  examiner  d'a- 
bord lui  même,  pour  reconnaître  s'il  est  ca- 
pable de  la  faire;  car  tout  le  monde  ne  l'est 
pas.  Il  faut,  pour  y  réussir,  une  certaine  au- 
torité, qui  n'est  pas  celle  que  nous  donne  le 
droit  on  la  juridiction  que  nous  avons  sur  la 
personne  qu'il  faut  reprendre,  mais  qui  vient 
de  l'estime  que  nous  nous  sommes  acquise, 
de  l'âge,  de  l'expérience,  du  rang  que  nous 
tenons,  quelquefois  même  de  l'air  dont  nous 
disons  les  choses,  de  la  majesté  qui  rè^ne 
dans  la  physionomie,  dans  le  ton,  dans  la 
voix.  Ainsi  un  homme  qui  ne  s'est  acquis 
aucune  estime,  et  qu'on  ne  connaît  par  au- 
cun endroit,  ne  réussira  guère  dans  les  cor- 
rections qu'il  fera,  et  il  courra  risque;  de 
s'entendre  dire  :  Qui  êlcv-vous?  Un  homme 
à  qui  le  défaut  de  l'âge  n'a  pas  encore  donné 
de  l'expérience  n'est  pas  propre  à  rendre  cet 
office  de  charité,  non-seulement  à  ceux  qui 
ont  plus  d'expérience  que  lui,  mais  même 
aux  personnes  lie  son  âge.  Les  gens  de  mau- 
vaise mine,  ceux  qui  parlent  mal,  sont  pour 
l'ordinaire  d'infructueux  censeurs  d'autrui , 
et  on  ne  peut  dire  comment  les  hommes  se 
laissent  frapper  par  ces  défauts  sensibles  et 

fiar  ces  dehors  désagréables  qui  entraînent 
eur  imagination, et  combien  il  est  vrai  qu'ils 
n'ont  que  du  mépris  pour  les  bonnes  choses, 
parte  que  la  grâce  et  la  manière  ne  les  ac- 
compagnent pas  en  les  disant. 

Il  est  donc   nécessaire  de  s'examiner  en 
soi-même  sur  ces  sortes  de  qualités  et  de 
dispositions  ;    car  comme  on  n'est  obligé  de 
faire   la   correction  qu'autant  qu'on  a  une 
certaine  espérance  d'y  réussir,  et  que  sou- 
vent le  succès  dépend  de  ces  sortes  de  qua- 
lilés,  la  raison  et  la  justice  étant  moins  for- 
tes que  l'autorité  et  la  créance  qu'elle  nous 
donne  ,   on    ne  doit  point  la  faire  quand  on 
ne  les  a  point.  Ajoutons  encore  une  qualité 
essentielle  dans  celui  qui  veut  reprendre  son 
prochain  ,  c'est  qu'il  soit  innocent,  et  qu'on 
ne  puisse  pas  le  reprendre  lui-même,  non- 
seulement  du  défaut  dont   il   veut  corriger 
son  frère  ,  mais  de  tout  autre,  s'il  est  possi- 
ble. Car,  mes  frères,  ce  scroit  Une  charité 
bien  fausse,  bien  aveugle  et  bien  mal  réglée 
dans  un  homme,  de  vouloir  entreprendre  de 
taire   la  correction  à  un   autre  d'un  défaut 
dont  il  serait  coupable  lui-même  :  celle  en- 
treprise ne  pourrait  être  regardée  que  com- 
me un  effet  de  l'orgueil   de  celui  qui  la  for- 
merait, lequel,  étant  aveugle  sur  ses  propres 
défauts,  n'aurait   les  yeux  ouverts  que  sur 
ceux  de  .son  frère.  Elle  nepourrait  être  qu'un 
sujet  de  scandale  pour  les  autres  ,  qui  en  la 
voyant  ne  la  pourraient  regarder  que  com- 
me un  effet  de  l' amour-propre  de   celui   qui 
ne  la  formerait  que  pour  cacher  les  dérè- 


glements de  sa  vie  sous  l'éclat  d'une  belle 
doctrine  débitée  doctement,  pour  rechercher 
de  l'estime  par  des  paroles,  pendant  qu'il 
serait  condamnable  par  ses  actions. 

Les  personnes  de  ce  caractère  sont  con- 
damnées par  l'Apôtre  :  Vous  jugez  les  autres, 
dit-il  ,  et  vous  vous  condamnez  vous-mêmes, 
puisque  vous  faites  les  mêmes  choses  que,  vous 
condamnez.  H  faut  leur  appliquer  ce  que  dit 
le  Sauveur  de  nos  âmes  aux  hypocrites  : 
Otez  premièrement  la  poutre  de  votre  œil,  et 
après  cela  vous  verrez  comment  vous  pourrez 
tirer  la  paille  de  l'œil  de  votre  frère.  Il  n'ep- 
partient  donc  pas  à  ceux  qui  sont  coupables 
de  défauts  considérables  d'en  reprendre  les 
autres;  il  n'appartient  pas  à  ceux  qui  ,  soit 
dans  leur  vie  particulière  ,  soit  dans  l'usage 
du  bien  de  l'Eglise  ,  soit  dans  leur  conduite, 
s'accommodent  des  maximes  d'une  doctrine 
relâchée,  de  faire  profession  de  blâmer  ceux 
qui  les  suivent. 

Le  Sauveur  du  inonde  ne  justifie  pas  la 
femme  adultère  ,  mais  il  confond  ceux  qui, 
n'étant  pas  justes,  entreprennent  de  l'accu- 
ser. //  est  bon  rie  condamner  le  mat,  dit  saint 
Augustin  ,  et  de  soutenir  l'intérêt  de  la  loi; 
mais  il  faut  que  ceux  qui  veulent  se  servir  de 
la  loi  pour  condamner  les  autres  soient  ex- 
mêmes  innocents.  11  faut  donc  ,  mes  frères, 
que  la  pru  fence  chrétienne  nous  applique  à 
nous-mêmes  ,  avant  que  de  penser  aux  au* 
très.  Le  zHe  de  votre  maison  m'a  dévoré,  dit 
le  Prophète;  mais  le  vrai  zèle  doit  nous  dé- 
vorer nous-mêmes  avant  que  de  s'étendre 
sur  les  autres;  notre  conscience  doit  se  tour- 
ner contre  elle ,  même  avant  que  de  se  répan- 
dre ;  et  au  lieu  d'être  douce  envers  clle-mêim 
et  rigoureuse  envers  les  autres ,  elle  doit  au 
contraire  être  rigoureuse  envers  soi  et  douce 
envers  les  autres,  dit  saint  Grégoire.  On  se 
rit  dans  le  monde  avec  raison  des  censures 
de  ceux  dont  on  connaît  ia  vie  peu  édifiante, 
et  on  n'a  que  du  mépris  pour  des  gens  qui 
s'imaginent  qu'en  reprenant  les  autres  de 
leurs  fautes  on  en  oubliera  de  très-grandes 
qu'ils  ont  commises,  et  qu'en  ne  parlant  que 
de  la  discipline  de  l'Eglise  on  ne  se  souvien- 
dra plus  qu'ils  ne  se  sont  acquis  le  droit 
d'en  parler  aux  autres  qu'en  la  violant  eux- 
mêmes. 

Non,  mes  frères;  une  main  souillée  n'est 
pas  propre  à  nettoyer  les  ordures  qui  smit 
tombées  sur  un  vêlement,  dit  saint  Grégoire. 
Il  faut  être  irrépréhensible  pour  reprendre 
les  autres,  et  quand  on  est  soi-même  coupa- 
ble, je  ne  dis  pas  seulement  de  la  faute  qu'où 
veut  corriger,  mais  de  toute  autre  considé- 
rable qui  peut  être  connue  ,  il  faul  faire  pé- 
nitence et  se  taire.  Que  celui  donc  qui  né- 
glige la  pratique  de  la  verlu  ne  s'ingère  pas 
de  corriger  ni  de  reprendre  les  vices  des  au- 
tres ;  mais,  mon  Dieu!  il  faut  peut-être  que 
je  m'anéantisse  moi-même  ,  et  que  je  me 
confonde  devant  vous ,  en  annonçant  celle 
vérité  et  en  donnant  cette  règle  aux  autres. 
Recourons  tous  à  Jesus-Christ  mes  Irès-chers 
(i  ères;  car  quelque  probité  que  nous  parais- 
sions avoir  au-dessus  du  commun  ,  parce 
que  nous  savons  juger  des  actions  des  au- 


471 


ORATEURS  SACRES.  UO M  JEROME 


1res  ,  et  que  nous  les  condamnons  soit  en 
public,  soit  en  particulier,  lorsqu'elles  sont 
mauvaises,  nous  ne  laissons  pas  ,  avec  tou- 
tes nos  lumières  ,  de  faire  en  plusieurs  fa- 
çons le  mal  que  nous  condamnons  tous  les 
jours.  Demandons  à  Dieu  que  la  charité  qui 
nous  fait  parler  couvre  la  multitude  des  pé- 
chés dont  nous  sommes  coupables.  Mais  ce 
n'est  pas  assez  que  celui  qui  fait  la  correc- 
tion agisse  avec  discrétion  et  avec  sagesse 
{iar  rapport  à  lui ,  il  faut  en  second  lieu  que 
a  prudence  de  celui  qui  doit  reprendre  un 
autre  examine  si  la  faute  est  telle  qu'il  ne 
puisse  légitimement  se  dispenser  de  faire 
cette  correction. 

Cet  office  de  charité  ne  se  rend  guère  sans 
péril  pour  celui  qui  le  fait  et  sans  chagrin 
pour  celui  qui  le  reçoit,  de  sorte  que  saint 
Grégoire  ne  craint  pas  de  dire  que  la  correc- 
tion nuit  souvent  à  celui  qui  la  veut  faire, 
et  qu'e//e  devient  insupportable  à  celui  qu'on 
veut  corriger;  il  faut  donc  qu'il  n'y  ait  que 
la  nécessité  qui  nous  y  contraigne  :  ainsi  il 
faut  voir  si  la  faute  dont  il  s'agit  est  consi- 
dérable ,  et  s'il  y  a  du  péril  pour  l'âme  de 
celui  qui  l'a  commise;  car  il  est  dur  de 
se  voir  repris  pour  une  bagatelle,  et  on  attri- 
bue souvent  cette  correction  au  chagrin  de 
celui  qui  la  fait,  et  nullement  à  sa  charité. 

11  faut  que  la  faute  soit  nouvelle  ,  on  au 
moins  que  personne  n'ait  jamais  repris  celui 
qui  l'a  commise.  S'il  a  été  repris  par  quel- 
que autre,  il  n'aura  pas  plus  de  respect  pour 
vous  :  il  faut  reprendre  en  secret  et  avec  de 
grandes  mesures  ,  à  moins  que  les  fautes  ne 
fussent  publiques  et  reconnues  de  tout  le 
monde,  en  sorte  que  personne  n'en  puisse 
raisonnablement  douter.  On  se  trompe  sou- 
vent en  ce  point,  on  croit  public  ce  qui  n'est 
connu  que  d'un  très-petit  nombre  de  gens, 
et,  par  une  correction  faite  indiscrètement, 
on  apprend  à  toute  la  terre  ce  qui  n'était 
connu  que  dans  un  petit  canton  ,  et  on  de- 
vient non  pas  les  censeurs  charitables  de 
notre  frère,  mais  des  traîtres  qui  le  désho- 
norent. 

Qu'il  y  a  de  mesures  à  garder,  et  qu'il 
faut  de  sagesse,  de  charité  ,  de  discrétion,  de 
modération  et  de  douceur  pour  faire  la  cor- 
rection comme  il  faut!  Mais  achevons  ce 
discours,  mes  frères,  et  disons  un  mot  de  ce 
qui  en  devrait  faire  la  troisième  partie,  je 
veux,  dire  la  modération  que  l'on  doit  garder 
dans  la  correction. 

Cette  modération  et  celle  prudence  sont 
essentielles  si  l'on  veut  réussir  à  l'égard  de  la 
personne  qu'on  veut  reprendre.  Or  il  y  a  beau- 
coup de  choses  à  observer  sur  cet  article  :  il 
faut  prendre  garde  à  la  .situation  de  son  esprit 
eldeson  humeur;  car  si  elle  est  telle  que  vous 
puissiez  croire  qu'il  recevra  mal  votre  cor- 
rection et  qu'il  s'en  irritera  ,  vous  ne  devez 
pas  la  lui  faire,  selon  celle  excellente  règle 
de  saint  Grégoire  :  Un  homme  de  bien  ne  doit 
pas,  dit-il ,  appréhender  les  injures  ni  les  ou- 
trages d'un  me  haut  qu'il  a  voulu  corriger, 
mais  il  doit  seulement  craindre  de  le  /aire 
devenir  plus  mauvais.  Celle,  prudence  est 
pléiucde  charité  :  puisque  vous  voulez  gué- 


rir rolre  frère,  vous  devez  prendre  garde  de 
ne  pas  aigrir  son  mal,  on  même  de  ne  le  pas 
augmenter;  et  si  vous  l'irritez  par  votre 
correction  indiscrète,  vous  lui  donnez  des 
sentiments  de  haine  contre  vous  qu'il  n'a- 
vait pas  auparavant. 

Oui,  mes  frères,  il  faut  user  de  celte  pru- 
il  nce  en  ces  occasions  comme  dans  les  ma- 
ladies invétérées.  On  laisse  quelquefois  lan- 
guir le  corps  dans  de  mauvaises  humeurs 
qu'on  craint  d'émouvoir  avec  trop  de  viva- 
cité ,  et  on  se  contente  d'attendre  une  crise 
provenant  de  causes  supérieures  ,  qu'on 
étudie  ,  afin  de  l'aider.  Il  faut  prier,  il  faut 
gémir  devant  Dieu  ,  et  souvent  attendre  eu 
patience  qu'il  lui  plaise  d'agir  par  sa  sainte 
grâce,  et  seulement  la  seconder. 

11  faut  encore  prendre  garde  à  la  condi- 
tion et  au  rang  des  personnes  ;  car,  quoique 
je  ne  dise  pas  qu'on  ne  doive  jamais  re- 
prendre les  supérieurs  ni  ceux  qui  sont  éle- 
vés au-dessus  de  nous  ,  puisque  la  charité 
chrétienne,  qui  doit  être  le  principe  delà 
correction  ,  s'étend  sur  tous ,  et  qu'en  géné- 
ral la  misère  du  prochain  qui  en  doit  être 
l'objet  se  trouve  dans  tous  les  états  ,  néan- 
moins je  dis  qu'il  faul  avoir  de  grands  égards 
pour  ces  personnes  ,  et  qu'il  faul  user  de 
grandes  précautions  quand  il  s'agil  de  re- 
prendre ceux  que  la  Providence  a  rendus 
nos  maîtres. 

Voici  le  sentiment  de  saint  Grégoire  sur 
cette  matière.  En  écrivant  à  Félix,  il  lui  dit 
qu'il  faut  extrêmement  prendre  garde  que  s'il 
arrive  qu'il  y  ait  quelque  chose  à  censurer  dans 
la  conduite  des  évêques  et  des  supérieurs  ec- 
clésiastiques, il  ne  faut  pas  que  les  inférieur, 
s'ingèrent  témérairement  de  les  reprendre, 
qu'ils  ne  doivent  jamais  censurer  leur  con- 
duite, beaucoup  moins  blâmer  leurs  allions, 
ni  les  décrier  dans  l'esprit  des  peuples.  Kl  ce 
saint  pape  en  donne  la  raison  :  Souvent,  dil- 
ates personnes  élevées  en  dignité,  agissant 
pour  le  bien  des  autres,  commandent  des  cho- 
ses  que  les  inférieurs  prennent  pour  des  fau- 
tes. Souvent  les  personnes  fortes  disent  des 
pétroles  que  les  faibles  osent  blâmer  parce 
qu'ils  ne  les  entendent  pus. 

C'est,  poursuit  ce  saint  pape,  ce  qui  nous 
est  marqué  par  le  penchemenl  de  l'arche  dans 
l'Ancien  Testament;  car  Oza,  l'ayant  voulu 
soutenir,  parce  qu'il  croyait  qu'elleallait  tom- 
ber, fut  à  l'heure  même  puni  de  mort.  11  eu 
est  quelquefois  de  même  parmi  nous:  l'evé- 
que  qui  remplit  dignement  son  ministère, 
étant  souvent  ébranlé  par  le  trouble  et  le 
désordre  où  il  voit  les  peuples,  se  sent  obli- 
gé ,  par  la  seule  considération  de  l'amour 
qu  il  a  pour  eux,  d'user  de  condescendance  dans 
sa  conduite,  et  ce  relâchement  de  force  et  de 
rigueur,  où  il  se  laisse  aller  pour  leur  utilité 
et  leur  bien,  parait  être  une  \raie  chute  aux 
yeux  des  personnes  moins  habiles  et  moins 
éclairées.  11  s'en  trouve  quelquefois  alors 
parmi  les  inférieurs  qui  y  portent  la  main  de 
leur  répréhension;  quelques-uns  par  ressen- 
timent, se  servant  de  l'occasion  pour  se  ven- 
ger.; d'autres  par  orgueil,  se  croyant  les  seuls 
sages:  plusieurs  par  chagrin,  n'approuvant 


473 


SERMON  POUR  LE  MERCREDI  DE  LA  TROISIEME  SEMMNE  DE  CAREME. 


47  4 


jamais  la  conduite  de  leur  prochain  ,  et 
d'autres  enfin  par  ignorance  ,  s'imaginant 
que  tout  va  périr.  On  se  tourmente,  on  s'a- 
gite, on  écrit,  pensant  honorer  Dieu  en  dés- 
honorant ses  ministres;  et,  semblables  à  ce 
lévite  téméraire  qui  étendit  sa  main  pour 
soutenir  l'arche,  ils  ne  meurent  pas  dans  le 
moment,  mais  ils  sont  exclus  de  la  vie  spiri- 
tuelle par  la  perle  de  la  charité,  et  peut-être 
de  la  vie  éternelle,  s'ils  ne  songent  à  faire  pé- 
nitence du  scandale  qu'ils  donnent  à  l'Eglise. 

Concluons  de  tout  ceci  qu'il  faut  faire  la 
correction  à  nos  frères  ,  mais  qu'il  y  a  de 
grandes  mesures  à  garder  pour  la  bien  faire. 
Ceux  qui  sont  constitués  en  dignité  tteivent 
user  de  ménagements  infinis  pour  reprendre 
et  pour  instruire  les  autres;  à  plus  forte  rai- 
son ceux  qui  ne  sont  pas  dans  de  tels  enga- 
gements. 11  faut  donc,  pour  la  plupart  de 
nous,  user  de  beaucoup  de  prudence  pour 
dissimuler  des  fautes  qu'on  ne  peut  corriger, 
et  pour  les  souffrir  en  ne  faisant  pas  sem- 
blant de  les  voir. 

Appliquons-nous  d'abord  à  nous-mêmes, 
nous  trouverons  toujours  de  quoi  corriger 
dans  nous  en  travaillant  continuellement  à 
retrancher  les  vices  qui  y  sont  et  à  acquérir 
les  vertus  qui  n'y  sont  pas.  Nous  serons  peut- 
être  arrêtés  par  la  mort  avant  que  d'être  ar- 
rivés à  l'état  où  il  faut  être  pour  reprendre 
les  autres  utilement;  au  moins  est-il  sûr  que 
si  nous  sommes  enlevés  en  travaillant  de 
cette  manière  ,  c'est  un  moyen  d'être  reçus 
dans  la  vie  éternelle.  Je  vous  la  souhaite. 
Ainsi  soil-il. 

SERMON 

POUR    LE    MERCREDI   DE  LA  TROISIEME   SEMAINE 
DE    CARÊME. 

De  la  vraie  dévotion. 

Populus  hic  labiis  me  honorât,  cor  autem  eorum  longe 
est  a  me. 

Ce  peuple  m'honore  des  lèvres,  mais  son  cœur  esl  éloiqnê 
de  moi  (Matth.,  XV,  7). 

Je  n'entreprendrai  pas  de  faire  dans  ce 
discours  le  portrait  des  hypocrites  et  des  faux 
dévols,  comme  ces  paroles  du  Sauveur  que 
j'ai  prises  pour  mon  texte  semblent  m'y  en- 
gager. Ces  sortes  de  peintures  <ui  décrivent 
le  vice  ne  serveiU.  le  plus  souvent  qu'à  nour- 
rir la  malignité  du  cœur  des  hommes,  qui  en 
font  les  applications  au  préjudice  de  la  cha- 
rité, et  qui  dans  les  descriptions  des  crimes 
se  représentent  presque  toujours  des  cou- 
pables auxquels  le  prédicateur  n'a  point 
pensé. 

J'aime  donc  mieux  vous  apprendre  en 
quoi  consiste  la  rentable  dévotion,  que  de 
m 'attacher  à  décrire  la  fausse,  que  le  Sau- 
veur du  monde  condamne  dans  cet  évangile. 
L'une  paraîtra  assez  par  l'opposition  de 
l'autre,  et  on  connaîtra  suffisamment  ce  que 
c'est  que  de  n'être  dévot  que  de  nom,  en  ap- 
prenant ce  qu'il  faut  faire  pour  l'être  en  ef- 
fet. Examinons  donc  dans  ce  discours  ce 
que  c'est  que  d'être  dévot  solidement  cl  sin- 
cèrement. 

u  C'est    rendre    à    Dieu    par  amour   un 
culte  réglé  digne  de  sa  grandeur  :  ce  sera  la 


première  partie  ;  2°  c'est  s'appliquer  avec 
fidélité  à  l'œuvre  qu'il  nous  a  donnée:  ce  sera 
la  deuxième  partie  ;  3°  c'est  se  soumettre 
avec  respect  aux  ordres  de  sa  volonté  ,  qu'il 
nous  marque  quelquefois  par  des  événements 
imprévus  que  nous  n'attendions  pas  :  ce  sera 
la  troisième  partie. 

Voilà,  mes  frères,  si  je  ne  me  trompe, 
l'idée  d'une  solide  piété  ,  capable  de  sancti- 
fier toutes  nos  actions  et  de  rendre  chré- 
tienne toute  notre  conduite. 

Demandons  à  Dieu  la  grâce  de  parler 
comme  il  faut  de  celte  piélé  solide,  mais 
principalement  celle  de  la  recevoir  de  sa 
main  dans  notre  cœur.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Il  y  a  trois  choses  absolument  nécessaires 
pour  que  le  culte  que  nous  rendons  à  Dieu 
soit  digne  de  sa  grandeur  :  notre  intention 
doit  être  pure,  car  Dieu  veut  être  servi  pour 
lui-même,  et  nous  ne  devons  avoir  en  vue 
que  sa  gloire  eu  le  servant  ;  noire  culte  doit 
être  réglé  par  sa  volonté,  volonté  déclarée 
dans  les  Ecritures  ou  expliquée  par  l'Eglise; 
car  il  rejette  celui  qui  n'a  point  d'autres  rè- 
gles que  le  caprice.  Ce  culte  doit  être  uni- 
forme et  perpétuel  ;  car  Dieu  est  toujours 
digne  de  nos  hommages,  il  ne  faut  jamais 
cesser  de  le  lui  rendre.  Voilà  les  trois  con- 
ditions capables  de  rendre  notre  culte  digne 
de  la  grandeur  de  Dieu. 

Or,  par  rapport  à  la  première  condition, 
mes  frères,  saint  Augustin  ne  distingue  poinj 
la  piété  et  la  dévotion  d'avec  le  culle  de  Dieu, 
ni  le  culle  de  Dieu  d'avec  son  amour.  Qu'est-ca 
àil-i\,  que  d'avoir  de  lapiélé,  et  qu'est-ce  queser 
vir  Dieu,  sinon  l'aimer?  Pour  que  le  culte  donc 
que  nous  lui  voulons  rendrelui  soit  agréable, 
il  faut  qu'il  soit  de  la  nature  de  l'amour  qu'il 
exige  de  nous.  En  un  mot,  il  veut  être  servi 
comme  il  veut  être  aimé,  parce  qu'on  ne  lo 
sert  qu'en  l'aimant  :  ainsi  il  veut  être  servi 
gratuitement,  parce  qu'il  veut  être  aimé  sans 
intérêt,  et  c'est  le  fondement  de  la  nécessité 
de  la  pureté  d'intention  dans  le  service  et 
dans  l'amour  de  Dieu. 

11  faut  maintenant,  dit  saint  Augustin, 
vous  apprendre  ce  que  c'est  que  de  servir  ci 
d'aimer  Dieu  gratuitement,  afin  que  nous  sa 
chions  en  quoi  consiste  et  jusqu'où  doit  aller 
cette  pureté  d'intention  sans  laquelle  ni  no 
tre  culte,  ni  notre  amour  ne  peuvent  être 
agréables  à  Dieu.  //  ne  veut  pas  être  aimé, 
dit-il,  parce  qu'il  donne  d'autres  biens  que  lui, 
mais  parce  qu'il  se  donne  lui-même.  Or  ,  mes 
frères,  en  appliquant  au  culle  que  nous  de- 
vons rendre  à  Dieu  celte  règle  que  saint  Au- 
gustin nous  donne  pour  l'amour  ,  j'apprends 
une  chose  extrêmement  importante  pour  ré- 
gler les  vues  de  notre  piélé  et  pour  perfec- 
tionner l.i  pureté  de  nos  intentions  :  c'est 
que  je  ne  dois  point  avoir  en  vue,  dans  le 
service  que  je  ronds  à  Dieu,  ni  dans  ma  piélé, 
si  je  veux  que  mes  intentions  soient  pures, 
d'autres  biens  que  lui-même.  La  raison  en 
est  évidente;  car  si  dans  l'amour  et  le  ser- 
vice que  je  lui  rends  j'ai  en  vue  d'autres 
biens  que  lui,  ce  n'est  plus  pour  lui  que  je 


Âin 


CHAI.  I  US  SACRES.  I>0M  JI-.ltOME. 


470 


l'aime  et  que  je  le  sers,  c'est  pour  ces  autre* 
biens  que  je  regarde  comme  ma  (in,  et  à  la 
possession  (lesqiiels  se  lermineiil  lOUtei  les 
vues  de  mon  amour  et  tous  les  mouvements 
de  ma  piété. 

De  là  vous  voyez  que  Dieu  ne  regarde  ni 
les  hypocrites  ni  les  mercenaires,  c'est- 
à-dire  ceux  qui  le  sert  cal  ou  pour  s'attirer 
les  louanges  des  hommes,  et  qui  n'ont  en 
vue  que  leur  propre  gloire,  ou  seulement 
pour  acquérir  les  biens  que  Djeu  répand  sur 
ceux  qui  n'ont  en  vue  que  leurs  intérêts. 
Quant  aux  premiers,  qui  sont  1rs  hypocrites, 
il  est  certain  qu'il  les  regarde  avec  horreur, 
car  ils  lui  préfèrenl  les  homme';,  ou  ils  se  pféfè  - 
rent  eux-mêmes  à  lui;  ils  n'ont  de  la  régularité 
dans  leur  conduite,  et  ils  ne  font  les  œuvres 
de  ceux  qui  servent  Dieu,  que  dans  la  vue 
d'être  estimés  des  hommes  et  de  s'attirer 
une  réputation  utile  à  leurs  desseins.  Ce 
n'est  point  Dieu  qu'ils  servent,  ce  sont  les 
hommes,  et  ils  les  lui  préfèrent  dans  leur 
cœur  :  ils  ne  servent  Dieu  que  dans  la  vue 
d'acquérir  une  fausse  gloire  et  l'estime  des 
gens  de  bien;  ce  n'est  point  Dieu  qu'ils  ser- 
vent, c'est  eux-mêmes  :  ils  se  préfèrent  à  lui 
dans  leur  cœur,  et  ils  méritent  d'en  êirc  re- 
jetés avec  horreur,  comme  il  rejette  les  pha- 
risiens de  l'Evangile. 

Pour  les  mercenaires,  qui  dans  le  service 
qu'ils  rendent  à  Dieu  n'ont  en  vue  que  les 
récompenses  qu'ils  en  espèrent,  il  ne  les  re- 
garde pas  d'un  œil  plus  favorable.  C'est  là 
l'esprit  des  Juifs  opposé  à  celui  des  chré- 
tiens, qui  est  un  esprit  d'amour  et  de  désin- 
téressement. Expliquons-nous  cependant, 
car  il  y  a  une  vue  de  cer  ains  biens  même 
temporels,  laquelle  étant  réglée  n'est  point 
contraire  à  la  pureté  d'intention  nia  l'amour 
de  Dieu,  et  qui  entre,  selon  saint  Bernard, 
dans  l'ordre  de  la  charité.  En  effet,  comme 
dit  si  bien  ce  Père,  il  n'y  aura  jamais  d'amour 
de  Dieu  sur  la  terre  qu'il  n'y  mire  quelque 
vue  d'intérêt.  Le  point  et  le  secret  est  que 
cette  vue  soit  réglée  :  or  voici  l'ordre  qu'il 
y  met: 

1°  Il  faut  rejeter  entièrement  ce  qui  est 
mauvais,  comme  de  n'avoir  en  vue  que  d'ob- 
tenir des  biens  temporels,  et  d'établir  sa  fin 
et  son  repos  dans  le  plaisir  de  les  posséder, 
sans  penser  aux  biens  éternels  :  celte  vue 
est  détestable,  il  est  inutile  de  le  prouver.  2* 
Il  faut  que  le  salut  de  l'âme  soit  préféré  a 
tontes  eboses,  et  quoique  nous  puissions  dé- 
sirer  les  biens  temporels  dans  l'ordre  de  Dieu 
et  dans  la  mesure  de  la  nécessite,  même  les 
lui  demander  dans  nos  piièrcs  et  avoir  en 
vue  de  les  obtenir  dans  les  exercices  de  no- 
tre piété,  il  faut  pourtant  être  disposé  à  les 
sacrifier  de  bonne  foi  au  salut  de  l'âme,  s'il 
était  absolument  nécessaire.  3"  Il  ne  faut 
désirer  les  biens  temporels,  par  exemple, 
la  san'é,  que  pour  servir  Dieu  et  accomplir 
sa  loi.  et  les  biens  nécessaires  à  l'entretien 
de  la  vie  dans  son  état,  que  pour  n'être  pas 
exposé  aux  dangereuses  tentations  de  la 
pauvreté;  ainsi  du  reste.  Qui, ml  cela  est 
ainti  réglé,  dit  saint  Bernard*  le.  corps  n'esi 
regardé  que  pour   Dieu,  cl    Dieu  est   regardé 


pour  lui-même»  Ceci,  mes  frères.  DOUS  con- 
duit à  ce  que  je  v  iens  de  v  ot:s  dire  qu'il  fal- 
lait considérer  dans  les  paroles  de  saint  Au- 
gustin, pour  apprendre  à  régler  notre  inten- 
tion d.iiis  le  colle  que  nous  devions  rendre 
à  Dieu.  Car  ce  sai ni  docteur  non  dit  con- 
naître que  ce  désir  des  choses  même  tempo- 
relles n'est  pas  contraire  à  celle  pureté  d'in- 
tention quand  il  est  rapporté  à  lui.  Ainsi. 
servir  Dieu  pour  élrc  sauvé,  le  servir  pour 
posséder  la  gloire,  c'est  le  servir  purement 
pour  lui-même,  puisqu'on  ne  peut  être  eauvi 
sans  le  posséder,  ni  le  posséder  sans  être  heu- 
reux, dit  saint  Augustin;  el  c'est  l'espérance 
de  ce  bien  infini  qui  doit  nous  animer  et  nous 
soutenir  dans  tout  ce  que  la  piété  el  le  désir 
de  sertir  Dieu  exigent  de  nous. 

Mais  il  ne  suffit  pas  d'avoir  réglé  le  mo- 
tif du  culte  que  nous  devons  rendre  à  Dieu, 
il  faut  en  régler  la  qualité.  Dieu,  qui  veut 
êire  servi  pour  lui-même,  le  veut  élre  selon 
sa  volonté,  volonté  qu'il  nous  a  déclaréedanv 
ses  Ecritures,  ou  qu'il  nous  explique  par  l'E- 
glise, qui  en  est  l'interprète.  Voici  ce  qu'il 
nous  enseigne  dans  saint  Jean  sur  la  qualité 
de  ce  culte.  Le  temps  est  venu  que  les  vrais 
adorateurs  adoreront  le  Père  en  esprit  el  en 
vérité.  Car  ce  sont  là  les  adorateurs  que  le 
Père  cherche.  11  faut  donc  que  ce  culte  soit 
selon  l'esprit,  c'est-à-dire  opposé  5  l'amour 
des  choses  terrestres,  par  des  vues  spiri- 
tuelles el  dégagées  d'intérêts,  comme  nous 
venons  de  le  dire.  11  faut  qu'il  soit  selon  la 
vérité  c'est-à-dire  opposé  à  l'erreur  :  or  celle 
erreur,  mes  frères,  peut  se  glisser  dans  notre 
culte  et  dans  nos  pratiques  de  dévotion  de 
deux  différentes  façons,  ou  dans  la  nature 
du  culte  même,  ou  dans  la  manière  de  rendre  le 
culte. 

11  y  a  erreur  dans  la  nature  du  culte,  lors- 
que nous  nous  attachons  à  des  pratiques  su- 
perstitieuses, à  des  devoirs  chimériques,  à 
des  visions,  à  des  nouveautés,  enfin  à  toutes 
sortes  de  pratiques  que  l'Eglise  n'a  point  ap- 
prouvées, qui  ne  sont  point  reçues  par  un 
usage  général,  ni  par  un  consentement  una- 
nime des  pasteurs.  Tenons-nous-en,  mes 
chers  frères,  aux  usages  de  l'Eglise,  ne 
nous  éloignons  point  de  là,  craignons  l'illfh 
bion  el  l'erreur.  Quant  aux  nouvelles  prati- 
ques que  l'on  introduit,  et  dont  on  fait  comme 
de  nouveaux  sacrements,  je  ne  Bannis  les 
approuver,  quoique  je  ne  m'en  explique  pas 
aussi  librement  que  je  ferais  si  je  ne  crai- 
gnais de  donner  lieu  au  scandale  qu'en  pour- 
raient prendre  certains  esprits  turbulents, 
et  même  quelques  personnes  d'ailleurs  ré- 
gulières et  pieuses;  mais  je  ne  puis  suppor- 
ter de  voir  que,  pendant  qu'on  néglige  des 
choses  salutaires  que  l'Ecriture  prescrit, 
tout  soit  plein  d'institution  humaine. 

Saint  Augustin  avait  extrêmement  •  cœur 
de  combattre  les  fausses  dévotions  :  il  s'en 
explique  admirablement  dans  la  lettre  qu'il 
écrit  ii  à  Anlonin  ;  il  le  congratule  de  ce  que 
sa  dévotion  est  réglée,  et  il  lui  dit  qu  il  u  lu 
el  relu  sa  lettre  avec  beaucoup  d'attention. 
cl  qu'il  a  eu  une  grande  joie  d  v  trouver  dm 
marques  d'un  cœur  si  chrétien  ci  si  éloigne 


477 


SERMON  POUR  LE  MERCREDI  DE  LA  TROISIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


de  la  fausse  piété  de  ces  malheureux  temps. 
Mes  frères,  il  y  a  eu  des  faux  dévols  dans 
tous  les  siècles. 

Que  si  tout  est  réglé  dans  la  nature  de  no- 
tre culte,  il  faut  qu'il  en  soit  de  même  dans 
la  manière  de  le  rendre,  et  nous  devons 
prendre  autant  de  soin  d'éviter  l'indiscré- 
tion que  la  superstition  dans  nos  pratiques 
de  piété,  si  nous  voulons  servir  Dieu  comme 
il  le  désire.  Car  prenez  garde,  mes  frères, 
que  tout  ce  qui  est  bon  en  soi  ne  doit  pas  se 
pratiquer  en  tout  temps,  et  ne  convient  pas 
toujours  à  toutes  sortes  de  personnes. 

La  condition  d'an  homme  qui  ne  tient  à 
rien,  nous  dit  saint  Augustin,  est  bien  diffé- 
rente de  celle  d'une  personne  qui  est  avec  une 
autre  en  société,  et  en  quelque  sorte  de  dé- 
pendance. C'est  dans  cette  excellente  lettre  à 
Edicia,  où  il  reprend  cette  femme  de  s'être 
engagée  dans  les  pratiques  indiscrètes  d'une 
prétendue  dévotion  contre  la  volonté  de  son 
mari,  ce  qui  avait  causé  de  grands  désordres 
dans  leur  domestique.  Prier  beaucoup,  c'est 
une  fort  bonne  chose  et  absolument  néces- 
saire; mais  négliger  les  devoirs  de  son  état, 
sous  prétexte  de  faire  de  longues  prières, 
c'est  servir  Dieu  autrement  qu'il  ne  désire 
d'être  servi.  Un  juge  qui  abandonnerait  ses 
affaires  pour  prier,  une  femme  qui  néglige- 
rait son  domestique  pour  faire  de  longues 
oraisons,  pécherait  dans  la  manière  de  ren- 
dre à  Dieu  le  culte  qui  lui  est  dû,  et  serait 
déréglée  dans  sa  piété.  Faire  des  aumônes, 
soulager  Jésus-Christ  dans  ses  membres, 
garder  une  grande  modestie  dans  ses  vête- 
ments pour  honorer  l'humilité  du  Sauveur, 
c'est  une  excellente  pratique  de  piété;  mais 
donner  l'aumône  à  l'insu  de  son  mari,  et 
d'un  bien  qui  n'est  pas  à  nous;  prendre  un 
habit  fort  distingué  de  celui  des  femmes  ré- 
glées de  sa  condition,  c'est  un  dérèglement 
dont  saint  Augustin  se  plaint  dans  la  lettre 
que  j'ai  déjà  citée. 

Il  dit  à  Edicia  :  Vous  êtes  obligée  de  ne  rien 
faire  sans  la  participation  et  contre  la  volonté 
de  votre  mari,  sur  le  sujet  de  l'aumône,  quoi- 
que ce  soit  une  œuvre  que  Jésus-Christ  nous 
ait  recommandée  en  tant  d'endroits;  et  pour 
vos  habillements,  ne  vous  écartez  point  de  la 
manière  dont  tes  femmes  chrétiennes  de  votre 
condition  s'habillent  ;  surtout  point  de  sin- 
gularité. Voilà  quelle  était  la  prudence  et  la 
discrétion  de  saint  Augustin.  Entrer  dans  les 
assemblées  de  piété,  se  rendre  assidu  aux 
lieux  où  il  y  a  des  dévotions  particulières, 
cela  est  bon;  mais,  comme  dit  fort  bien 
saint  Augustin,  quoique  tout  ce  qu'on  voit 
clairement  n'attaquer  ni  la  foi  ni  les  bonnes 
mat  <rs  puisse  être  reçu  et  même  pratiqué,  se- 
lon que  le  bien  de  la  société  le  demande,  il 
faut  s'en  tenir  sur  esta  à  ce  que  l'on  trouve 
établi  parmi  ceux  avec  qui  l'on  vit.  11  n'en 
est  pas.de  même  des  pratiques  auxquelles 
on  est  obligé,  et  dont  on  ne  doit  point  se 
dispenser.  Quitter  sa  paroisse,  par  exemple, 
et  n'y  venir  jamais  ou  presque  jamais,  pour 
courir  à  des  a^s  mbléei  ci  à  «les  dérotions 
étrangères,  c'est  un  culte  déréglé  et  qui  ne 
peut  être  agréable  à  Dieu. 


Quel  est  donc  le  culte  réel,  véritable  et 
essentiel  que  Dieu  exige  de  nous  ?  Le  voici, 
mes  chers  frères  :  prier  Dieu  au  commence- 
ment, au  milieu  et  à  la  On  de  la  journée  ; 
l'adorer  tous  les  jours  sur  l'autel  en  s'offrant 
à  lui  dans  le  sacrifice  adorable  de  la  messe; 
se  nourrir  de  sa  parole  dans  la  lecture  de 
l'Evangile;  augmenter  l'amour  qu'on  doit 
avoir  pour  lui  par  de  fréquentes  élévations 
de  cœur  vers  lui;  se  fortifier  par  un  usage 
réglé  des  sacrements;  régler  sa  conduite  sur  les 
maximes  de  la  loi  qui  regarde  notre  état; 
ne  rien  faire  contre  la  justice  due  au  pro- 
chain, aimer  les  pauvres  et  les  soulager  se- 
lon son  pouvoir  ,  c'est  l'idée  de  ce  culte 
réglé  qu'on  doit  rendre  à  Dieu  avec  amour. 

Ajoutons  une  troisième  réflexion.  Il  faut 
que  l'uniformité  rende  notre  culte  tel  qu'il 
doit  être  :  Dieu  est  toujours  digne  de  nos  hom- 
mages, et  nous  nedevons  jamais  cesser  de  les 
lui  rendre.  II  n'y  a  rien,  mes  frères,  qui  soit  si 
contraire  à  la  perfection  de  notre  culte  que 
le  défaut  d'uniformité;  car  comme  uu  des 
principaux  motifs  qui  nous  doit  porter  à  le 
rendre  à  Dieu, c'est,  selon  saint  Augustin,  la 
reconnaissance  que  nous  lui  devons  pour 
ses  bienfaits,  le  culte  consiste  dans  la  recon- 
naissance^! la  reconnaissance  doit  être  réglée 
sur  les  bienfaits  ;les  bien fai  tsé! an t  continuels, 
leculte  ne  doit  point  cesser.  Dieu  necesse  ja- 
mais de  nous  combler  de  ses  dons;  il  ne  faut 
donc  jamais  cesser  un  moment  de  l'en  re- 
mercier. C'est  pourquoi  saint  Paul  nous  re- 
commande de  lui  rendre  grâces  en  tout 
temps  et  -pour  toutes  choses.  Ce  devoir 
ne  nous  oblige  pas,  sous  prétexte  de  passer 
notre  vie  en  actions  de  grâces,  de  quitter 
toutes  sortes  d'emplois  pour  ne  nous  appli- 
quer qu'à  ce  seul  exercice;  mais  il  exige  de 
nous,  après  avoir  réglé  avec  sagesse  le  culte 
que  nous  devons  rendre  à  Dieu  par  amour, 
que  nous  continuions  toujours  à  le  lui  ren- 
dre, de  telle  manière  que  toutes  nos  œuvres 
étant  comme  embaumées  cl  sanctifiées  par 
la  veriu  de  ce  culte  réglé,  elles  forment  un 
corps  d'actions  de  grâces  que  rien  n'inter- 
rompe jamais. 

Eti  effet,  mes  frères,  ce  n'est  pas  honorer 
Dieu,  ni  le  servir  comme  il  veut  l'être,  que 
de  le  faire  seulement  par  rencontre,  dans  le 
besoin  et  sans  discrétion.  Nous  voyons  tous 
les  jours  des  gens  qui,  à  l'occasion  d'une 
mauvaise  affaire,  s'unissent  entre  eux  pour 
prier  le  Seigneur,  parce  qu'ils  ont  besoin  de 
son  assistance.  D'autres  ont  mal  réussi  dans 
le  monde,  ils  y  ont  reçu  quelque  chagrin 
qui  leur  en  donne  du  dégoût,  ils  forment  des 
projets  desolilude  et  de  retraite,  ils  embrassent 
des  exercices  de  piété;  cela  peut  être  bon. 
Dieu  permet  quelquefois  que  le  monde  nous 
rejette,  pour  nous  mettre  dans  l'heureuse  né- 
cessité devenir  à  lui,  mais  il  faut  que  ce  soit 
de  bonne  foi. 

11  y  a  des  gens  que  rien  n'épouvante  :  ils 
trouvent  tout  aisé  dans  le  service  do  Dieu; 
semblables  à  Ce  disciple  dont  il  est  parlé  dans 
saint  Marc,  qui,  entendant  le  bruit  de  ceux 
qui  conduisaient  Jésus-Chri  -l  au  Calvaire, 
touché  de  l'injustice  qu'on  faisait  i  cet  iano- 


479 


ORATEURS  SACHES.  DOM  .11  ROME. 


180 


cent,  quitta  tout  pour  le  suivre;  ruai.-,  les  sol- 
dais  voulant  se  saisir  de  lui,  comme  disciple 

de  celui  qu'ils  emmenaient,  il  s'eufuii  tout 
nu,  laissant  ses  vêlements  entie  les  luains 
de  ceux  qui  voulaient  l'arrêter.  Il  en  est 
souvent  de  même  à  noire  égard  :  le  cœur 
est-il  touché  de  crainte,  de  chagrin,  de  dé- 
pit, de  dégoût, 00  a  recours  à  Dieu,  rien  n'ef- 
fraye, on  embrasse  tout  :  grande  réforme, 
frand  éclat;  niais  les  choses  viennent-elles 
changer,  on  se  réconcilie  avec  le  monde, 
on  quitte  sans  honte  tout  ce  qu'on  avait  em- 
brassé saus  discrétion.  D'autres,  un  peu  plus 
décidés  à  suivre  Jésus-Christ  et  plus  dispo- 
sés à  la  dévotion,  veulent  bien  èlre  à  lui  et 
le  suivre,  mais  à  leur  façon  et  selon  leur  vo- 
lonté, et  dès  qu'on  les  contrarie  cl  qu'on  les 
veut  lier  au  Sauveur  pour  faire  l'œuvre  qu'il 
leur  a  ordonnée,  ils  fuient  comme  le  disciple 
dont  nous  venons  de  parler,  ils  demeurent 
tout  nus,  c'est-à-dire  dépouillés  de  toute  sorte 
de  piété. 

Il  ne  faut  donc  pas,  mes  frères  ,  servir 
Dieu  par  humeur  ,  mais  d'une  manière 
uniforme.  11  ne  faut  pas  se  former  une 
dévotion  selon  son  caprice ,  mais  s'atta- 
cher à  un  culte  réglé,  que  nous  lui  rendions 
par  amour,  et  qui  sanctifie  la  fidélité  avec 
laquelle  il  se  faut  appliquer  à  l'œuvre  qu'il 
nous  a  donnée  ;  c'est  la  seconde  qualité  d'une 
solide  dévotion,  et  la  deuxième  partie  de  ce 
discours. 

DEUXIÈME    PARTIE. 

L'apôtre  saint  Paul  nous  recommande 
particulièrement  la  manière  de  servir  Dieu 
et  d'être  dévot;  nous  en  allons  parler  dans 
cette  deuxième  partie  :  Nous  vous  prions, 
mes  très-chers  frères,  dit-il  aux  Ephésiens, 
que  chacun  dans  son  état  s'applique  à  ce  qu'il 
a  à  faire;  et  dans  la  première  aux  Corin- 
thiens :  Que  chacun  demeure  dans  l'état  au- 
quel il  a  été  appelé  ;  car  c'est  en  faisant  son 
ouvrage,  c'est-à-dire  en  travaillant  selon 
Dieu  dans  la  condition  où  sa  providence 
nous  a  placés,  qu'on  le  sert  d'une  manière 
qui  lui  est  agréable  et  qui  nous  est  utile. 

Or,  pour  bien  entendre  ceci,  il  est  impor- 
tant de  faire  réflexion  que  nous  devons  con- 
sidérer l'Eglise,  qui  est  le  monde  choisi  par 
Jésus-Christ,  comme  la  famille  et  la  maison 
de  Dieu,  dans  laquelle  tous  les  ebrétienssont 
reçus,  cl  où  ils  doivent  travailler  pour  le 
bien  et  pour  la  gloire  de  celte  famille  sainte. 
C'est  ce  qu'il  nous  représente  en  plusieurs 
endroits  de  l'Ecriture,  mais  clairement  dans 
cette  parabole  des  vignerons,  dans  laquelle 
il  est  marqué  qu'il  envoie  des  ouvriers  pour 
travailler,  et  auxquels  il  promet  des  récom- 
penses après  leur  travail  :  parabole  qui  est 
la  ligure  de  l'Eglise,  qui  est  le  royaume  de 
Dieu,  parce  qu'il  y  est  connu,  aimé  et  servi; 
et  qui  est  représentée  par  une  vigne,  parce 
que  c'est  un  lieu  de  travail  où  personne 
ne  doit  être  oisif. 

Le  père  de  famille  promet  des  récompenses 
à  ceux  qu'il  y  envoie,  parce  qu'il  n'y  a  p  linl 
de  place  dans   l'Eglise  où   l'homme,  en  tra- 
vaillant par  l'ordre  de  Dieu,  ne  se  sanctifie 
ce  qui  ne  se  doit  pas-  entendre  seulement  de 


ceui  'jui  travaillent  dans  l'Eglise,    muom  mi- 

BÎstrel  sa>  rés  qui  sont  digues  d'un  double 
honneur,  tomme  parle  saint  l'aul.mais  de 
ions  (eux  qui,  appartenant  a  l'Eglise  par  la 
foi,  travaillent  dans  la  condition  où  ils  sont 
entres  par  la  vocation  de  Dieu  Cm  prise  |  l  s 
poses,  il  est  aisé  de  vous  faire  voir  qu'on  ne 
sert  Dieu  d'une  manière  qui  lui  est  agréable, 
ei  que  l'on  n'est  véritablement  dévot,  que 
lui -qu'on  s'applique  avec  fidélité  a  l'œuvre 
qu'il  nous  a  donnée  :  et  pour  s'en  convain- 
cre il  n'y  a  qu'à  faire  réflexion  sur  la  vo- 
lonté de  Uieu,  qui  s'est  proposé  de  former  un 
corps  et  une  assemblée  de  fidèles  qui,  étant 
animée  de  son  esprit  et  n'agissant  ijue  par 
ses  mouvements,  nous  représente  sur  la 
terre  celte  céleste  Jérusalem  dans  laquelle  il 
règne  et  où  il  esl  adoré.  C'est  ce  que  saint 
Paul  nous  enseigne  quand  il  dit  qu'il  s'est 
livré  lui-même  pour  se  faire  un  peuple  par- 
ticulièrement consacré  à  son  service,  qui  fût 
fervent  dans  les  bonnes  œuvres.  11  veut  que 
ce  corps  soit  parfait,  et  c'est  celle  perfection 
qu'il  a  en  vue,  suivant  ce  que  dit  saint  Paul, 
qu'il  veut  notre  propre  sanctification. 

La  seconde  chose  sur  laquelle  il  faut  faire 
réflexion,  c'est  sur  les  mojens  qu'il  a  choi- 
sis pour  former  ce  corps,  cl  il  l'a  formé  en 
le  composant  de  différentes  parties,  aux- 
quelles il  donne  des  fonctions  propres,  dont 
l'accomplissement  fait  également  la  per- 
fection du  corps  et  des  parlies  qui  le  com- 
posent. 

Car  il  ne  faut  pas  se  persuader  que  la  dif- 
férence des  conditions  soit  un  effet  du  ha- 
sard ;  c'est,  mes  frères,  une  sage  disposition 
de  la  providence  de  notre  Dieu  pour  le  bien 
général  et  pour  celui  des  particuliers.  L'un 
nait  roi,  l'autre  sujet:  l'un  nail  riche,  l'au- 
tre pauvre.  Le.  Seigneur,  dit  le  Sige.  esl  le 
créateur  d"  l'un  et  de  l'autre;  il  a  fait  l'un  pour 
l'antre.  Ces  hauts  et  ces  bas  dan»  les  condition* 
sont  de.<  tons  différents,  dit  saint  Ambrois  . 
qui  composent  une  musique  et  une  harmonie 
parfaite  dont  Dieu  esl  l'auleur.  Chaque  par- 
lie  a  sa  fonction,  elle  est  parfaite  en  son 
genre,  et  elle  contribue  à  la  perfection  du 
corps  et  à  l'accomplissement  des  desseins  de 
Dieu. 

La  troisième  chose  sur  laquelle  il  faut 
faire  réflexion,  c'est  sur  la  nécessité  où  Mus 
sommes  de  nous  tenir  dans  le  po»te  où  Dieu 
nous  a  mis,  et  de  nous  appliquer  fidèlement 
à  l'œuvre  qu'il  nous  a  donnée.  L'accomplis- 
sement de  ce  devoir,  mes  frères,  est  une  ex- 
cellente dévotion  :  c'est  une  manière  bien 
sûre  de  servir  Dieu  comme  il  veut  être  servi, 
que  d'aimer  son  état,  de  ne  le  point  changer, 
d'en  r  mplir  les  fondions  avec  fidélité  pour 
contribuer  à  l'accomplissement  des  desseins 
de  Dieu  ;  de  ne  rien  désirer,  de  ne  rien  de- 
mander d'extraordinaire,  ni  au-dessus  de 
forces.  11  faut  donc  que  chaque  chrétien  qui 
est  entre  par  la  vocation  de  Dieu  dans  un  étal 
bon  en  lui-même  considère  CC  qu'il  est,  ce 
qu'on  demande  de  lui,  el  qu'il  s'applique  à 
remplir  ses  devoirs  avec  fidélité  el  avec  ar- 
deur. 

Car  en  effet,  que  signifie  le  mol  de  dévot, 


tôi 


SERMON  POUR  LE  MERCREDI  DE  LA  TROISIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


m 


quand  on  n'en  abuse  point? C'est  un  homme 
dévoué,  soumis,  prompt  à  faire  la  volonté  de 
Dieu  et  à  exécuter  ses  ordres  dans  le  poste  où 
il  l'a  placé  et  dans  les  fonctions  qu'il  a  bien 
voulu  lui  confier  dans  le  gouvernement  et 
dans  la  conduite  de  sa  famille.  Il  faut  donc 
que  cet  homme  reconnaisse  quels  sont  les 
engagements  de  son  état,  qu'il  se  persuade 
que  Dieu  se  repose  sur  lui  des  choses  qui  dé- 

fiendenl  de  cet  état  et  qui  sont  nécessaires  à 
a  perfection  du  corps  dont  il  fait  partie,  qu'il 
s'applique  exactement  aux  fonctions  de  cet 
élat,  et  qu'il  sache  que  c'est  là  sa  dévotion  et 
le  service  que  Dieu  demande  de  lui,  et  non 
pas  un  autre  service. 

C'est  une  des  choses  qu'on  néglige  le  plus 
que  de  connaître  les  obligations  de  son  état. 
La  plupart  des  hommes  vivent  dans  une  igno- 
rance effroyable  des  engagements  de  leur 
condition;  ils  se  règlent  etse  formentdes  pra- 
tiques de  dévotion  selon  leur  caprice,  et  veu- 
lent servir  Dieu  selon  leur  volonté  sans  con- 
sulter la  sienne;  ils  lui  rendent  presque  tou- 
jours des  services  qu'il  n'exige  pas  d'eux,  et 
ils  ne  s'appliquent  presque  jamais  à  faire  les 
choses  pour  lesquelles  il  les'  a  mis  sur  la 
terre.  Quel  est  le  grand  seigneur,  le  magis- 
trat, le  père  et  la  mère  de  famille  qui  se  soit 
dit  :  Il  faut  que  j'entre  dans  la  connaissance 
de  mes  obligations,  et  que  j'apprenne  ce  que 
Dieu  demande  de  moi  dans  mon  état?  Car 
après  tout  je  ne  suis  pas  dans  cette  condition 
pour  n'en  recevoir  que  les  honneurs  et  les 
plaisirs;  ce  n'est  pas  assurément  là  le  des- 
sein de  Dieu  sur  moi.  Depuis  le  péché  l'hom- 
me est  sur  la  terre  pour  travailler.  N'esl-il 
pas  môme  vrai,  par  tous  les  principes  et  par 
l'analogie  de  la  religion,  que  la  grandeur  des 
l'ois  mêmes  n'est  qu'un  pur  ministère,  que  le 
ciel  commet  à  une  créature  qui  ne  doit  avoir 
d'autre  fin  que  la  gloire  de  Dieu  et  l'avan- 
lage  spirituel  et  temporel  des  hommes  ? 

Il  faut  voir  ce  que  dit  saint  Augustin,  li- 
vre V  de  la  Cité  de  Dieu,  sur  les  devoirs  et 
sur  la  vraie  grandeur  des  rois  et  des  souve- 
rains. Ils  ne  sont  pas  heureux  pour  avoir 
régné  longtemps,  pour  être  moris  en  paix, 
pour  avoir  laissé  leurs  enfanls  successeurs 
de  leur  couronne,  pour  avoir  remporté  des 
victoires,  parce  <}uc  tous  ces  avantages  leur 
sont  communs  avec  des  rois  impies  ;  mais 
leur  bonheur,  leur  devoir  et  leur  gloire,  c'est 
de  faire  régner  la  justice,  de  n'êlre  point  en- 
flés d'orgueil  au  milieu  des  respects  qu'on 
leur  rend;  c'est  de  soumettre  leur  puissance 
à  celle  de  Dieu,  c'est  de  le  craindre,  de  l'ai- 
mer, de  l'adorer,  de  le  faire  servir,  de  soute- 
nir la  gloire  de  son  culte,  de  punir  ceux  qui 
l'offensent,  de  soutenir  ceux  qui  l'aiment, 
enfin  de  n'employer  leur  pouvoir  que  pour  sa 
gloire  et  selon  ses  lois. 

Chacun  se  doit  donc  dire  à  lai-même  :  C'est 
une  erreur  grossière  de  croire  que  je  ne  sois 
ici-bas  que  pour  moi  seul.  H  paraît  évidem- 
ment par  l'ordre  que  Dieu  a  mis  dans  le 
monde  qu'il  y  a  une  dépendance  mutuelle  et 
réciproque  entre  tous  les  hommes.  Ainsi  , 
dans  ma  condition,  j'ai  rapporta  quelqu'un 
cl  quelqu'un  a  rapport  à  moi.  S'il  y  a  dans 


mon  état  des  droits,  des  avantages  qui  me 
regardent,  il  y  a  aussi  des  obligations,  des 
engagements  et  des  devoirs  qui  m'obligent 
envers  les  autres.  Voilà  la  première  réflexion 
que  doit  faire  un  chrétien. 

En  second  lieu,  il  faut  qu'il  se  dise,  dans  la 
vue  de  ses  obligations  et  de  son  rapport  aux 
autres  :  Comme  Dieu,  dans  l'ordre  de  sa  pro- 
vidence, m'a  chargé  de  rendre  certains  de- 
voirs aux  autres,  il  est  certain  qu'il  se  repose 
sur  moi  de  l'exécution  des  devoirs  dont  je 
suis  chargé  par  rapport  à  ceux  dont  je  ré- 
pondrai. Vous,  grands  seigneurs,  par  exem- 
ple, vous  devez  faire  honorer  Dieu,  vous  de- 
vez faire  garder  sa  loi  :  l'Apôtre  nous  dit  que 
le  prince  est  le  ministre  de  Dieu  pour  porter 
à  faire  le  bien.  Dieu  se  repose  sur  vous  de 
ces  devoirs  ;  le  public  et  le  particulier  ne 
peuvent  recevoir  ce  bien-là  que  de  vous. 
Vous,  magistrats,  vous  devez  faire  exécuter 
fidèlement  les  lois  que  le  prince  a  établies. 
Vous,  juges,  vous  devez  protéger  la  veuve  et 
l'orphelin,  vous  devez  défendre  l'innocent 
contre  la  violence  des  puissants  qui  l'oppri- 
ment. Vous,  pères  et  mères,  vous  devez  l'é- 
ducation à  vos  enfanls;  Dieu  se  repose  sur 
vous  du  soin  de  le  faire  connaître,  aimer  et 
régner  dans  votre  famille.  Voilà  l'office  dont 
il  vous  a  chargés  dans  sa  maison.  Vous  ne 
serez  des  serviteurs  fidèles  qu'autant  que 
vous  vous  acquitterez  exactement  de  ces  de- 
voirs. 

C'est  là  l'objet  de  voire  véritable  dévo- 
tion; car  cette  dévotion  n'est  autre  chose 
qu'une  promptitude  dans  la  volonté  du  chré- 
tien à  faire  celle  de  Dieu.  Le  terme  latin  dé- 
volus signifie  dévoué,  prêt  à  partir,  toujours 
en  mouvement.  Soyez  donc  ardents,  atten- 
tifs, vigilants  pour  les  intérêts  de  sa  gloire 
dans  l'ordre  où  il  vous  a  placés.  Ainsi,  comme 
il  vous  a  marqué  ce  qu'il  veut  de  vous  en 
vous  mettant  dans  un  état,  vous  ne  serez  ja- 
mais solidement  dévot  que  vous  ne  fassiez 
votre  capital  d'accomplir  les  devoirs  de  votre 
état. 

La  troisième  chose  que  vous  devez  faire, 
qui  est  la  suite  nécessaire  des  deux  précé- 
dentes, c'est  de  vous  appliquer  à  accomplir 
exactement  les  devoirs  de  votre  élat  ;  car  si 
vous  négligez  la  pratique  de  ces  devoirs,  vous 
ruinez  l'ordre  de  Dieu,  et  vous  mettez  le  dé- 
règlement dans  su  maison  ;  vos  domestiques 
font  dans  la  vôtre  ce  que  vous  leur  ordonnez  : 
s'ils  n'exécutaient  pas  vos  volontés,  ou  s'ils 
s'ingéraient  dans  des  emplois  différents  de 
ceux  que  vous  leur  marquez,  quel  étrange 
désordre  ne  serail-ce  pas  dans  vos  familles  I 
vous  ne  seriez  poinl  servis,  et  vous  auriez 
raison  de  vous  plaindre. 

Voilà,  mes  frères,  le  désordre  que  vous 
causez  dans  la  maison  de  Dieu,  quand  vous 
ne  vous  appliquez  pas  à  votre  œuvre.  Il  se 
repose  sur  vous,  grands  seigneurs,  sur  vous, 
magistrats,  sur  vous,  pères  et  mères,  de  ce 
que  d'autres  que  vous  ne  peuvent  pas  exé- 
cuter. 

Les  désordres  que  vous  voyez  dans  les 
conditions  sont  des  suiles  de  la  négligence 
que  chacun  apporte  à  l'œuvre  que  Dieu  lui 


483 


ORVU  i  RS  SACRKS.  DOM  IEROME. 


a  confiée.  C'esl  donc  dans  l'accomplissement 
de  cellfl  ouvre  que  co  sisle  la  solide  dévo- 
tion. Priez,  mes  frères,  remplissez,  comme 
chrétiens,  les  engagements  ou  vous  êies  en- 
vers l'église  ;  réglez  selon  votre  élal  le  culte 

qui  est  dû  à  Dieu,  niais  appliquez-vous,  ci 
rempli  sapl  ces  devoir-,  à  l'aire  votre  CSUVre; 
c'est  le  service  qu'il  demande  de  vous  dans 
sa  maison.  Vous  ne  devez  point  attendre  de 
récompense,  si  vous  n'y  avez  point  été  fi- 
dèles. Quand  un  homme  •'»  fait  le  contraire 
de  ce  que  vous  lui  avez  ordonné,  ne  lui  dites- 
vous  pas  :  Mon  ami,  ce  n'est  pas  là  ce  que  je 
demandais  de  loi,  demande  la  récompense  a 
celui  que  lu  as  servi  ?  Dieu  en  use  de  même 
à  noire  égard,  il  ne  nous  veut  récompenser 
qu'. allant  que  nous  avons  fail  l'œuvre  qu'il 
nous  a  commandée. 

Ainsi,  mes  fières,  noire  salut  dépend  de  là. 
Je  ne  regarde  poini  la  prédestination  dans  sa 
cause,  eîl  est  impénétrable,  el  ou  s'y  perd  ; 
je  la  regarde  dans  ses  effets,  qui  sont  évi- 
dents. Je  ne  serai  point  sauvé  si  je  ne  lais 
mon  œuvre.  Dieu  ne  récompense  que  ses  ser- 
viteurs, et  je  ne  le  serai  qu'autant  que  je  ferai 
ce  qu'il  m'ordonne,  cela  est  sûr  :  il  ne  faut 
point  quilier  noire  œuvre  pour  en  faire  une 
autre,  quelque  éclit  el  quelque  apparence  de 
bien  que  puisse  avoir  celle  <|ue  nous  sommes 
portés  à  entreprendre;  ni  l'âge,  ni  la  pau- 
vreté, ni  les  richesses,  ni  les  affaires,  ni  la 
guerre,  ni  le  négoce,  ni  le  gros  travail,  ni 
quelque  autre  chose  que  ce  puisse  être,  ne 
nous  empêchera  jamais  d  élre  véritablement 
dévots  et  vertueux. 

On  a  vu  dans  tous  les  siècles  des  vieillards, 
des  jeunes  gens,  des  personnes  mariées  et 
occupées  de  leurs  enfants,  des  gens  d'affai- 
res, des  soldais,  des  artisans  qui  se  sont  si- 
gnalés par  leurs  vertus,  qui  ont  été  très-fi- 
dèles à  Dieu,  et  qui  dans  tous  les  temps  et 
dans  toutes  sortes  d'emplois  oui  accompli  s  s 
piéceples  et  l'ait  sa  volonté.  Daniel  était 
jeune,  Joseph  était  esclave,  Aquila  était  ar- 
tisan, Lydie  était  marchande,  Corneille  était 
capitaine,  le  geôlier  de  saint  Paul  gouvernait 
une  prison,  Timothce  était  presque  toujours 
malade,  Onésime  était  non-scuicment  es- 
clave, mais  fugitif  ;  cette  différence  d'états, 
d'âge,  de  c  .mplexiou  n'a  point  empêché  que 
toutes  ces  personnes,  hommes  et  femmes, 
jeunes  el  vieux,  esclaves  et  libres,  officiers  et 
particuliers,  n'aient  servi  Dieu  sans  sortir  de 
leurs  conditions  :  au  contraire,  c'est  leur  fi- 
délité à  rendre  à  Dieu  les  services  qu'il  de- 
mandait d'eux  dans  leur  élal  qui  les  a  rendus 
illustres  dans  l'Ecriture,  et  dignes  délie  pro- 
posés pour  exemple  aux  fidèles  dans  tous  les 
siècles  ;  et  ce  ne  sera  jamais  que  par  une 
pareille  fidélité  que  vous  vous  sanctifierez 
dans  l'exercice  d'une  dévotion  réglée  sur 
votre  état  el  proportionnée  à  vos  engage- 
ments. 

Je  vous  exhorte  donc,  mes  Irès-chers  frè- 
res, de  vous  appliquer  fidèlement  à  faire  vo- 
tre œuvre.  Voyez  ce  que  vous  êtes  dans  le 
monde,  el  quel  esl  l'emploi  que  Dieu  vous  a 
donné  dans  sa  maison.  Tenez-vous  là  cl  rem- 


pli s  /-eu  les  devoir»,  avec  exactitude,   avec 
humilité,    avec     douceur,    arec     pal 
Qu'on   est  dévot  quand   on  vit  de  celle  ma- 
nière ! 

TROISIEME    PARTIE. 

Le  troisième  caractère  de  la  dévotion, 
pour  qu'elle  soit  solide,  c'est  de  se  10001  tire 
avec  respect  aux  or  très  de  la  volonté  de 
Dieu,  qu  il  nous  marque  qui :  Iquefois  par  des 
événements  imprévus.  En  effet,  si  nous  tont- 
ine- persu.  des  que  Dieu  règle  lout  dans  sa 
maison,  et  qu'il  n'y  arrive  i  en  que  par  moi 
ordre,  nous  devons  le  regarder  dans  toutes 
sortes  d'événements,  et  si  nous  lui  soumbm 
véritablement  fidètee,  il  faut  le  servir  de  la 
manière  qu'il  le  veut  être;  car  comme  nous 
prétendons  avoir  droit  dans  nos  familles  d'ô- 
ter  un  domestique  de  son  emploi  pour  l'oc- 
cuper, quand  il  nous  plaît,  aux  choses  qui 
nous  pressent  davantage,  et  comme  c'esl 
une  grande  louange  que  nous  prétendons 
lui  donner  quand  nous  disons  :  Il  est  à  tout, 
el  à  quelque  chose  qu'on  l'emploie  il  fait  de 
bonne  grâce  et  volontiers  ce  qu'on  exige  de 
lui;  ainsi,  mes  frères,  Dieu  éprouve  notre 
fidélité  par  des  événements  el  des  rem 
très  que  nous  n'attendions  point.  S'il  nous 
relire  quelquefois  de  nos  exercices  ordinai- 
res, et  qu'il  permette  qu'on  nous  suscile  de 
mauvaises  affaires,  s'il  nous  expose  à  des 
persécutions,  s'il  veut  que  nous  quiltic 
nos  emplois  pour  faire  autre  chose,  il  faut 
se  soumettre  à  ses  ordres,  el  tâcher  de  les 
exécuter  en  paix  :  c'esl  là  la  marque  assu- 
rée de  notre  fidélité,  et  une  preuve  qu.-  nous 
servons  Dieu  pour  lui-même,  et  c'esl  par  là 
qu'on  recmnaîlra  si  vous  êtes  véritablement 
serviteurs  de  Dieu,  lorsqu'on  verra  que  vous 
éles  livrés  entièrement  à  la  volonté  de  v 
maître,  et  qu'il  vous  esl  indiffèrent  de  faire 
telle  ou  telle  chose,  pourvu  que  vous  soyez 
certains  que  vous  faites  sa  volonté. 

C'est  là  le  caractère  d'un  bon  servilcur:  il 
ne  s'informe  de  rien  que  de  connaître  la  vo- 
lonté de  son  maître  pour  la  faire  sans  rai- 
sonner; c  est  là  le  caractère  d'un  vrai  servi- 
teur de  Dieu  et  d'un  homme  véritablement 
dévot  :  car  c'est  par  là  que  nous  nous  dis- 
tinguons de  ce  peuple  que  le  Seigneur  rejette 
dans  cet  évangile,  qui  ne  le  sert  que  des  lè- 
vres, c'est-à-dire  qui,  faisant  profession  de 
le  servir,  fait  toujours  sa  volonté  propre, 
et  qui  ne  veut  jamais  accomplir  celle  de 
Dieu. 

O  mon  Dieu  !  éloignez  de  nous  ce1  esprit 
d'h}  pocrisie  que  vous  condamnez,  faites  que 
nous  vous  rendions  par  amour  un  culte  di- 
gne de  votre  grandeur;  appliquez-nous  p  ir 
voire  sainte  grâce  à  l'œuvre  que  vous  nous 
avez  donnée.  Rendez-nous  soumis  à  lous  les 
ordres  de  votre  volonté  adorable,  afin  qu'a- 
près vous  avoir  servi  sur  la  terre  comme 
vous  voulez  1  elre,  nous  soyOOl  rendus  di- 
gnes par  votre  miséricorde  dos  récompenses 
qui  vous  voulez  bien  nous  promollre.  Je 
vous  les  BOUbaile.  Ainsi  soil-il. 


i85  SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA  7 

SERMON 

POUR    LE    JEUDI    DE     LA    TROISIÈME    SEMAINE 
DU    CARÊME. 

Sur  l'usage  des  maladies. 

Socms  autem  Simonis  tenebatur  maguis  febribus. 
La  belle-mère  de  Simon  avait  mie  (fraude  fièvre  (Luc., 
IV,  5d). 

Si   l'apôlrn  saint  Paul  a   dit  autrefois  que 
ses  infirmités  faisaient  sa  gloire,  et  que,  par 
le  bon  usage  de  l'étal  où  la  Providence  l'a- 
vait réduit,  il  trouvait  sa  force  dans  sa  pro- 
pre  faibhsse,   je   puis  bien   dire   la    même 
chose  de  la  femme  de  cet  évangile,  et  assu- 
rer que  sa  maladie  a  clé  la  source  de    sa 
gloire.  Réduisons  à  trois  choses  tout  ce  qui 
est  rapporté  dans  l'Evangile.  1°  Celte  femme 
souffre   sans   témoigner   la  moindre    impa- 
tience, et  elle  attend  avec  une  tranquillité 
admirabl  i  la  venue  de  Jésus-Christ   qu'elle 
n'avait  pas  même  demandée;  8°  elle  fait  pa- 
raître une  fort  grande  indifférence  pour  ie 
recouvrement  de  sa  sanlé  :  ce  n'esl  pas  elle 
qui  demande  d'être  guérie,  ce  sont  ses  amis 
qui   s'en  mettent  en  peine;   3"  elle  emploie 
ses  forces  rétablies  à  reconnaîtra  la  miséri- 
corde de  celui  qui  les  lui   a  rendues,  el  elle 
ne  quitte  le  lit  que  pour  servir   le   Sauveur 
et  ses  disciples.   Voilà,  mes   frères,  tout  ce 
que  la  vertu  chrétienne  peut    taire   de    plus 
admirable  dans  une  semblable  occasion  ;  car 
on  peut  distinguer  trois  étais  dans  la  mala- 
die qui    nous  exposent  à  différents  périls  et 
qui  demandent  de  nous  différentes   vertus  : 
il  y  a  n ii  élal  fâcheux  où,  ressentant  les  dou- 
leurs et  les  violences    du   mal,    nouT   avons 
besoin  de  patience,  parce  que  nou^  sommes 
porlés  à  la   révolte;  il  y  a  un  état   de    lan- 
gueur el  incertain,  où,  nous  trouvant  entre 
la  mort  el  la  vie,  sans  savoir  quel  doit  être 
le  succès  de  notre  mal,  nous   avons   besoin 
d'une  force  chrétienne  pour  nous  abandon- 
ner aux  ordres  de   Dieu,  parce  qu'on  est  en 
danger  de    tomber  dans   la  mélancolie,    et 
quelquefois  même  dans  une  espèce  de  déses- 
poir; il  y  a  un  élal  agréable,  c'esl  celui  du 
rétablissement  de  la  santé,    où  nous  avons 
besoin  de  l'esprit  de  reconnaissance,  parce 
qu'ordinairement  nous  oublions  noire  bien- 
faiteur. Cette  illustre  malade  de    l'Evangile 
nous    donne   un    exemple  merveilleux   de 
toutes  ces  verlus  différentes  :  eilc  est  atta- 
quée de  la  fièvre,  elle  supporte  cet  élal  fâ- 
cheux avec  patience,  elle  ne  sait  si  Dieu  a 
résolu  de  lui  ôlcr  la  vie  ou  de  lui  rendre  la 
santé,  elle  accepte  l'incertitude  de  cet  état 
avec  soumission  ;  le  Sauveur  du  monde    lui 
rend  la  sanlé,  el  par  reconnaissance  elle  em- 
ploie ses  premiers  moments  à  le  servir.  Ap- 
prenons donc  par  son  exemple,   mes   très- 
chors  frères,  quand  Dieu  nous  visite  par  les 
maladies,  que  nous  devons  étie  patients  dans 
la  violence  du  mal  :  première  partie;  soumis 
dans  l'incertitude  de  l'événement  :  deuxième 
parie,  reconnaissants  dans  la   guérison  : 
Iroi  ièine  partie. 

On  prie  le  Sauveur  du  monde  pour  obte- 
nir de  lui  la  santé  de  cette  brame,  prions-le 
pour  obtenir  la  grâce  de  profiler  de  l'cxein- 


R01S1EME  SEMAINE  DE  CAREME.  486 

pie  qu'elle  nous  a  donné,  c'est  ce  que  je  lui 
demande  par  l'intercession  de  Marie.  Ave, 
Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

11  faut  que  l'homme  chrétien  abattu  par 
la  maladie  demande  à  Dieu  la  patience  dans 
ses  douleurs,  car  c'est  lui  qui  la  donne, 
comme  toutes  les  autres  vertus  ;  mais  comme 
il  faut  qu'il  travaille  de  sa  part  à  s'en  ren- 
dre digne  en  modérant  l'impatience  et  en  ar- 
rêtant les  emportements  où  la  violence  de 
ses  maux  le  pourrait  porter,  disons  que  deux 
vues  différentes  doivent  servir  à  le  mettre 
dans  cette  modération,  et  que  pour  éviter 
l'emportement  dans  la  douleur,  il  faut  qu'il 
considère  ce  qui  lui  est  dû  comme  pécheur 
et  ce  qu'il  ne  peut  éviter  comme  juste. 

Il  est  certain  que  toutes  les  maladies  qui 
nous  accablent  sont  des  suites  du  péché,  et 
que  nous  n'en  ressentons  les  violences  et  les 
douleurs  que  parce  que  nous  sommes  cou- 
pables ;  mais  parce  que  tous  les  hommes  ne 
sont  pas  pécheurs  dans  le  même  degré,  il  y 
a  pour  eux  différents  motifs  de  patience 
dans  la  même  vue  du  péché  ;  car,  mes  frères, 
ou  le  péché  est  en  nous,  ou  il  règne  en  nous, 
ou  il  a  cessé  d'y  régner.  Quand  il  est  sim- 
plement en  nous,  nous  sommes  pécheurs 
sans  être  coupables  ;  quand  il  y  règne,  nous 
sommes  tout  ensemble  et  coupables  et  pé- 
cheurs ;  quand  il  a  cessé  d'y  régner,  nous 
cessons  d'être  coupables  et  nous  demeurons 
pécheurs. 

Or,  pour  entendre  ce  que  j'avance  ici,  il 
faut  reconnaître,  avec  saint  Augustin  et  les 
Pères,  que  le  péché  est  dans  lous  les  hom- 
mes, puisque,  nonobstant  la  régénération 
du  baptême,  la  concupiscence  demeure  en 
nous,  et  elle  est  appelée  péché,  non  parca 
qu'elle  nous  sépare  de  Dieu,  séparation  qui 
constitue  réellement  le  péché,  mais  parce 
qu'elle  nous  porte  toujours  à  nous  en  sépa- 
rer, et  c'est  ce  poids  dont  nous  avons  expli- 
qué les  effets  plusieurs  fois.  C'est  ce  qui  fait 
que  saint  Thomas  remarque  que  l'Apôtre  dit 
bien  aux  Romains  que  puisqu'ils  sont  assez 
heureux  pour  être  morts  au  péché  par  la 
profession  du  christianisme,  iis  ne  doivent 
plus  souffrir  que  le  pèche  règne  dans  leur 
corps  mortel,  mais  qu'il  ne  dit  pas  qu'il  ne 
soit  point  en  vous  ;  car,  excepté  Jesus-Christ, 
en  qui,  par  nature,  il  ne  pouvait  être,  et 
Marie,  en  qui  il  n'était  poiul  par  grâce,  il  est 
en  nous  lous;  et  c'est  ce  qui  [ail  dire  à  saint 
Chrysosîome,  à  l'occasion  de  la  fièvre,  de  la 
femme  dont  nous  parlons,  que  les  justes  ne 
sont  pas  sans  quelque  émotion  en  ce  monde. 
Oui,  mes  frères,  leur  seul  combat,  qui  doit 
être  continuel,  leur  cause  souvent  de  l'agi- 
tation, lors  même  que  leur  cœur  est  tout  à 
Dieu  :  ainsi  chacun  doit  prier  Jesus-Christ 
qu'il  guérisse  sa  fièvre;  mais  le  péché  règne 
dans  notre  cœur  lorsque  nous  obéissons  aux 
d  rs  déréglés  de  li  concupiscence.  \  oilà  la 
différence  antre  ces  expressions:  le  péché 
est  simplement  en  nous,  ou  le  pcciie  règne 
eu  nous,  et  il  ne  cesse  d'y  régner  que  lors- 
qu'après  la  conversion   du  cœur  nous  soi- 


•ÏR7 


ORATEURS  SACHES.  DO.M  JLIUiUi:. 


488 


Ions  de  dessous  son  empire  en  demeurant 
néanmoins  redevables  à  la  justice  de  Dieu. 
Conformons-nous  donc  au\  différentes  vues 
que  Dieu  a  dans  les  maladies  qu'il  nous  <u- 
voie. 

I  Quand  nous  sommes  pécheurs  sans  être 
coupables,  et  que  le  pérhé  est  en  nous  sans 
y  régner,  Dieu  nous  envoie  des  m  ;ladies 
pour  nous  garantir  de  son  malheureux  em- 
pire. 2"  Quand  nous  sommes  pécheurs  et 
coupables,  et  que  le  péché  règne  en  nous, 
il  nous  les  envoie  pour  nous  convertir.  S* 
Quand  nous  avons  cessé  d'être  coupables  en 
demeurant  pécheurs  et  redevables  a  sa  justice 
pour  nous  être  soumis  à  ce  malheureux  rè- 
gne, il  nous  les  envoie  pour  nous  purifler. 
Luirons  dans  ces  trois  vues  dilTérenlcs,  et 
nous  y  trouverons  de  grands  motifs  de  pa- 
tience dans  nos  maladies. 

Eu  effet,  n'est-ce.  pas  une  miséricorde  de 
Dieu   bien   marquée,  lorsqu'il   nous   frappe 
par  la  maladie  pour  nous  garantir  du  péché, 
cl  que,  pour  prévenir  la  chule  de  nos  âmes 
et  les  engagements  criminels  à  mille  objets 
qui  causent  la  perte  des  hommes,  il  nous 
réduit  dans  un  état  de  langueur  qui.  affai- 
blissant  le  corps,   fortifie   les  lumières  de 
l'âme  et  la  rend  capable  de  juger  des  choses 
sans  prévention?  C'est  assurément  la  dispo- 
sition la  plus  avantageuse  et  la  plus  sainte 
où  un  chrétien  puisse  être;  c'est  un  étal  sé- 
paré, pour  ainsi  dire,  de  la  vie,  où  l'homme 
est  comme  dépouillé  de  lui-même;  ses  pas- 
sions sont  presque  anéanties;  la  vengeance, 
la  haine,  l'ambition,  la  vanité,  la  sensualité 
perdent  leur  force  dans  la  maladie;  l'homme 
ne  voit  presque  plus  que  sa  misère,  il  recon- 
naît le  besoin  qu'il  a  de  Dieu,  il  y  recourt  et  il 
l'invoque  comme  par  une  heureuse  néces- 
sité. Cet  état  est  aussi  heureux  pour  lui  que 
peut  l'être  l'indifférence  des  hommes  à  son 
égard  ;  leur  amour  nous  aveugle,  leur  haine 
nous  irrite,  leur  indifférence  nous  laisse  li- 
bres. La  santé   nous  attache  aux  biens  pré- 
sents, dont  la  jouissance  nous  aveugle  ;  la 
mort  nous  en  prive  et  nous   rend  incapa- 
bles de  sentiment  et  de  mérite;  la  maladie 
nous  met  au  milieu.   L'impression  des  biens 
du  monde  n'est  pas  alors  assez  forte  pour 
aveugler  ;  mais   il   reste  assez  de  lumières 
quand  votre  grâce  agit  en  nous,  ô  mon  Dieu  1 
pour  nous  faire  regarder  ces  biens  dans  leur 
jusle  valeur. 

Car,  mes  frères,  dans  la  santé,  dans  la  vi- 
gueur, dans  la  jouissance  des  choses  pré- 
sentes et  agréables  à  nos  sens,  nous  ne  som- 
mes pas  capables  d'en  bien  juger  ;  le  plaisir 
nous  emporte,  et  les  délices  d'un  moment 
nous  font  risquer  sans  crainte  les  peines 
d'une  éternilé  et  nous  exposent  au  péril  de 
passer  de  l'état  de  la  jouissance  à  celui  de  la 
privation,  sans  avoir  fait  aucune  réflexion 
sur  la  différence  épouvantable  de  ces  deux 
étals,  qui  se  suivent  néanmoins  de  .si  près. 
Que  fait  donc  Dieu  quand  il  nous  aime?  il 
prévient  ce  malheur,  en  nous  mettant  par  la 
maladie  entre  la  jouissance  et  la  privation. 
Un  homme  en  effet  qui  esl  abattu  dans  son 
lit  est  comme  dégagé  de  toutes  les  opinions 


qui  trompent  les  autres  hommes:  n'élant  pas 
dans    la    jouissance    des    choses,    son    esprit 

n'( m  pas  enchanté  par  !<•  charme  qui  accom- 
pagne celle  jouissance;  il  est.  pour  ainsi 
dire,  dans  celle  solitude  OU  Dieu  parle  au 
cœur  de  la  créature  ;  de  là  il  regarde  les 
choses  sans  prévention,  comme  elles  sont  en 
elles-mêmes  ;  il  reconnaît  la  folie  d<  I  ambi- 
tion, et  il  v  oit  que  tous  les  gran 's  projets 
qu'elle  fait  former  se  doivent  terminer  dans 
ce  lit  où  il  est  retenu;  que  tous  I09  grai 
desseins  de  fortune  viendront  se  briser  con- 
tre cet  écueil  un  peu  plus  tôt  ou  un  peu  plus 
lard;  il  sent  1  impuissance  des  richesses  <t 
des  biens,  qui  non-seulement  ne  peuvent  le 
tirer  il  où  il  est,  mais  même  qui  ne  sont  pas 
capables  d'adoucir  les  violences  de  ses  dou- 
leurs. 

Voyez  Anliochus  frappé  delà  main  de  Dieu 
et  abattu  par  une  maladie  de  langueur.  Le 
sommeil,  dit-il,  s'est  éloigné  de  moi.  mon  cœur 
est  tout  abattu,  je  me  sens  défaillir,  lin  gwl 
abîme  de  tristesse  me  vois-je  plongé,  moi  qui 
étais  auparavant  si  content  et  si  chéri  au  mi- 
lieu de  la  puissance  gui  m'enc ironnait  I  Cet 
homme  reconnaît  la  faiblesse  de  ses  amis  et 
l'impuissance  des  grands  de  la  terre,  qui,  avec 
toute  leur  autorité  et  tout  leur  pouvoir,  ne 
sont  capables  que  de  compatir  à  son  et  il. 

Voilà,  dil  un  homme  sage  et  qui  profite  de 
la  miséricorde  de  Dieu,  ce  que  sont  tous  les 
biens  de  la  terre  pour  lesquels  on  sacrifie 
tout,  sans  même  épargner  son  salut,  et  qui, 
vous  abandonnant  dans  la  nécessité,  vous 
font  sentir  leur  impuissance  d'une  manière 
d'autant  plus  cruelle  que,  les  avant  préférés 
à  toutes  choses,  vous  ne  découvrez  qu'ils  ne 
sont  bons  à  rien  que  lorsqu'il  n'est  plus  temps 
de  réparer  la  faule  que  vous  avez  faite  de" 
vous  y  attacher.  Là-dessus  cet  homme  prend 
des  mesures  :  muni  de  ces  réflexions,  bien 
loin  de  se  plaindre  de  la  maladie  qui  le  re- 
lient, il  profile  du  temps  qu'elle  lui  laisse, 
et,  recevant  le  mal  que  Dieu  lui  envoie  comme 
un  effet  de  sa  miséricorde,  il  reconnaît  qu'il 
en  use  à  son  égard  comme  un  pasteur  qui 
voit  une  innocente  brebis  ,  attirée  par  la 
beaulédes  pâturages,  bondir  dans  des  champs 
éloignés  du  bercail,  et  s'exposer  au  péril  de 
devenir  la  proie  des  loups.  Que  fait  ce  berger 
charitable?  il  pique  sa  houlette,  il  prend  une 
motte  de  terre,  il  la  jette  sur  sa  brebis  ;  et  com- 
me si  ce  coup  faisait  rentrer  en  lui-même  cet 
animal  innocent,  il  quille  ces  champs  où  il 
s'égare,  cl  vient  reprendre  son  rang  dans  le 
troupeau  sous  la  conduite  de  son  pasleur. 

C'est  avec  ce  même  dessein  que  Dieu  nous 
frappe  quelquefois  par  la  maladie  :  le  charme 
des  plaisirs  nous  séduit,  le  torrent  des  affai- 
res nous  emporte,  l'éclat  des  granleors  nous 
aveugle  ;  Dieu  nous  frappe  pour  nous  faire 
rentrer  dans  nous-mêmes,  pour  nous  retirer 
du  péril  où  notre  innocence  courait  risque, 
et  nous  empêcher  par  là  de  joindre  la  qua- 
lité de  coupables  à  celle  de  pécheurs;  et  si 
celte  union  malheureuse  esl  déjà  faite,  les 
maladies  qu'il  nous  envoie  sont  des  moyens 
donl  il  se  sert  pour  nous  convertir. 

saint  Chrysosiomc,  dans  quelque  endroit 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA  TROISIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


48!) 

de  ses  ouvrages,  regarde  le  Sauveur  du 
monde  comme  un  général  d'armée  qui  do- 
mine sur  toutes  les  créatures,  sur  la  maladie 
même  et  sur  !a  mort;  elles  obéissent  à  ses 
ordres  et  combattent  pour  ses  intérêts.  On 
peut  donc  dire  que  lorsque  Dieu  envoie  des 
maladies  aux  hommes  en  conséquence  de 
leurs  péchés,  il  en  use  comme  un  général 
d'armée  qui  envoie  des  soldats  vivre  à  dis- 
crétion chez  des  sujets  rebelles.  Il  les  afflige, 
il  les  dépouille,  il  les  réduit  dans  la  misère 
sans  qu'on  les  plaigne,  parce  qu'ils  se  sont 
attiré  ces  duretés  par  leur  rébellion.  Dieu  en 
use  de  même  à  l'égard  des  pécheurs,  avec 
celle  différence  que  s'il  les  frappe,  c'est  pour 
les  guérir;  s'il  réduit  le  corps  dans  la  lan- 
gueur, c'est  pour  retirer  l'âme  de  la  servi- 
tude du  péché;  s'il  blesse  la  chair,  c'est  pour 
sauver  l'esprit  ;  ce  qui  fait  dire  à  saint  Am- 
broise  :  Consolez-vous ,  la  chair  épargne 
l'esprit,  et  les  maux  du  corps  sont  la  santé 
de  l'âme;  mais  comme  il  instruit  l'un,  par  les 
maladies,  de  la  vanité  des  choses  du  monde, 
il  donne  à  l'autie  les  moyens  de  satisfaire  à 
sa  justice  pour  les  avoir  poursuivies  et  ai- 
mées avec  dérèglement. 

En  effet,  n'est-ce  pas  ainsi  qu'il  en  use  à 
l'égard  de  Jonas?  La  tempête  qui  se  forma 
sur  la  mer  n'était-elle  pas  une  punition  de 
la  désobéissance  de  ce  prophète?  Ce  poisson, 
que  la  Providence  fit  tenir  prêt  pour  l'englou- 
tir, n'était-il  pas  une  retraite  que  Dieu  lui 
prépara,  dans  laquelle  il  eût  le  temps  de  son- 
ger à  lui?  C'est  ainsi  que  Dieu  en  use  à  l'é- 
gard du  chrétien  eu  qui  le  péché  règne  :  la 
maladie  dont  vous  vous  plaignez  en  est  le 
châtiment;  c'est  la  punition  des  débauches  et 
des  excès  où  la  volupté  vous  a  engagés,  c'est 
le  châtiment  des  veilles  et  des  fatigues  crimi- 
nelles que  l'avarice  et  l'ambition  vous  ont  fait 
soutenir;  il  vous  abat  pour  un  temps,  afin 
que  vous  vous  reconnaissiez  dans  cette  re- 
traite, et  que,  comme  un  autre  Jonas,  vous 
changiez  de  conduite  quand  il  vous  aura  re- 
mis en  liberté  d'agir. 

Car,  mes  frères,  les  pécheurs  sont  à  peu 
près  comme  ces  frénétiques  qui  ne  tombent 
dans  le  repos  et  qui  ne  reprennent  leur  rai- 
son qu'après  que  de  violentes  agitations  ont 
tout  à  fait  épuisé  leurs  forces.  Achevons  celte 
première  partie,  et  disons  que  si  le  péché  ne 
règne  plus  et  n'est  plus  dominant  en  nous,  il 
suffit  qu'il  y  ait  régné  pour  que  Dieu  ait  droit 
de  nous  châtier  et  que  nous  n'en  ayons  point 
de  nous  plaindre;  la  souffrance  est  noire  par- 
tage comme  pécheurs,  c'est  ce  qui  nous  est 
dû,  cl  comme  justes  c'est  notre  gloire. 

lin  effet,  mes  frères,  si  notre  félicité  dans 
la  gloire  consiste  à  être  semblables  à  Jésus- 
Christ,  durant  cette  vie  elle  consiste  à  voir 
commencer  en  nous  celte  ressemblance  ;  car 
on  n'arrive  à  l'un  que  par  l'autre.  Celle  image 
si;  fait  à  deux  lois,  elle  s'ébauche  en  cette 
vie  et  elle  se  finit  dans  l'autre;  nous  ne  sau- 
rions ressembler  à  Jésus-Christ  sur  la  terre 
que  par  la  douleur,  par  la  misère,  par  la 
pauvreté;  car  c'a  été  proprement  là  sa  na- 
ture humaine,  quoique  dans  le  ciel  il  soitre- 
Yèlu  de  gloire.  Ainsi  on   peut  dire  que,  pour 

ORATEURS   SACRÉS.    XXX. 


490 


former  en  nous  son  image,  il  fait  à  notre 
égard  ce  que  les  peintres  font  dans  leurs  ta- 
bleaux. Celle  vie  est  une  ébauche,  dont  la 
perfection  ne  peut  se  trouver  que  dans  l'au- 
tre; et  comme  les  ébauches  ne  laissent  pas 
que  d'être  précieuses  quoiqu'elles  n'aient  \ 
presque  rien  que  de  désagréables,  pareequ'on 
les  regarde  par  rapport  à  ce  qu'elles  doivent 
être,  de  même,  mes  frères,  ces  maladies  qui 
nous  affligent  commencent  en  nous  l'image 
de  Jésus-Christ  dès  cette  vie;  et  on  pourrait 
peut-être  prendre  en  ce  sens  ces  paroles  de 
saint  Paul  :  Reformabit  corpus  humilitatis 
nostrœ.  Voilà  l'ébauche,  Jésus-Christ  la  forme 
en  nous  par  ce  corps  de  misère,  vil  et  abject: 
Conjiguratum  corpori  claritatis  suœ.  Voilà  la 
fin  du  tableau  et  la  perfection  de  sa  ressem- 
blance :  il  le  rendra  conforme  à  son  corps 
glorieux. 

Apprenons  à  nous  remplir  de  ces  pensées: 
Je  ne  suis  frappé  de  la  main  du  Seigneur 
qu'afin  que  je  puisse  m'instruire  de  la  va- 
nité des  choses  présentes.  Il  n'appesantit  sa 
main  sur  moi  que  pour  me  fournir  les  moyens 
d'éviter  les  coups  terribles  de  cette  justice 
impitoyable  qui  punira  durant  toute  l'éter- 
nité ceux  qui,  n'étant  pas  plus  coupables 
que  moi,  sont  passés  sans  réflexion  et  sans 
péuilence  de  la  jouissance  à  la  privation  des 
choses  dont  j'ai  abusé.  Jésus-Christ  forme 
en  moi  son  image,  et  quand  je  serais  inno- 
cent, ses  coups  sont  précieux.  L'or,  quelque 
pur  qu'il  puisse  être,  n'a  de  cours  que  quand 
il  est  frappé  au  coin  du  prince,  et  un  enfant 
de  Dieu  n'est  reçu  dans  son  héritage  qu'en 
portant  le  signe  de  la  croix.  C'est  par  ces 
vues  qu'un  chrétien  doit  se  soutenir  dans  ce 
premier  état  de  sa  maladie  que  j'ai  appelé 
fâcheux  à  cause  des  maux  qu'il  y  ressent. 
Voici  la  vue  qu'il  doit  avoir  dans  celui  que 
j'ai  appelé  incertain  :  c'est  le  sujet  du  deuxiè- 
me point. 

DEUXIÈME  PARTIE. 

Pour  contribuer  à  mettre  l'esprit  d'un  chré- 
tien dans  une  soumission  parfaite  aux  ordres 
de  Dieu,  et  le  retirer  des  inquiétudes  qui  l'a- 
gitent dans  l'incertitude  du  succès  et  de  la 
fin  de  la  maladie  qui  l'accable,  il  faut  consi- 
dérer ce  qui  le  tourmente,  ce  qui  peut  le  con- 
soler et  ce  qui  doit  le  résoudre. 

Ce  n'est  pas  toujours  l'amour  de  la  vie 
qui  trouble  l'homme  et  qui  cause  sa  peine 
dans  l'incertitude  du  succès  de  sa  maladie, 
c'est  quelquefois  une  fausse  haine  qu'il  a 
conçue  contre  elle,  et  dans  laquelle  il  a  placé 
sa  religion,  mais  qui  est  produite  par  l'a- 
mour-propre.  Quelquefois  c'est  un  véritable 
mépris  qu'il  a  pour  elle,  qui  est  un  effet  ou 
de  sou  zèle,  ou  de  son  caractère,  ou  de  sa  re- 
ligion. Les  hommes  regardent  la  vie  sous  dif- 
férentes faces  :  il  y  en  a  qui  craignent  la 
mort  et  qui  aiment  la  vie,  d'autres  qui  crai- 
gnent également  et  la  vie  et  la  mort,  et  enfin 
d'autres  qui  craignent  la  vie  et  qui  souhai- 
tent la  mort. 

Celui  qui  se  voit  dans  la  jeunesse,  dans  les 
biens,  dans  la  prospérité,  dans  l'honneur, 
craint  de  perdre  la  vie,  cl  sa  crainte  est  uu 

10 


491 


ORATEURS  SACIlLS.  DOM  Jl.ltOMI. 


'.•>> 


effet  de  son  amour  pour  elle,  Vu  autre  se 
voil  avaucé  en  Ara,  accablé  par  les  infirmités, 
pressé  par  la  misère,  dégoûté  par  mille  dU« 
grâces;  il  ne  sait  ce  qu'ildoit  souhaiter,  parce 
qu'il  s'aime  uniqueiiicul  ;  il  ne  veut  pas  vi- 
vre, la  vie  le  rebute  parce  qu'il  est  malheu- 
reux; la  mort  lui  l'ail  peur,  il  ne  sait  pas 
mourir  parce  qu'il  n'est  p;is  chrétien;  de 
sorte  qu'agite  par  mille  inquiétudes  il  craint 
de  vivre  par  lâcheté,  et  il  souhaite  de  mourir 
par  désespoir.  Un  autre,  pénétré  des  senti- 
ments de  la  religion,  sentant  déjà  comme  les 
avant-goûts  de  l'éternité,  instruit  des  misères 
de  la  vie  présente  par  son  expérience,  et  ef- 
frayé des  dangers  qu'on  y  court,  désire  d'en 
sortir,  parce  qu'il  la  méprise  et  qu'il  la  craint. 
Il  s'écrie  avec  le  l'rophète  :  lieu!  milii,  (/nia 
incolatus  meus  pi  olongalus  est  :  Hélas  !  que 
mon  exil  est  longl  et  avec  l'Apôtre  :  Cupio 
dissolvi  et  esse  cum  Cluisto  :  Je  dés  re  mou- 
rir pour  être  avec  Jésus-Christ. 

Ces  trois  vues  excitent  des  mouvements 
différents  qui  troublent  ceux  qui  en  sont  agi- 
tés :l'un  regarde  la  vie  avec  tous  ses  charmes, 
l'autre  la  voit  avectoules  ses  misères,  et  l'au- 
tre enfin  en  considère  tous  les  dangers.  Cha- 
cun désire  et  craint  à  sa  façon,  et  aucun  ne 
sachant  ce  qui  arrivera,  ils  sont  tous  livres 
aux  troubles  causés  par  celte  incertitude,  et 
exposés  aux  suites  fâcheuses  qui  peuvent  en 
arriver.  11  faut  donc  alors  entier  dans  des 
vues  capables  d'adoucir  son  inquiétude  et  de 
calmer  son  esprit  sur  ce  qui  l'agile,  et  pour 
cela  il  faut  : 

1°  Que  celui  qui  aimant  la  vie  ne  peut  se 
résoudre  à  la  perdre,  parce  qu'il  la  regarde 
avec  tous  ses  charmes,  la  considère  un  peu 
dans  ce  qui  en  rebute  les  autres;  qu'il  se  re- 
présente les  changements  terribles  qui  y  ar- 
rivent tous  les  jours,  et  que  ce  qu'il  ne  peut 
se  résoudre  à  quitter  aujourd'hui  lui  paraî- 
tra peut-être  demain  insupportable;  mais  en 
élevant  ses  vues  plus  haut,  et  envisageant  la 
vie  du  côté  de  la  religion,  qu'il  se  défie  de 
cet  amour  qui  l'attache  si  fortement  à  la  terre, 
et  qu'il  le  regarde  comme  une  source  malheu- 
reuse de  crimes,  et  il  recevra  le  soin  que 
Dieu  prend  de  l'en  séparer  comme  une  mar- 
que de  la  miséricorde  qu'il  veut  lui  faire. 

2°  Il  faut  que  celui  qui  est  rebuté  delà  vie 
par  les  disgrâces  qu'il  a  souffertes,  considé- 
rant qu'il  n'y  a  personne  qui  les  évite  abso- 
lument, elles  ne  peuvent  pas  être  de  longue 
durée,  et  qu'il  en  peut  faire  un  saint  usage  : 
c'est  un  grand  avantage  pour  lui  de  pouvoir 
réparer  tous  les  désordres  de  sa  vie  passée, 
et  s'assurer  tous  les  avantages  de  l'éternité, 
en  souffrant  encore  quelque  temps  avec  pa- 
tience ce  qu'il  a  supporté  durant  plusieurs 
années  sans  utilité. 

3"  11  faut  que  celui  qui  craint  la  vie,  parce 
qu'il  désire  le  ciel,  examine  s'il  en  est  digne, 
considère  ce  qu'il  a  fait  pour  le  mériter,  et 
s'applique  enfin  à  recouuaître  si  celte  crainte 
des  dangers  qu'on  court  ici-bas,  qu'il  croit 
être  juste,  n'est  point  au  contraire  une  hou- 
leuse lâcheté  et  un  défaut  de  confiance  en  la 
grâce  du  Seigneur,  qui  nous  soutient  tou- 
jours daus  les  épreuves  où  il  nous  met. 


C'est  par  ces  vues  qu'un  chrétien  peut  se 
consoler  dans  les  inquiétudes  qui  l'agitent, 
mais  voici  ce  qui  doit  le  résoudre  :  il  faut 
qu'il  considère  que  quoiqu'il  se  tourmente  il 
ne  saurait  après  tout  changer  l'état  des  cho- 
ses m  s'aNsurer  sur  ce  qui  est  incertain,  et 
que,  comme  les  désirs  qu'il  a  pour  la  vie  ne 
peuvent  pas  différer  sa  mort  d'un  moment, 
ceux  qu'il  a  pour  la  mort  ne  sont  pas  capa- 
bles de  finir  sa  vie.  Dieu,  qui  a  préordontié 
avant  tous  les  temps  ce  qui  doit  arriver  à 
chacun  des  hommes,  lui  a  prescrit  des  bonus 
qu'il  ne  peut  passer.  Le  nombre  de  nus  mois 
et  de  nos  années  est  entre  vos  mains,  6  mon 
Dieu!  Vous  avez  marqué  ces  bornes  que  nous 
ne  pouvons  puiser.  11  doit  donc  se  tenir  sou- 
mis aux  ordres  de  son  souverain,  de  peur 
que,  formant  des  désirs  contre  la  dépendance 
où  il  doit  être,  il  ne  perde  une  plus  heureuse 
immortalité  que  celle  que  perdit  Adam  par 
une  semblable  désobéissance. 

Il  faut,  comme  dit  le  Prophète,  qu'il  de- 
meure assujetti  à  Dieu  et  qu'il  le  prie,  qu'il 
se  tienne  en  repos  dans  un  regard  continuel 
vers  Dieu,  attendant  avec  humilité  le  coup 
qui  doit  lui  ôler  la  vie  ou  bien  la  lui  donner. 

linfin,  ce  qui  doit  achever  de  le  ré-oadre, 
c'est  ce  que  nous  dit  saint  Paul  aux  Homains, 
que  nul  de  nous  ne  vit  ni  ne  meurt  pour  soi- 
même;  mais  soit  que  nous  vivions,  nous  vi- 
vons au  Seigneur;  soit  que  nous  mourions, 
nous  mourons  pour  lui.  Ainsi,  nous  ne  de- 
vons chercher  dans  la  maladie  que  l'accom- 
plissement de  sa  volonté,  comme  nous  som- 
mes tenus  de  faire  celte  volonté  dans  tout  le 
reste  de  notre  vie.  Il  faut  vivre  s'il  le  veut, 
il  faut  mourir  s'il  l'a  ordonné;  et  comme 
nous  ne  connaissons  pas  quelle  est  sa  vo- 
lonté, il  faut  attendre  en  paix  qu'il  nous  la 
déclare  et  se  préparer  à  tout. 

Que  uolre  cœur  prenne  donc  une  force 
nouvelle  et  soit  ferme  dans  l'attente  du  Sei- 
gneur. Comme  serviteur,  que  l'homme  ne 
refuse  ni  le  travail  ni  les  misères  d'une  vie 
pénible  ;  mais  aussi  comme  un  serv  iteur  sage 
et  judicieux,  qu'il  apprenne  à  faire  de  sa  vie 
un  sacrifice  qui  lui  soit  utile. 

Ainsi,  chrétiens,  voulez-vous  vivre?  je  ne 
condamne  pas  ce  désir;  car  vous  pouvez  vi- 
vre pour  Dieu  :  mais  comme  vous  pouvez 
mourir,  et  que  l'événement  de  la  maladie  est 
incertain,  préparez-vous  à  tout,  et  attendez 
en  repos  ce  qu'il  plaira  à  Dieu  d'eu  ordon- 
ner. Voulez-vous  mourir?  eh  bien,  je  ne  con- 
damne pas  ce  désir,  vous  pouvez  mourir  pour 
Dieu  ;  mais  comme  vous  pouvez  revenir  en 
santé,  attendez  paisiblement  que  Dieu  s'ex- 
plique, ainsi  que  l'a  attendu  l'illustre  femme 
de  notre  évangile;  et  s'il  vous  renvoie  la 
santé,  apprenez  d'elle  de  quelle  manière  il 
en  faut  user  pour  ne  pas  tomber  daus  l'in- 
gratitude :  c'est  le  troisième  point. 

TROISIÈME    PARTIE. 

11  y  a  trois  degrés  dans  la  recouuaissance 

qui  la  rendent  parfaite  et  qui  mettent  le  chre- 

1  tien  dans  trois  différentes  obligations,  lors- 

\  qu'après  être  sorti  du  péril  de   la  mort  il  se 

voit  en  étal  de  jouir  de  la  \  le  par  le  rétablis- 


4§3 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA  TROISIEME  SEMAiNE  DE  CAREME. 


494 


sèment  de  sa  santé.  II  doit  publier  le  bienfait 
et  découvrir  le  bienfaiteur;  il  doit  reconnaî- 
tre le  bienfaiteur  et  payer  le  bienfait;  il  doit 
sanctifier  le  bienfait  en  l'employant  selon  la 
volonté  du  bienfaiteur.  Ceci  posé,  il  est  aisé 
de  faire  voir  que  la  plupart  des  hommes  qui 
reçoivent  la  santé  de  Dieu  après  une  maladie 
sont  des  ingrats;  car  ou  ils  ôtent  à  Dieu  la 
gloire  de  son  bienfait,  et,  sans  songer  qu'ils 
le  tiennent  de  lui,  ils  l'attribuent  à  tout  au- 
tre cbose;  ou  ils  manquent  à  lui  en  rendre 
leur  reconnaissance,  et  ils  songent  à  s'ac- 
quitter de  tout  autre  devoir;  ou  bien  enfin  ils 
s'en  servent  contre  ses  intentions  et  ne  l'em- 
ploient qu'à  l'offenser. 

En  effet,  n'est-ce  pas  aux  remèdes  hu- 
mains ,  aux  bons  régimes  ,  à  la  force  du 
tempérament  ou  à  l'habileté  du  médecin 
qu'on  attribue  presque  toujours  uniquement 
la  rétablissement  de  la  santé?  On  n'élève 
guère  ses  vues  plus  haut,  et,  demeurant  dans 
un  certain  cercle  de  causes  naturelles  et 
sensibles,  on  ne  se  porte  point  vers  Dieu  par 
la  foi,  pour  reconnaître  que  c'est  lui  qui, 
après  avoir  donné  la  vertu  aux  causes  na- 
turelles, veut  encore  par  une  nouvelle  fa- 
veur que  leur  application,  qui  a  si  souvent  été 
inulilcà  d'autres,  ne  le  soit  pas  pour  nous  ;  car 
c'est  lui  qui  est  l'auteur  des  remèdes  qui  nous 
guérissent,  et  c'est  lui  qui  permet  que  leur 
application  nous  soit  utile. 

Ainsi,  mes  frères,  un  bon  chrétien  a  re- 
cours aux  remèdes  dans  ses  maladies;  mais 
comme  il  sait  que  tous  ces  remèdes  ne  feront 
rien  sans  la  bénédiction  de  Dieu,  il  élève  ses 
yeux  quand  ou  les  lui  applique,  il  les  re- 
garde comme  les  instruments  de  la  justice 
ou  de  la  bonté  de  Dieu,  et  quand  leur  appli- 
cation a  eu  quelque  succès,  il  sait  l'attri- 
buer à  celui  qui  en  est  l'auteur;  c'est  là  le 
premier  degré  de  reconnaissance. 

Le  second  est  d'aller  immédiatement  à  lui 
pour  le  remercier  en  lui  consacrant  le  pre- 
mier usage  de  nos  forces.  Ainsi  cette  illustre 
malade  de  notre  évangile  consacre-l-elle  ses 

Premières  forces  au  service  deson  bienfaiteur, 
os  premières  vues  sont  de  remercier  nos 
amis,  de  rendre  les  visites  que  nous  avons 
reçues,  et  de  marquer  notre  reconnaissance 
à  ceux  qui  ont  pris  quelque  soin  de  nous; 
mais  pour  ce  qui  est  de  consacrera  Dieu  nos 
premières  forces,  ce  n'est  point  du  tout  ce 
qui  nous  occupe  :  on  ne  revient  à  son  ser- 
vice que  difficilement,  et  ce  n'est  qu'après 
s'éire  dispensé  longtemps  de  toutes  les  lois 
de  l'Eglise,  qui  ne  s'accomplissent  qu'en 
souffrant  quelques  peines;  et  n'étant  sages 
que  de  la  prudence  de  la  chair,  nous  ne 
songeons  qu'à  en  ménager  les  intérêts  au 
préjudice  de  tout  le  reste. 

Celte  illustre  femme  de  l'Evangile  ne  se 
Halle  point  :  elle  sortait  d'une  maladie  con- 
sidérable qui  la  tourmentait  depuis  long- 
temps; sitôt  qu'elle  est  guérie,  elle  se  lève  et 
elle  agit  pour  Dieu.  Je  sais  bien  qu'elle  est  gué- 
rie par  miracle,  et  que  la  même  vertu  du  Sau- 
veur qui  l'avait  guérie  la  soutenait;  aussi, 
mes  frères,  je  ne  demaude  rien  d'indiscret  ni 
d'outré  :  si  Dieu  veut  que  nous  ayons  recours 


aux  remèdes  pour  être  guéri,  il  approuve 
aussi  que  nous  gardions  des  mesures  pour 
nous  rétablir  dans  la-  santé;  mais  un  peu 
plus  de  foi  et  moins  de  délicatesse  l'honore- 
rait davantage,  et  comme  il  faut  qu'il  donne 
sa  bénédiction  aux  remèdes  pour  qu'ils  nous 
guérissent,  montrons  donc  plus  de  confiance 
en  lui  quand  il  s'agit  de  nous  rétablir. 

La  foi  donne  une  certaine  hardiesse  que 
la  fausse  raison  condamne,  et  quand  on  a  un 
grand  désir  de  jouir  de  Dieu,  on  ne  ménage 
pas  sa  vie  avec  tant  de  soin.  Comme  si  nous 
n'avions  pas  une  âme  à  sauver,  à  sanctifier, 
nous  ne  songeons  qu'à  guérir  et  à  fortifier 
le  corps  ;  et  comme  s'il  n'y  avait  point  d'autre 
vie  à  posséder  après  celle-ci,  nous  ne  pen- 
sons qu'à  la  prolonger.  Où  est  donc  la  foi  et 
celle  sainte  hardiesse  qui  doit  nous  porter  à 
aimer  et  à  chérir  tout  ce  qui  peut  ébranler 
et  faire  tomber  cette  prison  de  boue  où  notre 
âme  est  captive? 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  dangereux,  et  cepen- 
dant de  plus  ordinaire,  c'est  que,  n'ayant 
presque  pas  songé  à  reconnaître  Dieu  pour 
l'auteur  de  notre  guérison  et  de  notre  réta- 
blissement, nous  ne  pensons  point  à  em- 
ployer selon  sa  volonté  les  forces  qu'il  nous  a 
rendues.  Souvent  nous  faisons  des  projets 
contre  celte  sainte  volonté  durant  le  cours 
de  nos  maladies,  et,  nous  plaignant  de  ce 
qu'elles  durent  trop,  nous  prenons  des  me- 
sures pour  regagner  le  temps  perdu. 

Ainsi  un  homme  soit  de  son  lit  plus  avare, 
parce  qu'il  veut  regagner  sa  dépense  et  ré- 
parer ses  perles;  et  il  en  est  de  même  de 
toutes  les  autres  passions  :  de  sorte  qu'au 
lieu  d'avoir  profilé  de  sa  maladie  selon  les 
desseins  de  Dieu,  elle  n'a  souvent  servi  qu'à 
donner  au  malade  plus  d'amour  pour  le 
monde.  11  n'emploie  les  forces  qui  lui  sont 
rendues  qu'à  contenter  cet  amour  déréglé,  cl 
à  poursuivre  avec  une  nouvelle  impétuosité 
ce  que  la  nécessité  l'avait  obligé  d'interrom- 
pre; et  par  là  il  fait  paraître  une  ingratitude 
extrême,  en  continu. ni  à  pécher  après  sa 
guérison  ,  comme  si  Dieu  ne  l'avait  pas 
frappé  pour  l'instruire. 

11  en  est  tous  les  jours  que  Dieu  frappe 
par  les  maladies,  qui  tombent  dans  un  état 
encore  plus  mauvais  que  celui  où  ils  étaient. 
Evitons  ces  malheurs,  mes  très  -  chers  frè- 
res ,  et  profilons  de  l'exemple  que  nous 
donne  celte  femme  de  l'Evangile,  Supportons 
avec  patience  les  maladies  que  Dieu  nous 
envoie  ;  elles  nous  purifient  comme  pécheurs 
cl  elles  nous  couronnent  comme  justes. 
Aban.lounons-en  le  succès  à  la  divine  provi- 
dence qui  les  permet.  Un  chrélien  doit  être 
indifférent  pour  la  vie  et  pour  la  mort,  et  il 
ne  doit  vouloir  que  ce  que  Dieu  a  résolu. 
S'il  nous  relire  à  lui,  c'esl  pour  nous  cou- 
ronner en  couronnant  ses  dons;  s'il  nous 
rend  la  santé,  employons-la  à  le  servir,  nous 
le  devons  par  reconnaissance. 

Seigneur ,  rendez-nous  attentifs  à  votre 
voix,  et  pendant  que  vous  nous  visitez  par 
les  infirmités  et  par  les  maladies,  donnez- 
nous  votre  sainte  grâce  pour  profiter  de  la 
conduite  de   votre  miséricorde  cl  Je  voire 


40 


OHATLLHS  SACHES.  ItOM  JEKOME. 


i'JG 


justice  à  noire  égard.  Ouvrez  nos  yeux,  afin 
que  nous  voyions  toujours  que  c'esl  vous  q;,i 
agissez  en  nous,  el  que  nous  profilions  des 
coups  si  favorables  de  votre  miséricorde  et 
de  votre  justice.  Donnez-nous  cette  indiffé- 
rence chrétienne  qui  nous  nielle,  en  étal  de 
vivre  pour  vous,  sans  craindre  la  mort  qui 
conduit  à  vous.  Donnez-nous  le  bon  usage 
de  la  santé  el  de  nos  forces;  appliquez-nous 
au  bien.  Enfin,  faites,  ô  mon  Dieu  !  que  nous 
vous  honorions  également  dans  la  maladie 
et  dans  la  santé:  c'esl,  mes  frères,  ce  que  je 
vous  souhaite.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR    LE    SAMEDI     DE    LA  -  TROISIEME    SEMAINE 
DE    CAREME. 

De  la  mort  dans  le  péché,  parce  qu'il  y  a  peu 
de  chrétiens  qui  ne  vivent  dans  le  péché. 

Vado  al  cum  qui  me  misit;  quxretis  me,  et  non  inve- 
niclis. 

Je  m'en  vais  vers  celui  qui  m'a  envoyé  ;  vous  me  cherche- 
rez, mais  vous  ne  me  trouverez  point  (Joan.,  VII,  53,  5i). 

Ces  paroles  de  l'Evangile  me  rappellent 
naturellement  une  matière  que  nous  com- 
mençâmes il  y  a  quelque  temps  et  que  nous 
n'avons  pas  achevée  :  c'est,  mes  frères,  celle 
del'abandonnement  du  pécheurqui  veut  vivre 
dans  le  péché. 

Puis  donc  que  l'Evangile  nous  remet  dans 
le  même  sujet,  reprenons  la  même  matière, 
et  achevons  ce  que  nous  n'avons  pas  uni 
dans  le  premier  discours.  Or,  mes  frères, 
nous  remarquâmes  qu'il  y  avaii  deux  vérités 
terribles  renfermées  dans  les  paroles  du 
Sauveur  du  monde  :  1°  que  celui  qui  veut 
vivre  dans  son  péché  mérite  que  Dieu  l'a- 
bandonne; 2°  que  celui  que  Bieu  abandonne 
mourra  infailliblement  dans  son  péché.  De 
là  nous  devions  tirer  une  conséquence,  par 
une  application  de  ces  vérités  à  l'état  où  se 
trouvent  la  plupart  des  chrétiens,  que  comme 
il  y  en  a  peu  qui  ne  vivent  dans  le  péché,  il 
n'y  en  a  presque  point  qui  ne  meurent  dans 
le  péché  ;  mais  les  vérités  générales  nous 
occupèrent,  el  nous  n'en  fîmes  point  l'appli- 
cation; j'entreprends  de  la  faire  aujourd'hui, 
et  de  vous  montrer  dans  ce  discours  qu'il  y 
a  peu  de  chrétiens  qui  ne  vivent  pas  volon- 
tairement dans  le  péché;  parla  vous  sen- 
tirez la  vérité  terrible  de  celle  conclusion  : 
Donc  un  très-grand  nombre  de  chrétiens 
meurent  infailliblement  dans  le  péché. 

Faites,  Seigneur!  que  nous  exposions  si 
efficacement  des  vérités  si  importantes,  que 
nous  obligions  les  chrétiens  à  se  reconnaître 
el  à  quitter  les  péchés  dans  lesquels  ils  vi- 
vent, de  peur  d'y  mourir  misérablement. 
C'est  la  grâce  que  je  vous  demaude  eu  m'a- 
dressaut  à  Marie.  Ave,  Maria. 

PARTIE    UNIQUE. 

Je  vous  déclare,  mes  frères,  que  par  les 
chrétiens  qui  vivent  volontairement  dans  le 
péché  je  n'entends  pas  les  hérétiques  qui 
sont  séparés  de  Jésus-Christ,  et  de  qni  1 1  sé- 
paration porte  une  condamnation  infaillible, 
suivant  les  paroles  de  saint  Jean  :  Celui  qui 
ne  croit  point  est  déjà  condamne.  Je  n'entends 


point  non  plus  ces  chrétiens  malheureux  qui 
rivent  dam  des  crimes  grossiers  qui  nous 
ferment  la  porta  du  ciel,  suivant  (  e>  parok  i 

de   saint  Paul    :  Ai   les  jorniealeurs,    m 
adultères,  ni  les  impudiques,  ni  le»  abomina- 
bles, ni  Os  voleurs,  ni  les  avares,  ni  les  h 
gnes,  ni  les  médisants,  ni  les  ravisseurs  du 
bien  d'autrui,    ne   seront  point   héritiers  du 
royaume  de  iJieu.  Non.  mes  Irères,  je  ne  parle 
poinl  de   ceux  qui  vivent   dans  le    pécn 
dans  les  habitudes  invétérées  de  ces  grands 
crimes. 

Je  parle  de  ceux  qui  passent  pour  honnê- 
tes gens  dans  le  monde  el  qui  même  sont 
chrétiens  selon  les  apparence*,  mais  qni  ne 
le  sont  pas  devant  Dieu,  puisqu'ils  rirent 
volontairement  dans  des  péchés  capables  de 
les  perdre.  Or  il  y  a  peu  de  gens  qui  ne  soient 
de  ce  noiiibre-là,  et  chacun  doit  se  faire  en 
particulier  l'application  de  ces  vérités  gé 
raies  que  nous  avons  établies  dans  notre 
premier  discours,  où  nous  vous  avons  dé- 
montré que  celui  qui  veut  vivre  dans  sou 
péché  mérite  que  Dieu  l'abandonne. 

Entrons  dans  la  preuve  de  noire  proposi- 
tion, et  établissons-la  sur  des  priucipes  et 
sur  des  fondements  qui  rendent  é\  idente  celle 
vérité,  qu'il  y  a  très-peu  de  chrétiens  qui  ne 
vivent  pas  volontairement  dans  le  pèche. 

Qu'est-ce  en  effet  que  de  vivre  dans  le  pé- 
ché? c'esl  vivre  dans  un  violemenl  manifesta 
des  lois  que  Dieu  a  établies  pour  la  sanctifi- 
cation du  chrétien,  regardé  et  enrisagé  dans 
tous  les  engagements  où  il  se  peut  Irouvi  r. 
Si  donc  je  vous  fais  voir  qu'il  \  a  très-peu  de 
chrétiens  qui  ne  se  trouvent  dans  le  viole- 
liient  manifeste  des  lois  de  Dieu,  n'aurai— je 
pas  raison  de  dire  qu'il  y  a  très-peu  de  chré- 
tiens qui  ne  vivent  dans  le  péché?  Or,  mes 
frères,  le  péché  n'est  qu'un  violement  de  la 
loi  de  Dieu  ;  c'est  un  égarement ,  c'esl  une 
sortie  hors  des  voies  qu'il  nous  a  tracées 
pour  marcher  dans  la  justice,  cela  est  cer- 
tain ;  ei  pour  vous  faire  voir  que  la  plupart 
des  chrétiens  se  Irouvent  dans  ce  violement 
et  dans  cet  égarement .  il  fiul  vous  exposer 
les  engagements  différents  où  le  chrétien  se 
peut  trouver,  les  lois  que  Dieu  a  établies 
pour  le  sanctifier  dans  ces  engagements,  et 
les  voies  différentes  qu'il  lui  a  tracées  pour 
arriver,  sans  rompre  ces  engagements  ,  à 
l'éternelle  félicite. 

Prenez  bien  ces  principes,  je  vous  en  prie. 
Le  chrétien  peut  être  considéré  dans  sa  per- 
sonne comme  un  homme  particulier,  c  est-à- 
dire,  eu  égard  à  son  étal  de  chrétien  unique- 
ment, comme  un  homme  attaché  à  son  em- 
ploi et  engage  dans  une  condition  qui  a  ses 
deroirs  propres  et  ses  obligations  particuliè- 
res, comme  lie  aux  hommes  par  la  soen 
que  son  être  et  l'état  de  ses  affaires  l'obli- 
gent d'avoir  avec  eux. 

Or,  mes  frères,  col  homme  particulier, 
quoique  chrétien,  a  un  fonds  de  corruption 
contre  lequel  il  fautqu'il combatte  coplinucl- 
lement,  s'il  veut  travailler  à  sa  sain  tu 
lion.  Les  eiats  qu'il  peut  embrasser,  quoi- 
que légitimes  el  saints  par  eux-mêmes  par 
l'inslilulton  de  Dieu,  qui  en  est  l'auteur,  soûl 


4«)7 


SERMON  POUR  LE  SAMEDI  DE  LA 


tous  remplis  demauvaises  maximes  inventées 
par  la  cupidité  des  hommes,  et  l'on  se  con- 
duit ordinairement  sur  ces  maximes  perni- 
cieuses sans  s'informer  des  lois  que  Dieu  a 
établies  dans  chaque  état  pour  !a  sûreté  et 
la  sanctification  de  ceux  qui  l'embrassent. 
Combien,  ô  mon  Dieul  y  en  a-t-il  dans  le 
monde  qui  sachent  marcher  dans  la  vigilance 
continuelle  dont  Dieu  nous  a  donné  les  rè- 
gles, et  qui  gardent  les  précautions  exactes 
et  nécessaires  pour  ne  s'y  pas  perdre! 

Si  je  vous  fais  donc  voirencoroune  fois  que 
le  chrétien,  regardé  comme  un  homme  par- 
ticulier, se  livre  à  sa  propre  corruption  sans 
la  combattre,  que  dans  les  emplois  qu'il 
embrasse  il  suit  les  maximes  pernicieuses 
de  sa  cupidité  sans  les  examiner,  et  qu'il 
reçoit  tous  les  vices  de  la  société  sans  les 
craindre,  ne  vous  auiai-je  pas  démontré 
suffisamment  qu'il  y  aHrès-peu  de  chrétiens 
qui  ne  se  trouvent  pas  dans  un  violement 
manifeste  des  lois  de  Dieu,  dans  un  abandon- 
nèrent évident  des  voies  qu'il  nous  a  tracées 
pour  aller  à  lui,  et  qu'ainsi  il  y  a  très-peu 
de  chrétiens  dans  le  monde  qui  ne  vivent 
volontairement  dans  le  péché? 

Or,  pour  vous  prouver  ce  que  j'avance  ici, 
nies  chers  frères,  examinons  le  chrétien  par 
rapport  aux  engagements  que  je  viens  de 
proposer,  et  nous  verrons  que  par  les  pé- 
chés que  j'appellerai  de  tempérament  les 
particuliers  sont  presque  tous  livrés  à  leur 
propre  corruption  et  au  violement  des  lois 
que  Dieu  a  établies  pour  leur  sanctification; 
que  par  les  péchés  d'état  le  chrétien  embrasse 
presque  toutes  les  pernicieuses  maximes 
qui  régnent  dans  la  condition  qu'il  choisit , 
et  rejette  par  conséquent  les  lois  qu'on  y 
doit  suivre  ;  que  par  les  péchés  que  j'appelle 
de  société  il  ajoute  à  sa  corruption  propre 
celle  d'autrui ,  et  méprise  tous  les  remèdes 
que  Dieu  a  prescrits  pour  s'en  garantir. 

Et.  d'abord  examinons  les  péchés  de  tem- 
pérament :  mais,  pour  vous  faire  voir  évi- 
demment l'étal  de  tous  les  hommes  à  cet 
égard,  convenons  de  quelques  vérités  tirées 
de  l'Ecriture  et  du  fond  de  la  religion.  Il  est 
certain  que,  nonobstant  la  régénération  du 
chrétien  par  le  baptême,  il  reste  en  lui  un 
fonds  de  corruption  qui  fait  que  s'il  est  en- 
fant de  Dieu  d'une  part,  il  est  en  quelque 
chose  enfant  du  siècle  de  l'autre.  Il  n'appar- 
tient pas  uniquement  à  Jésus-Christ,  on  trouve 
en  lui  deux  hommes,  le  nouveau  qui  y  de- 
meure par  la  foi  et  qui  y  fait  le  bien  par  la 
grâce,  et  le  vieil  homme  qui  y  habile  par  la 
concupiscence,  et  qui  y  agit  par  celle  volonté 
charnelle  :  première  vérité. 

Létal  d'homme  chrétien  le  met  dans  l'obli- 
gation de  combattre  sans  relâche  contre  ce 
fonds  de  corruption  el  celte  volonté  char- 
nelle, afin  de  donner  l'avantage  à  l'homme 
nouveau,  à  la  foi  et  à  la  grâce  par  laqocllc  il 
habile  en  lui  :  seconde  vérité. 

Quoi  que  fisse  le  chrétien,  il  ne  surmon- 
tera point  cet  ennemi  entièrement  en  cette 
vie,  car  il  ne  pourra  jamais  dire  qu'il  n'y  a 
plus  rien  de  corrompu  en  lui.  Celle  parfaite 
régénération  n'est  que  pour  l'autre  vie;  nous 


TROISIEME  SEMAINE  DE  CAREME.  408 

ne  serons.dans  cet  état  heureux  que  lorsque 
l'homme  sera  pleinement  établi  dans  l'adop- 
tion, et  qu'il  ne  lui  restera  plus  rien  de  sa 
qualité  de  pécheur.  Alors  la  mort  sera  absor- 
bée par  une  entière  victoire-,  et  par  rapport 
à  notre  état  présent,  l'Apôtre  ne  demande 
rien  aux  plus  justes,  sinon  que  le  péché  ne 
règne  point  dans  leur  corps  mortel;  mais  il 
n'exige  pas  qu'il  n'y  soit  point  et  qu'il  n'y 
vive  pas  :  troisième  vérité. 

Enfin  le  fonds  de  corruption  se  fait  sentir 
en  chacun  de  nous  par  certaines  inclinations 
vicieuses  que  j'appelle  des  péchés  do  tempé- 
rament. En  l'un  c'est  la  colère,  en  l'autre  l'a- 
varice; en  celui-ci  l'impureté,  en  cet  autre 
c'est  la  paresse:  quatrième  vérité.  C'est  ce  que 
saint  Augustin  nous  l'ait  entendre  quand  il 
dit  que  le  premier  péché  qui  nous  domine  est 
le  dernier  que  nous  quittons.  Ce  péehé  de 
tempérament  est  ordinairement  la  cause  de 
tous  les  autres  péchés  qui  régnent  dans 
l'homme.  C'est  le  mauvais  qui  excite  toutes 
les  passions  :  il  donne  presque  toujours  le 
mouvement  à  tous  nos  désirs  corrompus,  et 
c'est  par  lui  que  le  vieil  homme  vit,  agit  et 
règne  en  nous. 

Cela  étant  supposé,  mes  frères,  il  est  aisé 
de  tirer  cette  conséquence,  que  c'est  en  com- 
battant ces  inclinations  vicieuses  et  ce  péché 
de  tempérament  que  le  chrétien  trouvera  sa 
sanctification  ;  c'est  par  là  qu'il  travaillera  à 
dépouiller  le  vieil  homme  et  à  se  revêtir  du 
nouveau;  c'est  par  là  qu'il  fera  triompher  la 
foi  et  la  grâce  de  la  concupiscence  et  de  la 
volonté  charnelle;  c'est  par  là  qu'il  établira 
le  règne  Jésus-Christ  el  qu'il  détruira  celui 
d'Adam. 

Vous  voyez  donc  que  ce  travail  est  pour 
lui  une  obligation  essentielle  ;  aussi  est-ce 
pour  le  soutenir  que  Dieu  lui  recommande  la 
vigilance,  le  courage,  la  persévérance;  c'esl 
pour  le  soutenir  qu'il  lui  accorde  tous  ces  se- 
cours: car  la  grâce  chrétienne  est  une  grâce 
de  combat  ;  notre  principal  ennemi  est  an 
dedans  de  nous-mêmes,  el  cet  ennemi  c'est  lo 
péché  de  tempérament.  Si  donc,  au  lieu  de 
combattre  ce  péché,  le  chrétien  s'y  aban- 
donne, qu'arrive-t-il?  il  renonce  en  quel- 
que sorte  au  bénéfice  de  la  régénération,  il 
se  remet  sous  la  domination  d'Adam,  il  rend 
la  grâce  de  Jésus-Christ  inutile,  il  se  livre  au 
dérèglement  de  la  concupiscence.  Les  bonnes 
œuvres  qu'il  pense  faire  lui  donnent  à  la  vé- 
rilé  les  apparences  du  nouvel  homme,  mais 
elles  ne  servent  proprement  qu'à  mettre  le 
vieil  homme  plus  en  sûreté  en  le  cachant. 
Un  tel  chrétien  en  a  le  nom,  mais  il  ne  l'est 
point  en  esprit  et  en  vérité  :  semblable  à  ces 
hypocrites  que  le  Sauveurdu  monde  compare 
à  des  sépulcres  blanchis,  qui  au  dehors  pa- 
raissent beaux  aux  yeux  des  hommes,  mais 
qui  au  dedans  sont  pleins  d'ossements  de 
morts  et  de  toutes  sortes  de  pourriture. 

V'oilà  l'état  d'un  nombre  infini  de  chrétiens 
dans  toutes  conditions;  car  combien  y  en 
a-t-il  qui  soient  seulement  instruits  des  vé- 
rités générales  que  je  viens  de  proposer,  qui 
connaissent  la  condition  de  l'hommechrélien 
qui  sachent  quelles  sont  ses  obligations?  Ce- 


499 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


noo 


pendant  on  ne  peut  être  sauvé  sans  èlro 
chrétien,  cl  on  n'est  point  chrétien  sans  en 
connaître  les  obligations  et  sans  les  remplir. 

Parmi  ceux  mêmes  qui  en  sont  instruits, 
combien  en  trouverons-nous  qui  étudient 
leur  tempérament  en  chrétien  et  qui  s'appli- 
quent à  connaître  leur  inclination  domi- 
nante? Combien  moins  y  en  a-l-il  qui,  après 
l'avoir  connue,  aient  pris  une  ferme  résolu- 
tion de  la  combattre?  On  avoue  assez  volon- 
tiers qu'on  est  paresseux,  fier  et  colère  ;  mais 
on  ne  se  détermine  point  à  combattre!  sa 
hauteur,  sa  paresse,  ses  emportements.  Com- 
bien y  en  a-t-il  qui,  ayant  pris  celte  résolu- 
tion, aient  pensé  aux  mesures  nécessaires 
pour  y  réussir,  qui  suivent  ces  mesures,  qui 
veillent  sur  leur  conduite  et  qui  se  fassent 
violence  pour  former  en  eux  l'image  de  Jé- 
sus-Christ, pour  le  faire  régner  en  eux  et 
pour  se  rendre  dignes  de  régner  avec  lui? 
Le  ciel  ne  s'acquiert  que  par  la  violence 
qu'on  fait  à  ses  inclinations. 

Quelle  application  ferons-nous  présente- 
ment, mes  trè=-chers  frères,  de  ces  princi- 
pes? C'est  que  presque  tout  le  monde  suit  son 
penchant  et  s'abandonne  à  sa  passion  do- 
minante ;  elle  règle  presque  tous  nos  mou- 
vements ;  on  l'excuse,  ou  la  défend,  on  fait 
tout  ce  qu'il  faut  pour  la  nourrir.  Ceux  qui 
nous  approchent  et  que  l'intérêt  attache  à 
nous  dissimulent  en  notre  présence  ce  qu'ils 
en  souffrent.  Nous  vivons  paresseux,  médi- 
sants, emportés,  et  le  péché  règne  en  nous 
sans  que  nous  pensions  non-seulement  à  le 
combattre,  mais  même  sans  trop  faire  atten- 
tion qu'il  y  soit.  Jugez-vous,  mes  frères,  sur 
ces  principes.  Hélas!  où  en  êtes-vous?  Vous 
trouverez,  pour  peu  que  vous  vous  exami- 
niez, que  la  paresse  vous  a  toujours  rendus 
cl  vous  rend  encore  comme  immobiles  ;  que 
la  colère  vous  atransportés  et  vous  transporte 
encore  lous  les  jours  à  des  excès  souvent 
indécents,  et  ainsi  du  reste.  Cependant  un 
chrétien  doit  être  doux,  vigilant  et  rempli 
de  toutes  verlus.  (les  péchés  sont  capitaux, 
c'est-à-dire  qu'ils  sont  la  source  d'une  infi- 
nité d'autres.  Ne  les  pas  combattre,  c'est  dé- 
truire en  nous  la  grâce  de  Jésus  Christ,  c'est 
empêcher  notre  sanctification,  c'est  abandon- 
ner la  voie  et  rejeter  les  moyens  que  Dieu 
vous  a  tracés  pour  y  arriver.  Ainsi  ce  n'est 
point  Jésus-Christ  qui  viten  vous, c'est  Adam  ; 
il  ne  reconnaît  point  son  image,  c'est  celle 
du  vieil  homme.  Celui  qui  nous  règle  nous 
domine,  celui  qui  nous  domine  est  notre 
maître,  c'est  à  lui  que  nous  appartenons. 

Mes  chers  frères,  faites  une  sérieuse  at- 
tention sur  les  dangers  de  cet  étal  :  étal  dans 
lequel  vous  êtes,  dans  lequel  vous  \ivez 
même  depuis  longtemps;  vous  vivez- donc 
dans  le  péché. 

examinons  maintenant  les  péchés  d'état; 
mais  établissons  quelques  vérités  nécessaires 
pour  distinguer  le  péché  d'avec  l'étal,  afin 
qu'on  ne  croie  pas  que  nous  confondions  ce 
qui  csl  de  Dieu  avec  ce  qui  est  de  l'homme 
et  du  démon. 

Les  différentes  conditions  qui  forment 
l'état  civil  sonl  des  ouvrages  de  Dieu,  et  il 


les  a  réglées  par  sa  providence  de  telle  sorte 
que,  contribuant  à  la  beauté  et  à  l'utilité  des 
royaumes,  elles  peuvent  rendre  non-seule- 
menl  heureux  mais  saints  ceux  qui  les  em- 
brassent, s'ils  suivent  les  lois  que  Dieu  y  a 
établies  pour  leur  sanctification.  C'est  ce 
que  le  Sage  nous  enseigne  dans  s<  s  Prover- 
bes :  Le  riche  et  le  pauvre,  dit-il,  se  sont  ren- 
contrés; le  Seigneur  est  le  créateur  de  l'un 
et  de  l'autre.  Voilà  une  première  vérité. 

Ce  que  je  dis  ici  s'entend  des  conditions 
qui  sont  bonnes  par  elles-mêmes;  car  il  yen 
a  qui  sont  manvaiseï  en  elles-mêmes,  et  qui 
ne  sont  que  de  pures  inventions  du  demou  ; 
il  n'est  pas  question  de  celles-là,  elles  por- 
tent leur  condamnation  avec  elles  :  seconde 
vérité. 

Comme  le  démon  traverse  tous  les  desseios 
de  Dieu  sur  ses  élus,  il  a  pris  soin  de  répan- 
dre un  certain  poison  dans  les  conditions  les 
plus  légitimes,  donl  il  est  difficile  de  se  ga- 
rantir ;  ci  c'est  là  cette  ivraie  semée  par  l'en- 
nemi dans  le  champ  du  Seigneur  ;  car  celte 
parabole  s'entend  aussi  bien  des  mœurs  que 
de  la  doctrine  :  troisième  vérité. 

Enfin,  ce  levain  pour  ainsi  dire  répandu 
dans  loutes  les  conditions  rend  tous  les  em- 
plois dangereux;  toutes  les  conditions  sont 
par  là  devenues  suspectes,  et  on  ne  doit  ni 
les  embrasser  sans  conseil,  ni  les  exercer 
qu'avec  précaution  :  quatrième  vérité. 

V aiies-y  réflexion  ,  mes  frères  :  on  entre 
dans  les  emplois  souvent  par  un  certain  ar- 
rangement d'événements  et  de  choses  dont 
on  ne  peut  pas  dire  la  raison  :  on  trouve  une 
occasion  de  s'établir  dans  un  emploi,  on  le 
prend  sans  autre  vue  que  celle  d'un  établis- 
sement; d'autres  foTs  c'est  par  une  espèce  de 
suite  de  la  naissance  :  on  se  trouve  fils  d'un 
homme  tout  établi,  on  suit  sa  fortune  et  on 
entre  dans  ses  affaires;  quelquefois  c'est  un 
choix  de  l'avarice  :  on  prend  un  état  où  l'on 
croit  faire  de  plus  grands  gains;  foit  souvent 
un  effet  de  l'ambition  :  on  cherche  à  s'élever 
cl  à  effacer  l'obscurité  de  sa  naissance  par 
l'éclat  de  la  fortune.  Or,  mes  frères,  lout  ceci 
étant  supposé,  voici  comme  l'on  tombe  dans 
les  péchés  de  l'étal  qu'on  embrasse,  et  com- 
ment on  y  vit  sans  s'en  apercevoir. 

Les  motifs  de  notre  entrée  dans  un  étal  el 
les  inclinations  que  nous  y  api  ortons  en  y 
entrant  règlent  nos  mou\cmenls  et  détermi- 
nent presque  toute  notre  conduite  dans  l'em- 
ploi que  nous  embrassons  :  ainsi,  si  c'est  l'a- 
varice qui  nous  y  a  fait  entrer,  nous  em- 
brasserons loutes  les  maximes  qui  sont  pro- 
pres à  la  satisfaire;  si  c'est  l'ambition,  nous 
suivrons  toutes  celles  qui  la  peuvent  con- 
tenter; si  c'est  la  paresse,  nous  donnerons 
dans  toutes  celles  qui  l.i  llattent,  et  nous  ne 
manquerons  pas  de  trouver  dans  tous  les 
états,  quelque  saints  qu'ils  soient,  de  CM 
maximes  pernicieuses  qui  s'accommodent 
arec  lis  péchés  de  notre  tempérament. 

Car  voici  la  liaison  qui  se  rencontra  cuire 
ces  deux  sortes  de  pèches,  et  comment,  selon 
saint  Augustin,  ces  deux  »orles  de  corrup- 
tions s'entr'aidenl  mutuellement  pour  nous 
engager  dans  le  péché  cl  pour  nous  y  faire 


SOi 


SERMON  POUR  LE  SAMEDI  DE  LA  TROISIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


vivre.  Si  vous  avez  pris  soin,  dit  ce  saint,  de 
soumettre  le  degré  de  corruption  qui  est  en 
vous  (que  nous  avons  appelé  le  péché  de 
tempérament),  le  monde  et  toute  sa  corrup- 
tion ne  pourra  rien  sur  vous.  Que  peut  en  ef- 
fet, mes  Irès-chers  frères,  faire  snr  vous  la 
vue  de  l'intérêt  et  du  gain,  si  vous  avez 
dompté  l'avarice?  Si  vous  ne  l'avez  pas  sou- 
mise et  qu'elle  domine  encore  en  vous,  la 
vue  du  gain  vous  emportera,  et  vous  suivrez 
les  voies  propres  à  vous  satisfaire.  Il  en  sera 
ainsi  de  toutes  les  autres  passions,  qui  vous 
feront  agir  dans  les  fonctions  de  l'état  que 
vous  aurez  embrassé,  et  qui  vous  feront  re- 
cevoir comme  sûres  toutes  les  maximes  de 
cet  état  qui  auront  du  rapport  avec  elles. 

Vous  ne  serez  pas  sans  lumières  sur  la 
fausseté  de  ces  maximes,  peut-être  même 
que  vous  ne  les  embrasserez  pas  d'abord 
sans  scrupule.  Vous  en  verrez  d'autres  qui 
sont  plus  conformes  aux  obligations  d'un 
chrétien  et  plus  sûres  pour  le  salut  ;  mais 
parce  qu'elles  combattent  vos  passions,  qu'el- 
les contraignent  votre  penchant  naturel , 
qu'elles  détruisent  vos  intérêts,  qu'elles  s'op- 
posent à  votre  ambition,  vous  chercherez 
d'abord  des  raisons  pour  les  rendre  suspec- 
tes ;  ensuite,  si  vous  n'en  trouvez  pas  pour 
les  rejeter  entièrement,  vous  n'en  manque- 
rez pas  peur  croire  qu'on  n'est  pas  obligé 
de  les  suivre  dans  toute  leur  étendue  ;  ainsi 
vous  ne  les  condamnerez  pas  à  la  vérité, 
mais  vous  ne  les  suivrez  pas  non  plus,  et 
vous  vous  chargerez  devant  Dieu  du  hasard 
et  des  suites  de  celles  'que  vous  embrasserez, 
qui  vous  jetteront  nécessairement  dans  ce 
que  j'appelle  les  péchés  d  état,  dans  lesquels 
vivent  la  plupart  des  hommes. 

Nous  voyons  tous  les  jours  des  personnes 
qui  entrent  dans  l'Eglise  par  des  voies  ana- 
Ihémalisées  par  toute  l'antiquité,  qui  en  ac- 
cumulent les  biens  et  qui  en  usent  en  sui- 
vant des  maximes  foudroyées  par  les  saints 
Pères  et  opposées  à  leurs  principes  et  à  la 
perfection  essentielle  à  cet  état.  Combien  de 
personnes  de  cette  profession  qui  vivent  dans 
le  péché  1  Nous  voyons  dans  les  cloîtres  des 
assemblées  de  personnes  qui,  s'y  étant  reti- 
rées par  piété,  et  après  avoir  promis  à  Dieu 
d'y  vivre  d'une  certaine  manière,  s'appli- 
quent toute  leur  vie  à  chercher  des  prétextes 
pour  ne  point  faire  ce  qu'ils  ont  promis. 
Combien  y  en  a-t-il  dans  ces  saintes  retrai- 
tes qui  vivent  tranquillement  dans  le  péché  I 
Combien  voyons-nous  de  désordres  dans  le 
mariage  1  Combien  ce  sacrement  si  saint  est- 
il  déshonoré  par  les  vues  qui  le  font  embras- 
ser, par  les  dispositions  qu'on  y  apporte  et 
par  l'usage  qu'on  en  fait  1  Quelle  effroyable 
multitude  de  |échcs  attachés  par  la  corrup- 
tion des  hommes  à  cet  état,  dans  lesquels 
on  vit  sans  vouloir  les  apercevoir!  Quel  mé- 
pris un  père,  une  mère,  un  maître  n'a-t-il 
pas  pour  les  devoirs  que  le  chrislianisme  at- 
tache à  son  état!  Dans  les  pères,  négli- 
gence louchant  l'éducation  de  ses  enfants; 
dans  les  femmes,  abandonnement  des  soins 
intérieurs  du  domestique;  dans  les  maîtres, 
violements  continuels  de  la  charité,  do  la 


justice,  de  la  douceur.  Oui,  mes  frère9,  il  va 
peu  de  chrétiens  qui  ne  vivent  dans  le  péché. 
Où  trouve-t-on  des  juges  tels  que  ceux  dont 
la  peinture  nous  est  faite  dans  l'Exode,  des 
hommes  fermes  et  courageux  qui  craignent 
Dieu,  qui  aiment  la  justice  et  la  vérité  et  qui 
soient  ennemis  de  l'avarice?  Ne  sait-on  pas 
accommoder  la  fermeté  et  le  courage  à  l'é- 
gard des  misérables,  avec  la  flexibilité  et  la 
complaisance  pour  les  grands?  La  crainte  de 
Dieu  ne  cède-t-elle  pas  à  celle  des  puissan- 
ces ?  La  justice  et  la  vérité  résistent-elles  à 
la  faveur,  et  ne  trouve-t-on  pas  mille  ma- 
nières de  les  sacrifier  à  son  intérêt? 

Comparez  donc  la  conduite  que  vous  te- 
nez dans  votre  condition  avec  celle  que  la 
religion  et  l'équité  exigent  de  vous  ;  infor- 
mez-vous de  la  doctrine  et  des  sentiments 
des  saints  Pères  sur  vos  obligations  ;  exami- 
nez quelle  a  été  la  vie  de  ceux  qui  se  sont 
sanctifiés  dans  cette  condition,  et  vous  n'au- 
rez pas  de  peine  à  reconnaître  que  la  plu- 
part des  hommes  vivent  dans  de9  péchés  sur 
lesquels  iis  ne  font  point  de  réflexion,  et  sur 
lesquels,  prenez-y  garde,  l'ignorance  ne 
vous  excusera  nullement  ;  car  un  homme 
est  obligé  de  s'instruire  de  tous  les  devoirs  de 
son  état. 

Un  chrétien  est  obligé  de  savoir  que  Jésus- 
Christ  a  dit  qu'il  est  la  lumière  du  monde,  et 
que  celui  qui  ne  le  suit  pas  marche  néces- 
sairement dans  les  ténèbres.  Or  celui  qui 
suit  Jésus-Christ  vit  comme  Jésus-Christ  a 
vécu,  règle  ses  paroles,  ses  actions  et  sa  vie, 
sur  sa  loi  et  sur  ses  exemples.  Qui  ne  suit 
pas  ces  règles  marche  dans  les  ténèbres,  et 
ces  ténèbres  le  conduisent  à  la  mort.  Le 
chrétien  est  donc  obligé  d'examiner  si  les 
maximes  qu'il  suit  sont  conformes  à  sa  loi  et 
aux  exemples  de  sa  vie.  Voilà  des  points  es- 
sentiels dans  chaque  état,  et  qu'on  ne  peut 
négliger  sons  se  perdre.  Mon  Dieul  que  le 
nombre  est  grand  de  ceux  qui  vivent  dans  le 
péché  1 

Que  dirons-nous  maintenant  des  péchés 
de  société,  c'est-à-dire  de  ceux  dans  lesquels 
on  tombe  par  la  fréquentation  des  hommes 
et  dans  le  commerce  du  monde?  Ils  sont  infi- 
nis, et  d'autant  plus  dangereux  qu'à  peine 
les  rcmarque-t-on.  Pour  en  bien  connaître 
toute  la  grandeur,  il  faut  les  regarder  dans 
deux  vues  différentes  :  comme  détruisant  les 
desseins  que  Dieu  a  eus  en  liant  les  hommes 
par  la  société,  et  comme  fournissant  à  en- 
tretenir les  péchés  de  tempérament  et  d'état. 

Lu  effet,  les  desseins  que  Dieu  a  eus  en 
liant  les  hommes  par  la  société  ont  été,  dans 
l'œuvre  du  salut,  qu'ils  fussent  à  ceux  avec 
qui  ils  vivent  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ, 
comme  parle  saint  Paul  ;  qu'ils  s'excitassent 
mutuellement  cl  qu'ils  se  portassent  à  l'ai- 
mer ;  car  voici  le  fruit  du  commerce  et  de  la 
société  des  chrétiens,  selon  saint  Augustin  : 
nous  devons  conduire  à  Dieu,  qui  est  notre 
souverain,  ceux  que  nous  aimons,  et  y  être 
conduits  par  ceux  qui  nous  aiment.  Sans 
cela,  quand  il  n'y  a  que  de  l'humain,  toute 
amitié  et  toute  société  est  dangereuse. 

Sur  ces  principes,  mes  chers  frères,  qu'est. 


■  -. 


OliXTKUns  SACRES.  I»UM  JF.HOMI.. 


MM 


ce  que  la  société  des  hommes  ?  un  commerce 

de  corruption  dans  lequel  on  se  fournil  mu- 
tuellement de  quoi  se  détourner  de  Dieu. 
L'assemblée  des  hommes  est  comme  un  mon- 
ceau de  cadavres  que  l'on  voit  après  une  ba- 
taille et  d'où  s'élèvent  la  puanteur  et  l'infec- 
tion. Les  hommes  se  patent  les  uns  les 
autres  ;  et,  semblables  à  ces  nuées  noires  qui 
roulent  dans  l'air  et  qui  ne  se  rassemblent 
que  pour  causer  de  grands  orages  et  de  gran- 
des inondations,  nous  ne  nous  assemblons 
que  pour  grossir  l'orage  du  péché,  pour  ré- 
pandre partout  un  déluge  de  corruption,  et 
pour  combattre  non-seulement  tous  les  des- 
seins généraux  que  Dieu  peut  avoir  eus  en 
établissant  une  société  parmi  les  hommes, 
mais  aussi  cens  qu'il  a  eus  pour  la  sanctifi- 
cation des  particuliers  qui  la  composent,  et 
pour  la  sainteté  des  conditions  où  il  les  a 
placés. 

Car,  mes  frères,  les  péchés  de  société  en- 
tretiennent ceux  de  tempérament  et  d'état. 
On  peut  dire  môme,  et  c'est  ce  qu'il  y  a  de 
plus  étrange,  que  ce  qu'on  regarde  comme 
des  vertus  dans  la  société  produit  ordinaire- 
ment ce  pernicieux  effet.  Ne  regarde-t-on 
pas  comme  des  vertus  de  la  société  cet  es- 
prit de  douceur  qui  trouve  tout  bien,  ces  ma- 
nières complaisantes  et  toujours  agréables, 
ces  airs  honnêtes  et  un  peu  flatteurs,  cette 
loi  que  l'on  s'est  faite  de  ne  jamais  contre- 
dire et  d'approuver  tout  ce  qui  se  passe  sous 
nos  yeux?  N'est-ce  pas  ainsi  qu'on  loue  tou- 
jours dans  les  autres  les  péchés  de  tempé- 
rament: dans  l'un  l'amour  de  la'fausse  gloire, 
dans  l'autre  l'ambition,  dans  celui-ci  l'ava- 
rice, dans  celui-là  la  prodigalité,  et  tout  le 
reste?  N'est-ce  pas  par  ces  vertus  de  société 
diaboliques  aux  yeux  de  Dieu,  par  ces  louan- 
ges pernicieuses  que  l'on  cache  à  ceux  avec 
qui  nous  sommes  en  société  ces  vices  qui 
les  déshonorent,  et  qu'on  leur  en  ôtc  toute 
l'horreur?  N'est-ce  pas  par  là,  mes  frères, 
qu'on  applaudit  à  toutes  les  mauvaises  maxi- 
mes du  siècle  qui  nous  jettent  dans  les  pé- 
chés d'état,  comme  nous  avons  dit?  On  va 
féliciter  un  homme  qui  est  entré  dans  un  bé- 
néfice par  des  voies  qui  le  rendent  abomi- 
nable devant  Dieu;  vos  approbations  lui  fer- 
ment les  yeux  sur  l'indignité  de  son  entrée, 
et  l'autorisent  dans  toutes  les  fausses  maxi- 
mes du  monde  qu'on  approuve,  et  par  là  on 
entretient  les  péchés  d'étal  et  on  prend  part 
à  l'iniquité  de  ceux  que  l'on  applaudit. 

Ne  vous  y  trompez  pas,  mes  frères,  saint 
Paul  nous  dit  que  non-seulement  ceux  qui 
commettent  le  péché  sont  dignes  de  mort,  mais 
aussi  ceux  qui  approuvent  ceux  qui  1rs  font; 
car  c'est  se  charger  des  péchés  des  autres 
que  d'y  consentir,  que  de  les  approuver,  que 
de  ne  les  pas  empêcher  quand  on  le  peut,  et 
surtout  lorsqu'on  est  revêtu  du  caractère 
qui  nous  y  oblige.  La  passion,  l'intérêt,  la 
faiblesse,  peuvent  quelquefois  entraîner 
comme  malgré  soi  dans  le  péché  celui  qui  le 
commet;  mais  dans  celui  qui  applaudit,  ces 
motifs  ne  pouvant  s'y  trouver  au  moins  que 
faiblement,  il  faut  qu'il  y  ait  on  amour  du 
péché  bien  criminel,  ou  une  négligence  bien 


déplorable  de  son  salut,  pour  s'exposer  à 
prendre  pari  au  péché  des  autres  en  l'ap- 
prouvant. 

Mon  Dieu!  que  les  péchés  de  société  -ont 
en  grand  nombre  et  peu  connu  !  Car  ne  pes- 
iez pas  en  être  quille  pour  me  dire:  Il  fau- 
dra donc,  selon  vous,  que  je  sois  le  c.n-eur 
de  tout  le  genre  humain?  Non,  mai  frères, 
mais  ne  soyez  pas  l'a pprobaleur  des  désor- 
dres des  hommes,  si  \ous  ne  voulez  pas  en 
êlre  le  complice.  Si  Dieu  a  puni  quelquefois 
la  lâcheté  de  ceux  qui  n'ont  pas  repris  avci 
assez  de  forée  ceux  à  qui  ils  devaient  ce  se- 
cours, que  fera-t-il  donc  à  l'égard  de  ceux 
qui  ont  applaudi  aux  désordres  de  leur-  ir.  - 
res,  et  qui  les  ont  entretenus  dans  les  dé- 
sordres par  leurs  complaisances  et  par  leurs 
flatteries? 

Mais  prenez  garde,  mes  frères,  que  ce 
n'est  encore  là  qu'une  espèce  de  ces  péchés 
que  j'appelle  de  société,  dont  le  nombre  cal 
infini  et  dans  lesquels  on  tombe  d  une  infi- 
nité de  manières.  Je  ne  puis  pas  vous  repré- 
senter les  railleries,  les  médisances,  les  faux 
jugements,  les  injustices,  les  dérèglements 
dans  lesquels  on  s'engage  pour  complaire  à 
ceux  avec  qui  on  est  obligé  de  vivre:  je  ne 
puis  vous  représenter  qu'en  peu  de  mots 
comment, sans  mêmequele  mauvais  exemple 
nous  fasse  tomber  dans  des  désordres  sem- 
blables, et  sans  que  nous  y  ayons  part  en 
leur  applaudissant,  comment,  dis-je,  la  seule 
vue  de  ces  désordres  ne  laisse  pas  qu  le 
nous  être  pernicieuse  et  de  nous  jeter  dam 
un  état  très-dangereux  pour  le  silut. 

C'est,  mes  frères,  en  nous  persuadant  que 
nous  sommes  verlueux  parce  que  nous  ne 
tombons  pas  dans  les  grands  crimes  que 
nous  voyons  commettre  à  ceux  avec  qui 
nous  vivons;  c'est  en  affaiblissant  en  nous 
ces  idées  de  la  sainteté  et  de  la  vigilance 
qu'exige  la  religion;  c'est  en  faisant  moins 
d'état  de  nos  fautes,  parce  qu'elles  parais- 
sent beaucoup  moindres  que  les  péchés  que 
l'on  voit  commettre  dans  le  train  ordinaire 
du  monde,  ce  qui  fait  que,  nous  tenant  eu 
assurance,  nous  ne  songeons  point  à  en  gé- 
mir et  à  en  faire  pénitence,  et  que  nous  ri- 
vons dans  le  pèche  tranquillement  et  sans 
réllexion  ;  c'est  enfin  en  nous  contentant  de 
ne  point  commettre  de  péchés  grossiers, 
sans  songer  à  entrer  dans  la  pratique  des 
vertus  et  à  faire  les  bonnes  œuvres  que  Dieu 
demande  de  nous  dans  notre  état:  ne  consi- 
dérant point  que  la  justice  chrétienne  ne 
consiste  pas  seulement  à  éviter  le  mal,  mais 
à  faire  le  bien,  et  qu'il  n'y  a  rien  de  plus 
dangereux  que  l'état  de  celui  qui  dit:  Je  suis 
rube,  je  suis  comblé  de  biens  et  je  n'ai  be- 
soin de  rien. 

Un  des  plus  déplorables  effets  que  la  vue 
de  ces  désordres  produise  en  nous  consiste 
dans  l'assurance  que  nous  donne  la  compa- 
raison de  notre  conduite  avec  celle  des  per- 
sonnes vicieuses  avec  qui  nous  conversons. 
Car,  mes  Ire  res,  la  grande  misère  de  l'homme 
ne  c  insiste  pas  à  cire  pauvre  et  dépouillé,  à 
être  par  lui-même  sujet  au  mensonge  el  au 
pèche,  c'est  sou  état;  mais  elle  consiste  à  ne 


5<iri 


SERMON  POUR  LE  QUATRIEME  DIMANCHE  DE  CAREME. 


ïiOG 


pas  connaître  cette  pauvreté,  à  se  fermer  les 
,  trésors  de  la  miséricorde  de  Dieu  par  son  or- 
•   gueil,  et  à  se  croire  en  assurance  lorsqu'il 
esl  près  de  périr. 

Voilà  une  espèce  de  péché  d'omission  des 
plus  dangereux  entre  ceux,  que  nous  avons 
appelés  de  société,  parce  que,  n'ayant  au- 
cune crainte  qui  nous  épouvante  et  qui  nous 
réveille,  nous  jouissons  dans  le  monde  d'une 
réputation  de  probité  et  d'une  estime  qui 
nous  endorment  et  qui  nous  perdent.  Or, 
mes  frères,  qu'il  y  a  de  gens  qui  vivent  dans 
le  péché  sans  y  faire  de  réflexion  1  Que  cotte 
parole  de  saint  Jean  est  véritable,  que  tout 
le  monde  es!  sous  f empire  du  malin  esprit! 
Ce  n'est  point  une  hyperbole,  c'est  une  vé- 
rité qu'on  découvrira  facilement  si  on  consi- 
dère combien  les  péchés  de  tempérament,  les 
péchés  d'état  et  les  péchés  de  société  se  mul- 
tiplient; si  on  considère  que  la  plupart  des 
chrétiens  regardés  comme  particuliers  n'ap- 
partiennent point  à  Jésus-Christ,  mais  à 
Adam;  qu'ils  n'agissent  point  par  les  mou- 
vements de  l'homme  nouveau,  mais  qu'ils 
suivent  presque  en  tout  les  inclinations  du 
vieil  homme  ;  que  dans  les  emplois  que  nous 
embrassons,  que  d'ans  les  conditions  où  nous 
sommes  engagés,  nous  ne  nous  conduisons 
point  par  les  maximes  de  Jésus-Christ,  mais 
par  celles  du  monde,  nous  no  nous  attachons 
point  aux  règles  qu'il  nous  a  prescrites,  mais 
aux  faux  principes  introduis  dans  notre 
état  par  la  cupidité;  enfin  que  la  société  est 
pour  nous  une  source  de  corruption  déplo- 
rable qui  nous  jette  dans  une  multitude  de 
péchés  que  nous  avons  de  la  peine  à  con- 
naître, quand  même  nous  nous  y  appliquons 
attentivement. 

Voilà,  mes  frères,  ce  que  j'ai  essayé  de 
vous  découvrir  dans  ce  discours  ;  tirez  vous- 
mêmes  la  conséquence:  Donc  un  grand  nom- 
bre de  chrétiens  meurent  infailliblement 
dans  le  péché.  Cependant  soyez  assurés  que 
nous  n'avons  rien  dit  qui  approche  de  l'idée 
qu'on  doit  avoir  du  règne  du  péché  dans  les 
particuliers,  dans  les  conditions,  dans  les  so- 
ciétés. 

Humilions-nous  donc,  mes  frères,  appre- 
nons à  nous  connaître,  gémissons  de  notre 
misère,  craignons  de  mourir  dans  le  péché, 
car  c'est  la  juste  punition  d'y  avoir  vécu; 
recourons  donc  à  celui  qui  seul  peut  donner 
l'esprit  de  pénitence,  pour  nous  faire  sortir 
des  pièges  du  démon  et  nous  faire  marcher 
dans  les  voies  de  la  justice:  c'est  ce  que  je 
vous  souhaite.  Ainsi  soi t— il. 

SERMON 

POUR  LE   QUATRIÈME  DIMANCHE   DE  CARÊME. 

Sur  l'aumône. 

Accepit  Jésus  panes,  et  cum  gratias  cgisseï,  distribnit 
discutnbenlibus. 

Jésus  prit  les  pains,  et  après  avoir  rendu  grâce»  à  Pieu, 
il  les  distribua  à  ceux  qui  étaient  assis  (Joan.,  VI,  tl). 

L'action  que  fait  le  Sauveur  du  monde 
dans  cet  évangile  est  un  exemple  admira- 
ble pour  vous,  mes  chers  frères.  Il  se  trouve 
environné  d'une  multitude  de  peuple  exposé 
aux  dernières  extrémités   par  le  défaut  de 


tout  secours;  il  fait  un  miracle  en  leur  fa- 
veur, en  prenant  des  pains  qu'il  muliplie,  et 
par  là  il  fournit  abondamment  aux  nécessi- 
tés de  ce  peuple. 

Mes  frères,  les  pauvres  nous  environnent 
de  toutes  parts,  leur  nombre  se  multiplie  et 
leur  nécessité  augmente  tous  les  jours  ;  la 
seule  connaissance  de  leur  besoin  suffirait 
pour  nous  porter  à  les  soulager  si  nous 
avions  la  foi  de  nos  premiers  pères.  Vous 
pouvez  voir  dans  les  Actes  des  apôtres  com- 
ment Ie9  premiers  chrétiens  secouraient  leurs 
frères  qui  étaient  dans  la  misère. 

Celte  charité  prévoyante,  si  digne  des  fi- 
dèles qui  avaient  pris  le  nom  de  chrétiens, 
est  la  condamnation  de  notre  insensibilité. 
Nous  la  voyons,  cette  misère,  et  nous  n'en 
sommes  pas  touchés  ;  l'amour  de  nous-mê- 
mes et  de  nos  commodités  nous  resserre  sur 
les  besoins  du  prochain. 

Mais  puisque  notre  foi  est  si  faible,  tra- 
vaillons à  la  fortifier  en  dissipant  ce  qui  l'af- 
faiblit ,  et  pour  nous  mettre  en  état  de  pro- 
fiter de  la  leçon  que  Jésus-Christ  nous  donne 
dans  l'Evangile  ,  et  de  l'exemple  des  pre- 
miers chrétiens. 

Examinons  les  raisons  ordinaires  qu'on 
allègue  pour  se  dispenser  de  faire  l'aumône, 
et  nous  vous  ferons  voir  qu'elles  sont  vai- 
nes :  première  partie.  Nous  vous  fourni- 
rons des  fonds  pour  satisfaire  à  c«tte  obli- 
gation ,  sans  qu'il  en  coûte  à  la  bienséance 
chrétienne  de  votre  état  ;  il  en  coûtera  seu- 
lement à  vos  passions  qu'il  faut  combattre  : 
seconde  partie. 

Demandons  à  Dieu  qu'il  nous  ouvre  les 
yeux,  mais  surtout  qu'il  louche  nos  cœurs, 
car  la  volonté  fait  bien  plus  de  résistance 
contre  la  vérité  que  l'esprit.  Changez-la,  Sei- 
gneur, cette  volonté  si  rebelle  au  bien,  vous 
seul  pouvez  le  faire  par  l'opération  de  votre 
esprit  -.  nous  vous  demandons  son  assistance 
par  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Qu'il  y  a  de  chrétiens  qui  succombent  à 
l'épreuve  où  le  Sauveur  du  monde  voulut 
mettre  la  foi  et  la  confiance  de  son  disciple, 
lorsque,  ayant  jeté  les  yeux  sur  celte  multi- 
tude qui  l'avait  suivi  dans  le  désert,  il  lui 
dit  :  Où  pourrions-nous  acheter  assez  de  pain 
pour  donner  à  manger  à  tout  ce  monde  I 

11  voulait,  mes  frères,  élever  la  foi  de  ce 
disciple  ,  pour  lui  ôler  les  idées  trop  basses 
et  trop  humaines  de  sa  toute-puissance,  en 
lui  faisant  sentir  la  grandeur  du  besoin,  et 
par  la  soustraction  des  moyens  humains, 
lui  donner  et  plus  de  foi  et  plus  de  confiance 
en  sa  vertu.  Or,  mes  frères,  le  monde  est 
rempli  de  chrétiens  qui,  perdant  les  vues  de 
la  foi,  ne  s'occupent  que  de  leur  besoin  et  des 
misères  présentes,  et,  sans  considérer  la 
bonté,  la  sagesse  et  la  puissance  de  celui  qui 
a  fait  les  lois,  ils  se  croient  dispensés  de  les 
accomplir  par  de  fausses  raisons  et  sous  le 
faux  prétexte  d'une  impuissance  qu'ils  allè- 
guent. 

C  «si  surtout  dans  l'accomplissement  du 
précepte  de  fairo  l'aumône  qu'on  se  rassure 


.'.07 


ORATEURS  SACRES.  I)OM  JEROME. 


r,o& 


sur  des  raisons  solides  pour  s'en  dispenser, 
el  qu'on  produit  avec  plus  de  confiance  1rs 
impuissance*  prétendues  qui  ne  sont  que  do 
vains  prélcxles  fournis  par  la  cupidité. 

Les  temps  sont  fâcheux,  ma  famille  est 
grande,  ma  fortune  est  petite:  voilà  ce  qu'on 
allègue  ordinairement. 

Les  temps  sont  fâcheux,  dit-on,  on  n'est 
point  en  état  de  faire  l'aumône,  c'est  tout  ce 
qu'on  peut  faire  que  de  vivre  ;  on  ne  reçoit 
rien,  les  terres  demeurent  sans  culture  faute 
de  fermiers  ;  les  maisons  ne  se  louent  point, 
le  revenu  des  charges  diminue:  le  moyen 
donc  de  faire  l'aumône  el  d'assister  cette 
grande  multitude  de  pauvres  dont  vous  nous 
parlez  1 

Il  y  a  bien  des  réponses  à  faire  à  celte 
première  raison.  Que  les  temps  d'aujour- 
d'hui soient  plu-;  mauvais  que  ceux  d'autre- 
fois,  je  n'en  conviens  pas.  et  je  vous  ferai 
voir  dans  un  moment  qu'il  n'y  paraît  point. 
D'ailleurs,  comme  dit  saint  Augustin,  c'est 
nous-mêmes  qui  rendons  les  temps  mauvais 
par  les  désirs  déréglés  de  notre  cupidité,  qui 
nous  porte  à  souhaiter  ce  que  nous  n'avons 
point,  et  à  rejeter  sur  les  temps  ce  qui  man- 
que à  notre  avarice  ou  à  notre  ambition. 

Mais  allons  plus  loin  :  par  où  pouvez- 
vous  nous  faire  voir  que  les  temps  sont 
mauvais?  Sera-ce  par  le  retranchement  du 
luxe  ?  Voyons  en  quel  état  sont  vos  maisons. 
Pour  les  meubles,  on  y  voit  les  richesses  de 
toutes  parts,  l'argent  est  employé  dans  les 
ustensiles  les  plus  vils.  Sera-ce  dans  vos 
équipages?  Les  carrosses  sont  magnifiques, 
les  livrées  sont  pompeuses.  Sera-ce  par  vos 
tables  ?  Elles  sont  servies  avec  délicatesse  el 
avec  superfiuité;  les  festins  et  les  repas  se 
font  toujours.  Sera-ce  par  le  retranchement 
de  vos  plaisirs?  Les  spectacles  ne  désem- 
plissent pas,  le  jeu  roule  toujours.  Par  où 
donc  nous  ferez-vous  voir  que  les  temps 
sont  mauvais?  Vous  direz  sans  doute:  Cet 
homme  ne  sait  point  le  monde  ;  car  il  s'en 
faut  bien  que  les  choses  aillent  comme  au- 
trefois. On  s'endette  pour  se  soutenir,  et  on 
se  coule  à  fond  pour  sauver  les  dehors  et 
pour  garder  les  apparences.  Quelle  plus 
grande  folie  que  celte  conduite,  mes  chers 
frères  1  Mais  d'ailleurs  n'est-ce  pas  une  chose 
horrible  et  qui  crie  vengeance  devant  Dieu, 
que  vous  enveloppiez  dans  votre  ruine  des 
familles  que  vous  engagez  dans  votre  dé- 
pense, et  que  vous  rendiez  des  innocents, 
qui  agissent  de  bonne  foi,  les  victimes  de  vo- 
tre ambition  el  de  votre  vanité  ?  Quoi  donc  I 
pour  garder  les  bienséances  du  monde,  vous 
violerez  les  lois  du  Seigneur?  Mais  suppo- 
sons que  les  temps  soient  mauvais,  qui  est- 
ce  qui  porte  la  dureté  des  temps  avec  plus 
d'incommodité  que  les  pauvres?  Si  les  temps 
sont  mauvais  pour  vous  qui  avez  du  bien, 
iis  sont  donc  insupportables  pour  ceux  qui 
n'en  onl  point  ?  Si  vous  vous  plaignez  parce 
que  vous  n'avez  pas  du  superflu,  il  faut  donc 
que  les  pauvres  périssent  pour  n'avoir  pas 
le  nécessaire?  Or,  mes  frères,  quelle  est  l'o- 
bligation de  celui  qui  a  du  bien,  sur  L'arti- 
cle de  l'aumône,  quand  la  nécessité  est  ex- 


trême? Il  faut  donner  non-seulement  son  su- 
perllu, ce  qui  est  d'obligation  en  tout  temps, 
mais  dans  ces  occasions  il  faut  aller  jus- 
qu'au nécessaire,  non  pas  à  la  vérité  jusqu'à 
celui  sans  lequel  vous  ne  pourriez  subsister 
ni  vous  ni  votre  famille,  mais  jusqu'à  celui 
duquel  vous  pouvez  vous  passer  sans  que 
vous  et  votre  famille  en  souffriez  un  dom- 
mage considérable,  enfin,  pour  le  dire  eu 
un  mol,  de  ce  nécessaire  qui  n'est  tel  que 
pour  la  bienséance  de  la  vie.  Mon  Dieu,  si 
on  voulait  se  faire  justice  à  soi-même,  et  la 
faire  aux  pauvres  et  à  Jésus-Christ,  qu'on 
trouverait  de  superflu  dans  le  nécessaire  1 
qu'on  trouverait  à  retrancher  dans  les  cho- 
ses qui  passent  pour  nécessaires  de  néces- 
sité de  bienséance,  et  qui  ne  sont  que  des 
effets  de  la  vanité,  du  luxe  et  de  la  sensua- 
lité! Avouez-le,  mes  chers  frères,  quelque 
mauvais  que  soient  les  temps,  quand  il  faut 
faire  une  dépense  pour  satisfaire  le  luxe  et 
la  vanité,  y  en  a-t-il  beaucoup  entre  vous 
qui  se  contentent  de  cette  raison?  Vous  fai- 
tes des  efforts,  n'en  faut-il  donc  point  faire 
pour  votre  salut?  Chrétiens,  où  eit  votre 
foi?  Cette  première  raison  n'est  donc  pas  so- 
lide, la  seconde  ne  vaut  pas  mieux. 

Ma  famille  est  grande  et  elle  se  multiplie  tous 
les  jours.  Il  est  vrai  que  vous  en  devez  pren- 
dre soin  et  pourvoir  à  ses  besoins ,  c'est  un 
devoir  de  votre  état  ;  mais  croyez-vous  pou- 
voir y  réussir  uniquement  par  vos  soins? 
Le  principal  soin  ne  doit  pas  être  fondé  sur 
votre  industrie;  car  qui  êtes-vous  et  où  sont 
vos  forces?  L'inquiétude  de  l'avenir  nous 
trouble  beaucoup  et  ne  sert  à  rien,  sans  la 
confiance  au  Seigneur  et  sa  bénédiction.  Or, 
par  où  l'allirerez-vous  plus  sûrement  que 
par  l'aumône?  La  faire  pour  l'obtenir,  n'est- 
ce  pas  la  source  de  la  miséricorde?  Gens  de 
qualité,  qui  multipliez  le  nombre  de  vos  do- 
mestiques, vous  me  faites  compassion  par 
les  comptes  effroyables  qu'il  faudra  que  vous 
rendiez  au  Seigneur  :  vous  ne  sauriez  pen- 
ser combien  il  se  commet  d'iniquités  parmi 
vos  enfants  ,  parmi  vos  domestiques  ,  parmi 
ceux  qui  composent  les  familles  dont  vous 
êtes  les  chefs. 

Saint  Augustin  donne  un  excellent  conseil 
aux  pères  chrétiens  pour  attirer  la  bénédic- 
tion de  Dieu  sur  leur  famille.  Failcs-y  entrer, 
dit-il ,  Jésus-Christ  en  la  personne  du  pauvre: 
car  vous  savez  bien  que  ce  qu'on  leur  fait,  il 
le  tientfail  à  lui-même.  Mettez  donc  un  pauvre 
dans  le  nombre  de  vos  enfanta  et  dans  celui 
de  vos  domestiques;  si  vous  avez  deux  en- 
fants, comptez-en  trois,  et  que  le  pauvre  soit 
le  troisième.  Faites  pour  le  pauvre  la  même 
dépense  que  vous  feriez  pour  un  enfant,  cela 
n'est  pas  difficile  ;  car  si  Dieu  vous  donne 
trois  enfants  au  lieu  de  deux,  il  faudra  le 
faire  nécessairement  ,  et  s'il  multiplie  ros 
enfants  jusqu'au  nombre  de  dix,  il  faudra 
que  vous  le  lassiez  de  même,  et  que  la  mul- 
titude de  vos  enfants  nulle  des  bornes  à  votre 
ambition.  Or,  faites  pour  Dieu  un  peu  moins 
que  ce  que  la  nécessité  vous  contraindrait 
de  faire  par  force,  et  par  là  vous  attirerez  la 
bencdicliou  de  Dieu  sur  vos  enfants.  Ce  u'est 


SERMON  POUR  LE  QUATRIEME  DIMANCHE  DE  CAREME. 


809 

donc  pas  une  bonne  raison,  pour  vous  dis- 
penser de  l'aumône,  que  de  dire  :  Ma  famille 
est  grande  ;  car  ce  n'est  pas  parce  que  vous 
êtes  de  bons  pères ,  mais  de  très-mauvais 
chrétiens  ,  que  vous  refusez  de  faire  l'au- 
mône sous  prétexte  d'amasser  du  bien  à  vos 
enfants  ;  c'est  votre  cupidité  qui  vous  fait 
garder  votre  bien.  Ce  Gis  est  sans  emploi, 
cette  fille  sans  établissement...  Mes  frères  , 
si  vous  pouviez  l'emporter,  ils  ne  l'auraient 
jamais.  Suivez  donc  le  conseil  de  saint  Au- 
gustin et  de  saint  Chrysostome.  Mettez  Jé- 
sus-Christ dans  la  personne  du  pauvre  au 
nombre  de  vos  enfants;  mettez-le  dans  vo- 
tre maison  ,  faites-le  entrer  dans  toutes  vos 
dépenses,  prenez  pour  lui  sur  tout.  Je  ne  pré- 
tends pas  cependant  réduire  uniquement  là 
vos  aumônes,  mais  cela  en  peut  faire  partie  ; 
car  la  dîme  de  votre  bien  ,  c'est  le  moins 
que  vous  puissiez  donner.  Mettez  à  part  tous 
les  jours  et  destinez  au  pauvre  quelque 
chose  de  réglé,  de  fixe,  ou  de  vos  revenus 
ordinaires,  ou  de  ce  que  vous  gagnez. 

Mais,  dites-vous,  la  fortune  est  petite  :  eh 
bien,  on  vous  demande  peu.  Jésus-Christ 
regardait  un  jour  les  riches  qui  mettaient  de 
grosses  sommes  dans  le  temple  :  une  pauvre 
veuve  vint  y  jetcr.tleux  petites  pièces,  et  vous 
savez  coque  Jésus-Christ  dit.  Mes  frères, 
Dieu  juge  de  la  grandeur  du  présent  par  le 
cœur  et  non  pas  par  le  présent  même;  un 
verre  d'eau  froide  n'est  pas  auprès  de  lui  sans 
récompense. 

Il  paraît  par  toutes  ces  raisons  que  nul 
chrétien  n'est  dispensé  de  faire  l'aumône  se- 
lon ses  facultés  ;  ajoutons  que  l'apôtre  saint 
Paul  nous  dit  qu'il  faut  que  le  chrétien  s'oc- 
cupe en  travaillant  des  mains  pour  gagner  la 
vie  du  prochain.  Y  a-t-il  quelque  chose  qui 
puisse  nous  presser  davantage  que  cette  pa- 
role, et  nous  convaincre  que  personne  n'est 
dispensé  de  faire  l'aumône  ?  Quel  effort  de  la 
charité  ,  gagner  la  vie  du  prochain  par  le 
travail  de  ses  mains  1  Que  deviendront  donc 
«eux  qui  ,  dans  l'abondance  des  biens  ,  sont 
durs  à  l'égard  des  misérables  ,  et  qui ,  me- 
nant une  vie  oisive  et  voluptueuse,  croient 
que  le  reste  des  hommes  n'est  fait  que  pour 
eux  !  Ah!  mes  frères,  plus  on  ouvre  les  yeux 
de  la  foi  ,  plus  on  découvre  les  erreurs  de  ce 
inonde  et  l'étrange  opposition  des  maximes 
des  hommes  aux  règles  de  l'Evangile  et  aux 
maximes  de  Jésus-Christ. 

Ces  raisons  qu'on  allègue  pour  se  dispen- 
ser de  faire  l'aumône  sont  donc  vaines  el  fri- 
voles :  fournissons  des  moyens  réglés  el  ef- 
fectifs pour  la  faire  :  c'est  mon  second  point. 

SECONDE    PARTIE. 

Je  prétends,  mes  frères,  qu'il  n'en  coûtera 
qu'à  vos  passions  pour  Irouver  les  fonds  que 
je  vais  vous  proposer  pour  faire  l'aumône  , 
sans  donner  atteinte  ni  au  fonds  de  l'état,  ni 
même  à  la  bienséance  chrétienne  de  l'état  : 
je  vous  demande  que  vous  donnii  z  pour  le 
pauvre  ce  que  vous  employez  mal  à  propos 
p<>ur  le  péché  ,  pour  le  faste,  peur  le  plaisir. 
S'il  est  vrai  que,  pour  satisfaire  à  tout  cela  , 
Vous  fassiez  de  grandes  dépenses,  il  est  Ircs- 


510 


certain  que  voilà  des  tonds  trouvés  pour  l'au- 
mône ,  sans  qu'il  n'en  coûte  qu'à  vos  pas- 
sions. 

Or,  pour  prouver  la  solidité  de  ce  que  j'a- 
vance, ou  vous  êtes  actuellement  dans  le  pé- 
ché ,  ou  vous  en  êtes  sortis  :  si  vous  y  êtes , 
vous  faites  des  dépenses  ,  on  ne  pèche  point 
qu'il  n'en  coûte;  vous  n'arrêtez  vos  passions 
que  par  des  chaînes  d'or  :  cessez  de  pécher 
et  donnez  à  la  charité  ce  que  vous  donnez  à 
vos  passions  ,  voilà  un  fonds  tout  trouvé. 
Vous  êtes  entre  deux  feux,  celui  de  votre 
passion,  celui  de  la  colère  de  Dieu;  il  faut 
éteindre  l'un  et  l'autre. 

L'eau  doit  être  proportionnée  à  l'incendie  : 
le  feu  de  la  passion  est  violent ,  jelez-y  donc 
beaucoup  d'eau  ;  voici  la  règle  de  saint  Paul  : 
il  exige  qu'on  fasse  pour  Dieu  autant  qu'on 
a  fait  pour  le  péché  ,  il  n'y  a  rien  de  plus 
raisonnable.  De  plus,  vous  n'avez  point  con- 
sidéré les  intérêts  de  votre  famille  quand  il 
a  fallu  contenter  vos  passions  ;  oubliez-les 
un  peu  pour  Dieu.  Ne  soyez  pas  sage  mal  à 
propos.  Si  vous  êtes  sortis  du  péché,  consi- 
dérez le  feu  de  la  justice  de  Dieu  que  vous 
avez  allumé.  Rachetez  vos  péchés  par  Vau- 
mâne.  C'est  un  achat  ,  ce  que  vous  donnez 
doit  avoir  delà  proportion  avec  ce  que  vous 
voulez  acquérir,  réconciliation  ,  grâce  ,  mi- 
séricorde. La  foi  ne  vous  montrait  que,  l'en- 
fer pour  prix  de  votre  péché,  et  elle  vous 
montre  la  gloire  pour  le  fruit  de  votre  au- 
mône. Examinez  donc  devant  Dieu  jusqu'où 
allait  la  dépense  du  péché,  et  faites-y  mon- 
ter votre  aumône  ;  faites  servir  à  la  charité 
ce  que  vous  donniez  à  l'iniquité,  sans  craindre 
de  vous  ruiner. 

Second  fonds  pour  faire  l'aumône,  retran- 
chez la  vanité.  Si  l'on  voulait  se  rendre  jus- 
tice ,  on  trouverait  de  quoi  faire  l'aumône 
sans  donner  atteinte  à  la  bienséance  de  l'é- 
tat, pourvu  qu'on  voulût  régler  cette  bien- 
séance sur  des  principes  certains.  Combien 
de  choses  superflues  !  l'or  et  l'argent  em- 
ployés aux  usages  les  plus  vils;  excès  de 
luxe  dans  le  train,  dans  les  équipages  ,  dans 
la  table  :  mon  Dieu  1  pourquoi  tant  de  pro- 
fusion? Il  faut  si  peu  pour  nourrir  un  hommel 
il  y  a  tant  de  personnes  de  condition  dans 
les  communautés  et  dans  les  cloîtres  qui  se 
contentent  de  si  peu  de  chose  1  Si  vous  vou- 
liez donc  vous  faire  justice  et  prendre  soin  de 
votre,  âme  ,  vous  trouveriez  de  quoi  donner 
l'aumône  amplement  sans  donner  atteinte  à 
la  bienséance  de  votre  condition.  On  ne  vous 
dit  pas  :  N'ayez  point  d'habits  qui  vous  dis- 
tinguent ,  ôlcz  tous  vos  meubles,  marchez  à 
pied  ;  ce  serait  outrer  les  choses  ,  surfaire  le 
salut,  et  s'exposer  par  un  zèle  indiscret  à  tout 
perdre  pour  demander  trop  ;  mais  on  vous 
dit  :  Retranchez  la  vanité  et  le  luxe  de  toutes 
ces  choses,  contentez-vous  du  nécessaire,  et 
donnez  au  pauvre  ce  que  vous  avez  donné 
jusqu'ici  à  la  vanité. 

Une  femme  a  un  diamant  à  la  main  dont 
elle  repousse  le  pauvre  et  dont  elle  pourrait 
le  nourrir....  La  magnificence  dans  les  ha- 
bits, qui  ne  sont  faits  que  pour  servir  do 
couverture  à  noire  nudité,  et  qui  sont  la  inar- 


.11 


ORATEURS  SACRES.  W)M  JEROME. 


que  de  notre  honte,  remedie-t-ollc  à  l'intem- 
périe des  saisons?  Que  sais-je  ?  que  de  ta- 
bleaux superflus  dam  vos  maisons  !  que  do 
délices  dans  vos  tables  !  combien  de  gens  qui 
se  passent  de  tout  cela  et  qui  se  portent  aussi 
bien  que  vous  I  Mes  frères,  observez  les 
bienséances  ,  mais  à  quoi  servent  ces  meu- 
bles somptueux  que  l'on  garde  avec  tant  de 
précaution  ?  n'est-ce  pas  une  folie  inconce- 
vable que  d'aimer  mieux  nourrir  les  vers  et 
la  poussière,  que  Jésus-Cbrist  dans  ses  mem- 
bres? N'est-ce  pas  une  prévoyance  insensée 
qui  n'aboutit  qu'à  laisser  périr  inuiilemcnt 
ce  qui  sauverait  la  vie  à  tant  de  ebréliens 
qui  périssent  de  faim  et  de  froid?  C'est  un 
fonds  mort;  elles  gémissent,  ces  créatures 
qui  servent  à  votre  vanité  ;  elles  valent  quel- 
que chose,  et  leur  prix  servirait  à  nourrir  ce 
pauvre.  Ne  les  tenez  donc  plus  captives  sous 
voire  vanité  ;  quand  vous  ne  feriez  que 
mettre  en  fonds  le  prix  des  superfluités,  vous 
trouveriez  des  sommes  considérables  dont  le 
fonds  vous  resterail,  et  dont  le  revenu  ser- 
virait à  nourrir  bien  des  pauvres  ;  vous  ne 
vous  endetteriez  point ,  vous  n'abîmeriez  pas 
vos  familles,  et  vous  feriez  votre  salut. 

Le  luxe  des  ecclésiastiques  dans  la  table  et 
en  vaisselle  d'argent  doit  être  retranché  , 
aussi  bien  que  celui  des  moines  en  bâti- 
ments ,  en  églises  ,  en  ornements  ;  le  senti- 
ment de  saint  Bernard  sur  cela  est  terrible. 

Le  troisième  fonds  abondant  que  je  vous 
propose  est  à  prendre  sur  tout  ce  qui  nour- 
rit la  volupté  ;  on  peut  l'employer  sans  qu'il 
n'en  coûte  qu'aux  passions.  On  doit  la  re- 
trancher cette  volupté  ,  ou  renoncer  à  l'es- 
prit du  christianisme  ,  qui  est  un  esprit  de 
mortification  ,  de  retranchement ,  de  mort  à 
tout  plaisir  et  à  toute  superfluilé  ;  c'est  l'ap- 
plication que  doit  avoir  continuellement  un 
chrétien.  Examinons  de  bonne  foi  jusqu'où 
vont  les  dépenses  en  promenades,  en  repas  , 
en  délicatesse  ;  sans  parler  des  spectacles  , 
qui  sont  proscrits  pour  les  chrétiens  .  et  des 
suites  des  spectacles,  je  parle  des  choses  que 
la  sensualité  fait  rechercher  cl  qu'un  chré- 
tien ne  peut  prendre  «lès  que  le  pauvre  en 
souffre  ,  de  ce  que  l'on  donne  à  ses  sens  et 
que  l'on  refuse  à  son  extrême  misère. 

Prenez  garde  que  je  ne  dis  pas  absolument 
que  ce  soit  un  péché  de  vous  donner  ce  qui 
en  soi  n'est  pas  mauvais  ,  car  il  ne  faut  rien 
outrer  ;  mais  je  dis  que  c'est  un  péché  si , 
pour  vous  donner  ce  qui  peut  vous  être  sou- 
vent permis,  vous  manquez  à  assister  le 
pauvre  comme  vous  le  devez.  Vous  trouve- 
rez donc  dans  ces  fonds  de  quoi  faire  l'au- 
mône. 

Examinez  devant  Dieu  ,  et  très-sérieuse- 
ment ,  ce  que  vous  pouvez  retrancher  à  la 
vanité,  à  la  volupté;  et  dès  aujourd'hui 
commencez  à  en  faire  un  fonîls  pour  les 
pauvres.  Mais  entre  les  mains  de  qui  met- 
trez-vous  celte  aumône?  Il  serait  difficile  de 
donner  des  règles  à  chacun  en  particulier  : 
ceux  qui  ont  des  biens  de  l'Eglise  doivent 
répandre  leurs  aumônes  sur  les  pauvres  des 
lieux  où  sont  leurs  biens  ;  ceux  qoi  ont  des 
parents  pauvres,  ceux    qui  connaissent  des 


pauvres  honteux  et  que  Dieu  leur  adr 
immédiatement  ,  doivent  la  leur  faire.  Il  •  g 
faut  pas  oublier  dans  cette  distribution  les 
hôpitaux  ni  les  religieux  mendiants  qui  tra- 
vaillent pour  l'Eglise  selon  l'ordre,  et  qui 
attirent  les  bénédictions  du  ciel  sur  les  villes 
qui  les  nourrissent  ;  mais  si  vous  avez  des 
dettes,  payez-les  ;  il  faut  que  la  justice  mar- 
che devant.  Ne  dépouillez  pas  celui  qui  est 
vêtu  pour  couvrir  celui  qui  est  nu  :  n'ôtez 
pas  à  celui  à  qui  vous  devez  pour  donn  r  a 
celui  à  qui  vous  ne  devez  pas  :  la  première 
charité  est  de  payer  ce  que  l'on  doit. 

Au  reste ,  une  des  meilleures  règles  pour 
ses  aumônes,  c'est  de  les  mettre  entre  l<s 
mains  de  ses  pasteurs  dans  les  assemblées 
qui  se  font  chez  eux  pour  les  n  '•< lessité*  des 
pauvres  de  votre  paroisse.  Vous  rentrez  par 
là  dans  la  première  pratique  de  l'Eglii 
vous  faites  revivre  ces  siècles  de  charité  où 
les  chrétiens,  comme  il  est  marqué  dans  les 
Actes  ,  apportaient  aux  pieds  des  apôtre»  le 
prix  de  leurs  biens  pour  être  distribué  en 
commun,  selon  le  besoin  de  chaque  particu- 
lier; et  dans  ces  assemblées  des  fidèles,  le 
pasteur  qui  y  tient,  la  place  des  apôtres  re- 
çoit des  fidèles  qui  s'y  trouvent  le  prix  de 
leurs  biens.  Il  confère  avec  eux  sur  les  né- 
cessités de  ses  enfants  et  de  leurs  frères,  et 
sur  les  moyens  de  les  soulager.  Que  cela  est 
grand  !  on  y  rend  compte  de  l'état  des  choses, 
et,  chacun  disant  son  sentiment,  c'est  par  les 
lumières  de  chaque  particulier  que  la  distri- 
bution en  est  faite. 

Par  ces  assemblées  vous  êtes  soulagés  de 
la  peine  de  faire  le  discernement  nécessaire 
dans  l'aumône  entre  le  pauvre  véritable  et 
celui  qui  ne  l'est  pas.  Cette  discussion  étant 
faite  d'abord  par  les  pasteurs  et  par  les  per- 
sonnes préposées  pour  celte  recherche,  vous 
donnez  aux  pasteurs  un  moyen  naturel  pour 
s'insinuer  dans  l'esprit  de  celte  partie  de  leur 
troupeau  dont  ils  prennent  un  double  soin. 
Cette  assistance  qui  regarde  le  corps  le  r 
ouvre  le  cœur,  et  ils  sont  bien  mieux  dispo- 
sés à  écouler  la  voix  du  pasteur  quand  ils  se 
voient  soulagés  par  ses  mains  :  ils  reçoivent 
ses  conseils  plus  volontiers  quand  il  les  y  a 
préparés  par  des  aumônes. 

Ainsi ,  mes  frères  ,  votre  aumône  ne  se 
donne  point  au  hasard  .  et  vous  entrez  dans 
l'ordre  delà  Providence;  car,  dit  saint  Au- 
gustin, nous  sommes  obliges  d'aimer  tous  les 
hommes;  mais  comme  nos  facultés  ne  sont 
}i(is  assez  grandes  pour  faire  du  bien  à  tous,  il 
faut  prendre  soin  de  ceux  dont  Dieu  semble 
nous  avoir  charges,  en  répandant  nos  aumô- 
nes dans  les  lieux  gui  nous  forment  quelque 
alliance  avec  eux.  Ainsi  voila  les  pauvres  de 
vos  paroisses  désignés  naturellement. 

Entres  donc  bien  dans  cette  raison  de  l'or- 
dre de  Dieu,  et  vous  reconnaîtrez  la  néces- 
sité d'entrer  dans  ces  assemblées.  Mais  de 
plus  la  facilité  est  grande  :  il  ne  s'agit  que  de 
donner  vos  conseils  et  vos  avis  pour  le  SOJB- 
lagemenl  des  pauvres. Quand  il  s'agit  «le  mi- 
neurs et  d'affair  s  de  famille,  on  prend  avis 
des  parents,  on  se  lait  honneur  d'assister  à 
ces  assemblées.  Ici   il  s'agit  de-s  enfants  de 


il; 


SERMON  POUR  LE  MARDI  DE  LA 


Jésus-Christ  qui  sont  mineurs,  vous  ^êtes 
leurs  frères,  leurs  affaires  dépérissent"  ne 
refusez  pas  votre  conseil.  Enfin,  mes  frères, 
celte  manière  de  faire  l'aumône  vous  met  à 
couvert  de  la  vanité.  Vous  cachez  votre  au-_ 
viône  dans  le  sein  du  pauvre,  selon  les  termes 
de  l'Ecriture,  et  la  main  gauche  ne  sait  point 
ce  que  la  main  droite  fait. 

Pourrez-vous  vous  défendre  présentement," 
mes  frères,  de  satisfaire  à  l'importante  obli- 
gation de  faire  l'aumône  ?  Peut-on  vous  ou- 
vrir des  voies  plus  faciles?  Evitez  donc  la 
terrible  condamnation  que  doit  attendre  ce- 
lui qui,  en  refusant  de  soulager  le  pauvre,  a 
refusé  pour  ainsi  dire  de  reconnaître  le  nom 
qu'il  allègue.  Et  quel  est  le  nom  qu'il  allè- 
gue? c'est  celui  de  Dieu  et  de  Jésus-Christ. 
Les  bénédictions  qu'il  vous  souhaite,  c'est 
que  Dieu  vous  fasse  miséricorde.  En  refu- 
sant l'aumône,  c'est  donc  en  un  sons  renon- 
cer Jésus-Christ,  c'est  mériter  que  Jésus- 
Christ  nous  renonce  et  être  renoncé  devant 
Dieu  par  Jésus-Christ.  Concevez-vous  bien 
ce  que  c'est?  Faisons  donc  l'aumône,  mes 
Irès-chers  frères,  vous  pouvez  par  là.  vous 
rendre  Jésus-Christ  favorable.  Ayons  pitié 
des  pauvres,  et  achetons  le  ciel  par  les  biens 
périssables  de  cette  vie  ;  par  là  nous  jouirons 
de  toutes  les  richesses  de  l'immortalité  glo- 
rieuse. Je  vous  la  souhaite.  Ainsi  soil-il. 

SERMON 

POUR  LE    MARDI  DE  LA    QUATRIÈME   SEMAINE  DE 
CARÊME. 

De  la  préparation  prochaine  à  la  mort  pour 
les  justes  et  les  pécheurs. 

Ibat  Jésus  in  civitatein  qua3  vocalur  Naim  :  ecce  dcl'un- 
ctus  effôrebatur. 

•  Jésus  allait  d.<ns  une  ville  appelée  Naim,  élit  se  rencon- 
tra que  l'on  portait  un  mort  {Luc,  VII,  11,  12). 

Je  voudrais,  mes  frères,  vous  donner  au- 
jourd'hui des  règles  pour  bien  mourir,  et  vous 
apprendre  dans  ce  discours  ce  qu'un  chrétien 
doit  pratiquer  à  l'extrémité  de  sa  vie  pour 
unir  celle  qu'il  espère  avec  celle  qu'il  doit 
finir,  et  se  faire  un  heureux  passage  de  l'une 
à  l'autre. 

Comme  il  n'y  a  rien  que  les  hommes  sou- 
haitent davantage  qu'une  heureuse  mort, 
j'ai  cru  que  vous  seriez  bien  aises  de  m'en 
voir  décrire  les  conditions  dans  ce  discours  ; 
et  comme  Dieu  fait  miséricorde  en  tout  temps, 
que  son  Eglise  est  l'arche  du  salut,  ouverte 
après  le  déluge  du  péché  à  toutes  les  heures 
du  jour  pour  qui  que  ce  soit,  et  même  à  la 
dernière,  il  est  important  d'apprendre  à  ceux 
qui  n'ont  pas  vécu  selon  Dieu  la  manière  de 
mourir  en  Dieu  et  de  réparer  par  une  mort 
chrétienne  les  désordres  d'une  vie  déréglée. 

Je  veux  donc  rendre  ce  discours  utile  aux 
justes  qui  ont  bien  vécu,  et  aux  pécheurs  qui 
n'y  ont  pas  pensé.  Les  uns,  de  qui  le  parti 
est  le  plus  sûr,  c'est-à-dire  les  justes  qui 
ont  bien  vécu,  apprendront  comment  ils  doi- 
vent achever  leur  sacrifice,  et  les  autres 
comment  ils  doivent  le  commencer  et  l'ache- 
ver en  même  temps  ;  car  comme  nul  no  doit 
jamais  perdre  l'espérance ,  il  faut  enseigner 


QUATRIEME  SEMAINE  DE  CAREME.  514 

au  pécheur  à  se  convertir  même  au  lit  de  la 
mort. 

Voici  donc,  mes  frères,  ce  qu'un  chrétien 

doit  faire  quand  il  sent  que  la  mort  approche 

.    et  qu'il  se  voit  en  quelque  péril  de  perdre  la 

vie.  Je  distingue  deux  temps  différents  dans 

la  maladie  dont  il  se  sent  attaqué  :  le   mo- 

;    ment  où  il  en  est  frappé,  et  le  temps  où  elle 

-  augmente  considérablement,  et  où  par  des 

indices  certains  on  reconnaît  qu'il  n'y  a  plus 

rien  à  espérer. 

•  Dès  qu'il  se  sent  frappé,  il  faut  qu'il  ac- 
cepte la  mort  et  qu'il  se  soumette  volontaire- 
ment aux  ordres  de  Dieu  :  première  partie; 
lorsque  la  maladie  augmente,  il  faut  qu'il  se 
dégage  de  la  terre  et  qu'il  renonce  générale- 
ment à  toutes  choses  pour  faire  ce  passage 
heureusement  :  seconde  partie. 

Quiconque  finit  sa  vie  dans  des  sentiments 
de  soumission,  de  renoncement  et  de  piété, 
meurt  de  la  mort  des  justes. 

Expliquons  ces  dispositions  et  ces  qualités 
d'une  bonne  mort,  après  avoir  demandé  la 
secours  du  ciel  par  l'intercession  de  Marie. 
Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

•:  Si  nous  n'étions  pas  aveuglés  par  nos  pas- 
sions, et  que  l'enivrement  "des  choses  pré- 
sentes ne  nous  fit  pas  perdre  la  raison,  nous 
connaîtrions,  mes  très-chers  frères,  que  no- 
tre vie  n'est  qu'une  maladie  continuelle  do 
laquelle  nous  ne  pouvons  être  guéris  que 
par  la  mort,  et  sachant  que  ce  moment  qui 
doit  mettre  fin  à  tous  nos  maux  est  incer- 
tain, nous  nous  y  tiendrions  toujours  dispo- 
*j  ses,  afin  d'en  faire  un  usage  tel  que  le  mé- 
;  rite  cette  partie  de  notre  vie,  qui  peut  si  fort 
contribuer  à  rendre  notre  éternité  bienheu- 
reuse. 

C'est  le  point  capital  de  la  sagesse  du  chré- 
tien de  se  tenir  prêt  en  tout  temps  à  paraî- 
tre devant  Dieu,  et  à  régler  tellement  sa  vie 
qu'il  se  mette  à  couvert  de  la  surprise  dans 
une  affaire  aussi  importante  que  celle  où  il 
s'agit  de  son  éternité. 

Mais  soit  que  le  chrétien  ait  réglé  sa  vie 
sur  cette  pensée,  soit  qu'il  l'ait  rejelée  de  son 
esprit  pour  suivre  le  dérèglement  de  ses 
passions,  il  faut  qu'il  regarde  la  mort  d'une 
autre  manière  quand  il  se  voit  en  péril  de 
perdre  la  vie,  et  qu'il  prenne  des  mesures  ou 
pour  achever  son  sacrifice  en  chrétien,  ou 
pour  le  commencer  en  pénitent. 

Or,  mes  frères,  Dieu  s'approche  de  nous, 
selon  saint  Grégoire,  et  le  temps  de  notre  ju- 
gement avance ,  à  proportion  que  celui  de 
notre  vie  diminue  et  s'enfuit;  mais  il  frappe 
à  notre  porte,  dit  ce  saint  pape,  quand  il  nous 
abat  par  la  maladie,  et  en  frappant  il  nous 
avertit  qu'il  est  proche  de  nous  et  qu'il  veut 
entrer.  C'est  donc  dans  ce  moment  que  nous 
devons  nous  préparer  à  le  recevoir  ;  et  com- 
ment ferons-nous  connaître  que  nous  lui  ou- 
vrons volontiers?  C'est,  répond  ce  même 
pape,  si  nous  le  recevons  avec  l'amour  d'un 
juste  qui  souhaite  la  consomtnation  de  son  sa- 
crifice pour  s'unir  â  lui,  ou  avec  l'amour  d'un 
pénitent  qui  offre  la  destruction  do  sa  vie  pour 


r,i: 


ORATEURS  S\CRES.  DOM  J  F.ROM  R. 


.10 


en  effacer  lu  désordres,  et  pour  consommer 
iom  uacrifict  en  le  commençant. 

Voici  donc,  mes  frères,  par  où  le  chrétien 
doit  commencer  à  se  préparer  à  ,1a  mort 
Quand  il  se  voit  frappé  par  la  maladie  :  il 
faut  qu'il  accepte  la  mort  et  qu'il  se  soumette 
humblement  aux  ordres  de  Dieu  ;  il  faut  qu'à 
l'exemple  du  Sage  il  fasse  cette  réflexion  sur 
la  nature  de  son  être  :  Je  suis  un  homme 
mortel  semblable  à  tous  les  autres,  sorli  de 
la  race  de  celui  qui  fut  le  premier  formé  de 
terre  ;  il  a  été  réduit  en  cendres,  j'y  serai  ré- 
duit comme  lui,  car  il  n'y  a  pour  tous  qu'une 
manière  d'entrer  dans  la  vie,  et  qu'une  ma- 
nière d'en  sortir.  Voici,  sans  doute,  le  mo- 
ment qu'il  faut  payer  ce  tribut  général  et 
commun.  Je  reconnais  p  tr  cette  maladie  que 
mon  heure  approche,  et  que  c'est  vous,  ô 
mon  Dieu  1  qui  l'ave/  marquée.  Ce  n'est  ni 
l'âge  ni  la  maladie  qui  me  font  mourir;  ce 
ne  sont  point  les  hommes  qui  me  tuent  :  je 
ne  meurs,  Seigneur,  que  de  votre  main,  il 
n'arrive  rien  en  ce  inonde  sans  l'ordre  secret 
de  votre  toule-puissance;  vous  préordonnez 
avant  tous  les  siècles  comment  les  choses 
doivent  arriver  dans  ce  monde. 

Ma  vie  n'est  rien,  et  quelque  longue  qu'elle 
puisse  être,  cette  longueur  ne  doit  être 
comptée  que  pour  un  instant  si  nous  la  com- 
parons avec  le  temps  qui  s'est  passé  avant 
que  nous  fussions,  et  celui  qui  passera  après 
que  nous  aurons  cessé  d'être;  mais  cet  in- 
stant de  vie  qui  n'est  rien  n'est  pas  encore  à 
notre  disposition.  Vous  en  êtes  le  maître, 
vous  l'étendez  tant  qu'il  vous  plaît,  et  vous 
le  terminez  aus>;i  quand  il  vous  plait.  Je  me 
soumets  aux  justes  dispositions  de  cette  sou- 
veraineté absolue,  et  me  voilà  prêt  à  vous 
rendre  sans  peine  ce  que  je  n'ai  reçu  do  vous 
que  par  faveur. 

Mais  il  ne  faut  pas  s'en  tenir  à  ce  seul  motif, 
il  faut  porter  nos  vues  plus  loin  pour  rendre 
notre  soumission  plus  parfaite,  et  faire  un 
sacrifice  de  notre  vie  qui  entre  dans  l'ordre 
de  la  justice  de  Dieu  sur  nous. 

Car,  mes  frères,  nous  savons  très-certai- 
nement, dans  les  principes  de  notre  foi,  que 
la  mort  est  la  peine  du  péché,  et  qu'elle  n'est 
devenue  nécessaire  à  l'homme  que  depuis 
son  crime  ;  d'où  je  lire  ces  deux  vérilés,  qui 
renferment  deux  grandes  instructions,  l'une 
qui  regarde  les  justes ,  l'autre  qui  regarde 
les  pécheurs. 

La  première,  c'est  que  le  péché  n'est  entiè- 
rement détruit  dans  les  justes  que  par  la 
mort,  et  qu'ainsi  ils  doivent  non-seulement 
l'accepter  avec  soumission  aux  ordres  de 
Dieu,  mais  même  la  désirer  avec  ardeur, 
puisque  Dieu  s'est  servi  d'elle  pour  rendre 
leur  sacrifice  parfait,  et  les  faire  arrivera 
l'union  qu'ils  attendent  comme  le  fruit  de 
leur  sacrifice.  La  seconde  est  que  le  péché 
peut  être  réparé  tout  d'un  coup  par  l'accep- 
tation de  la  mort,  et  qu'ainsi  le  pécheur  qui 
a  abandonné  Dieu  durant  sa  vie  doit  ména- 
ger ce  moment  pour  unir  la  un  de  son  sacri- 
fice avec  le  commencement,  et  trouver  son 
salut  aux  portes  de  l'enfer,  où  il  n'est  pas 
absolument    impossible    de    le    rencontrer. 


Ceci,  mes  frères,  est  d'une  grande  consola- 
tion pour  n'  pai  désespérer  le  pécheur;  mais 
aussi  celte  proposition  est  d'une  grand'  dé- 
licatesse,  et  il  faut  prendre  gard<'  |  ce  le  p*f 
tromper  en  présumai'  trop.  A  prendre 
comme  il  faut  l'idée  de  la  vie  présente,  nous 
la  devons  regarder  comme  une  maladie,  se- 
lon le  sentiment  des  Pères  :  et  en  effet,  que 
faisons-nous  pour  vivre,  sinon  de  nous  em- 
pêcher de  mourir,  tous  nos  exercices  et  tou- 
tes nos  actions  n'étant  que  des  remèdes  à 
une  maladie  qui  nous  détruirait  en  quatre 
jours  si  nous  avions  négligé  de  les  prendre? 
Nous  ne  mangeons  que  dans  la  crainte  que 
la  faim  ne  nous  tue;  nous  ne  nous  abstenons 
de  manger  que  de  peur  que  la  réplelion  ne 
nous  étouffe. 

Ce  n'est  pas  le  corps  seulement  qui  est 
malade  durant  celle  vie,  l'âme  a  ses  mala- 
dies dont  les  plus  justes  ne  sont  pas  exempts, 
qui  les  font  gémir  dans  celle  vie  de  misère. 
J'avoue  que  la  grâce,  en  nous  purifiant  de 
nos  péchés,  nous  donne  quelque  santé  et 
met  en  nous  quelque  force  el  quelque  vi- 
gueur ;  mais  cette  .sanié  est  toujours  impar- 
faite pendant  que  nous  portons  un  corps 
de  corruption.  Notre  cupidité  n'est  jamais 
éteinte  durant  celle  vie.  Les  plus  saints  sont 
obligés  de  gémir  de  leurs  faiblesses,  el  ils 
savent  qu'ils  n'auront  point  de  santé  par- 
faite, qu'ils  ne  soient  revêtus  d'une  vie  im- 
mortelle, et  que  par  une  nouvelle  naissance 
ils  ne  soient  devenus  semblables  à  Jésus- 
Christ  ressuscité. 

En  effet,  tout  ce  qui  est  arrivé  à  Jésus- 
Christ  doit  se  passer  dans  chaque  chrétien. 
11  no  compose  avec  lui  qu'un  corps  mystique 
et  un  Jésus-Christ  parfait  et  accompli  ;  ainsi, 
comme  Jesus-Christ  a  souffert  durant  sa  vie 
mortelle,  qu'il  est  mort,  ressuscité,  monte 
au  ciel  et  assis  à  la  droite  de  son  l'ère,  le 
chrétien  doit  souffrir,  mourir,  res>usciler, 
monter  au  ciel,  et  c'est  ce  qui  fait  qu'a  rèa 
l'accomplissement  de  notre  sacrifice  nous 
entrerons  dans  une  parfaite  communion 
avec  Jésus-Christ  ;  car  le  corps  du  péché 
étant  durant  celle  vie  comme  un  chaos  impé- 
nétrable entre  lui  et  nous,  dans  le  ciel  rien 
n'empêchera  plus  que  l'union  ne  suit  par- 
faite. Le  Fils  de  Dieu  a  appelé  sa  mort  et  sa 
passion  du  nom  de  sanctification,  et  il  dit 
dans  l'Evangile  qu'il  se  sanctifie  lui-même 
lorsqu'il  \  a  mourir  de  la  mort  la  plus  cruelle  ; 
de  même  un  chrétien  qui  est  éclairé  par  les 
lumières  de  la  foi  djit  regarder  sa  mort 
comme  l'achèvement  de  sa  sanctilicaiion.  11 
doit  accepter  ses  peines  et  ses  douleurs 
comme  Jesus-Christ  qui  accepta  celles  qui 
accompagnèrent  sa  passion.  Il  doit  se  dire 
que  c'est  pour  sa  sanctification  qu'elles  lui 
sont  envoyées,  comme  Jésus-Çhrist  a  dit 
qu'il  allait  se  sanctifier  en  souffrant  les 
siennes  ;  el  le  jusle  les  doit  recevoir  aussi 
avec  joie,  dans  la  pensée  qu'elles  mettent  le 
sceau  à  sa  sanctification,  el  que,  ne  perdant 
rien  par  la  mort,  il  se  trouvera  tout  entier 
en  Jesus-Christ  el  Jésus-Christ  en  lui. 

Cela  peut  être  vrai,  me  direz-^ous  ,  à  l  »•- 
gard  du  juste  qui  a  vécu  de  la  ue  de  Jésus- 


517  SERMON  POUR  LE  MARDI  DE  LÀ 

Christ,  et  qui  ne  fait,  en  finissant  sa  vie, 
qu'achever  le  sacrifice  qu'il  a  commence 
dans  son  baptême  et  continué  pendant  sa  vie  ; 
mais  le  pécheur  qui  a  vécu  de  la  vie  du 
monde  et  violé  les  engagements  de  son  bap- 
tême, comment  peut-il  regarder  la  mort  ?  Il 
la  peut  regarder,  mes  très-chers  frères,  même 
à  l'extrémité,  comme  un  sacrifice  capable 
d'expier  tout  d'un  coup  toutes  les  iniquités 
de  sa  vie  et  le  réconcilier  avec  Dieu  ,  s'il  le 
lui  offre  par  son  esprit  et  qu'il  sache  ména- 
ger les  moments  de  grâce  que  Dieu  fait  à 
ceux  qui  ont  recours  à  lui  à  la  dernière 
heure  du  jour,  quand  ils  reviennent  du  fond 
du  cœur. 

Je  sais  bien  qu'il  est  très-dangereux  d'at- 
tendre à  faire  pénitence  au  lit  de  la  mort.  11 
est  certain,  selon  le  sentiment  de  tous  les 
saints  Pères  et  selon  tous  les  principes  de  la 
religion,  qu'entre  tous  les  pécheurs  il  n'y  en 
a  point  qui  se  jettent  dans  un  si  grand  dan- 
ger d'attirer  sur  eux  la  colère  de  Dieu,  de 
tomber  dans  un  entier  endurcissement,  et  de 
mourir  enfin  dans  l'impéuitence,  que  ceux 
qui  pendant  leur  santé  commettent  des  cri- 
mes avec  hardiesse,  dans  l'espérance  d'avoir 
part  à  la  miséricorde  extraordinaire  que 
Dieu  fait  quelquefois  aux  pécheurs  dans 
l'extrémité  de  leur  vie. 

Cependant,  mes  frères,  désespérerons-nous 
ceux  qui  se  trouvent  dans  cet  état?  A  Dieu 
ne  plaise  1  Comme  Dieu  n'est  attaché  à  au- 
cun ordre  qu'autant  qu'il  lui  plaît,  et  moins 
encore  à  celui  de  la  grâce  qu'à  celui  de  la 
nature,  il  fait  quelquefois  par  lui-même  et 
par  son  infinie  miséricorde  la  conversion  de 
plusieurs  âmes,  sans  les  faire  passer  par  la 
suite  des  moyens  ordinaires  et  communs  :  les 
jugements  de  Dieu  sont  impénétrables. 

On  doit  tout  craindre  pour  celui  qui  com- 
mence sa  pénitence,  son  sacrifice  et  sa  der- 
nière maladie  en  même  temps;  mais  cette 
crainte  ne  doit  pas  pourtant  exclure  toute 
espérance.  On  doit  espérer  pour  celui  qui  a 
commencé  son  sacrifice  de  bonne  heure  et 
fait  pénitence  avant  que  de  tomber  malade  ; 
mais  cette  espérance  ne  doit  pas  exclure 
toute  crainte.  11  faut  lui  dire  qu'il  craigne  , 
encore  qu'il  ne  voie  rien  à  craindre,  puisque 
la  crainte  est  nécessaire  pour  nous  exempter 
de  l'orgueil  ;  de  même  aussi  il  faut  dire  au 
pécheur  qu'il  espère  en  la  bonté  de  Dieu,  en- 
core qu'il  n'y  ait  rien  en  lui  qui  puisse  don- 
ner lieu  à  celte  espérance. 

L'apôtre  saint  Paul  nous  propose  deux 
principes  dans  son  Epltre  aux  Romains  qui 
doivent  servir  de  fondement  à  cette  espé- 
rance, et  qui  sont  capables  de  bien  consoler 
le  pécheur  dans  l'extrémité  de  sa  vie.  Si  vous 
confessez  de  bouche,  dit-il,  que  Jésus-Christ 
est  le  Seigneur,  et  si  vous  croyez  de  cœur  que 
Dieu  l'a  ressuscité  d'entre  les  morts,  vous  se- 
rez sauvés.  L'Apôtre  renferme  dans  ce  seul 
article  la  créance  de  toutes  les  vérités  chré- 
tiennes ;  n'étant  pas  possible,  si  l'on  croit  une 
fois  que  Jésus-Christ  est  ressuscité,  selon 
qu'il  l'avait  lui-même  promis,  qu'on  ne  le 
reconnaisse  en  même  temps  pour  véritable 
dans  toute  sa  doctrine  et  dans  tout  ce  qu'il  a 


QUATRIEME  SEMAINE  DE  CAREME.  548 

proposé  pour  matière  de  foi  à  son  Eglise  ;  et 
de  cette  foi  vive  et  sincère  naissent  l'espé- 
rance, la  charité,  la  pénitence,  toutes  les 
vertus  et  toutes  les  bonnes  œuvres  quant  à 
la  préparation  du  cœur.  Mais  Dieu  accorde- 
t-il  souvent  cette  foi  vive  et  sincère  à  un 
homme  qui  a  vécu  dans  l'infidélité  et  dans  le 
libertinage  durant  toute  sa  vie  ?  Voici,  mes 
frères,  le  second  principe  de  saint  Paul,  qui 
est  une  excellente  réponse  à  cette  demande. 
//  n'y  a  point  de  distinction  de  Juifs  ni  de 
gentils,  parce  que  tous  n'ont  qu'un  même  Sei- 
gneur, qui  répand  ses  richesses  sur  tous  ceux 
qui  l'invoquent  ;  car  tous  ceux  qui  auront  in- 
voqué le  nom  du  Seigneur  seront  sauvés. 

Ces  paroles  se  prennent  par  saint  Paul 
dans  un  sens  sublime,  et  s'entendent  de  la 
délivrance  spirituelle  et  du  salut  des  fidèles. 
Quiconque  donc  aura  réclamé  avec  une  en- 
tière confiance  le  secours  de  la  grâce  obtien- 
dra la  vraie  justice,  le  pécheur  comme  le 
juste,  à  l'heure  de  la  mort  comme  pendant  la 
vie;  car  il  n'y  a  point  de  distinction,  il  est 
riche  envers  tous.  Et  pour  vous  faire  voir 
que  cette  assurance  regarde  les  pécheurs, re- 
marquez ce  que  dit  saint  Paul  dans  la  suite  : 
J'ai  été  trouvé,  dit  cet  apôtre,  au  nom  du  Sei~ 
gneur  par  ceux  qui  ne  me  cherchaient  pas,  et 
je  me  suis  fait  voir  à  ceux  qui  ne  s'informaient 
point  de  moi.  Ces  paroles,  qui  dans  le  sens 
littéral  marquaient  la  conversion  des  gentils 
et  l'effet  de  la  prédication  de  l'Evangile  sur 
leurs  esprits  ,  peuvent  s'appliquer  dans  le 
sens  moral  à  ceux  qui ,  ne  cherchant  point  à 
connaître  Dieu,  et  qui  ne  s'informant  pas 
même  des  voies  qu'il  faut  tenir  pour  aller  à 
lui ,  sont  prévenus  par  sa  miséricorde  et  le 
trouvent.  A  plus  forte  raison  paraîtra-t-il  à 
ceux  qui  l'invoqueront  et  sera-l-il  trouvé  par 
ceux  qui  le  chercheront  avec  gémissements, 
surtout  dans  l'affliction  et  dans  la  plus 
grande  de  toutes,  qui  est  celle  de  la  mort. 

C'est  donc  alors  que  le  pécheur  doit  faire 
de  plus  grands  efforts  pour  ménager  ce  der- 
nier moment,  après  lequel  il  n'y  a  plus  rien 
à  espérer  pour  lui ,  et  par  le  bon  usage  du- 
quel il  peut  aussi  tout  réparer.  En  effet,  pour 
bien  comprendre  ce  que  peut  valoir  la  mort 
en  Jésus-Chrisl ,  c'est-à-dire  celle  qui  est 
soufferte  en  union  avec  lui,  encore  même 
que  cette  union  ne  commence  qu'à  la  mort, 
il  faut  considérer  quel  rang  elle  tient  dans 
l'ordre  de  son  sacrifice.  Il  est  vrai  qu'il  est 
offert  dès  le  moment  de  sa  conception,  qu'il 
l'a  continué  durant  toute  sa  vie  et  qu'il  l'ac- 
complit en  mourant.  11  est  vrai  que  nous 
avons  été  offerts  avec  lui  et  consacrés  victi- 
mes par  notre  baptême,  que  nous  sommes 
devenus  dignes,  par  la  grâce  de  notre  régé- 
nération, de  lui  être  offerts,  et  que  nous  nous 
sommes  engagés  à  travailler  continuellement 
pour  sa  gloire,  car  notre  sacrifice  doit  êtro 
sans  interruption,  depuis  notre  baptême,  qui 
en  est  le  commencement,  jusqu'à  notre  mort, 
qui  en  est  l'accomplissement  ;  mais  comme 
la  principale  partie  du  sacrifice  est  la  mort 
de  l'hostie,  que  l'oblation  et  la  sanctification 
qui  précèdent  n'en  sont  que  les  dispositions, 
qui  doute,  mes  frères,  ou  un  pécheur  qui 


!îl!> 


OHATELIIS  SACHES.  1>0M  JUluME. 


MO 


n'ouvre  les  yeux  de  l'âme  que  pour  voir  la 
mort,  et  qui  la  regarde,  par  la  miséricorde 
de  Dieu,  comme  la  seule  partie  de  sou  sacri- 
fice qui  est  à  sa  disposition,  ne  puisse  rendre 
ce  sacrifice  parfait  en  offrant  sa  mort  à  Jé- 
sus-Christ, dans  laquelle,  par  l'anéantisse- 
ment de  sa  vie,  il  rend  à  Dieu  tout  l'hom- 
mage dont  il  est  capable,  en  s'anéantissent 
devant  les  yeux  de  sa  majesté  et  en  adorant 
celui  qui  existe  seul  essentiellement?  Qui 
peut  douter  qu'en  donnant  sa  vie  à  Dieu  il 
n'achète  Dieu,  si  j'ose  ainsi  parler,  et  que, 
résolu  de  quitter  la  vie  non  pas  tant  par  la 
violence  de  ses  maux  que  par  le  désir  de  sa- 
tisfaire à  la  justice  de  Dieu  et  d'expier  ses 
péchés  par  la  destruction  de  son  être,  il  ne 
puisse  dire  en  quelque  façon,  comme  le  Sau- 
veur, que  personne  ne  lui  Ole  la  vie,  mais 
qu'il  se  l'ôte  lui-même  par  la  disposition  sin- 
cère de  son  cœur,  qui  la  lui  l'ait  remettre  en- 
tre les  mains  de  Jésus-Christ,  résolu  de  ne 
pas  la  conserver,  quand  même  il  le  pourrait, 
contre  l'ordre  de  Dieu? 

Avec  cette  disposition,  je  ne  doute  pas  que 
les  plus  grands  pécheurs  ue  puissent  réparer 
tous  les  désordres  de  leur  vie;  mais  il  faut 
qu'elle  soit  accompagnée  de  quelque  chose 
d'extraordinaire  qui  soit  comme  la  preuve  et 
comme  le  fruit  de  leur  véritable  pénitence. 
Les  grandes  résolutions  de  bien  vivre  à  l'a- 
venir ne  sont  pas  suffisantes  :  il  faut  que  la 
vérité  de  ces  résolutions  nous  paraisse  par 
l'exécution,  en  faisant  tout  ce  qu'on  peut 
faire  en  cet  éiat.  Sans  cela  il  y  a  peu  de  chose 
à  espérer;  car  l'Ecriture  nous  a  appris  par 
l'exemple  d'xVntiochus  qu'il  y  a  des  péniten- 
ces accompagnées  en  apparence  de  grands 
desseins  de  piété,  de  pleurs  et  de  prières,  qui 
sont  néanmoins  fausses  devant  Dieu.  C'est 
pourquoi  j'ai  dit  qu'il  ne  suffisait  pas  à  la  lin 
de  la  vie  d'accepter  la  mort  ni  de  se  soumet- 
tre volontairement  aux  ordres  de  Dieu,  mais 
qu'il  fallait  encore  se  dégager  de  la  terre  et 
renoncer  généreusement  à  toutes  choses. 

Voyons  ce  que  le  juste  et  le  pécheur  doi- 
vent faire  pour  se  disposer  à  une  heureuse 
mort  en  entrant  dans  celle  pratique  ••  c'est  le 
second  point. 

SECONDE    PARTIE 

Tout  le  succès  de  la  préparation  à  la  mort, 
dont  nous  parlons,  dépend  presque  de  la 
première  disposition  dont  je  viens  de  vous 
entretenir  ;  car  lorsqu'un  chrétien  s'est  aban- 
donné à  la  volonté  de  son  Dieu  ,  il  entre  fa- 
cilement dans  toutes  les  autres  dispositions 
dont  je  dois  vous  parler  encore,  il  sent  l'aug- 
mentation de  ses  maux  sans  aucun  trouble, 
il  voit  les  approches  de  la  mort  sans  effroi  , 
et  il  s'abandonne  cuire  ses  bras  avec  conso- 
lation. 

Il  me  semble,  mes  frères,  qu'on  peut  dire 
qu'il  y  a  celte  différence  entre  un  chrétien 
qui  n'a  pas  ces  sentiments  ,  et  un  autre  qui 
en  est  pénétré,  qu'on  peut  comparer  ce  pre- 
mier avec  un  fruit  qui  n'est  pas  encore  mûr, 
et  le  second  avec  un  fruit  arrive  à  une  par- 
faite maturité. 

L'un  ne  se  cueille  pas  ,   il  s'arrache  avec 


violence  ;  il  lui  faut  donner  de  rudes  se- 
cousses pour  l'abattre,  et  quand  il  est  tombé, 
il  pourrit  cl  ne  mûrit  jamais;  il  est  toujours 
désagréable  au  goût  et  inutile  à  rasage  des 
hommes.  Ln  fruit  mûr  au  contraire  quitte 
l'arbre  de  lui-même  ;  il  tombe  par  un  certain 
poids  de  bonté  que  sa  maturité  lui  donne,  et 
les  hommes  le  reçoivent  comme  un  Iruil  utile 
à  leur  nourriture  et  agréable  au  t:oût.  Ou 
peut  dire;  à  peu  près  la  même  chose  des  chré- 
tiens à  la  mort:  celui  qui  n'a  pas  pris  les 
sentiments  d'une  résignation  parfaite  aux  or- 
dres de  Dieu,  et  qui  ne  regarde  pas  la  mort 
dans  les  vues  que  nous  avons  marquées  ,  ne 
peut  pas  concevoir  ceux  d'un  parfait  renon- 
cement à  la  terre;  il  y  lient  alla,  lie  comme 
un  fruit  qui  n'est  pas  encore  mûr,  il  fait  de 
grands  efforts  pour  s'en  arracher;  il  n'y  a 
que  les  secousses  d'une  maladie  violente  qui 
l'en  séparent  ,  el  quand  il  tombe  par  ses  ef- 
forts ,  c'est  un  fruit  toujours  désagréable  à 
Dieu,  qui  pourrit  dans  la  terre  où  il  est  en- 
fermé, et  qui  ne  mûrit  jamais  pour  l'éternité 
bienheureuse. 

Mais  quand  un  chrétien  s'est  abandonné 
aux  ordres  de  Dieu,  il  tombe  sans  peine  par 
un  certain  poids  que  sa  résignation  lui  donne, 
et,  comme  un  fruit  arrivé  à  sa  maturité,  il 
quitte  l'arbre  qui  n'a  dû  le  porter  que  jus- 
qu'au temps  que  le  propriétaire  et  de  l'arbre 
et  du  fruit  avait  résolu  de  l'en  détacher  :  de 
sorte  que,  ne  songeant  plus  au  lieu  qu'il 
quitte,  il  ne  s'occupe  que  des  pensées  du  lieu 
où  il  va;  ou  s'il  fait  encore  quelque  retour 
sur  la  terre  et  sur  les  personnes  qu'il  y  a  ai- 
mées ,  ce  n'est  plus  que  pour  perfectionner 
son  renoncement  ,  s'il  est  juste  ,  ou  pour  le 
commencer,  s'il  est  pécheur;  et  voilà  la  se- 
conde condition  de  la  préparation  prochaine 
à  la  mort.  Llle  n'est  pas  même  assez  diffé- 
rente entre  le  juste  et  le  pécheur,  que  ce  que 
l'on  doit  dire  à  l'un  ne  puisse  convenir  à  l'au- 
tre ;  or,  mes  frères  ,  pour  marquer  les  voies 
par  lesquelles  on  peul  entrer  dans  un  parfait 
renoncement  au  monde,  il  faut  supposer  que 
ce  qui  nous  y  attache,  ce  sont  les  biens  que 
nous  y  possédons  et  les  personnes  que  nous 
y  aimons.  C'est  donc  à  l'égard  de  ces  deux 
objets  qu'il  faut  exercer  notre  renoncement, 
c'est-à-dire  qu'il  faut  que  le  juste  ,  qui  n'est 
juste  que  par  le  dégagement  de  ses  biens ,  de 
son  cœur  et  des  créatures  ,  perfectionne  ce 
dégagement  pour  rendre  son  sacrifice  parfait, 
cl  que,  renonçant  non-seulement  à  l'amour, 
mais  à  l'usage  de  toutes  les  choses  de  la 
terre  avant  que  de  les  avoir  quittées,  il  se 
mette  en  état  de  mourir  dépouillé  comme  Jé- 
sus-Christ. Voilà  ce  qui  regarde  celui  que 
nous  avons  appelé  juste,  c'est-à-dire  le  chré- 
tien, qui  a  pensé  à  vivre  comme  un  homme 
qui  doit  mourir. 

A  l'égard  de  celui  que  nous  appelons  pé- 
cheur, c'csl-à-dire  de  celui  qui  a  vécu  dans«' 
le  dérèglement  sans  penser  à  la  mort  ,  et  qui 
a  tout  à  faire  dans  ce  dernier  moment,  il  faut, 
mes  Frères,  qu'il  s'arrache  avec  force  el  aux 
biens  el  aux  personnes,  el  que,  semblable  à 
un  homme  qui  voit  sa  maison  tout  en  feu  ,  il 
qtiitle  lout  pour  se  sauver  :  heureux  si.  dans 


521  SERMON  TOUR  LE  MARDI  DE  LA 

un  embrasement  général  où  il  était  menacé 
de  perdre  la  vie  et  les  biens,  il  sauve  sa  vie 
en  perdant  ses  biens  ! 

Il  faut  donc  que  le  chrétien  qui  sent  ap- 
procher la  mort  jette  l'ail  sur  ses  affaires 
pour  la  dernière  fois,  et  qu'il  y  mette  l'ordre 
que  la  justice  et  la  charilé  (  hrétienne  deman- 
dent absolument.  C'est  le  conseil  que  Dieu 
donna  au  roi  Ezéchias  par  la  bouche  du  pro- 
phète Isaïe  :  Dispone  donna  tuœ,  non  vives  : 
Jette  les  yeux  sur  les  affaires  de  ta  maison 
pour  y  donner  l'ordre  nécessaire  ;  car  tu  vas 
mourir,  et  les  redoublements  de  ton  mal  ne 
te  doivent  plus  laisser  aucune  espérance 
de  vie. 

Je  n'ai  point  parlé  jusqu'ici  de  faire  venir 
le  pasteur,  parce  que  j';ii  supposé  que  c'est  la 
première  chose  qu'on  doit  faire.  Puisqu'il 
veille  pour  le  bien  de  vos  âmes,  comme  en  de- 
vant rendre  compte,  dit  l'Apôtre,  c'est  à  lui  de 
vous  assister  dans  le  moment  où  vous  devez 
paraître  devant  Dieu.  Vous  pouvez  aussi  ti- 
rer des  secours  d'ailleurs  ,  ils  ne  peuvent 
vous  être  interdits  ;  car  dans  cet  étal  on  n'en 
peut  avoir  trop  ;  et  comme  dans  les  maladies 
dangereuses  on  appelle  les  plus  habiles  mé- 
decins, dans  l'extrémité  de  la  vie  il  fautavoir 
recours  à  tout  ce  qu'il  y  a  de  meilleur,  de 
plus  capable  de  nous  dire  la  vérité  et  de 
nous  mettre  dans  les  voies  de  notre  salut 
sans  nous  flatter  ,  surtout  si  nous  avons  des 
doutes,  et  que  nous  ayons  été  assez  malheu- 
reux pour  ne  pas  prendre  conseil  des  plus 
sages,  des  plus  éclairés,  des  plus  exacts,  des 
plus  désintéressés  et  des  plus  sévères  pen- 
dant la  vie.  Ceci  regarde  plus  précisément 
ceux  qui,  comme  nous  avons  dit,  ont  tout  à 
faire  dans  ce  moment.  Les  pécheurs,  qui  doi- 
vent faire  un  examen  et  un  jugement  géné- 
ral de  leur  vie,  ne  peuvent  le  faire  trop  sé- 
vère pour  éviter  celui  de  Dieu. 

Je  ne  parle  point  de  la  confession  ;  c'est 
aux  pasteurs  et  aux  ministres  de  l'Eglise  qui 
sont  appelés  à  vous  régler  sur  cet  article. 
Tout  ce  que  je  viens  de  dire  étant  fait,  il  faut 
ou  revoir  son  testament,  ou  le  faire  s'il  n'est 
pas  fait. 

Le  testament  est  une  espèce  de  jugement 
où  le  chrétien  s'applique  à  rendre  ce  qu'il 
doit  à  Dieu  el  à  son  prochain.  11  ne  doit  pres- 
que jamais  l'omettre  ,  à  cause  des  inconvé- 
nients qui  arrivent  ordinairement  quand  on 
le  néglige,  soit  dans  les  familles,  par  les  con- 
testations et  les  différends  qui  s'y  élèvent  et 
qui  y  ruinent  la  paix  et  la  charité,  soit  à 
l'égard  des  personnes  qui  meurent,  dont  les 
volontés  ne  sont  presque  jamais  exécutées, 
quelques  promesses  qu'on  leur  en  fasse.  Les 
dettes  ne  se  payent  point,  les  restitutions  ne 
se  font  point,  les  domestiques  demeurent 
sans  récompense,  les  pauvres  sans  secours  , 
cl  la  cupidité  des  vivants  leur  fait  oublier 
tous  les  ordres  et  toutes  les  dispositions  de 
la  charilé  des  défunts. 

11  faut  donc, ,  mes  frères  ,  faire  son  testa- 
ment, et  il  est  même  plus  a  propos  de  le  faire 
pendant  la  santé,  afin  de  h'  mieux  concerter; 
car  on  n'a  plus  qu'a  le  revoir  quand  il  faut 
mourir.  Que  si  on  a  attendu  à  cette  cxlré- 
Oii.vi  1:1  n    bâchés.  XXX. 


QUATRIEME  SEMAINE  DE  CAREME.       5*22 

mité  pour  le  faire,  il  ne  faut  pas  différer,  et 
après  s'être  mis  bien  avec  Dieu  ,  afin  que 
cette  action  soit  faite  en  état  de  grâce,  pour 
que  toutes  les  dispositions  que  nous  y  ferons 
de  nos  biens  et  de  notre  volonté  soient  agréa- 
bles à  Dieu  et  utiles  pour  notre  salut,  il  faut 
faire  en  sorte  que  ces  trois  vues  différentes 
régnent  sur  celte  action,  la  prudence,  la  jus- 
tice el  la  miséricorde. 

La  prudence ,  en  ne  faisant  rien  précipi- 
tamment ni  par  passion,  mais  dans  celte 
tranquillité  et  cette  sagesse  d'un  homme  qui 
va  paraître  devant  Dieu,  prenant  conseil  des 
gens  sages  et  éclairés,  afin  de  faire  les  choses 
selon  les  coutumes  et  les  lois  ;  marquant  sur- 
tout les  choses  clairement ,  pour  ne  donner 
lieu  à  aucune  contestation,  et  laisser  la  paix 
entre  ceux  à  qui  on  laisse  son  bien. 

La  justice  doit  régner  dans  la  disposition 
que  vous  devez  faire  de  vos  biens  ,  et  pour 
cela  il  faut  commencer  par  l'examen  de  vos 
acquisitions,  afin  que  s'il  se  trouve  quelque 
chose  de  mal  acquis,  il  soit  restitué.  Donnez 
même  ce  qui  est  douteux  :  que  la  fausse  ten- 
dresse ne  vous  séduise  pas.  Péril  pour  vous, 
péril  pour  vos  enfants.  Le  bien  mal  acquis 
est  pour  les  uns  el  les  autres  une  source  de 
damnation.  Dans  les  choses  même  qui  sont 
douteuses ,  restituez,  c'est  le  plus  sûr,  et  il 
vaut  mieux  paraître  devant  Dieu  dépouillé 
de  tout  que  revêtu  d'une  abondance  de  biens 
contre  la  justice.  Vous  n'avez  que  votre  âme 
à  sauver  ;  il  faut  payer  vos  dettes  et  les  arré- 
rages de  vos  dettes  ,  lorsqu'il  est  vrai  que, 
ayant  pu  les  payer,  vous  ne  l'avez  pas  fait, 
faisant  ainsi  un  double  tort  et  une  double 
injustice  à  vos  créanciers. 

11  faut  réparer  tout  le  tort  fait  au  prochain, 
soit  celui  qu'il  a  reçu  de  vous,  qui  lui  avez 
intenté  des  procès  injustement  et  par  ca- 
price, soit  vous,  avocat,  qui  vous  êtes  chargé 
d'une  cause  que  vous  saviez  en  votre  cons- 
cience n'être  pas  bonne,  soit  vous,  juge,  en 
condamnant  celui  qui  avait  droit,  en  le  con- 
damnant par  faveur,  par  intérêt,  par  ressen- 
timent. Ah  l  mes  frères,  qu'il  est  nécessaire 
dans  cet  ouvrage  de  consulter  un  homme 
éclairé  qui  nous  instruise  et  qui  porte  le 
flambeau  dans  toutes  nos  iniquités,  pour 
nous  faire  voir  ce  que  nos  passions  et 
notre  cupidité  nous  ont  caché  1  un  homme 
ferme,  résolu,  désintéressé,  qui  nous  juge 
par  les  lumières  de  Dieu  et  par  les  seules 
vues  de  notre  salut  1 

11  faut  rendre  aux  pauvres  ce  que  vous 
leur  avez  retenu  ;  car  si  c'est  une  obligation 
de  leur  donner  le  superflu  du  bien  que  Dieu 
vous  a  donné,  ce  n'est  pas  assez  de  vous  ac- 
cuser de  ne  l'avoir  pas  fait,  il  faut  le  faire, 
cl  répandre  sur  eux,  non  pas  par  aumône, 
mais  par  obligation,  ce  que  vous  leur  avez 
ôté.  Jusqu'où  vont  les  obligations  de  ces 
hommes  extrêmement  riches  qui  n'ont  jamais 
donné  la  millième  partie  de  leur  bien?  de 
ces  gens  qui  ont  vécu  avec  faste  el  avec  pro- 
fusion des  biens  de  l'Eglise  multipliés  cl  ac- 
cumulés dans  leurs  maisons".'  Quel  abîme,  ô 
mon  Dieu  !  et  quel  terrible  emploi  que  cei'ii 
d'assister  ces  gens- là  à  la  mort! 

17 


r.23 


ORATEURS  SACHES.  DOM  JEROME. 


Il  faut  encore  que  la  justice  règle  la  dis- 

irihulion  (|ue  vous  voulez  faire  de  vos  biens 
légitimement  acquit* Considérez  vos  proches, 
et  n'appelez  pas  des  étrangers  à  votre  sur- 
cession  à  leur  préjudice,  à  moins  qu'ils  ne 
s'en  soient  rendus  Indignes  par  une  conduite 
déréglée  et  nullement  chrétienne,  et  que 
vous  ne  connussiez  sûrement  que  votre  sur- 
cession  ne  servirait  qu'à  entretenir  leurs 
désordres,  à  nourrir  leur  ambition,  à  aug- 
menter leur  luxe;  car  il  ne  faut  pas  mettre 
parmi  les  raisons  que  vous  croyez  légitimes 
pour  les  rejeter,  les  chagrins  personnels  sans 
fondement  et  pris  par  caprice.  Si  vous  en 
avez  reçu  quelques  chagrins,  il  faut  les  ou- 
blier, et  leur  donner  des  marques,  en  leur 
faisant  du  bien,  que  vous  êtes  réconciliés 
sincèrement  avec  eux. 

Si  vous  en  .ivez  qui  soient  dans  la  misère, 
c'est  sur  eux  que  vous  devez  verser  vos  biens 
pour  les  soulager,  en  les  partageant  de  telle 
sorte  que  chacun  puisse  s'en  ressentir  et  en 
recevoir  du  soulagement,  et  non  pas  les 
donner  tous  à  un.  oubliant  les  autres,  à 
moins  que  ce  ne  soit  pour  l'utilité  de  toule 
la  famille  :  car  ordinairement  de  là  provien- 
nent de  très-grands  désordres  dans  les  fa- 
milles. Celui  que  l'on  préfère  s'élève  et  mé- 
prise les  autres.  Les  autres,  de  leur  côté, 
entrent  dans  des  sentiments  de  jalousie  et  de 
baine  qui  les  divisent,  et  vous-même  vous 
ne  sauriez  faire  celle  injustice  sans  être  res- 
ponsable devant  Dieu  de  toutes  ces  mauvaises 
suites. 

C'est  encore  quelque  chose  de  bien  plus 
étrange  pour  un  chrétien  que  de  commetlre 
de  semblables  injustices,  et  de  donner  tout 
sou  bien  à  un  parent  au  préjudice  des  autres, 
à  condition  de  porter  son  nom  et  ses  armes. 
Quelle  vanité  pour  un  homme  qui  va  être 
réduit  en  cendre  dans  un  moment  !  quelle 
disposition  pour  aller  paraître  devant  Dieu  ! 
qu<  I  détachement  de  la  terre  et  du  monde, 
de  n'en  sortir  qu'à  condition  qu'on  v  vivra 
dans  la  personne  de  ceux  qu'on  y  laisse!  et 
quel  amour  pour  des  parents  qu'on  fait  sou- 
vent dépositaires  de  ses  iniquités,  et  à  qui, 
en  croyant  laisser  du  bie:.,  on  ne  laisse  que 
des  gages  d'une  damnation  future,  où  l'on  se 
précipite  soi-même  en  les  enrichissant  1 

Knfin  la  miséricorde  veut  que  vous  ayiz 
des  égards  pour  ceux  qui  vous  ont  servi 
fidèlement;  elle  doit  entrer  dans  cette  distri- 
bution, et  cette  troisième  vertu  perfectionne 
ad  nirablement  ce  dernier  ouvrage  de  votre 
vie.  Faire  miséricorde,  c'est  la  voie  sùrc 
pour  l'obtenir  ;  car  le  Seigneur  nous  apprend 
dans  PKcrilurc  qu'il  mesurera  celle  qu'il 
nous  fera  à  la  même  mesure  dont  nous  nous 
serons  servis  pour  la  faire  au\  autres.  C'est 
donc,  mes  frères,  sur  le  besoin  que  nous 
avons  de  la  miséricorde  de  Dieu,  que  le  de  ir 
de  l'obtenir  doit  régler  nos  aumônes.  Voilà 
la  règle;  mais  VOICI  quelques  conditions 
qu'il  me  semble  qu'un  chrétien  devrait  ob- 
server dans  son  testament  :  je  voudrais  qu'il 
évitai  toutes  ces  dispositions  éclatantes  qui 
laissent  des  traces  d'orgueil  pour  ceui  qui 
les  font.  Il  y  a  un  orgueil  qui  nous  suit  après 


notre  mort,  et  un  chrétien  doit  toujours  1 
% iter.  Ce  n'est  pas  renoncer  au  monde  en- 

lièi  em<  ni,  (jue  de  vouloir  v  laisser  des  monu- 
ments propres  à  y  conserver  notre  mémoire; 
ce  n'est  pas  limer  la  rie  divine  dont 

nous  espérons  de  jouir  dans  le  sein  de  Dieu, 
que  de  vouloir  être  encore  dans  le  commerce 
de  celle  que  nous  quittons:  et  la  miséricorde 
que  nous  faisons  est  moins  pure  aux  veux 
Diea,  quand  nous  nous  ménageons  quel- 
que gloire  de  la  part  des  nommes  pour  l'a- 
voir faile. 

Je  voudrais  donc  qu'un  chrétien  ne  laissât 
guère  de  vestiges  du  bien  qu'il  fait,  qu'il  ca- 
chât ordinairement  à  la  mort  son  aumône 
dnis  le  sein  du  pauvre,  comme  il  a  dû  le 
faire  durant  sa  vie,  à  moins  que  le  contraire 
n  •  soit  nécessaire  pour  l'exemple  ou  pour 
réparer  le  scandale.  Si  les  démons  sonl  i  i 
voleurs,  au  sentiment  des  l'ères,  qui  nou9 
attendent  durant  la  vie,  pour  nous  dérober 
te  fruit  de  nos  bonnes  oeuvres  par  la  vanité 
et  !a  complaisance  qu'ils  nous  inspirent,  ils 
sont  bien  plus  à  craindre  à  l'heure  de  la 
mort,  où  ils  redoublent  toi. s  leuffl  efforts. 
Cachons-nous  donc  dans  le  bien  que  nous 
avons  à  faire;  n'ayons  point  d'antre  vue  que 
celle  d'apaiser  Dieu,  et  ne  nous  laissons  pas 
séduire  par  la  pensée  d'édifier  le  prochain, 
quand  nous  ne  pensons  véritablement  q 
nous-mêmes.  C'est  encore  par  celle  même 
raison  que  je  n'approuverai 
lions  qui  se  doivent  exécuter  avec  <clal;car 
il  me  semble  qu'on  peut  dire  qu'elles  ne  sont 
pas  entièrement  conformes  aux  ordres  de 
Dieu  sur  nous. 

11  ne  nous  a  chargés  que  du  soin  des  pau- 
vres avec  qui  nous  rivons,  et  comme  il  veut 
que  nous  ne  loi  demandions  que  noire  pain 
de  chaque  jour,  sans  songer  au  futur  par 
des  soins  trop  empressés  qu'on  doit  aban- 
donner à  ^a  providence,  mes  frère^,  faisons 
actuellement  tout  le  bien  que  nous  sommes 
capables  de  faire,  répandons  nous-mêmes 
nos  aumônes;  ne  nous  en  fions  ni  à  no<  hé- 
ritiers, ni  même  à  nos  enfants  :  ils  pieu, 
à  présent,  noire  succession  les  consolera 
dans  un  moment;  ils  promettent  a  prêtent, 
leur  cupidité  les  endurcira  dans  la  suite. 

laites  prier  Dieu  pour  vous,  intéressez  les 
ministres  de  Jésus-Chrisl  et  tous  les  pauvres 
qui  sont  ses  membres  à  intercéder  pour  vous. 

Vous,  pécheurs,  qui  avez  tout  à  faire  dans 
ce  moment,  faites  donc  tout;  presse*- vous, 
il  n'y  a  point  de  temps  à  perdre;  verses  vos 
aumônes  avec  abondance,  on  n'éteint  pas  un 
grand  embrasement  avec  un  peu  d'eau  :  don- 
nez tout  pour  sauver  votre  âme:  envoyez 
des  sommes  aux  prisons  pour  délivrer  h  s 
captifs ,  envoyez  dans  les  hôpitaux,  donnez 
aux  pauvres  honteux,  mêliez  de  grandes 
sommes  entre  le-  mains  de  vos  pastcu:s, 
pour  les  distribuer  aux  pauvres  de  leurs  pa- 
roisses; donnez-en  à  des  personnes  de  p 
qui  prient  incessamment  pour  mus,  et  qui 
COntri  P  Dl  à  vous  retirer  des  feux  de  la 
justice  de  Dieu.  Faites  que  tous  les  prêtres 
du  Seigneur  élèvent  leurs  mains  au  ciel,  et 
que   tous   les   misérables   fassent   entendre 


£2o 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA  QUATRIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


526 


Jours  voix  à  Dieu  pour  obtenir  sa  miséricorde 
pour  vous. 

Il  faut,  mes  frères,  après  cela  que  le  juste 
et  le  pécheur  fassent  venir  leurs  familles 
pour  donner  tous  les  ordres  qu'ils  croient 
élre  nécessaires;  qu'ils  se  réconcilient  avec 
tout  le  inonde,  qu'ils  aient  attention  à  répa- 
rer tout  le  tort  qu'ils  auraient  pu  faire  par 
la  médisance,  en  se  rétractant,  en  disant  du 
bien  de  ceux  qu'ils  auraient  calomniés,  en 
donnant  ordre  d'aller  les  voir  de  leur  part, 
s'ils  ne  peuvent  pas  les  prier  de  venir;  enfin 
en  se  servant  de  tous  les.  moyens  propres  à 
remédier  aux  maux  qu'ils  ont  faits,  suivant 
en  cela  les  conseils  d'un  homme  éclairé,  qui 
est  plus  nécessaire  en  ce  moment-là  qu'on 
ne  le  peut  dire. 

Il  faut  qu'ils  donnent  à  leurs  domestiques, 
à  leurs  enfants,  à  leurs  femmes,  les  avis 
qu'ils  croient  leur  devoir  élre  utiles,  et  leur 
bénéiietion  qui  a  toujours  été  fort  utile  aux 
enfants  et  recommandée  dans  l'Ecriture. 
Après  cela,  le  malade  ne  doit  plus  permettre 
que  ni  sa  femme  ni  ses  enfants  approchent 
de  lui  :  il  faut  qu'il  éloigne  ces  tristes  objets 
capables  d'attendrir  son  cœur  et  de  détourner 
son  esprit  de  l'application  continuelle  qu'il 
doit  avoir  à  Dieu.  Il  doit  se  ressouvenir  que 
Jésus-Christ,  se  voyant  abandonné  de  son 
Père  sur  la  croix,  reconnut  qu'il  voulait  qu'il 
finît  sa  vie  sans  consolation  de  la  part  des 
créatures;  c'est  pourquoi,  voyant  Marie 
dans  ce  moment,  il  ne  l'appela  plus  sa  mère, 
mais  femme,  retranchant  toutes  les  expres- 
sions de  tendresse;  et  c'est  ce  que  doit  pra- 
tiquer un  chrétien  dans  cet  état  :  il  faut  qu'il 
entre  dans  l'esprit  de  la  mort  avant  que  d'être 
livré  à  elle  par  nécessité,  et  que  par  une  sé- 
paration volontaire  il  quille  les  personnes 
qui  lui  sont  les  plus  chères,  quand  ii  est  en- 
core en  état  d'en  jouir,  afin  qu'étant  plus 
destitué  de  ces  consolations  humaines  à  la 
fin  de  sa  vie,  sa  mort  soit  plus  semblable  a 
celle  de  Jésus-Glirist,  ce  qui  est  la  plus  grande 
consolation  qu'un  chrétien  puisse  souhaiter 
pour  arriver  à  l'éternité  glorieuse  que  je  vous 
souhaite.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR  LE  JEUDI  DE  LA    QUATRIÈME   SEMAINE    DE 
CARÊME. 

Sur  les  caractères  de  la  mort  de  Came. 

lliat.  .Ip.sus  in  clvitalem  quse  vocatur  Naim  :  eccc  defuo- 
cius  eflerebatur. 

Jetas  ail  lit  dans  une  ville,  appelée  \m  n ,  cl  H  se  rencon- 
tra que  l'on  portail  nn  mort  (Luc,  Vil,  11, 12). 

L'Eglise  nous  propose  des  évangiles  au- 
jourd'hui et  demain,  qui  tous  deux  nous  re- 
présentent la  même  chose.  C'est  dans  l'un  et 
dans  l'autre  un  mort  ressuscité  par  la  vertu 
de  Jésus-Christ,  quoiqu'il  y  ait  de  la  diver- 
sité dans  les  circonstances  do  la  mort  et  de 
la  résurrection  de  l'un  et  de  l'autre.  Mais 
loninic  ces  morts  ressuscites  sont  des  figurée 
Ju  pécheur  mort  par  le  péché  et  ressuscité 
par  ta  gr&ce,  j'ai  résolu,  mes  frères,  de  iépa- 
la  mort  de  la  résurrection  que  l'Evangile 
unit  ensemble,  pour  ne  pas  embrasser  une 
»i  ample  matière  d  ins  un  seul  discoure,  et 


pour  pouvoir  expliquer  un  peu  plus  au  long 
celle-ci  qui  est  des  plus  importantes;  car  il 
s'agit  de  se  former  des  idées  justes  et  préci- 
ses sur  la  vie  et  sur  la  mort  de  l'âme;  de 
donner  des  règles  par  lesquelles  chacun 
puisse  reconnaître  l'état  de  la  sienne;  do 
prendre  des  mesures  pour  conserver  celtes 
vie  si  précieuse  de  l'âme,  si  on  la  possède, 
ou  pour  la  recouvrer  si  on  l'a  perdue  mal- 
heureusement. Nous  ne  parlerons  donc  au- 
jourd'hui que  de  la  mort  de  l'âme,  et  nous 
ne  ferons  que  deux  parties  dans  ce  discours. 

1°  Nous  expliquerons  la  nature  et  les  cir- 
constances de  la  mort  de  l'âme  :  premier 
point;  2°  nous  nous  examinerons  nous-mê- 
mes, pour  reconnaître  où  nous  en  sommes, 
et  quel  est  le  degré  de  notre  mort,  si  nous 
avons  malheureusement  perdu  la  vie  de 
l'âme  :  second  point. 

Demandons  l'assistance  du  ciel  par  l'in- 
tercession de  celle  qui,  n'ayant  jamais  été 
soumise  à  la  mort  de  l'âme,  a  reçu  cette  plé- 
nitude de  charité  et  d'amour  qui  fait  sa  vie. 
Ace,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Pour  parler  utilement  et  solidement  de  la 
mort  spirituelle  de  l'âme  chrétienne,  figurée 
par  celle  du  corps  de  ce  jeune  homme  de 
l'Evangile,  que  le  Sauveur  du  monde  ren- 
contra comme  il  allait  entrer  dans  la  ville  de 
Naïm  et  à  qui  il  rendit  la  vie,  il  faut  que 
vous  connaissiez  la  réalité  de  celle  mort 
spirituelle,  c'est-à-dire  qu'il  y  a  réellement 
une  mort  de  l'âme  comme  une  mort  du  corps  ; 
la  nature  de  cette  mort  spirituelle,  c'est-à- 
dire  en  quoi  elle  consiste,  et  ce  que  c'est 
que  cette  mort;  le  règne  de  celle  mort, 
c'est-à-dire  son  étendue  et  combien  elle  est 
multipliée  parmi  les  chrétiens ,  qui  sont 
presque  tous  sous  l'empire  de  cette  mort; 
enfin  la  contagion  de  cette  mort,  c'est-à-dire 
avec  combien  de  facilité  elle  se  communique, 
et  le  terrible  danger  qu'il  y  a,  pour  ceux 
qui  ne  sont  pas  encore  sous  son  empire,  d'en 
être  frappés  sans  le  savoir. 

Tout  ceci  est  très-important,  donnez-moi 
votre  attention  ;  et  voas,  ô  mon  Dieu  !  répan- 
dez vos  lumières  sur  moi  et  sur  ceux  qui 
m'écoulent. 

Oui,  mes  frères,  il  y  a  une  mort  de  l'âme 
comm  >  une  mort  du  corps;  l'Ecriture  est 
pleine  d'expressions  qui  nous  l'assurent,  et 
aucun  chrétien  n'en  peut  douter.  L'esprit 
de  Dieu  nous  dit,  par  la  bouche  du  pro- 
phète Ezéchicl,  que  Vâme  qui  a  pèche  mourra 
elle-même.  L'auteur  de  l'Ecclésiastique,  tra- 
çant une  idée  du  péché  et  nous  décrivant  ses 
effets,  nous  dit  que  ses  dents  sont  des  dents  de 
lion  qui  tuent  les  âmes  des  hommes.  Enfin  ,  le 
Sauveur  du  monde  nedil-il  pas  lui-même  à 
ses  disciples  :  Ne  craignez  pas  ceux  qui  tuent 
le  corps  et  qui  ne  peuvent  tuer  rame;  mais 
cr.iiuncz  celui  qui  peut  perdre  dans  l'enfer  et 
le  corps  et  l'âme?  Or,  par  ces  paroles  de  Jé- 
sus-Christ ,  on  roil  clairement  la  réalité  de 
l.i  oiort  de  l'âme;  car  il  dit  que  les  hommes 
ne  sont  point  à  craindre  à  cause  qu'ils  no 
pcuveul  tuer  que  le  corps. 


:.-27 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


,28 


Il  y  a  donc  une  mort  de  l'âme,  qui  est  celle 
que  les  hommes  ne  peuvent  donner,  (pie  le 
Sauveur  oppose  à  celle  du  corps  qui  est  en 
leur  pouvoir,  parce  que  cette  mort  du  corps 
violente  et  forcée  est  différente  de  celle  de 
l'âme,  qui  est  libre  et  volontaire  et  qui  ne 
peut  venir  que  d'elle-même.  Aussi  prenez 
garde  que  L'Écritore  dit  :  Elle  mourra  elle- 
même,  c'est-à-dire  par  elle-même  et  par  son 
choix;  car  elle  pèche  librement.  Celte  ex- 
pression de  Jésus-Christ  peut  nou9  faire 
connaître  quelle  est  la  nature  de  celle  mort 
réelle;  car  il  ne  dil  pas  :  Craignez  celai  qui 
peut  tuer  l'âme  ,  mais  :  Craignez  celui  qui 
peut  perdre  rame  dans  l'enfer.  Le  mot  de  tuer 
forme  dans  l'esprit  une  idée  de  destruction, 
ce  que  ne  fait  pas  celui  de  perdre,  puisqu'il 
faut  qu'une  chose  subsiste  encore  quand  elle 
n'est  que  perdue,  et  qu'au  contraire  nous 
concevons  qu'un  homme  n'est  plus  absolu- 
ment quand  on  dit  qu'il  a  été  tué. 

Aussi  faut-il. dire  que  la  perle  d'une  sub- 
stance qui  est  immortelle  de  sa  nature  n'est 
pas  un  passage  de  l'être  au  néant,  mais  un 
changement  d'un  état  heureux  et  naturel  à 
un  état  violent  et  malheureux.  Celte  expres- 
sion de  Jésus-Christ  conduit  donc  naturelle- 
ment de  la  réalité  de  la  mort  de  l'âme  à  la 
nature  de  cette  mort,  et  c'est  ce  que  je  vais 
essayer  de  vous  faire  comprendre. 

Voici  comme  parle  saint  Augustin  sur  cette 
matière.  Notre  âme,  dil  cet  incomparable 
docteur,  est  immortelle,  parce  qu'il  y  a  en 
elle  une  espèce  de  vie  qui  ne  s'éteint  jamais; 
cependant  elle  est  mortelle,  mais  ce  n'est  pas 
en  cessant  d'être  quelque  chose  de  vivant,  c'est 
en  perdant  ce  qui  la  fait  vivre  elle-même.  Il  y 
a  un  principe  dévie  souverain,  indépendant, 
subsistant  par  lui-même,  qui  lui  donne  la  vie 
et  ne  la  reçoit  point.  Ce  principe,  c'est  Dieu 
qui  donne  la  vie  à  l'âme  II  y  a  un  être  dé- 
pendant qui  reçoit  la  vie  et  qui  la  donne,  c'est 
l'âme  qui  vivifie  le  corps.  Enfin  il  y  a  un  être 
gui  reçoit  la  vie,  et  qui  ne  la  donne  point; 
c'est  le  corps.  Ce  qui  est  au-dessus  donne  la 
vie  à  ce  qui  est  inférieur  :  Dieu  la  donne  à 
l'âme,  l'âme  la  donne  au  corps,  et  le  corps  n'a 
rien  au-dessous  de  lui.  De  sorte  que,  comme 
par  les  lois  de  cet  ordre  établi  entre  les  créa- 
tures, poursuit  saint  Augustin,  l'âme  est  la 
vie  du  corps,  de  même  Dieu  est  la  vie  de  l'âme, 
et  comme  il  faut  que  l'âme,  qui  est  la  rie  du 
corps,  lui  soit  présente  pour  l'empêcher  de 
mourir,  il  faut  aussi  que  Dieu,  qui  est  la  vie 
de  l'âme,  lui  soit  présent  pour  l'empêcher  elle- 
même  de  mourir.  Qu'csi-ce  dono> maintenant 
que  la  mort  de  l'âme?  C'est,  dit  saint  Au- 
gustin, la  séparation  de  Dieu  d'ave.-  l'âme, 
comme  la  mort  du  corps  est  la  séparation  de 
l'âme  d'avec  le  corps. 

En  ceci,  mes  frères,  il  n'y  a  point  de  méta- 
phore, c'est  un  langage  propre,  exact,  pré- 
cis; car  l'âme  élan)  spirituelle,  elle  ne  vit 
que  par  sa  connaissance  et  par  son  amour  : 
ainsi,  quand  elle  connaît  Dieu  et  qu'elle 
l'aime,  elle  trouve  en  lui  sa  vie  et  son  bon- 
heur, parce  que  Dieu  est  son  souverain  bien 
et  sa  dernière  (in.  C'est  pourquoi  l'Ecriture 
dil  quo  Dieu,  qui  esl  celle  sagesse,  vivifie  les 


âmes  de  ceux  dans  lesquels  il  habite,  en  leur 
inspirant  sa  connaissance  et  son  amour.  Si 
1  -  âmes  viennent  do  c  à  perdre  cet  amour, 
il  s'ensuit  qu'elles  perdent  la  vie  et  quY 
tombent  dans  la  mort  proportionné.:  à  l<  cr 
élre. 

Mais  ce  qui  nous  trompe  dans  celte  sorte 
de  mort,  c'est  qu'au  lien  que  le  corps,  étant 
séparé  de  l'âme,  parait  visiblement  rnort, 
parce  que  rien  ne  prend  la  place  de  l'âme 
pour  lui  donner  du  mouvement  elle  faire  agir 
comme  il  taisait  avant  que  l'âme  en  fut  sé- 
parée, au  contiaire  l'âme,  étant  séparée  de 
Dieu  par  la  perle  de  son  amour,  conçoit  en 
même  temps  un  autre  amour,  c'est  celui  du 
monde;  il  lui  donne  une  fausse  vie,  et  il  em- 
pêche, par  les  mouvements  qui  l'agitent  et 
qui  la  remuent  agréablement  et  selon  la 
penle  de  sa  corruption,  qu'elle  ne  recon- 
naisse la  mort  effective  qui  lui  a  fait  perdre 
sa  vie  véritable. 

Cette  mort,  c'est  précisément  la  séparation 
de  Dieu  d'avec  l'âme,  comme  la  mort  du 
corps  est  la  séparation  de  l'âme  d'avec  lui. 
Les  organes  lient  l'âme  au  corps  cl  l'y  re- 
tiennent attachée,  liaison  de  l'âme  avec  le 
corps  formée  par  l'institution  de  routeur  de 
toutes  choses  d'une  manière  que  nous  ne 
comprenons  point.  Il  y  a  de  même  une  cer- 
taine action  de  Dieu  dans  l'âme  qui  forme 
une  correspondance  de  celle  âme  avec  Dieu 
par  une  Gdélité  pour  lui  cl  une  soumission 
à  ses  volontés  :  c'est  ce  qui  fait  que  l'âme  vit 
de  Dieu  et  qu'elle  agit  pour  Dieu.  Un  coup 
violent  fait  une  plaie  au  corps,  rompt  les 
organes  et  cette  liaison  formée  par  l'aatenr 
de  la  nature;  l'âme  se  sépare,  le  corps  tombe 
mort  et  demeure  sans  mouvement;  de  même 
un  péché  considérable  interrompt  celte  cor- 
respondance de  l'âme  avec  Dieu  ;  la  volonté 
viole  cette  fidélité  pour  lui,  Dieu  se  retire, 
l'âme  meurl  ;  mais  comme  l'âme  par  sa  na- 
ture est  immortelle,  toute  morte  qu'elle  est, 
elle  ne  laisse  pas  de  communiquer  la  vie  au 
corps.  Par  où  donc  connailrai-jc  qu'elle  esl 
morte  pour  elle-même,  quoique  vivante  pour 
le  corps?  Voici,  mes  frères,  de  quelle  ma- 
nière saint  Augustin  nous  conduit  à  une 
preuve  sensible  de  cette  mort  dont  nous  ne 
pouvons  pas  être  juges. 

Que  je  demande  au  corps  s'il  est  rivant,  dit 
ce  saint  docteur,  il  me  répondra  :  En  pouvez- 
vous  douter,  puisque  vous  voyez  que  je  mar- 
che ,  que  j'agis,  que  je  parle,  que  je  fuis  ce  qui 
m'est  contraire,  et  que  je  cherche  ce  qui  m'est 
propre  ?  C'est  donc  par  ces  actions  de  l'âme 
unie  au  corps  que  je  connais  qu'il  est  vivant; 
mais  si  je  demande  à  l'âme  si  elle  est  vivanti 
elle-même,  il  faut  qu'elle  mêle  fassevoir  par  des 
actions  qui  ne  sont  propres  qu'à  elle  seule; 
car  l'âme  a  aussi  ses  action*  par  où  sa  vie  se 
manifeste. 

Je  rois  des  pieds  qui  marchent  ,  pour  ne 
parler  à  présent  que  de  cette  sorte  de  mouve- 
ments; de  là  je  conclus,  dit  ce  saint  docteur, 
i/ue  le  corps  est  virant  par  la  prisent»  de 
l'âme  :  ino><  jiour  savoir  si  l'âme  est  vivante, 
je  demande  a  quoi  l'àme  se  porlr-t-ellc  par  se* 
désirs  it  ses  affections?  A  un  adultère,  me  ré- 


529 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA  QUATRIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


pond-elle;   elle  est  donc  morte.  Car  si  la  Vé- 
rité même  nous  dit  dans  l'Ecriture  qu'une 
veuve,  qui  passe  sa  vie  dans  les  délices  est 
morte,  quoiqu'il  y  ait  beaucoup  à  dire  entre 
une  vie  délicieuse  et  tin  adultère,  comment  un 
adultère  ne  donnerait-il  pas  la  mort  à  cette 
ûme,  puisqu'une  vie  même  sensuelle  et  déli- 
cieuse la  lui  donne  ?  Il  faut  donc  apprendre  à 
distinguer  les  morts  des  vivants  :  ceux  qui  ai- 
ment Dieu  sont  vivants,  parce  qu'ils  ont  en 
eux  le  principe  de  la  vie,  et  on   le  reconnaît 
par  l'attachement  qu'ils  ont   à  suivre  sa  vo~, 
lonté  et  à  vivre  selon  ses  lois.  Ceux  qui  ne  l'ai- 
ment point  sont  morts  en  effet  ,   parce  qu'ils' 
ont  perdu  cette  vie.  Ils  ne  suivent  plus  que. 
leurs  passions,  et  leur  corps,  suivant  l'exprès-: 
sion  des  saints  Pères  ,  n'est  plus  que  le  sé- 
pulcre de  cette  âme  morte  réellement. 

De  cette  vérité  ainsi  expliquée  par  saint.' 
Augustin,  qui  nous  donne  une  idée  si  pré-5 
cise  et  si  naturelle  de  celte  mort  spirituelle 
de  l'âme,  il  est  aisé  de  vous  faire  voir  quel 
est  son  règne,  et  combien  elle  est  multipliée 
parmi  les  chrétiens  dont  la  plupart  sont  sous 
l'empire  de  cette  mort.  Ceci  n'est  qu'une 
conséquence  de  ce  que  nous  venons  de  dire  ; 
car  si  la  mort  de  l'âme  n'est  autre  chose 
qu'une  séparation  de  Dieu  qui  est  chassé  du 
cœur  par  un  amour  contraire  à  celui  que 
nous  lui  devons,  voyons-nous  autre  chose 
parmi  les  hommes  que  des  amateurs  du 
monde,  c'est-à-dire  des  gens  qui  sont  possé- 
dés d'un  amour  qui  chasse  Dieu  de  leur  cœur, 
qui  l'oblige  de  les  abandonner?  De  sorte 
qu'on  peut  dire  de  la  face  du  christianisme 
ce  que  dit  Jérémie  delà  ville  de  Jérusalem 
qu'il  appelle  la  vierge,  la  fille  de  son  peuple, 
qu'elle  est  accablée  sous  la  grandeur  de  ses 
ruines,  et  que  sa  plaie  est  mortelle  et  incu 
rable  ;  et  pour  faire  voir  que  sa  douleur  n'est 
pas  s;ins  sujet  et  qu'il  ne  verse  pas  des  lar- 
mes en  vain,  il  ajoute,  en  faisant  le  détail  de 
ses  maux  cl  en  rapportant  les  ravages  que 
cette  mort  a  causés  :  Si  je  sors  à  la  campagne, 
je  trouve  des  gens  que  iépcea  percés  (occisi 
gladio).  Si  j'entre  dans  la  ville,  j'en  vois  d'au- 
tres (jui  sont  consumés  peir  la  faim  (  attenuati 
famé).  Les  prophètes  mêmes  et  les  prêtres  ont 
été  emmenés  en  une  terre  qui  leur  était  incon- 
nue. 

Que  celte  description  découvre  de  cho- 
ses I  Quelle  idée  fournit-elle,  ô  mon  Dieu  ! 
du  règne  delà  mort  1  quelle  image  de  l'ac- 
cablement de  l'Eglise,  de  la  désolation 
du  christianisme  figurée  par  celte  vierge 
cl  cette  fille  bien-aimée.  Je  vois  des  morts 
partout,  et  la  lerre  est  toute  couverte  de 
cadavres.  Suivons  un  peu  l'idée  de  ce  pro- 
phète, et  entrons  dans  le  sens  de  ces  expres- 
sions qui  nous  marquent  si  bien  le  règne 
présent  de  la  mort  dans  tous  les  étals. 

Il  dit  d'abord  que  s'il  sort  à  la  campagne, 
il  trouve  des  gens  que  l'épée  a  percés:  Oc- 
cisi gladio;  que  veut-il  nous  marquer  par 
cette  expression? 

Ceci,  mes  frères,  nous  représente  une  es- 
pèce de  mort  évidente,  certaine  et  reconnue 
de  tous  ceux  qui  ont  quelque  teinture  de 
christianisme,  quelque  connaissance  de  l'E- 


R3Q 

et  des 


vangile,  quelque, notion  de  l'esprit 
principes  de  la  religion.  Telle  est  la  mort  de 
ceux  qui  vivent  dans  une  profession  con- 
damnée par  l'Ecriture  et  rejetée  par  l'Eglise, 
comme  un  comédien,  un  usurier  et  d'autres 
gens  qu'on  ne  nomme  point.  L'état  et  la  pro- 
fession est  le  glaive  qui  les  tue:  Occisi  gladio. 
Tels  sont  ceux  qui,  établis  dans  une  condi- 
tion réglée,  y  mènent  une  vie  qui  ne  l'est 
point,  qui  passent  leurs  jours  dans  la  mol- 
lesse, dans  le  jeu,  dans  l'oisiveté;  qui  ne 
sont  occupés  que  de  leurs  intérêts,  que  de 
leur  fortune,  que  de  leur  établissement  tem- 
porel; qui  se  procurent  des  richesses  par 
toutes  les  voies  qui  ne  les  déshonorent  point  ; 
qui  sont  remplis  d'orgueil,  de  cupidité,  de 
fausse  gloire,  et  de  qui  les  sentiments  et 
toute  la  conduite  sont  opposés  à  l'esprit  de 
l'Evangile.  Tels  sont  ceux  qui  sont  livrés  à 
des  passions  grossières  de  toute  espèce  et  à 
de  certains  vices  réels,  sur  lesquels  pourtant 
le  monde  ne  fait  presque  plus  d'attention. 
Les  uns,  qui  se  laissent  aller  sans  scrupule 
à  leur  libertinage  d'opinions  sur  les  matiè- 
res de  religion  qui  les  fait  douter  de  tout,  en 
viennent  enfin  à  ne  rien  croire:  Occisi  gladio. 
Les  autres,  sans  égard  pour  les  intérêts  du 
prochain,  s'abandonnent  à  la  médisance  et 
n'épargnent  ni  rang,  ni  dignité,  ni  profession. 
Ceux-ci  conservent  des  haines  invétérées  que 
rien  ne  saurait  vaincre,  et  veulent  bien  qu'on 
sache  qu'ils  sont  sans  retour  pour  de  cer- 
taines gens.  Ceux-là  retiennent  le  bien  d'au- 
irui  et  ne  veulent  point  rendre  justice  à  des 
créanciers  qu'ils  font  périr:  Occisi  gladio. 

D'autres  vivent  tranquillement  dans  une 
simonie  manifeste,  possédant  des  dignités  de 
l'Eglise  où  ils  sont  entrés  par  de  mauvaises 
voies,  usant  des  biens  des  pauvres  et  du  pa- 
trimoine de  Jésus-Christ,  sans  aucun  égard 
aux  lois  saintes  qui  en  règlent  l'usage.  S»  je 
sors  donc,  comme  dit  le  Prophète,  dans  la 
campagne,  je  trouve  des  gens  de  tous  côtés 
que  l'épée  a  percés;  cl  pour  peu  qu'on  appli- 
que cette  idée  de  la  mort  de  l'àme  que  je 
viens  de  donner  à  l'état  d'une  infinité  de 
gens,  on  trouve  que  la  lerre  est  loute  jon- 
chée de  morts. 

Entrez  après  cela  dans  la  villeavecle  même 
prophète  :  ah  1  mes  frères,  que  nous  y  ver- 
rons de  gens  qui  sont  consumés  par  la  fa- 
mine 1  Ce  qui  va  multiplier  terriblement  le 
nombre  des  morts  :  car  qu'importe  que  ce 
soit  par  le  glaive  ou  par  la  faim  qu'on 
perde  la  vie,  si  on  la  perd  effectivement? 
Mais  qu'est-ce  que  le  prophète  a  voulu  nous 
représenter  par  cux-cl  ?  Il  dit  que  les  morls 
sont  dans  la  ville  :  In  civitatem.  Ils  ne  sont 
point  exposés  à  la  campagne  comme  les  au- 
tres; leur  mort  est  plus  secrète,  il  faut  en- 
trer chez  eux  pour  savoir  qu'ils  sont  morls. 

Il  dit  qu'ils  sont  consumés  par  la  faim: 
Attenuati  faine.  La  cause  de  leur  mort  est  in- 
térieure ;  il  ne  paraît  point  de  plaie  sur  leurs 
corps,  c'est  une  extinction  de  vie  qui  vient 
du  dedans.  Ceci  nous  représente  une  autre 
espèce  de  mort  :  c'est  celle  qui  n'a  pas  les 
marques  extérieures  de  la  première,  mail 
qui,  laissant  à  ceux  à  qui  clic  fait  perdre  la 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


vie  des  dehors  régléi  el  one  conduite  bou- 
nêle,  I09  jette  dans  une  vie  <>ù  l'on  ned 
vrc  |)oitii  de  désordres,  où  on  ne  remarque 
nul  engagement  criminel,  el  dont  on  ne  peot 
pénétrer  la  corruption  que  par  les  lumièr  s 
de  la  toi,  corruption  dont  on  ne  sort  pres- 
que jamais,  parce  que,  l'on  s'est  formé  â 
môme  de  certain,  principes. 

Tels  sont  ceux  qui,  après   avoir   perdu  la 
vie  de   l'âme  par  des   péchés  el  par  des  cri- 
me-., n'ont  jamais  soncé  à    la  recouvrer  par 
une    pénitence   véritable  et    solide,  et  qui, 
s'é  tant     contentés    d'enter    une  honnêteté 
païenne,  sur  uni'  vie  criminelle,  croient    être 
réconciliés  avec,  Dieu  et  vivre  de  sa  vie,  parce 
qu'ils  ont  confessé  leurs  péchés  su  assurant 
qu'ils  en  ont  senti  quelque  douleur  et  qu'ils 
en  ont  fait  quelque  légère  satisfaction,  sans 
songer  à   faire   des    fruits  dignes  de   péni- 
tence,   à   assurer   leur   conversion,  par   les 
exercices   d'une  vie  appliquée,  à  combattre 
les  inclinations   du  vieil  homme  el  à  suivre 
celles  de  l'homme  nouveau  et   pénitent.  Où 
en    trouve-l-on,  mes  frères,  de  vrais  péni- 
tents? Quel  est  l'homme  qui,  aprèc  être  tom- 
bé dans  le  péché,  se  nourrit  des  larmes  et  de 
la  pénitence?  Ecce  atlenuati  famé.  Ce  sont 
ceux  qui  comprenn-nl  qu'il  suffit,  pour  être 
mort  devant  Dieu,  de    n'être  point  animé  de 
l'esprit  de  Jésus-Christ.  C'est  ce  qui  fait  que 
saint  Paul  nous  assure  que  «t  quelqu'un  n'a 
point  V esprit  de  Jésus  -Chi  ist,  il  n'est  point  à 
lui.  Et  quel  est  cet  esprit?  Quel  est  l'homme 
qui    possède  un  esprit  de  prière?  qui    prie 
et  qui  prie  comme   il   faut,  avec  esprit  de 
dépendance  ?  qui  est  soumis  en  tout  aux  or- 
dres dé   Dieu  comme  il  le  doit?  Car,  dit  l'A- 
pôtre, si  vous  vivez  selon  la  chair,  vous  mour- 
rez ;  mois  si  vous  faites  mourir  par  l'esprit 
les  passions  de  la  chair,  vous  vivrez.  Quel  est 
l'homme  qui  travaille  à  se  combattre  el  à  se 
renoncer  soi-même?  Ne  vit-on  pas  selon  son 
humeur?  nedonne-t-on  pas  tout  à  ses  incli- 
nations ?  les  passions  du  cœur  ne  règlent- 
elles  pas  tous  nos  mouvements?  les  croyons- 
nous   mauvaises  quand  elles   ne    sont  pas 
grossièrement  criminelles  ?  Cependant  la  vie 
de  Jésus-Christ    consiste  dans  la  mortifica- 
tion de  tous  nos  désirs  déréglés  :  Atlenuati 
famé.  Tels,  encore   une   lois,  sont  ceux   qui 
laissent  éteindre  l'esprit  de  piété,  et  il  suffit 
pour  l'éteindre  de  ne  le  pas  nourrir;  car  tout 
amour  a  besoin   de  nourriture  ♦  c'esl-à-dire 
d'exercice  et  d'action  :  si  vous  le  laissez  oi- 
sif, il  s'éteint  et  il  meurt. 

Or,  mes  frères,  cet  amour  se  nourrit  par 
la  lecture  cl  par  la  méditation,  par  la  prière, 

Ear  le  recueillement,  par  toutes  les  autres 
onnes  œuvres.  Pénétrez  la  vie  de  1  i  plus 
grande  partie  des  chré'icns.  Entrez  dans  le 
particulier  de  ce  qu'on  appelle  des  gens  ré- 
glés. Voyez-moi  leur  homme  intérieur  :  il  est 
sec,  il  est  affamé,  il  languit,  il  est  sans  vi- 
gueur; vous  en  jugerez  par  leur  peu  de 
force  dans  la  pratique  du  bien  et  dans  l'exer- 
cice t'es  vertus.  Ils  succombent  à  la  moindre 
épreuve;  ils  ne  sont  pas  capables  de  soute- 
nir U  pins  légère  tentation;  le  moindre  souf- 


fle les  abat  :  c'est  qu'ils  «ont  atténues  par  le 

delà  ut  <ie  nourriture,  l'h<  nome  intérieur  meurt 
de  faim  .  /■.'•  et  attenuati  lame. 

Mais  vu  CI  bien  une  autre  désolation,  i 
que  ceux  qui  pourraient  rendre  la  vie  à  ces 
morts  sont  bors  d'état  d<  les  -courir:  car 
le  i  ropbèls  ajoute  :  Lu  prophétie  mêmes  et 
1rs  prêtre»  ont  né  emmenés  en  une  terre  qui 
leur  était  inconnue.Que  wut-il  «lire  par  cette 
expression?*  oifie.si  je  nemetromp  , 

que  la  mort  a  pénètre  jusque  dans  le  sanc- 
tuaire, et  qu'il  l'eu  trouve,  parmi  ceux  que 
leur  ministère  destine  â  conseï  i  er  la  \  ie  des 
autres  ,  qui  l'ont  pi  rdu 
les  passio  n  et  l'intérêt  ayant  mêlé  !<  s  prê- 
tres avec  le  monde,  i.s  le  trouvent  dans  une 
terre  qui  devrait  leur  être  inconnue,  et  ils 
parlent  un  langage  qui  n'est  propre  ni  à  res- 
susciter ceux  (iui  sont  morts,  ni  a  empêcher 
de  mourir  ceux  qui  vivent  encore. 

Ainsi,  mes  frères,  ne  puis-je  pas  ajouter 
avec,  le  prophète  celle  funeste  prédiction, 
fondée  trop  véritablement  sur  le  ;>'e 

état  des  choses  présentes  :  II»  mourront  de 
divers  genre»  de  maladies;  il»  ne  teroni  ni 
pleures,  ni  ensevelis  ;  ils  seront  exposés  comme 
un  fumier  sur  la  face  de  la  terrr  ' 

Remarquez  dans  ces  paroles  du  prophète 
que  divers  genres  de  maladies  produiront 
différents  genres  -de  mort  :  ainsi  il  y  a  un<: 
corruption  à  portée  de  chacun,  et  peu  de 
personnes  songent  à  s'en  garantir. 

Remarquez  que  les  morts  ne  seront  ni 
pleures,  ni  ensevelis.  Peu  de  personnes  con- 
naissenUe  danger;  on  vil  ave  les  morts, 
on  cil,  on  joue,  on  se  plaît  avec  eu\,  lien 
loin  d'en  avoir  de  l'horreur.  Enfin  le  pro- 
phète dit  qu'ils  seront  exposes  comme  un 
fumier  sur  la  face  de  la  terre;  le  mauvais 
air  et  ;elte  corruption  se  répandent  et  se 
portent  partout,  comme  l'odeur  el  l'infection 
d'un  fumier  qui  n'est  pas  couvert. 

Vous  voyez  donc  dans  celte  expression 
l'idée  de  la  funeste  contagion  de  celle  mort 
de  l'âme,  dont  je  viens  de  vous  montrer  la 
règne,  après  vous  en  avoir  explique  la  na- 
ture ;  essayons,  eu  finissant  celte  première 
partie,  de  vous  en  faire  senlir  le  danger. 

Ce  ne  sera  pas  un  jeu  li'esprit.  ni  une  (i  - 
tion  tirée  de  mon  imagination,  quand  je  vous 
dirai,  sur  le  témoignage  d'un  prophète,  que 
nous  habitons  dans  un  pays  où  tout  est  (ou- 
vert de  cadavres  empestes,  qui  e\halenl 
dans  l'air  un   venin    mortel  pour  les  corps 


vivants,  qu'on  ne  saurait  s'empêcher  de  res 
pirer  cet  air  contagieux  et  empoisonné, qu'il 
arrive  de  là  que  les  habitants  de  ce  pays  sont 
la  plupart  livides  el  d<  ares,  et  qu'ils  y 
traînent  une  vie  misérable  el  languissante. 
C'est  ainsi  que  parle  l'Ecriture  pour  nous 
représenter  les  maux  spirituels  dis  anus 
sous  la  figure  des  misères  temporelles  :  mais 
cela  n'égale  point  encore  la  réalité  des  cho- 
ses :  ce  n'est  point  une  exagération  de  vous 
dire  que  le  monde  e  l  plus  dangereux  pour 
.mes  que  le  pays  doal  de   vous 

tracer  l'image  ne  le  serait  pour  les  corps.  La 
différence  infinie  qu'il  y  a  des  biens  et  des 
maux  de  l'âme  a  cm.  du  corps,  de  l'éternité 


535 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA  QUATRIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


SSI 


au  temps,  fait  que  toutes  ces  comparaisons 
sont  faibles  et  toujours  infiniment  au-des- 
sous de  la  vérité.  Tel  est  notre  état,  je  sais 
bien  qu'il  y  a  eu  en  tout  temps  des  crimes; 
mais  prenez  garde,  mes  très-chers  frères, 
qu'ils  étaient  en  quelque  sorte  couverts  et 
ensevelis  dans  l'antiquité  par  la  discipline 
de  l'Eglise  qui  les  punissait,  par  l'horreur 
que  le  commun  des  chrétiens  en  avait,  et 
par  la  pénitence  de  ceux  qui  se  relevaient  : 
ce  qui  les  empêchait  de  nuire  aux  autres  et 
d'être  contagieux. Mais  à  présent  nous  pou- 
vons dire  que  ees  péchés  ne  font  plus  d'hor- 
reur. On  ne  voit  presque  plus  personne  qui 
en  fasse  pénitence,  on  n'y  pense  point  , 
personne  n'en,  est  plus  noté  ni  déshonoré. 
L'exemple  des  crimes  se  répand  partoutcom- 
me  une  mauvaise  odeur  qui  infecte  l'Eglise. 

il  n'y  a  rien  de  plus  contagieux  que  celte 
mort,  elle  passe  de  l'âme  de  ces  cadavres  à 
celle  des  autres  avec  une  promptitude  ef- 
froyable, elle  entre,  elle  s'insinue,  elle  se 
communique  par  tous  les  sens.  Ceux  qui 
aiment  le  monde  et  de  qui  l'âme  est  morte 
par  cet  amour,  l'inspirent  par  tout  ce  qu'ils 
font;  il  est  marqué  à  ce  déplorable  carac- 
tère de  mort;  on  ne  voit  presque  rien  en 
eux  qui  ne  soit  capable  de  l'imprimer  dans 
le  cœur  des  autres.  J'atteste  ici  votre  cons- 
cience, mes  très-chers  frères,  et  je  vous  de- 
mande si  vous  trouvez  beaucoup  de  gens 
dans  le  monde  dont  l'exemple  et  les  paroles 
vous  portent  à  aimer  Dieu,  qui  vous  inspi- 
rent le  mépris  du  monde,  qui  vous  appren- 
nent à  haïr  ce  que  saint  Paul  appelle  les  dé- 
sirs séculiers.  Je  vous  demande  si  les  dis- 
cours de  presque  tous  ceux  qu'on  voit  et 
avec  qui  on  converse  inspirent  autre  chose 
que  l'estime  et  l'amour  du  monde,  si  ce  n'est 
pas  ce  qui  remplit  les  conversations  ;  si  on 
en  sort  plus  porté  à  la  prière,  à  l'humilité 
et  à  la  pénitence. 

Cet  affaiblissement  insensible  de  l'amour 
de  Dieu  qui  cause  une  mort  invisible  conduit 
à  la  mort  visible  par  les  péchés  grossiers; 
houvenez-vous  de  ce  que  nous  venons  de  re- 
marquer dans  l'expression  du  prophète,  que 
de  diilérenles  maladies  produiront  de  diffé- 
rents genres  de  mort  :  car  il  faut  que  je  vous 
découvre  encore  une  illusion  très -perni- 
cieuse qui  règne  dans  le  monde,  et  qui  est 
tout  ensemble  un  effet  et  une  cause  funeste 
de  mort.  C'est  qu'on  ne  songe  presque  qu'à 
éviter  certains  effets  grossiers  et  extérieurs 
des  passions,  et  qu'on  ne  donne  nulle  atten- 
tion a  se  garantir  des  causes  de  ces  effets 
qui  sont  les  passions  mêmes.  Il  n'y  a  guère 
de  mères",  par  exemple,  qui  aient  assez  peu 
d'honneur  pour  vouloir  que  leurs  filles  se 
laissent  aller  à  des  libertés  qu i  puissent  les 
déshonorer  devant  les  hommes;  ce  sont  là 
ces  ((Tels  extérieurs  des  passions,  qu'elles 
oui  soin  d'éviter  avec  beaucoup  de  raison; 
mais  elles  veulent  bien  qu'elles  fassent  ce 
qu'elles  peuvent  pour  se  rendre  belles, agréa- 
bles ,  capables  d'inspirer  de  l'amour,  et 
qu'elles  bornent  là  loule  leur  application. 
Elles  nourrissent  ces  passions  par  leurs  dis- 
i>,  elles  veulent   bien  qu'elles  se  trou- 


vent dans  les  conversations,  dans  les  assem- 
blées, où  elles  attirent  les  regards  et  les 
complaisances  des  jeunes  gens;  c'est-à-dire 
qu'elles  ne  comptent  pour  rien  que  ces  filles 
avalent  à  longs  traits  l'amour  du  monde,  et 
qu'elles  se  remplissent  de  l'idée  de  ses  plai- 
sirs en  en  remplissant  les  autres.  Mais  qui 
leur  a  dit  que  cette  corruption  et  ce  poison 
reçus  dans  des  cœurs  faibles,  faciles  et  ten- 
dres, n'y  produiront  pas  leurs  effets  naturels. 
C'est  déjà  les  livrer  à  la  mort  que  de  leur 
inspirer  l'amour  du  monde  et  d'elles-mêmes, 
et  de  les  faire  tomber  dans  l'oubli,  de  Dieu  ; 
mais  cela  va  d'ordinaire  plus  loin. 

Qui  peut  porter  du  feu  sans  être  bridé?  Qui 
peut  toucher  de  la  poix  sans  se  souiller,  dit 
l'Ecriture  ?  On  ne  meurt  qu'une  fois  selon  le 
corps,  et  on  meurt  d'une  infinité  de  manières 
selon  l'âme  :  une  mort  en  produit  une  au- 
tre, les  objets  du  monde  qui  remplissent 
l'âme  lui  font  oublier  Dieu  et  y  éteignent  son 
amour,  voilà  la  mort.  Cependant  on  ne  laisse 
pas,  selon  la  coutume,  de  fréquenter  les  sa- 
crements, et  on  les  profane  en  les  fréquen- 
tant. On  tombe  par  là  dans  la  dureté  et  dans 
l'aveuglement  du  cœur;  les  idées  des  péchés 
deviennent  plus  vives  et  les  tentations  plus 
fortes.  On  s'engage  dans  les  péchés  grossiers, 
On  devient  de  ces  morts  qu'on  ne  pleure  ni 
qu'on  n'ensevelit  point;  et,  pénétrés  de  la 
corruption  ,  on  se  rend  contagieux  pour  les 
autres,  comme  les  autres  l'onlétê  pour  nous, 
et  on  contribue  à  entretenir  cette  infection 
générale  qui  corrompt  tout. 

Je  n'ai  plus  rien  à  vous  dire,  mes  frères, 
sur  cette  mort  de  l'âme  figurée  par  celle  du 
jeune  homme  de  cet  évangile;  j'en  ai  prouvé 
la  réalité,  expliqué  la  nature,  montré  le  rè- 
gne, découvert  la  contagion  :  il  ne  nous  reste 
plus  qu'à  nous  examiner  nous-mêmes,  pour 
reconnaître  si  cette  infection  ne  nous  a  point 
gagnés,  et  quel  peut  être  le  degré  de  notre 
mort  si  cette  infection  est  venue  jusqu'à 
nous  :  c'est  le  sujet  de  la  seconde  partie. 

SECONOE    PARTIE. 

il  faut  suivre  un  ordre  dans  l'examen  que 
nous  avons  à  faire,  et  nous  attacher  à  des 
idées  fixes  pour  reconnaître  jusqu'à  quel 
degré  l'infection  de  celle  mort  si  commune 
peut  être  venue  jusqu'à  nous. 

Le  premier  et  le  moindre  de  lous  ces 
degrés,  c'est  lorsque  cette  mort  est  formée 
véritablement,  mais  qu'elle  demeure  renfer- 
mée dans  l'âme  ;  le  second,  plus  dangereux, 
c'est  lorsque  non-seulement  la  mort  est  for- 
mée, clans  l'âme,  mais  qu'elle  est  produite  au 
dehors  par  des  actions  qui  augmentent  et 
qui  fortifient  l'infection  générale;  le  troisième 
cl  le  plus  déplorable  de  tous,  c'e-t  lorsque 
non-seulemenl  la  mort  est  formée  et  pro- 
duite au  dehors,  mais  confirmée  par  tout  ce 
qui  peut  assurer  le  règne  du  péché  cl  sou- 
mettre l'âme  à  l'empire  de  la  mort.  Saint 
Augusiin  nous  propose  des  exemples  de 
morts  différents  dont  il  est  parlé  dans  l'E- 
vangile, et  comme  il  attache  aux  différentes 
circonstances  des  états  de  ces  morts  les  idées 
des  effets  de  celle   infection  commune  qni 


B5S 

fait  perdre  la  vie  de  l'Ame,  nous  ne  saurions 
rien  faire  de  mieux  que  de  nous  servir  de 
ces  exemples  pour  entrer  dans  ces  idées  et 
reconnaître  plus  aisément  noire  état. 

Le  premier  de  ces  morts  que  produit  ce 
saint  docteur,  c'est  la  tille  de  Jaïr,  un  chef 
de  la  Synagogue;  le  second  c'est  le  fils  de  la 
veuve  que  l'évangile   produit   aujourd'hui  ; 
le  troisième  c'est  Lazare  dont  l'évangile  de 
demain  rapporte  l'histoire.  Or  voici  les  diffé- 
rences qu'il  met  entre  ces  morts,  les  idées 
qu'il  nous  donne  et  les  éclaircissements  qu'il 
faut  en  tirer  pour  reconnaître  le  degré  de  la 
mort  de  l'âme.  La  fille  du  chef  de  la  Synago- 
gue était    morte   véritablement  ;    mais   elle 
était  encore  dans  l'intérieur  de  la  maison, 
elle  n'avait  pas  encore  été  enlevée  de  là  pour 
être  exposée  à  la  vue  du  public. Quel  éclair- 
cissement  saint  Augustin  prétend-t-il  que 
nous  tirions  de  là?  Le  voici,  c'est  qu'il  y  a 
des  pécheurs  dont  le  péché  est  encore  dans 
le  cœur  et  n'a  pas  été  jusqu'à  l'action  exté- 
rieure :  par  exemple,  il  se   sera  formé  un 
mauvais  désir  dans  le  cœur  d'un  homme,  le 
péché  est  déjà  en  lui,  puisque  le  Seigneur 
nous  dit  que  quiconque   aura  regardé  une 
femme  avec  un  mauvais  désir  a  déjà  commis 
le  péché  dans  son  cœur.  Dès  que  son  cœur 
s'est  laissé  aller  au  mauvais  désir  avec  un 
plaisir  réfléchi,  c'est  un  mort;  l'infection  a 
gagné   son  âme,   le  mauvais  amour  en  a 
chassé  Dieu,  et  cette  séparation  fait  sa  mort. 
Si  nous  voulons  nous  servir  de  cette  idée 
pour  reconnaître  notre  état,  il  faut  examiner 
si  la  mort  s'est  formée  dans  notre  âme  par 
un  désir  mauvais;  mais  pour  prendre  sur 
cela  des  idées  précises,  il  faut  bien  remar- 
quer que  trois  choses  concourent  à  former 
un  mauvais  désir,  et  qu'il  ne  les  faut  pas 
confondre  :  la  suggestion,  la  délectation  et 
le  consentement. 

Expliquons  tout  ceci  par  l'histoire  de  ce 
qui  se  passa  dans  la  chute  de  nos  premiers 
parents.  Le  serpent  suggéra  à  Eve  de  man- 
ger du  fruit  défendu.  Eve  considéra  le  fruit, 
elle  trouva  qu'il  était  bon  à  manger  et  agréa- 
ble à  la  vue  ;  elle  en  prit  cl  elle  en  mangea. 
Adam,  sollicité  par  sa  femme,  en  mangea 
avec  elle  :  ces  trois  mouvements  nous  mar- 
quent ce  qui  concourt  à  former  la  première 
espèce  de  mort,  et  voici  comment. 

Les  sens  extérieurs,  figurés  par  le  ser- 
pent, présentent  à  la  volonté  les  amorces  du 
péché  dans  les  objets  agréables  qu'ils  con- 
naissent :  c'est  ce  qu'on  appelle  la  sugges- 
tion, figurée  par  Eve  qui  considère  le  fruit 
et  qui  en  mange.  La  volonté,  charmée  par 
ces  amorces  trompeuses,  en  goûte,  c'est-a- 
dirc  y  prend  quelque  plaisir  :  voilà  ce  qu'on 
appelle  la  délectation.  Enfin  celle  volonté 
terrestre  ,  figurée  par  Adam ,  se  laisse  cor- 
rompre jusqu'à  vouloir  jouir  des  créatures 
dont  elle  ne  devrait  se  servir  que  pour  la  né- 
cessité, et  donne  un  consentement  formel  à 
ce  plaisir  et  au  désir  d'en  jouir  et  de  s'y  at- 
tacher contre  l'ordre  cl  le  commandement 
de  Dieu  :  c'est  là  ce  qu'on  appelle  le  consen- 
tcinenl  qui  fait  la  mort  de  l'âme. 
Retenez  donc,  s'il  vous  plaît,  que  ce  n'est 


ORATEURS  SACHES.  DOM  JLHOME. 

ni  la  suggestion,  c'est-à-dire  un  certain  plai- 
sir involontaire  excité  dans  les  sens  i  la  vue 
des  objets  qui  fait  le  péché,  comme  ce  n'a 
éténi  la  présentation  du  fruit  faite  par  le 
serpent, ni  la  réflexion  d'Kve  sur  la  beauté  du 
fruit,  ni  même  l'indiscrétion  d'en  avoir  pris, 
qui  a  fait  la  désobéissance  de  I  homme  et  le 
malheur  de  toute  la  nature  :  c'est  l'usage 
qu'Adam  a  fait  de  ce  fruit  contre  l'ordre  de 

Dieu. 

Prenez  garde  pourtant  que  la  suggestion 
et  la  délectation  disposent  au  péché,  qu'il 
faut  éviter  les  occasions,  veiller,  prier,  mor- 
tifier ses  sens.  Adam  n'aurait  pas  consenti  si 
le  serpent  n'eût  pas  parlé  à  Ere,  et  m  Eve  ne 
l'eût  pas  sollicilé.  11  faut  craindre,  mais  aussi 
il  ne  faut  pas  prendre  de  fausses  idées,  il  n  y 
a  que  le  consentement  formé  qui  sépare  1  âme 
d'avec  Dieu  ,  et  qui  le  chasse  du  cœur  par 
l'effet  du  mauvais  amour.  11  ne  faut  donc  pas 
nous  effrayer,  puisque  lorsqu'il  n'y  a  que  la 
suggestion   cl  la  délectation  qui  se  fonl  res- 
sentir sans  que  le  cœur  y  consente  ,  cet  état 
est  bon,  et  sans  un  miracle  que  Dieu  n'a  fait 
qu'en  faveur  de  Marie  ,  nous  ne  saurions 
éviter  ce  combat  durant  le  cours  de  celle  vie. 
Comme,  selon  l'Apôtre,  la  choira  des  désirs 
opposés   à  ceux  de  l'esprit,  qui  de  son  côté  en 
a  de  contraires  à  eux  de  la  chair,  celle  op- 
position ne   doit  pas  nous  troubler,  elle  est 
dans  l'ordre  de  Dieu  ;  mais  elle  doit  nous 
rendre  vigilants  et  nous  porter  à  recourir  a 
Dieu  par  la  prière  ,  à  éviter  tout  ce  qui  peut 
exciter  et  fortiGer  cette  opposition  au  mal 
qui    est  en  nous,  à  demandera  Dieu  qu'il 
fasse  par  sa  grâce  que  cette  opposition  à  sa 
volonté  qui  est  dans  nos  sens,  et  qui  est  for- 
tifiée parla  suggestion,  ne  monte  pas  jusqu  a 
notre   volonté  par   le   consentement,   mais 
qu'il   fasse  que  sa  volonté  s'accomplisse  en 
soumettant  la  chair  et  les  sens  à  l'esprit. 

Voilà,  mes  frères,  quel  esl  le  degré  de 
mort  causé  par  le  consentement  forme  et 
déterminé;  car  enfin,  pour  mettre  en  repos 
les  consciences  timorées,  lorsque  le  Seigneur 
dit  dans  l'Evangile  -.Quiconque  regardera  une 
femme  avec  un  mauvais  désir  sur  elle .  a  déjà 
commis  l'adultère  d  ns  son  cœur,  il  faut  re- 
marquer que  le  terme  de  voir  renferme  une 
sorte  d  indifférence,  que  convoiter  en  voyant 
approche  bien  près  à  la  vérité  du  péché, 
quoiqu'il  puisse  n'être  pas  péché,  mais  que 
voir  pour  convoi!  r,  comme  dit  sainl  Chry- 
sostome  ,  c'est  se  trouver  dans  une  telle 
disposition  qu'il  n'y  ait  que  le  défaut  d  oc- 
casion et  les  empêchements  extérieurs  qui 
arrêtent;  que  la  volonté  alors  est  pleine  de 
désirs  mauvais  cl  de  l'amour  du  pèche,  et 
c'est  ce  consentement  qui  donne  la  mort  i 
l'âme  et  qui  chasse  Dieu  de  noire  cœur. 

Le  second  m  ri  que  saint  Augustin  pro- 
duit, c'est  celui  de  notre  évangile.  Celui-ci 
n'était  plus  dans  la  maison  ,  mais  il  n  était 
pas  encore  dans  le  sépulcre.  On  le  portail 
hors  de  la  ville,  m  lis  il  n'était  pas  encore 
enterré,  et  \oiei,  selon  saint  Augustin  ,  ce 
que  celui-ci  nous  représente.  H  )  <li,,,s  pé- 
cheurs qui  vonl  du  consentement  g  1  action  ; 
ce  sont   des  morls  qu'on  porte   en  terre, 


537 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA  QUATRIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


538 


lorsque  ce  qui  était  caché  au  dedans  vient  à 
paraître  au  dehors.  Ce  degré  est  celui  des 
personnes  qui  ne  sont  pas  seulement  mortes 
par  la  séparation  de  leur  âme  d'avec  Dieu  , 
mais  qui  font  voir  aux  autres  par  leur  con- 
duite la  corruption  de  leur  cœur.  Ce  second 
degré  de  mort  est  bien  plus  dangereux  que  le 
premier;  car,  outre  qu'il  y  a  plus  de  mal  à 
exécuter  un  mauvais  désir  qu'à  y  consentir, 
c'est  que  la  plupart  des  personnes  s'imagi- 
nent qu'il  n'y  a  pas  un  grand  péril  à  se  sa- 
tisfaire une  fois.  Je  comprends  fort  bien  que 
la  faiblesse  et  la  curiosité  sont  quelquefois  en 
un  certain  sens  plus  opposées  à  la  vertu  que 
le  vice  même,  c'est-à-dire  qu'elles  engagent 
plus  ordinairement,  surtout  d'abord,  dans  le 
péché,  que  l'amour  du  vice.  On  se  flatte  que 
cela  n'aura  pas  de  suite,  parce  qu'on  n'a  pas 
envie  d'y  persévérer  et  qu'on  en  reviendra 
aisément.  Ah!  mes  frères  ,  qu'il  se  fait  do 
morts  de  cette  espèce  tous  les  jours  ,  et  qu'il 
est  dangereux  de  tomber  dans  cet  état! 

N'est-ce  pas  une  chose  terrible  de  se  mettre 
de  gaieté  de  cœur  dans  un  état  de  damnation? 
Car  quiconque  commet  un  péché  mortel  tue 
son  âme,  chasse  Dieu  de  son  cœur  et  se  ré- 
duit dans  cet  état  d'où  Dieu  n'est  pas  obligé 
de  nous  retirer.  Peut-être  que  ce  premier 
-péché  sera  celui  par  où  commencera  la  chaîne 
funeste  de  notre  damnation  et  qui  nous  con-' 
duira  à  l'habitude  dans  le  péché,  et  c'est  le 
troisième  degré  de  mort  Gguré  par  Lazare, 
selon  saint  Augustin. 

Lazare  n'était  pas  seulement  mort,  il  était 
dans  le  sépulcre.  Toutes  les  circonstances  de 
celte  mort  et  de  cette  sépulture  sont  effroya- 
bles, et  les  applications  au  chrétien  mort  parle 
péchéd'habitude  sont  sensibles.  Représentons- 
les  avec  les  paroles  de  saint  Augustin,  afin 
que  chacunpuisse  reconnaître  s'ily  a  quelque 
chose  qui  lui  convienne,  pour  prendre  sur 
cela  ses  mesures  et  pour  se  préparer  à  la 
grâce  de  la  résurrection  qu'on  peut  encore 
espérer,  et  de  laquelle  nous  parlerons  de- 
main. C'est  un  mort  de  quatre  jours ,  il  est 
enseveli  sous  la  terre  ;  il  répand  une  puanteur 
insupportable  quand  on  en  approche;  il  est 
chargé  d'une  grosse  pierre;  ses  pieds  et  ses 
mains  sont  liés  et  son  visage  est  bandé  :  toutes 
circonsiances  différentes  qui  rendent  celle 
espèce  de  mort  plus  terrible,  quoique  très- 
commune.  Ils  sont  ensevelis  sous  la  terre; 
ce  sont  ceux  qui,  à  force  de  faire  le  mal ,  en 
contractent  une  habitude  cjui  les  domine; 
celle  habitude,  ne  leur  permettant  pas  de  se 
reconnaître  pour  ce  qu'ils  sont,  fait  qu'ils  se 
soutiennent  et  qu'ils  se  défendent  comme  les 
habitants  de  Sodome,  qui,  trouvant  mauvais 
que  Lolh  les  reprit  de  leurs  abominables 
desseins,  lui  disaient  -.Onvous  a  reçu  ici  pour 
y  htibiter,  et  non  pas  pour  y  donner  des  lois. 
Leurs  abominations  les  dominaient  et  les  of- 
fusquaient de  lelle.  sorte  que  parmi  eux  l'ini- 
quité passait  pour  justice  ,  et  que  ceux  qui 
s'y  opposaient  passaient  pour  plus  blâmables, 
dit  saint  Augustin,  que  ceux  qui  les  com- 
mettaient. Voilà,  mes  frères,  ce  que  nous  dit 
l'Iicrilure  :  la  mort,  le  jugement,  l'enfer,  sont 
à  leur  égard  comme  s'ils  n'étaient  pas  :  un 


aveugle  marche  sans  crainte  sur  le  bord  d'un 
précipice,  un  somnambule  va  partout:  étrange 
étal  !  terrible  degré  de  mort  !  Examinez-vous; 
mais  voici  quelque  chose  de  plus  étrange  et 
de  plus  déplorable  :  ils  répandent  une  puan- 
teur insupportable  quand  on  en  approche  , 
et  il  est  même  difficile  de  s'en  approcher  sans 
en  être  infecté.  Les  mauvaises  raisons ,  les 
mauvaises  plaisanteries,  les  impiétés  que  ces 
sorles  de  personnes  disent  quand  on  veut  les 
porter  à  quitter  leur  état,  obligent  les  gens 
de  bien  à  s'en  éloigner.  Ne  serait-ce  point  ce 
que  signifie  l'espèce  de  difficulté  que  Marthe 
fit  de  conduire  Jésus-Christ  au  sépulcre  de 
Lazare?  Il  sent  mauvais,  lui  dit-elle.  De  plus, 
le  pernicieux  exemple  donné  engage  d'autres 
à  le  suivre;  par  là  ils  se  rendent  coupables 
de  la  perte  de  plusieurs  âmes ,  ce  qui  rend 
cet  élat  de  mort  beaucoup  plus  déplorable  ; 
car  Dieu  se  venge  sur  eux  des  péchés  dont 
ils  ont  été  la  cause,  et  tel  sera  perdu  non- 
seulement  pour  ses  propres  crimes,  mais 
pour  ceux  des  autres  dont  il  aura  été  cause  : 
effroyable  degré  de  mort!  Ce  n'est  pas  tout  : 
ils  ont  encore  une  pierre  sur  eux  ,  qui  n'est 
autre  chose  que  le  poids  de  l'habitude  dans 
le  mal.  S'il  arrive  par  hasard  que  quelque 
vérilé  vive  vienne  à  frapper  l'esprit  d'un  tel 
pécheur,  que  quelque  chose  de  sensible  et  do 
touchant  remue  son  imagination  ,  et  qu'il 
songe  à  faire  quelques  efforts  pour  sortir  do 
l'état  dangereux  où  il  se  voit  réduit,  il  trouve 
comme  une  grosse  pierre  qui  l'arrête;  il  est 
comme  contraint  de  retomber  dans  ses  pre- 
mières misères. 

Et  en  effet ,  en  voyez-vous  beaucoup  qui 
quittent  une  habitude  à  laquelle  ils  se  soient 
livrés  depuis  longtemps?  Non,  mes  frères, 
nous  mourons  presque  tous  comme  nous 
avons  vécu,  et  lorsque  par  une  longue  habi- 
tude l'âme  a  contraelé  une  forte  alliance  avec 
la  mort ,  elle  devient  comme  impénétrable  à 
toutes  les  lumières  de  la  vérité,  elle  se  laisse 
entraîner  dans  les  vices  sans  résistance  et 
sans  réflexion  :  loute  pénétrée  d'oppositions 
et  d'obstacles  à  la  vertu,  d'amour  pour  le 
plaisir ,  d'abandonnement  aux  objets  de  ses 
passions,  elle  se  réduit  à  un  état  qui  appro- 
che bien  près  de  l'inflexibilité  des  démons. 

Enfin  l'Evangile  ajoute  que  les  pieds  et  les 
mains  de  Lazare  étaient  liés  de  bandes  ,  et 
que  son  visage  était  euveloppé  d'un  linge,  ce 
qui  nous  marque  les  affections  du  pécheur 
pour  son  état,  et  ce  qui  l'empêche  d'en  avoir 
horreur.  Il  y  est  lié  par  mille  engagements 
qu'il  ne  peut  plus  rompre  :  les  différentes 
liaisons  qu'il  a  avec  plusieurs  personnes 
pour  ses  affaires,  pour  ses  intérêts,  pour  ses 
plaisirs,  un  nombre  infini  de  considérations 
l'arrêtent,  cl,  somblablc  à  ces  animaux  qui 
sont  pris  par  les  pieds  dans  des  filets  ou  dans 
des  pièges,  et  qui  s'efforcent  inutilement  de 
s'en  tirer,  il  ne  sorl  plus  de  là  sans  dos  ef- 
forts qu'il  ne  fait  guère,  et  sans  s'exposer  à 
une  sorte  de  douleur  que  peu  de  gens  ont 
assez  de  force  pour  souffrir. 

Qu'il  est  déplorable  de  se  trouver  dans  un 
pareil  étal  !  mais  qu'il  est  facile  d'y  tomber  I 
Ce  chemin  se  fait  sans  qu'on  s'en  aperçoive. 


539 


ORATF.l'RS  SACRES.  DO  M  JLROME. 


' 


On  passe  aisément  de  la  suggestion  ;ï  la  dé- 
lectation, de  la  délectation  au  consentement, 

el  v'iiiïi  l.i  mort  :  il  n'en  foui  pas  davantage 
jour  perdra  Dieu.  Du  consentement  à  l'ac- 
tion il  n'y  a  (ju'un  pas,  et  vila  la  cnnlln 
lion  dans  l'étal  de  la  mort,  et  une  perte  de 
Dieu  très-difficile  à  réparer.  Les  actions  de 
mort  forment  les  habitudes.  Pins  on  s'éloigne 
de  Dieu,  moins  on  s'aperçoit  qu'on  en  est  éloi- 
gné; plus  nus  ténèbres  s'épaississent ,  plus 
la  volonté  se  corrompt;  plus  le  cœur  se  lie 
aux  objets  du  mauvais  amour,  plus  on  s'en- 
fonce d.ms  l'abîme  et  plus  on  forme  d'obsta- 
cles au  retour  à  la  vie  et  aux  miséricordes 
du  Seigneur;  et  ceux-là,  dit  saint  Augustin, 
Boni  en  quelque  façon  désespérés. 

Lxaminez-vous,  chrétiens,  sur  celte  idée  : 
voyez  à  quoi  vous  en  êtes  ;  mais  surtout 
recourez  au  Sauveur  du  monde,  qui,  comme 
l'unique  source  de  la  vie,  peut  vous  préser- 
ver de  la  mort,  dont  le  règne  est  si  étendu 
dans  le  monde,  et  au  milieu  de  laquelle  nous 
marchons  tous  les  jours,  étant  en  commerce 
avec  ceux  qu'elle  a  corrompus,  et  respirant 
un  air  si  propre  à  nous  ôter  la  vie. 

Que  si  nous  sommes  déjà  corrompus,  Sei- 
neur,  éclairez  nos  yeux  ,  afin  que  nous  ne 
nous  endormions  pas  d'un  sommeil  de  mort, 
et  que  nous  apprenions  à  sortir  de  celle  où 
noussommespeut-êtreengagés  sans  lesavoir. 
C'est,  mes  frères ,  ce  que  nous  vous  ensei- 
gnerons dans  le  discours  de  demain  ,  avec  la 
grâce  du  Seigneur  que  je  vous  souhaite. 
Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR  LE   VENDREDI    DE  LA  QUATRIEME  SEMAINE 
DE    CARÊME. 

Sur  la  résurrection  de  l'âme. 

La/aro,  voni  tons;  cl  station  prodiit  qui  fuerat  moriuus. 
Lazare,  sortez  du  tombeau;  el  à  l'inslatil  le  mort  en  sortit 
{Jom.,  XI,  43). 

Nous  vous  |  arlâmes  hier  de  la  mort  de 
l'âme,  il  faut  vous  parler  aujourd'hui  de  sa 
résurrection.  L'âme  perd  la  vie  par  le  pèche, 
elle  la  recouvre  par  la  grâce.  Dieu  seul  est 
auteur  de  cctlc  grâce,  c'est  de  sa  bonté  q 
nous  devons  l'attendre  ;  car  c'est  Jésus-Christ 
seul  qui  tire  Lazare  de  la  mort.  Tout  ce  qui 
se  passe  ici  n'appartient  qu'à  sa  seule  majesté, 
c'est  à  lui  à  ressusciter.  Or,  mes  frères,  ap- 
prenons dans  ce  discours  la  manière  de  faire 
tout  ce  qu'il  faut  pour  passer  de  la  mort  à  la  ■ 
vie.  Je  vous  proposai  hier  ces  trois  morts  , 
sur  lesquels  vous  avez  dû  vous  examiner  : 
apprenons  aujourd'hui  ce  que  nous  devons 
faire  pour  sortir  du  funeste  état  do  la  mort 
du  péché,  en  étudiant  les  circonstances  qui 
accompagnent  la  résurrection  de  ces  trois 
personnes;  mais  comme  les  deux  premières 
ne  nous  représentant  que  la  mort  causée  par 
le  péché  actuel,  cl  que  celle  du  Lazare  nous 
représente  la  mort  du  péché  d'habitude,  nous 
ne  ferons  que  deux  parties  dans  ce  discours. 

Dans  la  première  nous  étudierons  toutes 
les  circonstances  qui  accompagnent  la  ré- 
surrection de  la  fille  du  prime  et  celle  du 
jeune  homme  que  l'Evangile  nous  proposait 
hier,  et  nous  apprendrons  ce  qu'il  faut  laire 


pour  sortir  de  la  mort  causée  parle  p> 
actuel  •  il  tns  la  seconde  nous  nous  applique- 
rons tout  ce  qui  se  p  ,sse  dans  la  résarreetioa 
de  Lazare  ,  afin  d  j  apprendre  ce  qu'il  faut 
observer  pour  sortir  de  l'étal  fum 
mort  si  terrible  causée  parle  p  ibi- 

tnde.  !  ii  deui  mots,  l'idée  de  la  r<  surreetioa 
de  l'âme  qui  i  perdu  la  vie  par  I"  péché  : 
première    partie;  l'ordre  de  la   i  on 

de  l'âme  qui  est  livrée  à  l'emp  re  de  l    mort 

par  les  pèches  d  habitude  :  sec  onde  pari  S. 

Demandons  l'assistance  dn  ciel.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE     PAHTII  . 

Je  commence  par  ce  qui  regarde  la  résur- 
rection de  la  fiile  dn  chef  de  la  SynagegtM, 
qui  est  l'image  de  la  premi    e  i  >n 

de  l'âme,  cl  nous  trouverons  dan-  ni- 

ple  ce  qu'il  faut  faire  pour  sortir  d  entre  les 
mains  de  la  mort,  lorsq -.e  malheureosesasssJ 
on  s'y  es1  livré  par  !e  consentement  au  péché. 

N'allez  pas  croire,  mes  frères,  que  l'état  du 
pécheur  représenté  par  la  mort  de  celle  jeune 
fille  ne  s>it  pas  déplorable,  p  ireo  que  le  Sau- 
veur du  monde  a  parlé  de  cette  mort  SSSlt 
d'un  sommeil.  Cette  plie,  dit-il,  n'eut  pou 
morte,  elle  n'eut  qu'endormie  ;  car  il  parla  à 
peu  près  de  même  de  la  mort  de  Lazare,  qui 
est  la  figure  de  la  plus  déplorable  de  ton 
les  morU;  ma  s  il  a  voulu  nous  faire  enten- 
dre, en  se  servant  de  cette  expression,  que 
la  mort  du  péché  dans  les  élus  n'est  absolu- 
ment qu'un  sommeil,  parce  qu'ils  s'en  relève- 
ront infailliblement;  ce  qui  nous  apprend  que 
nous  ne  devons  jamais  désespérer  de  la  con- 
version de  personne,  et  qu'il  ne  fauf  jamais 
refuser  nos  soins  à  quelque  pécheur  que  ce 
puisse  ère,  puisque  la  mort  1  i  plus  profonde 
n'est  qu'un  sommeil  à  l'égard  de  celui  qui  a 
ressuscité  Lazare,  comme  par  rapport  à  celle 
fille.  Ne  désespérons  donc  jamais  de  per- 
sonne, mais  apprenons  ce  qu'il  faut  faire 
pour  ne  pas  espérer  en  vain. 

Or,  mes  frères,  la  résurrection  de  l'âme,  en 
quelque  degré  de  mort  que  nous  soyons  tom- 
bés, est  l'ouvrage  de  la  grâce  de  Jé-us-Chi  ist 
à  l'égard  de  qui  toute  mort  esl  un  sommeil, 
cela  esl  certain  :  mais  la  grâce  de  Jésu^- 
Christ  qui  agit  en  nous  n'agit  pis  sans  nou*, 
c'est  une  autre  vérité  aussi  certaine  que  la 
première.  Aussi  prenez  garde  que  les  évan- 
gélistes,  en  racontant  l'histoire  de  cette  i  - 
surrcclion,  disent  que  le  Sau\eur  du  monde 
lui  prit  la  main,  ce  qui  signifie  que  la  main 
\  ivantede  Jésus-Christ  s'unit  à  la  main  morte 
de  cette  fi. le,  el  que  c'est  par  celte  union 
que  la  fille  esl  ressuscilee.  La  vie  sort  de  la 
main  de  Jésus-Christ  ;  celle  main  esl  comme 
l'instrument  de  sa  divinité,  qui  s'est  unie  à 
l'humanité  dans  la  personne  du  Verbe;  i  la 
main  de  la  fille  esl  vivifiée  par  la  vie  que 
JésUS-Chrisl  opère  en  toute  sa  peis  nie  ; 
ainsi,  mes  frères,  l'âme  est  prévenus  pai  la 
et  ressuscitée  par  le  consent  ment 
que  la  volonté  don  .  ■  elle-même  par  ' 
I  OUVra  jeesl  commun  entre  I'   ne  et  1", 

Il  est  donc  tr '-s-im;  ortanl  d'étudier  ui 

se  passe  dans   celle  résurrection  .  afin   que 
nous  apprenions  ce  que  non-  devons  'tire, 


541 


SERMON  POUR  LE  VENDREDI  DE  LA 


pour  ne  pas  manquer  à  ce  qui  nous  regarde 
dans  l'œuvre  de  la  résurrection  de  notre 
âme,  qui  doit  être  commun  entre  JésUs-Christ 
et  nous. 

Or  il  faut  observer  dans  l'histoire  de  celte 
résurrection  ,  1°  que  le  père  de  cette  fille 
était  allé  trouver  le  Sauveur  du  monde  pour 
le  prier  de  la  venir  secourir  dans  sa  maladie, 
et  il  continue  de  lui  faire  ses  sollicitations, 
quoiqu'on  fût  venu  lui  apprendre  la  nouvelle 
de  sa  mort,  et  qu'on  voulût  lui  persuader  de 
laisser  Jésus-Christ  en  repos,  puisqu'il  n'y 
avait  plus  rien  à  faire,  sa  lille  étant  morte  ; 
cependant  il  ne  le  quitte  point,  il  l'amène 
dans  sa  maison. 2°  Que  le  Sauveur  du  monde, 
en  entrant  dans  cette  maison,  en  chasse  une 
troupe  de  personnes  qui  faisaient  du  bruit  et 
qui  pleuraient;  il  leur  dit  :  Retirez -vous. 
3°  Que  Jésus-Christ  ayant  fait  retirer  toute 
celle  foule  de  gens  qui  ne  faisaient  que  du 
bruit  et  de  l'embarras  dans  cette  maison  ,  il 
prend  le  père  et  la  mère  de  cette  fille,  et  il 
entre  avec  ses  disciples  au  lieu  où  elle  élait 
couchée,  et  il  1 1  ressuscite  en  lui  prenant  la 
main  ,  et  en  lui  disant  :  Ma  fille,  levez-vous. 

De  là  j'apprends  ce  que  nous  devons  faire, 
nou-scuiement  pour  sortir  de  l'état  de  la 
mort  causée  par  le  péché  actuel  de  consen- 
tement, mais  même  pour  nous  garantir  d'y 
retomber,  lorsque  Dieu  nous  en  aura  retirés 
par  sa  grâce. 

Il  faut  s'humilier  profondément,  et  recou- 
rir à  Jésus-Christ  par  la  prière  ;  il  faut  chas- 
ser le  monde  d'autour  de  nous  ;  il  faut  s'ac- 
coutumer à  marcher  toujours  en  la  présence 
de  son  père  et  de  sa  mère. 

Or,  mes  frères,  tout  ceci  nous  montre  que 
la  pénitence  de  l'âme  ne  s'ohlient  que  par 
l'humiliation,  par  la  prière  et  par  le  secours 
de  Jésus-Christ,  qui  est  l'unique  source  de 
la  vie.  Ce  que  doit  faire  par  conséquent  un 
chrétien  qui  remarque  en  son  âme  un  grand 
affaiblissement  dans  le  bien,  qui  languit 
dans  l'accomplissement  de  ses  devoirs, et  qui 
a  sujet  de  craindre  d'être  tombé,  parce  qu'il 
s'est  vu  exposé  à  de  violentes  tentations,  par 
lesquelles  il  se  trouve  encore  agile,  c'est  de 
recourir  à  Jésus-Christ,  comme  le  père  de 
la  fille  de  qui  nous  parlons,  de  s'approcher 
de  lui  par  la  foi ,  de  s'humilier  sincèrement 
dans  la  vue  de  ses  profondes  misères,  de  lui 
exposer  ses  dangers  ,  ses  besoins  avec  une 
foi  vive  et  une  ferme  confiance  en  ses  misé- 
ricordes ;  car  c'est  cette  confiance  que  les 
saints  Pères  ont  appelée  avec  tant  de  raison 
l'Ame  de  la  prière  ;  il  faut  qu'il  pleure,  qu'il 
gémisse,  qu'il  redouble  ses  sollicitations  et 
ses  instances  ,  et  qu'il  ne  craigne  point  de 
fatiguer  celui  qui  est  le  maître  du  cœur  et 
l'auteur  du  salut  :  c'est  par  là  qu'il  obtien- 
dra le  retour  de  la  grâce  et  la  vie  de  son  âme. 

Mais  pour  conserver  cette  grâce  recouvrée, 
par  une  pénitence  sincère  ,  solide,  parfaite, 
et  qui  ne  peut  être  telle,  si  elle  ne  nous  fixe 
pas  dans  le  bien  où  elle  nous  rétablit,  il  faut, 
à  l'exemple  de.  Jesus-Chrisl  ,  éloigner  les 
g''iis  qui  foui  du  hruileldu  tumulte:  ce  qui 
iious  apprend  d'abord  que  jamais  Jésus- 
Christ  ne  rentic  dans  le  cœur  du  chrétien,  si 


QUATRIEME  SEMAINE  DE  CAREME.  542 

le  monde  n'en  est  sorti.  Comme  le  mauvais 
amour  y  a  introduit  la  mort,  il  faut  qu'il  en 
soit  chassé,  afin  que  le  bon  y  remette  la  vie; 
et  ceci  ne  se  peut  faire  que  dans  l'éloigne- 
ment  et  la  séparation  du  monde  corrompu. 
Jésus-Christ  étant  inaliénable  avec  lui ,  il  le 
chasse  où  il  veut  entrer  ;  la  séparation  exté- 
rieure du  monde  et  l'éloignement  de  son 
commerce  est  un  grand  acheminement  à  ce 
retour. 

Mais  ce  qui  est  capital  pour  éviter  de  re- 
tomber dans  le  péché  ,  c'est  de  chasser  le 
monde  de  son  esprit,  en  se  précautionnant 
contre  ses  maximes  et  ses  principes,  qui  sont 
opposés  à  ceux  de  Jésus-Chrisl  et  de  son 
Evangile,  et  qui  corrompent  le  cœur,  quand 
on  ne  prend  pas  soin  de  les  rejeter.  Car  qui 
est-ce  qui  donne  lieu  ,  si  ce  n'est  le  monde, 
à  ces  péchés  de  pensée  qui  tuent  l'âme  par 
le  consentement,  qui  n'est  autre  chose  qu'un 
désir  ci  un  attachement  de  cette  même  âme 
à  ce  qui  est  contraire  à  la  loi  de  Jésus-Christ, 
péchés  que  l'Apôtre  appelle  les  passions 
mondaines  ,  sœcularia  desideria  ,  c'est-à-dire 
les  désirs  déréglés  des  choses  du  monde, 
comme  le  luxe  des  habits,  les  délices  de  la 
table,  la  magnificence  des  maisons,  l'amour 
de  celte  vie  mortelle  et  de  la  fortune,  des  di- 
gnités, de  la  réputation,  du  faux  honneur? 
L'usage  modéré  de  tout  cela  n'est  pas  dé- 
fendu par  la  loi  de  Jésus-Christ  :  c'est  l'a- 
mour, c'est  l'attachement  du  cœur,  c'est 
l'usage  immodéré  que  les  passions  nous  en 
font  faire,  qui  sont  contraires  à  celle  loi. 

Or,  mes  frères  ,  ce  qui  nous  inspire  cet 
amour  et  cet  attachement ,  et  ce  qui  nous 
jette  dans  leur  usage  déréglé,  ce  sont  les 
maximes  du  monde  ,  c'est  l'estime  qu'il  fait 
de  toutes  ces  choses,  c'est  le  soin  qu'il  prend 
de  les  relever  beaucoup,  c'est  l'approbation 
qu'il  donne  à  l'état  et  à  la  conduite  c!e  ceux 
qui  possèdent  ces  biens  avec  abondance,  et 
qui  en  fout  un  usage  éclatant  ;  eu  sorte  que 
ceux  qui  sont  frappés  par  ce  faux  éclat  re- 
gardent comme  très -heureux  ceux  qu'ils 
voient  dans  celte  jouissance  et  dans  cet 
usage.  C'est  justement  ce  qui  donne  de  l'es- 
time pour  ces  biens,  cette  estime  en  inspire 
de  l'amour  ,  de  cet  amour  naissent  le  désir 
qui  forme  dans  l'âme  le  consentement  et 
l'envie  de  les  poursuivre  ,  de  les  posséder  et 
d'en  user  sur  le  pied  des  autres  ;  et  voilà  ce 
qui  fait  le  règne  de  la  cupidité  et  la.  mort  in- 
térieure de  L'âme. 

H  faut  donc  qu'un  chrétien  qui  veut  en 
conserver  la  vie  rejette  ces  pensées,  qu'il  se 
précautionne  contre  leurs  impressions ,  et 
qu'il  regarde  toutes  les  maximes  du  monde 
comme  autant  de  dangereuses  illusions,  ca- 
pables d'abuser  son  esprit  et  de  séduire  son 
cœur,  cl  parce  qUc  ces  maximes* s'enseignent 
ouvertement  dans  le  commerce  (lu  monde,  et 
que  c'est  là  où  ce  que  l'usage  de  .  es  faux  biens 
a  de  touchant  se  lait  sentir,  où  les  entretiens 
et  le  coin  rsalions,GÙ  la  vue  des  objets  dan- 
gereux et  l'usage'des  choses  défendues  four- 
nissent la  matière  de-  pensées, cl  les  pensées 
celle  des  désirs,  il  fui!  que  le  chrétien  chasse 
le  inonde  corrompu  el  dangereux,  qu'il  s'en 


OHATECRS  SACRLS.  DOM  JEROME. 


lionne  séparé,  qu'il  n'ait  de  commerce  awc 
lui  que  pour  la  nécessité,  et  toujours  avec 
précaution  ;  qu'il  éloigne  CCS  joueurs  de  flûte 
que  le  Sauveur  chasse,  c'est-à-dire  ces  gens 
de  fracas  et  de  bruit  qui  ne  tendent  qu'à  le 
jeter  dans  l'embarras  des  affaires,  dans  le 
tumulte  des  [tassions,  dans  l'enivrement  des 
plaisirs  et  dans  les  illusions  du  siècle. 

Ce  (ju'il  faut  encore  observer  est  pris  de 
même  sur  la  conduite  de  Jésus-Christ  ;  car 
nous  ne  vous  proposons  point  d'autre  mo- 
dèle. Il  prit  le  père  el  la  mère  de  l'enfant  et 
ceux  qu'il  avait  avec  lui,  el  il  entra  au  lieu 
où  la  iille  était  couchée  :  d'où  je  lire  celte 
règle  pour  la  conservation  do  la  vie  de  l'âme, 
c'est  de  s'habituer  à  marcher  toujours  eu 
présence  de  son  père  et  de  sa  mère,  c'est-à- 
dire  de  faire  régner  dans  notre  conduite  les 
vues  de  la  foi,  les  principes  de  l'Evangile,  la 
doctrine  de  Jésus-Christ,  qui  est  notre  père, 
les  règles  de  l'Eglise  qui  est  notre  mère,  qui 
nous  a  engendrés  par  le  baptême. 

Ce  que  j'appelle  donc,  mes  frères,  se  met- 
tre en  état  de  marcher  sous  la  conduite  de 
noire  père  et  de  notre  mère,  c'est  se  remplir 
des  vérités  de  la  religion  par  la  lecture  ré- 
glée, assidue,  attentive,  respectueuse  de  l'E- 
criture et  des  bons  livres,  pour  se  précau- 
tiouner  contre  les  maximes  du  monde  et  ap- 
prendre à  penser  comme  Jésus-Christ;  c'est 
n'estimer  que  ce  qu'il  approuve,  ne  désirer 
que  ce  qu'il  estime;  c'est  s'associer  avec  des 
gens  de  bien,  faire  liaison  avec  ceux  qui  ac- 
compagnent Jésus-Christ  et  qui  suivent  ses 
voies. 

Ainsi,  comme  on  apprend  à  penser  comme 
le  monde,  quand  on  converse  avec  les  gens 
du  monde,  on  apprendra  à  penser  comme 
Jésus-Clirisl  quand  on  sera  lié  avec  ceux  qui 
appartiennent  à  Jésus-Christ.  Les  maximes 
el  les  sentiments  des  gens  de  bien  formeront 
nos  pensées,  nos  pensées  régleront  nos  dé- 
sirs, et  nous  n'en  concevrons  poinlqui  soient 
capables  de  nous  faire  perdre  la  \  ic  de  l'âme. 
Si  nous  sommes  cependant  assez  malheureux 
pour  l'avoir  perdue,  continuons  à  apprendre 
du  Sauveur  du  monde  ce  qu'il  faut  faire  pour 
sortir  de  ce  second  état  beaucoup  plus  dan- 
gereux que  le  premier. 

Or,  quel  que  soit  cet  état,  il  ne  faut  pas 
que  ceux  qui  y  sont  tombés  désespèrent,  dit 
saint  Augustin,  de  ressusciter  au  moins  en- 
tre la  maison  et  le  tombeau,  s'ils  ne  sont  pas 
ressuscites  dans  la  maison  même,  c'est-à- 
dire  s'ils  ont  commis  le  péché  dont  ils  avaient 
conçu  le  dessein.  Leur  espérance  doit  être 
fondée  sur  ce  que  le  Sauveur  du  monde  fait 
en  faveur  du  jeune  homme  de  l'évangile 
d'hier  :  il  touche  le  cercueil,  ensuite  il  ar- 
rête ceux  qui  le  portaient  dans  le  tombeau. 
Que  signifie  cette  action  :  //  touche  le  cer- 
cueil? c'est-à-dire,  il  frappe  le  pécheur, "tan- 
tôt par  une  maladie,  quelquefois  par  la  mort 
subite  d'un  ami,  d'aulres  fois  par  une  mau- 
vaise affaire,  par  un  événement  fâcheux.  Ce 
sera  par  une  parole  qui  semble  dite  par  ha- 
sard, par  une  prédication  dont  la  grâce  se 
sert  pour  loucher  le  cœur,  pour  mettre  l'âme 
dans  uuc  certaine  agitation,  par  où  la  misé- 


ricorde nous  dispose  à  nous  convertir,  en 
no  is  portant  à  faire  des  retours  sur  nous- 
mêmes  il  a  recourir  à  Dieu  parla  prière. 
Ab  !  mes  frères ■  que  I)i eu  nous  touche  sou- 
vent il<'  ces  manières  !  mais  notre  v  ie  dissipée 
et  notre  défaut  d'attention  font  que  nous 
rendons  inutiles  toutes  les  ouvertures  de  la 
grâce  el  ces  premiers  effets  de  la  miséricorde 
de  Dieu  sur  nous,  il  arréle  ceux  qui  portent 
le  mort  dans  le  tombeau,  c'est  l'effet  du  soin 
qu'il  a  pris  de  toucher  le  cercueil;  car  lors- 
que le  pécheur  se  sent  louché  de  la  manière 
que  je  viens  de  le  dire,  les  passions  sont 
comme  suspendue- ,  il  s'arrête  dans  le  chemin 
de  l'iniquité  ;  le  torrent  de  la  i  orruptiofl  qui 
l'a  entraîné  no  l'entraîne  plus  avec  la  vio- 
lence et  l'impétuosité  qui  l'a  enlevé  jusqu'à 
ce  moment;  il  devient  capable  de  réllexion, 
il  peut  voir  ce  qu'il  ne  découvrait  pas  aupa- 
ravant; et  alors  l'ouvrage  de  sa  conversion, 
qui  ne  s'achève  pas  tout  d'un  coup,  est  en 
état  d'être  commencé.  C'est  pourquoi  saint 
Augustin  l'exhorte  à  passer  sans  différer  de 
la  mort  à  la  vie.  Voilà,  pécheurs,  les  solides 
fondements  de  votre  espérance.  Combien  de 
fois  a-l-il  louché  le  cercueil  l  Peut-être  le 
louche-t-il  à  présent  que  je  vous  applique  à 
ces  réflexions  par  mes  paroles.  Ceux  qui 
vous  portent  dans  le  tombeau  sont  peut-être 
arrêtés  :  les  objets  de  vos  passions,  qui  ont 
séduit  et  corrompu  votre  cœur,  ne  font  pas 
sur  vous  les  mêmes  impressi  us.  Nous  en- 
trevoyez ce  que  vous  ne  découvriez  pas  au- 
paravant :  servez-vous  de  l'occasion,  hâtez- 
vous  de  faire  pénitence,  ménagez  ce  moment, 
et  ne  descendez  pas  jusque  dans  le  fond  du 
sépulcre. 

.Mais  \  oyons  dans  ce  que  l'Evangile  nous 
rapporte  des  effets  de  la  puissance  de  Jésus- 
Christ  sur  ce  jeune  enfant  mort  et  ressuscité, 
ce  qu'il  faut  faire  pour  profiter  de  ces  heu- 
reuses conjonctures  et  pour  sortir  comme  lui 
d'entre  les  bras  de  la  mort.  Levez-vous,  lui 
dit  le  Sauveur  du  monde.  Le  mort  se  leva,  il 
commença  à  parler >  el  il  le  rendit  à  sa  mère. 
11  faut  donc  se  lever,  c'est  la  première  chose 
à  quoi  doit  penser  un  pécheur  :  car  tout  pé- 
ché est  une  chute,  selon  l'Ecriture. 

Celte  chute  est  une  véritable  dégradation, 
c'est  un  honteux  avilissement  du  chrétien, 
qui,  étant  enfant  de  Dieu  par  la  grâce,  se 
rend  esclave  du  démon  par  le  péché,  et  qui, 
ayant  droit  à  l'héritage  éternel  comme  enfant 
de  Dieu,  y  renonce  pour  s'attacher  aux  biens 
périssables  de  la  terre,  qui  sont  au-dessous 
de  lui. 

11  faut  donc  que  le  pécheur  de  qui  Jésus- 
Christ  a  louche  le  cercueil  prenne  de  plus 
nobles  pensées,  el  que,  comme  cet  enfant 
prodigue,  il  dise  :  J'ai  quitte  la  maison  de 
mon  père,  il  je  suis  ici  à  mourir  de  faim;  il 
faut  que  de  ce  pas  j'aille  trouver  mon  père. 

Quittez  donc,  chrétiens,  ces  indignes  ob- 
jets de  votre  injuste  attachement.  Les  liens 
uc  sont  pas  encore  si  serres  que  nous  ne 
puissiez  les  rompre,  et  même  aisément.  L'ha- 
bitude n'est  pas  formée, n'attendes  pas  qu'elle 
le  soit.  I  0  second  poche  affaiblira  la  volonté 
et  ['éloignera  étrangement  de  Dieu;  il  for- 


Ù: 


SERMON  fOUR  LE  VENDREDI  DE  LA 


mcra  de  nouveaux  et  de  plus  puissants  ob- 
stacles aux  effets  de  sa  miséricorde.  Levez- 
vous  donc  :  Adolescens,  tibi  dico,  surge. 

Mais  il  ne  faut  vous  lever  que  pour  parler, 
et  corpit  loqui  :  c'est-à-dire,  publiez  la  misé- 
ricorde de  celui  qui  a  touché  votre  cercueil 
et  qui  vous  a  rais  dans  le  cœur  la  pensée  de 
vous  lever;  car  la  reconnaissance  est  un  tri- 
but capital  et  indispensable  que  vous  devez 
à  la  miséricorde  et  à  la  grâce  du  Sauveur 
qui  vous  a  prévenu,  et  d'ailleurs  c'est  un 
moyen  sûr  pour  augmenter  cette  grâce;  car 
c'est  par  l'aveu  sincère  de  notre  indignité  et 
de  la  miséricorde  de  Dieu  que  nous  nous 
rendons  dignes  qu'il  augmente  ses  grâces  et 
ses  dons. 

Mais  après  avoir  parlé  de  celte  manière 
devant  la  majesté  de  ce  Dieu  adorable  qui  a 
bien  voulu  vous  regarder  après  votre  chute, 
allez  parler  à  ses  ministres  en  confessant 
votre  péché,  en  leur  déclarant  vos  misères, 
en  leur  ouvrant  votre  cœur  avec  sincérité 
pour  leur  en  découvrir  les  plaies. 

Cette  déclaration,  pour  être  utile,  doit  être 
humble  et  sincère  :  humble,  c'est-à-dire  doit 
procéder  d'une  connaissance  pleine  que  no- 
tre péché  est  uniquement  notre  ouvrage,  et 
accompagnée  d'un  aveu  sincère,  que  comme 
c'est  par  notre  volonté  que  nous  avons  pé- 
ché, il  ne  faut  nous  en  prendre  qu'à  nous- 
mêmes,  et  ainsi  en  vouloir  bien  porter  toute 
la  confusion  comme  en  ayant  été  l'unique 
cause;  disant  avec  plénitude  de  cœur  comme 
le  Prophète  :  Je  confesserai  contre  moi-même 
mon  iniquité  au  Seigneur;  et  voici  le  fruit  de 
cetlo  humble  confession,  marquée  aussitôt 
par  le  Prophète  :  Et  vous  avez  remis  l'impiété 
de  mon  péché.  Celte  confession  doit  être  sin- 
cère, c'est-à-dire  qu'il  faut  expliquer  avec 
soin  toutes  les  circonstances  de  sa  faute, 
comme  les  symptômes  d'une  maladie  dont 
on  veut  guérir,  afin  que  le  médecin,  étant 
instruit  parfaitement  de  la  nature  du  mal  et 
du  tempérament  de  celui  qui  s'adresse  à  lui, 
puisse  procéder  à  sa  guérison  avec  une  con- 
naissance plus  certaine  de  ce  qu'il  doit  faire, 
et  avec  plus  d'assurance  du  succès;  et  c'est 
ce  qui  ne  saurait  arriver  si  on  n'observe  pas 
ce  que  fil  le  Sauveur  du  monde  dans  la  ré- 
surrection du  jeune  homme.  Il  le  rendit  à  sa 
mère,  cela  veut  dire  qu'il  faut  se  soumettre  à 
la  conduite  des  pasteurs  de  l'Eglise,  suivre 
l'ordre  de  la  discipline,  ne  pas  prétendre  leur 
prescrire  des  règles,  mais  recevoir  avec  hu- 
milité celles  qu'ils  croient  à  propos  de  vous 
donner  et  les  observer  avec  exactitude.  Où 
voit-on  de  vraies  résurrections?  On  va  trop 
vite  pour  l'ordinaire  dans  le  grand  ouvrage 
de  la  guérison  des  âmes,  on  prend  des  appa- 
rences pour  des  réalités,  on  ne  ressuscite 
que  très-rarement,  et  on  demeure  dans  l'état 
de  la  mort  avec  une  lausse  et  malheureuse 
sécurité  ,  parce  qu'on  a  donné  quelques 
signes  de  vie  fort  équivoques.  Seigneur,  per- 
mettez-moi de  vous  adresser  ces  paroles  : 
Illumina  oculos  meos,  ne  unquam  obdormiam 
in  morte.  Seigneur,  éclairez  mes  yeux,  afin 
que  je  ne  mendorme  point  d'un  sommeil  de 
mort. 


QUATRIEME  SEMAINE  DE  CAREME.      U& 

11  faut  encore  être  mis  entre  les  mains 
de  sa  mère,  c'est-à-dire  n'être  pas  seule- 
ment attaché  à  Jésns-Christ  et  à  son  Eglise 
par  des  liens  extérieurs,  comme  le  sont 
un  très-grand  nombre  de  chrétiens  qui 
n'en  ont  que  le  nom,  mais  vivre  de  son  es- 
prit, être  lié  à  l'un  et  à  l'autre  par  les  liens 
invisibles  de  la  grâce  et  de  la  charité;  enfin 
faire  voir  par  une  conduite  réglée  qu'on  vil 
véritablement  de  la  vie  de  Jésus-Christ,  et 
qu'on  a  été  rendu  réellement  à  l'Eglise. 
Ainsi,  dit  le  grand  saint  Augustin,  celai  qui 
n'est  pas  ressuscité  dans  la  maison  peut  ressus- 
citer entre  la  maison  et  le  tombeau.  Songez 
donc  à  ne  vous  pas  laisser  accabler  du  poids 
de  l'habitude  criminelle.  Ce  n'est  pas  qu'on 
ne  puisse  sortir  encore  de  ce  troisième  degré 
de  mort,  car  enfin  Jésus-Christ  ressuscite 
Lazare  dans  notre  évangile:  Lazare,  veni  fo- 
ras ;  et  statim  prodiit  qui  fucrat  mortuus. 
Lazare,  dit  le  Sauveur,  sortez  du  tombeau, 
et  le  mort  en  sortit  à  l'heure  même.  Appli- 
quons-nous, mes  frères,  à  tout  ce  qui  se 
passe  dans  cette  résurrection,  afin  d'y  ap- 
prendre ce  qu'il  faut  observer  pour  sortir  de 
l'état  funeste  de  cette  mort  si  terrible  causée 
par  le  péché  d'habitude  :  c'est  le  second 
point. 

SECONDE  PARTIE. 

Peut-être  que  parmi  ceux  à  qui  je  parle 
il  y  en  a  qui  sont  déjà  dans  ce  funeste  état, 
chargés  de  celte  pierre  si  dure  et  si  pesante, 
et  qui  sont  du  nombre  de  ces  morts  de  qua- 
tre jours  que  l'infection  a  déjà  gagnés.  Que 
ceux-là  pourtant  ne  s'abandonnent  pas  au 
désespoir  :  ils  sont,  pour  ainsi  dire,  dans  le 
plus  profond  abîme  de  la  mort,  mais  il  n'y  a 
point  de  mort  si  profonde  dont  la  puissance 
de  Jésus-Christ  ne  puisse  retirer.  Sa  voix, 
dit  saint  Augustin,  a  la  vertu  de  briser  les 
pierres  dont  le  poids  accable  ces  sortes  de 
morts  ;  qu'ils  se  souviennent  que  Lazare  res- 
suscité au  bout  de  quatre  jours  se  trouva 
parfaitement  délivré  de  la  puanteur  dont  il 
était  infecté  dans  le  sépulcre.  Mais  voyons 
de  quelle  manière  ce  mort  ressuscite  et  l'or- 
dre de  cette  résurrection,  auquel  on  peut 
rapporter  tous  les  mouvements  du  Sauveur 
du  monde  dans  celte  action  ;  de  là  nous  ti- 
rerons toutes  les  instructions  qui  regardent 
le  chrétien,  malheureusement  enfermé  dans 
le  sépulcre  par  le  péché  d'habitude. 

J'y  vois  certains  mouvements  qui  précèdent 
cette  résurrection  cl  qui  en  sont  les  prépa- 
rations; j'y  vois  une  vertu  divine  qui  opère 
celle  résurrection  ;  j'y  vois  enfin  un  ordro 
donné  aux  disciples  de  prendre  soin  de  celui 
qui  est  ressuscité.  Le  pécheur  doit  donc,  pour 
sorlirde  ce  troisième  degré  do  mort, travailler 
avec  la  grâce  de  Jésus-Christ,  à  rompre  les 
obstacles  de  la  résurrection,  et  par  là  il  se 
dispose  à  recevoir  la  vie.  1!  doit  demander  sa 
résurrection  à  Jésus-Christ  ;  car  il  n'y  a  que 
lui  qui  ressuscite.  Enfin  il  faut  qu'il  aille  aux 
pasteurs  cl  aux  ministres  du  S.igncur  pour 
être  délié.  Mais  avant  (|ue  d'entrer  dans  le 
détail  de  ces  vérités  importante!,  il  y  en  a 
uue  tout  à  fait  admirable,  et  qui  doit  nous 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JMtOMK. 


M 


pénétrer  de  reconnaissance  :  c'est,  mes 
frères,  que  comme  Jésus-Christ  a  bien  voulu 
se  rendre  l;i  caution  des  pécheurs,  il  a  Irien 
voulu  aussi  se  rendre  le  modèle  des  péni- 
tents. Comme  il  a  pris  nos  péchés  sur  lui  : 
Peccata  nostta  ipse  portant,  il  a  aussi  tracé 
sur  sa  personne  les  mouvements  d'une  rraie 
pénitence.  H  a  exci  é  en  (ui-méme  tous  les 
mouvements  qu'elle  doit  produire  en  nous. 
Ainsi,  mes  frères,  étudions  ce  que  l'Evangile 
nous  rapporte  ici,  tout  y  est  admirable,  lu- 
mineux et  plein  d'instruction.  Or  il  est  rap- 
porté d'abord  que  le  Sauveur  du  monde  fie- 
mit  en  son  esprit  et  se  troubla  lui-même  : 
Infremuit  tpirilu,  turbavit  temetipsum.  De  là 
j'apprends  qu'un  homme  qui  esl  livre  à  l'ha- 
bitude du  péché,  et  réduit  dans  l'état  mal- 
heureux de  ce  dernier  degré  de  mort  dont  je 
vous  parlais  hier  et  qui  désire  d'en  sortir, 
doit  commencer  par  exciter  eu  lui  un  trouble 
salutaire  contre  ses  iniquités. 

Car  prenez  garde  qu'il  y  a  un  trouble  que 
nous  souffrons  qui  n'est  pas  notre  ouvrage 
et  que  nous  n'excitons  pas  ;  c'est,  par  exem- 
ple, la  nouvelle  d'une  chose  qui  nom  déplaît  : 
îlérode  et  toute  la  ville  de  Jérusalem  sont  en 
trouble  à  la  nouvelle  de  la  naissance  du 
Sauveur.  Mais  il  y  a  un  trouble  qui  tient 
de  l'application  que  nous  no  s  faisons  d'une 
Vérité  qui  nous  a  émus  et  frappés  :  Nathan 
parle  à  David  en  parabole  ;  David  s'applique 
ce  que  lui  dit  le  prophète  :  Ptecaoi  :  J'ai 
péché,  dit-il  ;  il  se  trouble  lui-même  et  ce 
trouble  ie  délivra  de  la  mort.  Etre  donc 
troublé,  c'est  l'effet  d'une  passion  humaine, 
naturelle,  inévitable,  comme  celle  des  ré- 
prouvés à  l'heure  dé  la  mort;  par  là  ils 
commencent  leur  enfer  d's  ce  monde  ;  et  ce 
trouble  ne  suffit  pas,  il  faut  qu'il  soit  volon- 
taire, et  que  vous  l'excitiez  en  vous.  Dieu 
permet  qu'on  vous  prêche  fortement  les  vé- 
riiés  éternelles,  la  nécessité  et  l'incertitude 
de  la  mort,  la  perte  infaillible  de  l'âme  cri- 
minelle, la  damnation  indubitable  de  ceux 
qui  demeurent  dans  l'étal  du  péché,  l'état 
déplorable  de  celle  mort  terrible  et  la  diffi- 
culté de  sortir  d'une  habitude  criminelle  ; 
c'est  par  ces  considérations  qu'un  pécheur 
doit  se  troubler.  Je  suis,  doit-il  se  dire,  dans 
cet  état  déplorable,  et  j'y  suis  depuis  très- 
longicmps;  ma  perle  est  donc  infaillible,  si 
je  suis  surpris  dans  cette  circonstance,  et 
ma  damnation  inévitable.  Où  eu  suis-je,  ô 
mon  Dieu  !  et  qu'arrivcra-t-il  de  moi? 

Tourne,  pécheur,  Ion  indignation  contre 
tes  propres  iniquités.  Jésus-Christ  frémit  en 
son  esprit  avant  que  <ie  s'approcher  de  La- 
zare. Si  tu  comprenais  bien  jusqu'où  va  la 
désolation  que  le  péché  a  causée  dans  ton 
a, ne,  il  n'y  a  rien  que  lu  n'entreprisses  pour 
le  détruire  et  pour  eu  réparer  les  désordres. 
Ta  colère  serait  animée,  Ion  indignation  se- 
rait vive,  tu  frémirais  d'une  sainte  fureur 
contre  ce  qui  l'a  mis  en  danger  de  périr 
éternellement. 

Si  on  voyait  un  homme  qui  voulut  se  pas- 
ser son  épée  au   travers  du  cor,  s  ou  qui 
frappât  a  coups  de   couteau  ,    on  courrait  à 
lui  pour  l'en  empocher,  ou  ferait  des  efforts 


pour  lui  <        ,      ,(ui   lui  pourrait  nuire,   on 
i        rait  violence,   on  l'enfermerait:   et  on 

Voit  tous  les  jours  uo  chrétien  qui  donne 
d  >upi  mortels  à  son  âme,  à  qui  les  jeux, 
i  mpagdiea,  les  affair.  ■  ni  des  occa 
si.nis  infaillibles  de  péché,  et  on  n'ose  lui  -lire 
qu'il  les  faut  quitter.  On  enferme  celui  qui 
se  frappe  cl  on  lui  ôte  lout  ce  qui  peut  lui 
nuire;  et  non-seulement  on  laisse  en  liberté 
Celui  qui  tue  soa  âme.  on  h"  lui  ôl  aucune 
des  choses  qui  servent  à  lui  donner  l;i 
in  ii-  on  luiapplaudit  de  ce  qu'il  se  tue:  on  \a 
lui  dire  qu'il  est  plu-  heureux  â  proportion 
qu'il  a  plus  de  moyens  de  périr  el  qu'il  enlrc 
dans  plus  d'occasions  de  perdre  la  grâce  d: 
Jésus-Christ,  qui  est  !a  vie  de  son  âme. 

.Mon  Dieu  !  donnez-nous  la  foi,  ou\  rez-nous 
les  yeux,  failes-nottS  comprendre  ce  que  c'est 
que  la  mort  de  l'âme,  ("est  vous,  divin  I 
qui  pouvez  nous  donner  de9  larmes  et  la  foi 
vive  qui  les  fait  répandre.  Celhs  que  vous 
versez  sur  Lazare  sont  la  source  de  celles 
que  nous  devons  verser  sur  nous-mêmes, 
pour  nous  disposer  â  sortir  du  tombeau  ; 
mais  pour  en  sortir  il  faut  travailler  à  6ter 
la  pierre  :  Tollite  lafiidem,  dit  le  Sauv  ,ir. 
Ceci,  mes  frères,  es'  capital,  c'est  par  où 
nous  pouvons  reconnaître  avec  quelque  s  rie 
d'assurance  que  la  bonne  volonté  e>l  formée 
en  quelqu  •  degré  dans  notre  cœur;  car  tout 
le  resle  est  équivoque,  et  souvent  on  y  est 
trompé.  On  peut  être  troublé  dans  les  s.-ns, 
on  peut  frémir  par  surprise,  on  peut  pleurer 
par  faiblesse  ou  par  crainte:  mais  quand  on 
met  la  main  à  l'œuvre  el  qu'on  s'applique  à 
ôter  la  pierre,  on  a  sujet  de  croire  que  c'est 
sincèrement  et  loul  de  bon  que  l'on  veut 
sortir  du  tombeau.  Ceci  est  très-important, 
c'est  l'essentiel  de  notre  instruction  :  ainsi 
je  vous  prie  de  bien  sentir  ce  que  c'est  que 
d'ôler  la  pierre,  par  quelle  vertu  on  peut  le 
faire,  et  (Oinrn  >nt  il  s'y  faut  appliquer. 

Oter  la  pierre,  c'est  ôler  les  obstacles  i 
rieurs  qui  servent  à  retenir  l'âme  dans  le 
pèche  :  entrez  bien  dans  ceci.  Le  corps  de 
Lazare  avait  été  posédans  un  caveau  ou  l'on 
nJail  par  quelques  marches,  et  dont  l'ou- 
verture avait  été  fermée  par  une  grande  pier- 
re. Vous  comprend  bien  qu'il  n'aurait  jamais 
pu  sortir  de  ce  sépulcre  si  la  pierre  n'en 
avait  été  ôlée.  Ainsi,  mes  frères,  la  pierre 
qui  arrête  l'âme  dans  le  tombeau,  c'est  un 
Certain  amas  de  circonstances  extérieures 
qui  lient  le  chrétien  au  péché,  qui  l'attachent 
à  l'objet  de  ses  passions,  et  qui  le  retiennent 
dans  rengagement  à  la  mort. 

C'est  l'oisiveté  et  l'inulililé  de  la  vie  qui 
jettent  celui-là  dans  le  jeu;  c'est  la  société 
de  certaines  personnes  qui  engagent  ce 
dans  la  débauche  ;  c'est  la  compagnie  et  la  fré- 
quentation do  celle  personne  qui  entretiennent 
le  dérèglement  de  cet  autre  :  tant  que  l'on 
demeurera  dans  celte  situation,  on  ne  quittera 
point  le  péché.  Vous  jouerez  toujours, 
que  \  olr    \  ie  ne  sera  pas  remplie  el  que  \ 

irerez  dans  l'oisiveté;  vou>  -erez  lou* 
jours  un  libertin  si  vous  entretenez  commerce 
avec  ceux  qui  vous  jettent  daus  la  débauche, 


549 


SERMON  POUR  LE  VENDREDI  DE  LA  QUATRIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


550 


et  jamais  vous  ne  sortirez  du  mauvais  enga- 
gement où  vous  vous  êles  mis,  si  vous  vous 
rondez  toujours  assidu  auprès  de  la  personne 
avec  qui  vous  l'entretenez. 

Voilà  la  pierre  qui  vous  retient  danslctom- 
1)  au,  et  comme  Lazare  sortit  du  sépulcre  a  près 
que  la  pierre  en  fut  ôtée,  vous  devez  ôter  ces 
obstacles  extérieurs  et  quitter  absolument  le 
péché;  car  on  ne  peut  pas  sortir  du  tombeau 
si  on  ne  les  ôte.  Or,  mes  frères,  vous  pouvez 
les  ôter;  Jésus-Christ  vous  le  dit  :  Tollite 
lapident.  Mais  voici  la  vertu  qui  nous  le  fait 
faire  :  vous  êtes  assurément  maîtres  de  vos 
mouvements  extérieurs,  vous  pouvez  aller 
ou  n'aller  pas  où  il  vous  plaît,  et  naturelle- 
ment une  passion  est  un  remède  pour  une 
autre.  L'amour  de  la  gloire  l'emporte  sur 
tout  autre  amour.  Que  le  prince  vous  or- 
donne de  partir  pour  l'armée,  qu'il  vous  ho- 
nore d'une  commission  pour  sun  service,  il 
n'y  a  ni  société,  ni  plaisirs,  ni  engagements 
qui  vous  retiennent  :  vous  parlez.  Vous  êtes 
donc  maître  de  ces  obstacles  extérieurs  qui 
s'opposent  à  la  résurrection  de  votre  âme,  et 
si  c'est  là  la  pierre  qu'il  faut  ôter,  il  est  cer- 
tain que  vous  pouvez  le  faire  quand  il  vous 
plaira. 

Mais  puisque  des  motifs  humains  vous 
peuvent  obliger  à  le  faire  et  vous  le  font 
faire  inutilement,  lorsque  vous  le  ferez  parce 
que  Dieu  vous  l'ordonne,  vous  le  ferez  avec 
fruit;  vous  le  ferez  pour  votre  résurrection  : 
car  comme  Jésus-Christ  pouvait  ôter  la  pierre 
qu'on  avait  mise  à  l'entrée  de  cette  caverne 
où  était  le  corps  de  Lazare  par  la  vertu  de 
sa  parole,  cl  qu'il  voulut  que  les  Juifs  qui 
étaient  là  l'ôlassent ,  pour  les  convaincre 
mieux  du  miracle  qu'il  allait  faire,  il  veut 
aussi  que,  pouvant  opérer  votre  saiut  par  sa 
puissance,  vous  y  coopériez  en  travaillant  à 
ôter  les  obstacles  extérieurs  qui  servent  à 
entretenir  les  mauvaises  habitudes  qui  vous 
ont  enfoncés  dans  le  tombeau. 

Mais  souvenez-vous  que  vous  devez  vous 
appliquer  à  cet  ouvrage  si  important  avec 
courage,  avec  constance  et  avec  larmes. 
Avec  courage,  mes  frères,  il  s'agit  du  saiut: 
quoi  qu'il  puisse  vous  en  coûter,  tout  est  au- 
dessous  de  votre  âme.  Vous  n'avez  pas  bâti 
sans  peine  le  funeste  sépulcre  ou  vous  vous 
éfa  S  enfermés.  Le  péché  coûte,  vous  !e  sa- 
vez; souffrez  doue  eu  le  détruisant,  et  que 
les  difficultés  ne  vous  rebutent  pas. 

Soutenez  ce  travail  a\ec  constance.  Ce  sé- 
Pttkre  ne  s'est  pas  bâti  tout  d'un  coup  :  on  a 
delà  pensée  au  consentement,  du  con- 
sentement à  l'action,  de  l'action  à  l'habitude, 
ne  détruirez  pas  cet  ouvrage  en  un 
jour.  Il  s'agit  de  donner  à  l'âme  une  nouvelle 
pente,  il  faul  lui  faire  changer  d'inclination, 
ôtez  peu  à  peu  ce  qui  est  capable  d'entrete- 
nir les  inclinations  envenimées,  entrez  dans 
ce  qui  peut  en  former  de  nouvelles  ;  éloignez 
issivemenl  (oui  ce  qui  peut  s'opposer  à 
la  résurrection  de  votre  âme. 

Enfin  soutenez  ce  travail  en  gémissant  : 
Q ae  la  peine  que  vous  sentez  à  détruire  ce 
funeste  ouvrage  de  votre  iniquité  vous  lasse 
comprendre  combien  vous  êtes  misérable  de 


vous  être  mis  par  vous-même  et  avec  plaisir 
dans  un  état  où  il  faut  périr  nécessairement, 
d'où  l'on  ne  peut  sortir  qu'avec  de  très-gran- 
des difficultés.  Gémissez  sous  le  fardeau  de 
vos  iniquités,  sentez  le  poids  de  votre  cor- 
ruption; mais  souvenez-vous  que  celui  qui 
vous  fait  rompre  les  obstacles  vous  vivifiera 
par  lui-même.  C'est  à  lui  qu'il  faut  recourir, 
car  il  n'y  a  que  lui  qui  ressuscite,  il  n'y  a 
que  sa  voix  qui  brise  les  pierres  dont  le  poids 
nous  accable.  Qu'un  pécheur  qui  a  travaillé 
à  ôter  sa  pierre  de  la  manière  que  je  viens 
de  dire  est  bien  convaincu  que  la  sortie  du 
tombeau  est  l'ouvrage  de  la  miséricorde  du 
Seigneur,  et  qu'il  n'y  a  que  lui  seul  qui 
puisse  ressusciter  celui  qui  s'est  livré  volon- 
tairement à  la  mort  I 

Mais  aussi  qu'il  y  a  de  fondement  de  croire 
qu'il  le  ressuscitera,  lorsqu'il  considère  que 
celui  qui  a  crié  à  haute  voix  pour  faire  sortir 
Lazare  du  tombeau  :  Voce  magna  clamavit, 
se  sert  encore  tous  les  jours  de  cette  voix. 
Qu'il  aille  donc,  ce  pécheur  qui  a  travaillé 
fidèlement  selon  son  pouvoir,  qu'il  aille  avec 
confiance  à  Jésus-Christ,  qu'il  lui  demande 
la  grâce  de  sa  résurrection  par  les  larmes  de 
ses  sœurs,  c'est-à-dire  par  celles  que  l'Eglise 
verse  dans  ce  saint  temps,  par  les  gémisse- 
ments des  justes  que  Dieu  connaît  et  qu'il 
écoule  volontiers,  par  les  cris  des  pauvres 
qu'il  doit  faire  entrer  dans  ses  intérêts  par 
ses  aumônes.  Qu  il  achète  la  miséricordo 
dont  il  a  besoin  parcelle  qu'il  peut  faire  aux 
membres  de  Jésus-Christ  qui  sont  dans  la 
nécessite;  en  faisant  cesser  leurs  cris  parles 
secours  qu'il  leur  donnera,  qu'il  oblige  Jésus- 
Christ  à  crier  à  haute  voix  pour  le  retirer 
du  sépulcre  de  son  cœur  endurci. 

Enfin  il  laul  qu'il  aille  trouver  les  minis- 
tres de  Jésus  Christ;  car  c'est  entre  les 
mains  de  ses  disciples  qu'il  met  Lazare  après 
sa  résurrection  pour  être  délié  par  leur  mi- 
nistère. Cette  puissance  leur  est  commise,  ils 
doivent  donner  tous  leurs  soins  et  loutc  leur 
attention  pour  ne  pas  précipiter  en  déliant 
mal  à  propos  ceux  que  Dieu  ne  veut  pas 
qu'on  délie.  Qui  aurait  pu  en  effet  supporter 
l'infection  du  cadavre  de  Lazare,  si  les  dis- 
ciples l'avaient  délié  avant  que  le  Sauveur 
du  monde  le  ressuscitât?  Mou  Dieu,  que 
l'usage  de  celte  puissance  est  un  redoutable 
ministère  1  La  corruption  des  hommes  en 
augmente  tous  les  jours  les  difficultés  et  les 
dangers,  et  nous  ne  saurions  trop  prier  pour 
ceux  qui  en  sont  chargés. 

Par  rapport  à  ce  qui  regarde  précisément 
le  pécheur  converti,  et  qui  consiste  dans  la 
dépendance  et  la  soumission  à  celle  puissan- 
ce, il  faul  qu'elle  soit  entière  et  profonde,  et 
qu'il  se  convainque  bien  que,  comme  Lazare, 
tout  vivant  el  ressuscité  qu'il  était,  restait 
cependant  lié  el  enveloppé  de  bandes  depuis 
la  tête  jusqu'aux  p  eds,  un  vieux  pécheur 
converti  et  ressuscité  par  la  grâce  de  Jésus- 
Christ  esl  encore  loul  environne  -vs  ténèbres 
de  la  corruption  di  ses  mauvaises  habitudes. 
Il  lient  encore  a  la  fai.  lesM  el  a  l'infirmité 
par  une  inimité  de  liens  qu'il  faut  rompre 
successivement  :  c'eat  pourquoi  il  doit  de- 


I 


ORATEIT.S  SACRES.  H')M  JEUOMK. 


meurcr  dans  la  dépendance  et  dans  la  sou- 
mission à  la  volonté  dos  ministre!  de  Jésus- 
Christ  qui  l'aident,   qui  le  soutiennent ,  qoi 

le  consolent,  et  qui  le  mettent  en  état  de 
marcher  dans  les  voies  de  la  justice  qu'il 
n'a  jamais  connues  cl  dont  il  est  écarté. 

Voilà,  mes  frères,  ce  que  l'Evangile  nous 
rapporte,  et  les  voies  qu'il  nous  trace  pour 
entrer  dans  la  vie  que  nous  avons  perdue 
malheureusement  par  le  péché.  Pour  finir 
celle  matière,  écoulons  ces  importantes  vé- 
rités, mes  très-thers  frères,  et  écoutons-les 
de  telle  sorte  que  ceux  d'entre  nous  qui  sont 
vivants,  c'est-à-dire  qui  n'ont  pas  perdu  la 
grâce,  aient  soin  de  conserver  leur  vie,  qui 
est  cette  grâce  si  précieuse,  et  que  ceux  qui 
sont  morts,  c'est-à-dire  ceux  qui  onl  mal- 
heurêoscment  fait  cetlc  terrible  perle,  res- 
suscitent. 

Que  ceux  qui  vivent  fassent  tout  ce  qui  est 
possible  pour  éviter  de  tomber  dans  ce  déplo- 
rable élal  de  mort  dont  nous  vous  parlions 
hier,  dont  on  sort  si  difficilement,  el  d'où  il 
esi  plus  rare  qu'on  ne  croit  que  Dieu  retire 
une  âme  quand  elle  s'y  est  plongée;  non  pas 
que  la  rareté  de  ces  conversions  vienne  de 
ce  que  Dieu  ne  soit  pas  porté  à  accorder  sa 
grâce  qui  les  opère,  mais  de  ce  qu'il  est  rare 
de  la  demander  et  de  la  rechercher  comme 
il  faut  pour  l'obtenir,  suivant  l'idée  que  j'ai 
essayé  de  vous  en  donner. 

Que  ceux  qui  sont  tombés  même  dans  les 
habitudes  les  plus  invétérées  ne  désespèrent 
pas,  mais  qu'ils  fassent  tous  leurs  efforts 
pour  en  sortir  promptement;  qu'ils  deman- 
dent la  grâce  de  Jésus-Christ  avec  ferveur, 
avec  persé\érance,  avec  humilité;  qu'ils  en- 
trent dans  des  pratiques  propres  à  surmon- 
ter les  habitudes  du  péché  sous  la  conduite 
d'un  homme  éclairé,  qu'ils  rompent  promp- 
tement avec  tout  ce  qui  peut  fortifier  leurs 
mauvaises  habitudes  et  les  lier  aux  crimes, 
afin  qu'ils  ne  s'endorment  pas  dans  la  mort, 
afin  que  V ennemi  ne  puisse  pas  dire  :  J'ai  pré- 
valu contre  lui  ;  mais  qu'il  recoure  à  Jésus- 
Christ  pour  se  rendre  digne  de  sa  grâce  et  mé- 
riter la  vie  éternelle.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR  LE  SAMEDI  DE  LA  QUATRIÈME  SEMAINE 
DE  CARÊME. 

De  la  modération  de  la  douleur  dans  la  mort 
de  ses  proches. 

Domine,  si  fuisses  hic,  frater  meus  non  fuissel  mortuus 
Seigneur,  si  vous  eussiez  été  ici,  mon  frire  ne  serait  vus 
mort  [Joan.,  XI,  21).  r 

La  louange  que  saint  Chrysostomc  a  don- 
née à  Marthe  et  à  Marie ,  sa  sœur,  sur  la 
modération  qu'elles  firent  paraître  dans  la 
douleur  qu'avait  dû  leur  causer  la  mort  de 
Lazare  leur  frère,  m'a  fait  penser,  mes 
frères,  qu'il  ne  serait  pas  inutile  de  faire  un 
discours  sur  le  sujet  de  la  douleur  que  nous 
ressentons  à  la  mort  de  nos  amis  et  de  nos 
proches.  Ou  ne  parle  jamais  de  cette  ma- 
tière, sur  laquelle  cependant  ou  peut  dire 
d'excellentes  choses  en  réglant  les  mouve- 
ments de  la  nature  par  les  vues  de  la  foi, 


et  en  apprenant  aux  chrétiens  que  la  reli- 
gion, qui  n'est  pas  contraire  aux  sentiments 
(I  une  juste  douleur,  en  condamne  les  em- 
portements cl  l'excès.  C'est  donc  sur  ce  su- 
jel  que  j'ai  résolu  de  vous  entretenir  aujour- 
d'hui. Je  veux  rejeter  une  espèce  de 
rite  outrée  qui  condamne  mal  a  propos  la 
douleur  que  nous  faisons  paraître  dans  la 
mort  de  nos  amis  cl  de  nos  proches  ;  je  veux 
condamner  cetlc  fausse  tendresse  qui  pousse 
celle  douleur  jusqu'à  l'excès  ;  enlin  je  veux 
rétablir  une  pitié  raisonnable  qui  renferme 
la  douleur  dans  de  justes  I. ornes  :  c'est,  mes 
frères ,  ce  que  je  vais  faire  dans  les  (rois 
parlies  de  ce  discours. 

Dans  la  première,  j'établirai  les  raisons 
qui  autorisent  celte  douleur  contre  la  sévé- 
rité excessive  qui  la  condamne  ;  dans  la 
deuxième,  je  découvrirai  les  excès  de  la 
fausse  tendresse  qui  déshonorent  cette  dou- 
leur ;  dans  la  troisième,  je  vous  montrerai 
quelle  doit  être  la  situation  d'une  âme  chré- 
tienne qui  se  renferme  dans  les  bornes  d'une 
pilié  raisonnable. 

Voilà  le  partage  de  ce  discours  ;  deman- 
dons l'assislance  du  ciel.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Il  n'y  a  rien  de  si  dangereux  qu'une  sévé- 
rité indiscrète  qui  condamne  lous  les  mou- 
vements naturels  comme  des  vices  ,  et  qui 
veut  nous  faire  des  crimes  de  certaines  affec- 
tions du  cœur  qui  servent  de  matière  à  la 
vertu  ,  quand  on  s'applique  à  les  ménager 
selon  les  lumières  de  la  foi. 

C'est  par  là  qu'on  jette  des  pensées  de  dé- 
couragement et  de  désespoir  dans  les  âmes 
faibles,  et  qu'on  leur  persuade  qu'il  n'est 
pas  possible  d'arriver  à  la  perfeclion  du 
christianisme,  parce  qu'ils  la  croient  incom- 
patible avec  des  mouvements  qu'ils  ne  peu- 
vent étouffer.  C  esl  celle  erreur  que  je  veux 
combattre  dans  le  sujel  que  je  traite  aujour- 
d'hui :  il  s'agit  de  la  douleur  que  nous  res- 
sentons dans  la  perte  de  nos  proches  et  de 
nos  amis,  des  larmes  qu'elle  nous  fait  ver- 
ser et  de  la  tristesse  où  elle  nous  plonge,  qui 
sont  des  mouvements  de  la  nature,  el  des 
suites  de  la  tendresse,  de  l'intérêt  et  du  com- 
merce qui  nous  lient  aux  personnes  quo 
nous  regrettons  ;  nous  justifierons  en  même 
temps  beaucoup  d'autres  affections  du  cœur 
qui  coulent  de  la  même  source,  quoiqu'elles 
ne  produisent  pas  de  si  trislcs  effets  en  nous  ; 
enfin  de  là  nous  conclurons  que  le  christia- 
nisme et  la  perfeclion  ne  détruisent  pas  la 
nature,  mais  qu'ils  travaillent  à  la  régler. 

Et  d'abord  je  considère  celle  douleur  ou 
dans  le  principe  qui  nous  la  fait  ressentir, 
ou  dans  les  motifs  qui  l'excitent.  Son  prin- 
cipe c'est  la  nature,  dont  lous  les  mou\e- 
ments  ne  sont  pas  criminels  :  les  motifs  qui 
l'excitent  |  euvent  être  différents,  mai>  ils  se 
réduisent  pour  l'ordinaire  à  la  perte  de  cer- 
tains intérêts  que  je  regarde  comme  des  sou- 
tiens nécessaires  a  l'homme  dans  l'étal  do 
sa  condition  présente.  Mes  frères,  nous  som- 
mes hommes  formes  par  la  main  de  Dieu, 
noire  nalure  est  son  ouvrage.  Ce  sont  tôt 


8S3 


SERMON  POUR  LE  SAMEDI  DE  LÀ  QUATRIEME  SEMAINE  DE  CAREME. 


mains,  Seigneur,  lui  disait  !e  saint  homme 
Job,  qui  m'ont  formé  avec  tant  de  soin  ;  c'est 
vous-même  qui  avez  arrangé  avec  tant  d'art 
jusqu'aux  moindres  parties  de  mon  corps. 

Il  est  bien  vrai  que  cet  ouvrage  a  été  gâté 
et  par  la  malice  de  l'ennemi,  et  par  l'infidélité 
de  l'homme  même  ;  son  âme  est  devenue 
criminelle,  toutes  ses  puissances  sujettes  à 
la  rébellion ,  et  son  corps  soumis  à  la  mort. 
Aussi  est-ce  de  là  qu'on  a  pris  occasion  de 
dire  que  l'homme  est  un  étrange  composé  : 
c'est  un  mélange  de  bien  et  de  mal,  de  gran- 
deur et  de  bassesse,  de  puissance  et  d'infir- 
mité ;  et  c'est  de  là  qu'est  encore  venue  l'er- 
reur de  ceux  qui  se  sont  imaginé  que  deux 
principes  avaient  concouru  à  sa  formation  : 
l'un  bon,  de  qui  il  tenait  tous  ses  avantages, 
et  l'autre  mauvais,  qui  était  la  cause  de  tous 
ses  maux. 

Mais  la  religion,  qui  a  condamné  cette  er- 
reur, ne  reconnaît  que  Dieu  seul  pour  prin- 
cipe de  l'homme,  et  l'homme  lui-même  pour 
l'auteur  de  ses  maux  :  ainsi  elle  nous  ap- 
prend à  distinguer  entre  la  nature  et  les 
vices.  La  nature  est  de  Dieu,  qui  n'a  point 
d'autre  auteur  ni  d'autre  créateur  que  lui, 
et  les  vices  sont  les  ouvrages  malheureux 
de  la  mauvaise  volonté  de  l'homme.  Elle  re- 
connaît que  tout  ce  qui  est  en  nous  vient  de 
Dieu  ,  hors  le  péché  ;  c'est  sur  ce  fondement 
que  j'établis  ma  proposition,  et  que  je  sou- 
tiens que  ces  affections  humaines  qui  sont 
formées  dans  la  partie  de  l'âme  que  nous 
appelons  l'appétit  sensitif,  non-seulement  ne 
doivent  pas  être  condamnées  comme  crimi- 
nelles, mais  même  qu'elles  servent  de  ma- 
tière à  la  vertu  chrétienne,  comme  nous  le 
dirons  dans  un  moment. 

On  ne  sait  pas,  supposé  que  l'état  d'inno- 
cence eût  duré  longtemps,  si  Adam  aurait 
ressenti  des  passions  d'amour,  des  désirs,  de 
la  tendresse,  de  la  joie,  dans  une  nature  qui, 
étant  naturellement  pure  et  droite,  ne  pou- 
vait rien  produire  que  de  saint. 

Il  est  vrai  que  les  choses  ont  changé  et 
que  la  nature  est  corrompue  ;  mais  dans  les 
ruines  de  cette  nature,  ce  qui  est  de  Dieu  est 
toujours  'non,  et  comme  les  passions  sont 
des  mouvements  de  l'âme  qui  est  son  ou- 
vrage, elles  sont  bonnes  dans  leurs  principes, 
et  elles  ne  deviennent  criminelles  que  par 
un  excès,  qui  est  l'effet  du  vice  qu'il  faut 
condamner. 

Saint  Augustin,  parlant  sur  celte  matière, 
non-seulement  les  croit  innocentes  ,  mais 
même  il  les  estime  nécessaires  dans  l'état 
de  la  vie  présente  ,  puisque  tant  que  nous 
sommes  dans  ce  corps  fragile,  ce  serait  un 
défaut  que  d'être  exempt  de  toutes  passions; 
sur  quoi  il  cite  saint  Paul.  Cet  apôtre  lui- 
même  blâme  certaines  personnes  qu'il  ac- 
cuse d'être  sans  amitié.  N'avoir  d'affection  et 
d'amour  que  pour  soi-même  est  un  état  qui 
déshonore  la  nature  ,  et  les  philosophes 
mêmes  l'ont  reconnu,  puisqu'un  d'eux,  que 
saint  Augustin  cite  dans  le  même  endroit,  a 
dit  que  nous  ne  saurions  l'acheter  qu'au  prix 
d'une  honteuse  stupidité.  Mais  pour  dissiper 
entièrement  tous  les  vains  scrupules  qu'une 

OlUTEL'RS    SACRKS.    XXX. 


o54 

sévérité  indiscrète  aurait  pu  faire  naître  sur 
les  ressentiments  d'une  juste  douleur,  et  voir 
jusqu'où  va  la  liberté  que  la  grâce  chré- 
tienne donne  aux  mouvements  naturels  , 
écoutons  parler  saint  Bernard  devant  des 
personnes  mortes  au  monde  par  leur  pro- 
fession, lui  qu'une  sainteté  éminente  avait 
si  fort  élevé  au-dessus  de  tout  ce  qui  pont 
être  soupçonné  de  corruption  et  même  de 
faiblesse  sur  cet  article. 

Ce  fut,  mes  frères,  lorsque,  après  avoir 
rendu  les  derniers  devoirs  à  son  frère  selon 
la  chair,  il  se  vit  en  liberté  au  milieu  de 
ceux  qui  restaient  ses  frères  selon  l'esprit. 
Vous  m'avez  vu,  leurdit-il,mes  tres-chers  frères, 
assister  aux  funérailles  de  Gérard  dans  une 
grande  tranquillité  en  apparence.  Vous  m'avez 
vu  demeurant  debout  aux  pieds  de  son  tom- 
beau, dans  une  posture  qui  marquait  assez  de 
constance,  tant  que  cette  cérémonie  funèbre  a 
duré.  Vous  m'avez  vu  enfin  prendre  de  mes 
propres  mains  la  terre  que  j'ai  jetée  sur  son 
corps,  sans  que  je  l'aie  arrosé  de  mes  larmes. 
Je  me  suis  s-;rvi  de  toutes  les  forces  que  j'ai 
pu  trouver  dans  les  vues  de  la  foi,  pour  ré- 
sister aux  mouvements  de  la  tendresse  ;  mais, 
ayant  arrêté  le  cours  de  mes  pleurs  avec  beau- 
coup d'efforts,  je  ne  puis  plxis  vaincre  ma 
douleur  qui  s'est  augmentée  par  celte  vio- 
lence, et  qui  enfin  me  surmonte  à  présent.  Je 
l'avoue  donc,  mes  frères,  je  suis  vaincu  ;  il 
faut  que  ce  que  je  souffre  dans  l'âme  paraisse 
au  dehors,  et  que  je  montre  toute  ma  tendresse 
aux  yeux  de  mes  enfants,  qui,  pesant  ma 
douleur  au  poids  de  la  perte  que  je  viens  de 
faire,  la  sauront  connaître  telle  qu'elle  eut, 
et  s'empresseront  de  me  donner  la  consolation 
qu'elle,  mérite. 

Après  avoir  parlé  de  cette  manière  ,  ce 
grand  saint  laisse  couler  ses  larmes  avec 
abondance  ,  et  il  n'en  interrompt  le  cours 
que  pour  en  justifier  la  cause.  //  ne  faut  pasf 
conlinue-t-il,  que  cette  conduite  vous  scan- 
dalise ,  mes  chers  enfants  ;  ne  regardez  pas 
comme  une  faiblesse  indigne  de  ma  profession 
ce  qui  est  une  suite  nécessaire  de  ma  condition 
mortelle,  et  un  ressentiment  digne  de  l'amitié 
qui  nous  liait.  Qu'une  fausse  idée  de  perfec- 
tion ne  vous  porte  pas  à  condamner  ni  mon 
amitié,  ni  ma  douleur  :  il  est  vrai  que  ces 
sentiments  sont  humains,  mais  je  suis  homme; 
il  y  a  même,  si  vous  voulez,  quelque  chose 
qui  tient  un  peu  trop  de  la  chair  ;  mais  je  suis 
lié  avec  elle,  et  j'en  dois  ressentir  les  fai- 
blesses. Enfin,  pour  achever  de  me  justifier 
dans  votre  esprit,  sachez  que  dans  l'état  de 
notre  condition  présente,  il  est  également  im- 
possible de  jouir  de  ses  amis  sans  en  ressentir 
du  plaisir,  et  de  les  perdre  sans  en  ressetitir 
de  la  douleur. 

Telles  sont  les  paroles  de  saint  Bernard  ; 
mais  je  vais  encore  plus  loin,  mes  très-chers 
frères,  et  afin  que  la  douleur  ne  vous  soit 
suspecte  d'aucune  part,  après  en  avoir  jusli 
fié  le  principe,  je  veux  en  défendre  les  mo- 
tifs, et  vous  faire  voir  que  si  je  dois  pleurer, 
quoique  je  sois  chrétien,  parce  que  je  suis 
homme,  je  ne  déshonore  pas  ma  qualité  de 
chrétien  en  m'affligeant  par  la  vue  de  mes 

18 


OllVlKLIls,  S.U.KES.   l»OM  JKIlUMI. 


I    i 


intérêts,   quoique  je  me  pique  d'clre  un  .mu 

eux  el  clirciK-ii.  En   effet,   e'e»l  une 

fausse   délicatesse  que  (le   vouloir  rejeter 

toutes  les  vues  d'intérêt  qui  se  inèlenl  dam 
les  motifs  qui  excilenl  DOlre  douleur  :  Ut 
n'est  pas  connaître  l'état  présent  de  la  i:mi- 
dition  de  l'homme  qui  le  tient  dam  une  éé« 
pendante  si  générale,  qu'il  a  besoin  de  tout 
«  l  qu'il  ne  peut  presque  rien  luire  sans  le 
secours  d'autrui. 

<  >r,  mes  livres  cette  dépendance  qui  entre 
dam  l'ordre  de  Dieu  le  lie  aux  choses  et  aux 
personnes  que  cet.  ordre  lui  a  rendues  né- 
cessaires, et  ne  pouvant  y  être  lie  sans  les 
,  ni  les  aimer  sans  resservir  de  la  joie 
quand  il  les  possède,  et  do  la  douleur  quand 
il  Ion  ptrd,  la  vue  de  son  intérêt  entre  tou- 
jours nécessairement  dans  sa  joie  et  dans  sa 
douleur;  et  tout  homme  sincère  et  qui  eon- 
nail  son  cœur  doit  avouer  de  bonne  foi  que 
son  intérêt  est  la  vraie  cause  de  son  afflic- 
tion, et  ne  pas  s'efforcer  de  faire  croire  que 
c'est  le  sentiment  d'une  amitié  désintéressée 
qui  nous  louche. 

Saint  Bernard  fut  de  bonne  foi  dans  lacca- 
Mement  de  douleur  que  lui  causa  la  mort 
de  son  fr  re  Gérard,  et  il  ne  teignait  point 
d'avouer  que  ce  qu'il  perdait  dans  cette  mort 
était  la  cause  de  son  aiflicliou.  Gérard  était 
un  gentilhomme  :  après  avoir  porté  les  armes 
avec  honneur,  dégoûté  du  monde,  pénétré 
de  l'exemple  de  saint  Bernard,  et  sollicité 
par  l'amitié  qui  les  liait,  il  résolut  de  se  re- 
tirer auprès  de  lui  et  de  quitter  loui  les  em- 
barras du  siècle,  pour  ne  penser  unique- 
ment qu  à  l'affaire  de  son  salut.  Comme  il 
n'était  pas  homme  de  lettres,  il  ne  s'appliqua 
point  à  une  profonde  étude,  et  comme  il  a\ait 
passé  une  partie  de  sa  vie  dans  le  commerce 
du  monde,  il  prit  dans  sa  retraite  un  certain 
genre  de  piété  qui  ne  l'engagea  pas  à  une 
solitude  entière,  pour  pouvoir  se  donner  aux 
affaires  de  la  maison,  et  se  sanctifier  dans 
des  exercices  conformes  à  sa  disposition  et 
ut  les  à  sa  communauté. 

Saint  Bernard  reconnaît  qu'il  lui  fut  d'un 
secours  admirable,  soit  dans  son  monastère, 
soit  au  dehors.  Il  se  chargeait,  dit-il,  de  tout 
le  soin  des  choses  extérieures  ;  si  j'ai  fait 
quelque  progrès  dans  les  études  de  l'Ecriture 
sainte  et  dans  la  méditation  des  mystères,  il 
via  procuré  ce  repos  sacré  en  prenant  sur 
lui  tout  ce  qui  le  pouvait  interrompre.  Nous 
partagions  ensemble  d'une  manière  bien  iné- 
gale la  qualité  d'ab'é  que  je  porte  ;  il  en  avait 
les  peines,  et  j'en  recevais  les  honneurs. 

Dans  les  grandes  affairée  où  la  Providence 
m'a  donné  part,  c'est  lai  seul  qui  m'n  soutenu, 
disait-il  ;  il  dissipait  mes  dif/icalt  s  pur  i 
'nctration,  il  me  déterminait  dans  mes  doute» 
pur  sa  sagesse,  il  me  rassurât  dans  me<  cr  tin- 
tes  pur  son  courage,  et  j'aurais  succombé  mille 
fois,  en  traitant  acec  le  inonde,  sans  le  secuurs 
d'an  homme  qui  le  connaissait  aussi  bien  que 
lui.  Il  cl  lit  mon  frère  selon  la  chair,  il  était 
mon  enfant  selon  I  esprit,  il  était  mon  ami  se- 
lon le  cœur,  il  était  mou  conseil  dans  mes  <//- 
[an  rs,  il  était  ma  consolation  dans  mes  fieines, 
il  était  mon  médecin  dans  mes  iiiiirmités;  en- 


fin il  m'était  utile  en  tout  et  plus  que  tout, 

dans    I    I    petites    et    dan-    les    i/rnial    ■    i  hoses, 

dan<  les  emploie  publiée  <■■ 

également  utile  pour  U  deat 
le  dehon.  Bétail  Dieu  me  ia  été  et  nia 

été  ave  lui  tous  tes  si-cours  el  toute  u  /o  •■. 
Quand  wou$ plaira- t-4lf juste eiell démon  <- 
nr  après  luit 

Voilà,  mes  frères,  quel  a  été  le  langage  des 
saints  et  <|uels  Olll  été  leurs  sentiments  :  d'où 
i  levons  apprendre  non-     ul   meul  que  la 

piété  n'est  point  inhumaine,  que  le  cin 
ni-ine  n'a  ri.  n  de  dur,  et  que  la  gra  e  de  Je- 
sus-Clirist,  qui  règle  ia  nature,  n  en  d>  truit 
pas  les  lent  menti  ;  mail  encore  que  1  ordre 
<!  Ii  Providence  qui  nous  lie  ,iu\  personnes 
el  aux  choses  qui  nous  son.  nécessaires  lins 
notre  état  présent,  ne  rejette  pas  ces  in 
qui  excitent  notre  joie  dans  la  possession  tt 
notre  doul<  ur  dans  la  perte,  el  qu'ainsi  je 
puis  me  rejouir  des  avantages  que  je  reçois 
et  m'affiger  de  ceux  que  je  perds,  sans  que 
ces  impressions  d'intérêt  me  déshonorent  en 
qualité  de  chrétien,  pourvu  qu'il'  soient  ren- 
fermes dans  l'ordre  de  D  eu.  Les  plus  grands 
saints  ,  mes  frères  ,  élaient  des  hommes 
comme  nous;  ils  ont  eu  des  sentiments  de 
tendres  e,  d'amitié,  de  douleur  et  d'alflicliou 
comme  nous. 

Le  sauveur  du  monde,  dit  saint  Bernard,  a 
vu  pleurer  les  deux  saintes  sœurs  dont  il  est 
parlé  dans  cet  évangile,  sur  le  lomb<  au  de 
Lazare  leur  frère.  Nous  ne  \oyons  pas  qu'il 
les  en  ail  reprises  ni  qu'il  leur  ail  commandé 
d'arrêter  leurs  larmes  :  au  contraire,  il  a  mêlé 
les  siennes  avec  celles  qu'elles  répandaient. 

Knfin  on  n'est  pas  saint  pour  élre  sans 
douleur,  mais  on  travaille  à  le  devenir  quand 
on  s'applique  à  la  modérer. 

Il  esl  temps  de  vous  faire  voir  quels  sont 
les  excès  où  nous  jette  la  douleur  qu'une 
fausse  tendresse  excite  en  nous  :  c'est  le  sujet 
de  ma  deuxième  partie. 

DEUXIEME  PARTIE. 

J'appelle  fausse  tendresse  celle  qui  ne 
vient  pas  d'un  sentiment  pur  el  simple  de  la 
nature,  on  celle  qui  esl  excitée  en  nous  par 
des  vues  d'un  mauvais  intérêt,  ou  enfin  celle 
qui,  partant  d'un  sentiment  sincère  pour  îles 
intérêts  justes,  nous  jette  dans  des  disposi- 
tions qui  combattent  l'ordre  de  Dieu.  La  pre- 
mière nous  dégrade  simplement,  la  Mi  i  de 
dégrade  nos  amis  el  nous,  et  la  troisième  of- 
fense Dieu  el  nous  rend  criminels. 

Quelque  juste  que  soil  la  douleur,  il  faut 
pourtant  reconnaître  de  bonne  foi  que.  ,uoi- 
qu'elle  soit  un  sentiment  de  la  nature  qu'on 
ne  peut  pas  blâmer,  elle  en  e*t  pourtant  une 
faiblesse,  à  parler  des  choses  exactement; 
car  Adam  ne  l'eût  p. is  ressentie  dans  l'étal 
d'innocence,  et  nous  ne  la  resseuiiro.s  |  .s 
dans  celui  de  la  gloire. 

Cependant  e'est  une  chose  étrangs  que  l>'s 
hommes  enlendenl  si  mal  l'intérêt  'e  leur 
gloire,  qu'ils  veuillent  s'en  la  ire  une  de  leur 
Faiblesse,  el  l'établie  une  réputation  sur  un 
défaut  de  la  nature,  lorsque  l'on  passa  les 
bornai  de  la  raisou  el  de  la  siucenie.  H  esl 


557 


SERMON  POUR  LE  SAMEDI  DE  LA  QUATRIEME  SEMAINE  DE  CAKEME. 


583 


cependant  vrai  qu'on  trouve  dans  le  monde 
mille  gens  qui  affectent  de  paraître  affligés  à 
la  mort  de  leurs  proches,  ou  qui  le  sont  sans 
savoir  pourquoi. 

N'en  voyons-nous  pas  tous  les  jours  qui  se 
persuadent  qu'il  est  de  leur  honneur  de  don- 
ner dis  marques  d'une  grande  affliction  , 
quoiqu'ils  n'en  aient  pas  le  sentiment  ;  qui 
éiudient  des  expression^,  qui  empruntent  des 
larmes,  qui  affectent  des  abattements  qu'ils 
ne  ressentent  point,  et  qui  se  consolent  dès 
qu'ils  s  ni  seuls,  quittant  tout  cet  appareil 
de  douleur  pour  le  reprendre  dès  qu'on 
pourra  les  regarder.  D'autres  pleurent  parce 
qu'ils  voient  pleurer  ,  et  s'abandonnent  à 
cette  inclination  naturelle  qui  porle  les  hom- 
mes à  s'imiter  les  uns  les  autres  :  de  sorte 
que,  comme  ils  ont  toujours  remarqué  qu'on 
s'afflige  à  la  mort  des  amis  et  des  proches,  ils 
s'affligent  quand  ils  les  voient  mourir,  par  le 
même  esprit  qui  les  fait  rire  lorsqu'ils  se  ma- 
rient, connaissant  aussi  peu  le  sujet  de  leur 
tristesse  que  celui  d  >  leur  joie. 

Il  n'est  pas  nécessaire  de  vous  faire  remar- 
quer que  ceUe  espèce  de  tendresse  est  fausse, 
puisqu'elle  n'en  a  tout  au  plus  que  les  appa- 
rences; que  c'est  Un  masque  dont  on  se  sert 
pour  tromper  les  autres  ,  en  leur  faisant 
croire  que  l'on  est  affligé  quand  il  n'en  est 
rien,  ou  une  erreur  qui  nous  abuse  nous- 
mêmes,  en  nous  persuadant  que  notre  fai- 
blesse est  une  vraie  douleur  et  que  nous 
sommes  sincèrement  afllgés,  parce  que  nous 
pleurons  de  compagnie  avec  ceux  qui  le  sont 
véritablement. 

Par  là  vous  voyez  bien  que  l'homme  se  de- 
grade  lui-même.  C  :r  qu'y  a-t-il  de  plus  indi- 
gne d'un  bon  cœur, d'une  âme  sincère  et  d'un 
esprit  réglé,  que  d'en  imposer  aux  autres  et  de 
vouloir  les  tromper,  ou  bien  de  se  tromper 
soi-même  en  se  croyant  autre  qu'on  n'est? 

Mais  il  y  a  une  autre  espèce  de  tendresse 
que  j'appelle  vraie  et  fausse  tout  ensemble. 
Elle  est  vraie,  iu  égard  au  sentiment  île  dou- 
leur qu'elle  imprime,  quoiqu'elle  soit  fausse 
eu  égard  aux  motifs  qui  l'excitent  :  c.'esl-à- 
dire,  mes  frères,  que  nous  trouvons  des  gens 
pénétrés  d'une  affliction  grande,  vive,  sensi- 
ble. Cep  ndant,  si  vous  entrez  dans  le  fond 
de  leur  âme  ou  qu'ils  veuillent  un  peu  s'exa- 
miner eux-mêmes,  \ous  trouverez  que  ce 
n'est  ni  1'.  initie,  ni  les  sentiments,  ni  la  con- 
fiance, ni  l'estime  qu'ils  avaient  pour  la  per- 
sonne qu'ils  pleurent;  en  un  mol,  que  ce 
n'est  pas  la  perle  de  leurs  amis  ni  de  leurs 
proches  qui  les  a'flige,  mais  ce  qu'ils  perdent 
par  leur  mort  -.  en  sorle  que  si  leurs  intérêts 
temporels  étaient  à  rouvert,  leur  douleur  se- 
rait médiocre,  et  i  s  se  contenteraient,  pour 
satisfaire  à  la  bienséance,  d'emprunter  celle 
dont  nous  pariions  il  n'y  a  qu'un  moment. 

A ii  I  mes  frères,  que  celle  espèce  de  dou- 
leur est  commune  dans  le  monde  1  Qu'il  y  a 
d'enfants  qui  pleurent  leur  fortune  et  non  pas 
leur  père  1  de  pères  qui  pleurent  l'établisse- 
ment de  leurs  maisons  cl  non  pas  leurs  en- 
taillai de  femin  s  qui  pleurent  leur  vanité, 
leur  rang,  leur  luxe,  leur  dépense,  et  non 
pas  leurs  maris  1  de  maris  qui  pleurent  leurs 


plaisirs,  leur  satisfaction,  leurs  affaires,  et 
non  pas  leurs  femmes  1  Ceux,  qui  pleurent  de 
cette  manière  méritent  d'être  pleures,  dit  saint 
Bernard.  El  en  effet,  qu'y  a-l-il  de  plus  di- 
gne de  compassion  que  de  voir  un  chrétien, 
qui  doit  espérer  une  éternité  bienheureuse, 
s'affliger  démesurément  pour  la  perle  de 
quelques  avantages  temporels?  Et  qu'y  a-l-il 
de  plus  indigne  du  sacré  commerce  d'une 
amitié  sincère  que  de  faire  servir  à  des  iuté- 
rêts  bas,  sordides  et  quelquefois  même  cr  mi- 
ncis, et  de  ne  regarder  que  comme  les  mi- 
nistres et  les  instruments  de  nos  passions, 
des  personnes  que  la  naiure,  la  grâce  et  la 
religion  nous  engagent  d'aimer? 

H  ne  faut  donc  pas  s'abandonner  à  toute  la 
douleur,  quelque  juste  quelle  puisse  être, 
qu'une  semblable  perte  nous  pourrait  cau- 
ser; car  il  y  a  des  excès  dans  les  ressenti- 
ments de  la  juste  douleur,  c'est-à-dire  celle 
qui  est  sincère  el  exctée  par  des  motifs  rai- 
sonnables. Nous  avons  marqué  ces  excès 
dans  la  première  partie;  ils  offensent  Dieu  et 
ils  nous  rendent  criminels. 

N'est-ce  pas  un  excès  criminel  que  de  se 
laisser  emporter  avec  violence  par  la  dou- 
leur ,  sans  se  contenter  des  ressentiments 
d'une  tendresse  raisonnable,  que  de  s'aban- 
donner au  murmure,  aux  impatiences,  au 
désespoir,  que  de  rejeter  tout  ce  qui  pour- 
rail  calmer  notre  douleur,  chercher  au  con- 
traire lout  ce  qui  contribué  à  la  nourrir,  et 
se  faire  un  devoir  de  la  rendre  immortelle? 
Par  là  l'homme  se  plaint  des  justes  disposi- 
tions de  la  Providence,  il  murmure  contre 
les  ordres  de  son  Dieu,  el  comme  si  Dieu 
était  tenu  de  consulter  ses  inclinations  et  ses 
intérêts  avant  que  de  toucher  à  ce  qui  le  re- 
garde, l'homme  refuse  de  se  soumet' re  à  ce 
qu'il  a  fait, parce  qu'il  esl  contraire  à  ce  qu'il 
désire  :  et  c'est  ainsi  que  l'excès  de  sa  dou- 
leur l'offense.  Oui,  mes  frères,  disons-le  pour 
l'instruction  de  vous  tous  :  quand  même  voire 
espérance  à  l'égard  de  celui  qui  vous  échappe 
serait  très-faible,  voire  douleur  devrait  avoir 
ses  bornes.  Dieu  est  le  maître  de  tous  les 
événements;  vous  devez  adorer  sa  conduite, 
elle  est  sage;  et  votre  seule  consolation  doit 
être  dans  une  soumission  entière  à  la  vo- 
lonté de  celui  qui  dispose  de  tout. 

Toutes  ces  considérations  vous  font  bien 
connaître,  mes  irès-chers  frères,  qu'on  ne 
saurait  s'abandonner  aux  violences  de  la 
douleur  ,  quoique  juste  et  excitée  par  des 
motifs  honnêtes  et  raisonnables,  sans  tomber 
dans  des  excès  qui  nous  rendent  injustes,  in- 
fidèles el  coupables.  C'est  pourquoi  il  esl  im- 
portant de  vous  marquer  ce  qu'on  peut  don- 
ner à  la  douleur  sans  blesser  son  devoir  :  ce 
sera  en  vous  montrant  quelle  doit  être  la  si- 
tuation d'une  âme  chrétienne  qui  se  ren- 
ferme dans  les  bornes  dune  pitié  raisonna- 
ble :  c'est  le  sujet  de  la  troisième  partie. 

TROISIÈME  PARTIE. 

Pour  donner  à  l'âme  chrétienne  une  situa- 
tion dans  la  douleur  qui  la  renferme  dans 
les  bornes  d'une  pitié  raisonnable,  il  faut  se 
tenir  entre  le  sentiment  de  la  douleur  et  l'ex 


B 


OHAÏEl.TtS  SACRES.  DOH  JI.HOME. 


560 


ces  de  ce  sentiment.  C'est,  mes  frères,  ce  que 
saint  Bernard  m'enteigne  dans  cet  excellent 
discours  d'où  j'ai  tiré  toute  la  matière  de  ce- 
lui-ci; car  ne  croyez  pas,  dit-il,  qu'en  vous 
découvrant  ce  que  je  souffre,  je  pense  autre- 
ment que  je  ne  (lois;  je  sens  lu  perte  que  j'ai 
faite  par  ta  mort  de  mon  frère,  mais  sans  me 
plaindre  de  celui  qui  me  l'a  ôté;  l'un  est  au 
sentiment  de  la  nature,  et  l'autre  serait  un 
excès  d'impiété. 

Saint  Grégoire  avait  expliqué  plus  au  long 
ce  que  dit  ici  saint  Bernard  ,  qui  n'en  parle 
qu'en  passant.  C'est,  mes  frères,  dans  ses 
Morales  sur  Joli,  où  il  expose  ce  que  l'Ecri- 
ture dit  de  ce  saint,  qui,  ayant  appris  la 
nouvelle  de  la  mort  de  ses  enfants,  se  leva 
alors,  déchira  ses  vêtements,  et,  ayant  rasé 
les  cheveux  de  sa  tète,  se  prosterna  contre 
terre  et  adora  Dieu.  Il  y  en  a  qui  s'imaginent, 
dit  ce  saint  pape,  que  la  constance  véritable, 
ainsi  que  l'affectait  autrefois  la  philosophie 
païenne,  consiste  à  ne  point  sentir  la  douleur 
lorsqu'on  les  maltraite;  d'autres  ont  tant  de 
sensibilité  pour  le  mal,  qu'étant  incapables  de 
supporter  les  grandes  douleurs  ils  s'empor- 
tent aussitôt  en  des  plaintes  immodérées  et  en 
des  paroles  de  murmure  et  d'impatience.  Ceux 
donc  qui  veulent  suivre  la  véritable  philoso- 
phie doivent  marcher  entre  ces  deux  extrémi- 
tés vicieuses  :  car  l'insensibilité  du  cœur  n'est 
pas  le  juste  degré  de  la  vertu,  nous  l'avons 
déjà  dit  ;  mais  aussi  c'est  sortir  des  bornes  de 
la  vertu  que  d'avoir  une  trop  grande  sensibi- 
lité dans  les  douleurs  ,  parce  que  quand  le 
cœur  est  touché  d'affliction  avec  excès,  il  s'em- 
porte d'ordinaire  en  des  paroles  d'impatience 
et  injurieuses  à  la  majesté  divine  :  ce  qui  est 
certainement  contre  la  religion. 

Le  bienheureux  Job,  suivant  la  conduite  de 
la  vraie  philosophie ,  s'est  maintenu  dans  un 
sage  cl  juste  tempérament  entre  ces  deux  ex- 
trémités :  en  sorte  qu'il  n'a  ni  méprisé  ces 
fléaux  de  Dieu,  comme  un  insensible,  ni  aussi 
il  ne  s'est  pas  emporté  contre  le  jugement  de 
celui  qui  les  lui  envoyait,  comme  un  homme 
impatient  et  trop  sensible  à  la  douleur  :  c'est, 
mes  frères,  celte  situation  dont  nous  voulons 
vous  parler;  car  après  avoir  perdu  tous  ses 
biens  et  tous  ses  enfants,  il  ne  fil  autre  chose 
que  de  se  lever,  de  déchirer  ses  habits,  de  se 
raser  les  cheveux,  de  se  prosterner  contre  terre 
et  d'adorer  Dieu. 

L'action  de  déchirer  ses  habits  et  de  se  cou- 
per les  cheveux  nous  témoigne  assez  qu'il  res- 
sentit la  douleur  de  ses  châtiments  ;  mais  l'ac- 
tion d'adorer  Dieu  fait  voir  clairement  que, 
nonobstant  l'excès  de  cette  douleur,  il  ne  s'em- 
porta point  contre  la  justice  de  a  lui  qui  le 
châtiait  :  ainsi  il  ne  se  montra  pas  tout  à  fait 
insensible  dans  son  malheur,  de  peur  qu'il  ne 
semblât  mépriser  Dieu  par  sa  dureté;  il  ne 
s'y  montra  pas  <tussi  trop  sensible,  de  crainte 
de  pécher  en  se  laissant  émouvoir  arec  excès. 
Mais  parce  qu'il  y  a  deux  préceptes  de  charité, 
/'un  pour  Pieu  et  l'autre  pour  le  proc!iain,afin 
de  s'acquitter  de  l'amour  (ju'il  deiait  â  son 
prochain,  il  témoigna  de  l'affliction  à  lu  perte 
de  ses  enfants,  et  pour  ne  pas  manqu  r  à  l'a- 


mour de   Dieu,  il   lut   adressa  ses  priïre*  au 
plus  fort  de  >     trs. 

Ces  excellentes  paroles  de  ce  saint  pipe 
nous  marquent  admirablement  quelle  doit 
être  la  lilualion  d'une  âme  chrétienne  dans 
la  douleur;  cependant  ce  nest  encore  r 
si  nona  n'enirons  pas  dans  des  vues  chré- 
tiennes confoi  mes  à  cette  situation  et  capa- 
bles de  nous  sanctifier.  Je  les  trouve  renfer- 
mées  dans  les  paroles  de  ce  saint  pape  :  car 
si  \  us  y  avez  pris  carde,  il  nous  a  fait  en- 
tendre qu'il  y  avait  un  châtiment  dans  la  dou- 
leur, un  amour  à  marquer  par  la  douleur, 
et  un  autre  amour  à  conserver  dans  la  dou- 
leur. 

l'ermeltez-moi  là-dessus  de  fiver  l'esprit 
de  l'âme  chrétienne  dans  celle  situation  :  il 
faut  donc  considérer  d'où  procède  celle  dou- 
leur, afin  de  nous  en  humilier,  et  la  recevoir 
comme  un  châtiment;  à  quoi  elle  nous  en- 
gage, pour  le  faire  en  accomplissant  un  pré- 
cepte ;  enfin  à  quel  danger  elle  nous  expose, 
pour  l'éviter  et  pour  demeurer  dans  l'amour 
de  Dicn. 

Oui,  mes  frères,  la  douleur  que  nous  res- 
senlons  dans  la  mort  de  nos  amis  doit  nous 
tenir  lieu  de  châtiment  ;  car  si  nous  n'ai  ions 
jamais  péché,  notre  âme,  toute  pleine  de 
Dieu,  pour  qui  elle  est  créée,  uniquement 
attachée  à  lui,  ne  serait  soutenue  que  par 
son  amour,  au  lieu  que  depuis  le  péché,  s'é- 
tant  séparée  de  son  Dieu,  elle  cherche  dans 
les  créatures  des  secours ,  des  aides  et 
des  soutiens  qu'il  lui  permet  d'y  prendre, 
pourvu  que  ce  soit  selon  les  mesures  qu'il  a 
réglées. 

De  sorte  que,  comme  Dieu  souffre  par  con- 
descendance qu'elle  sente  de  la  joie  dans  la 
possession  de  ses  créatures  qui  aident  à  la 
soutenir  dans  son  état  d'infirmité ,  il  veut 
bien  qu'elle  s'afflige  quand  elle  les  perd. 

Mais  comme  la  née  ssité  où  elle  se  trouve 
est  une  suite  de  son  péché,  il  faut  que  la 
douleur  qu'elle  en  ressenl  lorsqu'elle  ne  les 
a  plus  fasse  une  parlie  de  sa  pénitence,  cl 
qu'en  s'humiliant  devant  Dieu  de  voir  qu'il 
ne  lui  suffit  plus  pour  la  soutenir  par  lui- 
même  immédiatement,  elle  porte  la  honte 
d'être  déchue  de  sa  première  perfection, 
comme  la  peine  de  son  pèche,  et  sente  la 
douleur  que  lui  cause  la  perte  de  c  es  soutiens 
étrangers.  Mais  ce  n'est  pas  encore  là  le  seul 
u*age  de  celle  douleur,  il  faut  qu'elle  ser\  e  à 
nous  acquitter  de  nos  devoirs,  après  nous 
avoir  découvert  nos  misères  :  car,  mes  frè- 
res, Dieu  a  voulu,  par  une  admirable  dispo- 
sition de  son  amour  pour  nous,  que  ce  qui 
est  une  suite  de  notre  péché  nous  devint  un 
moyen  de  sanctification,  et  que  ces  créatures 
dont  le  secours  ne  nous  est  devenu  néces- 
saire, comme  nous  l'avons  expliqué,  que  de- 
puis que  nous  sommes  devenus  couuabli  B, 
fussent  les  objets  d'un  amour  qui  fait  par- 
tic  de  celui  que  nous  lui  devons  à  lui- 
même. 

Mais  en  voulant  s'acquitter  dos  devoirs  de 
l'amour  du  prochain,  il  faut  prendre  garda 
de  ne  pas  violer  ceux  de  l'amour  de  Dieu, 
qui    nous  oblige  à  regarder  la  mort  de   nos 


561 


SERMON  POUR  LE  DIMANCHE  DE  LA  PASSION. 


5G2 


amis,  non  pas  comme  un  effet  du  hasard,  ni 
comme  une  fatale  nécessité  de  la  nature,  ou 
comme  un  simple  dérèglement  des  humeurs 
et  des  parties  qui  composent  l'homme,  mais 
comme  unejustedisposilionde  sa  providence, 
comme  l'exécution  d'un  arrêt  de  sa  justice, 
ou  comme  la  consommation  du  sacriûce  de 
l'homme  chrétien. 

Ainsi,  mes  frères,  en  considérant  l'accident 
qui  nous  enlève  nos  amis,  non  pas  en  lui- 
même  et  hors  de  Dieu,  mais  dans  Dieu  et  hors 
de  lui-même,  nous  nous  contenterons  de  lui 
dire,  comme  les  saintes  sœurs  de  notre  évan- 
gile :  Domine,  si  fuisses  hic,  frater  meus  non 
fuisset  mortuus  :  Seigneur,  si  vous  aviez 
voulu  me  conserver  cette  personne  qui  m'é- 
tait si  chère,  la  chose  dépendait  de  vous; 
mais  vous  en  avez  usé  autrement,  j'adore  les 
ordres  de  votre  providence  et  je  me  soumets 
aux  arrêts  de  votre  justice.  Quoique  la  na- 
ture s'en  plaigne  et  que  je  donne  des  larmes 
aux  sentiments  qu'elle  me  donne,  ces  vues 
de  la  foi  me  soutiennent,  et  je  sais  qu'en  dis- 
paraissant à  mes  yeux  pour  un  temps,  elle 
ne  fait  que  me  devancer  dans  la  vie  bienheu- 
reuse, où  je  dois  la  retrouver  bientôt,  et  où 
elle  me  sera  d'autant  plus  chère,  que  nous 
nous  connaîtrons  plus  parfaitement  et  que 
je  ne  craindrai  plus  d'en  être  jamais  éloi- 
gné. 

Voilà,  mes  frères,  quelles  doivent  être  les 
vues  d'une  âme  chrétienne  dans  la  douleur. 
Servez-vous-en  dans  l'occasion;  ne  vous 
abandonnez  pas  aux  excès ,  et  souvenez- 
vous  que  celui  qui  n'est  point  mort  à  l'égard 
de  Dieu  ne  doit  pas  l'être  à  votre  égard,  puis- 
que vous  êtes  destinés  à  jouir  d'une  félicité 
commune  et  éternelle.  Je  vous  la  souhaite. 
Ainsi  soi t— il. 

SERMON 

POER    LE    DIMANCHE  DE  LA   PASSION. 

Des  dispositions  nécessaires  pour  approcher 
de  l'Eucharistie. 

Accepit  Jésus  panes,  el  cumgratias  egisset  distribuil  di- 
scumbentibus. 

Jébm  prit  les  pains,  et  après  avoir  rendu  grâces  à  Dieu, 
il  les  distribua  à  ceux  qui  étaient  assis  {.louh.,  VI ,  11). 

Les  saints  Pères  ont  toujours  regardé  ce 
pain  miraculeux  qui  se  multiplie  dans  les 
mains  du  Sauveur  pour  la  nourriture  du 
peuple  qui  l'a  suivi  dans  le  désert,  comme 
la  ligure  de  l'eucharistie;  mais  ils  ont  re- 
gardé en  même  temps  les  mouvements  de  <  e 
peuple  qui  suivit  le  Fils  do  Dieu,  comme  la 
figure  de  la  préparation  nécessaire  pour  re- 
cevoir dignement  celle  divine  nourriture. 
Car  le  dessein  que  forma  le  Sauveur  de  nour- 
rir ces  peuples  fut  comme  une  récompense 
de  ce  que  ce  peuple  avait  fait.  Jésus,  est-il 
dit,  prit  dune  des  pains,  comme  ne  pouvant 
se  dispenser  do  faire  un  miracle  en  faveur 
de  ceux  qui  s'en  étaient  rendus  dignes  par 
leur  fidélité  et  par  leur  zèle  :  J'ai,  dit-il, 
compassion  de  ce  peuple. 

Je  ne  doute  point,  mes  très-chers  frères, 
que  l'Eglise  n'ait  placé  la  lecture  de  cet 
évangile  dans  ce  saint  temps,  afin  que  nous 
apprissions  à  ses  enfants   ce  qu'ils  doivent 


faire  pour  solenniser  dignement  la  pâque,eu 
leur  exposant  la  conduite  de  ce  peuple  pour 
leur  servir  d'exemple  ;  et  c'est  ce  qui  fait  que 
je  vous  le  rappelle  encore.  Dimanche  der- 
nier j'en  tirai  tout  ce  qui  pouvait  convenir 
au  précepte  de  l'aumône  ;  aujourd'hui  nous 
vous  la  représentons  encore  pour  vous  ins- 
truire sur  ce  qu'exige  de  vous  le  précepte  de 
la  communion.  Je  ne  m'arrêterai  qu'à  deux 
choses  marquées  par  les  évangélisles  qui 
rapportent  ce  que  fit  le  Sauveur  du  monde. 

La  première,  c'est  que  ces  peuples  quit- 
tent la  ville  et  abandonnent  leurs  maisons 
pour  suivre  Jésus-Christ  dans  le  désert,  c'est 
ce  qui  est  marqué  dans  saint  Matthieu  et 
dans  saint  Marc.  La  seconde,  c'est  que  Jé- 
sus-Christ guérit  les  malades  qui  se  trouvè- 
rent parmi  eux  avant  que  de  leur  donner 
cette  nourriture  miraculeuse  ;  et  de  là  j'ap- 
prends que  pour  recevoir  le  corps  de  Jésus- 
Christ  et  solenniser  dignement  la  pâque  des 
chrétiens,  il  faut  quitter  le  commerce  du 
monde  :  ce  sera  la  première  partie.  11  faut 
prendre  soin  de  se  guérir  par  la  pénitence 
des  blessures  qu'on  a  reçues  dans  ce  com- 
merce :  ce  sera  le  sujet  de  la  seconde  partie. 

Ces  deux  vérités  renferment  la  prépara- 
tion nécessaire  à  la  communion.  Tu  n'en 
approcheras  jamais,  pécheur,  que  pour  y 
recevoir  ta  condamnation,  si  tu  le  fais  en 
demeurant  attaché  au  commerce  du  monde; 
ou  si,  après  l'avoir  rompu,  tu  ne  prends  pas 
du  temps  pour  guérir  ton  âme  par  une  péni- 
tence salutaire. 

Faites,  ô  mon  Dieu  !  que  je  rende  ces  deux 
vérités  si  sensibles,  que  chacun  examinant 
sa  disposition  songe  à  prendre  des  mesures 
pour  ne  pas  tomber  dans  le  malheur  d'une 
indigne  communion  à  la  solennité  de  Pâ- 
ques; c'est  la  grâce  que  je  vous  demande 
par  l'intercession  de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

La  première  instruction  que  je  tire  de  la 
conduite  du  peuple  dont  il  est  parlé  dans  no- 
tre évangile,  c'est,  mes  frères,  que  pour  être 
en  état  de  recevoir  dignement  le  corps  de 
Jésus-Christ,  il  faut  quitter  le  commerce  du 
monde;  or,  pour  donner  toute  l'étendue  et 
tout  l'éclaircissement  nécessaire  à  cette  im- 
portante instruction,  examinons,  1°  sur  quoi 
est  fondée  la  nécessité  de  quitter  le  com- 
merce du  monde  pour  recevoir  Jésus-Christ 
dans  la  communion.  2°  Nous  marquerons 
quel  est  le  commerce  du  monde  qu'il  faut 
quitter  absolument.  Lutin  nous  donnerons 
les  règles  que  le  chrétien  doit  suivre  pour  ne 
passe  rendre  indigne  de  la  communion,  en 
demeurant  dans  un  certain  commerce  insé- 
parable de  la  condition  d'un  homme  qui  est 
lié  au  monde.  , 

La  nécessité  de  quitter  le  commerce  du 
monde  pour  recevoir  Jésus-Christ  dans  la 
communion  est  fondée  sur  la  nature  de  la 
communion  même  ;  car  qu'est-ce  que  la  com- 
munion? C'est  la  participation  au  corps  do 
Jésus-Christ ,  participation  qu'il  a  instituée 
dans  son  Lglise  sous  le  sacrement  de  l'eu- 
charistie pour  y  entretenir  la  vie  do  la  grâce 


OKATTXRS  SACRES.  DOM  JKItOME. 


et  y  verser  les  semences  de  la  gloire  éter- 
nelle :  d'où  j'.ippi ends  qu'il  1 1 ni  considérer 
l'eochar  sti  •  parràpporl  à  la  quali  ô  'le  ceux 
pour  qui  elle  <'st  instituée,  par  rapport! 

relie  do  la  vie  qu'elle  augmente,  et  par  rap- 
port à  la  gloire  dont  elle  e  (  le  gage.  Or  tout 
cela  me  convainc  qu'il  faut  être  séparé  du 
monde  pour  la  recevoir  dignement;  car 
qu'cst-Ce  que  le  chrétien,  et  d'où  |. rend-il 
son  ê'rc  qui  !e  constitue  dans  celle  qualité 
et  qui  lui  donne  droil  sur  le  corps  adorable 
de  Jésus-Christ  ?  Le  chré'ien  est  un  homme 
séparé  du  monde,  il  reçoit  son  être  de  la 
grâce  de  Jésus  Christ  qui  le  sanctifie  en  l'u- 
nissant «à  son  Eglise  par  le  baptême,  et 
comme  il  ne  reçoi  le  baptême  qu  en  renon- 
çant au  monde  pour  être  uni  au  corps  dont 
Jésus-Christ  e«t  le  chef,  son  être  est  vérita- 
blement un  être  de  séparation,  et  il  est  in- 
digne des  biens  attachés  à  cet  étal  lorsqu'il 
est  déchu  de  cette  séparation  par  son  infi- 
délité, et  qu'il  est  rentré  dans  le  monde  au- 
quel il  a  renoncé  par  son  baptême. 

Jésus-Christ ,  mes  Irès-chers  hères,  n'a 
dessein  de  nourrir  de  sa  chair  que  ceux  qui 
sont  dans  son  Eglise,  parce  qu'il  n'y  a  que 
ceux-là  qui  soient  ses  enfants.  Son  Fglisc 
est  séparée  du  monde,  comme  il  nous  di  en 
mille  endroils  de  l'Ecriture.  Ses  enfants  ne 
sont  distingués  que  par  le  renoncement  au 
monde  et  à  ses  pompes;  il  faut  donc  avoir 
renoncé  au  monde  pour  être  digue  de  la 
nourriture  des  chrétiens. 

De  plus,  si  nous  considérons  que  l'eucha- 
ristie ne  donne  pas  la  vie  à  ceux  qui  ne  l'ont 
point,  mais  qu'elle  l'augmente  et  la  fortifie  da  os 
ceux  en  qui  elle  est,  nous  trouverons  qu'il 
ne  suffit  pas  de  porter  la  qualité  de  chrétien 
pour  la  recevoir,  mais  qu'il  faut  être  vivant 
de  la  vie  du  chrétien.  Or  celte  vie,  c'est  la  vie 
de  Jésus-Chrisl,  et  la  vie  de  Jésus-Christ  est 
une  vie  de  séparation,  de  silence,  d'à  !ora- 
tion,  d'immolation  intérieure,  de  mortifica- 
tion. Il  faut  donc  que  cette  vie-là  soit  en 
nous,  et  si  la  condition  de  la  vie  présente 
nous  retient  dans  la  qualité  d'enfants  des 
hommes,  il  faut  que  toutes  les  affections  de 
nuire  cu'ur  nous  séparent  de  la  (erre  .  nous 
donnent  les  sentiments  et  la  conduite  des  en- 
fants de  Dieu  ;  il  faut  que  ces  deux  vies  soient 
tellement  réglées  en  nous,  qu'en  vivant  en 
enfants  de  Dieu  nous  nous  ennuyions  de  la 
vie  présente,  et  que,  consumant  l'homme 
peu  à  peu,  la  vie  d'enfants  de  Dieu  demenre 
vigoureuse,  comme  dans  le  sacrement,  se- 
lon saint  Chrysostorne ,  la  parole  du  Fils  de 
Dieu  demeure  victorieuse  en  cons'.manl  la 
substance  du  pain  pour  f.iirc  place  à  sou 
corps.  Et  pour  avoir  en  nous  celle  vie  de  Jé- 
sus-Chrisl, il  faut,  dit  saint  Augustin,  être 
membre  de  son  corps;  ciril  n'y  a  que  le 
corps  de  Jésus-Christ  qui  vive  de  l'esprit  de 
Jésus-Christ.  Son  corps ,  qui  est  son  Eglise, 
est  séparé  du  monde  comme  nous  venons 
de  le  dire;  la  vie  qui  l'anime  est  donc  une 
vie  de  séparation  ;  il  faut  que  celte  \  ie  suit 
en  nous  pour  recevoir  le  frl  t  du  sacrement, 
et  de  laie  tire  cette  conséquence  pour  nuire 
instruction,  que  ceux,  qui  communient  sou- 


vent, et  qui  ne  paraissant  pas   plus  séparés 

du  monde,  c'est-à-diie  plus  détaché-  de  sefl 
biens  plus  ennemis  de  sel  p' aisirs,  pins  éloi- 
gnés de  es  maximes,  plus  applique»  a  les 
détruire  dans  eux-mêmes  eu  combattant 
leurs  passiont|  ne  communient  pat  digoa» 
ment  :  car  la  grande  règ  e  ponr  jn_  | 
fruit  de  la  coin  m  uni  un.  c'est  de  reçu  un  litre  , 
dit  saint  Augustin,  m  nous  d  ineurons  en  Jé- 
sus-Christ  et  si  Jésot-Cbrist  demeurées; 
nous.  Il  laul  donc  demeurer  en  Jésus-I  Jirist 
pour  approcher  du  sacrement,  ce  qui  ne  peut 
cire  si  nous  ne  sommes  séparés  du  monde  ; 
et  alors  Jô- us-Christ  demeurera  en  nous  par 
la  vertu  du  sacrement,  ce  qui  ne  M  peut  fl 
que  nou-i  ne  voyions  augmenter  en  nous  la 
séparation,  l'éloignemenl  et  l'aversion  pour 
le  monde. 

La  plus  sûre  preuve  d'une  bonne  commu- 
nion est  de  tenir  à  Je  us-Christ  la  promesse 
et  la  protestation  que  nous  ui  faisons  en  le 
recevant  de  ne  vouloir  être  qu'une  même 
chose  et  un  même  esprit  avec  lui .  de  n'avoir 
qu'une  même  volonté  et  de  mener  une  vie 
semblable  à  la  sienne;  car  pourquoi  le  re- 
cevons-nous, sinon  pour  nous  unir  et  nous 
incorporer  à  lui,  pour  nous  donner  tout  à 
lui  et  ne  vivre  que  pour  lui?  Oue  si  nous 
ajoutons  à  tout  cela  que  ce  pain  adorable 
verse  en  nous  les  semences  de  la  gloire  éter- 
nelle, comme  Jésus-Christ  nous  en  assure 
dans  l'Evangile  :  Qui  manducat  virant  car— 
nem  habet  vilam  œternam  :  Celui  qui  mange 
ma  chair  a  la  vie  éternelle,  nous  compren- 
drons que  l'eucharistie,  qui  met  en  nous  os 
divines  semences  de  la  gloire  éternelle,  com- 
me l'explique  saint  Augustin  après  le  S  au-, 
veur,  doit  nous  t' nir  durant  celte  vie  dans 
un  état  qui  ail  du  rapport  avec  celui  des 
bienheureux  qui  sont  remplis  de  Dieu,  qui 
sont  entièrement  sépar  s  du  monde  ,  et  qui, 
par  des  ardeurs  toujours  nouvelles,  désirent 
incessamment  de  posséder  ce  qu'ils  possé- 
deront toujours.  Pour  nous  unir  à  Jcsus- 
Christ  dans  le  sacrement,  il  faut  donc  que 
nous  soyons  séparés  du  monde,  que  nou>  l  y 
tenions  par  aucun  amour  déréglé,  et  que  la 
faim  et  la  soif  de  la  justice  nous  rendent  di- 
gues d'être  rassasiés  d'une  nourriture  si 
adorable  et  si  divine. 

Ainsi,  mes  frères,  vous  voyez  par  tout  l'or- 
dre de  la  religion,  à  la  prendre  depuis  l'entrée 
que  nous  y  faisons  par  le  baptême  jusqu'au 
repos  quelle  nous  promet  dans  la  gloire, 
qu  il  faut  être  sépare  du  monde  et  en  avoir 
quille  le  commerce  pour  appricher  digne- 
ment de  la  divine  eucharistie,  figurée  par  le 
pain  que  Jésus-Chrisl  dislri.  ne  au  peuple 
dans  noire  évangile,  parce  qu'il  l'a  suivi 
dans  le  désert. 

Il  s'agit  maintenant  de  savoir  quelles  sont 
C(  B  liaisons  qu'il  faut  quitter  absolument 
pour  ne  se  pas  rendre  indigne  de  le  i. 
ristie,  et  c'est  ce  que  nous  vous  marquerons 
aisément  en  suivant  le  même  ordre  que  je 
viens  d'établir  pour  la  preuve  d  e  II  sépara- 
tion. Tout  commerce  qui  ( si  Incompatible 
ave;  a  i  linteté  du  chrétien,  qui  éteint  en 
nous  la  vie  de  Jesus-Christ,  et  qui  porte  par 


585 


SEKMON  POUR  LE  DIMANCHE  DE  LA  PASSION. 


5G6 


lui-même  exclusion  de  la  gloire  éternelle, 
doit  être  abandonné  nécessairement,  si  nous 
voulons  nous  rendre  dignes  de  recevoir  Jé- 
suv-Ghri't  dans  l'eucharistie.  Ne  savez-vous 
pas,  dil  saint  Paul,  que  les  injustes  ne  seront 
point  héritiers  du  royaume  de  Dieu?  Ne  vous 
y  trompez  pas,  ni  les  fornicateurs,  ni  les  adul- 
tères, ni  les  impudiques,  ni  les  abominables,  ni 
les  voleurs,  ni  les  avares,  ni  les  ivroqnes,  ni  les 
médisants,  ni  les  ravisseurs  du  bien  a" autrui 
ne  seront  héritiers  du  royaume  de  Dieu  ;  et 
voilà  les  commerces  qu'il  faut  quitter  abso- 
lument. Ainsi,  vous  que  l'avarice  domine  et 
qui  ne  pensez  qu'à  l'établissement  de  votre 
f'orlune,  qui  embrassez  indifféremment  tou- 
tes sortes  de   professions,  qui  entrez  dans 
toute-,  sortes  d'affaires  propres  à  vous  enri- 
chir, sans  considérer  si  Dieu  les  approuve 
et  si  elles  sont  conformes  à  cette  justice  qui 
doit  régler  toutes  les  entreprises  d'un  chré- 
tien, il  faut   rompre  ces  injustes  commerces, 
il    faut  abandonner  ce   bien    que   vous  avez 
acquis  injustement,  il  faut  le  restituera  ceux 
que  vous  en  avez  cruellemeni  dépouillés,  soit 
par  vos  usures,  soit  par  votre  mauvaise  foi 
dans  le  négoce,  soit  par  vos  iniquités  dans 
les  affaires,  soit  enfin  par  celles  qui  se  com- 
melient  tous  les   jours  dans  l'administration 
de  la  justice;  car  les  injustes  ne  seront  point 
héritiers  du  royaume  de  Dieu.  Vous  qui  êtes 
dans  des  commerces  de  débauches,  il  faut  les 
rompre  pour  toujours,  en  éloignant  les  per- 
sonnes qui  y  contribuent,  en  ôlant  de  devant 
vos  yeux  et  d'entre  vos  mains  tout  ce  qui 
peut  vous  on   faire  ressouvenir  et  ne  les  re- 
prendre jamais  ;  car  ni  les  fornicateurs,  ni  les 
adultères,  ni  les  impudiques  ne  seront  point 
héritiers  du  royaume  de  Dieu.  Vous  qui  vivez 
dans  des  haines  invétérées  et  dans  des  res- 
sentiments contre  voire  prochain,  qui  vous 
portez  à  lui  nuire  en  tout,  à  décrier  sa  con- 
duite, à  flétrir  sa  gloire,  à  vous  opposer  à  son 
bien,  il  faut  vous  réconcilier  de  bonne  foi, 
lui  rendre  justice,  le  prévenir  et  prendre  des 
mesures  pour  vivre  avec  lui  comme  doivent 
vivre  des  chrétiens  qui  sont  les  enfants  d'un 
même  père,  qui  font  profession  d'une  même 
foi,  qui   espèrent    une   même  gloire,  et  qui 
doivent  se  trouver  à  la  même  table  pour  y 
manger  la   chair  d'un  Dieu.  Vous  enfin  qui 
croupissez  dans  celte  vie  molle,  inutile,  sen- 
suelle, voluptueuse,  qui   passez    une  grande 
partie  de  votre  temps  dan-,  le  jeu,  dans  les 
speda'ies,  dans  des  conversations  oisives  et 
souvent  criminelles,  dans   la  recherche  des 
satisfactions  de  vos  sens,  ilfautchangcrde  vie 
en  renonçant  a  la  société  des  personnes  qui 
vous  y  entretiennent. 

Gomme  je  ne  puis  pas  entrer  dans  le  détail 
de  toutes  vos  liaisons  avec  le  nmnde,  soula- 
gez-moi, mes  frères,  en  vous  faisant  à  vous- 
mêmes  l'application  de  ces  principes  selon 
votre  disposition  particulière. 

Voici  la  règle  générale  :  tous  les  commer- 
ces qui  sont  contraires  aux  engagements  de 
notre  baptême,  qui  éloignent  en  nous  la  vio 
le  Jésus-Christ, et  qui  portent  exclusion  de  la 
gloire,  doivent  être  absolument  rompus  pour 
ipprocher  de  Jésus-Christ  dans  l'eucharistie; 


car  elle  n'est  instituée  qne  pour  ses  enfants, 
il  ne  veut  nourrir  que  ses  disciples,  et  il  ne 
veut  donner  son  corps  qu'à  ceux  à  qui  il 
prépare  sa  gloire. 

Voyons  donc,  mes  frères,  ce  qu'il  faut  faire 
dans  une  occasion  d'une  si  terrible  impor- 
tance, et  examinons  un  peu  quelles  règles 
doit  suivre  le  chrétien  pour  ne  pas  se  rendre 
indigne  du  corps  de  Jésus-Christ  en  demeu- 
rant dans  un  certain  commerce  inséparable 
de  la  condition  d'un  homme  lié  au  monde,  et 
pour  cela  faisons  attention  à  la  nature  de  la 
condition  que  vous  avez  embrassée;  car  il  y 
en  a  qui  sont  mauvaises  de  leur  nature,  et 
celles-là  il  les  faut  quitter  absolument  :  telle 
est  celle  des  comédiens,  des  usuriers,  de  ceux 
qui  tiennent  des  lieux  publics  de  jeu  et  d'as- 
semblées, de  licence  criminelle  et  de  débau- 
che, et  qui  contribuent  directement  au  péché 
d'aulrui  ;  il  est  inutile  de   faire  la  critique 
de  ces  conditions.  Il  y  en  a  d'autres  qui  sont 
bonnes  de    leur   nature,  comme    -ont  celles 
qui    sont  approuvées  de  l'Eglise  ,   dont   les 
exercices    peuvent   être   rapportes   à   Dieu, 
dans  lesquelles  les  hommes  se  peuvent  sanc- 
tifier, et  par  lesquelles  il  y  a  eu  des  saints 
qui  ont  passé  en  cette  vie.  Celles-ci  peuvent 
être  embrassées  sans  crainte  et  sans  tern- 
pule.  Enfin  il  y  en  a  d'autres  qui  sont  dan- 
gereuses, et  à  parler  sincèrement  il  n'y  en  a 
guère  qui  ne  soient  telles  par  la  corruption 
présente  des  hommes  et  par   le  dérèglement 
effroyable  de  leur  cupidité.  Pour  celles-ci    il 
faut  bien  du  discernement  pour  s'y  conduire, 
et  il  faut  demanler  conseil  pour  s'y  soute- 
nir. Il  faut  examiner  les   inclinations  et  les 
qualités  des    particuliers  qui   sont  attachés 
aux  conditions;  car  c'est  presque  de  là  que 
tout  dépend,  puisque  nous  voyons  tous  les 
jours  qu'une  conditionnai  est  une  voiedesalat 
pour  quelques-uns  est  une  voie  de  damna. ion 
pour  d'autres.  Ainsi,  mes  frères,  ou  peut  se 
sauver  dans  le  négoce;  mais  quand  un  homme 
est   né  si   avare  et  si  avide   des   biens,  que, 
pour  en  acquérir  il  ne  garée  aucune  mesure, 
trompe  ceux  qui  traitent  avec  lui  et  commet 
mi, le  mensonges  et  mille  infidélités  dans  son 
commerce,  celte  profession,  qui  est  bonne  e 
en   elle-même,  est  mauvaise   pour    lui.    Ou 
peut  être  un   fort   bon  chrétien   et  un  sage 
magistrat,  manier  les  affaires  d'aulrui  et  ren- 
dre la  justice  en  taisant  son  salut;   mais  si 
un    homme   reconnaît  par   expérience  qu'il 
n'a  pas  assez  d'intégrité   pour   sacrifier  ses 
intérêts  à  la  justice,  ni  asez  de  fermeté  pour 
résister  à  la   faveur  et  pour  souenir  coura- 
geusement la  cause  du   pauvre  et  de  l'op- 
prime, cette  profession,  qui  est   si  éminenle 
par  elle-même,  je  dis  même  sainte,  est  per- 
nicieuse pour  cet  homme-là.  Que  laul-i,  donc 
qu'il  fasse    s'il    veut  s'approcher  de  l'eucha- 
ristie? Il  faut  qu'il  quille  sa  profession,  puis- 
qu'il   ne    peut   pas  y  vivre   eu   chrelicn  ;  elle 
est  aussi  pernicieuse  pour  lui  en  par  iculier 
gue  celles  qui  sont  mauvaises  par  elles-mê- 
mes le  sonl  pour  tous  les  hommes;  il  la  faut 
cloue  (initier,  »oux  ne  pouvons  pat,  dil    I     - 
poire,  participer  à  la  table  du  Seigneur  et 
à  la  table  des  démons. 


ORATEURS  SACHES 

Ceci  est   d'une  très-grande   importance, 

car  il  y  a  des  gens  qui  sont  d  ms  des  étatl 
par  avarice  et  par  ambition,  dans  lesquels 
ils  trouvent  des  occasions  toujours  prochai- 
nes de  pécher,  qui  ne  longent  pas  à  exami- 
ner ce  que  j'expose  ici,  ci  qui  se  contentent  de 
s'accuser  des  fau'cs  qu'ils  commettent,  sans 
découvrir  le  fond  de  leur  disposition  ;  qui  fré- 
quentent les  sacrements,  qui  font  leurs  pâ- 
ques,  el  qui  se  perdent  sans  y  faire  aucune 
réflexion.  Voilà,  mes  frères,  ce  qui  regarde 
les  conditions  qui  sont  mauvaises  par  elles- 
mêmes,  ou  que  notre  corruption  a  rendues 
telles  pour  nous  en  particulier;  car  il  faut 
être  dans  les  différentes  conditions  du  monde 
sans  être  du  monde.  On  peut  être  les  sujets 
du  monde  par  son  emploi,  mais  il  ne  faut  pas 
être  les  esclaves  du  monde  par  le  péché  dans 
son  emploi.  Dieu  ne  veut  point  donner  la 
manne  à  son  peuple  qu'il  ne  soit  sorti  de 
l'Egypte  et  qu'il  n'ait  abandonné  cette  terre 
gouvernée  par  Pharaon.  Il  ne  donne  point 
non  plus  son  corps  sacré  à  ceux  qui  sont  sous 
la  domination  du  monde  et  esclaves  des  vo- 
lontés et  des  lois  de  son  ennemi;  il  ne  nour- 
rit que  ses  disciples.  Ainsi,  mes  frères,  soit 
que  vous  soyez  les  esclaves  du  démon  par  les 
péchés  que  vous  commettez  dans  vos  em- 
plois, soit  que  vous  les  soyez  par  la  corrup- 
tion de  votre  cœur  ou  par  le  dérèglement  de 
vos  passions,  il  faut  rompre  ces  commerces 
malheureux  qui  vous  attachent  au  monde 
et  qui  vous  rendent  indignes  de  Jésus- 
Christ. 

Mais,  me  direz-vous,  je  n'ai  rien  à  me  re- 
procher dans  ma  condition,  je  fais  mon  de- 
voir, je  n'ai  rien  à  quitter  à  cet  égard  ;  il  n'en 
est  pas  de  même  pour  mes  habitudes  parti- 
culières. Que  faut-il  faire  pour  rompre  ces 
commerces?  Ne  suflit-il  pas  de  m'en  confesser 
et  d'en  avoir  de  la  douleur?  11  est  vrai  pour- 
tant, et  je  dois  l'avouer,  que  j'ai  déjà  fait 
plusieurs  fois  mes  pâques,  croyant  même  les 
avoir  bien  faites  ;  cependant  je  vois  bien 
qu'il  n'en  est  rien  :  que  dois-je  faire?  et  p  ir 
où  connaîtrai-je  que  ce  commerce  est  rompu 
et  que  je  puis  me  présenter  avec  conûance 
à  la  table  sacrée  pour  y  recevoir  le  corps 
adorable  du  Sauveur? 

Voici  les  règles  que  les  saints  Pères  nous 
ont  prescrites  sur  cette  matière.  Il  faut  dé- 
tester sincèrement  les  œuvres  du  monde;  car 
c'est  la  marque  qu'on  en  a  une  haine  sincère 
et  que  le  cœur  est  loin  du  péché  ;  il  faut  éloi- 
gner toutes  les  occasions  qui  pourraient 
nous  engager  dans  ces  œuvres  et  nous  met- 
tre de  nouveau  dans  les  pratiques  que  vous 
devez  rompre;  il  faut  faire  des  œuvres  con- 
traires à  celles  que  vous  délestez  :  des  au- 
mônes, si  c'est  par  l'avarice  que  vous  étiez 
lié  criminellement  au  monde;  il  faut  prendre 
du  temps  pour  reconnaître  si  vous  êtes  con- 
firmé dans  la  haine  de  votre  commerce  et 
dans  l'amour  des  œuvres  contraires. 

Mais  vous  me  direz  peut-être  :  Voici  Pâ- 
ques, il  faut  communier;  je  n'aurai  pas  le 
temps  de  faire  tout  ce  que  vous  proposez  ici. 
A  cela  je  vous  réponds  :  Employons  de  bonne 
foi  le  temps  d'ici  à  Pâques  à  mettre  ordre  à 


DO.M  JEROME. 


!C8 


nos  affaire*, el  l'on  pourra  avancer  beaucoup. 
11  est  rrai  qu'il   !aut  communier  à  Pâques, 
mais  c'est  suppose  qu'on  en   soit  digne.  Co 
serait  une   terrible  erreur  de  croire  que  l'I.- 
glisi   nous  veuille  obliger  à  faire  d'indignes 
communions.  Remarquez,  mes  frères,  quel 
est  l'esprit  de  l'Eglise  :  elle  a  institué  le  ca- 
rême pour  nous  préparer  à  la  communion  de 
Pâques;    le   concile   de   Trente  re  ommandc 
qu'on  lasse  sa  confession  au  commence—csH 
du  carême,  afin  qu'on  ait  le  temps  de  mettre 
ordre  aux  affaires  de  sa  conscience,  et  qu'on 
ne  s'expose  pas  au  péril  de  recevoir  le  poison 
d'une  communion  précipitée.  Saint  Char! 
le  fidèle  inlcrprètc  du  concile,  ne  voulait  pas 
que  les  prêtres  de  son  diocèse  entendissent 
des  confessions  depuis    le  dimanche  des  Pal- 
me ,  mais   qu'ils   ne  lissent  que  de  simples 
réconciliations,  afin  que,  chacun  ayant  pris 
un  mois  entier  pour  bien  régler  tout  le  fond 
de  si  s  affaires  e!  de  sa  conscience,  ou  fût  en 
état  de  communier  dignement.  Mon  Dieu,  où 
en   sommes-nous   aujourd'hui?  Un  homme 
qui  a  été  un  an  entier  sans  s'approcher  des 
sacrements,  qui  n'a  peut-être  jamais  exa- 
miné par  les  bonnes  régies,  ni  sa  condition, 
ni  son  commerce,  ni  ses  engagements  dans 
le  monde,  ni  le  fond  de.  ses  inclinations,  de 
ses  habitudes  et  de  ses  passions,  cet  homme 
prend  tout  an   plus  une  heure  pour  se  pré- 
parer, et  dans  une  autre  heure  de  ternes  il 
se  confesse,  il  fait  pénitence  el  il  communie. 
Je  vous  avoue  que  cela  fait  trembler.  Ah!  si 
nous  pou\ ions  voir  les  choses  terribles  qui 
se  passent  dans    la  quinzaine   de  Pâques, 
combien  verrions-nous  de  malheureux  qui 
se  donnent  la  mort  en  recevant  l'auteur  de  la 
vie  1    combien  de   sentences   de    damnation 
éternelle  que  Jésus-Christ  rend  contre  ceux 
qui  pensent   l'honorer  exlraordinairemenl  1 
combien  de  passages  inutiles  que  l'arche  fait 
dans  ce  saint   temps    parmi   les  ebréliens  , 
parce  qu'elle  est  environnée  par  des  Phi- 
listins, et  non  pas  par  de  véritables  Israé- 
lites ! 

Nous  sommes  tombés  dans  le  grand  mal- 
heur dont  saini  Augustin  menaçait  les  hom- 
mes :  ils  négligeaient  les  remèdes  de  la  pé- 
nitence el  le  soin  de  se  rétablir  peu  à  peu 
dans  la  vigueur  el  la  santé  de  l'âme;  nous 
faisons  un  jeu  du  péché,  de  la  pénitence  et 
de  la  religion.  Songez-y,  pécheur»,  vous  qui 
vivez  dans  des  commerces  indignes  de  la 
sainteté  du  chrétien,  el  de  qui  les  passions 
déréglées  sont  encore  vivantes  dans  le  cœur, 
reconnaissez  ce  qui  va  vous  arriver  si  vous 
communiez  avant  que  d'avoir  rompu  ces 
commerces,  avant  que  d'avoir  mis  ordre  aux 
affaires  de  votre  conscience,  et  entendez 
l'histoire  funeste  el  déplorable  de  votre  perle 
dans  celle  de  Hallhazar. 

Il  se  fit  apporter  les  vases  d'or  que  sou 
père  avait  tirés  du  temple  de  Jérusalem  : 
voilà  l'idée  de  la  solennité  de  Pâques 
vases  sacres  sont  ouverts  pour  tous  les  chré- 
tiens, et  on  va  leur  distribuer  indifférem- 
ment les  trésors  adorables  qui  y  sont  ren- 
fermés. H  but  dedans,  mais  il  y  but  comme 
uu  roi  superbe,  et  non  pas  comme  un  peut- 


B69 


SERMON  TOUR  LE  DIMANCHE  DE  LA  PASSION. 


570 


tent  humble,  tremblant  et  effrayé,  il  n'y  but 
pas  seul,  ses  concubines  y  burent  avec  lui  : 
c'est  l'image  d'un  malheureux  qui  commu- 
nie avec  ses  passions  dans  le  cœur.  Dans  ce 
moment  de  profanation  une  main  parut  qui 
écrivit  contre  la  muraille  :  voilà  l'arrêt  ef- 
froyable de  ta  condamnation,  profanateur 
du  sang  adorable  de  Jésus-Christ,  écrit  d'une 
manière  invisible  par  ce  même  sang  que  lu 
déshonores.  Le  temps  de  Ion  règne  est 
compté,  et  Dieu  en  détermine  la  fin  ;  il  com- 
ptera tous  tes  autres  péchés,  ce  sacrilège 
mettra  le  sceau  à  ta  réprobation,  et  le  dé- 
mon deviendra  maître  de  ton  cœur  pour 
toujours,  d'une  manière  d'autant  plus  terri- 
ble qu'elle  ne  se  fait  pas  sentir,  et  que,  con- 
tinuant à  vivre  encore  quelques  années 
selon  les  désirs  corrompus  de  ton  cœur,  lu 
ne  reconnaîtras  cette  effroyable  domination 
qu'après  que  Dieu  aura  livré  ton  âme  au 
démon  et  qu'il  t'entraînera  dans  les  enfers. 
Mes  frères,  ces  terribles  effets  de  la  juste  in- 
dignation de  Dieu  s'exécutent  tous  les  jours 
sur  les  hommes.  Songez  donc  à  rompre  des 
commerces  qui  peuvent  les  attirer  sur  vous. 
Que  si  vous  n'êtes  pas  dans  des  commerces 
qu'il  faille  rompre  absolument,  songez  qu'il 
n'y  en  a  guère  qu'il  ne  faille  interrompre 
pour  se  rendre  digne  d'approcher  de  la  com- 
munion. La  manne  ne  tombait  point  dans  le 
camp  d'Israël,  mais  autour  du  camp,  à  cause 
de  la  saleté  du  lieu  :  ce  qui  marque  celle  qui 
se  contracte  dans  la  société  des  hommes, 
qu'il  faut  quitter  pour  un  temps  afin  d'être 
digne  de  recevoir  la  manne  divine. | 

Le  Sauveur  du  monde  avait  pensé  à  se  re- 
poser lorsqu'il  s'était  retiré  dans  le  désert, 
où  le  peuple  l'est  allé  chercher;  cependant  il 
cède  à  la  nécessité  de  ce  peuple,  il  lui  sa- 
crifie son  repos  et  le  temps  destiné  à  la 
prière  :  devoir  des  pasteurs  et  des  bons  mi- 
nistres de  Jésus-Christ  •  mais  dès  qu'il  a  sa- 
tisfait à  ce  devoir,  il  interrompt  ce  commerce 
si  saint,  si  sacré,  si  divin,  si  nécessaire. 
Tout  doit  céder  à  la  nécessité  de  se  prépa- 
rer, el  pour  s'approeber  de  Dieu  il  n'y  a  point 
de  commerce  qu'il  ne  faille  interrompre. 

Ainsi  ce  peuple  de  notre  évangile  quitte 
la  ville,  parce  que,  comme  le  dit  saint  Am- 
broise,  le  pain  de  Dieu  n'est  point  pour  des 
personnes  oisives  et  qui  passent  le  temps 
dans   les   divertissements    des    villes,   mais 

fiour  ceux  qui  cherchent  Jésus-Christ  dans 
c  désert. 

Remarquez,  en  confirmation  de  cette  vé- 
rité, ce  qui  est  dit  dans  la  parabole  du  ban- 
quet au  chapitre  XIV  de  saint  Luc;  toute 
celte  parabole  est  la  figure  de  l'eucharistie. 

Celui  qui  a  acheté  une  terre  n'y  veut  point 
venir,  celui  qui  a  acheté  des  bœufs  s'en  ex- 
cuse, celui  qui  est  marié  refuse  celui  qui  le 
va  convier  :  ce  qui  nous  marque,  selon  les 
Pères,  que  ceux  qui  sont  trop  appliqués  aux 
affaires'  temporelles,  même  justes,  et  trop 
attachés  aux  personnes  qu'ils  doivent  aimer, 
se   forment  des   obstacles  à    la   communion 

fiar  l'excès  de  leurs  soins  cl  de  leur  sensihi- 
i lo ;  et  si  nous  ne   pouvons  pas  dire  qu'ils 
doivent  rompre  ces  commerces  légitimes,  et 


qu'il  faille  qu'un  homme  de  qui  l'exercice  est 
réglé  dans  un  emploi  chrétien,  le  quitte  et 
qu'il  abandonne  une  femme  et  des  enfants 
qu'il  doit  aimer,  je  dis,  mes  frères,  qu'il  n'y 
a  point  de  commerce  dans  le  monde,  ni 
d'exercice  dans  la  société,  ni  d'union  dans  la 
vie  civile  qu'il  ne  faille  interrompre  de 
temps  en  temps  pour  penser  à  soi  et  se  pré- 
parer à  approcher  de  Jésus-Cbri?t;  car  enfin 
on  reçoit  des  plaies  dans  ces  commerces,  et 
il  faut  êlre  sain  et  vigoureux  pour  manger 
le  pain  des  forts.  Si  donc  nous  n'avons  pas 
de  commerces  à  rompre  par  la  miséricorde 
de  Dieu,  nous  avons  au  moins  des  plaies  à 
guérir.  Nous  n'avons  peut-être  point  de  sé- 
paration à  faire,  mais  nous  avons  besoin  de 
pénitence.  Jésus-Christ  guérit  les  malades 
qui  se  trouvèrent  parmi  le  peuple  avant  que 
de  leur  donner  cette  nourriture  miraculeuse, 
et  personne,  dit  saint  Ambroise,  ne  doit  re- 
cevoir le  corps  de  Jésus-Christ  qu'il  ne  soit 
guéri  par  sa  vertu  :  c'est  la  seconde  instruc- 
tion que  nous  lirons  de  notre  évangile,  et  le 
sujet  de  la  seconde  partie. 

SECONDE  PARTIE. 

Je  suppose,  mes  (rès-chers  frères,  que  le 
commerce  du  monde  est  rompu,  c'est-à-dire 
qu'ayant  examiné  l'état  de  vos  affaires,  vos 
habitudes  et  vos  inclinations,  et  qu'ayant  re- 
connu, ou  que  votre  profession  étant  mau- 
vaise, vous  êtes  résolus  de  la  quitter,  ou 
qu'étant  dangereuse  pour  vous,  vous  êtes  ré- 
solus de  prendre  des  mesures  avec  votre 
pasteur  pour  pouvoir  vous  y  régler  de  telle 
sorte  que  vous  puissiez  y  vivre  en  assurance 
et  y  faire  votre  salut,  ou  qu'ayant  vécu  dans 
des  habitudes,  vous  êtes  résolus  de  les  quit- 
ter, ou  enfin  que  vous  n'avez  rien  oublie 
pour  vous  dégager  du  péché  et  pour  rompre 
tout  commerce  qui  puisse  vous  rendre  indi- 
gnes de  la  communion,  et  dans  lequel  vous 
n'auriez  pu  vous  en  approcher  sans  com- 
mettre un  horrible  sacrilège  et  sans  manger 
votre  jugement  :  cela  étant  ainsi,  je  dis  qu'il 
faut  maintenant  que  vous  preniez  soin  de 
vous  guérir,  par  le  remède  de  la  pénitence, 
des  plaies  que  vous  avez  reçues  dans  le  com- 
merce du  monde  que  vous  avez  quitte;  c'est 
la  seconde  instruction  que  nous  devons  tirer 
delà  conduite  que  le  Sauveur  a  gardée  à 
l'égard  du  peuple  de  notre  évangile  :  ils  l'ont 
suivi  à  pied  dans  le  désert,  et  ils  ont  quille 
le  commerce  du  monde  :  11  guérit  les  malades, 
dit  saint  Matthieu. 

Mais  pour  nous  animer  à  celte  pénitence, 
voyons  sur  quoi  est  fondée  la  nécessité  de 
la  faire,  et  ensuite  nous  verrons  en  quoi  elle 
consiste  el  quelle  est  la  manière  de  la  faire 
solidement. 

La  nécessité  de  faire  pénitence  est  fondée 
sur  ce  principe  :  il  faut  être  guéri  pour  re- 
cevoir le  corps  de  Jésus-Christ,  parce  que  ce 
corps  adorable  est  la  nourrilurc  de  notre 
âme  :  or,  comme  on  ne  donne  point  de  nour- 
riture solide  à  un  homme  qui  vient  de  sortir 
d'une  grande  fièvre,  mais  qu'on  attend  qu'il 
ail  été  purgé,  de  peur  d'accabler  la  chaleur 
naturelle  et  d'augmenter  le  mal,  ainsi,  quoi- 


571 


ORATR'RS  SACRES.  I  OM  JrROME. 


qu'un  Irommo  ait  rossé  d'être  pécheur  on  se 
convertissant  i  Dieu,  et  que  par  l'abandon* 

nemenl  des  liaisons  <|ni  le  tenaient  dans  le 
péehéi  il  soit  sorti  dé  l'état  de  mort,  il  n'est 
pas  guéri  pour  cela,  sun  Ame  est  eilrésne- 
nsénl  faible)  H  ai*  restes  d'où  il  est  sorti  par 
la  grâ  e  sont  des  foirante*  qui  ne  se  gnéris- 
Senl  qu'avec  la  temps  et  peu  à  pcii  :  voila  le 
langage  des  saints  l'ères.  Or,  mes  fières,  le 
remède  naturel  de  ces  infirmités,  ('est  la 
pénit'  nce  :  rar  il  faut  bien  se  mettra  dans 
l'esprit  que  comme  la  vie  de  l'âme  c'est  l'a- 
mour rie  Dieu,  la  santé  dp  l'Ame  c'est  la  force 
de  cet  amour  ;  et  je  ne  puis  connaître  qu'une 
unie  est  parfaitement  guétie  que  quand  elle 
me  donne  des  marques  solides  de  son  amour 
pour  Dieu.  Or  c'est  par  l'exercice  de  la  pé- 
nitence qu'on  donne  des  marques  de  cet 
amour;  ('est  en  gémissant  et  en  versant  des 
larmes  qu'un  chrétien  peut  me  faire  connaî- 
tre qu'il  a  du  regret  d'avoir  offensé  Dieu; 
c'est  en  vivant  dans  la  retraite  du  nu  nde  et 
dans  la  privation  des  plaisirs  qu'il  peut  me 
convaincre  qu'il  veut  satisfaire  à  sa  justice  ; 
c'est  en  combattant  ses  passions  qu'il  peut 
me  persuader  qu'il  a  du  tegrel  de  les  avoir 
suivies,  et  qu'il  veut,  en  souffrant  tout  ce 
que  la  pénilem  e  a  de  laborieux,  effarer  ce 
qui  l'a  rendu  si  longtemps  indigne  de  I  amour 
de  son  Dieu  et  digne  de  toute  sa  colère. 

Mais  je  ne  dois  pas  simplement  cioire  ses 
paroles,  il  faut  des  actes  pour  dclruir '  des 
a<  les  ;  il  a  fait  voir  qu'il  était  ennemi  de  Dieu 
par  le  dérèglement  de  sa  vie.  il  faut  qu'il 
fasse  connaître  par  une  conduite  contraire 
qu'il  est  < 'Mangé  et  qu'il  aime  c  <iu'il  a  haï. 
Je  connaîtrai  son  amour  peur  Dieu  par  sa 
pénitence,  car  je  n'ai  point  d'autres  mar- 
ques pour  en  juger. 

Ces  paies  miraculeux  que  !e  Sauveur  dis- 
tribue dans  le  désert  i  e  sont  pas  seulement 
la  figure  de  son  corps,  c'est  encore  et  lie  de 
la  pénitente,  selon  saint  Ami  roise  :  c;  r  il 
faut  remarquer  avec  ce  sain;  docteur  que  le 
Sauve-  •  .  fait  den\  différentes  distribution* 
de  pain  dans  le  désert  :  l'une  dans  laquelle 
le  Sauveur  distribua  cinq  pains  à  cinq  mille 
personnes,  et  l'autre  où  il  en  distribua  sept  à 
quatre  mille. 

Les  cinq  pains  sont  la  tïgnro  de  la  péni- 
tence :  car  remarquez  que  t'étaient  de-  pains 
d'or:  e,  qui  sont  moins  agréables  au  goût  : 
premier  rapport  avec  la  pénitence.  Ces  pains 
servent  de  remèdes  autant  que  d'à  iments  : 
second  rapport  avec  la  pénitence  qui  guérit 
les  plaies  do  l'âme.  11  distrib'  e  aut-.nl  de  ce 
pain  qu'il  y  a  de  peuple,  cinq  à  six  mille 
personnes  :  autre  rapport  dans  la  proportion 
qu'on  doit  mettre  entre  la  pénitence  el  le  pé- 
ché. Dans  l'autre  distribution  que  fait  le  Sau- 
veur, il  donne  du  pain  de  froment,  qui  est 
une  nourriture  plus  solide:  premier  l'apport 
avec  son  sacré  corps,  il  en  donne  et  il  y 
ajoute  des  poissons  sans  aucun  nombre  : 
second  rapport,  Il  communique  la  grâce  avec 
beaucoup  plus  d'abondance.  Il  n'j  a  que 
quatre  mille  personnes  qui  mangent  de  ce 
pain  :  troisième  rapport  a\ec  le  pain  eucha- 
ristique, qui   ne  doit  être  distribué  qu'à  un 


nombre  de  personnes  éprouvée*,  pend  ut 
que  le  pain  de  la  pénitence  se  doit  donner  a 
Ions  ceoi  qi  i  se  présentent. 

I)'  h  saint  Ambroine  conclut  i|ue  chaque 
degré  de  grâce  I  si  nourriture  propre  (tans 
l'ordre  de  D;eu.  On  de  t  4'mboré  no?<«  donnât 
l'orge  de  la  pénitence,  el  puis  le  ft>rr.'tit  dH 
cl  us;  rai  celle  nourriture  n'itl  que  pour  ceux 
<jai  se  sonttjuéiis  tic  leurs  plaies  et  fêttijMê 
pur  lu  pénitence  :  ce  son'  là  les  pr<q 
les  de  saint  Ambroise.  Ces!  pourquoi  I  I  - 
glisc,  toute  remplie  de  l'esprit  de  son  époux, 
n'a  jamais  prétendu  donner  la  participât!  n 
de  son  corps  a  ceux  qui  sont  tombés  dans  les 
pèches  mortels  et  qui  ont  croupi  dan*  l<  v  ha- 
biludi  s  criminel!*  s,  qu'après  les  a\  oir  éprou- 
vée guéris  et  puriliés  par  l'exercice  de  11 
pénitence.  1!  n'y  a  rien  de  si  constant  dans 
sa  discipline  ancienne,  el  de  si  conforme  à 
son  esprit,  qui  ne  peut  changer.  Elle  déter- 
minait le  temps  de  la  pénitence  selon  la  qua- 
lité dis  crime-  :  ceux  qui  étaient  dans  ces 
exercices  prenaient  la  gauche  dans  l'église; 
là,  couverts  de  cilice.  ils  regardaient  les  au- 
tres s'approcher  de  l'autel  du  Seigneur  sans 
qu'ils  en  approchassent;  ils  considéraient 
avec  quelle  frayeur  on  doit  craindre  d'être 
admis  à  l'heure  de  la  mort  à  la  gauche  du 
souverain  Joue,  c'est-à-dire  au  ran<:  des  ré- 
prouvés, pour  (ire  précipités  dans  la  mort 
éternelle,  lorsque  lis  autres  entreront  dans 
la  vie  bienheureuse;  et.  exerçant  Ainsi  Con- 
tre eux-mêmes  celle  espère  de  jugement , 
ils  se  garantissaient  de  celui  dont  Dieu  nous 
menace,  suivant  ce  que  dit  l'Apôtre,  que  si 
nom  vous  jugions  nous-mêmes,  nous  ne  .<<■- 
rions  j  as  jugée  j  ar  le  S'inneur. 

Voilà,  mes  fières,  qi  cl  e  a  été  !a  pratique 
de  l'Eglifté  durait  plusieurs  siècles  :  elle  s'est 
fondée  pour  ce'te  pratique  sur  la  cou  laite 
que  Dieu  garde  lui-même  -or  ceux  qu'il  a 
remis  dans  si  r  m ■••.  en  leur  rendant  l.i  cha- 
lile,  el  qu'il  pu  ilie  en  l'autre  vie  avant  que 
de  les  mettn  en  possession  ce  la  gloire,  sur 
laquelle  ils  ont  droit  p  <r  la  charité  qu'il  h  ur 
a  rendue  ;  car  il  y  a  des  rapports  très-inti- 
mes entre  la  possession  de  Dieu  par  I  i  fi- 
ston dans  la  gloil  e.  <  t  l'union  que  nous  avons 
avec  lui  sur  la  'erre  par  IV  ncharistie,  auxquels 
je  ne  veux  pas  m'arréter.  Je  Tirai  seulement, 
pour  ne  pas  sortir  de  ma  matière  el  pour 
appuyer  solidi  ment  la  pratique  de  la  péni- 
tence dont  je  |  arle,  que  (  omme  il  n'j  I  point 
d  union  plus  intime  avec  Dieu,  après  (elle  de 
la  vision  béaliPq;ie,  que  celle  d  l'euclians- 
tie,  il  faol  que  rous  gartH  us  les  mêmes  me- 
sures à  proportion  pour  non*  \  disposer,  que 
Dieu  observe  à  l'égard  des  jusles  pour  les 
pré|  arei  à  la  vision. 

Or.  mes  frères,  ceux  qu'il  a  rendus  justes 
en  leur  donnant  sou  amour,  et  qui  sortent 
du  monde  avec  celle  qualité  et  le  droit  à  là 
gloire,  n'y  sont  pis  admis  tout  d'un  coup 
ils  sont  puriliés  par  la  justice  de  Dieu  dans  le 

■  itoire,  d'une  manière  qui  surpasse  tou- 
b  s  les  i  lées  !iue  nous  pouvons  nous  en  for* 
mer.  Cependant  il  esl  cerl  in  qu'ils  sont  jus- 
tes :  ils  ont  h  charité,  ils  Ont  souffert  les 
douleurs   de  la   maladie,  ils  ont  accep        | 


573 


SERMON  POUR  LE  MARDI  DE  LA  PASSION. 


574 


mort.  L'Eglise  9ainte  offre  pour  cnv  des  sa- 
crifices, et  la  justice  de  Dieu  les  fait  souffrir 
des  années  entières,  et  d'une  manière  qui 
passe  toutes  nos  expressions,  parce  que  rien 
d'impur  ni  de  souillé  n'entrera  dans  le 
royaume  du  ciel.  Mon  Dieu,  qu'il  faut  de 
pureté  pour  s'unir  à  vous,  pour  s'unir  à  ce- 
lui qui  est  la  pureté  même  et  la  sainteté  par 
excellence! 

Croyez-vous  après  cela,  mes  frères,  qu'on 
soit  dignement  préparé  à  s'unir  à  Dieu,  lors- 
que, après  une  longue  habitude  de  rébellion 
contre  sa  volonté,  une  complaisance  entière 
à  faire  tout  ce  qu'il  regarde  avec  horreur, 
une  application  totale  à  contenter  tous  les 
désirs  corrompus  de  notre  cœur,  malgré  tou- 
tes ses  lois,  on  s'est  contenté  de  dire  qu'on  a 
reprel  d'avoir  ainsi  vécu,  qu'on  veut  vivre 
d'une  autre  manière,  et  que,  pour  satisfaire 
à  sa  justice  pour  les  iniquités  de  tant  d'an- 
nées, on  a  récité  quelque*  prières,  donné  par 
aumône  la  vingtième  partie  de  ce  qu'on  ne 
peut  garder  sans  péché,  et  fait  quelques 
jûnes;  encore  je  ne  sais  si  celte  pénitence 
ne  paraîtra  point  trop  sévère.  Seigneur,  où 
en  sommes-nous  ?  Quelle  idée  avons-nous  de 
votre  grandeur  et  de  la  sainteté  de  vos  mys- 
tères I 

Il  faut  donc  faire  pénitence,  mes  frères  ; 
mais  comment?  La  difficulté  n'est  pas  de 
prescrire  les  règles  ,  mais  de  trouver  des 
gens,  qui  les  veuillent  suivre;  car  tous  les 
saints  Pères  nous  les  enseignent,  et  personne 
ne  se  met  en  devoir  de  les  écouter. 

Voici  donc  ce  qu'il  faut  faire  pour  vous 
disposer  à  recevoir  dignement  le  corps  ado- 
rable de  Jésus-Christ,  et  ne  pas  manger 
votre  jugement  en  pensant  solenniser  la  pâ- 
que  îles  chrétiens. 

Il  faut  commencer  par  un  examen  exact 
de  votre  état,  de  vos  engagements,  de  vos 
habitudes  et  de  vos  passions,  pour  faire  une 
déclaration  fidèle,  sincère  et  non  précipitée 
de  toute  la  disposition  de  votre  âme,  et  des 
plaies  qu'elle  a  reçues  dans  le  commerce  du 
monde  où  vous  vivez.  Il  faut  écouler  avec 
respect  et  avec  humilité  tous  les  conseils  que 
vous  donnera  la  personne  à  qui  vous  vous 
adresserez,  et  que  vous  aurez  choisie  avec 
soin,  pour  lui  exposer  l'état  de  voire  âme.  11 
faut  prendre  des  mesures  avec  elle  pour  ré- 
former, pour  retrancher,  pour  changer  tout 
ce  qu'elle  jugera  nécessaire;  il  faut  en  même 
temps  fccevolf  d'elle  l'ordre  de  votre  péni- 
tence, c'est-à-dire  la  qualité  d,  s  œuvres  pé- 
nibles et  laborieuses,  par  lesquelles  vous 
pouvez  satisfaire  à  la  justice  de  Dieu,  la 
prière,  le  j"ûnc,  l'aumône,  la  visite  des  pau- 
vres, des  hôpitaux,  le  retranchement  des 
plaisirs  permis.  Il  faut  prendre  du  temps 
pour  cette  satisfaction,  selon  la  prudence  de 
la  personne  à  qui  vous  vous  serez  adressés. 
Les  plaies  de  l'âme,  encore  moins  que  celles 
du  corps,  ne  se  guérissent  pas  tout  d'un 
coup  :  il  faut  attendre  que  les  remèdes  né- 
cessaires, qui  ont  besoin  de  temps,  les  aient 
refermées.  Ne  vous  plagiiez  pas,  mes  trô,- 
chers  frères,  ni  de  la  sévérité,  ni  de  la  lon- 
gueur delà  pénitence  :  vous  ne  ferez  rien  au- 


jourd'hui de  ce  qu'on  a  fait  autrefois  pour 
de  moin  1res  péchés  que  ceux  dont  vous  êtes 
coupables  ;  songez  à  la  justice  que  Dieu 
exerce  sur  les  âmes  de  ceux  qui  doivent  le 
posséder,  et  enfin  représentez-vous  que  Dieu 
vous  épargnera  autant  que  vous  ne  vous  se- 
rez primt  épargnés.  Après  cela  vous  pouvez 
approcher  de  la  table  du  Seigneur,  non-seu- 
lement avec  humilité,  mais  avec  confiance, 
et  avec  ces  dispositions  ce  serait  un  grand 
mal  de  n'en  pas  approcher. 

Je  vous  conjure  donc,  mes  frères,  de  vous 
mettre  en  état  de  les  prendre.  Je  vous  y  ai 
exhortés  dès  le  commencement  du  carême; 
si  vous  avez  négligé  de  le  faire,  il  est  encore 
temps  de  commencer;  mais  ne  différez  pas 
davantage.  Ne  faites  pas  cette  communion  d;; 
Pâques  avec  aussi  peu  de  disposition  que 
vous  avez  fait  les  précédentes,  et  avec  aussi 
peu  d'utilité.  Quittez  le  monde  comme  ce 
peuple  de  l'Evangile,  c'est-à-dire  tous  les  en- 
gagements du  monde  qui  sont  contraires  à 
votre  salut  ;  car  aussi  bien  le  monde  vous 
quittera  ;  tout  doit  finir,  et  peut-être  plus  tôt 
que  vous  ne  croyez. 

Guérissez  par  la  pénitence  les  plaies  que 
vous  avez  reçues  dans  le  commerce  du 
monde,  car  il  faut  satisfaire  à  la  justice  de 
Dieu,  et  c'est  un  grand  malheur  de  s'appro- 
cher de  lui  avec  présomption,  quand  on  nous 
fait  connaître  par  les  lois  que  lui-même  nous 
a  prescrites,  et  par  la  conduite  que  les  saints 
Pères  ont  toujours  gardée,  que  nous  devons 
nous  en  retirer. 

Enfin,  n'oubliez  rien  de  tout  ce  que  les 
ministres  du  Seigneur  vous  disent  être  né- 
cessaire pour  vous  mettre  en  état  de  manger 
avec  fruit  le  p:iin  de  la  vie  éternelle,  que  jo 
vous  souhaite.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR  LE   M  AUDI   DE   LA   PASSIO\. 

De  la  nécessité  d'interrompre  le*  affaires  tem- 
porelles pour  penser  à  celles  du  salut. 

Aliiit  .Icmis  Imiis  mare  Galilée. 

Jé>us  s'en  alla  au  tulît  de  la  mer  deGalilée[Joan.t\l,  1). 

Jésus-Christ  avait  eu  dessein  de  se  retirer 
avec  ses  disciples  dans  le  désert  de  Rethsaïdo 
pour  s'y  reposer,  après  avoir  pré  hé  dans 
les  villes  et  les  bourgades  de  la  Galilée,  et 
pour  s'appliquer  à  la  prière  dans  un  lieu 
retiré,  où  il  ne  serait  interrompu  de  per- 
sonne ;  mais  eu  descendant  de  la  barque 
dans  laquelle  ils  avaient  fait  le  trajet  du  lac 
de  Génesarcth,  appelé  mer  de  Galilée,  ils 
trouvèrent  une  grande  multitude  de  peuple 
qui  était  venue  par  terre,  attirée  par  les  mi- 
racles qu'ils  avaient  vu  faire  au  Sauveur  du 
monde.  Il  était  déjà  fort  tard,  et  Jésus-Christ 
ayant  sacrifie  à  leur  instruction  tout  le  jour, 
et  leur  ayant  enseigné  des  \ élites  Irès-ini- 
porianles,  il  fallut  songer  à  les  faire  man- 
ger, car  ils  étaient  venus  sans  provisions,  et 
c'e>l  ce  qui  donna  lieu  au  miracle  rapporté 
dans  cet  éi  angile. 

Je  us,  levant  donc  les  yeu  v  et  voyant  cette 
grand  foule,  car  il  y  avait  ,  lusd  *inq  mille 
pei  sonnes,  dit  à  Philippe  I  Ù  ns-nuHs 

ucheler  assez  de  pain  pour  donner  à  manyer 


578 


à  tout  c  monde?  Quelques  interprètes  pré- 
tendent qu'il  s'adressa  à  eel  apôlre,  comme 
à  celui  qui  se  défiait  davantage  de.  la  Provi- 
dence, afin  de  le  fortifier  en  le  rendant  plus 
altculifau  miracle  qu'il  allait  faire;  en  effet 
il  est  marqué  dans  cet  évangile  q.ie  Jésus  di- 
sait ceci  pour  le  tenter.  Philippe  lui  répon- 
dit :  Quand  on  durait  pour  deux  cents  deniers 
de  pain,  cela  ne  suffirait  pas  pour  en  donner  à 
chacun  un  prtit  morceau. 

André,  frère  de  Simon,  lui  dit  :  Il  y  a  ici 
un  petit  garçon  qui  a  cinq  pains  d'orge  cl  deux 
poissons;  mais  qu'est-ce  que  cela  pour  tant  de 
personnes  '!  Jésus  leur  dit  :  Faites-les  asse  ir. 
Il  prit  les  pains,  et  ayant  rendu  f  races  à 
Dieu,  il  les  fit  distribuer  à  ceux  qui  étaient 
assis,  et  il  leur  donna  de  même  des  deux 
poissons.  Ce  peu  de  pain  et  de  poisson  se 
trouva  suffisant  dans  les  mains  des  apôtres 
qui  les  distribuaient  et  dans  celles  de  ce 
peuple  qui  les  recevait,  et  se  multiplia  par 
la  \ertu  de.  la  bénédiction  que  le  Sauveur  du 
inonde  y  donna. 

Après  qu'ils  furent  rassasiés,  il  dit  à  ses 
disciples  :  Ramassez  les  morceaux  qui  sont 
restés,  afin  que  rien  ne  se  perde.  11  donna  cet 
ordre,  afin  que  la  grandeur  du  miracle  pa- 
rût davantage,  et  qu'on  eût  le  moyen  de  con- 
sidérer, par  les  effets  de  la  vertu  de  celui 
qui  avait  fait  un  si  grand  miracle  en  faveur 
de  ce  peuple,  qu'il  restait  entre  leurs  mains 
plus  de  pain  et  de  poisson  après  les  avoir 
rassasiés,  qu'il  n'y  en  avait  avant  que  per- 
sonne en  mangeât  ;  car  les  ayant  ramassés, 
ils  remplirent  douze  paniers  des  morceaux 
des  cinq  pains  d'orge,  ce  qui  les  frappa  si 
vivement,  qu'ils  dirent  :  C'est  là  vraiment  le 
prophète  qui  doit  venir  dans  le  monde,  c'est- 
à-dire  le  Messie  promis  par  Moïse. 

Mais  Jésus,  sachant  qu'ils  devaient  venir 
le  prendre  et  l'enlever  pour  Le  faire  roi,  alla 
encore  seul  sur  la  montagne,  et  comme  ce 
peuple  n'avait  que  des  vues  temporelles,  et 
qu'il  ne  voulait  honorer  Jésus-Christ  qu'à 
cause  qu'il  leur  était  utile,  il  se  relira;  car  il 
veut  régner  sur  les  cœurs,  et  il  y  veut  ré- 
gner par  amour;  tout  autre  règne  n'a  guère 
de  solidité. 

Le  Sauveur  du  monde  rentre  donc  après 
le  miracle  dans  le  dessein  qu'il  avait  inter- 
rompu. Pour  l'exécuter,  il  se  retire  dans  la 
solitude  pour  vaquer  à  la  prière,  et  par  là 
il  enseigne  à  ses  disciples  la  nécessité  qu'il 
y  a  d'interrompre  le  cours  des  fonctions  les 
plus  saintes,  pour  se  renouveler  l'esprit  de 
temps  en  temps  par  la  prière,  dans  le  repos 
de  la  solitude. 

Mais  si  cette  pratique  est  nécessaire  à  ceux 
qui  ne  sont  occupés  qu'à  des  emplois  tout 
saints,  que  dirons-nous  de  ceux  qui  sont  ab- 
sorbés dans  le  commerce  continuel  des  af- 
faires du  siècle?  C'est  à  ceux-là  que  j'ai  des- 
sein de  parler  dans  ce  discours  :  c'est  ce  genre 
de  personnes  que  je  veux  obliger  à  faire  ré- 
flexion sur  la  conduite  du  Sauveur  du  monde, 
pour  les  porter  à  prendre  des  intervalles  de 
temps  en  temps,  afin  de  penser  à  l'affaire  de 
leur  çalut  et  d'examiner  l'état  de  leur  vie 


ORATEURS  SACHES.  DOM  JEROME.  570 

par  rapport  à  l'éternité.  Voici  donc  tout  mou 
dessein. 

l'établirai  d'ahord  la  nécessité  d'interrom- 
pre le  cours  des  affaires  temporelles  pour 
penser  à  celles  du  salut  :  première  partie; 
je  proposerai  la  manière  de  faire  celle  inter- 
ruption, sans  faire  tort  aux  affaires  tempo- 
relles :  seconde  |  arlie.  Demandons  les  lu- 
mières" du  ciel.  Ave,  Maria. 


PBE1I1EBE    IHHTIE. 

La  conduite  de  Jésus-Christ ,  qui  aban- 
donne le  peuple  qui  le  suivait  en  foule,  et  qui 
se  retire  dans  le  désert  au  lieu  de  poursui- 
vre les  conquêtes  qu'il  pouvait  faire  en  con- 
tinuant ses  leçons  et  ses  miracles  en  faveur 
du  peuple  qui  ét.iil  prêt  à  le  reconuailrc 
pour  roi,  nous  marque,  selon  saint  Crégoire. 
qu'il  ne  f.iut  pas  se  laisser  emporter  au  tor- 
rent des  occupations  les  plus  saintes,  et  que 
les  ministres  de  Jésus-Christ,  qui  sont  appli- 
qués aux  exercices  de  la  charilé  pour  le  pro- 
chain, doivent  faire  de  temps  en  temps  des 
interruptions  dans  ces  emplois  pour  rentrer 
dans  la  retraite,  afin  d'y  rallumer  les  flam- 
mes de  la  charité  et  de  reprendre  un  nou- 
veau feu;  mais  je  n'entreprendrai  pas  ici 
d'instruire  les  ministres  de  Jésus-Christ.  Il 
ne  faut  pas,  dit  encore  saint  Grégoire,  verser 
la  liqueur  de  la  science  dans  un  vase  qui  est 
déjà  tout  rempli.  Ainsi,  mes  frères,  je  m'a- 
dresse à  ceux  qui  sont  enfoncés  dans  les  soins 
du  monde,  aux  chrétiens  qui  passent  toute 
leur  vie  dans  le  commerce  des  affaires  tem- 
porelles, qui  ne  pensent  uniquement  qu'aux 
exercices  de  leurs  charges,  qui  sont  conti- 
nuellement comme  abîmés  dans  les  occupa- 
lions  de  leurs  emplois,  de  leurs  études,  il.' 
leurs  négoces,  et  qui  ne  savent  ce  que  c'est 
que  de  prendre  de  temps  en  temps  des  in- 
tervalles pour  penser  à  l'affaire  de  leur  sa- 
lul,  pour  renlrer  en  eux-mêmes,  pour  exa- 
miner l'état  de  leur  conscience,  enfin  pour  se 
donner  le  loisir  de  respirer  pour  Dieu  et  pour 
eux-mêmes,  par  une  espèce  de  retraite  et  par 
un  relâche  d'affaires  et  d'occupations.  Ah  1 
mes  frères,  qu'il  y  a  peu  de  gens  qui  pensent 
à  en  user  ainsi!  Le  seul  exemple  de  Jésus- 
Christ  est  une  preuve  plus  que  suffisante 
pour  vous  convaincre  de  la  nécessité  de  la 
pratique  que  je  viens  de  vous  exposer;  car, 
outre  que  son  exemple  est  une  leçon,  et  sou- 
vent même  une  loi  pour  nous,  c'csl  que  nous 
devons  conclure  de.  ce  qu'il  a  fait  dans  cette 
occasion  qu'il  y  a  une  grande  obligation  de 
quitter  quelquefois  les  exercices  de  notre 
condition,  et  de  faire  des  interruptions  dans 
nos  emplois;  puisque  le  Fils  de  Dieu  en  fait 
dans  les  siens,  et  que  les  saints  Pères  recom- 
mandent aux  ministres  de  l'Evangile  de  se 
retirer  de  temps  en  temps,  el  d'interrompre 
même  des  exercices  qui  n'ont  pour  principe 
que  la  charité  et  le  salut  des  hommes,  pour 
aller  rallumer  les  Gammes  de  celte  <  harite, 
comme  nous  venons  de  le  dire. 

Mais  pourquoi  cette  leçon  est-elle  faite  par 
les  saints  Pères?  Ce  n'est  pas  assurément  par 
rapport  à  l'emploi  :  l'exercice  est  saint,  il  s'a- 
git  du  salut;  le  motif  est  pur.  c'est  par  cua- 


577 


SERMON  POUR  LE  MARDI  DE  LA  PASSION. 


<a 


rite  ;  les  personnes  mêmes  sont  justes,  ce  sont 
les  plus  saints  ministres  île  Jésus-Christ  à  qui 
saint  Grégoire  parle,  et  il  les  presse  cepen- 
dant par  l'exemple  de  Jésus-Christ  même, 
qui  est  la  souveraine  sainteté.  C'est  donc  par 
rapport  au  lieu  où  l'on  exerce  cet  emploi,  et 
par  rapport  à  ceux  qui  l'exercent  :  le  lieu 
où  on  l'exerce,  c'est  le  monde,  qui  est  un 
lieu  corrompu;  les  hommes  qui  l'exercent, 
quoiqu'ils  soient  justes,  sont  faibles  et  sus- 
ceptibles de  corruption,  leur  sainteté  s'y  af- 
faiblit, comme  la  force  et  la  santé  sont  dimi- 
nuées par  le  mauvais  air  et  par  la  corruption 
qu'on  respire.  11  faut  donc  sortir  de  temps  en 
temps  de  ce  lieu,  quitter  les  exercices  qui 
nous  y  attachent,  pour  nous  purifier  d'une 
part  et  nous  fortifier  de  l'autre.  Voilà  la  rai- 
son que  les  saints  Pères  ont  eue  de  faire  celte 
leçon  aux  ministres  de  Jésus-Christ,  fondés 
sur  l'exemple  de  Jésus-Christ  même. 

Or,  mes  frères,  si  cela  est  ainsi,  que  faut- 
il  conclure  pour  des  hommes  plus  faibles,  en- 
gagés dans  des  commerces  plus  dangereux 
et  dans  un  siècle  plus  corrompu?  Ceux  qui 
travaillent  aux  mines  no  continuent  pas  cet 
exercice  longtemps  :  ils  ne  demeurent  enfer- 
més dans  la  terre  que  pendant  quelques 
heures,  et  ils  viennent  de  tempsen  temps  res- 
pirer un  autre  air,  parce  que  celui  qui  est 
dans  ces  lieux,  élant  corrompu,  les  étouffe- 
rait bientôi;  et  il  me  semble  que  je  vois  en 
cela  l'image  du  monde,  celle  du  commerce 
des  hommes  qui  y  sont  attachés,  et  le  péril 
où  ils  sont  exposés  dans  ce  commerce. 

Et  d'abord,  mes  frères,  ne  vous  paraît-il 
pas  que  le  monde  est  naturellement  repré- 
senté par  les  mines  qui  sont  dans  les  entrail- 
les de  la  terre?  Les  rayons  du  soleil  ne  pu- 
rifient guère  cette  demeure;  et  quoique  ce 
soit  par  un  effet  de  la  malice  de  ceux  qui 
l'habitent,  ils  sont  obligés  d'avouer  que  le 
soleil  d'intelligence  ne  s'est  point  levé  sur 
eux.  Quel  air  respire-t-on  dans  un  lieu  tout 
plongé  dans  le  mal,  selon  le  témoignage  de 
l'Ecriture?  Totus  mundus  in  maligno  posilus 
est;  on  y  voit  des  hommes  esclaves  de  leurs 
passions,  qui  s'engagent  à  travailler  long- 
temps pour  gagner  peu  de  chose,  et  qui  con- 
servent encore  moins  de  temps  le  peu  qu'ils 
ont  gagné.  Semblables  aux  mineurs,  ils  ne 
touchent  que  de  la  terre,  ils  cherchent  de 
l'or  dans  de  la  boue,  et  s'ils  en  trouvent,  c'est 
pour  le  faire  passer  dans  les  mains  des  au- 
tres, qui  ne  sont  que  les  ministres  des  pas- 
sions d'autrui,  en  cherchant  à  contenter  les 
leurs  propres.  Voilà  le  commerce  du  monde  : 
ne  voyez-vous  pas  le  péril  où  s'exposent  ceux 
qui  sont  engagés  dans  ces  commerces?  Dou- 
tez-vous ,  dit  saint  Bernard  ,  que  l'amour  de 
Dieu  ne  soit  pas  en  danger  dans  rengagement 
des  affaires  du  siècle?  Mais  comme  pour  l'or- 
dinaire ceux  qui  travaillent  dans  ces  mines 
ne  vivent  pas  longtemps,  et  sont  même  obli- 
gés pour  conserver  leur  vie,  de  sortir  sou- 
vent de  ces  lieux  et  de  venir  respirer  un  air 
plus  pur,  ainsi,  mes  frères,  il  est  rare  que 
ceux  qui  sont  engagés  dans  les  affaires  du 
siècle  conservent  longtemps  la  vie  intérieure 
de  la  grâce.  Toutes  les  vertus  qui  la  nour- 


rissent sont  affaiblies,  pour  ne  pas  dire  étein- 
tes en  peu  de  temps  par  le  poison  de  certains 
vices  qui  lient  le  commerce  du  monde,  qui  le 
rendent  agréable  et  utile,  ou  même  qui  en 
sont  la  fin.  Car,  pour  reprendre  le  passage  de 
saint  Bernard,  dont  je  ne  viens  que  de  citer 
une  partie,  on  qniite  bientôt  les  exercices  de 
la  religion  et  le  culte  de  Dieu,  quand  on  est 
engagé  dans  de  grandes  affaires.  On  ne  garde 
guère  la  sincérité  et  la  bonne  foi  dans  les  pa- 
roles et  dans  les  traités  qu'on  fait  ensemble. 
La  mortification,  la  tempérance  chrétienne 
et  la  pureté  même  courent  risque  dans  les 
repas  et  dans  les  parties  de  plaisir  que  le 
commerce  du  monde  attire  après  lui.  Qui 
est-ce  qui  conserve  de  l'humilité  dans  une 
grande  fortune,  et  que  devient  la  vie  de  l'âme 
au  milieu  de  tous  ces  poisons? 

Mais,  mes  frères,  laissons  là  les  allégories 
pour  entrer  dans  des  considérations  plus  sen- 
sibles, et  que  nous  sommes  obligés  de  recon- 
naître vraies  par  notre  propre  expérience. 
Je  dis  qu'un  homme  qui  est  engagé  dans  les 
affaires  du  monde,  j'entends  de  bonnes  affai- 
res, des  affaires  honnêtes,  et  non  pas  de  ces 
misérables  affaires  qui  ne  se  font  que  par  la 
ruine  d'autrui  ;  je  dis  un  commerce  honnête, 
un  négoce  réglé,  l'exercice  d'une  charge 
chrétienne  :  cet  homme-là  ,  dis-je  ,  qui  se 
donne  tout  entier  à  ses  affaires,  qui  s'y  abîme, 
qui  ne  pense  qu'à  cela,  n'est  pas  en  voie  de 
salut. 

On  estime  extrêmement  dans  le  monde  un 
homme  occupé  de  son  emploi,  on  l'applaudit, 
c'est  un  homme  qui  fait  bien  son  métier,  et 
ce  sont  même  là  les  plus  honnêtes  gens  du 
monde;  car  il  y  a  quantité  de  fainéants  et  de 
libertins,  qui  ne  font  rien,  cet  homme-là  sera 
l'homme  de  son  métier,  ce  sera  l'homme  do 
sa  charge,  l'homme  de  son  emploi  :  d'accord; 
mais  ce  ne  sera  ni  l'homme  de  Dieu ,  ni 
l'homme  delà  religion,  ni  l'homme  de  son 
salut.  Est-ce  là,  mes  frères,  être  en  grand 
danger?  Remarquez  ce  que  dit  le  Sage  :  Ne 
vous  engagez  pas  dans  une  multiplicité  d'ac- 
tions; car  si  vous  entreprenez  beaucoup  d'af- 
faires, vous  ne  serez  pas  exempt  de  fautes.  Si 
vous  les  suivez  toutes,  vous  ne  pourrez  pas 
y  suffire.  Si  vous  allez  au-devant,  vous  en 
serez  entièrement  accablés;  or  voici  com- 
ment, et  ceci  est  d'expérience.  Cet  homme 
est  exposé  de  vivre  sans  aucune  réflexion 
sur  son  état,  sur  ses  obligations  et  sur  ses 
engagements,  et  il  est  exposé  à  mourir  sans 
aucune  préparation. 

En  premier  lieu  il  est  exposé  à  vivre  sans- 
réflexion.  Notre  âme  est  faible,  est  malade, 
elle  a  besoin  dose  recueillir  au  dedans  d'elle- 
même  et  de  ramasser  toutes  ses  forces  pour 
s'occuper  tout  entière  à  se  connaître  et  à  se 
guérir  :  lors  donc  qu'une  multitude  de  soins 
l'appelle  au  dehors,  elle  perd  aisément  le 
soin  du  dedans.  Elle  veut  peut-être  d'abord 
s'opposera  ce  torrent  qui  l'emporte,  de  peur 
qu'une  trop  grande  dissipation  n'étouffe  en 
elle  le  goût  cl  le  sentiment  qu'elle  avait  de 
Dieu,  mais  les  occupations  et  les  affaires 
se  succédant  les  unes  aux  autres,  elle  se  voit 
comme  forcée  de  s'y   abandonner  entière- 


Il') 


ORATKll;^  BAI  RES.  I)()M  JEROME. 


ment.  Die  s'accoutume  peu  .1  peu  4  celte 
vie  tumultueuse,  et  l'babilode  lait  qu'elle  y 
trouve  quelque  plaisir.  C'est  ainsi  que  l'ime, 

ut  luute  possédée  de  ce  qu'elle  troii  de- 
voir aui  autres,  pi  rd  le  souvenir  de  ce  que 
|)icu  demande  d'elle,  elle  oublie  ce  qu'elle 
est.  par  où  elle  va,  où  elle  tend,  et  faisant 
nécessairement  beaucoup  de  fautes,  parc  i 
qu'elle  ue  veille  pus  mit  elle,  i  lie  n'eu  a  plus 
de  connaissance  ni  de  sentiment.  Entrons 
dans  l<>  détail. 

Un  homme  qui  vit  avec  réflexion  pense  à 
ce  qu'il  est.  11  se  dit,  comme  ce  grand  roi  à 
qui  Dieu  donna  la  sagesse  en  partage  :  Je 
suis  un  homme  morlel,  semblable  a  tous  les 
autres,  né  de  la  race  de  celui  qui  est  sorti  le 
premier  de  la  terre.  Je  suis  sorti  moi-même 
de  celte  terre,  et  j'y  retournerai  ;  car  il  n'y  a 
pour  tous  qu'une  manière  d'entrer  dans  la 
vie  et  qu'une  manière  d'en  sortir.  Que  pro- 
duit cette  réflexion  dans  l'esprit  d'un  homme 
qui  pense  solidement?  lille  l'arrête  dans 
ses  desseins,  elle  donne  des  bornes  à  son  am- 
bition, elle  le  règle  dans  ses  entreprises.  Il 
se  dit  à  lui-même  :  Je  suis  ici  aujourd'hui  et 
je  n'y  serai  peut-être  plus  demain.  Ne  serait- 
ce  pas  une  sottise  à  un  capitaine  de  vouloir 
bâtir  un  château  dans  un  camp  où  il  ne  sera 
peut-être  que  peu  de  jours,  de  vouloir  faire 
des  alliances  dans  un  pays  qu'il  faudra  quit- 
ter dans  une  semaine.  Un  homme  qui  fait 
réflexion  sur  son  être  se  reconnaît  ('ans  ces 
idées;  il  comprend  que  la  terre  est  un  camp 
où  il  ne  doit  demeurer  que  fort  peu,  que  la 
vie  est  un  passage  très-court;  et  un  h. mime 
qui  pense  ainsi  n'entreprend  que  peu  de 
chose. 

Mais  un  homme  qui  est  livré  aux  affaires 
n'a  |  as  le  loisir  de  faire  toutes  ces  réflexions. 
Il  sait  bien  en  général  qu'il  est  mortel,  car 
il  n'y  a  point  d'homme  <lu'  no  'e  sache  ;  mais 
il  n'y  pense  pas.  Ce  cours  d'affaires  qui  l'oc- 
cupe, ce  cercle  autour  duquel  il  tourne  tou- 
jours, celle  succession  de  choses  qui  se  sui- 
vent, ces  projets  et  ces  entreprises  dans  les- 
quels il  s'engage  avec  l'e-pérancc  de  réussis 
dans  un  poiul  de  vue  éloigné,  espérance  fou- 
dée  sur  les  succès  précédents  qu'il  a  eus 
dans  d'autres  affaires,  tout  cela  a  un  ccilan 
air  de  perpétuité  qui  lui  fait  oublier  la  mort; 
et,  semblât  le  à  ceux  qui  sont  dans  la  cham- 
bre d'un  vaisseau  ,  qui  vogue  toujours  sans 
qu'ils  s'i  n  aperçoivent,  parce  qu  ils  \ oient 
toujours  les  mêmes  objets  dans  la  même  si- 
tuation, la  vie  se  passe  pour  lui  sans  qu'il  y 
pense,  le  mouvement  qui  l'emporte  est  pres- 
que imperceptible,  il  vous  \oyez  des  gens 
arrivés  à  soixante  ou  quatre-vingts  ans  qui 
Vous  disent  :  li  ne  me  semble  pas  qu'il 
y  ail  dix  ans  que  je  sois  dans  mon  emploi] 
cl  ils  ne  pensent  pas  qu'ils  sont  près  de 
le  quitter  ,  parce  qu'ils  sont  au  bout  de 
leur  carrière  et  que  la  mort  est  tout  proche 
d'eux. 

Un  homme  qui  vit  avec  réflexion,  non- 
seulement  pense  qu'il  est  chrétien  et  destiné 
pou,  le  c  et,  mais  celle  réflexion  lui  fait  sen- 
tir que  sou  vrai  repos  n'est  pas  ici-bas.  Elle 
lui  luit  regarder  la  terre  comme  un  exil  et  le 


ciel  comme  sa  patrie.  S'il    fait  quelqms  af- 
faires, ce  n'est  pas  dans  la  vue  de  s'établit 
pour  jouir  longtemps  el     ses   pléni  ».  le  de 
son  imu  être,  c'est  seulement  afin  de 
voir,.  \  nécessitée  de  son  pa  II  sait, 

eu  faisant  reflexion   sur   ses    engagemei 
qu'on  p'acquiert  I-  ciel  que  par   les   bonnes 
ouvres.  Il  s'applique  à   leronna  Ire   quelles 
sont  celles   que    l>ieu    demande    de    lui    dans 

son  et  t,  pour  le-  pratiquer,  el  à  dirig  i 
pensées,  ses  actions,  sesaûections,  »es| 

ses  dé  irs,  ses  sentiments,  ses  deo  ,ir>  lie»  vers 
le  ciel  que  nous  attendons,  1 1  la  voie  qui  y 

conduit» 

Quand  on  s'attache  véritablement  à  ces 
v  es,  on  s'efforce  de  plus  en  plus  de  se  pu- 
rifier par  la  pénitence,  de  se  fortifier  par  le» 
sacrements,  el  d'augmenter  eu  vertu  par 
loules  sortes  de  bonnes  œuvres.  Cet  homme 
se  nourrit  par  la  lecture,  il  s'applique  sé- 
rieusement au  culte  que  Dieu  demande  réel- 
lement de  nous,  el  les  pratiques  de  la  reli- 
gion sont  les  principaux  exercices  dans  les- 
quels il  passe  sa  vie,  en  attendant  en  paix  et 
ave.:  tranquillité  le  moment  de  sa  mort.  Ce 
pian  de  la  vie  el  de  la  conduite  don  homme 
qui  vil  avec  reflexion  sur  son  élal  présent 
est  justement  l'idée  de  ce  que  ne  fait  poinl 
un  homme  qui  est  accablé  d'affaires  el  qui 
s'anime  dans  son  emploi. 

Ne  peut-on  pas  dire,  en  voy.ut  un  ici 
homme  app  iqué  aux  affaires  du  monde  el 
aux  choses  de  la  ter.e  avec  uue  assiduité 
et  un  attachement  qui  marquent  son  amour, 
qu'il  a  renoncé  au  cie.  ?  Quelle  idée  en  effet 
cet  homme  peut-il  avoir  de  la  gloire?  Quel 
amour  de  la  félicite  future,  quel.e  impatience 
pour  la  possession  des  biens  éternels  que 
nous  attendons,  sans  laquelle  cependant, 
selon  saint  Augustin,  un  homme  n'est  jamais 
digne  de  la  posséder?  En  veut1,  mes  fret'*, 
où  en  sommes-nous? 

Pendant  que  cet  homme  dont  je  viens  de 
parler  est  continuellement  occupé  de  la  le 
et  du  monde,  qu'il  ne  songe  qu  à  amasser  el 
accumuler  du  bien,  qu'il  ne  pense  qu'à  s'éta- 
blir par  de  uouve. les  cbsrges,  par  de  nou- 
vi  lies  alliances,  par  de  nouveaux  traités,  ast 
homme-là  se  regarde-l-  1  un  seul  moment 
comme  un  étranger  sur  la  terre.'  .Mon  Dieu, 
si  nous  ne  sommes  dignes  de  la  gloire  qu  au- 
tant que  nous  l'aurons  désirée  aidemmeni, 
où  eu  est  cet  homme-la?  Ne  prenez  pourtant 
pas  le  change,  mes  frères,  sur  ce  que  je  dis 
du  désir  d'amasser  du  l  ien,  el  n  allez  pas 
vous  persua  1er  qu'eu  demeurant  simplement 
dans  l'accablement  des  ail  nies,  -ans  est  ar- 
dent désir  d  acquérir  du  bien,  vous  n'êtes 
plus  du  nombre  de  ceux  donl  je  parle;  car 
ce  qui  parait  générosité,  vertu,  cli  .rite, 
grandeur  d  âme,  n'est  souvent  qu'unp  ambi- 
tion cacbee  sous  les  apparences  d'un  desiu- 
léreseenieot  qui  méprise  de  petits  intérêts 
pour  aller  à  île  plus  grands.  Je  n'en  excepte 
pas  même  les  occupations  les  plus  saintes 
par  .me»,   la  solitude  de-   pasi  m-, 

['application  des  prédicateurs,  le  fou  et  la  vi-' 
vacite  pour  les  œuvres  de  ebariiè.  Qu'im- 
porte au  démeu  par  où  il   nous  conduise, 


K81 


SERMON  POUR  LE  MARDI  DE  LA  PASSION. 


582 


pourvu  qu'effectivement  il  nous  fasse  oublier 
Je  principal?  Il  nous  livrera  voiontiers  à 
l'accessoire  le  plus  spécieux,  et  le  plus  appa- 
rent,, pourvu  qu'il  nous  tienne  toujours  par 
un  tilet. 

Oui,  nies  frères,  vous  êles  en  cela  double- 
ment malheureux,  de  perdre  le  ciel  sans  ac- 
quérir la  terre  ;  et  il  y  a  d'autres  intérêts 
aussi  criminels  que  ceu\  qui  vous  lient  au 
mon  lie  et  aux  affaires,  comme  l'amour  de  la 
gloire,  le  désir  de  l'estime,  l'intérêt  do  la  ré- 
putation, l'envie  de  passer  pour  un  homme 
intelligent,  habile,  expérimenté,  capable 
d'accommoder  les  différends;  pour  un  homme 
de  probité  et  ne  s'épargnant  point  dans  les 
exercices  de  sa  charge.  Il  suffit  que  vos  em- 
plois vous  attachent  continuellement  à  la 
terre  et  au  monde,  qu'ils  vous  empêchent  de 
penser  à  vous-mêmes,  à  votre  salut,  et  qu'ils 
vous  détournent  de  faire  réflexion  sur  votre 
état  présent,  pour  vous  mettre  dans  le  dan- 
ger dont  je  parle.  Ne  suflit-il  pas  que  cet  ac- 
cablement vous  empêche  de  f  tire  réflexion 
sur  les  obligations  de  votre  étal  de  chrétien 
et  d'enfant  de  l'Eglise,  qu'il  vous  détourne 
de  la  piatique  des  bonnes  œuvres,  du  culte 
de  Dieu  et  des  exercices  de  la  religion  ?  Rete- 
nez bien  ce  principe  :  Il  n'y  a  ni  utilité,  ni 
gloire,  ni  avantage  d'autrui,  ni  prétexte  de 
charité  qu'il  ne  faille  abandonner  quand  il 
s'agit  cle  noire  salut. 

Or,  quel  est  l'homme  qui,  dans  l'accable- 
ment des  affaire»,  pense  à  s'acquitter  de  ses 
devons?  ou  plutôt  qui  ne  s'en  croit  pas  dis- 
pensé dans  cet  accablement?  Un  homme 
d'affaires  et  qui  est  toujours  occupé  ne  se 
croit  point  obligé  de  visiter  les  pauvres  et 
les  malades  de  sa  paroisse,  d'entrer  dans  les 
compagnies  de  charité  qui  se  font  pour  leur 
soulagement,  et  d'y  contribuer  ou  de  son 
bien  ou  de  son  conseil,  et  ainsi  de  toutes  les 
autres  bonnes  œuvres.  11  ne  se  croit  point 
obligé  d'assister  aux  grandes  messes,  aux 
prônes,  aux  sermons,  aux  oftices  de  I  Eglise. 
Il  s ■■  contente  dans  toute  sa  vie,  pour  satis- 
faire à  ses  obligations,  de  donner  un  quart 
d'heure  dans  une  semaine  pour  accomplir 
extérieurement  un  devoir  de  religion  dont  il 
ne  se  peut  dispenser  sans  nuire  à  sa  réputa- 
tion. Les  prières  réglées,  les  examens  de 
conscience  ,  les  lectures  chrétiennes,  tout 
cela  n'en  est  point.  La  fréquentation  des  sa- 
cre ents  est  fort  rare,  et  je  crains  bien 
qu'elle  ne  soit  encore  plus  criminelle;  car 
on  ne  voit  point  de  changement,  et  on  y 
participe  sans  dessein  de  vouloir  «franger,  et 
sans  envie  même  de  se  laisser  convaincre 
qu'on  le  doit.  Les  jeûnes  de  l'Lglisc,  les 
abstinences  même  sont  traitées  légère- 
ment; on  n'y  songe  que  pour  se  persuader 
qu'on  en  est  dispense.  Que  dirion>-nous  si 
nous  exposions  ici  toutes  les  vertus  chré- 
liennes  dont  nous  avons  donné  il  n'y  a  qu'un 
inomen'.  une  faible  idée?  Que  les  gens  qui 
.sont  engages  dans  les  affaires,  dans  le  né- 
i  oce,  dans  les  charges  publiques,  dans  l'é- 
toile même  la  plus  sainte,  qui  cesse  de  l'être 
pour  eux  aussitôt  qu  elle  les  éétOUrne  de 
ji  ur  salut  cl  qu'elle  les  jette  dans   un  acca- 


blement et  dans  un  embarras  qui  les  em- 
pêche de  songer  à  eux,  me  disent  si  ce  n'est 
pas  leur  vie  que  j'expo-e  ici;  mais  qu'ils  me 
disent  en  même  temps  si  cette  vie  est  c  lie 
d'un  homme  qui  n'a  que  quelques  années  à 
passer  ici-bas,  et  qui,  étant  desti'ié  pour  la 
gloire  par  son  baptême,  se  doi;  regarder 
comme  un  étranger  sur  la  terre,  n'y  vivre 
que  comme  en  passant,  se  purifier  continuel- 
lement par  la  pénitence  des  souillures  qu'il 
y  contracte,  soupirer  incessamment  après  sa 
patrie,  et  acquérir  par  une  multitude  de 
bonnes  œuvres  la  gloire  qu'il  espère  de  pos- 
séder éternellement. 

Apprenez  donc  aujourd'hui,  mes  frères, 
que  c'est  vivre  sans  réflexion  que  d'oublier 
ce  que  le  Seigneur  nous  recommande  dans 
l'Evangile.  Cherchez*  nous  dit-il,  première- 
ment le  royaume  de  Dieu  et  sa  justice,  et  toutes 
choses  vous  seront  données  comme  par  sar- 
croît.  C'est  oublier  Dieu  d'une,  manière  dé- 
plorable que  de  vouloir  chercher  première- 
ment sa  fortune,  sonélablissemeni, sa  gloire, 
sa  satisfaction  dans  l'exercice  des  emplois 
de  la  terre,  et  croire  témérairement  que  le 
royaume  de  Dieu  et  sa  justice  nous  seront 
donnés  comme  par  surcroît.  C'est  vivre  sans 
réflexion  cl  dans  un  aveuglement  pitoyable 
que  de  préférer  les  affaires  du  siècle  et  de 
la  terre  à  la  seule  chose  nécessaire  selon  Jé- 
sus-Christ. Et  qu'arrive-l-il  de  là,  mes  très- 
chers  frères?  c'est  que  ceux  qui  vivent  sans 
aucune  réflexion  meurent  ordinairement 
sans  aucune  préparation  ;  l'un  suit  l'autre, 
et  c'e>t  la  seconde  réflexion  que  nous  vous 
avons  promis  de  vous  exposer. 

En  effet,  mes  frères,  quelle  est,  à  votre 
avis,  la  véritable  préparation  à  la  mort,  dans 
laquelle  doit  être  toujours  un  chrétien  qui 
pense  sérieusement  à  son  salut?  Ce  sera 
Jésus-Christ  lui-même  qui  nous  l'apprendra. 

Que  vos  reins,  dit-il  en  donnant  l'idée  d'un 
serviteur  vigilant  et  fidèle,  soient  ceints; 
c'est-à-dire,  soyez  toujours  disposés  à  faire 
la  volonté  de  Dieu.  Ne  tenez  à  rien  contre 
celte  volonté  et  quittez  tout  pour  l'accom- 
plir. Un  homme  qui  est  abîmé  dans  les  af- 
faires sail-il  seulement  ce  que  Dieu  demande 
de  lui  ?  Connaît-il  sa  volonté?  Veut-il  la  con- 
naître? Knconsulle-l-il  d'autres  que  la  sienne 
propre  ou  celle  de  ceux  avec  qui  il  est  en 
affaires,  soit  pour  les  obliger  de  venir  à  la 
sienne,  ou  pour  régler  la  sienne  sur  la  leur 
quand  il  y  voit  son  avantage? 

Ayez  toujours  dans  vos  mains,  ajoute  Jé- 
sus-Christ, des  lampes  ardentes;  c'esl-à-dire, 
employez-vous  toujours  dans  les  bonnes 
œuvres  ;  qu'elles  soient  comme  des  lampes 
ardentes  dans  vos  mains  pour  vous  conduire 
au  ciel  à  travers  les  ténèbres  du  siècle.  Ne 
les  laissez  jamais  éteindre,  de  peur  qu'il  ne 
faille  partir  dans  ce  moment-là  et  qui;  vous 
ne  soyez  surpris.  Quelles  sont  les  bonnes 
œuvres  des  gens  du  caractère  de  ceux  dont 
nous  parlons  ?  Quel  est  leur  soin  à  s'y  ap- 
pliquer cl  leur  attention  à  en  am  laseri 

Soyez  srmlilnbl'ï,  oit  encore  le  Sauveur  du 
monde,  à  ceux  qui  attendent  r/m  leur  maître 
retourne  des  noces,   afin   <juc   lorsqu'il  sera 


ORATEURS  SACHES.  nOM  JEROMI.. 


. 


venu  et  qu'il  aura  frappé  à  la  porte,  ils  lui 
ouvrant  aussitôt  ;  c'csl-à-dire,  afin  qui',  pré- 
parés sans  cesse  à  lamort,  vous  \iviez  tou- 
jours connue  un  homme  qui  l'alloml,  et  que 
vous  l'acceptiez  sans  peine  quand  elle 
présente.  Oucls  sont  les  chrétiens  qui  pen- 
sent à  toutes  ces  vérités? 

Celte  dernière  disposition  d'un  chrétien 
nous  est  marquée  par  saint  Augustin  dans 
sa  lettre  au  proconsul  d'Afrique.  Si  vous  ne 
rijetcz  point  les  soins  que  mon  affection  me 
presse  de  vous  rendre,  j'espère  que  le  progrès 
que  vous  ferez  dan  <  la  foi  chrétienne  et  di 
un  règlement  de  vie  tel  qu'il  convient  à  un 
homme  dans  la  place  où  vous  êtes,  von*  fera 
attendre,  peut-être  même  avec  impatience,  le 
■jour  qui  achève  de  dissiper  celte  vapeur  pas- 
sagère qu'on  appelle  la  vie  humaine;  et  si  vous 
n'êtes  pas  assez  ferme  pour  l'attendre  avec  as- 
surance, du  moins  raltemlrez-vo  us  sans  ces 
craintes  terribles  auxquelles  on  est  exposé 
quand  on  se  laisse  emporter  à  la  vanité  de 
l'esprit  d'erreur,  dont  on  est  exempt  quand 
on  est  établi  sur  le  fondement  solide  de  la  piété. 

Est-ce  là  de  bonne  foi  la  disposition  d'un 
homme  accablé  d'affaires?  pense-t-il  «à  la 
mort?  l'accepie-t-il  sans  peine  quand  elle  se 
présente?  n'esl-il  pas  toujours  surpris  aux 
moindres  apparences  d'une  mort  prochaine? 
ne  regrettc-l-il  pas  les  moments  d'une  mala- 
die qui  le  détourne  de  ses  affaires  ?  n'y  veut- 
il  pas  songer  jusqu'à  la  fin?  Il  y  a  le  cœur  si 
attaché,  qu'il  ne  peut  rompre  les  chaînes  in- 
visibles qui  le  tiennent  lié  comme  un  es- 
clave. N'aUcnd-il  pas  à  l'extrémité  pour  par- 
ler de  l'affaire  de  son  salut,  qui  est  la  seule 
chose  nécessaire  et  qui  doit  nous  occuper 
toute  notre  vie?  N'est-ce  pas  ce  qu'il  veut 
faire  en  un  quart  d'heure,  et  ce  qu'il  remet 
à  la  fin  de  ses  jours?  Les  affaires  ont  eu  sa 
force,  sa  vigueur,  son  jugement,  ses  plus 
belles  années  ;  et  il  donne  sa  langueur,  sa 
faiblesse,  son  trouble,  ses  rêveries,  et  son  ac- 
cablement à  son  salut.  N'est-ce  pas  là,  mes 
tres-chers  frères,  comme  finissent  la  plupart 
des  hommes  appliqués  aux  affaires  du 
monde?  Ils  vont  paraître  devant  Dieu  avec 
une  confiance  téméraire  fondée  sur  des  sa- 
crements mal  reçus,  sur  quelques  actes  ex- 
térieurs que  la  bouche  aura  prononcés  sans 
la  participation  du  cœur,  et  sur  quelques  au- 
mônes que  la  coutume,  ou  la  nécessité,  ou 
même  l'ostentation  leur  arrache;  et  ils  com- 
mencent, à  l'extrémité  de  leurs  jours,  leur 
enfer  dès  ce  monde,  par  un  désespoir  mal- 
heureux fondé  sur  la  vue  des  désordres  de 
leur  conduite,  et  sur  la  forte  persuasion  que 
le  Dieu  qu'ils  ont  abandonné  durant  toute 
leur  vie  les  abandonne  à  son  tour  au  mo- 
ment de  leur  mort.  Vous  voyez,  mes  frères, 
qu'on  ne  peut  pas  pousser  p:us  loin  le  péril 
qu'il  y  a  de  vivre  dans  l'accablement  des  af- 
faires, et  de  ne  se  donner  pas  le  loisir  de 
penser  à  celles  de  son  salut,  cl  qu'on  ne  peut 
rien  dire  de  plus  vrai  ni  de  plus  certain  que 
ce  que  j'ai  avancé  sur  ce  sujet.  Voyons 
maintenant  de  quelle  manière  DD  homme 
qui  est  engagé  dans  des  emplois  par  sa  con- 


dition peut  te  garantir  de  ce  danger:  c'est 
la  seconde  partie. 

SECONDE    l'AHTIE. 

Les  règles  que  je  vais  vous  proposer  doi- 
vent vous  être  d autant  plus   respectables, 

que  je  les  prends  de  saint  Bernard,  qui  a  été 
le  plus  modéré  de  tous  les  saints  Pères,  i  t  un 
de  ciux  qui  est  entré  [dus  avant,  non-seule- 
ment dans  ces  engagements  de  nécessité  , 
mais  dans  tous  les  devoirs  de  l'honnêteté  et 
de  la  bienséance.  Ajoutez  à  cela  que  les  r  - 
gles  que  je  vais  proposer  sont  du  nombre  de 
celles  que  lui-même  a  prescrites  au  pape  Eu- 
gène, pour  lui  apprendre  la  manière  il 
conduire  dans  l'embarras  des  plus  grai 
et  des  plus  importantes  affaires  du  monde, 
qui  étaient  celles  de  l'Eglise  :  ce  qui  nous  ap- 
prend encore  qu'il  n'y  a  point  d'affaires  ,  de 
quelque  nature  qu'elles  puissent  être,  doat 
on  ne  doive  retrancher  l'excès  quand  il  nous 
détourne  de  notre  saiut.  Or,  mes  frères,  je 
trouve  qu'il  enseigne  deux  choses  à  ce  grand 
pape  qui  avait  été  son  disciple  :  de  ne  pal 
prendre  trop  d'affaires,  et  de  se  rendre  telle- 
ment maître  de  celles  qu'il  prendrait ,  qu'il 
pût  les  interrompre  de  temps  en  temps  pour 
penser  à  lui. 

Ce  premier  avis  de  saint  Bernard  renferme 
une  certaine,  préparation  de  cœur  sans  la- 
quelle l'avis  qu'il  donne  serait  inutile  ,  une 
précision  que  la  tempérance  et  la  modération 
font  faire,  enfin  une  application  que  la  jus- 
tice et  l'ordre  de  Dieu  inspirent.  V  a-t-il  rien 
de  plus  sage  que  ce  premier  avis?  Un  chré- 
tien doit  prendre  des  affaires  avec  modéra- 
tion, il  doit  rejeter  toutes  celles  qui  sont  inu- 
tiles et  superflues,  et  il  se  doit  appliquer  à 
celles  qui  sont  nécessaires  et  inéi  itables  dans 
son  état.  11  y  a  sur  ce  premier  avis  quelques 
réflexions  à  faire  pour  le  bien  entendre  et 
pour  prévenir  toutes  les  difficultés  que  l'on  y 
pourrait  opposer. 

1  Saint  Bernard  veut  qu'un  homme  soit 
modeste  pour  pouvoir  apporter  quelque  mo- 
dération dans  ses  affaires  et  dans  ses  entre- 
prises. En  effet,  il  n'y  a  que  ce  défaut  de 
modestie,  soil  dans  les  vues  d'établissement, 
soil  dans  l'amour  de  la  réputation  et  de  la 
gloire,  qui  empêche  un  homme  de  se  modé- 
rer, et  qui  l'oblige  d'entasser  affaires  sur  af- 
faires et  de  donner  dans  tout  ce  qui  peut  être 
favorable  el  utile  ou  à  la  fortune  ou  à  la 
gloire.  Donnez -moi  un  homme  moleste, 
c'est-à-dire  qui  mcl  des  bornes  à  son  ambi- 
tion, qui  ne  forme  point  de  grandes  idées  de 
fortune,  qui  ne  cherche  point  à  s'établir  sur 
la  lerre,  mais  seulement  à  pourvoir  aux  né- 
cessités de  son  passage  et  de  celui  des  per- 
sonnes dont  il  est  chargé;  donne  z-moi  un 
homme  modeste  qui  ail  son  salut  en  vue  i  t 
qui  préfère  ses  obligations  à  sa  réputation, 
c'est-à-dire  à  ce  fracas  et  à  celle  gloire  du 
monde,  et  il  ne  sera  pas  difficile  de  lui  inspi- 
rer la  modération  que  saint  Bernard  recom- 
mande ;  mais  la  difficulté  c:  t  de  donner  des 
homes  à  l'ambition,  parce  qu'on  la  couvre 
toujours  du  prétexte  de  la   nécessité. 

Voici  l'idée  de  l'engagement  ou  les  affaires 


585 


SERMON  POUR  LE  MARDI  DE  LA  PASSION. 


Î--8G 


jcilent  un  homme  quand  il  no  prend  pas  des 
mesures  de  modération.  N'avez-vous  jamais 
fait  réflexion  à  ces  tourbillons  ,  à  ces  gouf- 
fres, à  ces  tournants  qu'on  voit  dans  des  ri- 
vières? Dès  qu'un  bateau  a  toucbé  les  pre- 
miers cercles  de  ces  gouffres,  il  tourne  avec 
eux,  il  s'engage  de  plus  en  plus,  jusqu'à  ce 
qu'enfin,  après  avoir  tourné  quelque  temps, 
il  se  trouve  englouti ,  et  disparaît  tout  d'un 
coup.  Il  en  est  de  même  des  affaires  du  mon- 
de :  pour  peu  qu'on  y  entre,  elles  vous  atti- 
rent insensiblement;  en  peu  de  temps  on  se 
voit  au  milieu  des  plus  grands  embarras  ,  et, 
après  avoir  tourne  dans  un  cercle  d'affaires 
qui  n'a  point  de  fin,  on  est  tellement  étourdi, 
que,  sans  s'apercevoir  de  son  malheur,  on 
s'abîme  et  on  se  perd  pour  l'éternité. 

2°  Saint  Bernard  dit  encore  au  pape  Eu- 
gène qu'il  doit  rejeter  toutes  les  affaires  su- 
perflues; mais  qu'est-ce  que  ces  affaires  su- 
perflues? car  un  homme  d'affaires  me  dira 
qu'il  n'en  a  point  de  cette  espèce  ,  qu'elles 
lui  sont  toutes  utiles,  qu'il  ne  se  charge  au 
reste  que  de  ce  qu'il  peut  faire  (je  parle  d'un 
homme  d'honneur  et  de  probité  scion  le 
monde)  ;  qu'à  la  vérité  il  est  accablé  et  qu'il 
travaille  beaucoup,  mais  enfin  qu'il  n'y  a  que 
lui  qui  en  souffre.  Qu'est-ce  donc  que  ces 
affaires  superflues?  ce  sont,  mes  frères,  celles 
de  votre  profession  ,  qui  ,  pour  ètro  en  trop 
grand  nombre  ,  deviennent  incompatibles 
avec  l'affaire  de  votre  salut  :  comme  les 
branches  qu'on  élague  sur  un  arbre  sont  su- 
perflues, et  font,  si  on  les  laissait,  que  le 
fruit  est  moins  nourri.  Le  grand  nombre  d'af- 
faires vous  jettent  dans  la  malheureuse  né- 
cessité de  violer  quantité  de  devoirs,  d'en 
négliger  plusieurs  autres,  cl  de  vous  dispen- 
ser de  bien  des  choses  ou  nécessaires  ou  im- 
portantes pour  votre  salut. 

Vous  faites  toutes  les  affaires  dont  vous 
êtes  chargés  ;  vous  ne  manquez  à  rien  qui 
puisse  intéresser  ou  faire  souffrir  qui  que  ce 
soit.  D'accord  ,  mais  pour  y  satisfaire  vous 
vous  vous  dispensez  d'une  infinité  de  choses 
sur  lesquelles  il  y  a  obligation,  que  vous  di- 
tes vous-mêmes  que  vous  voudriez  bien  pou- 
voir faire,  et  vous  vous  ennuyez  en  nous  di- 
sant qu'il  faut  travailler,  qu'il  faut  vivre, 
qu'on  a  une  famille  et  des  liaisons  avec  des 
gens  de  qui  la  fortune  dépend  de  vous,  qui 
vous  importunent  si  vous  ne  les  conteniez 
pas.  Malheureux,  dit  saint  Bernard,  vous  faite; 
les  affaires  d'autrui ,  cl  vous  ne  faites  pas  les 
vôtres! 

La  situation  d'un  vrai  chrétien,  selon  .saint 
Augustin,  demande  que  le  soin  excessif  qu'il 
a  de  .ses  affaires  propres  ne  lui  fasse  pas  ou- 
blier  celles  d'autrui;  mais  vous  êtes  bien 
éloignés  de  ce  principe.  Les  soins  cl  les  in- 
quiétudes que  vos  affaires  vous  donnent  vous 
empêchent  d'un  côlé  de  jouir  de  cette  fortune 
que  vous  établissez,  et  celte  fortune  d'un  au- 
tre côté  est  la  ruine  de  votre  salut.  Ainsi , 
malheureux  de  toutes  parts  ,  vous  vous  ren- 
dez utile  cl  favorable  à  tous  les  autres ,  et 
vous  êtes  cruel  à  vous  seul  pour  le  temps  et 
pour  l'éternité.  Il  faut  donc  de  la  tempérance 
Obatki  r.s  sv<:iij':s.   XXX. 


pour  retrancher  les  affaires  superflues;  car, 
avouez-le,  c'est  la  cupidité  qui  vous  y  engage. 
Donnez  des  bornes  à  votre  avarice  et  à  votre 
ambition,  et  vous  en  donnerez  à  vos  engage- 
ments temporels. 

Appliquez-vous  aux  affaires  nécessaires  , 
c'est-à-dire  dans  un  emploi  chrétien  et  propor- 
tionné à  vos  forces.  Ne  vous  chargez  que  d'un 
nombre  d'affaires  et  d'entreprises  qui  vous 
occupent  sans  vous  accabler.  Votre  fortune 
en  sera  plus  médiocre,  mais  votre  snlut  en 
sera  plus  assuré.  Travaillez  avec  assiduité, 
regardez   votre   travail   comme  votre  péni- 
tence, et  Dieu  vous  bénira.   Faites-vous  un 
devoir  et  une  obligation   de  vous  occuper, 
non  pas  par  le  désir  de  vous  agrandir,  mais 
pour  satisfaire  à  l'ordre  de  Dieu,  qui  veut 
que  l'homme  travaille  pour  vivre.  Mon  Dieu, 
qu'il  serait  beau,  et  qu'un  homme  chrétien 
s'attirerait  de   bénédictions  du   ciel ,  s'il  ne 
travaillait  que   pour  éviter  l'oisiveté,  pour 
faire   pénitence,   pour  établir  modestement 
selon  son  état  ceux  dont  la   Providence  l'a 
chargé,  et  qui  se  rendrait  tellement  maître 
de  ses  occupations,  qu'il  pût  Ses  interrompre 
de  temps  en  temps  pour  penser  à  lui-même! 
C'est  la  seconde  chose  que  saint  Bernard 
enseigne  au  pape  Eugène  :  Vous  êtes,  lui  dit- 
il,  applique  aux  affaires,  von*  travaillez  beau- 
coup ;  rendez-vous  quelquefois  à  vous-même; 
dérobez-vous  à  vos  affaires.  Je  ne  dis  pas  que 
cela  se  fasse  toujours  ;  je  ne  dis  pas  même  que 
cela  se  fasse  souvent;  mais  ne  vous   refusez 
pas  à  vous-même  ce  que  vous  vous  devez,  vous 
qui  vous  accordez  à  tant  d'autres,  et  du  moins 
servez-vous  après  les  avoir  servis.  Il  n'y  a 
rien  de  si  raisonnable  que  ce  conseil.  Je  vou- 
drais donc,  mes  frères,  suivant  cet  avis  do. 
saint  Bernard,  qu'un  homme  d'affaires,  qu'un 
magistrat,  qu'un  juge,  qu'un  homme  d'étu- 
de, qu'un  négociant,  outre  ce  que  je  viens  do 
dire,  outre  le  bon  règlement  d;>  sa  vie  et  l'or- 
dre de  ses  actions  et  de  sa  conduite,  prît  tous 
les  ans  un  nombre  de  jours  pour  examiner 
l'état  des  affaires  de  son  salut;  qu'il  se  reti- 
rât du  monde  pour  faire  une  petite  retraite 
dans  sa  propre  maison  ,  car  je  n'aime  point 
les  choses  d'éclat;  et  que  là,  sous  la  conduite 
d'un  homme  sage  et  éclairé,  il  fît  une  revue 
de  son  année,  pour  reconnaître  l'état  de  sa 
conscience  et  la  disposition  de  son  cœur  et 
de  son  esprit  devant  Dieu.  Dans  cette  retrai- 
te, dit  ce  saint  docteur,  un  homme  prendrait 
des  mesures  pour  faire  pénitence  des  fautes 
qu'il  aurait  reconnues,  pour  augmenter  c>i  lui 
la   charité,   pour  assurer  son  salut  étemel. 
Cela  n'est  pas  si  difficile  qu'on  se  le  persuade. 
Il  y  a  des  gens  de  bien  qui  le  font,  et  après 
tout  il  y  a  peu  de  gens  d'affaires  qui  ne  pren- 
nent des  vacations.  Il  y  a  peu  de  négociants 
qui  ne  fassent  leur  inventaire  tous  les  ans. 
Il  y  a  peu  de  gens  qui  n'aillent  respirer  l'air 
à  la  campagne,  prendre  des  remèdes  pour  la 
santé  et  se  délasser  quelques  jours  ;  et  vous 
qui  faites  tant  de  choses  pour  mourir  un  peu 
plus  tard,  n'en  ferez-vous  donc  jamais  quel- 
ques-unes   pour   ne   mourir  jamais?     Mon 
Dieu!  ne  ferons-nous  rien  pour  noire  salut? 
Serons-nous  toujours  si  abîmés  dans  les  eho- 

19 


• 


OIUTKI  IIS  SACHES.   JiOM  JI'.ltOMh. 


Ml 


ecs  de  la  (erre,  que  nous  ne  penserons  jamais 
an  ciel  1 

Le  l' ils  de  Dieu  interrompt  le  ministère  de 
la  prédication  pour  se  retirer.  Il  n'en  avait 
pas  besoin  assurément,  mais  c'est  un  exem- 
ple qu'il  nous  donne.  Il  nous  avertit  par  celte 
conduite  qu'il  n'y  a  point  d'emploi  sur  la  terre 
où  l'on  ne  contracte  des  souillures,  parce  que 
nous  sommes  en\  irounés  d'hommes  dont  le 
mauvais  exemple  nous  entraîne,  et  que  par 
là  nous  avons  besoin  de  nous  purifier  de 
temps  en  temps  en  suivant  l'exemple  de  Jé- 
sus-Christ. 

Je  viens  de  vous  faire  \oir  la  née  ssité  où 
\  OUI  êtes  d'en  user  ainsi  ;  mais,  6  mon  Dieu  ! 
et  ce  que  vous  ave/  fait  et  ce  que  j'ai  dit  sur 
l'exemple  que  vous  nous  donnez  aujourd'hui 
sera  inutile,  si  vous  ne  nous  accordez  aussi 
votre  grâce  pour  l'accomplir.  Faites  donc,  ô 
mon  Dieu,  ainsi  que  votre  sainte  Eglise  vous 
le  demande,  qu'étant  notre  conducteur  et  no- 
ire quitte,  nous  passions  de  telle  sorte  par  les 
biens  temporels  et  périssable»  ,  que  nous  ne 
perdions  pas  U»  éternels i  (l'est  ce  que  je  vous 
souhaite,  mes  Irès-chers  frères.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POCR  LE  HCRCRGDI   DE  LA   PASSION. 

Crimes  d'une  femme  il  u    monde  dans  Made- 
leine pécheresse. 

Mulior  erat  in  ci  vitale  peccairix. 
Il  t/  avait  dans  ta  ville  une  femme  pécheresse  (Luc.,  VII. 
37).  ' 

Il  me  paraît  fort  inutile  de  rechercher 
quelle  fut  cette  femme  et  quels  furent  les 
crimes  qui  l'onl  fait  distinguer  par  la  qualité 
de  pécheresse.  Comme  l'Evangile  n'en  dit 
rien,  je  crois  que  nous  devons  imiter  son  si- 
lence. Nous  apprenons  simplement  qu'elle 
était  de  mauvaise  vie,  et  je  me  contenterai 
de  vous  faire  voir  que  le  nombre  de  celles 
sur  qui  peut  tomber  un  semblable  reproche, 
au  sens  de  l'Ecriture,  est  beaucoup  plus 
étendu  qu'on  ne  pense;  car  cette  vie  du  monde, 
c'est-à-dire  celle  vie  qui  n'est  point  réglée 
par  les  vues  de  la  foi,  celle  vie  des  sens,  celte 
vie  oiseuse,  molle,  voluptueuse,  enfin  cette 
vie  que  mènent  la  plupart  des  femmes  iiu 
inonde,  fait  dans  le  christianisme  une  mul- 
titude de  pécheresses  plus  criminelles  que 
celle  de  l'Evangile. 

C'est  donc  le  péché  du  monde  que  je  veux 
vous  représenter  dans  ce  discours  :  je  veux 
le  prendre  dans  sa  source,  le  suivre  dans  son 
progrès  et  vous  le  montrer  jusqu'à  sa  con- 
sommation. Je  veux  vous  faire  voir  qu'une 
femme  du  monde  est  une  pécheresse,  aux 
termes  de  l'Ecriture,  parce  qu'elle  esl,  im- 
prudente dans  ses  engagements,  c'est  par  où 
commence  son  péché  :  première  partie  ; 
scandaleuse  dans  sa  conduite  et  dans  ses  pra- 
tiques, c'est  le  progrès  de  son  péché  :  deuxiè- 
me partie  ;  enfin  aveugle  dans  ses  désor- 
dres, c'est  la  consommation  de  son  péché  : 
troisième  partie. 

Mon  Dieu,  ouvrez  les  yeux  de  ceux  qui 
m'écoulent,  afin  qu'ils  connaissent  leurs  pé- 
chés; mais   surtout   touchez    leurs  cœurs , 


aiiu  qu'Us    les  délestent!  Demandons  les  lu- 
mières du  ciel.  Aie,  M  n'a. 

PBI  Mil  RI  l'UlTIK. 

Pour  vous  Caire  entendre  quelle  esl  ma 
pensée  quand  je  dis  que  l'imprudence  dans 
li  s  engagements  est  le  commencement  des  | 
ebés  du  monde  el  la  source  de  tous  ceux  que 
commet  un*'  femme  du  monde,  il  esl  néces- 
saire d'établir  quelques  vérités  qui  vous  dé- 
couvriront ma  pensée,  et  qui  serviront  de 
fondement  aux  preuves  que  je  veux  em- 
ployer pour  l'établir. 

La  première  est  que  nous  n'avons  qu'une 
chose  à  faire  sur  la  terre,  c'est  notre  salui. 
Toutes  les  autres  doivent  céder  à  celle- Li . 
c'est  à  celle  fin  que  doivent  se  rapporter  tous 
nos  mouvements.  La  seconde,  c'est  que  les 
principes  sur  lesquels  nous  réglons  noire 
conduite  dans  notre  état  ont  une  si  étroite 
îiaison  avec  cette  fin,  qu'ils  nous  y  mènent 
ou  nous  en  détournent  infailliblement.  La 
troisième,  c'est  qu'il  n'y  a  rien  de  si  aisé  ni 
de  si  commun  que  de  se  tromper  dans  le 
choix  des  principes  que  l'on  prend  pour  sa 
conduite.  La  quatrième,  qui  esl  une  consé- 
quence des  trois  autres,  c'est  qu'il  n'y  a  rien 
de  plus  imprudent  que  de  prendre  ses  prin- 
cipes au  hasard,  et  de  ne  pas  se  donner  tous 
les  soins  possibles  pour  faire  un  juste  choix 
dans  une  affaire  aussi  importante.  C'est  pré- 
cisément celte  imprudence  que  j'appelle  le 
commencement  du  péché  du  monde,  el  >ui 
est  la  source  de  tous  les  autres  péchés  qu'une 
femme  du  monde  commet  et  qu'elle  fait  com- 
mettre. 

La  plupart  des  chrétiens  sont  dans  l'état 
où  était  le  peuple  de  Dieu,  selon  l'expression 
de  Moïse  dans  son  cantique  :  Gens  absque 
c  nsilio.  Ce  peuple  n'a  poinl  de  sens,  il  n'a 
point  d'intelligence.  C'est  le  reproche  qu'on 
esl  oblige  de  faire  aux  chrétiens  dans  l'af- 
faire de  leur  salit.  La  prière  qu'on  doil  faire 
à  Dieu  pour  eux,  c'est  qu'il  leur  donne  la 
sagesse  qui  les  fasse  entrer  dans  leurs  \<- 
ritables  intérêts,  qui  leur  apprenne  à  pen- 
ser aux  choses  futures,  afin  qu'ils  règlent  le 
présent.  Car,  à  dire  vrai,  l'imprudence  du 
monde  estdéplorable  dans  le  choix  des  prin- 
cipes cl  des  maximes  sur  lesquels  on  se  rè- 
gle pour  se  conduire.  Je  ne  parle  point  ici 
du  tond  de  l'état  et  de  la  condition,  je  sup- 
pose tout  cela  bon  selon  Dieu  ;  mais  je  parle 
des  règles  qu'on  suit  dans  cet  ciat,  el  des 
principes  sur  lesquels  on  agit.  L'état  et  la 
condition  sont  de  Dieu,  et  les  principes  de  la 
conduite  sont  du  monde  :  c'est  la  corruption, 
là  cupidité,  les  passions  qui  les  onl  élafa 
et  nous  voyons  tous  les  jours  des  gens  qui 
sont  dans  une  h.ibiludo  contiuuclle  de  pé- 
eber  et  dans  la  voie  de  perdition,  poursuit  re, 
dans  un  étal  légitime  el  bon  par  lui-même,  de 
faux  principesctdes  règles  malheureuses  qui 
les  jettent  dans  mille  péchés.  Ce  que  j'appelle 
doncl'imprudencedéplorabledi  s  gens  du  mon* 
de,  et  surtout  des  femmes  du  monde,  el  qui 
est  la  source  de  tous  leurs  p<  l'en- 

trer témérairement  dans  des  engagements, 
sans   les  examiner  ci  sjiis  reconnaître  où 


589 


SERMON  POUR  LE  MERCREDI  DE  LA  PASSION. 


590 


l'on  va  en  suivant  le  chemin  que  l'on  prend. 
Souvenez-vous  ici  de  notre  première  vé- 
rité, mes  très-ehers  frères  :  nous  n'avons 
qu'une  seule  affaire,  c'est  d'aller  à  l'éternité 
bienheureuse,  à  laquelle  nous  sommes  ap- 
pelés comme  chrétiens.  Tout  doit  être  rap- 
porté à  celte  fin.  La  grâce  du  baptême  nous 
retire  de  la  mort,  où  nous  étions  ensevelis 
par  le  péché,  elle  nous  rend  la  qualité  d'en- 
fants de  Dieu,  elle  nous  donne  droit  à  la  vie 
méritée  par  Jésus-Christ. 

Le  chrétien  se  trouve  placé  entre  deux 
termes  :  celui  d'où  il  sort,  qui  est  l'abîme  de 
la  mort;  celui  où  il  va,  qui  est  l'abîme  de 
l'éternité  :  sa  vie,  à  proprement  parler,  est 
un  voyage  qu'il  fait  de  l'un  à  l'autre;  c'est 
pourquoi  elle  est  appelée  voie,  et  lui-même 
voyageur.  Il  est  deux  manières  pour  juger  de 
celte  voie  :  la  foi  et  les  sens;  mais  les  sens 
font  bien  plus  d'impression  que  la  foi.  Ce- 
pendant cette  éternité,  qui  est  la  même  dans 
sa  durée,  est  différente  dans  sa  qualité  :  heu- 
reuse d'un  côté,  malheureuse  de  l'autre.  Il  y 
a  deux  chemins  qui  se  présentent  à  ce  voya- 
geur :  l'un  qui  le  conduit  à  l'éternité  bien- 
heureuse, l'autre  qui  le  mène  à  l'éternité 
malheureuse  ;  et  c'est,  mes  frères,  ce  que  j'ai 
établi  dans  ma  seconde  vérité,  que  les  prin- 
cipes sur  lesquels  nous  réglons  notre  con- 
duite nous  mènent  à  notre  un  ou  nous  en 
détournent  infailliblement. 

Les  devoirs  du  chrétien  considéré  comme 
voyageur,  c'est  donc  de  s'informer  de  la 
route  qu'il  doit  tenir,  surtout  s'il  est  vrai  que 
le  chemin  soit  difficile  à  trouver,  qu'on  s'y 
trompe  aisément,  et  qu'il  n'y  ait  rien  de  plus 
commun  que  de  s'égarer.  Or,  mes  frères, 
tout  conspire  pour  que  nous  nous  y  éga- 
rions :  les  sens,  l'exemple,  la  raison  et  l'état 
des  femmps  du  monde  rendent  leurs  écueils 
plus  fréquents  et  leurs  chutes  plus  certaines. 
Le  chemin  qui  nous  égare  est  agréable,  et 
les  sens  nous  invitent  à  le  suivre;  on  y  trouve 
bonne  compagnie,  tout  le  grand  monde  va 
par  là,  et  l'exemple  nous  y  engage.  Ksl-il 
vraisemblable  d'ailleurs  que  tant  d'honnêtes 
gens  s'égarent  et  qu'il  n'y  ait  qu'un  pelit 
nombre  de  sages?  c'est  la  troisième  vérité 
que  nous  avons  établie. 

Oui,  mes  frères,  il  n'y  a  rien  de  si  aise  que 
de  se  tromper  dans  le  choix  de  ces  maximes 
et  de  ces  principes.  Nous  sommes  avertis  au 
reste  de  tous  ces  dangers,  nous  n'ignorons 
pas  que  l'esprit  de  Dieu  nous  a  dit  dans  l'E- 
criture  qu\7  y  a  une  voie  qui  parait  droite  à 
l'homme,  qui  néanmoins  conduit  à  lu  mort. 
Nous  entendons  tous  les  jours  répéter  ces 
paroles  du  Seigneur  :  Qui;  la  porte  de  ta  vie 
est  petite!  que  le  cltemin  qui  >/  mène  est  dirait, 
et  qu'il  y  en  a  peu  qui  le  trouvent!  Nous  ne 
saurions  donc  douter  de  la  difficulté  de  ce 
chemin,  et  au  contraire  de  la  facilité  qu'il  y 
a  de  ?c  tromper  en  prenant  le  mauvais  pour 
le  bon.  C'est  donc  une  imprudence  terrible 
et  déplorable  que  de  s'engager  à  suivre  les 
maximes  qui  règlent  la  vie  des  gens  de  son 
état,  sans  examiner  si  elles  ont  du  rapport  à 
noti.'  In,  >l  si  elles  nous  conduisent  où  nous 
devons  aller;  cependant  rien  de  si  commun 


que  de  voir  entrer  une  femme  dans  des  en- 
gagements, sans  sentir  les  devoirs  qu'elle 
s'impose  par  ce  choix,  sans  même  les  con- 
naître. 

Mais  voici  quelque  chose  de  plus  étrange, 
c'est  qu'en  suivant  ces  voies  que  vous  avez 
embrassées  sans  examen  et  avec  impru- 
dence, vous  n'êtes  pas  en  repos.  Y  êtes-vous, 
en  vivant  dans  l'oisiveté,  dans  la  mollesse, 
dans  la  sensualité,  dans  toutes  les  pratiques 
que  nous  exposerons  dans  la  deuxième  par- 
tie, qui  composent  et  qui  remplissent  toute 
voire  vie?  Non,  vous  ne  sauriez  y  être  ;  quel- 
que soin  que  vous  preniez  d'accommoder 
votre  raison  à  vos  passions,  afin  qu'elle  ap- 
prouve des  maximes  qui  autorisent  votre  con- 
duite, il  y  a  un  certain  fonds  de  lumière  qui 
brille  quelquefois  malgré  vous,  et  qui  trouble 
celte  malheureuse  paix  quand  la  vérité  se 
présente  à  votre  esprit,  Vous  ne  sauriez  lire 
un  livre  de  piété  où  ces  maximes  ne  soient 
condamnées.  Vous  ne  sauriez  assister  à  un 
sermon  où  vous  n'entendiez  parler  contre 
elles.  Si  vous  approuvez  la  conduite  d'un 
homme  de  bien,  vous  prononcez  contre  la 
vôtre.  Pouvez-vons  être  en  repos,  pour  peu 
que  vous  pensiez  qne  l'exemple  des  justes, 
que  les  sentiments  des  saints  Pères,  que  le 
corps  de  la  doctrine,  de  l'Evangile  et  de  la 
religion  dont  vous  faites  profession,  sont 
contraires  aux  principes  que  vous  suivez? 
Si  vous  étiez  parfaitement  en  repos,  sans 
nulle  agitation,  sans  nulle  inquiétude,  ce  se- 
rait le  comble  du  malheur  :  vous  seriez  ab- 
solument endurcis. 

Voilà  des  raisons  suffisantes  pour  vous 
faire  douter  de  la  sûreté  des  maximes  que 
vous  avez  embrassées  :  malgré  cela,  vous  en 
êtes-vous  éclaircis?  Néanmoins  la  chose  le 
mérite  bien.  Si  on  vous  disait  que  vous  êtes 
en  péril  de  tomber  dans  une  maladie  dange- 
reuse, vous  y  songeriez;  et,  sans  sortir  do 
l'idée  que  nous  avons  prise  d'abord,  si  on 
vous  disait  que  vous  vous  égarez  dans  un 
chemin,  fût-ce  une  personne  do  peu  d'auto- 
rité, vous  vous  arrêteriez,  et  vous  enver- 
riez quelqu'un  pour  s'en  informer;  vous  ne 
voudriez  pas  qu'on  marchât  que  vous  ne 
fussiez  assurés  d'aller  bien.  Et  on  vous  dit 
que  vous  allez  vous  perdre,  que  vous  mar- 
chez dans  les  voies  de  la  mort;  c'est  Jésus- 
Christ  lui-même  qui  vous  le  dit  :  vous  n'é- 
coutez point,  vous  vous  irritez  même  quel- 
quefois contre  ceux  qui  vous  le  disent  de  sa 
part;  n'est-ce  pas  la  plus  grande  de  toutes  les 
imprudences  que  d'abandonner  ainsi  l'affaire 
du  monde  non-seulement  la  plus  importante, 
mais  la  seule  qui  doive  nous  occuper,  le 
salut  éternel? 

Mais  enfin  notre  voyage  finit,  où  finit  notre 
vie?  Celle  porte  de  perdition,  comme  l'ap- 
pelle le  Seigneur  dans  l'Evangile,  qui  est  au 
bout  du  chemin  spacieux,  s'ouvre  pour  nous 
faire  entrer  dans  une  éternité  malheureuse, 
et  se  ferme  sur  nous  dès  que  nous  y  sommes 
entrés.  Ce  chemin  ne  se  l'ail  pas  deux  fois  : 
il  faut  d'abord  prendre  le  hon,  ou  se  résoudro 
à  périr  éternellement;  cependant  il  n'y  a  rien 
au  monde  où  l'on  apporte  moins  de  précau- 


OltATEUlS  SACHES.  DOM  JEROME 


lion  et  moins  île  soin  qu'à  bien  faire  ce  choi\. 
On  convient  de  la  nécessité  de  bien  rivre 
pour  élre   heureux   éternellement  ;  on  est 

persuadé  que  la  lionne  \ie  dépend  des  maxi- 
mes dont  on  se  remplit  et  des  principes  qui 
règlent  la  conduite;  on  avoue  que  tout  est 
corrompu,  qne  rien  n'est  plus  difficile  que  de 

démêler  la  vérité  qui  doit  régler  les  mœurs, 
d'avec  mille  mauvaises  maximes  qui  les  cor- 
rompent; et  cependant  une  femme  embrasse 
toutes  celles  que  lui  donnent  les  autres  fem- 
mes de  sa  condition  ;  elle  ne  met  plus  en 
doute  toutes  celles  qu'elle  a  une  fois  embras- 
sées, cl  elle  s'y  attache  avec  une  aussi  grande 
opiniâtreté  que  si  elles  étaient  les  plus  sûres 
et  les  plus  saines. 

Voilà  ce  que  j'appelle  le  premier  désordre 
d'une  femme,  du  monde,  et  la  source  de  tous 
les  péchés  dont  elle  se  rendra  coupable  dans 
la  suite.  Séduite  par  celles  qui  l'ont  précé- 
dée, elle  séduira  celles  qui  la  suivent,  et 
celle  précipitation  qui  l'a  rendue  très-cri- 
minelle par  son  imprudence,  la  jette  dans 
des  pratiques  qui  la  rendront  un  objet  de 
scandale  :  c'est  le  progrès  de  son  péché,  et 
le  sujet  du  deuxième  point. 

DEUXIÈME    PARTIE. 

Je  ne  puis  entrer  plus  naturellement  dans 
la  deuxième  partie  de  mon  discours,  que  par 
une  des  visions  que  l'on  trouve  dans  le  pro- 
phète Zacharie  :  elle  représente  au  naturel 
les  péchés  d'une  femme  du  monde  qui  s'est 
engagée  imprudemment  dans  des  maximes 
pernicieuses,  et  qui  entre  dans  le  monde 
pour  y  vivre  selon  ces  maximes. 

11  est  dit  que  le  prophète  vit  un  vase  au 
milieu  duquel  une  femme  était  assise,  et  que 
l'ange  jeta  la  femme  au  fond  du  vase  et  en 
ferma  l'entrée  avec  une  masse  de  plomb.  En- 
suile  il  parut  deux  femmes  :  le  vent  soufflait 
dans  leurs  ailes,  et  elles  élevèrent  le  vase 
onlre  le  ciel  et  la  lerre;  elles  le  portèrent  à 
Bahylonc,  et  c'est  là  qu'il  fui  place  el  affermi 
sur  sa  base.  Il  faut  maintenant  entrer  dans 
le  sens  de  cette  vision. 

Celte  femme  assise  au  milieu  du  vase  est 
la  figure  de  celles  dont  nous  venons  de  par- 
ler, qui  se  reposent  sur  les  fausses  maximes 
dont  elles  sont  remplies,  et  qui  sont  résolues 
de  n'en  point  suivre  d'autres.  L'ange  jette 
celle  femme  au  fond  du  vase  et  il  eu  ferme 
l'entrée  avec  une  masse  de  plomb,  pour  mar- 
quer que  Dieu  livre  les  femmes  du  monde 
aux  désirs  de  leurs  cœurs,  el  qu'il  les  laisse 
tomber  dans  le  précipice  où  elles  se  jettent 
volontairement.  Ensuite  il  sort  deux  femmes 
de  ce  vase,  où  d'abord  il  n'en  avait  paru 
qu'une  ;  c'est-à-dire  que  celte  femme  se  mul- 
tiplie en  quelque  façon,  et  que,  ne  se  con- 
tentant pas  d'être  remplie  des  pernicieuses 
maximes  qui  la  conduisent  à  l'impiété,  elle 
veut  les  inspirer  aux  autres  :  Corrumpcrc  et 
corrumpi  sœculum  est.  Le  venl  souffle  dans 
leurs  ailes,  elles  élèvent  le  vase  entre  le  ciel 
et  la  lerre;  elles  le  portent  à  Babylone,  et 
c'est  là  qu'il  est  placé  el  affermi  sur  la  base  : 
ce  qui  marque  les  applaudissements  que  le 
monde  donne  à  celles  qui  veulent  vivre  selon 


ces  maximes  ;  le  fracas  qu'elles  font  parmi 
ceux  qui  suivent  les  mêmes  sentiments,  cl  les 
funestes  succès  d'un  commerce  où  elles  se 
perdent  el  où  elles  donnent  aux  autres  le 
moyen  de  se  perdre  avec  elles,  par  le  sean- 
dale  dont  ellc>  sonl  cause;  car  \oici  ce  que 
c'est  que  le  scandale  dans  le  sens  ou  je  le 
prends  ici.  C'est  l'effet  pernicieux  d'une  con- 
duite qui,  étant  mauvaise  par  elle-même, 
sert  aux  autres  ou  de  prétexte  pour  conti- 
nuer le  mal  qu'ils  font,  ou  d'attrait  pour  en- 
trer dans  celui  qu'ils  ne  faisaient  pas;  el 
c'est  dans  ce  sens  que  les  Pères  ont  dit  de  la 
pécheresse  de  1  Evangile  qu'elle  n'était  pas 
.seulement  pécheresse  à  raison  de  sa  mau- 
vaise conduit*!,  mais  qu'elle  était  devenue 
comme  le  péché  de  toute  la  ville,  à  raison  du 
scandale  dont  celte  conduite  était  la  cause  : 
et  voilà  ce  qu'on  doit  dire  naturellement  des 
femmes  du  inonde  donl  la  mauvaise  conduite 
est  un  scandale  pour  les  autres. 

Quand  je  veux  donc  me  former,  sur  les 
expressions  des  Pères  ,  une  idée  de  celle 
pécheresse  de  l'Evangile,  et  d'une  femme  du 
monde  sur  celle  de  celle  pécheresse,  j'ima- 
gine une  femme  toute  remplie  des  maximes 
du  monde,  qui  l'aime  et  qui  en  veut  è're 
aimée;  qui  attire  des  gens  chez  elle  et  qui 
veut  en  avoir  absolument;  qui  pour  cela 
donne  dans  sa  maison  une  honnête  liberté 
qui  en  bannit  la  contrainte  et  la  gène,  qui  se 
donne  pour  plaire  par  tout  ce  que  la  vanité 
peut  inspirer,  soil  dans  sa  personne,  par  les 
ajustements,  soit  dans  sa  maison,  par  la  ma- 
gnificence, soit  dans  ses  manières,  par  la 
complaisance;  car  c'est  chez  elle  que  s'as- 
semblent lous  ceux  qui  aiment  la  joie,  la 
liberté  et  le  plaisir.  Or,  mes  frères,  ces  per- 
sonnes-là qui  tiennent  leurs  maisons  ouvertes 
aux  compagnies  et  aux  assemblées  sont  dé- 
crites naturellement  dans  l'idée  que  les  Pères 
nous  donnent  de  la  pécheresse  de  l'Evangile. 
Elles  sont  pécheresses  par  la  vie  qu'elles 
mènent,  tout  opposée  à  l'esprit  de  l'Evan- 
gile et  aux  obligations  du  christianisme,  et 
encore  par  le  péché  de  toute  une  ville,  par  le 
scandale  qu'elles  donnent  aux  autres  et  par 
les  occasions  qu'elles  fournissent  aux  pé- 
chés d'aulrui. 

Entrons  un  peu  dans  le  détail  de  celte  vie 
et  des  occupations  qui  la  remplissent,  et 
nous  verrons  si  elle  n'est  pas  mauvaise  en 
so;  et  pernicieuse  pour  les  autres.  C'est  dans 
ces  maisons  où  des  femmes  qui  font  profes- 
sion de  passer  toute  leur  vie  sans  emploi, 
sans  occupation  sérieuse,  fournissent  de  quoi 
occuper  la  criminelle  oisiveté  de  ceux  qui  se 
font  un  métier  de  ne  rien  faire. 

C'est  là  où  pour  s'occuper  on  passe  le. 
temps  dans  des  conversations  je  ne  dis  pas 
inutiles,  car  on  n'en  demeure  pas  là,  mais 
où  la  charité  est  déchirée  par  les  médisances. 
On  y  déshonore  la  vertu  par  les  railleries  et 
le  mépris;  on  y  justifie  les  passions  en  leur 
donnant  le  nom  de  vérins;  on  applaudit  aux 
péchés  qu'on  autorise  par  l'exemple,  et  dont 
on  oie  l'horreur  en  ne  les  montrant  que  du 
cote  du  rang  et  de  la  grandeur  de  ceux  qui 
les  commettent:  on  affaiblit  l'idée  de  la  reli- 


593 


SERMON  POUR  LE  MERCREDI  DE  LA  PASSION. 


594 


gion  par  les  manières  dont  on  parle  de  ses 
vérités  et  de  ses  mystères;  on  débile  mille 
maximes  qui  effacent  toutes  les  impressions 
qu'a  pu  faire  dans  l'âme  une  éducation  chré- 
tienne, qui  mettent  l'amour  du  monde  dans 
le  cœur,  qui  excitent  toutes  les  passions  et 
qui  ouvrent  l'entrée  à  toutes  sortes  de  dé- 
sordres ;  car  l'oisiveté  que  nous  donnent  uno 
certaine  indolence,  un  certain  repos,  une 
inaction  dans  laquelle  on  travaille  sans  rien 
faire,  est  un  principe  des  plus  agissants  dans 
l'ouvrage  malheureux  de  la  corruption  des 
mœurs.  Voilà  la  première  occupation  d'une 
femme  du  monde. 

Le  jeu  est  la  seconde:  car  comme  il  lie  les 
conversations,  il  sert  à  remplir  une  partie 
du  temps  de  ceux  qui  le  passent  à  ne  rien 
faire.  Cet  exercice  de  la  vie  du  monde  a  de 
commun  avec  le  premier  la  perte  du  temps 
qui  ne  doit  pas  passer  pour  peu  de  chose 
dans  l'esprit  d'un  chrétien  ;  mais  quand  il  est 
considérable  et  que  l'on  risque  beaucoup 
d'argent,  voici  ce  qu'il  a  de  particulier:  le 
gain  qu'on  y  peut  faire  est  fort  douteux  ;  les 
pertes  qu'on  y  fait  sont  certaines. 

Le  gain  qu'on  y  peut  faire  est  fort  douteux, 
car  comment  s'imaginer  que  le  jeu  soit  une 
voie  légitime  d'acquérir  du  bien  pour  un 
chrétien,  après  le  jugement  que  Dieu  a  rendu 
sur  lui  à  cause  de  son  péché:  Vous  mangerez 
votre  pain  à  la  sueur  de  votre  visage?  11  faut 
qu'il  travaille,  et  non  pas  qu'il  joue.  Oui,  mes 
frères,  nous  ne  connaissons  pas  l'état  d'un 
chrétien,  ni  les  obligations  d'un  homme  ra- 
cheté du  péché  par  Jésus-Christ,  et  rendu 
esclave  de  Injustice,  comme  parle  saint  Paul. 

Les  pertes  qu'on  y  fait  sont  fort  certaines; 
en  effet,  en  jouant  gros  jeu,  l'argent  que 
vous  y  exposez  n'est  point  à  vous,  si  nous 
parlons  sur  les  principes  du  christianisme. 
Si  c'est  votre  nécessaire,  il  est  à  votre  fa- 
mille; si  c'est  votre  superflu,  il  est  aux  pau- 
vres. 

Mais  considérez  celte  injustice  de  plus  près 
par  l'examen  de  la  qualité  des  gens  qui 
jouent,  elle  vous  paraîtra  plus  sensible.  Cet 
homme  qui  joue  ôle  à  sa  famille  ce  qu'il 
porte  au  jeu;  il  dissipe  le  plus  liquide  de  son 
bien,  il  abandonne  ses  affaires,  il  laisse  des 
enfants  sans  emploi,  des  filles  sans  parti,  des 
domestiques  sans  gages;  ses  créanciers  souf- 
frent, sa  maison  périt  et  s'abîme.  C'est  une 
femme  qui  joue  contre  le  gré  de  son  mari; 
elle  le  vole  pour  soutenir  ses  parties.  C'est 
unedissimulalion  perpétuelle  pour  sccachcr; 
elle  abandonne  sa  maison  et  tous  les  soins 
de  son  domestique;  sa  conduite  est  un  dérè- 
glement déplorable,  ses  perles  la  portent  à 
des  extrémités  dont  on  a  des  exemples  et 
qu'on  ne  connaît  que  trop.  C'est  un  jeune 
nomme  à  qui  I*  jeu  fait  perdre  sa  fortune, 
qui  néglige  mille  occasions  de  s'avancer,  qui 
abandonne  ses  occupations,  qui  perd  sa  ré- 
putation (  t  qui  se  rend  incapable  de  tout 
emploi.  Il  s'engage,  il  emprunte,  il  se  ruine; 
et  quand  on  pense  à  le  placer  sur  le  pied  île 
ce  qu'on  lui  destine,  on  lui  trouve,  des  délies 
qui  absorbent  son  liien;  il  est  perdu:  de  là  le 
désespoir  et  les  suites  funestes  que  nous  ne 


voyons  que  trop  souvent.  Examinez  bien  ce 
que  je  dis  ici  et  vous  verrez  encore  l'injustice 
du  jeu  par  rapport  à  la  qualité  des  gens  qui 
jouent.  D'ailleurs,  qui  peut  ignorer  les  trans- 
ports, la  fureur  de  la  plupart  des  joueurs? 
Les  blasphèmes,  les  imprécations,  les  extra- 
vagances où  on  les  voit  quand  ils  perdent? 
Ils  n'ont  souvent  de  respect  ni  pour  le  sexe, 
ni  pour  la  qualité;  ou  s'ils  se  font  violence 
devant  vous,  ils  retournent  clicz  eux  comme 
des  enragés,  lisse  mettent  au  lit  dans  la  fu- 
reur, ayant  fait  souffrir  tous  ceux  qui  les  ap- 
prochent. Ils  se  lèvent  avec  les  mêmes  dispo^ 
sitions,  ils  recommencent  les  mêmes  exer- 
cices, ils  passent  ainsi  leur  vie  et  la  finissent 
de  même. 

Mais  on  joue  chez  moi,  me  direz-vous, 
une  fois  la  semaine,  et  petit  jeu,  entre  hon- 
nêtes gens,  bien  choisis,  qu'on  connaît,  et 
cela  ne  dure  pas  longtemps.  On  me  dira 
même  que  ce  qui  se  perd  au  jeu  se  ramasse 
pour  les  pauvres;  car  il  y  a  de  prétendues 
dévotes  qui  jouent  tout  autant  que  les  au- 
tres, et  qui  croient  que  c'est  un  privilège  de 
leur  prétendue  dévotion  de  le  pouvoir  faire 
innocemment.  A  cela  je  réponds  que  le  de- 
gré du  péché  vient  de  l'attachement,  que  cet 
attachement  se  connaît  par  l'espèce  de  né- 
cessité que  l'on  s'est  imposée,  et  par  l'ennui 
où  l'on  se  trouve  quand  on  manque  à  faire 
sa  partie,  et  qu'une  femme  chrétienne  doit 
non-seulement  éviter  le  péché,  mais  l'occa- 
sion du  péché.  Elle  doit  s'écarter  de  tout  ce 
qu'elle  ne  peut  rapporter  à  la  gloire  de  Dieu, 
de  tout  ce  qu'elle  ne  peut  pas  faire  pour  son 
amour,  et  en  un  mot  de  tout  ce  qui  n'entre 
pas  dans  l'ordre  de  sa  sanclifiealion.  Vou- 
driez-vous  mourir  avec  l'amour  du  jeu?  cela 
paraîtrait  funeste.  Ne  vivez  donc  pas  en  vous 
y  portant  avec  un  certain  plaisir;  vous  pou- 
vez mourir  à  tout  moment,  cl  vous  mourrez 
comme  vous  avez  vécu,  avec  l'amour  de  ce 
que  vous  avez  aimé.  Amusez-vous,  servez- 
vous  des  plaisirs  permis,  pour  vous  délasser 
du  travail,  ou  pour  y  retourner  avec  plus  de 
vivacité;  mais  ne  vous  livrez  jamais  au  plai- 
sir, quelque  légitime  qu'il  soit  en  lui-même. 
Toutes  nos  actions  doivent  être  des  prières 
et  des  actions  de  grâces,  digues  d'être  offer- 
tes à  Dieu  par  Jésus-Christ:  Semper  et  in 
omnibus  gratias  agent,  s  Deo  et  Patri  per  ip- 
sum.  Peut-on  offrir  à  Dieu  par  Jésus-Christ 
un  jeu  vers  lequel  le  cœur  se  porte  avec  ar- 
deur? 

}  De  plus,  ce  qu'on  fait  chez  vous  une  fois 
la  semaine,  vous  le  faites  le  lendemain  chez 
un  autre;  ainsi,  le  cercle  tournant  toute  la 
semaine,  la  vie  se  passe  de  celle  manière,  et 
vous  contribuez    à   soutenir    ce    commerce 

i  d'inutilité  el  d'oisiveté. 

Et  vous  qui  êtes  dévotes,  et  même  dans 
les  grands  principes,  comment  accommodez- 
"vous  la  fréquentation  des  sacrements  avec 
ce  commerce  d'assemblées,  de  conversations, 
de  plaisirs?  comment  la  nécessité  de  prier, 
d'être  re.  uei  lies,  de  dégager  son  cœurde  l'a- 
mour du  monde,  des  créatures,  de  soi-même, 
de  pleurer  ses  fautes  et  de    se  purifier   par 

,  |a  mortification,  pour  approcher  souvent  de 


m 


OHATLLRS  SACRES.  bOM  JEROME. 


m 


Jésus-ChrisJ  et  se  rendre  digne  de  le  rece- 
voir, comment  tout  cela  peut-il  s'allier  a >  <•<• 
votre  conduite?  Mais  quand  on  est  prévenu 
des  maximes  du  monde,  qu'on  a  pris  mu 
parti,  que  l'ange  a  jeté  la  femme  au  fond  du 
vase,  qu'on  se  trouve  par  son  genre  de  vie 
dans  une  oisiveté  à  ne  savoir  que  faire  et  à 
chercher  d'avance,  quand  on  joue,  quelque 
OCCapation  qui  désennuie  quand  on  nejouera 
plus,  on  n'a  garde  de  chasser  ceux  qui  ser- 
vent à  prévenir  cet  ennui  et  à  remplir  ce 
vide  ;  on  a  besoin  d'eux  pour  passer  des  par- 
ties du  jeu  à  celles  du   plaisir. 

C'est  une  troisième  occupât  ion  d'une  femme 
du  monde,  une  autre  source  de  désordre  et 
une  autre  matière  de  scandale.  Car  qui  peut 
douter  que  les  danses,  les  bals,  les  specta- 
cles, les  comédies  ne  soient  des  divertisse- 
ments malheureux  qu'un  chrétien  ne  peut  ni 
prendre  ni  conseiller?  Cependant  ce  sont  les 
divertissements  ordinaires  des  gens  vains,  oi- 
sifs et  attachés  au  monde.  Il  ne  faut  qu'une 
femme  pour  y  engager  toute  la  compagnie 
qu'elle  aura  chez  elle;  c'est  la  partie  qu'on 
fait  pour  unir  la  conversation  et  gagner  le 
soir,  où  le  jeu  et  la  bonne  chère  doivent  être 
ouverts. 

Si  quelqu'un  semble  regarder  ces  divertis 
sements  comme  suspects  et  faire  quelque 
difficulté  de  les  prendre,  on  traite  celte  déli- 
catesse de  bagatelle  et  de  scrupule.  On  pré- 
tend que  le  théâtre  est  une  école,  et  qu'il  faut 
y  aller  pour  s'instruire.  Ainsi  on  ne  se  con-' 
tenle  pas  de  se  perdre,  on  veut  encore  per- 
dre les  autres  avec  soi  ;  car  on  se  rend  les- 
ponsable  devant  Dieu  du  cours  qu'on  donne 
à  dos  divertissements  que  les  saints  Pères  ont 
toujours  regardés  comme  des  sources  em- 
poisonnées, propres  à  tuer  les  âmes,  ci  qui 
doivent  être  l'objet  de  l'horreur  d'un  chré- 
tien qui  pense  à  son  salut. 

On  se  rend  responsable  de  tous  les  maux 
qui  arrivent  dans  l'usage  de  ces  divertisse-  j 
ments,  où  le  spectacle,  les  sujets,  la  musique,  i 
la  danse,  l'assemblée,  la  liberté  de  voir  et 
d'être  vue,  celle  de  se  parler,  l'ouverture 
que  le  lieu  et  les  choses  qui  s'y  passent  don- 
nent à  parler  de  tout,  causent  des  ravages, 
terribles,  et  les  suitesdecclte  viesont  effroya- 
bles. Les  horribles  emportements  de  Sodome 
n'ont  pas  commencé  par  de  plus  grands  dé^ 
sordres  ;  et  lorsque  le  prophète  Ezéchiel  en 
fait  l'histoire,  il  nous  dit  :  Ecce  hœc  fuit  ini- 
quités Sodotmv  :  Voici  les  sources  de  l'ini- 
quité de  ces  peuples  de  Sodome:  Superbia, 
l'amour  de  soi-même,  la  magnificence  dans 
lesmeubles  et  dans  les  habits,  le  luxe,  le  faste, 
l'orgueil.  Suturitas  punis  et  abundantia,  la 
nonne  chère,  la  joie,  la  prospérité  tempo- 
relle. Otium,  l'oisiveté,  la  dureté  envers  les 
pauvres  et  la  négligence  à  se  servir  des 
moyens  que  Dieu  donne  aux  riches  d'apaiser 
sa  colère  par  l'aumône  et  de  racheter  leurs 
péchés  par  la  miséricorde.  Blevatm  stmf  et 
l'ecerunt  abominntiones  coram  me  :  1. 'orgueil 
les  a  élevés  et  ils  sont  tombés  dans  les  abo- 
minations qui  m'ont  obligé  de  les  confondre 
et  de  les  anéantir.  Y  a-t-i I  rien  dans  tout  cela 
qui  ne  convienne  avec  les  pratiques   de   la 


\  le  d'une  femme  du  monde  que  nous  venons 
d'expirer?  Aussi,  mes  frères,  faut-il  remar- 
quer que  l'ange  dit  à  Zarharic  que  cette 
femme  qui  était  assise  au  milieu  Mu 
dont  nous  avon>  parlé  dans  la  vision  date 
prophète  que  nous  avons  expliquée,  était 
l'impiété  :  Une  est  ini  ,uitns,  c'est  à-dire  que 
les  maximes  qui  réglaient  sa  conduite  et 
qu'elle  inspirait  aux  i  Ulreu  les  romluisaienl 
dans  l'impiété.  En  effet,  l'âme  toute  pénétré» 
de  l'amour  du  monde  et  d'elle-même,  desti- 
tuée de  la  grâce  qu'elle  rejette,  livrée  I 
concupiscence,  abandonnée  à  ses  passions, 
sollicitée  par  d'autres  encore  plus  corrompu» 
qu'on  n'est  soi-même,  se  hisse  emporter  à 
une  dangereuse  curiosité.  On  cherche  < i > i 
raffinement  dans  les  plaisirs,  parce  qu'on  es* 
las  des  amu-ements  ordinaires  qui  dégoû- 
tent à  la  fin,  et  on  se  trouve  insensiblement 
engagé  dans  d'horribles  et  d'épouvantables 
excès. 

Il  n'est  pas  difficile,  quand  on  en  est  là.  de 
tomber  dans  l'impiété  ;  car  c'est  le  (bâtiment 
dont  Dieu  punit  ordinairement  ces  sortes 
d'excès.  Il  nous  rejette  après  que  nous  l'a- 
vons abandonné,  et  alors  on  ne  se  met  plus 
guère  en  peine  de  la  piété,  on  n'en  écoule 
plus  les  vérités  pour  s'en  convaincre, on  n'en 
;gardeque  quelques  praliquesparbienséance. 
on  approche  des  sacrements  sans  religion, 
et  quand  on  pense  trouver  des  moyens  de 
satisfaire  ses  passions  en  les  profanant,  on 
est  capable  d'exposer  tout  ce  qu'elle  a  de 
plus  saint,  de  p'.us  sacré,  à  des  sacrilèges 
qui  font  gémir  et  qui  peuvent  être  des  sources 
secrètes  et  invisibles  des  calamités  qu'on  re- 
jette sur  mille  autres  causes. 

Voilà,  mes  frères,  les  funestes  progrès  du 
:péché  du  monde  et  les  suites  déplorabls  de 
cette  conduite  qui,  étant  mauvaise  par  elle- 
même,  sert  aux  autres  ou  de  prétexte  pour 
continuer  le  malqu'ils  font,  ou  d'attrait  pour 
outrer  dans  celui  qu'ils  ne  faisaient  pas.  S'il 
était  possible,  femmes  du  momie,  que  vous 
crussiez  que  celle  vie  qu<"  nous  venons  de 
relracer  ne  fût  pas  mauvaise,  il  serait  aise 
d'en  faire  remarquer  les  désordres,  en  rep:e- 
uant  par  le  détail  tous  les  exercices  qui  la 
composent  ;  mais  je  me  contente  de  les  re- 
présenter en  gros.  Ne  s'occuper  de  rien  que 
de  soi-même,  vivre  dans  la  mollesse,  dans 
la  volupté,  dans  la  paresse,  ne  songer  qu'à 
ce  qui  peut  plaire,  passer  le  temps  dan»  les 
conversations  inutiles,  entretenir  un  jeu  illé- 
gitime, ou  parce  qu'il  est  considérable,  ou 
parce  qu'il  est  fréquent,  prendre  des  diver- 
tissements suspects,  se  nourrir  des  specta- 
cles dangereux,  est-ce  là  la  vie  d'une  femme 
chrétienne?  Que  deviennent  donc  les  pro- 
messes faites  au  baptême  et  les  règles  de  II  - 
vangile  :  Qui  tult  mure  post  me  abneget  se- 
metipsum,  tollat  crttctm suatn ttieqmutur  me  : 
Oue  celui  qui  veut  venir  à  moi  se  renonce 
lui-même,  porte  sa  croix  el  qu'i!  me  suive. 
Quelle  recompense  ponvei-vevs  attendre  de 
Dieu,  après  avoir  mené  une  semblable  vie? 
S'il  veut  par  miséricorde  nous  donner  le  ciel 
pour  prix  de  nos  enivres  opéi  ées  p  ir  la  (  lia- 
rite,  lesquelles  produirez-)  ous  pour  obleuir 


897 


SERMON  POUR  LE  MERCREDI  DE  LA  PASSION. 


celte  récompense?  Toutes  celles  qui  ont 
rempli  votre  vie  ne  sont  dignes  que  de  châ- 
timent. 

Mais  celte  vie  si  opposée  à  l'esprit  et  à 
toutes  les  obligations  du  christianisme  ne 
vous  égare  pas  seulement,  elle  attire  les  au- 
tres dans  vos  égarements,  et  vous  devenez 
responsables  de  tous  les  désordres  que  vous 
autorisez  par  vos  pratiques  ou  que  vous 
inspirez  par  votre  exemple  :  car  non-seule- 
ment ceux  qui  font  toutes  ces  choses  sont 
dignes  de  mort,  mais  ceux  qui  approuvent 
ceux  qui  les  font  s'en  rendent  également  di- 
gnes. D'où  vient  donc  que  vous  vous  aveu- 
glez sur  des  désordres  si  palpables  ?  c'est  la 
consommation  du  péché  du  monde,  dont  il 
faut  découvrir  la  source  en  peu  de  mots,  et 
c'est  le  sujet  de  la  troisième  partie. 

TROISIÈME   PARTIE. 

C'est  une  chose  digne  de  compassion  de 
voir  que  la  plupart  des  femmes  qui  vivent 
de  la  manière  que  je  viens  de  dire,  et  qui 
sont  tombées  dans  l'état  déplorable  que  je 
viens  de  vous  exposer,  ne  connaissent  pas 
leurs  égarements,  et  se  réjouissent  même 
dans  leur  malheur.  11  est  facile  néanmoins 
de  comprendre  comment  on  tombe  dans  cet 
aveuglement  encore  plus  déplorable  que  le 
péché  même,  c(  j'espère  qu'il  sera  utile  d'en 
marquer  en  peu  de  mots  les  causes  :  il  est 
plus  aisé  de  donner  des  remèdes  à  un  mal 
dont  la  source  nous  est  connue. 

La  première  chose  qui  entretient  les  gens 
du  monde  dans  cet  aveuglement,  c'est  la 
présomption  ;  ainsi,  comme  on  s'engage  sans 
vouloir  s'instruire,  on  marche  et  on  avance 
sans  vouloir  prendre  conseil  ;  on  pense  mar- 
cher droit  quoiqu'on  s'égare,  on  croit  être 
debout,  on  est  tombé,  et  on  ne  remarque  pas 
sa  chute  :  première  cause. 

La  seconde,  c'est  la  manière  presque  in- 
sensible de  s'engager  dans  les  désordres  en 
se  familiarisant  avec  les  plus  grands  péchés, 
par  l'habitude  qu'on  a  à  commettre  ceux  qui 
sont  communs.  On  ne  tombe  pas  tout  d'un 
coup  dans  l'abîme,  mais  on  se  fait  des  de- 
grés pour  y  descendre.  Les  premiers  crimes 
donnent  de  l'horreur,  mais  on  s'y  accoutume  ; 
les  seconds  en  donnent  moins,  et  comme  il 
n'y  a  que  de  certains  degrés  qui  les  distin- 
guent, quand  on  est  parvenu  à  un  certain 
point,  on  les  confond  tous  ensemble;  alors 
on  se  plonge  dans  les  excès  comme  un  au- 
tre tomberait  dans  de  légères  imperfections: 
seconde  cause. 

La  troisième  chose  qui  contribue  à  cet 
aveuglement,  c'est  la  multitude  et  la  qualité 
îles  complices.  Je  reconnais  ici,  mes  frères, 
qu'il  y  a  assurément  bien  des  gens  de  qualité 
qui  sont  vertueux,  qui  donnent  de  grands 
exemples  au  public,  cl  qui  remplissent  avec 
édification  les  engagements  difficiles  de  leur 
état.  Mais  après  tout  il  faut  avouer  que  c'est 
parmi  les  gens  de  qualité  que  se  trouvent  les 
plus  grands  pécheurs  ;  car  soit  que  leur  éle- 
va'ion  leur  fournisse  plus  de  moyens  de 
lairc  le  mal,  soit  que  l'oisi\clé  ouvre  dans 
leurs  âmes  un  plus  grand  chemin  à  la   cor- 


ruption, on  ne  voit  guère  de  grands  désor- 
dres dont  ils  ne  soient  les  auteurs  en  partie, 
et  ce  qu'il  y  a  de  déplorable,  c'est  qu'ils  en- 
gagent facilement  les  autres  à  les  imiter.  Les 
crimes  semblent  n'être  plus  avec  eux  ce 
qu'ils  seraient  avec  d'antres,  et  vous  diriez 
que  Ierang  des  complices  en  efface  l'horreur  : 
troisième  cause. 

La  quatrième  chose  qui  contribue  à  cet 
aveuglement,  c'est  la  complaisance  de  ceux 
qui  applaudissent  aux  désordres.  On  ne 
manque  jamais  dans  le  monde  de  trouver 
des  gens  engagés  par  intérêt  à  louer  ceux 
qui  vivent  dans  l'iniquité,  et  c'est  le  malheur 
de  ceux  qui  sont  nés  grands,  ou  que  leur 
fortune  rend  nécessaires  à  d'autres,  d'être 
environnés  de  ces  sortes  de  flatteurs.  Voilà 
la  raison  pour  laquelle  le  Sage  exhorte  les 
grands  du  monde  à  ne  pas  se  fier  aux  pé- 
cheurs, quand  ils  leur  donnent  du  fard  ;  car  on 
corrige  difficilement  un  péché  lorsqu'il  est 
nourri  par  les  applaudissements  des  mé- 
chants ;  c'est  encore  ce  que  le  Seigneur  a 
voulu  nous  faire  entendre,  quand  il  a  dit 
dans  l'Evangile  :  Laisse:  les  morts  ensevelir 
leurs  morts;  car  les  morts  enterrent  les 
morts,  quand  des  pécheurs  en  flattent  d'au- 
tres par  des  louanges  trompeuses.  En  effet, 
pécher,  n'est-ce  pas  mourir?  et  ensevelir 
n'est-ce  pas  cacher  ?  Ainsi  ceux  qui  louent 
celui  qui  pèche  ne  font  autre  chose  que  le 
cacher  sous  la  tombe  de  leurs  louanges,  et 
rendre  par  là  sa  mort  spirituelle  plus  irré- 
parable. 

Enfin,  mes  frères,  le  dernier  malheur, 
c'est  lorsque  celle  flatterie  entre  jusque  dans 
le  sanctuaire,  et  que  ceux  qui  devraient  être 
la  bouche  de  Dieu  et  les  médecins  des  âmes 
entretiennent  les  pécheurs  dans  l'oubli  de 
leurs  crimes,  au  lieu  de  leur  en  donner  de 
l'horreur  et  de  les  réveiller  de  leur  assou- 
pissement. C'est  ce  qui  arrive  lorsque  les 
prédicateurs  de  l'Evangile  ne  parlent  pas 
assez  souvent  contre  la  vie  des  gens  du 
monde,  et  qu'ils  n'en  montrent  point  assez 
le  péril,  qu'ils  ne  font  point  assez  voir  l'op- 
position épouvantable  qu'elle  a  avec  l'exem- 
ple de  Jésus-Christ,  les  règles  de  l'Evangile 
et  les  principes  de  la  foi  ;  ou  bien  lorsque 
ceux  qu'on  consulte  en  particulier  ne  mon- 
trent pas  les  désordres  avec  assez  de  force, 
qu'ils  flattent  la  mollesse  par  une  complai- 
sance criminelle,  qu'ils  promettent  l'impu- 
nité des  vices  qu'ils  auraient  pu  étouffer 
dans  leur  naissance,  et  dont  l'ignorance  et 
souvent  l'intérêt  les  empêchent  de  voir  les 
suites  épouvantables. 

C'est  ainsi,  mes  frères,  que  se  forme  cet 
aveuglement  qui  empêche  les  gens  du  monde 
de  voiries  désordres  de  leur  vie,  cl  comme  ils 
se  retirent  de  Dieu  autant  qu'ils  peuvent, 
autant  les  lumières  qui  viennent  de  »a  part 
les  rendent-elles  insensibles,  parce  qu'elles 
troublent  inutilement  la  déplorable  paix  de 
leur  cœur.  Dieu  se  relire  enfin  d'eux,  il  les 
abandonne  à  eux-mêmes  il  ne  leur  com- 
munique plus  ses  lumières  qu'ils  ont  tint 
de  fois  méprisées,  il  les  livre  à  des  ténèbres 
qui  les  réduisent   comme    dans   une   espèce 


198  DRATE1  RS8â<  RE!    IM>M  IEROME. 

ilt:  nécessité  de  ne   guérir  jamais  de   leurs 


600 


maux,  parce  qu'ils  ne  se  croient  pas  même 
malades. 

Faites,  ù  mon  Dieu  !  que  d'aussi  grandes 
vérités  fassent  dans  l'âme  de  ceux  qui   m'é- 
COUtent  toute  l'impression  qu'elles  y  doivent 
faire  ;    que   chacun   rentre    dans  soi-même 
pour  reconnaître  quelle   a  été  la  source  de 
ses   égarements;    <]ucllcs  sont  les  maximes 
sur  lesquelles  on  se  conduit  dans    son  état  ; 
si  le  chemin  qu'on  a  pris  en  entrant  dans  le 
monde  mène  à  la  fin  qu'on  doit  se  proposer 
comme  chrétien,  et  si  l'on  n'est  point  tombé 
dans   celte   imprudence    par  où  commence 
le  péché  des  femmes  et  des   gens  du  monde. 
H  faut  examiner  les  pratiques  dans  lesquel- 
les on  est  engagé  ;  car  rien  n'est  plus  dange- 
reux que  de  présumer  témérairement  de   la 
sûreté  des  ses  voies,  de  son  état,    cl   de  se 
croire  en  bon  chemin,  parce    qu'on   marche 
avec  le  plus  grand  nombre.  Mes  frères,  ni  le 
nombre,  ni  le  rang  des  complices,  ni  la  voix 
des  flatteurs,  ni  le  silence  des  ministres  de 
Dieu  ne  sont  point  capables  de  nous  justifier 
devant  lui,  toutes  ces  vaines  excuses  se  dis- 
siperont, et  sa  loi  nous  condamnera- 
On  ne  tombe  pas  tout  d'un  coup   dans  les 
derniers  excès ,  mais  on   a   grand   sujet  de 
trembler,  lorsqu'on  se  voit  exposé  au  haut 
d'un  précipice  dont  le  chemin  est  fort   glis- 
sant, et  dans  le  centre  duquel  on  peut  se  trou- 
ver abîmé  sans  s'en  être  aperçu,  parce  qu'on 
n'y  tombe  que  par  degrés ,  sans  avoir  pres- 
que change  de  situation  à  l'intérieur,  ou  en 
ne  le  faisant  que  d'une  manière  agréable  et 
qui  plaît  à  la  nature  et  aux  sens. 

Que  si  on  se  trouve  dans  ces  engagements 
dont  les  suites  sont  si  funestes,  il  faut  en 
sortir  sans  délai,  car  c'est  vouloir  se  perdre 
que  de  demeurer  dans  le  péril. 

Trop  heureux  si  ces  réflexions  pouvaient 
porter  quelqu'un  à  recourir  à  vous,  <>  mon 
Dieu  !  trop  heureux  si  ces  vues  du  péché  du 
monde  obligeaient  quelqu'un  à  se  reconnaî- 
tre 1  11  n'y  a  que  trop  de  femmes  qui  pour- 
raient bien  s'y  voir,  et  qui  avoueront,  si  elles 
veulent  considérer  leur  conduite ,  qu'elles 
méritent  qu'on  les  traite  de  pécheresses  pour 
le  moins  autant  que  celle  à  qui  l'Evangile 
donne  ce  nom. 

Il  est  naturel  de  conclure  que  si  on  a  pé- 
ché comme  elle  et  plus  qu'elle,  il  faut  faire 
pénitence  comme  elle  l'a  faite;  mais  comme 
c'est  Dieu  qui  donne  la  pénitence,  il  faut  la 
lui  demander  avec  larmes  et  avec  gémisse- 
ments. 

La  même  pécheresse  nous  donnera  demain 
lidée  d'une  pénitence  parfaite  dans  les  cir- 
constances de  la  sienne.  Fasse  le  ciel  que 
nous  soyons  rendus  capables  ,  par  la  grâce 
de  Jésus-Christ,  de  suivre  son  exemple  pour 
mériter  le  ciel,  que  je  vous  souhaite  !  Ainsi 
■oit-il. 


BBRMON 

I  lll   II    IL  JI'.l  1)1    1)1.   I    V    PASSION. 

Itetour  d'une  femme  du  monde  dans  Madeleine 
pénitente 

Vides  hanc  moliercm? 

Voyez -vous  cette  femme  (tue,  Ml,  . 

\  oici,  mes  frères,  celle  même  femme  que 
je  vous  produisis  hier,  mais  qui  va  paraître 
aujourd'hui   sous  une  ligure  bien  différente 
de  celle   son-,   laquelle  je  vous  la  munirai. 
Hier  c'était  la  pécheresse,  aujourd'hui  c'est 
la  pénitente.  Hier  nous  ne  parlâmes  que  des 
désordres  de  sa  vie,  aujourd'hui   nous  admi- 
rerons toutes   les   circonstances  de  sa  con- 
version :  Vides  hanc  mulierem?  Voyez-vous 
celle   femme?  Ce  fut  le  Sauveur  du  monde 
qui  dil  ces  paroles  au  pharisien  pour  le  con- 
fondre. Je  les  répète  aujourd'hui  pour  nous 
instruire.  11  lui  reprochait  son  orgueil  et  son 
ingratitude,  en   lui   montrant  ce  que  cette 
femme  avait  fait   pour  lui,  et  moi  je  veux 
vous  exposer  tous  ses  mouvements  ,  comme 
un  modèle  d'une  pénitence  accomplie;  tnais 
pour  bien  entrer  dans  cette  idée,  disons  avec 
les  Pères  que  la  pénitence  étant  une  vertu 
substituée  par  la   miséricorde  de  Dieu  à  |a 
place  de  sa  justice,  pour  exercer  sur  le  pé- 
cheur par  amour  ce  qu'il  lui  ferait  ressentir 
par  vengeance,  il  faut  se  représenter  ce  que 
la  justice   l'ait  sur  le  pécheur,  quand  Dieu  le 
châlie  dans  sa  colère,  et  ensuite   se  figurer 
l'amour  de  Dieu  se  plaçant  dans  le  cœur  du 
pécheur  converti   comme   sur  un  trône,  et 
où,  prenant  les  intérêts  de  Dieu   offensé,  il 
prononce  des  arrêts  contre  lui-même,  et  fait 
en  quelque  sorte  ce  que  la  justice  ferait  elle- 
même,  s'il  lui  était  abandonné.  Or,  mes  frè- 
res, il  y  a   Irois  choses  à   considérer  dans 
l'ouvrage  de  la  justice  de  Dieu  sur  le  cou- 
pable :   le    motif  qui    l'anime,   la    nature 
de  son  action,  la  durée  cl  l'étendue  qu'il  lui 
donne. 

Le  motif,  c'est  la  haine  contre  le  pécheur 
qu'elle  confond  avec  le  péché  et  qu'elle  ne 
distingue  plus.  La  nature  de  celte  action  . 
c'est  une  vengeance  inspirée  parcelle  haine. 
La  durée  de  cette  vengeance  ,  c'esl  celle  de 
toute  l'éternité  répondant  à  la  nature  de  celui 
qui  punit. 

C'est,  mes  frères,  sur  celle  idée  que  la  pé- 
nitence se  règle  quand  elle  est  parfaite,  avec 
cette  différence  qu'elle  distingue  le  pêche  d'a- 
vec le  pécheur,  pour  détruire  l'un  et  sauver 
l'autre.  Elle  commence  donc  par  la  haine 
contre  le  péché,  et  celte  haine  est  l'âme  de 
la  pénitence.  Elle  continue  par  une  ven- 
geance qu'elle  exerce  sur  tous  les  instru- 
ments du  péché,  cl  celle  vengeance  Ml 
comme  le  fruii  et  l'exercice  de  la  pét 
tence.  Elle  demeure  dans  une  irréconcilia- 
tion  éternelle  avec  le  péché,  cl  celle  îne- 
concilialion  est  comme  la  consommation  de 
la  pénitence.  Vous  verrez,  mes  frères,  tout 
ceci  réduit  en  pratique  dans  la  pénitence  de- 
là pécheresse. 

Nous  allons  voir  quelle  fut  sa  haine  cou  - 
ire  le  péché  :  première  partie  :  quelle  lut  la 
qu'elle    exerça   sur   le   pèche   : 


Côi 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA  PASSION. 


C02 


deuxième  partie  ;  quelle  a  été  son  irré- 
conciliation avec  le  péché  :  troisième  partie. 
Demandons  les  lumières  et  les  flammes  de 
l'amour  qui  a  opéré  toutes  ces  merveilles 
dans  le  cœur  de  la  femme  pécheresse,  par 
l'intercession  de  l'innocente  créature  qui 
était  remplie  de  grâce  au  moment  que  l'ange 
lui  dit  :  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

La  haine  que  conçut  contre  le  péché  la 
pécheresse  de  l'Evangile  fut  le  commence- 
ment de  sa  pénitence,  et  c'est,  mes  frères, 
par  le  mouvement  du  cœur  que  toute  péni- 
tence doit  commencer  pour  être  véritable  : 
Pœnitentiam  cerlam  non  facithomo,  nisi  odio 
peccati  et  amore  Dei  :  L'homme  ne  peut  être 
véritablement  pénitent  sans  avoir  la  haine 
du  péché  et  l'amour  de  Dieu,  dit  saint  Au- 
gustin. C'est  cette  haine  sincère  qui  est  l'âme 
de  cette  vertu,  et  nous  sommes  abusés,  mes 
très-chers  frères,  si  nous  croyons  être  péni- 
tents sans  avoir  une  souveraine  horreur 
pour  le  péché.  Mais  qu'est-ce  que  cette  haine? 
d'où  vient-elle?  comment  s'excite-t-elle?  par 
où  est-elle  formée  dans  notre  cœur  et  qui 
est-ce  qui  la  produit?  comment  pourrons- 
nous  connaître  si  elle  y  est  formée ,  et 
quelles  en  sont  les  marques?  Voyons  tout 
ceci  dans  la  pécheresse  que  l'Evangile 
nous  propose,  elle  doit  être  notre  mo- 
dèle :  Vides  hanc  millier em?  Voyez- vous 
cette  femme? 

Celle  haine  du  péché  n'est  à  proprement 
parler  que  l'amour  de  Dieu  ;  car,  suivant  les 
paroles  de  saint  Augustin,  que  nous  venons 
de  citer,  l'un  n'est  pas  distingué  de  l'autre 
dans  l'idée  de  la  parfaite  pénitence;  et  en 
effet  c'est  un  principe  de  ce  saint  docteur, 
que  la  mesure  de  la  haine  du  péché,  c'est  celle 
de  l'amour  de  la  justice  ;  comme  s'il  voulait 
dire  que  le  cœur  de  l'homme  ne  pouvant 
être  sans  quelque  mouvement  d'amour,  la 
haine  du  péché  est  un  mouvement  de  l'a- 
mour de  Dieu  qui  chasse  l'amour  de  la  créa- 
ture du  cœur  de  l'homme  pour  s'en  rendre 
maître  el  y  reprendre  la  place  qui  lui  appar- 
tient. 

Cette  haine  du  péché,  c'est  donc  l'amour 
de  Dieu  qui,  ayant  triomphé  de  la  cupidité, 
inspire  des  sentiments  d'indignation  et  d'hor- 
reur pour  lout  ce  qui  entretenait  son  règne 
dans  le  cœur  du  pécheur.  Ainsi  les  mouve- 
ments de  la  pénitence  de  celle  pécheresse 
sont  attribués  à  l'amour  :  Beaucoup  de  pé- 
chés lui  sont  pardonnes,  parce  qu'elle  a  beau- 
coup aimé.  Allons  plus  loin. 

Cet  amour  n'entre  point  dans  le  cœur  sans 
y  répandre  des  lumières  qui  font  voir  â  ce- 
lui qu'il  a  converti  ce  qu'il  ne  voyait  pas 
avant  sa  conversion.  Elles  lui  montrent  le 
péché  dans  loule  son  injustice,  elles  lui  en 
découvrent  loule  la  difformité,  elles  lui  en 
font  voir  toute  l'horreur,  et  celle  vue  lui  ins- 
pire celte  haine  qui  l'en  sépare  et  qui  le  lui 
lait  délester,  cet  amour  qui  le  ramène  à  ce- 
lui qui  a  eu  la  patience  de  le  supporter  dans 
celte  injustice,  la  miséricorde  de  le  prévenir 


dans  la  rébellion,  el  qui  a  encore  la  bonté  de 
le  recevoir  dans  son  repentir.  Vous  voyez 
ceci,  mes  frères,  dans  les  démarches  delà 
pénitente  de  l'Evangile  :  Ut  cognovil  :  Aus- 
sitôt que  celui  qui  l'avait  prévenue  par  sa 
miséricorde  lui  eut  ouvert  les  yeux,  aussitôt 
qu'elle  eut  connu  l'état  déplorable  où  ses  cri- 
mes l'avaient  engagée,  elle  ne  diffère  pas 
d'un  moment,  elle  abandonne  tout  ce  qu'elle 
avait  aimé  pour  retourner  à  celui  qu'elle 
avait  abandonné.  Elle  conçoit  des  sentiments 
de  haine  contre  elle-même,  contre  ses  cri- 
mes ,  contre  tous  les  instruments  de  son 
amour  déréglé  :  sentiments  qui  la  portent  à 
celte  satisfaction  éclatante  et  à  ces  vengean- 
ces innocentes  que  l'Evangile  nous  décrit  et 
que  nous  vous  rapporterons  dans  un  mo- 
ment. 

C'est  donc  à  la  vue  du  péché  que  s'excite 
la  haine  contre  le  péché;  et  en  effet,  mes 
frères,  qu'y  a-t-il  de  plus  digne  de  la  haine 
d'un  chrétien  que  le  péché,  soit  qu'on  le  con- 
sidère dans  sa  nature,  soit  qu'on  le  regarde 
dans  ses  effets?  Dans  sa  nature  ,  c'est  un 
renversement  de  l'ordre  de  Dieu,  c'est  une 
rébellion  de  la  créature  contre  son  créateur, 
c'est  une  préférence  du  néant  au  souverain 
bien;  dans  ses  effets,  c'est  la  perte  de  Dieu, 
c'est  la  damnation  de  l'âme,  c'est  la  source 
de  tous  les  maux  pour  le  temps  et  pour  l'é- 
ternité. Je  ne  suis  pas  surpris  que  saint  Gré- 
goire nous  assure  que  dès  que  celte  péche- 
resse eut  les  yeux  ouverts  pour  voir  ce  mons- 
tre, et  que  Dieu  lui  eut  donné  les  lumières 
divines  qui  font  connaître  le  péché  tel  qu'il 
est  dans  sa  nature  el  dans  ses  effets,  elle 
conçut  contre  lui  une  haine  souveraine. 
Ainsi  en  ont  usé  tous  les  vrais  pénitcnls.  Da- 
vid passait  les  nuits  et  les  jours  à  pleurer, 
son  lit  nageait  dans  ses  larmes,  il  rugissait 
d'une  colère  toute  sainte  au  seul  ressouvenir 
de  son  péché.  Rien  n'est  plus  terrible  que  ce 
que  rapporte  saint  Jean  C'imaquc  d'un  cer- 
tain monastère  qu'il  appelle  la  prison,  qui 
n'était  rempli  que  de  saints  pénitcnls  qui 
hurlaient  comme  des  bêtes  en  se  rappelant 
l'idée  de  leurs  crimes  et  en  considérant  les 
désolations  où  le  péché  les  avait  jetés.  Tant 
il  est  vrai  que  la  vue  du  péché,  quand  ello 
vient  des  lumières  que  l'amour  de  Dieu 
allume  dans  notre  cœur,  nous  excite  à  des 
mouvements  d'une  haine  qui  eu  bannit 
toute  joie  et  qui  le  remplit  d'une  sainte  amer- 
tume. 

Mais  il  y  a  plus,  vous  voyez  cette  femme 
de  l'Evangile  qui  entre  précipitamment  dans 
une  maison  étrangère  où  le  maître  ne  l'avait 
point  invitée,  seulement  où  le  Seigneur  qui 
y  allait  était  invité  et  l'avait  appelée  lui- 
même,  non  par  le  son  extérieur  de  sa  voix, 
mais  par  l'attrait  intérieur  de  sa  grâce.  Les 
larmes  de  la  pénitence  sont  le  commence- 
ment de  son  retour  à  Dieu;  car  l'esprit  de 
Dieu,  sans  doute,  et  non  pas  le  nôtre,  opère 
la  pénitence  dans  l'homme,  dit  saint  Ber- 
nard; el  c'est  pour  cela,  mes  frères,  que  l'E- 
glise sainte  pleure  cl  gémit  dans  ce  saint 
temps,  afin  d'obtenir  de  son  époux  pour  ses 
cufunls  la  haine  du  péché  et  le  don  de  la 


«i03 


ORATEURS  SACRES.  I<OM  JEROME. 


fjjl 


pénitence  parfaite,  co  qui  dépead  de  sa  honlé 
et  qu'il  n'accorde  pas  à  tous. 

Demandons-les-lui  donc,  mes  très-chers 
frères,  cl,  nous  unissant  à  l'Eglise  cjui  prie 
pour  nous,  disons  -lui  avec  elle  :  Jesu,  loban- 
te» respice  !  0  Jésus,  regarde!  nos  chutes  des 
yeux  de  votre  miséricorde  :  .S»  respicis,  Impsi 
slabunt  :  Si  vous  nous  regardez,  vous  nous 
relèverez  :  FMuqvt  culpa  solriiur  :  Et  for- 
in;int  en  nous  l'esprit  de  pénilence ,  vous 
nous  donnerez  celle  sainte  fiai  ne  pour  le  pé- 
ché qui  nous  fera  verser  des  larmes  capables 
d'en  effacer  les  taches.  Vous  jetterez  dans 
peu  de  temps  vos  regards  sur  un  IDÔtre  in- 
fidèle et  vous  le  convertirez  ;  Seigneur,  je- 
tez sur  nous  vos  yeux  comme  vous  les  ivei 
jetés  sur  cette  pécheresse  ,  et  qu'ils  basent 
couler  des  nôtres  les  larmes  semblables  aux 
siennes. 

Enfin,  si  vous  me  demandez  présentement 
quelques  règles  par  lesquelles  vous  puissiez 
reconnaître  si  Dieu  a  formé  en  vous  cet  es- 
prit par  sa  grâce,  et  qui  puissent  vous  ga- 
rantir de  celle  dangereuse  illusion  qui  nous 
fait  prendre  l'amour  de  nous-mêmes  pour 
celui  de  Dieu,  et  un  certain  chagrin  qui  ne 
vient  que  de  la  cupidité,  pour  une  haine  sin- 
cère du  péché  que  la  seule  charité  peut  for- 
mer, je  reviens  à  la  pénitente  de  notre  évan- 
gile pour  examiner  avec  vous  les  marques 
qu'elle  nous  donne  de  la  vraie  haine  pour  le 
péché.  Que  produisit  celle  haine  formée  par 
un  nouvel  amour?  Elle  lui  inspira  le  dessein 
d'aller  déclarer  ses  nouveaux  sentiments  à 
Jésus-Christ,  en  présence  de  tous  ceux  avec 
lesquels  il  était  assemblé  chez  Simon  le 
Pharisien.  Cetle  lumière  du  ciel  qui  l'avait 
éclairée  lui  fit  voir  l'injustice  du  péché  qui 
le  rend  opposé  à  Dieu,  et  les  charmes  du 
péché  qui  le  rendent  capable  de  séduire 
les  hommes.  Il  blesse  la  sainteté  et  la 
majesté  de  Dieu  ,  il  trompe  l'homme  et  le 
séduit. 

Que  fait  la  pécheresse  devenue  pénitente 
pour  marquer  sa  haine  contre  le  péché  ?  Elle 
va  le  produire  à  Jésus-Christ  et  le  livrer  en- 
tre ses  mains  comme  son  ennemi;  elle  le 
produit  à  la  vue  des  hommes,  afin  que  d'une 
part  ils  puissent  remarquer  tous  les  carac- 
tères de  la  honte  qui  lui  est  propre,  et  voir 
de  l'autre  toutes  les  désolations  qu'il  c  ;use 
dans  ceux  qu'il  a  séduits.  Voilà,  mes  frères, 
les  effets  de  la  haine  de  cette  pénitenle  contre 
le  péché. 

Celte  lumière  du  ciel  l'a  miraculeusement 
éclairée,  et  lui  fait  connaître  que  le  péché 
est  l'ennemi  de  Dieu,  que  c'est  lui  qui  ren- 
verse l'ordre  établi  par  sa  providence,  qui 
lui  dérobe  ses  sujets  et  qui  les  arme  conire 
lui.  Reconnaissant  d'ailleurs  en  elle-même 
la  vérilé  de  lous  ses  déplorables  effets,  se 
voyant  contraire  à  son  Dieu,  elle  se  devient 
insupportable  à  elle-même;  et  de  même 
qu'un  homme  qui  a  avalé  un  poison  mortel 
sent  un  soulèvement  jusque  dans  le  fond  de 
ses  entrailles  .  et  se  tourmente  jusqu'à  ce 
qu'il  s'en  soit  déchargé,  clic  n'est  poi.it  en 
repos  qu'elle  n'ait  livre  à  Btm  Dieu  cet  en- 
nemi de  sa  gloire  qu'elle  avait  porté  si  long- 


temps da«l  son  co'iir.  Elle  va  le  livrer  à  lé* 
hrisl  comme  MM  ennemi,  afin  qu'il  le 
détraiae;  die  le  livre  à  la  rue  dm  boaraset, 
afin  qn  ils  le  connaissent.  La  nature  n'a  plus 
d'é  ardl  lorsqu'elle  est  pressée,  rien  n'est 
(  apablfl  de  la  retenu  :  voiià  la  disposition 
de  celle  pécheresse.  Bile  court  donc  a  la 
.maison  du  Phai  isi  n  où  i  Ile  savait  que  J 
était;  elle  ne  craint  point  d  l'interrompre, 
parce  qu'elle  sait  bien  que  ce  qu'elle  a  a  lui 
dif  lui  sera  mille  fois  plus  agréable  que 
toul  ce  qu'il  peul  entendre  chez  ce  Phari- 
sien, et  comme  les  courri  rs  qui  sont  char- 
gés des  nouve  les  de  la  défaite  d'une  aimée 
ennemie  ne  craignent  point  d'inlerr< 
les  plaisirs  des  princes  pour  leur  apprt 
des  nouvelles  agréable*  ,  celle  péchai 
qui  va  remettre  le  péché  entre  loi  mains  de 
celui  qui  est  plus  louché  du  retour  et  de  la 
pénitence  d'un  seul  pécheur  que  de  la  bonne 
vie  de  quatre-vingt-dix-neuf  justes  qui  n'ont 
pas  besoin  de  pénitence,  ne  craint  point  de 
Tinter  rompre  dans  son  repas,  ni  d'aller  trou- 
bler la  joie  de  Simon  qui  l'avait  invité  chez 
lui.  il  parait  bien  qu'elle  a  conçu  une  haine 
souveraine  contre  le  péché,  puisqu'elle  le 
ménage  si  peu.  Il  parail  Lien  qu'elle  le  re- 
garde comme  son  ennemi,  puisqu'elle  le  li- 
vre absolument  à  celui  qui  peul  le  détruire 
en  le  regardant,  et  qui,  par  la  sainteté  de 
son  être,  a  une  opposition  essentielle  avec 
lui.  Il  me  semble,  en  la  voyant  entrer  dans 
la  maison  i  u  Pharisien  avec  cet  esclave, 
qu'elle  amène  en  triomphe  aux  pieds  de  Jé- 
sus-Christ le  démon  enchaîné. 

Mais,  mes  frères,  qu'arri  ve-t-il?  Celle  haine 
implacable  qu'elle  a  conçue  contre  le  éché 
oblige  Dieu  à  oublier  celle  que  le  pèche  lui 
avait  fait  concevoir  conircelle:  et  comme  nous 
voyons  quelquefois  qu'on  donne  la  v  io  à  un 
homme  qui  s'est  révolté,  quand  il  remet  en- 
tre les  mains  du  prince  celui  qui  a  élé  le  chef 
de  la  révolte  et  qui  s'est  mis  à  la  tôle  des  au- 
tres,  cette  pécheresse  que  son  crime  avait 
rendue  l'ennemie  de  Jésus-Christ,  celle  pé- 
cheresse qui  avait  mérité  la  mort  à  cause  de 
l'alliance  qu'elle  avait  faite  avec  lui. 
pécheresse  enfin  qui  était  digne  des  derniers 
supplices  pour  avoir  donné  reirai  e  au  démon 
Contre  les  lois  du  souverain,  reçoit  s  u  am- 
nistie pou  '  l'avoir  livre:  la  rémission  de  -  I 
crimes  est  la  récompense  de  sa  haine  pour  le 
péché. 

Or  voici  une  règle  pour  rcconiriilre  si  Dieu 
a  formé  dans  votre  cœur  l'esprit  de  pénitence; 
car  si  c'est  par  celle  haine  qu'a  commencé 
celle  de  la  pécheresse,  et  si  la  sincérité  de 
celle  haine  a  paru  dans  le  soin  qu'elle  a  pris 
de  produire  son  péché  a  Jésus-Christ,  c'esl 
par  le  défaut  do  celle  haine  que  notre  péni- 
tence n'esl  pas  véritable,  el  le  défaut  de  haine 
parait  en  Ce  que  nom  manquons  de  sincérité 
quand  il  s'ait  de  produire  notre  péché  à  Jé- 
sus-Christ, et  que  nous  employons  pour  l'or- 
dinaire tous  nos  9  i:ns  pour  le  cacher.  Ilais- 
-i  -tous  le  péché?  Oui.  Mais  le haïsseï  vous 
ne  votre  ouvrage?  car  c'est  à  le  point* 
On  cherche  des  raisons,  pour  s'excuser  dans 
ses  poches,  en  les  rejetant  sur  son  étoile,  sur 


605 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA  PASSION. 


60G 


le  tempérament,  sur  les  emplois,  sur  les  en- 
gagements du  monde  qui  forment  une  espèce 
de  nécessilé.  Il  s'en  trouve  peu  qui  pronon- 
cent contre  leur  propre  cœur,  et  qui  recon- 
naissent sincèrement  et  avec  humilité  que 
leur  péché  est  l'ouvrage  de  leur  pure  malice 
et  de  leur  seule  corruption. 

Le  péché  est  trop  à  nous,  il  est  trop  notre 
ouvrage,  nous  l'aimons,  et  il  est  trop  lié  à 
nous  et  nous  à  lui  :  nous  voulons  le  cacher; 
celte  envie  est  un  effet  ou  de  l'amour  du  pé- 
ché que  nous  ne  voulons  pas  abandonner,  ou 
de  celui  de  nous-mêmes  qui  nous  empêche  de 
nous  humilier  en  reconnaissant  nos  misères, 
et  on  cherche  à  se  tromper  soi-même  en  se 
persuadant  qu'on  est  pénitent,  quoiqu'en  ef- 
fet on  soit  pécheur  et  qu'on  veuille  continuer 
à  l'être.  Cette  disposition  et  ces  suites  me  pa- 
raissent admirablement  bien  marquées  dans 
ce  qui  est  rapporté  de  la  conduite  que  tint  la 
mère  de  Moïse  lorsqu'il  fallut  s'en  séparer 
pour  obéir  aux  ordres  du  roi  Pharaon  qui 
avait  commandé  de  jeter  dans  le  Nil  tous  les 
enfants  mâles  qui  naîtraient  des  Hébreux.  La 
mère  de  Moïse,  charmée  de  la  beauté  de  son 
enfant,  ne  put  se  résoudre  à  obéir  prompte- 
ment;  elle  le  cacha  trois  mois  dans  sa  mai- 
son :  mais  enfin,  ne  pouvant  plus  empêcher 
que  ce  secret  ne  se  découvrît,  et  craignant 
de  se  perdre  avec  cet  enfant,  elle  prit  une 
corbeille  de  jonc,  et  l'ayant  enduite  de  bi- 
tume et  de  poix  ,  elle  mil  dedans  le  petit  en- 
fant, l'exposa  parmi  des  roseaux  sur  le  bord 
du  fleuve,  et  fit  tenir  sa  sœur  loin  de  là  pour 
voir  ce  qui  en  arriverait  ;  mais  avant  que  de 
livrer  cet  enfant  si  tendrement  aimé,  quels 
combats  pensez-vous  qu'ait  livrés  dans  le 
cœur  de  celte  mère  affligée  la  crainte  de  pé- 
rir elle-même  avec  celle  de  voir  périr  ce 
qu'elle  aimait?  Combien  de  fois  la  nature, 
pénétrée  de  douleur,  murmura-t-e!Ie  contre 
les  lois  du  prince?  Combien  de  fois  alla-t-elle 
jusqu'au  bord  du  fleuve  pour  exposer  son  fils, 
cl  combien  de  fois  l'amour  lui  retint-il  le 
bras,  l'obligeant  de  remettre  sur  son  sein  ce- 
lui qui  en  élait  sorti,  que  la  nécessilé  la  con- 
traignait de  livrer  à  la  mort?  Mais  enfin, 
après  l'avoir  livré,  sa  sœur  a  ordre  de  ne  le 
pas  perdre  de  vue,  et  dès  qu'elle  aperçut 
qu'une  des  filles  de  la  princesse  d'Egypteavail, 
relevé  celte  corbeille,  elle  s'approcha  et  s'of- 
frit, de  lui  aller  quérir  une  femme  des  Hé- 
breux pour  nourrir  cet  enfant.  La  fille  lit  ve- 
nir sa  mère,  qui  reprit  Moïse  avec  une  nou- 
velle ardeur,  et  qui  le  nourrit  par  ordre  de 
la  princesse. 

Voilà,  mes  frères,  une  image  fort  naturelle 
des  suites  de  celte  haine  imparfaite  pour  le 
pé<  lié,  qui  nous  empêche  de  le  produire  à 
Jésus-Chri>l  cl  qui  nous  porte  à  le  lui  ca- 
cher. L'appréhension  de  tomber  entre  les 
mains  du  souverain  saisi  d'une  chose  qu'il  a 
condamné  •,  qui  oblige  la  mère  d'exposer  son 
enfant,  n'est-ce  pas  celle  cra  nie  servile  qui 
nous  fait  prendre  la  résolution  de  déclarer 
notre  pèche,  sans  le  haïr  (entablement  et 
par  le  seul  amour  de  '.lons-inêines ?  Enfin  tous 
les  soins  de  cel  e  mère  qui  veut  toujours  sau- 
Vcr  sou  enfant  contre  l'autorité  du  prince  et 


la  rigueur  de  la  loi,  n'est-ce  pas  l'image  de 
ceux  du  pécheur  qui  cache,  qui  diminue,  qui 
excuse  son  crime  devant  Dieu?  Combien  de 
fois,  pressé  par  la  crainte,  se  met-il  en  état 
de  le  lui  exposer?  Combien  de  fois,  retenu 
par  le  seul  amour  qui  l'engage  à  ce  péché,  ie 
renferme-t-il  dans  son  sein?  Si  enfin  la  crainte 
l'emporte,  et  que  l'amour  de  lui-même  triom- 
phe de  celui  qu'il  a  pour  son  péché,  il  se 
forme  une  fausse  liée  de  pénitence  qui  le 
porte  à  le  déclarer  ;  il  ne  le  jette  pas  dans  le 
fleuve,  mais  il  l'expose  sur  le  nord  parmi  des 
roseaux  pour  ne  le  pas  perdre  de  vue;  son 
œil  le  suit,  son  cœur  ne  s'en  sépare  pas,  et  à 
la  première  occasion  il  se  présente  pour  le 
reprendre,  et  il  redonne  du  lait  avec  une 
nouvelle  ardeur  à  cet  enfant  de  son  cœur 
qu'il  avait  exposé  sans  cesser  de  l'aimer. 

Voilà,  mes  frères,  la  source  de  ces  rechutes 
si  fréquentes,  après  les  apparences  trompeu- 
ses d'une  pénitence  que  l'on  croit  sincère.  On 
n'examine  pas  assez  la  disposition  de  son 
cœur,  on  ne  se  donne  pas  le  temps  de  recon- 
naître si  la  douleur  qu'on  ressent  est  l'effet 
d'une  haine  véritable  pour  le  passé,  si  cette 
haine  est  produite  par  l'amour  de  Dieu  ou 
bien  par  celui  de  nous-mêmes. 

Suivons  l'exemple  de  cette  femme  de  l'E- 
vangile :  si  elle  eût  voulu,  elle  n'aurait  pas 
manqué  d'excuses  pour  se  défendre;  mais 
beaucoup  de  péchés  lui  sont  pardonnes,  parce 
qu'elle  a  beaucoup  aimé;  et  nous  savons 
qu'elle  a  beaucoup  aimé,  parce  qu'elle  s'en 
est  accusée,  parce  qu'elle  a  pleuré  ses  pé- 
chés, parce  que  son  cœur  n'a  point  usé  de 
détours  dans  cet  aveu  pour  chercher  des  ex- 
cuses à  ses  crimes. 

C'est  ce  que  nous  devons  faire  :  il  faut  dire, 
comme  saint  Augustin  nous  l'enseigne  :  Dieu 
m'a  créé  avec  le  libre  arbitre;  je  pèche,  je 
sais  que  c'est  moi  seul  qui  pèche.  Oui,  c'est 
moi,  dit-il;  ce  n'est  ni  le  destin,  ni  la  for- 
tune, ni  le  démon,  puisqu'il  ne  m'a  pas  con- 
traint, c'est  moi  qui  ai  consenti  à  ses  persua- 
sions. 

Voilà,  mes  frères,  ce  que  j'appelle  confi  s- 
ser  sincèrement  son  péché,  renoncer  à  toules 
les  excuses  qu'on  peut  employer  pour  se  dé- 
fendre, reconnaître  qu'il  est  notre  ouvrage, 
détester  la  malignité  de  notre  cœur,  le  pen- 
chant qu'il  a  vers  l'injustice;  la  découvrir 
avec  humilité  à  .lésus-Cbrisl  comme  au  seul 
médeciu  qui  peut  la  guérir,  et  lui  demander 
l'amour  de  la  justice  qui  en  est  l'unique  re- 
mède. 

Mais  pour  suivre  en  tout  l'exemple  de  celle 
femme  de  l'Evangile,  et  s'assurer  de  plus  en 
plus  d'une  chose  aussi  importante  qu'est  la 
sincérité  de  notre  haine  pour  le  péché,  il  faut 
ne  pas  se  contenter  de  le  livrer  à  Jésus-Chrisl; 
mais  il  faut,  comme  elle,  aller  le  lui  produire 
en  présence  de  ceux  avec  qui  il  était  assem- 
blé. Elle  les  a  séduits  en  étalant  les  charmes 
trompeurs  du  péché;  elle  va  les  instruire  en 
exposant  sur  sa  personne  les  désolations 
saintes  et  innocentes  de  la  pénitence;  c'est  ce 
que  fait  celle  sainte  pécheresse  pour  satis- 
faire sa  haine  contre  le  péché,  en  se  décriant 
;  dans  l'esprit  des  hommes,  auxquels  elle  nio,;- 


1.07 


(MATElItb  SACRF.S    DOM  JEROME. 


Gos 


Ire  tous  les  Iraits  de  la  houle  qui  loi  c-l  pro- 
pre et  toutes  les  désolations  qu'il  cause  dans 
ceux  qu'il  a  séduits  Bile  entre  dans  la  mai- 
son du  Pharisien,  le  visage  baigné  de  larmes, 
ses  cheveux  épars  sur  son  Iront,  l'effroi  dans 
les  yeux,  les  sanglots  sur  la  bouche,  le  trem- 
blement dans  le  maintien,  et  les  marques  de 
la  plus  grande  désolation  répandues  sur  sa 
personne. 

Mais  quelle  est  son  intention  en  se  produi- 
sant aux  yeux  des  hommes  dans  cet  état?  Elle 
veut  nous  donner  des  marques  de  sa  haine 
pour  le  péché.  Elle  veut  décrier  ce  séducteur 
qui  trompe  les  hommes,  qui  leur  promet  des 
plaisirs  et  des  biens,  et  qui  ne  leur  procure 
que  des  «mictions  et  des  maux,  et  pour  le 
décrier  elle  veut  le  leur  montrer  tel  qu'il  est. 

La  conduite  de  la  sainte  pécheresse  est 
donc  une  règle  pour  juger  de  notre  haine 
contre  le  péché.  Si  elle  est  sincère,  nous  ne 
devons  le  ménager  en  quoi  que  ce  soit  ;  on  n'a 
aucun  égard  pour  un  ennemi,  on  le  poursuit 
partout,  on  cherche  à  le  détruire  partout. 

Je  parle  ici  du  soin  de  se  décrier  dans 
l'esprit  des  hommes,  où  nous  nous  sommes 
mis  en  estime  par  le  scandale  de  notre  con- 
duite; car  il  ne  faut  pas  douter  que  nous  ne 
soyons  obligés  de  réparer  par  une  sorte  de 
pénitence  publique,  c'est-à-dire  par  une  vie 
de  retranchement  etde  privalion,  le  scandale 
que  nous  avons  donné  par  une  vie  déréglée, 
et  de  décrier  par  là  le  péché,  à  qui  nous  avons 
donné  du  crédit  par  notre  exemple.  Il  est 
certain,  mes  frères,  que  ce  changement  de 
vie,  quand  il  est  considérable,  frappe  les 
hommes  et  les  porte  à  rentrer  en  eux-mêmes 
et  à  se  condamner. 

Le  changement  de  ceux  qui  ont  été  les 
compagnons  de  nos  dérèglements  est  tou- 
jours une  exhortation  et  souvent  une  per- 
suasion pour  la  nôtre.  Ceux  qui  allaient  voir 
les  saints  moines  de  l'Egypte  qui  vivaient 
dans  une  très-grande  pénitence  en  étaient 
touchés  vivement,  au  rapport  de  saint  Chry- 
BOstome  ;  ils  en  revenaient  émus,  dégoûtés  du 
monde,  craignant  le  péché,  effrayés  des  ju- 
gements de  Dieu,  se  disant  à  eux-mêmes  :  Si 
c'est  ainsi  qu'on  satisfait  à  la  justice  de  Dieu, 
que  deviendrons-nous?  S'il  faut  se  juger  de 
celte  manière  pour  éviter  ses  jugements  ,  où 
en  sommes-nous?  Oui,  mes  frères,  l'image 
de  la  pénitence  dégoûte  du  péché. 

Mais  lorsque,  après  une  longue  suite  do 
désordres,  on  ne  voit  aucun  changement  con- 
sidérable dans  la  vie,  et  que  toute  la  péni- 
tence se  lerminc  au  seul  récit  de  ses  désor- 
dres, que  sans  peine  ,  sans  privation,  sans 
retranchement,  on  continue  à  mener  une  vie 
aisée  quand  on  n'est  plus  en  état  d'en  me- 
ner une  scandaleuse,  qui  esl-ce  qui  craindra 
le  péché?  La  facilité  de  l'expier  entrelient  la 
facilité  de  le  commettre,  de  sorle  que  ceux 
qui  marquent  peu  de  haine  contre  le  péché 
n'inspirent  point  de  crainte  pour  le  commet- 
tre. La  différence  de  ces  letnps-ci  d'avec  ceux 
des  premiers  siècles  de  l'Eglise,  c'est  que  les 
péchés  pouvaient  èlre  aussi  grands,  nuis  ils 
étaient  couverts  par  la  discipline  de  l'Eglise 
qui  les  punissait,  el  que  par  là  elle  en  inspi- 


rait de  l'horreur,  cl  en  arrêtait  leconrs  <'ù 
est-elle  à  présent  celle  discipline?  La  facilité 
d'absoudre  des  plus  grands  crimes  aulorisc 
celle  de  les  commettre. 

Recourons,  mes  frères,  au  modèle  que  l'K- 
vangilc  nous  expose  en  la  personne  de  <<  lie 
pécheresse,  nous  venons  de  voir  les  circon- 
stances de  sa  haine  pour  le  péché,  voyons  les 
mouvements  de  sa  vengeance  sur  le  péché  : 
c'est  le  deuxième  point. 

DELMIMl      PARTIE. 

Quand  la  haine  est  sincère,  la  vengeance 
la  suit  de  bien  près,  et  comme  on  ne  peut 
aimer  véritablement  sans  faire  du  bien  à  ce 
qu'on  aime,  on  ne  saurait  haïr  souveraine- 
ment sans  le  faire  sentir  à  ce  qui  est  l'objet 
de  notre  aversion.  Préparez-vous  donc,  mes 
frères,  à  voir  les  effets  de  la  vengeance  de 
celle  dont  je  viens  de  vous  exposer  la  haine. 
Mais  il  est  à  propos  de  vous  expliquer  ce 
que  c'est  que  les  vengeances  d'un  pénitent 
sur  le  péché,  et  comment  il  les  exerce,  afin 
que  vous  remarquiez  mieux  ce  qu'il  y  a  d'ad- 
mirable dans  celle  que  l'amour  de  Dieu  ius- 
pire  à  cette  femme  de  l'Evangile. 

Le  péché,  qui  a  sa  source  dans  le  cœur,  y 
forme  un  principe  de  vie  qui  produit  des  œu- 
vres, et  ces  œuvres  sont  comme  les  membres 
qui  lui  composent  une  espèce  de  corps.  C'est 
ce  que  saint  Paul  appelle  le  vieil  homme  et 
l'homme  terrestre.  L'être  moral  de  l'homme 
étant  donc  composé  de  même  de  la  vie  etde 
l'action,  cet  homme  moral  a  sa  vie  dans  le 
cœur  par  la  cupidité  ou  par  la  charité. 

Quand  Dieu,  par  sa  miséricorde,  nous  re- 
lire de  l'esclavage  du  péché,  qu'il  détruit  l'a- 
mour du  monde  dans  notre  cœur  en  y  réta- 
blissant son  amour,  alors  le  vieil  homme  est 
crucifié,  il  est  mort;  mais  il  faut  que  le  corps 
du  péché  soit  détruit,  dit  saint  Paul,  et  il 
nous  enseigne  la  manière  de  le  détruire. 
Comme  vous  avez  fait  servir,  dit-il,  les  mem- 
bres de  votre  corps  à  l'impureté  et  à  l'injus- 
tice pour  commettre  Viniquilé,  faites-les  ser~ 
rir  maintenant  à  la  justice  pour  votre  sancti* 
ficalion.  Ainsi  nous  devons  exercer  nos  ven- 
geances conlrele  péché, deméme  qu'un  prince 
exerce  les  siennes  sur  une  ville  qui  s'est  lâ- 
chement soumise  à  son  ennemi  contre  la  fi- 
délité qu'elle  lui  doit,  el  à  proportion  que  le 
nouvel  amour  qui  change  le  cœur  et  qui  le 
remet  sous  l'empire  de  Dieu  est  plus  fort,  la 
douleur  de  l'infidélité  est  plus  vive  el  les  ven- 
geances sont  plus  étendues.  Retenez  bien 
seulement  ces  trois  vérités  :  il  n'y  a  point  de 
pénitence  sincère  et  ver, table  sans  amour  do 
Dieu,  on  ne  juge  de  l'amour  de  Dieu  que  par 
la  haine  du  monde  et  du  péché,  et  on  ne  juge 
de  la  haine  de  l'un  etde  l'autre  que  parle 
soin  qu'on  prend  de  les  détruire  tous  les 
deux. 

Nous  le  voyons  dans  la  conduite  de  celle 
sainte  pécheresse  dont  l'Evangile  nous  fait 
le  détail.  Elle  commence  par  les  yeux,  comme 
les  premiers  membres  qui  scrvenl  a  fumer 
le  corps  du  pèche.  Ces  you\.  qui  a*  aient  olé 
les  yeux  du  pet  lie,  dont  elle  sciait  servie 
pour  allumer  tant  de  flammes  criminelles,  et 


600 


qui  avaient  jelé  lant  de  regards  mortels  à 
l'innocence,  sont  couverts  d'un  triste  nuage 
qui  se  fondant  en  eau  éleint  tous  les  feux, 
criminels,  et  elle  verse  un  déluge  de  larmes 
qui  purifie  son  cœur.  Ses  cheveux,  qui  ser- 
vaient à  entretenir  sa  vanité,  servent  main- 
tenant à  la  pénitence;  elle  s'en  ornait  avec 
orgueil,  elle  s'en  sert  à  présent  à  essuyer  les 
pieds  du  Sauveur  du  monde;  elle  les  jette 
avec  négligence,  elle  les  arrache  avec  dou- 
leur. Cette  bouche  du  péché,  paroù  le  démon 
avait  répandu  tant  de  poison  dans  les  cœurs, 
ne  pousse  plus  que  des  soupirs  et  ne  veut 
plus  quitter  les  pieds  de  Jésus-Christ.  Enfin, 
mes  frères,  ces  parfums  qui  avaient  été  em- 
ployés à  donner  de  l'agrément  au  péché 
sont,  comme  le  reste,  des  objets  de  la  ven- 
geance de  celte  pénitente  ;  elle  les  répand, 
elle  les  dissipe,  elle  les  verse  sans  ménage- 
ment sur  les  pieds  de  son  libérateur.  Ah  ! 
quand  je  considère  ces  désolations  innocen- 
tes, je  ne  puis,  comme  dit  saint  Grégoire, 
retenir  mes  larmes  en  considérant  d'une  part 
l'admirable  force  de  cette  illustre  pénitente, 
et  de  l'autre  la  lâcheté  criminelle  des  pé- 
cheurs. Mes  frères,  que  l'exemple  de  cette 
pécheresse  est  touchant,  mais  que  la  con- 
duite des  pécheurs  est  déplorable!  Elle  sera 
votre  juge  au  jour  effroyable  de  la  colère  du 
Seigneur,  et  elle  s'élèvera  contre  vous  pour 
vous  confondre  par  sa  pénitence.  Vous  avez, 
dites-vous,  délesté  le  péché,  mais  par  où 
connaîtrai-je  que  votre  haine  est  sincère?  où 
sont  les  vengeances  que  vous  exercez  sur 
cet  ennemi  prétendu,  et  quel  soin  prenez- 
vous  de  détruire  par  la  pénitence  le  corps 
que  vous  lui  avez  formé  par  vos  infidé- 
lités? 

Ne  peut-on  pas  vous  dire  ce  que  Jésus- 
Christ  dit  au  Pharisien  à  l'occasion  de  celle 
pénitente  :  Vous  n'avez  point  versé  d'eau  sur 
mes  pieds  ?  Où  sont  ceux  en  effet  qui,  après 
avoir  donné  des  yeu\  au  péché,  s'en  vengent 
sur  eux-mêmes  par  des  larmes  amères  et 
continuelles?  Pleure-t-on  ses  péchés?  Vous 
ne  m'avez  point  donné  de  baiser.  Où  sont 
ceux  qui,  après  avoir  donné  une  bouche  au 
péché  par  les  délices  du  goût,  par  les  dis- 
cours libres  et  impurs,  par  les  médisances  et 
les  blasphèmes,  se  vengent  sur  cette  bouche 
par  le  jeûne,  par  le  silence,  par  les  prières, 
parles  soupirs?  Vous  n'avez  point  répandu 
d'huile  sur  ma  tête,  ni  essuyé  mes  pieds.  Où 
sont  ceux  qui,  après  avoir  donné  des  mains 
au  péché,  les  lui  retirent  pour  les  employer 
à  servir  les  malades,  à  assister  les  pauvres, 
qui  sont  les  pieds  du  Sauveur,  à  faire  des 
œuvres  de  miséricorde  et  des  actions  d'hu- 
milité? Où  sont  enfin  ceux  qui,  après  avoir 
donné  un  corps  au  péché,  s'appliquent  à  le 
détruire  par  la  mortification  dans  les  sens, 
par  la  modestie  dans  les  meubles,  par  la 
simplicité  dans  les  habits,  par  la  frugalité 
dans  la  table?  Où  les  trouvera-t-on  ces  pé- 
nitents ?  c'est  pourtant  à  ces  marques  qu'on 
les  doit  reconnaître  ;  car  il  n'y  a  point 
de  meilleure  preuve  du  défaut  de  l'amour 
qui  fait  les  pénitents  que  le  défaut  des  œu- 
vres qui  sont  les  fruits  de  la  pénitence 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  DE  LA  PASSION. 

TROISIÈME  PARTIE. 


(itO 


Finissons  tout  ce  discours  ea  établissant 
quelques  principes  qui  nous  serviront  de 
conclusion,  et  qui  renfermeront  toutes  les 
instructions  que  nous  devons  retirer  de 
l'exemple  que  nous  donne  la  pécheresse  dans 
sa  pénitence. 

1°  Il  ne  suffit  pas  que  le  péché  soit  détruit 
en  nous  par  une  haine  sincère,  il  faut  que  le 
corps  du  péché  le  soit.  Ce  n'est  pas  assez 
d'aimer  Dieu  comme  source  et  fontaine  de 
toute  justice ,  il  faut  l'apaiser  parla  péni- 
tence et  satisfaire  à  sa  justice  par  des  œu- 
vres qui  nous  humilient,  qui  nous  châtient, 
qui  nous  fassent  souffrir,  qui  nous  punissent. 
Il  faut  que  le  corps  du  péché  soit  détruit  ; 
faites  donc  mourir  les  membres  de  l'homme 
terrestre  qui  est  on  vous.  Car  si  le  baptême 
est  un  engagement  à  la  mortification,  à  plus 
forte  raison  la  pénitence  en  doit-elle  être  un 
aux  peines  et  aux  souffrances  ?  Il  faut  donc 
nous  appliquer  à  achever  de  mourir  par  la 
satisfaction. 

2°  Cette  satisfaction  ne  consiste  pas  en  des 
choses  aisées  et  qui  ne  nous  exposent  à  au- 
cune peine.  La  pénitence  est  un  baptême  la- 
borieux par  lequel  la  justice  de  Dieu  exige 
que  nous  ne  recouvrions  l'innocence  qu'avec 
bcaucoupde  larmes  etpar  de  grands  travaux, 
et  certainement  rien  n'est  plus  juste  que  celte 
disposition;  car  puisqu'il  s'agit  de  nous  ren- 
dre la  grâce  que  Dieu  nous  avait  gratuite-, 
ment  accordée  et  que  nous  avons  perdue  vo- 
lontairement par  notre  infidélité,  il  est  le 
maître  des  conditions  auxquelles  il  veut  nous 
la  redonner;  et  en  peut-il  proposer  de  plus 
raisonnable  qu'en  mettant  quelque  propor- 
tion entre  la  faute  que  nous  avons  commise 
et  la  satisfaction  qu'il  exige  pour  l'expier? 

Or,  mes  frères,  si  nous  avons  du  péché  l'i- 
dée que  nous  en  devons  avoir,  nous  ne  croi- 
rons pas  qu'on  l'expie  par  des  peines  légè- 
res. Il  ne  faut  que  le  regarder  du  côté  de 
l'offense  qu'il  renferme  et  de  celui  des  peines 
éternelles  qu'il  mérite  ;  il  est  vrai  qu'il  est 
effacé  parla  grâce  de  la  pénitence;  mais  l'o- 
bligation de  satisfaire  n'est  pas  effacée,  elle 
change  seulement  de  nature  ;  d'éternelle 
qu'elle  était  avant  que  la  grâce  eût  changé 
le  cœur,  elle  devient  temporelle  après  qu'elle 
l'a  changé,  et  celte  peine  doit  toujours  être 
réglée  sur  l'idée  de  l'offense  de  Dieu  qu'elle 
doit  expier,  et  sur  celle  d'un  tourment  éter- 
nel qu'elle  représente. 

Enfin,  mes  frères,  le  plus  grand  adoucis- 
sement que  saint  Paul  nous  propose  pour 
s'accommoder  à  la  faiblesse  des  hommes 
dans  l'exercice  de  la  pénitence,  c'est  d'exiger 
seulement  que  nous  fassions  autant  pour 
Dieu  que  nous  avons  fait  pour  le  péché.  Je 
vous  parle  humainement,  dit-il,  à  cause  de  la 
faiblesse  de  votre  chair  ;  comme  vous  avez  fait 
servir  les  membres  de  votre  corps  à  l'impureté 
et  à  l'injustice  pour  commettre  l'iniquité,  fai- 
tes-les sertir  maintenant  à  la  justice  pour 
votre  justification.  Soyez  donc  à  la  sainteté 
ce  que  vous  avez  été  à  l'impureté;  soyez  à 
la  justice  ce  que  vous  avez  été  à  l'injustice. 


011 


Il  faut,  mes  frères,  que  noire  pénitence  soit 
proporlionnée  à  nos  pé<  liés.  C'esl  pourquoi 
le  concile  dl  l  rutile  donne  cet  avis  si  im- 
portant aux  ininislres  de  la  pénitence,  qu'ils 
doivent,  luttât  que  l'esprit  de  Dieu  leur  don- 
nera la  lumière,  ordonner  des  satisfactions 
salutaires  et  convenables,  qui  aient  du  rap- 
port avec  la  qualité  des  crimes  et  avec  le 
pouvoir  et  la  force  des  pénitents,  de  |  eur 
que  s'ils  dissimulaient  leur>  péchés,  cl  s'ils 
usaient  avec  eux  d'une  trop  grande  indul- 
gence en  ne  leur  ordonnant  que  des  peines 
légères  pour  de  grandes  fautes,  ils  ne  se  ren- 
dissent participants  des  péchés  des  autres. 

Mais  non-seulement  il  faut  être  pénitents, 
il  faut  l'être  jusqu'à  la  fin  de  la  vie.  Il  faut 
que  l'esprit  de  mortification  et  de  satisfac- 
tion règne  sur  toute  noire  conduite  ;  car 
comme  il  ne  faut  plus  de  réconciliation  avec 
le  péclié  pour  que  la  pénitence  soit  véritable 
et  parfaite,  il  faut  aussi  qu'elle  produire 
tous  les  jours  de  nouveaux  fruits  par  l'a- 
mour des  souffrances,  par  le  retranchement 
et  par  les  privations  qui  doivent  être  des 
exercices  d'une  pénitence  continuelle.  C'est 
en  eux  que  la  pécheresse  de  l'Evangile  a 
trouvé  celle  paix  que  le  Sauveur  du  monde 
lui  accorde  :  Vade  in  pace;  car  un  pénitent 
ne  goûlcla  paix  qu'autant  qu  il  fait  la  guerre 
au  démon,  au  monde  et  à  la  chair. 

Kien  ne  me  parait  plus  propre  à  nous  sou- 
tenir dans  cette  persévérance  que  ce  beau 
sentiment  dont  saint  Iicrnard  se  servait  pour 
s'animer  dans  les  exercices  laborieux  de  la 
pénitence.  Cette  vie  est  pénible,  il  est  vrai  ; 
mais  je  prêtiez  s  les  jugements  de  Dieu  ,  mais 
j'apaise  sa  colère,  mais  je  désarme  sa  juslic, 
mais  j'éteins  les  feux  de  l'enfer. 

Voilà  donc  ce  qui  nous  doit  faire  trouver 
de  la  douceur  dans  la  pénitence  la  plus 
amère.  Il  faut  ou  se  juger  soi-même,  ou  bien 
l'être  par  la  justice  d'un  Dieu  en  courroux. 
Je  fais  ce  qu'il  ferait,  je  méjuge  pour  n'être 
pas  jugé  ;  je  me  châtie  en  celte  vie  pour  n'ê- 
tre pas  puni  en  l'autre,  et  par  une  peine  lé- 
gère j'évite  des  tourments  éternels.  Ahl  ve- 
nez en  nous,  haine  contre  le  péché  1  Quel- 
que animée  que  vous  puissiez  être,  vous  ne 
le  serez  jamais  autant  que  la  justice  du  Sei- 
gneur le,  serait  contre  moi.  Subissons  ,  mes 
frètes,  des  vengeances  cruelles  sur  le  corps 
du  péché,  elles  ne  seront  jamais  que  des 
maux  en  peinture  en  comparaison  des  ven- 
geances d'un  Dieu  irrité,  et  encore  est-il 
vrai  qu'en  supportant  ces  peines  si  légères, 
nous  nous  acquérons,  par  la  miséricorde 
de  Dieu,  une  éternité  de  bonheur.  Ainsi 
suit-il. 

SERMON 

POIR    LE    DltfàlTOHI    DES    RAMEAUX. 

De  l'examen  de  conscienjit. 

Sol  vile  cl  adducite  mibl. 

D&achei-les',  el  nu  h  s  amenez  (Mattli.,  \\\,  2). 

L'ordre  qi'c  le  Sauveur  du  monde  donne  à 
deux  de  ses  disciples  do  délier  l'ânesse  et 
l'a  son  qui  devaient  servir  au  triomphe  mys- 
térieux (ini  accompagne  son  entrée  dans  Jé- 
rusalem, est  une  ligure,  selon  les  saints  Pè- 


0RA.TEIRS  SACRES.  DOM  JEROME  012 

re-,  de  celui   qu'il  a  la  t$i   aux    p  isleurs  de 


l'Eglise  de  rompre  les  liens  qui  retiennent 
les  pécheurs  sous  la  servi  udcdu  pèche.  Nous 
voici,  mes  frères,  dans  le  l<  mps  où  II 
nislrcs  vont  exercer  sur  les  pécheurs  ce  pou- 
i  ii  et  celte  autorité.  Dieu  veuille  qu'ils  ra- 
mènent à  Jésus-Christ  tous  ceux  qu  i 
lieront  pour  rétablir  son  règne  en  eux.  et 
qu'ils  servent  à  son  triomphe  ! 

C'est  pour  contribuer  à  ce  grand  bien,  et 
pour  essayer  de  vous  mettre  en  état  d'être  dé- 
liés véritablement  de  vos  péchés  et  rami  nés 
â  !8U8-Cbrist,  en  sorte  que  vous  serviez  à 
sou  triomphe,  que  j'ai  résolu  de  vous  parler 
aujourd'hui  et  demain  des  conditions  d'une 
bonne  confession;  el  pour  cela  il  faut,  1"  que 
le  pécheur  s'appliq  le  à  avoir  une  c  nnais- 
sance  parfaite  de  son  état,  aut  int  qu'il  le 
peut  ;  car  sans  cela  comment  pourrait-il  l'ex- 
poser aux  ministres  de  Jésus-Christ  ?  2  11 
faut  que  le  pécheur  conçoive  une  douleur 
sincère  de  cet  étal  qu'il  a  exposé  ;  car  ^ans 
cela  comment  pourrait-il  être  ramené  à  Jé- 
sus-Christ? on  n'y  revient  que  par  l'amoir, 
lui  seul  peut  produire  cette  douleur.  3°  11  faut 
qu'il  forme  une  résolution  ferme  et  stable  de 
soriir  de  cet  état;  car  autrement  comment 
pourrait-il  servir  au  triomphe  du  Sauveur  du 
monde  ?  En  trois  mois,  exposer  son  état,  dé- 
lester son  état,  quitter  son  elal  :  ce  sont  les 
devoirs  du  pécheur  qui  demande  aux  minis- 
tres de  Jésus-Christ  d'être  délié,  sans  quoi  ils 
ne  le  ramèneront  jamais  à  lui  pour  serv  ir  au 
triomphe  de  cet  Homme-Dieu. 

Aujourd'hui  nous  ne  parlerons  que  des 
soins  que  le  pécheur  doit  prendre  pour  bien 
connaître  lui-même  l'état  qu'il  doit  exposer, 
et  nous  vous  ferons  voir,  dans  le  premier 
point,  la  nécessite  de  s'examiner;  dans  le  se- 
cond, l'ordre  de  cet  examen. 

Nous  examinerons  les  deux  autres  vérités 
dans  le  premier  discours.  Demandons  les  lu- 
mières duSainl-Espril.  Ave,  Marie. 

PREMILRE    PARTIE. 

Le  premier  soin  d'un  pécheur  qui  veut  re- 
tourner à  Dieu  par  la  pénitence,  el  se  mettre 
en  état  d'être  délié  de  ses  péchés  en  les  con  - 
fessant,  doit  et i  e  de  s'appliquer  à  la  connais- 
sance de  l'état  de  son  âme,  pour  pouvoir 
l'exposer  au  ministre  de  Jésus-Christ  avec 
sincérité. 

La  négligence  dans  ce  premier  soin  est  une 
des  sources  ordinaires  du  peu  de  fruit  et 
même  de  l'invalidité  des  confessions.  (>  ne 
déclare  que  la  moindre  partie  de  ses  péchés, 
on  ne  donne  qu'une  connaissance  confuse, 
imparfaite,  superficielle  de  son  état,  parce 
qu'on  ne  se  donne  pas  le  tennis  d'entrer  en 
compte  avec  soi-même,  de  p  métrer  le  fond 
de  son  cœur,  el  d'examiner  ses  devoirs  dans 
toute  leur  étendue.  Or  celte  nég  i  lent 

de  ce  qu'on  ne  comprend  pas  assez  la  i 
silé  qu'il  y  a  de  s'examiner  avec  soin,  el  qu'on 
ne  connaît  point  assez  la  matière  de  ecl  exa- 
men, c'est-à-dire  les  sujets  sur  lesquels  il  faut 
.s'examiner,  pour  pouvoir  exposer  comme  il 
faui  l'état  de  son  âme. 

il  n'y  a  point   d'homme  de  bon   sens  qui 


613 


SERMON  POUR  LE  DIMANCHE  DES  RAMEAUX. 


614 


veuille  s'engager  dans  une  affaire  de  consé- 
quence, sans  prendre  du  temps  pour  s'y  pré- 
parer, pour  en  examiner  toutes  les  circons- 
tances et  pour  voir  d'où  elle  dépend.  C'est, 
mes  frères,  sur  ce  seul  principe,  que  le  bon 
sens  dicte,  que  je  veux  établir  la  nécessité  de 
prendre  du  temps  pour  faire  l'examen  dont  il 
s'agit  ;  car  la  confession  des  péchés  el  l'ex- 
position de  l'état  de  son  âme  est  une  des  plus 
importantes  actions  de  la  vie  chrétienne  dans 
l'ordre  du  salut. 

En  effet,  pour  bien  entrer  dans  les  vu?sde 
l'importance  de  cette  action,  il  faut  regarder 
le  sacrement  de  pénitence  comme  un  sa- 
crement où  le  pécheur  reçoit  la  rémission  de 
ses  péchés  par  un  jugement  qui  l'absout,  et 
où  le  malade  reçoit  la  santé  par  l'application 
des  remèdes  propres  à  guérir  ses  maux. 

Dans  ce  sacrement,  il  y  a  une  espèce  de 
commerce,  une  relation  mutuelle  entre  le 
ministre  du  sacrement  et  le  sujet  qui  le  doit 
recevoir.  Le  ministre  est  un  juge  qui  doit  ren- 
dre un  jugement  sur  la  déclaration  d'un  cou- 
pable ;  on  n'en  peut  disconvenir,  puisqu'on 
ne  saurait  douter  que  Jésus-Christ  n'ait  don- 
né à  son  Eglise  la  dispensalion  de  l'autorité 
qu'il  a  de  remettre  les  péchés.  Recevez,  d"it-il 
à  ses  apôtres,  le  Saint-Esprit  :  les  péchés  se- 
ront remis  à  ceux  â  qui  vous  les  remettrez,  et 
ils  seront  retenus  à  ceux  à  qui  vous  les  retien- 
drez. Je  vous  donnerai  les  clefs  du  royaume 
du  ciel,  et  tout  ce  que  voie;  délierez  sur  la 
terre  sera  délié  uu  ciel.  Cette  puissance  ac- 
cordée à  l'Eglise  est  passée  du  chef  à  ses  suc- 
cesseurs. Klle  réside  dans  les  pasteurs  qui 
sont  les  pères  el  les  propres  prêtres  des  fidè- 
les, el  elle  passe  par  commission  dans  ceux 
qui  sont  dé  égués  de  leur  part.  Il  est  donc 
constant  que  les  ministres  de  l'iîglisc  sont 
revêtus  du  pouvoir  de  juger  les  pécheurs,  p  ir 
l'autorité  qu'ils  ont  reçue  de  Jesus-Christ  et 
qu'ils  exercent  sous  celle  de  l'Eglise. 

Or,  mes  frères,  pour  rendre  un  jugement 
équitable,  il  faut  qu'ils  aient  une  connais- 
sance parfaite  de  l'alïaire  sur  laquelle  ils 
doivent  prononcer.  11  s'agit  dans  celle-ci  de 
vous  absoudre  de  vos  péchés,  de  telle  ma- 
nière toutefois  que,  pour  conserver  les  in- 
térêts de  Jésus-Christ,  il  vous  oblige  de  sa- 
tisfaire à  sa  justice  en  vous  appliquant  les 
effets  de  sa  miséricorde  :  il  faut  donc  que 
d'une  part  il  connaisse  la  nature,  les  circons- 
tances et  le  nombre  des  crimes  dont  vous 
demandez  la  rémission  à  Jésus-Christ  par 
leur  ministère,  afin  qu'ils  puissent  les  peser 
et  reconnaître  s'ils  doivent  les  remettre  ou 
les  retenir;  car  ils  ont  une  égale  puissance 
pour  l'un  et  pour  l'autre  ;  el,  supposé  qu'ils 
veuillent  vous  les  remettre,  il  faut  qu'ils  pro- 
portionnent la  satisfaction  qui  est  due  a  Jé- 
sus-Christ, selon  la  nature  des  crimes  dont 
ils  vous  donnent  l'absolution  ;  ce  qui  suppose 
toujours  nécessairement  une  connaissance 
qu'ils  ne  peuvent  recevoir  que  par  votre 
cou  Cession. 

Or,  nus  frè  os,  relie  confession,  pour  cire 
telle  qu'elle  doit  être,  suppose  une  obligation 
pour  le  pécheur  d'entrer  en  compte  avec  lui- 
même  de  la  inani.  i  o  la  plus  exacte  ;  car  au- 


Irement  quel  moyen  de  faire  une  déclaration 
sincère  et  entière  ?  On  ne  rend  point  un 
compte  dans  une  affaire  importante  sans 
avoir  examiné  chaque  article  avec  soin.  Or 
je  vous  demande  s'il  y  a  quelque  chose  qui 
puisse  être  de  plus  grande  conséquence  pour 
vous  qu'une  action  où  il  s'agit  de  la  rémis- 
sion de  vos  péchés  et  de  votre  salut. 

Diles-moi,  s'il  vous  plaît,  mes  frères,  si 
quelqu'un  de  vous  avait  été  chargé  de  l'ad- 
ministration des  biens  d'un  prince,  que  vous 
lui  fussiez  redevable  de  grandes  sommes,  et 
que  ce  prince  eût  eu  la  bonté  de  vous  dire 
qu'il  veul  bien  vous  remettre  tout  ce  que 
vous  lui  devez,  mais  à  condition  que  vous 
rendiez  un  compte  exact  de  votre  adminis- 
tration, vous  recommandant  au  reste  de  ne 
craindre,  en  découvrant  votre  infidélité,  que 
votre  mauvaise  foi,  et  vous  assurant  que  la 
houle  et  la  confusion  que  vous  en  aurez  fera 
partie  de  la  satisfaction  qu'il  veut  exiger  de 
vous,  mais  en  même  temps  que  si  vous  ca- 
chez quelque  chose,  et  qu'il  vienne  à  décou- 
vrirque  par  votre  négligence  il  y  ait  des  ar- 
ticles oubliés  dans  le  compte  qu'il  exige  que 
\  ous  rendiez  devant  ceux  à  qui  il  a  donné  le 
pouvoir  de  vous  remettre  vos  dettes,  non- 
seulement  vous  n'en  serez  pas  quitte,  mais 
qu'il  vous  fera  ressentir  tous  les  justes  effets 
de  son  indignation  ;  si  quelqu'un  d'entre  vous 
se  trouvait,  tlis-je,  en  pareil  cas,  quelle  dili- 
gence, mes  frères,  ne  feriez-vous  pas  pour 
rendre  ce  compte  exact  ?  Vous  conlenteriez- 
vous  de  jeter  en  général  un  coup  d'œil  sur 
votre  conduite?  Vous  précipileriez-vousdans 
celte  affaire?  Quels  soins  n'apporteriez- vous 
pas  !  Quelle  serait  votre  exactitude  !  Risque- 
riez-vous  quelque  chose  dans  une  affaire 
aussi  importante  que  celle-là  pour  voire  éta- 
blissement el  pour  votre  fortune  ?  Si  trois 
mois  n'étaient  pas  suffisants,  n'y  donneriez- 
vous  pas  une  année  entière  ? 

C'est  ainsi  que  Dieu  en  use  avec  les  hom- 
mes :  la  supposition  que  je  viens  de  faire  est 
réelle  dans  la  conduite  que  Dieu  tient  avec 
vous.  Il  vous  dit  précisément  ce  que  je  fais 
dire  à  ce  prince;  il  y  met  les  <nêmes  condi- 
tions, et  si  vous  voulez  après  tout  cela  des 
raisons  de  cette  conduite  du  Seigneur,  qui 
vous  marque  pourquoi  il  exige  ce  compte 
exact,  sachez  qu'il  est  maître  de  sa  miséri- 
corde et  du  pardon  qu'il  veut  bien  accorder, 
et  qu'ainsi  il  y  met  les  conditions  qu'il  lui 
plait. 

il  agit  ici  par  la  voie  d'un  jugement  de 
grâce  qui  doit  être  rendu  par  ses  ministres, 
el  cette  grâce,  pour  être  enter, née,  doit  ..voir 
pour  fondement  un  aveu  sincère  de  toutes  les 
circonstances  du  crime.  Il  veut  que  celle  dé- 
claration tienne  lieu  d'une  partie  de  la  satis- 
faction qu'il  exige  du  coupable,  par  l'humi- 
liation qu'il  souffre  en  découvrant  ses  mi- 
sères, ses  infidélités,  Ses  perfidies. 

Concluons  donc  Celte  première  preuve  avec 
ces  paroles  de  1  Ecriture  sainic  :  Interrogez- 
vou  k  ou* -mêmes  avant  h  jugement  t  et  vous 
trcuvtrt  devant  Dieu.  Mas  faisons 

voir  la  nec  :cn,  en  considé- 

rant le  sacrement  dont  il  s'agit  dans  le  second 


fi  15 


ORATI  I  R  i     \>  RES    m»M  JKHOME. 


I  !'■ 


point  de  vue  que  je  tous  ai  proposé,  c'csi-à- 
dire  comme  un  commerce  ouvert  cnlre  le 
malade  cl  son  médecin  pour  traiter  de  la  gué- 
risou  d'une  maladie  qui  mène  à  la  mort. 

("est  l'idée  que  l'Ecriture  nous  en  donne  ; 
car  par  ce  sacrement  l'âme  est  retirée  des 
bras  de  la  mort,  et  elle  est  rétablie  dans  l'état 
de  la  vie.  En  effet  c'est  Jésus-Christ  qui  vous 
pardonne  toutes  vos  offenses  :  c'est  un  juge- 
ment de  miséricorde  où  nous  recevons  la  ré- 
mission des  péchés  que  nous  avons  exposés 
à  ceux  qui  président  à  ce  jugement,  et  qui 
prononcent  par  l'autorité  qu'ils  ont  reçue  de 
Jésus-Christ. 

C'est  lui  qui  guérit  toutes  nos  langueurs. 
Si  donc  le  malade  a  honte  do  découvrir  sa 
plaie  au  médecin,  son  art  ne  pourra  pas  gué- 
rir ce  qu'il  ne  connaîtra  pas.  Car  comme  la 
médecine  ,  pour  être  exercée  parfaitement, 
doit  délivrer  le  malade  du  danger  de  la  mort, 
le  rétablir  dans  la  santé  et  lui  fournir  des 
moyens  propres  à  la  conserver,  il  faut  que 
les  mêmes  effets  soient  produits  dans  l'âme 
par  le  sacrement.  Pour  que  l'usage  en  soit 
de  toutes  manières  bon  et  utile  au  pécheur, 
il  doit  non-seulement  sortir  d'entre  les  mains 
des  pasteurs  et  des  ministres  de  l'Eglise  ab- 
sous de  ses  iniquités  et  délivré  de  la  con- 
damnation qu'il  avait  méritée  aussi  bien  que 
du  péril  de  la  mort  éternelle  auquel  il  s'était 
livré,  mais  de  plus  il  faut  qu'il  en  sorte  muni 
de  remèdes  contre  la  rechute  dans  les  maux 
qu'il  doit  toujours  craindre,  et  aussi  instruit 
des  règles  qu'il  doit  suivre  pour  conserver 
sa  vie  ,  que  du  régime  qu'il  faut  observer 
pour  ne  plus  retomber  dans  les  maladies 
qui  l'avaient  conduit  à  la  mort,  dont  le  prin- 
cipe et  la  source  est  toujours  en  lui. 

Or,  pour  cela,  mes  frères ,  il  faut  qu'il  en 
use  avec  les  ministres  de  Jésus-Christ  pour 
la  santé  de  son  âme,  comme  le  malade  avec 
le  médecin  pour  celle  de  son  corps;  et  com- 
me celui-ci  fait  connaître  à  son  médecin  la 
nature  de  son  mal,  les  symptômes  qui  l'ont 
précédé,  accompagné  et  suivi,  les  effets  que 
les  remèdes  ont  produits  ,  le  fond  de  son 
tempérament ,  son  âge  ,  les  précédentes  ma- 
ladies qu'il  a  eues  ,  sa  manière  de  vivre,  ses 
emplois,  ses  applications,  afin  que,  connais- 
sant parfaitement  et  tirant  des  médicaments 
tout  ce  qui  a  rapport  à  lui,  il  puisse  sur  cela 
lui  donner  un  régime  propre  à  conserver  sa 
santé  en  réglani  tout  ce  qui  le  regarde,  l'air 
qu'il  doit  respirer,  les  aliments  qu'il  doit 
prendre,  les  remèdes  dont  il  doit  user,  les 
applications  qu'il  doit  interrompre,  les  exer- 
cices qu'il  peut  faire  ,  et  tout  le  reste  qu'on 
ne  néglige  point  quand  on  aime  la  vie  :  il 
faut  de  même  que  le  pécheur  qui  songe  sé- 
rieusement à  guérir  son  âme  ,  et  à  qui  Dieu 
a  mis  dans  le  cœur  celte  disposition  du  Pro- 
phète :  Je  confesserai  mon  iniquité,  tienne  la 
même  conduite  que  le  malade,  qu'il  appren- 
ne du  médecin  ce  qui  lui  convient  et  ce  qu'il 
doit  éviter,  les  choses  dont  il  doit  s'abstenir, 
celles  dont  il  pcul  user, jusqu'où  il  doit  porter 
l'usage  de  celles  qui  lui  sont  permises  ,  et 
tout  ce  qu'il  faut  observer  pour  ménager  la 
grâce  nouvellement  reçue,  pour  se  fortifier, 


cl  enfin  pour  B'élablir  dans  une;  \ie  parlailc. 
Oui  est-ce  qui  songe  à  l'approcher  ilu  sa- 
crement de    pénitence    avec   de  semblables 
dispositions?   Mon  Dieu!    tout   se   fait  par 
routine  :  on  n'a  point  les  idées  qu'on  devrait 
avoir  de  la  religion,  on  ne  la  connaît  point; 
ce  n'est  point  le  cœur  qui  est  chrétien,  ce 
n'est  que  le  corps  qui  est  livré  à  qoelqu 
mouvements  extérieurs  réglés  par  la  reli- 
gion ,   mais  où  le  cœur   cl  l'âme  n'entrent 
pour  rien.  Aussi  l'usage  qu'on  fait  de  tou- 
tes les  choses  de  la  religion  ne  produit  p  int 
les  effets  qu'il  devrait  produire  :  on  se  con- 
fesse, et  on  ne  se  convertit  point:  on  niai 
la  chair  de  Jésus-Chrisl,  et  on  ne  vit  point 3e 
sa  vie;  on  prend  des  remèdes,  ils  ne  servent 
qu'à  nous  affaiblir,  et  nous  nous  faisons  des 
plaies   de   ce    que   la   miséricorde  de  notre 
Dieu  a  établi  pour  notre  santé.  Or  comment 
entrerez  -  vous  dans   ce  détail  si  nécessaire 
avec  le  médecin  de  votre  âme  ,  si  vous  n'y 
êtes  pas  entré  avec   vous-même?  Comment 
lui  exposerez-vous  vos  plaies,  si  vous  ne  les 
connaissez  pas?  Comment  connaîtra-l-il  ce 
qu'il  doit    observer  pour  conserver   la  vie 
qu'il  vous  a  rendue  par  voire  réconciliation 
avec  Dieu  ,  dont  il   vient  d'êlrc  le  ministre, 
s'il  ne  connaît  ni  le   temps  ,  ni  les  circon- 
stances de  votre  maladie,  ni  votre  caractère, 
ni  votre  humeur,  ni  vos  habitudes,  ni  vos 
sociétés,   ni  la  conduite  de  votre  vie,  ni  les 
engagements  de  votre  élat  ,  ni  les  occasions 
où  vous  êtes  exposé,  ni  lout  le  reste  de  vos 
mouvements  et  du  fond  de  vos  inclinations? 
Le  Sauveur  du  inonde  demande  à  un  hom- 
me qui  lui   présente  son  enfant  possédé  du 
démon  pour  en  obtenir  la  délivrance,  com- 
bien il  y  avait   qu'il  était  réduit  dans  cet 
étal,  pour  nous  marquer  qu'il  faut  que  uous 
rendions  un  compte  de  l'état  de  notre  mala- 
die ,   si   nous  voulons   qu'on  nous  ordonne 
des  remèdes  propres  à  nous  guérir. 

Mais  comment  pourrez-vous  ,  encore  une 
fois,  exposer  l'étal  de  votre  âme,  si  vous  ne 
vous  êtes  pas  examiné  avec  toute  l'applica- 
tion et  tout  le  soin  que  demande  une  affaire 
aussi  importante?  Quoi!  Dieu  charge  les 
pasteurs  et  les  ministres  de  son  Eglise  de 
vous  interroger  avec  soin,  et  vous  méprisez 
vous-même  de  vous  examiner  avec  atten- 
tion ?  Si  le  devoir  de  la  charité  eugage  un 
ministre  de  Jésus-Christ  à  donner  ses  soins 
pour  pouvoir  exercer  utilement  pour  vous 
les  fonctions  de  son  ministère  en  vous  in- 
terrogeant avec  exactitude  ,  la  charité  que 
vous  vous  devez  à  vous-même  ,  l'intérêt  que 
vous  avez  dans  le  fruit  de  ses  soins  cl  de  son 
application  ,  vous  obligent  sans  doute  à  ne 
rien  négliger  de  votre  pari  pour  répondre  à 
ses  soins  et  pour  profiter  de  sa  charité. 

11  est  donc  constant  que  le  pécheur  qui 
vient  pour  être  délié  par  les  ministres  de  Je- 
sus-Christ ,  et  qui  doit  pour  cela  leur  expo- 
ser l'état  de  son  âme  dans  son  entier,  doit 
prendre  du  temps,  cl  un  temps  considérable, 
pour  faire  un  examen  sérieux  de  sa  vie  el 
..du  fond  de  sa  conscience:  mais  comment 
'doit-il  s'y  prendre  pour  rendre  cet  examen 
'parfait  cl  tel  qu'il  doil  être  pour  le  mettre 


61' 


SERMON  POUR  LE  DIMANCHE  DES  RAMEAUX, 


on  état  de  servir  au  triomphe  de  Jésus- 
Christ?  c'est  ce  qu'il  faut  vous  faire  voir  en 
vous  exposant  l'ordre  qu'il  faut  tenir  dans 
l'examen  de  sa  conscience:  c'est  la  matière 
de  nia  seconde  partie. 

SECONDE    PARTIE. 

Les  objets  qui  doivent  servir  de  fonde- 
ment à  l'examen  du  chrétien  sont  la  reli- 
gion ,  la  condition  et  le  caractère.  La  reli- 
gion ,  dont  il  doit  observer  les  lois;  sa  con- 
dition, dont  il  doit  remplir  les  devoirs  ;  son 
humeur,  dont  il  doit  régler  les  mouvements. 
Voilà  donc  la  matière  de  l'examen  d'un 
chrétien;  car  c'est  là-dessus  que  roule  toute 
la  vie ,  et  elle  renferme^  toutes  ses  obliga- 
tions. 

Mais  avant  que  d'entrer  dans  ce  détail  si 
important ,  il  est  nécessaire  de  remarquer 
que  presque  dans  tous  nos  devoirs  et  dans 
les  lois  qui  nous  les  prescrivent,  il  y  a  tou- 
jours quelque  chose  de  positif  et  de  négatif, 
c'est-à-dire  que  la  loi  nous  ordonne  de  cer- 
taines choses  et  qu'elle  nous  en  défend  d'au- 
tres :  c'est  ce  qu'on  appelle  ordinairement 
péché  de  commission  et  péché  d'omission, 
qui  sont  les  uns  des  actions  commises  con- 
tre ce  que  la  loi  défend  ,  et  les  autres  des 
fautes  de  négligence  dans  ce  que  la  loi  or- 
donne. 11  faut  éviter  les  unes  et  les  autres 
pour  marcher  dans  les  voies  de  la  justice, 
et  elle  consiste  à  garder  la  loi  en  s'absle- 
nant  du  mal  et  en  faisant  le  bien.  Or,  dans 
le  détail  des  obligations  qui  regardent  la  re- 
ligion ,  je  dis  que  ces  devoirs  qui  ont  Dieu 
pour  objet  se  terminent  et  se  peuvent  tous 
rapporter  à  l'obligation  de  le  connaître  ,  de 
l'aimer  et  de  Je  servir.  C'est  donc  sur  ces 
devoirs  que  le  chrétien  doit  s'examiner,  et 
c'est  à  quoi  on  ne  pense  presque  point,  ou 
si  on  le  fait,  c'est  très-imparfaitement;  car 
on  n'a  sur  ces  devoirs  que  des  connaissances 
très-légères  et  très-resserrées,  pendant  qu'il 
est  certain  qu'ils  s'étendent  bien  plus  loin 
qu'on  ne  croit. 

Oui  assurément,  mes  frères,  ceci  va  bien 
plus  loin  qu'on  ne  pense  ,  et  c'est  un  grand 
malheur  et  la  source  funeste  d'une  infinité 
d'autres  malheurs  ,  de  ce  qu'on  n'y  pense 
pas  assez;  car  comprenez,  s'il  vous  plaît, 
qu'il  y  a  une  obligation  pour  tout  chrétien 
de  s'appliquer  à  connaître  Dieu  et  tout  ce 
qui  regarde  la  religion  par  rapport  à  son 
salut,  et  que  cette  obligation  a  plus  ou  moins 
d'étendue  selon  le  caractère  de  ncire  esprit, 
selon  les  emplois  où  nous  nous  trouvons 
engagés  par  la  l'rovidence,  et  selon  les  liai- 
sons que  cette  môme  Providence  nous  don- 
ne avec  les  autres  hommes. 

En  effet,  personne  ne  peut  douter  qu'il 
n'y  ait  une  obligation  pour  tous  les  chré- 
tiens de  s'appliquer  à  connaître  Dieu;  car 
comment  l'adororez-vous  si  v  .us  ne  le  con- 
naissez pas?  Tous  les  maux  do  la  terre  sont 
des  suites  et  des  effeh  déplorables  «le  relie 
ignorance.  L'Evangile  dit  que  celui  qui  ne 
croira  point  sera  condamné;  l'Eglise  nous 
déclare  la  même  chose.  Il  est  vrai  que  celte 
obligation  a  plus   ou  moins  d'étendue;  car 

Orateurs  saches.  XXX. 


618 

pour  vous  qui  avez  reçu  plus  d'esprit,  plus 
de  lumières,  plus  do  pénétration  qu'un  au- 
tre ,  Dieu  vous  demande  que  vous  entriez 
plus  avant  dans  les  vérités  de  la  religion. 
Cet  esprit  est  un  don  pou:-  lequel  vous  de- 
vez de  la  reconnaissance  à  celui  qui  vous 
l'a  fait ,  et  le  devoir  de  la  reconnaissance 
vous  engage  à  vous  servir  du  don  selon  les 
intentions  du  bienfaiteur-  Or  l'esprit  d'un 
chrétien  est  formé  pour  la  vérité  ,  comme  la 
vérité  est  faite  pour  l'esprit;  et  ne  serait-ce 
pas  une  étrange  profanation  de  ce  don  de 
Dieu  ,  que  de  livrer  cet  esprit  aux  vaines 
sciences  du  monde ,  et  de  le  refuser  à  la 
connaissance  de  Dieu  et  à  l'étude  de  la  reli- 
gion qui  tendent  à  notre  salut? 

A  proportion  même  que  vos  emplois  sont 
plus  éminents  ,  vos  lumières  doivent  être 
plus  étendues  sur  les  devoirs  de  la  religion, 
pour  sanctifier  ces  emplois  par  les  vues  pu- 
res de  la  foi;  car,  comme  dit  si  bien  sa;nt 
Léon,  sans  elle  tout  ce  que  nous  faisons  est 
imparfait ,  il  est  inutile  ,  il  est  mort.  La  foi 
est  la  vie  de  l'homme  juste.  Si  enfin  vous 
avez  dis  reïaiions  avec  d'autres  ,  qui  peut 
douter  que  vous  ne  deviez  être  éclairé  pour 
donner  l'exemple  à  tout  le  monde  :  vous, 
pères  et  mères  ,  pour  éclairer  vos  enfants; 
vous  ,  maîtres  et  uiaîtresses,  pour  instruire 
vos  domestiques? 

Voyons  donc  maintenant  jusqu'où  va  pour 
vous  l'obligation  de  connaître  Dieu  et  les 
vérités  de  la  religion  ,  et  sur  quoi  vous  de- 
vez vous  examiner.  Tout  chrétien  doit  être 
instruit  de  l'existence  d'un  Dieu  en  trois  per- 
sonnes et  de  ses  principaux  attributs;  car 
l'obligation  de  connaître  Dieu  renferme  celle 
de  connaître  ses  perfections  qui  ne  sont  au- 
tres que  lui-même.  Tout  chrétien  doit  con- 
naître que  son  âme  est  immortelle,  qu'elle  a 
été  créée  pour  Dieu  et  avec  la  capacité  d'en 
jouir  dans  l'éternité.  11  doit  être  instruit  de 
la  cbule  du  premier  homme  cl  du  misérable 
état  où  nous  avons  été  réduits  par  sou  pé- 
ché. H  faut  qu'il  connaisse  le  remède  que 
Dieu  a  bien  voulu  appliquer  à  ce  ma!  par 
l'incarnation  du  Verbe  et  par  le  sacrifice  de 
la  rédemption.  Il  faut  qu'il  sache  qu'outre  le 
bienfait  qui  l'a  délivré  de  la  mort,  il  a  en- 
core lesoin  de  la  grâce  de  Jésus-Christ,  sans 
laquelle  il  ne  peut  ni  faire  de  bonnes  œu- 
vres ,  ni  s'acquitter  comme  il  faut  de  ses 
obligations.  Il  faut  qu'il  ait  une  notion  pré- 
cise et  convenable  de  l'Eglise  catholique, 
apostolique  et  romaine,  de  ses  qualités  ci  de 
ses  principales  prérogatives.  Il  faut  qu'il 
soit  instruit  de  la  doctrine  des  sacrements, 
c'est-à-dire  qu'il  sache  leur  institution,  leurs 
effets  ,  les  dispositions  qu'il  y  faut  apporter 
et  les  obligations  qu'il  contracte  en  les  rece- 
vant. Enfin  il  doil  savoir  qu'il  y  aura  un 
jugement  dernier  dans  lequel  le  Sauveur 
entrera  en  compte  avec,  les  hommes  qu'il 
ressuscitera  ,  pour  récompenser  les  bons  et 
punir  les  méchants  durant  toute  l'éternité. 

Voilà  les  points  sur  lesquels  vous  èles 
obligés  de  vous  instruire,  et  les  vérités  dans 
lesquelles  il  faut  entrer  plus  ou  moins,  scion 
les  règles  que  nous  venons  d'établir.  Or,  de 

20 


010 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


'     iO 


bonne  foi,  quelle  a  été  jusqu'ici  votre  con- 
duite à  cet  égard?  Avez-vous  compris  que 
vous  fussiez  dans  celle  obligation  de  vous 
instruire?  Avez- vous  songé  à  prendre  des 
moyens  pour  la  remplir?  Lisez-vous  l'Kcri- 
turc  et  les  bons  livres  pour  vous  instruire 
des  vérités  de  la  religion  ?  Les  ouvrages  des 
saints  l'êtes  qui  sont  entre  les  mains  de  tout 
le  monde,  les  iraités  qui  expliquent  les  mys- 
tères de  la  loi,  les  Instructions  si  solides 
qu'ils  nous  ont  données  sur  tous  les  devoirs 
du  christianisme  qu'on  a  pris  soin  de  tra- 
duire avec  tant  d'exactitude  et  de  pureté, 
avez-vous  pensé  à  donner  du  temps  à  ces 
lectures  si  nécessaires?  Au  contraire,  n'en 
faites-vous  pas  tous  les  jours  d'inutiles  pour 
le  salut,  et  qui  deviennent  criminelles  dès 
qu'elles  vous  empêchent  de  faire  les  néces- 
saires? N'en  faites-vous  pas  de  pernicieuses 
qui  remplissent  votre  esprit  de  principes,  de 
vues,  de  sentiments  qui  affaiblissent  en  vous 
ceux  de  la  foi,  qui  vous  jettent  dans  des  dou- 
tes, qui  vous  mènent  à  l'incrédulité?  Que 
faites-vous?  que  manquez-vous  de  faire  à 
l'égard  de  cette  obligation  dans  l'ordre  de  ce 
que  vous  devez  à  Dieu  ?  Examinez-vous. 

Venons  maintenant  aux  sentiments  du 
cœur.  Personne  ne  doute  qu'un  chrétien  ne 
soit  obligé  d'aimer  Dieu  souverainement  et 
préférablement  à  toutes  choses  :  cet  amour 
suppose  la  connaissance  dont  nous  venons 
de  parler;  car  on  n'aime  pas  ce  qu'on  ne 
connaît  point.  Mais  qu'est-ce  que  c'est  que 
cet  amour?  Une  union  de  deux  volontés  :  or, 
pour  que  notre  volonté  s'unisse  à  celle  de 
Dieu,  il  faut  que  celle  de  Dieu  nous  soit  con- 
nue. 

Dieu  nous  déclare  sa  volonté  par  sa  loi; 
c'est  par  là  qu'elle  nous  est  connue,  et  c'est 
pour  cela  aussi  que  son  amour  est  appelé 
l'accomplissement  de  la  loi  :  Dilectio  itlius 
custodia  legum  est,  et  qu'il  dit  lui-même  que 
celui-là  l'aime  véritablement  qui  sait  et  qui 
garde  ses  commandements  :  Qui  habet  man- 
data mca  et  servat  ea,  ille  est  qui  diligil  me. 

Examinez-vous  donc  sur  les  commande- 
ments, sur  les  maximes,  sur  les  règles  qu'il 
vous  a  prescrites  dans  son  Evangile,  sur  les 
exemples  qu'il  vous  a  donnés  durant  sa  vie  ; 
est-ce  sur  cela  que  vous  vous  êtes  réglés 
jusqu'ici?  Avez-vous  pris  soin  de  rendre 
conforme  voire  conduite  aux  principes  de 
son  Evangile?  Consultez-vous  ce  qu'il  a  fait 
et  ce  qu'il  a  prescrit  quand  il  sV.git  de  vo;:s 
déterminer  dans  vos  affaires  et  dans  vos  en- 
treprises? Portez-vous  Jésus-Christ  partout? 
JE  tes- vous  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ, 
omine  parle  saint  Paul;  c'est-à-dire,  votre 
vie  relrace-t-elle  l.i  sienne?  Car  c'esl  en 
cela  que  consiste  celle  union  de  volonté 
sans  laquelle  il  est  impossible  qu'il  y  ait  un 
amour  véritable.  Au  contraire,  ne  sonl-ce 
pas  les  maximes  du  monde  que  vous  suivez? 
Ne  vous  laissez-vous  pas  emporter  à  ses 
exemples?  Ses  principes  ne  règlent-ils  pas 
votre  conduite?  N'estimez» ?ous  pas  tout  ce 
que  Jésus-Christ  a  méprisé?  Tembrassei- 
vous  pas  tout  ce  qu'il  a  rejeté?  Ne  p  uirsui- 
Vezvous  pas  tout  ce  qu'il  «  condamné  1  Com- 


ment donc  voulez-vous  qu'il  se  trouve  quel- 
que degré  d'amour  dans  une  opposition  si 
effroyable  de  maximes  ,  de  sentiments  et  de 

>.  laite?  Non,  non,  mes  Iren-s,  nous  nous 
abusons,  nous  n'entendons  point  la  religion, 
ou  nous  ne  voulons  pas  l'entendre  ;  c\  il 
sur  cela  qu'il  faut  s'examiner  solidement, 
c  ;r  c'est  ta  l'essentiel. 

Enfin,  quel  culte  peut  rendre  à  Dieu  un 
homme  qui  ne  le  connait  point,  et  de  ni  les 
sentiments  et  la  conduite  sont  directement 
opposés  à  ce  qu'il  ordonne?  Quelle  adora- 
tion ?  quelle  prière?  quel  usage  des  sacre- 
ments? avec  quel  esprit,  '|u elle  révérence 
assistera-t-il  à  l'oblation  saint"  il"  l'a  loraWe 
sacrifice  qui  se  fait  en  son  nom  par  les  mains 
des  prêtres?  Vous  voit-on  assidu  ices 

d'une  paroisse,  à  la  célébration  d  saints  et 
redoutables  mystères,  à  ces  devoirs  publics 
de  la  religion  qui  composent  le  culte  exté- 
rieur et  ce  qu'on  appelle  le  service  de  Dieu, 
dont  la  négligence  habituelle  et  ¥  abandon- 
nement  ordinaire  renferment  une  sorte  de 
mépris  que  tout  homme  éclairé  ne  peut  pas 
exempter  de  péché  très-considérable? 

C'est  sur  cela  qu'il  faut  s'examiner,  c'est 
à  quoi  on  ne  pen-e  point;  car  il  ne  faut  pas 
croire  qu'on  soit  en  état  de  grâce  pour  ne 
pas  commettre  de  grands  crimes,  et  qu'il 
suffise,  pour  être  chrétien,  de  n'être  ni  athée 
ni  libertin.  Le  nombre,  mes  frères,  est  plus 
grand  qu'on  ne  croit  et  qu'on  ne  peut  dire, 
de  ceux  qui  croient  marcher  dans  les  voies 
de  la  justice  pendant  qu'ils  marchent  à  grands 
pas  dans  celles  de  l'iniquité;  qui  n'ont  ni 
l'esprit  ni  les  sentiments  du  christianisme, 
quoiqu'ils  fassent  quelques  actions  de  chré- 
tien ;  qui  disent  à  Dieu  :  Seigneur,  Seigneur, 
et  qui  cependant  n'entreront  jamais  dans  son 
royaume.  Encore  in  coup,  ..îes  Irès-chers 
frères,  examinez-vous  bien,  et  travaillez  sé- 
rieusement à  connaître  votre  disposition  par 
rapport  aux  devoirs  de  la  religion  :  mais  il 
ne  faut  pas  oublier  ceux  de  la  condition  et 
de  l'état  dans  lequel  la  Providence  vous  a 
placés.  Voici  plusieurs  points  très-impor- 
tants à  examiner  .  sur  lesquels  on  passe- 
très-légèrement  ou  même  qu'on  ne  consi- 
dère point  du  tout. 

Votre  condition  est-elle  bonne  par  elle- 
mème  ,  c'est-à-dire,  est-elle  établie  par  le 
Seigneur?  les  devoirs  en  sont-ils  réglés  dans 
l'Ecriture?  les  exercices  en  p  uvenl-ils  être 
rapportes  à  la  gloire  de  Dieu?  Car  il  y  a  des 
professions  qui  ne  valent  rien  :  telle  est  celle 
d'un  homme  qui  n'a  point  d'autre  occupation 
que  de  faire  valoir  son  argent  par  des  voies 
suspectes  aux  gens  t  éclairés  ,   ou 

même  défendues  par  l'Eglise  ;  do  celui  qui 
donne  à  jouer;  d'un  comédien,  d'un  homme 
qu:  ne  s  applique  qu  à  nourrir  les  p  usions 
des  autres:  car  voici  la  définition  d'an  i 
lien  :  c'est  un  homme  qui  réprime  loute 
passions,  et  qui  n'influe  en  rien  dans  celles 
des  a  litres  ;  cela  va  bien  loin. 

Supposé  que  la  condition  soit  bonne  par 

elle-  même,  éles-vous  capable  de  la  remplir? 

-  ous  les  qualités  nécessaires  pour  en 

soutenir  te  poids?  Vous  qui  êtes  dans  la  ma- 


621 


SERMON  POUR  LE  DIMANCHE  DES  RAMEAUX. 


gisfrature,  êtes-vous  de  ces  hommes  fermes 
et  courageux  qui  craignent  Dieu,  qui  aiment 
la  justice  et  la  vérité,  qui  sont  ennemis  de 
l'avarice,  qui  exercent  les  jugements  du  Sei- 
gneur avec  zèle,  avec  application,  avec  cir- 
conspection, avec  fidélité,  avec  sincérité, 
avec  exactitude,  avec  désintéressement,  avec 
impartialité?  C'est  pourtant  là  ce  que  Dieu 
dans  ses  Ecritures  demande  de  ceux  qui  sont 
chargés  de  ces  emplois.  Si  vous  n'avez  pas 
ces  qualités,  mais  que  vous  soyez  en  état  de 
les  acquérir,  c'est  à  quoi  il  faut  vous  appli- 
quer incessamment  et  sans  relâche,  car  c'est 
un  devoir  essentiel.  Si  vous  n'êtes  pas  en 
état  de  devenir  ce  que  vous  devez  être,  ces- 
sez d'être  ce  que  vous  êtes,  parce  que  sous 
vous  perdrez  danscelte  condition. Voilà  ce  qui 
est  capital,  et  c'est  ce  qu'il  faut  examiner. 
En  vain  vous  vous  confesserez,  si  vous  êtes 
dans  une  ignorance  et  daus  une  incapacité 
invincible  de  remplir  les  devoirs  de  votre 
état. 

Quant  à  ceux  qui  sont  près  d'entrer  dans 
un  état,  il  faut  qu'ils  examinent  cette  dé- 
marche avec  beaucoup  d'attention.  Il  ne  vous 
appartient  pas  de  prendre  des  places  comme 
il  vous  plaît  daus  la  maison  de  Dieu,  il  faut 
avoir  une  sorte  de  certitude  que  Dieu  nous 
destine  à  un  emploi  et  à  une  condition  avant 
que  d'y  entrer.  La  marque  de  la  véritable 
vocation  est  la  proportion  des  talents  avec 
l'état  que  l'on  embrasse,  proportion  dont  il 
faut  juger  par  les  principes  de  la  saine  rai- 
son éclairée  des  lumières  de  la  foi  et  de  la 
religion.  Le  défaut  de  vocation  est  cause 
d'une  iiiGnité  de  maux  ;  il  y  en  a  qu'on  peut 
réparer,  et  d'autres  qui  sont  irréparables; 
et  c'est  sur  cela  que  je  fonde  la  nécessité 
d'examiner  son  entrée  dans  l'état  où  l'on  est. 
Vous  êtes  revêtus  d'une  charge  par  des  vues 
toutes  humaines  et  toutes  corrompues,  quel 
succès  devez-vous  attendre  de  celte  entrée 
si  éloignée  de  l'esprit  du  chrétien?  Réparez 
donc  cette  démarche.  Vous  êtes  entrés  dans 
des  dignités  je  l'Eglise,  par  où,  mes  frères? 
N'en  disons  pas  davantage  :  il  y  a  telles  en- 
trées dans  cet  état  qu'on  ne  peut  réparer 
qu'en  le  quittant;  voilà  ce  qu'il  faut  exami- 
ner, c'est  là  le  fond  de  l'étal. 

Ces  principes  supposés,  il  faut  s'examiner 
sur  les  devoirs  de  son  état;  car  il  n"y  eu  a 
point  qui  n'ait  ses  obligations  et  ses  règles  ; 
c'est  pourquoi  saint  Paul  dit  :  Que  chacun  v  : 
conduise  selon  le  don  particulier  qu'il  a  reçu 
du  Seigneur,  et  selon  l'état  auquel  Dieu  l'a 
appelé.  Vous  n'êtes  pas  dans  une  condition 
pour  en  recevoir  les  honneurs  et  les  utilités, 
mais  pour  en  remplir  les  devoirs.  Dieu  a 
prescrit  dans  ses  Ecritures  des  règles  de 
sanctification  pour  chaque  état.  Le  monde  a 
pris  soin  de  semer  de  mauvaises  maximes 
que  la  corruption  nous  fait  embrasser  :  on 
oublie  les  lois  que  le  Seigneur  a  prescrites, 
et  on  reçoit  comme  certaines  celles  que  le 
monde  nous  donne. 

Il  faut  donc  discerner  les  fausses  maximes 
que  la  corruption  a  introduites,  pour  n'en 
pas  fane  les  règles  de  sa  conduite.  Un  juge 
doit  assister  au  jugement  d'un  procès,  et 


donner  sa  voix  pour  celui  qui  a  droit ,  quoi- 
que celui  qui  ne  l'a  pas  le  fasse  prier  par 
des  gens  puissants  de  s'absenter.  Ce  serait 
abandonner  enlre  les  mains  de  ses  ennemis 
un  innocent  que  d'office  et  en  conscience  on 
est  obligé  de  défendre;  car  livrer  un  homme 
qui  a  droit  à  celui  qui  est  contre  lui,  c'est 
être  injuste,  c'est  approuver  la  cupidité  de 
celui  qui  l'attaque,  c'est  autoriser  la  vio- 
lence, c'est  abandonner  la  justice,  c'est  con- 
sentir à  l'iniquité. 

Dans  l'Eglise,  que  de  maximes  corrom- 
pues sur  la  résidence  et  sur  l'emploi  des 
biens  ecclésiastiques!  Parmi  ceux  qui  ont 
droit  de  nommer  aux  bénéfices,  comment 
s'acquitle-t-on  de  ce  devoir  qu'on  regarde 
comme  un  avantage  et  qui  est  une  charge 
terrible  devant  Dieu?  Dans  les  familles  on 
se  donne  le  droit  et  l'autorité  de  déterminer 
le  sort  des  enfants,  et  de  les  établir  malgré 
eux  dans  des  conditions  où  ils  ne  sont  nul- 
lement appelés;  que  d'abîmes  dont  on  ne 
pense  point  à  sortir! 

11  faut  encore,  et  ceci  est  très-important, 
s'appliquer  à  connaître  jusqu'où  va  le  bien 
que  Dieu  demande  de  nous  dans  notre  état. 
Que  cela  est  étendu,  mes  frères!  Quels  biens 
un  juge  ne  peut-il  point  faire  dans  une 
campagne  ,  un  grand  seigneur  dans  une 
province,  un  évêque  dans  un  diocèse,  un 
pasteur  dans  une  église,  un  riche  dans  une 
paroisse,  un  père  et  une  mère  dans  une  fa- 
mille !  Qu'il  y  a  de  choses  dont  Dieu  deman- 
dera compte  ,  sur  lesquelles  on  ne  s'exa- 
mine jamais  !  Combien  de  gens  qui  tombent 
sans  y  penser  dans  le  péché  de  ce  serviteur 
infidèle  qui  lient  enfoui  le  talent  qu'il  a  reçu 
du  Seigneur,  et  qui  recevront  la  condamna- 
tion de  ce  négligent  et  de  ce  paresseux  1 
Souvenez-vous  de  ce  que  nous  avony  établi 
d'abord,  qu'il  y  avait  des  péchés  d'omission 
qui  nous  rendent  aussi  dignes  des  effels  de 
la  colère  de  Dieu  que  ceux  où  nous  tombons 
en  agissant  contre  sa  volonté.  Avez-vous  ja- 
mais examiné  quel  est  l'esprit  qui  vous 
anime  :  est-ce  celui  d'Adam  ou  celui  de 
Jésus-Christ?  Voilà  ce  qui  regarde  la  con- 
dition ,  ménageons  un  moment  pour  dire 
quelque  chose  de  ce  qui  regarde  l'humeur, 
autre  source  d'un*;  infinité  de  péchés  sur 
lesquels  on  passe  bien  légèrement. 

Je  vous  prie  ici,  mes  frères,  de  vous  sou- 
v  uir  de  ce  que  je  vous  ai  dit  ailleurs,  en 
parlant  de  certains  péchés  de  tempérament 
dans  lesquels  meurent  la  plupart  des  chré- 
tien,; c'est  de  ceux-là  dont  je  parle  encore 
ici.  Ils  s'opposent  à  la  formation  de  Jésus- 
Christ  en  nous,  de  sorte  qu'y  étant  livrés  et 
ne  pensant  point  à  nous  en  délivrer,  nous 
ne  sommes  conduits  que  par  l'esprit  d'A- 
dam et  nullement  par  celui  de  Jésus  Christ, 
et  c'est  ai n  i  que  nous  sommes  trouvés,  au 
mOment  de  notre  mort,  portant  l'image  de 
l'homme  terrestre  et  non  pas  celle  de  l'hom- 
me céleste,  en  qui  nous  avons  été  régéné- 
rés. Le  péché,  qui  est  pour  ainsi  dire  une 
seconde  nature  en  nous,  l'inclination  crimi- 
nelle qui  règle  tous  nos  mouvements,  voilà 
vcrilableuicut  le   premier   mobile    qui  eu- 


023 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


CÎ4 


traîne  toute  notre  vie.  Le  juste  vit  de  la  foi, 
elle  remue  et  fait  agir  le  chrétien,  et  l'hu- 
meur fait  agir  l'homme  charnel. 

On  reconnaît  même  cet  empire  de  l'hu- 
meur, cette  puissance  de  son  ascendant  cri- 
minel qui  domine  presque  partout.  Je  suis, 
dit-on,  emporté,  prompt,  paresseux  ;  je  suis 
lier,  difficile,  vif  sur  mes  intérêts  :  on  avoue 
tout  cela,  mais  voici  où  est  le  mécompte. 
On  s'attaque  cette  humeur  que  dans  ses  ef- 
fets et  jamais  dans  son  fond  :  on  lient  compte 
de  ses  impatiences,  de  ses  emportements  et 
des  paroles  dures  qu'on  a  dites  dans  cet  étal  : 
mais  on  ne  dit  pas  :  C'est  l'effet  d'un  fonds 
d'orgueil  que  je  ne  travaille  point  à  dimi- 
nuer, et  réellement  on  n'en  fait  rien.  On  ne 
dit  point  que  c'est  l'effet  d'un  ascendant 
d'humeur  qu'on  a  négligé,  qui  est  tourné  en 
habitude  et  en  nature,  qui  domine  et  qu'on 
n'a  jamais  combattu  ;  ainsi  on  meurt  avec 
ses  péchés,  non-seulement  sans  les  avoir 
combattus,  mais  sans  avoir  jamais  voulu  les 
reconnaître  pour  péchés. 

Travaillez  à  défricher  votre  terre;  com- 
battez vos  passions,  arrachez-en  les  racines 
qui  sont  toutes  vivantes  dans  votre  cœur. 
Le  jardinier  qui  taille  un  arbrisseau  n'a  pas 
dessein  de  le  perdre  ni  de  s'en  défaire,  au 
contraire  il  le  cultive;  car  s'il  voulait  le 
perdre  et  le  retrancher  de  son  jardin,  il  en 
couperait  la  racine  :  c'est  donc  ne  pas  vou- 
loir arracher  vos  péchés  que  de  ne  pas  aller 
jusqu'à  la  racine;  c'est  les  cultiver,  en  quel- 
que sorte,  que  de  n'en  couper  que  les  bran- 
ches. 

Je  tombe  d'accord  avec  vous  qu'on  n'est 
pas  maître  de  changer  son  humeur  entière- 
ment, ni  d'arracher  ce  fonds  de  corruption 
qui  est  en  nous  malgré  nous.  Saint  Paul 
même  demande  seulement  que  le  péché  ne 
règne  pas  ;  mais  il  faut  s'appliquer  à  le  com- 
battre et  à  en  arrêter  le  progrès.  Or  voici 
les  moyens  qui  y  serviront. 

Il  faut  donner  ses  soins  pour  le.  connaître  ; 
aller  toujours  au  même  confesseur,  et  qui 
soit  prudent  et  éclairé,  afin  de  vous  aider  à 
le  combattre  ;  enfin  il  faut  avoir  beaucoup 
de  fidélité  dans  la  pratique  des  règles  qu'il 
vou>  aura  prescrites. 

Voilà,  mes  frères,  une  légère  idée  des  su- 
jets sur  lesquels  un  chrétien  se  doit  exami- 
ner. Souvenez-vous  des  raisons  que  je  vous 
ai  données  pour  vous  convaincre  de  la  né- 
cessité de  le  faire  ;  mais  comprenez  bien 
qu'un  tel  examen  ne  peut  pas  se  faire  dans 
le  peu  de  temps  qu'on  y  donne  ;  que  ce  dé- 
faut est  cause  de  la  nullité  d'un  nombre  in- 
fini de  confessions,  et  que  tel  qui  pense  être 
délié  pour  servir  au  triomphe  de  Jésus- 
Christ  vient  se  charger  de  nouvelles  chaînes 
et  ne  s'approche  de  ses  ministres  qic  pour 
faire  une  nouvelle  injure  à  leur  maître,  et  se 
mettre  au  nombre  de  ses  ennemis  par  une 
perfidie  sacrilège.  Ouvrez  donc  les  yeux  sili- 
ces vérités,  prenez  de  bonnes  nu  sures;  fai- 
tes, pour  effacer  cette  injure,  ce  que  l'on 
fait  pour  guérir  une  plaie.  Don nez- j  toute 
Bonaltenlion,  prenez  toutes  sortes  de  moj  eus, 
observez  tout;  ne  négligez  rien;  faites  enfin 


ce  que  firent  autrefois  les  mariniers  qui  in- 
terrogèrent Jonas  avant  que  de  le  jeter  dans 
la  mer.  Oue  le  pécheur  ne  se  contente  pas  de 
dire  son  péché,  il  faut  qu'il  -'examine.  |  omrnc 
on  interroge  le  Prophète  :  (Àtjus  causa  ma- 
/m/!  illud  Ht  nobitî  11  faut  qu'il  en  pénètre 
la  cause  et  qu'il  en  découvre  la  source,  qu'il 
en  examine  bien  la  nature  et  les  circons- 
tances. Qua  terra  tua; son  fond,  se.  inclina- 
tions, son  humeur,  ses  passions.  I'.  <\u<>  po- 
pulo :  sont  état,  ses  emplois,  ses  sociétés. 
Quo  tadis  ;  sa  fin,  ses  vues,  ses  intentions. 
Observez  bien  tout  ceci,  s'il  vous  plaît;  car 
si  vous  faites  celle  confession-ci  ,  comme 
vous  avez  fait  toutes  les  autres,  voici  ce  qui 
arrivera.  Vous  la  ferez  avec  aussi  peu  de 
profit  qne  toutes  celles  que  vous  avez  faites 
jusqu'ici.  Oà  en  étes-vous  après  tant  d'an- 
nées ?  Etes-vous  plus  fidèles  à  Dieu  après 
tant  de  réconciliations  ? 

Vous  rejetez  les  lumières  que  Dieu  vous 
donne  par  notre  ministère,  il  les  retirera,  et 
vous  serez  livrés  à  vous-mêmes  et  à  vos  té- 
nèbres. Vous  vous  m<  lirez  dans  une  fausse 
sécurité,  regardant  votre  état  comme  bon; 
vous  serez  sans  scrupule  cl  sans  lumières, 
et  vous  périrez;  mais  si  vous  suivez  les  rè- 
gles qu'on  vous  propose,  et  que  vous  fassiez 
celte  importante  action  comme  elle  doit  être 
faite,  vous  verrez  du  changement  dans  votre 
conduite  ;  vo  s  serez  véritablement  déliés: 
ce  qu'on  aura  fait  sur  la  terre  sera  confirmé 
dans  le  ciel  ;  vous  servirez  au  triomphe  do 
Jésus-Christ  ;  il  fera  son  entrée  en  vous, 
et  il  vous  ouvrira  celle  du  ciel.  Ainsi  soit-it 

SERMON 

POUR   LE   LUNDI   DE   LA    SEMAINE    MlNT:  . 

Disposition  du  pénitent  pour  recevoir  l'abso- 
lution. 

El  dorons  impleta  est  ex  odore  nngnenU. 
/:'/  ta  maison  fut  remplie  de  l'odeur  de  ce  parfum  (Joan., 
XII,  5). 

Ce  parfum  que  Marie  répand  sur  les  pieds 
du  Sauveur  du  monde  est,  selon  saint  13er- 
nard,  la  figure  de  la  contrition.  Il  serait  inu- 
tile que  le  pécheur  eût  pris  soin  de  découvrir 
l'étal  de  sa  conscience,  s'il  n'en  détestait  les 
désordres;  et  celte  détesta Uon  ne  peut  être 
sincère  si  elle  n'est  animée  d'une  resolution 
ferme  de  sortir  du  péché. 

C'est  par  là  uniquement  qu'il  peut  être  dé- 
lié pour  servir  au  triomphe  de  Jésus-Christ  : 
ainsi  nous  allons  vous  parler  aujourd'hui  de 
la  douleur  sincère  que  le  pécheur  doit  con- 
cevoir sur  son  état  connu  par  l'examen  et 
exposé  dans  la  confession,  et  de  la  résolution 
ferme  de  sortir  de  cet  état  qu'il  a  détesté  :  en 
deux  mots  voici  le  partage  de  ce  discours. 

Il  faut  détester  son  péché,  ce  sera  la  pre- 
mière partie;  il  faut  quitter  son  péché,  ce 
sera  la  seconde  :  deux  conditions  nécessaire» 
pour  être  délies  et  pour  entrer  dans  la  nou- 
velle vie,  qui  répand  celle  bonne  odeur  que 
produit  l'amour  de  Dieu  quand  il  a  changé 
le  ca'ur. 

Seigneur,  changez  le  notre,  et  donnez-moi 
des  paroles  pour  expliquer  ulilemeni  la  né- 


SERMON  POUR  LE  LUNDI  DE  LA  SEMAINE  SAINTE. 


Î85 

eessilé,  les  conditions  et  les  avantages  de  ce 
changement.  Une  Marie  innocente  et  agréa- 
ble à  vos  yeux  répand  le  parfum  sur  vos 
pieds;  je  m'a<lresse  à  une  encore  plus  sainte 
et  plus  agréable  à  vos  yeux,  pour  obtenir  ce 
que  je  demande  par  son  intercession.  Ave, 
Maria. 

PREMIERE    PARTIE. 

Le  pécheur  accablé  par  ses  crimes ,  les 
yeux  ouverts  sur  ses  iniquités,  et  pénétrant 
la  profondeur  de  ses  plaies,  doit  se  livrera 
la  douleur  et  détester  tous  ses  désordres  s'il 
veut  en  obtenir  le  pardon  et  se  réconcilier 
avec  Dieu,  qu'il  a  irrité  contre  lui  par  toutes 
les  infidélités  dont  les  images  viennent  de  se 
représenter  à  ses  yeux  dans  l'examen  qu'il  a 
fait  de  sa  conscience. 

Mais  pour  ne  rien  omettre  des  instructions 
renfermées  dans  une  matière  aussi  impor- 
tante et  d'où  dépend  notre  réconciliation 
avec  Dieu,  par  le  bon  usage  du  sacrement 
de  péniience,  il  me  semble  qu'il  faut  parler 
de  la  nécessité  de  celle  douleur,  de  ses  qua- 
lités et  des  effets  qu'elle  doit  produire  dans 
l'âme  du  pécheur  converti.  AUachons-nous 
donc  à  vous  montrer  qu'il  faut  être  touché 
d'une  vraie  et  solide  douleur  pour  être  délié 
devant  Dieu,  quelles  qualités  doit  avoir  cette 
douleur  pour  être  vraie  et  solide, cl  enfin  par 
où  nous  pourrons  reconnaître  si  nous  avons 
été  touchés  de  cette  vraie  et  solide  douleur. 

Le  Seigneur,  mes  frères,  a  toujours  atta- 
ché dans  les  Ecritures  l'idée  de  la  douieur  à 
celle  de  la  pénitence  ;  c'est  ainsi  que,  par- 
lant au  peuple  de  Juda  el  de  Jérusalem  par 
la  bouche  du  prophète  Joël,  il  leur  dit  :  Con- 
verlissez'vous  à  moi  dans  les  larmes  et  les  gé- 
missements. L'apôtre  saint  Paul,  fidèle  in- 
terprète des  Ecritures,  distingue  aussi  deux: 
sortes  de  tristesse,  l'une  qui  opère  la  mort, 
qui  est  la  tristesse  de  ce  monde,  l'autre  qui 
est  selon  Dieu,  et  qui  opère  une  pénitence 
véritable  :  nous  vous  expliquerons  l'une  et 
l'autre  dans  un  moment;  tenons-nous-en  à 
ces  deux  témoignages,  et  voyons  comment 
la  douleur  est  réellement  inséparable  de  la 
pénitence.  Pour  cela  considérez  que  le  cœur 
de  celui  qui  retourne  à  Dieu  par  la  pénitence 
j;eut  cire  considéré  dans  deux  mouvements 
différents,  mais  qui  se  suivent.  Le  premier, 
c'est  celui  de  la  séparation  d'avec  l'objet  de 
sa  passion  auquel  il  était  attaché  par  le  mau- 
vais amour  :  il  faut  par  nécessité  qu'il  res- 
sente de  la  douleur  dans  ce  mouvement, 
puisque  la  douieur  de  l'esprit  n'est  autre 
chose,  selon  saint  Augustin,  que  le  trouble 
que  produit  en  l'homme  la  privation  des 
choses  périssables  dont  il  jouissait.  Le  se- 
cond mouvement  qui  suit  le  premier,  c'est 
celui  où  l'âme,  s'approchant  plus  près  de 
Dieu,  cl  étant  éclairée  de  nouvellesct  de  plus 
abondantes  lumières,  découvre  plus  claire-: 
ment  sa  diiîortnité  :  elle  voit  la  souillure  du 
péché,  l'image  de  Dieu  effacée  cl  celle  du 
démon  gravée  en  sa  place.  Alors  il  s'excile 
en  elle  une  agitation,  selon  saint  Augustin, 
qui  csl  un  mouvement  de  douleur  ;  car,  se- 
lon le  même  saint  Augustin,  la  douleur  ré- 


626 


suite  de  la  disconvenance  des  choses,  d'où 
il  faut  conclure  que  le  pécheur  ne  peut  être 
délié  de  ses  crimes  et  revenir  à  Dieu  par  une 
vraie  pénitence,  sans  se  séparer  des  choses 
qui  l'en  avaient  éloigné,  ce  qui  ne  peut  pas 
se  faire  sans  douleur  :  la  douleur  est  donc 
inséparable  de  la  pénitence. 

Mais  allons  plus  loin  :  te  péché  n'est 
qu'une  fausse  joie  dans  le  cœur  produite 
par  le  mauvais  amour. qui  l'attache  et  qui  le 
colle  en  quelque  façon  à  un  objet  défendu. 
La  pénitence  qui  vient  le  détacher  et  qui 
doit  être  accompagnée  d'une  douleur  salu- 
taire, produite  dans  le  cœur  par  le  bon 
amour,  ouvre  les  yeux  du  pécheur  sur  son 
aveuglement  et  sur  son  infidélité  qui  le  lui 
fait  connaître,  sentir  et  détester.  Or,  mes 
très-chers  frères,  celui  qui  est  appelé  par 
saint  Jérôme  le  chef  de  la  pénitence  et  le 
premier  de  tous  ceux  qui  se  sauvent  par  la 
pénitence,  c'est  Jésus-Christ,  modèle  de  toute 
pénitence.  Quel  est  donc  le  jugement  que 
nous  devons  faire  de  la  pénitence  de  la  plu- 
part des  hommes  que  nous  voyons,  qui  no 
savent  ce  que  c'est  que  d'imiter  Jésus-Christ  ! 
Ils  sont  froids,  insensibles,  sans  douleur,  ne 
versant  pas  une  larme,  ne  donnant  pas  le 
moindre  signe  d'afiïiction.  Eh  quoi  1  dit  saint 
Cyprien,  si  la  mort  vous  avait  enlevé  une 
personne  que  vous  aimez,  vous  pleureriez 
et  vous  gémiriez  amèrement.  On  vous  ver- 
rail  avec  un  visage  abattu,  un  air  triste  et 
négligé,  couvert  d'un  habit  de  deuil,  fuyant 
les  joies  du  monde  et  séparé  du  commercn 
des  hommes.  Misérables  que  vous  êtes!  vous 
avez  perdu  voire  àme  en  perdant  votre  Dieu, 
et  vous  ne  pleurez  pas!  vous  n'en  paraissez 
pas  plus  affligés  ;  vous  n'èles  donc  que  de 
faux  pénitents.  Cette  insensibilité  est  un  fu- 
rieux préjugé  contre  vous;  je  dis  seulement 
préjugé,  car  ce  n'est  pas  qu'il  soit  nécessaire 
que  celle  douleur  soit  sensible,  ni  qu'on 
doive  croire  qu'elle  est  fausse,  lorsqu'on  no 
voit  pas  répandre  des  larmes  à  celui  qui  se 
présente  pour  être  délié:  et  pour  vous  faire 
sentir  ce  que  j'avance  ici,  expliquons  quel- 
les sont  les  qualités  de  celle  douleur. 

Pour  nous  donner  l'idée  des  qualités  que 
doit  avoir  la  douleur  dont  nous  parlons,  pour 
être  vraie,  solide  et  capable  de  nous  mettre 
en  état  d'êlrc  déliés  de  nos  péchés  ,  servons- 
nous  de  l'expression  de  Jéremie  ,  qui  dit  en 
pleurant  la  désolation  de  Jérusalem:  votre 
douleur  est  semblable  à  la  mer  :  Magna  est 
velul  mare  conlrilio  tua.  Ces  paroles  renfer- 
ment une  comparaison  propre  à  vous  tracer 
l'idée  des  qualités  que  doit  avoir  une  dou- 
leur solide  cl  véritable  :  elle  doit  ressembler 
à  la  mer  à  qui  ce  prophète  compare  sa  dou- 
leur. La  mer  est  haute  et  élevée  au-dessus 
de  la  lerrc  qui  lui  sert  de  fondement  ;  la  mer 
est  profonde,  c'est  ce  qui  l'ail  qu'on  lui  don- 
ne ie  nom  d'abîme;  la  mer  csl  large  et  éten- 
due :  Qui  de  nous,  dil  Job,  pourra  passer  la 
mer  'f 

Voilà,  mes  frères,  l'idée  que  nous  devons 
avoir  d'une  douleur  véritable  et  solide  :  ce 
sont  là  les  qualités  réelles  que  notre  dou- 


or\tf.i;rs  saches.  i">m  jkiiome. 


C2s 


leur  doîl  avoir  néoossaircmonl  pour  être 
déliés  de  nos  péehéf. 

Elle  doii  être  élevée  ;  car  comme  Dieu  a 
été  offensé,  Dieu  doit  être  le  molifel  le  but 

do  cette  douleur.  Elle  doit  être  profonde  ;  car 
comme  le  cœur  a  été  eorrompa  par  le  péché, 
elle  doit  en  pénétrer  la  profondeur  pour  y 
aller  porter  le  remède  unique  qui  peut  le 
guérir.  Enfin  elle  doit  être  étendue,  car, 
comme  la  corruption  du  cœur  s'est  répandue 
par  tout  l'homme,  elle  doit  étendre  ses  affeta 
partout. 

Oui,  mes  frères,  c'est  Dieu  qui  doit  élre 
le  motif  de  noire  douleur  dans  la  pénitence, 
el  c'est  de  là  que  se  doit  prendre  son  éléva- 
tion et  sa  hauteur.  C'est  Dieu,  qui  est  au- 
dessus  de  toutes  les  merveilles  dont  il  est 
l'auteur,  qui  a  été  insulté  par  le  péché  ,  et 
que  l'homme  criminel  attaque  dans  sa  ma- 
jesté el  dans  sa  grandeur  :  ainsi  le  prophète- 
roi,  qui  était  tombé  dans  un  péché  affreux 
où  plusieurs  personnes  étaient  intéressées, 
ne  regarde  que  Dieu  et  ne  parle  que  de  lui  : 
Tibi  soli  peccavi  ;  J'ai  péché  contre  vous  seul. 
Cependant  il  avait  commis  un  adultère  et  un 
homicide,  il  avait  souillé  la  couche  d'un  des 
seigneurs  dft  sa  cour  et  déshonoré  son  épou- 
se. II  avait  fait  perdre  la  vie  à  un  des  meil- 
leurs officiers  de  son  armée.  11  oublie  cepen- 
dant le  tort  qu'il  a  fait  à  l'un  et  à  l'autre,  et 
il  n'a  que  Dieu  en  vue  dans  sa  douleur  : 
Tibi  soli  peccavi  :  J'ai  péché  contre  vous  seul. 

En  effet,  qu'est-ce  que  le  péché?  c'est,  dit 
saint  Augustin,  toute  conduite  contraire  à  ce 
qu'on  doit  à  Dieu  et  qui  blesse  la  société  hu- 
maine. Or,  dans  toute  conduite  contraire  à 
ce  qu'on  doit  à  Dieu  et  aux  lois  de  la  so- 
ciété, Dieu  est  toujours  le  premier  et  le  plus 
offensé,  parce  que  nous  nous  élevons  contre 
lui;  nous  préférons  nos  passions,  nos  inté- 
rêts et  nos  plaisirs  à  ses  commandements  ; 
en  un  mot  nous  lui  ôtons  le  domaine  et  la 
souveraineté  qu'il  a  acquise  sur  nuire  vo- 
lonté et  sur  notre  cœur,  qui  ne  sont  plus  à 
nous.  Ecoutez  bien  ceci,  mes  très-chers  frè- 
res :  le  rétablissement  de  l'empire  de  Dieu  srr 
In  volonté  de  l'homme,  et  celui  de  son  rèqnesur 
son  cœur  par  la  grâce,  par  l'obéissance  et  par 
l'amour,  a  été  le  motif  et  la  findcl'inv. 
tion  de  son  Verbe,  dit  Tertullien.  C'est  là  ce 
feu  sacré  qu'il  désire  avec  tant  d'ardeur  de 
voir  brûler  partout. 

Le  cu:ur  de  l'homme  éiait  le  siège  de  son 
règne  par  le  titre  de  sa  création,  il  en  a  été 
chassé  par  le  péché,  qui  n'est  autre  chose, 
selon  saint  Augustin,  que  le  mouvement  par 
lequel  la  volonté  de  l'homme  se  détourne  de  ce 
qui est souverainement  bon, pour se.  reposer dans 
ce  qui  l'est  moins  que  Dieu.  Son  Fils  est  venu 
pour  détruire  ce  règne  du  péché,  el  se  ren- 
dre maître  de  ce  cœur  par  \m  nouveau  tiire 
de  conquête.  C'est  ce  qu'un  Père  de  l'Eglise 
a  si  heureusement  exprimé  par  ces  paroles  : 
Ne  amorem  dirideres,  idem  tibi  foetus  eut 
<r  ator  et  redetnptor.  De  peur  que  l'homme 
ut  partageât  son  cœur  s'il  lui  donnait  un 
au  ire  rédempteur  que  lui-même  après  .non- 
été  son  créateur,  il  a  réuni  ces  deux  qu  li- 
lés  dans  sa  personne.  C'est  donc  par  ce  dou- 


ble titre  de  rréation  et  de  rédemption  c,iie 
votre  cœor  e>l  à  loi  ;  c'esl  comme  votre  i 

leur  et  comme  votre  Sauveur  qu'il  le  l'est 
Acquis  et  qu'il  s'en  est  rendu  le  maître.  Vous 
ne  pouvez  dot  :ur   sans 

one  injustice  effroyable.    C'esl   lui  ravir  un 
droit  essentiel  et  inaliénable.  C'est  dorx 
laquer  dans  la  souveraineté  de  <-on  élre  que 
de  1  n  dérober  ce  cœur  pour  l'attacher  aux 
créatures. 

Or,  si  c'esl  lui  qui  est  blessé  si  essentiel- 
lement par  le  péché,  c'esl  lui  qui  doit  élre  le 
motif  de  la  pénitence  qui  fait  détesti  r  le  pé- 
ché. Je  lui  ai  ôté  ce  qui  lui  appartient,  je  l'ai 
chassé  de  mon  cœur:  si  je  veux  faire  une 
pénitence  qui  lui  soit  agréable  ,  il  faut  donc 
qu'il  y  rentre;  je  me  suis  é  evé  contre  sa 
volonté,  il  faut  qu"  la  mienne  lui  soit 
mise  ;  j'ai  violé  ses  lois  pour  contenter  mes 
passions,  il  faut  que  sa  loi  me  domine  et  que 
mes  passions  y  soient  assujetti  -. 

Onedoitdonc  êlreni  la  crainte  d'êlre  puni, 
ni  l'appréhension  des  peines,  ni  l'horreur 
de  l'enfer,  ni  les  affreux  supplices  dont  les 
ennemis  de  Dieu  sont  menacés,  qui  doivent 
exciter  uniquement  noire  douleur  :  ce  doit 
êlre  la  vue  de  la  majesté  de  Dieu  violée, 
celle  de  sa  bonté  infinie  offen-ée,  celle  du 
mépris  de  son  amour  outragé,  la  considéra- 
tion de  notre  ingratitude  el  de  nos  infidélités 
à  son  égard,  après  tant  de  bienfaits,  l'obliga- 
tion de  lui  rendre  ce  qui  est  à  lui  el  de  lui 
redonner  un  c  rur  qui  lui  appartient  par  tant 
do  titres,  et  que  nous  lui  avons  ravi  pour  y 
établir  le  règne  de  son  ennemi. 

Mes  chers  frères,  si  nous  n'étions  que  des 
esclaves  et  des  mercenaires,  la  seule  crainte 
des  supplices  éternels  suffirait  pour  nous 
faire  repentir  de  nos  offenses  et  de  no*  <  i- 
ines  ;  mais  nous  sommes  des  enfants  destines 
à  l'héritage  éternel,  qui  n'est  autre  que  Dieu 
même  ;  par  nos  péchés  vou<  avons  offensé 
un  père  infiniment  aimable,  c'est  donc  son 
amour  qui  doit  produire  en  nous  la  douleur 
de  nos  offenses. 

Ce  n'est  pas  que  nous  rejetions  les  motifs 
de  la  crainte,  à  Dieu  ne  plaise  !  !Sous  savons 
ce  que  l'Ecriture  et  la  foi  nous  enseignent 
sur  cet  article;  nous  reco: 
saint  concile  de  Trente  et  toute  l'Ealise, 
combien  elle  est  utile  quand  elle  procède  de 
la  foi  chrétienne,  et  qu'elle  est  fondée  Wtt 
la  révélation  divine  qui  élève  nos  esprits  à 
Dieu,  non-seulement  pour  le  faire  aimer 
p.irce  qu'il  est  la  bonté  souveraine,  mais 
aussi  pour  le  faire  craindre  parce  qu'il  est 
infiniment  juste,  et  qu'ainsi  il  doit  punir  nos 
péchés  à  proportion  de  leur  malice. 

C'est  donc,  mes  frères,  dans  la  digni 
son  objet,  qui  r.'est  autre  que  Dieu,  que  I  i 
douleur  dont  nous  parlons  va  prendre  celte 
hauteur  qui  fait  son  esprit  :  mais  elle  ne 
pourrait  pas  non  plus  avoir  celle  profondeur 
si  elle  était  conçue  par  un  autre  motif:  car 
pour   qu'elle  soil    profonde   e!  e    et 

qu'elle  pu  r   il  faut  qn'elli  ex- 

clue la  vol. Mlle  de  pécher  :  or  qu'est-ce 
I  i  luiv  la  volonté  de  pécher,  cl  par  où 
cette  volonté  peut-elle  élre  exclue?  Saint 


629 


SERMON  POUR  LE  LUNDI  DE  LA  SEMAINE  SAINTE. 


630 


Augustin  nous  dit  que  le  péché  n'est  autre 
chose  qu'un  mouvement  par  lequel  la  vo- 
lonté se  détourne  de  Dieu.  Ce  mouvement  la 
corrompt;  elle  n'est  saine  qu'autant  qu'elle 
est  attachée  à  Dieu  :  la  vérité  seule  peut  là 
rendre  bonne,  et  la  vertu  consiste  à  aimer 
ce  qui  doit  être  aimé,  c'est-à-dire  à  s'atta- 
cher à  ce  qui  est  tellement  parfait,  qu'il  peut 
nous  rendre  parfaits.  Cette  volonté  étant  donc 
infectée  et  corrompue  par  le  péché,  c'est  sur 
elle  que  la  douleur  doit  agir;  car,  comme  dit 
si  bien  saint  Ambroise,  si  le  ma!  est  au  de- 
dans,si  les  parlicsintérieures  sont  pourries, 
c'est  en  vain  que  vous  mettez  des  emplâtres 
au  dehors.  Tous  les  secrets  de  la  médecine 
ne  servent  de  rien  si  on  ne  coupe  ce  qui  est 
gangrené:  Si  virus  in  inleriora  serpit ,  me- 
dicamenta  foris  apposita  nihil  prosunt. 

Il  faut  que  celte  douleur  pénètre  jusqu'au 
fond  du  cœur,  c'est  ce  que  j'appelle  être  pro- 
fonde et  capable  d'exclure  la  volonté  de  pé- 
cher, comme  parle  le  saint  concile  deTrente. 
Ceci  posé,  qu'est-ce  donc  que  d'exclure  en 
soi  la  volonté  de  pécher?  C'est  lui  donner  un 
mouvement  différent  et  contraire  à  celui  qui 
l'a  corrompue  ;  c'est  la  détacher  de  la  créa- 
ture et  la  ramener  du  côté  de  Dieu;  c'est,  en 
lin  mot,  la  faire  cesser  de  vouloir  ce  qu'elle 
•voulait  et  lui  f  lire  vouloir  ce  qu'elle  ne  vou- 
lait pas.  Or  qui  peut  faire  ce  changement? 
qui  peut  exclure  la  mauvaise  volonté  ?  c'est 
la  seule  bonne  volonté,  c'est  l'amour  lui- 
même.  La  douleur  qui  n'est  causer;  que  par 
la  crainte  servile  ne  change  point  le  cœur  et 
n'exclut  pas  la  volonté  de  pécher,  et  voici 
comment  saint  Augustin  le  fait  voir  pnr  une 
comparaison  très-naturelle.  Un  loup,  dit  ce 
saint  docteur,  vient  à  un  troupeau  de  brebis  ; 
il  cherche  à  se  jeter  dessus  pour  les  dévorer; 
niais  le  pasteur  veille,  les  chiens  aboient,  en 
sorte  qu'effrayé  par  le  bruit  il  rentre  dans 
le  bois  sans  avoir  fait  aucune  proie.  Pensez- 
vous  que  parce  qu'il  n'a  rien  pris  il  soit 
changé,  et  que  de  loup  qu'il  était  en  sortant 
du  bois,  il  y  soit  rentré  changé  en  brebis? 
Non,  sans  doute.  11  avait  le  naturel  du  loup 
lorsqu'il  venait  chercher  la  proie,  et  il  s'en 
retourne  avec  le  naturel  du  loup,  quoiqu'il 
s'enfuie  tremblant:  Lupus  venit  ('remens,  lu- 
pus redit  tremens.  Or,  mes  frères,  peut-on 
être  juste  quand  on  est  ennemi  de  la  justice 
jusqu'au  point  qu'on  l'anéantirait  si  on  le 
pouvait  avec  tous  ses  préceptes, afin  de  n'être 
pas  exposé  à  ses  menaces  et  à  ses  châti- 
ments ? 

Exnmincz-vous  donc  vous-même  si  vous 
voulez  vous  connaître,  et  comprenez  bien  que 
si  la  seule  crainte  détourne  l'action  qui  est 
criminelle,  si  elle  suspend  le  cours  du  péché 
sans  en  ôter  la  volonté,  elle  ne  peut  jamais 
réconcilier  l'homme  avec  Dieu.  Vous  êtes  le 
loup  qui  ne  dévore  pas  la  brebis,  parce  qu'il 
craint  que  les  chiens  ne  le  dévorentlui-même. 
Comment  voulez-vous  donc  que  cet  homme 
soit  réconcilié  avec  Dieu?  Comment  peut-il 
étreinnocenl  devant  le  Seigneur,  lui  qui  vou- 
drait faire  ce  qui  lui  dépl  itt,  si  on  lui  épar- 
gnait la  peine  qu'il  craint?  Ne  voyez-vous 
pas  au  contraire  que  cet  homme  est  plein  do 


l'amour  du  péché,  que  sa  volonté  est  tou- 
jours la  même,  et  qu'autant  qu'il  est  en  lui 
il  voudrait  qu'il  n'y  eût  point  d'autorité  qui 
défendît  le  péché,  ni  de  justice  qui  le  châ- 
tiât. Mes  frères,  dit  saint  Augustin,  tant 
qu'il  n'y  a  que  la  crainte  qui  retient  le  pé- 
cheur, ce  qu'il  craint  ce  n'est  pas  de  pécher, 
c'est  de  brûler  :  Non  peccare,  sed  ardere. 

Concluez  donc  avec  moi  que  cette  douleur 
qui  n'est  pas  profonde,  comme  je  viens  de 
vous  l'expliquer,  ne  peut  pas  exclure  la  vo- 
lonté de  pécher.  Les  larmes  qui  ne  lavent 
que  le  visage  et  qui  ne  purifient  pas  le  cœur 
ne  sont  pas  celles  que  nous  vous  demandons. 
Il  faut  eue  l'esprit  d'amour  anime  cette  dou- 
leur pour  qu'elle  soit  profonde,  c'est-à-dire 
pour  qu'elle  aille  jusqu'au  fond  du  cœur  for- 
mer cette  volonté,  faible  à  la  vérité,  mais 
sincère  ;  volonté  qui  met  l'homme  dans  l'état 
dont,  parle  saint  Augustin,  lorsqu'il  dit  que 
celui  qui  veut  faire  les  commandements, 
quoiqu'il  ne  puisse  pas  encore  les  accomplir, 
a  une  charité  naissante  ,  faible,  petite,  qui, 
par  la  douleur  qu'elle  produit,  va  pénétrer 
jusque  dans  la  profondeur  et  dans  l'abîme 
du  cœur.  Mais  comme  la  corruption  du  cœur 
s'est  répandue  sur  tout  l'homme,  elle  doit 
étendre  ses  effets  partout,  et  c'est  par  là  que 
nous  pouvons  reconnaître  si  nous  en  avons 
été  touchés. 

Ce  que  j'appelle  son  étendue,  ce  sont  les 
effets  qu'elle  doit  produire,  et  ce  sont  là  les 
marques  certaines  qu'elle  est  en  nous.  Di- 
sons donc,  mes  frères,  que  comme  le  péché 
a  occupé  toutes  les  facultés  de  l'âme,  cette 
douleur  doit  en  remuer  tous  les  mouvements 
quand  elle  est  véritable. 

La  joie  funeste  du  péché  a  fait  que  l'homme 
a  oublié  Dieu  et  a  méprisé  ses  commande- 
ments. La  tristesse  salutaire  qui  procède  de 
cette  douleur  doit  lui  faire  délester  le  péché 
et  mépriser  tous  les  faux  avantages  qu'il 
estimait.  Elle  doit  s'étendre  sur  tous  les  pé- 
chés sans  exception,  et  sur  tout  ce  qui  peut 
avoir  quelque  relation  au  péché.  Elle  doit 
mettre  dans  le  cœur  une  disposition  à  em- 
brasser tous  les  maux  et  à  souffrir  toutes 
sortes  de  peines  plutôt  que  de  retomber  dans 
ces  fautes  qui  ont  fait  naître  le  péché;  elle 
ne  doit  rien  voir  d'affligeant  qu'elle  ne  soit 
prête  à  supporter  pour  expier  les  iniquités 
qu'elle  déplore. 

Telle  doit  être  l'étendue  de  cette  douleur. 
A  ces  marques,  chrétiens,  croyez-vous  qu'il 
soit  facile  de  concevoir  cette  douleur?  Vous 
êles-vous  jamais  excités  à  la  concevoir? 
Avez-vous  quelques  marques  par  où  vous 
puissiez  présumer  que  vous  l'avez  conçue? 
Mes  frères,  que  de  confessions  sacrilèges  dans 
ce  saint  temps!  que  de  personnes  qui  ne 
sont  pas  déliées,  mais  qui  lient  la  conscience 
des  prêtres  qui  les  reçoivent!  comme  dit 
saint  Ambroise. 

Vous  sentirez  dans  la  suite  de  ce  discours 

la  vérité  de  ce  que  je  vous  dis  ici.  Voyons  eu 

quoi   consiste    la    résolution    de  quitter   ->n 

hé,  donl  on  a  conçu  une  douleur  sincère. 

i  la  seconde  partie. 


651 


ORATEURS  SACHES.  OO.M  JEROME. 


832 


SECONDE  PARTIE. 


Quand  la  douleur  est  vraie  el  solide,  elle 
ne  s'arrête  pas  seulement  ;iu\  larmes  sincè- 
res qu'elle,  a  tirées  d'un  Ca  ur  qui  en  csi  pé- 
nétré, niais  elle  lait  formée  des  résolutions 
el  porter  la  vue  sur  l'avenir  ;  elle  fait  détes- 
ter les  péchés  dont  on  s'est  reconnu  coupable  ; 
clic  fait  prendre  des  mesures  pour  les  quit- 
ter et  pour  ne  plus  retomber  dans  les  fautes 
qu'on  a  pli  urées. 

C'est  de  cette  résolution  ferme  et  solide 
qui  l'ait  partie  de  la  contrition,  selon  le  con- 
cile de  Trente,  et  qui  est  essentielle  à  la  pé- 
nitence, que  nous  devons  parler  dans  (elle 
seconde  partie  de  noire  discours. 

Or,  mes  frères,  cette  résolution  de  ne  plus 
pécher  est,  1°  absolument  nécessaire  pour 
recevoir  la  grâce  dans  ce  sacre. .:cnl  ;  2"  celle 
que  nous  croyons  avoir  formée  jusqu'à  pré- 
sent doit  être  extrêmement  suspecte  à  la 
plupart  de  ceux  à  qui  je  parle  ;  3°  ii  faut 
donc  prendre  des  mesures  sages  pour  la  ren- 
dre solide  et  nous  en  assurer. 

Il  ne  faut  pas  chercher  beaucoup  de  preu- 
ves pour  établir  la  nécessité  de  celte  résolu- 
tion de  ne  plus  pécher.  Il  ne  faut  faire  que 
quelques  réflexions  sur  les  idées  que  nous 
avons  données  de  la  pénitence  et  de  celte 
douleur  dont  le  cœur  doit  être  touché.  Com- 
ment l'amour  de  Dieu  ,  sans  lequel  il  n'y  a 
point  de  pénitence,  pourrait-il  être  en  nous, 
si  nous  conservions  quelque  attache  ou  quel- 
que liaison  secrète  avec  ce  qui  déplaît  à  ce 
Dieu  de  justice?  Comment  noire  cœur  serait- 
il  changé  s'il  demeurait  en  nous  un  désir  de 
rentrer  dans  des  commerces  dont  nous  avons 
détesté  l'iniquité?  Toute  notre  douleur  ne 
serait  que  chimérique,  nos  larmes  coule- 
raient en  vaiu,  el  notre  prétendue  pénitence 
ne  serait  qu'une  illusion.  Il  faut  donc  que 
celte  résolution  de  ne  plus  pécher  soit  solide  ; 
il  faut  avoir  porté  les  yeux  sérieusement  sur 
l'avenir  pour  la  rendre  telle  qu'elle  doit  être. 
Car  elle  est  comme  la  caution  de  notre 
amour  pour  Dieu,  elle  est  comme  la  preuve 
de  notre  changement,  l'une  el  l'autre  ne 
pouvant  être  connues  que  par  des  œuvres 
qui  nous  établissent  dans  une  conduite  con- 
traire à  celle  que  nous  avons  promis  de 
quitter.  Elle  esl  enfin  comme  le  couronne- 
ment de  celte  conversion  solide,  sans  la- 
quelle, dil  saint  Augustin,  il  ne  faut  point  se 
promettre  de  réconciliation  ,  ni  d'élre  en 
grâce  avec  Dieu.  C'est  donc  une  chose  capi- 
tale dans  l'ouvrage  de  la  pénilence  que  de 
s'assurer  de  la  solidité  de  cette  résolution,  et 
c'est  pourquoi  j'ai  ajouté  pour  la  plupart 
d'entre  nous  que  celle  résolution  que  nous 
croyons  avoir  formée  nous  doit  être  extrê- 
mement suspecte. 

En  effet  les  expériences  que  vous  avez  fai- 
tes tant  de  fois  de  la  légèreté  el  de  l'incon- 
stance de  votre  cœur  ne  vous  doivent-elles 
l>as  tout  faire  craindre  '.'  Combien  de  fois 
avez-vous  promis  do  combattre  vos  habitu- 
des, de  rompre  de  certaines  sociétés,  d'en- 
trer a  fond  dans  l'éclaircissement  de  certaines 
matières  délicates  et  de  changer  de  vie!  Dans 


le   tempi    <|in    V<  ns  ave/  fait  I  .c^ses, 

vous  parliez  de  bonne  foi  ;  \<.u>  étiez  résolu 
de  le*  tenir,  et  vous  croj  I  i  ement  être 

en  état  de  surmonter  le^  obstacles  qui  pou- 
vaient vous  en  empêcher,  et  qui  réellement 
rons  en  avaient  empêché  jusqu'alors. 

Voilà  les  mauvais  ollices  que  votre  cœur  a 
rendus  a  votre  esprit,  qui  en  a  été  il  do| 
s'il  m'es,  permis  de  parler  ainsi ,  a  tint  de 
fois  que  vous  avez  manqué  à  faire  ce  que 
vous  avez  cru  rouloir.  C  est  ainsi,  dit  saint 
Grégoire  ,  que  l'esprit  d  •  l'homme  séduit 
l'homme  el  se  déguise  à  lui-même.  Combien 
de  lois,  abusé  par  votre  propre  ci  Dr,  avez- 
vous  promit  de  faire  ce  que  vous  pensiez 
vouloir  1  Combien  de  fois  avez-voui  fait  la 
triste  expérience  de  laduplicile  de  voire  cœur 
et  de  votre  fragilité  1 

Mas  pour  celle  fois  c'est  tout  de  bon,  me 
diic-z-vous.  Hélas  !  mes  chers  frères,  croyez- 
vou-.  que  la  conversion  du  fond  du  cœur  soit 
l'ouvrage  d'un  jour  cl  d'une  heure  ?  Esl-cc 
une  grâce  qui  soil  attachée  au  temps,  et  que 
Dieu  vous  doive  nécessairement  dans  la 
quinzaine  de  Pâques?  N'est-ce  pas  un  don  de 
Dieu  qu'il  commence  el  qu'il  achève  en  nou>  ? 
Sou  esprit  souille  où  il  veut  ;  qui  vous  a  donc 
dit  que  celle  grâce  vous  sera  donnée  au  jour 
qu'il  vous  plaira?  Qui  vous  a  assuré  que  cet 
espril  vous  suivra  partout  el  vous  accordera 
et  la  douleur  de  vos  fautes  et  la  ferme  reso- 
lution de  n'en  plus  commettre  dès  que  vous 
aurez  ouvert  la  bouche  pour  la  demander  cl 
pour  commencer  la  déclaration  de  vos  f.iu^ 
et  de.  vos  crimes  ?  Ignorez-vous  qu'on  n'at- 
tire cel  esprit  de  contrition  que  par  beaucoup 
de  larmes  et  par  de  grands  travaux?  Et  ce- 
pendant, sans  avoir  gardé  aucune  de  ces  me- 
sures, vous  croyez  qu'il  n'y  a  qu'a  ouvrir  la 
bouche  pour  voir  opérer  en  vous  un  chan- 
geinenl  aussi  merveilleux  que  celui  qui  est 
nécessaire  pour  une  solide  conversion  ?  Rien 
donc  de  moins  solidement  établi  qu  !  l'espé- 
rance dont  vous  vous  flattez,  et  que  celte 
promesse  de  changement  que  vous  roules 
donner  pour  bonne. 

Mais  examinons  les  choses  de  plus  près  , 
et  voyons  quelle  différente  vous  nous  mar- 
querez entre  celte  pvome.-sc  d'aujourd'hui  el 
celles  que  vous  faites  depuis  dix  ans.  Avez-  * 
vous  faildans  celte  occasion-ci  un  examen  de 
votre  vie  plus  exact  suivant  les  idées  que  jo 
vous  donnai  hier?  ou  bien  n'est-il  pas  u>si  le» 
ger  cl  aussi  superficiel  qu'à  l'ordinaire  ?  Et.  à 
quelques  péchés  près,  qui  vous  frappent  da- 
vantage et  que  vous  rapportez  tous  les  ans, 
ne  passez-vous  pas  sur  tous  les  articles  que 
je  vous  ai  marques  sans  y  faire  réflexion  ? 

Avez-vous  résolu  dans  celle  occasion  d'al- 
ler à  un  homme  qui  ne  vous  épargne  point, 
à  celui  que  vous  croirez  le  plus  capable  de 
vous  traiter  selon  vos  vrais  besoins  (t  les 
jusles  règle»  de  la  pénitence  ?  ou  bien  n'eles- 
vous  [vis  résolu  d'aller  à  quelqu'un  qui  ne 
vous  connaisse  pas  ,  qui  vous  écoule  -ans 
vous  rien  dire,  ou  qui.  après  quelques  paro- 
les de  remontrance  qui  servent  à  tous  ve- 
nants .  vous  donne  l'absolution  sans  exami- 
ner votre  élal  et  vos  devoir?,    sans   vous 


g: 


SERMON  POUR  LE  LUNDI  DE  LA  SEMAINE  SAINTE. 


G5ï 


obliger  à  vous  réconcilier  avec  vos  ennemis, 
à  payer  vos  dettes,  à  rechercher  un  peu  les 
sources  de  votre  bien  ,  à  restituer  celui  qui 
est  mal  acquis,  à  régler  selon  l'Evangile  l'u- 
sage de  celui  qui  vous  appartient,  à  retran- 
cher vos  superlluités  pour  nourrir  les  pau- 
vres, à  renoncer  aux  jeux  et  aux  spectacles, 
enfin  à  changer  de  vie  ? 

On  voit  changer  d'état  par  dos  motifs 
d'ambition  et  d'intérêt ,  mais  on  n'en  voit 
guère  qui  le  fassent  par  un  motif  de  religion 
et  par  l'amour  de  bon  salut.  Cependant ,  si 
on  trouve  dans  son  emploi  une  occasion 
prochaine  et  ordinaire  de  pécher  qu'on  ne 
puisse  vaincre,  il  faut  le  quitter  :  personne 
ne  voudrait  acheter  un  empire  au  prix  de 
sa  vie,  et  vous  achetez  un  plaisir,  un  mon- 
ceau de  terre,  au  prix  de  votre  âme  ! 

Allons  plus  loin  :  êles-vous  prêt  à  souf- 
frir les  maux  qui  peuvent  vous  arriver  plu- 
tôt que  de  violer  le  moindre  des  commande- 
ments de  Dieu  ?  Eles-vous  disposé  à  perdre 
votre  bien  ,  à  voir  renverser  votre  fortune  , 
plutôt  que  de  commettre  une  injustice  ? 
Etes-vous  résolu  à  rompre  des  sociétés  d'où 
vous  êtes  toujours  sorti  plus  criminel  ?  Vou- 
lez-vous continuer  à  vivre  dans  l'oisiveté  et 
à  passer  vos  jours  dans  des  conversations  et 
dans  des  visites  vaincs,  inutiles,  et  par  là  tou- 
jours criminelles?  N'allez-vous  pas  faire  au- 
jourd'hui le  récit  de  votre  conduite,  comme 
vous  le  files  l'année  passée,  pour  le  recom- 
mencer l'année  prochaine  ,  sans  songer  à 
prendre  aucunes  mesures  pour  vous  corri- 
ger ?^Si  cela  est  ainsi  ,  y  a-t-il  rien  de  plus 
présomptueux  que  de  croire  que  Dieu  va 
changer  votre  cœur,  et  que  c'est  présente- 
ment que  vous  allez  faire  pénitence?  Quelle 
est  donc  la  différence  que  vous  prétendez 
mettre  entre  celle  disposition  présente  et 
cell.s  où  vous  avez  toujours  été? 

N'allez  pas  si  vile  ,  mes  très-chers  frères, 
prenez  des  mesures  pour  rendre  solide  une 
résolution  si  essentielle  dans  l'ouvrage  de 
votre  pénitence  et  de  votre  réconciliation 
avec  Dieu.  Adressez-vous  à  un  homme 
éclairé  et  capable  de  vous  conduire  sûre- 
ment et  avec  sagesse  dans  une  affaire  aussi 
importante.  Fuyez  les  aveugles  ,  comme  le 
Fils  do  Dieu  nous  ordonne  de  le  faire,  puis- 
qu'ils ne  pourraient  que  joindre  leurs  ténè- 
bres aux  vôtres,  et  vous  égarer  en  s'égarant. 
Allons  à  ceux  qui  voient  les  secrets  de  Dieu, 
parce  qu'ils  n'ont  point  d'autres  règles  que 
sa  loi  ,  et  qui ,  ayant  le  cœur  pur,  reçoivent 
de  lui  les  lumières  dont  ils  se  servent  pour 
nous  conduire.  C'est  à  quoi  vous  devez  pen- 
ser sérieusement  ;  car  si  jusqu'ici  vous  n'a- 
vez tiré  aucun  profit  de  tant  de  confessions  , 
j'ai  bien  de  la  peine  à  croire  que  ce  ne  soit 
pas  un  effet  de  la  négligence  que  vous  avez 
apportée  à  faire  ce  choix.  Vous  avez  élé  au 
hasard  ;  peut-être  même  avez-vous  évité  ceux 
que  vous  avez  crus  capables  de  vous  trou- 
bler dans  vos  habitudes ,  et  vous  voua  êtes 
livrés  à  ceux  qui  vous  ont  laissés  lauguir  dans 
une  paix  mortelle  :  où  en  êles-vous? 

Allez  doncaun  homme  sage,  qui  examine 
tout,  qui  ne  précipite  rien,  qui  vous  conJuisc 


dans  la  voie  de  Dieu  et  qui  vous  traite  selon 
vos  besoins.  Mais  ceci  ne  suffit  pas  ,  cessez 
de  faire  le  mal,  apprenez  à  faire  le  bien  : 
voilà  deux  maximes  qui  sont  proposées  par 
saint  Paul.  Que  celui  qui  dérobait,  dit  cet 
apôtre,  ne  dérobe  plus.  Evitez  toutes  les  cho- 
ses qui  vous  ont  portés  au  péché  et  qui  peu- 
vent vous  y  engager  de  nouveau.  Ceci,  mes 
frères,  est  capital,  et  c'est  la  preuve  certaine 
que  la  résolution  de  ne  plus  pécher  est  sin- 
cère :  j'ajoute  même  que  c'est  l'unique  voie 
pour  la  rendre  solide;  car  le  succès  de  cette 
résolution  dépend  de  la  sincérité  de  la  dou- 
leur qu'on  a  conçue  du  péché.  Quand  elle 
est  (elle  qu'elle  doit  être,  elle  nous  donne  de 
l'horreur  et  de  l'éloignement  pour  tout  ce 
qui  a  été  cause  du  péché  que  nous  détestons. 
Dès  que  le  serpenta  quitté  sa  vieille  peau,  il 
ne  la  veut  plus  voir  et  il  abandonne  le  lieu 
où  il  l'a  laissée.  Si  votre  douleur  est  vive  et 
sincère  ,  et  que  vous  haïssiez  ce  que  vous 
avez  aimé,  vous  haïrez  tout  ce  qui  y  a  rap- 
port. 

Comptez  donc  que  si  vous  ne  quittez  pas 
les  occasions,  vous  ne  haïssez  pas  le  péché; 
votre  douleur  n'est  ni  vraie  ni  sincère,  et 
votre  résolu! ion  n'est  qu'en  idée.  La  résolu- 
lion  de  ne  plus  pécher  consiste  encore  dans 
l'éloignement  des  occasions.  Il  faut  donc  que 
celui  qui  a  vécu  dans  l'inimitié  avec  son 
prochain  aille  le  trouver,  qu'il  ne  se  con- 
lenle  pas  de  dire  qu'il  lui  pardonne  et  de 
promettre  qu'il  le  verra  ,  mais  il  faut  qu'il 
examine  mûrement  les  choses  avec  son  con- 
fesseur, et  qu'il  mette  en  exécution  ce  qu'il 
n'a  Fait  que  promettre  jusqu'ici. 

11  faut  que  celui  qui  doit,  et  qui  possède 
un  bien  mal  acquis,  paye  ses  dettes  et  resti- 
tue ce  qu'il  retient  injustement.  Il  en  est  de 
même  pour  le  tort  fait  à  la  réputation  :  il 
faut  le  réparer  par  toutes  sortes  de  voies  sa- 
ges et  justes.  Que  celui  qui  est  engagé  dans 
une  profession  qui  n'esl  pas  chrétienne  ou 
qui  ne  peut  lui  convenir  sorte  de  cet  em- 
ploi s'il  est  incompatible  avec  son  salut,  ou 
s'il  est  pour  lui  une  occasion  prochaine  de 
péché  :  qu'il  rompe,  par  exemple,  entière- 
ment les  contrats  usuraires  qu'il  a  passés,  et 
qu'il  fisse  restitution  des  fruits  qu'il  en  a  re- 
çus; qu'il  abandonne  ce  commerce  criminel, 
et  qu'il  ne  laisse  aucune  voie  ouverte  pour 
le  retour;  qu'il  brûle  ces  mauvais  livres  , 
qu'il  déchire  ces  tableaux  impurs,  enfin  qu'il 
n'oublie  rien  pour  s'affermir  dans  la  résolu- 
tion de  ne  plus  pécher;  qu'il  prenne  des 
mesures  sages  et  solides  avec  un  confesseur 
éclairé,  qui  n'outre  rien,  car  il  y  en  a,  mais 
aussi  qui  ne  néglige  rien  de  tout  ce  qu'il 
jugera  nécessaire  pour  faire  exécuter  tout 
ce  qui  est  faisable  ,  avant  que  de  recevoir 
l'absolution.  A  l'égard  des  occasions  de  pé- 
ché qui  ne  viennent  pas  du  dehors,  mais  des 
passions  du  pécheur,  de  ses  faiblesses,  de  ses 
haï  iludes  ,  il  faut  qu'il  prie  ,  qu'il  gémisse  „ 
qu'il  combatte,  qu'il  suive  les  règles  qu'on 
lui  prescrira,  et  qu'il  sache  que  celui  qui  ira 
moins  vite  avec  lui  assurera  davantage  sa 
réconciliation  avec  Dieu,  et  rendra  sa  peti - 
tenec  plus  solide. 


f>55 


ORATF.ris  SA(  RES.  hOM  JEROME. 


Finissons  ce  discours  ,  mes  chers  frères  , 
on  vous  exhortant  à  être  surtout  dans  une 
application  continuelle  à  la  pratique  d(g 
vertus  opposées  au\  péchés  qui  non-,  ont 
rendus  ennemis  de  Dieu.  Car  une  volonté  i;e 
peut  être  détruite  que  par  une  autre  qui  lui 
est  contraire  :  une  habitude  ne  se  perd  qu'en 
contractant  une  habitude  qui  lui  est  opposée, 
et  comme  les  habitudes  ne  se  forment  que 
par  des  actes  réitérés  ,  il  faut  s'exercer  dans 
la  pratique  de  ces  actes.  Votre  oisiveté,  l'ha- 
bitude de  ne  rien  faire  vous  avait  jetés  dans 
le  désordre;  travaillez,  vous  n'aurez  plus 
d'occasion  de  pécher;  car  vous  trouverez 
dans  votre  travail  des  ressources  pour  éviter 
le  mal. 

Si  la  volonté  de  ne  plus  pécher,  que  vous 
pensez  avoir,  est  sincère,  on  le  verra  par  la 
fidélité  que  vous  aurez  à  suivre  celte  prati- 
que :  par  là  vous  donnerez  des  marques  qu'il 
y  a  en  vous  au  moins  un  commencement  de 
volonté  contraire  à  l'ancienne  ,  et  vous  for- 
tifierez celte  nouvelle  volonté  ,  qui  ,  étant 
affermie,  vous  empêchera  de  retomber  et 
rendra  v<    >e  pénitence  stable  pour  le  salul. 

Suivez  ces  règles  ,  mes  Irès-chers  frères  , 
et  éprouvez-en  la  vertu  et  l'efficace.  Celles 
que  vous  avez  suivies  jusqu'ici  ne  vous  ont 
pas  conduits  à  une  pénitence  véritable  et 
solide  :  vos  rechutes  en  sont  des  marques  , 
l'état  de  votre  vie  où  il  ne  paraît  aucun  chan- 
gement, la  continuation  de  vos  habitudes 
qui  sont  toujours  les  mêmes  ,  cet  esprit  du 
monde  qui  règle  tous  vos  mouvements  ,  cet 
éloigneraient  de  l'esprit  de  l'Evangile,  qui 
met  une  si  étrange  et  si  affreuse  différence 
entre  votre  conduite  et  l'idée  que  la  foi  nous 
donne  de  celrc  d'un  chrétien,  tout  cela  vous 
doit  faire  croire  que  voire  conversion  jus- 
qu'à présent  n'a  été  que  superficielle.  Pre- 
nez donc  une  autre  conduite  ,  embrassez 
celle  que  je  vous  marque;  les  règles  en  sont 
tirées  de  l'Ecriture,  do  la  doctrine  des  saints 
Pères,  des  pratiques  établies  par  l'Eglise  et 
des  lumières  du  bon  sens. 

Réglez-vous, et  vous  trouverez  des  moyens 
d'entrer  dans  la  pratique  de  toutes  les  vertus 
chrétiennes,  que  peut-être  vous  n'avez  jamais 
bien  connues,  et  vous  édifierez  tous  ceux 
que  vous  avez  scandalisés.  Trop  heureux  si 
je  pouvais  vous  avoir  mis  dans  les  voies  de 
vous  réconcilier  avec  Dieu,  et  à  portée  de 
sentir  votre  âme  pénétrée  d'une  vraie  dou- 
leur! Demandez-la  pour  moi  au  Seigneur, 
comme  je  la  lui  demande  pour  vous  ;  par  là 
nous  mériterons  tous  l'éternité  bienheu- 
reuse. Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR   LE    IEI  DI   SAINT. 

Sur  lu  cérémonie  de  l'absoute. 

Qiiod  ego  f'acio,  lu  Descis  modo;  sries  auteni  posie.i 
Vous  m tant»  \>'ii  niiiiitttutiiit  ce  que  jV  fti.s,  mais  vous  le 
don  in  suite  (Jean  ,  XIII,  7). 

Le  Sauveur  du  monde  se  sert  de  ces  paro- 
les dans  l'évangile  de  ce  jour,  pour  appren- 
dre à  son  apôtre  qu'il  ne  fallait  pas  s'ai  i.  1er 
simplement  au  denors  de  son  action  ,  mais 


qu'il  fallait   pénétrer  le  mystère  qu'il  s'en- 
gage de  lui  dérouvrir. 

Or,  mes    frères,  on  peut  dire  que  1 1  i 

monie  qol  nous  assemble  aujourd'hui  est 

de  ce  nombre  ;  elle  renferme  de  Ires-Gran- 
des iostruclioua  :  nous  y  vovons  une 
tentation  excellente  de  toute  I  ancienne  di- 
cipline  de  II',  se  pour  la  pénitence,  qui 
nous  marque  <;ue  si  elle  a  changé  quelque 
chose  dans  L'ordre  de  la  pénitence  ancienne, 
elle  en  a  conservé  l'esprit  ,  qui  ne  peut  ja- 
mais être  sujet  au  changement. 

Appliquons-nous  donc  aujourd'hui  à  ex- 
pliquer ce  que  c'est  que  l'absoute  ,  ce  que 
signifie  cette  cérémonie,  et,  faisant  ici  l'ap- 
plication des  paroles  du  Seigneur  à  son  apô- 
tre, essayons  de  vous  apprendre  ce  que  \ 
n'avez  peut-être  jamais  bien  compris. 
Voyons  ce  que  cette  cérémonie  nous  repré- 
sente du  passé  et  ce  qu'elle  nous  enseigne 
pour  le  présent. 

Dans  la  première  partie,  vous  verrez  donc 
quel  a  été  l'ordre  de  la  pénitence  ancienne  ; 
dans  la  seconde,  quel  est  l'esprit  immuable 
de  la  pénitence  qu'il  faut  demander  à  Dieu. 
Demandons  le  secours  du  Saint-Esprit.  Are  , 
Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

La  cérémonie  qui  nous  assemble  aujour- 
d'hui, mes  frères  ,  est  un  reste  de  celle  qui 
se  pratiquait  autrefois  dans  l'Eglise  pour  I  i 
réconciliation  des  pénitents  ;  car,  comme  dit 
un  excellent  auteur  de  notre  siècle  ,  le  V. 
Pétau,  l'usage,  l'ordre  et  l'administration  de 
la  pénitence  a  toujours  été  un  des  plus  im- 
portants et  un  des  principaux  emplois  de 
l'Eglise.  C'est  par  où  il  commence  ce  qu'il  a  si 
doctement  écrit  sur  1  hérésie  des   novatiens. 

Or.  pour  vous  représenter  quels  ont  été 
l'esprit  et  la  discipline  de  l'Eglise  ancienne 
sur  la  pénitence,  il  faut  prendre  les  choses 
de  loin.  L'Eglise,  dans  les  premiers  siècles , 
a  eu  tant  de  zèle  pour  maintenir  les  c 
tiens  dans  l'innocence  et  dans  la  grâce  de 
leur  baptême  ,  elle  a  eu  tant  d'horreur  pour 
les  crimes  qui  renouvelaient  la  mort  de  sou 
époux,  qu'elle  a  usé  envers  les  pécheurs 
d'une  sévérité  qui  passerait  pour  incroyable, 
si  l'on  ne  savait  qu'elle  procédait  de  l'amour 
qu'elle  avait  pour  Jésus-Christ  ot  de  l'hor- 
reur qu'elle  désirait  inspirer  à  ses  enfants 
pour  le  péché  qui  lui  avait  donné  la  mort. 

Il  y  a  eu  un  temps  où  la  réconciliation  n'e- 
tait  point  accordée  à  ceux  qui  étaient  tom- 
bés dans  l'idolâtrie  .  dans  l'adultère  et  dans 
l'homicide  volontaire.  11  y  avait  des  crimes 
moins  énormes  ,  pour  lesquels  on  accordait 
la  réconciliation  seulement  une  fois .  après 
quoi  on  ne  l'accordait  plus  :  l'Eglise  aban- 
donnait les  pécheurs  à  la  miseri  orde  de 
Dieu  .  de  peur  que  le  remède  ne  se  char.L 
en  poison  à  l'égard  de  ceux  que  l'espérance 
d'une  seconde  grâce  aurait  pu  engager  dans 
Une  seconde  faute  :  elle  a  -.aidi 
rite  pendant  plusieurs  siècles. 

Mais  les  novatiens  s'étanl  cl  ifé»  ,  en  df- 
sar.t  que  non-seulement  l'Eglise  ne  dev  it 
pins  recevoir  dans  la  communion  ceux  qui 


G37 


SERMON  POUR  LE  JEUDI  SAINT. 


638 


étaient  une  fois  tombés  ,  mais  même  qu'elle 
n'avait  pas  le  pouvoir  de  les  réconcilier,  l'E- 
glise sainte  voulut  faire  connaître  à  ses  en- 
nemis quelle  était  sa  puissance  ,  sans  affai- 
blir dans  l'esprit  de  ses  enfants  l'horreur 
sainte  qu'elle  avait  toujours  voulu  leur 
inspirer  pour  le  péché  :  elle  se  relâcha  de  sa 
première  sévérité,  et  il  n'y  eut  plus  de  crimes 
pour  lesquels  elle  refusât  absolument  la  ré- 
conciliation ;  mais  elle  établit,  dans  la  péni- 
tence, un  ordre  qu'il  fallait  exécuter  pour 
la  mériter  :  il  consistait  dans  la  pralique 
d'une  vie  si  austère  et  des  exercices  si  labo- 
rieux ,  qu'elle  crut  d'une  part  que  cette  sé- 
vérité suppléerait  à  la  première  ,  qu'elle 
maintiendrait  les  chrétiens  dans  l'horreur 
du  crime,  et,  d'un  autre  côté,  qu'ayant  des 
couvres  qui  lui  seraient  des  témoignages  du 
changement  du  cœur,  en  quoi  consiste  l'es- 
sentiel de  la  pénitence,  elle  aurait  ses  assu- 
rances pour  ne  recevoir  dans  sa  commu- 
nion et  pour  n'admettre  à  la  participation 
du  corps  de  son  époux,  que  ceux  qui  seraient 
véritablement  changés  et  suffisamment  pu- 
rifiés. Ce  fut  pour  cela  qu'elle  ordonna  que 
ceux  qui  seraient  tombés  dans  les  crimes 
passeraient  par  1rs  quatre  degrés  marqués 
dans  l'ordre  de  la  pénitence  canonique. 

Le  premier  s'appelait  du  gémissement  , 
gemenles.  Les  pécheurs  ,  reconnaissant  la 
grandeur  de  leur  chute  et  le  misérable  état 
où  leurs  crimes  les  avaient  réduits  en  les 
privant  de  la  participation  de  l'eucharistie  et 
des  prières  dos  fidèles,  n'oubliaienl  rien  pour 
faire  connaître  le  désir  qu'ils  avaient  d'être 
réconciliés  à  l'Eglise  et  d'être  admis  aux 
exercice-;  de  la  pénitence  ,  par  lesquels  ils 
pouvaient  être  purifiés  de  leurs  crimes,  lis 
se  tenaient  à  la  porte  de  l'église  en  dehors  , 
car  il  ne  leur  était  pas  permis  d'y  entrer  , 
non  pas  même  pour  entendre  la  parole  de 
Dieu.  Ils  étaient  velus  d'un  cilice  ou  de  quel- 
que autre  habit  lugubre;  ils  se  proster- 
naient contre  terre  devant  les  fidèles  lors- 
qu'ils entraient  dans  l'église  ou  qu'ils  en 
sortaient  ;  ils  leur  baisaient  les  pieds,  ils  em- 
brassaient leurs  genoux  et  enfin  ils  tâchaient 
de  les  émouvoir  par  leurs  larmes  et  leurs 
gémissements,  à  les  assister  de  leurs  prières 
et  à  intercéder  pour  eux  auprès  des  prêtres 
et  des  évêques. 

Le  deuxième  degré  s'appelait  des  écou- 
tants, audicnlei  :  on  leur  permettait  d'entrer 
dans  le  bas  de  l'église  avant  que  le  sacrifice 
commençât;  là  ils  écoutaient  la  lecture  et 
l'explication  qui  leur  était  faite  de  l'Ecriture 
sainte  et  des  vérités  chrétiennes  ,  et  ils  sor- 
taient aussitôt  que  ces  instructions  étaient 
finies  ,  sans  qu'il  leur  fût  permis  ni  de  prier 
dans  l'église  ,  ni  de  s'unir  aux  prières  des  fi- 
dèles. 

Le  troisième  degré  s'appelait  du  proster- 
nement ,  prostràti  :  c'était  proprement  celui 
où  l'on  s'appliquait  à  les  purifier  de  leurs 
par  les  a-uvres  pénibles  et  laborieuses 
de  la  pénitence.  Ils  étaient  obligés  de  se  trou- 
ve dans  l'église  presque  tous  les  jours  qu'on 
offrait  le  sacrifice  ,  et  surtout  aux  jours  so- 
lennels et  aux  jours  de  jeûnes  ;  cl  là  ,  dans 


un  endroit  de  la  nef  éloigné  du  sanctuaire  et 
proche  de  la  porte,  ils  se  prosternaient  contre 
terre  les  yeux  baignés  de  larmes  ,  et  rece- 
vaient en  cet  état ,  en  présence  de  tout  le 
peuple  qui  priait  pour  eux,  l'imposition  des 
mains  de  l'évêque  et  des  prêtres,  qui,  en  les 
leur  imposant ,  faisaient  plusieurs  prières 
sur  eux  en  forme  d'exorcismes  pour  les  dé- 
livrer de  la  tyrannie  et  de  la  captivité  du  dé- 
mon, pour  achever  de  détruire  en  eux  les 
restes  du  péché,  et  pour  attirer  sur  eux  les 
grâces  du  Saint-Esprit  et  les  disposer  peu  à 
peu  à  devenir  son  temple.  Cette  cérémonie 
achevée,  on  les  faisait  sortir  de  l'église  sans 
leur  permettre  même  d'envisager  les  saints 
mystères  ,  bien  loin  d'y  pouvoir  assister.  On 
ne  leur  laissait  que  la  liberté  d'entendre  la 
lecture  de  l'Evangile  et  l'explication  que 
l'évêque  ou  le  prêtre  par  son  ordre  en  faisait, 
et  ils  passaient  tout  le  reste  du  temps  dans 
les  exercices  de  mortification  qui  leur  avaient 
élé  prescrits.  On  leur  défendait  le  commerce, 
le  barreau,  la  guerre  et  tout  ce  qui  leur  pou- 
vait être  une  occasion  de  retomber  dans  le 
péché. 

Le  quatrième  degré  s'appelait  des  consis- 
tants, consislentes  :  ils  priaient  dans  l'église 
avec  les  autres  fidèles,  ils  assistaient  au  saint 
sacrifice  de  la  messe,  ils  envisageaient  les 
saints  mystères  ,  ils  étaient  présents  lors- 
qu'on distribuait  l'eucharistie  au  peuple,  et 
enfin  ils  étaient  rétablis  dans  tous  les  droits 
que  la  communion  des  fidèles  donne  aux  en- 
fants de  l'Eglise  ,  excepté  dans  celui  de  par- 
ticiper à  l'eucharistie  ,  qu'on  ne  leur  accor- 
dait point  qu'ils  n'eussent  passé  dans  ce 
quatrième  degré  tout  le  temps  qui  leur  avait 
été  ordonné. 

Or,  mes  frères,  l'Eglise  sainte  tenait  ses 
enfants  dans  ces  différents  états  pour  de  très- 
bonnes  raisons  :  car  elle  les  tenait  dans  le 
degré  du  gémissement  pour  faire  l'épreuve 
de  la  sincérité  de  leur  conversion  et  pour 
s'assurer  si  c'était  tout  de  bon  qu'ils  vou- 
laient changer  de  vie  et  satisfaire  à  la  justice 
de  Dieu  et  au  scandale  qu'ils  avaient  donné 
à  l'Église.  Par  là  les  fidèles  connaissaient 
aussi  que  l'évêque  ne  s'était  pas  porté  lé- 
gèrement à  les  admettre  à  la  pénitence,  et 
qu'on  ne  le  pouvait  accuser  de  Irop  d'indul- 
gence à  l'égard  des  pénitenls.  Elle  les  tenait 
entre  les  écoutants,  afin  de  les  fortifier  de 
plus  en  plus  dans  la  crainte  des  jugements 
de  Dieu  ,  et  les  mettre  en  état ,  par  les  ins- 
tructions solides  qu'on  leur  donnait,  d'entre- 
prendre avec  plus  d'amour  toutes  les  œuvres 
laborieuses  qu'on  leur  devait  imposer.  Elle 
les  tenait  entre  les  prosternés,  autant  qu'on 
le  jugeait  nécessaire,  pour  satisfaire  à  la  jus- 
tice de  Dieu  par  ces  œuvres  laborieuses  et 
pénibles.  Elle  les  tenait  enfin  parmi  les 
consistants,  afin  qu'ils  se  rétablissent  dans 
la  pratique,  des  bonnes  œuvres  et  dans  toute 
la  pureté  du  cœur  que  demande  la  partici- 
pation du  redoutable  mystère  de  l'eucha- 
ristie ,  qu'on  leur  accordait  lorsque  le  temps 
de  leur  pénitence  était  fini. 

11  est  vrai  que  ces  règles  n'ont,  pas  toujours 
été  uniformément  suivies  et  qu'on  Les  aaog- 


630 


ORATEURS  SACHES.  DOM  JEROME. 


640 


mentées  ou  diminuées  dans  les  conciles  se- 
lon la  qualité  des  crimes  et  le  besoin  des 
pénitents  ;  mais  ce  qu'il  faut  remarquer  , 
c'est  que  durant  plusieurs  siècles  l'Eglise  a 
imposé  indifféremment  celle  pénitence  pour 
les  péchés  secrets  comme  pour  les  publics  , 
selon  que  le  prouve  le  P.  Pelau.  Vers  le  buî- 
tième  siècle  on  a  commencé  ,  pour  de  très- 
bonnes  raisons,  à  ne  plus  imposer  cette  pé- 
nitence que  pour  les  péchés  publics,  Pour 
lors  les  pénitents  s'assemblaient  dans  l'église 
cathédrale  ,  le  mercredi  des  Cendri  s  ,  quoi- 
qu'on ne  laissât  pas  d'imposer  cette  péni- 
tence aux  pécheurs  le  long  de  l'année,  dans 
les  lieux  où  le  crime  avait  été  commis.  Ils  se 
rendaient  donc  le  mercredi  des  Cendres  au 
milieu  de  la  nef,  revêtus  d'un  sac  lud'un 
cilice,  on  leur  couvrait  la  tète  de  cendres,  et 
étant  tous  prosternés  en  rond  contre  terre  , 
ils  recevaient  l'imposition  des  mains  do  ré- 
voque, qui  les  mettait  en  pénitence  par  celte 
cérémonie  et  par  les  prières  dont  elle  était 
accompagnée. 

Il  faisait  ensuite  une  exhortation  au  peu- 
ple sur  cette  cérémonie  et  puis  il  prescrivait 
a  chaque  pénitent  la  pénitence  qui  lui  con- 
venait :  il  lui  marquait  le  temps  qu'il  devait 
être  dans  chaque  degré  ou  dans  l'exercice 
qui  en  tenait  lieu  en  ce  temps-là  ;  ce  qu'il 
pratiquerait  pendant  le  cours  de  sa  péni- 
tence ;  combien  3e  fois  et  de  quelle  manière 
il  jeûnerait  dans  la  semaine  et  dans  l'année; 
de  quoi  il  devait  s'abstenir,  comme  des  plai- 
sirs et  des  divertissements  les  plus  permis  , 
de  porter  du  linge,  d'aller  en  carrosse,  à  che- 
val. Il  chargeai:  les  archidiacres  et  les  curés 
qui  étaient  présents  de  veiller  sur  eux.  et  de 
prendre  garde  avec  quelle  fidélité  et  quel  zèle 
ils  s'acquittaient  de  leur  pénitence. 

Cette  cérémonie  achevée,  on  les  chassait 
de  l'église  et  on  fermait  la  porte  sur  eux,  en 
chantant  ces  paroles  terribles  dont  Dieu  se 
servit  après  la  chute  du  premier  homme  , 
avant  que  de  le  chasser  du  paradis  terrestre. 
Etant  ainsi  chassés  de  l'église,  ils  n'y  étaient 
admis  que  le  jeudi  saint  ,  qu'ils  se  présen- 
taient à  l'évéquc  pour  y  recevoir  une  entière 
absolution  de  leurs  crimes  et  une  parfaite 
réconciliation,  qu'on  ne  leur  accordait  qu'a- 
près qu'ils  avaient  accompli  leur  pénitence, 
ou  lorsqu'ils  avaient  fait  paraître  tant  de 
douleur,  que  l'évéquc  avait  jugé  à  propos 
de  les  dispenser  du  reste  ;  ou  bien  ils  rece- 
vaient une  simple  imposition  des  mains  de 
l'évêque,  qui  leur  permettait  d'entrer  dans 
l'église  et  d'assister  aux  saints  mystères 
jusqu'au  dernier  jour  de  l'octave  de  Pâques, 
après  quoi  ils  en  étaient  exclus  jusqu'au 
jeudi  absolu  de  l'année  suivante. 

Cette  discipline  s'est  observée  exactement 
dans  l'Eglise  jusqu'à  la  fin  du  dixième  siècle, 
où  les  choses  commencèrent  à  changer  .  et 
nous  n'avons  plus  aujourd'hui  de  toute  cette 
discipline  extérieure  ,  dans  notre  Eglise  de 
Paris,  que  la  cérémonie  des  cendres,  qui  re- 
présente le  commencement  de  la  pénitence, 
et  celle  de  l'absoute  publique  et  générale, 
qui  représente  la  réconciliation  que  l'évéque 
accordait  à  ceux  qui  avaient  accompli  leur 


pénitence  et  qui  s'étaient  rendus  d  tro 

admis  à  la  participation   du  corps  de  Jésus- 
Christ. 

\  dilà,  mes  frères,  quel  a  été  l'ordre  de  la 
pénitence  dans  l'Eglise  et  ce  que  signifie 
cette  cérémonie  qui  nous  asseml  le.  i.l  e  nous 
représente  ce  qui  se  faisait  autrefois,  et  elle 
nous  enseigne  en  même  temps  que  si  l'C- 
gli  e  ne  garde  plus  cette  discipline  extérieure, 
qu'elle  peut  changer  selon  les  temps,  l'esprit 
de  la  pénitence  ,  qui  est  invariable,  subsiste 
toujours  :  voyons  quel  il  est  dans  les  cir- 
constances de  cette  cérémonie  et  ce  qu'elle 
nous  enseigne  pour  le  présent  :  c'est  la  se- 
conde partie. 

SECONDE  PARTIE. 

Après  vous  avoir  tracé  une  image  de  la 
pénitence  ancienne  ,  l'instruction  que  nous 
devons  tirer  de  celle  cérémonie  et  ce  que 
l'Eglise  nous  enseigne  pour  le  présent,  c'est, 
mes  frères,  de  gémir  devant  Dieu  et  de  nous 
confondre  en  sa  présence  en  voyant  notre 
lâcheté  et  la  différence  étonnante  qu'il  y  a 
entre  notre  pénitence  et  celle  des  siècles 
passés.  Je  ne  prétends  pas  qu'il  soit  néces- 
saire de  la  pratiquer  aujourd'hui  comme  ou 
la  pratiquait  alors  :  l'Eglise,  comme  je  viens 
de  ie  dire,  peut  changer  sa  discipline  exté- 
rieure selon  les  temps  ;  mais  nous  devons 
trembler  si  nous  considérons  que  c'est  le 
même  Dieu  que  nous  offensons  ,  que  uous 
avons  la  même  obligation  de  le  satisfaire  , 
et  que  l'on  donne  cent  fois  l'absolution  à  un 
pécheur  pour  des  crimes  que  la  corruption 
de  ce  siècle  a  rendus  communs  ,  et  pour  les- 
quels l'Eglise  refusait  la  réconciliation  ou  ne 
l'accordait  qu'une  seule  fois- 

Elle  nous  enseigne  encore  l'ordre  que 
nous  devons  garder  dans  notre  réconcilia- 
tion pour  la  rendre  parfaite.  Le  mercredi 
des  Cendres  l'Eglise  nous  a  assembles  .  afin 
que  nous  nous  reconnussions  pécheurs  et 
que  nous  fissions  comme  un  aveu  public  de 
nos  crimes  ,  en  recevant  les  cendres  sur  la 
tête,  qui  sont  les  marques  de  la  pénitence. 
Le  carême  a  dû  se  passer  dans  les  œuvres 
laborieuses  de  la  pénitence  ;  dans  le  jeûne, 
dans  le  silence,  dans  les  veilles,  dans  la  pri- 
vation des  plaisirs,  dans  le  retranchement 
des  visites  et  des  conv  rsations  inutiles,  dans 
la  retraite  ;  enfin  ,  aujourd'hui  ,  les  pasteurs 
vous  présentent  à  l'évéque,  auquel  ils  ren- 
dent témoignage  de  votre  zèle  et  de  votre 
ferveur  à  accomplir  la  pénitence  que  l'E- 
glise  vous  a  imposée,  el  l'évéque  vous  ac- 
corde la  réconciliation  par  l'absoute  générale 
qu'il  fait. 

Celle  conduite  présente  de  l'Eglise,  qui 
n'est  qu'une  légère  idée  de  sa  conduite  an- 
cienne, est  une  vi\c  expression  de  l'esprit  de 
la  pénitence,  esprit  qui  a  toujours  été  inva- 
riable, et  sans  lequel  nul  pécheur  ne  j 
être  absous  devant  Dieu.  Elle  nous  apprend 
que  si  nous  voulons  assurer  notre  réconci- 
liation ,  il  faut  que  les  œuvres  pénibles  el 
laborieuses  la  précédent  :  car  prenez  gj 
mes  frères,  que  l'Eglise  n'a  Observé  celle 
discipline  ancienne,  dont  je  vous  ai  parle  1 1 


CM 


SERMON  POUR  LE  VENDREDI  SAINT. 


GH 


ne  nous  la  représente  aujourd'hui  dans  la 
cérémonie  que  pour  faire  naître  dans  le 
cœur  du  pécheur  l'esprit  de  la  pénitence,  et 
s'assurer  en  quelque  sorte,  autant  qu'elle  le 
pouvait,  qu'il  avait  cet  esprit  sans  lequel  il 
ne  peut  y  avoir  de  réconciliation. 

Or,  cet  esprit  de  pénitence  consiste  à  avoir 
une  douleur  sincère  du  péché,  et  c'est  afin 
de  s'assurer  de  la  sincérité  de  cette  douleur 
que  l'Eglise  ancienne  a  tenu  les   pécheurs 
dans  le  degré  du  gémissement,  et  qu'à  pré- 
sent elle  impose  les  cendres  au   commence- 
ment du  carême,  qui  est  le  temps  qu'elle  des- 
tine à  leur  épreuve.  Il  consiste  à  satisfaire 
à  la  justice  par  les  œuvres   pénibles   et  la- 
borieuses, et  c'est  pour  cela  que  l'Eglise  an- 
cienne a  tenu  les  pécheurs  dans  le  degré  du 
prosternement ,  ce   qu'elle  fait  aujourd'hui 
par  le  jeûne  du  carême.  Enfin  il  consiste  à 
se  purifier   pour  se  préparer  à  la  participa- 
tion du  corps  de  Jésus-Christ,  et  c'est  pour 
cela  que  l'Eglise  ancienne  les  tenait  dans  le 
degré  des  consistants  ,    ce   qu'elle  fait  au- 
jourd'hui parles  bonnes  œuvres  qu'elle  nous 
recommande  durant  le  carême  :  ainsi,   mes 
frères  ,  voici  l'instruction  que  nous  devons 
tirer   de    cette    conduite,   chacun    dans    le 
particulier.  L'Eglise  prend  six  semaines  de- 
puis le  jour  qu'elle  nous   admet  publique- 
ment à  la  pénilence  jusqu'à  celui   qu'elle 
choisit  pour  nous  réconcilier,  afin  d'éprou- 
ver la  sincérité  de  notre  conversion,   afin  de 
nous  obliger  à  satisfaire  à  la  justice  de  Dieu, 
et  afin  de  nous  préparer  par  les  bonnes  œu- 
vres à  la  grâce  de  la  réconciliation  et  au 
bonheur  de    participer  au  corps  de  Jésus- 
Christ.  Mais  suis-je  véritablement  changé? 
ma  conversion  est-elle  sincère?  ai-je  resti- 
tué le  bien  mal  acquis?  me  suis-je  réconci- 
lié avec  mes  ennemis?  ai-je  rompu  ce  com- 
merce et  éloigné  ceux  ou  celles  avec  qui  je 
l'entretenais?  ministres  de  Jésus-Christ,  ne 
précipitez  pas  la  réconciliation  de  celui  qui 
ne  vous  a  pas  donné  par  des  œuvres  quelque 
assurance  de  son  changement  et  de  sa  con- 
version :  ne  comptez  pas  sur  des  paroles  ;  l'E- 
glise veut  des   preuves  et  des  fruits.  Ai-je 
satisfait  par  les  œuvres  laborieuses?  ai-je 
pleuré,  gémi,  jeûné,   fait  des   aumônes,   et 
accompli  la  pénitence  qu'on   m'a  imposée? 
Ministres  de  Jésus-Christ,  faites-la  pratiquer 
celte  pénitence,  quand  vous  le  pouvez,  avant 
que  de  donner  l'absolution  ;  l'Eglise  a  autre- 
fois gardé  celte  discipline,  rien  de  si  recom- 
mandé dans  les  avis  du  grand  saint  Charles, 
que  le  clergé  de  France  a  fait  imprimer  pour 
servir  de  règle  à  tous  les   prêtres  :  l'Eglise 
encore  aujourd'hui  prend  six  semaines  pour 
que  le  pécheur  fasse  pénitence,  avant  que  de 
lui  donner   la    réconciliation    publique  :  ce 
qu'elle  fait  en  public,  vous  le  devez  faire  en 
particulier. 

Enfin,  nies  frères,  voyez  si  vous  vous  êtes 
préparés  par  les  honnes  œuvres,  durant  le 
carême,  à  la  grâce  de  la  réconciliation  et  à 
la  participation  du  redoutable  mystère  de 
l'encharistie.  >i  vous  ne  Tarez  pas  fait,  vous 
avez  encore  du  temps  pour  le  faire  :  au  nom 


de  Dieu,  ne  précipitez  rien,  ne  recevez  pas 
indignement  celui  que  vous  ne  sauriez  rece- 
voir ainsi,  sans  manger  votre  jugement,  et 
sachez  que,  selon  les  saints  Pères,  c'est  le 
recevoir  indignement  que  de  le  recevoir  dans 
le  temps  où  on  doit  faire  pénitence. 

Voilà  l'explication  de  celte  cérémonie; 
voilà  ce  qu'elle  nous  représente  du  passé,  et 
ce  qu'elle  nous  enseigne  pour  ie  présent  : 
humilions-nous  donc,  mes  frères,  en  compa- 
rant cette  pénitence  ancienne  avec  celle  que 
nous  pratiquons  aujourd'hui;  et  quand  il 
s'agit  de  l'entreprendre,  ne  cherchons  pas 
ceux  qui  pourraient  nous  entretenir  dans  le 
relâchement;  nous  nous  abuserions  nous- 
mêmes  ,  puisque  tous  les  sentiments  des 
hommes  ne  changeront  jamais  l'esprit  de  la 
pénilence,  qui  est  appelé  par  les  conciles  un 
baptême  laborieux;  et  comme  l'Eglise  n'a 
gardé  ces  règles  de  sévérité  et  ces  pénitences 
canoniques  qu'afin  d'éprouver  le  pécheur,  de 
l'acquitter  de  ses  dettes  et  de  le  purifier  de- 
vant Dieu,  l'Eglise  fait  encore  aujourd'hui  la 
même  chose  par  l'ordre  qu'elle  garde  dans 
les  cérémonies  des  cendres,  du  carême  et  de 
l'absoute.. 

Examinons-nous  donc  devant  Dieu  ;  éprou- 
vons-nous nous-mêmes  ;  voyons  si  notre 
cœur  est  véritablement  changé,  et  jugeons-en 
par  la  conduite  de  notre  vie.  Voyons  si  nous 
avons  satisfait  à  Dieu  parla  pénitence  et  par 
les  œuvres  pénibles  et  laborieuses.  Voyons 
enfin  si  nous  nous  sommes  préparés  par  les 
bonnes  œuvres  à  recevoir  le  corps  de  Jésus- 
Christ.  Si  cela  est,  mes  frères,  je  ne  douta 
pas  que  Dieu  ne  fasse  miséricorde  à  ceux, 
pour  qui  l'Eglise  sainte  va  prier,  et  que  Dieu 
ne  délie  dans  le  ciel  ceux  que  Monseigneur  (1) 
va  délier  sur  la  terre.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR    LE    VENDREDI    SAINT. 

Sur  la  Passion. 

0  vos  omnes  qui  transitis  per  viam,  altendile  et  videte 
si  est  dolor  sicul  dolor  meus. 

0  ?  oms  (oms  qui  passez  dans  le  chemin,  voyez  et  considère* 
s'il  est  une  douleur  semblable  à  la  mienne  (Tliren.,  I,  12). 

Mon  dessein  est  d'entrer  dans  les  senti- 
ments de  ce  prophète  aflligé,  et  de  me  plain- 
dre des  chrétiens  qui  ne  regardent  que  légè- 
rement l'étrange  spectacle  de  la  mort  d'un 
Dieu.  Beaucoup  de  personnes  s'assemblent 
pour  solenniser  la  mémoire  de  la  passion  de 
Jésus-Christ.  On  donne  quelque  attention  à 
la  description  des  tourments  qu'il  a  soufferts 
et  au  récit  de  sa  mort  ;  mais  on  ne  le  fait 
qu'en  passant,  on  ne  pénètre  pas  quelle  est 
la  cause  de  ses  tourments,  on  ne  se  donne  pas 
le  loisir  de  se  laisser  convaincre  que  c'est 
l'ouvrage  de  nos  iniquités,  et  que  nous  renou- 
velons tous  les  jours  ses  douleurs  en  conti- 
nuant les  crimes  qui  les  lui  ont  causées.  On 
ne  considère  point  sa  passion  comme  la  der- 
nière leçon  qu'il  a  voulu  faire  à  tous  les 
chrétiens  en  mourant  pour  eux,  et  on  laisse 
échapper  mille  vertus  qu'il  a  pratiquées 
dans  le  cours  de  ses  souffrances,   pour  nous 


(!)  Ce  sermon  a  été  prrclié  dans  l'église  de  Paris,  en  nrésenec  de  S.  E.  M.  le  cardinal  de  Noaillcs 


043 

donner  par  son  exemple  d'excellentes  prati- 
des  vi  rftés  qu'il  nous  avail  enseignées, 
afin  i|u'on  pût  dire  qu'i;  avnilfini  sa 

tomm.%    il   lavait    coin  :   <'<rf)it    JcsUS 

ne.  Ce  n'es'  pas  ordinairement 
île  celle  manière  qu'on  regarde  la  passion  : 
on  se  rempli!  l'imagination  de  la  irisie  idée 
de  ses  souffrances,  on  conçoit  de  la  haine 
contre  ses  bourreaux  el  de  la  compassion 
pour  sa  personne.  Il  y  eu  a  même  qui  ver- 
sent des  larmes,  mais  ce  n'es!  d'ordinaire 
qu'un  sentiment  naturel  qui  les  fail  répandre. 

Le  deuil  de  L'Eglise*  ce  qu'il  j  a  de  lugubre 
dans  les  cérémonies  du  temps,  le  récit  de  la 
mort  d'un  homme  que  nous  regardons  comme 
un  innocent  et  que  nous  sommes  accoutumés 
d'appeler  notre  Dieu,  les  mouvements  d'un 
orateur  chrétien,  la  véhémence  de  son  a  - 
lion,  les  tristes  olijets  qu'on  nous  représente, 
toutes  ces  choses  tirent  des  larmes  de  nos 
yeux,  parce  qu'elles  excitent  en  nous  des 
mouvements  qui  ne  les  peuvent  retenir.  .Mais 
ces  tristes  objets  cessent-ils  de  paraître,  ces 
mouvements  sonl-ils  apaisés,  nous  oublions 
le  sujet  qui  les  a  fait  naître.  Nous  remettons 
le  fer  dans  les  plaies  dont  la  vue  nous  avait 
cause  de  la  douleur,  et  nous  recommençons 
à  vivre  comme  si  nous  n'avions  point  de  part 
à  la  mort  du  Sauveur  :  0  vos  omnes  qui  trans- 
its per  viam  :  O  vous  donc  qui  passez,  et 
qui  n'avez  regardé  jusqu'ici  la  mort  de  Jésus- 
Christ  qu'en  passant  :  Attendue ,  arrclez- 
vous,  soyez  attentif:  Et  videte,  et  voyez  tout 
ce  qui  se  passe  dans  celle  sanglante  action. 
Je  vais  vous  la  représenter  sous  deux  diffé- 
rentes idées  :  comme  un  sacrifice  que  Jésus- 
Christ  présente  à  son  Père  pour  tous  les 
hommes  qu'il  veut  sauver  ;  comme  une  der- 
nière leçon  qu'il  fait  en  mourant  à  tous  les 
hommes  qu'il  veut  instruire.  Ainsi  nous 
considérerons  deux  choses  dans  touies  les 
circonstances  de  cette  action  :  les  douleurs 
el  les  vertus  du  Sauveur  du  monde;  ses  dou- 
leurs pour  les  plaindre,  ses  vertus  pour  les 
imiter. 

Voilà  les  deux  choses  auxquelles  nous  tâ- 
cherons de  vous  porter  dans  ce  discours. 
Nous  considérerons  ce  qu'il  souffre  el  ce  qu'il 
nous  enseigne  en  souffrant.  Prenons-le  dans 
le  jardin  des  Olives  ;  suivons-le  dans  la  ville 
de  Jérusalem  ;  montons  sur  la  montagne  du 
Calvaire,  où  nous  lui  verrons  achever  son 
sacrifice  sur  cet  autel  élevé  par  la  justice  de 
son  Père,  par  l'injustice  de  ses  ennemis  et 
par  la  grandeur  de  son  amour.  C'est,  mes 
frères,  sur  ces  trois  théâlres  qu'il  expose 
à  nos  yeux  les  souffrances  qu'il  a  endurées, 
el  les  verlus  qu'il  a  fait  paraître  dans  celle 
sanglante  action.  Je  vais  en  commencer  le 
récit,  après  que  nous  aurons  salué  la  croix  , 
sanctifiée  en  servant  d'autel  dans  le  sacrifice 
de  notre  rédemption.  0  aux,  ave. 

IMlEMir.RE    PARTIB. 

Les  premiers  mouvements  du  Sauveur 
dans  celte  acliûn  BOnt  remplis  d'exccllenlcs 
instructions,  li  nous  déclare  lui-mémo  la 
cause  de  sa  mort  avant  que  d'entrer  dans 
l'œuvre  de  sa  passion,  el  il  nous  fait  une 


ORATEURS  SACRES.  DOM    I  ROUI .  ||| 

excellente  leçon  en   nous   h   déclarant  :  Vi 

I  ligo  /'titrent.  Oui: 

rôle  nnferme  de  grand  i  i  DOl 
Chers  hères!  Il  m  ut  nous  apprendre  que 
Connue  i  'est  l'amour  qui  l'a  lire  du  sein  de 
sou  Père,  c'est  l'amour  qui  le  fail  entrer 
dans  le  sein  de  la  mort,  et  par  là  il  veut 
nous  enseigner  que  l'amour  de  Dieu  don- 
ne le  prix  a  nos  actions  ,  à  nos  souffr^ 
et  I  noire  mort,  et  qu'un  véritable  chrétien 
doit  prendre  ces  paroles  pour  sa  devise:  Quia 
di'igo  Patrent. 

Après  celle  espèce  de  renouvellement  d'a- 
mour et  celle  déclaration  publique,  qe 
à  cause  qu'il  aime  son  Père  qu'il  s'est  charge 
du  péché  d'Adam,  il  veut,  par  an   ordre 

mirable  de   sa  sa^es-e,    que  la   satisl.i 
qu'il  eu  fait  soit  proportionnée  à  la  manière 
dont   Ad. un  l'avait  commis  :  c'est   pourquoi 
saint  Cyrille  remarque  qu'Adam  ayant  péché 
dans  un  jardin,   c'est  aussi  dans  un  jaidiu 
que   commence  la  passion  du  Sauveur;  et 
comme  le  péclié  d'Adam  a  été  forme  Éafl 
fond  de  l'âme  avant   de  passer  au  debors  . 
ainsi  les  plus  grandes  peines  du  Fils  de 
onl  été  imprimées  dans  son  cœur,  et  il  soullre 
dans  le  jardin  des  Olives   une  passion  toute 
spirituelle,  dans  laquelle  le  corps  n'a  presque 
point  de  part,    mais   qui    s'étendra  dans   la 
suite,  à  proportion  que  ie  péché  dont  elle  est 
le  remède,  croît,    s'étend  et   se    mull 
après  qu'il  a  pris  naissance  dans  le  cœur. 

La  pénitence  commence  dans  le  cœur,  elle 
s'étendra  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  arrivée 
perfection,  el  celte   perfection  sera  la  con 
sommation  de  la  victime.  Mon  âme  est  triste 
jusqu'à  la  mort:  Trisii*  est  anima  men  utqnt 
ad  mortem.  Llle  se   doit  étendre   jusqu'à  la 
mort,  el  ne  finira  que  par  la  mort;  son  âme 
est  abattue  p.:r  la  trislesse  ;  car   comme  le 
péché  d'Adam  avait   commencé   par  un  or- 
gueil secret,  sa  passion  commence  par  une 
trislesse  de   cœur  qui  af.lige  et  qui  humilie 
son   âme  :    Trittis  est   anima   mea   tuant   iuI 
nwriem.  11  est  à  remarquer  que  ce  ne  fui 
à  son   Père  qu'il  déclara   la  tristesse  de  sou 
âme,  mais  à   ses  disciples,  pour   nous  f  i    i 
comprendre  qu'ellcétait  tout  ensemble  un  >a- 
critice  et  une  leçon,  et  que  non-seulement  il 
souffrait  pour  les  hommes,    mais  qu'il  leur 
enseignait  par  son  exemple  de  quelle  manière 
il  fallait  souffrir.  Ainsi,  mes  frères,  en  disant 
à  ses  disciples,  et  à  tous  les  hommes  en  leur 
personne,  que  sou  âme  est  triste,  il  leur  ap- 
prend par  où  doil  commencer  en  nous  I 
nitence    peur   cire    véritable  :  c'est    dans  le 
fond  du  cœur  ;    car  comme  c'est  la  volonté 
qui  esl  le  principe  et  la  source  de  nos  acl    as 
nous  sommes  pécheurs  quand  la  volonté 
opposée  à  Dieu  et  élevée  contre  lui,  ci  nous 
ne  sommes  pénitents  que  quand  elle  lui  est 
soumise  et  que  le  cœur  esi  changé]  ce  ne 
sont  ni  les  larmes,  ni  les  soupirs,  ni  les  jcù- 
I         ni  les  austérités  qui  font  les  péoiU 
l'auiour-propre  a  ses  vertus  toutes  sembla- 
bles à   celles   de  l'amour  de  Dieu  :  c Y 
tristesse  d'un  cœur  convaincu  de  ses  desor- 
dres cl  abattu  a  la  tue  de  la  grandeur  di.iue 


5A5 


SERMON  POUR  LE  VENDREDI  SAINT. 


646 


et.de  nos  iniquités,  qui  fait  la  véritable  con- 
version. 

Par  cette  tristesse  qu'il  déclare  à  ses  disci- 
ples, il  voulait  donc  consoler  les  âmes  fai- 
bles, et  les  empêcher  de  croire  que  la  crainte 
des  souffrances ,  des  persécutions  et  de  la 
mort,  fût  un  péché,  quand  elle  est  soumise  à 
l'ordre  de  Dieu.  Il  voulait  leur  donner  une 
idée  de  la  différence  qu'il  y  a  entre  ia  géné- 
rosité purement  humaine  et  celle  que  le 
christianisme  inspire  :  celle  des  hommes 
commence  par  une  force  audacieuse  qui,  ne 
pouvant  se  soutenir  elle-même  ,  dégénère 
bientôt  en  faiblesse  et  en  lâcheté  ;  nous  le 
verrons  dans  pou  de  temps  en  la  personne 
d'un  apôtre  (ju'il  instruit,  mais  de  qui  le 
cœur  n'est  pas  encore  ouvert  à  ses  i m t rue- 
lions.  Celle  des  chrétiens  au  contraire  com- 
mence par  un  abattement  de  l'âme  devant 
Dieu,  qui,  se  défiant  d'elle-même  el  n'atten- 
dant du  secours  que  de  la  grâce  du  Sauveur, 
se  change  en  une  force  invincible.  Cette  le- 
çon n'aurait  pas  eu  toute  sa  perfection  si, 
après  nous  avoir  appris  que  nous  ne  sommes 
forts  que  par  le  secours  de  Dieu,  il  ne  nous 
avait  pas  enseigné  la  manière  de  l'obtenir  : 
c'est  ce  qu'il  fait  en  se  séparant  de  ses  disci- 
ples, pour  se  prosterner  le  visage  contre 
terre  et  pour  faire  cette  prière  à  son  Père  : 
Si  possibile  est,  transeal  a  me  calix  isle  ;  ve- 
rumtumen  fiât  voluntas  tua.  Jésus-Christ  sa- 
vait certainement  que  tous  les  efforts  de  ses 
ennemis,  de  la  mort  el  du  démon,  ne  pou- 
vaient le  vaincre  ;  néanmoins  il  ne  laisse  pas 
q;iede  prier  son  Père  de  détourner  la  mort 
qui  lui  est  préparée. 

Par  là,  mes  frères,  il  veut  nous  apprendre 
que  quand  nous  prévoyons  les  afflictions  et 
les  souffrances  ,  quelque  fortifiés  que  nous 
nous  sentions  par  la  grâce  de  Dieu,  il  faut 
les  attendre  avec  humilité,  se  défiant  de  ses 
propres  forces,  demandant  même  à  Dieu  qu'il 
les  détourne  ;  tâchant  nous-mêmes,  dans  la 
vue  de  notre  faiblesse,  d'éviter  la  rencontre 
du  mal  dont  nous  sommes  menacés,  et  nous 
tenant  attachés  à  Dieu  par  la  prière.  De  plus 
Jésus-Christ  a  prié  de  celle  manière  ,  il  a 
demandé  une  chose  qui  semblait  contraire  à 
la  volonté  de  son  Père  ;  et  dans  celte  prière, 
dit  saint  Augustin,  c'est  la  voix  des  mem- 
bres qui  se  fait  entendre,  plutôt  que  celle  du 
chef  :  ce  sont  des  malades  qui  parleut  par  la 
bouche  de  leur  médecin,  mais  aussi  ce  méde- 
cin ne  parle-t-il  que  pourles  instruire  et  poul- 
ies guérir.  11  voulait  nous  apprendre  qu'il 
peut  arriver  quelquefois  que,  sans  perdre 
l'esprit  du  christianisme,  nous  voulions  une 
chose  lorsque  Dieu  en  veut  une  autre  ;  cela 
se  permet  à  la  fragilité  el  à  la  faiblesse  hu- 
maine. Vous  sentez  des  oppositions  à  la  vo- 
lonté de  Dieu,  vous  lui  demandez  ce  qu'il  ne 
veut  pas  vous  accorder.  Ne  vous  troublez 
point  pour  celle  contrariété,  mais  humiliez- 
vous  ;  reconnaissez  qu'il  y  a  el  vous  un  fonds 
de  misère  el  d'opposition  au  bien.  Considérez 
celui  qui  esl  au-dessus  de  vous  ;  il  est  créa- 
teur, el  vous  créature;  il  esl  maître,  et  vous 
esciave  :  est-ce  à  vous  à  vouloir  autre  chose 
que   ce  qu'il  vcuU  il  est  puissant,  et  vous 


très-faible  :  est-ce  à  vous  d'entreprendre  ce 
qu'il  n'a  pas  résolu  ?  11  est  un  père  bon  et 
sage,  et  vous  êtes  un  enfant  aveugle,  sans 
expérience  et  ignorant  ce  qui  vous  est  meil- 
leur: arrêtez  voire  volonté  par  ces  vues, 
soumettez-la  à  celle  de  Dieu,  et  dites-lui  : 
Ne  faites  pas,  ô  mon  Père,  ce  que  je  veux, 
mais  ce  que  vous  voulez.  Enfin  Jésus-Christ 
recommence  trois  fois  la  même  prière  :  ah! 
le  grand  exemple  qu'il  nous  donne  de  persé- 
vérance, d'humilité  et  de  simplicité  dans  la 
prière. 

Nous  nous  lassons  de  demander ,  parce 
que  nous  sommes  superbes  :  nous  nous  im- 
patientons quand  Dieu  ne  nous  exauce  point, 
parce  que  nous  sommes  pleins  d'orgueil  ; 
mais  le  Fils  de  Dieu  nous  apprend  à  prier 
humblement,  la  face  contre  terre;  simple- 
ment :  Mon  Père,  s'il  est  possible,  faites  que 
ce  calice  passe;  persévéramment  ,  il  recom- 
mence jusqu'à  trois  fois.  Pensez-vous  que, 
priant  de  la  sorte,  il  ne  pratique  que  des 
vertus  sans  rien  souffrir  ?  Non,  mes  frères,, 
il  souffre  en  priant  :  si  vous  le  voyez  pros- 
terné devant  son  Père,  c'est  pour  expier 
l'orgueil  du  pécheur,  et  si  vous  n'entrez 
pas  dans  ce  genre  de  souffrance  intérieure 
du  Sauveur  ,  je  n'en  suis  pas  surpris  :  les 
disciples  eux-mêmes  ne  le  comprirent  pas. 
C'est  ce  que  signifie  le  reproche  qu'il  fit  à 
saint  Pierre  ,  Quoi!  vous  n'avez  pu  veiller 
une  heure  avec  moi?  Hélas!  il  y  a  bien  peu 
de  chrétiens  qui  comprennent  les  langueurs 
secrètes  et  les  souffrances  intérieures  de  Jé- 
sus-Christ. Jésus-Christ  venait  de  nourrir 
ses  apôtres  de  son  corps  pour  les  fortifier  ; 
il  les  avait  préparés  par  un  avertissement 
pour  les  prévenir  sur  ce  qui  devait  arriver  ; 
il  les  avait  exhortés  à  prier ,  il  leur  en  avait 
donné  l'exemple,  il  les  reprend  de  leur  som- 
meil, et  il  les  avertit  jusqu'à  trois  fois  :  ce- 
pendant, sans  être  touchés  ni  de  ses  bien- 
faits ,  ni  de  ses  averlissements ,  ni  de  ses 
prières,  ni  de  l'état  où  il  leur  avait  dit  qu'il 
se  trouvait  réduit  par  la  tristesse  qui  l'acca- 
blait, ils  dorment  avec  indifférence  ,  comme 
si  toutes  ces  choses  ne  les  regardaient  point. 
Qu'il  e^t  cruel  de  se  voir  ainsi  abandonné 
dans  son  affliction  de  ceux  que  nous  pensions 
être  nos  amis!  Mais  ce  qui  augmente  cette 
douleur  dans  l'âme  de  Jésus-Christ ,  c'est 
qu'elle  n'est  pas  simple,  elle  est  compliquée  , 
si  j'ose  parler  ainsi  ;  et  comme  ceci  peut  s'ap- 
pliquer à  toutes  ses  souffrances  dans  le  cours 
de  sa  passion  ,  expliquons  ce  que  nous  vou- 
lons dire  par  cette  expression. 

Elle  signifie  ,  mes  frères  ,  que  comme  le 
Sauveur  du  monde  ne  souffre  pas  seulement 
les  injures  qu'il  reçoit  dans  sa  passion  ,  soit 
par  l'infidélité  de  ses  disciples  ,  soit  par  la 
cruauté  de  ses  bourreaux  ;  mais  qu'il  voit 
dans  ces  injures  tous  les  péchés  des  hommes 
commis  el  à  commettre  ,  son  âme  pénétrante 
el  ingénieuse  pour  s'affliger  lui  fait  jeter  les 
yeux  sur  le  pave  et  sur  le  futur;  de  telle 
sorte  qu'otl  peut  dire  que  chaque  injure  qu'il 
reçoit  ou  chaque  tourment  qu'il  souffre  lui 
faii  recevoir  I  impression  (le  l'injure  actuelle 
qu'il  reçoit  par  la  personne  qui  l'offense,  celle 


647 


OIUTF.URS  SACHES.  DOM  JlïKOMl.. 


do  l'injure  passée  qu'il  a  reçue  par  les  hom- 
mes qui  l'ont  offensé  ,  et  celle  qu'il  doit  rece- 
voir par  les  homme*  ingrats  qui,  oubliant  les 
marques  de  son  amour .  continueront  à  l'of- 
fenser et  renouvelleront  sa  passion. 

Ce  sont  les  vues  différentes  qui  obligent  les 
saints  Pères  de  dire  que  ce  lut  dans  le  temps 
de  la  prière  au  jardin  des  Olives  que  le  Sau- 
veur dn  monde  souffrit  plus  qu'en  aucun  li- 
tre temps  de  sa  passion  ,  parce  que  dans  ce 
moment  toute  l'horreur  de  sa  passion  se  pré- 
senta à  son  esprit  :  il  en  vit  la  cause  dans  le 
péché,  les  effets  dans  ses  tourments,  la  conti- 
nuation et  le  renouvellement  dans  les  infidé- 
lités des  hommes.  Il  se  regarde  dans  ce  mo- 
ment comme  cet  homme  de  douleur  dont 
parle  Isaïe,  de  qui  le  principal  tourment  vient 
de  la  connaissance  qu'il  a  de  toutes  les  cir- 
constances de  ses  douleurs.  Or  Jésus-Christ 
est  frappé  d'une  crainte  horrible  :  Cœpit  pa- 
rère; il  est  saisi  d'une  tristesse  profon 
lit  tœdere  ;  il  est  abattu  d'une  désolation 
universelle  :  Et  contristari.  C'est  l'état  d'une 
âme  qui  voit  un  malheur  prêt  à  fondre  sur 
elle,  et  qui,  de  quelque  côté  qu'elle  se 
tourne  ,  ne  voit  aucun  moyen  de  l'éviter: 
semblable  à  une  nuée  épaisse  et  noire,  éclai- 
rée d'un  feu  obscur,  qui  semble  porter  toute 
la  colère  du  ciel ,  et  qui,  menaçant  une  cam- 
pagne, fait  fuir  tout  le  monde  pour  l'éviter; 
semblable  à  une  armée  qui  porte  toute  l'in- 
dignation d'un  prince  irrité,  et  qui  met  dans 
une  consternation  accablante  une  ville  qui 
en  est  menacée,  parce  qu'elle  la  voit  prête  à 
fondre  sur  elle;  et  c'est  ici  qu'on  peut  dire  : 
Attendite  et  videte  si  est  dolor  :  Où  s'csl-il  ja- 
mais vu  une  tristesse  et  une  douleur  p  - 
reillc? 

Ce  lut  aussi  dans  le  tourment  de  son  es- 
prit ,  dans  cette  affligeante  pénétration  de 
toutes  les  circonstances  de  ses  douleurs , 
qu'il  se  répandit  une  sueur  sanglante  de  tou- 
tes les  parties  de  son  corps,  qui  fut  tout  en- 
semble expressive  de  sa  douleur  présente  et 
une  prédiction  de  ses  douleurs  futures. 

Avec  cette  connaissance  de  la  disposition 
du  cœur  de  Jésus-Christ  ,  jugez  quelle  dut 
être  sa  douleur  de  voir  ses  disciples  endor- 
mis ,  non-seulement  à  cause  de  ce  qui  les 
regardait,  comme  je  viens  de  vous  le  dire, 
mais  parce  qu'il  voyait  dans  leur  sommeil 
l'infidélité,  l'ingratitude  et  la  lâcheté  de 
beaucoup  d'autres. 

Il  y  voyait  l'ingratitude  de  ceux  qui,  ayant 
tout  reçu  de  lui  ,  ne  lui  veulent  rien  rendre, 
et  qui  ,  sacrifiant  avec  joie  leur  sommeil  , 
leurs  nuits  etlcurs  jours,  à  l'ambition,  à  l'a- 
varice et  aux  plaisirs  ,  ne  veulent  pas  seule- 
ment donner  une  heure  à  Jésus-Christ  qui  ne 
la  leur  demande  que  pour  leur  salut.  Appli- 
quons-nous ceci ,  mes  frères  :  combien  y 
a-t-il  de  gens  à  qui  le  Sauveur  dira  à  L'heure 
de  la  mort  :  Vous  n'avez  pu  veiller  uni! 
heure  avec  moi  :  Non  potuistis  :t»a  hora  vi- 
yilare;  qui,  livrés  au  péché,  cl  après  avoir 
mené  um-  vie  oisive,  molle  .  inutile,  de  pas- 
sion et  d'amusement,  ne  veulent  pas  en  faire 
pénitence,  et  s'ennuient  dans  les  exercices 
lu'on  leur  prescrit  pour  satisfaire  à  la  jus- 


lit  c  de  Dieu;  qui  donnent  tout  au  monde  et 
ne   veulent  rien    faire    pour   leur  salut.  Il  y 
voyait   l'erreur   et    l'illusion    de   ceux    qui 
croient  être  de  ses    disciples,    parce    q 
comme  les  apdtn  s,  ils  se  nourrissent  de  son 
corps  et  écoulent  sa  parole  avec  tranquillité, 
ainsi  qu'ils  venaient  de  faire,  et  qui,  le  lais- 
sant  après  entrer   tout  seul    dans    l'œuvre 
pénible  de  sa    passion  ,   s  endorment  lâ<  lie- 
un  ni  quand  il    faut  souffrir  ,  et  ne  veulent 
point  avoir  de  part  à  ses  dou'eurs  :  Mon  po- 
tui*iis  tina  hora  tigilare.  Ce  n'esi  pas  cire 
disciple  de  Jésus-Christ  que  de  communier 
simplement  et  d'écouter  sa   parole  :  il  faut 
prier  comme   lui  et  prendre  part  à  ses  dou- 
leur<.  Il  y  voyait  le  sommeil  criminel  despas- 
leurs  de  l'Eglise  qui  regardent  avec  tranquil- 
lité toute  sa  discipline  en   proie  au  relâche- 
ment, Jésus-Christ  exposé  à  ses  ennemis  en 
la  personne  de  ses  membres,  et  tous  les  dé- 
sordres déplorables  qui  se  présentent  à  nous, 
sans  en   être  touchés  et  dormant  en  repos, 
après  s  être   remplis  des  biens   de   l'Eglise  , 
qu'ils  regardent  comme  la  proie  de  leur  ava- 
rice et  .ie  leur  ambition.  Ainsi  pénétré  de  la 
lâcheté  de  ses  disciples  et  de  ses  plus  chers 
amis  ,  il  vient  à  eux  ,  et  il  les  en  reprend  ; 
mais  comment  :  Quoi  ,  leur  dit-il,  vous  n'a- 
vez pu  veiler   une  heure  avec  moi?   Que  do 
douceur  dans  celte   manière  de  reprendre  ! 
Est-ce  ain-i  que  nous  en  usons  à  l'égard  de 
ceux  qui  sont  tombés   dans   quelque  négli- 
gence pour  ce  qui  nous  touche?  Mais  cette 
leçon  de  douceur   va  être   confirmée  d'une 
manière  admirable  dans  un  moment  :  le  Sau- 
veur fait  lever  ses  disciples   et   leur  disant 
que  l'heure  est  procite,  et  que  le  Fils  de  l'homme 
va  être  livré  entre  les  mains  des  pécheurs  ,  il 
vient  lui-même  au-devant  de  ses  ennemis  , 
parce  que  c'est  l'amour  de  son  Père  qui  l'o- 
blige de  se  présenter  à  la  mort  et  qui  le  fait 
aller  au-devant  de  la  croix  et  de  la  passion. 
En  effet,  il  n'avait  pas  encore  achevé  de 
parler  à  ses  disciples, que  Judas,  suivi  d'une 
grande  troupe  de  gens  armés  d'épées  et  de  bâ- 
tons, se  présente  devant  ses  yeux,  et  s'a])pro~ 
chant  de  lui,  il  lui  dit  ;  Maitrc,  je  vous  salue; 
car  c'était  le  signtrf  que  le  traître  avait  donné 
pour  leur  désigner  celui  qu'ils  devaient  pren- 
dre. .Mais  à  quoi  pense  ce  malheureux'.'  Est- 
il  aveuglé  jusqu'à  croire  que   ce  signe  d'a- 
mour qui  découvre  son   maître  aux   soldats 
couvrira  sa  malice  aux  yeux  du  Sauveur? 
qu'il    prendra   cet   embrassemeat  pour  une 
marque  de  son  amitié  ,  et  l'insulte  que  lui 
fait  celle   troupe    pour  une   rencontre  où  il 
n'avait  point  de  part?  Ne  savait-il  pas  que 
son  maître  lisait  d   ns  le  fond  du  cœur,  qu'il 
en  pénétrait  les  secrets  cl  qu'il  en  découvrait 
les  replis  les  plus  cachés  ?  Avait-il  oublie  ce 
que  le  Sauveur  venait  de  lui  dire ,   dans  le 
repas  qu'il  sortait  de  faire  avec  les  apôtres  : 
Celui  qui  met  avec  moi  la  main  dans  le  plat, 
c'est  celui  qui  doit  me  trahir  '!    Frappé  d'un 
aveuglement  irop  profond,  pour  être  capa- 
ble de  ces  réflexions  ,  il  est  comme  uu  en- 
fant qui  met  la  main   sur  ses    veux  ,   et  qui 
croil  que  personne  ne  le  foil  parce  que  lui- 
même  ne  voit  pas  ceux  qui  sont  autour  de 


640 


SURMON  POUR  LE  VENDREDI  SAINT. 


650 


lui.  C'est  l'état  du  pécheur  occupé  d'une  pas- 
sion el  qui  s'est  relire  de  Dieu.  Que  de  souf- 
frances pour  le  Sauveur  dans  celte  occasion, 
et  que  d'iiv  Iruclions  pour  les  hommes  dans 
la  manière  dont  il  les  reçoit  !  Quel  coup  pour 
le  Sauveur  de  voir  son  disciple  qui  le  trahit, 
son  apôtre  à  la  tête  de  ses  ennemis  ,  et  celui 
à  qui  il  avait  donné  un  libre  accès  auprès  de 
sa  personne,  ne  s'en  servir  que  pour  le  livrer 
entre  les  mains  de  ceux  qui  désirent  sa 
mort  1  Plût  à  Dieu  que  ce  traître,  de  qui  la 
conduite  nous  donne  de  l'horreur,  n'eût  pas 
un  si  grand  nombre  d'imitateurs  parmi  les 
chrétiens  et  même  parmi  les  ministres  de 
Jésus-Christ  1  Ce  malheureux  chrétien  qui 
s'approche  de  l'autel  avec  l'attachement  au 
péché,  pour  éviter  devant  les  hommes  le 
reproche  de  n'avoir  pas  accompli  la  loi ,  ne 
renouvelle-t-il  pas  la  trahison  de  ce  miséra- 
ble? 11  vient  à  Jésus-Christ  avec  une  troupe 
de  passions  rebelles  qui,  comme  les  so'dats, 
marchent  en  silence  pour  un  temps  ,  aGn  de 
faire  leur  coup  avec  plus  de  sûrelé  ;  et  quand 
il  l'a  reçu,  ne  l'abandonne-t-il  pas  à  ses  en- 
nemis? Oui,  mes  frères,  dans  l'Eglise  même 
et  parmi  les  minislres.de  Jésus-Christ,  Judas 
a  des  imitateurs. 

Ce  misérable  avait  les  dehors  d'un  homme 
de  bien  :  il  a  prêché,  il  a  l'ait  des  miracles  , 
il  a  baptisé  les  premiers  disciples  de  Jésus- 
Christ,  qui  avait  conGance  en  lui,  comme 
remarque  saint  Augustin.  Sa  vie  était  exté- 
rieurement si  irréprochable  ,  que  quand  le 
Fils  de  Dieu  dit  que  quelqu'un  le  trahirait , 
chaque  apôtre  se  devint  plutôt  suspecta  soi- 
même  que  de  le  soupçonner  de  celte  action, 
tant  son  crime  était  secret  et  caché. 

Mes  frères ,  celte  réflexion  me  fait  trem- 
bler 1  Combien  y  en  a-t-il  dans  l'Eglise,  qui , 
faisant  les  fonctions  évangéliques  comme  ju- 
das ,  et  menant  comme  lui  une  vie  irrépro- 
chable en  apparence,  conservent  néanmoins 
au  dedans  une  passion  d'avarice  et  de  cupi- 
dité comme  lui,  et  qui  emploient  à  leur  pro- 
pre usage  ou  à  des  dépenses  de  table,  d'équi- 
pages et  de  domestiques  superflus ,  ou  à  ren- 
dre leurs  parents  riches  et  considérables  dans 
le  monde,  le  bien  qui  est  donné  à  Jésus- 
Christ  pour  la  nourriture  des  pauvres  !  Pen- 
sez-vous quequand  ils  s'approchent  du  saint 
autel  Jésus-Christ  ne  leur  dise  pas  :  Osculo 
Filium  hominis  tradis  ?  Imitateur  de  Judas, 
tu  voles  mon  bien  comme  lui  ,  tu  me  viens 
donner  un  baiser  de  paix  ,  et  cependant  tu 
me  livres  à  mes  ennemis,  en  me  metlanl  dans 
ton  âme  ,  dont  ils  sont  les  maîtres  et  les  pos- 
sesseurs. 

Ah!  quand  je  considère  tous  les  dehors  de 
la  conduite  de  Judas  el  sa  Gn  malheureuse, 
je  ne  puis  m'empécher  de  dire  :  Tremblez  , 
prêtres  et  ministres  de  Jésus-Christ  ;  trem- 
blez ,  religieux  el  solitaires  :  car  on  n'est 
point  assuré  d'être  du  nombre  des  élus,  quoi- 
qu'on vive  parmi  les  disciples  deJésus-Chrisl 
et  qu'on  fasse  extérieurement  tout  ce  qu'ils 
font.  Tremblons  ,  humilions-nous  et  prions. 
Mais  de  quelle  manière  le  Sauveur  reçoit— il 
celle  injure  atroce  de  son  disciple?  Il  l'ap- 
pelle son  disciple  ,-  son  ami  ;  il  lui  demande 
Orateurs  sacrés.  XXX. 


par  une  forme  d'interrogation  ce  qu'il  est 
venu  faire  en  ce  lieu,  comme  pour  l'obliger 
à  faire  réflexion  sur  sa  lâche  entreprise. 
Vous  trahissez  le  Fils  de  l'homme  par  un  bai- 
ser ?  c'est  tout  ce  qu'il  lui  dit  de  plus  fort. 

Voilà  la  manière  dont  il  faut  supporter  le 
commerce  de  ceux  qui  ressemblent  à  Judas  ; 
et  comme  le  nombre  en  est  grand  dans  le 
monde,  que  les  traîtres  sont  répandus  dans 
toutes  les  conditions  ,  et  qu'il  est  beaucoup 
plus  difficile  de  souffrir  les  fausses  caresses 
d'un  traître  que  d'endurer  les  mauvais  trai- 
tements d'un  ennemi  qui  se  déclare,  il  faut 
demander  à  Jésus-Christ  qu'il  nous  donne 
dans  ces  rencontres  la  patience  nécessaire 
dont  il  nous  a  donné  l'exemple. 

Les  Juifs,  ayant  reconnu  Jésus-Christ  par 
le  signal  du  traître,  s'avancèrent  et  se  saisi- 
rent de  sa  personne.  Alors  ses  disciples,  le 
voyant  pris,  et  qu'il  ne  faisait  aucun  effort 
pour  se  délivrer  par  miracle,  s'enfuirent,  et 
firent  sentir  à  Jésus-Christ  qu'il  y  aurait  tou- 
jours une  infinité  de  chrétiens  qui  ne  seraient 
ses  disciples  que  pendant  la  paix,  mais  qu'ils 
l'abandonneraient  dès  qu'il  s'agirait  de  l'in- 
térêt de  leur  fortune  ou  de  leurs  passions. 
Ils  nous  ont  fait  voir  par  cette  fuite  qu'ils 
étaient  encore  dans  leur  foi  tendres  et  déli- 
cats comme  des  enfants.  A  la  première  vue 
de  la  persécution,  les  uns  prennent  la  fuite  et 
les  autres  renient  leur  maître.  Us  n'avaient 
pis  prié  comme  lui  au  jardin  des  Olives,  car 
s'ils  l'eussent  fait  et  qu'ils  eussent  veillé  et 
prié  comme  le  Sauveur  le  leur  avait  dit,  ils 
auraient  été  fortifiés  et  ne  l'auraient  pas  aban- 
donné au  temps  de  la  tentation.  Je  ne  sau- 
rais passer  cette  circonstance  de  la  fuite  et 
de  l'abandonnement  des  apôtres  qui  quitlcnl 
leur  maître,  sans  vous  faire  remarquer  que 
voilà  le  fond  que  nous  devons  faire  sur  la 
constance  des  amis  du  monde,  qui  le  sont  jus- 
qu'à l'intérêt.  Amis  zélés  dans  la  bonne  for- 
tune, fidèles  dans  la  prospérité,  empres- 
sés quand  tout  nous  réussit,  mais  qu'on 
voit  changer  de  conduite  aussitôt  que  les 
choses  changent  de  face.  Froids  dans  l'ad- 
versité, prudents  dans  ia  persécution,  resser- 
rés dans  nos  mauvaises  affaires,  nous  ou- 
bliant jusqu'à  ne  nous  connaître  plus  quand 
la  fortune  nous  abandonne,  l'inconstance  des 
choses  humaines  nous  a  fait  voir  plus  d'une 
fois  que  la  légèreté  des  hommes  sait  fort  bien 
ne  mettre  qu'un  moment  de  distance  entre 
l'adoration  et  l'oubli. 

Avancez  donc,  soldats,  ne  craignez  rien  ; 
si  Jésus  de  Nazareth  vous  a  renversés  par 
terre  et  qu'il  vous  donne  la  force  de  vous  re- 
lever pour  le  prendre,  c'est  qu'il  a  voulu 
vous  faire  connaître  que  si  vous  l'emmenez, 
c'est  son  amour  qui  le  livre  et  non  pas  vo- 
tre violence  qui  l'entraîne.  11  veut  faire  voir 
dans  loute  sa  passion  sa  liberté,  son  inno- 
cence et  son  amour.  Vous  n'avez  pas  voulu 
reconnaître  la  puissance  qu'il  a  voulu  vous 
faire  sentir  par  ce  renversement;  vous  êtes 
en  cela  semblables  aux  impies  qui,  voyant 
renverser  leur  fortune  et  leurs  desseins,  ne 
reconnaissent  point  la  main  de  Dieu  qui  les 

21 


ORAïl  I  RS  Si  i:i>    DOM  JEROME. 


65i 


frappe  pour  les  convertir,  elqui  persévèrent 
dans  leurs  iniquités. 

Les  ennemis  du  Sauveur  sont  renversée, 
ses  disciples  ne  reviennent  pas,  les  soldats 
se  relèvent  et  se  saisissent  de  sa  personne. 
Les  hommes  ne  jugent  des  choses  que  par 
le  succès.  Allez  doue,  emmenez  le  Sauveur, 
soyez  les  ministres  de  son  amour  en  ne  pen- 
sant qu'à  être  les  bourreaux  de  sa  vie,  et 
liez  la  victime  qui  se  livre  elle-même  à  la 
mort.  C'est  ainsi  qu'ils  entrent  dans  la  ville, 
triomphants  de  la  prise  qu'ils  ont  faite,  et 
c'est  le  sujet  de  mon  deuxième  point. 

DEUXIEME    PARTIE. 

11  est  facile  de  se  persuader  que  le  Sau- 
veur du  monde  reçut  mille  insultes  de  la 
troupe  qui  le  conduisait  dans  le  chemin,  de- 
puis le  jardin  où  ils  le  prirent  jusque  dans 
la  maison  de  Caïphe,  où  tou'e  cette  cohorte 
a!. orda  et  où  les  prêtres  s'étaient  assemblés, 
afin  que  tout  se  fît  par  leurs  avis.  Caïphe, 
qui  était  le  gr.nrîd  prêtre  cette  année,  avait 
donné  le  conseil  de  faire  mourir  cet  homme 
pour  tout  le  peuple  :  chose  étrange,  que  ce 
soit  un  premier  ministre  du  Dieu  vivant  qui 
donne  ce  conseil  contre  la  vie  de  son  Fils 
unique!  Il  l'interrogea  d'abord  sur  sa  doc- 
trine, et  .  ésus-Chrisl  lui  répondit  qu'il  n'a- 
vait rien  dit  en  secret,  et  qu'ainsi  on  pouvait 
interroger  ceux  qui  l'avaient  entendu. 

Je  ne  m'arrêterai  pas  sur  l'injustice  de  leur 
procédure,  car  nous  en  parlerons  lorsqu'il 
paraîtra  devant  Pilate.  Saint  Chrysostome 
dit  qu'ils  s'assemblèrent  plutôt  pour  exécu- 
ter que  pour  prendre  une  résolution  qui  était 
déjà  formée;  qu'ils  firent  quelques  informa- 
tions à  la  hâte  et  quelques  recherches  in- 
formes pour  sauver  les  apparences,  et  pour 
couvrir  au  moins  leur  homicide  de  quelques 
prétextes.  Car  les  faux  témoins  qu'on  faisait 
paraître  se  contredisaient  et  se  combattaient 
les  uns  les  auires,  et  tout  était  si  plein  de 
trouble  et  de  tumulte,  qu'il  paraissait  visi- 
blement que  tout  ce  qui  se  faisait  alors  n'es- 
tait qu'an  fantôme  et  une  fiction  de  jugement. 

Je  ne  m'arrêterai  qu'à  deux  choses  que  le 
Sauveur  souffrit  dans  la  maison  de  ce  grand 
prêtre,  qui  toutes  deux  lui  lurent  infini- 
ment sensibles,  et  dans  lesquelles  il  nous 
fait  d'admirables  leçons  et  nous  expose  des 
exemples  divins.  Considérez  donc  toujours 
ses  souiïratices,  admirez  ses  vertus  et  écou- 
tez ses  leçons. 

La  première,  c'est  la  circonstance  du  coup 
qu'il  reçut  au  visage  par  l'insolence  et  la 
brutalité  d'un  valet,  qui,  perdant  toute  sorte 
de  respect  en  la  présence  de  ses  maîtres,  in- 
sulta avec  indignité  un  homme  qui  était  sous 
leur  protection.  Je  n'exagère  point  ce: le  in- 
jure, mes  frères,  car  c'est  celle  que  les  hom- 
mes ont  accoutumé  d'appeler  le  dernier  ou- 
trage, et  pour  lequel  on  se  porte  aux  der- 
nières extrémités.  Ajoutez  que  cette  injure 
est  faite  par  un  valet  au  plus  innocent  de 
tous  les  hommes,  et  qui  n'a  rien  dit  que  de 
très-sage;  je  vous  la  laisse  peser  au  poids  de 
l'ainour-propre,  si  vous  n'êtes  pas  capables 


de  la  peser  au   poids  de  la  justice,  et  jugez 
quelle  elle  a  dû  être. 

Mais  considérez  en  même  temps  de  quelle 
façon  Jésus-Christ  la  reçut,  el  venez  appren- 
dre de  son  exemple,  (jiii  condamne  lous  nos 
emportements,  quelle  doit  être  notre  mode- 
ration  dans  les  injures  que  nous  recevons  et 
dans  les  outrages  qu'on  nous  fait.  Le  Sau- 
veur regarde  ce  misérable  avec  compassion, 
car  quoique  Jésus-Christ  fût  frappé,  celui 
qui  le  frappait  en  était  plus  d  gne  que  lui, 
de  même  que,  selon  les  vues  de  la  foi,  lous 
ceux  qui  nous  persécutent  injustement  sont 
bien  plus  à  plaindre  que  nous.  Il  lui  dit  donc: 
Si  j'ai  mal  parlé,  montrez  en  quoi;  mais 
si  je  n'ai  rien  dit  que  de  bien,  pourquoi  me 
frappe z-i  nus? 

Mou  Dieu,  si  nous  savions  parler  de  celle 
manière  à  nos  ennemis  quand  ils  nous  per- 
sécutent, ou  nous  les  convertirions,  ou  nous 
les  confondrions  devant  Dieu.  Mes  frères, 
que  de  douceur!  que  de  modération  !  C'est  à 
la  vue  de  cet  exemple  que  la  fierté  des  hom- 
mes se  doit  confondre,  et  ils  ne  sauraient 
trouver  d'excuses  à  leurs  emportements  s'ils 
considèrent  cette  conduite  où  Jésus-Christ 
leur  montre  tout  ensemble  de  la  patience  en 
supportant  une  cruelle  injure,  et  une  dou- 
ceur admirable  et  héroïque  en  voulant  bien 
rendre  raison  de  ce  qu'il  a  dit,  et  en  tâchant 
de  faire  comprendre  à  ce  valet  qu'il  a  eu  tort 
de  se  lai-ser  emporter  à  cet  excès.  Voilà  la 
pratique  de  ce  que  nous  enseigne  l'apôtre 
saint  Paul  :  Xe  vous  laissez  pus  surmonter  par 
le  mal,  mais  surmontez  le  mal  par  le  bien.  Le 
Sauveur  ne  se  laisse  pas  surmonter  par  le 
mal  :  il  reçoit  un  soufllet,  et  il  ne  confond 
pas  celui  de  qui  il  l'a  reçu  ;  il  ne  fait  pas 
tomber  le  tonnerre  pour  l'écraser,  mais  il 
tâche  de  surmonter  le  mal  par  le  bien,  c'est- 
à-dire  de  ramènera  la  raison  celui  qui  s'est 
emporté  contre  lui. 

C'est,  mes  frères,  ce  que  nous  devons  faire 
dans  les  injures  ou  daus  les  persécutions 
qu'on  nous  lait:  il  faut  que  la  patience  nous 
empêche  de  nous  laisser  vaincre  par  le  mal, 
mais  il  faut  que  la  douceur  nous  applique  à 
vaincre  le  mal  dans  noire  frère  qui  s'est  em- 
porté contre  nous,  cl  à  le  ramènera  la  raison, 
le  retirant  de  dessous  l'empire  du  démon  au- 
quel il  s'est  laisse  vaincre  par  la  passion.  11 
ne  faut  pas  s'étonne;  de  ce  que  le  Sauveur, 
qui  a  dit  dans  l'Lvangile,  que  quand  nousre- 
cecons  un  soufflet  sur  une  joue  netM  devons 
tendre  l'autre ,  ne  l'a  pas  pratiqué  lui- 
même  en  celle  occasion.  11  a  fait  davantage, 
car  il  est  plus  difficile  de  répondre  avec  sa- 
gesse et  une  modération  qui  témoigne  qu'il 
y  a  autant  de  tranquillité  dans  l'esprit  après 
une  pareille  injure  que  si  on  ne  l'avait  pas 
reçue,  que  de  tendre  l'autre  joue  ;  car  ceci 
peut  se  faire  dans  le  trouble  cl  dan- 
tion  même  que  l'injure  nous  aurait  causes.  11 
ne  faut  donc  pas  prendre  ces  paioles  à  la  let- 
tre, mais  dans  le  sens  qu'elle!  signifient,  qu'il 
faut  être  dispose  à  la  douceur  II  non  à  se 
venger  de  son  ennemi  :  c'est  ce  que  Jesus- 
Christ  accomplit  admirablement. 

La  seconde  chose  qui  su  passa  daus  la  mai- 


653 


SERMON  POUR  LE  VENDREDI  SAINT. 


C34 


5011  du  grand  prêtre,  ce  fut  le  reniement  de 
saint  Pierre.  Cet  apôtre  aimait  son  maître,  il 
en  était  beaucoup  aimé,  et  sa  chute,  qui  ne 
fut  qu'un  effet  de  son  imprudence  et  de  son 
indiscrétion,  le  toucha  sensiblement.  Exa- 
minons les  causes  de  cette  chute,  et  voyons 
comme  il  s'en  releva.  Il  y  a  d'admirables  le- 
çons dans  ce  que  l'Evangile  nous  rapporte 
sur  le  sujet  de  cet  apôtre. 

Je  trouve  d'abord  son  sommeil,  qui  fut 
une  marque  d'ingratitude  et  un  défaut  de  re- 
connaissance pour  la  grâce  qu'il  venait  de 
recevoir  par  la  participation  du  corps  de  son 
maître,  semblable  en  ceci  à  ceux  qui,  après 
avoir  reçu  le  corps  de  Jésus-Christ,  croient 
que  tout  est  fait,  et  ne  prennent  pas  le  soin 
qu'ils  doivent  de  lui  en  marquer  leur  recon- 
naissance, en  suivant  ses  avis  et  en  vivant 
selon  sa  volonté.  Ce  fut  la  cause  de  la  chute 
de  Pierre.  En  sortant  de  recevoir  le  corps  du 
Sauveur,  il  tombe  dans  une  ingratitude  ef- 
fective, il  ne  fait  aucun  cas  de  ses  avis.  11  ne 
lui  a  rien  coûté  pour  recevoir  son  corps,  et 
il  lui  en  aurait  coûté  s'il  eût  veillé  et  prié 
comme  il  le  lui  avait  recommandé;  mais  il  y 
a  plus,  il  se  fie  en  ses  propres  forces,  et, 
croyant  pouvoir  exécuter  toutes  les  résolu- 
tions que  son  amour  pour  son  maître  lui  avait 
fait  prendre,  sans  avoir  d'autres  secours  que 
son  propre  cœur  et  la  tendresse  qu'il  sentait 
pour  .lésus-Christ,  il  entre  dans  une  pré- 
somption qui  fut  une  autre  cause  de  sa  chute. 
Il  se  mit  dans  une  occasion  où  l'amour  sur 
lequel  il  comptait  succomba,  et  l'apôtre  re- 
nia son  maître.  Un  faible  amour  pour  la  jus- 
tice n'empêche  pas  qu'on  ne  soit  capable  des 
plus  grands  crimes  lorsqu'on  se  met  dans 
l'occasion  :  qu'allait  faire  un  apôtre  dans  ces 
circonstances  chez  un  grand  prêtre? 

Apprenons  de  la  chute  de  ce  disciple  si  zélé 
et  si  malheureux  que  nous  n'avons  que  la 
misère  et  la  faiblesse  en  partage,  qu'il  ne 
faut  jamais  présumer  de  nos  forces.  Quelque 
boulé  de  naturel  que  nous  ayons,  quelque 
éloigneinent  que  nous  donnent  pour  certains 
vices, ou  la  nature  de  notre  tempérament,  ou 
les  impressions  d'une  éducation  chrétienne, 
tout  cela  est  faible  et  tout  cela  nous  quitte 
quand  la  tentation  est  forte,  et  que,  mépri- 
sant les  avis  qu'on  nous  donne,  nous  nous 
exposons  témérairement.  De  là  proviennent 
initie  chutes,  cl  nous  voyons  à  présent  tel 
homme  entre  les  disciples  de  Jésus-Christ, 
qui,  croyant,  commecet  apôtre, pouvoir  souf- 
frir la  mort  pour  lui,  n'a  pu  résister  à  la  voix 
d'une  servante  cl  s'est  perdu  par  présomp- 
tion, par  curiosité,  par  le  poison  mortel  des 
conversations  inutiles.  Mes  frère»,  il  y  a  bien 
aujourd'hui  des  apôtres  dans  ce  même  cas. 

Cependant  Pierre  se  relève  et  reconnaît  sa 
faute;  le  coq  chante,  Jesus-Christ  regarde 
son  disciple,  qui  sort  de  la  maison  du  grand 
prêtre  et  pleure  amèrement. 

Voilà,  mes  frères,  ce  qui  est  nécessaire 
pour  sortir  du  péché  et  faire  pénitence.  Il  faut 
écouter  le  chant  du  coq,  c'est-à-dire  la  voil 
des  prédicateurs  et  des  ministres  de  Jésus- 
Christ.  Car  la  grâce  intérieure  est  ordinaire- 
ment attachée  a  quelque  chose  d'extérieur. 


Il  est  vrai  que  le  coq  chante  en  vain  pour 
réveiller  le  pécheur  si  la  grâce  de  Jésus- 
Christ  ne  touche  point  son  cœur;  c'est  pour- 
quoi non-seulement  le  coq  chante,  mais  Jé- 
sus-Christ regarde  Pierre.  Il  faut  donc  de- 
mander à  Jésus-Christ  qu'il  nous  regarde, 
afin  que  nous  connaissions  nos  misères  ;  ce 
regard  porte  la  lumière  dans  l'âme.  Aussitôt 
que  Pierre  a  connu  son  péché,  il  sort  de  la 
maison  du  grand  prêtre,  pour  nous  appren- 
dre que  dès  que  Dieu  nous  donne  quelques 
lumières  il  faut  les  suivre,  fuir  l'occasion  et 
tout  quitter.  Enfin  il  faut  pleurer  et  gémir: 
Pierre  ne  parle  point,  il  pleure,  il  se  relire. 
11  parle  quand  il  est  animé  d'un  faux  amour, 
il  garde  le  silence  quand  il  est  pénétré  de 
l'amour  de  Dieu.  Mes  frères,  un  vrai  péni- 
tent fait  tout  sans  rien  dire,  et  je  me  défie 
extrêmement  de  ces  gens  qui  découvrent  leur 
douleur  à  tant  de  monde,  et  qui  font  de  grands 
projets  de  retraite  et  de  pénitence. 

Le  Sauveur  du  monde  reçut  mille  outra- 
ges dans  cette  maison,  et  le  grand  prêtre 
s'étant  emporté  contre  lui,  on  l'insulta  avec 
la  dernière  indignité.  Cependant,  comme  ils 
ne  pouvaient  le  mettre  à  mort  sans  le  con- 
sentement de  Pilate,  qui  était  le  président 
des  Romains,  ils  le  lui  menèrent  pour  con- 
firmer la  sentence  de  mort  qu'ils  avaient  ren« 
due  contre  lui.  C'est  donc  chez  Pilate,  gou- 
verneur pour  les  Romains,  que  fut  conduit 
le  Sauveur  du  monde,  et  c'est  de  là  qu'il  sera 
conduit  au  Calvaire  pour  y  consommer  son 
sacrifice. 

C'est  ici  que  vous  allez  voir  l'image  d'un 
mauvais  juge  dans  la  conduite  d'un  homme 
sage  selon  le  monde,  et  qui  a  assez  d'hon- 
neur pour  ne  vouloir  pas  trahir  l'innocence 
ni  la  livrer  à  l'injustice, mais  qui  n'a  pas  as- 
sez de  courage  pour  la  défendre  au  péril  des 
intérêts  de  sa  fortune  et  de  l'autorité  de  la 
cour.  Dans  tout  ceci  nous  ne  perdrons  point 
Jésus-Christ  de  vue. 

Ce  lut  donc  un  nouveau  tourment  et  une 
nouvelle  injure  au  Fils  de  Dieu  ,  d'être  mené 
comme  un  profane  devant  un  juge  séculier  ; 
et  ce  fut  une  vertu  en  lui  et  une  instruction 
pour  nous  ,  que  do  répondre  par  respect  à 
l'autorité  de  Dieu  ,  dont  il  voit  l'image  dans 
ce  méchant  juge.  Pilate  était  un  fort  honnête 
homme  selon  le  monde,  il  avait  quelque 
amour  pour  la  justice  et  pour  la  vérité.  Il  in- 
terrogea d'abord  Jésus-Christ  sur  les  accu- 
sations de  blasphème  contre  Dieu  ,  de  trahi- 
son envers  le  prince  et  de  séduction  envers 
le  peuple  ;  mais  il  reconnut  en  même  temps 
son  innocence,  de  sorte  qu'étant  prévenu  de 
quelque  estime  pour  sa  droiture  cl  pour  la 
sincérité  qu'il  faisait  paraître ,  sa  femme 
l'ayant  de  plus  sollicité  en  sa  faveur,  il  re- 
garda comme  une  occasion  favorable  de  pou- 
voir le  renvoyer  à  Hérode  ,  apprenant  qu'il 
était  Galiléen,  et  par  conséquent  de  sa  juri- 
diction. 

Voilà  la  première  fausse  démarche  de  Pi- 
late; car  puisqu'il  connaissait  l'innocence  de 
Jésus-Christ  et  la  passion  de  ses  ennemis,  il 
était  de  son  devoir  de  lui  rendre  justice  et  de 
le  retirer  d'entre  leurs  mains-  Vous  verrez 


C55 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


les  suites  île  celte  première  fausse  démar- 
che, et  dans  quel  abime  d'injustice  elle  va 
conduire  ce  ma  heureux  juge.  Où  sont  les 
j ii ji«'s  qui  ne  travaillent  pat  à  te  débarrasser 
d'une  affaire  quand  ils  voient  que  leurs  inté- 
rêts en  peuvent  souffrir  ?  Oui  est-ce  qui  ne 
dit  pas,  quand  il  ne  s'agît  que  de  protéger  la 
veuve  et  l'orphelin  contre  l'oppression  de  la 
puissance  et  de  la  faveur:  Je  n'ai  que  faire 
de  in'enibarrasser  là  dedans?  Et  vous  n'êtes 
juge,  mon  cher  frère  .  que  pour  cela.  Ne 
soyez  pas  juges,  dit  l'Ecriture ,  si  vais  n'avez 
lu  force  de  vous  opposer  à  l'iniquité;  vous  en 
répondrez.  Ne  soyez  pas  pasteurs  si  vous 
n'avez  pas  la  force  de  vous  opposer  au  relâ- 
chement, de  maintenir  avec  vigueur  les  lois 
de  la  discipline,  »;t  de  défendre  les  intérêts  de 
Jésus-Christ.  l'ilatc  s'en  décharge  donc,  et  il 
le  renvoie  à  Hérode;  il  agit  doublement  en 
politique,  car  il  pense  à  se  débarrasser  de 
cette  méchante  affaire,  et  il  songe  à  se  rac- 
commoder avec  Hérode  par  celte  déférence 
qu'il  lui  rend,  ici ,  comme  dans  le  temps  où 
nous  sommes,  tout  est  intrigue,  manège  ,  po- 
litique ;  on  n'a  point  l'amour  du  vrai  et  du 
Lien  ,  on  ne  songe  qu'à  son  intérêt. 

Ainsi  ,  d'une  part  Jésus-Christ  est  aban- 
donné par  le  seul  qui  pouvait  et  qui  devait  le 
défendre  ,  et  de  l'autre  il  est  sacrifié  aux  in- 
térêts de  Pilate,  qui  fait  servirle  Fils  de  Dieu 
à  ses  affaires  et  à  ses  desseins.  Quelle  humi- 
liation 1  Hérode  le  voit  avec  joie, c'est  un  ef- 
fet de  sa  curiosité  et  non  pas  de  son  respect. 
On  aime  dans  le  monde  les  nouveaux  spec- 
tacles.Hérode  lui  ayant  fait  plusieurs  deman- 
des ,  Jésus  n'y  répondit  point:  semblable  en 
cela  aux  gens  du  momie  et  de  la  cour  qui  ne 
s'informent  pour  l'ordinaire  des  choses  de  la 
religion  que  par  un  esprit  de  curiosité.  Jé- 
sus-Christ ne  le  jugea  pas  digne  de  lui  par- 
ler ,  et  Hérode  ne  le  jugea  pas  digne  de  sa 
présence  ;  aussi  Jésus-Christ  est-il  ordinai- 
rement méprisé  dans  ces  lieux  ,  comme  il  le 
fut  chez  Héroue  qui  s'en  moqua. 

Remarquez  que  les  princes  des  prêtres  de 
la  loi  ne  le  quittent  point;  ils  le  suivent  chez 
Pilate,  chez  Hérode,  et  partout  ils  l'accusent, 
et  partout  ils  le  poursuivent  avec  fureur. 
Chose  étrange,  que  les  prêtres  et  les  docteurs 
corrompus  soient  les  plus  implacables  enne- 
mi-, de  Jésus-Christ  !  11  est  donc  renvoyé  à 
Pilate  ,  il  semble  qu'il  veuille  contraindre  ce 
juge  à  faire  son  devoir  et  le  forcer  à  se  ren- 
dre son  protecteur  ;  car  après  tout  le  voila 
fortifié  par  la  conduite  d'ilérode  dans  la 
pensée  de  l'innocence  du  Sauveur.  C'est 
aussi  ce  qu'il  représente  aux  Juifs.  Il  trouve 
même  un  expédient  qui  peut  faciliter  ce  qu'il 


je  le  reconnais  pour  tel.  Hérode  ,  de  la  juri- 
diction de  qui  il  est,  en  a  porté  le  même  ju- 
gement, fous  les  crimes  dont  vous  l'accusez 
sont  imaginaires,  et  véritablement  on  re- 
connaît que  c'est  l'envie  qui  vous  anime.  Au 
reste  ,  le  bon  sens  veut  qu'on  punisse  celui 
qui  est  manifestement  coupable ,  et  qu'on 
sauve  celui  dont  le  crime  est  au  moins  en- 
core douteux.  Mes  frères .  que  ce  traitement 
qu'on  fit  au  Sauveur  est  étrange  !  c'est  or- 
dinairement le  peuple  qui  demande  au  prince 
la  grâce  de  quelque  criminel  ,  et  c'est  ici  le 
prince  lui-même  qui  demande  au  peuple  la 
grâce  de  Jésus-Christ  innocent ,  et  qui  ne  la 
peut  obtenir.  On  compare  le  Sauveur  du 
monde  avec  le  dernier  des  nommes  ,  et  celui 
qui  fait  celle  comparaison  prétend  lui  ren- 
dre un  bon  oflice.  On  préfère  le  dernier  des 
hommes  au  Sauveur,  et  on  croit  ne  lui  point 
faire  d'injustice  ;  voilà  un  étrange  aveugle- 
ment. 

.Mais  serait-il  possible  que  nous  qui  con- 
naissons l'inn<  cence  de  Jésus-Christ  mieux 
que  Pilate  ,  nous  qui  faisons  profession  de 
l'adorer  comme  noire  Dieu  ,  nous  soyons  ca- 
pables de  faire  une  au-si  injuste  comparai- 
son '.'  Oui  ,  mes  très-chers  frères  ,  nous  fai- 
sons le  détestable  choix  des  Juifs  ,  toutes  les 
fois  que  nous  préférons  nos  intérêts  ,  nos 
plaisirs,  noire  ambition, enfin  tous  les  objets 
de  nos  passions  ,  à  la  loi  de  Dieu  ,  à  son  ser- 
vice et  au  salut  de  notre  âme.  Nous  ne 
voyons  point  cette  injustice,  nos  passions  la 
couvrent, et  elles  la  déguisent  sous  une  forme 
qui  nous  frappe  moins.  Mais  quelle  est  la 
contenance  du  Sauveur  à  la  vue  de  celle  in- 
dignité et  de  cette  injustice?  Se  plaint-il  de 
ce  qu'on  le  compare  a  un  scélérat  ?  Crie-t-il 
contre  le  peuple  qui  le  livre  à  la  mort  et  qui 
donne  la  vie  à  un  infâme?  llncdil  pas  une 
seule  parole  ,  et  dans  ce  jugement  comme 
dans  les  interrogations  de  ses  juges  .  après 
avoir  rendu  à  la  vérité  le  témoignage  qu'il 
lui  devait,  il  demeure  dans  un  profond  silen- 
ce ;  Pilate  même  en  est  étonné. 

Cela  nous  apprend  que  quand  nous  avons 
rendu  à  notre  innocence  le  témoignage  que 
nous  nous  devons  par  justice,  il  ne  faut  plus 
nous  plaindre.  11  faudrait  aussi ,  mes  très- 
chers  frères  ,  ne  se  rendre  pas  si  délicats  sur 
le  point  d'honneur  et  sur  la  comparaison 
qu'on  lait  quelquefois  de  nous  avec  des  gens 
qui  ne  nous  valent  point,  en  pensant  au  si- 
lence du  Fils  de  Dieu  comparé  à  Barabbas. 
Mais  poursuivons. 

Le  peuple  ne  se  contentant  point  et  vou- 
lant absolument  la  mort  de  Jésus-Christ ,  Pi- 
late trouve  un  autre  expédient   pour  donner 


pense  :  il  connaît  que  Jésus-Christ  est  inno-      quelque  chose  à  leur  passion  et  ne  pas  per- 
cent ;  l'espril  du  peuple  est  irrité  cl  ses  in-      dre    entièrement    cet    innocent  :    c'est  de  le 

faire  châtier.  Troisième  démarche  île  l'il  ite 


téréls  sont  engagés  ;  il  propose  un  tempe 
rament,  une  conciliation,  un  liiais  :  les  gens 
intrigants  n'en  manquent  guère.  Nouvelle 
démarche  de  Pilate,  nouvelle  faiblesse.  Fous 
devez,  leur  dit-il,  délivrer  un  homme  à  lu  fête 
de  Pâques,  je  vous  en  propose  deux,  liurabbas 
et  celui-ci.  L'un  est  un  séditieux  ,  un  voleur 
insigne,  et  un  misérable  convaincu  de  plu- 
sieurs meurtres  ;  celui-ci   est  un  innocent, 


et  troisième  faiblesse; mauvais  ménagements 
d'un  juge  qui  veut  contenter  tout  le  monde. 
Mai*,  Pilote .  dit  saint  Chrjaostome,  si  vous 
croyez  Jésus-Christ  innocent,  pourquoi  le  li- 
vrez-vous ù  lu  fureur  de  ce  peuple  ?  {lue  ne 
l'urraclti  z-vous  d'entre  leurs  moins 'f  Pi!. île  au 
contraire  ne  témoigne  que  de  la  faiblesse.  Il 
ne  suffit  pas  «Je  dire  :  Le  peuple  est  anime,  il 


657 


SERMON  POUR  LE  VENDREDI  SAINT. 


058 


faut  donner  quelque  chose  à   son   emporte- 
ment et  à  sa  fureur,  ceci  peul  causer  une  sé- 
dition, voilà  un  grand  bruit.  Apprenez,  vous 
qui  êtes  juges  sur  la  terre  :  Erudimini  ,  qui 
judicatis  terram,  apprenez  à  distinguer  entre 
Je  sujet  rlu  bruit  et  l'auteur  du  bruit.  Si  Jé- 
sus-Christ en  est  l'auteur,  faites-lui  pprdre  la 
vie,  et  apaisez  le  peuple  par  cet  acte  de  jus- 
tice ;  si  Jésus-Christ  n'en  est  que  le  sujet  et 
le  faux  prétexte,  que  l'envie  des  prêtres  et.  la 
maiiee  ou  l'erreur  du  peuple  en  soit  la  cause, 
punissez  le   peuple,    corrigez  les  prêtres  et 
renvoyez  l'innocent  absous.  C'est  ce  qu'au- 
rait fait  un  juge   ferme  et  équitable  ;   mais 
c'est  ce  que  Pilate  ne  fait  pas ,  et  c'est  ce  qui 
n'est  peut-être  que  trop  ordinaire.  L'innocent 
qui   est   sans  appui  est  souvent  opprimé,  et 
quelque  justice  qu'il  puisse  avoir  ,    on   croit 
encore  lui   faire  grâce  de  ne  pas    l'accabler 
tout  à  fait  quand  il  a  des  ennemis  puissants 
et  dans  la  faveur.  Encore  un   coup  ,    Pilate 
pense  faire  grâce  à  Jésus-Christ  en  ne  le  li- 
vrant qu'à   une  simple  flagellation  ;  et  dans 
ce    tourment  ,    mes   frères  ,  le   Fils  de  Dieu 
souffre  tout  ensemble  la  honte  et  la  douleur: 
la  honte  d'être  exposé  nu   aux    yeux  d'une 
populace  qui  était  assemblée  dans  la  cour  du 
Prétoire  ;    et   par   celte   nudité  qu'il  souffre 
pour  expier  le  luxe  et  la  vanité  des  hommes 
qui  consument  en  habits    et   en   ornements 
superflus    ce   qui    serait   si  nécessaire  pour 
couvrir  les  pauvres,  il  nous  enseigne  la  mo- 
destie et  le  retranchement  pour  les  soulager. 
Vous  couvrez  des  murailles  ,  et  vous  laissez 
nus  les  membres  du  corps  mystique  de  Jésus- 
Christ  ;  le    Sauveur    souffre   celle  honte  en 
leur  personne;  ce  sont  ses  enfants  ,  ils  por- 
tent le  caractère  de  sa  ressemblance  La  dou- 
leur qu'il  ressent  dans  ce  supplice  est  extrê- 
me ,   il  n'y  a  aucune  partie  de  son  corps  qui 
ne  souffre  la  violence  ,  la   fureur  et  la  rage 
de  ses  bourreaux;  et  il  nous  enseigne  ,   par 
cette   souffrance  universelle   ci   générale  de 
toutes  les  parties  de  son  corps  naturel ,  que 
toutes  celles  de  son  corps   mystique  doivent 
souffrir.  11  n'y  a  point  d'exception  ,  tout  doit 
souffrir  ;  pensez-y ,  vous  délicats  et  sensuels 
qui  n'avez  jamais  rien  scuilert,  qui  ne  son- 
gez qu'à  éviter  les  moindres  maux  et  à  vous 
procurer  toutes  sortes  de  délices.  Ils  inven- 
tent   un   autre   supplice  pour  se  délasser, 
mais  qui  faisait  souffrir  d'une  manière   plus 
humiliante  Jésus-Christ  :  ce  fut  de  l'asseoir 
sur  un  bout  de  colonne  ,   de  lui  mettre  une 
couronne  d'épines   en  tête ,  un  roseau  à  la 
main  et  une  casaque   sur  le  corps.  L'insulte 
et  la  violence  ne  peuvent  aller  au  delà  de  ce 
que  souffre  le  Sauveur  du  monde.  Sa  tête  est 
percée   d'épines ,   frappée    d'un     roseau   et 
meurtrie  de   coups  de  poing;  son  visage  est 
couvert  de  crachais  ,  il  reçoit  de<  soufflets  , 
tout  son  corps  est  déchiré  par  la  flagellation, 
déshonoré  par  la  nudité  ,  et  encore  plus  par 
celle  casaque  d'écarlate  dont   on  le  couvre 
pour  l'insulter  par  de  cruelles  adorations, 
comme  s'il  élait  un  roi  de  théâtre.   Ce  sont , 
mes  frères  ,  ces  mépris ,  ces  opprobres  ,  ces 
indignités,   ces   injures  et  ces  railleries  qui 
surpassent  toutes  ses  douleurs.  Aussi  a-t-il 


prétendu  s'en  servir  pour  composer  le  re- 
mède de  la  plus  dangereuse  plaie  que  le  pé- 
ché ait  faite  en  nous  ,  il  les  souffre  pour  ex- 
pier et  pour  guérir  l'orgueil  de  l'homme.  Il 
a  réussi  à  l'expier,  car  quel  que  fût  relève- 
ment de  l'homme  contre  son  créateur,  Dieu 
lui-même  l'a  oublié  en  voyant  l'anéantisse- 
ment de  son  Fils  et  les  opprobres  qu'il  a 
soufferts  ;  mais  réussira-t-il  à  guérir  cet  or- 
gueil qui  est  encore  dans  notre  cœur?  Ser- 
vons-nous ,  pour  vous  faire  cette  demande  , 
du  dernier  moyen  dont  Pila'e  se  servit  pour 
toucher  les  Juifs  de  compassion  :  Ecce  ho- 
mo  :  Voilà  l'homme.  Il  leur  présenta  le  Sau- 
veur dont  la  tête  était  chargée  d'une  cruelle 
couronne  d'épines,  le  visage  couvert  de  cra- 
chats et  de  sang  qui  s'étaient  mêlés  ,  tenant 
un  roseau  à  la  main  et  le  corps  couvert  de 
cette  casaque  qui  n'empêchait  pas  qu'on  n'en 
vît  les  plaies.  Voici  l'homme  ,  leur  dit-il , 
contre  qui  vous  êtes  si  animés,  que  crai- 
gnez-vous de  lui  ?  Voire  colère  et  votre  en- 
vie trouvent-elles  de  quoi  se  nourrir  dans  ce 
misérable  spectacle  ?  C'est  un  innocent,  et  si 
vous  êtes  capables  de  quelque  compassion  et 
de  quelques  sentiments ,  laissez-vous  lou- 
cher :  Eccehomo  :  Voilà  l'homme. 

Pour  moi ,  mes  frères  ,  je  vous  le  présente 
en  vous  disant  :  Voilà  celui  que  vous  adorez 
et  que  vous  reconnaissez  pour  votre  Dieu.  II 
faut  que    vous    tombiez  d'accord    que  votre 
gloire  consiste  à  l'imiter  ,  et  que  votre  salut, 
dépend   des  soins  que    vous  y  donnerez  et 
du  succès  que  vous  y  aorez.  Il  faut  que  vous 
reconnaissiez,  ou   qu'il  élait  digne  par  lui- 
même    d'être   réduit    dans  l'état  où  vous  le 
voyez, ou  que  c'est  l'amour  qu'il  a  pour  vous 
qui  l'y  a  réduit.  Si  vous  croyez  qu'il  en  était 
digne,  ce  n'est  plus  votre  Dieu  ,   et  vous   ne. 
devez  plus  prendre  la  qualité  de  chrétien.  Si 
vous  croyez  que  c'est  l'amour  qu'il  a  eu  pour 
vous  qui  l'a  réduit  dans  cet  état,  et  qu'il  n'y 
est  entré  que  pour  voire  salut ,   il   faut  que 
vous  croyiez  qu'il  suffit  qu'il  ait  souffert  tout 
seul,  et  que, sans  prendre  de  part  à  ses  souf- 
frances,c'est  assez  de  croire  en  lui  pour  êlre 
sauvé.  Si  vous  êtes  dans  ce  sentiment ,  vous 
n'êtes    point   ses  disciples  ;  car  toute  sa  doc- 
trine et  toute  sa  loi  enseignent  le  contraire  , 
et  nous  pressent  de  prendre  part  à  ses  souf- 
frances pour  en  avoir  à  la  gloire  et  au  salut 
qu'il  nous  a  acquis  en   souffrant.   Si  donc 
vous   croyez  qu'il   faille  souffrir   avec   lui  , 
qu'il  est  un  original  et  un  exemplaire    dont 
chaque  chrétien  doit  être   la  copie  ,  comme 
dit  son    Apôtre  (Nous  sommes  cohéritiers  de 
Jésus-Christ,  pourvu  toutefois  que  nous  souf- 
frions avec  lui,  afin  que  nous  soyons  glorifiés 
avec  lui,    et   nous  devons  être  conformes  et 
parfaitement  semblables  à  lui  dans  l'état  de  sa 
mort  :  «Confiqnratus  morti  ejus:»  voilà  notre 
religion  et  notre  foi)  ,    approchez-en  la  co- 
pie, et  faites-en  la  comparaison.  Considérez, 
chrétiens  ,  le  rapport  qu'il  y  a  entre  Jésus- 
Christ  et  vous,  mais  souvenez-vous  que  c'est 
se  moquer  de  Jésus-Christ ,    que  c'est  s'abu- 
ser soi-même  ,  que  de  prétendre  arriver  à  la 
gloire  éternelle  par   l'amour  du  repos ,  des 
délices  et  des   honneurs  de  cette  vie  ;  que 


659 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


6G0 


c'est  ressembler  à  celle  malheureuse  popu 
lace  qui  lui  insultait  il  n'y  a  qu'un  moment. 
Vous  lui  rendez  des  nommages  de  la  langue 
en  l'appelant  votre  Dieu  et  voire  Roi ,  et 
vous  le  déshonorez  en  effet  en  menant  une 
vie  tout  opposée  à  celle  dont  il  vous  a  donné 
l'exemple  :  Dicebant  :  Ave,  rex  Judœorum. 

Enfin  c'est  inutilement  que  Pi  la  te  fait  des 
efforts  pour  gagner  l'esprit  du  peuple,  s'il 
n'en  fait  sur  son  propre  cœur  pour  le  forti- 
fier contre  les  vues  de  son  intérêt  et  de  son 
ambition,  cl  pour  se  livrer  tout  entier  aux 
devoirs  de  sa  charge  et  à  l'amour  de  la  jus- 
tice et  de  la  vérité.  Car,  voyant  que  le  bruit 
du  peuple  augmentait  (t  qu'on  commençait 
à  y  mêler  les  intérêts  de  César,  à  le  mena- 
cer de  la  cour  :  Si  hune  dimittis,  non  es 
amicus  Cœsaris,  le  simple  soupçon  d'infidé- 
lité, cette  idée  de  devenir  suspect  à  César, 
l'oblige  de  leur  abandonner  le  Sauveur  et  de 
conseutir  à  sa  mort.  Il  succombe  sous  ces 
paroles  fatales  comme  s'il  eût  été  frappé  d'un 
coup  de  foudre  :  l'innocence  de  Jésus-Christ, 
l'amour  pour  la  justice,  le  soin  de  son  hon- 
neur, celui  de  son  autorité,  tout  s'évanouit 
en  un  instant;  il  ne  songe  plus  qu'à  Tibère, 
le  plus  jaloux  de  tous  les  hommes  ;  à  la  ma- 
lice des  Juifs,  qui  l'accuseraient  devant  ce 
prince  d'avoir  sauvé  la  vie  au  roi  des  Juifs, 
et  à  sa  fortune,  qui  courait  beaucoup  de  ris- 
que dans  cette  occasion  :  Non  es  amicus 
Cœsaris. 

Voilà  ,  mes  frères,  jusqu'où  le  respect  hu- 
main, la  crainte  du  siècle,  les  vues  de  la  fa- 
veur et  les  désirs  de  la  fortune  ,  conduisent 
un  juge  ambitieux  ou  avare.  Erudimini,qui 
judicatis  terram  :  Instruisez-vous  sur  cet 
exemple,  vous  qui  êtes  commis  pour  rendre 
la  justice,  pour  protéger  l'innocence  et  pour 
souienir  la  vérité.  Que  cette  parole  fou- 
droyante qui  abat  Pilate  :  Si  hune  dimittis, 
non  es  amicus  Cœsaris,  vous  fasse  trembler, 
vous  qui  devez  rendre  compte  à  Dieu  de  \  s 
jugements;  terrible  parole  :  Si  vous  faites 
autrement,  vous  ne  serez  pas  ami  de  César! 
En  vain  laveriez-vous  vos  mains  devant  le 
peuple  ;  en  vain  prétendriez-vous  rejeter 
sur  les  autres  l'injustice  que  vous  auriez 
commise;  en  vain  allégueriez-vous  la  faveur 
et  la  puissance  qui  vous  y  forcent,  ceux  qui 
vous  y  contraignent  sont  très-coupables , 
mais  vous  qui  leur  obéissez,  vous  n'êtes  pas 
innocents;  car  le  Sauveur  dit  à  Pilate,  non 
pas  qu'il  était  innocent,  mais  que  celui  qui 
l'avait  livré  à  lui  avait  commis  un  plus  grand 
péché.  Juges  de  la  terre,  le  temps  viendra  , 
et  vous  serez  jugés  :  Erudimini,  qui  judicatis 
terram. 

Voilà  donc  le  Sauveur  livré  à  la  mort,  sa 
sentence  sera  bientôt  exécutée;  et  nous  al- 
lons être  témoins  de  ce  qui  se  passera  sur 
le  Calvaire  :  c'est  le  sujet  du  troisième  poiul. 

TROISIÈME  PARTIE. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  au  détail  de 
ce  qui  se  passa  dans  cette  dernière  circon- 
stance de  la  passion  ;  car,  nies  frères,  il  faut 
la  regarder  comme  le  renouvellement  de 
toutes  les   douleurs  de  Jésus-Christ,  comme 


la  consommation  de  son  sacrifice,  et  comme 
une  courte  représentation  de  toutes  lea  a  '- 
mirablei  vertus  dont  il  nous  a  donné  l'i  tem- 
ple dans  le  cours  de  sa  passion.  11  sort  de 
rusalcm  pour  aller  au  Calvaire,  à  peu  pi 
comme  il  sortit  du  jardin  pour  aller  .1  Jéru- 
salem, c'est-à-dire,  traîné  par  des  soldats,  in- 
sulté par  le  peuple,  méprisé  et  moqué  par  la 
populace,  mais  conduit  par  son  amour.  li 
est  chargé  du  fardeau  de  sa  croix,  il  ne  se 
trame  qu'un  seul  homme  qu'on  oblige  par 
contrainte  à  le  soulager,  et  il  se  voil  aban- 
donné de  tout  le  monde  dans  ce  moment, 
comme  il  s'est  vu  délaissé  de  tous  ses  disci- 
ples lorsqu'on  l'a  arrêté  dans  le  jardin  des 
Olives. 

C'est  un  étranger  qui  porte  la  croix  pour 
le  soulager,  et  qu'on  contraint  à  le  faire. 
Sur  qui,  ô  mon  Dieu  !  versez-vous  vos  mi- 
ricordes !  qui  choisissez-vous  pour  porter 
votre  croix  !  Faites  que  je  sois  cet  étranger. 
Vous  allez  seul  au  Calvaire,  c'est  assez; 
nous  ne  voulons  que  vous,  et  nous  ne  vou- 
lons point  reconnaître  d'autres  maîtres  que 
vous  ;  nous  ne  voulons  point  d'autre  victime, 
et  nous  n'en  pouvons  point  avoir  d'autre  ; 
nous  n'avons  vu  que  vxms  sur  le  Thabor, 
nous  ne  voulons  voir  que  vous  sur  le  Cal- 
vaire. Il  est  vrai  qu'il  trouve  sur  son  chemin 
de  saintes  femmes  qui  paraisscnl  touchées 
de  ses  douleurs  et  qui  versent  d  s  larmes  de 
compassion;  mais,  bien  loin  que  ces  larmes 
le  consolent ,  elles  furent  pour  lui  un  nou- 
veau sujet  de  douleur;  car  il  voyait  dans 
leur  compassion  l'image  de  celle  dont  la 
plupart  des  chrétiens  seraient  touchés  ,  de 
cette  douleur  qui,  n'étant  que  purement  na- 
turelle, n'irait  qu'à  faire  verser  quelques  lar- 
mes, et  qui  passerait  avec  la  vue  de  la  per- 
sonne souffrante  et  avec  la  mémoire  de  ses 
douleurs,  sans  les  engager  à  prendre  part  à 
ses  souffrances  et  à  entrer  dans  la  pratique 
des  vertus  dont  il  leur  avait  donne  l'exemple 
en  les  supportant.  Enfin  il  arrive  au  Cal- 
vaire, et,  voyant  le  lieu  où  il  devait  achever 
son  sacrifice,  sa  croix  exposée  par  terre 
comme  l'autel  sur  lequel  il  devait  être  offert, 
et  ses  bourreaux,  qui  se  préparaient  à  l'y 
attacher,  il  s'offre  tout  de  nouveau  à  sou 
Père  éternel ,  il  se  regarde  à  l'égard  de  son 
Père  comme  chargé  de  tous  les  M  élus  des 
hommes,  et  qu'ainsi  tous  les  supplices,  tous 
les  mauvais  traitements  et  la  mort  même  lut 
sont  dus. 

Il  ne  demande  point  en  celte  occasion  que 
le  calice  passe,  quoique  l'heuredele  bure  >oil 
venue.  S'il  a  voulu  par  1  consoler  les  laibles 
dans  le  commencement  de  sa  passion,  il  .1 
voulu  à  la  fin  nous  apprendre  qoelh  1 
le  chrétien  recevrait  de  l'attachement  à  la 
volonté  de  Dieu,  comment  il  ne  devait  regar- 
der qu'elle  dans  toutes  les  souffrances,  el 
qu'il  fallait  mourir  en  souffrant  ou  dans  le 
désir  de  souffrir,  pour  être  du  nombre  do 
ses  disciples  et  pour  eu  recevoir  les  récom- 
penses. On  le  dépouille  donc  de  sa  robe  pour 
l'exposer  sur  la  croix,  et  toutes  ses  pi. 
se  renouvelèrent;  car,  comme  son  corps 
avait  été  entamé  par  les  coups  de  la  flagel- 


661 


SERMON  POUR  LE  VENDREDI  SAINT. 


G62 


lation,  la  laine  de  sa  robe  était  entrée  dans 
ses  plaies,  et  le  sang  qui  l'y  avait  attachée 
s'étant  figé  dessus,  avait  fait  comme  une  es- 
pèce de  liaison  entre  celte  laine  et  la  chair  ; 
c'est  ce  qui  renouvela  cruellement  toutes  ses 
plaies,  quand  il  la  fallut  rompre.  On  l'atta- 
che à  la  croix  en  lui  perçant  les  mains  et  les 
pieds.  Il  faut  se  représenter  les  tiraillements, 
les  secousses,  les  ébranlements  de  cette 
croix,  avec  lesquels  le  Sauveur  fut  élevé  de 
la  terre;  et  après  y  avoir  élé  élevé,  tout  est 
consommé  :  Consummalum  est.  La  justice  du 
Père  est  satisfaite,  l'iniquité  des  hommes  ne 
peut  monter  plus  haut,  il  n'y  a  rien  au-des- 
sus du  déicide,  et  l'amour  de  Jésus-Christ  ne 
peut  aller  plus  loin.  Mais  il  faut  admirer  sa 
patience,  car  il  ne  dit  pas  une  parole  de 
plainte,  et  il  ne  regarde  que  son  Père. 

Mon  Dieu,  dans  de  petites  douleurs  souf- 
frons-nous sans  nous  plaindre,  et,  dans  de 
légères  afllictions  qui  nous  arrivent,  ne  re- 
gardons-nous que  Dieu,  qui  les  permet  pour 
notre  salut,  sans  nous  plaindre  des  hommes 
de  qui  il  se  sert  pour  nous  les  faire  sentir? 

Enfin  après  avoir  reçu  un  cruel  renouvel- 
lement de  tous  ses  maux  en  les  contemplant 
dans  le  cœur  de  sa  mère  et  de  son  disciple, 
où  l'amour  et  la  compassion  les  avaient  gra- 
vés, il  jeta  un  cri  qui  marquait  la  force  de 
sa  charité  et  la  consommation  de  son  sacri- 
fice :  Mon  Dieu,  mon  Dieu,  pourquoi  m'avez- 
vous  abandonné?  Ce  cri,  dit  saint  Cyrille, 
fut  une  adoration  de  Jésus-Christ  envers  son 
Père;  ce  fut  une  prière  pour  attirer  sa  misé- 
ricorde sur  les  hommes,  comme  s'il  eût  dit  : 
Souvenez-vous  que  vous  m'avez  abandon- 
né; vous  devez,  ô  mon  Dieu  !  par  le  sacrifice 
que  je  vous  offre,  vous  être  apnisé,  et  lever 
de  dessus  les  hommes  la  malédiction  dont 
vous  les  avez  frappés.  Tout  couverts  du  sang 
que  j'ai  versé,  vous  ne  verrez  plus  en  eux 
les  iniquités  qui  les  rendaient  dignes  de  vo- 
tre colère.  Ces  dernières  paroles  ont  été 
prononcées  par  Jésus-Christ  comme  prêtre, 
dans  le  dessein  d'apaiser  son  Père  et  d'ob- 
tenir pour  les  hommes  le  fruit  de  son  sacri- 
fice. Elles  ont  du  rapport  avec  celles  qu'il 
prononça  en  commençant  l'œuvre  de  sa  pas- 
sion :  Ut  cognoscat  mundus  quia  diligo  Pa- 
trem  ;  et  ainsi  c'est  l'amour  qui  achève  ce  que 
l'amour  a  commencé.  O  cri  de  Jésus  1  qui 
frappez  le  cœur  du  Père  éternel,  qui  désar- 
mez sa  justice,  qui  réparez  sa  gloire;  cri  de 
Jésus,  qui  brisez  les  pierres,  qui  ouvrez  les 
tombeaux,  et  qui  ressuscitez  les  morts,  pé- 
nétrez la  dureté  de  mon  cœur,  tirez-le  de  son 
assoupissement,  appliquez-le  à  considérer, 
à  adorer,  à  aimer,  à  imiter  un  Dieu  mou- 
rant. Ah  !  mes  très-chers  frères,  pourrions- 
nous  voiries  preuves  de  cet  amour  sans  en 
être  louches  1  L'Evangile  nous  dit  qu'après 
que  les  Juifs  l'eurent  attaché  à  la  croix, 
s'étant  assis,  ils  le  regardaient  :  Sedenles 
servnb'ml  eutn.  Serons-nous  comme  ces  sol- 
dats auprès  de  l'autel  où  l'Agneau  sans  lâche 
s'immole  à  son  l'ère  éternel,  sans  prendre 
!  artâ  un  sacrifice  qu'il  offre  pour  nous,  et 
où  nous  devons  êlrc  victimes  avec  lui  si  nous 
désirons  d'en  recevoir  le  fruit  ? 


Il  faut  donc,  si  nous  voulons  n'être  pas  du 
nombre  de  ceux  qui  ne  regardent  l'œuvre  de 
la  passion  qu'en  passant,  et  qui  l'oublient 
dès  que  le  récit  en  est  fait,  il  faut  que  nous 
fassions  réflexion,  non-seulement  sur  le  sa- 
crifice que  Jésus  a  offert  et  sur  les  peines 
qui  l'ont  accompagné,  mais  sur  les  vertus 
qu'il  a  pratiquées  en  l'offrant  et  sur  les 
exemples  qu'il  nous  en  a  donnés.  Il  faut 
sortir  d'ici,  mes  très-chers  frères,  effrayés, 
consolés  et  instruits. 

La  vue  de  la  croix  doit  nous  effrayer  :  Si 
le  bois  vert  a  été  traité  de  cette  manière,  de 
quelle  façon  traitera-t-on  le  bois  sec  ?  Voyez 
ce  que  c'est  que  le  péché;  formez-en  une 
idée  sur  les  effets  qu'il  produit  en  Jésus- 
Christ  innocent,  et  jugez  ce  que  doit  atten- 
dre le  chrétien  qui  s'y  livre.  La  vue  de  la 
vertu  du  sang  qui  est  répandu  doit  nous  con- 
soler, quelque  profondes  que  soient  nos 
plaies.  La  vue  des  verlus  que  Jésus-Christ  a 
pratiquées  dans  le  cours  de  ce  sacrifice  de  sa 
passion  doit  nous  instruire  ;  mais  il  faut 
prendre  part  uses  souffrances  :  nous  n'au- 
rons point  de  part  à  l'héritage,  si  nous  n'en 
avons  à  ses  souffrances.  Nous  venons  de  les 
représenter  comme  un  torrent,  selon  ce  que 
dit  le  Prophète  :  Il  boira  dans  le  chemin  de 
l'eau  du  torrent  :  De  lorrente  in  via  bibet  ;  il 
faut  boire  de  l'eau  de  ce  torrent.  Nous  som- 
mes héritiers  d'un  Dieu  mort  en  croix,  il 
faut  mourir  sur  la  nôtre. 

La  vue  de  son  sacrifice  et  de  ses  peines 
nous  doit  faire  adorer  avec  frayeur  et  avec, 
tremblement  la  justice  souveraine  de  Dieu  : 
car,  après  tout,  s'il  a  traité  de  la  sorte  son 
Fils  même  pour  des  péchés  qu'il  n'avait  pas 
commis,  comment  trailera-t-il  les  méchants 
qui  continuent  à  l'offenser  tous  les  jours?  Ah  ! 
mes  fr;res,que  la  vue  de  cette  justice  si  ter- 
rible gardée  envers  le  Fils  de  Dieu  devrait 
nous  donner  d'horreur  pour  le  péché!  11  faut 
avouer  que  la  plaie  en  doit  donc  être  terri- 
blement profonde,  puisque  pour  la  guérir  il 
a  fallu  un  si  étrange  remède.  Le  Fils  de  Dieu 
l'a  composé  de  son  propre  sang,  dit  saint 
Augustin;  mais,  comme  vous  sa\ez  que  l.'s 
remèdes neservent  de  rien  si  on  ne  les  prend, 
celui-ci  nous  sera  inutile  si  nous  ne  le  pre- 
nons pas.  1 1  faut,  mes  frères,  boire  dans  ce 
calice  du  Fils  de  Dieu,  pour  ressentir  les  ef- 
fets du  remède  qui  y  est  renfermé,  c'est-à- 
dire  qu'il  faut  souffrir  et  prendre  toutes  les 
peines,  toutes  les  contradictions  ,  toutes  les 
perles,  toutes  les  maladies,  toutes  les  mi- 
sères dont  la  vie  est  pleine,  en  esprit  d'union 
avec  les  souffrances  du  Sauveur;  c'est  pour- 
quoi je  vous  ai  dit  qu'il  ne  fallait  pas  sépa- 
rer ses  peines  de  ses  vertus,  qu'il  souffrait 
les  unes  pour  satisfaire  à  son  Père  éternel 
pour  nous,  et  qu'il  exposait  les  autres  à  nos 
ycu  ^  pour  nous  apprendre  à  souffrir  avec 
lui  et  comme  lui.  Car,  comme  dit  saint  Ber- 
nard, il  ne  font  pas  craindre  qu'un  Dieu  ne 
paisse  pas  renu  tire  les  péchés,  ou  qu'un  Pieu 
mort  pour  expier  les  péchés  ne  veuille  pas  user 
de  bonté  et  de  clémenre  envers  les  pécheurs; 
mais  c'est  à  condition  que  nous  imiterons 
ees  exemples;  et  nous  y  sommes  d'ailleurs 


C6r, 


Oit  Aï    I  \CIŒS.  F)OM  JEROME. 


obligés,  n'étant  ni  incrédules  pour  ne  p;is 
croire  .1  ses  paroles  cl  à  son  sang,  qui  nous 
assurent  foriemeol  «le  son  amour  pour  nous, 
ni  ingrats  pour  ne  pas  reconnaître  les  preu- 
\  i     ■  r  il  noas  en  a  données. 

Grand  Dienl  qui  venez  de  faire  et  de  souf- 
frir lanl  de  choses  pour  nous,  achevez,  et 
donnez-nons  la  grâce  de  recevoir  le  fruit  de 
vos  souffrances  et  de  suivre  l'exemple  de  vos 
vertus,  afin  que  nous  recevions  le  fruil  de 
votre  sacrifice  et  la  grâce  de  vous  imiter 
dans  les  vertus  qui  l'ont  accompagné,  pour 
mériter  la  récompense  éternelle,  que  je 
vous  souhaite.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR  LE  JOUR    DE  PAQl  ES. 

Caractères   d'une  vraie   conversion,   marqués 
dans  la  résurrection  de  Jésus-Christ. 

Surrexit  vere. 

Jésus-Christ  est  vraiment  ressuscité  (Luc,  XXIV,  34). 

Voilà,  mes  frères,  ce  que  l'Eglise  peut  as- 
surer de  Jésus-Christ  avec  amour  et  avec 
reconnaissance.  Il  est  sorti  du  tombeau  le 
troisième  jour,  ainsi  qu'il  l'avait  prédit;  et 
ce  fait,  d'où  dépend  la  vérité  do  christia- 
nisme, est  établi  sur  des  preuves  si  incontes- 
tables, qu'il  n'est  aucun  point  aussi  évi- 
dent que  cet  article  fondamental  de  notre 
foi. 

Mais  pourrions-nous  avancer  avec  la 
même  confiance  qu'une  conversion  réelle  et 
sincère  nous  a  retirés  de  l'état  rie  mort  où 
le  péché  nous  avait  ensevelis?  L'Eglise,  en 
célébrant  par  des  cantiques  de  joie  le  triom- 
phe de  son  époux,  n'a-t-elle  point  lieu  de 
s'alarmer  sur  le  sort  de  plusieurs  de  ses 
membres?  et,  dans  l'heureuse  solennité  qui 
nous  rassemble,  peut-on  dire  de  chacun 
d'entre  nous  comme  de  Jésus-Christ  :  Il  est 
vraiment  ressuscité  :  Surrexit  vere. 

Tour  en  juger,  mes  frères,  voyons  si  tout 
ce  qui  établit  la  résurrection  de  noire  chef 
s'accorde  à  justifier  la  vérité  de  notre  con- 
version. 

Or,  1°  comme  nous  trouvons  des  preuves 
évidentes  de  la  vérité  du  mystère  que  nous 
célébrons,  en  considérant  que  Jésus-Christ 
n'est  plus  dans  le  tombeau,  qu'il  y  a  laissé 
tout  ce  qui  appartenait  à  sa  vie  mortelle,  et 
qu'il  en  est  sorti  plein  de  gloire,  ayant  re- 
pris une  vie  nouvelle;  de  même,  en  faisant 
attention  aux  sentiments  de  notre  cœur, 
nous  devons  juger  que  le  péché  n'existe  plus 
en  nous,  et  qu'il  n'y  a  plus  rien  au  dedans 
de  nous  qui  tienne  de  la  mort  :  ce  sera  là  ie 
sujet  de  la  première  partie. 

2°  Si  le  témoignage  authentiquée!  irrépro- 
chable que  les  apôtres  rendent  à  l'étal  glo- 
rieux où  ils  ont  vu  leur  maîlre,  ne  permet 
plus  de  douter  qu'il  ne  soit  ressuscité ,  noire 
conduite  doit  èlre  assez  édifiante  pour  en- 
gager les  fidèles  à  glorifier  Dieu  du  change- 
ment que  sa  grâce  a  opéré  en  nous  :  ce  sera 
la  deuxième  partie. 

Enfin,  comme  les  artifices  delà  Synago- 
gue n'ont  servi  qu'à  rendre  plus  incontes- 
table l'événcmenl  auquel  elle  voulait  s'op- 


poser, tout  ce  que  l'enfer  et  le  monde  peu- 
vent tenter  pour  rendre  noire  converti)  n 
incertaine  doit  contribuer  a  nous  affermir 
dans  le  règne  de  la  \ertu  :  ce  sera  la  troi- 
sième partie. 

Efl  deux  mots,  le  mystère  de  la  réfWfWa 
tion  renferme  un  miracle  qu'il  faut  croire 
et  un  exemple  qu'il  faut  imiter;  et,  comme 
l'incrédule  doit  se  rendre  à  ce  qui  prouve 
que  Jésus-Christ  est  ressuscité,  les  preu- 
ves que  nous  devons  donner  de  notre 
conversion  doivent  être  si  décisives,  que 
l'on  ne  puisse  en  douter.  C'est  tout  le 
sujel  de  ce  discours.  Implorons  les  lumières 
de  l'Esprit-Saint,  en  nous  adressant  à  .Marie. 
Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Nous  trouvons  dans  la  résurrection  du  Sau- 
veur du  monde  trois  circonstances  qui  nous 
en  démontrent  la  vérilé,  et  qui  |  cuvent  nous 
servir  de  règles  pour  juger  si  la  nôtre  est 
sincère.  La  pierre  qui  en  lermail  l'entrée  est 
arrachée,  des  anges  occupent  la  place  où 
Jésus-Christ  avait  été  mis ,  enfin  tout  ce  qui 
avait  servi  à  l'ensevelir  est  reblé  dans  le  sé- 
pulcre, où  son  corps  n'est  plus  :  tout  cela 
prouve  qu'il  esl   sorli  glorieux  du  tombeau. 

En  effet,  qui  aurail  ouvert  un  sépulcre 
taillé  dans  un  roc,  dans  lequel  on  ne  pouvait 
se  ménager  aucune  entrée  ?  Aurail-ce  été 
les  saintes  femmes  ?  Mais  elles  n'espèrent 
point  pouvoir  ôler  la  pierre  qui  le  fermait  : 
comment  eussent-elles  donc  été  capables  de 
tenter  une  teile  entreprise.'  comment,  pen- 
dant le  silence  de  la  nuit,  sans  secours,  sans 
force,  réussiront-elles  à  arracher  une  pierre 
qu'elles  conviennent  ne  pouvoir  remuer  : 
{Juis  nobis  revolvel  lapidem  ?  et  à  pénétrer 
dans  un  rocher  qu'environnait  une  garde 
que  l'on  y  avait  posée?  Est-il  possible  de 
concevoir  que  quelques  femmes,  à  la  vue 
d'une  Iroupe  de  soldats  ennemis,  exécutent 
un  complot  qu'à  peine  elles  auraient  pu  ten- 
ter quand  il  n'y  aurail  point  eu  d'aulres  ob- 
stacles que  ceux  que  renfermait  l'entreprise 
en  elle-même  ? 

Dira-t-on  que  les  apôtres,  en  arrachant 
celle  pierre,  s'ouvrirent  une  entrée  dans  le 
tombeau  de  Jésus-Christ?  Mais  ils  n'y  du- 
rent qu'après  celles  qui  ne  l'avaient  plus 
trouvé  fermé.  Et  comment  auraient-ils  osé 
exécuter  un  projet  si  hardi?  (Juel  temps 
choisir  pour  cette  entreprise?  Le  jour  les 
exposait  à  être  aperçus  ;  et,  si  c'eût  été  pen- 
dant la  nuit,  le  bruit  qu'ils  eussent  fait  au- 
rait sans  doute  éveillé  les  soldats.  Non.  on 
ne  s'imaginera  jamais  que  de  pamres  pé- 
cheurs, abandonnant  leurs  filets  pour  suivre 
Jésus-Christ,  et  pouvant  à  peine  se  procu- 
rer le  nécessaire,  ont  pu  engager  par  des 
présents  les  soldats  des  Juifs  à  leur  permet- 
tre d'enlever  le  corps  de  Jésus-Cnrisl.  Et,  si 
les  apô. resont  saisi  le  moment  qu'ils  étaient 
endormis,  qui  peut  attester  ce  lail  .  comme 
le  dit  si  bien  saint  Augustin  '.'  Sont-ce  les  sol- 
dais? M  lis,  s'ils  dormaient,  peuvent-ils  sa- 
voir ce  qui  se  pass.i  pendant  leur  sommeil? 
cl,  s'ils  s'en  sonl  aperçuseianl  éveilles,  com- 


065 


SERMON  POUR  LE 


nient  ne  se  sont-ils  pas  opposés  à  ce  qu'on 
enlevât  ce  qui  était  dans  le  sépulcre? 

D'ailleurs,  peut-on,  avant  la  résurrection, 
porter  plus  loin  la  faiblesse,  la  timidilé,  la 
simplicité,  disons  même  la  lâcheté,  que  les 
apôtres  ?  La  frayeur  les  avait  dispersés  et 
réduits  à  se  cacher;  ils  avaient  abandonné 
Jésus-Christ  pour  ne  point  s'exposer  à  par- 
tager ses  opprobres  en  s'avouant  ses  disci- 
ples; et,  dès  que  Jésus-Christ  est  mort,  on 
veut  trouver  en  eux  un  courage  étonnant  et 
une  prudence  admirable  ;  ils  conduisent  avec 
intrépidité  une  entreprise  si  délicate,  sans 
craindre  d'être  découverts  dans  le  projet  ni 
dans  l'exécution  ;  ils  agissent  avec  tranquil- 
lité, comme  si  le  tombeau  n'était  pas  en- 
touré de  gardes,  et  au  risque  d'être  décou- 
verts ;  ils  entrent  dans  le  sépulcre  sans  pré- 
cipitation, ils  ôtent  les  linceuls,  et  ils  re- 
plient le  suaire  du  Sauveur  !  L'irréligion  ne 
rougira-t-elle  jamais  donc,  mes  frères,  d'un 
système  aussi  opposé  aux  lumières  de  la  rai- 
son ?  Car,  supposons  que  les  apôtres  ont 
passé  de  la  faiblesse  et  du  découragement 
à  l'intrépidité  la  plus  marquée,  supposons 
que  le  succès  a  entièrement  répondu  à  leur 
courage,  on  ne  peut  former  ni  exécuter  de 
tels  projets  sans  y  être  engagé  par  des  mo- 
tifs réels,  et  il  faut  au  moins  que  l'utilité 
égale  les  hasards  qu'on  court  pour  accom- 
plir ses  desseins. 

Or,  mes  frères,  quel  avantage  les  apôtres 
trouvaient-ils  à  enlever  le  corps  de  Jésus- 
Christ?Quel  prix  pouvaient-ilsatlendredeleur 
imposture?  Dès  que  leur  maître  ne  ressuscitait 
pas,  ils  voyaient  qu'il  les  avait  trompés  dans 
touîes  ses  promesses  :  comment  concevoir 
qu'ils  se  seraient  vengés  d'une  telle  séduc- 
tion en  cherchant  au  péril  de  leur  vie  à  abu- 
ser tout  l'univers  en  faveur  d'un  traître?  Et 
quel  intérêt  les  engageait  à  supposer  une 
résurrection  qui,  dès  qu'elle  n'était  point 
réelle,  ne  leur  laissait  pour  partage  que  la 
honte,  les  supplices  et  les  remords  ? 

Mais  quelle  consolation  pour  nous  ,  et 
quelle  reconnaissance  ne  devons-nous  pas  à 
notre  Dieu  de  nous  distinguer  des  incrédu- 
les et  de  nous  avoir  mis  à  portée  de  connaî- 
tre que  tout  s'accorde  à  justifier  ce  que  l'E- 
vangile nous  apprend  de  la  résurrection  du 
Fils  de  Dieu?  Oui,  mes  frères,  celui  que  la 
mort  avait  asservi  à  son  empire  a  brisé  ses 
chaînes,  et  il  est  ressuscité  conformément  à 
ses  promesses. 

En  descendant  du  ciel,  il  s'était  chargé  de 
nos  infirmités  et  de  nos  crimes,  et,  enrentrant 
dans  le  sein  de  sa  gloire,  il  a  laissé  dans  le 
sépulcre  cet  appareil  de  faiblesse  et  de  mort 
dont  il  s'était  revêtu,  il  a  triomphé  du  péché. 
Qu'avec  notre  Sauveur  vainqueur  du  tom- 
beau renaissent  notre  espérance  et  notre  sa- 
lut; et  si  Dieu,  selon  ses  promesses, n'a  point 
laissé  son  Christ  dans  la  mort,  que  l'éclat 
qu'il  répand  en  ce  jour  sur  lui  nous  reponde 
que  tout  ce  qui  est  en  nous  de  corruption 
sera  détruit  cl  que  nous  serons  associés  à  sa 
gloire. 

Cependant,  mes  frères,  ne  nous  flattons 
point  ici.  Comme  vous  avez  peut-être  vu  Jé- 


JOUR  DE  PAQUES.  6G6 

sus-Christ  expirer  sur  la  croix  sans  y  mou- 
rir avec  lui  au  péché  qu'il  y  a  détruit,  peut- 
être  aussi  le  voyez-vous  ressusciter  sans  être 
sensibles  à  la  joie  de  pouvoir  recouvrer  avec 
lui  la  vie.  Effrayés  des  difficultés  qui  s'op- 
posaient à  votre  conversion,  n'avez-vou3 
point  demandé  comme  ces  femmes  incertai- 
nes et  timides  :  Comment  pouvons-nous 
vaincre  tant  d'obstacles  qui  s'opposent  à  no- 
tre salut:  Quis  revolvet  lapident  ?  N'avez- 
vous  point  été  alarmés  à  la  seule  idée  qu'il 
fallait  renoncer  à  des  plaisirs  séduisants,  dé- 
truire un  penchant  criminel  et  fortifié  par 
l'habitude,  enfin  éprouver  la  honte  qui  ac- 
compagne l'aveu  du  péché? 

Combien  de  fois ,  ne  voulant  pas  même 
vous  donner  la  peine  d'espérer,  et  ne  sou- 
haitant que  faiblement  un  pardon  si  souvent 
offert  et  toujours  négligé,  combien  de  fois 
vous  êtes-vous  contentés  de  nous  dire  :  Je 
voudrais,  mais  je  ne  puis  me  convertir? 
Quoique  je  fasse  des  efforts  pour  me  vain- 
cre, un  penchant  supérieur  m'entraîne. 

Mes  frères,  avec  de  tels  sentiments,  que 
votre  conversion  est  éloignée  !  vous  voudriez 
vous  convertir,  mais  vous  ne  vous  nourris- 
sez que  de  ce  désir;  et  quoiqu'il  soit  infruc- 
tueux, vous  vous  reposez  en  lui,  parce  qu'il 
paraît  supposer  en  vous  de  la  vertu.  Les  dif- 
ficultés ébranlent  votre  prétendu  courage; 
vous  avez  su  tout  entreprendre  pour  vous 
perdre,  vous  ne  pouvez  rien  tenter  pour 
vous  sauver.  Si  vous  étiez  pénétrés  d'une 
vive  douleur  d'avoir  perdu  Jésus-Christ, 
comme  Marie,  vous  n'apercevriez  les  diffi- 
cultés que  pour  vous  appliquer  à  les  vain- 
cre; et,  quelque  laborieuses  qu'elles  vous 
parussent,  dès  qu'on  vous  ouvrirait  les  voies 
de  la  pénitence  par  lesquelles  vous  pouvez 
retrouver  le  Dieu  dont  vous  vous  êtes  séparés 
par  la  mort  du  péché,  sans  penser  à  votre 
faiblesse  et  aux  travaux  qu'il  faudrait  entre- 
prendre, vous  ne  seriez  occupés  que  du  dé- 
sir d'être  réunis  à  votre  Dieu  :  Et  ego  cum 
tollam. 

Il  en  coûte,  dites-vous,  pour  vous  conver- 
tir. Comment  parvenir  jusqu'à  Jésus-Christ 
au  milieu  d'un  monde  qui  veille  toujours  sur 
nous  pour  nous  en  éloigner?  Comment  vain- 
cre la  chair  et  le  sang,  étouffer  les  passions 
et  tous  les  sentiments  qui  laissent  notre 
cœur  fermé  à  la  grâce  :  Quis  revolvet  lapi- 
de m  ? 

Oui,  mes  frères,  il  en  coûte,  mais  venez 
vous  jeter  aux  pieds  de  Jésus-Christ.  Ses  mi- 
nistres, animés  comme  l'ange  du  ciel  et  sou- 
tenus par  la  vertu  de  l'Esprit-Saint,  l'arra- 
cheront celte  pierre,  ils  renverseront  ce  mur 
de  séparation  que  l'iniquité  éleva  entre  vous 
et  Dieu  :  Et  invenerunt  lapidem  revolutum  ; 
et  vous  verrez  que,  comme  les  soldats  des 
Juifs  furent  effrayés,  de  môme  vos  passions 
cl  les  puissances  de  l'enfer  seront  confon- 
dues. De  leur  trouble  naîtra  la  paix  dans 
votre  cœur,  leur  confusion  sera  votre  véri- 
table gloire,  et  Dieu,  par  le  témoignage  d'une 
conscience  irréprochable,  vous  ouvrira  le 
sanctuaire  où  vous  trouverez  Jésus-Christ 


r-07  ORATEURS  SACHES.  DOM  JF.ROMI 

ressuscite  pour  vous  :  Invenerunt  lapidcmre-      inorls,    c'est-à-dire 


voiHlwn. 

Il  en  coûte,  je  l'avoue,  pour  parvenir  jus- 
qu'à   lui  :    les    liens  qui   nous  attachent  au 

<  rime  sont  puissants,  et  ce  sérail  s'abuser 
que  de  croire  qu'on  poisse  aisément  surmon- 
ter ses  passions  et  triompher  du  monde  el  de 
soi-même.  Cependaul  rien  n'est  plus  impor- 
tant que  de  savoir  où  l'on  en  est  sur  cet 
article.  Vous  vous  croyez  convertis;  mais 
est-elle  donc  ôlée  en  elTet  cette  pierr e  de 
scandale  qui  vous  a  si  longtemps  privés  de 
la  présence  de  votre  Dieu  ?  Serait-ce  par 
une  confession  faite  sans  examen,  quelque- 
fois sans  sincTrilé  et  presque  toujours  sans 
repentir?  Serait-ce  par  une  communion  dont 
vous  vous  seriez  acquitté!  par  habitude  ou 
par  respect  humain?  Serait-ce  enfin  par  une 
piété  extérieure  qui  passe  avec  la  solennité 
qui  l'occasionne?  piéle  périodique  qui  vous 
f  ut  recevoir  tous  les  ans  dans  ce  saint  temps 
le  Dieu  que  vous  n'offensez  pas  moins  dans 
la  suite;  piété  qui  suspend  tout  au  plus  vos 
passions  pendant  quelques  moments  sans 
les  détruire;  piété  de  bienséance  sans  vertu, 
piété  sans  conversion,  pieté  qui  peut  en  im- 
poser aux  hommes,  nous  tromper  et  vous 
séduire  vous-mêmes  ;  piété  en  un  mot  qui, 
laissant  subsister  le  vice,  rassemble  bien  des 
chrétiens  au  tombeau  de  Jésus-Christ  sans 
leur  faire  éprouver  les  effets  consolants 
d'une  véritable  résurrection. 

En  elïct,  peut-on  dire  de  vous  comme  de 
Jésus-Christ  :  11  n'est  plus  dans  le  sépulcre: 
non  est  hic?  Avez-vous  reçu  une  nouvelle 
vie?  étes-vous  devenus  une  nouvelle  créatu- 
re? le  levain  du  vieil  homme  ne  domine-t-il 
plus  en  vous  ?  et,  comme  votre  chef,  qui 
après  sa  sortie  du  tombeau  n'a  plus  vécu  en 
homme  mortel,  les  biens  avenir  forment-ils 
seuls  l'objet  de  vos  vœux?  Pour  en  juger, 
opposez  ce  que  vous  fûtes  avant  votre  con- 
version à  ce  que  vous  êtes  aujourd'hui.  Si , 
livrés  à  la  tyrannie  de  vos  passions,  vous 
vous  plaisiez  dans  tout  ce  qui  pouvait  les 
satisfaire,  morts  au  péché  et  à  vous-mêmes, 
fuyez-vous  avec  soin  tout  ce  qui  peut  vous 
être  une  occasion  de  chute?  A  ivaut  au  gré 
de  vos  désirs,  l'inutilité  absorbait  tout  le 
temps  que  vous  ne  consacriez  point  au 
crime  ;  une  vie  sérieuse  et  d'occupation, 
conforme  aux  devoirs  de  votre  état,  remplit 
elle  maintenant  tout  votre  temps?  Si  vous 
sacrifiâtes  Jésus-Christ  au  monde,  étes-vous 
maintenant  crucifiés  au  monde  pour  Jésus- 
Christ?  Âiéprisez-vous  tout  établissement 
qu'il  faudrait  acheter  au  prix  de  la  vertu,  de 
la  religion  et  de  la  piété?  Ne  connaissez- 
vous  de  véritable  honte  que  celle  qui 
accompagne  le  péché?  Faites-vous  dépendre 
votre  seule  gloire  de  suivre  tout  ce  que  vous 
dicte  une  conscience  libre  des  préjugés  du 
monde?  En  un  mot  n'est-ce  plus  Le  vieil 
homme,  mais  Jésus-Chrivi  ressuscité  qui  vit 
en  vous? 

En   vain  croirions-nous,  mes   frères, 
sortis  du  péché,  si  nous  restons  as  ce  sécurité 
liant  tout  ce  qui  peut  nous  y  conduire.  11 
laul  laisser  aux  morts  le  soin  d'ensevelir  les 


qu'il  faut  laiss  r  le 
monde  el  tontes  iei  bienséances,  pour  être 
Uniquement   à    notre    Dieu.    Si    la    pr.! 

|  lirisl   nous   fait  passer  de  la   morl  a 
une  vie  vraiment  chrétienne,   quel  cli 
ment  intérieur  n'a  pal  dû  emporter  av 

elte  rénovation  ?  Nous  devons  détester  tout 
ce  qui  a  pu  nous  séduire,  aimer  ce  qui  nous 
a  paru  jusqu'ici  pénibleel  mortifiant, cfa 
de  pensées,  de  désirs  el  d'actions,  en  un  mot, 
tout  iio.t  être  en  nous  diamétralement  oppo- 
sé à  notre  premier  état. 

Avouons-le,  mes  frères,  celle  rénovation 
est  encore  imparfaite.  Nous  sommes  peut- 
être  changés,  mais  le  sommes-  nous  en  tout 
comme  Jc-us-  Christ  ?  Dépouillant  toutes  les 
marques  de  notre  mortalité,  le  doigt  de  Dieu 
est-il  marqué  dans  chacune  de  nos  œu\ 
Nous  sommes  changés,  c'est-à-dire  qu'un 
vire  plus  délicat  a  succédé  à  un  autre  plus 
grossier  que  nous  avons  détruit.  Nous  som- 
mes changés,  c'est-à-dire  que  nous  sommes 
moins  livrés  à  nos  passions  ,  quoiqu'elles 
subsistent  encore.  Nous  sommes  changés, 
c'est-à-dire  que,  ne  trouvant  plus  d'attraits 
dans  un  ptnchanl  devenu  insipide  par  l  ha— 
bitude,!e  goût  de  la  nouveauté  nous  a  fait 
varier  dans  nos  inclinations  sans  changer  le 
fond  de  notre  cœur. 

Mais,  quand  même  nous  nous  serions  re- 
vêtus de  Jésus-Christ  pour  quelque  temps, 
dès  que  notre  faiblesse  nous  laisse  exposesà 
rentrer  dans  le  tombeau,  pouvons-nous  dire 
que  nous  sommes  parfaitement  conformes  à 
notre  chef  ressuscité?  Car  la  mort  n'a  plus 
d'empire  sur  lui  dès  qu'il  en  a  triomphé  une 
fois  ;  il  prend  une  vie  qu'il  ne  doit  plus  per- 
dre. 11  a  laissé  dans  le  tombeau  des  vête- 
ments qui  ue  sont  plus  d'aucun  usage  pour 
celui  qui  règne  à  jamais  dans  le  sein  de  la 
gloire  ;  et  nous,  quoique  vivants  peut-être, 
nous  conservons  encore  des  rétements  île 
mort,  comme  Lazare  en  sortant  du  sépulcre. 
Nous  sommes  ensevelis  dans  notre  linceul, 
la  lumière  brille  à  nos  yeux  avant  que  le 
bandeau  qui  les  couvre  ail  été  ôié,  el  nos 
mains  impuissantes  restent  liées  lors  n 
que  la  liberté,  si  nous  le  voulions,  pourrait 
nous  être  rendue. 

Est-ce  donc  là,  mes  frères,  ressusciter 
comme  Jésus-Christ,  et  pouvons-nous  ap- 
peler conversion  véritable  un  changement 
unpaifait  qui  nous  laisse  réellement,  pour 
le  fond  du  cœur  et  des  inclinations,  dans  le 
même  étal  ï  Que  sert  de  se  relever  quand  on 
ue  fait  que  des  pas  chancelants  qui  annon- 
cent une  nouvelle  chute  el  une  seconde 
mort  plus  funeste  que  la  première  î  Que  cette 
langueur  et  celte  faiblesse  avec  laquelle 
nous  nous  prétons  à  la  vertu  nous  annonce 
que  nous  sommes  près  de  retomber  dan-  la 
morll  Mais,  quand  en  effet  nous  serions  sor- 
lisdnpéché  et  ressuscites  à  Jésus-Cbrist  par 
une  i  onv  ersion  stable  et  sincère,  en  d  unons- 
nous  cornu  e  lui  des  preuves asseï  écl  t  intes 
par  noire  coi.duùe  pour  engager  nos  frères 
à  glorifier  Dieu  du  changement  que  a  grâ- 
ce a  opère  dans  nos  cœurs?  c'esl-le  sujet  de 
la  deuxième  parlic. 


069  SERMON  POUR  LE 

DEUXIÈME   PABTIE. 

Le  témoignage  des  apôtres  ne  forme  une 
preuve  incontestable  de  la  résurrection  de 
Jésus-Christ  qu'autant  qu'ils  n'ont  pu  trom- 
per ni  être  trompés  dans  tout  ce  qu'ils  ont 
assuré  de  cet  événement.  Ils  n'avaient  aucun 
intérêt  à  en  imposer  à  tout  l'univers  au  pé- 
ril de  leur  vie;  ils  ne  se  seraient  jamais 
accordés  à  tenir  le  même  langage  ;  la  crainte 
des  supplices,  !a  mort  même  leur  aurait  fait 
désavouer  ce  qu'ils  avaient  d'abord  osé  avan- 
cer ;  et  on  ne  peut  s'imaginer  que  des  hom- 
mes soient  assez  livrés  au  mensonge  pour 
mourir  martyrs  d'une  opinion  dont  l'impos- 
ture leur  est  connue,  sans  aucun  intérêt,  et 
même  en  renonçant  à  tous  les  plaisirs  et  à 
tous  les  biens  de  la  fortune. 

Pour  nous,  nous  avons  la  consolation  de 
voir  un  nombre  prodigieux,  de  témoins  de 
tout  âge,  de  tout  sexe,  de  tout  pays,  de  tout 
état,  attester  ce  fait  jusque  sur  l'échafaud,  où 
tous  sans  exception  en  ont  scellé  la  vérité  de 
leur  sang,  sans  qu'aucun  se  soit  démenti.  Or 
il  est  évident  qu'ils  ne  parlent  et  n'agissent 
ainsi  que  par  conviction;  car,  si  l'on  peut 
être  assez  fourbe  pour  tromper  volontaire- 
ment les  autres,  on  n'est  jamais  assez  in- 
sensé pour  se  tromper  soi-même  en  sacri- 
fiant ce  qu'on  a  de  plus  cher,  ses  biens,  sou 
honneur,  ses  plaisirs,  la  vie  même,  à  la  folle 
envie  d'accréditer  une  fable  dont  on  connaît 
toute  la  fausseté; et,  quelque  incroyable  que 
notre  mystère  fût  en  lui-même,  les  apôtres, 
sans  art,  sans  brigues,  sans  crédit,  en  ont 
donc  établi  la  vérité  sur  des  fondements  iné- 
branlables. 

Mais  si  les  apôtres  n'ont  pas  voulu  trom- 
per, ils  n'ont  pu  eux-mêmes  être  séduits 
après  toutes  les  apparitions  de  Jésus-Christ: 
apparitions  nécessaires  ,  et  sans  lesquelles 
la  résurrection  aurait  pu  paraître  incertaine; 
mais  apparitions  qui  par  leurs  circonstan- 
ces ne  permettent  plus  d'en  douter. 

En  effet,  mes  frères,  Jésus-Christ  avait 
prédit  qu'il  ressusciterait,  et  cependant  les 
saintes  femmes  n'étaient  pas  moins  désolées 
de  sa  mott,  il  ne  leur  restait  de  consolation 
que  de  s'acquitter  du  triste  devoir  d'embau- 
mer un  corps  qu'elles  s'imaginaient  voir 
bientôt  devenir  la  pâture  des  vers.  Les  dis- 
ciples s'étaient  dispersés  comme  des  brebis 
qui  s'égarent  dès  qu'elles  ont  perdu  le  pas- 
teur qui  les  conduisait,  et  les  Juifs  restaient 
en  droit  de  nier  la  résurrection.  Ils  auraient 
prétendu  que  Jésus-Christ  avait  été  enlevé 
par  ses  disciples, ces  disciples  eux-mêmes  ne 
méritant  qu'une  faible  croyance  sur  un  fait 
dont  ils  savaient  point  été  témoins,  et  que 
plusieurs  d'eux  traitaient  même  d'illusion, 
à  moins  que  leurs  propres  yeux  cl  leurs 
mains  n'en  eussent  été  frappés. Sans  ces  ap- 
paritions, Jésus-Christ  quoique  ressuscité  ne 
se  trouvait  donc  plus  vainqueur  de  la  mort. 

Ainsi,  mes  frères,  en  vain  seriez-vous  con- 
vertis si  vous  ne  paraissez  l'être.  Ne  croyez 
pas  qu'il  suffise  d'avoir  annoncé  que  vous 
voulez  changer  de  vie,  et  d'eu  changer  en 
effet  en  particulier  ;  il  faut  que  votre  retour 


JOUR  DE  PAQUES.  670 

à  Dieu  éclate  aux  yeux  de  ceux  qui  ont 
pleuré  vos  chutes,  et  vous  devez  donner  aux 
justes  la  consolation  de  leur  apprendre, 
comme  l'ange,  qu'ils  ne  doivent  plus  vous 
chercher  parmi  les  morts,  puisque  vous  re- 
vivez à  Jésus-Christ. 

Le  monde  vous  compte  toujours  pour  ses 
esclaves  tant  que  vous  ne  déclarez  point  ou- 
vertement que  vous  avez  secoué  son  joug 
pour  ne  vous  asservir  qu'à  Jésus-Christ.  Jé- 
sus-Christ est  ressuscité  en  vous  par  le  bien- 
fait de  votre  régénération,  pour  que  vous 
annonciez  les  merveilles  que  sa  bonté  vient 
d'opérer  en  votre  faveur.  Comme  lui,  vous 
n'êtes  pas  ressuscites  pour  vous  seuls,  mais 
pour  vos  frères  ;  et  comment  ceux  do  Galilée, 
c'est-à-dire  les  pécheurs,  ajouteront-ils  foi 
à  votre  conversion,  si  vous  ne  leur  en  don- 
nez des  preuves  authentiques  par  votre  con- 
duite? Quand  même  on  leur  dirait,  comme 
aux  saintes  femmes  ,  que  vous  n'cies  plus 
dans  le  tombeau,  que  vous  n'êtes  plus  li- 
vrés au  crime,  ils  regarderaient  ces  juge- 
ments favorables  comme  de  pures  illusions, 
si  par  eux-mêmes  ils  ne  voyaient  les  effets 
de  ce  changement.  Vous  les  avez  autorisés 
au  vice  par  votre  exemple,  il  faut  par  votre 
vertu  les  ramener  de  leur  égarement.  En  un 
mot,  pour  rendre  votre  conversion  stable, 
loin  de  négliger  de  la  faire  éclater  aux  yeux 
du  monde,  il  faut  être  jaloux  de  paraître 
aussi  décidés  que  vous  avez  été  inconstants 
et  légers,  il  faut  que  vous  soyez  d'autant  plus 
engagés  à  persévérer  dans  le  bien  que  vous 
serez  réellement  sortis  du  crime;  et,  puis- 
que Jésus-Christ  ne  doit  plus  mourir,  pour- 
quoi voudriez-vous  cacher  le  bonheur  dont 
vous  jouissez?  Oui,  mes  frères,  paraissons 
ressuscites;  mais  paraissons-le  comme  Jé- 
sus-Christ, qui  par  les  circonstances  de  ses 
apparitions  a  mis  la  vérité  de  la  résurrection 
dans  une  évidence  qui  ne  laisse  aucun  lieu 
d'en  douter. 

Il  s'est  montré,  non  une  seule  fois  ou  à 
une  seule  personne,  mais  aussi  souvent,  au- 
tant de  temps  et  à  un  aussi  grand  nombre 
de  témoins  qu'il  le  fallait  pour  rendre  sa  ré- 
surrection incontestable.  Il  s'est  montré  à 
ceux  mêmes  qui  étaient  les  moins  disposés 
à  croire,  et,  se  prêtant  à  leur  faiblesse,  il 
leur  en  a  donné  des  preuves  auxquelles  leur 
incrédulité  a  ajouté  encore  une  nouvelle 
force. 

Si  uncseule  personne  avait  vu  Jésus-Christ 
vivant  après  sa  mort,  on  eût  pu  dire  que  l'i- 
magination se  serait  représenté  l'ombre  d'un 
corps  qui  n'existait  plus.  Si  les  disciples  ne 
l'avaient  aperçu  qu'une  seule  fois,  ils  au- 
raient pu  croire  que  ce  n'était,  comme  au 
lac  de  Génézarelh,  que  le  fantôme  d'un  maî- 
tre chéri  et  toujours  présent  à  leur  esprit. 
S'ils  ne  l'avaient  vu  qu'en  passant,  on  au- 
rait pu  regarder  sa  résurrection  comme  l'ap- 
parition de  Samuel  évoqué  par  la  pylho- 
nissc. 

Mais  si  l'imagination  d'une  personne  peut 
se  tromper,  cinq  cents  hommes  tomberont- 
ils  dans  une  même  illusion?  Si  les  sens  peu- 
vent être  trompés  une  fois,  le  seront-ils  peu- 


an 


OKATI  I 1RS  SACRES.  ItOM  JEROME 


CT2 


dani  i|uaraut«  jours  g  diverses  reprîtes  ? 

8'accorderoitt-ill  à  nous  séduire  en  nous  fai- 
sant voir,  toucher,  entendre,  on  bomme  qui 
parle,  qui  mange,  et  qui  l'ait  sur  nous  con- 
stamment les  impressions  que  nous  éprou- 
vons tous  les  jours  avec  ceux  qui  vivent 
avec  nous? 

Heureux,  mes  frères,  si  ces  circonstances, 
qui  ne  nous  permettent  point  de  douter  de  la 
résurrection  ,  concouraient  à  prouver  que 
notre  conversion  est  réelle!  Non  elle  ne  le 
paraîtra  point,  si,  tandis  que  vous  vous  con- 
tentez de  montrer  une  conduite  régulière 
aux  jeux  du  ministre,  qui  souvent  souhaite 
trop  que  vous  pratiquiez  la  vertu  p  >ur  ne 
pas  se  le  persuader  peut-être  trop  aisémeni, 
vous  la  laissez  ignorer  au  reste  de  vos  frè- 
res. Klle  ne  paraîtra  point  suffisamment,  si 
vous  ne  faites  gloire  d'être  à  Dieu  que  dans 
une  seule  occasion,  où  votre  piété  ne  paraît 
que  comme  une  ombre  fugitive  qui  cherche 
à  se  dérober  à  l'éclat  du  jour  devant  lequel 
elle  s'évanouit.  Enfin  elle  ne  paraîtra  point 
suffisamment,  si  cette  vertu  reste  stérile  en 
vous,  et  si  par  une  conduite  suivie,  bien  plus 
que  par  de  simples  discours  et  des  projets 
imaginaires,  vous  ne  prouvez  que  c'est  Dieu 
et  non  l'homme  qui  possède  maintenant  vo- 
tre cœur  et  qui  agit  en  vous. 

Si  ce  Dieu  ne  s'était  montré  dans  sa  gloire 
qu'à  des  disciples  faciles  à  séduire  par  leur 
crédulité,  l'incrédulité  aurait  encore  cette 
ressource  pour  douter  de  la  résurrection; 
mais  le  peu  de  foi  de  Thomas  va  la  mettre 
dans  un  nouveau  jour.  Non  content  de  s'en 
rapporter  aux  discours  qu'il  entend,  il  veut 
toucher  ses  plaies  pour  ne  point  être  trompé 
par  une  fausse  apparence;  il  doute,  il  exa- 
mine, il  croit  enfin,  et  engage  par  son  exem- 
ple ceux  qui  auraient  pu  être  incrédules 
comme  lui  à  céder  à  la  force  invincible  des 
preuves  de  notre  mystère. 

De  même  aussi,  mes  chers  frères,  ce  n'est 
pas  aux  seuls  fidèles  qu'il  faut  paraître  res- 
suscité, mais  à  tous  ceux  qui  voudraient  en 
douter,  parce  qu'ils  ne  se  trouvent  point  avec 
nous  dans  les  lieux  saints  où  l'on  peut  voir 
Jésus-Christ  dans  sa  vie  nouvelle,  il  faut 
comme  lui  qu'un  zèle  charitable  nous  con- 
duise parmi  eux  pour  les  rendre  témoins  de 
noire  changement;  il  faut,  comme  lui,  pour 
remplir  la  mission  que  le  Père  céleste  nous 
donne,  rester  dans  celle  région  des  ténèbres 
où  ils  habitent,  autant  qu'il  est  nécessaire 
pour  y  établir  le  règne  de  la  vérité  et  pour  les 
engagera  chercher  avec  nous  une  meilleure 
patrie:  toujours  attentifs  cependant  à  ne  point 
perdre  les  fruits  de  notre  résurrection,  et  à 
ne  point  vivre  longtemps  avec  ceux  qui  ne 
veulent  point  y  participer. 

Oui,  mes  frères,  pour  prix  de  la  grâce  que 
vous  avez  reçue,  vous  devez  chercher  à  com- 
muniquer à  tant  de  morts  la  vie  qui  vous  a 
été  rendue.  Votre  exemple  peut  tout  sur  eux. 
Si  la  vue  de  leur  crime  et  de  la  justice  de 
Dieu  les  décourage,  la  miséricorde  que  vous 
éprouvez  ranimera  leur  confiance,  lis  ne 
pounonl  s'excuser  sur  les  attraits  du  rice, 
iuconnus  au  juste  qui  les  presse  d'en  sortir. 


Vous  y  avez  cédé  a  ces  charmes  trompeurs, 
et,  leur  paraissant  plus  heureux  Bpvès  avoir 

renoncé  à  ces  plaisirs  criminels,  ils  connaî- 
tront qu'il  est  d'autres  satisfactions  que  cel- 
les qu  on  se  (latte  de  goûter  dans  le.  m 
et  que  le  vrai  bonheur  est  attaché  à  la  vertu. 
Enfin  vos  incertitudes  anciennes,  vos  anciens 
doutes  donneront,  comme  ceux  de  Didvme, 
une  nouvelle  autorité  à  votre  témoigna. 
la  mort  que  vous  avez  éprou*ée  par  le  pé- 
ché ne  servira  en  vous,  comme  en  Jcsus- 
Christ,  qu'à  faire  éclater  davantage  la  gloire 
de  Dieu  dans  voire  résurrection. 

Prouvez-nous  donc,  mes  frères,  que  vous 
êtes  vraiment  morts  à  vos  passions;  mon- 
trez-nous des  signes  sensibles  qui  nous  mar- 
quent que  vous  êtes  vraiment  réconciliés  a 
Dieu;  et  vous,  pécheurs,  qui  dans  ce  saint 
temple  voyez  plusieurs  imitateurs  de  Jésus- 
Christ  sortant  <iu  tombeau,  ne  tentez  point 
Dieu  en  demandant  de  nouvelles  preuves  de 
sa  puissance.  Rendez-vous  comme  Thomas, 
et  reconnaissez-le  enfin  pour  votre  Dieu  et 
voire  Seigneur:  Deus  meus  et  Dominas 
parole  d'amour,  parole  de  consécration  à  Jé- 
sus-Christ pour  vous,  si  vous  êtes  prêts  à 
tout  quitter  et  à  tout  entreprendre  pour  \  ous 
rapprocher  du  Dieu  dont  vous  étiez  éloignés 
depuis  si  longtemps;  parole  enfin  de  con- 
fiance. Oui,  tout  pécheurs  que  vous  êtes,  il 
est  eii'-ore  votre  Seigneur,  et  il  veut  bien  que 
vous  l'appeliez  votre  Dieu  :  Deas  meus  et  Do- 
minus  meus.  Profitez  de  ce  que  tant  d'exem- 
ples édifiants  vous  inspirent  ;  cessez  d'être 
incrédules,  et,  puisque  tous  les  artifices  de 
la  Synagogue  n'ont  servi  qu'à  rendre  la  ré- 
surrection de  Jésus-Christ  plus  incontesta- 
ble, que  tout  ce  que  le  monde  peut  tenter 
pour  s'opposer  à  votre  conversion  la  rende 
plus  certaine  par  le  triomphe  que  vous  sau- 
rez remporter  sur  les  puissances  de  ténè- 
bres :  c'est  le  sujet  de  la  troisième  partie. 

TROISIÈME    PARTIE. 

Ce  que  les  Juifs  dirent  à  Pila  te  après  la 
mort  de  Jésus-Christ,  et  toutes  les  précau- 
tions qu'ils  prirent  pour  f  lire  garder  le  tom- 
beau forment  sans  doute  de  nouvelles  preu- 
ves de  la  vérité  de  sa  résurrection  :  Xous 
nous  sommes  souvenus,  disent-ils,  que  cet  im- 
posteur s'est  vanté  lorsqu'il  clait  encore  en 
vie,  qu'il  ressusciterait  après  trois  jours  ; 
commandez  donc  que  son  sépulcre  soit  gardé, 
de  peur  qu'on  ne  t'enl  vr. 

1  Les  Juifs  avouent  que  Jésus-Christ  avait 
prédit  qu'il  se  ressusciterait;  et,  s'il  n'avait 
pas  eu  le  pouvoir  de  se  redonner  la  vie,  au- 
rait-il par  des  prédictions  si  imprudentes 
réveillé  L'attention  des  Juifs?  Eu  leur  annon- 
çant cet  événement,  il  les  engage  à  prendre 
des  précautions  qui  mettent  ses  disciples 
hors  d'état  de  l'enlever;  mais  un  fourbe  qui 
n'attend  le  succès  de  son  imposture  qu  en 
échappant  à  la  vigilance  de  ceux  qu'il  veut 
séduire,  loin  de  les  avertir  de  ce  qu'il  se  pro- 
pose, étudie  et  saisit  le  moment  qu'on  n'est 
point  en  garde  contre  ses  entreprises,  et  dès 
là  Jesus-Christ,  qui  annonce  aux  Juifs  que, 
comme  Jouas  sortit  après  trois  jours  du  sein 


67:.  SERMON  POUR  LÉ 

d'une  baleine,  de  même  il  paraîtra  sur  la 
terre,  ne  leur  donnant  d'autre  preuve  de  la 
vertu  par  laquelle  il  opère  des  miracles 
qu'en  les  assurant  qu'il  reprendra  par  sa 
propre  puissance  la  vie  qu'ils  vont  lui  ôter, 
Jésus-Christ,  dis-je,  parle  et  agit,  de  l'aveu 
même  des  Juifs,  non  en  imposteur,  mais  en 
Dieu  qui,  sûr  de  son  pouvoir,  ne  craint  point 
de  laisser  éclater  des  projets  dont  le  succès 
est  inévitable  dès  qu'il  les  a  formés. 

2°  Les  Juifs  prétendent  que  Jésus-Christ, 
étant  encore  vivant ,  s'était  vanté  de  ressus- 
citer. II  était  donc  mort  alors  selon  eux ,  et 
dès  là  ils  ne  peuvent  plus  supposer  qu'il  avait 
été  détaché  de  la  croix  avant  qu'il  fût  expiré. 
EnQn  les  Juifs,  en  obtenant  la  permission  de 
faire  garder  le  tombeau  par  leurs  propres 
gardes,  prouvent  qu'alors  il  n'en  avait  point 
encore  été  enlevé,  et  que  ,  ne  pouvant  l'être 
dans  la  suite  à  leur  insu,  s'il  ne  se  trouve 
plus  dans  le  sépulcre,  sa  résurrection  est  in- 
contestable. 

Voilà,  mes  frères,  les  motifs  que  les  enne- 
mis de  notre  sainte  religion  nous  fournis- 
sent eux-mêmes  en  faveur  d'un  fait  qui  en. 
est  le  fondement;  car,  sans  leur  fureur 
contre  Jésus-Christ,  on  eût  pu  croire  que  les 
apôtres  avaient  enlevé  le  corps  de  leur  maître 
et  s'étaient  ensuite  accordés  à  supposer  qu'il 
était  apparu  à  eux  après  sa  résurrection  ;  et 
celte  supposition  aurait  été  d'autant  plus  na- 
turelle ,  que  Pilate  ,  gouverneur  romain  , 
n'ayant  point  pris  vivement  l'intérêt  des 
Juifs  en  cette  occasion,  paraissant  même  ne 
condamner  Jésus-Christ  qu'à  regret,  on  au- 
rait pu  dire ,  si  les  Juifs  n'avaient  pas  gardé 
eux-mêmes  le  sépulcre  ,  que  les  soldats  ro- 
mains, s'embarrassant  peu  des  querelles  de 
la  Synagogue,  auraient  négligé  de  conserver 
avec  assez  de  soin  un  dépôt  qui  leur  parais- 
sait de  peu  de  conséquence. 

Ce  sont  donc  les  soldats  mêmes  de  cotte  na- 
tion si  intéressée  à  détruire  jusqu'à  l'appa- 
rence de  la  résurrection  ,  ce  sont  eux  qui 
gardent  le  sépulcre.  C'est  en  leur  présence, 
à  leur  vue,  devant  eux  ,  que  Jésus-Christ  eni 
sort,  sans  qu'ils  puissent  s'y  opposer  ;  et,, 
par  un  admirable  effet  de  la  Providence,  qui 
fait  servir  à  l'établissement  de  la  vérité  tout 
ce  que  l'erreur  peut  imaginer  pour  en  obs- 
curcir l'éclat,  ceux  qui  étaient  les  plus  inté- 
ressés à  nier  ce  fait  sont  les  premiers  té- 
moins qui  déposent  en  sa  faveur:  témoi- 
gnage bien  moins  suspect  que  ne  l'eût  été 
celui  des  seuls  apôtres  ;  témoignage  qui  ne 
peut  être  éludé  par  celui  que  les  Juifs  arra- 
chent à  prix  d'argent  ;  témoignage  qui  a  mis 
notre  mystère  dans  un  si  grand  degré  de  cer- 
titude ,  que  le  plus  grand  ennemi  du  chris- 
tianisme, Julien  l'Apostat,  n'a  jamais  osé  le 
ni«îr  directement  ;  témoignage  enfin  qui  nous 
trace  ce  que  nous  devons  et  ce  que  nous 
pouvons  faire  pour  rendre  utile  à  noire  con- 
version tout  ce  que  le  monde  peut  entre- 
prendre pour  s'y  opposer. 

Oui,  mes  frères,  méprisant  comme  Jésus- 
Christ  l'enfer  et  le  démon,  certains  d'ailleurs 
de  la  faiblesse  des  ennemis  de  notre  salut, 
cl  assurés  de  la  force  de  celui  qui  agit  en 


JOUR  DE  PAQUES.  674 

nous  par  sa  grâce,  nous  devons  annoncer  au 
monde  que,  quoi  qu'il  fasse  pour  nous  sé- 
duire, nous  triompherons  du  péché  malgré 
tous  les  artifices  qu'on  peut  employer  pour 
nous  y  engager.  Si  nous  sommes  vraiment 
ressuscites ,  tout  ce  qu'il  pourrait  entre- 
prendre ne  servira  qu'à  le  confondre  en  ren- 
dant notre  vertu  plus  éclatante. 

Mais  sommes-nous  assez  affermis  dans  la 
grâce  pour  triompher  comme  Jésus-Christ 
de  tous  les  efforts  que  le  monde  emploie  pour 
nous  faire  retomber  dans  le  crime?  Obligés 
de  vivre  au  milieu  d'un  siècle  ennemi  de  la 
pieté,  entourés  de  toutes  parts  de  ce  qui  peut 
détruire  et  affaiblir  notre  vertu,  échappera- 
t-elle  à  tous  les  pièges  qui  lui  sont  tendus  ? 
Résistera-t-elle  ?  triomphera-t-elle?  Exami- 
nons-nous nous-mêmes,  et,  si  nous  devons 
craindre  de  succomber  sous  ces  coups,  si 
notre  faiblesse  nous  oblige  par  prudence 
d'éviter  un  combat  dont  l'issue  serait  incer- 
taine ou  probablement  funeste,  si  nous  avons 
des  raisons  solides  pour  nous  défier  du 
monde  et  de  tous  ses  attraits,  mes  frères,  la 
fuite  seule  peut  vous  assurer  de  la  victoire. 
Craignant  tout  de  notre  faiblesse  ,  nous  de- 
vons agir  contre  nos  ennemis  avec  précau- 
tion ;  mais  espérant  tout  de  Dieu ,  comme  il 
nous  donnera  ce  qui  nous  sera  nécessaire 
pour  ne  pas  succomber,  alors  allant  de  vertu 
en  vertu,  comme  dit  le  Prophète,  nous  n'au- 
rons plus  de  ménagement  avec  le  monde,  et 
peut-être  dans  la  suite  il  ne  sera  plus  à 
craindre  pour  nous  ,  parce  que  nous  en  au- 
rons triomphé  par  Jésus-Christ. 

Si  nous  sommes  donc  vraiment  ressuscites, 
mes  frères,  et  que  Dieu  seul  viveen  nous,  nous 
devons  croire  que  parla  miséricorde  de  Dieu 
nous  ne  sommes  plus  assez  faibles  pour  com- 
mettre le  péché  si  facilement ,  quoique  ce- 
pendant nous  devions  veiller  en  même  temps 
sur  nous-mêmes  ,  comme  craignant  tout  de 
noire  fragilité.  Par  cet  heureux  mélange  de 
prudence  et  de  zèle ,  de  crainte  et  de  con- 
fiance, de  mépris  de  soi-même  et  d'amour  de 
Dieu,  de  même  que  la  résurrection  ne  fut 
que  mieux  établie  par  tout  ce  que  la  Syna- 
gogue employa  pour  la  détruire  ,  de  même 
aussi  nous  serons  affermis  dans  la  vertu  par 
les  épreuves  mêmes  auxquelles  la  Provi- 
dence nous  exposera  ;  elles  nous  seront  utiles 
et  nous  trouverons  dans  chaque  obstacle  une 
nouvelle  occasion  de  mérite,  parce  que  nous 
triompherons  par  notre  fidélité  à  la  grâce. 

Ainsi  doit  agir  un  vrai  chrétien  pour  par- 
ticiper au  mystère  que  nous  célébrons,  en  se 
conformant  dans  sa  conversion  à  tout  ce  que 
nous  remarquons  dans  la  résurrection  de 
Jésus-Christ. Comme  il  a  enlevé  la  pierre  qui 
fermait  son  tombeau,  nous  devons,  quoi  qu'il 
nous  en  coule ,  arracher  de  notre  cœur  les 
passions  dominantes  qui  en  ferment  l'entrée 
à  Jésus-Christ  ;  et,  comme  il  n'est  plus  dans 
le  sépulcre  cl  qu'il  est  ressuscité  revêtu  d'un 
corps  spirituel  ,  éclatant  de  gloire  ,  il  faut 
qu'une  vertu  solide,  succédant  en  nous  au 
vice  qui  nous  dominait ,  annonce  «pie  nous 
sommes  heureusement  changés  ,  et  qu'à 
l'exemple  de   notre    chef,    en   dépouillant 


673 


ORATLTRS  SACRES.  DOM  JEROME. 


676 


toutes  les  marques  ac  notre  mortalité  »  nous 
sommes  sortis  du  tombeau  pour  n'y  plus 
rentrer. 

Il  faul  que  ,  non  contents  d'être  ressusci- 
lél  noas  le  paraissions  au\  justes  pour  les 
consoler,  aux  impies  pour  les  convertir;  et 
que  ce  ne  soit  pas  Béatement  dans  quelques 
occasions,  devant  quelques  personnes,  pen- 
dant quelques  moments,  sur  quelques  vices, 
mais  dans  toute  la  suite  de  notre  vie  ,  dans 
toutes  nos  actions,  à  la  vue  de  tout  le  monde, 
ol  moins  encore  par  nos  discours  que  par  nos 
œuvres.  Enfin,  comme  la  résurrection  de  Jé- 
sus-Christ lui  a  été  d'autant  plus  glorieuse 
qu'elle  avait  rencontré  plus  d'obstacles  ,  les 
diverses  épreuves  auxquelles  notre  vertu 
peut  être  exposée  ici-bas  doivent,  par  notre 
fermeté  à  les  soutenir,  nous  acquérir  un 
nouveau  mérite  devant  Dieu. 

Mais  pouvons-nous,  Seigneur,  espérer  que 
vous  daignerez  produire  en  nous  un  tel  chan- 
gement !  Si  vous  ressuscitâtes  votre  premier- 
né,  le  Sauveur  du  monde,  vos  enfants  d'adop- 
tion ne  verront-ils  pas  le  même  miracle  s'o- 
pérer en  leur  faveur?  Vous  nous  l'avez  pro- 
mis, ô  mon  Dieu,  par  vos  prophètes,  que  ces 
os  desséchés  revivraient  ;  vous  nous  assurez 
vous-même  que  quiconque  croira  en  vous 
ressuscitera  vainqueur  de  la  mort  et  du  pé- 
ché. Certains  de  votre  résurrection,  dont 
nous  célébrons  la  gloire  ,  puissions-nous  en 
ressentir  et  en  mériter  les  effets  par  une  sin- 
cère conversion  ! 

Puisse  l'Esprit-Saint  ranimer  vos  membres 
languissants  et  les  réunir  bientôt  à  leur  chef 
déjà  ressuscité  !  Créez  donc  en  nous,  ô  mon 
Dieu  !  un  cœur  nouveau  ;  détruisez  ce  corps 
de  péché  qui  vit  en  nous  ;  donnez-nous  un 
esprit  de  force,  de  vérité  et  de  sainteté.  Paisse 
votre  divine  parole  faire  germer  en  nos  cœurs 
celle  semence  de  la  grâce,  pour  trouver  dans 
le  sang  de  Jésus-Christ ,  auquel  nous  parti- 
cipons dans  ce  saint  temps,  le  gage  de  votre 
amour  et  d'une  heureuse  éternité  !  que  je 
vous  souhaite.  Ainsi  soil-il. 

SERMON 

POUR    LE    LUNDI   DE    PAQUES. 

Sur  l'état  de  Jésus-Christ  ressuscité ,  modèle 
de  notre  résurrection. 

Qwx  sursumsunt  quïriie,  qusa  sursum  snnt  sapiie. 
Recherchez  ce  qui  est  d  nu  te  ciel,  n'aget  de  (joui  que 
pour  les  clwsis  du  ciel  (Colons.,  lit,  1,  -2). 

Je  suppose,  mes  frères,  qu'ayant  profité  de 
toutes  les  instructions  qui  vous  ont  été  don- 
nées dans  celte  quarantaine,  vous  oies  éta- 
blis dans  la  pratique  des  règles  que  vous 
avez  reçues  ,  et  que  vous  êtes  véritablement 
ressuscilés.  Hier  nous  vous  montrâmes  les 
caractères  d'une  vraie  conversion  dans  la 
résurrection  de  Jésus-Christ,  il  faut  donc  au- 
jourd'hui vous  apprendre  à  conserver  la 
grâce  de  votre  résurrection  ,  et  il  n'en  faut 
pas  chercher  ailleurs  que  dans  les  paroles  de 
mon  texte. 

Le  saint  Apôlre  nous  en  propose  deux  : 
chercher  les  choses  d'en  haul  :  Qum  sursum 
suxt  quajrile,  cl  goûter  les  choses  d'eu  haut  : 


trouve  à  l'égard  de  ces 


(Juœ  sursum  sufit  sapite.  L'une  dépend  de 
I autre,  el  elles  ne  reviennent  qu'à  une,  selon 
saint  Augustin  ,  qui  nous  enseigne  qu'on  ne 
recherche  le  bien  que  quand  on  en  a  le  désir, 
el  qu'on  n'en  a  le  désir  que  quand  on  a  com- 
mencé à  le  goûter. 

Demandons  à  Dieu  qu'il  nous  rende  le 
cœur  capable  de  goûter  et  de  rechercher  les 
choses  «l'en  haut ,  car  ce  goût  vienl  de  lui, 
el  appliquons-nous  à  vous  enseigner  la  ma- 
nière de  ne  chercher  que  lui  dans  tous  vos 
emplois. 

Or,  quand  je  dis  qu'un  chrétien  qui  veut 
conserver  la  grâce  de  la  résurrection  ne  doit 
chercher  que  Dieu,  je  u'avance  rien  qui  ne 
soit  conforme  aux  premiers  principe!  de  La 
religion  ,  et  d'où  l'on  puisse  conclure  qu'il 
faudrait  qu'un  chrétien  ressuscité  fût  sans 
goût,  sans  sentiments, et  même,  s'il  était  pos- 
sible, sans  commerce  avec  la  terre.  Mais, 
parce  que  dans  l'état  de  la  vie  présente  ,  où 
il  demeure  encore  après  la  résurrection  de 
son  âme  ,  en  attendant  celle  de  son  corps 
dans  le  jour  du  Seigneur,  il  demeure  lié  avec 
le  monde,  comme  dit  si  bien  saint  Reruard, 
c'est-à-dire  à  la  terre,  où  il  vit;  avec  la  con- 
dition dans  laquelle  la  Providence  l'a  placé  ; 
avec  son  corps,  sans  lequel  il  ne  peut  vivre, 
il  faul  lui  apprendre  à  ne  chercher  que  Dieu 
dans  l'accomplissement  des  devoirs  et  des 
obligations  où  il  se 
engagements. 

Mes  frères,  Jésus-Christ  est  un  bon  maître; 
le  Sauveur  du  monde  nous  enseigne  la  ma- 
nière de  nous  conserver  après  notre  résur- 
rection, dans  les  formes  différentes  qu'il  a 
choisies  pour  faire  ses  apparitions  durant  les 
quarante  jours  qu'il  est  demeuré  sur  la  terre 
depuis  sa  résurrection,  pour  en  confirmer  la 
vérité,  comme  dit  l'Ecriture;  pour  consoler 
ses  amis,  et  pour  instruire  ses  enfants. 

La  première  forme  qu'il  a  prise  est  celle 
d'un  pèlerin,  dont  il  est  parlé  dans  l'évangile 
de  ce  jour  ;  la  seconde  estcelle  d'un  jardinier, 
et  la  troisième,  qui  est  commune  à  tous  les 
deux,  c'est  celle  d'un  homme  ressuscité. 

Ces  formes  differenies,  que  le  Seigneur  ne 
choisit  pas  par  hasard  pour  faire  ces  appari- 
tions, enseignent  au  chrétien  de  quelle  ma- 
nière il  doit  se  conduire  après  sa  résurrection, 
pour  ne  chercher  que  Dieu  en  demeurant 
dans  les  engagements  où  il  est  arrêté  par  son 
et;:',  présent. 

11  faut  qu'il  passe  dans  le  monde  comme 
un  pèlerin  :  première  partie;  il  faut  qu'il 
travaille  dans  son  emploi  comme  un  jardi- 
nier :  deuxième  partie;  enfin  il  faul  qu'il  vive 
dans  son  corps  el  avec  sa  chair  comme  un 
homme  ressuscité  :  troisième  parlie. 

Demandons  les  lumières  du  Saint-Esprit 
par  l'entremise  de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMILBE    PARTIE. 

Vivre  sur  la  terre  comme  un  pèlerin,  c*esl 
une  suite  si  naturelle  de  la  grâce  de  la  ré- 
Burrection,  qu'on  doit  dire  absolument  qu'un 
chrétien  qui  n'est  pas  dans  cette  disposition 
n'csi  point  ressuscité;  car,  comme  nous  ju- 
geous  de  la  \  ie  par  l'action,  parce  qu'elle  ue 


677 


SERMON  POUR  LE 


nous  est  donnée  que  pour  agir,  on  doit  juger 
de  la  résurrection  de  l'âme  par  le  sentiment, 
parte  qu'elle  ne  peut  élre  véritable  sans  le 
produire.  Cela  doit  être  ainsi,  c'est  la  reli- 
gion, il  n'y  a  point  de  salut  sans  cela,  ce  ne 
sont  point  ici  d'agréables  fictions.  Et  en  effet, 
mes  frères,  cette  résurrection  n'esl-ellc  pas 
un  passage  de  l'état  «lu  péché  à  celui  de  la 
grâce,  comme  celle  du  Sauveur,  qui  en  est 
le  modèle,  est  un  passage  de  l'état  de  la  mort 
à  celui  de  la  vie  pour  ne  plus  mourir  :  67m- 
stus  rcsurgens  jnm  non  moritur? 

Or,  mes  frères,  comment  était  l'homme 
dans  l'état  du  péché?  Il  croyait  que  la  terre 
était  le  lieu  de  son  repos  ;  le  croyant,  il  l'ai- 
mait, et  en  l'aimant  il  ne  cherchait  qu'à  s'y 
établir.  Que  fait  donc  en  lui  la  grâce  de  la 
résurrection?  Elle  change  les  vues  de  son 
esprit,  les  affections  de  son  cœur,  la  conduite 
de  sa  vie;  et,  quand  il  est  ressuscité,  il  re- 
garde le  ciel  comme  sa  patrie  et  la  terre 
comme  son  exil  :  nouvelles  vues  de  son  es- 
prit. Il  gémit  sur  la  terre,  et  il  soupire  après 
le  ciel  :  nouvelles  affections  de  son  cœur.  Il 
songe  à  s'établir  dans  le  ciel,  et  il  ne  fait  que 
passer  sur  la  terre  :  nouvelle  conduite  de  sa 
vie  ;  et  c'est  cela  même  que  j'appelle  ne  cher- 
cher que  Dieu  sur  la  terre  et  y  vivre  comme 
un  étranger,  pour  conserver  la  grâce  de  la 
résurrection. 

Il  n'y  a  rien  de  si  conforme  à  l'idée  d'un 
chrétien  sur  la  terre  que  celle  d'un  étranger. 
L'homme  innocent,  ayant  été  créé  pour  Dieu, 
en  jouissait;  comme  il  était  innocent  et  que 
Dieu  est  jusle,  il  ne  l'avait  pas  fait  pour  être 
malheureux,  et  il  l'aurait  été  véritablement, 
si,  l'ayant  créé  pour  lui,  il  en  avait  été  privé. 
Il  jouissait  donc  de  Dieu,  non  pas  dans  un 
état  fixe  et  permanent,  ce  que  Dieu  aurait 
ajouté  avec  de  nouveaux  degrés  de  béatitude 
pour  sa  récompense,  s'il  eût  persévéré  dans 
la  justice;  mais,  étant  déchu  de  cet  état  par 
sou  péché,  il  a  été  banni  de  sa  patrie;  et  tous 
tant  que  nous  sommes  ici-bas,  nous  devons 
nous  regarder  comme  des  exilés  ou  comme 
des  pèlerins. 

C'est  le  malheur  de  l'homme  pécheur  que 
de  ne  pas  connaître  son  bannissement,  et  de 
prendre  sa  patrie  pour  un  exil  et  son  exil 
pour  sa  patrie  ;  et  c'est  un  des  principaux 
effets  que  produit  en  lui  la  grâce  de  la  résur- 
rection qui  lui  donne  une  nouvelle  vie,  que 
de  lui  faire  connaître  son  étal  présent.  Aussi, 
mes  frères,  tous  les  justca  se  sont  regardés 
sur  la  terre  comme  des  étrangers.  C'est,  dit 
saint  Augustin,  une  qualité  propre  à  ceux 
qui  ont  part  à  l'élection  divine,  et  qui  doi- 
vent possédi  r  un  héritage  éternel  dans  le 
ciel.  De  là  vient,  dit  ce  Père,  que  le  Prophète 
qui  dit  au  Seigneur  qu'il  est  devant  lui  un 
étranger  et  un  voyageur,  ne  dit  pas  :  (Jomme 
l'ont  été  tons  les  hommes,  mais  comme  l'ont 
été  tous  mes  père»  :  Quoniam  advena  ego  ftMN 
apud  te,  et  percjrinus,  sicul  omnes  patres 
mei;  nous  faisant  entendre  par  là  les  justes 
qui  l'ont  précédé,  cl  qui  se  sont  toujours  re- 
gardés comme  dans  un  pays  étranger  et  en- 
nemi, pendant  qu'ils  ont  vécu  sur  la  terre, 
puisqu  il  est  certain  que  ceux  qui  apparlicn- 


LUNDI  DE  PAQUES.  b7S 

nent  à  la  céleste  Jérusalem,  et  qui  sont  ci- 
toyens du  peuple  de  Dieu,  sont  étrangers  et 
voyageurs  dans  le  monde,  comme  ceux  qui 
sont  étrangers  parmi  le  peuple  de  Dieu  coût 
les  citoyens  de  la  terre. 

C'est  là,  mes  frères,  la  première  chose  que 
doit  produire  en  nous  la  grâce  de  notre  ré- 
surrection :  elle  doit  nous  faire  connaître 
lotre  état.  Durant  le  péché  nous  étions  ci- 
toyens de  la  terre,  nous  étions  le  peuple  dont 
parlelsaïe,qui/jfi6i/e  dans  la  région  deVombre 
de  la  mort.  Les  ténèbres  et  l'ignorance  cau- 
sées par  l'ombre  de  la  mort,  qui  n'est  autre 
chose  que  le  péché,  nous  avaient  fait  choisir 
cette  maudite  région  en  renonçant  à  l'héri- 
tage éternel;  nous  étions  étrangers  parmi 
les  enfants  de  Dieu,  et  nous  voulions  élre  les 
citoyens  de  la  terre.  Or,  mes  frères,  le  jour 
s'est  levé  pour  nous  :  si  nous  sommes  véri- 
tablement ressuscites,  nous  marchons  selon 
la  foi;  et  méprisant  les  biens  présents  qui 
doivent  finir,  nous  nous  attachons  aux  biens 
éternels  que  nous  espérons  sans  les  voir. 

Mais  cette  lumière  qui  nous  fait  connaître 
notre  étal,  et  qui  nous  fait  changer  de  sen- 
timents en  nous  apprenant  que  nous  som- 
mes pour  le  ciel,  et  non  pas  pour  la  terre, 
nous  fait  aussi  changer  d'affections  quand 
notre  résurrection  est  véritable.  Les  saints 
qui  se  sont  reconnus  voyageurs  sur  la  terre 
y  ont  soupiré;  ils  ont  vécu  dans  un  perpé- 
tuel gémissement:  Heu  mihi I  disait  David, 
quia  incolatus  meus  prolongatus  est  !  Hélas  ! 
que  mon  exil  est  long!  non-seulement  à  cause 
de  l'impatience  qu'ils  avaient  d'être  bientôt 
d,:ns  leur  patrie  qu'ils  regardaient  de  fort 
loin  :  A  longe  aspicientes  et  salutanles  ;  mais 
parce  qu'ils  étaient  dans  un  pays  dangereux, 
toujours  exposés  à  faire  naufrage,  et  dans 
mille  occasions  de  se  détourner  du  chemin 
qui  les  menait  à  leur  patrie. 

C'est  dans  ces  sentiments  que  saint  Au- 
gustin nous  enseigne  que  la  vie  d'un  chré- 
tien qui  connaît  son  état  présent  doit  être  un 
désir  continuel  de  son  état  futur.  S'il  prie, 
dit  ce  Père,  ce  ne  doit  être  que  par  des  gé- 
missements ;  car  dans  cette  vie,  qui  est  non- 
seulement  un  pèlerinage,  mais  un  bannisse- 
ment pour  lui,  il  ne  lui  appartient  pas  de 
chanter  les  louanges  de  Dieu,  pour  ainsi  dire; 
ce  devait  être  l'emploi  du  premier  homme 
dans  l'étal  d'innocence,  qui,  étant  pèlerin 
sans  être  banni,  pouvait,  étant  heureux, 
chanter  les  louanges  de  celui  qui  l'ayant 
comblé  de  biens,  devait,  en  les  augmentant 
s'il  eût  été  fidèle,  le  fixer  dans  l'état  d'une 
félicité  éternelle;  mais  pour  nous,  quoique 
nous  soyons  les  enfants  de  Dieu,  et  associés 
à  son  empire  par  la  grâce  de  notre  résurrec- 
tion, nous  ne  laissons  pas  que  de  ressenlir 
les  châtiments  d  ■  sa  justice;  ainsi, étant  non- 
seulement  pèlerins,  mais  bannis,  nous  ne 
devons  faire  que  gémir.  Nous  sommes  ici 
dans  une  prison,  l'âme  est  captive  dans  le 
corps;  nous  ne  devons  donc  vivre  que  dans 
un  désir  continuel  d'être  délivrés,  car  un 
captif  cherche  sans  cesse  à  échapper. 

Or,  mes  frères,  un  homme  qui  connaît  que 
la  terre  n'est  pas  M  pairie,  mail  qu'il  eil 


r.7n 


ORATEURS  SACRES.  DOM  fEROMi  . 


formé  pour  le  ciel  par  la  grâce  de  la  \  ie 
Donvelle  qu'il  a  reçue  dam  sa  résurrection, 

qu'il  doit  rentrer  dans  ses  droits  de  l'héritage 
éternel,  qu'il  avait  perdu  par  Bon  péché,  qui 

sent  les  dangers  où  il  est  exposé  cl  qui  les 
connaît  par  son  expérience,  vil  d  :ns  le  inon- 
de, à  la  rérité,  mais  il  y  vil  comme  un  étran- 
ger. Il  n'a  dans  l'esprit  que  l'idée  de  sa 
patrie,  et  il  regarde  loul  le  resle  avec  indif- 
férence. Les  richesses  qu'il  possède  lui  pa- 
raissent comme  un  ruisseau  qui  arrose  au- 
jourd'hui son  champ  et  qui  passera  demain 
pour  arroser  celui  d'un  autre.  Il  ne  cherche 
pas  à  les  acquérir,  mais  comme  on  ne  s'en 
peut  passer,  qu'il  en  faut  pour  les  usages  de 
la  vie  présente,  et  qu'il  n'est  pas  défendu  de 
les  posséder,  mais  de  s'y  attacher, -il  les  re- 
garde comme  l'eau  des  torrents,  qui  s'écou- 
lent promptement,  sur  lesquels  un  homme 
sage  ne  s'embarque  jamais,  et  qui  se  haïsse 
seulement  pour  en  prendre  dans  le  creux  de 
la  main  alin  de  se  désaltérer.  Ainsi,  ne  re- 
nonçant pas  à  leur  usage,  il  les  regarde  et 
les  estime,  dit  saint  Chrysostome,  comme  les 
meubles  d'une  hôtellerie  où  il  ne  doit  loger 
qu'une  nuit.  Semblable  à  un  voyageur,  il  ne 
s'arrête  point  à  tout  ce  qu'il  rencontre.  Ce 
qui  agite  ceux  qui  logent  avec  lui  dans  la 
même  maison  le  louche  honnêtement,  mais 
ne  l'engage  point.  11  rend  des  offices  d'hon- 
nêteté à  celui  qu'il  trouve  sur  son  chemin, 
et  il  le  suit  sans  faire  d'engagement  capable 
de  l'arrêier. 

Voilà,  mes  frères,  quelle  doit  être  la  vie 
d'un  homme  ressuscité  à  l'égard  du  monde 
dans  lequel  il  vit;  il  ne  doit  qu'y  passer  en 
cherchant  Dieu.  Heureux  est  l'homme,  dit 
saint  Bernard,  qui  connaît  son  élat  présent, 
et  qui  le  sent!  car  quand  on  le  connaît  et 
qu'on  le  sent,  on  règle  sa  vie  sur  cet  élat; 
on  vit  dans  le  monde,  mais  sans  y  tenir;  on 
ne  songe  pas  à  s'y  établir  par  de  grandes  al- 
liances, par  de  grands  emplois,  par  des  ac- 
quisitions, par  de  superbes  bâtiments;  il  ne 
faut  à  un  voyageur,  comme  dit  fort  bien  le 
même  Père,  que  le  vêtement  et  la  vie.  Si  vous 
le  chargez  d'autres  choses,  vous  l'embarras- 
sez ;  tous  ces  grands  biens  ne  servent  qu'à 
nous  faire  oublier  notre  patrie,  cl  à  nous 
rendre  citoyens  du  monde;  el  il  est  impossi- 
ble, dit  saint  Augustin,  que  celui-là  aime  son 
pays  qui  aime  le  lieu  de  son  bannissement, 
et  qu'on  ait  de  grandes  pissions  pour  le  ciel 
quand  on  a  de  grands  attachements  à  la  terre. 

Quand  on  connaît  et  qu'on  sent  son  élat, 
on  supporte  avec  patience  les  peines  el  les 
disgrâces  qu'on  y  souffre.  On  n'a  pas,  se  dit 
un  chrétien,  toutes  ses  commodités  dans  un 
voyage,  on  prend  en  chemin  ce  qu'on  ren- 
contre, et  l'espérance  d'être  à  son  aise  dans 
son  pays  fait  qu'on  supporte  sans  se  plain- 
dre tout  ce  qu'on  endure  en  y  allant.  Péné- 
tré qu'il  est  des  peines  attachées  à  son  état, 
res  injustices  qu'on  lui  rend  et  les  perles  qu'il 
.'ait  lui  deviennent  bien  moins  sensibles:  il 
regarde  ceux  qui  en  sont  la  cause  comme 
les  gens  qui  lui  aident  à  démén  ger,  cl  sa- 
chant que  lous  les  biens  qui  nous  sers  ont 
durant  cette -vie  doivent  demeurer  dans    le 


monde,  et  qu'il  y  a,  selon  saint  Bernard,  un 
portier  inexorable  à  la  sortie,  qui  ne  souffre 
pas  qu'on  en  emporte  rien,  il  en  considè- 
re les  perles  comme  une  décharge,  el  les 
violences  qu'on  lui  l'ait  pour  le  dépouiller, 
comme  un  soin  que  la  Providence  pr<  od  de 
lui  ôler  un  peu  plus  lot  et  avec  profit  s'il 
user  de  la  violence  qu'on  lui  lait,  ce  <|u  il 
n'a  reçu  que  pour  un  temps;  el  comme  tou- 
tes ces  vues  de  son  état  présent  oui  une  ad- 
mirable liaison,  si  elles  lui  serrent  à  se  re- 
garder dans  le  monde  comme  un  pèlerin  qui 
ne  cherche  que  sa  patrie,  elles  font  encjre 
qu'il  travaille  comme  un  jardinier  dans  sa 
condition:  c'est  le  deuxième  point. 

DIUX1BMH  PARTIE. 

Quand  je  considère  le  Sauveur  du  monde 
paraissant  s;>us  la  forme  d'un  jardinier  après 
sa  résurrection,  et  que  je  sais  qu'il  n'a  choisi 
ces  formes  différentes  sous  lesquelles  il  pa- 
raît, qu'afin  de  nous  instruire,  en  pénétrant 
le  mystère  qui  couvre  celle-ci,  j'y  vois  deux 
choses  qui  renferment  deux  excellentes  in- 
structions,par  lesquelles  un  chrétien  ressus- 
cité doit  apprendre  à  vivre  de  telle  manière, 
dans  la  condition  où  il  est  lié,  qu'il  n'y 
cherche  que  Dieu  elqu  il  y  conserve  la  grâce 
de  sa  résurrection. 

La  première,  c'est  que  la  condition  d'un 
jardinier  est  bonnecthonnêteparelle-méme: 
par  là  un  chrétien  res>uscilé  doit  apprendre 
en  premier  lieu  qu'il  ne  doit  demeurer  que 
dans  une  condition  qui  soit  de  même  bonne 
en  soi  ;  la  seconde,  c'est  que  celle  condition 
engage  l'homme  dans  une  espèce  de  travail, 
qui,  lui  représentant  en  quelque  sorte  la 
qualité  de  son  être,  l'entretient  toujours  de 
l'espérance  des  choses  futures:  d'où  le  chré- 
tien doit  apprendre  en  second  lieu  qu'il  faut 
qu'il  travaille  dans  sa  condition  sans  perdre 
jamais  de  vue  ce  qu'il  est  véritablement  cl 
l'éternité  qu'il  espère 

Ces  deux  leçons  sont  très- importantes, 
et  le  Seigneur,  qui  nous  les  donne  par  la 
forme  sous  laquelle  il  parait,  nous  découvre 
admirablement  la  sagesse  de  la  grâce  chré- 
tienne, si  j'ose  ainsi  parler,  qui  ne  rompt 
point  les  engagements  de  la  vie  civile,  mais 
qui  en  règle  les  actions,  et  qui,  nous  laissant 
dans  nos  emplois  sans  nous  troubler,  \cul 
nous  mettre  en  état  d'y  vivre  sans  nous 
perdre. 

Jesus-Christ,  qui  est,  comme  vous  savez, 
le  nouvel  homme,  réparateur  des  ruineseau- 
sées  par  le  premier,  parait  après  sa  résur- 
rection, c'esl-à-dire  dans  l'état  de  perfection 
de  la  vie  nouvelle,  sous  la  forme  de  l'exer- 
cice où  le  vieil  homme  était  quand  il  perdit 
son  innocence.  Il  se  montre  dans  un  jardin 
et  sous  la  forme  d'un  jardinier  :  ceci  nous 
apprend  que  comme  ce  ne  lut  ni  son  état  ni 
sa  condition  qui  le  perdirent,  mais  M  D  iU- 
vaisc  conduite,  il  fallait  après  sa  repara;  on 
changer  de  conduite  sans  changer  d'état 
Quand  vous  auriez  pèche  dans  \olrc  condi- 
tion, il  n'en  faut  pas  sortir  si  elle  esl  bonne 
par  elle-même,  el  qu'elle  ne  soit  pas  pour 
vous  une  occasion  de  pèche  ;   mais   il  faut  y 


mi 


SERMON  POUR  LE 


faire  pénitence,  et  prendre  dans  l'esprit  de 
satisfaction  les  exercices  mêmes  de  votre 
état  par  lesquels  vous  avez  péché.  Adam  ne 
change  pas  de  condition,  mais  il  fait  les  exer- 
cices de  son  état  différemment  dans  l'état 
d'innocence.  Ainsi  les  apôtres, qui  exerçaient 
la  pêche  avant  que  Jésus-Christ  les  appe- 
lât, la  continuent  après  qu'il  les  a  appelés  ; 
il  les  honore  de  sa  présence  dans  cet  exer- 
cice après  sa  résurrection,  et  il  se  nourrit 
même  avec  eux  des  fruits  de  ce  travail. 

L'homme  innocent  placé  dans  un  jardin  y 
devient  coupable:  l'Homme-Dieu  commence 
dans  un  jardin  l'œuvre  de  la  réparation  et 
du  rétablissement.  Nous  ne  disons  donc  pas 
qu'un  chrétien  qui  change  de  vie  par  la  ré- 
surrection doive  changer  d'emploi  :  Nous 
ne  troublons  en  rien  les  exercices  de  la  vie  ci- 
vile, comme  disait  Tertullien,  pour  défendre 
les  chrétiens,  que  les  païens  accusaient  in- 
justement; nous  ne  nous  retirons  point,  di- 
sait-il, dans  les  forets,  comme  des  sauvayes  et 
des  mécontents,  etnousne  disons  pas  que,  pour 
conserver  la  grâce  du  Seigneur,  il  soit  né- 
cessaire de  renoncer  à  toute  société.  Nous  en- 
trons dans  tous  les  emplois  quand  ils  sont 
bons  ;  nous  les  reconnaissons  pour  des  ouvra- 
ges de  la  Providence,  qui  a  établi  et  réglé 
toutes  choses.  Nous  prenons  garde  seulement 
à  suivre  les  règles  que  Dieu  a  établies  pour  la 
sanctification  de  ceux  qu'il  y  a  appelés.  C'est, 
mes  frères,  ce  que  doit  observer  un  chrétien 
qui,  pour  conserver  la  grâce  de  la  résurrec- 
tion, ne  veut  chercher  que  Dieu  dans  son 
emploi:  il  faut  qu'il  prenne  garde  que  cet 
emploi  soit  bon,  c'est-à-dire  qu'il  soit  juste  ; 
car  il  y  en  a  qui  ne  valent  rien,  et  qui  ren- 
dent ceux  qui  y  sont  engagés  pécheurs  de 
profession  et  d'office.  Pour  éviter  ce  qu'il  y 
aurait  d'ennuyeux  dans  l'examen  de  tous  les 
états,  qu'il  faudrait  que  je  ûsse  ici,  pour 
marquer  quels  sont  ceux  qu'on  peut  choisir 
et  ceux  dans  lesquels  on  ne  se  doit  jamais 
engager,  il  vaut  mieux  donner  l'idéed  un  em- 
ploi juste  ,  aOn  que  celte  idée  nous  servant 
de  règle,  chacun  puisse  connaître  en  se 
l'appliquant  si  le  sien  est  de  celte  nature. 

Un  emploi  juste,  c'est  celui  qui  se  peut 
exercer  avec  la  charité,  c'est-à-dire  dont  les 
œuvres  et  les  devoirs,  étant  confirmes  à  la 
loi  de  Dieu,  se  peuvent  remplir  dans  la  vue 
de  l'honorer,  dans  son  amour  et  pour  sa 
gloire;  de  sorte  que,  pour  juger  de  la  bonté 
de  votre  emploi,  il  faut  vous  demander  à 
vous-mêmes  :  Suis-je  dans  une  prolession 
permise  par  la  loi  de  Dieu  ?  Y  a-l-il  eu  des 
saints  qui  l'aient  exercée  ? 

Mais,  me  direz-vous,  il  y  a  eu  un  comédien 
qui  est  devenu  saint;  il  y  a  eu  des  voleurs  et 
des  femmes  de  mauvaise  vie  qui  se  sont 
sanctiliés.  J'en  conviens,  mais  remarquez 
qu'ils  ne  se  sont  sanctiliés  qu'en  quittant  cette 
profession  et  en  changeant  de  vie.  Jésus- 
Christ  n'est  venu  que  pour  les  pécheurs,  ce 
n'est  qu'en  devenant  pénitents  qu'il  les  a 
reçus,  et  il  y  a  des  adultères  qui  surpasse- 
root  peut-être  devant  Dieu  les  vierges  de 
Jésus-Christ.  Enfin  il  faut  se  dire  à  soi- 
même  :  Puis-je  rapporter  à  la  gloire  do  Dieu 

OllATliUKS  saches.   XXX. 


LUNDI  DE  PAQUES.  G82 

les  actions  que  je  suis  engagé  de  faire  dans 
cette  profession  ?  Car,  mes  frères,  un  homme 
ressuscité  ne  doit  plus  chercher  que  Dieu, 
son  emploi  doit  être  pour  lui  un  moyen  d'y 
aller;  et  comme  on  va  à  Dieu  par  la  charité, 
son  emploi  n'est  plus  juste,  et  il  l'éloigné  de 
Dieu  dès  que  les  exercices  en  sont  incompa- 
tibles avec  cette  vertu. 

C'est  par  ces  règles  qu'on  en  doit  juger,  et 
non  pas  par  les  désordres  qui  paraissent 
dans  les  conditions  ;  s'il  y  a  dans  les  gens  de 
guerre  des  gens  abandonnés  aux  emporte- 
ments, à  la  débauche  et  à  l'impiété,  s'il  y  a 
dans  la  magistrature  des  juges  livrés  à  la 
séduction  et  à  l'intérêt,  s'il  paraît  de  l'ava- 
rice et  quelquefois  de  la  dureté  dans  ceux 
qui  prennent  soin  des  affaires  publiques,  il 
ne  faut  pas  rejeter  sur  la  condition  qui  est 
bonne  ce  qui  est  un  défaut  de  ceux  qui  la 
déshonorent  par  une  conduite  qui  n'est  pas 
réglée.  Voilà,  mes  Irères,  quel  doit  être  le 
soin  d'un  chrétien  ressuscité  à  l'égard  de  sa 
condition  :  quitter  celle  qui  est  mauvaise, 
éviter  celle  qui  est  dangereuse,  et  s'établir 
dans  une  qui  soit  légitime  et  juste  selon  la 
règle  que  nous  avons  donnée  pour  eu  juger, 
et  sur  l'exemple  que  le  Sauveur  nous  donne 
par  le  choix  qu'il  fait  d'un  état  reconnu 
pour  tel. 

Mais  comme  cet  état  engage  au  travail,  il 
faut  que  le  chrétien  reconnaisse  que  c'est 
une  obligation  essentielle  que  de  s'y  appli- 
quer dans  la  condition  qu'il  a  choisie.  Car 
si  Tertullien  a  dit  autrefois,  pour  la  défense 
des  chrétiens,  que  leur  foi  ne  rendait  pas  sau- 
vages ceux  qui  la  suivaient,  il  ajoute  qu'elle 
ne  veut  pas  non  plus  en  faire  des  fainéants 
et  des  gens  inutiles  aux  républiques  et  aux 
Etats.  Il  ne  faut  pas  nous  persuader  que  la 
grâce  de  la  résurrection  nous  rende  glorieux 
sur  la  terre.  Le  Sauveur,  qui  paraît  sous  la 
forme  d'un  homme  après  être  ressuscité, 
nous  veut  apprendre  que  comme  il  ne  paraît 
rien  au  dehors  de  la  gloire  de  sa  résurrec- 
tion, tous  les  avantages  de  la  nôtre  sont 
dans  l'âme  :  si  nous  portons  dans  le  cœur  le 
trésor  précieux  de  la  grâce  qui  nous  a  res- 
suscites, en  nous  faisant  passer  de  l'état  de 
la  mort  à  celui  de  la  vie,  nous  le  portons 
dans  un  vaisseau  fragile,  au  terme  de  l'Apô- 
tre ;  et  si  nous  sommes  rentrés  dans  les  droits 
de  la  gloire,  c'est  à  condition  que  nous  l'ac- 
querrons par  le  travail  de  la  vie  présente. 

C'est  donc  une  obligation  essentielle  à  cha- 
que chrétien  dans  son  état,  de  le  regarder 
du  côté  de  la  peine  qu'il  doit  aimer,  et  non 
pas  du  côté  de  l'honneur  et  de  la  gloire 
qu'il  ne  doit  recevoir  qu'en  passant. 

Le  travail  ici  va  devant  l'honneur,  aussi 
faut-il  aller  à  l'honneur  par  le  travail.  C'est 
ce  que  nous  enseigne  le  Sauveur  en  prenant 
la  forme  d'un  jardinier,  car  un  homme  de 
celle  profession  non-seulement  travaille  par 
obligation,  mais  il  aime  son  travail;  il  lui 
parait  doux  dans  la  vue  du  fruit  de  la  re- 
colle et  de  la  moisson  qu'il  espère,  et  demeu- 
rant toujours  dans  les  vues  de  son  être,  qui 
l'engage  au  travail,  il  se  nourrit  ci  se  sou- 
tient par  l'espérance  de  ton  travail  cl  par 

9a 


ORATEURS  BACRï 

lfidée  agréable  des  choses  toujours  nouvel- 
les i;ui  fructifient  et  qui  croissent  sans  cesse 
sous  ses  mains. 

Voilà,  mes  frères,  quelle  doit  être  la  si- 
tuation île  l'espril  d'an  chrétien  ressuscité  et 
établi  dans  une  condition  juste  :  il  faut  non- 
senlemenl  qu'il  y  travaille,  qu'il  cultive  la 
terre  en  remplissant  tous  les  devoirs  dé  sa 
condition,  qu'il  n'en  rejette  pas  la  fatigue  ni 
le  poids  sur  d'autres  pour  n'en  prendre  que 
la  gloire,  le  profil  cl  l'honneur;  mais  il  faut 
qu'il  en  aime  la  peine,  qu'il  la  regarde  com- 
me un  moyen  que  la  miséricorde  de  Dieu  lui 
donne  pour  racheter  son  bannissement  ; 
comme  une  semence  qu'il  jette  à  présent, 
dont  il  doit  recueillir  dans  l'éternité  une 
moisson  de  gloire  immortelle,  et  que,  sans 
négliger  les  fruits  d'un  travail  légitime  qui 
servent  à  soutenir  cette  vie  qui  d  lit  finir,  il 
n'envisage  principalement  que  les  choses  fu- 
tures et  éternelles.  C'est  là,  mes  frères,  ce 
que  l'Ecriture  appelle  cultiver  la  terre  dans 
la  paix  et  dans  le  repos. 

Finissons  ce  discours  en  ajoutant  en  peu 
de  mois  qu'un  chrétien  qui  est  dans  le 
monde  comme  un  pèlerin,  qui  travaille  dans 
sa  condition  comme  un  jardinier,  doit  en- 
core vivre  dans  sa  chair  comme  un  homme 
ressuscité  pour  conserver  la  grâce  de  la  ré- 
surrection, et  ne  chercher  que  Dieu. 

TROISIÈME    PARTIE. 

Cette  obligation  semble  être  commune  aux 
deux  autres  et  se  peut  aisément  confondre 
avec  elles  ;  je  n'en  dirai  donc  qu'un  mot,  et 
je  finis. 

Jésus-Christ  paraît  dans  sa  chair  après  sa 
résurrection,  et  dans  une  chair  véritable  ; 
mais  il  n'est  plus  dans  la  dépendance  comme 
il  était  avant  sa  résurrection.  S'il  mange,  ce 
n'est  plus  par  nécessité,  c'est  la  charité  qui 
le  lui  fait  faire.  C'est  là,  mes  frères,  en  quel- 
que sorte  l'état  où  doit  être  un  chrétien  vé- 
ritablement ressuscité.  11  vit  dans  la  chair, 
mais  il  faut  que  ce  soit  sans  dépendance  de 
la  chair,  au  moins  sans  celte  dépendance 
qui  vient  du  péché,  s'il  ne  peut  r.'exempler 
de  colle  qui  vient  de  la  nature.  Cet  ce  que 
nous  enseigne  le  saint  apôtre  :  Sachant,  dit— 
ii,  que  le  vieil  homme  a  clé  crucifié  avec.  lui. 
Il  ne  dit  pas  qu'il  est  mort  absolument,  car  il 
vit  toujours  par  la  concupiscence,  même 
dans  les  plus  saints  ;  mais  il  dit  qu'il  est  cru- 
che, c'est-à-dire  qu'il  est  tellement  cloué  cl 
attaché  par  la  grâce  du  baptême  et  parcelle 
de  notre  résurrection,  qu'il  ne  doit  plus  agir  : 
ainsi,  comme  un  homme  attaché  à  une  croix 
ne  laisse  pas  de  vivre,  quoiqu'il  ne  puisse 
agir  si  on  ne  le  détache,  de  même  le  vieil 
homme  vil  dans  un  chrétien  ressuscité  :  il 
sont  les  mouvements  de  la  corruption,  mais 
il  ne  faut  pas  qu'il  y  consente  :  durant  le 
règne  du  péché  l'âme  était  soumise  et  la  chair 
commandait,  il  faut  donc  qu'après  la  résur- 
rection l'âme  soil  la  maîtresse  et  la  chair  soit 
soumise,  afin  que  le  corps  du  péché  soit  dé- 
truit, et  que  désormais  uous  n'en  soyons  plus 
les  esclaves:  Ut  deslruatur  coi pus peccati,  et 
.ultra  non  serviamus  peccutu. 


.S.   li()M  Jl.ltOMK. 


C'est  là  l'emploi  et  l'occupation  d'uu  chré- 
tien, c'est  l'objet  de  cette  vigilance  recom- 
mandée si  souvent  dans  les  Ecritures,  i  est  là 
I  attention  d'un  homme  ressuscité,  de  répri- 
mer les  mouvements  de  la  concupiscence,  de 
tenir  la  chair  assujettie  à  l'espril  pour  s'op- 
poser à  ce  rétablissement  du  rèu-ne  du  pé  hé, 
auquel  il  ne  doit  plus  é're  soumfl  âpre,  sa 
résurrection.  Je  ne  crois  pas  que  je  puisse 
choisir  dans  toute  l'Ecriture  des  paroles  plu» 
propres  que  celles-là  dans  la  lin  de  ma  car- 
rière :  comme  elles  renferment  tous  les  des- 
seins du  Sauveur  dans  l'ouvre  de  la  ré- 
demption, elles  découvrent  .aussi  la  fin  de 
t  jus  les  nôtres  dans  les  soins  que  uous 
avons  pris  durant  cette  quarantaine  de  pré- 
parer les  chrétiens  à  en  recevoir  les  fruits. 

C'est  donc  la,  mes  frères,  le  but  que  je  me 
suis  proposé  comme  ministre  du  Seigneur: 
Que  le  corps  du  péché  soit  détruit  :  Ut  de- 
slruatur corpus  peccati  ;  et  voici  le  comble 
de  mes  désirs,  que  désormais  nous  n'en 
soyons  plus  les  enclaves  :  Ut  ultra  non  ser- 
viamus peccato.  Seigneur,  soutenez-nous  dans 
ce  travail,  par  une  grâce  toujours  nouvelle, 
sans  laquelle  nous  ne  pouvons  rien,  afin 
que  la  justice  s'établisse  en  no  s.  Faites  que 
nous  vivions  comme  des  pèlerins,  qui  ne 
fout  que  passer  pour  aller  à  l'héritage  éter- 
nel; faites  que  nous  travaillions  comme  des 
jardiniers,  qui  n'ont  en  vue  que  la  récolle  et 
la  moisson  des  biens  éternels  ;  faites  que 
notre  esprit  et  notre  cœur  n'aient  de  mou- 
vement que  pour  vous,  c'est  ce  que  je  vous 
souhaite.  Ainsi  s  oit-il. 

SERMON 

POUR    LE    MARDI    DE    PAQl  l.S. 

Sur  les   conversations. 

Qui  suai  ui  senuones  quos  couler  us  ad  iu  iceui  amod- 
iantes? 

Ve  quoi  vous  cntretciiei-tous  dans  le  chemin  (Luc  , 
XXIV,  17)? 

Voici,  mes  frères,  une  rencontre  de  deux 
disciples  du  Sauveur  très-propre  à  nous  faire 
connaître  le  danger  des  conversations  hu- 
maines, et  le  péril  où  l'on  est  exposé  même 
dans  celle  des  personnes  qui  paraissent  être 
réglées  dans  leur  vie  et  avoir  quelque  p  I  le 
dans  leurs  sentiments.  Ces  deux  disciples 
avaient  connu  Jésus  Christ  pour  ce  qu'il 
était;  ils  avaient  été  témoins  de  ses  miracles, 
ils  avaient  entendu  ses  discours,  cl  il  parait 
par  la  manière  dont  ils  en  parlent  qu'ils 
avaient  beaucoup  d'estime  pour  sa  personne  : 
Qui  fuit  vir  propheta  polcns  in  opère  et  ser- 
mone  coratn  Deo  et  omni  populo;  car  ils 
avouent  qu'ils  l'ont  connu  pour  uu  prophète, 
puissant  en  œuvres  et  en  paroles  devaut  Dieu 
cl  devant  tout  le  peuple. 

Cependant,  mes  frères,  commençant  à  dou 
1er  de  tout  ce  qu'ils  avaient  pense  de  lui  jus- 
qu'à cette  heure,  par  la  vue  de  sou  supplice 
dout  ils  avaient  ele  es  témoins,  ils  a>. lient 
quitte  Jérusalem,  presque  sans  espérauce  de 
le  voir  triompher  ues  ennemis  qui  l'avaient 
accablé,  et  se  confirmant  l'un  l'autre  par 
leurs  discours  daus  lu  doute  où  ils  étaient, 


685 


SERMON  POUR  LE  MARDI  DE  PAQUES. 


CSCi 


ils  allaient  achever  de  perdre  ce  qui  leur 
restait  d'espérance,  si  le  Fils  de  Dieu  ne  fût 
venu  pour  rompre  cette  conversation  et  sou- 
tenir celte  espérance  qui  allait  périr. 

Or,  ce  qui  est  presque  arrivé  à  des  per- 
sonnes si  bien  disposées,  arrive  certainement 
tous  les  jours  à  celles  qui  ne  le  sont  pas  si 
bien.  Les  instruclions  que  l'on  nous  a  don- 
nées dans  ces  jours  saints  s'oublient;  les 
grâces  que  nous  y  avons  reçues  se  perdent, 
et  les  mesures  que  nous  avions  prises  pour 
notre  salut  sont  renversées  dans  les  conver- 
sations du  monde,  où  nous  nous  engageons 
aussitôt  après  avoir  participé  aux  plus  saints 
mystères  de  la  religion  ;  et  si  le  Sauveur  du 
monde  nous  suivait  pour  nous  demander, 
comme  à  ses  disciples,  quelle  est  la  matière 
de  nos  conversations  :  Qui  sunt  hi  sermones 
quos  confertis  ad  invicem?  nous  rougirions 
de  honte  en  voyant  le  peu  de  rapport  qu'il  y 
a  entre  nos  discours  et  les  protestations  que 
nous  venons  de  faire  à  Dieu. 

Je  voudrais  donc,  à  l'occasion  de  ce  que 
nous  lisons  dans  l'Evangile,  m'appliquer  à 
régler  les  conversations  des  hommes,  pour 
fermer,  s'il  est  possible,  à  la  perte  de  la  grâce 
et  à  la  ruine  du  salut  des  chrétiens,  celte 
grande  voie  ouverte  à  l'une  et  à  l'autre  ;  mais 
il  faut,  avant  que  de  marquer  les  remèdes  à 
un  mal,  faire  connaître  le  mal  même  dans  sa 
nature,  et  le  péril  où  il  nous  expose  pour 
donner  plus  d'estime  du  remède  :  c'est  ce  que 
je  vais  faire  dans  les  deux  parties  de  ce  dis- 
cours. 

Dans  la  première  je  vous  découvrirai  le 
danger  des  conversations  humaines  :  pre- 
mière partie;  dans  la  seconde  j'essayerai  de 
vous  donner  des  mesures  pour  les  régler  : 
secon.le  partie. 

Voilà  l'idée  de  ce  discours  :  demandons  le 
secours  du  ciel  par  l'inlercession  de  Marie. 
Ave,  Maria. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Il  paraît  assez  difficile  de  donner  une-idée 
bien  juste  de  tous  les  dangers  où  le  chrétien 
est  exposé  dans  les  conversations  des  hom- 
mes ;  <ar  si  la  langue  qui  les  entretient,  se- 
lon le  langage  de  l'Ecriture,  est  un  feu  et  un 
monde  d'iniquité,  comme  parle  saint  Jacques, 
qui  pourrait  entreprendre  de'moutrer  par  le 
détail  tous  les  pièges  qui  y  sont  tendus  à 
l'innocence,  ou  qui  pourrait  entrer  dans  ce 
feu  pour  aller  chercher  dans  sa  source  tous 
les  cnihrase<:;eul.s  qu'il  est  capable  de  cau- 
ser? C'est  cependant  ce  que  je  me  suis  engagé 
de  faire  dans  la  première  partie  de  ce  dis- 
cours; et  comme  un  homme  passerait  en 
quelque  sorte  pour  avoir  découvert  à  lin 
autre  tous  les  dangers  qu'il  peut  courir,  s'il 
lui  avait  montré  celui  où  il  serait  exposé  de 
perdre  ce  qu'il  a  de  plus  cher  au  monde,  je 
crois,  mes  frères,  que  vous  regardcicz  celte 
matière  remplie  si  je  vous  fais  voir  que  le 
s,  lui  est  en  grand  danger  dans  les  conversa- 
lions  des  hommes,  puisque  non -seulement 
C  <'8l  ce  que  le  chrétien  a  de  plus  cher,  mais 
même  il  est  vrai  que  c'est  la  seule  chose  qui 
le  soit  véritablement  pour  lui. 


Or  voici  comme  parle  l'Ecriture  :  Veillez 
sur  vous-mêmes  et  prenez  bien  garde  à  ce 
que  vous  entendrez  dire,  car  il  y  va  de  votre 
perte.  Voilà  la  première  idée  que  uous  de- 
vons prendre  du  danger  où  les  conversations 
nous  exposent  pour  le  salut;  mais  cuirons 
dans  la  preuve  de  cette  proposition.  Deux 
choses  sont  essentielles  pour  le  salut  du  chré- 
tien :  la  foi  et  les  œuvres,  c'est-à-dire  la  con- 
naissance des  vérités  et  la  pratique  des  ver- 
tus. L'idée  du  salut  est  celle  d'un  certain  état 
de  justice,  de  sainteté  et  de  rectitude  dans  la 
vie  présente,  qui  nous  conduit  à  la  vie  future 
et  bienheureuse;  car  pour  faire  notre  salut 
et  marcher  dans  les  voies  qui  nous  mènent  à 
cette  éternité  bienheureuse,  il  faut  que  nous 
soyons  éclairés  par  la  foi  sur  les  vérités  de 
la  religion;  il  faut  que  nous  connaissions 
Dieu  et  que  nous  ayons  les  sentiments  qu'un 
chrétien  doit  avoir  de  sa  majesté,  de  sa  mi- 
séricorde et  de  sa  justice;  il  faut  que  nous 
soyons  assurés  de  la  gloire  future  parla  foi, 
et  que  par  la  même  foi  nous  ayons  une  idée 
certaine  des  châtiments  éternels;  il  faut  que 
nous  connaissions  la  dignité  de  nos  mystères, 
ce  qu'il  y  a  de  grand  dans  la  religion,  et 
ce  qui  esl  capable  de  nous  maintenir  dans 
les  sentiments  d'estime  et  de  vénération  que 
nous  devons  avoir  pour  tout  ce  qui  mérite 
nos  hommages. 

Mais  outre  ces  connaissances,  il  faut  encore 
que  nous  marchions  dans  les  voies  que  Dieu 
nous  a  marquées  par  Jésus-Christ  pour  arri- 
ver à  cette  gloire  éternelle  et  nous  rendre 
dignes  de  la  félicité  qu'il  nous  prépare.  Il  faut 
que  nous  entrions  dans  les  praliques  dont  le 
Sauveur  nous  est  venu  donner  l'exemple, 
que  nous  ayons  une  grande  estime  de  toutes 
les  maximes  de  l'Evangile  qu'il  nous  a  ensei- 
gnées, et  que  nous  donnions  des  marques  de 
celte  estime  par  une  exacte  fidélité  à  les  pra« 
tiquer  et  à  les  suivre. 

Voilà  le  chemin  du  salut,  mes  frères,  et 
c'est  ce  que  nous  sommes  toujours  en  dan- 
ger de  perdre  dans  les*  conversations  des 
hommes;  car  elles  ne  sont  propres  qu'à  effa- 
cer de  notre  esprit  l'idée  des  choses  éternel- 
les, pour  le  remplir  de  celles  de  la  terre  et 
de  toutes  les  choses  périssables.  Elles  ne 
sont  propres  qu'à  nous  détourner  des  vues 
qui  conduisent  à  Dieu,  et  à  nous  mettre  dans 
«elles  du  monde  qui  n  tus  égarent  et  qui  nous 
perdent  enfin.  Voilà,  mes  frères,  le  danger 
où  le  salut  du  chrétien  esl  exposé  dans  les 
conversations  des  hommes,  et  voici  sur  quoi 
j'établis  ce  que  j'avance;  c'est  sur  le  sujet 
de  ces  conversations  :  j'y  considère  les  qua- 
lités de  ceux  qui  les  forment,  la  matière  qui 
les  nourrit;  les  impressions  qu'elles  fout,  les 
suites  terribles  qu'on  en  voit.     • 

En  effet,  ccu\  qui  forment  les  conversa- 
tions ordinaires  sont  les  hommes  qui  s'as- 
semlileni  et  qui  ne  s'associent  que  pour  pas- 
ser le  temps.  Or  presque  tous  les  hommes 
sont  corrompus;  car  il  ne  faut  pas  se  flatter, 
nous  ne  sooimes  distingués  en  cela  les  uns 
des  antres  que  par  le  plus  ou  le  moins. 

Il  y  a  des  gens  plongés  dans  la  corruption 
et  dans  une  perversité  déclarée,  scandaleuse, 


C37 


OKATEUtS  SACHES.  DOM  JEROME. 


GS8 


sale,  déshonnêtc;  qu'on  ne  reçoit  point  ou 
qu'on  ne  reçoit  que  très-rarement  chez  soi, 
et  qui  ne  font  société  qu'avec  des  gens  per- 
dus comme  eux.  Je  ne  parla  pas  de  ceux-là, 
ils  m'  sont  presque  plus  dangereux  à  force 
d'être  méchants. 

Il  y  a  d'honnêtes  libertins  qui,  ne  faisant 
rien  de  tout  ce  qui  peut  scandaliser  ou  ternir 
leur  réputation  parmi  les  hommes,  n'omet- 
tent rien  de  tout  ce  qui  est  propre  à  nourrir 
l'amour  du  monde  dans  leur  cœur,  et  à  le 
fortifier  dans  celui  des  autres  où  il  est  formé, 
qui  ne  suivent  dans  leur  conduite  et  qui  n'ap- 
prouvent point  d'autres  règles  que  les  maxi- 
mes que  le  monde  enseigne,  qui  ne  se  pro- 
posent point  d'autres  biens  que  ceux  qu'il 
donne,  et  de  qui  toute  la  vie  roule  autour 
d'un  cercle,  formé  par  le  soin  de  leur  per- 
sonne, de  leur  fortune  et  de  leurs  plaisirs. 

Il  y  a  d'autres  gens  qui  |  ensenl  à  Dieu  et 
à  leur  salut  au  milieu  du  monde  où  ils  sont 
engagés,  mais  qui  ont  des  idés  si  resserrées, 
si  petites  de  la  majesté  de  Dieu,  de  la  gran- 
deur de  la  religion  et  de  l'immensité  des  cho- 
ses éternelles,  et  au  contraire  tant  d'estime 
de  tout  ce  qui  est  autour  d'eux  et  des  choses 
qui  tombent  sous  les  sens,  que  le  monde 
l'emporte  souvent  sur  Dieu,  et  qu'il  est  rare 
que  quelqu'un  d'entre  eux  ait  assez  de  foi 
pour  sacrifier  ses  affaires  à  son  salut  quand 
il  le  faut. 

11  y  en  a  d'autres  qui  ont  de  grandes  idées 
de  l'éternité,  de  la  majesté  de  Dieu,  de  la  di- 
gnité de  la  religion,  et  qui  ont  même  embras- 
sé une  conduite  réglée  sur  ces  idées,  mais 
qui,  soit  par  un  reste  d'amour  pour  ce  qu'ils 
ont  quitté,  soit  par  une  complaisance  natu- 
relle pour  ce  qu'ils  voient,  soit  par  un  défaut 
de  lumières  sur  l'étendue  de  leurs  obliga- 
tions, soit  par  un  cerlaiu  fonds  de  faiblesse 
qui  nous  rend  faciles,  n'ayant  pas  l'amour 
du  monde  dans  le  cœur,  en  conservent  le 
langage,  et  n'en  rejettent  pas  si  absolument 
toutes  les  manières,  qu'il  n'en  reste  encore 
quelque  chose  dans  leur  conduite  :  ce  qui 
nous  fait  voir  qu'il  y  a  de  la  corruption  dans 
tous  les  hommes,  plus  ou  moins  à  la  vérité, 
selon  que  l'amour  du  monde  y  est  plus  ou 
moins  fort;  et  c'est  ce  qu'il  est  aisé  de  recon- 
naître par  les  différentes  espèces  d'hommes 
que  je  viens  de  marquer  qui  renferment  tous 
ceux  qui  composent  le  monde.  Les  uns  ne 
respectent  ni  Dieu,  ni  le  monde  :  je  les  ai 
appelés  des  hommes  plongés  dans  la  cor- 
ruption ;  les  autres  ménagent  le  monde,  mais 
ils  abandonnent  Dieu  :  je  les  ai  nommés 
d'honnêtes  libertins;  une  troisième  espèce 
mêle  Dieu  avec  le  monde  et  se  perd  par  la 
voie  commune,  et  d'autres  enfin  mêlent  un 
peu  le  monde  avec  Dieu,  et,  en  comparaison 
du  reste  des  hommes,  on  peut  les  appeler 
bons,  mais  imparfaitement.  Voilà  ceux  qui 
forment  les  conversations  dans  le  momie  : 
unissons-les  maintenant  ensemble,  cl  voyons 
quelle  sera  la  matière  des  conversations 
qu'ils  formeront 

Chacun  y  fournil  selon  sa  propre  inclina- 
lion,  clou  parle  ordinairement  *ie  ce  qu'on 
itiuie.  Je  n'y  comprendrai  pas,  si  vous  voulez, 


ceux  qui  sont  plongés  dans  la  corruption, 
ils  ionl  hors  de  commerce  parleurs  Iniquité*, 
et  ils  n'entrent  que  par  hasard  dans  la  con- 
versation de  ceux  qui  gardent  encore  quel- 
ques mesures. 

Mais  voyons  ce  que  fournira  un  homme 
qui  ménage  le  monde  et  qui  abandonne 
Dieu  :  un  honnête  libertin,  comme  nous 
l'avons  appelé.  Il  ne  parlera  que  de  joie, 
que  de  plaisirs,  que  de  divertissements.  Il 
racontera  ce  qui  lui  est  arrivé  dans  le  jeu, 
aux  spectacles  où  il  s'est  trouvé,  dans  une 
honnête  débauche  qu'il  a  faite.  Il  élèvera  ses 
plaisirs,  il  y  découvrira  mille  charmes  et  mille 
satisfactions  qu'il  croit  y  avoir  goûtées,  par 
l'envie  qu'il  a  de  les  y  trouver,  et  qui  n'y 
sont  pas  véritablement.  Il  justifiera  les  plus 
grands  vices,  et  fera  passer  tous  les  médio- 
cres pour  des  vertus.  11  exagérera  la  magni- 
ficence d'un  homme  qui  se  ruine  et  qui 
abime  les  autres  pour  paraître.  Il  donnera 
de  grandes  louanges  à  l'orgueil  de  celui  qui 
ne  veut  entendre  à  aucun  accommodement 
après  une  injure  reçue,  et  qui  ne  se  soucie 
pas  de  se  perdre,  pourvu  qu'il  se  venge,  de 
son  ennemi. 

Un  autre,  un  peu  plus  modéré  et  qui  mêle 
Dieu  avec  le  monde,  blâmera  peut-être  les 
emportements  de  celui-ci,  et,  après  avoir 
reproché  la  folie  des  jeunes  gens,  il  le  pren- 
dra du  côté  de  la  dépense  à  laquelle  tous  les 
travaux  d'un  père  ne  sauraient  suffire.  11  se 
plaindra  de  voir  perdre  mal  à  propos  ce 
qu'on  a  amassé  avec  beaucoup  de  peine,  et, 
se  jetant  sur  la  misère  du  temps,  sur  la  ruine 
des  affaires,  sur  l'incertitude  et  l'embarras 
où  l'on  est  dans  les  mesures  qu'on  doit  pren- 
dre pour  s'établir  et  pour  assurer  son  bien, 
il  exagérera  la  félicité  prétendue  d'un  temps 
qui  n'est  plus,  et,  se  plaignant  de  la  calamité 
du  sien,  il  n'intéressera  Dieu  dans  son  dis- 
cours que  pour  lui  demander  raison  des  in- 
justices qu'il  prétend  avoir  reçues,  et  pour 
se  garantir  des  misères  qu'il  appréheude  ; 
comme  s'il  n'y  avait  point  d'autres  biens  que 
ceux  de  la  terre,  et  qu'on  ne  pût  êire  heu- 
reux qu'eu  les  possédant  avec  abondance  et 
en  repos.  Cependant  celui  qui  a  de  grandes 
idées  de  Dieu  et  ùe  l'éternité  souffre  dans  ces 
conversations  :  il  n'ose  pas  attaquer  ces  sor- 
tes de  personnes,  car  il  y  a  des  mesures  à 
garder,  et  même  pour  réussir  il  faut  dans  les 
conversations  du  monde  parler  peu  de  Dieu, 
et  le  faire  bien  à  propos.  Ainsi,  mes  lrères, 
dans  ces  occasions  un  homme  de  bien  sourit 
modestement  des  folies  qu'il  entend  dire  à  un 
honnête  libertin.  Il  tombera  d'accord  qu'il 
faut  que  la  jeunesse  se  passe,  et  comme, 
dans  la  multitude  des  choses  qu'il  aura  dites, 
il  y  eu  aura  quelques-unes  plus  raisonnables 
que  les  autres,  il  lui  applaudira  par  honnê- 
teté ;  il  compatira  aux  plaintes  de  celui  qui 
paraît  plus  raisonnable.  L'intérêt  qu'il  peut 
avoir  dans  les  perles  dont  il  se  plaiul  le  ren- 
dant plus  sensible  à  ce  qu'il  dit,  il  entrera 
dans  ses  sentiments,  et.  \oulanl  compatir  a 
son  état  pour  le  gagner,  il  racontera  des 
pertes  qu'il  a  souffertes  lui-même,  par  des 
injustices  qu'où  lui  a  faites  ;  ensuite,  se  sou- 


f,89 


SERMON  POUR  LE 


venant  de  sa  profession  et  du  conseil  d'un 
grand  saint  du  dernier  siècle,  qui  veut  que 
nous  entrions  dans  les  conversations  des  gens 
du  inonde  par  leur  porte,  pour  en  sortir  par 
la  nôtre,  c'est-à-dire  que  nous  parlions  un 
peu  comme  eux,  pour  les  porter  à  penser 
comme  nous  ;  en  voulant  contribuer  adroi- 
tement à  abattre  l'esprit  de  celui  qui  est 
élevé  par  son  grand  amour  pour  le  monde, 
et  relever  d'autre  part  le  courage  de  celui 
qui  est  abattu  par  un  autre  effet  du  même 
amour,  il  prend  occasion  de  parler  de  Dieu  à 
l'un  et  à  l'autre,  remontrant  à  l'un  que  tout 
ce  qu'il  estime  si  fort  n'est  rien,  et  à  l'autre 
que  la  perte  île  sa  fortune  bien  ménagée  peut 
être  le  prix  d'une  bienheureuse  éternité. 

11  est  vrai  qu'il  arrive  presque  toujours 
que  le  libertin  tourne  le  mot  de  piété  eu 
raillerie,  et  qu'il  oppose  d'une  manière  plai- 
sante et  agréable  les  maximes  qu'il  veut 
suivre  à  celles  qu'on  lui  veut  enseigner,  et 
que  l'autre,  écoutant  ce  qu'on  lui  dit  avec 
un  peu  plus  de  respect  en  apparence,  en  re- 
jette la  pratique  sur  ceux  qui  n'ont  ni  famille 
ni  engagements.  C'est  ce  qui  fait  qu'il  faut 
beaucoup  de  sagesse,  de  douceur,  de  discer- 
nement et  de  prudence  pour  parler  dans  les 
conversations  du  monde  sans  blesser  sa 
conscience.  Qu'arrive-t-il  donc  ordinaire- 
ment dans  les  conversations,  à  les  regarder 
parla  matière  qui  les  nourrit?  que  Dieu  y 
est  oublié  et  qu'on  en  sort  l'esprit  tout  appli- 
qué aux  choses  du  monde.  On  peut  dire  que 
dans  ces  entretiens  on  ne  forme  que  des  cons- 
pirations contre  le  salut. 

Ce  sont  des  nuées  noires  qui  se  rassem- 
blent pour  former  un  orage  qui  inonde  la 
terre,  et  qui  y  fait  de  terribles  désordres. 
Vous  le  verrez  encore  plus  évidemment  si 
vous  voulez  vous  appliquer  à  reconnaître 
quelles  sont  les  impressions  que  ces  conver- 
sations font  dans  le  cuur.  Pour  cela  il  faut 
se  souvenir  que  nous  sommes  tous  corrom- 
pus et  qu'il  n'y  a  de  distinction  entre  nous, 
comme  nous  venons  de  dire,  que  par  le  plus 
ou  le  moins  de  ce  fonds  de  corruption  qui 
est  en  nous,  appelé  concupiscence  par  les 
théologiens,  qui  n'est,  à  proprement  parler, 
qu'une  forte  disposition  à  aimer  le  monde. 
Tout  ce  qui  est  du  inonde  est  si  puissant,  que, 
malgré  la  grâce  qui  nous  fait  chrétiens,  nos 
désirs  nous  tournent  du  côté  du  monde,  et  il 
faut  se  faire  de  grands  et  de  continuels  ef- 
forts pour  n'être  pas  emportes  par  celte  in- 
clination. 

Jugez  donc,  mes  frères,  ce  que  peuvent 
faire  dans  des  âmes  ainsi  disposées  des  dis- 
cours où  le  monde  est  toujours  représenté 
comme  agréable,  où  ses  biens  sont  élevés 
comme  les  seuls  qui  peuvent  nous  satisfaire, 
où  ses  maximes  sont  approuvées  comme 
celles  qui  conduisent,  par  les  voies  de  l'hon- 
neur, de  la  raison  et  du  bon  sens,  à  l'estime 
de  tous  les  gens  qu'on  considère  et  qui  font 
le  mérite  des  autres  p;ir  leur  approbation. 
Non.  nos  poumons  n'attirent  pas  plus  natu- 
rellement l'air  qui  nous  fait  vivre,  que  la 
corruption  qui  est  en  nous  n'attire  toute  cette 
autre  corruption  qui  la  fortifie.  C'est  ce  que 


MARDI  DE  PAQUES.  60') 

saint  Augustin  exprime  quand  il  dit  que 
nous  sommes  nés  avec  des  mauvais  désirs, 
mais  qu'en  les  fortifiant  nous  en  faisons  de 
mauvaises  habitudes  :  ainsi  celui  qui  est  né 
avec  le  désir  de  la  vengeance  écoute  avec 
grand  plaisir  ce  qu'on  dit  à  la  gloire  d'un 
homme  qui  a  su  faire  sentir  les  effets  de  sa 
colère  à  un  ennemi,  qui  a  tiré  raison  d'une 
injure  avec  éclat,  et  qui  a  porté  son  ressen- 
timent jusqu'aux  derniers  excès. 

Cet  autre,  qui  est  né  avec  le  désir  de  l'a- 
varice, écoute  avec  une  grande  attention  ce 
qui  se  dit  à  l'avantage  d'un  homme  qui  s'est 
enrichi  aux  dépens  du  peuple;  il  apprend  à 
n'avoir  point  d'horreur  des  voies  injustes  et 
cruelles,  par  lesquelles  il  est  arrivé  à  celte 
grande  opulence  qui  fait  envie,  à  ces  illustres 
alliances  qu'on  respecte,  et  qui  produisent 
cette  magnificence  dont  on  est  ébloui,  et  cette 
fortune  enfin  que  chacun  admire. 

Celui-ci.  qui  est  né  avec  des  dispositions 
éloignées  de  la  religion,  s'attache  aux  ma- 
nières dont  on  essaie  de  rendre  suspectes  les 
vérités  du  christianisme,  aux  questions  que 
le  libertinage  propose  sur  nos  principes,  aux 
railleries  qu'il  fait  de  nos  maximes,  et  à  cet 
art  pernicieux  de  décrier  toute  la  piété  chré- 
tienne en  découvrant  les  ruses  de  l'hypocri- 
sie et  les  intrigues  de  la  fausse  dévotion. 
Ainsi  les  uns  et  les  autres  avalent  le  poison 
qui  les  lue;  et,  celle  corruption  étrangère 
étant  jointe  à  la  corruption  naturelle  qui 
s'est  trouvée  en  eux,  il  arrive  que  des  ma- 
lades qu'on  aurait  pu  guérir  deviennent  des 
furieux  qu'on  ne  peut  plus  vaincre.  Quel- 
quefois une  honte  naturelle,  un  reste  de  re- 
ligion font  qu'on  s'oppose  aux  fausses  maxi- 
mes qu'on  entend,  que  l'on  donne  à  penser, 
par  quelques  petits  reproches,  que  l'on  veut 
réprimer  la  liberté  de  celui  qui  parle,  et 
qu'on  relève  ce  qu'aura  dit  un  homme 
de  bien  pour  combattre  cette  corruption  ; 
mais  il  arrive  souvent  que  ces  oppositions 
sont  des  ruses  secrètes  d'un  cœur  tout  plein 
d'une  curiosité  criminelle,  qui  fait  semblant 
de  ne  pas  vouloir  entendre  ce  qu'il  serait 
bien  fâché  de  n'entendre  pas,  et  qui  ne  con- 
tredit en  apparence  que  pour  irriter  et  ex- 
citer en  effet  à  en  dire  davantage.  C'est  une 
adresse  de  notre  corruption  naturelle  qui, 
pour  recevoir  le  venin  avec  assurance,  fait 
semblant  de  le  rejeter,  et  qui  ne  se  met  du 
côté  d'un  homme  de  bien  pour  relever  ce 
qu'il  aura  dit,  que  dans  l'envie  de  le  voir  ré- 
futé plus  fortement,  afin  d'avoir  par  là  moins 
à  se  reprocher,  et  de  recevoir  ainsi  avec 
quelque  tranquillité  ce  qu'on  n'a  d'abord 
entendu  proposer  qu'avec  quelque  espèce  de 
trouble. 

Kaul-il  maintenant  vous  montrer  les  suites 
de  ces  dangereuses  conversations  ?  Elles  sont, 
mes  frères,  de  faire  oublier  Dieu,  qu'on  ne 
connaissait  déjà  guère,  de  faire  triompher 
l'amour  du  monde,  qu'on  écoutait  déjà  avec 
plaisir,  de  donner  de  l'éloignement  pour  la 
sainteté,  dont  les  voies  paraissaient  déjà  ru- 
des, d'inspirer  de  l'ardeur  pour  la  corruption, 
dont  on  trouvait  déjà  les  maximes  fort  agréa- 
bles, de  s'abandonner  aux  passions  eu  re- 


Gf)l 


ORATFURS  SACRES.  I>OM  JFROVF. 


C"9 


nonçant  A  la  vertu,  enfin  dp  l'engager  dans 
le  (lien. in  de  la  morl,  en  quittatll  celui  delà 
rie  bienheiireiire.  C'esl  ce  qu'on  doit  con- 
clure de  loul  ce  que  nous  vnonsde  dire  des 
personnes  qui  lormeiil  les  conversations, 
des  matières  qui  les  nourrissent,  des  impres- 
sions qu'elles  ronltlai  s  le  ni'iir;  et  a  regar- 
der toutes  ces  choses  ensemble,  on  peut  dire 
que  les  conversations  sont  des  sociétés  où 
les  enlanls  d'Adam  se  présentent  les  uns  aux 
autres  le  poison  qui  tel  tait  mourir. 

Qu'allait-il  arriver  à  ces  deu\  disciples  de 
notre  évangile,  que  le  supplice  du  Sauveur 
avait  également  prévenus  contre  sa  puis- 
sance, qui,  se  fortifiant  l'un  l'autre  dans  lo 
doute  où  ils  étaient  de  la  vérité  de  ses  pro- 
messes, par  les  réllexi  >ns  qu'ils  taisaient 
mutuellement,  allaient  s'aider  à  renoncer 
entièrement  à  celui  en  qui  ils  n'espéraient 
déjà  plus?  Semblables  à  ceux  qui  pérwsfeBC 
dans  un  naufrage  commun,  qui  ne  s'embras- 
sent les  uns  les  autres  que  pour  s'entr'aider 
à  se  noyer,  et  ne  s'unissent  de  sentiment  que 
pour  se  perdre,  si  celui  qui  venait  de  mou- 
rir pour  eux  ne  se  lût  présenté  pour  les  re- 
tirer de  ce  péril  où  leurs  conversations  les 
avaient  engagés,  où  en  étaient-ils?  Domine, 
salva  nos,  perimus.  Ah!  Seigneur,  sauvez- 
nous,  car  nous  nous  aidons  les  uns  les  au- 
tres à  nous  faire  périr. 

Après  cela  devons-nous  nous  étonner  de 
voir  le  divin  Précurseur  abandonner  sa  fa- 
mille pour  se  retirer  dans  le  désert,  et  se  sé- 
parer de  la  compagnie  des  saints  mêmes? 
Mais  puisqu'on  est  en  péril  partout,  il  fau- 
drait conclure  qu'il  n'y  a  de  sûreté  que  dans 
la  retraite,  et  qu'il  faut  abandonner  Je 
monde  pour  vivre  dans  la  solitude.  Cepen- 
dant nous  parlons  à  des  gens  qui  y  sont  re- 
tenus par  des  engagements  qu'on  ne  peut  et 
qu'on  ne  doit  pas  rompre.  Essayons  donc, 
dans  le  peu  de  temps  qui  reste,  de  donner 
des  règles  pour  sanctifier  les  conversations 
autant  qu'il  est  possible  dans  l'état  de  mi- 
sère et  d'infirmité  où  nous  sommes  :  c'est  mon 
second  point. 

SECONDE    PARTIE. 

Il  ne  faudrait  pas  seulement  un  discours, 
mais  il  en  faudrait  plusieurs  pour  marquer 
toutes  les  règles  qu'il  serait  nécessaire  d'ob- 
server pour  sanctifier  les  conversations  des 
hommes  ;  ce  dessein  renfermerait  même  tant 
de  choses,  qu'il  serait  imposable  de  l'exé- 
cuter; car,  outre  qu'il  faudrait  changer  le 
cœur  de  l'homme  pour  réussir  parfaitement 
dans  cette  entreprise,  il  faudrait  ôter  de  son 
esprit  mille  idées  fausses  sur  lesquelles  il 
forme  son  jugement,  pour  lui  en  donner  de 
véritables,  propres  à  régler  ses  pensées  et  à 
rendre  ses  expressions  justes,  te  qui  est  un 
ouvrage  infini. 

Je  ne  puis  entreprendre  de  traiter  toute 
cet'e  mal  ère  dans  le  peu  de  temps  qui  ne 
rosiq,:  néanmoins,  pour' ne  pas  vous  laisser 
entièrement  sans  remède,  après  TOUS  avoir 
découvert  tanl  de  maux,  je  rais  réduire  les 
conversation!  à  troii  espèces,  et  vous  expo- 
ser les  rè^.cs  qu'on  y  doit   garder   pour  les 


rendre  chrétiennes  et  «ainfes,  autant  qu'il 
csi  possible,  dans  l'étal  d'infirmité  OU  nous 
sommes. 

I. a  première  csnèee,  je  l'appelle  une  con- 
versation domestique,  qu'on  ne  peut  éviter, 
et  dans  laquelle  on  eM  engagé  par  la  nalure: 
celle-ci  se  renferme  dans  le  domestique  avec 
qui  on  vil  et  dans  sa  famille.  !'ar  rapporta 
ce  genre  de  vie,  il  faut  que  les  i  fa- 

mille veillent  à  ce  qu'il  ne  se  passe  rien 
contre  la  gloire  de  Dieu.  la  digù%l>  de  la  re- 
ligion et  les  devoirs  de  la  soc  été;  qu'i!s  ré- 
priment fortement  tout  ce  qui  pourra  y  don- 
ner atteinte:  ce  point-ci  est  capital. 

Il  faut  qu'ils  se  règlent  eux-mêmes  de  telle 
manière  qu'ils  soient  justes  devant  Dieu,  ne 
faisant  ni  ne  disant  rien  qui  l'offense,  et 
qu'ils  soient  ir.éprochablcs  à  l'égard  du 
prochain,  ne  la  saut  de  même  ni  ne  disant 
rien  qui  puisse  le  blesser.  Il  faut,  pour  se 
sanctifier  dans  les  conversations  domesti- 
ques, conserver  la  paix,  et  que  chacun  y 
fournisse  du  sien,  en  se  supportant  les  uns 
les  antres.  Il  faut  semer  dans  P'sprit  des 
hommes,  comme  on  sème  dans  les  champs: 
on  ne  cultive  que  pour  moissonner. 

La  nécessité  d'élre  toujours  ensemble 
nous  fait  remarquer  des  défauts  qui  nous  re- 
butent, et  la  dépendance  mutuelle  où  l'on 
esiles  uns  des  autres  nous  fait  ressentir  des 
imperfections  qui  nous  incommodent.  Di  fi- 
cilement  se  peut-on  plaire  les  uns  aux  au- 
tres quand  on  se  \oil  toujours.  Il  est  a 
peu  de  grands  hommes  de  près,  et  il  n*J 
guère  de  mérite  qui  tienne  contre  une  lon- 
gue familiarité.  La  diversité  des  tempéra- 
ments ei  la  contrariété  des  humeurs  font 
naître  des  antipathies  qui  troublent  la  pai\ 
et  qui  sont  capables  d'entretenir  une  guerre 
perpétuelle  dans  la  société  qu'on  ne  peut 
rompre,  il  faut  donc  alors  pratiquer  le  con- 
seil de  l'Apôtre:  Supportez-vous  les  uns  les 
autres:  AUer alterius  onemportatr.  Un  tem- 
pérament de  fru  doit  supporter  avec  patience 
les  lenteurs  d'un  tempéra  i  eut  foid.et  celui- 
ci  les  ardeurs  et  les  impétuosités  de  l'autre. 
Celte  variété  fait  une  espèce  d'harmonie, 
dans  laquelle  une  Camille  trouve  son  avan- 
tage: car  chaque  tempérament  a  sa  bonté 
propre  et  rend  des  offices  différents  qui  font 
son  bien,  outre  que  cette  opposition  nous 
ouvre  une  voie  pour  le  salut.  Car  chacun 
soutire  l'un  de  l'autre,  et  c'est  en  souffrant 
qu'on  se  sanctifie.  Enfin  il  faut  souffrir  plus 
voloniiers  de  ceux  qui  sont  dans  quelque 
sorte  de  supériorité  à  notre  égard,  comme 
les  enfants  de  leur  père.  La  vieillesse,  qui 
est  vénérable  d'une  part,  a  d'ailleurs  îles 
chagrins  qui  forment  de  grands  désagréments 
dans  la  conversation  ordinaire:  mais,  mes 
frères,  il  faut  se  souvenir,  dans  de  sembla- 
bles occasions,  que  vous  avez  reçu  la  vie  de 
ceux  de  qui  la  société  vous  parait  incom- 
mode et,  ce  qui  est  en  un  sens  plus  considé- 
rable, l'éducation,  surtout  si  elle  a  ete  bonne: 
que  vous  en  attendez  les  liens,  et  qu'avant 
essuyé  tontes  les  faiblesses  de  votre  enfance, 
il  esi  just  que  vous  portiez  les  incommodi- 
tés de  leur  vieille 


693 


SERMON  POUR  LE  DIMANCHE  DE  QUASIMODO. 


694 


Enfin,  si  nous  étendons  coite  conversation 
domestique  jusqu'à  toute  la  parenté  qu'on 
voit,  il  faut  prendre  garde  que  le  titre  de  pa- 
rent ne  doit  point  servir  de   prétexte  pour 
couvrir  des  désordres  et  entretenir  des  con- 
versations dangereuses  qu'on  aurait  honte 
de  souffrir  avec  des  étrangers.  Car,  mes  frè- 
res, il  ne  faut  point  douter  que  nos  parents 
|  les  plus  proches  ne  soient   du  nombre  de 
1  ceux  qu'il  f  ;ut  abandonner,  quand  leur  so- 
ciété forme  des  obstacles   à  notre  salut.  Il 
y  faut  garder  de  la  discrétion  ;  mais  il  y  faut 
observer  beaucoup  de  fermeté.  Nos  passions 
se  mettent  souvent  en  assurance  sous  le  pré- 
texte  du  devoir,  et  l'amour  du   monde  se 
nourrit  quelquefois  dans  un  cœur  des  mou- 
vements qu'il  attribue  au  respect  et  aux  obli- 
gations de  la  piété  naturelle.  11  faut  bien  des 
lumières    pour  démêler  tous   ces  replis,  et 
beaucoup  de  force  pour  savoir  rendre  à  la 
nature  ce  qu'on  lui  doit,  sans  s'affaiblir  dans 
les  devoirs  de  la  religion  et  du  salut. 

II  y  a  une  seconde  espèce  de  conversation, 
que  j'appelle  de  hasard,  qu'on  trouve  etqu'on 
ne  cherche  point  :  c'est  celle  qui  se  forme 
sans  qu'on  y  pense,  et  qui  est  liée  par  la  ren- 
contre des  affaires,  souvent  même  avec  des 
gens  qu'on  ne  connaît  point.  Celle-ci  a  ses 
utilités  et  ses  périls.  Elle  peut  être  utile  en 
ce  qu'on  y  apprend  à  connaître  le  monde,  et 
par  les  différents  caractères  de  ceux  qu'on  y 
voit,  ons'instruit  dans  l'examen  des  maximes 
des  hommes,  et  on  apprend  à  discerner  ceux 
qu'on  doit  choisir  pour  former  une  société 
réglée,  d'avec  ceux  qu'on  doit  rejeter. 

Elle  a  ses  périls,  parce  que  quelquefois  on 
se  trouve  engage  avec  des  gens  sujets  à  quel- 
ques excès  ;  alors  il  faut,  ou  s'en  retirer  avec 
adresse,  ou  bien  résister  avec  fo'-ee,  prenant 
les  mesures  pour  n'être  plus  surpris  et  pour 
ne  s'engager  jamais  qu'avec  des  gens  qu'on 
connaisse  bien. 

Il  n'y  a  plus  qu'une  troisième  espèce  de 
conversations,  qu e  j'appelle  de  choix,  parce 
qu'elle  dépend  de  notre  élection  et  qu'elle 
n'est  formée  que  par  ceux  que  nous  choisis- 
sons nous-mêmes  pour  être  de  notre  société. 
Il  y  aurait  beaucoup  de  choses  à  dire  sur 
celle-ci,  mais  j'abrégerai. 

Il  faut  prendre  garde  à  faire  bien  le  choix 
des  personnes  avec  qui  nous  voulons  con- 
verser; car,  comme  nous  avons  dit  que  pres- 
que tous  les  hommes  étaient  corrompus,  il 
est  de  la  dernière  importance  de  choisir  ceux 
qui  le  sont  moins,  et  qui,  connaissant  d'ail- 
leurs la  part  qu'ils  ont  dans  la  corruption 
commune,  s'appliquent  fidèlement  à  la  com- 
battre. Ainsi  il  faut  éviter  les  conversations 
de  certaines  personnes  fainéantes,  qui  ne 
font  des  visites  que  pour  passer  le  temps, 
qui  se  font  une  occupation  de  leur  oisiveté, 
qui  ne  vous  voient  que  parce  qu'ils  ne  sa- 
vent que  faire,  et  qui  ne  vous  entretiennent 
jamais  que  de  bagatelles  ou  de  fausses  nou- 
velles. Ce  n'est  pas  à  ces  choses  vaines  qu'un 
chrétien  doit  donner  son  temps,  lui  à  qui 
Dieu  doit  en  demander  un  compte  si  exact  et 
si  rigoureux. 

Il  faut  rejeter  tous  les  discours  qui  peuvent 


nourrir  et  fortifier  la  corruption  qui  est  en 
nous  :  ainsi,  dit  saint  Paul,  qu'on  n'entende 
point  de  paroles  déshonnétes,  ni  folles,  ni 
bouffonnes  ;  ce  gui  ne  convient  pas  à  votre 
vocation.  Je  ne  puis  pas  étendre  ces  règles, 
comme  je  souhaiterais  de  le  faire;  mais  au 
moins,  mes  frères,  souvenez- vous  que, 
comme  il  n'y  a  rien  de  si  utile  qu'une  bonne 
conversation,  il  n'y  a  rien  de  si  dangereux 
qu'une  mauvaise.  L'esprit  et  les  sentiments 
se  forment  par  les  conversations,  et  toute  la 
vie  est  réglée  par  les  sentiments  et  par  l'es- 
prit. Les  bonnes  conversations  nous  sancti- 
fient, les  mauvaises  nous  corrompent,  et  il 
est  bien  plus  ordinaire  d'être  engagés  dans 
de  mauvaises  que  d'en  former  de  bonnes. 

Dans  cette  vue  adressons-nous  à  Dieu  pour 
lui  demander  son  secours,  à  l'exemple  de  son 
Prophète  :  S'igneur,  mettez  une  garde  à  ma 
bouche  et  une  porte  à  mes  lèvres.  En  vain  la 
prudence  humaine  s'efforcera-t-elle  de  mettre 
un  frein  à  la  langue  ;  vous  seul,  ô  mon  Dieu  l 
pouvez  nous  en  rendre  les  maîtres,  parce 
que  vous  seul  pouvez  tout  sur  le  cœur.  Votro 
doigt  seul  peut  arrêter  son  inquiétude  et  son 
impétuosité,  et  guérir  sa  corruption  et  son 
venin.  Nous  reconnaissons  donc  que  nous 
ne  pouvons  régler  nos  conversations  sans  le 
secours  de  votre  grâce,  et  que  nous  en  avons 
besoin  pour  converser  avec  les  hommes,  de 
telle  manière  que  nous  ne  soyons  pas  privés 
des  douceurs  éternelles,  que  je  vous  sou- 
haite, au  nom  du  Père,  etc.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

PODR  LE  DIMANCHE  DE  QUASIMODO. 

Sur  la  nécessité  d'être  uni  à  Jésus-Christ 
souffrant  ;  et  que  ses  plaies  sont  pour  nous 
une  source  de  vie  si  nous  les  portons  eti 
nous. 

Venit  Jesu=,  ot  stelilin  niedio,  et  dixiteis  :  Pax  vobis; 
et  ciiii)  hr  c  dixissel,  osiendil  eismanus  et  laïus. 

Jésus-Christ  vint  et  sa  mit  au  milieu  d'eux ,  et  leur  dit  : 
La  paix  soit  avec  vous  ;  et  après  avoir  dit  ces  paroles,  il  leur 
montra  ses  miits  et  son  côté  {Joan.,  XIX,  19,  2.i). 

Nous  voici,  mes  très-chers  frères,  arrivés 
à  la  conclusion  de  la  solennité  de  Pâques  et 
à  celle  de  ma  carrière.  Voici  la  sixième  ap- 
parition, la  sixième  preuve  de  la  résurrec- 
tion du  Sauveur  da  monde,  et  le  dernier  ef- 
fort que  son  amour  lui  fait  faire  pour  con- 
vaincre ses  disciples  parfaitement  de  la 
vérité  de  sa  résurrection,  en  leur  montrant 
ses  plaies  :  l'Eglise  nous  propose  cet  évan- 
gile à  la  fin  de  notre  mission,  pour  nous  ap- 
prendre qu'elle  veut  que  nous  la  fermions 
en  montrant  aux  chrétiens  les  plaies  de  Jé- 
sus-Christ, et  qu'à  la  vue  de  cet  objet  nous 
fassions  un  dernier  effort  pour  les  mettre 
dans  les  sentiments  où  ils  doivent  être  pour 
vivre  en  véritables  chrétiens,  pour  profiter 
de  la  grâce  de  la  résurrection,  et  pour  con- 
server le  droit  à  la  gloire  qu'il  nous  a  acquis 
par  sa  mort. 

C'est  pour  cela  que  je  vais  vous  montrer 
ces  plaies  sacrées,  comme  les  preuves  de  son 
amour,   comme  les  vestiges  de  ses  souffr.: 
ces,  comme  les  marques  de  son  autorité  : 
comme  les  preuves  de  son  amour,  afin  r/o 


<M5 


ORATEURS  SACRES.  J>(>M  JERO 


(;% 


elles  soient  ponr  nous  les  objets  d'un"  recon- 
naissance éternelle  ;  comme  les  vestiges  de 
ses  souffrances ,  afin  qu'elles  soient  pour 
nous  connue  des  bouches  sacrées  toujours 
ouvertes  pour  nous  parler  de  la  nécessité  de 
souffrir  avec  lui;  enfin  comme  les  marques 
de  son  autorité,  afin  qu'elles  soient  pour 
nous  un  asile  dans  nos  misères  et  une  res- 
source dans  nos  besoins. 

En  un  mot,  vivre  dans  la  reconnaissance 
pour  le  Sauveur  qui  nous  a  rachetés  :ce  sera 
le  premier  point;  vivre  dans  l'union  à  ses 
souffrances  :  ce  sera  le  second  ;  vivre  dans 
la  confiance  en  son  pouvoir  :  ce  sera  le  troi- 
sième. 

Voilà,  mes  frères,  l'essence  et  la  perfec- 
tion de  la  vie  chrétienne  :  heureux  si  je  pou- 
vais, en  finissant  ma  mission,  graver  ces 
sentiments  dans  vos  cœurs!  C'est  la  grâce 
que  je  demande  au  Saint-Esprit.  Ave,  Maria. 

PREMIKRI    PARTIE. 

Vivre  dans  la  reconnaissance  pour  Jésus- 
Christ,  c'est  un  des  premiers  devoirs  du 
chrétien,  qui  nous  est  recommandé  en  plu- 
sieurs endroits  par  l'apôtre  saint  Paul,  et 
que  nous  ne  saurions  négliger  sans  nous 
rendre  dignes  qu'il  lions  abandonne  et  qu'il 
nous  relire  toutes  ses  grâces.  Rendez  (/races 
à  Dieu  en  toutes  choses,  dit  l'Apôtre;  c'est  là 
ce  que  Dieu  veut  que  nous  fassions  tous  en 
Jésus-Christ. 

Or,  mes  frères,  le  bienfait  de  la  rédemp- 
tion doit  être  le  principal  objet  de  celte  re- 
connaissance, et  c'est  sans  doute  pour  nous 
le   marquer   que  l'Eglise  nous   propose  un 
évangile  où  le  Sauveur  du   monde  nous  dé- 
couvre ses   plaies,  par  lesquelles  il  a  opéré 
ce  grand  ouvrage,  dans  le  jour  où  elle  achève 
la  solennité  des  mystères  de  la  mort  et  de  la 
résurrection  adorable  du  Sauveur,  comme  je 
viens  de  vous  le  dire.  Il  donne  la  paix  à  ses 
apôtres,   il   leur   donne    son  esprit,  il   leur 
donne  la  puissance  de  lier  et  de  délier,  et  en- 
suite il  leur  montre   ses   plaies,   pour  nous 
marquer  que  tout  vient  de  là,  qu'elles  sont 
les  sources  de  tout  bien,  l'objet  de  notre  re- 
connaissance ;  en  un  mot,  que  tout  se  trouve 
en  Jésus-Christ    crucifié.   Mais   pour  com- 
prendre toute  l'étendue  d'un  si  rare  bienfait, 
il  faut  que  nous  jetions  les  yeux  sur  ce  que 
nous  étions  avant  qu'il  nous  fût  accordé,  sur 
ce  que  nous  sommes  depuis  que  nous  l'a- 
vons reçu,  et  sur  ce  que  nous  espérons  de- 
venir par  sa  vertu.  Avant  le  bienfait  nous 
étions  les  esclaves  du  démon,  cl  nos  fers  ont 
été  brisés  ;  par  ce  bienfait  nous  sommes  de- 
venus les  enfants  de  Dieu,  et  la  liberté  nous 
a  été  rendue  ;  enfin   nous   espérons  être  les 
héritiers  de  la  gloire,  et  nous  y  avons  droit  : 
c'est  l'idée  que   l'Eglise  nous  donne  de  cet 
admirable  bienfait,  dans  les  paroles  qu'elle 
chante  à  la  gloire  de  Jésus-Christ,  qui  ren- 
ferment  toute  l'économie  du  salut  :  In  quo 
est  salue,  vila  rtresurrectio  nostra. 

Prenons  bien  cette  idée,  afin  qu'elle  nous 
serve  à  régler  la  reconnaissance  que  nous 
devons  à  Jésus-Christ;  c'est  donc  par  lui, 
mes  frères,   que  nous  avons   été  rachetés; 


r.ir  vous  n'ignores  pas  que  le  péché  du  pre- 
mier homme  nous  avait  livres  ta  démon  ; 
mais  i  <  i  résentez-vous  encore  qu'en  devenant 
ses  esclaves  nous  étions  devenus  les  ennemis 

de  Dieu,  et  que  nous  portions  non-seulement 
la  peine,  mais  le  caractère  du  pèche  :  et 
l'impression  de  la  désobéissance  du  premier 
homme  étant  passée  dans  tous  ceux  dont  il 
était  le  chef,  tous  ses  enfants  étaient  les  en- 
nemis de  Dieu  en  sa  personne. 

Ici  s'élève,  dit  saint  îîcrnard,  un  différend 
entre  la  justice  et  lu  miséri  or  de  devint  le 
tribunal  de  Dieu  :  la  justice  demande  la  mort 
du  coupable,  et  la  miséricorde  poursuit  sa 
grâce.  Le  différend  s'accommode,  ajoute  ce 
saint  docteur,  et  I  ■  Fils  de  Die  propose  une 
voie  qui  met  d'accord  la  justice  et  la  miséri- 
corde. C'est,  dit  ce  l'ère,  d'offrir  à  Dieu  une 
mort  précieuse,  par  laquelle  la  justice  sera 
satisfaite,  puisqu'une  vie  sera  sacrifiée,  à  la 
miséricorde,  et  le  coupable  délivré,  puisque  la 
dignité  de  cette  mort  méritera  la  grâce  du  cou- 
pable. La  difficulté,  poursuit  ce  saint  doc- 
teur, n'est  plus  que  de  trouver  une  vie  assez 
sainte,  afin  que  lu  mort  de  celui  qui  la  sacri- 
fiera soit  assez  précieuse  devant  Dieu,  pour 
apaiser  sa  justice  et  délivrer  les  coupables.  Jl 
faut  trouver  un  innocent  qui  n'ait  point  d'au- 
tre engagement  de  mourir  que  celui  que  son 
amour  s'impose.  Or  il  n'y  a  que  celui-là  même 
qui  a  ouvert  cette  voie,  qui  puisse  présenter 
ce  sacrifice.  C'est  à  moi,  dit  le  Fils  de  Dieu, 
à  porter  la  peine  de  celui  que  j'ai  créé.  Et 
voilà,  nies  frères,  ce  qui  fait  que  les  Pères  de 
l'Eglise  nous  ont  dit  que  tout  autre  que  Jé- 
sus-Christ ne  pouvait  pas  être  le  médiateur 
de  notre  réconciliation,  et  que  Dieu  n'a  pu  se 
servir  d'un  autre  moyen  que  de  celui  de  faire 
son  Fils  homme  pour  satisfaire  sa  justice. 
Quel  motif  de  reconnaissance  !  Celui  qui  n'est 
qu'homme  n'ayant  pu  racheter  son  frère,  il  a 
fallu  pour  le  racheter  un  homme  qui  fût 
Dieu.  C'est  ce  que  l'Apôtre  nous  enseigne, 
lorsqu'il  dit  que  Dieu  a  réconcilié  le  monde 
avec  lui  par  Jésus-Christ.  11  a  fallu  un  tel 
homme,  et  il  n'y  a  que  lui  qui  ail  pu  être  le 
triomphateur  du  démon,  qui  a  perdu  l'em- 
pire légitime  qu'il  s'était  acquis  sur  les  hom- 
mes par  leur  péché,  en  ôlant  injustement  la 
vie  à  celui  qui  n'avait  mérité  la  mort  par  au- 
cun crime. 

C'est  donc  lui  qui  nous  a  délivrés  de  la 
mort  par  la  sienne,  c'est  lui  qui  nous  a  ré- 
conciliés, qui  a  pacifié,  par  le  sang  qu'il  a 
répandu  sur  la  croix,  ce  qui  est  sur  la  terre 
et  ce  qui  est  daus  le  ciel.  Il  est  Fils  de  Dieu, 
et  il  se  forme  un  corps  mystique  composé  de 
plusieurs  membres  dont  il  se  rend  le  chef. 
Ce  corps  ne  forme  plus  qu'un  enfant  de  Dieu, 
qu'une  victime,  qu'un  adorateur.  11  est  fils 
naturel,  et  nous  enfants  adoplifs  par  lui  ; 
c'est  l'effet  que  produit  la  grâce  sanctifiante 
qui  nous  unit  à  ce  corps  :  mais  comme  ceux 
qui  sont  enfants  sont  conduits  par  l'esprit,  il 
faut,  outre  celte  grâce  qui  nous  unit,  qu'il 
nous  donne  celle  qui  nous  fait  agir.  e'est-aV 
dire  la  grâce  actuelle,  qui  détruit  en  l'homme 
la  langueur  du  pèche,  comme  la  grâce  sanc- 
tifiante en  détruit  la  mort.  Ainsi,  dit  l  apôtre 


097 


SERMON  POUR  LE  DIMANCHE  DE  QUASIMODO. 


098 


saint  Paul,  remercions  Dieu  qui  nous  a  arra- 
chés de  la  puissance  des  ténèbres,  qui  nous  a 
transférés  dans  le  royaume  de  son  Fils  bien- 
aimé,  et  qui  nous  a  rachetés  en  nous  méritant 
par  son  sang  la  rémission  de  nos  péchés. 

O  prix  précieux  et  adorable  des  hommes 
perdus  par  le  péché  !  Mou  iniquité  est  grande, 
je  l'avoue;  mais  ce  que  Jésus-Christ  a  donné 
pour  l'effacer  est  infiniment  plus  grand. 
O  homme  !  si  ton  néant  l'oblige  à  te  mépriser 
parce  que  tu  n'es  que  terre  ,  dit  saint  Au- 
gustin ,  que  la  reconnaissance  que  tu  dois  à 
Jésus-Christ  te  donne  de  l'estime  pour  toi- 
même,  en  considérant  le  prix  inestimable  dont, 
il  t'a  racheté.  Mais  quelque  grande  que  vous 
paraisse  cette  œuvre  de  notre  rédemption, 
parla  dignité  du  prix  qui  est  offert  pour 
nous  délivrer  de  la  servitude  du  démon,  il 
ne  faut  pas  la  limiter  à  ce  seul  effet  ;  elle  va 
plus  loin,  mes  très-chers  frères. 

Car  nous  ne  sommes  pas  seulement  arra- 
chés de  la  puissance  des  ténèbres  ,  nous 
sommes  encore  transplantés  dans  le  royaume 
du  Fils  de  Dieu.  La  grâce  du  Rédempteur  ne 
délivre  pas  seulement  la  nature  captive,  elle 
guérit  la  nature  malade  :  expliquons  ceci. 
Ecoutez,  chrétiens,  comme  parle  l'apôtre 
saint  Paul  aux  Ephésiens  :  Souvenez-vous, 
leur  dit-il,  qu'étant  gentils,  vous  n'aviez 
point  de  part  au  Messie  ;  vous  étiez  entière- 
ment séparés  du  peuple  d'Israël,  vous  étiez 
étrangers  à  l'alliance  divine ,  vous  n'aviez 
point  l'espérance  des  biens  futurs,  vous  étiez 
sans  Dieu  en  ce  monde.  Mais  maintenant  que 
vous  êtes  en  Jésus-Christ,  vous  qui  étiez  au- 
trefois éloignés  de  Dieu,  vous  êtes  devenus 
proche  de  lui  par  le  sang  de  Jésus-Christ. 
Ces  paroles  nous  expliquent  l'effet  de  la  ré- 
demption par  le  sang  du  Sauveur,  elles 
nous  enseignent  que  nous  avons  été  trans- 
plantés et  entés  en  Jésus-Christ,  pour  y  avoir 
un  même  être  que  lui.  C'est,  mes  frères,  ce 
que  l'Apôtre  nous  veut  faire  entendre,  lors- 
qu'il dit  aux  Galates  :  Ce  n'est  plus  moi  qui 
vis,  c'est  Jésus-Christ  qui  vit  en  moi.  Ainsi 
le  chrétien  vit  par  la  grâce,  et  c'<  si  vérita- 
blement Jésus-Christ  qui  vit  en  lui,  puisqu'il 
ne  vil  que  par  la  vie  que  Jésus  lui  a  méritée, 
et  que  cette  vie  est  celle  de  Jésus-Christ 
même  qui,  comme  chef,  la  répand  dans  les 
membres  de  son  corps,  de  sorle  que  tous  ne 
forment  avec  lui  qu'un  Christ  parfait.  De  là 
vient  que  l'homme  chrétien  a  comme  une 
seconde  âme,  qui  est  le  nouveau  principe  de 
la  vie  nouvelle  comme  l'âme  raisonnable  est 
le  principe  de  la  vie  que  l'homme  a  reçue  de 
la  puissance  de  Dieu  dans  la  création.  Con- 
naissons donc  le  prix  de  cette  vie  qu'il  est 
venu  nous  donner  avec  abondance,  comme 
il  le  dit  dans  saint  Jean  II  ne  faut  pas  la 
limiter  au  seul  avantage  de  la  grâce  habi- 
tuelle ou  sanctifiante,  qui  nous  a  rendus  en- 
fants de  Dieu  en  nous  délivrant  de  la  mort 
du  péché  et  de  la  servitude  du  démon  ;  il  ne 
faut  pas  croire  qu'aussitôt  que  le  péché  est 
effacé  ,  la  volonté  soit  parfaitement  déli- 
vrée ;  c'est  peu  de  chose  si  nous  en  de- 
meurons là ,  puisque  le  péché  étant  remis, 
il  nous  laisse  encore  faibles.  H  faut  distin- 


guer, avec  saint  Augustin,  deux  sortes  de 
maux  dans  le  péché  :  le  premier,  c'est  la 
morl  de  l'âme,  causée  par  le  péché,  qui  la 
rend  morte  véritablement,  ennemie  de  Dieu, 
esclave  du  démon.  La  mort  du  Sauveur  nous 
a  délivrés  de  tout  cela,  et  par  le  bénéfice  de 
la  rédemption  la  vie  nous  a  été  rendue,  et 
la  grâce  sanctifiante,  qui  est  le  fruit  de  sa 
mort,  nous  unissant  à  son  corps  mystique  , 
nous  a  faits  ses  frères  et  les  enfants  adoptifs 
de  son  Père  éternel. 

Mais  il  y  a  une  seconde  chose  dans  le  pé- 
ché, c'est  la  concupiscence,  qui,  nous  ayant 
été  transmise  par  le  péché  d'origine,  est 
comme  la  maladie  de  l'âme,  comme  une  in^ 
firmité  qui  lui  est  restée  depuis  le  péché. 
C'est  cette  langueur  dont  nous  avons  déjà 
parlé,  qui,  s'élant  confirmée  par  la  multi- 
plication de  nos  péchés  actuels,  forme  comme 
une  seconde  nature  entée  dans  la  nôtre,  de 
laquelle  nous  ne  nous  défaisons  jamais,  non 
plus  que  de  nous-mêmes ,  et  qui  nous  fait 
tomber  si  Dieu  ne  nous  la  fait  surmonter  par 
une  grâce  toujours  nouvelle. 

11  fallait  deux  sortes  de  remèdes  à  ces  deux 
sortes  de  maux,  et  le  Sauveur  nous  les  a 
donnés.  11  a  détruit  la  mort  du  péché  par  la 
sienne,  et  il  nous  a  donné  non-seulement  la 
vie  par  la  grâce  sanctifiante  et  habituelle 
qui  nous  a  faits  enfants  de  Dieu,  mais  encoro 
par  la  grâce  actuelle  il  nous  fait  vaincre  la 
concupiscence,  et  il  nous  fait  accomplir  faci- 
lement ce  que  Dieu  nous  commande.  Par  là 
la  force  du  péché  est  affaiblie,  la  concupis- 
cence abattue,  la  loi  des  membres  sans  vi- 
gueur. Tout  est  soumis  à  l'esprit  de  vie  qui 
nous  a  affranchis  ;  nous  sommes  parfaite- 
ment libres,  parce  que  c'est  la  vérité  et  la 
grâce  qui  nous  ont  délivrés.  Nous  sommes 
parfaitement  vivants,  parce  que  c'est  Jésus- 
Christ  qui  vit  et  qui  agit  en  nous  ,  qui 
n'agissons  et  ne  vivons  que  par  Jésus-Christ; 
et  voilà  pourquoi  saint  Paul  nous  recom- 
mande si  expressément  de  vivre  dans  de 
continuelles  actions  de  grâces  pour  toutes 
choses  et  en  tout  temps,  et  qu'il  veut  que 
nous  les  rendions  à  Dieu  au  nom  de  Jésus- 
Christ  ,  parce  que  nous  n'évitons  pas  lo 
moindre  mal,  nous  ne  résistons  pas  à  la 
plus  petite  tentation,  nous  ne  faisons  aucune 
bonne  œuvre  que  par  Jésus-Christ,  qui  vit 
en  nous  et  qui  agit  en  nous.  La  vie  de  la 
grâce  découle  à  tous  moments  sur  nous  de 
ses  plaies  sacrées  ;  il  opère  en  nous  la 
rédemption  dans  tous  les  instants  de  notre 
vie.  Ingrats  que  nous  sommes  1  nous  la  pas- 
sons peut-être  sans  songer  à  lui.  Mon  Dieu! 
disait  saint  Chrysoslome,  vous  avez  fait  de 
si  grandes  choses  pour  nous  faire  voir  dans 
tous  les  siècles  la  grandeur  de  votre  bonté  ! 
et  cela  passe  maintenant  presque  pour  rien 
dans  l'esprit  des  chrétiens.  Au  lieu  d'être 
dans  une  admiration  continuelle  d'un  si  grand 
ouvrage,  ils  ne  pensent  qu'à  des  bagatelles,  et 
ne  s'occupent  ni  de  la  grandeur  de  leur  reli- 
gion, ni  de  la  dignité  de  ses  mystères,  ni  de 
l'importance  de  leurs  devoirs. 

Achevons  le  récit  du  bienfait  de  la  ré- 
demption ,  et  découvrons  aux  chrétiens  ce 


cvi 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


7»  Kl 


que  leur  promettent  encore  les  plaies  que  le 
Sauveur  leur  montre  :  c'est,  mes  frères, 
l'héritage  éternel  ;  c  ir  ni  nous  sommes  en- 
fants, )ious  tomme t  aussi  héritiers  de  Dieu  <t 
cohéritiers  dr  Jétus-Chrùt,  dit  saint  Paul  : 
par  où  cet  apôtre  nous  apprend  la  nature  île 
l'héritage,  la  qualité  des  liions  qui  nous  sont 
prumis  et  la  source  du  droit  que  nous  avons 
sur  ces  biens.  Oui,  mes  frères,  nous  serons 
les  héritiers  de  Dieu,  et  c'est  l'héritage  de 
Dieu  qui  nous  est  promis.  Les  biens  de  Dieu, 
c'est  Dieu  môme,  ainsi  dit  saint  Augustin 
sur  ces  paroles  :  Dominas  pars  hœreditatis 
meœ;  ceux  qui  sont  mes  frères  et  les  enfants 
do  Dieu  posséderont  avec  moi  leur  héritage, 
qui  est  Dieu.  Que  les  autres  choisissent  les 
biens  temporels  et  terrestres  dont  ils  jouis- 
sent, le  Seigneur  sera  éternellement  le  par- 
tage des  saints. 

C'est  donc  Dieu  lui-même  qui  doit  être 
notre  héritage,  et  nous  en  jouirons  par  ta 
participation  et  par  la  possession  stable  et 
perpétuelle  des  mêmes  biens  et  des  mêmes 
avantages  qu'il  possède.  Mais  nous  serons 
encore  les  cohéritiers  de  Jésus-Christ  eu 
conséquence  de  l'union  que  nous  avons  ici- 
bas  avec  Jésus-Christ,  qui  est  lils  par  na- 
ture, et  par  conséquent  le  seul  héritier  par 
justice,  tout  le  reste  des  hommes  ne  l'étant 
dans  l'état  présent  que  par  grâce.  Voilà,  mes 
très-chers  frères,  la  qualité  des  bienfaits  que 
le  Sauveur  a  fait  découler  sur  nous  par  les 
plaies  qu'il  nous  montre  aujourd'hui.  Ne 
détournons  jamais  les  yeux  de  dessus  ces 
plaies  adorables.  Qu'elles  soient  é:ernel!e- 
inent  les  objets  de  notre  reconnaissance , 
puisqu'elles  sont  continuellement  les  sources 
de  notre  bonheur.  Mais  prenons  garde  de  ne 
nous  pas  abuser  en  nous  formant  une  fausse 
idéede  la  reconnaissaneeque  nouslui  devons  : 
elle  ne  consiste  pas  seulement  à  conserver 
la  mémoire  de  ses  bienfaits  et  à  foi  nier  de 
temps  en  temps  des  mouvements  d'actions 
de  grâces  dans  notre  cœur,  sans  passer 
outre.  Elle  consiste  à  remplir  tous  les  en- 
gagements où  nous  sommes  entrés  avec  lui 
par  les  bienfaits  dont  il  nous  a  comblés  :  ce 
que  nous  ne  pouvons  faire  qu'en  vivant 
dans  l'union  avec  ses  souffrances  ;  car  il  ne 
nous  montre  pas  seulement  ses  plaies  comme 
les  preuves  de  son  amour ,  mais  encore 
comme  les  vestiges  de  ses  souffrances  et 
comme  des  bouches  ouvertes  qui  nous  par- 
lent incessamment  de  la  nécessité  de  souffrir 
avec  lui.  Condition  essentielle  et  indispen- 
sable pour  mener  une  vie  vraiment  chré- 
tienne, et  dont  nous  allons  parler  dans  la 
deuxième  partie. 

DEUXIÈME    PAHTIE. 

Comme  il  n'y  a  rien  que  l'homme  oublie 
plus  volontiers  que  l'obligation  indispen- 
sable où  il  est  de  souffrir,  il  n'y  a  rien  aussi 
que  Dieu  lui  remette  plus  ordinairement 
devant  les  yeux,  et  dont  il  prenne  plus  de 
soin  de  l'avertir  :  le  temps  de  la  résurrec- 
tion fait  oubli  r  celui  de  la  passion,  et  le 
commerce  du  monde  efface  aisément  l'idée  de 
l'un  et  de  l'autre. 


Toute  l'Ecriture  est  remplie  de  ces  avr- 
tissements  salutaires,  toute  la  conduite  du 
Sauveur  ne  nous  recommande  autre  chose; 
et  lois  même  que,  pour  suivre  l'ordre  des 
choses  établies  par  son  Père,  il  a  été  obligé 
de  faire  paraître  quelques  éclats  de  sa  gloire 
ou  même  d'en  parier  aux  hommes,  il  l'a  tou- 
jours fait  en  y  mettant  quelque  choie  di 
souffrances,  et  en  les  empêchant  toujours  de 
perdre  de  vue  l'obligation  où  ils  sont  d'y 
prendre  part.  C'est  encore  pour  ce  même  su- 
je  ,  mes  frères,  que,  montrant  aujourd'hui  à 
ses  disciples  son  corps  glorieux,  il  leur  fait 
remarquer  qu'il  conserve  les  cicatri<es  de 
ses  plaies,  et  qu'en  leur  donnant  des  preu- 
ves de  sa  triomphante  résurrection,  il  leur 
remet  devant  les  yeux  l'idée  de  sa  passion  : 
c'est  aussi  cette  même  vue  que  j'ai  dessein 
de  vous  exposer  pour  vous  convaincre  de 
l'obligation  indispensable  où  nous  sommes 
tous  de  souffrir,  n'y  ayant  rien  de  plus  fort 
pour  nous  le  persuader  que  cet  exemple  ,  et 
c'est  l'argument  que  saint  Pierre  propose 
aux  fidèles  :  Jésus-Christ  a  souffert  pour 
nous,  vous  laissant  un  exemple  afin  t/u> 
marchiez  sur  tes  pas  ;  par  où  il  par  il  que  les 
souffrances  du  Sauveur  nous  ont  forme  un 
engagement  à  souffrir,  et  que  nous  ne  -au- 
rions recevoir  les  fruits  de  cet  amour  dont  il 
nous  représente  les  preuves  en  nous  mon- 
trant ses  plaies,  qu'en  nous  unissant  à  ses 
souffrances  et  en  prenant  part  à  sa  croix. 

lîn  effet,  son  amour  lui  a  inspiré  de  mou- 
rir pour  nous  délivrer  de  la  servitude  du  dé- 
mon ;  mais  c'est  en  nous  attachant  à  sa  croix. 
Si  par  sa  mort  il  nous  a  donné  une  nouvelle 
vie,  qui  nous  rend  les  enfants  de  Dieu,  I  a- 
mour  de  la  croix  est  la  marque  des  enfants 
légitimes,  selon  saint  Paul.  S'il  nous  a  ren- 
dus les  héritiers  de  sa  gloire,  c'est  à  condi- 
tion que  nous  donnerons  de  notre  côté  ce 
qu'elle  lui  a  coûté,  et  que  nous  n'y  entre- 
rons que  par  la  croix.  Il  e?t  vrai  qu'il  n'y  a 
que  là  croix  de  Jésus-Chri  t  qui  nous  saine, 
et  qu'il  fallait  que  le  Sauveur  immolât  sa 
vie  sur  cet  autel,  pour  nous  délivrer  de  la 
servitude  du  démon;  mais  il  est  vrai  aussi 
que  nous  ne  participons  à  ce  salut  dont  il 
est  l'auteur  qu'à  proportion  que  nous  imi- 
tons l'Homme-Dieu  qui  nous  a  sauves.  1  a 
souffert  pour  vous,  dit  saint  Pierre,  vous  lais- 
sant un  exemple.  Sa  croix  a  été  sans  doute 
efficace  et  toute-puissantepour  la  rédemption 
de  tout  le  monde;  elle  a  mériié  un  fonds  de 
grâce,  de  miséricorde  et  de  réconciliation 
inépuisable  pour  tous  les  hommes;  mais  elle 
a  tellement  été  le  prix  de  leur  rédemption, 
que  le  Rédempteur  a  voulu  que  ce  fût  atec 
l'obligation  d'être  eux-mêmes  crucifie 
que  ses  grâces  prenant  tout  leur  mérite  de  sa 
croix,  elle  ne  les  sauvât  qu'en  les  y  atta- 
chant avec  lui.  Car  nous  avons  été,  dit  saint 
Paul,  entés  en  lui  par  la  ressemblance 
mort. 

Etre  donc  attaché  à  la  croix  avec  Jésus- 
Christ,  voilà  l'engagement  d'un  chrétien  ra- 
cheté par  la  croix.  Si  vous  m'en  demandai 
la  raison,  c'est  qu'il  était  libre  à  celui  qui 
s'est  reniu  notre  Rédempteur  de  nous  lai>- 


701 


SERMON  POUR  LE  DIMANCHE  DE  QUASIMODO. 


702 


ser  dans  la  servitude,  et  ayant  formé  le  des- 
sein de  nous  en  délivrer,  il  a  pu  y  mettre  telle 
condition  qu'il  a  voulu.  Or  il  y  a  mis  celle- 
là  ;  c'est  pourquoi  l'Apôtre  nous  dit  qu'ayant 
été  affranchis  de  l'esclavage  du  péché,  nous 
sommes  devenus  esclaves  de  la  justice.  Après 
tout  il  était  bien  juste  que  le  Sauveur  mît 
celte  condition  dans  la  rédemption  qu'il  of- 
frait pour  nous  ;  car  qu'y  a-t-il  de  plus  rai- 
sonnable que  ceux  qui  sont  coupables  por- 
tent la  peine  de  leur  péché,  et  que  les  auteurs 
de  l'offense  contribuent  à  la  satisfaction  ? 
Mais,  peut-être  me  direz-vous  :  Le  Sauveur 
n'a-t-il  pas  satisfait  à  son  Père  pour  moi  ? 
Oui,  chrétiens,  il  a  satisfait  et  même  en  ri- 
gueur de  justice  et  avec  une  surabondance 
qui  répondait  à  la  valeur  infinie  de  ses  pei- 
nes. Pourquoi  donc  faut-il  que  je  souffre  avec 
lui,  puisque  ses  souffrances  sont  surabon- 
dantes, et  que  les  miennes  ne  contribuent  de 
rien  à  leur  valeur,  qui  et  infinie  par  le  fonds 
delà  dignité  propreet  personnelle  de  1  Homme- 
Dieu  qui  les  a  endurées?  A  cela  je  réponds,  et 
je  vous  prie  de  bien  entrer  dans  cette  grande 
vérité  de  la  religion  et  dans  ce  grand  principe 
qui  nous  unit  à  Jésus-Christ  souffrant  :  Il  est 
yrai  que  c'est  lui  qui  a  satisfait  à  son  Père 
pour  nous,  et  qu'il  fallait  un  mérite  infini 
comme  le  sien  pour  apaiser  sa  colère,  tout 
autre  que  l'Homme-Dieu  n'étant  pas  capable 
de  le  faire;  mais  quand  il  a  présenté  son  sa- 
crifice, nous  étions  unis  avec  lui.  Il  l'a  pré- 
senté comme  chef,  ainsi  tous  les  membres  de 
son  corps  ont  été  offerts,  et  nous  tous,  chré- 
tiens, nous  devons  nous  regarder  comme  des 
victimes  sacrifiées  à  la  justice  de  Dieu  dans 
la  personne  de  Jésus-Christ.  Il  a  voulu  se 
former  un  corps,  car  son  Eglise  est  appelée 
un  corps  par  saint  Paul  ;  il  a  formé  ce  corps 
des  hommes  corrompus  et  pécheurs;  il  a  pu- 
rifié par  son  sang  cette  masse  impure  dont  il 
a  fait  ce  corps  ;  mais,  s'étant  rendu  le  chef  de 
ce  corps  en  le  purifiant,  il  l'a  engagé  par  là 
à  prendre  part  à  ses  souhrances  par  lesquel- 
les il  l'avait  purifié,  étant  nécessaire  qu'il  y 
ait  du  rapport  entre  les  membres  et  le  chef. 

C'est,  mes  frères,  cette  gran'ic  vérité  dont 
l'apôtre  saint  Paul  nous  instruit  lorsqu'il  dit 
dans  son  Epîlre  aux  Colossiens  :  J'accomplis 
dans  ma  chair  ce  qui  manque  aux  souffrances 
de  Jésus-Christ,  ou  bien  ce  qui  reste  à  souf- 
frir à  Jésus-Christ.  Prenez  bien  garde  à  cette 
expression.  L'Apôtre  ne  dit  pas  :  J'achève  ce 
qui  manque  à  mes  souffrances,  mais  il  dit  : 
Ce  qui  manque  aux  souffrances  de  Jésus-Christ, 
pour  nous  faire  entendre  qu'il  jy  a  un  com- 
merce de  souffrances  entre  Jésus-Christ  et  les 
chrétiens,  et  que  ses  souffrances  sont  les  nô- 
tres; d'où  nous  apprenons  que  Jésus-Christ, 
en  présentant  ses  souffrances  à  son  Père,  a 
non-seulement  satisfait  pour  les  hommes  et 
les  a  rendus  capables  de  satisfaire  avec  lui, 
mais  même  que  le  mérite  de  ses  soulfrances 
a  apaisé  Dieu  et  l'a  disposé  à  recevoir  les 
soulfrances  des  hommes,  parce  qu'il  a  sanc- 
tifié les  souffrances  et  les  a  rendues  dignes 
d'être  offertes  ;'<  l)i  H. 

Le  bénéfii  e  de  la  rédemption  nous  engage 
donc  iudispeu.sablement  à  partager  les  souf- 


frances du  Rédempteur  :  c'est  une  condition 
sans  laquelle  nous  ne  pouvons  avoir  part  au 
bienfait  de  cette  rédemption. 

Jésus-Christ  s'est  offert  à  son  Père,  il  a 
reçu  sur  son  corps  le  baptême  de  sa  passion, 
et  parce  qu'il  l'a  reçu  comme  chef,  il  a  pré- 
senté tous  les  chrétiens  à  ce  baptême  avec 
lui.  Il  a  promis  pour  eux  ce  qu'ils  n'étaient 
pas  capables  de  promettre,  de  sorte  que  lors- 
qu'ils reçoivent  avec  joie  ou  au  moins  avec 
patience  la  croix  qu'il  nous  impose  et  qui  lui 
a  été  déjà  offerte  par  son  Fils,  cette  affliction 
d'un  moment  nous  applique  le  fruit  de  la  ré- 
demption, remplit  les  engagements  de  notre 
baptême  et  assure  notre  gloire.  Que  si  nous 
refusons  de  la  porter,  nous  perdons  le  fruit 
de  la  croix  de  Jésus-Christ,  nous  renonçons 
à  notre  baptême,  nous  n'accomplissons  point 
les  promesses  qu'il  avait  faites  pour  nous  à 
son  Père,  et  nous  nous  rendons  indignes  de 
recevoir  ce  que  son  Père  lui  avait  promis 
pour  nous.  Mais  il  y  a  plus,  car  si  nous  re- 
gardons le  bénéfice  de  la  rédemption  du  côté 
de  la  vie  nouvelle  que  nous  avons  reçue  par 
la  mort  du  Sauveur,  il  est  facile  de  vous  con- 
vaincre que  nous  devons  prendre  part  aux 
soulfrances  de  Jésus-Christ.  En  effet,  cette 
vie  dans  sa  source  est  produite  par  la  mort 
de  Jésus-Christ ,  et  ainsi  elle  n'est  en  nous 
que  le  fruit  de  la  part  qu'il  a  bien  voulu  nous 
donner  à  ses  souffrances  :  Ne  savez-vous  pas, 
dit  saint  Paul,  que  nous  tous  avons  été  bapti- 
sés en  sa  mort  ?  c'est-à-dire  à  la  ressemblance 
de  sa  mort,  comme  s'il  disait,  d'une  manière 
qui  nous  a  rendus  extérieurement  sembla- 
bles à  Jésus-Christ  mort,  afin  que  nous  coin» 
prissions  le  mystère  de  sa  mort  par  celte 
ressemblance  extérieure ,  c'est-à-dire  par 
l'immersion  de  nos  corps  dans  l'eau ,  ainsi 
qu'on  le  pratiquait  autrefois,  espèce  de  sé- 
pulture, qui  marquait  mystiquement  que  ce- 
lui qui  était  plongé  et  comme  enseveli  dans 
l'eau  était  spirituellement  mort  au  péché,  au 
monde,  à  soi-même.  Comme  Jésus-Christ  par 
sa  mort  s'est  privé  de  la  vie  du  corps,  de  tou- 
tes les  fonctions  de  la  vie  corporelle,  ainsi 
nous  sommes  baptisés  en  la  mort  de  Jésus- 
Christ,  c'esl-à-dire  nous  ne  recevons  la  vio 
dans  le  baptême  que  par  la  mort  de  Jésus- 
Christ  :  car  l'Eglise  a  été  conçue  sur  la  croix, 
et  une  lance,  disent  les  Pères,  a  ouvertlccôtô 
de  Jésus-Christ,  pour  en  aider  l'enfantement. 
C'e^t  de  là  qu'est  sortie  la  vie  qui  anime  le 
chrétien,  c'est  une  vie  qu'il  reçoit  par  la 
mort  de  celui  qui  la  lui  donne  et  par  la  por- 
tion de  ses  souffrances  qu'il  lui  communi- 
que. Mais  il  ne  la  lui  donne  que  pour  le  faire 
mourir  lui-même;  et  comme  il  n'a  pu  nous 
donner  la  vie  que  par  sa  mort,  nous  ne  pou- 
vons recevoir  cette  vie  que  par  notre  mort. 
De  là  vient  qu'au  baptême,  où  nous  la  rece- 
vons, nous  renonçons  au  monde  et  à  nous- 
mêmes  ;  et  il  nous  dit  dans  l'Evangile  que  si 
quelqu'un  veut  être  son  disciple,  c'est-à-dire 
chrétien,  et  vivre  de  sa  vie,  //  faut  qu'il  re- 
nonce ù  toi-même  .  ce  qui  est  une  véritable 
mort,  et  ce  qui  ne  se  peut  accomplir  sans 
nous  exposer  à  des  jouffrances  réelles;  <  l'- 
on ne  quitte  point  sans  douleur  ce  qu'on  a 


roN 


ORATEURS  SACRES.  UOM  JEROME. 


704 


aimé  avec  passion.  Jugez,  mes  frères,  |  ar  la 
qualité  ci  le  caractère  de  cette  vie,  quelle 
doit  cire  la  nature  de  nos  action-,  puisque 
la  vie  n'est  donnée  que  pour  agir,  et  ce  n'est 
qu'en  agissant  qu'on  reconnaît  qu'un  iiomme 
est  vivant.  Voici  connue  en  parle  saint  Paul 
dans  la  seconde  Epttre  aux  Corinthiens  : 
Nous  portons,  dit  cet  apôlre,  toujours  en  no- 
tre corps  la  mort  du  Seigneur  Jésus,  afin  que 
la  vie  de  Jésus-Christ  puraisse  aussi  dans  no- 
tre corps.  11  faut  donc,  nies  très-chers  frères, 
qu'il  se  fasse  sur  le  corps  mystique  du  Sau- 
veur ce  qui  s'est  fait  sur  son  corps  naturel; 
or  il  conserve  sur  ce  corp^  glorieux  les  cica- 
trices des  plaies  qu'il  a  reçues  pendant  qu'il 
était  encore  mortel;  il  les  montre  à  ses  dis- 
ciples après  sa  glorieuse  résurrection  ,  et  en 
leur  personne  il  les  montre  à  tous  les  chré- 
tiens, pour  nous  apprendre  qu'il  ne  faut  pas 
nous  abuser  par  la  fausse  idée  d'une  gloire 
anticipée,  que  les  avantages  de  la  résurrec- 
tion, à  laquelle  nous  avons  part,  pourraient 
nous  donner.  Car  comme  il  a  passé  lui-même 
par  la  mort  pour  ressusciter,  il  faut  que  nous 
passions  aussi  par  la  mort  pour  recevoir  la 
part  de  la  résurrection  qu'il  nous  a  méritée.  La 
vie  que  nous  avons  reçue  par  sa  mort  nous 
doit  conduire  à  la  gloire,  mais  elle  ne  nous  y 
conduira  jamais  que  par  la  croix  :  ainsi,  du- 
rant le  cours  de  cette  vie  mortelle,  celle  vie 
est  une  vie  de  mort,  cette  vie  ne  se  manifeste, 
ne  s'augmente  et  ne  se  perfectionne  que  parla 
mort,  c'est-à-dire  par  la  destruction  du  vieil 
homme  en  nous,  et  par  la  ruine  de  toutes  les 
affections  qui  nous  attachent  à  tout  ce  qui 
est  du  vieil  homme  et  du  monde,  soit  que 
nous  nous  appliquions  à  le  détruire  par  des 
renoncements  volontaires  aux  biens  du  mon- 
de, à  ses  honneurs,  à  ses  plaisirs,  aux  dé- 
sirs de  nos  passions,  soil  que  nous  nous  sou- 
rnetlions  avec  patience  et  avec  amour  à  la 
conduite  de  Dieu,  qui  s'applique  à  le  détruire 
en  nous  ôlant  ce  que  nous  aimons,  ou  par  la 
perte  de  nos  biens,  ou  par  celle  de  nos  pro- 
ches, ou  par  les  maladies,  ou  par  les  disgrâ- 
ces, ou  par  toute  autre  sorte  de  voies  qui  dé- 
truisent le  monde  en  nous,  et  qui  ruinent  les 
affections  du  vieil  homme,  en  nous  enlevant 
ce  qui  les  nourrit.  Voilà  notre  obligation, 
mes  très-chers  frères;  voilà  l'idée  d'un  chré- 
tien dont  la  vie  doit  être  une  vie  de  mort  et 
de  croix,  selon  l'Evangile  et  les  Pères.  En 
effet,  comme  la  foi  nous  enseigne  que  Jésus- 
Christ  ne  nous  a  aimés  et  qu'il  ne  nous  a 
donné  la  vie  que  parce  qu'il  a  souffert  pour 
nous,  la  même  foi  et  le  même  principe  de  la 
religion  nous  apprend  qu'une  des  preuves 
que  nous  pouvons  avoir  que  nous  vivons  de 
sa  vie,  et  que  noire  amour  envers  lui  est  vé- 
ritable et  sincère,  c'est  de  voir  si  nous  souf- 
frons pour  lui  avec  plénitude  de  cœur. 

Il  ne  faut  donc  pas  nous  llaller  d'èlre  du 
nombre  de  ses  enfants,  ni  de  vivre  de  s;i  vie, 
ni  d'avoir  part  au  fruit  do  sa  résurrection, 
si  nous  voulons  vivre  dans  les  délices  et  dans 
l'amour  du  monde,  et  dans  une  application 
continuelle  à  satisfaire  nos  passions,  à  éloi- 
gner de  nous  tout  ce  qui  peut  nous  faire 
souffrir,  et  à  recevoir  avec  impatience  et  avec 


murmure  la  part  qu'il  plaît  à  Dion  de  nous 
donner  aux  souffrances  de  son  FiU.  m  nous 
n'y  prenons  part,  nous  n'en  aurons  point  à 
son  héritage,  car  c'est  à  cette  condition  qu'il 
nousle  promet.  Nous  sommes  hériliersdcDieu 
et  cohéritiers  de  Jésus-Christ,  pourvu  toute- 
fois, ajoute  l'A  poire,  que  nous  souffrions  avec 
lui,  afin  que  nous  soyons  glorifiés  avec  lui  ; 
par  où  cet  apôtre  nous  apprjnd  qu'il  faut 
que  nous  supportions,  dans  l'union  des  souf- 
frances du  Fils  de  Dieu,  tous  les  maux  que 
par  sa  providence  et  par  sa  justice  il  a  atta- 
chés à  celle  vie  mortelle,  n'étant  pas  raison- 
nable que  si  le  Fils  propre  et  naturel,  tout 
juste  et  toul  innocent  qu'il  élait,  n'est  entré 
en  possession  de  cet  héritage  que  par  les 
peines  et  les  afllictions,  ceux  qui  ne  sont 
qu'adoptifs  et  qui  ont  encore  un  si  grand  be- 
soin d'expier  leurs  péchés  par  la  pénitence, 
prétendent  d'y  parveuir  par  une  autre  voie; 
et  ce  qui  est  encore  moins  équitable,  qu'ils 
osent  s'attendre  d'y  parvenir  par  le  repos  et 
par  les  délices  de  celle  vie,  qui  sont  si  con- 
traires à  celle  que  nous  espérons  de  posséder 
en  l'autre.  Voilà,  mes  frères,  le  langage  que 
nous  tiennent  les  plaies  du  Sauveur  pour 
nous  convaincre  de  la  nécessité  de  prendre 
part  à  ses  souffrances;  il  est  vrai  qu'elles  nous 
disent  en  même  temps  que  nous  devons  les 
regarder  comme  des  ressources  certaines 
dans  nos  besoins,  et  qu'elles  sont  toujours 
ouvertes  pour  nous  servir  d'asile  :  c'est  sous 
cette  qualité  que  je  vais  vous  les  faire  voir 
en  peu  de  mots  en  finissant  ce  discours. 

TROISIÈME   PARTIE. 

Après  tout  ce  que  je  viens  de  vous  dire  des 
plaies  du  Sauveur,  je  croirais  n'avoir  eucore 
rien  fa  t  pour  votre  consolation,  mes  très- 
chers  frères,  si  je  n'ajoutais  en  Unissant,  que 
ces  plaies  sacrées  sont  des  ressources  pour 
vous  dans  vos  besoins,  et  que  vous  les  trou- 
verez toujours  ouvertes  pour  vous  servir 
d'asile  contre  vos  ennemis. 

L'apôtre  saint  Paul,  plein  d'une  tendresse 
toute  divine,  avertit  ses  chers  enfants  de  ne 
point  pécher,  afin  de  ne  se  pas  rendre  indi- 
gnes des  grâces  de  Dieu  ;  mais  comme  il 
voyait  en  même  temps  noire  néant,  la  pente 
que  nous  avons  naturellement  vers  le  péché, 
le  fonds  de  notre  corruption,  les  pièges  con- 
tinuels du  démon, les  tentations  elles  attraits 
du  monde  pour  nous  surprendre  ;  craignant 
justement  que  nos  chutes  ne  nous  désespé- 
rassent si  nous  venions  à  considérer  la  pro- 
fanation du  sang  d'un  Dieu,  qui  est  mort 
pour  nous  délivrer  de  la  tyrannie  du  démon 
et  pour  nous  obtenir  la  vie  de  la  grâce,  il 
nous  avertit  d'avoir  recours  à  Jésus-Christ 
même,  comme  à  notre  avocat  auprès  de  son 
Père,  qu'il  prie  toujours  pour  l'apaiser  sur 
nos  pèches;  et  saint  Paul, voulant  QOUl  ma  - 
quer  la  grandeur  de  son  amour  pour  nous 
et  quelle  doit  être  notre  confiance  en  lui, 
nous  dit  que  Jésus-Christ ,  qui  est  mort .  qui 
est  ressuscité  <t  qui  est  à  la  droite  de  Dieu, 
est  celui  mime  qui  intercède  pour  nous.' 
à-dire,  mes  très-chers  frères,  qu'api  es  tous 
les  biens  que  nous  avons  reçus  de  lui  il  in- 


m 


SERMON  POUR  LE  JOUR  DE  L'ANNONCIATION. 


700 


tercède  encore  auprès  de  son  Père  pour  l'ac- 
complissement de  notre  salut.  Que  pouvons- 
nous  donc  appréhender  de  la  part  des  créa- 
tures avec  une   si  puissante    intercession  , 
quelque  effort  qu'elles  fassent  pour  détruire 
l'ouvrage  de  notre  salut,  puisque  tout  leur 
pouvoir  ou   leur  mauvaise  volonté  ne  sont 
rien  en  comparaison  du  pouvoir,  de  la  bien- 
veillance et  de  l'amour  que  Jésus-Christ  a 
pour  nous?  Assuré  de  cette  protection,  l'Apô- 
tre proteste  que  rien  n'est  capable  de  le  sé- 
parer de  Jésus-Christ.  C'est  aussi  par  là  que 
je  vais  conclure  avec  vous  et  ce  discours  et 
ma    mission.  Fasse   le   ciel  que   ce  que  je 
vous  souhaite  eu  la  finissant  s'accomplisse 
en   vous.  Que   la   paix   soit   avec    vous    : 
Pax  vobis.  Ce  souhait  du  Sauveur  du  monde 
a  eu  son  effet  ;  il   a   réconcilié   les   hom- 
mes avec  son  Père  :  je  présume  que  vous 
avez  eu  part  à  cette  réconciliation  et  à  tous 
les  fruits  de  sa  mort.  Le  moyen  d'en  conser- 
ver les  avantages,  c'est  d'être  dans  les  senti- 
ments que  j'ai  essayé  de  vous  inspirer  dans 
ce  discours.  Ne  perdez  jamais  de  iue    les 
plaies  du  Sauveur  qu'il  montre  aujourd'hui 
à  ses  disciples  et  que  je  vous  expose  de  sa 
part.  Regardez-les  comme  les  preuves  de  son 
amour  pour  vous.  Dites-lui  :   C'est  de  ces 
plaies  sacrées  que  coulent  en   moi  tous  les 
biens  dont  je  suis  rempli,  je  n'ai  rien  que  je 
ne  le  tienne  de  vous;  la  ruine  de  mes  enne- 
mis, la  vie,  la  grâce,  la  part  à  la  gloire  que 
j'espère,  tout  vient  de  vous;  et  ces  plaies  sa- 
crées sont  les  sources  de  lous  ces  biens.  Mon 
Dieu,  s'il  est  marqué  dans   l'Ecriture  que, 
quand  David   combattit  contre  Goliath  ,   le 
peuple  en  reçut  tout  l'avantage,  mais  qu'il 
en  laissa  à  David  toute  la  gloire,  vous  n'avez 
pas  moins  fait  que  David,  ô  mon  Sauveurl 
vous  avez  combattu  et  vous  avez  vaincu. 
Qu'à  vous  seul  soit  donc  toute  la  gloire  de 
mon  salut.  S'il  vous  en  a  coûté  la  vie,  Sei- 
gneur Jésus  ,   pour  me  procurer  tous    ces 
biens,  dois-je  espérer  de  conserver  le  droit 
que  vous  m'y  avez  donné   par  votre  mort, 
sans  prendre  part  à  vos  souffrances?  Vous 
ne  me  montrez  ces  cicatrices  après  votre  ré- 
surrection   qu'afin  de   m'apprendre   que   si 
vous  n'êtes  ressuscité  qu'après  avoir  souffci  t 
la  mort,  je  ne  dois  prétendre  d'arriver  à  la 
gloire  qu'après  avoir  pris  part  à  vos  souf- 
frances. Je  sais  bien  que  je  ne  puis  remplir 
ces    obligations   indispensables  de  ma  reli- 
gion sans    être  exposé   à    de    très-grandes 
tentations  dans   les  obstacles  qu'y  apporte 
l'esprit  du  monde,  qui  nous  environne  et  qui 
nous  entraîne;  mais,  ô  mon  Dieu!  quel  excès 
de  joie  quand  je  considère  que  ces   plaies 
sont  encore  des  asiles  contre  mes  ennemis  et 
des  bouches  ouvertes  qui   prient  pour   moi 
d'une  manière  efficace  dans  lous  mes  be- 
soins, lorsque  j'ai  recours  à  vous!  Avec  ces 
dispositions,  mes  très-chers  frères,  j'espère 
que  le  souhait  que  je  fais  pour  vous  au  nom 
de  Jésus-Christ  aura  son  effet;,  que  la  paix 
«oit  avec  vous  :  Pax  vofris,  et  au  lieu  de  vous 
faire  d'inutiles  adieux  en   vous  quittant,  je 
crois  ne  pouvoir  rien  dire  de  plus  digne  do  la 
Mioleté  de  mon  ministère,  ni  de  plus  con- 


forme à  la  charité  qui  a  dû  m'animer  eu  le 
faisant,  que  de  vous  dire  :  Mes  frères,  n'ou- 
bliez jamais  de  reconnaître  les  bontés  du 
Sauveur,  car  vous  tenez  tout  de  sa  miséri- 
corde; prenez  part  aux  souffrances  du  Sau- 
veur, car  on  ne  fait  son  salut  qu'en  portant 
sa  croix;  recourez  continuellement  au  Sau- 
veur, car  dans  nos  misères  nous  n'avons 
point  d'autre  ressource  que  la  prière  ,  et 
toute  prière  doit  être  faite  par  Jésus-Christ. 
Voilà,  mes  frères,  dans  ces  trois  paroles  l'a- 
brégé non-seulement  de  tous  nos  discours, 
mais  de  toute  la  religion,  de  toute  la  perfec- 
tion du  christianisme,  l'essence  de  la  doc- 
trine de  l'Evangile  et  les  moyens  assurés  de 
conserver  la  paix  que  Jésus-Christ  nous  a 
méritée  par  son  sang  et  d'arriver  à  la  gloire. 
Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUU  LE  JOUR  DE  l' ANNONCIATION. 

Sur  les  qualités  de  Marie  dans  le  mystère  de 
ce  jour. 

Ave,  gralia  plena,  Domiuus  tecum. 
Je  vous  salue,  Marie,  pleine  de  grâce;  le  Seiqneur  est 
avec  vous  [Luc,  I,  "28). 

Si  nous  voulions  nous  attacher  précisé- 
ment au  mystère  dont  la  solennité  nous  as- 
semble, nous  ne  parlerions  aujourd'hui  que 
de  l'incarnation  du  Vrerbe;  car  c'est  propre- 
ment dans  ce  jour  que  s'accomplit  ce  grand 
ouvrage  de  son  amour  pour  nous;  c'est  au- 
jourd'hui qu'il  sort  du  sein  de  son  Père  pour 
habiter  dans  celui  d'une  vierge,  où  le  Saint- 
Esprit  lui  forme  un  corps  et  la  rend  sa  mère 
par  celte  bienheureuse  habitation.  Mais 
comme  l'Eglise  sainte  remet  la  solennité  de 
ce  mystère  au  jour  que  le  Sauveur,  prenant 
naissance  de  la  Vierge  dans  Tétanie  de  Reth- 
léem,  commence  à  paraître  homme  avec  les 
hommes,  et  qu'elle  semble  aujourd'hui  s'at- 
tacher davantage  à  parler  de  la  coopération 
de  Marie  dans  ce  grand  ouvrage,  mon  des- 
sein est  d'entrer  dans  son  esprit  et  de  suivre 
ses  intentions.  Ainsi,  mes  frères,  tout  ce  dis- 
cours se  réduira, 

1°  A  vous  faire  reconnaître  que  Dieu,  par 
sa  miséricorde,  nous  donne  part  à  l'alliance 
qu'il  forme  avec  Marie  par  son  incarnation  : 
premier  point;  2°  à  examiner  quelles  ont  été 
les  dispositions  que  Dieu  a  mises  en  elle  pour 
la  préparer  à  celte  alliance, afin  que  nous  le» 
Jui  demandions  :  second  point. 

En  un  mol,  nous  expliquerons  le  fond  du 
mystère  en  soi  et  les  suites  du  mystère  par 
rapport  à  nous,  d'une  manière  utile  et  chré- 
tienne, si  le  même  esprit  qui  l'accomplit  en 
Marie  nous  accorde  les  lumières  que  je  lui 
demande  par  l'intercession  de  cette  excel- 
lente Vierge,  en  qui  il  l'accomplit  lorsque 
l'ange  vint  lui  dire  :  Ave,  gratia. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Je  n'avance  rien  d'extraordinaire  quand  je 
dis  que  Dieu,  par  sa  miséricorde,  nous  donne 
part  à  l'alliance  qu'il  forme  aujourd'hui  avec 
la  sainte  Vierge  dans  le  mystère  dont  la  so- 
lennité nous  assemble.  Il  faudrait  ignorer 
quelle  est  la  grandeur  du  christianisme  cl  à 


?<: 


ORATEI  RS  SACRES.  HO.M  JEROME. 


70S 


quelle  dignité  sont  éli  \c    e«UX  que  Dieu  y  a 

ig  par  sa  miséricorde,  pour  douter  de 

•et te  vérité  :  ainsi,  mes  frères,  je  M  ferai 

■  ,,ii|)!cinoiit  que  vous  représenter  d'une  part 
ce  que  Jésus-Christ  a  dessein  «le  l'aire  dam 
cette  alliance,  et  de  l'autre  Ce  que  ROM  deve- 
nons par  celle  alliance,  pour  vous  taire  com- 
prendre quelle  est  la  pari  que  sa  miséricorde 
nous  y  donne  et  quelles  sont  les  conséquen- 
ces que  nous  eu  devons  tirer. 

La  foi  nous  enseigne  ce  que  Jésus-Christ  a 
dessein  de  l'aire  dans  ce  mystère,  et  l'Ecri- 
ture nous  l'explique  dans  le  discours  que 
l'ange  fait  à  Marie,  et  qui  lui  est  envoyé  de 
la  part  de  Dieu,  comme  l'évangile  de  ce  jour 
nous  l'expose,  i.e  dessein  du  Fils  de  Dieu, 
c'est  de  se  faire  homme, de  prendre  un  corps 
dans  le  sein  de  Marie,  et  de  devenir  homme 
par  une  nouvelle  naissance  qu'il  reçoit  d'elle- 
L'ange  qui  lui  est  envoyé  nous  explique  tout 
ce  mystère.  Vous  allez,  lui  dit-il,  concevoir 
dans  voire  sein,  et  vous  enfanterez  un  fils. 
Vous  concevrez,  lui  dit  l'ange,  dans  votre 
sein;  le  Saint-Esprit  surviendra  en  vous,  et 
la  vertu  du  Très-Haut  vous  couvrira  de  son 
ombre  :  c'est  pourquoi  le  fruit  qui  naîtra  de 
vous  sera  appelé  le  Fils  de  Dieu.  Le  Saint- 
Esprit,  comme  esprit  de  grâce,  de  sanctifica- 
tion et  d'amour,  remplit,  prépare  et  élève  le 
corps  de  la  Vierge  pour  le  mystère  de  l'in- 
carnation, et  le  Fils  de  Dieu  prend  en  elle  et 
d'elle  une  nouvelle  nalure  qui  est  rendue 
sainte. 

Voilà,  mes  frères,  ce  que  Jésus-Christ  fait 
dans  ce  mystère, et  l'alliance  qu'il  forme  avec 
Marie,  qui  devient  sa  mère  d'une  manière  si 
grande  et  si  divine. 

Mais  à  la  vue  de  tant  de  grandeur  et  de 
tant  de  gloire,  oseriez-vous  bien  penser,  mes 
frères,  que  chacun  de  nous  a  part  à  cette  al- 
liance, et  qu'on  peut  dire  dans  un  sens  très- 
véritable  que  Dieu  ne  l'a  formée  avec  Marie 
que  par  rapport  à  nous,  puisqu'elle  n'est 
choisie  pour  être  la  mère  de  Jésus-Christ  que 
parce  qu'il  a  résolu  de  se  rendre  dans  ce 
mystère  noire  frère  et  notre  rédempteur? 
Car,  est-il  dit  dans  saint  Mailhieu  :  Marie 
enfantera  un  fds ,  et  vous  l'appellerez  Jésus , 
parce  que  ce  sera  lui  qui  sauvera  son  peuple 
de  ses  péchés. 

Ce  qui  fait  dire  à  Guillaume,  évèque  de 
Paris,  en  parlant  de  la  sainte  Vierge  :  Votre 
qloire  est  fondée  sur  la  grâce  de  votre  mater- 
nité ,  votre  maternité  sur  l'incarnation  du 
Verbe  ;  le  Verbe  s'est  incarné  pour  sauver 
l'homme;  l'homme  n'était  perdu  que  par  le  pé- 
ché :  c'est  donc  à  ces  pécheurs  formés  pur  le 
premier  coupable  que  vous  êtes  redevable  de 
votre  gloire;  et,  semblable,  dit  ce  grand  hom- 
me, en  quelque  sorte  à  ceux  qui  sont  élevés 
sur  le  trône  duns  une  révolte  et  dans  une  .édi- 
tion, cl  qui,  profilant  du  auditeur  de  ceux  qui 
ont  bien  voulu  se  perdre,  travaillent  ensuite 
au  salut  de  ceux  qui  restent,  ainsi  Marie  est 
redevable  aux  pécheurs  de  la  gloire  de  la  ma- 
ternité, et  elle  est  le  refuge  des  pécheurs  qui 
Veulent  se  convenir . 

Mais,  revenant  au  fond  des  choses,  il  eet 
certain  que  dans  le  moment  que  Jeaus-Christ 


s'unit  a  Marie  dans  ce  mystère,  il  arrive  que 
la  personne  du  Verbe  s'unii  arec  notre  ra- 
ture dani  Marie,  et  il  se  cont  teto,  pour 
ainsi  dire,  un  mariage  entre  le  I- ils  de  Dieu 
et  la  nature  humaine,  dans  Marie  pour  elle, 
et  par  elle  pour  tous  !  .eus.  11  fallait 

que  la  n   ture  humaine  donnai    son   con-cn- 
temeut  a  cette  alliance,  et  c'est  ce  qui  se  fait 
par  cette  parole  de  Marie  :  Fiat  mihi  *• 
duai  verbum  luum. 

Marie  représente  loule  la  nature  pour  la 
sauver  par  son  consentement,  comme  l.v  • 
l'av  il  représentée  pour  la  perdre,  e  i  con- 
sentant à  laaaggestioa  de  l'auge  le  ténèbres. 
La  mort  est  entrée  dans  le  monde  par  Adam, 
la  \  ie  par  Jésus-Christ.  Ev  a  écoule  le  démon 
el  perd  la  nature  humaine  en  se  laissant  al- 
ler à  la  sugge.-lion.  Marie  donne  son  con- 
sentement a  l'ange  du  S.  ;;neur,  ei  par 
nature  esl  guérie  :  l'une,  eu  (onsenlaut  à  la 
suggestion  du  serpent,  ouvre  le  chemin  a  la 
mort;  celle-ci,  en  conscnlau'  1 1  proposi- 
tion de  l'ange,  ouvre  le  chemin  à  la  vie. 

Mais  prenez  garde  a  la  manière  dont  ceci 
s'accomplit  :  c'esl  en  fournissant  à  celui  qui 
esl  l'unique  auteur  de  la  »ie  la  matière  dont 
a  élé  formée  la  victime  offerte  dans  le  sacri- 
fiée qui  a  délruil  la  mort,  et  qui  nous  a  re- 
cvu  îiiés  avec  son  i>ieu  ;  car  non-s.  ulemeni 
le  Verbe  s'unit  à  Marie,  il  se  fait  encore  une 
alliance  du  Verbe  avec  lous  les  fidèles  en 
particulier;  et  c'esl  ici  qu'il  faut  remarquer 
ce  que  nous  devenons  en  conséquence  de 
l'alliance  du  Verbe  de  Dieu  avec  Marie.  11 
devient  un  membre  dans  notre  famile,  il 
veut  bien  nous  appeler  ses  frères  ;  il  se  rend 
chair  de  noire  ena  r  et  os  de  nos  os  ;  il  nous 
fait  ses  membres,  et  il  veut  que  lui  et  nous 
nous  ne  lassions  qu'un  corps.  Celui  qui 
sanctifie  cl  ceux  qui  sont  sancliûés  viennent 
tous  d'un  même  principe. 

Ah  l  mes  frères,  nou-  ne  concevons  pas  la 
grandeur  de  la  grâce  chrétienne,  ni  ce  que 
nous  devenons  par  la  gràcede  notre  baplème, 
qui  nous  unil  si  inlimemenl  à  Jésus-Christ. 
La  nalure  humaine  esl  montée  à  un  si  haut 
point,  qu'elle  ne  pouvait  monter  plus  haut. 
Chaque  chrétun,  dit  saint  Augustin,  est  Christ 
depuis  le  commencement  de  sa  foi  par  la  même 
grâce  par  laquelle  l  humanité  sainte  dès  son 
premier  commencement  a  été  faite  Christ.  Le 
chréliena  reçu  sa  renaissance  du  même  Esprit- 
Saint  de  qui  Jésus-Chris'  a  pris  sa  naissance, 
et  lous  ces  avantages  connue  tous  ce*  biens 
sont  des  suites  de  l'alliance  qu'il  contracte 
avec  Mûrie,  et  de  celle  qu'il  forme  avec  notre 
nature  i  n  Marie  et  par  Marie,  qui  est  appelée 
p  r  l'Eglise  la  mère  de  lu  grâce,  parer  qu'elle 
est  celle  dont  Dieu  se  sert  pour  être  la  source 
de  celle  c  mmunicatioa  et  de  cette  grâce.  La 
part  que  nous  avons  a  celte  alliance  est  donc 
évidente.  Celle  alliance  nous  donne  droit  en 
quelque  manière  d'engendrer  Jesus-Chrisl, 
c'est-à-dire  que  l'âme  chrétienne  devient 
mère  de  Jcsus-Christ  en  suivant  la  reloi  lé 
de  Dieu;  car  par  là  nous  lormons  Jésut- 
Chrisleii  nous;  nous  lui  donnons  en  quelque 
MCOO  un  nouvel  être;  ce  u'esl  plus 
qui  vivons,  c'est  Jesus-Chrisl  qui  >  il  eu  nous. 


709 

En  faisant  sa  volonté  il  règne  en  nous  ;  en 
régnant  en  nous,  il  règle  tous  nos  mouve- 
tn-nts,  toutes  nos  actions,  toutes  nos  affec- 
tions. En  un  mot,  ce  n'est  plus  nous,  encore 
une  fois  qui  vivons  ,  c'est  Jésus-Christ  qui 
vit  en  nous.  Ce  sont  ces  vérités  que  FEcri- 
ture  nous  enseigne  lorsqu'elle  nous  rap- 
porte que  3é  us-Christ,  voulant  faire  con- 
naître qui  était  sa  mère  et  ses  frères,  étendit 
la  main  sur  ses  disciples  :  Voici  ma  mère, 
dit-il,  voici  mes  frères;  car  quiconque  fait  la 
volonté  de  mon  Père  qui  est  dans  te  ciel,  ce- 
lui là  est  ma  mère,  mon  frère  et  ma  sœur. 

D'où  nousapprmons  que  comme  l'alliance 
qu'il  a  avec  Marie  par  les  liens  de  la  nature 
n'est  qu'une  suite  de  celle  qu'il  a  eue  avec 
elle  par  l'esprit  et  par  la  grâce,  toul  chré- 
tien ayani  part  à  cette  alliance  de  l'esprit  par 
la  grâce  de  sa  régénération,  et  pouvant,  selon 
la  proportion  de  son  amour,  participer  à  la 
grâce  de  la  maternité  par  la  vie  de  la  foi,  il 
a  part  d'une  manière  considérable,  en  ce 
qu'il  y  a  de  plus  noble  et  de  plus  divin  dans 
cette  alliante. 

C'est  pourquoi  saint  Ambroise  ne  craint 
pas  de  mettre  l'âme  chrétienne  en  quelque 
sorte  en  parallèle  avec  Marie  ,  lorsqu'il  lui 
dit  que  tou<e  âme  fidèle  conçoit  en  elle  le  Verbe 
de  hieu  ;  mais  prenez  garde  à  la  condition 
qu'il  y  ajoute  :  Pourvu  quelle  soit  pure,  dit- 
il,  de  tous  les  vices,  et  qu'elle  conserve  la  pu- 
reté de  Came,  c'est-à-dire  pourvu  que  la  foi 
produise  ses  effets  en  elle,  qui  sont  de  déta- 
cher son  cœur  des  choses  présentes  et  pé- 
rissables, pour  s'attacher  à  Dieu,  et  aux 
bieus  éternels:  ce  que  saint  Ambroise  appelle 
caslilatem  custodire;  car  c'est  l'amour  de 
Dieu  qui  forme  la  pureté  de  cœur. 

Mais  non-seulement  nous  voyons  dans  les 
paroles  de  ce  saint  docteur,  la  part  que  nous 
avons  à  l'alliance  que  Jésus-Christ  fait  avec 
Marie  dans  ce  mystère;  nous  y  voyons  en- 
core les  conséquences  que  nous  devons  tirer 
de  l'avantage  que  nous  avons  reçu  dans  celte 
alliance.  Ces  conséquences  regardent  l'obli- 
gation où  nous  sommes  tous  de  vivre  con- 
formément à  la  dignité  et  à  la  sainteté  que 
cette  alliance  met  en  nous,  et  nous  en  trou- 
verons l'idée  dans  les  dispositions  que  Dieu  a 
mises  dans  Marie  pour  la  préparer  à  celle 
alliance.  Appliquons-nous  à  les  étudier  dans 
la  seconde  partie,  et  à  demander  à  Dieu  qu'il 
nous  les  donne  pour  nous  rendre  dignes  de 
la  miséricorde  qu'il  a  bien  voulu  nous  faire 
en  nous  donnant  part  à  la  plus  sainte  al- 
liance qui  fut  jamais. 

SKCOÎSOE    PARTIE- 

Comme  nous  avons  part  à  l'alliance  que 
Jésus-Christ  fait  aujourd'hui  avec  Marie  , 
ainsi  que  nous  venons  de  vous  le  faire  voir, 
nous  devons,  mes  très-chers  frères,  lâcher 
d'entrer  dans  les  dispositions  de  Marie,  pour 
essayer  de  nous  rendre  dignes  de  celte  mi- 
séricorde qu  il  lui  a  plu  de  nous  faire.  Saint 
Ambroise,  qui  vient  de  nous  marquer  la  part 
que  nous  avons  à  cette  alliance  divine  ,  nous 
inarque  en  même  temps  la  nécessité  de  celte 
disposition.  (Jue  chacun   ail ,    dit-il,  dans 


SERMON  POUR  LE  JOUR  DE  L'ANNONCIATION. 


710 


l'âme,  les  dispositions  de  Marie,  afin  qu'il 
rende  comme  elle  à  Dieu  les  actions  de  grâ- 
ces qui  lui  sont  dues;  et  que  chacun  entre 
dans  l'esprit  de  Marie,  afin  qu'il  mette  sa  joie 
ea  Dieu.  Or,  mes  frères,  je  trouve  dans  Ma- 
rie trois  dispositions  admirables,  qui  doivent 
être  dans  chaque  chrétien,  s'il  veut  conser- 
ver l'avantage  qu'il  a  reçu  de  Dieu  lorsque 
par  sa  miséricorde  il  lui  a  donné  part  à  l'al- 
liance qu'il  a  faite  avec  Marie  dans  ce  mys- 
tère. 

La  première,  c'est  un  étonnement  et  une 
admiration  mêlés  de  reconnaissance,  sur  la 
grandeur  de  celle  alliance  sainte  et  divine 
qui  lui  fait  reconnaître  son  élévation  par  son 
Fils  :  Quumodo  fiet  istud?  La  deuxième,  c'est 
un  anéantissement  et  une  profonde  humilité 
dans  la  vue  de  son  indignité  et  de  sa  propre 
bassesse  :  Ecce  ancilla  Domini.  La  troisième, 
c'est  une  adhérence  et  une  soumission  par- 
faites à  la  volonté  de  celui  qui  la  prévient 
par  sa  miséricorde  ;  elle  s'attache  à  celui  qui 
l'a  éle.ée,  afin  qu'il  soutienne  ce  qu'il  a  fait 
en  elle,  et  c'est  par  là  qu'elle  se  rend  digne 
de  l'alliance  qu'il  a  contractée  avec  elle  : 
Fiat  secundum  verbum  tuum.  Voilà  les  dis- 
positions où  nous  devons  èlre  pour  conser- 
ver l'honneur  que  Dieu  nous  a  fait  en  nous 
donnant  part  par  sa  miséricorde  à  l'alliance 
que  son  Fils  fait  aujourd'hui  avec  Marie,  et 
nous  devons  tirer  de  là  de  très-grandes  in- 
structions. 

La  sainte  Vierge  fit  paraître  d'abord  un 
étonnement  et  une  admiration  causés  par 
les  paroles  de  l'ange,  qui  i'assure  qu'elle 
est  pleine  de  grâce,  que  le  Seigneur  est  avec 
elle,  et  qu'enfin  elle  concevra  dans  son  sein 
et  qu'elle  enfantera  un  fils  qui  sera  le  ré- 
dempteur des  hommes. 

Saint  Bernard  remarque  trois  différents 
mouvements  dans  Marie  :  elle  est  troublée, 
dit-il,  par  la  crainte  de  perdre  la  qualité  de 
vierge  ;  parce  qu'elle  entend  qu'on  ne  lui 
propose  des  bénédictions  qu'en  qualité  de 
mère.  Elle  est  troublée,  parce  qu'elle  voit 
un  homme,  et  qu'elle  craint  les  tromperies 
de  celui  qui  se  transforme  en  ange  de  lu- 
mière. Sa  profonde  sagesse  la  met  dans  la 
défiance  quand  elle  entend  parler  de  grâce  et 
d'états  extraordinaires;  et  elle  apprend  aux 
âmes  chrétiennes  à  se  défier  beaucoup  de 
certaines  élévations  qui  les  retirent  de  la 
voie  commune,  et  qui  ne  leur  sont  pas  tou- 
jours inspirées  par  des  anges  de  lumière. 
Enfin  elle  fut  troublée  par  l'admiration  dont 
elle  fut  saisie,  voyant  que  Dieu  l'avail  choi- 
sie poi;r  la  combler  de  tant  de  grâces;  et  ue 
voyons-nous  pas  même  que  sa  cousine  entra 
dans  les  mêmes  senlimeuls  lorsqu'elle  la  re- 
cul chez  elle  :  D'où  me  vient  ce  bonheur,  lui 
dit-elle  ,  que  la  mère  de  mon  Seigneur  vienne 
vers  moi  f 

M, lis,  si  Elisabeth,  qui  recevait  une  moin- 
dre grlcc  que  celle  de  Marie,  est  entrée  dans 
un  élonneiiicnt,  dans  une  admiration  et  dans 
des  senlimen  %  d'une  reconnaissance  si  vive, 
quelle  n'a  pas  dû  être  colla  de  Marie,  el  que 
devoiis-nouspc  user  de  sa  disposition  devant 
Dieu? 


711 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


71-2 


Tour  nous,  me9  frères,  qui  avons  parla 
l'alliance  qne  le  Sauveur  du  momie  fait  au- 
jourd'hui avec  Marie,  nous  devons  recon- 
naître l'obligation  où  nous  sommes  d'entrer 
dans  «elle  première'  disposition.  11  n'y  a  point 
de  chrétien  qui,  faisant  réflexion  sur  cet 
avantage,  ne  doive  dire  tous  les  jours  de- 
vant Dieu  :  Et  d'où  me  vient  ce  bonheur  que 
le  Seigneur  même  vienne  en  moi  par  son  in- 
carnation, par  la  foi,  par  la  grâce  qui  me 
fait  chrétien?  Ah  1  mes  frères,  il  n'y  a  rien 
de  si  grand  et  de  si  relevé  que  la  grâce  chré- 
tienne. Par  elle  nous  devenons  les  enfants 
de  Dieu,  par  elle  nous  devenons  les  temples 
et  la  demeure  du  Saint-Esprit,  qui  habile  (  u 
nous;  par  elle  nous  devenons  les  membres 
de  Jésus-Christ  ;  et  le  même  Esprit  qui  est 
dans  le  chef  se  répand  sur  les  membres,  en 
sorte  même  que,  selon  saint  Paul,  tous  les 
chrétiens,  unis  au  Sauveur,  ne  forment 
qu'une  personne  avec  le  Fils  de  Dieu. 

Mes  frères,  il  n'y  a  rien  de  si  grand  que 
le  chrétien  ;  ce  qui  fait  dire  à  saint  Augustin  : 
Si  vous  vous  estimez  vils  et  abjects  par  la 
fragilité  de  votre  nature,  reconnaissez  ce  que 
vous  valez  par  le  prix  de  votre  rachat.  Le 
prix  et  la  valeur  de  ce  rachat  sont  le  sang 
de  Jésus-Christ;  rien  de  moindre  ne  pouvait 
nous  racheter,  et  l'effet  de  ce  prix  est  de 
nous  réunir  à  Dieu,  de  qui  nous  étions  sépa- 
rés. Nous  ne  connaissons  point  la  grandeur 
de  celte  grâce;  et  ce  qu'il  y  a  de  déplorable, 
c'est  que  nous  n'entrons  point  dans  ces  vues; 
nous  ne  savons  pas  même  ce  que  c'est  que 
la  grâce  chrétienne  ;  nous  la  recevons  sans 
la  connaître,  nous  l'exposons  sans  la  ména- 
ger, et  nous  la  perdons  saus  la  regretter. 
Ainsi  nous  n'avons  garde  d'entrer  dans  des 
sentiments  d'admiration,  parce  que  nous  ne 
nous  connaissons  point,  ni  dans  des  dispo- 
sitions de  reconnaissance,  puisque  nous  ne 
pouvons  estimer  ce  que  nous  ne  connaissons 
pas. 

Mais  où  apprendrez-vous  à  connaître  la 
grandeur  de  cette  grâce  qui  vous  rend  chré- 
tien, sinon  dans  les  livres  de  piété,  dans  l'E- 
criture sainte?  Mais  vous  ne  la  lisez  pas. 
Ccpcnd mtee  sont  les  lettres  de  noire  famille; 
c'est  là  qu'il  faut  aller  apprendre  qui  nous 
sommes,  à  qui  nous  appartenons,  quels  sont 
nos  biens,  à  quoi  nous  sommes  destinés, 
quel  esl  notre  héritage. 

De  bonne  foi,  qui  est-ce  qui  pense  comme 
il  faut  à  rendre  grâces  à  Dieu  de  tous  ces 
avantages?  On  n'y  songe  point;  mais  qui 
est-ce  qui  n'y  serait  pas  porté,  s'il  compre- 
nait la  grandeur  el  la  dignité  de  sa  consécra- 
tion? Que  l'idée  que  je  vous  en  viens  de 
donner,  mes  frères,  vous  porte  à  vous  en 
faire  instruire  et  à  en  rechercher  toute  la 
grandeur.  Nous  fouillons  dans  les  cendres  de 
nos  ancêtres  pour  tirer  des  preuves  d'une 
vaine  noblesse,  on  fait  dresser  des  généalo- 
gies pour  montrer  son  antiquité,  on  n'oublie 
rien  pour  faire  voir  qu'on  descend  d'une 
race  illustre  et  qu'on  appartient  à  de  grands 
hommes  :  on  esl  enfant  de  Dieu,  cl  on  ne  le 
sail  point;  on  esl  le  membre,  le  frère  et  le 
cohéritier  de  Jésus-Christ,  clou  néglige  toui 


cela.  Nous  sommes  Ions  égaux  dans  les  plus 
grands  dons  de  Dieu,  qui  soute  u\  de  l'âme, 
la  fui.  la  vocation,  l'adoption,  la  sanctifica- 
tion; c'est  donc  nne  folie  de  vouloir  se  distin- 
guer par  des  choses  de  nulle  importai 
pendant  qu'on  ne  sail  pas  connaître  sa  véri- 
table grandeur.  Si  vous  n'étiez  que  des  hom- 
mes sans  être  chrétiens,  ou  que  imus  n'eus- 
sions point  d'autre  établissement  que  celui 
de  la  terre,  il  serait  permis  de  s'y  établir 
d'une  manière  fixe;  mais  quel  aveuglement 
d'en  chercher  les  moyens,  pendant  que  nous 
ne  sommes  ici  que  pour  y  passer,  que  nous 
sommes  héritiers  de  la  gloire  éternelle,  et 
que  dans  le  ciel  nous  avons  un  père,  une 
patrie,  un  établissement  pour  toute  l'éternité! 
Laissons  les  grandeurs  du  monde  à  ceux  qui 
n'ont  point  d'autre  espérance. 

Ils  laisseront  leurs  richesses  à  des  étran- 
gers, leurs  hépulcres  seront  leurs  mai- 
jusqu'à  la  consommation  des  siècles  :  telles 
seront  leurs  demeures  dans  la  suite  de  t  Mî- 
tes les  races,  de  tous  les  âges,  quoiqu'ils 
aient  voulu  se  rendre  immortels  en  donnant 
leurs  noms  à  leurs  terres. 

Mon  Dieu  I  donnez-nous  l'idée  de  la  véri- 
table grandeur.  La  recherche  de  la  fausse 
nous  élève,  et  la  véritable  nous  humilie.  Le 
fondement  de  la  solide  élévation,  c'est  l'a- 
néantissement d'un  cœur  humble  et  soumis 
à  Dieu.  Marie  n'est  humble  que  parce  qu'elle 
est  grande,  et  c'est  la  seconde  disposition 
que  nous  devons  imiter. 

En  effet, mes  frères,  d'où  pensez-vous  que 
vienne  l'humilité  de  Marie? Elle  vient  de  sa 
grandeur.  L'ange  lui  dit  :  yVe  craignez  point, 
Marie,  car  vous  avez  trouvé  grâce  devant  Die  r, 
el  que  produit  en  elle  la  vue  de  cette  gran- 
deur? l'humilité,  l'anéantissement.  C'est  co 
qui  parait  par  sa  réponse  :  Voici  la  servante 
du  Seigneur.  Celle  qui  est  choisie  pour  être 
la  Mère  du  Seigneur  assure  qu'elle  n'est  que 
sa  servante,  dit  saint  Ambroise.  Les  lumiè- 
res que  tant  de  grâces  apportent  en  elle  lui 
découvrent  la  profondeur  de  son  néant; 
car,  comme  dit  saint  Bernard,  jamais  la  créa- 
ture ne  connaît  mieux  sa  misère  que  quand 
elle  est  remplie  des  lumières  de  Dieu. 

La  grandeur  de  Marie  l'humilie;  parce 
qu'elle  la  regarde  avec  l'œil  de  la  foi,  et 
qu'elle  considère  la  di-proportion  qu'il  y  a 
entre  les  grâces  que  Dieu  lui  a  faites  avec 
elle-même,  qui  les  reçoit;  et,  voyant  ce 
qu'elle  a  reçu,  elle  s'abaisse  et  s'anéantit  in- 
finiment- Ce  serait  par  les  mêmes  vues  que 
nous  deviendrions  humbles,  si  nous  considé- 
rions avec  admiration  la  grandeur  el  la  di- 
gnité de  la  grâce  chrétienne,  el  ce  que  nous 
sommes  par  l'alliance  que  Jésus-Christ  fait 
avec  nous.  Nous  reconnaîtrions  ce  qu'a  dit 
l'Apôtre  dans  un  autre  sens,  que  nous  por- 
tons un  grand  trésor  dans  des  vases  de  terre; 
et  nous  dirions  comme  le  saint  nomme  Job  : 
Quoi, Seigneur,  vous  avez  daigné  ouvrir  les 
yeux  sur  une  si  basse  créature.  Car,  prenez-y 
garde,  mes  chers  frères,  ce  n'est  point  un 
orgueil  que  de  penser  aux  grâces  et  aux 
dons  que  Dieu  a  mis  en  nous,  et  de  considé- 
rer la  grandeur  que   nous  tenons  de  lui  par 


7t5 


SERMON  POUR  LE  JOUR  DE  L'ANNONCIATION 


sa  grâce,  quand  nous  n'y  pensons  que  pour 
lui  en  rendre  toute  la  gloire;  c'est  au  con- 
traire un  devoir  de  l'humilité  chrétienne  et 
un  moyen  pour  l'acquérir  ou  pour  l'augmen- 
ter, puisque  nous  ne  saurions  entrer  dans 
ces  vues  sans  reconnaître  que,  si  d'une  part 
nous  tenons  toute  notre  grandeur  de  Dieu  et 
de  sa  grâce,  nous  ne  saurions,  faibles  comme 
nous  sommes,  la  conserver  un  instant  si 
nous  ne  nous  livrons  pour  toujours  à  sa 
conduite,  pour  ne  suivre  que  les  mouve- 
ments de  son  esprit  comme  Marie,  qui  s'a- 
bandonne entièrement  à  lui. 

La  vue  de  ces  dons  doit  nous  porter  à  mé- 
priser toutes  les  choses  de  la  terre  et  à  nous 
élever  saintement  au-Jcssus  d'elles.  Il  y  a  un 
saint  orgueil,  dit  saint  Paulin  ;  nous  sommes 
plus  grands  que  toutes  les  choses  de  la  terre, 
et  que  me  peut  donner  le  monde  qui  ne  soit 
au-dessous  de  moi?  Celte  vue  doit  nous  por- 
ter encore  à  rendre  grâces  à  Dieu. 

Enfin,  plus  nous  sommes  pénétrés  de  no- 
tre bassesse  et  de  notre  misère,  plus  nous  se- 
rons pleins del'idéedeia  grandeur deces  dons, 
et  portés  par  là  à  remonter  jusqu'à  leur  au- 
teur, qui  n'a  pas  commencé  cet  ouvrage  pour 
le  laisser  imparfait. 

La  troisième  disposition  de  Marie  est  de 
s'abandonner  à  Dieu  par  une  adhérence  et 
une  soumission  parfaites  à  sa  volonté  :  Fiat 
mihi  secundum  verbum  tuum. 

Saint  Ambroise  distingue  deux  choses  dans 
ces  paroles  de  la  sainte  Vierge,  la  soumis- 
sion et  l'adhérence.  Je  suis  la  servante  du 
Seigneur  /elle  se  soumet,  voilà  sa  soumission; 
mais  elle  se  livre,  et  c'est  son  adhérence  : 
Qu'il  me  soit  fait  selon  votre  parole.  Ainsi, 
mes  frères,  par  ces  premières  paroles  elle  se 
déclare  la  servante  du  Seigneur  :  Ecce  an- 
cilla  Domini;  et  par  celles-ci  :  Fiat  mihi  se- 
cundum verbum  tuum,  on  peut  dire  qu'elle 
se  livre  pour  toujours  à  Dieu,  pour  n'avoir 
plus  de  volonté  que  la  sienne. L'angel'appellc 
pleine  de  grâce,  c'est  donc  suivre  l'autorité 
de  Dieu  même,  au  nom  de  qui  il  parle,  que 
de  regarder  la  sainte  Vierge,  avant  même 
l'incarnation,  comme  remplie  des  grâces  de 
Dieu,  comme  parfaitement  pure  et  comme 
élevée  à  une  Irès-éminente  perfection. 

Mais,  depuis  l'incarnation  du  Verbe  dans 
son  sein,  il  y  a  eu  une  surabondance  de 
grâce  qui  a  détruit  entièrement  tous  les  obs- 
tacles et  le  principe  même  de  tous  les  mouve- 
ments contraires  à  cette  adhérence  parfaite  ; 
et ,  depuis  l'alliance  que  Jésus-Christ  a  faite 
avec  Marie  dans  ce  mystère,  elle  est  livrée 
à  la  volonté  de  Dieu,  et  elle  n'a  plus  d'autres 
mouvements  que  ceux  qu'elle  reçoit  de  son 
esprit,  qui  la  remplit. 

Que  de  réflexions  se  présentent  en  vous 
exposant  l'exemple  de  Marie  1  Sans  cette 
disposition,  mes  très-chers  frères,  c'est-à- 
dire  sans  l'union  de  notre  volonté  à  celle  de 
Dieu,  nous  ne  saurions  conserver  la  grâce  de 
l'alliance  qu'il  fait  avec  nous  par  sa  miséri- 
corde. Entrez  bien  dans  ceci,  et  comprenez, 
s'il  vous  plaît,  comment  et  à  quelles  condi- 
tions se  fait  notre  alliance  ;  comment  nous 
sommes  unis  à  Dieu,  les  obstacles  qui    s'op- 

Oratklks  sacrés.  XXX. 


714 

posent  à  notre  union  avec  lui  et  à  notre  ad- 
hérence à  sa  volonté,  les  secours  dont  nous 
avons  besoin  pour  la  conserver,  et  l'atten- 
tion que  nous  y  devons  donner. 

Nous  sommes  unis  à  Dieu  par  la  grâce, 
c'est  par  sa  miséricorde  que  nous  sommes 
arrachés  de  la  puissance  des  ténèbres  et 
transférés  dans  le  royaume  de  son  Fils;  et 
par  notre  régénération  en  Jésus-Christ  et 
par  l'alliance  que  nous  contractons  avec  lui 
dans  le  baptême,  nous  sommes  délivrés  du 
péché.  Notre  volonté,  qui  était  adhérente  à 
celle  d'Adam,  est  transférée  en  Jésus-Christ. 
Nous  adhérons  à  Dieu,  et  en  lui  par  sa  vo- 
lonté, et  nous  sommes  sauvés  en  sa  vie, 
comme  parle  l'Apôtre. 

Nous  trouverons  toujours  en  nous  des 
obstacles  à  cette  adhérence,  il  est  vrai,  parce 
que  la  concupiscence,  qui  est  toujours  en 
nous,  travaille  à  nous  retirer  de  Dieu.  C'est 
le  combat  des  deux  lois  dont  parle  saint 
Paul  ;  et,  selon  saint  Augustin,  nous  ne  som- 
mes régénérés  que  dans  la  pointe  de  l'âme. 
Etrange  composé  du  chrétien,  qui  esÊ.  formé 
de  l'union  d'un  corps  mort  et  d'une  âme  res- 
suscilée,  dont  l'une  lui  montre  le  ciel,  et 
l'autre  l'entraîne  vers  la  terre!  Mais  si  Jésus- 
Christ  est  en  vous,  quoique  votre  corps  soii 
mort  à  cause  du  péché,  l'esprit  est  vivant  à 
cause  de  la  justice.  11  y  a  donc  dans  l'homme 
deux  volontés  opposées,  celle  do  l'homme 
charnel  et  celle  de  l'homme  spirituel  :  ce 
que  l'une  veut,  l'autre  le  combat. 

Voilà  les  obstacles  que  notre  concupis- 
cence l'orme  en  nous.  Mais  que  faut-il  faire? 
Le  voici.  11  faut  être  dans  une  continuelle 
attention  à  combattre,  pour  achever  de  faire 
mourir  les  désirs  de  la  concupiscence  et  pour 
éteindre  ce  qui  reste  en  nous  de  ia  vie  du 
vieil  homme.  Il  faut  recourir  à  la  grâce  de 
Jésus,  qui  seule  nous  peut  faire  triompher  do 
cette  violente  inclination  au  mal,  qui  est  le 
malheureux  héritage  des  enfants  d'Adam, 
par  une  prière  continuelle.  La  bonne  volonté 
ne  peut  venir  que  de  celui  qui  l'opère  ;  il  faut 
lire  la  loi  de  Dieu  et  les  livres  de  piété  pour 
y  apprendre  la  volonté  de  notre  Père.  Enfin 
il  faut  imiter  les  exemples  cl  régler  sa  vie 
sur  la  conduite  de  Jésus-Christ,  qui  a  formé 
en  nous  une  alliance  si  divine;  et  vivre 
comme  .Marie  ,  qui  ,  étant  devenue  mère 
de  Dieu,  n'a  plus  eu  d'autres  mouvements 
que  ceux  de  la  volonté  de  Dieu. 

Voyons  maintenant  où  nous  en  sommes. 
Nous  avons  eu  part  à  cette  alliance  par  le 
baptême,  et  en  vertu  de  relie  alliance  nous 
sommes  unis  à  Jésus-Christ ,  transportés, 
eûtes  et  établis  en  lui,  comme  parle  l'Ecri- 
ture. Son  esprit  est  en  nous,  et  nous  devons 
vivre  selon  son  esprit,  caries  membres  vi- 
vent de  la  vie  de  leur  chef.  Voilà  notre  obli- 
gation ;et  si  nous  ne  la  remplissons,  l'alliance 
que  nous  avons  contractée  avec  Jésus-Christ 
ne  peut  tourner  qu'à  noire  condamnation  ; 
car  celte  éminente  dignité,  ce  grand  nom  de 
chrétien  n'est  capable  que  de.  nous  abaisser 
et  de  nous  rendre  misérables,  si  nous  ne  le 
savons  pas  soutenir.  Non,  mes  frères,  il  ne 
nous  servirait  de  rien  d'avoir  conçu  Jésus- 

23* 


718 


ORATFTRS  SACRER.  DO. M  JEROME. 


Tir, 


Christ,  môme  dans  nos  entrailles  d'one  ma- 
nière aussi  miraculeuse  que  Marie,  si  la 
pureté  île  noire  vie  ne  répondait  pas  à  une 
dignité  si  excellente.  Ce  n'aurait  pas  éié  un 
grand  ara  otage  pour  Marie,  si  elle  n'avait 

conçu  Jésus-Christ  que  selon  la  chair,  et  si 
elle  ne  l'avait  pas  conçu  en  même  temps  se- 
lon l'esprit  par  la  foi. 

Ainsi,  mes  frères,  prenons  garde  que  notre 
alliance  avec  Jésus-Chi  isl  par  ce  mystère,  et 
par  la  grâce  de  notre  baptême,  qui  en  est 
une  suite,  ne  soit  un  sujet  de  condamnation 
pour  nous. 

Ingr.it  et  insensible  celui  qui  oublie  ce 
qu'il  a  été  et  ce  qu'il  est  par  une  si  grande 
mtséricordel  Aveugle  el  présomptueux  celui 
qui  ne  craint  point  de  rompre  cette  alliance 
et  de  rentrer  sous  la  puissance  du  démon  ! 
.Misérable  et  insensé  celui  qui  compte  pour 
rien  de  s'y  engager  de  nouveau  pour  un 
plaisir  d'un  moment  ! 

Jugeons  du  succès  de  notre  alliance  pai 
notre  adhérence  à  Dieu,  car  Jésus-Christ 
nous  avons  été  transformés  en  lui  :  vivons- 
nous  de  son  esprit?  L'Apôtre  dit  que  celui 
qui  n'a  point  l'esprit  do  Jésus-Christ  n'est 
point  à  lui,  quoiqu'il  soit  dans  la  religion  de 
Jésus-Christ:  paroles  terribles  et  dignes  d'une 
grande  attention  !  Car  qui  n'a  point  l'esprit 
de  Jésus-Christ  ne  peut  avoir  qu'un  esprit 
d'erreur  et  de  ténèbres,  et  celui  qui  l'a  le 
doit  faire  voir  dans  sa  conduite  el  dans  sa 
vie. 

Or,  quel  est  l'esprit  de  Jésus-Christ,  nous 
vous  l'avons  dit  plusieurs  fois  :  c'est  un  esprit 
de  pauvreté,  de  simplicité,  de  douceur,  d  hu- 
milité, de  patience  :  est-ce  là  notre  esprit, 
mes  frères?  Examinons -nous  sans  nous 
'lailer. 

Qui  adhère  à  Dieu  est  un  même  esprit  avec 
lui ,  et  c'est  là  l'effet  de  ia  charité  et  de  l'a- 
mour de  Dieu;  car  celui  qui  s'attache  au 
Seigneur  par  un  amour  ardent  devient  un 
même  esprit  avec  lui  par  une  parfaite  cor- 
respondance à  toutes  ses  volontés.  Nous  de- 
venons ce  que  nous  aimons;  l'amour  trans- 
forme ce  qu'il  unil  :  ceux  qui  sont  enfants 
de  Dieu  sont  conduits  par  son  esprit,  ceux 
qui  ne  sont  pis  conduis  par  son  esprit  ne 
sont  donc  point  ses  enfants  ;  mais  quel  doit 
être  l'héritage  de  ceux  qui  ne  sont  pas  ses 
enfants?  Mes  frères,  vous  le  dirai-je?  il  n'y 
a  que  deux  naissances,  et  par  conséquent 
que  deux  patries;  il  n'y  a  que  deux  cités,  et 
par  conséquent  que  deux  héritages. 

Vous  n'êtes  pas  les  entants  de  Dieu  si  vous 
n'êtes  pas  conduits  par  son  esprit  ;  vous  êtes 
les  enfants  du  démon  -i  vous  n'accomplissez 
que  les  désirs  qu'il  vous  suggère.  Cela  est 
terrible,  mais  il  le  sera  bien  davantage  quand 
Dieu  nous  le  dira  lui-même,  el  peut-être  dès 
demain. 

Songez-y  donc,  mes  frères  :  nous  avons 
part  à  l'alliance  que  Jésus-Christ  fait  arec 
Marie  et  dans  Marie;  ce  mystère  est  fait  pour 
nous,  el  c'est  une  horrible  confusion  pour 
rous  si  nous  avons  rompu  celle  alliance. 

Jugeons-en  par  l'esprit  qui  nous  anime,  et 
demandons  nous  à  nous-mêmes  dans  toutes 


nos  .niions  si  nous  IgifSOSfl  par  l'esprit  de 

Jésus-Christ:  cir,  mes  frères,  notre  corps  et 
notre  esprit   ne  sont  plus  à  nous,    nous   lui 
appartenons  depuis  notre  alliance,    et 
lui  qui   en    doit  régler  et  gouverner  lous  les 
mouvements. 

Prions  donc,    mes   frères,    afin    que   nous 
puissions  concevoir  Jesus-Christ  :  le  r< 
eiler,    s'il  est  mort   en  nous  :    lui    don 
l'action elde la  vigueur,  s'il  y  est  la 
et  le  faire  régner  pour  régner  avec  lui. 

C'est  à  vous  y  engager  que  je  m'applique 
dans  lous  mes  discours  :  fa>-se  le  ciel  que 
mon  travail  ne  soil  pas  sans  fruit  !  Uue  lésus- 
Christ  soil  véritablement  formé  en  rous  el 
en  moi;  qu'il  y  vive,  qu'il  y  agisse  et  qu'il 
y  règne  toujours,  afin  que  nous  résilions 
tous  ensemble  éternellement  avec  lui."  Ainsi 
soit-il. 

SERMON 


POIR  LE  JOUR  DE  l'aSOENSION. 

Expedit  vouis  ut  ego  vadam. 

//  vouh  eu  utile  que  je  m'en  aille  (loan.,  \VI, 


■j. 


Comme  tous  les  mystères  qui  s'accomplis- 
sent en  la  personne  de  l'Homme-Dieu  regar- 
dent tous  les  membres  du  corps  dont  il  psi  !e 
chef,  toutes  les  fois  que  l'Eglise  sainte  nous 
engage  à  en  entretenir  ses  enfants,  nous  ne 
devons  jamais  séparer  ce  qu'elle  nous  pro- 
pose comme  l'objet  de  noire  foi,  d'avec  ce 
qui  doit  être  le  sujet  de  notre  espérance,  et 
nous  devons  toujours  parler  également  de 
tout  ce  qui  le  regarde  et  de  ce  qui  nous 
touche. 

Or,  mes  frères,  nous  nous  assemblons  au- 
jourd'hui pour  solenniser  un  mystère  qui, 
étant  l'accomplissement  de  tous  ceux  qui  ont 
regardé  l'Homme-Dieu.  e>l  aussi  la  consom- 
mation de  noire  foi ,  le  fondement  solide  de 
notre  espérance  jour  le  ciel,  cl  le  grand  sujet 
de  notre  consoKitionsurlalerre.  Ainsi,  pour 
entrer  aujourd'hui  dans  l'idée  générale  qu'on 
doit  suivre  en  pariant  de  tous  les  mystères, 
et  ne  point  séparer  ce  qui  regarde  Jésus- 
Christ  d'avec  ce  qui  nous  touche,  faisons 
voir,  dans  les  deux  parties  de  ce  discours  :  1* 
que  c'est  pour  nous  que  Jésus-Christ,  revêtu 
de  notre  chair,  monte  au  ciel  ;  -2°  qu'il  y  faut 
monter  avec  lui  en  esprit.  En  un  mol  il  y 
porte  notre  humanité,  il  y  faut  transporter 
nos  cœurs.  Demandons  les  lumières  de  l'Es- 
prit-Saint.  Ave,  Marin. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Pour  suivie  l'ordre  que  je  me  suis  proposé 
d'abord,  et  ne  point  séparer  ce  qui  regarde 
Jésus-Christ  d.'  ce  qui  nous  touche  dans  ce 
mystère,  il  faut  premièrement,  mes  frères, 
vous  expliquer  ce  que  signifient  ces  paroles 
Jésus-Christ  est  monté  au  ciel,  el  vous  faire 
voir  ensuite  qu'il  y  est  monte  pour  nous.  El 
d'abord  il  faut  regarder  Jésos-Cbrist  bobs 
deux  différentes  qualités  :  comme  personne 
partienlière  et  comme  personne  publique, 
comme  l'Homme- Dieu  plein  de  grâce  et  de 
vérité,  et  comme  chef  des  hommes  qu'il  a 
i  ■  i  ure>  en  Dieu  en  repaudjnt  sur  eux  cette 
dont  il  était  rempli. 


717 


SERMON  POUR  LE  JOUR  HE  L'ASCENSION. 


71U 


Cet  Homme-Dieu  est  monté  dans  le  ciel, 
c'est  un  article  de  notre  foi  ;  et  il  est  assis  à 
la  droite  de  son  Père.  C'est  ainsi  que  l'Ecri- 
ture en  parle  :  Dieu  est  monté,  dit  le  Pro- 
phèle,  parmi  les  acclamations  de  joie.  Ce- 
lai qui  esl  descendu  est  le  même  qui  est 
monté  au-dessus  de  tous  les  deux,  afin  de 
remplir  toutes  choses,  dit  l'Apôtre.  Allez, 
dit-il  lui-même,  trouver  mes  frères,  et  leur 
dites  de  ma  part  ,  Je  monte  vers  mon  Père. 
Jésns-Christ  est  donc  monté  au  ciel,  il  y  est 
assis  à  la  droite  de  son  Père  sur  le  même 
trône,  c'est-à-dire  dans  unesouveraine  félicité 
et  une  égale  gloire.  C'est  là,  (lit  saint  Bernard, 
l'heureuse  clôture  du  voyage  que  le  Sauveur 
du  monde  était  venu  faire  sur  la  terre  ;  et 
c'est  une  suite  de  la  justice  que  lui  doit  ron 
Père  éternel;  car  il  fallait  que  ce  conquérant 
du  monde  fût  couronné,  et  que  les  humilia- 
tions par  lesquelles  il  avait  passé  pour  rem- 
plir les  engagements  de  l'Homme-Dieu  fus- 
sent récompensées. 

Aussi  l'Apôtre  ne  sépare-t-il  pas  ces  deux 
choses  en  pariant  de  ce  mystère.  Il  était 
nécessaire  que  Jésus-Christ  donnât  le  Saint- 
Esprit  à  son  Eglise,  et,  pour  le  faire,  il  fal- 
lait donc  qu'il  fût  assis  sur  ie  trône  de  la 
divinité.  En  effet  on  peut  regarder  cet  ou- 
vrage de  l'amour  du  Sauveur,  qui  l'a  obligé 
de  venir  sur  la  terre,  comme  un  cercle  admi- 
rable qui  a  son  principe,  pour  parler  ainsi, 
dans  le  sein  du  Père  éternel,  et  qui  doit  avoir 
sa  Cn  et  son  terme  dans  le  même  sein.  C'est 
l'idée  que  présentent  ces  paroles  de  saint 
Jean  :  Je  suis  sorti  démon  Père  et  je  suis  venu 
dans  le  monde;  maintenant  je  laisse  le  monde 
et  je  m'en  retourne  à  mon  Père. 

Or  il  y  a  trois  choses  à  considérer  dans 
ces  paroles.  Je  suis  sorti  de  mon  Père,  voilà 
la  génération  éternelle  de  Jésus-Christ.  Je 
suis  venu  dans  le  monde,  voilà  son  incarna- 
tion dans  le  sein  de  sa  mère.  Je  m'en  retourne 
à  mon  Père,  voilà  le  commencement  de  la  vie 
glorieuse  de  son  humanité  dans  son  ascen- 
sion; et  c'est  ce  qui  forme  ce  cercle. 

11  sort  du  sein  de  son  Père,  voilà  d'où  son 
amour  le  tire  en  quelque  sorte  pour  le  faire 
passer  dans  le  sein  d'une  vierge,  où  la  divi- 
nité qu'il  y  porte  se  cache  par  tous  les  enga- 
gements de  misère  qui  font  l'apanage  de  la 
nature  qu'il  a  prise;  et,  après  avoir  parcouru 
toute  la  circonférence  de  ce  cercle,  il  re- 
tourne dans  le  sein  de  son  Père,  et  il  donne 
à  son  humanité  les  avantages  d'une  vie  glo- 
rieuse qu'il  semblait  avoir  ôlée  à  sa  divinité 
dans  les  anéantissements  de  sa  vie  humaine  : 
car  cet  Homme-Dieu  qui  est  couronné  et  dont 
les  humiliations  sont  récompensées  avec  tant 
de  gloire,  est  le  chef,  etilagilpourtous  ceux 
qui  sont  régénérés  par  la  grâce,  dont  il  est 
l'auteur. 

Les  saints  Pères  conviennent  tous  que  la 
gloire  de  l'humanité  du  Sauveur  n'a  été  ac- 
complie que  dans  le  mystère  de  l'ascension. 
Cette  gloire  à  la  vérité  a  paru  visiblement  sur 
le  Tliahor,  mais  ce  ne  fut  que  pendant  vin 
peu  de  temps  ;  elle  a  para  dans  sa  résurrci- 
tion,  mais  elle.  ne.  parut  qu'en  se;  rel  ci  dans 
l'obscurité   d'un   sépulcre  :  mais   dans   sou 


ascension  il  reçoit  une  gloire  solide,  perma- 
nente, publiqueet  reconnue  de  tout  le  monde. 
Voilà,  mes  frères,  ce  qui  regarde  Jésus- 
Christ  dans  ce  mystère  :  il  est  monté  au  ciel, 
c'est  par  où  il  va  heureusement  finir  sa  car- 
rière ;  mais  il  y  est  monté  pour  nous,  c'est  ce 
qui  nous  touche  et  c'est  ce  qui  doit  être  l'ac- 
complissement de  notre  foi,  le  solide  fonde- 
ment de  notre  espérance  et  le  grand  sujet  de 
notre  consolation  sur  la  terre. 

11  monte  pour  nous  ouvrir  le  chemin  ,  il 
passe  devant  nous  comme  notre  roi,  et  il  est 
à  la  tête  de  nous  tous.  Je  m'en  vais,  dit  le 
Sauveur  lui-même,  pour  vous  préparer  le  lieu, 
c'est-à-dire,  je  m'en  vais  vous  ouvrir  l'entrée 
du  ciel,  qui  a  été  fermée  jusqu'ici,  et  je  vais 
pour  vous,  vous  qui  êtes  mes  disciples,  pren- 
dre possession  de  cet  te  gloire  à  laquelle  je  vous 
ai  destinés  dès  le  commencement  du  monde.  Je 
monte  vers  mon  Père  et  votre  Père.  11  ne  dit 
pas  vers  notre  Père,  quoiqu'il  soit  le  sien  et 
le  nôtre  ;  parce  qu'il  est  le  sien  et  le  nôtre  de 
différentes  façons.  Il  est  le  sien  par  nature, 
il  est  le  nôtre  par  adoption;  mais  puisque 
le  Fils  naturel  est  remonté  vers  son  Père,  les 
enfants  adoplifs  doivent  espérer  de  le  suivre. 
Car,  mes  frères,  il  est  vrai  de  dire  que  tout 
ce  qu'il  a  fait  durant  son  séjour  sur  la  terre 
se  rapporte  à  nous.  11  s'est  fait  homme  pour 
nous,  il  est  mort  pour  nous,  il  est  ressuscité 
pour  nous,  i!  est  monté  au  ciel  pour  nous  : 
c'est  ce  qui  fait  (Pire  à  l'apôtre  saint  Paul 
aux  Ephésiens  :  Lorsque  nous  étions  morts 
par  nos  péchés,  il  nous  a  rendu  la  vie  en  Jésus- 
Christ, par  la  grâceduquel  nous  sommes  sauvésy 
et  il  nous  a  ressuscites  avec  lui  et  nous  a  fait 
asseoir  dans  le  ciel  en  Jésus-Christ;  car  nous 
i-ommes  les  membres  de  son  corps,  et  il  faut 
que  les  membres  d'un  même  corps  reçoivent 
tous  les  mouvements  du  chef  quand  ils  vivent 
de  sa  vie,  et  qu'ils  soient  où  est  le  chef  quand 
ils  ne  sont  pas  séparés  du  corps. 

Si  donc  nous  sommes  ses  membres,  et 
qu'il  soit  dans  le  ciel,  nous  sommes  aussi 
dans  le  ciel,  non  pas  dans  nos  personnes, 
comme  dit  saint  Jérôme,  qui  sont  encore 
sur  la  terre,  mais  dans  la  personne  de  Jésus- 
Christ,  qui  est  déjà  dans  le  ciel  pour  nous 
comme  chef,  et  à  qui  nous  devons  être  réu- 
nis comme  membres.  C'est  pourquoi  l'Apôtre 
l'appelle  encore  notre  Précurseur,  qui  est 
entré  pour  nous  en  allant  devant  nous,  afin 
que  nous  le  suivions;  en  nous  préparant  le 
lieu  et  en  priant  pour  nous,  afin  de  nous  y 
faire  arriver  par  les  secours  qu'il  demande 
pour  nous. 

En  effet,  Jésus-Christ  monte  dans  le  ciel 
comme  un  roi  qui  va  mettre  en  sûreté  les 
prémices  des  dépouilles  qu'il  a  remportées 
sur  ses  ennemis,  comme  un  père  qui  va  pré- 
parer la  place  et  la  demeure  qu'il  a  méritées 
à  ses  enfants,  et  comme  un  précurseur  qui 
nous  fraye  le  chemin  et  qui  nous  en  ouvre 
l'entrée  :  car  avant  qu'il  y  fût  monté,  la  na- 
ture humaine  en  ètnft  exclue,  et  par  son 
ascension,  non-seulement  le  bannissement  est 
fini,  mais  la  nature  est  rétablie  dans  un  pa- 
radis plus  exe.  lient  cl  plus  parfait  que  celui 
qu'elle  avait  perdu  en  Adam.  L'un  était  lem- 


719 


OltATLimS  SACHES.  DOM  JËHOMK 


720 


porcl,  l'autre  est  éternel.  Dans  l'un,  on  pou- 
vnil  mourir  el  pécher,  et  l'un  ci  l'antre  est 
arrivé;  dans  celui-ci,  ni  l'un  ni  l'autre  ne 
peuvent  arriver,  l'homme  y  est  immortel  cl 
impeccable.  Dans  l'un,  il  vivait  d'une  vie  ani- 
maient avait  besoin  de  nourriture  corporelle, 
et  dans  l'autre  il  a  une  vie  spirituelle  el  il 
est  nourri  de  Dieu,  et  il  faut  remarquer,  dit 
saint  Cbrysoslome,  que  le  précurseur  n'est 
pas  beaucoup  devant  ceux  qui  le  suivent  ; 
car  nous  ne  saurions  concevoir  un  homme 
qui  marche  devant  que  nous  n'en  concevions 
en  même  temps  d'autres  qui  le  suivent.  Ainsi 
Jésus-Christ  s'est  transporté  devant  nous,  et 
nous  le  suivons  de  bien  [très;  car  la  vie  est 
courte,  dit  saint  Chrysoslome,  el  à  la  lin  de 
celle  vie  nous  trouverons  avec  Jésus-Christ 
la  jouissance  de  celle  gloire  dont  il  est  allé 
prendre  possession  pour  nous. 

Voilà,  mes  frères,  une  excellente  vérité, 
qui  doit  être,  comme  dit  l'Apôtre,  une  ancre 
ferme  et  assurée  qui  tienne  notre  âme  im- 
mobile au  milieu  des  flots,  des  tentations  et 
des  traverses  de  la  vie.  Le  Sauveur  du  monde 
veut  que  ses  apôtres  soient  témoins  de  l'ascen- 
sion de  sou  corps  glorieux,  pour  les  confirmer 
dans  la  foi  de  sa  résurrection  et  les  assurer 
de  la  leur,  el  ensuite  de  l'ascension  de  leurs 
corps;  el  si  l'Evangile  dit  qu'il  les  a  aimés 
jusqu'à  la  fin,  parce  qu'il  leur  a  donné  son 
corps  en  allant  à  la  mort,  il  ne  les  a  pas 
aimés  moins  en  leur  montrant  son  corps  glo- 
rieux, qui  est  tout  ensemble,  et  le  fondement 
de  laur  espérance  pour  le  ciel,  et  le  graud 
sujet  de  leur  consolation  sur  la  terre. 

Les  souffrances  que  vous  avez  passeront; 
il  essuiera  toutes  vos  sueurs,  il  arrêtera  vos 
larmes;  c'est  maintenant  le  temps  de  gémir, 
puisque  c'est  celui  des  afflictions:  mais,  afin 
de  nous  consoler  jusqu'à  ce  que  le  jour  de  la 
dédicace  du  lemple,  à  la  structure  duquel 
Dieu  travaille  en  nous,  soit  arrivé,  considé- 
rons que  notre  chef  est  déjà  dans  lu  gloire, 
à  laquelle  nous  espérons  de  participer.  La 
dédicace  de  ce  lemple  sainl  et  éternel,  qu'il 
veut  consacrer  à  son  Père,  et  dans  la  struc- 
ture duquel  nous  devons  entrer. est  déjà  faite 
en  notre  chef,  cl  le  temple  est  déjà  consacre 
par  la  sanctification  de  son  fondement.  11  faut 
donc  marcher  sur  ses  traces  par  ta  voie  qu'il 
nous  a  montrée  et  qu'il  a  tenue,  el  c'est  ce 
que  nous  devons  nous  dire  dans  toutes  nos 
afflictions,  il  faut  descendre  avec  lui  pour 
mouler  avec  lui. 

En  effet,  mes  frères,  qu'est-ce  qui  peul 
être  capable  de  nous  troubler  quand  nous 
pensons  que  nous  sommes  déjà  dans  le  ciel 
en  la  personne  de  Jésus-Christ?  Est-ce  la 
perle  des  biens?  Mais  notre  Père  est  dans  le 
ciel,  et  notre  héritage  doit  être  où  est  noire 
Père.  Est-ce  la  crainte  de  perdre,  la  vie?  Mais 
nous  ne  saurions  aller  prendre  possession  de 
notre  héritage  qu'en  la  perdant;  el  si  nous 
avions  une  loi  vive,  nous  regarderions  la 
perte  de  la  vie  comme  un  gain,  parce  qu'en 
la  perdant  nous  trouvons  la  fiu  de  noire  exil 
cl  le  commencement  de  notre  bonheur.  Est- 
ce  la  faiblesse  et  la  misère  dans  laquelle  nous 
.sommes?  csl-cc   l'opposition  que  noua  trou- 


vons dans  nous-mémeset  hors  de  nous-mêmes 
à  la  pratique  du  bien?  est-ce  enfin  la  crainte 
de  ne  pas  arriver  à  la  possession  de  cette 
gloire  où  Jésus-Christ  est  entré  pour  nous  ? 
Consolez-vous,  mes  très-chers  frères,  puis- 
que l'apôtre  saint  Paul,  qui  nous  assure  que 
Jésus-Christ  est  cnlré  dans  la  irloire  pour 
nous,  comme  notre  précurseur,  ajoulc  en 
même  temps  qu'il  y  est  établi  l'ontife  éternel 
selon  l'ordre  de  Melchisédclt,  étant  toujour» 
vivant  pour  intercéder  pour  nous.  Jésus- 
Christ  prie  véritablement  pour  nous  en  de- 
mandant à  son  Père  les  choses  dont  nous 
avons  hesoin,  non  de  la  manière  dont  il  fai- 
sait pendant  qu'il  était  sur  la  terre;  celle 
prière  se  fait,  non  avec  des  larmes  et  avec 
des  prosternernents ,  mais  d'une  manière 
glorieuse,  en  représentant  les  larmes  qu'il  a 
versées,  les  plaies  qu'il  a  reçues,  el  deman- 
dant à  son  l'ère  pour  les  hommes  les  grâces 
dont  ils  ont  besoin.  Intercéder,  par  rapport  à 
l'Hommc-Dieu,  n'est  autre  chose  que  se  re- 
montrer lui-même  dans  sa  uature  humaine 
devant  son  Père,  auquel  il  est  coétcrnel. 
Celte  fonction  n'est  point  disproportionnée 
à  l'état  glorieux  où  Jésus-Christ  est  aujour- 
d'hui, car  son  humanité  est  toujours  soumise 
à  son  Père,  et  toute  cette  gloire  el  cette  gran- 
deur qui  l'environne  esl  une  grandeur  sa- 
cerdotale. 

C'est  pourquoi  l'apôlre  saint  Paul  nous 
dit  dans  son  I. pitre  aux  Hébreux  que  nous 
avons  un  grand  prêtre  qui  est  établi  sur  la 
maison  de  Dieu  :  Sacerdotem  magnum  haben~ 
(es  super  domum  Dei.  Il  nous  dit  qu'il  estentré 
dans  le  ciel  même,  afin  de  se  présenter  main- 
tenant pour  nous  devant  la  face  de  Dieu  : 
Sed  in  ipsum  cœlum,  ut  appareat  nunc  vultm 
Dei  pro  nobis;  et  dans  l'Epitrc  aux  Romains, 
Il  est,  dit-il,  à  la  droite  de  Dieu,  où  il  inter- 
cède pour  nous  :  Qui  est  ad  dexteram  Dei, 
qui  etiam  interpellât  pro  nobis.  Que  notre 
étal  est  heureux,  mes  frères  ! 

Voici  la  différence  qui  se  trouve  entre  le, 
sacerdoce  de  l'ancienne  loi  el  celui  de  la 
nouvelle.  Le  grand  prêtre  entrait  une  fois 
tous  les  ans  dans  le  sanctuaire;  Jésus-Christ 
est  entré  dans  le  ciel  même.  H  portait  le 
sang  d'une  victime  étrangère  ;  Jésus-Christ 
a  porté  le  sien.  Il  priait  pour  lui-même,  parce 
qu'il  était  pécheur;  Jésus-Christ  ne  prie  que 
pour  nous,  parce  qu'il  esl  saint. 

Le  grand  prêtre  entrait  une  fois  tous  les 
ans  dans  le  sanctuaire,  parce  que  le  sang 
qu'il  offrait  ne  pouvait  pas  remettre  les  pé- 
chés, el  il  avail  des  successeurs  qui  conti- 
nuaient après  sa  morl  :  Jésus-Christ  n'a 
souffert  qu'une  fois,  un  seul  sacrifice  était 
suffisant,  lous  les  autres  n'en  étaient  que  la 
figure.  Il  n'a  point  de  successeur,  son  sacer- 
doce est  éternel,  il  est  toujours  vivant  pour 
prier  pour  nous,  d'où  saint  Paul  conclut  : 
Adeamus  ergo  cum  fiducia  ad  thronum  gratter  : 
Allons  donc  à  lui,  el  présentons-nous  avec 
confiance  devant  le  trône  de  sa  miséricorde. 
Jésus-Christ  monté  dans  le  ciel  n'est  doue 
pas  seulement  un  chef  qui  va  prendre  pos- 
session de  la  gloire  pour  moi  qui  suis  membre 
de  son  corps,  mais  il  esl  mon  avocal  cums 


721 


SERMON  POUR  LE  JOUR  DE  L'ASCENSION. 


le  Père,  comme  l'appelle  saint  Jean;  et  de 
cette  vérité  je  tirerai  deux  conséquences. 

La  première,  qui  éclaire  mon  esprit,  c'est 
que  qui  que  ce  soit,  devant  ou  après  l'incar- 
nation et  depuis  l'ascension,  nul  n'est  monté 
an  ciel,  et  nul  n'a  été  au  Père  que  par  Jésus- 
Christ.  C'est  lui  qui  est  le  Pontife  éternel;  il 
n'y  a  que  lui  qui  ait  pu  nous  délivrer  de 
l'opprobre  de  la  stérilité  des  bonnes  œuvres 
qui  mènent  au  ciel,  il  n'y  a  que  lui  qui  nous 
fasse  concevoir  de  saints  désirs,  et  c'est  par 
sa  seule  grâce  que  nous  sommes  rendus 
capables  de  produire  en  nous  l'esprit  du 
salut. 

La  seconde,  qui  anime  mon  cœur,  c'est 
que  ce  même  Pontife  Fils  naturel  de  Dieu, 
prie  pour  moi  à  la  droite  de  son  Père.  Quelle 
doit  donc  être  ma  confiance  !  En  effet, 
quand  je  considère  que  l'obligation  de  le  sui- 
vre dans  le  ciel  n'est  point  abandonnée  à 
moi-même,  que  je  dois  l'attendre  du  fruit  de 
sa  prière,  en  vertu  de  laquelle  le  mérite  et 
la  force  de  son  sang  m'est  appliquée,  je  com- 
prends d'un  côté  que  tout  dépend  de  lui.  et 
de  l'autre  j'ai  une  confiance  certaine  d'en 
tout  obtenir  en  considérant  les  fonctions  qu'il 
veut  bien  exercer  en  ma  faveur. 

Voilà,  mes  frères,  ce  qu'il  faut  entendre 
par  ces  paroles  :  Jésus-Christ  est  monté  dans 
le  ciel,  et  il  y  est  monté  pour  nous.  Voyons 
maintenant  de  quelle  manière  nous  devons 
y  monter  avec  lui  :  c'est  la  seconde  partie. 

SECONDE    PARTIE. 

Quand  je  dis  que  nous  devons  monter 
dans  le  ciel  avec  Jésus-Christ,  je  ne  parle 
pas,  mes  frères,  de  celte  ferme  confiance  où 
doit  être  un  chrétien  qu'après  cette  vie  il 
montera  dans  le  ciel  pour  aller  jouir  de  la 
gloire  éternelle  que  Jésus-Christ  nous  a  mé- 
ritée par  sa  mort,  et  dont  il  est  allé  prendre 
possession  pour  nous  comme  notre  chef; 
mais  je  parle  de  l'obligation  où  nous  sommes 
tous  de  monter  dans  le  ciel  avec  Jésus-Christ 
dès  cette  vie,  c'est-à-dire  de  vivre  de  la  foi, 
d'élever  nos  pensées  et  nos  désirs  vers  le 
ciel,  et  d'être  reconnus  dans  notre  conduite 
pour  les  véritables  disciples  de  l'homme  cé- 
leste; c'est  là  l'effet  quedoit  produire,en  nous 
la  créance  de  l'ascension  du  Sauveur,  c'est  ce 
qui  regarde  notre  vie  et  notre  conduite  dans  ce 
mystère,  et  c'est  ce  que  le  Prophète  nous  expli- 
que admirablement  bien  au  psaume LXXX1 II: 
Heureux  est  /' homme ,dit-il ,  quimet  en  vous ,Sei- 
gneur,  tout  son  appui,  et  que  vous  soutenez 
de  votre  grâce!  il  dispose  dans  son  cœur  des 
degrés  pour  monter  dans  celte  vallée  de  lar- 
mes. Heureux  est  donc  l'homme  que  Dieu 
soutient,  car  il  y  a  en  nous  une  opposition  à 
cette  élévation  de  la  part  de  l'humanité,  qui 
est  un  poids;  c'est  le  combat  dont  parle 
saint  Paul,  c'est  le  poids  de  ce  corps  mort,  il 
n'en  peut  être  délivré  que  par  la  grâce  de 
Jésus-Christ. 

Il  faut  donc  la  demander  à  Dieu  :  Mon 
Dieu,  élevez  mon  cœur  à  vous.  C'est  ce  que 
l'Eglise  lui  demande  dans  l'oraison  de  ce  jour. 
Dieu  tout  -  puissant  ,  faites-nous  la  grâce 
qu'ainsi  que  nous  voyons  par  lu  foi  que  votre 


722 

Fils  unique,  Notre-Seiijneur,  est  aujourd'hui 
monté  au  ciel,  nous  y  demeurions  aussi  71011s- 
mêmes  en  esprit  et  par  l'ardeur  de  nos  désirs. 
Mais  les  degrés  de  cette  élévation  doivent 
être  disposés  dans  noire  cœur,  et  c'est  par- 
les désirs  de  noire  cœur  que  nous  devons 
monlrr;  car  ces  degrés  sont  les  mouvements 
de  nos  affections  réglés  par  la  ch;>rité. 

Or,  mes  frères,  je  trouve  que  pour  monter 
dans  le  ciel  en  esprit  et  par  l'ardeur  de  nos 
désirs,  il  faut  ôler  de  notre  cœur  tout  ce  qui 
peut  l'empêcher  de  monter,  et  embrasser  tout 
ce  qui  peut  nous  aider  à  tendre  au  ciel.  L'a- 
pôtre saint  Paul  nous  enseigne  admirable- 
ment ce  que  nous  devons  faire  pour  ôter  de 
notre  cœur  ce  qui  l'empêche  de  monter:  dé- 
gageons-nous de  lout  ce  qui  peut  nous  appe- 
santir, et  des  liens  du  péché,  qui  nous  ser- 
rent si  étroitement.  Notre  cœur  souvent  ne 
s'élève  pas,  parce  qu'il  a  un  poids  qui  l'atta- 
che à  la  terre  et  parce  que  \e>  embarras  du 
monde  l'arrêtent  et  le  retiennent.  Voici  donc 
ce  que  nous  devons  faire  et  ce  que  le  même 
apôtre  nous  enseigne  pour  ôter  de  notre  cœur 
ce  qui  l'empêche  de  s'élever.  Il  faut  le  dé- 
charger du  poids  qui  l'appesantit;  mais  qu'est- 
ce  que  c'est  que  ce  poids  qui  appesantit  notre 
cœur?  C'est  le  péché,  qui,  étant  un  amour 
déréglé  ou  des  ciéalures  ou  de  nous-mêmes, 
nous  y  tient  attachés  comme  des  captifs;  en 
sorte  que  nous  ne  pouvons  pas  plus  nous  éle- 
ver au  ciel  que  le  pourrait  un  homme  en- 
chaîné à  la  terre. 

Ce  poids,  mes  chers  frères,  ce  sont  vos 
passions,  par  lesquelles  on  n'entend  pas  des 
passions  grossières  ,  qui  sont  visiblement 
mauvaises  et  criminelles;  mais  certaines  af- 
fections de  noire  cœur  que  nous  ne  travail- 
lons point  à  corriger.  Dans  l'un,  ce  sera 
l'amour  de  la  fortune;  dans  l'autre,  l'amour 
de  la  gloire  et  de  l'honneur;  dans  celui-là, 
l'amour  délicat  de  soi-même,  qui  porte  à  se 
flatter  et  à  s'épargner  dans  des  rencontres 
où  la  charilé  nous  devrait  exposer;  dans  ce- 
lui-ci, une  trop  grande  envie  de  parler  el  de 
se  produire;  dans  un  autre,  une  trop  grande 
facilité  à  juger,  à  reprendre,  à  railler  le  pro- 
chain :  enfin  mille  autres  passions  qu'on  no 
croit  pas  criminelles,  qui  sont  des  obstacles  à 
notre  élévation  et  qui  forment  dans  noire  âme 
et  dans  notre  cœur  un  poids  qui  l'appesan- 
tit; car  toutes  les  passions  procèdent  d'un 
amour  déréglé  que  nous  avons  pour  nous- 
mêmes,  ou  d'un  fonds  d'aversion  impercep- 
tible que  nous  avons  pour  le  prochain,  ou 
d'un  allai  •bernent  insensible  pour  la  terre. 
Or  cet  amour,  celle  aversion  et  cet  attache- 
ment sont  daus  notre  cœur  un  poids  qui 
l'appesantit.  Il  en  est  de  même  de  la  multi- 
tude des  affaires  ctdes  soins  superflus  dont 
beaucoup  de  gens  de  bien  son;  occupés;  car 
qu'importe  par  où  le  cœur  soit  arrêté,  si  son 
principal  mouvement  n'est  pas  vers  Dieu? 

Si  vous  voulez  (pie  je  m'explique  avec 
saint  Augustin,  disons  que  les  désirs  du 
cœur  sont  comme  des  ailes  par  le  mouve- 
ment desquelles  il  s'élève;  que  les  affections 
du  cœur  sont  les  pieds  de  l'âme,  parle  mou- 
vement desquels  clic  marche  el  s'avance.  Or, 


ÏÎ3 


ORATEURS  SACRES.  UOM  JEROME. 


T-Jl 


mes  frères,  lorsqu'il  arrive  que  le  cœur  est 
attaché,  ou  à  soi-même  ou  a  quelque;  objet 
terrestre,  il  ne  peut  plus  s'élever,  l'âme  ne 
marche  plus;  et  c'est  Ce  que  saint  Augustin 
nous  fait  entendre  en  nous  disant  qu'il  en 
est  du  cœur  ainsi  attaché  comme  d'un  oiseau 
dont  les  ailes  sont  arrêtées  par  de  la  glu  : 
il  se  débal  pour  voler,  mais  il  n'avance  pas, 
et  ses  efforts  seront  inutiles  jusqu'à  ce  qu'on 
l'ait  détaché  de  la  glu  qui  l'arrête. 

Voilà,  mes  frères,  l'effet  de  ces  passions 
qui  se  conservent  dans  le  fond  du  cœur; 
c'est  une  glu  qui,  le  fixant  à  la  terre, 
l'empêche  de  voler  vers  Dieu;  et  c'est  là  la 
raison  pour  laquelle  nous  voyons  si  souvent 
des  gens  qui  font  des  efforts  pour  s'élever 
vers  Dieu,  qui  pleurent  leurs  faiblesses,  qui 
jeûnent,  qui  font  des  aumônes,  qui  disent  : 
Mon  Dieu,  convertissez  mon  cœur;  qui  s'at- 
tachent à  des  exercices  de  piété,  qui  con- 
naissent même  ce  qui  les  relient,  et  qui, 
parce  qu'ils  ne  s'en  détachent  pas  et  qu'ils 
nourrissent  secrètement  ces  passions  par 
un  amour  qu'ils  essayent  de  se  cacher  à  eux- 
mêmes,  ne  s'élèveront  jamais  véritablement 
vers  Dieu.  Si  nous  voulons  donc  nous  élever, 
il  faut  non-seulement  nous  dégager  de  tout 
ce  qui  nous  appesantit,  de  tout  péché,  de 
toute  affection  au  péché,  de  toute  attache 
aux  choses  de  la  terre;  mais  il  faut  aussi 
nous  dégager  de  tout  embarras  et  de  tous  les 
liens  du  péché  qui  nous  serrent. 

La  corruption  qui  est  en  nous  par  la 
concupiscence  est  cause  que  tout  ce  qui  est 
autour  de  nous  peut  devenir  pour  nous  ou 
occasion  au  péché,  ou  obstacle,  ou  retar- 
dement à  noire  perfection  :  c'est-à-dire  que 
tous  les  soins  immodérés  des  choses  de  la 
terre,  des  affaires,  de  sa  famille,  des  enfants, 
des  intérêts  de  nos  amis,  quoique  justes  ;  de 
l'élude  el  de  tant  d'autres  choses  auxquelles 
nous  donnons  trop  de  temps,  que  nous  ôions 
au  soin  du  salut,  forment  comme  une  espèce 
d'embarras  dans  le  chemin  du  ciel;  cl  quoi- 
qu'on ne  puisse  pas  dire  absolument  que  ces 
soins  soient  des  péchés,  néanmoins  ils  ont 
beaucoup  de  liaison  avec  le  péché  :  ils  nous 
attachent  insensiblement  à  la  terre,  ils  nous 
exposent  au  péril  de  nous  y  affectionner, 
enfin  ils  nous  serrent  et  ils  nous  arrêtent 
dans  la  voie  du  ciel  ;  les  soins  immodérés  oc- 
cupent l'esprit  et  dérobent  une  partie  du 
temps  que  nous  ne  devons  donner  qu'à  l'af- 
faire du  salut. 

L'altachcmcnt  sensible  des  apôlres  pour 
l'humanité  sainte  de  Jésus-Christ  est  un  obs- 
tacle à  la  descente  de  son  Esprit  sur  eux  i't 
à  la  consommation  de  leur  sainteté,  et  nous 
croyons  que  l'amour  de  la  terre  el  des  créa- 
tures, que  la  recherche  de  ;ous  nos  plaisirs, 
que  l'amour  de  mire  fortuite  él  de  nous- 
mêmes,  ne  sera  pas  un  obstacle  à  notre  sanc- 
tification ?  Mais,  en  supposant  que  par  la 
miséricorde  de  Dieu  nous  ayons  détaché 
noire  cœur  do  lout  ce  qui  peut  l'empêcher 
de  monter,  il  faut  encore  embrasser  tout  ce 
qui  peut  nous  aider  à  nous  élever  v.ers  le  ciel. 
Or,  mes  frères,  les  saints  apôtres  nous 
ont  douné  l'idée  de  ce  que  nous  devons  faire  - 

*    f 


pour  y  réussir  dans  la  conduite  qu'il-  oui 
gardée  depuis  l'ascension  de  Jésus-Christ 
jusqu'à  la  descente  du  >aiul-Esprit.  qui  a 
été  proprement  le  jour  de  leur  ascension, 
n'ayant  servi  parfaitement  Jésus-Christ  pa- 
les désirs  de  leurs  cœurs  qu'après  qu'i< 
été  remplis  de  son  Esprit.  En  effet,  q 
fait  les  apôlres  depuis  l'ascension  !  L Ecri- 
ture nous  dil  qu'ils  se  séparèrent  dans  une 
maison  particulière  de  Jérusalem,  et  qu'ils 
s'appliquèrent  avec  persévérance  a  l'exercice 
de  la  prière. 

Voilà,  mes  frères,  ce  que  nous  devons 
faire  pour  nous  mettre  en  état  de  monter 
dans  le  ciel  avec  Jésus-Christ  par  les  dé- 
sirs de  notre  cœur  :  il  faut  nous  séparer  du 
monde,  non-seulement  d'affection,  eu  rom- 
pant toutes  les  attaches  que  nous  pourrions 
avoir  pour  les  choses  du  monde,  mais  même 
eu  nous  tenant  dans  la  retraite  et  en  rompant 
touteoinmerce  non  nécessaire  avec  le  monde  ; 
et  c'est  ce  qui  ne  nous  sera  pas  difficile  si 
nous  n'avons  plus  d'affection  pour  le  monde  ; 
car,  comme  dit  l'apôtre  saint  Paul,  si  vous 
êtes  véritablement  ressuscites  avec  Jésus- 
Christ,  vous  ne  devez  rechercher  ni  souhai- 
ter que  les  choses  d'en  haut.  Si  nous  avons 
donc  reçu  la  grâce  de  la  résurrection,  qui 
est  une  grâce  de  séparation,  nous  ne  devons 
plus  avoir  d'amour  pour  la  terre,  ni  par  con- 
séquent plus  de  complaisance  ni  d'activité 
pour  lout  ce  qui  est  de  la  terre.  Ses  maxi- 
mes et  ses  manières,  les  occupations  des 
hommes  qui  y  sont  el  qui  l'aiment,  leur  lan- 
gage même  nous  deviendra  coin  me  insup- 
portable :  ainsi  nous  nous  en  séparerons 
comme  d'un  lieu  où  nous  souffrons  ;  et  même, 
dans  ce  saint  temps  jusqu'à  la  Pentecôte,  il 
faut  avec  encore  plus  d'altenlion  retrancher, 
autant  que  nous  pourrons,  les  commerces 
même  nécessaires,  pourvu  qu'ils  ne  soient  pas 
indispensables,  afin  de  nous  tenir  dans  la 
retraite  pour  imiter  la  conduite  des  apôtres. 

C'est  une  excellente  pratique  dans  les  com- 
munautés, où  on  doit  être  séparé  et  éloigné 
du  commerce  du  monde  en  toul  temps,  de 
s'en  séparer  par  une  retraite  en  ce  lemps-ci. 
11  faut  garder  ces  pratiques  inviolablement, 
el  les  respecter  d'autant  plus  qu'elles  sont 
prises  sur  la  conduite  des  apôtres,  qui,  V- 
tant  préparés  par  là  à  recevoir  le  Saint- 
Esprit,  nous  ont  appris  que  c'était  une  eveel- 
lente  disposition  pour  s'y  préparer.  Ouiconque 
néglige  ces  pratiques  néglige  les  moyens 
que  Dieu  lui  donne  pour  opérer  son  salul  : 
el  que  doit-on  altendre  de  ceux  qui  ne  se 
incitent  pas  en  peine  de  ménager  de  tels 
moyens, sinon  que  de  plus  grands  leur  se- 
ront refusés,  el  qu'enfin  ils  seront  peut-être 
abandonnés  à  eux-mêmes? 

Il  faut  donc  se  retirer  le  plus  qu'il  est  pos- 
sible, faire  peu  de  visites,  el  n'en  renv<>r 
que  le  moins  que  l'on  peut,  à  moins  que  les 
liens  d'une  société  nécessaire  et  la  charité  m 
nous  y  obligent.  Les  personnes  vraiment 
spirituelles  et  qui  so::t  à  Dieu  savent  par 
expérience  que  le  ronuneree  axer  les  gens 
du  monde  refroidit  eu  eux  le  feu  du  Saint- 
Esprit. 


725 


SERMON  POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 


726 


Par  rapport  à  ceux  qui  sont  obligés  de 
rester  par  état  dans  le  commerce  du  monde, 
on  ue  peut  trop  les  exciter  à  rentrer  dans  leur 
cœur  très-souvent,  pour  s'y  occuper  de  Dieu 
et  pour  adirer  son  Esprit  par  la  prière.  Car, 
mes  frères,  il  faut  joindre,  à  l'exemple  des 
saints  apôîres,  la  prière  à  la  retraite.  Il  faut 
demander  à  Dieu  qu'il  nous  donne  l'esprit 
de  prière,  sans  lequel  nous  ne  prierons  ja- 
mais véritablement,  et  sans  lequel  par  con- 
séquent nous  ne  monterons  jamais  dans  le 
ciel  avec  Jésus-Christ  par  les  désirs  de  noire 
cœur,  puisque  l'oraison,  selon  saint  Augus- 
tin, n'est  autre  chose  qu'un  désir  continuel 
de  Dieu  et  des  choses  d'en  haut.  Prions  donc 
dans  ce  saint  temps,  joignons  le  jeûne  et 
l'aumône  à  nos  prières  ;  prions  tous  ensem- 
ble, c'est-à-iiire  réunissons-nous  tous  par  la 
charité, car  ni  nos  prières,  ni  nos  abstinences, 
ni  nos  aumônes  ne  nous  serviront  de  rien  si 
nous  n'avons  la  charité.  Prions  tous  dans  le 
même  lieu,  c'est-à-dire  dans  nos  églises,  car 
les  prières  qui  se  font  par  plusieurs  rassem- 
blés par  la  charité  et  sous  la  conduite  de  leurs 
pasteurs  ont  tout  une  aulre  force  que  cel- 
les qui  se  font  en  particulier.  Prions  donc 
beaucoup,  car  Dieu  n'augmente  et  ne  fait 
croître  en  nous  la  charité  qu'à  proportion 
que  nous  préparons  notre  âme  par  les  pra- 
tiques qu'il  nous  a  marquées  lui-même. 
Jésus-Christ  donne  la  grâce  à  ses  apôtres 
après  sa  résurrection  par  le  souffle  de  sa  bou- 
che; mais  non-seulement  il  les  dispose  du- 
rant quarante  jours  à  la  grâce  qu'il  veut 
leur  donner  par  son  ascension,  qui  consiste 
dans  la  foi  de  ce  grand  mystère,  il  veut  en- 
core qu'ils  demeurent  séparés  et  en  prières 
jusqu'au  jour  de  la  descente  du  Saint-Esprit; 
ce  qui  est  un  effet  de  cette  grâce  et  une  pré- 
paration à  une  autre  plus  grande  qu  ils  doi- 
vent recevoir  à  la  Pentecôte. 

Enfin,  mes  frères,  animons-nous  en  voyant 
Jésus-Christ  monter  dans  le  ciel  aujourd'hui. 
Espérons  de  l'y  suivre,  puisqu'il  y  monte 
comme  notre  chef  pour  en  prendre  posses- 
sion pour  nous, et  comme  notre  avocat,  pour 
nous  obtenir  de  son  Père  la  grâce  de  pouvoir 
l'y  suivre.  Dégageons-nous  donc  de  tous  les 
obstacles  qui  s'opposent  à  notre  élévation, 
séparons-nous  du  monde;  enfin  prions  et  at- 
tendons avec  confiance  et  avec  patience  la 
grâce  de  Jésus-Christ.  Je  vous  la  souhaite. 
Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR  LE  JOUI»  UE  LA  PENTECÔTE. 


allégresse  sainte.  A  Pâques  on  reçoit  le  bap- 
tême et  à  la  Pentecôte  le  Saint-Esprit ,  qui 
est  la  perfection  de  la  consommation  du 
baptême.  En  un  mot,  voici  le  jour  où  l'on 
peut  dire  que  si  l'Eglise  célèbre  les  fêtes  des 
saints  pendant  le  cours  de  l'année,  elle  so- 
lennise  aujourd'hui  la  sienne,  puisque  c'est 
aujourd'hui  qu'elle  est  formée, et  que  les  apô- 
tres, qui  en  sont  les  princes  etles  fondements 
après  et  par  Jésus-Christ,  sont  rendus  capa- 
bles des  divines  fonctions  de  l'apostolat  par 
les  dons  du  Saint-Esprit. 

Ce  qu'il  y  a  d'admirable,  c'est  qu'ils  ne  les 
reçoivent  pas  pour  eux  seuls,  et  que  tous  les 
fidèles  y  ont  part;  car,  comme  le  disent  les 
saints  Pères,  il  se  fait  tous  les  jours  des  Pen- 
tecôles  invisibles.  Les  Juifs  ne  passaient  pas 
la  mer  quand  ils  faisaient  leur  Pâque.  Ils  ne 
voyaient  pas  les  feux  et  les  foudres  descen- 
dre sur  le  mont  Sina  comme  des  symboles 
de  la  souveraine  majesté  de  leur  législateur, 
quand  ils  célébraient  leur  Pentecôte  ;  ils  ne 
jouissaienl  que  du  souvenir  de  leurs  mystè- 
res passés.  Mais  les  chrétiens  mangent  à 
leur  Pâque  la  véritable  chairdu  divin  Agneau 
qui  s'immole  continuellement  pour  eux  ;  et, 
s'ils  sont  disposés  comme  ils  le  doivent,  iis 
reçoivent  le  même  Saint-Esprit  et  la  même 
plénitude  du  Saint-Esprit  que  les  pre- 
miers fidèles  reçurent  au  jour  de  la  Pente- 
côte. Que  nos  mystères,  mes  frères,  sont  ad- 
mirables! Marquons  donc  dans  ce  discours 
quels  sont  les  dons  du  Saint-Esprit  dans  ies 
apôtres,  afin  que  nous  puissions  reconnaître 
ce  qu'il  faut  faire  pour  se  préparer  à  les  re- 
cevoir. 

Mais,  comme  le  Saint-Esprit  descend  sous 
la  forme  du  feu,  attachons-nous  aux  proprié- 
tés de  cet  élément,  pour  expliquer  ces  dons 
dans  les  apôtres  et  ce  qu'il  veut  produire 
dans  tous  les  chrétiens.  Or  nous  remar- 
quons trois  propriétés  du  feu:  1°  il  purifie, 
et  en  purifiant  il  élève;  2"  il  éclaire,  et  en 
éclairant  il  illumine  ;  3°  il  échauffe  ,  et  en 
échauffant  il  anime.  Voilà  ,  mes  frères ,  ce 
que  le  Saint-Esprit  produit  dans  les  apô- 
tres, et  ce  qu'il  veut  faire  dans  les  chré- 
tiens ;  car  tout  chrétien  qui  a  reçu  le  Saint- 
Esprit  doit  être  saint  et  pur,  il  doit  être 
éclairé  et  rempli  des  lumières  de  la  foi,  il 
doit  être  animé  et  prêt  à  mourir  pour  con- 
server sa  sainteté  et  pour  défendre  sa  foi. 
Examinons  ces  effets  du  Saint-Esprit,  et  pour 
le  faire  utilement  demandons-lui  ses  lumiè- 
res par  l'intercession  de  Marie.   Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 


kpparnernnl  illis  dispertils  linguae  tanquam  jouit.  9e- 
dilque  supra  siogulos 


Quoique  l'élévation  des  apôtres  ait  com- 
mencé aussitôt  que  leur  vocation,  cepen- 
dant il  est  vrai  de  dire  que  leur  élévation  n'a 
été  parfaite  et  qu'ils  n'ont  été  entièrement 
saints  qu'après  la  descente  du  Saint-Es- 
prit. La  grâce  du  Sauveur,  qui  les  prévint 
en  les  appelant,  lit  sur  eux  ce  que  nous 
voyons  que  produit  le  soleil  lorsqu'il  élève 
les  vapeurs;  il  y  opère  dè^  qu  il  paraît  sur 
l'horizon;  mais  parce  que  sa  chaleur  est  en- 
core faible,  il  en  diffère  la  perfection  jusqu'à 
jeune,  et  a  celle-ci  par  cinquante  jours  d  une      midi,  où  sa  force  est  dans  sou  entier;  il  se- 


ns mail  paràtlre  comme  <tes  lunques  de  feu  qui  se  par- 
tagerait et  qui  s'arrêtèrent  sur  chacun  d'eux  {AU.,  II,  5). 

Voici,  mes  frères,  le  grand  jour  où  Jésus- 
Christ  accomplit  les  promesses  qu'il  avait 
laites  à  ses  apôtres  de  leur  envoyer  son 
Saint-Esprit,  que  les  Pères  appellent  la  fête 
des  fêles,  consacrée  par  les  effusions  de  la 
grâceel  des  dons  du  Saint-Esprit.  On  se  pré- 
pare a  celle  de  Pâques,  par  quarante  jours  de 


■•27 


ORATEURS  5A(  RES    DOM  JEROME. 


72a 


parc  ce  qu'il  y  a  de  plus  grossier,  qui  re- 
tombe sur  lu  lerre,  et  il  i  Itireâ  lui  ce  qu'il  y 
a  de  plus  subtil. 

Or,  met  frères,  on  peut  dire  que  la  grâce 
i!u  Sauveur  a  lait  quelque  chose  de  sembla- 
ble sur  les  apôtres  :  il  les  a  appelés  lorsqu'ils 
étaient  sur  le  bord  de  la  mer,  il  les  éleva  au- 
dessus  du  commun  des  hommes  comme  une 
vapeur  dont  il  voulait  former  des  nues  pour 
sa  gloire.  Mais  parce  qu'il  y  avait  beaucoup 
d'impureté,  c'est-à-dire  de  liaison  avec  la 
lerre  dans  leur  cœur,  cet  ouvrage  ne  s'est 
achevé  que  lorsque  la  grâce  y  a  agi  dans 
toute  sa  Force,  et  que  la  charité  y  a  été  ré- 
pandue avec  plénitude. 

Les  apôtres  n'ont  donc  été  véritablement 
saints  que  dans  le  moment  que  le  Saint-Es- 
prit est  venu  sur  eux,  et  pour  vous  en  con- 
vaincre d'une  manière  qui  vous  instruise  et 
qui  vous  édifie,  en  vous  apprenant  ce  que  le 
Saint-Esprit  lait  en  eux,  il  faut  vous  exposer 
en  quoi  consiste  la  sainteté  dont  je  parle,  à 
laquelle  tous  les  chrétiens  sont  appelés  par 
la  grâce  de  leur  baptême,  qui  les  rend  en  un 
sens  saints,  ainsi  que  saint  Paul  les  appelle 
en  plusieurs  endroits,  et  qui  les  engage  à  le 
devenir,  ainsi  que  nous  l'expliquerons  :  la 
première  étant  une  saintelé  de  consécration 
qu'ils  reçoivent  dans  leur  baptême,  par  la- 
quelle ils  sont  sanctifiés,  c'est-à-dire  séparés 
et  consacrés  à  des  usages  saints  et  divins  ;  la 
seconde  étant  une  sainteté  d'acquisition  qui 
s'augmente  en  eux  par  la  pureté  de  leur  vie, 
et  par  laquelle  ils  sanctifient  le  nom  de  Dieu. 
La  seconde  suppose  la  première,  car  il  faut 
nécessairement  que  Dieu  nous  sanctifie  pour 
que  nous  soyons  en  état  de  croître  dans  la 
sainteté  et  de  sanctifier  son  nom  par  l'inno- 
cence de  notre  vie. 

Cela  étant  supposé,  jo  dis,  mes  frères,  que 
la  saintelé  c'est  la  charité;  car,  comme  la 
sainteté  de  l'autre  vie  est  une  charilé  con- 
sommée qui  nous  transforme  en  Dieu,  la 
sainteté  de  cette  vie  est  une  charité  impar- 
faite à  raison  de  notre  étal  présent,  mais  qui 
nous  approche  de  Dieu  en  nous  dégageant 
de  toute  autre  chose,  et  qui  nous  rend  sem- 
blables à  lui  autant  que  notre  misère  nous 
(Mi  rend  capables,  suivant  ce  que  Dieu  nous 
dit  dans  l'Ecriture  :  Soyez  saints  parce  que  je 
suis  saint.  Or  la  sainteté  consiste  dans  la  sé- 
paration de  tout  ce  qui  n'est  pas  Dieu  et 
dans  une  union  parfaite  avec  lui. 

Ainsi ,  être  saint  sur  la  terre,  c'est  aimer 
Dieu,  mais  l'aimer  parfaitement  ,  comme  il 
désire  et  comme  il  mérite  d'être  aimé;  c'est 
l'aimer  uniquement  et  pour  iui  seul,  c'est 
l'aimer  gratuitement  cl  sans  intérêt.  Nous  ne 
sommes  pas  saints,  cl  noire  cœur  est  dans 
l'impureté  tant  qu'il  aime  autre  chose  que. 
Dieu  et  quelque  autre  chose  qu'il  n'aime  pas 
pour  Dieu,  de  même  que  l'or  est  impur  dès 
qu'il  y  a  un  autre  métal  mêlé  avec  lui,  quel- 
que précieux  qu'il  puisse  être  :  de  sorlc  , 
mes  frères,  qu'en  raisonnant  sur  ce  prin- 
cipe, il  est  facile  de  voir  que  les  apôtres 
n'ont  été  saints  que  depuis  qu'ils  oui  reçu  le 
Sainl-Ksprit. 

Dieu,  qui  les  avait  prévenus  par  sa  misé- 


ricorde ,  les  avait  rcr.dus   .    .     i  .  . pihles   de 
l'aimer  ,  dès  qu  il  les  appela»  Ils  donnèrent 
même  des  marques  de  cet  amour  qu'il  avait 
mis  en  eux,  puisqu'ils  quittèrent  tout  pour 
le  suivre;  mais  cet  amour  n'était  pas  pur,  ils 
n'aimaient  pas  Dieu  sans  intérêt,  ils  i 
raient   des  récompi  DS<  -  ;   et  lorsque  J 
Christ  leur  parlait  du  royaume  de  son  Père, 
ils  croyaient  que   celait   un   royaume  sur  la 
ti  ne,  dans  lequel   ils   se   flattaient  d'obtenir 
les  premières   places;  et  ils  ont  con- 
cilie pensée  jusqu'au  jour  de  son  ascension, 
puisqu'ils  lui  demandèrent, un  moment  avant 
qu'il  les  quillâi  :  Seigneur,  ttra-ce  en  ce  ii-injis 
(jue  vous  rétablirez  le  royaume  a" Israël 
lait  l'erreur  des  Juifs ,  qui  avaient  pris  de 
fausses  idées  du  Messie. 

Les  apôtres  aimaient  Jésus-Christ,  mais 
ils  l'aimaient  d'une  manière  humaine.  Ils 
étaient  attachés  à  sa  présence;  et  Jésus- 
Christ,  comme  le  remarque  saint  Bernard  , 
leur  avait  en  quelque  sorte  substitué  sa 
chair  pour  détourner  leurs  pensées  des 
choses  du  monde  et  les  réunir  toutes  à  sou 
humanité  sacrée,  par  laquelle  il  faisait  tant 
de  miracles  et  disait  tant  de  merveilles  , 
afin  de  les  faire  passer  ensuite  de  la  chair  à 
l'esprit.  C'est  ce  qui  fait  qu'il  voulait  bien 
les  attacher  pour  un  lemps  à  sa  persoune 
visible,  pour  les  accoutumer  insensiblement 
à  la  justice,  à  la  vérité,  à  la  charilé,  à  l'hu- 
milité et  à  toutes  les  autres  vertus  dont  il 
leur  donnait  lantde  préceptes  et  tant  d'exem- 
ples; mais  le  Sauveur,  voyant  qu'ils  s'atta- 
chaient trop  à  son  humanité,  et  que  si  leur 
esprit  était  éclairé  par  la  connaissance  qu'.l 
leur  avait  donnée  de  lui-même  ,  leur  affec- 
tion n'était  pas  encore  purifiée  entièrement; 
d'ailleurs  les  apôtres  connaissant  à  la  vérité 
qu'il  élail  la  voie  par  laquelle  on  arrivait  à 
ce  royaume  qui  élail  lui-même,  mais  s'a l ta- 
chant trop  à  la  voie  comme  voie,  c'esl-a- 
dire  à  la  vie  mortelle,  il  leur  dit  qu'il  leur 
était  expédient  qu'il  s'en  allât.  C'est  ainsi 
que  Jésus-Christ  apprit  aux  apôtres  que  les 
attachements  humains  qu'ils  avaient  for- 
maient des  obstacles  à  la  descente  du  Saint- 
Esprit  ;  et  en  effet,  les  apôtres  étaient  en- 
core imparfaits  jusqu'à  ce  que  le  Sainl-L>- 
prit  les  eût  rendus  de  nouveaux  hommes. 
Car,  comme  nous  voyons  que  le  feu  agil  si 
puissamment  sur  le  bois,  qu'il  le  change 
entièrement  et  lui  fait  perdre  sa  forme  pour 
lui  imprimer  la  sienne,  aussi  le  Saini-F-- 
prit,  consumant  tout  ce  qu'il  y  avait  d'hu- 
main, d'impur  et  de  charnel  dans  les  apôlres, 
les  a  changés  en  des  hommes  tout  divins  cl 
tout  spirituels. 

Voilà  donc  les  cflcls  de  la  descente  du 
Saint-Esprit  sur  les  apôlres.  Examinons- 
nous  là-dessus,  et  reconnaissons  s'il  est 
cendu  en  non-.  Sommes-nous  saints,  on  - 
frères  ?  Oui  ,  nous  le  sommes  tous  dan  -  un 
sens:  nous  le  sommes  par  la  consécration 
du  baptême,  nous  le  sommes  par  la  miséri- 
corde de  Dieu,  qui  nous  a  prévenus.  Nous 
sommes  Us  temples  du  Saint-Esprit;  ce  qui 
doit  nous  (Vire  agir  dans  toute  notre  con- 
duite avec  beaucoup  de  circonspection,  no 


7-29 


SERMON  POUR  LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 


730 


disant  rien , ne  faisant  rien  q ui  ne  soi  t  conforme 
à  la  sainteté  de  notrcétat.Mais  est-ce  ainsi  que 
nous  vivons  ?  Jugeons-en  par  notre  amour. 

Aimons-nous  Dieu  parfaitement?  Sommes- 
nous  prêts  à  mourir  plutôt  que  de  l'offenser? 
Nous  regardons-nous  intérieurement  et  dans 
la  préparation  de  notre  cœur  comme  peut- 
être  inférieurs  à  tous  ceux  qui  nous  envi- 
ronnent, quand  même  nous  serions  les  pre- 
miers par  la  naissance  ou  par  les  places  que 
la  Providence  nous  aurait  données?  Som- 
mes-nous prêts  à  retrancher  de  notre  con- 
duite tout  ce  qui  peut  déplaire  à  un  Dieu  qui 
nous  a  aimés  le  premier,  quoique  nous  fus- 
sions ses  ennemis  ?  Aimons-nous  Dieu  uni- 
quement ,  n'aimons-nous  que  lui  ?  L'amour 
sensible  de  Jésus-Christ  est  un  amour  pro- 
pre à  l'enfance  chrétienne;  et  aimons-nous 
Jésus-Christ  comme  justice,  comme  vérité  , 
comme  sainteté?  Aimons-nous  Dieu,  n'ai- 
inons-nous  que  lui,  ou,  si  nous  aimons  quel- 
que chose  avec  lui,  l'aimons-nous  pour  lui, 
et  .'■ommes-nous  prêts  à  abandonner  tout, 
quoi  que  ce  pût  être,  si  nous  connaissions 
que  l'amour  que  nous  sommes  obligés  d'a- 
voir pour  lui  le  demande?  Aimons-nous 
Dieu  gratuitement?  l'aimons-nous  égale- 
ment dans  l'adversité  comme  dans  la  pros- 
périté? le  servons-nous  également  et  d'une 
manière  uniforme  dans  les  consolations  et 
dans  les  afflictions  ?  Si  cela  est,  la  charité  a 
beaucoup  augmenté  l'ouvrage  de  notre  sain- 
teté; PEsprit-Saint  descendra  en  nous,  et 
nous  devons  espérer  qu'il  l'achèvera.  Mais 
si  nous  ne  sommes  pas  encore  dans  cet  état, 
ne  nous  décourageons  point.  Dieu  vous  a-l-il 
donné  le  désir  de  devenir  saints  ?  espérons  , 
mes  frères,  que  nos  faiblesses  ne  nous  ef- 
frayent point  ;  humilions-nous  dans  nos 
misères,  et  ne  nous  troublons  point.  On  ne 
devient  saint  que  par  degrés  ;  les  apôtres  ne 
l'ont  pas  été  tout  d'un  coup,  Dieu  les  a  long- 
temps supportés  dans  leurs  imperfections  : 
il  aura  la  même  bonté  pour  nous  si  nous 
nous  humilions.  C'est  lui  qui  nous  rend 
saints,  et  c'est  ce  qui  doit  nous  consoler; 
mais  travaillons  avec  la  grâce  et  par  la 
grâce  à  nous  défaire  de  ces  imperfections 
qui  nous  humilient;  car,  mes  frères,  l'ou- 
vrage de  notre  sainteté  demande  notre  tra- 
vail :  les  apôtres  ont  suivi  Jésus-Christ  et 
ont  tout  quitté  pour  le  suivre  ;  ils  se  sont 
séparés  et  retirés  dans  la  solitude  ,  ils  ont 
prié  ;  et  c'est  pourquoi  le  Saint-Esprit  est 
descendu  en  eux  et  en  a  fait  des  saints. 

il  faut  donc  espérer,  mes  frères,  que  nous 
deviendrons  saints,  si,  en  nous  humiliant  de 
nos  faiblesses  nous  travaillons  à  nous  en 
défaire  ,  et  si  par  la  prière  continuelle  nous 
recourons  à  Dieu,  reconnaissant  que  tout 
dépend  de  lui,  et  que  c'est  son  esprit  qui  nous 
fait  ce  que  nous  sommes  devant  lui.  Mais 
non-seulement  Jésus-Christ  a  fait  des  saints 
de  ses  apôtres  imparfaits,  il  a  fait  encore  des 
docteurs  de  ses  disciples  peu  éclairés  :  c'est 
le  second  effet  qu'il  produit  en  eux,  et  le 
sujet  du  deuxième  poinl. 

DBUXIÈMB  PARTIE. 

Comme  c'est  proprement  aujourd'hui  que 


l'Eglise  est  formée,  c'est  aussi  proprement 
dans  ce  jour  que  les  docteurs  qui  doivent 
instruire  les  fidèles  sont  formés  par  le 
même  esprit  qui  les  unit.  Aujourd'hui  s'ac- 
complit celte  parole  d'Isaïe  :  Je  m'en  vais 
créer  de  nouveaux  deux  et  une  terre  nou- 
velle. Celte  nouvelle  terre,  disent  les  saints 
Pères,  c'est  l'Eglise  et  l'assemblée  des  chré- 
tiens ;  ces  cieux  nouveaux,  ce  sont  les  apô- 
tres, selon  saint  Augustin.  Voilà  donc  les 
effets  de  la  miséricorde  de  Jésus-Christ  dans 
le  ciel,  et  la  première  chose  qu'il  fait  pour 
nous  en  qualité  d'avocat.  Il  nous  envoie 
l'Esprit-Saint,  il  l'obtient  de  son  Père  pour 
nous  :  Je  prierai  mon  Père  ,  dit-il,  il  vous 
donnera  un  autre  consolateur,  afin  qu'il  de- 
meure éternellement  avec  vous  ;  c'est  l'esprit 
de  vérité. 

En  effet  il  n'a  envoyé  le  Saint-Esprit  qu'a- 
près qu'il  a  été  monté  dans  le  ciel,  et  il  fal- 
lait qu'il  y  montât  pour  le  donner.  Il  donne 
le  Saint-Esprit  à  toute  l'Eglise,  parce  qu'il 
en  est  le  lien  ,  et  que  c'est  par  lui  qu'elle  est 
formée;  mais  il  se  repose  sur  chaque  apôtre, 
parce  que  chaque  apôtre  esteonstituédocteur 
pourl'Eglise:  car  comme  ilest  vraiqueeequ'il 
a  fait  dans  sa  naissance,  dans  sa  vie,  dans 
sa  mort,  dans  sa  résurrection,  n'a  eu  pour 
but  que  la  formation  de  son  Eglise,  tout  ce 
qu'il  a  fait  depuis  contribue  à  sa  perfection, 
selon  ce  que  dit  l'apôtre  saint  Paul  :  Jésus- 
Christ  a  donné  à  son  Eglise  les  uns  pour  être 
apôtres,  les  autres  pour  être  pasteurs  ,  les 
autres  pour  être  docteurs,  afin  qu'ils  travail- 
lassent à  la  perfection  des  saints  et  à  l'édi- 
fication de  son  corps  mystique. 

Or,  mes  frères,  c'est  aujourd'hui  qu'il  for- 
me ces  docteurs, c'est  aujourd'hui  qu'il  verse 
dans  l'âme  de  ses  disciples  toutes  les  lu- 
mières et  toutes  les  vérités  dont  il  leur  avait 
dit  qu'ils  n'étaient  pas  capables,  et  qu'il  re- 
mettait à  leur  apprendre,  par  la  descente  du 
Saint-Esprit  sur  eux,  qui  devait  leur  ensei- 
gner toutes  les  vérités  qui  regardent  la  foi  , 
la  sainteté  des  mœurs  et  le  règlement  de 
l'Eglise. 

Il  se  fait  dans  ce  jour,  pour  l'établissement 
de  l'Eglise  ,  ce  que  Dieu  Gt  autrefois  dans  la 
création  de  l'univers  :  il  créa  d'abord  tous 
ses  ouvrages,  mais  il  ne  forma  les  astres  et 
il  n'attacha  la  lumière  au  soleil  que  le  qua- 
trième jour.  De  même  l'auteur  de  la  grâce  , 
qui  est  aussi  le  créateur  de  la  nature,  vou- 
laut  mettre  de  la  conformité  entre  ces  deux 
grands  ouvrages,  fait  arriver,  pour  ainsi 
dire,  aujourd'hui  l'Eglise  à  son  quatrième 
jour.  Dieu  d'abord  a  éclairé  les  hommes  dans 
la  loi  de  la  nature  ;  ensuite'  il  les  a  éclairés 
dans  la  loi  de  Moïse.  Sous  cette  loi  il  a  ré- 
pandu différentes  lumières,  selon  les  diffé- 
rentes situations  où  s'est  trouvé  son  peuple, 
et  comme  nous  voyons  dans  la  nature  que 
nos  ombres  paraissent  plus  grandes,  selon 
que  le  soleil  est  plus  éloigné,  de  même  dans 
l'Ancien  Testament  et  dans  le  temps  qui  a 
précédé  la  venue  de  Jésus-Christ,  il  éclairait 
a  la  vérité  par  la  loi,  mais  comme  il  était 
encore  loin  de  ceux  qui  vivaient  dans  ces 
temps-là,  ces  ombres  et  ces  ligures  étaient 


751 


OllAThlllS  SACRES.  DOM  JKRO.Mh. 


751 


discures,  et  leur  lumière  était  sombre.  Knlin 
le  letnps  est  rcnu  qu'il  ;i  illuiniiié  notre  hé- 
misphère par  sa  résence  ;  le  jour  i  com- 
lueucé  à  paraître  par  sa  prédication,  cl  la 
lumière  a  été  pins  forte  ;  mais  aujourd'hui 
le  soleil  se  montre  dans  toute  sa  clarté  ,  le 
Saint-Esprit  est  venu  ,  il  se  repose  sur  les 
apôtres  ;  leurs  âmes,  dégagées  des  vues  sen- 
sibles ,  deviennent  propres  à  former  des 
astres  auxquels  la  lumière  s'unit. 

La  terre,  dit  saint  Gbrysoilome,  devient 
aujourd'hui  un  ciel  pour  nous,  non  à  caose 
que  les  étoiles  tombent  sur  la  terre,  niais 
parce  que  les  ;:pôtre-  moulent  dans  le  ciel. 
Ils  moutent  sur  le  troue  de  l'Eglise  ,  i  t  , 
n'ayant  été  que  de  simples  disciples  peu 
éclairés  pendant  que  Jésus-Christ  avait  vécu, 
ils  deviennent  les  maîtres  des  peuples  et  les 
docteurs  de  toute  l'Eglise  après  la  descente 
du  Saint-Esprit.  Ce  lui  là  que  l'effet  de  leur-, 
lumières  parut.  La  première  prédication  de 
saint  Pierre  fut  plus  grande  que  toutes  celles 
du  Sauveur  du  monde;  mais  chaque  chose 
a  son  temps  dans  l'ordre  de  Dieu.  Voilà  donc 
le  second  effet  de  la  descente  du  Saint-Esprit 
sur  les  apôtres,  il  en  fait  des  docteurs,  et  cet 
Esprit  de  vérité ,  descendant  en  eux  et  se 
reposant  sur  chacun  d'eux,  leur  enseigne 
toutes  choses. 

De  ceci,  mes  frères,  nous  devons  tirer 
deux  grandes  instructions  :  la  première  re- 
garde tous  les  ûdèles  qui  sont  dans  l'Eglise 
et  qui  ont  part  à  la  descente  du  Saint-Esprit; 
la  seconde  regarde  ceux  qui  ont  succédé  aux 
apôtres,  ou  qui  sont  appelés  au  ministère  de 
la  parole.  11  faut  donc  premièrement  que 
chaque  chrétien  pour  qui  le  Saint-Esprit  est 
descendu  se  rende  témoignage  à  lui-même 
de  la  descente  du  Saint-Esprit  en  lui  :  car 
comme  les  apôtres  nous  enseignent  qu'il  a 
donné  son  esprit  à  ceux  qui  sont  ses  enfants 
pour  les  conduire,  il  faut  que;  notre  conduite 
nous  rende  témoignage  de  la  descente  du 
Saint-Esprit  en  chacun  de  nous. 

Eu  effet  ,  si  nous  vivons  par  l'esprit  . 
comme  dit  l'Apôtre,  conduisons-nous  aussi 
par  l'esprit.  Or,  mes  frères  ,  qu  est-ce  que 
c'est  que  de  se  conduire  par  L'esprit  ?  c'est 
suivre  dans  sa  conduite  les  règles  qui  nous 
ont  été  enseignées  par  l'esprit  de  Dieu.  11 
s'agit  d'un  établissement ,  d'un  mariage  , 
d'une  charge,  de  la  conclusion  d'une  affaire 
temporelle:  par  quelle  règle  vous  conduisez- 
vous  ?  Suivez-vous  les  règles  du  monde  que 
l'avarice  et  l'ambition  inspirent,  ou  vous  at- 
tachez-vous à  celles  que  l'esprit  de  Dieu 
vous  a  marquées  dans  l'Ecriture?  Il  s'agit 
de  l'éducation  de  vos  enfants,  les  élevez-vous 
selon  les  principes  de  la  foi  ou  selon  les 
maximes  du  monde  ?  Travaillez-vous  à  en 
faire  de  bons  chrétiens  selon  les  lois  de  l'E- 
vangile, ne  souffrant  pas  qu'ils  apprennent 
rien  qui  puisse  donner  atteinte  à  leur  inno- 
cence,ou  bien  vous  conleulez-vous  d'en  faire 
ce  que  l'on  appelle  d'honnêtes  gens  dans  le 
monde,  c'est-à-dire  de  bons  païens?  l'ouvez- 
vous  dire  comme  David  :  Je  n'ai  point  (Vau- 
tres conseils  que  vos  saintes  lois,  je  ne  m'at- 
tache point  aux  fausses  traditions  humaines  , 


vos  seules  ordonnances  sont  tout  mon  con- 
seil ;  \e  ne  connUti  qu'elles  seules;  elles  seules 
tw  règlent  dans  mu  conduite  ? 

cela  est,  chrétiens,  le  Saint-Esprit  est 
descendu  sur  roui  i  omme  mit  les  apôtres,  il 
vous  a  failsdes   docli  m  s  :  car  tout   chréti  n 

;  passer  pour  docteur  quand  il  est  sa. 
cl  il  est  sage  quand  il  est  conduit  par 

res  de  la  foi.  Voilà  ce  qui  regarde  I  s  li- 
I  du  commun  ;  mail    pour  eux  qui  oui 
sut  cédé  aux   apôtres,  ou    qu:    sont    appel 
après  eux  au  ministère  de  la  parole,  ils  d  >i- 
venl  apprendre  de  la  descente  du  Saint-' 
prit  que  toute  leur  science  doit  venir  du  ciel  ; 

ne  doivent  publier  que  la  parole  de  Dieu, 
de  qui  ils  sont  les  ministres  dans  i  lie  fonc- 
tion ;  car,  comme  dit  l'Apôtre,  Nous  faisons 
laclianje  d'ambassadeurs  pour  Jésus-Christ; 
cl  comme  les  ambassadeurs  soûl  Irès-ex.i 
à  suivre  les  instructions  qu'ils  ont  reçues  du 
prince  qui  les  envoie,  nous  devons  avoir  le 
même  soin  de  ne  rien  dire  qui  ne  soit  con- 
forme à  la  parole  de  Dieu  écrite  ou  reçue  de 
la  tradition  divine.  Ainsi,  quand  nous  vous 
parlons,  ce  ne  sont  point  nos  imaginations 
propres  que  nous  devons  débiter,  nous  de- 
vins nous  attacher  à  la  parole  de  Dieu  écrite 
ou  à  la  sainte  tradition.  Noire  doctrine  doit 
venir  du  S  iinl-Esprit ,  san->  \  mêler  1  s  pro- 
ductions du  nôtre.  Nous  devons  c  re  nni for- 
mes dans  nos  propositions  :  ce  serait  un 
malheur  que  l'on  ne  p  urrail  assez  de  lorer 
si  l'on  en  voyait  travailler  à  détruire  ce  que 
les  autres  édifient. 

De  plus,  celle  doctrine  qui  doit  venir  du 
ciel  ne  descend  dans  l'âme  que  de  ceux  qui 
sont  saints,  c'est-à-dire  qui  tâchent  de  mener 
une  vie  pure  et  retirée,  comme  les  apôtics 
ont  fait  jusqu'à  la  descente  du  Saint-Esprit  : 
c'est  ce  qui  doit  obliger  les  pasteurs  et  les 
minisires  de  la  parole  sainte  à  beaucoup  de 
retraite,  demandant  à  Dieu  qu'il  les  purifie; 
car  Dieu  dit  aux  pécheurs  :  Pourquoi  annon- 
cez-vous mes  lois?  Pourquoi  voire  bouche 
publier  a- t-elle  mon  alliance  f  11  faut  une  plus 
grande  grâce  et  une  nouvelle  effusion  ou 
Saint-Esprit  dan*  ceux  qui  s'attachent  au  mi- 
nistère de  la  parole. 

Enfin  il  faut  beaucoup  prier,  nou-seule- 
menl  afin  de  nous  purifier  de  nos  fautes  et 
de  nos  pèches,  mais  encore  pour  attirer  en 
nous  l'esprit  de  Dieu  cl  sa  science,  les  .ipô- 
tr  s  étaient  dans  l'exercice  de  la  prière  lors- 
que le  Saisi-Esprit  est  descendu  en  eux,  et 
ce  l'ut  par  la  qu'ils  reçurent  celle  ab  ndance 
et  ce  torrent  de  grâce.  C'est  celle  plénitude 
de  l'esprit  de  Dieu  qui  leur  donna  la  force 
<iui  les  fait  paraître  de  nouveaux  hommes  j 
c'est  le  sujel  de  I .  troisième  réflexion. 

tkoisiîmi:  l'ARTIi:. 

Je  n'aurai  pas  le  temps  de  vous  faire  voir 
le  troisième  effet  du  Saint-Esprit  dans  (ouïe 
son  étendue;  i  isons-en  seulement  un  mol. 
11  les  rend  turl-  et  intrépides  à  tout  souffrir, 
et  pour  en  juger  il  suilit  de  faire  attention  à 
la  différence  des  sentiment!  de  saint  Pierre 
dans  celle  rencontre,  où  il  public  Jesus- 
Christ  aux  Juils,  d'avec  ceux  où  il   parait 


753 


SERMON  POUR  LA  FETE  DU  SAINT  SACREMENT. 


être  avant  la  passion,  lorsqu'il  fallut  le  con- 
fesser en  présence  d'une  simple  servante. 
Or  ce  Iroisième  effet  de  l'Esprit-Saint  est  une 
suit.e  des  deux  premiers.  Les  apôtres  étaient 
bien  éloignés  d'exposer  leur  vie  avant  qu'ils 
fussent  saints  ,  ils  étaient  encore  attachés  à 
la  terre,  et  ils  appréhendaient  de  perdre  ce 
qui  les  attachait  lorsqu'ils  n'étaient  pas  en- 
core parfaitement  éclairés  sur  les  grandes 
vérités  delà  foi;  mais,  depuis  que  l'esprit 
de  Dieu  en  a  fait  des  saints  et  des  docteurs, 
ils  ne  craignent  plus  rien,  parce  qu'ils  n'ai- 
ment plus  que  Dieu  et  qu'ils  ne  connaissent 
rien  de  plus  grand  que  lui.  C'est  cette  dispo- 
sition qui  les  mène  avec  joie  au-devant  des 
opprobres  et  des  souffrances. 

Ainsi  nous  devons  conclure  que  si  nous 
n'avons  pas  la  force  de  confesser  Jésus-Christ 
par  notre  conduite ,  ni  de  vivre  devant  les 
hommes  d'une  manière  conforme  à  nos  enga- 
gements,c'est  que  nous  ne  sommes  pas  saints, 
c'est-à-dire  que  nous  sommes  attachés  à  la 
terre  et  que  nous  ne  sommes  pas  pénétrés 
des  vérités  de  la  foi.  En  effet,  souvent  nous 
ne  faisons  pas  le  bien  que  Dieu  demande  de 
nous,  parce  que  nous  craignons  la  raillerie 
et  la  censure  des  hommes,  et  nous  la  crai- 
gnons parce  que  nous  aimions  le  mal  ou  que 
nous  sommes  attachés  à  une  fausse  réputa- 
tion. Nous  ne  connaissons  pas,  à  cause  de 
la  faiblesse  de  notre  foi,  quelle  est  l'étendue 
de  nos  obligations,  nous  ne  prêchons  pas  la 
vérité  avec  force,  nous  ne  soutenons  pas 
les  intérêts  de  Jésus-Christ  avec  vigueur, 
parce  que  nous  craignons  la  perte  de  ce 
qui  nous  attache.  En  un  mot  nous  som- 
mes faibles,  parce  que  nous  ne  sunimes  pas 
saints. 

Demandons-lui  donc  qu'il  nous  envoie  son 
Saint-Esprit,  cet  esprit  de  pureté  qui  nous 
rende  saints  par  notre  conduite,  comme  nous 
le  sommes  par  notre  baptême,  dont  la  consé- 
cration nous  a  sanctifiés;  cet  esprit  de  lu- 
mière qui  nous  éclaire  dans  toute  notre  con- 
duite, et  qui  nous  fasse  marcher  dans  ses 
voies  et  selon  ses  voies  ;  et  enfin  cet  esprit 
de  force  qui  nous  donne  assez  de  fermeté 
pour  mourir  plutôt  que  de  faire  quelque 
chose  qui  démente  la  sainteté  de  notre  con- 
sécration, et  qui  nous  empêche  de  dire  ou 
de  penser  ce  qui  ne  serait  pas  conforme  à  la 
pureté  de  notre  foi,  afin  de  nous  rendre  di- 
gnes de  le  posséder  dans  toute  L'éternité.  Ainsi 
soit-il. 

SERMON 

POUR  LA  FÊTE  DU  TRÈS-SAINT  SACREMENT. 

De    l'excellence    de    l'adorable    eucharistie. 

Homo  i|uid,irn  fecit  conani  BMgnaiB. 

Un  homme  fit  un  jour  un  grand  souper  {lue,  XIV,  16). 

La  parabole  que  l'Eglise  nous  propose  pa- 
raît si  naturelle  pour  expliquer  tout  ce  qui 
regarde  l'adorable  eucharistie,  soit  par  rap- 
port à  Jésus-Christ,  qui  se  donne  à  nous  dans 
ce  sacrement,  soit  par  rapport  à  nous,  qui 
avons  l'avantage  de  le  recevoir,  que  je  me 
suis  déterminé  à  ne  pas  chercher  d'autre 
matière  pour  vous  entretenir  dans  les  trois 


734 

discours  que  j'ai  à  vous  faire  sur  ce  sacre- 
ment adorable.  Examinons  donc  ce  qu'on 
reçoit  dans  l'eucharistie,  l'abus  qu'on  en  fait 
et  l'usage  réglé  qu'on  en  doit  faire.  Toute  la 
matière  qui  regarde  l'adorable  eucharistie 
est  renfermée  dans  ce  que  je  viens  de  vous 
proposer  :  l'excellence  du  don  nous  découvre 
ce  qu'on  reçoit,  le  crime  de  la  profanation 
renferme  l'abus  qu'on  en  fait,  les  conditions 
du  bon  usage  d'un  don  si  excellent  nous  mon- 
trent avec  quelles  dispositions  il  faut  rece- 
voir ce  sacremeut  ;  or  tout  ceci  se  décou- 
vre naturellement  dans  cette  parabole  de 
l'Evangile. 

Le  soin  que  cet  homme  dont  il  est  parlé 
prend  de  faire  un  grand  souper  nous  four- 
nira l'idée  de  l'excellence  du  don  que  Jésus- 
Christ  nous  a  fait  dans  l'eucharistie;  les  ex- 
cuses de  ceux  qui  sont  invités  et  qui  refu- 
sent d'y  prendre  part  nous  découvrent  la 
profanation  qu'on  fait  de  ce  don  excel- 
lent ;  les  qualités  de  ceux  que  le  maître 
du  souper  y  fait  introduire  nous  appren- 
nent les  conditions  du  bon  usage  qu'il  en 
faut  faire. 

Voilà,  mes  chers  frères,  la  matière  dont  je 
veux  vous  entretenir  dans  les  trois  discours 
que  j'ai  à  vous  faire.  L'excellence  du  don 
que  Jésus-Christ  nous  fait  dans  l'eucharistie, 
rien  de  plus  grand;  le  crime  de  la  profana- 
tion de  l'eucharistie,  rien  de  plus  affreux; 
les  conditions  du  bon  usage,  rien  de  plus 
important  que  de  s'en  bien  instruire. 

Aujourd'hui  nous  ne  parlerons  que  de 
l'excellence  de  ce  don,  et,  pour  vous  donner 
une  idée  juste  de  son  excellence,  il  le  faut 
regarder  sous  deux  rapports  que  je  lire  des 
premières  paroles  de  ia  parabolede  l'Evangile: 
1  Par  rapport  à  celui  qui  fait  le  don  et  qui 
prépare  le  souper  :  Homo  quidam;  qui  est 
cet  homme-là?  2°  Par  rapport  au  don  même  : 
Fecit  cœnum  magnam;  c'est  un  grand  et  ma- 
gnifique souper. 

Je  découvre  donc  l'excellence  de  ce  don 
dans  deux  choses  :  1"  Dans  la  dignité  de  ce- 
lui qui  le  fait  :  Homo  quidam  fecit  :  c'est  un 
Homme-Dieu,  premier  point;  2°  dans  la  va- 
leur du  don  en  lui-même  :  Cœnam  maynatn  : 
c'est  sa  chair  et  son  sang,  second  point. 

O  rare  et  excellent  don  1  c'est  vous,  Sei- 
gneur, qui  le  faites  ;  c'est  vous-même  que 
vous  donnez.  Que  ce  repas  est  admirable  1 
toutes  les  circonstances  en  relèvent  le  prix. 
Proslernons-nous  donc  devant  lui  et  adorons- 
le.  Tantum  er(jo. 

PREMIERS    PARTIE. 

Il  faut  examiner  d'abord  la  dignité  de  ce- 
lui qui  fait  ce  don  pour  en  comprendre  l'ex- 
cellence :  Homo  quidam  fecit.  Cette  parabole, 
selon  les  Pères,  ne  peut  s'entendre  que  do  la 
gloire  éternelle,  ou  de  l'adorable  eucharistie, 
qui  en  est  le  gage  et  qui  contient  les  semen- 
ces de  l'immortalité.  En  effet,  il  n'y  a  que 
Dieu  qui  puisse  préparer  la  gloire,  nous  y 
appeler,  nous  y  destiner,  nous  mettre  dans 
les  voies  qui  nous  y  conduisent,  et  opérer 
en  nous  et  avec  nous  par  sa  grâce  les  œu- 
vres qui  nous  en  rendent  digues. 


783 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROMI 


T",f 


Il  n'y  a  de  même  que  Dieu  qui  puisse  nous 
préparer  le  banquet  magnifique  de  l'eucha- 
ristie, nous  y  inviter,  comme  nous  l'explique* 
rons,  et  former  en  nous  les  dispositions  qui 
nous  rendent  dignes  d'y  être  admis.  Il  faut 
donc  d'abord  reconnaître  l'excellence  de  ce 
don  merveilleux  par  la  dignité  de  celui  qui  le 
fait  :  I  enile,  audite,  et  narraUo,  omnes  qui  li- 
melis  Deum.  Venez,  dit  le  Prophète,  écoutez, 
vous  tous  qui  craignez  Dieu,  et  je  vous  ra- 
conterai combien  il  a  fait  de  grâces  à  mon 
âme.  C'est  à  vous,  mes  frères,  que  s'adres- 
sent ces  paroles  ;  car,  quoique  ce  don  soit 
pour  tous  et  que  celle  viande  se  serve  à 
tous,  comme  dit  saint  Augustin,  elle  ne 
nourrit  et  ne  vivifie  que  ceux  qui  sont  rem- 
plis de  la  crainte  du  Seigneur ,  et  d'une 
crainte  d'enfants  animés  de  l'amour. 

Il  n'est  pas  encore  temps  de  vous  mar- 
quer l'excellence  de  ce  don  en  le  considé- 
rant en  lui-même  :  ne  perdons  pas  de  vue 
la  dignité  de  celui  qui  nous  le  fait,  car 
cette  dignité  relève  infiniment  le  mérite  du 
don. 

Jetez  donc  les  yeux  sur  Elisabeth  recevant 
dans  sa  maison  la  mère  de  Dieu.  La  pre- 
mière vue  qu'elle  a  sur  sa  dignité  fait  le  prix 
delà  visite,  lié  !  d'où  me  vient  ce  bonheur  ?dil- 
elle.  Or,  c'est  ici  un  Dieu  qui  nous  prévient, 
c'est  cet  Homme-Dieu  qui  pense  à  nous  faire 
un  don  ;  et  dans  le  don  qu'il  nous  fait  je  vois 
l'ouvrage  merveilleux  de  son  amour,  de  sa 
puissance  et  de  sa  sagesse. 

En  effet,  mes  frères,  outre  que  son  amour 
l'emporte  sur  tous  les  autres  sentiments,  c'est 
que  sa  puissance  et  sa  sagesse  u'agiraient 
pas  si  l'amour  ne  les  mettait  en  mouvement. 
C'est  l'amour  qui  fait  tout  en  lui  à  notre 
égard;  il  nous  a  aimés  le  premier  :  Prior  di- 
lexit  nos  ;  que  pourrait-il  y  avoir  en  nous 
qui  fût  capable  de  le  déterminera  nous  faire 
du  bien,  que  cet  amour  gratuit  dont  il  nous 
a  prévenus  pendant  que  nous  étions  ses  en- 
nemis? C'est  donc  l'amour  qui  fait  tout  en 
lui  ;  ainsi  c'est  l'amour  qui  doit  faire  tout  en 
nous  pour  lui,  et  c'est  là  l'esprit  de  la  loi 
nouvelle. 

Mais  voyons  ce  que  fait  cet  amour  :  nous 
ne  saurions  prendre  une  idée  plus  noble  de 
6es  ouvrages  qu'eu  rappelant  à  notre  esprit 
le  mystère  de  l'incarnation,  qu'on  doit  ap- 
peler le  mystère  de  l'amour  de  Dieu  pour  les 
hommes,  suivant  celte  expression  de  l'Ecri- 
ture :  Sic  Deus  dilexit  mundum,  ut  Filium 
snum  unigenitum  dur  et  :  Dieu  a  aimé  le 
monde  jusqu'au  point  de  lui  donner  son  Fils 
unique. 

Or,  les  sainls  Pères  ont  appelé  le  mystère 
de  l'autel  l'extension  du  mystère  de  l'incar- 
nation ;  et  en  effet  qu'a-t-il  fait  dans  l'un 
qu'il  n'ait  pas  fait  dans  l'autre  dans  un  degré 
supérieur,  ce  qui  donne  l'avantage  aux  preu- 
ves d'amour  qu'il  a  voulu  nous  donner  dans 
celui-ci? 

L'incarnation  nous  montre  à  la  vérité  l'u- 
nion de  Dieu  avec  la  créature  et  la  fin  de 
Celte  union.  L'union  qu'il  y  l'orme  avec  la 
créature  se  termine,  à  un  ternie  individu, 
c'est-à-dire  que  le  Verbe  de  Dieu  se  faisant 


homme  ne  s'est  uni  qu'au  seul  corps  que  le 
Saint-Esprit  lui  a  formé  dans  le  sein  de  Ma- 
rie et  île  la  substance  de  Marie. 

Mais  dans  le  mystère  <!c  l'autel  il  s'unit  à 
autant  de  corps  qu'il  y  a  de  personnes  qui 
le  reçoivent;  le  Verbe  de  Dieu,  fait  ebair 
dans  Marie,  se  fait  chair  en  quelque  façon 
dans  chaque  chrétien  qui  le  reçoit  dans  l'eu- 
charistie. 

Là,  disent  les  Pères  ,  le  prêtre  devient  son 
père  et  lui  forme  un  corps;  ses  paroles  sont 
aussi  efficaces  que  celles  que  Marie  prononça 
pour  inarquer  son  obéissance  à  la  volonté 
du  Seigneur,  après  lesquelles  l'union  des 
deux  natures  fut  accomplie.  Les  unes  comme 
les  autres  l'attirent  du  ciel  sur  la  terre;  l'au- 
tel est  la  crèche  sur  laquelle  il  parait  et 
prend  naissance;  les  espèces  sont  les  lan- 
ges dans  lesquels  il  est  enveloppé  :  elles 
cachent  son  humanité  et  sa  divinité  tout  en- 
semble, comme  l'humanité  commence  à  ca- 
cher sa  divinité  dans  le  moment  de  sa  nais- 
sance ;  et  ce  qui  ne  s'est  fait  dans  l'incarna- 
tion qu'une  seule  fois,  dans  un  seul  lieu  et 
en  une  seule  personne  dignement  préparée 
comme  Marie,  se  fait  tous  les  jours  el  se  con- 
tinuera jusqu'à  la  consommation  des  siècles 
dans  tous  les  lieux  de  la  terre  et  daus  un 
nombre  infini  de  personnes.  C'est  ce  que  si- 
gnifient ces  paroles  du  prophète  Malachie, 
selon  l'interprétation  qu'en  ont  faite  les 
sainls  Pères  après  l'Eglise  :  Et  in  omni  loco 
sncrificatur  nomini  meo  et  offertur  oblatio 
munda;  ab  or  lu  solis  tisque  ad  occasum,  no- 
men  meutn  glorification  est  gentibus. 

Que  si  nous  regardons  1'iucarnalion  dans 
sa  fin,  c'est-à-dire  dans  la  mort  de  Jésus- 
Christ,  qui  n'a  voulu  vivre  de  notre  vie  que 
pour  nous  racheter  de  la  mort  en  mourant 
pour  notre  salut,  il  est  certain  qu'il  n'est 
mort  qu'une  fois  ,  ce  qui  suffisait  pour  la 
plénitude  de  notre  rédemption;  mais  dans 
l'eucharistie  son  amour  lui  a  fait  trouver  le 
moyen  de  mourir  mille  fois  tous  les  jours: 
car  autant  de  fois  qu'on  offre  le  sacrifice, 
autant  de  fois  Jésus-Christ  souffre-t-il  la 
mort;  son  corps  n'est-il  pas  séparé  de  son 
sang  par  les  paroles  de  la  consécration?  et 
ce  mystère  n'est-il  pas  une  vive  représenta- 
tion du  sacrifice  de  la  croix  ,  où  la  même 
victime  est  immolée  pour  nous  d'une  manière 
différente,  mais  toujours  réelle  el  véritable, 
quoique  figurative  et  mystique?  C'est  ce  que 
nos  frères  erranls  n'ont  pas  voulu  recon- 
naître,  et  ce  qui  fait  que  le  sacrifice  des 
chrétiens  est  différent  de  celui  qui  se  prati- 
quait dans  la  loi.  En  effet,  c'est  un  sacrifice 
spirituel  et  digne  de  la  nouvelle  alliance,  OU 
la  victime  présentée  n'esl  aperçue  que  par 
la  foi ,  où  la  parole  est  le  glaive  qui  sépare 
mystiquement  le  corps  et  le  sang,  où  le  sang 
par  conséquent,  n'est  répandu  que  mystique- 
ment, où  la  mort  n'intervient  que  par  repré- 
sentation. Mais  c'est  néanmoins  un  sacrifice 
véritable,  en  ce  que  Jésus-Christ  y  est  trés- 
\  entablement  contenu  et  présente  à  Dieu 
sous  celle  ligure  de  mort  :  c'est  un  sacrifiée 
de  commémoration,  qui,  bien  loin  de  nous 
détacher ,   comme  on  nous  l'objectait ,   du 


737 


SERMON  POUR  LÀ  FETE  DU  SAINT  SACREMENT. 


738 


sacrifice  de  la  croix,  nous  y  attache  par 
toutes  ses  circonstances,  puisque  non-seule- 
ment il  s'y  rapporte  tout  entier,  mais  que 
réellement  il  n'est  et  ne  subsiste  que  par  ce 
rapport  et  qu'il  en  tire  toute  sa  vertu. 

Ecrions-nous  donc  avec  le  Prophète  :  Do- 
minus  regnavit,  exsultet  terra  :  Le  Seigneur 
a  été  reconnu  pour  le  roi  suprême,  que  la 
terre  tressaille  de  joie.  Nubes  et  calûjo  in 
circuitu  ejus  :  Une  nuée  est  autour  de  lui  et 
l'obscurité  l'environne. 

Car  si  cette  nuée  signifie  l'humanité  dont 
il  s'est  revêtu  par  son  incarnation,  puisque 
la  faiblesse  de  notre  nature  était  véritable- 
ment comme  une  nuée  et  comme  une  obscu- 
rité très-sombre  sous  laquelle  était  caché  le 
Dieu  de  gloire,  pourquoi  les  espèces  qui  le 
couvrent  dans  ce  sacrement,  où  il  étend  les 
merveilles  de  son  incarnation,  ne  pourront- 
elles  pas  porter  le  même  nom? 

Cette  nuée,  comme  celle  de  notre  nature  , 
sera,  selon  saint  Augustin,  jusqu'à  la  fin  des 
siècles  une  occasion  de  scandale  pour  les 
impies  ,  qui  ont  trop  d'orgueil  pour  recon- 
naître par  la  foi  la  sagesse  très-profonde  et 
la  puissance  souveraine  de  celui  qui  se  réduit 
dans  cet  état;  mais  les  vrais  fidèles  perce- 
ront toujours  à  travers  cette  nuée  ,  et  com- 
prendront les  mystères  de  ces  ténèbres  ado- 
rables ;  et,  voyant  non-seulement  celui  qui  se 
cache  de  cette  manière  et  qui  s'enveloppe 
dans  cette  mystérieuse  obscurité,  ils  y  dé- 
couvriront encore  des  marques  admirables 
de  sa  puissance  souveraine  et  toute  divine. 
Pour  vous  faire  entrer  dans  celte  seconde 
considération, qui  rclèveadmirablcment  l'ex- 
cellence de  ce  don,  il  faudrait  vous  développer 
tous  les  miracles  que  la  puissance  de  Dieu 
opère  dans  l'accomplissement  de  ce  mystère; 
je  ue  ferai  cependant  que  passer  sur  quel- 
ques-uns, pour  vous  en  donner  une  idée  qui 
serve  à  vous  faire  estimer  ce  don  si  prérieux; 
et  il  n'y  a  qu'à  considérer  la  manière  dont  il 
est  renfermé  dans  ce  sacrement. 

Ahl  que  nous  pouvons  bien  le  dire,  et 
reconnaître  en  même  temps  la  force  de  son 
amour,  qui  l'oblige  à  renfermer  toute  sa  puis- 
sance pour  s'élever  au-dessus  de  toutes  les 
lois  de  la  naiure  ,  et  renverser  en  quelque 
façon  l'ordre  des  choses  !  Oui,  mon  Dieu,  vous 
êtes  vraiment  un  Dieu  caché. 

Il  faut  être  Dieu  pour  faire  qu'une  sub- 
stance soit  changée  en  une  autre  par  la  vertu 
d'une  parole;  que  des  accidents  que  nos  yeux 
voient,  que  nos  mains  louchent,  que  notre 
langue  goûte,  renferment  l'Etre  créateur  de 
toutes  choses;  qu'un  corps  ait  toute  sa  gran- 
deur dans  un  si  petit  espace,  qu'il  soit  pré- 
sent en  mille  lieux  en  même  temps,  qu'il  ait 
toute  la  force  cl  toute  la  vigueur  d'un  corps 
vivant,  cl  qu'il  demeure  dans  l'inaction  et 
d  us  l'immobilité  d'un  mort;  qu'il  ail  toute 
la  puissance  d'un  souverain  de  l'univers  et 
qu'il  soil  renfermé  sous  la  faiblesse  d'un  être 
inanimé;  enfin  qu'il  possède  toute  la  gloire 
d'un  Dieu  dans  sa  majesté  et  dans  sa  splen- 
deur, et  qu'il  veuille  être  soumis  à  la  volonté, 
aux  négligences,  aux  mépris  et  aux  injures 
des  hommes.    Ahl  mes  chers  frères,  il  faut 


reconnaître  que  tous  les  miracles  qu'il  a 
opérés  dans  sa  vie  cèdent  à  ceux  qu'il  fait 
dans  l'adorable  eucharistie,  que  c'est  dans 
ce  mystère  que  sa  puissance  souveraine 
s'élève  au-dessus  de  toutes  les  lois  de  la  na- 
ture ,  et  qu'on  doil  le  regarder  comme  l'a- 
brégé, le  mémorial,  le  chef-d'œuvre  de  son 
amour  et  de  sa  puissance  :  Memoriam  fecit 
mirabilium  suorum,  escamdedit  timentibus  se. 
Ajoutons,  pour  finir  celte  première  partie, 
ce  qui  regarde  sa  sagesse  infinie  dans  ce 
mystère,  pour  relever  encore  l'excellence  de 
ce  don  précieux  par  rapport  à  celui  qui  le  fait; 
et  pour  vous  faire  entendre  ce  que  je  pense, 
il  faut  établir  ce  principe  de  saint  Thomas, 
qui  appartient  à  la  foi  ,  que  tous  les  sacre- 
ments concourent  à  établir,  à  perfectionner, 
à  former  et  à  soutenir  la  vie  de  l'âme.  Or, 
dit  saint  Thomas,  le  baptême  lui  donne  la  vie, 
la  naissance  et  la  formation  ;  mais  comme  la 
vie  ordinaire  ne  peut  se  conserver  sans  ses 
aliments,  il  en  faut  aussi  pour  soutenir  la  vie 
de  l'âme. 

Or  c'est  dans  l'eucharistie  que  nous  trou- 
vons cet  aliment  et  cette  nourriture  qui  nous 
soutient;  c'est  pourquoi  ce  pain,  qui  donne 
la  vie,  esl  appelé  le  pain  de  vie;  en  effet, 
par  le  baptême  nous  sommes  régénérés  en 
Jésus-Christ,  à  qui  nous  sommes  unis,  et  par 
l'eucharislie  nous  mangeons  Jésus-Christ , 
qui  s'unit  à  nous. 

Par  le  baptême  nous  faisons  notre  entrée 
dans  l'Eglise,  cl  par  l'eucharistie  nous  en- 
trons d  ans  l'union  el  dans  l'usage  du  pain  des 
enfants,  suivant  ce  que  dit  saint  Paul  aux 
Corinthiens  :  Unum  corpus  sumus,  omnes  qui 
de  uno  pane  participamus. 

C'est  donc  par  l'effet  d'une  extrême  sagesse 
que  Jésus-Christ  a  institué  ce  sacrement,  et 
qu'il  nous  fait  ce  don  excellent,  où  nous 
trouvons  une  source  du  vie. 

Sagesse  admirable  de  Dieu  que  nous  ado- 
rons ,  vous  avez  voulu  mettre  une  sorte  de 
proportion  en  la  manière  dont  nous  avions 
perdu  la  vie  que  vous  nous  avez  donnée 
d'abord  dans  la  personne  de  notre  premier 
père,  et  celle  que  vous  avez  choisie  pour 
nous  la  rendre  par  la  vertu  du  nouvel  Adam  : 
l'usage  sacrilège  d'un  aliment  que  vous  lui 
avez  défendu  lui  a  fait  perdre  la  vie  :  Quo- 
cunque  die  comederis,  morte  moricris;  cl  celui 
de  ce  pain  adorable  la  lui  redonne  :  Si  quis 
manducaveril  ex  hoc  pane,  vivet  in  œternum. 
Quels  doivent  être  nos  transports  ,  mes 
chers  frères, dans  la  vuede  tant  dcmervcillrsl 
Quelle  estime  ne  devons-nous  pas  concevoir 
de  ce  don,  qui  nous  est  fait  par  une  personne 
d'une  dignité  infinie  et  divine  I  Mais  ce  don, 
c'est  lui-même  ;  il  faut  vous  en  découvrir  la 
valeur  :  c'est  la  seconde  partie. 

SECONDE    PARTIE. 

Attachons-nous  aux  paroles  de  notre  évan- 
gile pour  entrer  dans  I  Idée  que  nous  devons 
prendre  de  l'excellence  du  don  que  Dieu 
nous  fait  dans  l'adorable  eucharistie,  consi- 
déré par  rapport  au  don  même  el  pris  dans 
sa  nature  :  c'est  uu  souper  magnifique;  or  lo 
souper  renferme  deux  choses  :  lu  c'est  le 


739 


ORATEURS  SACRES.  I)0\1  JEROME. 


740 


dernier  repas  de  !a  journée,  on  n'en  lait  plus 
d'autres  après  celui-là  ;  ml'  de  ce  repas  ordi- 
nairement na  passe  au  repo  ,  il  net  comme 
la  liu  à  noire  travail  ;  après  le  souper  on  sa 
repose  et  on  n'agit  plus,  lo.is  les  mouvements 
et  toutes  les  applications  sont  suspendus. 

Je  vois  dans  ces  deuv  considérations  natu- 
relles sur  le  souper  une  idée  assez  juste  de  la 
valeur  du  don  que  Dieu  nous  fait  dans  l'eucha- 
ristie ,  considéré  en  lui-même  :  c'est  l'heu- 
reux accomplissement  de  toutes  les  figures 
de  l'ancienne  loi,  le  dernier  repas  que  Dieu  a 
donné  à  ses  enfants  à  la  fin  de  la  journée  des- 
tinée aux  figures  et  aux  représentations; 
c'est  la  prise  de  possession  de  la  réalité,  c'est 
l'entrée  au  repos  éternel  et  le  gage  de  la 
bienheureuse  immortalité. 

Mais  pour  bien  entrer  dans  ces  vérités  ,  il 
en  faut  établir  une  qui  appartient  à  la  foi,  qui 
est  tirée  de  l'Ecriture,  et  qui  est  un  grand 
principe  de  religion  :  c'est  que  Dieu,  qui  est 
père  tendre,  sage  et  puissant ,  a  pris  soin 
dans  tous  les  temps  de  pourvoir  à  la  nour- 
riture et  à  la  subsistance  de  ceux  qu'il  a 
choisis  pour  ses  enfants.  En  effet,  La  Sagesse 
s'est  bâti  une  maison;  ce  Verbe  de  Dieu,  en 
s'incarnnnl,  a  formé  son  Eglise,  dont  il  est 
le  chef,  et  qui  est  composée  de  tous  les  élats 
qu'il  a  pris  dans  toutes  les  nations  et  dans 
tous  les  temps.  Cette  maison  a  eu  ses  pro- 
grès et  ses  accroissements  :  les  fondements 
en  ont  été  jetés  dans  l'ancienne  loi  et  même 
dès  la  création  du  monde,  Dieu  ayant  eu  , 
comme  je  viens  de  le  dire  ,  des  élus  dans 
tous  les  temps.  Elle  s'est  élevée  ,  elle  a  été 
ornée,  elle  a  paru  dans  sa  beauté  dans  la  loi 
nouvelle;  la  sainteté  est  devenue  l'ornement 
de  cette  mai  on,  par  la  charité  qui  l'a  enri- 
chie, par  le  Saint-Esprit  qu  l'a  remplie,  par 
la  présence  de  Jésus-Christ  qui  l'a  honorée. 
Elle  recevra  la  consommation  de  sa  sainteté 
dans  l'éternité  et  à  la  fin  des  temps,  lorsque 
Dieu  la  remplira  parfaitement ,  et  qu'étant 
achevée  et  complète  par  la  réunion  de  toutes 
les  pierres  choisies  pour  la  composer,  la  dé- 
dicace s'en  fera  dans  la  gloire.  Je  ne  veux 
que  tous  indiquer  ce  qui  peut  vous  fournir 
des  réflexions  sur  la  construction  de  cet 
édifice  :  considérez  l'ébauche  et  le  commen- 
cement de  celte  maison  dans  le  temps  de  la 
loi  ;  son  élévation  ,  sa  force  et  sa  ferveur  au 
temps  de  l'Evangile,  et  l'étal  <lc  l'amour  et  de 
la  charité  qui  fera  sa  perfection  et  son  achè- 
vement ,  et  qui  ne  sera  que  dans  le  ciel  : 
heureux  temps  de  la  gloire  et  de  la  consom- 
mation 1 

Or,  mes  frères,  dans  tous  ces  temps  ce  père 
charilable,  tendre  et  puissant,  a  fourni  à  ses 
enfants  une  nourriture  et  des  aliments  pro- 
portionnés à  leur  état;  c'est  pourquoi  saint 
Jean  nous  assure  que  l'Agneau  a  été  immolé 
et  posé  sur  l'autel  dès  le  commencement  du 
monde.  Que  de  vérités  dans  cette  idée  ,  qui 
représente  tout  en  Jésus-Christ  !  Election, 
vie,  force,  aliments,  gloire  :  Jésus-Christ 
i  enferme  tout- 
Cet  Agneau  a  donc  été  la  nourriture  des 
élus  dans  tous  les  temps;  mais  la  sagesse  de 
re  qui  l'a  fournie  à  ses  entants  a  pris 


soin  de  la  proportionner  à  leurs  forces.  Les 
anges,  ces  esprits  célestes  qui  sont  unis  à 
Dieu  de  la  manière  la  plus  parla  le,  le  man- 
gent COUime  il  convient  a  leur  et.il  ,  al  sont 
eni\rés  de  l'abondance  d.-s  déliées  qu'ils 
goûtent  d'une  manière  ineffable  d  ms  l'usage 
de  cette  céleste  et  divine  uourrilure  ;  Man- 
dacant  (irujeli,  mnnducant  cœlesles  spiritu*  , 
dit  saint  Augustin.  Tous  ceux  qui  mil  pi  ccéJé 
l'établissement  et  l'institution  de  l'adorable 
eucharistie  l'ont  mangé  s  irilm  llemeni  al 
par  la  loi;  car  ils  appartenaient  à  Jésu*- 
Christ  et  ils  étaient  déjà  membres  de  son 
corps.  Et  présentement  il  nourril  d'une  ma- 
nière ineffable  ceux  pour  qui  il  n'y  a  plus  ni 
figure  ni  ténèbres  ,  eî  qui,  pénétrée  de  la  m- 
rilé,  voient  tout  à  découvert. 

Mais  de  ces  vérités  si  belles  et  si  solides  je 
lire  des  conséquences  justes  et  naturelles , 
qui  nous  découvrent  l'excellence  du  don  que 
Dieu  nous  fait  aujourd'hui  :  c'est,  mes  frères, 
que  celle  adorable  eucharis'ie  que  nous  pos- 
sédons est  toulensembleet  l'accomplissement 
des  figures,  qui  sont  passées,  et  le  gage  de  la 
gloire  que  nous  attendons.  Ces  figures  eu 
effet  n'ont  rien  promis  ni  rien  donné  qu'elle 
ne  contienne,  et  celle  gl»  ire  ne  renferme  rien 
dont  elle  ne  nous  assure  et  qu'elle  ne  com- 
mence à  nous  donner.  Arrêtons-nous  un 
moment  sur  ces  deux  propositions. 

Pour  n'être  pas  infini  dans  le  récii  de  toutes 
les  figures  qui  ont  représenté  l'eucbarislie, 
je  m'attache  à  trois  ,  qui  nous  sont  assignées 
par  l'Eglise  :  le  sacrifice  d'Isaac  ,  l'agneau 
pascal  ,  la  manne,  lsaac  est  immolé,  et  son 
sang  n'est  pas  répandu  ;  Jésus-Christ  est  im- 
molé dans  l'eucharistie  :  il  y  a  une  mort 
mystique  ,  nous  l'avons  expliquée;  son  sang 
n'est  pas  répandu,  ce  sacrifice  n'est  pas  san- 
glant. Le  l'ère  nous  donne  effectivement  la 
vie  de  son  Eils ,  et  le  Fils  nous  la  donne  de 
même;  mais  comme  il  n'a  dû  mourir  qu'une 
fois,  sa  mort  se  renouvelle  dans  ce  sacrifice 
et  devient  une  source  de  vie.  Il  est  offi  rt 
comme  lsaac  et  immulé  comme  lui.  L'agneau 
pascal  devait  être  sans  tache;  Jésus-Christ 
dans  ce  sacrifice  devait  être  innocent,  et  il  ne 
serait  pas  une  digne  victime  s'il  n'était  pas 
innocent:  l'agneau  devait  être  mâle;  Jésus- 
Clirist  est  la  vertu  du  Père  :  agneau  à  sa  mort, 
lion  dans  sa  résurrection;  l'agneau  pascal 
n'a  rien  signifié  qu'on  n'ait  trouve  dans  Jésu*- 
Chrisl. 

Enfin  la  manne  venait  du  ciel,  et  avait 
tous  le.s  goûts  et  toute  la  saveur  que  vou- 
laient ceux  qui  en  mangeaient.  N'est-ce  pas 
ici  le  pain  du  ciel  que  les  saints  mangent, 
comme  nous  disions  il  n'y  a  qu'un  moment? 
Ce  pain  n'est-ce  pas  Dieu  même  qui  descend 
du  ciel,  pour  nous  faire  vivre  de  la  vie  do  il 
on  vit  dans  le  ciel?  Mais  il  ne  suffit  pas  de 
vous  avoir  fait  voir  que  s:  les  figures  de  1  An- 
cien Testament  n'ont  rico  promis  ni  rien 
donné  que  l'eucharistie  ne  renferme,  la 
re  du  ciel  ne  renferme  rien  donl  elle  ne 
nous  assure.  En  effel,  que  renferme  la  gloire? 
n'est-ce  pas  Dieu?  et  n'est-il  pas  dans  ce 
sacrement? Oui,  ce  sacrement  renferme  Dieu 
même.  N'y    sommes-uous  pas   unis  à  cette 


741 


SERMON  POUR  LA  FETE  DU  SAINT  SACREMENT. 


■» 


source  de  vie  qu'il  a  acquise  à  ses  enfants 
par  sa  mort  ?  Ne  recevons-nous  pas  les  ga- 
ges el  la  semence  de  la  béatitude  et  du  repos 
éternel,  en  recevant  le  corps  adorable  du 
Sauveur  ?  N'est-ce  pas  l'Eglise  elle-même, 
cette  dépositaire  de  sa  vérité,  qui  nous  as- 
sure de  tous  ces  avantages  ?  0  sacrum  con- 
virium  in  quo  Chris  tus  sumitur  ! 

C'est  donc  ici  un  souper  magnifique  :  Fe- 
cil  cœnam  magnum.  11  nous  l'a  préparé  à  la 
fin  de  sa  vie,  c'est  le  dernier  repas  qu'il  fait 
à  ses  enfants  ;  mais  c'est  le  commencement 
d'un  repas  que  rien  ne  doit  interrompre;  car 
pour  nous,  qui  vivons  dans  l'Eglise  et  dans 
ïes  lumières  de  l'Evangile,  qui  sommes  ses 
enfants  régénérés  par  les  sacrements,  élevés 
au-dessus  des  figures,  nous  mangeons  réel- 
lement le  môme  agneau  dont  les  anges  sont 
rassasiés  dans  la  gloire;  mais  comme  nous 
sommes  faibles,  pour  se  proportionner  à  nos 
forces,  il  s'est  fait  chair,  el  il  en  a  usé,  dit 
saint  Augustin,  comme  fait  une  mère  pour 
nourrir  son  enfant.  Une  viande  solide  serait 
trop  forte  pour  sa  faiblesse,  elle  la  mange 
elle-même,  et  elle  se  change  dans  son  esto- 
mac en  lait,  qu'elle  donne  à  son  enfant,  qui 
se  nourrit  ainsi  du  même  pain  que  sa  mère, 
mais  proportionné  à  son  étal  et  rendu  con- 
venable à  ses  forces. 

C'est  ainsi  que  Jésus-Christ  en  use  avec 
nous  dans  l'adorabic  eucharistie.  Le  Verbe 
s'est  fait  chair,  et  il  s'est  rendu  propre  à  de- 
meurer en  nous.  Considérons,  dit  saint  Au- 
gustin, l'humilité,  la  charité,  la  puissance, 
l'amour  de  Jésus-Christ.  11  est  donc  vrai  que 
Dieu,  comme  un  père  sage  et  puissant,  a  pris 
Soin  de  nourrir  ses  enfants  d'un  même  pain, 
quoique  différent  ;  car  il  a  nourri  par  la 
seule  foi  ceux  qui  étaient  enveloppés  dans 
des  ténèbres,  et  qui  ne  jouissaient  que  des 
seules  figures,  et  il  nourrit  réellement  au- 
jourd'hui et  dans  la  foi  ceux  qui  sont  envi- 
ronnés des  ombres  de  celte  foi,  mais  qui 
mangent  sa  chair  et  boivent  son  sang  dans 
la  loi.  Que  cette  vérité  est  solide  et  lumi- 
neuse !  Qu'est-ce  que  l'homme,  ô  mon  Dieu  I 
pour  mériter  que  vous  le  regardiez  comme 
quelque  chose  ?  Qu'est-ce  qui-  l'homme  pour 
que  vous  vous  souveniez  de  lui,  et  que  vous 
le  jugiez  digne  de  le  visiter?  Par  quelle 
bonté,  Seigneur!  avez-vous  visité  notre  bas- 
sesse et  daigné  vous  revêtir  de  notre  chair? 
Mais  n'est-ce  pas  quelque  chose  de  plus  que 
vous  ayez  bien  voulu  nous  nourrir  de  la  vô- 
tre? Quel  rapport,  6  mon  Dieu  !  el  quelle 
proportion  1  Jamais  tous  nos  efforts  ne  peu- 
vent aller  jusqu'à  en  mettre  la  moindre  en- 
tre vous  el  l'homme  que  vous  daignez  visi- 
ter, fût-il  le  plus  juste  de  lous  ceux  que  vo- 
ire grâce  a  jamais  sanctifiés. 

Pierre  ne  veut  pas  souffrir  que  vous  lui 
laviez  les  pieds,  il  ne  peut  vous  voir  pros- 
terné devant  lui  pour  lui  rendre  cet  office 
d'humilité.  Quel  est  l'homme  qui,  connais- 
sant ce  que  vous  éles,  ne  tremblera  pas 
quand  il  pensera  que  non-seulement  vous 
voulez  vous  abattre  à  ses  pieds,  mais  deve- 
nir sa  nourriture,  descendre  dans  son  es- 


tomac et  vous  unir  à  lui  sous  la  forme  d'un 
aliment  ! 

Jean-Baptisle,  cet  homme  si  saint,  dit  qu'il 
n'est  pas  digne  de  délier  les  cordons  de  vos 
souliers  ;  et  l'homme  pensera,  sans  mourir 
de  frayeur,  qu'il  va  prendre  voire  chair,  la 
toucher,  la  porter  sur  sa  bouche! 

Toute  l'Eglise,  instruite  de  la  sainteté  de 
Marie,  sait  que  vous  êtes  tombé,  pour  ainsi 
dire,  dans  la  profusion,  pour  l'enrichir  de 
tous  les  dons  qui  pouvaient  la  rendre  agréa- 
ble à  vos  yeux  ;  que  vous  l'avez  douée  de 
toutes  les  grâces  et  de  toutes  les  richesses 
spirituelles  qui  pouvaient  la  préparera  vous 
recevoir  en  elle  ;  et  elle  admire  que  vous 
n'ayez  pas  eu  d'horreur  de  descendre  dans 
son  sein  :  Non  hurruisti  virginis  uterum, 
dit-  lie  lous  les  jours  ;  et  Jésus-Christ  sup- 
porte mille  injures,  il  souffre  mille  outrages, 
avant  que  de  parvenir  à  ceux  qui  méritent 
de  le  recevoir.  Que  ce  don  est  précieux  !  que 
la  bonté  qui  en  est  le  principe  est  ineffable, 
mes  chers  frères  ! 

Jésus-Clirist  pense  à  donner  son  corps  aux 
hommes  dans  le  temps  que  les  hommes  sont 
altérés  de  son  sang  et  se  préparent  a  lui  don- 
ner la  mort  ;  dans  le  temps  qu'ils  cherchent 
les  moyens  de  le  faire  sortir  ignominieuse- 
ment de  ce  monde,  il  songe  à  demeurer  avec 
eux  jusqu'à  la  consommation  des  siècles, 
par  l'institution  d'un  sacrement  qui  le  rend 
présent  à  eux  et  qui  leur  donne  droit  de 
s'unir  à  lui  dans  tous  les  temps.  Il  ne  con- 
sidère pas  ce  qu'il  va  souffrir,  il  suit  les 
mouvements  de  son  amour,  il  perce  à  tra- 
vers celte  nuit  affreuse  pour  se  présenter  au 
traître  Judas.  N'en  fait-il  pas  de  même  dans 
l'usage  de  ce  sacrement  ?  Considère-l-ii  les 
injures  qu'il  reçoit  tous  les  jours  dans  le 
mauvais  usage  que  l'on  fait  de  son  corps  et 
de  son  sang  adorable?  et  pour  s'unir  à 
une  âme  fidèle,  combien  essuie-t-il  d'outra- 
ges de  la  part  de  celles  qui  ne  le  sont  pas  1 
Combien  d'ennemis  mêlés  avec  un  petit  nom- 
bre de  ses  enfants  dans  les  triomphes  qu'on 
lui  dresse  pendant  cette  octave  1  Quelle  mul- 
titude de  gens  qui  lui  uni  insulté,  pendant 
qu'un  petit  nombre  l'a  adoré  en  esprit  cl  en 
vérité  1 

Il  souffre  cette  foule  qui  le  presse  en  re- 
cevant les  sacrements,  et  qui  ne  laisse  pas 
de  vivre  toujours  de  la  même  manière  en 
suivant  leurs  passions  et  leurs  dérèglements 
ordinaires,  pour  aller  répandre  la  vertu  dans 
le  cœur  humble  cl  dans  une  âme  qui  est  di- 
gnement préparée  à  le  recevoir.  Mais  pour 
vous  qui  le  recevez  souvent,  âmes  chrétien- 
nes, et  qui  le  recevez  dignement,  il  sort  lous 
les  jours  des  vertus  infinies  de  celle  four- 
naise d'amour  dont  vos  cœurs  se  trouvent 
embrasés.  Faites  donc  réflexion  sur  ce  qu'il 
souffre  pour  s'unir  à  vous  par  la  multitude 
qui  le  presse  et  qui  l'accable  ;  cette  vue  doit 
redoubler  voire  reconnaissance  et  votre 
a;:!our,  et  vous  faire  senlir  l'excellence  do 
cet  adorable  sacrement.  Considérez  toujours 
ce  (Ion,  surtout  par  la  dignité  île  celui  qui 
vous  le  fait  et  par  la  valeur  et  le  mérite  du 
don  en  lui-même. 


U3 


01lATi;i  K<  SACHES.   HOM   .1  CHOME. 


7*; 


Ces  vues  réveilleront  incessamment  vo- 
ire foi,  exciteront  de  nouvelles  flamme!  dans 
vos  cœurs,  et  redoubleront  votre  ferveur, 
quand  il  s'agira  de  venir  recevoir  un  don  si 
excellent  et  si  précieux,  qui  met  dans  ceux 
qui  le  reçoivent  dignement  le  germe,  de  l'im- 
mortalité et  les  semences  de  la  gloire  éter- 
nelle, <|uc  je  vous  souhaite.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR   LE  DIMANCHE    DUS    L'OCTAVE    DO     SAIM 
BACBEMEK  i  • 

Du  crime  de  la  profanation  de  l'eucharistie. 

Et  cœperont  simul  omaes  oxcusare. 
lît  feus  comme  de  concert  commencèrent  a  s'excuser 
{Luc,  XIV,  18). 

Il  ne  faut  que  faire  réflexion  sur  l'excel- 
lence du  don  qui  est  offert  à  ceux  qui  s'ex- 
cusent tous  comme  de  concert  de  venir  au 
lieu  où  ils  sont  invités,  pour  reconnaître 
l'injustice  de  leurs  excuses  et  la  perle  qu'ils 
font  en  négligeant  de  le  recevoir. 

Vous  voyez  bien,  mes  frères,  que,  selon 
l'ordre  que  je  dois  garder  dans  les  discours 
que  je  nie  suis  proposéde  vous  faire,  je  dois 
vous  parler  aujourd'hui  de  la  profanation 
que  l'on  fait  de  l'adorable  eucharistie,  et 
pour  le  faire  d'une  manière  qui  soit  utile  et 
qui  nous  donne  toutes  les  instructions  et 
tous  les  éclaircissements  nécessaires  sur 
une  matière  aussi  importante,  il  me  semble 
qu'il  est  à  propos  d'expliquer  dans  ce  discours 
la  nature  de  cette  profanation,  c'est-à-dire 
l'énormitéde  ce  crime  en  soi  :  ce  sera  la  pre- 
mière partie  ;  les  espèces  différentes  de  ce 
crime  et  par  combien  de  manières  on  s'en 
rend  coupable  :  ce  sera  la  deuxième  partie; 
enfin  les  suites  effroyables  de  ce  crime  et  les 
terribles  préjugés  qu'il  laisse  sur  la  répro- 
bation de  ceux  qui  y  sont  tombés  malheu- 
reusement :  ce  sera  la  troisième  partie. 

Voilà,  mes  frères,  la  matière  importante 
de  ce  discours.  Je  veux  croire  qu'il  ne  se 
trouvera  personne  parmi  vous  qui  soit  cou- 
pable d'un  si  grand  crime  ;  mais  il  est  utile 
Ile  le  connaître  pour  en  sentir  toute  l'hor- 
reur, et  j'espère  que  je  n'aurai  des  répara- 
tions à  vous  demander  que  pour  les  crimes 
d'autrui  et  par  la  raison  de  l'intérêt  que  vo- 
tre amour  pour  Jésus-Christ  vous  doit  faire 
prendre  aux  injures  qu'il  reçoit  dans  ce  sa- 
crement. Commençons  par  lui  en  donner  des 
marques  en  l'adorant  avec  les  paroles  de 
l'Eglise.  Tantum  ergo. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Je  n'ai  pas  dessein  de  m'étendre  beaucoup 
sur  la  nature  du  crime  que  renferme  la  pro- 
fanation du  corps  de  Jésus-Christ  :  il  est  une 
Gorledc  péchés  contre  lesquels  on  est  pré- 
venu, et  qui  donnent  une  certaine  horreur 
qui  en  fait  comprendre  d'abord  toute  l'énor- 
inilé.  Tel  est  celui  de  la  profanation  du  sa- 
crement adorable  de  nos  autels  :  on  frémit 
seulement  d'y  penser,  et  il  n'y  a  qu'à  con- 
sidérer les  mouvements  de  l'Eglise,  son  zèle, 
son  empressement  pour  réparer  les  moin- 
dics  injures  extérieures,   faites  à  son  é]ioui 


dans  ce  sacrement,  pour  comprendre  com- 
bien elle  a  d'horreur  pour  une  prolaualiou 
enlière  et  totale. 

Mais  il  y  a  des  péchél  •-ur  lesquels  on  fait 
peu  d'attention,  on  les  passe  sans  réflexion, 
et  on  en  est  coupable  non-seulement  sans 
s'en  affliger,  mais  même  sans  croire  l'être. 
Telle  est  une  sorte  de  profanation  invisible 
aux  sens,  du  corps  adorable  de  Jésus-Chri-l, 
bien  plus  terrible  que  celle  qui  frappe  nos 
sens,  qu'on  compte  cependant  presque  pour 
rien,  et  qui  nous  rend  meurtriers  de  Jésus- 
Christ,  tandis  que  nous  nous  flattons  tran- 
quillement d'en  être  les  enfants,  les  adora- 
teurs et  les  disciples. 

C'est,  mes  frères,  ce  qui  me  fait  penser 
qu'il  sera  beaucoup  pîusulilc  de  nous  étendre 
davantage  sur  les  espèces  que  sur  la  nature 
de  la  profanation,  et  qu'il  vaut  mieux  exa- 
miner si  l'on  est  criminel  afin  d'apprendre 
à  cesser  de  l'être,  que  de  se  remplir  l'esprit 
des  circonstances  d'un  crime  dont  on  ne  se 
croit  pas  coupable. 

Ainsi,  pour  vous  donner  une  idée  de  celui 
dont  nous  devons  parler  dans  celle  première 
partie,  et  pour  vous  en  faire  comprendre 
l'énorniité,.je  veux  seulement  vous  représen- 
ter le  prix  de  l'objet  que  ce  crime  attaque, 
et  la  disposition  de  celui  qui  commet  ce 
crime.  En  effet  c'est  Jésus-Chrisl  qui  est 
blessé  danssa  personne  ;  c'est  pourquoisaiut 
Paul  ne  craint  pas  de  dire  que  Quiconque 
mangera  ce  pain  et  boira  ce  calice  du  Seigneur 
indignement,  sera  coupable  du  corps  et  du 
sang  de  Jésus-Christ.  C'est  donc  la  sainteté 
du  corps  de  Jésus-Christ  et  de  son  sang  con- 
tenu réellement  dans  ce  sacrement,  qui  est 
violée  par  la  profanation  qu'on  en  fait. 

C'est  la  différence  qu'il  y  a  entre  ce  péché 
et  les  autres  :  dans  les  aulres  nous  abusons 
simplement  des  biens  de  Dieu,  et  dans  celui- 
ci  c'est  de  Dieu  même  que  nous  abusons.  Un 
homme  qui  eudurcit  son  cœur,  et  qui,  re- 
gardant la  misère  du  pauvre  sans  en  être 
touché,  ferme  ses  entrailles  et  le  laisse  périr 
faute  de  secours,  soit  qu'il  garde  son  bien 
par  avarice,  soit  qu'il  le  répande  inutilement 
par  prodigalité,  cet  homme,  dis-je,  n'allaque 
Dieu  que  dans  des  choses  qui  sont  hors  de 
lui,  et  il  abuse  simplement  des  biens  dont  il 
l'a  fail  le  dépositaire,  en  les  refusant  à  ceux 
auxquels  il  l'a  obligé  d'en  faire  part;  mais 
après  tout  il  n'abuse  que  de  ses  biens,  il  ne 
le  blesse  que  dans  la  personne  du  pauvre, 
auquel  il  n'est  uni  que  par  la  foi,  et  dans  le- 
quel il  n'habite  que  par  sa  grâce,  par  sa 
vertu  et  par  ses  dons. 

Mais  quand  il  profane  l'cucharislie.  c'est  à 
Jésus-Christ  même  qu'il  s'attaque,  puisqu'il 
esl  réellement  contenu  dans  le  sacrement 
dont  il  abuse.  C'est  sur  sa  personne  divine 
qu'il  porte  ses  mains  sacrilèges,  et  on  peut 
lui  appliquer  sans  crainte  ces  paroles  de 
saint  Paul  aux  Hébreux  ,  qu'iV  foule  aux 
pieds  le  Fils  de  Dieu,',  et  qu'tV  tient  pour  pro- 
fane le  sungdc  l'alliance  par  lequel  nous  avons 
t  U  tanctifù  s. 

Son  péché  est  mille  fois  plus  énorme  que 
celui  des  Juifs;  car  saint  Paul  nous  assure 


74E 


SERMON  POUR  LE  D1M.  DANS  L'OCT.  DU  SAINT  SACREMENT. 


746 


que  s'ils'  l'eussent  connu,  ils  n'eussent  jamais 
crucifié  le  Seigneur  de  gloire,  et  le  chrétien 
qui  le  profane  peul-il  s'excuser  sur  son  igno- 
rance ? 

D'ailleurs,  quand  les  Juifs  l'ont  crucifié  et 
dans  les  conjonctures  de  sa  passion,  il  devait 
souffrir  et  c'en  était  le  temps  ;  niais  a.  pré- 
sent le  temps  des  souffrances  est  passé  :  Jam 
non  moritur,  mors  illi  ultra  non  dominabitur. 
11  est  dans  la  gloire  et  avec  toute  sa  gloire  et 
toute  sa  majesté;  c'est  avec  toute  sa  splen- 
deur et  toute  sa  puissance  qu'il  est  renfermé 
dans  Padorablo  eucharistie,  et  que  vous  l'in- 
sultez avec  le  dernier  mépris  lorsque  vous 
communiez  indignement. 

Mais,  pour  comprendre  mieux  l'énormilé 
d'une  profanation,  il  n'y  a  qu'à  se  rappeler 
ce  que  nous  dîmes  dans  le  dernier  discours, 
touchant  les  motifs  qu'il  a  eus  en  formant  ce 
don  si  excellent,  par  lequel  il  nous  a  donné 
des  preuves  si  fortes  de  son  amour,  de  sa 
puissance  et  de  sa  sagesse. 

Or,  peut-on  comprendre  quelque  chose  de 
plus  indigne  que  de  perdre  le  souvenir  des 
preuves  d'un  amour  qui  n'a  rien  épargné 
pour  se  faire  sentir,  d'une  puissance  infinie 
qui  a  tout  employé  pour  donner  des  marques 
de  sa  bonté,  et  d'une  sagesse  à  qui  rien  n'a 
pu  échapper  de  tout  ce  qui  était  nécessaire 
pour  mettre  en  exécution  les  desseins  de 
l'amour  le  plus  tendre?  C'est  pourtant  ce  que 
fait  celui  qui  profane  l'adorable  eucharistie  : 
il  n'est  point  touché  de  l'amour  d'un  Dieu  ; 
car  ou  il  néglige  d'en  recevoir  les  effets,  ou 
il  ne  s'approche  pour  les  recevoir  qu'afin 
d'insulter  à  Jésus-Christ,  en  prenant  son 
corps  sans  lui  donner  son  cœur,  qu'il  a  livré 
à  ses  ennemis.  11  est  indifférent  à  tous  les 
efforts  que  sa  puissance  lui  a  fait  faire  pour 
se  mettre  en  état  de  s'unir  à  l'homme  dans 
ce  sacrement  ;  il  rend  inutiles  toutes  les  vues 
de  sa  sagesse  dans  l'institution  de  ce  mys- 
tère. Si  l'Apôtre  disait  autrefois,  pour  ré- 
primer la  témérité  de  l'homme  qui  semblait 
vouloir  demander  raison  à  Dieu  de  sa  con- 
duite dans  des  mystères  impénétrables  à  la 
faiblesse  humaine  :  0  homme!  qui  étes-vous 
pour  contester  avec  Dieu?  que  ne  peut-on 
pas  dire  d'un  homme  qui,  connaissant  la  vo- 
lonté de  son  Dieu,  toute  pleine  de  bonté 
pour  lui,  méprise  cependant  tous  les  témoi- 
gnages de  son  amour,  néglige  tous  les  mi- 
racles de  sa  puissance,  et  renverse  tous  les 
desseins  formés  par  sa  sagesse  dans  la  vue 
de  s'unir  élroilementàccthomme  quile  traite 
avec  tant  d'indignité?  Comprenez-vous,  mes 
frères,  jusqu'où  va  le  crime  de  la  profana- 
tion ?  je  ne  parle  pas  encore  du  inépris  for- 
mel et  réfléchi;  la  seule  indifférence  est  ou- 
trageante pour  un  cœur  pénétré  d'amour, 
surtout  quand  il  a  fait  connaître  les  senti- 
ments dont  il  est  pénétré.  Ecoutez  les  plain- 
tes qu'il  en  fait  par  la  bouche  du  prophète 
lsaïe  :  deux,  (coulez,  et  toi,  terre,  prête 
l'oreille  :  j'ai  nourri  des  enfants,  et  je  les  ai 
élevés,  et  apte»  cela  ils  m'ont  méprisé.  11  in- 
téresse le  ciel  et  1 1  terre  dans  son  indigna- 
tion :  Audite,  cœli,  et  auribui  percipe,  terra; 
il  les  appelle  pour  être  les  témoins  de  ses 
Oiuteirs  SACHES.  XXX. 


justes  plaintes,  et  comme  pour  le  venger  de 
l'ingratitude  de  ses  enfants.  C'est  ce  qu'il  fait 
encore  dans  Osée  :  Je  me  suis  rendu  comme 
le  nourricier  d'Ephraïm  ;  je  les  portais  entre 
mes  bras,  et  ils  n'ont  pas  compris  que  c'était 
moi  qui  avais  soin  d'eux,  qui  les  élevais  ;  ils 
n'ont  seulement  pas  fait  d'attention  sur  tou- 
tes ces  marques  de  ma  bonté  et  de  mon 
amour  :  quelle  ingratitude  et  quelle  indi- 
gnité! 

Mais  vous  allez  voir  quelque  chose  de  plus, 
si  vous  considérez  avec  moi  la  disposition 
de  celui  qui  commet  ce  crime  et  qui  tombe 
dans  cette  profanation.  En  effet  le  péché 
augmente  en  énormité  à  proportion  que  ce- 
lui qui  le  commet  en  connaît  mieux  toute 
l'étendue,  et  s'il  y  est  porté  par  des  princi- 
pes où  sa  volonté  a  plus  de  part,  et  par  les- 
quels celui  qu'il  offense  est  plus  outragé: 
c'est  la  seconde  considération  qui  nous  dé- 
couvre la  grandeur  du  crime  de  la  profana- 
lion  de  l'eucharistie.  Vous  ne  douiez  pas, 
mes  très-chers  frères,  que  la  délibération  et 
le  choix  de  notre  volonté  n'entrent  dans  nos 
bonnes  œuvres  et  dans  nos  péchés  comme 
une  condition  nécessaire,  et  que  ce  ne  soit 
celte  délibération  et  ce  choix  qui  forment 
cette  iniquité  qui  rend  l'homme  infidèle,  et 
qui  lui  fait  abandonner  Dieu  pour  se  tour- 
ner du  côté  de  la  créature.  C'est  pour  cela 
qu'une  sorte  d'indélibération,  de  surprise,  de 
passion,  de  crainte  et  d'ignorance  (je  dis  une 
sorte,  car  il  ne  faut  pas  pousser  cela  trop 
loin),  excuse  quelquefois  de  péché,  et  c'est 
pour  cela  que  les  théologiens  reconnaissent 
certains  premiers  mouvements  par  lesquels 
l'homme  peut  s'emporter  si  subitement  au 
violement  extérieur  d'une  loi,  que  sa  volonté 
n'est  pas  absolument  séparée  de  Dieu. 

Je  ne  rapporte  ceci  que  pour  vous  faire 
entendre  que  plus  il  y  a  de  connaissance,  de 
choix  et  de  délibération,  plus  il  y  a  d'énor- 
mité,  et  il  y  a  plus  de  tout  cela  lorsqu'il  y  a 
moins  d'ignorance  qui  nous  aveugle,  moins 
d'intérêt  qui  nous  entraîne,  moins  de  passion 
qui  nous  séduise. 

Un  homme  est  emporté  par  la  colère,  et  il 
viole  les  lois  de  la  patience  et  de  la  modé- 
ration ;  un  autre  est  entraîné  par  le  plaisir 
et  séduit  par  des  charmes  qui  l'enchantent: 
ils  manquent  l'un  et  l'autre  de  fidélité  à  leur 
Créateur  ;  celui-ci  est  aveuglé  par  l'intérêt, 
et  l'avidité  des  richesses  lui  fait  rompre  les 
règles  de  la  justice.  A  Dieu  ne  plaise  que  je 
veuille  excuser  toutes  ces  infidélités  !  mais 
j'ai  compassion  de  la  faiblesse  de  l'homme, 
suivant  les  différents  degrés  de  ces  péchés, 
et  je  dis  au  Seigneur,  dans  un  humble  et 
sincère  sentiment  de  la  mienne  :  Illumina 
oculos  mcos,  ne  unquam  obdormiam  in  morlet 
et  dicat  inimicus  meus,  Prœvalui  adversus 
eum:  Eclairez  mes  yeux,  afin  que  je  ne  m'en- 
dorme point  d'un  sommeil  de  mort,  et  que 
mon  ennemi  ne  puisse  dire  :  J'ai  prévalu  sur 
lui.  Mais  demandez  à  cet  homme  qui  s'ap- 
proche tranquillemenldu  saint  autel  avec  le 
péché  dans  le  cœur  et  avec  les  dispositions 
que  nous  allons  marquer  dans  un  moment, 
co  qui  le  peut  portera  commettre  cette  hor- 

2V 


747 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


748 


rililc  profanation  :  est-ce  qu'il  ne*  connaît  pas 
Pexcellence  <ic  ee  qu'il  va  recevoir  ?  est-ce 
qu'il  ignore  que  Jésus-Chrisl  avec,  mule  sa 
gloire  est  renfermé  dans  ce  tacr  ment  ?  Quii 
plaisir  poui  îa-t-il  trouver  a  fouler  aux  pieds 
le  sang  de  l'alliance  î  Quel  intérêt  le  peut 
engager  à  traiter  comme  une  chose  profane 
le  corps  adorable  dp  Sauveur?  Peut-être 
que  par  là  il  mettra  son  honneur  à  couven, 
cl  que,  faisant  avec  les  autres  ce  qu'il  sent 
bien  qu'il  est  indigne  de  faire,  il  s'épargnera 
des  reproches  et  peut-être  des  railleries,  ou 
des  traitements  qu'il  ne  se  sent  pas  capable 
de  supporter.  Quel  abîme  que  la  réception 
du  sacrement  de  l'autel  dans  ces  dispositions  ! 
Nous  donnerons  des  règles  pour  détourner 
ce  malheur  dans  un  autre  discours. 

Voilà,  mes  chers  frères,  l'idée  que  je  \ 
laisse  du  crime  de  la  profanation  d<-  l'adora 
eucharistie  ;  considérez-le  toujours  par  le 
prix  de  l'objet  que  ce  crime  attaque  :  c'est  à 
Dieu  même  qu'on  s'en  prend,  cl  cela  dans 
un  mystère  où  il  fait  lout  pour  nous.  Consi- 
dérez-le dans  la  dispos  lion  do  celui  qui  le 
commet,  il  n'y  a  que  la  malignité  du  cœur, 
ou  un  mépris  plus  criminel  que  la  mali- 
gnité, qui  puisse  i  :>  être  cause. 

•Plaignez- vous  doive,  Seigneur,  appelez  le 
Ciel  et  ia  terre  en  témoignage  contre  des  en- 
fants que  vous  avez  nourris  cl  élevés,  i  t 
qui  vous  méprisent  par  une  ingiaiiludc  que 
toute  votre  indignation  est  à  peine  capable 
d'expier. 

Croiriez-vous  cependant  que  le  nombre  de 
ceux  qui  soûl  coupables  de  ce  crime  énorme 
est  très-considérable  parmi  les  chrétiens? 
C'est  ce  que  je  vais  vous  exposer  dans  la 
deuxième  partie  de  ce  discours,  en  vous  ex- 
pliquant les  différentes  espèces  de  la  profa- 
nation de  l'eucharistie. 

DEUXIÈME    PARTIE. 

Pour  ne  rien  omettre  dans  une  matière 
aussi  importante  que  celle  que  nous  allons 
traiter,  je  vais  réduire  toutes  les  profana- 
tions Je  l'adorable  eucharistie  à  deux,  qui 
sont  ou  de  ne  la  point  recevoir,  ou  de  la  re- 
cevoir mal. 

Ne  la  point  recevoir,  tomber  dans  l'indif- 
férence pour  cet  adorable  sacrement,  et,  par 
une  négligence  que  la  religion  m'apprend  à 
regarder  comme  un  grand  crime,  ne  pas 
faire  ce  qui  est  nécessaire  pour  s'en  appro- 
cher :  première  espèce  de  profanation,  La 
recevoir  mal  m'instruit  de  ce  qu'il  faut  faire 
pour  recevoir  dignement  Jésus-Christ,  et  ceci 
peut  arriver  de  deux  manières  :  lorsqu'on  la 
reç  it  criminellement,  c'est-à-dire  dans  l'é- 
tat du  péché,  ou  lorsqu'on  la  reçoit  indigne- 
ment, c'est-à-dire  sans  avoir  fait  ce  qui  con- 
tient à  la  dignité  de  ce  sacrement  :  seconde 
espèce  de  profanation. 

La  première  espèce  de  profanation  de  l'a- 
dorable eucharistie  est  donc  renfermée  dans 
une  certaine  négligence  à  la  recevoir  qui 
vient  d'un  oubli  de  Dieu,  d'une  indifférence. 
pour  les  choses  du  salut,  et  d'une  certaine 
croînte  toute  servile  de  cette  hostie  sainte  et 
vivante,  ce  qui  fait  que  les  pécheurs  refu- 


sent i  ■  s'en  approcher,  comme  les  criminels 
fuient  1'  ,  dont  ils  craignent 

la  condamnai  oh.  Ou  ne  saurait  douter  qu  une 
telle  déposition   ne  soit    injurieuse;   a  lent 
Christ,  cl  qu'elle    M   renferme  une  |  r 

lion  du  sacrement  adorable  de  nos  nota 

pour    peu    qu'on    considère    les    intentions 
qu'il  a  eues  eu  l'inslitu  inl. 

Pour  les  comprendre,  il  n'y  a  qu'à  triait 
ner  les  paroles  dont  il  si  a 

pitre  de  saint  Jean,  en  parlant  a  ses  dis 
pies  et  aux  Juifs  de  ce  sacrement  adorable  : 
Mu  chuir  r.-.t  véritablement  viande,  dii-il,  et 
mon  sang  est  véritablement  breuvage.  Celui 
qui  mange  ma  chair  et  boit  mon  sang  deme  ire 
en  moi  et  moi  en  lui  :  si  tous  ne  mangez  1 1 
chair  du  Fils  dt  l'homme  et  ne  ba 
tang,  vou»  n'aurez  point  lu  II 

p  .raît  par  toutes  ces  paroles  qu'il  n'a  in- 
tué  ce  sacrement  que  pour  s'unir  à  nous  et 
pour  nous  unir  à  lui  ;  aussi  vous  ai-je  dit 
avec  saint  Thomas,  dans  mon  premier  4 
cours,  que,  nous  ayant  donné  la  vie  pir  le 
baptême,  il  veut  l'entretenir  par  l'eucharistie, 
et  qu'elle  est  à  l'égard  de  l'âme  ce  que  le 
pain  est  à  l'égard  du  corps;  c'est  pourquoi 
elle  en  porte  le  nom  :  Ego  sum  panis  <  itus. 
C'est  donc  aller  contre  les  intentions  de  Je- 
sus-Christ  que  de  ne  pas  recevoir  l'eucha- 
ristie; c'est  profaner  cet  adorable  sacrement 
que  de  négliger  d'en  faire  l'usage  pour  le- 
quel le  Sauveur  l'a  institué. 

C'est  pourquoi  tous  les  saints  Pères  se 
sont  élevé;  contre  cette  négligence,  qui  fait 
injure  aux  sacrements  et  qui  cause  un  pré- 
judice si  déplorable  au  chrétien.  Voici  com- 
m .«  parle  saint  Cyrille  :  Ils  se  livrent  à  la 
mort,  dit-il,  en  s' éloignant  de  la  source  et  a<i 
principe  de  la  vie  ;  et  qu'ils  n'allèguent 
poursuit  ce  Père ,  de  f.iux  prétests  pour 
s'excuser,  tjuan  '  mime  i's  se  voudraient  cou- 
vrir de  ceux  de  i<  religion;  car  ils  causent  un 
scandale,  c'est-à  dire  il;  font  injure  au  snerr- 
ment,  non  pus  en  ce  qu'ils  n'en  approchent 
pas  étant  pécheur*,  mais  parce  qu'ils  ne  (ont 
pas  ce  qu'ils  doivent  pour  se  rendre  digne* 
d'en  approcher,  et  eux-mêmes  serrent  les  liens 
qui  les  attachent  au  démon  et  se  formant  de 
nouvelles  chaînes.  Par  ces  paroles  ce  saint 
docteur  nous  fait  voir  ce  qu'il  faut  répondre 
à  ceux  qui  allèguent  des  raisons  pour  se  dé- 
fendre de  la  profanation  dont  je  parle;  car 
les  uus  nous  disent  :  Ce  sont  mes  pèches  qui 
m'en  retirent,  et  les  autres  :  Ce  sont  mes 
faiblesses  qui  m'empêchent  d'en  appro- 
cher. 

A  Dieu  ne  plaise,  mes  très-chers  fi 
que  je  veuille  porter  un  homme  à  recevoir 
l'eucharistie  dans  l'état  du  péché,  et  que  je 
pense  seulement  à  lui  en  permettre  INss 
avant  qu'il  ait  rompu  toutes  les  liaisons  qui 
le  peuvent  attacher  au  péché,  qu'il  se  soit 
purifié  par  la  pénitence,  et  qu'il  ait  embrassé 
une  forme  de  vie  qui  m'assure  par  s  !  né* 
véraace  qu'il  vil  de  celle  de  Jésus-  hristl  A 
Dieu  ne  plaise  encore  que  j'en  conseille  l'u- 
sage fréquent  à  ceui  qui  languissent  dans 
des  faiblesses  affectées,  qui  découvrent  une 
sorte  d'affection  au  pèche,  qui  ne  tout  pas 


749 


SERMON  POUR  LE  D1M.  DANS  L'OCT.  DU  SAINT  SACREMENT. 


75(1 


perdre  la  grâce  absolument,  mais  qui  ne 
peuvent  que  déshonorer  celui  qui  veut 
qu'on  vive  pour  lui  avant  qu'il  se  donnée 
nous  ! 

Que  faut-il  donc  dire  à  ceux  qui  allèguent 
ou  leurs  péchés  ou  leurs  faiblesses,  pour  ex- 
cuser leur  négligence  et  faire  cesser  la  pro- 
fanation dont  nous  parlons? 

A  ceux  qui  allèguent  leurs  péchés,  je  n'ai 
qu'un  mot  à  leur  dire  :  Donnez-vous  bien  de 
garde  d'approcher  de  ce  sacrement  dans  l'é- 
tat du  péché,  mais  donnez  tous  vos  soins 
pour  sortir  promptement  d'un  état  qui  vous 
rend  indignes  d'en  approcher.  Rompez  les 
liens  du  démon,  secouez  son  joug  tyranni- 
que,  mettez-vous  en  devoir  de  servir  Dieu 
sincèrement;  et,  après  avoir  surmonté  les 
voluptés  de  la  chair  parla  tempérance,  et 
embrassé  une  forme  de  vie  chrétienne,  tra- 
vaillez à  vous  approcher  de  la  grâce  divine 
et  céleste,  et  de  la  sainte  participation  du 
corps  de  Jésus-Christ.  Car  enfin  il  ne  suffit 
pas  de  dire  qu'on  est  indigne  de  communier 
parce  qu'on  vit  mal,  il  faut  cesser  de  vivre 
mal  pour  s'en  rendre  digne;  il  faut  vouloir 
s'approcher  de  Jésus-Christ  dans  l'eucha- 
ristie, comme  il  faut  vouloir  le  posséder  dans 
la  gloire. 

L'eucharistie  est  le  gage  de  l'immortalité, 
c'est  la  source  de  la  vie  éternelle  ;  il  faut 
désirer  de  communier,  comme  il  faut  désirer 
d'être  sauvé  ;  et  comme  celui  qui  n'a  pas  dé- 
siré de  tout  son  cœur  de  posséder  Dieu  dans 
le,  temps  n'est  pas  digne  de  le  posséder  dans 
l'éternité,  dit  saint  Augustin,  celui  qui  ne 
désire  pas  de  communier  n'est  pas  digne  d'ê- 
Ire  sauvé.  Or,  mes  frères,  on  sacrifie  tout  à 
ce  qu'on  désire  souverainement.  Où  en  est 
donc  celui  qui  se  contente  de  dire  :  Je  ne 
suis  pas  digue  de  communier,  sans  travail- 
ler à  s'en  rendre  digne?  11  mérite  d'être  ex- 
clu de  la  gloire  étemelle,  parce  qu'il  pro- 
fane un  sacrement  qui  en  met  les  sources  et 
les  principes  en  nous  ;  et  il  le  profane  cer- 
tainement, parce  que  rien  n'offense  tant  Jé- 
su >- Christ  dans  ce  sacremenl  que  le  mépris 
qu'on  en  fait,  et  c'est  le  mépriser  avec  ou- 
trage que  de  préférer  les  objets  de  ses  pas- 
sions à  l'avant. ige  de  le  posséder,  et  d'aimer 
mieux,  ne  pas  s'unir  à  Dieu,  qui  se  donne  à 
nous  avec  tant  d'amour,  que  de  nous  sépa- 
rer d'une  créature  qui  nous  perd. 

C'est  ainsi  qu'on  tombe  dans  la  profana- 
tion de  ce  sacremenl  adorable,  en  passant 
des  années  et  des  temps  très-longs  sans  s'en 
approcher  et  sans  songer  à  faire  ce  qu'il  faut 
pour  s'en  rendre  digne. 

Mais,  me  direz-vous,  je  désire  de  m'en  ap- 
procher, et  p.;r  la  miséricorde  du  Seigneur  je 
ne  suis  pas  du  nombre  de  ceux  qui,  pour 
continuer  à  vivre  dans  leurs  dérèglements, 
veulent  bien  se  priver  d'un  si  grand  avan- 
tage. Ce  sont  mes  faiblesses  qui  m'en  éloi- 
gnent, cl  quand  je  considère  ce  que  je  suis 
et  ce  qu'il  faudrait  être,  je  n'use  m'appro- 
cher  d'un  Dieu  si  pur. 

Ce  sentiment  renferme  quelque  chose  d'ex- 
cellcnl;  car  qui  est-ce  qui  n'approuverait 
pas  l'humilité  d'une   .".me   qui,   pénétrée  de 


ses  misères,  se  retire  par  respect,  et  marque 
à  Jésus-Christ  sa  foi,  sa  crainte  et  son 
amour  en  se  retirant?  Il  faut  cependant  bien 
prendre  garde  en  ceci  de  ne  pas  aller  trop 
loin  ,  et  de  ne  rien  outrer  dans  une  matière 
si  délicate  ;  c'est  pourquoi  je  vous  prie  de 
faire  bien  attention  aux  trois  propositions 
que  je  vais  vous  exposer,  et  qui  sont  des  rè- 
gles importantes  et  d'un  très-grand  usage 
pour  la  fréquentation  du  sacrement,  balan- 
çant d'un  côté  le  respect  et  la  révérence  qui 
est  due  à  un  si  grand  mystère,  et  de  l'autre 
les  intérêts  du  chrétien,  qui  sont  si  considé- 
rables. Or,  je  dis  sur  ce  point  en  particulier 
qu'il  y  a  des  faiblesses  qui  nous  rendent  in- 
dignes d'en  approcher,  qu'il  y  a  des  faibles- 
ses qui  nous  en  rendent  l'usage  nécessaire, 
qu'il  y  a  enfin  un  certain  tempérament  d'u- 
sage et  de  séparation  respectueuse,  qui  doit 
être  ménagé  par  les  lumières  et  par  les  or- 
dres d'un  directeur  sage  et  éclairé.  Expli- 
quons bien  ceci  en  peu  de  paroles. 

Il  y  a  des  faiblesses  qui  nous  rendent  indi- 
gnes d'en  approcher,  et  ce  sont  celles  qui 
sont  volontaires  :  celles  qui  procèdent  d'une 
mauvaise  inclination  qu'on  ne  travaille  point 
à  combattre,  et  qui  marquent  par  consé- 
quent une  sorte  d'affection  au  mal,  ou  une 
négligence  pour  le  bien  et  pour  l'avance- 
ment de  la  perfection  à  laquelle  nous  som- 
mes appelés  ;  celles  qui  viennent  d'une  lon- 
gue habitude  qu'on  ne  corrige  point,  qui 
blessent  davantage  la  pureté  de  l'âme  ou  la 
charité  du  prochain;  celles  qui  causent  quel- 
que scandale;  enfin  celles  qui  apportent  plus 
de  trouble  à  notre  esprit.  Voilà  les  faibles- 
ses qui  nous  rendent  indignes  d'approcher 
du  sacrement  de  l'autel. 

Il  y  a  des  faiblesses  qui  nous  en  rendent 
l'usage  nécessaire,  jusque-là  que  ce  serait 
une  espèce  de  profanation  que  de  ne  pas  en 
approcher  à  cause  de  ces  faiblesses  :  ce  sont 
celles  qui  sont  opposées  aux  faiblesses  dont 
nous  venons  de  parler;  par  exemple,  celles 
qui  sont  involontaires  absolument,  dans  les- 
quelles on  ne  tombe  que  par  une  inadver- 
tance purement  humaine;  celles  qui  sont 
causées  par  une  tentation  extérieure  et  hors 
de  nous,  qui  ne  naissent  que  d'une  occasion 
passagère  et  sans  habitude;  celles  qui  ne 
viennent  que  d'ig;iorance  et  de  fragilité; 
celles  qui  blessent  peu  la  pureté  de  l'âme  et 
la  charité  du  prochain;  enfin  celles  qui  ne 
causent  aucun  scandale  aux  autres,  et  dont 
l'esprit  no  se  trouve  guère  agité,  bien  loin 
d'eu  troubler  la  paix. 

Ce  sont  là  les  faiblesses  qui  ne  doivent  pas 
nous  éloigner  du  sacrement,  autrement  il 
faudrait  que  toute  l'Eglise  fût  dans  uu  inter- 
dit général.  Ce  ne  serait  plus  pour  des  hom- 
mes fragiles  que  Je:  us-Christ  aurait  institué 
C'  mystère,  et  il  n'y  aurait  que  les  anges 
qui  osassent  en  approcher.  Ce  soni  au  con- 
traire les  faiblesses  dont  nous  venons  de  par- 
ier en  dernier  lieu  qui  nous  invitent  à  y 
prendre  part,  c'est  parce  que  nous  sommes 
faibles  qu'il  faut  manger  pour  nous  soute- 
nir. Tous  les  ouvrages  des  saints  l'ères  sont 
pleins  d'expressions  qui  nous  excitent  à  ap- 


751 


OIIATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


752 


prochcr  de  ce  mystère  qu.ind  nous  n'avons 
que  de  ecs  sorles  de  faiblisses.  Si  autrefois, 
dit  saint  Chrysoslomc,  en  parlant  du   sacri- 
fice qu'Elie  présenta  au  Seigneur,  le  feu  des~ 
tendit  du  ciel,  à  la  prière  de  ce  prophète,  sur 
une  hostie  matérielle  et  teneible  pour  In  brû- 
ler ;  s'il  consuma  tout  jusqu'à  l'enu,  au   bois, 
aux  pierres  mêmes  de  l'autel,  combien  plus  de- 
vons-nous espérer  qu'il  consumera  celte  hos-  ! 
tie  spirituelle  que  saint  Paul  nous  commande  ■ 
d'offrir  à  Dieu?   Quand  nous  aurions  encore  ' 
des  restes  de  la  fragilité  humaine,  ne  devons-  ; 
nous  pas  avoir  confiance  en  lu  bonté  d;  Dieu?  • 
Que  si  nous   lui  offrons   notre  hostie  avec  un  ' 
esprit  droit,  une  conscience  pure  et  une  inten-  \ 
tion  sainte,  le  feu  du  ciel  descendra  sur  nous,  ' 
consumera  notre  faiblesse,  rendra  notre  obta-  ï 
tion  agréable  et  notre  union  parfaite-  '■ 

Ce  sérail  donc  profaner  l'adorable  eucha-  ■ 
rislie  que  de  s'en  éloigner  par  la  seule  rai-  '•' 
son  de  ces  faiblesses,   puisqu'elles  sont  des  '- 
motifs  pour  en  approcher.  Ce  serait  négliger  ' 
le  remède  à  ses  maux,  que  la  miséricorde  du 
Seigneur  a  attaché  au  bon  usage  de  ce  sa- 
crement; car  c'est  là  cette  table  et  ce  calice 
que  le  Seigneur  a  préparés  véritablement  à 
ses  serviteurs  pour  les  soutenir  d'une  ma- 
nière admirable  contre  ses  ennemis. 

Ce  serait  donc  aller  contre  les  intentions 
du  Seigneur,  renoncer  à  ses  propres  avan- 
tages, s'aveugler  sur  ses  propres  intérêts,  et 
tomber  enfin  dans  une  négligence  qui  tien- 
drait de  la  profanation,  que  de  ne  pas  s'ap- 
procher de  cet  adorable  sacrement  à  cause 
de  ce  genre  de  faiblesse. 

Il  y  a  cependant  une  sorte  de  tempéra- 
ment d'usage  et  de  séparation  respectueuse, 
qui  doit  être  ménagé  par  les  lumières  d'un 
directeur;  car  on  honore  Jésus-Christ  en 
l'une  et  l'autre  manière.  Mais  comme  nous 
parlerons  dans  un  autre  discours  du  recours 
qu'il  faut  avoir  aux  ministres  du  Seigneur 
pour  régler  l'usage  de  ce  sacrement,  nous 
nous  contenterons  de  dire  ici  avec  saint 
Thomas  que  le  temps  d'en  suspendre  l'usage, 
c'est  lorsque  nous  sentons  que  la  ferveur  de 
la  dévotion  ne  s'augmente  pas  beaucoup,  et 
que  la  révérence  envers  le  saint  sacrement 
diminue. 

,  De  tout  ceci  il  faut  conclure  que  c'est  une 
négligence  impardonnable  et  une  première 
espèce  de  profanation  que  de  ne  pas  recevoir 
l'adorable  eucharistie;  mais  c'en  est  une 
plus  atroce  que  de  la  recevoir  mal.  C'est  ce 
qui  peut  arriver  de  deux  manières  différen- 
tes :  la  première  est  de  la  recevoir  crimi- 
nellement, et  la  seconde  de  la  recevoir  in- 
dignement ;  car  il  y  a  une  très- grande 
différence  entre  l'une  et  l'autre,  et  c'est  sur 
quoi  on  ne  fait  pas  assez,  de  réflexion.  Rece- 
voir criminellement  l'eucharistie  ,  c'est  la 
recevoir  ou  dans  l'état  de  péché  ou  dans  l'af- 
fection au  péché.  La  recevoir  indignement, 
c'est  la  recevoir  hors  l'éiat  de  préparation, 
de  dignité  et  de  proportion  qui  convient  à 
la  sainteté  de  cet  adorable  sacrement.  Per- 
sonne ne  doute  que  celui  qui  reçoit  le  corps 
de  Jésus-Christ  dans  l'état  rie  péché  mortel 
ne  profane  ce  corps  adorable.  C'est  le  plus 


grand  malheur  qui  puisse  arriver  a  on  chré- 
tien, non  pas,  dit  saint  Augustin,  parce  qu'il 
reçoit  une  chose  mauvaise,  mais  parce  qu'é- 
tant lui-même  méchant  il  reçoit  d'une  ma- 
nière qui  est  indigne  une  chose  qui  est 
.  bonne.  C'est  pour  éviter  ce  malheur  que 
l'Eglise  ne  veut  pas  que  l'on  admeite  i  la 
participation  de  l'eucharistie  ceux  qui  sont 
.  lombes  dans  des  pèches  mortels,  sans  le-, 
avoir  tenus  dans  les  exercices  de  la  péni- 
tence un  certain  temps,  non-seulement  pour 
les  purifier,  mais  encore  pour  s'assurer  de 
la  sincérité  de  leur  conversion. 

Que  l'homme  s'éprouve  donc,  et  qu'il  n'ap- 
proche de  cette  table  sacrée  qu'après  s'être 
longtemps  éprouvé.  Qu'il  ne  se  hasarde  pas, 
:  sur  des  espérances  de  vie,  à  se  donner  la 
mort.  Mais  il  y  a  plus  :  car  il  ne  suffit  pas 
d'être  sans  péché  mortel  ni  sans  affection  au 
péché  mortel  pour  recevoir  le  corps  de  Jésus- 
Christ  dignement.  Quoique  celui  qui  le  reçoit 
dans  cet  état  ne  le  reçoive  pis  criminelle- 
ment, comme  nous  venons  de  l'expliquer, 
il  peut  se  faire  qu'il  ne  le  reçoive  pas  tou- 
jours dignement  ;  il  faut  encore  ajouter  d'au- 
tres dispositions  à  celle-là.  En  effet,  les  saints 
Pères  ont  avancé  une  proposition  très-digne 
de  leurs  lumières,  de  leur  zèle  et  de  la  sain- 
teté du  mystère  adorable  de  nos  autels,  c'est 
qu'on  communie  indignement  lorsqu'on 
communie  dans  le  temps  que  l'on  doit  faire 
pénitence. 

Sur  cela  jugez  dece  qui  se  fait  tous  les  jours 
par  la  déplorable  facilité  où  l'on  s'est  mis 
d'envoyer  à  l'autel  ceux  qui,  après  avoir 
violé  les  vœux  sacrés  de  leur  baptême  par 
une  multitude  effroyable  de  péchés  ruortels, 
n'ont  fait  qu'en  raconter  l'histoire,  en  rece- 
voir l'absolution  et  réciter  quelques  priè- 
res. 

Seigneur,  où  en  sommes-nous  I  pleurez, 
vierges  de  Jésus-Christ,  et  vous,  ministres 
du  Seigneur,  gémissez  entre  le  vestibule  et 
l'autel,  où  se  voit  tous  les  jours  une  conduite 
si  déplorable. 

Mais  prenons  garde  nous-mêmes  de  n'être 
pas  du  nombre  de  ceux  qui,  étant  coupables 
île  péchés  véniels,  pour  lesquels  on  est  in- 
digne d'en  approcher,  et  dont  nous  vous  avons 
donné  l'idée  il  n'y  a  qu'un  moment,  entre- 
prennent de  le  faire  sans  eu  avoir  fait  péni- 
tence ,  ou  qui  s'en  approchent  fréquemment 
en  ne  travaillant  pas  avec  soin  à  s'en  corri- 
ger et  à  les  expier  par  une  pénitence  salu- 
taire. 

Car,  mes  frères,  souvenez-vous  bien  qu'il 
ne  faut  pas  regarder  les  fautes  vénielles  et 
les  simples  faiblesses,  lorsqu'elles  sont  ordi- 
naires, comme  de  nulle  considération  lors- 
qu'il s'agitde  s'approcher  du  plus  redoutable 
de  tous  les  mystères.  Quoique  ces  fautes-là 
ne  tuent  pas  l'âme  absolument,  et  qu'elles 
ne  lui  fassent  pas  perdre  la  vie,  elles  l'alïai- 
blissenl  extrêmement.  Ainsi  il  faut  travailler 
à  la  ranimer  par  la  pratique  des  vertus  op- 
posées à  ces  faiblesses,  par  exemple,  l'occu- 
pation et  le  travail  contre  l'oisiveté, le  silence 
contre  la  liberté  et  l'inutilité  des  paroles, 
les  humiliations  contre  l'orgueil,  la  morlifi- 


753 


SERMON  POUR  LE  D1M.  DANS  L'OCT.  DU  SAINT  SACREMENT. 


m 


cation  contre  la  mollesse  et  l'amour  du  plai- 
sir. 

En  effet,  comme  dit  saint  Augustin,  il  ne 
faut  pas  négliger  vos  péchés  parce  qu'ils  sont 
petits  ;  les  gouttes  d'eau  sont  petites,  et  néan- 
moins elles  remplissent  les  fleuves,  emportent 
les  digues,  entraînent  les  arbres  avec  leurs 
racines.  Voudriez-vous,  mes  frères,  qu'on 
fît  des  trous  et  des  taches  sur  vos  habits,  ou 
de  petites  plaies  à  votre  corps,  toutes  les  fois 
que  vous  tombez  dans  ces  sortes  de  fautes? Si 
donc  vous  ne  pouvez  souffrir  ni  l'un  ni  l'an- 
tre, pourquoi  faites-vous  souffrir  le  même 
traitement  à  voire  âme?  n'est-elle  pas  l'image 
de  Dieu?  vous  défigurez  cette  image  toutes 
les  fois  que  vous  faites  des  choses  qui  sont 
désagréables  au  Seigneur.  C'est  faire  injure 
à  Dieu  que  de  le  déshonorer  dans  vous-même. 
C'est  lui  faire  violence  que  de  l'obliger  à 
s'unir  à  une  créature  qui  lui  est  désagréable 
et  qui  lui  déplaît.  S'il  n'y  a  personne  qui 
voulût  entrer  dans  l'église  avec  un  habit 
indécent  et  plein  d'ordures,  comment  y  en 
a-t-il  qui,  ayant  l'âme  souillée  par  quelque 
sorte  d'impureté,  ont  l'assurance  de  se  pré- 
senter à  l'autel?  et  si  nous  avons  honle  de 
toucher  au  corps  du  Fils  de  Dieu  avec  des 
mains  sales,  nous  devrions  encore  bien  plus 
appréhender  de  le  recevoir  dans  une  âme  im- 
pure. 

Nous  venons  de  voir  qu'on  profane  le  corps 
adorable  de  Jésus-Christ  de  bien  des  maniè- 
res dans  l'eucharistie,  je  ne  vous  en  ai  donné 
qu'une  légère  idée,  car  il  y  aurait  une  in- 
finité d'autres  choses  à  dire  ;  mais  pour  ne 
pas  tomber  dans  les  profanations  dont  je 
Viens  de  parler,  considérons-en  les  funestes 
suites  :  je  finis  en  deux  mots. 

TROISIÈME    PARTIE. 

Par  les  suites  funestes  d'une  communion 
indigne ,  il  faut  entendre  les  effets  de  l'indi- 
gnation de  Dieu  irrité  p  ir  la  profanation  de 
son  corps  et  les  châtiments  de  ce  crime.  Je' 
les  réduis  à  trois  :  aux  châtiments  extérieurs  ' 
et  sensibles  qui  regardent  le  corps  et  les  cho- 
ses matérielles  ;  aux  châtiments  intérieurs 
qui  regardent  l'âme  et  les  choses  spirituelles  ; 
enfin  à  une  espèce  de  châtiment  étemel ,  à 
un  principe  de  mort,  et  à  une  plaie  terrible 
et  presque  incurable,  que  la  profanation  du 
sacrement  met  dans  l'âme. 

Je  n'ai  à  vous  produire,  pour  la  preuve  de 
ma  première  proposition,  que  l'autorité  <le 
saint  Paul.  C'est  pour  celte  raison,  dit-il, 
c'est-à-dire  pour  la  profanation  que  vous 
faites  du  corps  cl  du  sang  du  Sauveur,  qu'il 
y  a  parmi  vous  beaucoup  de  malades  et  de 
languissants,  et  que  plusieurs  dorment  du 
sommeil  de  la  mort.  En  effet,  comme  il  n'y  a 
rien  de  plus  saint  que  Jésus-Christ,  qui  est 
la  source  de  toute  sainteté  et  par  qui  loul  est 
saint,  cette  profanation  est  une  horrible 
source  de  toutes  sortes  de  malheurs.  De  là  , 
dit  saint  Paul ,  sont  venues  toutes  les  mala- 
dies qui  vous  affligent,  les  langueurs  qui 
vous  accablent,  les  morts  subites  si  fré- 
quentes qui  vous  effrayent.  Elles  arrivaient 
plus  souvent  dans  le  premier  siècle,  pour  ins- 


pirer la  crainte  aux  chrétiens  et  pour  éta- 
blir la  foi  ;  car  ces  châtiments  étaient  comme 
des  miracles  de  la  justice  :  miracles  néces- 
saires pour  affermir  les  fidèles  et  frapper  les 
ennemis  de  la  religion. 

Ce  ne  sera  donc  pas  sans  fondement  que 
nous  attribuerons  aux  communions  indignes 
les  malheurs  qui  affligent  l'Eglise ,  le  ren- 
versement des  familles,  le  relâchement  et 
les  désordres  des  monastères,  la  chute  des 
grands  ordres,  la  ruine  des  maisons,  la  dé- 
solation des  provinces  .  les  renversement  des 
royaumes  ;  mes  chers  frères,  si  celui  de  Bal- 
thasar  est  divisé,  si  les  Perses  et  les  Mèdes 
le  désolent,  parce  que  ce  prince  avait  pro- 
fané les  vases  sacrés  dans  une  débauche , 
n'attribuerons-nous  pas  les  misères  qui  nous 
accablent  aux  profanations  si  fréquentes , 
non  pas  des  vases  sacrés,  mais  des  trésors 
divins  qu'ils  renferment ,  je  veux  dire  du 
corps  de  Jésus-Christ  qu'on  foule  aux.  pieds, 
et  du  sang  de  l'alliance  qu'on  traite  tous  les 
jours  comme  une  chose  profane? 

Que  si  nous  ne  voyons  plus  de  ces  châti- 
ments sensibles ,  c'est  peut-être  que  Dieu  , 
trop  irrité  contre  nous,  ne  nous  châtie  plus 
que  par  des  peines  intérieures  et  invisibles 
et  qui  regardent  l'âme.  Ainsi  ,  s'éloigner 
de  nous ,  nous  abandonner  à  nos  ténèbres , 
nous  laisser  marcher  dans  nos  voies,  nous 
livrer  à  notre  aveuglement,  nous  endurcir 
»'t  nous  laisser  mourir  dans  l'impénitence , 
voilà  celte  seconde  espèce  de  châtiment  qui 
est  une  suite  terrible  très-ordinaire,  et  plus 
ordinaire  qu'on  ne  pense,  des  indignes  com- 
munions et  de  la  profanation  du  corps  et 
du  sang  de  Jésus-Christ,  si  fréquentes  et  si 
communes  peut-être  parmi  les  prêtres  du 
Seigneur,  parmi  les  vierges  de  Jésus-Christ, 
et  parmi  ceux  qui  portent  le  nom  de  ses  en- 
fants et  de  ses  disciples.  Vous  êtes  étonnés 
et  frappés  d'horreur  quand  vous  entendez 
«lire  que  Judas  a  trahi  son  maître  et  vendu 
à  ses  ennemis  celui  à  qui  il  était  redevable 
de  tant  de  grâces;  et  pour  moi,  dit  saint 
Ambroise,  je  n'en  suis  pas  surpris  :  il  n'y  a 
point  de  crime  ,  il  n'y  a  point,  d'abomination, 
il  n'y  a  point  d'horreur  où  ne  nous  puisse  con- 
duire une  indigne  communion  et  lu  profana- 
tion du  corps  et  du  sang  de  Jésus-Christ. 
Après  cela  ne  soyez  pas  étonnés,  mes  frè- 
res ,  si  je  vous  dis  qu'il  y  a  une  sorte  de 
châtiment  éternel  attaché  à  ce  crime  :  je  vais 
■n'expliquer  en  finissant  ce  discours. 

Saint  Paul  dit,  en  parlant  de  l'indigne 
communion  ,  c'est-à-dire  de  la  sacrilège  , 
faite  en  état  de  péché  mortel  ,  que  celui  qui 
l'a  faite  a  mangé  et  bu  son  jugement.  Cette 
expression  a  quelque  chose  d'efl'royabic ,  et 
pour  l'entendre  faites  attention  que  sainj 
Jean  dit  que  celui  qui  ne  croit  point  en 
Jésus-Christ  est  déjà  condamné  (jam  judica- 
tus  est).  Ces  paroles  renferment  un  jugement 
de  condamnation.  Or  quelle  différence  met- 
tons-nous entre  ce  jugement  et  celui  dont 
parle  saint  Paul,  et  qu'il  attache  à  la  profa- 
nation sacrilège  du  corps  de  Jésus-Christ? 
car  ce  n'est  pas  une  simple  menace,  c'est 
un   jugement  de  condamnation  ,  mais  une 


755 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


750 


condamnation  effroyable  ;  le  jugement  est 
rendu  ,  le  jugement  est  mangé  ,  Judicium 
munilucat. 

Que  cette  condamnation  est  affreuse  !  im 
cherg  frères  :  qu'elle  est  épouvantable  1  Ce 
jugement  parle  une  espèce  d 'irrévoc  ibilile  ; 
car  comme  l'aliment  se  mêle  dans  la  lOb- 
stance  de  l'homme  et  s'unit  aux  partie*  du 
corps,  en  sorte  qu'on  ne  peut  plus  les  eu 
séparer  et  qu'il  ne  fait  plus  qu'un  corps,  la 
condamnation  et  le  pécheur  qui  a  reçu  l'eu» 
charislie  dans  l'état  du  péché  ne  son*  plus 
qu'une  même  chose  ,  on  ne  pettl  plus  les 
séparer  :  son  jugement  est  incorporé  avec 
lui.  Mais  dirai-je.  qu'il  n'y  a  plus  de  retour 
pour  cet  homme?  Voici  des  parole,  de  l'Ecri- 
ture  qui  m'effrayent  :  Si  un  homme  / 
contre  un  homme,  on  lui  peut  rendre  Dira 
favorable  ;  mais  si  un  homme  péché  contre 
le  Seigneur,  qui  priera  pour  lui  ?  Quoi  c'e 
plus  fort  pour  nous  faire  craindre  la  pro- 
fanation du  corps  adorable  de  Jésus-Christ 
dans  l'eucharistie?  Ce  crime  est  horrible; 
les  espèces  en  sont  fort  communes,  les  sui- 
tes en  sont  effroyables.  Nous  devons  croire 
cependant,  et  il  est  de  foi,  que  tant  que 
nous  vivons  nous  avons  part  à  la  bonté 
et  à  la  miséricorde  du  Seigneur  ;  mais  qu'il 
est  peu  de  chrétiens  qui  n'abusent  de  ce 
principe!  Gémissons-en  au  pied  des  autels, 
cù  Jésus-Christ  réside  pour  l'amour  de 
nous,  et  où  il  souffre  tant  d'injures  pour 
nous  faire  du  bien  ;  c'est  un  soin  et  une  ap- 
plication dignes  de  notre  amour  et  propres 
à  nous  attirer  sa  grâce.  Je  vous  la  souhaite. 
Ainsi  soil-il. 

SERMON 

POUR  LE  JOUB  DE  L'OCTAVE  DU  SAINT  SACRE- 
MENT. 

Des  conditions  du  bon  usage  de  l'eucharistie. 

Exi  cilo  in  plaleas  el  vicos  civilatis.  et  pauperes  ac  de- 
biles,  et  ca'cos  <•:  claudos  inirûriuc  inn. 

Allez-vous-en  vile  dans  les  places  el  dans  les  rues  de  la 
ville,  el  omettes  ici  les  pauvres,  les  estropiés,  le:;  aveugles  el 
les  boiteux  {Luc.,  XIV,  21). 

Vous  voyez  ,  mes  chers  frères  ,  dans  ces 
paroles  de  l'Evangile,  quels  sont  les  empres- 
sements de  celui  qui  a  fait  préparer  le  ban- 
quet ,  et  dans  cet  empressement  vous  devez 
voir  ceux  du  Sauveur  du  monde  pour  s'unir 
aux  âmes  chrétiennes  dans  l'adorable  eu- 
charistie. Or,  comme  c'est  dans  le  bon  usage 
du  sacrement  qu'on  s'unit  à  lui  ,  c'est  du 
bon  usage  du  sacrement  que  je  veux  vous 
parler  aujourd'hui  ;  en  voici  les  conditions, 
je  les  réduis  à  trois  :  à  la  vie  de  la  grâce,  à 
la  santé  de  l'âme,  à  la  ferveur  du  cœur. 

1"  11  faut  que  le  chrétien  soit  vivant ,  ce 
sacrement  n'est  pas  pour  les  morts:  p.e- 
inièrc  partie  ;  2°  il  faut  que  l'âme  soit  saine, 
ce  pain  céleste  est  appelé  le  pain  des  forts  : 
deuxième  partie  ;  T  il  faut  que  le  cœur  soit 
animé  d'un  désir  ardent  pour  celte  céleste 
nourriture,  rien  ne  la  deshonore  tant  que  le 
dégoûl  et  la  froideur  :  troisième  partie. 

Nous  parlerons  dans  ce  discours  de  la 
communion   nécessaire  et  de  la   fréquente 


communion;  et,  suivant  les  dispositions  que 
nom  .-liions  expliquer,  n  i 

ré    1er  à    peu  près    I  I  I  winuiiiuiou-. 

Adorons  Jesus-Christ  dans  ce  m  .ml 

que    de   parler    dei    conditiom    M 
pour  nous  unira  lui.   Tantum  er/jo. 

MUUflèu    e  ,i .  i  u  . 

La  première  condition  du  bon  u^a^e  de 
l'adorable  eucharistie,  c'esi  que  le  chrétien 
qui  s'en  approche  soit  vivant  ,  c'est-à-dire 
que  son  âme  soi'  animée  de  I  l  grâce  qui 
1  i  vie  du  chrétien.  En  voici  la  raison:  la 
lorce  et   la  vrrtu   i!e   ce  •  •ni   peuvent 

se  considérer  ou  par  rapport  à  son  principe 
<  t  â  celui  qui  est  la  source  de  loutes  les  i 
tus.  cl  sans  celte  vue  on  ni  peul  pas  douter 
que  ce  sacrement  n'ai!  la  force  et  la  vertu 
de  remettre  les  pé  liés  mortels,  puisqu'il 
contient  réellement  celui  qui  est  I"  principe 
et  l'auteur  de  toute  grâce,  et  qui  est  la  réelle 
représentation  de  ce  sacrifice  de  réconcilia- 
tion par  lequel  tous  les  péchés  ont  été  effi- 
cés;  ou  bien  l'on  peut  considère  la  vertu 
de  ce  sacrement  par  rapport  à  ceux  pour 
qui  il  est  institué  ,  et  dans  c  tte  \  ne  il  sup- 
pose en  eux  des  dispositions  n  ss  ires 
pour  qu'il  produise  son  effet,  dispos. lions 
qu'il  ne  donne  point. 

Ce  sacrement  a  d  >ne  deux  effets  :  l'un  est 
de  nourrir  l'âme  ,  et  l'autre  d'unir  le  chré- 
tien à  Jésus-Christ.  Or  la  nourriture  ne  *e 
donne  qu'à  un  homme  vivant  ,  cl  celui  qui 
est  dans  l'état  du  péché  ou  dans  l'affection 
du  péché  mortel  est  mort;  c;>r  la  sràce  et  la 
charité  sont  la  vie  de  l'âme.  L'homme  est 
mort  quand  l'âme  esl  séparée  de  son  corps, 
comme  l'âme  est  morte  lorsque  Dieu  s'en 
est  retiré  :  ainsi,  de  même  que  les  meilleurs 
aliments  «c  corrompent  dans  un  corps  mort 
et  ne  servent  qu'à  en  augmenter  la  puan- 
teur et  l'infection  ,  de  même  celui  qui  reçoit 
l'eucharistie  dans  cet  état  de  péché  et  de 
mort  y  trouve  une  augmentation  de  mort, 
disent  les  Pères,  non  pas  à  cause  qu'il  reçoit 
une  chose  qui  soit  mauvaise  ou  mortelle, 
mais  parce  qu'il  reçoit  mal  ce  qui  e-t  hou. 
et  qu'il  s'oppose  par  sa  mauvaise  disposition 
aux  hons  effets  de  ce  qu'il  reçoit. 

11  en  est  de  même  de  l'ui  ion  du  chrétien 
avec  Jésus-Christ,  que  ce  sacrement  produit 
toujours  quand  on  le  reçoit  comme  il  faut; 
car  Jésus-Christ  ne  s'unit  qu'avec  ceux  qui  - 
s'unissent  à  lui  :  In  me  manet,  et  ego  in  eo  , 
et  comment  celui  qui  est  uni  à  son  ennemi 
pourrait-il  s'unira  mi  en  même  temps?  Ou  ne 
peut,  comme  il  nous  l'a  dit  lui-im  me,  senir 
deux  maîtres;  il  faut  nécessairement  I 
l'un  et  aimer  l'autre.  Si  l'homm  ■  esl  dans 
le  péché,  il  est  esclave  de  l'amour  du  monde, 
et  si  l'amour  du  monde  est  dans  son  MBttr, 
il  faut  nécessairement  qu'il  ait  de  la  haine 
pour  Jésus-Christ ,  et  par  coojéqveol  il  est 
incapable  de  s'unir  à  lui. 

D>  ce  raisonnement  il  faut  nécessaire- 
ment conclure  que  la  première  i  ou  lit  on  du 
bon  usage  du  sacrement  de  l'eucharistie, 
c'est  la  vie  de  l'âme,  el  qu'on  n'est  jamais 
ou  état  d'approcher  de  l'adorable  eucharistie 


SERMON  POUR  LE  JOUR  DE  L'OCT.  DU  SAINT  SACREMENT. 


737 

tant  que  le  péché  mortel ,  ou  l'affection  au 
péché  mortel  ,  ou  l'occasion  du  péché  mor- 
tel suhsiste.  Les  Pères  n'ont  point  eu  deux 
sentiments  sur  cette  matière,  ils  ont  tous 
conclu  comme  je  viens  de  conclure  :  Muta 
vitam  ,  si  vis  sumere  vitam  :  Changez  de  vie, 
ont-ils  dit,  si  vous  voulez  vous  unir  à  celui 
qui  est  la  source  el  le  principe  de  la  vie. 

Que  ceux  qui  pour  des  péchés  mortels  sont 
séparés  de  V autel  ne  s' en  approchent  qu'après 
avoir  fait  pénitence,  dit  saint  Isidore.  C'est 
sur  cela  que  l'Eglise  a  gardé  très-constam- 
ment celte  conduit!'  si  uniforme  de  n'admettre 
à  la  participation  du  corps  de  Jésus-Christ 
ceux  qui  avaient  violé  les  vœux  du  baptême, 
qu'après  les  avoir  éprouvés  par  une;  longue 
et  laborieuse  péuiteuoe. 

Vous  me  demanderez,  dit  saint  Augustin, 
comment  apris  vos  péchés  vous  pourrez  vous 
rendre  dignes  d'en  approcher.  C'est,  dit  ce 
saint  docteur,  en  quittant  vos  mauvaises  ha- 
bitudes et  en  faisant  pénitence;  afin  qu'ayant 
souillé  votre  conscience  par  vos  crimes ,  elle 
soit  purifiée  par  la  satisfaction  de  la  péni- 
tence. 

I!  voulait  doi!c  que  le  pécheur  quittât  ses 
péchés,  qu'il  changeât  sa  mauvaise  vie,  et 
qu'il  fit  paraître  par  une  nouvelle  conduite 
une  véritable  conversion.  11  voulait  qu'il  se 
présentât  aux  ministres  de  Jésus-Christ,  aux- 
quels ,  pour  être  admis  à  ce  sacrement  ou 
en  être  exclu,  il  fallait  découvrir  ses  infidé- 
lités et  les  plaies  de  son  âme,  leur  deman- 
der et  recevoir  d'eux  une  pénitence  médici- 
nale et  proportionnée  à  la  grandeur  de  ses 
iniquités;  enfin  il  voulait  qu'il  accomplît 
exactement  et  avec  humilité  celle  pénitence 
pour  se  purifier  de  ses  crimes;  car,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  l'Eglise  a  toujours  cru 
que  c'est  recevoir  le  corps  de  Jésus-Christ 
indignement  que  de  le  recevoir  dans  le  temps 
qu'on  doit  être  en  pénitence. 

L'Eglise  sainte  a  gardé  longtemps  cette 
pratique  inviolablemenl ,  et  ceux  nui  sont 
remplis  de  son  esprit  l'observent  avec  sa- 
gesse ,  avec  exactitude  et  avec  douceur  :  les 
intérêts  de  Jésus-Christ  et  ceux  même  des 
chrétiens  les  y  engagent. 

La  révérence  due  au  sacrement  veut  qu'on 
donne  tous  ses  soins  pour  en  empêcher  la 
profanation.  Si  l'on  vous  avait  chargé,  dit 
saii\l  Chrysoslome  ,  de  garder  une  fontaine 
d  eau  claire  destinée  à  l'usage  des  hommes  , 
souffririez-vous  qu'une  troupe  de  poiirceaux 
se  jetassent  dedans  pour  la  salir  ?  Vous  chas- 
seriez ces  animaux  immondes;  et  vous  qui 
êtes  1rs  gardiens  des  fontaines  du  Sauveur, 
gui  êtes  les  dispensateurs  de  son  sang  adora- 
ble ,  ne  le  donnez  donc  pas  à  ceux  qui  ne  le 
prendraient  que  pour  le  profaner  el.  le  fouler 
aux  pieds. 

La  charité  et  le  /èle  pour  les  chrétiens  ne 
peut  pas  souffrir  qu'ils  s'exposent  à  recevoir 
la  mort  dans  ce  sacrement,  où  ils  viennent 
chercher  la  vie:  elle  veut  qu'on  les  arrête 
pour  les  examiner,  de  peur  que,  faute  d'être 
disposés  comme  il  faut,  on  ne  les  livre  à  la 
mort)  en  leur  laissant  prendre  teméraire- 


753 


ment  le  mortel  poison  d'une  communion  pré- 
cipitée. 

Que  les  Philistins  fassent  changer  de  lieu 
à  l'arche  du  Seigneur,  elle  frappe  indffféretn- 
ment  ceux  d'Accaron  comme  ceux  d'Azo»,  et 
chaque  ville  où  eile  allait  était  remplie  de 
frayeur  et  de  mort.  Il  faut  donc,  ou  renoncer 
à  ce  peuple  réprouvé,  oiii  s'attendre  à  être  en- 
veloppé dans  sa  ruine.  Ainsi,  mes  chers  frères, 
il  laut  rentrer  dans  le  peuple  de  Dieu  et  être 
animé  de  son  esprit  pour  approcher  de 
l'arche  du  Seigneur  utilement,  et  pour  trou- 
ver la  vie  dans  le  Sacrement  dont  l'arche  ne 
fut  que  la  figure. 

Que  doit  donc  faire  un  chrétien  qui  a  com- 
mis un  grand  nombre  de  péchés  mortels  , 
pour  s'assurer  qu'il  est  réuni  au  peuple  de 
Dieu,  qu'il  est  animé  de  son  esprit ,  et  qu'il 
a  reçu  ce  degré  de  vie  nécessaire  pour  s'en 
approcher  dans  ce  sacrement?  11  doit  savoir 
qu'il  est  absolument  nécessaire  que  l'âme 
soit  vivante  par  !a  grâce  pour  recevoir  l'a- 
dorable eucharistie;  car  c'est  là  que  tendent 
tous  les  soins  et  toutes  les  sages  précautions 
des  conducteurs  spirituels.  Ainsi  il  faut  qu'il 
rompe  ses  liens  funestes,  ils  ne  doivent  plus 
subsister  absolument  pour  s'approcher  de 
Jésus-Christ;  il  n'y  a  ni  fêtes,  ni  solennités, 
ni  pâques  qui  vous  puissent  permettre  d'en 
approcher,  si  ces  liens  ne  sont  brisés  ;  et 
même  ,  par  rapport  aux  pécheurs  nouvelle- 
ment convertis  ,  on  peut  bien  les  en  faire 
approcher,  mais  cependanl  il  faut  user  de 
toute  sorte  de  sagesse  ,  de  douceur,  de  fer- 
meté, de  ménagement,  de  prudence  et  de 
zèle  pour  les  mettre  dans  cette  pratique  , 
surtout  à  l'égard  de  ceux  qui  sont  tombés 
dans  des  crimes  considérables,  c'est-à-dire 
dans  des  péchés  mortels ,  principalement 
quand  il  y  a  des  habitudes  et  des  rechutes. 
Il  faut  prendre  garde  de  rien  précipiter  dans 
une  affaire  aussi  importante. 

Combien  empècherait-on  d'indignes  com- 
munions ,  mes  chers  frères,  si  on  tenait  celle 
conduite  à  l'égard  des  pécheurs  1  Combien 
eu  aurait-on  retiré  de  la  voie  d'iniquilé , 
si  on  avaitagi  de  cette  manière  à  leur  égard  ! 
L'esprit  de  Dieu  n'a-t-il  parlé  que  pour  lo 
prophète  Ezéchiel,  quand  il  a  dit  :  Parce  que 
vous  ne  l'avez  pas  averti,  il  mourra  dans  son 
péché  ;  mais  je  vous  redemanderai  son  sang  ? 
Ah  1  Seigneur  ,  quelle  parole  l  Imprimez-la 
bien  dans  notre  cœur,  et  donnez-nous  la 
force  nécessaire  pour  soutenir  le  poids  des 
fondions  d'un  si  terrible  et  si  redoutable  mi- 
nistère. 

Mais  où  en  sommes-nous?  non-seulement 
ces  règles  ne  sont  plus  suivies ,  mais  à  peine 
sont-elles  connues.  Il  est  vrai  que.  l'Eglise 
est  maîtresse,  de  changer  les  règles  extérieu- 
res de  la  discipline  qu'elle  établit  pour  la 
conduite  de  ses  enfants  ;  mais  il  est  vrai  aussi 
qu'elle  ne  veut  ni  qu'elle  ne  peut  changer 
d'esprit  ,  parce  qu'elle  n'en  a  point  d'autre 
que  celui  de  son  époux,  qui  est  incapable 
de  changement.  Or  ,  mes  trères  ,  cet  esprit 
nous  enseigne  qu'il  faut  être  vivant  pour  re- 
cevoir l'auteur  de  la  vie.  Les  saints  Pères, 
qui  ont  lous  clé  pénétrés  de  cel  esprit,  le» 


7B9 


nl'.ATKUllS  SACRES.  DOM  JEROME. 


conciles,  qui  n'ont  parle  que  par  les  inspira- 
tions de  cet  esprit  ,  uni  établi  (les  temps  de 
pénitence  pour  faire  l'épreuve  de  la  conver- 
sion ,  et  pour  reconnaître  par  lea  œuvres  si 
Je  cœur  était  changé  et  si  on  était  animé  de 
l'esprit  du  Seigneur  et  vivant  de  sa  vie. 

Prenons  donc  garde  do  ne  pas  nous  éloi- 
gner de  l'esprit  de  l'Eglise  sous  prétexte 
qu'elle  n'exige  pas  la  pratique  des  canons  et 
des  règles  qui  étaient  autrefois  en  vigueur. 
Le  saint  concile  de  Trente  souhaitait  qu'on 
pût  les  rétablir;  c'est  donc  agir  selon  l'es- 
prit de  l'Eglise  que  de  s'en  rapprocher  avec 
sagesse  autant  qu'on  le  peut,  et  c'est  s'enga- 
ger dans  des  voies  d'égarement  que  de  négli- 
ger de  s'en  approcher  ,  et  d'employer  toutes 
sortes  de  moyens  sages  ,  raisonnables  et  mo- 
dérés ,  pour  y  faire  entrer  ceux  qui  viennent 
à  nous  avec  soumission  ,  avec  douceur  et 
avec  humilité.  Par  là  il  arrivera  ce  que  l'es- 
prit de  Dieu  dit  au  prophète  Ezéchiel,  que  si 
vous  avertissez  le  juste  afin  qu'il  ne  pèche 
point  et  qu'il  ne  tombe  point  dans  le  péché,  il 
vivra  de  la  vraie  vie,  parce  que  vous  l'aurez 
averti ,  et  voit»  aurez  aussi  délivré  votre  âme. 
Par  cette  conduite  vous  vous  assurerez  de  la 
vie  de  l'âme  ,  sans  laquelle  loule  commu- 
nion est  une  source  de  mort,  et  vous  la  con- 
duirez à  cette  santé  et  à  cette  vigueur  né- 
cessaires pour  approcher  plus  fréquemment 
de  l'adorable  eucharistie  :  c  est  mon  deuxième 
point. 

DEUXIÈME   PARTIE. 

L'âme  doit  jouir  d'une  santé  parfaite  pour 
approcher  ordinairement  de  l'adorable  eu- 
charistie ,  et  sur  cela  j'ai  quatre  points  très- 
importants  à  établir,  pour  lesquels  je  vous 
demande  toute  votre  attention  ,  car  ils  con- 
tiennent des  règles  excellentes  sur  cette  ma- 
tière. 

Je  veux  vous  montrer  la  nécessité  d'être 
en  santé  pour  approcher  ordinairemon!  de 
l'eucharistie  ,  en  quoi  consiste  cette  santé  de 
l'âme  ,  quelle  est  sa  nature  et  en  quel  degré 
à  peu  près  il  faut  l'avoir  pour  approcher  or- 
dinairement de  l'eucharistie  ;  par  quelle 
marque  on  peut  reconnaître  qu'on  en  jouit, 
et  à  quel  degré  à  peu  près  on  la  possède;  les 
moyens  qu'il  faut  prendre  et  les  soins  qu'il 
faut  se  donner  pour  la  conserver  et  pour 
l'augmenter.  Vous  voyez  que  tout  ceci  est 
très-important  :  entrons  en  matière. 

Pour  être  digne  d'user  fréquemment  de 
l'eucharistie  ,  il  ne  suffit  donc  pas  d'être  vi- 
vant,  il  faut  encore  être  en  santé:  ce  n'est 
pas  assez  d'être  délivré  de  la  mort  du  péché, 
il  faut  que  les  plaies  qu'il  a  faites  dans  l'âme 
soient  refermées.  Souvenez-vous  de  ce  que 
nous  dîmes,  après  les  saints  Pères  ,  dans  le 
dernier  discours,  quo  c'était  communier  in- 
dignement que  de  le  faire  dans  le  temps  des- 
tiné à  faire  pénitence;  car  non-seulement  le 
péché  ne  doit  plus  élre  dans  le  cœur  ,  il  faut 
que  les  impressions  qu'il  a  faites  dans  l'âme 
soient  effacées  :  en  voici  la  raison,  tirée  de 
l'analogie  de  ce  sacrement  adorable.  E'cu- 
eharislic  est  la  nourriture  de  l'âme  ,  c'est  le 
Min  des  loris  ,  scion   l'Ecriture  et  toute  la 

I 


tradition.  Or ,  vous  tares. ,  mai  (réres ,  que 
quand  on  etl  torti  d'une  maladie  mortelle  , 
on  ne  se  reriii  t  a  l'otage  des  aliment!  solides 
qu'après  quo  les  plaies  sont  guéries  ,  qu'on  a 
repris  ses  forces  ,  et  quand  par  des  épreuves 
on  a  pris  des  assurances  contre  la  rechute. 

Il  est  donc  nécessaire  d'observer  la  même 
conduite  dans  l'usage  de  (elle  divine  nour- 
riture do  l'âme  :  il  ne  suffit  pas  qu'elle  soit 
sortie  de  l'état  de  la  mort  par  le  retour  de  la 
grâce,  ce  n'est  pas  assez  qu'elle  ait  été  pur- 
gée des  restes  de  la  corruption  qui  avait 
causé  sa  mort  ;  il  faut  qu'elle  soit  fortifiée  et 
rétablie  en  santé,  pour  recevoir  ordinaire- 
ment celle  nourriture  solide  ,  qui  est  appelée 
le  pain  des  forts,  comme  je  viens  de  vous  le 
dire.  Il  faut  qu'elle  soit  soutenue  quelque 
temps  par  une  nourriture  qui  soit  plus  à  por- 
tée de  sa  faiblesse,  qu'elle  se  nourrisse  du 
pain  des  larmes  ,  qu'elle  fasse  son  aliment 
de  la  parole  de  Dieu,  avant  que  de  prétendre 
à  manger  sa  chair.  Nous  devons  imiter  la 
conduite  que  Jésus-Christ  lui-même  a  gardée 
dans  la  distribution  du  pain  ,  qu'il  ne  fait 
faire  au  peuple  dans  le  désert  qu'après  qu'il 
a  quitté  la  ville  pour  le  .suivre,  qu'il  l'a 
nourri  de  sa  parole,  qu'il  a  guéri  ses  mala- 
des ,  et  par  là  r.ous  convaincre  de  la  néces- 
sité d'être  dans  la  santé  pour  userordinaire- 
uient  de  cette  divine  nourriture. 

Que  si  nous  regardons  l'adorable  eucha- 
ristie comme  le  gage  de  l'immortalité  et  un 
avant-goût  de  la  gloire  future,  où  nous  re- 
cevons réellement  celui  qui  rassasie  les  bien- 
heureux par  la  vision  ,  nous  conclurons  en- 
core que,  comme  rien  de  souillé  n'entre  dans 
la  gloire  ,  aux  termes  de  l'Ecriture  ,  le  Dieu 
de  la  gloire  ne  veut  habiter  que  dans  ceux 
qui  gardent  sa  parole,  qui  l'aiment  et  qui  ai- 
ment son  Père  ,  et  pour  cela  il  faut  non-seu- 
lement que  l'âme  soit  vivante  ,  mais  il  faut 
qu'elle  soit  saine. 

Jésus-Christ  lui-même  nous  apprend  par 
ces  paroles  en  quoi  consiste  !a  santé  de 
l'âme  et  quelle  est  sa  nature  ;  car  pour  con- 
naître exactement  en  quoi  consiste  la  santé  de 
l'âme  nécessaire  pour  communier  sou1,  eut , 
il  faut  prendre  une  idée  précise  de  la  vie  de 
l'âme,  puisqu'à  proprement  parler  la  sanle 
n'est  qu'une  vie  pleine,  une  vie  dans  sa 
force,  une  certaine  vigueur  à  faire  les  ac- 
tions de  la  vie  qui  nous  anime.  Or,  comme 
le  péché  est  la  mort  de  l'âme,  selon  que  nous 
l'avons  dit ,  la  grâce  est  sa  vie  :  si  elle  est 
morte  par  l'amour  du  monde  .  elle  n'est  v  i- 
vanle  quo  par  l'amour  de  Dieu;  la  chanté 
est  donc  la  vie  île  l'âme.  Voici  ce  que  dit  saint 
Jean  :  Celui  qui  n'aime  p  int  demeure  du- 
mort .  il  n'y  a  pas  de  milieu;  l'homme  e>-t 
dans  la  charité  ou  dans  la  mort.  Dieu,  dit 
saint  Augustin,  est  la  rie  du  corps,  et  comme 
le  corps  meurt  quand  IWrnc  en  sort  ,  l'àme 
meurt  lorsqu'elle  perd  l>i<u. 

Sur  cette  Idée  ,  I  est  aisé  de  prendre  t 
de  la  sanle  de  l'âme  :  car  si  dans  l'ordre  na- 
turel la  saute  n'est  qu'une  vie  pleine  et  DM 
certaine  vigueur  à  faire  les  actions  de  la  vie 
qui  nous  anime,  la  saute  de  l'âme  n'est  quo 
l'ardeur  do  la  charité  f  la  ferveur  de  l'esprit, 


SERMON  POUR  LE  JOUR  DE  L'OCT.  DU  SAINT  SACREMENT. 


7f.l 

la  force  de  l'amour  de  Dieu  ,  voluntatem  ro- 
bustam,  comme  l'appelle  saint  Augustin ,; 
ainsi  ,  dit  ce  saint  docteur  ,  comme  je  juge  de 
la  vie  du  corps  par  ses  actions  ,  je  juge  de  la 
vie  de  l'âme  par  ses  mouvements  ;  et  voici  les 
marques  par  lesquelles  on  peut  juger  de  la 
santé  de  l'âme. 

Suivons  toujours  cette  analogie  avec  saint 
Augustin.  Je  demande,  dit-il ,  au  corps  s'il  est 
vivant.  En  pouvez-vous  douter,  me  répond* 
il  ?  puisque  vous  voyez  que  je  marche,  que 
j'agis,  que  je  parle ,  que  je  cherche  ce  qui  m'est 
propre,  que  je  fuis  ce  qui  m'est  contraire: 
mais  si  je  fais  toutes  ces  choses  avec  force  .  et 
avec  vigueur,  que  je  parle  avec  fermeté ,  que  je 
cherche  avec  diligence  et  avec  vivacité  ce  qui 
m'est  propre,  que  je  fuie  avec  la  même  ardeur 
ce  qui  m'est  contraire,  pouvez-vous  douter 
que  je  n'aie  de  la  santé?  Appliquons  ceci  à 
l'âme,  mes  chers  frères.  Si  elle  est  vive  sur 
les  intérêts  du  Seigneur  et  du  sa  propre  per- 
fection,.si  elle  marche  à  grands  pas  dans  les 
voies  de  la  justice,  si  elle  embrasse  avec  joie 
tout  ce  qui  peut  la  rendre  meilleure,  si  elle 
fuit  avec  horreur  tout  ce  qui  peut  la  détour- 
ner du  bien  ,  comptez  que  l'ardeur  de  la  cha- 
rité la  rend  vivante  ,  l'anime  et  la  fait  agir. 

Que  si  au  conlraire  vous  voyez  une  sorte 
de  langueur  dans  les  voies  de  la  justice ,  une 
négligence  dans  la  pratique  du  bien,  une  fa- 
cilité à  le  quitter  ,  une  peine  à  le  reprendre  , 
une  inégalité  dans  la  conduite  ,  agissant  au- 
jourd'hui ,  demain  ne  faisant  rien  ,  ne  vou- 
lant pourtant  pas  s'abandonner  absolument 
(car  on  craint  la  mort)  ,  mais  n'agissant  que 
par  intervalles  et  tombant  dans  de  fréquen- 
tes faiblesses  :  cet  état  vous  marque  que  si  la 
vie  n'est  pas  éteinte,  au  moins  elle  est  bien 
languissante ,  et  qu'il  n'y  a  dans  cette  âme  ni 
santé  ni  vigueur.  Ce  n'est  pas  à  ces  sorles 
d'âmes  qu'il  faut  permettre  le  fréquent  usage 
de  ce  sacrement  :  il  faut  acquérir  le  droit  de 
manger  ce  pain  par  un  travail  qui  nous  en 
rende  dignes,  qui  marque  le  désir  ardent  que 
nous  avons  de  nous  en  nourrir,  et  qui  soit 
une  preuve  certaine  de  la  santé  de  l'âme  , 
comme  la  faim  acquise  par  l'exercice  est  une 
preuve  constante  de  la  santé  du  corps. 

Saint  Augustin  l'ail  celte  belle  réflexion 
sur  la  parabole  du  festin  et  des  vierges  qui 
y  furent  admises.  Il  n'y  a,  dit  ce  saint  doc- 
leur,  que  des  vierges  et  des  vierges  sages  qui 
y  soient  introduites,  et  elles  sont  au  nombre 
de  cinq.  Remarquez  ici  avec  ce  grand  doc- 
leur  leur  nombre,  leurs  qualilés,  leur  tra- 
vail, leurs  provisions. 

Elles  sont  cinq,  figure  de  l'âme  qui  exerce 
ses  fonctions  par  cinq  sens  différente.  Tous 
ceux  qui  ne  font  aucun  usage  illicite;  de  la 
vue,  de  l'ouïe  et  du  reste,  conservent  une 
sorte  d'intégrité,  ce  qui  fait  que  la  parabole 
leur  donne  le  nom  de  vierges.  Leur  travail 
suit  leur  qualité  :  car  il  ne  suffit  pas,  dit  ce 
saint  docteur,  d'avoir  l'intégrité,  qui  con- 
-  sisle  à  s'abstenir  des  sensations  illicites;  il 
faut  avoir  les  bonnes  œuvres,  désignées  par 
les  lampes.  Ayez  les  reins  ceint  i,  dit  le  Sei- 
gneur, ce  qui  représente  la  .pureté  qui  fait 
l'js  vierges;  et  des  lampes  ardentes  à  la  main. 


7G2 


ce  qui  signifie  les  bonnes  œuvres.  Mais  tout 
cela  ne  suffit  pas  encore;  il  faut  de  plus  des 
provisions,  que  les  vierges  folles  n'ont  point; 
et  qu'est-ce  que  ces  provisions?  c'est  l'huile, 
dit  saint  Augustin,  c'est  la  charité,  cette  voie 
si  éminente,  qui  surpasse  toutes  les  autres 
voies,  qui  est  élevée  au-dessus  de  toutes  les 
œuvres,  et  sans  laquelle  toutes  les  œuvres 
les  plus  éminentes  ne  sont  rien;  car  comme 
l'huile  nage  sur  toutes  les  autres  liqueurs  et 
qu'elle  ne  demeure  jamais  au  fond,  aussi,  dit 
saint  Paul,  la  charité,  dont  l'huile  est  le  sym- 
bole, donne  le  prix  et  surpasse  toutes  les  au- 
tres vertus.  De  tout  cela  que  faut-il  conclure  ? 
que  l'usage  fréquent  de  l'adorable  eucharistie 
ne  doit  être  permis  qu'aux  âmes  saines,  fi- 
dèles, en  qui  on  trouve  non-seulement  la  vie, 
mais  la  vigueur  et  la  force,  qui  viennent  de 
l'ardeur  de  la  charité,  et  l'amour  de  Dieu, 
qui  produit  l'intégrité,  la  vigilance,  les  bon 
nés  œuvres. 

Quand  on  se  trouve  dans  ces  heureuses 
dispositions  par  la  miséricorde  du  Seigneur, 
on  entre  aisément  dans  les  moyens  d'acquérir 
cette  santé,  et  d'augmenter  la  vigueur  de 
l'âme,  qui  en  est  l'effet. 

La  prière  est  un  de  ces  moyens  dont  on  ne 
peut  trop  se  servir.  Je  soupire,  disait  Job, 
avant  que  de  manger.  L'esprit  de  la  prière  n'est 
autre  chose  qu'un  saint  désir  qui  forme  et 
qui  conserve  une  disposition  d'ardeur,  dis- 
position qui  contribue  beaucoup  à  former  la 
santé  de  l'âme;  jugez,  mes  frères,  de  son  ex- 
cellence. 

La  méditation  de  l'Ecriture  sainte  et  des 
bons  livres  est  encore  un  moyen  admirable, 
qu'il  ne  faut  pas  séparer  du  premier;  car  le 
prophète-roi  les  a  unis.  Mon  cœur  s'est  en- 
flammé, dit-il,  au  dedans  de  moi,  à  proportion 
qu'il  ne  se  répand  plus  au  dehors,  et  il  s'al- 
lumera un  feu  pendant  que  je  méditerai,  ajoute 
le  même  prophète;  ce  qui  est  l'effet  de  la  mé- 
ditation des  saintes  Ecritures,  que  saint  Au- 
gustin appelle  les  chastes  délices  de  l'âme, 
qui  lui  font  connaître  le  néant  de  loutce  qui 
n'est  pas  Dieu,  qui  lui  découvrent  sa  gran- 
deur, qui  excitent  en  elle  son  amour,  qui  la 
portent  à  tout  entreprendre  pour  se  rendre 
digne  de  s'unir  à  lui.  N'est-il  pas  vrai,  di- 
saient les  deux  disciples  d'Emmaiis,  que  notre, 
cœur  était  tout  brûlant  en  nous  lorsqu'il  nous 
parlait  durant  le  chemin  et  qu'il  nous  expli- 
quait les  Ecritures? 

La  parole  de  Dieu  est  un  feu  qui  embrase 
celui  qui  s'en  nourrit.  Usez-en  donc,  mes 
frères,  c'est  un  moyen  efficace  de  procurera 
vos  âmes  cette  force  et  cette  vigueur  qui 
donne  la  santé  que  Jésus-Christ  demande  à 
notre  âme  pour  s'unir  à  elle;  et  comme  ii 
n'est  pas  possible  que  nos  misères  ne  l'af- 
faiblissent, et  qu'elle  ne  reçoive  des  altéra- 
tions par  les  impressions  des  sens,  le  troi- 
sième moyen  que  nous  devons  prendre,  c'est 
d'être  dans  une  vigilance  continuelle  contre 
les  surprises  de  l'ennemi. 

En  effet  vous  voulez  que  le  Seigneur  ha- 
bile en  vous,  comme  vous  voulez  demeurer 
en  lui.  Travaillez  donc  à  lui  bâtir  une  de- 
meure, comme   les  Israélites  travaillèrent , 


7C3 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


sous  la  coniuite  de  Néhémias,  â  rétablir  la 
\  Elle  du  Seigneur;  car  l'Ecriture  dit  (|uc  eaux 
qui  étaient  employés  â  bâtir  les  mi  rs  tra- 
vaillaient d'une  main  à  l'ouvragée!  tenaient 
I'*j j.éo  de  l'autre.  Q  le  la  vigilance  sur  vos 
sous  ren  !e  (loue  vains  les  efforts  do  \os  en- 
:i;  rnis  ;  couvrez-vous  du  bouclier  de  la  mor- 
liflcation,  retranchez  parte  glaive  de  la  pé- 
nitence <e  qui  pourrai!  affaiblir  vos  forces, 
et  établissez  au  Se  gueur  mie  demeure  digne 
de  lui  par  l'assemblage  des  vertus  qui  l'atti- 
rent 

L'Apôtre  dit  que  celui  qui  ne  veut  point 
travailler  ne  doit  point  manger;  ainsi  l'Aine 
n'a  de  droit  sur  celte  divine  nourriture  que 
par  le  travail  que  Dieu  exige  d'elle.  Celte 
nourriture  est  le  gage  de  la  gloire,  comme 
nous  avons  dit  plusieurs  fois.  On  n'acquiert 
celle  gloire  que  par  les  bonnes  œuvres  et  le 
travail;  on  n'a  donc  de  droit  à  cette  nourri- 
ture que  par  le  travail  :  Yinccnti  dabo  edere 
de  ligna;  vineenti  dabo  manna  absconditwn. 
El  quel  est  le  travail  qu'il  exige  de  nous?  les 
œuvres  de  notre  état ,  le  bon  emploi  du 
temps,  l'exactitude  dans  nos  devoirs,  l'unifor- 
mité dans  notre  vie,  la  Gdélité  dans  nos  pra- 
tiques; car  quand  on  fait  son  œuvre  avec  vi- 
gueur, c'est  une  marque  qu'on  a*ic  la  santé,  et 
c'est  un  moyen  pour  l'augmenter.  L'exercice 
donne  de  l'appétit,  et  l'appétit  fait  que  la  nour- 
riture qu'on  prend  profile,  qu'elle  se  change 
en  notre  substance  el  qu'elle  nous  donne  une 
nouvelle  vigueur;  mais  parce  que,  après  tous 
les  soins  que  nous  pouvons  apporter  pour 
nous  approeber  dignement  et  dans  la  vigueur 
de  lame  de  la  divine  eucharistie,  il  est  bien 
difficile  que  la  pratique  ordinaire  d'une  chose 
ne  nous  fasse  perdre  ou  au  moins  n'affai- 
blisse beaucoup  l'attention  que  nous  devons 
avoir  en  communiant,  l'habitude  se  chan- 
geant en  nature,  il  est  à  craindre  que  la 
communion  qui  nous  est  devenue  comme 
naturelle  ne  se  fasse  trop  à  la  hâte  et  pres- 
que sans  réflexion  :  ainsi  il  faut  encore, 
pour  acquérir  une  nouvelle  ferveur,  se  sé- 
parer quelquefois  de  l'eucharistie  par  un 
sentiment  de  respec',  de  pénitence,  d'humi- 
lité, quoique  la  conduite  de  la  vie  soit  assez 
réglée,  et  qu'on  n'ait  aucun  péché  considé- 
rable à  se  reprocher. 

Sur  cela  je  vous  renvoie,  mes  chers  frères, 
à  la  sagesse  de  ceux  qui  vous  gouvernent,  et 
comme  il  n'y  a  rien  où  il  soit  plus  facile  de 
se  tromper  que  dans  le  jugement  <!e  la  situa- 
tion de  son  propre  cœur,  il  n'appartient 
point  aux  particuliers  de  prononcer  sur  les 
dispositions  dont  je  viens  de  vous  parler. 
C'est  aux  minis'.r;  s  d'en  décider,  c'est  à  cu\ 
que  l'Eglise  a  confié  l'autorité  d'admettre  les 
fidèles  à  la  sainte  table  ou  de  les  en  exclu 
Or  ceci  ne  peut  regarder  que  trois  sortes  de 
personnes  :  ou  les  pécheurs,  c'est-à-dire 
ceux  qui  sont  dans  le. péché  et  qui  viennent 
se  présenter  aux  piètres,  ou  les  justes,  qui 
non-seulement  ont  la  vie  de  la  grâce,  mais 
la  sanlc  de  l'ànie  et  la  lo; ,  e  de  la  charité,  ou 
les  justes  faibles,  c'est-à-dire  qui  ne  sont  pas 
dans  la  mort,  ri  ais  de  qui  la  vie  est  faible  et 
inette  à  de  grandes  langueurs. 


A  l'égard  de.  pécheurs,  il  ne  s 'agi 
avec  eux  de  la  communion  quand  ili 
sentent,  mais  ils  doivent  confesser  leurs  crf- 
ecevoir  i'ordie  de  leur  pénitence,  <-t  on 
doit  les  exb<  rierà  ne  pas  s'impatienter  si  ou 
c  tient  des  temps  très-considérables  lans 
c  t  état.    Ce  qu'ils    doivent    seulement    de- 

Uieu,  c'est  qu'il  les  conduise 
personnes  q:;i  leur  fassent  garder  les  i  ■> 
de  l'Eglise.  Pour  les  justes  que  j'a. 
forl  ,  ils  ne  peuvent  communier  trop  sou- 
vent; mais  celte  force  est  iare,  dit  saint  Vi- 
gustin,  le  nombre  en  est  très-petit.  Par  rap- 
port aux  jasles  faibles,  c'esl-à-d  re  a  ceux 
qui  ne  sont  pas  dans  la  mort,  mais  de  qui  la 
vie  est  faible,  voici  ce  qu'ils  doive:. t  ob- 
server. 

Ils  doivent  chercher  pour  les  conduir  des 
personnes  éclairées  qui  riglcnl  leur  commu- 
nion, car  ce  n'est  pas  une  affaire  indiffé- 
rente; ils  doivent  s'abandonner  aux  juge- 
menlsdes  \  ersonnes  sages  qu'ils  ont  ebo 
et  s'en  lenir  à  l'ordre  qui  leur  est  prescrit  : 
car  du  moment  qu'ils  eont  conduits  par  des 
personnes  éclairées  et  pleines  de  zèle,  ils 
doivent  déposer  tout  scrupule  el  cal  .  er 
toutes  les  ;  eiues  dont  les  justes  faibles  sont 
souvent  agités.  Surtout  il  faut  bien  se  met  te 
dans  l'esprit  que  ce  ne  sont  pas  les  jours  oui 
doivent  déterminer  la  communion,  mais  la 
santé  de  l'Ame,  sa  ferveur,  et  le  reste  des 
dispositions  dont  nous  avons  parlé.  Dites- 
moi,  mes  frères,  si  l'on  faisait  un  festin  dans 
une  famille  où  tous  les  parents  fussent  as- 
semblés ,  voudriez-vous  y  prendre  votre 
place  si  vous  aviez  une  fièvre  ou  une  autre 
indisposition  qui  vous  obligeât  à  garder  un 
régime?  Pourquoi  donc  n'aurez-vous  pas  les 
mêmes  égards  pour  le  salut  de  votre  âme 
que  pour  la  santé  de  \otrf  corps?  Hue  le 
temps  pascal  même  ne  soit  pas  pour  vous  uue 
occasion  de  péril  :  la  communion  de  Pâques 
suppose  les  dispositions,  el  les  ministres  des 
sacrements  suspendent  cette  co 
aussi  bien  que  l'absolution,  qiand  ils  le  ju- 
gent à  propos  pour  le  respect  du  sacrement 
et  pour  l'avantage  de  ceux  qui  désirent  s'eu 
approcher. 

Car  voici  le  mécompte,  je  vous  prie  de  le 
bien  remarquer  :  la  crainte  que  l'on  a  de  ne 
pas  communier  ou  à  Pâques  ou  d  Mi- 
taines fêles  marque  que  l'on  n'a  que  de  rès- 
peliles  idées  du  sacrement  de  l'a  t  i.  et  par 
conséquent  qu'on  ne  coonatt  point  Péteu  ne 
de  tou  ce  que  ce:  le  démarche  exige  de  nous. 
De  là  est  venue  la  cause  dune  coutume  l  ès- 
ordinaire  dans  les  communautés,  qui  est  de 
communier  souvent  indépendamment  de  ces 
dispositions,  et  d'attacher  l'idée  de  la  piété 
et  de  la  dévotion  à  cette  fréquente  commu- 
nion, pend  ml  que  la  séparation  el  le  retran- 
chement de  celle  n  urriture  divine,  à  la- 
quelle on  en  substitue  une  autre,  convient  à 
l'étal  de  la  persouue  à  nui  on  deii  l'ordon- 
ner. Le  pain  des  larmes,  le  retranchement  de 
la  s  ciélé  des  hommes,  la  vigilance  el  l'ai— 
lenlion  s  r  .  oi -même.  \oilà  celte  nourriture 
de  pénitence  qui  est  quelquefois  nécessaire; 
car  il  faut  toujours  subsliluer  une  nourri- 


7G5 

lure  à  l'autre,  et  comme  on  n'abandonne  pas 
un  malade  pour  lui  ôter  les  aliments  qui  sont 
plus  forts,  et  que  l'on  prend  soin  de  lui  en 


donner  de  plus  légers  et  de  plus  propres  à 
entretenir  et  à  fortifier  sa  vie,  il  en  es!  de 
même  dans  la  vie  spirituelle,  et  c'est  la  dif- 
férence qu'il  y  a  entre  ceux  qui  se  séparent 
de  l'autel  par  négligence  et  ceux  qui  le  font 
avec  lumière;  car  ceux-là  ne  substituent  au- 
cune nourriture  à  celle  dont  ils  se  privent, 
ci  ainsi  livrés  à  leur  faiblesse,  ils  périssent 
nécessairement.  Ceux-ci  au  contraire  substi- 
tuent un  aliment  à  celui  qu'on  leur  ôte,  qui 
les  soutient;  ainsi  les  uns,  en  s'en  privant, 
ne  font  rien  pour  s'en  approcher,  et  les  au- 
tres font  tout  pour  s'en  rendre  dignes. 

11  est  vrai  que  l'amour-propre  nous  sé- 
JhriC  souvent,  et  que  l'on  veut  avoir  la  répu- 
tation do  dévot  sans  qu'il  en  coûte  rien.  On 
l'acquiert  à  la  vérité  à  bon  marché  parmi 
les  hommes  en  communiant  souvent;  mais 
on  ne  le  devient  véritablement  que  lorsque 
l'on  communie  dignement.  11  faut  pour  cela 
se  faire  des  violences,  se  combattre  soi-mê- 
me, réprimer  ses  passions,  se  retrancher  la 
communion  jusqu'à  ce  que  les  plaies  de 
l'âme  soient  guéries  et  qu'elle  jouisse  d'une 
santé  plus  solide;  mais  il  en  coule  trop  par 
cette  vi  ie-là  :  i!  lautdonc  suivre  la  première, 
qui  n'a  pas  été  et  qui  n'est  pas  encore  sans 
approbateurs,  et  condamner  la  seconde,  qui 
met  dans  la  contrainte,  qui  est  incommode 
et  qui  ne  laisse  pas  que  de  gêner  beaucoup. 

Dieu  nous  garde  de  tomber  dans  un  pareil 
aveuglement  !  Dieu  détourne  par  sa  grande 
miséricorde  cet  esprit  d'illusion  et  d'erreur 
de  dessus  vous,  mes  très-chers  frères  I  Ne 
jugez  personne;  souvenez  -  vous  surtout, 
pour  voire  propre  conduite,  qu'il  ne  s'agit 
pas  de  communier  souvent  ou  rarement, 
mais  de  communier  dignement.  Souvenez- 
vous  de  l'excellence  du  don  que  Jésus-Christ 
nous  fait  dans  l'eueha:  istie  :  j'ai  essayé  de 
vous  en  tracer  uneidéf  ;  et  n'oubliez  jamais 
la  grandeur  du  crime  de  la  profanation  de  ce 
don  admirable.  Il  est  plus  ordinaire  qu'on 
ne  pense:  tel  en  est  coupable  qui  n'en  sait 
rien,  tel  en  a  décrit  toute  l'horreur  cl  en  a 
fait  des  peintures  affreuses,  que  ses  passions, 
ses  faiblesses  cl  ses  erreurs  y  ont  entraîné 
sans  le  savoir.  Priez  pour  moi,  mes  chers 
frères,  afin  que  mes  lumières  ne  me  con- 
damnent pas,  et  que  mes  paroles  ne  s'elè- 
veiii  pas  contre,  moi-même.  Kniin  j'ai  es- 
sayé de  vous  représenter  les  conditions  du 
bon  usage  du  sacrement  de  l'eucharistie; 
suivez-les  avec  fidélité ,  gémissez  de  ce 
qu'elles  ne  sont  pas  suivies,  c'est  un  hon- 
neur que  vou-.  rendrez  à  Jésus-Christ  ;  car 
c'est  une  grande  partie  de  la  piété  des  âmes 
chrétiennes  de  rougir  et  de  pleurer  des  dés- 
ordres qui  l'offensent,  quoiqu'il  ne  soit  pas 
en  leur  pouvoir  de  les  empêcher.  Dédomma- 
gez-le par  votre  amour  des  froideurs  de  lant 
d'âmes  qui  le  reçoivent  indignement.  Unis- 
sez-vous à  lui  de  telle  manière  que  vous 
n'en  soyez  jamais  séparés.  Je  vous  le  sou- 
haite. Ainsi  soit-il. 


SERMON  POUR  LE  JOUR  DE  L'ASSOMPTION. 

SERMON 

POUR   LE  JOUR  DE    L'ASSOMPTION. 

De  la  dévotion  à  la  suinte  Vierge. 


706 


Kx  tioc  benlani  me  dicent  omnes  ;eneraiiones. 
Cette  insign  •  faveur  me  fera  nommer  bienheureuse  dans 
la  succession  de  tous  tes  siècles  (Luc,  I,  48). 

Marie,  mère  de  Dieu,  est  devenue  celle  de 
tous  les  fidèles  par  Jésus-Christ,  et  la  piété 
qui  nous  attache  à  elle  par  un  culte  réglé  est 
pour  nous  un  fonds  abondant  de  miséricorde 
et  de  grâce. 

C'est,  mes  frères,  de  celle  piété  solide  en- 
vers la  Mère  de  Dieu  que  je  veux  parler  au- 
jourd'hui; car  je  ne  doute  point  qu'on  ne 
vous  ail  raconté  plusieurs  fois  la  fameuse 
victoire  qu'elle  a  remportée  sur  la  mort,  et 
qu'on  n'ait  retracé  à  vos  3  eux  toutes  les 
circonstances  glorieuses  de  ce  triomphe  si 
éclatant  dont  l'Eglise  célèbre  aujourd'hui 
la  mémoire.  Cependant  peut-être  n'a-t-on 
jamais  pris  soin  de  vous  parler  à  fond  de 
l'obligation  où  nous  sommes  de  rendre  des 
h  ménages  à  celte  excellente  créature,  ei  des 
fruits  que  produisent  aux  chrétiens  les  soins 
qu'ils  prennent  de  les  lui  rendre  dans  un 
culte  réglé.  Ce  jour  me  paraît  plus  propre 
qu'aucun  autre  à  parler  des  hommages  qui 
sont  dus  à  la  Mère  de  Dieu  :  puisque  l'Eglise 
l'a  choisie  pour  nous  la  montrer  dans  sa 
gloiie,  il  est  important  d'apprendre  aux  fi- 
dèles qu'elle  veut  être  honorée  en  esprit  et 
en  vérité.  Apprenons  donc  à  porter  notre 
confiance  vers  celte  éminente  créature,  car 
l'Eglise  ne  nous  la  montre  dans  son  triomphe 
que  pour  nous  donner  une  grande  idée  de 
l'étendue  de  son  pouvoir. 

Ajoutons  que  ce  jour  est  consacré  à  re- 
nouveler dans  le  cœur  des  peuples  ces  sen- 
timents d'amour,  de  confiance  et  de  respect 
qui  sont  dus  à  la  M.^re  de  Dieu.  Ce  fut  ce 
jour  même  que  Louis  le  Juste,  père  de  Louis 
le  Grand,  choisit  pour  mettre  sa  personne 
sacrée  et  ses  Etats  sous  la  ■  rotection  de  Ma- 
rie, cl  c'est  pour  ce  sujet  que  l'Eglise  de 
France  fait  aujourd'hui  une  solennité  parti- 
culière, clquc  les  peuples  accourent  en  foule 
pour  rendre  grâces  à  Dieu  des  suites  heu- 
reuses du  vœu  de  leur  monarque,  dont  ils 
ressentent  tous  les  jours  les  effets  parla  pro- 
tection visible  que  Marie  a  accordée  à  ce 
royaume  d'une  manière  si  étendue,  que  ce 
sage  et  généreux  prince  qui  le  gouverne,  le 
maintient  dais  la  paix,  dans  la  prospérité, 
dans  l'abondance,  au  milieu  des  désordres, 
des  agitations  cl  des  misères  de  toute  l'Eu- 
rope, et  donne  du  s  cours  en  même  temps 
aux.  princes  opprimés.  Prince  triomphant, 
jouissez  longtemps  des  fruits  de  celte  foi  si 
vive  et  si  héroïque,  dont  l'exemple  comble 
de  joie  et  de  consolation  tous  les  fidèles. 

Animons-nous  donc  à  la  reconnaissance 
et  à  la  piété  envers  la  sainte  Aïère  de  Dieu  ; 
je  vais  en  découvrir  les  motifs  et  en  régler 
les  mouvenienls  dans  c.'  discours  :  il  n'aura 
q  e  deux  parties.  Dans  la  première  je  prou- 
ver ai  que  c'est  un  devoir  pour  tous  les  chré- 
tiens d'honorer  celle  que  Dieu  a  honorée  eu 
tant  de  manières  :  première  partie;  dans  la 


7fû 


UKATEUItS  SACHES.  DOM  JEROME. 


7GU 


seconde  jevoni  montrerai  que  c'est  une  con- 
solation pour  tous  les  chrétiens  de  pouvoir 
établir  leur  confiance  sur  celle  que  Dieu  a 
lionorée  :  seconde  partie. 

Vierge  sainte,  nous  venons  à  vous  avec 
assurance  d'obtenir  votre  protection  auprès 
de  votre  Dieu  et  le  nôtre,  puisque  vous  devez 
vos  grandeurs  à  nos  misères,  et  que  notre 
chute  a  été  la  cause  de  votre  élévation.  Vous 
n'êtes  grande  que  parce  que  vous  éles  mère  ; 
vous  n'êtes  mère  que  parce  que  Dieu  s'est 
fait  homme;  et  Dieu  ne  s'est  fait  homme  que 
parce  que  nous  sommes  devenus  pécheurs  : 
ainsi  vous  nous  devez  dans  un  sens  tout  ce 
que  vous  possédez  de  grandeurs.  Nous  es- 
pérons que  vous  les  emploierez  à  nous  ren- 
dre favorable  celui  de  qui  vous  les  avez 
reçues.  Nous  demandons  l'assistance  du 
Saint-Esprit  par  votre  intercession.  Ave, 
Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Pour  parler  comme  il  faut  de  l'honneur 
que  tous  les  chrétiens  doivent  rendre  à  la 
sainte  Mère  de  Dieu,  il  est  nécessaire  de  vous 
dire  pourquoi  tous  les  chrétiens  la  doivent 
honorer,  quel  honneur  ils  doivent  lui  ren- 
dre et  jusqu'où  ils  doivent  porter  cet  hon- 
neur. Nous  allons  donc  traiter  du  fonde- 
ment, de  la  qualité  et  de  la  mesure  de  l'hon- 
neur que  les  chrétiens  doivent  rendre  à  la 
Mère  du  Sauveur  du  monde;  c'est,  ce  me 
semble,  tout  ce  qu'on  peut  proposer  sur 
cette  matière. 

Le  fondement  de  l'honneur  que  les  chré- 
tiens doivent  rendre  à  Marie,  c'est  celui  que 
Dieu  lui  a  fait  lui-même;  c'est  sur  ce  prin- 
cipe que  je  prétends  établir  cette  obligation: 
Fecit  mihi  magna  qui  potens  est,  ex  hoc  bea- 
tam  me  dirent  omnes  generationes  :  Le  Sei- 
gneur a  fait  en  moi  de  grandes  choses,  et 
c'est  ce  qui  me  fera  appeler  bienheureuse 
dans  la  succession  des  siècles. 

Or,  voici  ce  qui  suit  naturellement,  et  ce 
qui  renferme  la  preuve  de  cette  obligation  : 
il  faut  honorer  ceux  que  Dieu  honore.  Dieu 
a  honoré  Marie  plus  que  toutes  les  créatures 
ensemble;  donc  nous  devons  honorer  la 
sainte  Mère  du  Sauveur  du  monde  d'une 
manière  toute  singulière.  En  effet,  les  grâ- 
ces d'un  prince  attirent  le  respect  des  hom- 
mes à  ceux  sur  qui  il  les  a  répandues,  et 
quand  un  souverain  a  honoré  quelqu'un  des 
marques  glorieuses  de  son  amitié,  il  doit 
être  honoré  par  ses  sujets. 

Par  là  nous  voyons  pourquoi  le  Sauveur 
du  monde  veut  bien  prendre  sur  lui-même 
le  mépris  que  les  hommes  font  de  ceux  qu'il 
a  revêtus  du  ministère  de  sa  parole  :  Qui  vos 
spernit,  me  spernit,  et  qu'il  châtie  ceux  qui 
les  rejettent,  comme  s'ils  l'avaient  rejeté  lui- 
même  ;  et  c'est  pour  la  même  raison  que  saint 
Paul  avertit  les  Romains,  que  quiconque  perd 
le  respect  dû  aux souverains,  et  refuse  d'oliéir 
aux  princes  qui  sont  établis  sur  la  terre  pour 
exercer  la  puissance  de  Pieu,  de  qui  ils  sont 
les  images,  résiste  à  l'ordre  de  Dieu  et  attire 
$a  condamnation. 

Or,  mes  frères,  de  toutes  les  créatures  Ma- 


rie est  celle  que  Dieu  a  le  plus  houoree.  Il  l'a 
choisie  pour  en  Faire  la  Mrrede  Jésus-Christ. 
Il  l'a  remplie  de  tous    les  dons,  de  tooles  les 

grandeurs  et  de  toutes  les  prérogative*  qui 
conviennent  à  cette   excellente  dignité  de 

Mère  de  Dieu,  et  on  doit  reconnaître  eu  elle 
trois  plénitudes  de  grâces  qu'elle  a  reçoei 
dans  les  trois  moments  les  plus  lignalés  de 
s  i  v  îe. 

D'abord  celle  qu'elle  a  reçue  dans  le  mo- 
ment signalé  de  sa  naissance  :  plénitude  de 
grâce  qui  a  éloigné  de  celle  naissance  jus- 
qu'à l'odeur  même  du  péché,  si  je  puis  m'ex- 
primer  ainsi;  plénitude  qui  la  dispose  au 
plus  grand  de  lous  les  biens,  qui  est  celui 
de  concevoir  le  Fils  de  Dieu,  et  d'être  mère 
et  vierge  tout  ensemble.  Ensuite,  au  moment 
que  le  Verbe  de  Dieu  a  été  formé  dans  son 
sein,  elle  a  reçu  toute  la  perfection  de  la 
charité  et  de  l'amour  de  Dieu ,  qui  est  la 
source  de  tout  bien,  par  la  présence  de  son 
Fils  en  elle.  Enfin  celle  qu'elle  a  reçue  au 
moment  de  sa  mort  :  elle  est  entrée  dans  le 
sein  de  Dieu,  que  j'appelle  la  grâce  de  la 
gloire  ou  la  consommation  de  !a  grâce,  (.'est 
ce  qui  l'a  mise  dans  la  jouissance  et  dans  la 
possession  de  tous  les  biens  d'une  manière 
proportionnée  à  sa  dignité. 

Que  vous  puis-je  dire,  mes  frères,  sur  la 
manière  dont  Dieu  l'a  honorée?  Son  amour 
envers  elle  a  été  immense,  disent  les  saint-, 
Pères,  puisqu'il  l'a  rendue  capab'e  de  con- 
tenir le  Verbe  divin  dans  son  sein  ;  et  c'est  de 
l'immensité  de  cet  amour  qu'il  faut  tirer  la 
conséquence  de  l'immensité  des  honneurs 
dont  il  l'a  comblée  et  des  grandeurs  où  il  l'a 
élevée. 

Comme  nous  ne  pouvons  vous  expliquer 
la  profondeur  de  ce  mystère,  tenons-nous- 
en  à  ce  qu'elle  dit  elle-même,  étant  pénétrée 
et  remplie  de  toutes  ses  grandeurs.  Il  a  fait, 
dit-elle,  en  mot  de  grandes  choses  :  oui,  mes 
frères,  et  si  grandes  qu'il  n'est  pas  possible 
de  les  exprimer.  Mais  celte  impuissance 
augmente  l'obligation  où  nous  sommes  de 
l'honorer  ,  et  elle  sert  à  nous  faire  con- 
naître la  manière  ineffable  dont  Dieu  l'a  ho- 
norée lui-même.  Car  s'il  faut  honorer  ceux 
que  Dieu  honore,  toute  sa  conduite  n'ayant 
été  qu'un  ordre  continuel  qui  l'a  élevée  au 
plus  haut  point  de  grandeur  où  une  simple 
créalurc  puisse  être  portée,  il  faut  conclure 
que  toutes  les  créatures  de  la  terre  doivent 
fondre  aux  pieds  de  celle  que  Dieu  a  aimée 
d'une  façon  si  singulière,  et  qu'ils  la  doivent 
honorer  à  proportion  des  dons  excellents 
dont  il  lui  a  plu  la  distinguer  de  lous  les  êtres 
créés. 

Or,  mes  frères,  par  sa  seule  qualité  de 
Mère  de  Dieu,  le  Sauveur  du  monde  ne  l'a- 
l-il  pas  honorée  lui-même  durant  tout  le 
cours  de  sa  vie  mortelle?  n'a-t-il  pas  ies|  «  t 
son  ouvrage,  et  n'est-il  pas  demeure  à  sou 
égard  dans  une  dépendance  exacte? 

Que  si  le  Père  éternel  a  pris  soin  d'hono- 
rer son  Verbe  dans  ses  plus  grandes  huiui- 
lialious,  en  le  faisant  reconnaître  pour  sou 
Fils,  ce  Verbe  divin  a  »oulu  honorer  sa 
Mère  dans  tout  le  cours  de  sa  vie  mortelle, 


en  prenant  la  qualité  de  Fils  de  l'homme, 
c'est-à-dire,  de  fils  de  Marie,  et  c'est  pour 
tons  les  chrétiens  un  engagement  indispen- 
sable à  l'honorer;  car  comme  le  Fils  de 
l'homme  est  chef  de  tous  ceux  qu'il  a  rendus 
enfants  de  Dieu  en  se  faisant  homme,  tous 
ceux  qui  sont  enfants  de  Diou  sont  renfer 
mes  dans  le  Fils  de  l'homme;  ils  ne  forment 
qu'un  seul  fils  de  l'homme  avec  lui,  et  ils 
doivent  s'unir  à  lui  par  conséquent,  pour 
honorer  celle  de  qui  ils  sont  devenus  les  en- 
fants en  sa  personne;  et  c'est  sur  ce  principe 
qu'on  peut  expliquer  la  pensée  de  quelques 
mystiques,  qui  disent  que  la  vraie  piété  en- 
vers Marie  est  une  marque  de  prédestina- 
tion. En  effet,  c'est  une  marque  que  nous 
sommes  remplis  de  l'esprit  de  son  Fils, et  que 
nous  lui  appartenons  si  nous  l'honorons  avec 
son  Fils  et  par  l'esprit  de  son  Fils;  et  l'hon- 
neur que  nous  lui  rendons  alors  aura  Dieu 
pour  fin. 

Car  ne  nous  y  trompons  pas,  voici  quelle 
est  la  qualité  de  l'honneur  et  du  culte  que 
nous  rendons  à  Marie:  il  est  entièrement, 
absolument  et  nécessairement  subordonne 
à  celui  de  Dieu.  Nous  regardons  Jésus-Christ 
en  elle,  et  l'honorant  avec  lui  et  par  son  es- 

(>rit,  nous  ne  séparons  jamais  le  Fils  d'avec 
a  Mère;  elle  n'est  rien  que  par  son  Fils,  et 
elle  retomberait  dans  le  néant  et  dans  l'a- 
bîme de  toutes  les  misères  dont  il  l'a  pré- 
servée comme  sa  mère,  si  elle  pouvait  en 
être  séparée  un  instant. 

Voilà  ce  que  l'Eglise  sainte  a  voulu  même 
nous  faire  entendre  d'une  manière  sensible, 
lorsque,  exposant  à  nos  yeux  les  images  de 
celte  excellente  créature  pour  être  l'objet  do 
notre  vénération ,  elle  nous  la  représente 
toujours  tenant  son  adorable  Fils  entre  ses 
bras  et  sur  son  sein.  On  voit  souvent  Jésus- 
Christ  sans  sa  Mère,  mais  on  ne  doit  voir 
jamais  Marie  sans  Jésus.  Jésus  tout  seul  est 
adorable,  mais  Marie  sans  Jésus  ne  mérite 
rien.  Toute  sa  gloire  est  colle  de  son  Fils,  et 
l'honneur  que  nous  lui  rendons  est  subor- 
donné au  sien  par  un  rapport  et  une  dépen- 
dance nécessaire;  non  qu'il  n'y  ait  en  elle 
un  mérite  propre  et  particulier,  digne  de 
respect  et  d'honneur;  mais  ce  mérite  vient 
de  Dieu.  Il  l'a  distinguée  de  tous  les  autres 
saints  par  un  mérite  propre;  mais  elle  est 
réunie  avec  tous  dans  Dieu,  où  est  la  source 
de  tout  mérite. 

Ce  serait  donc  un  grand  abus  si  l'honneur 
qu'on  lui  rend  s'arrêtait  à  elle  sans  remon- 
ter à  son  Fils.  Ce  serait  une  étrange  erreur 
de  borner  notre  culte  à  sa  grandeur  propre, 
comme  si  elle  était  une  souveraine  indépen- 
dante, elle  que  nous  regardons  comme  une 
pure  créature,  qui  ne  peut  point  ne  pas  dé- 
pendre de  Dieu,  lequel  lui-même  ne  peut  ac- 
corder aucune  grâce,  aucune  puissance,  que 
pour  faire  connaître  et  adorer  la  sienne. 

Ainsi,  mes  très-chers  frères,  toutes  les  pra- 
tiques saintes  et  réglées  par  l'Eglise,  qui 
marquent  la  piété  des  fidèles  à  l'égard  do 
la  sainte  Vierge,  tout  le  service  si  auguste  et 
si  religieux  qui  lui  est. rendu,  tous  les  ordres 
saïuts  et  toute»  les  congrégations  inonasti- 


SERMON  POUR  LE  JOUR  DE  L'ASSOMPTION.  770 

;ques  qui  font  une  profession  particulière  de 
J'honorer,  ne  sont  que  des  moyens  inspirés 
'de  Dieu  et  formés  par  sa  grâce  pour  nous  con- 
duire à  lui  par  Marie,  et  pour  remonter  de  la 
Mère  au  Fils. 

C'est  un  point  essentiel  dans  la  religion 
que  tout  honneur  et  tonte  gloire  appartienne 
primitivement  à  Dieu  :  Soli  Deo  honor  et  glo- 
ria, dit  saint  Paul;  et  on  ne  peut  bien  hono- 
rer les  créatures  qu'en  honorant  en  elles  le 
Créateur.  Ainsi,  mes  frères,  remplissez-vous 
bien  de  celte  importante  vérité  pour  donner 
[an  culle  que  vous  rendrez  à  la  sainte  Vierge 


la  retenue  qu'il  doit  avoir.  L'honneur  qu'on 
lui  rendrait  en  le  terminant  précisément  à  sa 
personne,  sans  vouloir  le  rapporter  à  Dieu, 
serait  vain  et  même  illégitime;  mais  celui 
qu'on  lui  rend  comme  à  la  servante  de  Dieu 
et  à  la  sainte  Mère  du  Sauveur  du  monde  est 
légitime,  saint  et  agréable  à  cette  excellente 
créature,  qui  sert  et  qui  adore  le  même  Sei- 
gneur que  nous. 

Hé!  vous  qui  êtes,  nos  très-chers  frères, 
nouvellement  revenus  à  l'unité  catholique, 
revenez  donc  aussi,  au  nom  du  Seigneur,  des 
fausses  impressions  d'une  prétendue  idolâ- 
trie, qu'on  vous  avait  données  sur  le  culte 
que  nous  rendons  à  la  Mère  de  Dieu.  Ne 
croyez  pas  non  plus  que  nous  changions  de 
langage.  Tel  a  été  le  dogme  constant  de  l'E- 
glise sainte  dans  tous  les  siècles.  Nous  ne 
mettons  point  notre  religion  à  adorer  des 
personnes  mortes,  uous  les  devons  honorer 
comme  des  modèles  qu'on  nous  propose  pour 
les  suivre,  et  non  pas  les  adorer  comme  les 
objets  de  notre  religion. 

Voilà  ce  qui  regarde  la  qualité  et  la  nature 
de  l'honneur  dû  à  la  Mère  du  Sauveur  du 
monde:  mais  jusqu'où  le  doit-on  porter  et 
quelle  en  doit  être  la  mesure?  11  est  facile  de 
répondre  à  cette  demande  :  car  cet  honneur 
est  subordonné  à  celui  de  Dieu  par  une  dé- 
pendance nécessaire,  comme  nous  venons 
de  le  dire;  mais  aussi  tout  ce  qui  n'appar- 
tient pas  à  Dieu  lui  peut  être  attribué  par 
honneur,  et  c'est  exactement  à  quoi  on  peut 
réduire  la  mesure  dont  il  s'agit. 

Considérez  donc  d'abord  que,  comme  les 
hommes  peuvent  se  tromper  dans  ce  qui  peut 
convenir  à  la  créature,  et  qu'ainsi,  abusés  par 
une  piété  fausse  et  trompeuse,  ils  offense- 
raient Marie  en  la  pensant  honorer,  il  faut 
qu'ils  s'en  tiennent  à  ce  qui  est  prescrit  par 
la  sainte  Eglise.  De  plus,  quand  même  on  ne 
serait  pas  en  danger  de  tomber  dans  ce  dés- 
ordre, et  qu'on  n'attribuerait  à  Marie  que 
ce  qui  lui  peut  convenir,  il  y  a  un  autre  pé- 
ril à  craindre,  c'est  que  les  gens  outrés  dans 
leurs  dévotions  ne  tirent  de  fausses  consé- 
quences d'un  principe  qui  est  vrai  absolu- 
ment; car  il  est  vrai  que  Dieu  aurait  pu  lui 
donner  beaucoup  de  prérogatives  qu'il  ne  lui 
a  point  accordées,  quoiqu'il  parût  même  con- 
venable de  les  lui  donner  afin  de  lui  faire  plus 
d'honneur  :  par  exemple,  la  grâce  de  l'impas- 
sibilité, la  mettant  tout  d'un  coup  en  état  de 
ne  rien  souffrir;  celle  de  faire  des  miracles, 
et  ainsi  d'autres  dons.  C'est  donc  une  fausse 
conséquence,  tirée  d'un  principe  véritable, 


771 

que  de  dire 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


772 


Dieu  pool  faire  toile  eho<-e,  done 
il  l'a  faite.  Ajoutes  à  cela  qu'il  ne  nous  ap- 
partient pas  de  juger  qu'il  soi)  bienséant  à 
I?)  qualité  de  Mère  de  Dteu  que  Di  u  lui  eom- 
muniqne  telles  grâces  ou  els  dons;  il  n'y  a 
que  Dieu  seul  qui  -  ichc  ce  qui  lui  contient, 
et  c'est  à  nous  à  adorer  sa  conduit:'  :  Via 
neœ  non  $unl  ve  Irœ. 

La  grande  règle  pour  éviter  de  semblab  es 

dangers  cl  pour  ne  se  tromper  jamais  dans 
des  choses  si  importantes,  c'est  de  nous  eu 
tenir  précisément  à  l'Ecriture  et  à  ce  qui  en 
est  tiré  évidemment,  ou  à  ce  que  l'Eglise 
sainte  a  déterminé  :  voilà  nos  règles  et  notre 
mesure,  ne  passons  point  au   delà. 

Ne  nous  imputez  donc  pas  mes  très-chers 
frères  nouvellement  revenus  à  l'unité,  les 
excès  de  l'indiscrétion  et  du  zèle  des  faux 
dévois  -,  car  l'Eglise  ne  les  a  jamais  connus 
que  pour  les  rejeter.  Pour  nous,  mes  fret 
qui  sommes  toujours  demeures  dans  le  sein 
de  l'Eglise  par  la  miséricorde  du  Seigneur, 
demeurons  dans  les  Ici  nies  qu'elle  nous  a 
prescrits.  Marie  n'a  que  faire  des  honneurs 
dérègles  que  notre  imagination  peut  inventer. 
Apprenez  que  tous  les  hommages  que  vous 
lui  rendez  ne  sont  qu'une  fausse  monnaie  qui 
n'est  pas  frappée  au  coin  de  la  vérité  et  qui 
ne  peut  avoir  cours,  si  l'Eglise  ne  les  a  poi.;l 
prescrits  ou  approuvés  :  ainsi  ils  ne  vous  .at- 
tireront jamais  les  elfcts  de  la  confiance  que 
voiiï  devez  avoir  en  eux  :  c'est  de  celte  con- 
(iance  que  nous  allons  parier  dans  la  se- 
conde partie. 

SECONDE    PARTIE. 

Etablir  et  régler  la  conGance  des  fidèles  en 
Marie,  c'est,  nies  frères,  ce  que  j'entreprends 
t?e  faire  dansla  dernière  partie  de  ce  discours. 

Le  crédit  de  Marie  doit  établir  noire  con- 
fiance, comme  la  sorbordination  et  la  discré- 
tion de  Marie  doivent  la  régler.  Ceci  bien  ex- 
pliqué inspirera  la  confiance  à  ceu\  qui 
s'étaient  fait  un  scandale  de  la  confiance  des 
Gdèles  en  ceile  dont  les  qualités  sont  si  pro- 
pres à  en  donner,  et  en  qui  le  Sauveur  du 
monde  nous  a  lui-même  inspiré  d'en  avoir. 

Et  d'abord  il  est  certain  que  le  crédit  de 
Marie  doit  établir  la  confiance  que  nous 
avons  en  elle.  Je  vous  prie  de  bien  remar- 
quer quels  sont  les  vrais  principes  de  la  foi 
et  de  la  doctrine  de  l'Eglise  sur  cet  article, 
Nous  ne  reconnaissons  de  puissance  propre, 
essentielle  et  originale,  qu'en  Jésus-Christ: 
Toute  puissance,  dit-il,  ma  été  donnée  dan*  le 
ciel  et  sur  lu  terre.  L'apôtre  saint  Paul  dit 
que  Dieu  nous  a  combles  en  Jésus-Christ  de 
tontes  sortes  de  bénédictions  spirituelles  pour 
le  ciel;  voilà  donc  le  centre  de  toute  puissance, 
la  source  de  toutes  les  grâces  et  le  principe 
de  tous  les  dons.  Il  a  associé  à  celte  puis- 
;  ance  de  faire  du  bien  ceux  qu'il  a  choisis 
pour  être  comme  les  canaux  par  lesquels 
il  répand  ses  dons,  et  à  la  sollicitation  de 
qui  il  les  accorde.  Enfin  cette  puissance  est 
plus  ou  moins  étendue,  à  proportion  des 
rapports  et  des  relati  us  qu'ils  ont  à  Je-  |« 
Christ,  ou  de  la  pari  qu'ils  oui  eue  à  l'accom- 


plissement des  mystères  par  lesquels  la  grâce 
lé  communiquée  el  répandue  sur  les  hom- 
mes. C'est  ce  qui  fiil  que  les  saints,  a  qui 
nous  adressons  no-,  prières,  sont  ministre! 
de  cette  grâce  par  voie  d*fnierecmion.  La 
puissance  qu'ils  ont  de  nous  faire  du  Meji 
n'est  donc  qu'une  plus  grande  lacilité  de 
nous  en  oh!  nir  île  Dieu  par  Jésus-Christ, 
ce  qui  vient  de  l'accès  plu  libre  aupiès  de 
lui  que  leur  donne  l'avantage  de  lui  éir  •  ui  i- 
par  une  charité  consommée  dans  l'état  de  la 
gloire. 

Or,  mes  frères,  de  toutes  les  créatures  au- 
cune n'a  jamais  eu  de  plus  étroite  relation 
à  Jésus-Christ,  ni  plus  de  part  à  l'aecini- 
plissement  du  mystère  par  lequel  la  grâce 
a  été  répandue  sur  les  hommes,  que  la 
sainte  Vierge.  C'est  elle  dont  Dieu  s'  sti  *i 
ur  donner  Jésus-Christ  au  monde,  il  l'a 
rendue  la  Mère  v'u  Sauveur  du  monde.  Le 
l'ère  a  une  autorité  sur  son  Fils,  <  t  Marie  a 
part  à  cette  puissance,  et  elle  est  revêtue  de 
l'autorité  de  mère  à  son  égaid,  quoique  sa 
créature  et  l'ouvrage  de  ses  mains,  lia  donné 
droit  à  Marie  sur  celui  qui  n'esl  formé  en 
elle  qu'après  son  consentement.  Peut-on 
douter  qu'elle  n'ait  une  espèce  de  droit  sur 
toutes  les  grâces  qui  coulent  de  cet!'-  -ource? 
et  le  l'ère  éternel,  qui  a  voulu  que  la  forma- 
tion de  l'auteur  des  grâces  dans  son  sein,  i  t 
la  consommation  de  ce  grand  mystère  des 
miséricordes  par  cette  formation,  ait  dé- 
pendu de  sa  volonté,  n'a-t-il  pas  voulu  aussi 
nous  faire  entendre  par  là  en  quelque  ma- 
nière que,  pour  nous  conformer  à  l'ordre  de 
sa  conduite,  nous  devons  nous  adresser  à 
Marie  pour  obtenir  celles  dont  nous  avons 
besoin?  C'est  dans  ce  sens  que  plusieurs 
saints  Pères  ont  dil  que  tonte  notre  pléni- 
tude vient  de  Marie  :  umnis plenitudo  Ck  isti 
est  in  Maria,  non  p.is  sans  dépendre  de  Jé- 
sus-Christ, en  qui  réside  toute  plénitude, 
m  lis  par  l'ordre  qu'il  a  mis  dans  l'économie 
du  corps  de  son  Eglise;  il  en  est  le  chef, 
Marie  en  est  le  cou,  pour  ainsi  dire,  par  où 
toutes  les  grâces  descendent  sur  les  ti  14 
comme  les  esprits  se  communiquent  aux 
membres  du  corps:  In  Christo  tteut  m  ca- 
pite.  in  Maria  sicut  in  collo  c  irporis. 

L'Apôtre  nous  donne  une  belle  idée  de 
cette  économie  du  corps  mystique  dans  le 
chapitre  H  de  l'Epîlre  aux  Colossiens  :  il 
nous  dit  que  nous  devons  demeurer  attachés 
à  celui  qui  est  la  tête  et  le  chef,  duquel  tout  le 
corps  recevant  l'influence  par  tes  vaisseaux 
qui  enjoignent  et  en  lient  toutes  les  pa  lies, 
s'entretient  et  s'augmente  par  l'accroissement 
que  Dieu  lui  d  >nn  ;  et  voilà  ce  qui  marque 
une  dépendance  nécessaire  et  une  parfaite 
subordination  entre  le  Créateur  et  la  créa- 
ture. Aussi  cette  sainte  Mère  du  Sauveur  du 
monde  a-t-elle  pris  soin  de  nous  faire  enten- 
dre que  toute  cette  grandeur  cl  t. aile  e  lie 
puissance  est  on  effet  de  la  miséricorde  de 
celui  qm  a  daigné  regarder  la  bassesse  île  sa 
servante,  el  que  dans  la  succession  des  - 
clés  on  aura  raison  de  la  nomm  t  u* 

reuse,  puisque  tout  ce  qu'elle  a  de  grandeur, 
d'élévation  et  de  puissance  çsl  un  effet  de 


773 


SERMON  POUR  LE  JOUR  DE  L'ASSOMPTION. 


774 


son  bonheur  renfermé  dans  la  grâce  de  9on 
élection. 

C'est  sur  ce  principe  qu'en  parlant  de  Ma- 
rie les  Pères  se  sotU  quelquefois   servis    des 
ternies  qui   ne    lui  conviennent  pas  absolu- 
ment, à  prendre  les  choses  à  la  rigueur,  ter- 
mes dont   on   ne  doit  jamais  se  servir  dans 
l'exacte  théologie,  comme  de  l'appeler  toute- 
puissante,  de  dire  qu'elle  a  opéré  notre  salut, 
qu'elle  est  la  source  de  la  grâce,  qu'elle  est 
notre  espérance,   notre   consolation,  noire 
vie;  qu'elle  délie   les  chaînes  du  péché,   et 
d'autres  semblables  expressions  qu'on  trouve 
plus    particulièrement  dans  un    discours  de 
saint   Cyrille   d'Alexandrie,  prononcé  dans 
le   concile  d'Ephèse  ,    l'année  431,   en  pré- 
sence des  Pères  qui  le  composaient,  et  qu'en 
nous   a  si  souvent   reprochées   comme   les 
preuves  d'un   culte  idolâtre    qui  attribuait 
à. la  créature  ce  qui  ne  peut  appartenir  qu'à 
Dieu;   mais  la  mauvaise  foi  de  ce  reproche 
.  doit  exciter  notre  compassion.  Quel  est,  je 
ne  dis  pas  le  catholique,  mais  le  chrétien, 
qui  ait  jamais  eu  le  front  de  meitre  la  créa- 
ture à  la  place  du  Créateur?  Peut-on  croire 
que  pas  un  des  Pères  île  ce  concile  n'aurait 
eu  assez  de  zèle  pour   l'honneur  de  Dieu, 
pour  reprendre  un  évêque  qui  aurait  eu  ues 
sentiments  si  indignes  de  la  religion  et  si 
opposés  à  la  foi?  (ju'csl-ce  donc  qui  ne  voit 
pas  que  saint  Cyrille  et  tous   les  autres  que 
leur  zèle  pour  la  gloire  de  la  Mère  du  Sau- 
veur du  monde  semble  avoir  fait  excéder 
dans  leurs  expressions,  étaient  dans  les  sen- 
timenls  où  nous  sommes?  et  n'est-il  pas  évi- 
dent que  i'on  n'a  jamais  regardé  la  sainte 
Vierge  que  comme  une  créature  plus   favo- 
risée que  les  autres,  et  qu'on  ne  lui  a  attri- 
bué  tous  ces   titres  d'honneur  que  dans  la 
subordination  et   avec    la  dépendance   que 
nous  venons  d'expliquer  ?  Ils  pariaient  de- 
vant les  fn.èles,  qui  convenaient  des  mémos 
principes;  ils  parlaient   librement  un  lan- 
gage dont  le   sens  était  entendu  de  tout  le 
monde  ;  car  chacun  convenait  que  la  sainte 
Vierge  n'étaii  honorée  que  comme  Mère  de 
Dieu.  On  comprenait  fort   bien    que  tout  ce 
qu'on  attribuait  à  celte  excellente  créature 
était  rapporté  à  la  gloire  de  Dieu,  et  qu'on 
voulait  honorer  le  Fils  dans  la  Mère. 

Entrez  donc,  mes  frères,  dans  le  sens  d'un 
langage  qui  ne  peut  scandaliser  personne 
quand  il  est  entendu.  Nous  parlons  aujour- 
d'hui comme  tes  Pères  ont  parlé  autrefois; 
ils  ont  pensé  comme  nous  pensons  aujour- 
d'hui. Nous  établissons  notre  confiance  sur 
le  crédit  de  Marie,  et  son  crédit  sur  la  toute- 
puissance  de  son  Fils.  Etablis  sur  des  prin- 
cipes si  chrétiens  et  si  solides,  je  vous  ex- 
h  rie  à  meitre  voire  confiance  en  la  sainte 
Vierge.  Elle  est  pleine  de  charité  pour  nous, 
rien  ne  peut  nous  empêcher  de  l'appeler 
Mère  des  miséricordes;  il  est  certain  que 
Marie  a  pour  nous  la  tendresse  d'une  mère 
et  qu'elle  nous  regarde  comme  ses  enfants, 
c'est  une  q  alité  q  l'elie  a  acquise  en  deve- 
nant celle  du  Sauveur  du  monde;  elle  est 
la  nôtre  cou. me  elle  est  la  sienne,  quoique 
différemment;  car  elle  est  la  mère  de  Jésus- 


Christ  selon  la  chair,  et  la  nôlrc  selon  l'es- 
prit. Elle  lui  a  donné  la  nouvelle  nature 
dans  laquelle  il  convient  avec  nous;  mais 
par  cette  nouvelle  génération  qui  l'a  fait 
homme,  on  peut  dire  qu'elle  nous  a  acquis 
la  grâce  inestimable  de  participer  à  sa  na- 
ture éternelle  et  divine.  Elle  est  certainement, 
dit  saint  Augustin,  la  mère  (les  membres  de  Jé- 
sus-Christ, c'est-à-dire  de  tous  les  fidèles, 
puisqu'elle  est  véritablement  selon  la  chair  la 
mère  de  ce  chef  dont  nous  sommes  les  mem- 
bres. Or,  mes  frères,  il  ne  faut  pas  douter 
qu'elle  ne  soit  disposée  à  faire  à  notre  égard 
l'office  d'une  tendre  mère  et  qu'elle  n'en  ait 
les  sentiments. 

C'est  sans  doute  dans  cette  pensée  que 
l'Eglise  sainte  nous  inspire  de  nous  mettre 
sous  la  protection  de  cette  tendre  mère  au 
dernier  moment  de  notre  vie,  où  nous  devons 
recevoir  le  jugement  décisif  de  notre  éter- 
nité: Et  in  hora  mortis  nostrœ.  11  ne  faut 
pourtant  pas  porter  ces  vues  de  confiance 
au  delà  des  bornes  d'une  :age  discrétion,  de 
peur  qu'en  excédant  nous  ne  déshonoras- 
sions Marie.  C'est  cequi  arriverait,  mes  frè- 
res, si  nous  pensions  donner  à  Marie  la  mi- 
s  ricorde  en  partage,  laissant  la  justice  toute 
seule  à  Jésus-Christ,  en  sorte  qu'on  ne  le 
regardât  que  comme  un  juge  irrité,  qui  veut 
confondre  les  coupables,  et  Ma;ie  comme 
une  mère  de  miséricorde  qui  s'oppose  par  sa 
puissance  à  l'exécution  de  ses  desseins,  et 
qui  surmonte  sa  colère  et  son  indignation 
par  sa  tendresse  et  par  l'amour  qu'elle  a 
pour  les  hommes  pécheurs.  Ce  serait,  dis-je, 
un  horrible  blasphème,  mes  très-chers  frè- 
res, que  de  séparer  ainsi  Marie  d'avec  sou 
Fils.  Elle  ne  peut  avoir  d'autre  volonté  que 
la  sienne,  et  elle  enseigne  à  tous  les  hom- 
mes, en  la  personne  de  ceux  qui  servaient 
aux  noces  deCana,  où  elle  obtint  le  premier 
miracle  du  Sauveur  du  monde,  qu'elle  ne 
demandait  grâce  et  qu'elle  ne  l'obtenait  que 
pour  ceux  qui  faisaient  la  volonté  de  son. 
Fils  en  toutes  choses  :  Quodcunque  dixerii 
vobis,  facile. 

Hélas  1  mes  chers  frères,  si  Marie  pouvait 
se  séparer  de  Jésus-Christ,  qu'aurions-nous 
en  possédanlMarie,  qu'aurions-nous  si  nous 
n'avions  pas  Jésus-Christ?  La  tendresse  est 
réglée  par  la  discrétion,  elle  est  la  mère  de 
la  sagesse,  elle  demeure  dans  l'ordre  du 
souverain,  elle  obtient,  elle  n'accorde  pas. 
H  est  vrai  qu'elle  obtient  tout  ce  qu'elle  de- 
mande, mais  elle  ne  demande  que  ce  qui  est 
agréable  à  son  Fils,  et  ce  serait  la  déshono- 
rer extrêmement,  et  excéder  dans  notre  con- 
fiance d'une  manière  criminelle,  si  nous  es- 
périons qu'elle  nous  protégera  dans  nos 
péchés  contre  la  justice  de  Jésus- Christ,  et 
qu'il  y  eût  des  reserves  de  charité  dans  les 
entrailles  de  cette  mère  de  miséricorde,  ca- 
paiiles  de  sauver  ceux  qui  vivent  dans  les 
ordres,  et  qui  meurent  sans  pénitence  et 
sans  conversion. 

nez  donc  garde  à  ne  pas  vous  endormir 
sur    la   honne   loi   d'une   dévotion    aisée  et 
qui  ne  consiste  que  dans  des  pra- 
tiques extérieures,  et  qui,  saua  rvglcr  notre 


77.' 


OHATEUtS  SACRES.  DOM  JEROME. 


77<j 


cœur,  sans  détruire  nos  passions,  tant  nous 
mettre  dans  l'exercice  de  la  mortification  et 
de  la  pénitence,  nous  entretiennent  dans  la 
confiance  téméraire  det  oui  obtenir,  sans  rien 
faire,  de  la  miséricorde  de  celle  qui  ne  peut 
regarder  qu'avec  indignation  tous  ceux  qui 
n'aiment  point  son  Fils,  et  qui  ne  veulent 
pas  s'appliquer  comme  ils  doivent  à  l'aire  sa 
sainte  volonté. 

Souvenez-vous,  encore  une  fois,  de  l'ana- 
logie du  corps  que  je  vous  ai  exposée,  il  n'y 
a  qu'un  moment,  après  saint  l'aul.  Jésus- 
Christ  en  est  le  chef,  les  chrétiens  en  sont  les 
membres;  mais  les  influences  et  les  esprits 
qui  partent  du  chef  ne  se  répandent  qui:  sur 
les  membres  ;  ainsi  il  faut  être  du  corps 
mystique  de  Jésus-Christ,  il  faut  être  dans 
la  dépendance  du  chef,  pour  recevoir  ses  in- 
fluences qui  se  portent  aux  membres,  ce 
qui  ne  peut  être  si  nous  ne  vivons  de  la  vie 
du  chef  au  moins  dans  le  désir.  11  est  bon  de 
dire  le  chapelet,  de  porter  le  scapulaire,  le 
petit  habit  de  la  sainte  Vierge;  mais  il  faut 
qu'il  soit  doublé,  in  vestilu  deaurato.  L'ha- 
bit de  l'Eglise  est  une  robe  couverte  d'or, 
c'est-à-dire  de  la  charité. 

Sainte  Mère  du  Sauveur  du  monde,  obte- 
nez-nous les  bénédictions  de  votre  Fils  ado- 
rable, et  versez-les  sur  ce  discours,  afin  qu'il 
produise  les  effets  que  je  me  suis  proposés 
en  le  commençant.  Faites  auprès  de  Dieu 
par  votre  intercession  que  nos  frères  nou- 
vellement réunis  ouvrent  les  yeux  à  la  vé- 
rité, qu'ils  connaissent  que  nous  vous  hono- 
rons comme  vous  devez  et  comme  vous 
voulez  l'être,  c'est-à-dire  dans  la  personne 
de  votre  Fils,  de  qui  nous  ne  vous  sépare- 
rons jamais.  Qu'ils  sachent  que  nous  nous 
confions  en  vous  comme  Mère  de  Dieu,  et 
que  nous  ne  nous  séparerons  non  plus  de 
votre  puissance,  que  nous  ne  séparerons  vo- 
tre honneur  de  celui  de  votre  adorable  Fils. 

Oue  s'ils  ne  veulent  pas  ouvrir  les  yeux  à 
la  vérité,  ni  se  rendre  à  une  déclaration  si 
sincère  de  la  créance  et  de  la  foi  de  l'Eglise, 
faites  par  voire  intercession  que  les  enfants 
de  celte  Eglise  se  confirment  de  plus  en  plus 
dans  la  foi  et  dans  la  solide  piele  dont  ils 
vous  honorent,  afin  que  nous  disions,  dans 
lès  transports  de  notre  joie,  ce  quedisait  au- 
trefois saint  Bernard  :  Etsi  hœrelicus  non 
surrexit  de  Ecclesia ,  tamen  confirmatur  in 
fiâe.  C'est  le  fruit  »ie  la  glorieuse  entreprise 
que  notre  incomparable  monarque  a  exécu- 
tée d'une  manière  si  digne  de  celte  foi  pleine 
et  solide  que  Dieu  lui  a  donnée.  Il  a  ren- 
versé les  temples  que  la  rébellion  avait  éle- 
vés-, il  a  ruiné  le  culte  que  la  nécessité  avait 
obligé  de  souffrir.  Si  Dieu  n'a  pas  converti 
les  cœurs,  la  religion  au  moins  est  triom- 
phante, et  l'Eglise  de  France  est  redevable  à 
la  piété  de  Louis  le  Crand,  toujours  auguste 
el  toujours  invincible,  du  triomphe  qu'elle 
vient  île  remporter  sur  une  troupe  d'enfants 
révoltés  qui  insultaient  à  la  tendresse  et  à 
la  charité  de  cette  Mère  affligée,  qui -les  invi- 
taient à  rentrer  dans  l'union  depuis  plus  d'un 
siècle. 

Je  tous  invite  donc,  mes  très-chers  frères, 


à  joindre  votre  voix  à  celle  de  l'Eglise  pour 
rendre  grâces  au  ciel  des  soins  qu'il  prend 
ili  1 1  pandre  ses  dons  sur  la  personne  sacrée 
de  louis  le  Crand,  qui  est  le  fruit  des  vœu* 
si  chrétiens  de  Louis  le  Juste  ;  répandez  donc 
vos  cœnrs  devant  la  majesté  de  Dieu,  el 
rendez-vous  caution  pour  tout  le  royaume 
de  l'inviolable  fidélité  de  tous  les  sujets  qui 
le  i  omposent  à  remplir  les  vo:u\  de  leur 
prince  et  à  honorer  la  Mère  de  Dieu  d'un 
culte  digne  de  sa  grandeur. 

Ah!  que  le  triomphe  de  l'Eglise,  qui  est 
l'épouse  de  Jésus-Christ,  attirera  de  béné- 
dictions de  l'époux  sur  la  personne  sacrée 
el  sur  l'auguste  postérité  du  prince  qui  nous 
gouverne!  Demandons-les  par  l'intercession 
de  celle  que  l'Eglise  honore  en  ce  jour,  et 
mettons-nous  sous  sa  protection,  afin  qu'elle 
nous  conduise  à  son  Fils  adorable  pour  jouir 
de  la  gloire.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR    LE    DIX- HUITIÈME    DIMANCHE    APRÈS    LA 
PENTECÔTE. 

Sur  l'évangile  du  paralytique.  Motifs  de  con- 
solation, de  confiance  et  d'espérance  pour 
un  pécheur,  et  instructions  pour  un  péni- 
tent. 

El  ecce  oiïerebanl  paralylicum  jacenlem  in  leclo. 
On    lui  présenta    un  paralytique    couché  dans  un  fil 
(Mattli.,  IX,  2). 

L'évangile  que  l'Eglise  nous  propose  au- 
jourd'hui, mes  frères  ,  contient  ce  qui  se 
passa  dans  une  maison  de  la  ville  de  Ca- 
pharnaùm  où  le  Sauveur  du  monde  faisait 
sa  résidence  ordinaire.  Un  jour  qu'il  était 
dans  celte  maison,  il  s'assembla  autour  de 
lui  un  si  grand  nombre  de  personnes,  que  la 
maison  et  l'espace  d'auprès  la  porte  ne  les 
pouvaient  contenir.  Il  y  avait  auprès  de  lui 
îles  pharisiens  et  des  docteurs  de  la  loi  qui 
étaient  venus  de  tous  les  villages  de  la  Cali- 
lée,  du  pays  de  la  Judée  et  de  la  ville  de  Jé- 
rusalem. 11  leur  prêchait  à  tous  la  parole  de 
Dieu,  et  il  faisait  éclater  le  pouvoir  que  Dieu 
lui  avait  donné  pour  la  guérison  des  ma- 
lades. 

On  voulut  lui  présenter  un  paralytique, 
mais  on  ne  savait  par  où  le  faire  entrer,  à 
cause  de  la  foule  du  peuple.  Ceux  qui  le  por- 
taient montèrent  sur  le  toit  de  la  maison,  et 
ayant  fait  une  ouverture,  ils  descendirent  par 
là  le  lil  où  était  couche  le  malade,  qu'ils 
placèrent  devant  le  Fils  de  Dieu.  Jesus- 
Christ,  voyant  leur  foi,  dit  au  parai)  tique  : 
Mon  fils,  ayez  confiince,vos  péchés  vous  sont 
remis.  Ces  paroles  déplurent  aux  pharisiens 
et  aux  docteurs  qui  élaicnl  là,  et  ils  pen- 
saient en  eux-mêmes  que,  n'y  ayant  que 
Dieu  qui  puisse  remettre  les  péchés,  il  fal- 
lait que  lésas,  qui  s'attribuait  ce  pouvoir,  fût 
un  blasphémateur  ;  mais  lui,  qui  pénétrait 
le  fond  dei  cœurs,  leur  dit  :  Pourquoi  vous 
entretenez-vous  dans  ces  mauvaises  pensées? 
Lequel  croyez -vous  plus  aisé  de  dire  à  ce  pa- 
ralytique: Vos  pèches  vous  sont  pardonnes, 
et  tes  lui  remettre,  ou  bien  de  lui  duc  :  Lcvez- 
rous,  emportez  votre  lit  et  marchez.  Or,  afin 


777 


SERMON  POUR  LE  DIX-HUITIEME  DIMANCHE  APRES  LA  PENTECOTE. 


778 


que  vous  sachiez  que  le  Fils  de  l'homme  a  la 
puissance  de  remettre  les  péchés  :  Levez-vous, 
dit-il,  au  paralytique,  emportez  votre  lit,  et 
allez-vous-en  en  votre  maison.  Le  malade  se 
leva  en  même  temps  devant  tout  le  monde,  em- 
porta le  lit  où  il  était  couché ,  et  s'en  alla 
chez  lui  rendant  gloire  à  Dieu. 

Voilà  l'Evangile,  et  comme  tout  ce  qui  y 
est  rapporté  regarde  le  paralytique,  atta- 
chons-nous à  lui  sans  le  perdre  de  vue  dans 
ce  discours,  afin  de  tirer  de  ce  qui  le  regarde 
les  instructions  qui  nous  conviennent. 

Je  yeux  donc  le  considérer  dans  deux 
états  :  dans  celui  de  la  maladie  dont  il  désire 
de  guérir,  dans  celui  de  la  guérison  qu'il  a 
obtenue  de  Jésus-Christ. 

Je  vois,  mes  frères,  dans  ce  qui  lui  arrive 
avant  sa  guérison  une  idée  naturelle  de  tout 
ce  qui  peut  soutenir  et  consoler  un  pécheur 
qui  pense  à  se  convertir,  mais  qui  est  acca- 
blé par  le  poids  de  ses  péchés.  Je  vois  dans 
ce  que  le  Sauveur  du  monde  lui  dit,  après 
avoir  opéré  sa  guérison,  une  autre  idée  très- 
naturelle  de  la  conduite  que  doit  tenir  un 
pénitent  pour  assurer  sa  conversion  après 
l'avoir  obtenue  par  la  miséricorde  deDieu.  II 
n'y  a  donc  personne  qui  ne  soit  intéressé 
dans  cette  matière  ;  car  ou  il  faut  songer  sé- 
rieusement à  se  convertir,  ou  il  faut  s'appli- 
quer à  satisfaire  à  la  justice  de  Dieu  par  une 
pénitence  solide,  sage  et  persévérante,  et 
c'est  de  quoi  je  vais  vous  parler  dans  ce 
discours. 

Je  produirai  les  consolations  du  pécheur 
dans  le  secours  que  reçoit  le  paralytique 
malade  :  première  partie  ;  je  découvrirai  les 
instructions  du  pénitent  dans  les  avis  que 
le  Sauveur  du  monde  donne  au  paralytique 
guéri  :  seconde  partie. 

Ce  sera  toute  la  matière  de  ce  discours. 
Demandons  l'assistance  du  ciel.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Pour  ne  point  perdre  de  vue  notre  paraly- 
tique, comme  nous  nous  le  sommes  proposé, 
il  est  important,  avant  que  de  produire  le 
fondement  des  consolations  du  pécheur  sur 
les  secours  que  le  paralytique  reçoit  dans 
sa  maladie,  d'établir  une  égalité  de  disposi- 
tions entre  le  pécheur  que  nous  entreprenons 
de  consoler  et  le  paralytique  que  nous  vou- 
lons suivre. 

Or,  mes  frères,  ce  paralytique  voulait  gué- 
rir, c'est  ce  qui  l'obligea  implorer  le  secours 
de  ses  amis  pour  venir  trouver  le  Sauveur 
du  monde.  C'est  dans  cette  vue  qu'il  veut 
bien  sortir  de  sa  maison,  se  faire  porter 
dans  celle  où  était  .lésus-Christ,  et  s'exposer 
à  des  mouvements  aussi  violents  pour  un 
homme  réduit  dans  l'état  où  il  était,  que 
sont  ceux  d'être  élevé  à  force  de  br;is  sur  le 
toit  d'une  maison  ,  et  descendu  dans  le  lieu 
où  était  le  Sauveur  du  monde.  Tout  cela 
marque  le  désir  qu'il  avait  d'être  guéri.  Il  y 
a  môme  un  fondement  solide  de  croire  qu'il 
irait  la  santé  de  son  âme  préféra hlement 
à  celle  de  son  corps,  dont  il  abandonnait  le 
•soin  à  ses  amis,  puisque  Jésus-Christ  lui  re- 
mit ses  péchés  avant  que  de  le  délivrer  de 
Orateurs  sacrés.  XXX. 


ses  maux  ;  et  c'est  ce  qu'il  est  important 
d'établir  :  car  le  pécheur  que  nous  entrepre- 
nons de  consoler  doit  désirer  sa  conversion, 
il  faut  qu'il  veuille  guérir  :  prévenu  par  la 
miséricorde  divine,  il  faut  que  le  pécheur 
l'excite,  qu'il  l'enflamme,  qu'il  l'augmente, 
qu'il  la  fortifie  par  des  désirs  toujours  nou- 
veaux, afin  de  se  rendre  digne  d'obtenir  de 
Dieu  celte  volonté  saine,  forte,  capable  de 
faire  le  bien,  car  l'ouvrage  de  la  conversion 
a  son  commencement  et  son  progrès.  Or, 
cela  étant  supposé,  voici  les  fondements  de 
la  conversion  d'un  pécheur  qui  veut  se  con- 
vertir, et  revenir  à  Dieu  par  Jésus-Christ 
sur  l'idée  des  secours  et  des  avantages  que 
reçoit  le  paralytique. 

Ce  malade,  réduit  à  une  misère  extrême, 
incapable  de  marcher,  accablé  sous  le  poids 
de  ses  maux,  apprend  qu'il  y  a  dans  la  Ga- 
lilée et  dans  la  ville  même  de  Capharnaùm, 
qui  en  était  la  capitale,  un  médecin  fameux 
qui  guérit  tous  les  malades  qu'on  lui  pré- 
sente. On  lui  rapporte  qu'il  paraît  un  homme 
qui  fait  des  miracles,  qui  a  une  puissance 
absolue  sur  tous  les  maux,  sur  les  démons 
mêmes,  qui  rend  la  santé  aux  malades,  qui 
apaise  les  tempêtes,  qui  délivre  les  possédés, 
tout  cela  par  sa  seule  parole,  et  que  les  preu^ 
ves  de  toutes  ces  merveilles  sont  évidentes 
et  sensibles.  Voilà  sans  doute  un  grand  su- 
jet de  consolation  pour  un  pauvre  malade 
qui  souffre  depuis  longtemps  sans  aucune 
espérance  :  il  y  a  un  homme  qui  peut  me 
guérir,  car  il  en  a  guéri  une  infinité  d'autres  : 
premier  avautage. 

Mais  ce  malade  languit  depuis  plusieurs 
années,  il  est  sans  force;  tous  ses  membres, 
affaiblis  et  comme  morts  par  l'infirmité  qui 
l'accable,  le  rendent  incapable  de  s'aider. 
De  quoi  lui  sert-il  d'apprendre  qu'il  y  a  un 
médecin  qui  peut  le  guérir,  s'il  ne  lui  est  pas 
possible  de  l'aller  trouver?  Cette  nouvelle 
ne  peut  que  lui  donner  de  l'inquiétude  et 
augmenter  ses  maux;  muis  voici  quatre  de 
ses  amis  qui  s'offrent  de  le  porter  au  méde- 
cin, doter  tous  les  obstacles  qui  lepourraient 
empêcher  d'en  approcher,  de  le  mettre  sous 
ses  yeux  et  de  prier  pour  lui  :  second  avan- 
tage. 

il  y  est  porté,  on  le  met  devant  lui,  et  le 
médecin,  en  le  regardant,  ne  lui  demande 
autre  chose  pour  le  guérir,  sinon  qu'il  se  fie 
à  lui,  qu'il  ait  confiance  en  sa  capacité  et 
en  sa  vertu  :  Confide,  fili  :  troisième  avan- 
tage. 

Or,  chrétiens  pécheurs,  qui  languissez 
sous  le  poids  de  vos  iniquités,  voici  le  fon- 
dement de  votre  consolation,  entrez-y  bien  : 
il  y  a  un  Sauveur  qui  peut  et  qui  veut  opérer 
votre  conversion  :  première  consolation.  En 
supposant  votre  soumission,  les  conseils  de 
vos  amis  fidèles  vous  enseigneront  et  vous 
aideront  à  obtenir  votre  conversion  :  deuxiè- 
me consolation.  Vous  pouvez  vous  en  rendre 
dignes  par  votre  confiance  en  la  vertu  du 
Sauveur  :  troisième  consolation.  Expliquons 
tout  ceci,  et  réveillon.-,  les  pécheurs  qui  lan- 
guissent dans  leurs  iniquités. 

Je  viens  donc  à  ce  pauvre  pécheur  accablé 

25 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JER' 


77!i 

sons  le  poids  dp  sos  crimes,  el  qnf,  lerobla 
ble  à  ce  malade  de  l'Eva»nglle,  est  réduite 
ir  l'excès  de  sos  maux  p!  à  ne  \  ou  voir 
pas  f  ire  par  lui-même  le  moindre   mouve- 
ment pour  se  soulager,  et  je  viens  lui  dire 
qu'il  y  a  un  médecin  qui  veut  et  qui  peut  le 
guérir.    Ainsi,    pécheurs,    je    viens    à    vous 
comme  l'ange  aux    pasteurs  :  ne  craignez 
point,    car   je  viens  vous  apporter  une  nou- 
velle qui  sera   pour  tout   le  peuple  le    sujet 
d'une  grande  joie  :  c'rs!  qu'il  vous  est  ni  un 
Sauveur,  el  ce  Sauveur,  c'est  le  médiateur 
entre  Dieu  et  les  hommes.  Jésus-Christ  Hom- 
me-Dieu  :  Homo    Christus  Jésus.   Or,    m  s 
frères,  ce  médiateur,  cet  Homme-Dieu,  Jé- 
sus-Christ, a  la  puissance  de  guérir  les  mala- 
des et  de  convertir  les  pécheurs.  Il  peut  ren- 
dre la  santé  au  corps  et  revêtir  l'âme  de  la 
justice  :  l'un   sert   de  preuve  à   l'autre  dans 
notre   évangile,  et    c'est   par    cette   unique 
preuve   que   je  veux   réveiller  et  nourrir  la 
confiance  du  pécheur.  En  effet  il  n'est  Sau- 
veur qu"    parce  qu'il  remet  les  péchés  :  Jpse 
enim  salvum  faciet;  aussi  est-ce  de  la  rémis- 
sion des  péchés  qu'il  parle  d'abord  à  ce  ma- 
lade :  Confiée,  fi'i,  rèmittuntur  peccata  tua. 
Il  est  vrai  que  les  pharisiens  furent  setnda- 
lisés  de  cette  parole.  Que  veut-il  dire?  di- 
saient-ils; quel  autre  que  Dieu  peut  remettre 
les  péchés?  Cet   homme  a  assurément   pro- 
noncé dos   blasphèmes.  Mais  le  Sauveur  du 
monde  prit  celle  occasion  pour  les  convain- 
cre qu'il   était  le  Fils  de  Dieu  et  le  Messie 
promis  parle*  prophètes,  qui,  ayant  toute  la 
puissance  du    Père,  avait  par  conséquent  le 
pouvoir   de   remettre  les  péchés  ;   et  il  leur 
dit  :  La  rémission  des  péchés  que  je  promets 
à  cet  homme  est  une  grâce   invisible  et  un 
miracle  intérieur  sur  lequel  vous  ne  pouvez 
porter  aucun  jugement  ;  mais   voulez-vous 
recevoir  en  preuve,  pour  cet   effet  intérieur 
duquel  vous   ne  pouvez  juger,    un    miracle 
sensible  et  qui  tombera  sous  vos  veux?  Dites- 
moi  lequel  à  votre  gré  vous  paraîtra  plus  fa- 
cile,  ou  de  dire   à  cet  homme  :  Vos  péchés 
vous  sont  remis,  et  les   lui  remettre  en  e/jet, 
ou  de  lui  dire  :  Levez-vous  ,  et  le  mettre  en 
état    d'exécuter   ce   commandement   devant 
vous?  Or,  afin  que  vous   sachiez   que  je  puis 
faire  le  premier,  écoutez  ce  que  je  vais  dire; 
Levez-vous,   emportez   votre  lit,  el  voyez  ce 
que  cet   homme  va    faire  :  au  même  moment 
le  paralytique  se  leva;  ainsi  le  miracle  exté- 
rieur devint  la  preuve  du  miracle  intérieur, 
et  la  puissance  que  le  Sauveur  du  monde  a 
sur  l'âme    du  pécheur  pour   sa  justification 
demeure  constamment  établie  par  le  pou- 
voir qu'il  exerce  sur  le  corps  du  malade  pour 
sa  guerison.  El  voilà,  mes  frères,    le  fonde- 
ment  de  la  consolation  des  pécheurs,  de  sa- 
voir que  Jésus-Christ    peut  remettre  les  pé- 
chés, et  c'est  pour  leur  donner  celte  conso- 
lation qu'il  a  pris  soin  d'établir  si  solidement 
celle  vérité  capitale  de  la   religion.  Mais  s'il 
veut  que  les  Juifs  tirent  une  conséquence  en 
faveur  de  ce  qui   ne  paraissait    pis  a   leurs 
yeux,  d'un  fait  constantdontils  soûl  témoins, 
et  qu'ils  apprennent  ce  qu'il  est  capable  de 
produire  daiu  l'âme   par  ce  qu'il   opère  en 


780 


leur  présence,  pourquoi,  pécheur-  qui  I  'é- 
routez  et  qui   pei  retourner  à  lui,  M 

ez-VOUS    pas    en    voire    faveur   sur    ce 
■,  i.i'.     r  des  autres  ?  Une  foule 
de  faits  constants  et  de  miracles  extérieur! 
se  présente  à   vous   pour  confirmer   cette 
te  vertu  qu'il  a   de  remettre 
les  péché*  et  d'opérer  la  conversion.  lele* 
les  veux  sur  un  persécuteur  devenu  un  ajO- 
Ire,  el  jugez,  par  le  changement  si  extraor- 
dinaire «le  -a  conduite,  de  celui  a  :  lit 
dans  son  âme.  Considérez  cette  femme  -i  fa- 
meuse dans  l'Evangile  p;;r  ses  déréglemei 
une   si  célèbre  par  sa  fidélité;  1 1  mm 
nez-vo  is  que  de  pareils  prodiges  ne  peuvent 
être  que  des  effets  de  la  conversion  du  cour 
qu'opèrela  grâce  «le  Jésus-Christ  ;  mais  n  ou- 
bliez jamais   en    mémo  temps    que    Dieu   ne 
vous  propose  ces  exemples  fameux  que  pour 
nourrir  voire  espérance,  et  entrez  bien  dans 
cette  pensée  si  consolante  de  saint  Bernard, 
qui  considère  ce  qui   se  passa  dans  la  salle 
où  entra   celle   femme   pécheresse.    Elle   fit 
couler,  dit-il,  un  lorrent  de  larme   en  la  pr  - 
sence  du  Sauveur,  elle  versa  un  parfum  pré- 
cieux sur  ses  pieds  ;  ce  parfum  répandit  une 
odeur  qui  embauma  tous    les  conviés.  //  se 
passe,  dit  ce  saint  docteur,  quelque  chose  de 
semblable  dans  la  conversion  de  tous  les  pé- 
cheurs :  les  larmes  qu'ils  versent  sont  les  mar- 
ques de  leur  conversion,   on   toit  du  change- 
ment dans  leur  conduite,  leurs  bonnes  actions 
tiennent  lieu  d'un  parfum  précieux  auprès  de 
Jésus-Christ,  et  après  avoir  baigné  ses  pyds, 
il  en  sort  une  odeu-  d'espérance  propre  à  ré- 
veiller et  à  encourager  tous  les  pécheurs. 

Prenez  donc  part  à  cette  espérance,  pé- 
cheurs, soyez  convaincus  d'une  vérité  si  im- 
portante. Comme  ce  malade  trouva  des  amis 
qui  l'aidèrent,  le  pécheur  en  trouvera 
mémo  qui  le  secourront  :  et  quels  serait  si  s 
amis?  Ce  sont  les  membres  de  l'Eglise,  SWf 
frères,  les  fidèles  qui  prieront  pour  I  .i.  les 
ministres  de  Jésus-Christ,  les  pasteurs  de 
l'Eglise  qui  p-endront  soin  de  le  porter,  de 
l'élever  surletoil,  de  le  découvrir  pour  le 
lare  descendre,  et  pour  le  placer  auuresde 
lésus-Cbrist. 

Oui,  pécheur,  la  foi,  la  charité  de  1  Eglise, 
les  prières  de  tes  frères  t'ouvriront  un  che- 
min et  le  mettront  en  mouvement  pour  ap- 
procher de  Jesus-Christ  ;  car  les  VOBUX  H  les 
larmes  de  tout  le  corps  de  l'Eulise.  que  saint 
Augustin  appell  I  «  gé  nissemenl  de  la  co- 
lombe, obtiennent  au  pécheur  le  désir  de  sa 
conversion  pI  In  grâce  pour   la  demander. 

Mais  les  ministres  de  Jésus-Christ  et  les 
pasteurs  de  son  Eglise,  comme  les  amis  du 
paralytique,  le  porteront.  Or  qu'est-ce  que 
de  porter  ce  malade?  c'est  lui  faire  sen- 
tir les  effets  dune  charité  compatissante, 
éclairée,  tendre  et  prudente,  qui  n'a  rien  le 
rude,  rien  d'incommode,  rien  d'impérieux, 
rien  de  rebutant,  rien  de  précipite.  Charité 
dont  l'apôtre  saint  Pauloousadooi  él  idé  en 
disant  aux  Cabales  qu'if  In  "<  comme 

*  font  s  qu'il  avait  déjà  enfantés,   et  p  ur 
qui  ii  sentait  de  nouveau  1rs  dotil  urs  d 
fantement,  jusqu'à   w  î*<  Jcsus-Lltrtst  fit 


781 


SERMON  POUR  LE  DIX-HUITIEME  DIMANCHE  APRES  LA  PENTECOTE. 


782 


formé  en  eux  :  et  en  disant  encore  aux  Thes- 
saloniciens  :  Je  me  suis  comme  fait  enfant 
avec  vous,  de  même  qu'une  nourrice  qui  flatte 
et  qui  caresse  ses  enfants. 

C'est  dans  ces  expressions  si  touchantes 
que  lepécheurdoit  reconnaître  les  sentiments 
et  la  situation  de  ces  amis  fidèles  que  Dieu 
envoie  pour  le  soulager  dans  ses  faiblesses 
et  pour  l'aider  dans  l'exécution  du  désir  de 
s'approcher  de  Jésus-Christ  qu'il  a  formé 
dans  son  cœur.  11  faut  donc  qu'il  s'abandonne 
à  leur  charité  et  à  leurs  soins;  il  faut  qu'il 
les  choisisse  bien  et  qu'il  ne  se  livre  pas  im- 
prudemment.S'il  tombe  en  de  bonnes  mains, 
on  saura  s'accommodera  ses  faiblesses  sans 
le  flatter  dans  ses  passions,  on  saura  lui 
permettre  ce  qui  se  peut  souffrir  sans  l'éloi- 
gner des  règles  qu'il  faut  garder,  on  saura 
étudier  le  degré  de  la  grâce  de  Jésus-Christ, 
on  suivra  son  progrès,  on  examinera  ses 
opérations  pours'ajuster  à  ses  mouvements: 
ainsi  ces  amis  fidèles  le  porteront  pour  l'ap- 
procher de  Jésus-Christ,  ils  sauront  l'élever 
quand  il  en  sera  temps,  en  le  détachant  peu 
à  peu  des  pensées  de  la  terre  et  de  l'estime 
des  choses  présentes  ,  pour  lui  donner  des 
vues  plus  relevées  et  dignes  d'un  chrétien 
qui  est  formé  pour  le  ciel  et  destiné  à  jouir 
de  Dieu.  Ils  lui  apprendront  à  se  regarder 
du  côté  de  son  âme,  et  non  pas,  comme  il  a 
toujours  fait,  du  côté  de  son  corps  qui  doit 
périr. 

Mais,  après  l'avoir  élevé,  ils  prendront 
soin  de  découvrir  le  toit,  et  de  faire  en  sa  fa- 
veur une  ouverture  aisée  et  faciie  pour  ap- 
procher de  Jésus-Christ,  c'est-à-dire  qu'ils 
s'appliqueront  à  dissiper  toutes  les  difficultés 
qu'un  défaut  de  pratique,  qu'une  crainte  mal 
fondée,  qu'un  reste  de  respect  humain,  et 
que  les  égards  de  la  coutume,  qu'une  fausse 
délicatesse,  que  l'amour  de  nous-mêmes, 
qu'on  ne  quitte  point  absolument,  forment 
toujours  contre  les  suites  de  la  conversion, 
contre  les  œuvres  de  la  pénitence,  et  contre 
les  mouvements  qu'il  faut  faire  pour  s'ap- 
procher tout  à  fait  de  Jésus-Christ  et  en  re- 
cevoir l'entière  guérisoo  des  plaies  de  l'âme. 
Ainsi  déterminé  par  leurs  conseils,  animé 
par  leurs  paroles,  soutenu  par  leurs  exem- 
ples, il  se  ti  ouvera  aux  pieds  de  Jésus-Christ. 
Tvls  sont  les  secours  que  le  pécheur  doit 
attendre  do  la  charité  de  ces  amis  fidèles 
toi  jqurs  prêts  à  le  conduire  dans  les  voies 
dvi  salut,  à  I  aider  et  à  obtenir  la  guérison  de 
son  âme,  que  le  souverain  médecin  veut  et 
l  lui  accorder.  Car,  comme  dit  si  bien 
saint  Augustin,  il  a  plus  d'envie  de  nous  don- 
ner que  nous  de  recevoir,  il  désire  plus  do 
nous  tirer  de  nos  misère  i  que  nous  ne  sou- 
haitons d'er.  sortir:  Plus  vult  ille  misercri 
quain  vos  a  mil  ria  i.i-crari.  Que  l'homme 
doue,  ajoute  le  même  saint  Augustin,  rou- 
gisse de  sa  paresse  :  Erubescut  humana  pi- 
gritia;  car  enfin  le  pécheur  peut  se  rendre 
digne  d'obtenir  sa  conversion  par  sa  con- 
fiance en  la  vertu  de  son  médecin,  et  par  sa 
soumission  aux  conseils  de  ses  charitables 
amis. 

Il  s'agit  donc  de  vouloir  guérir;  car  si  ou 


le  veut  sincèrement,  cette  volouté  pleine  et 
sincère  renfermera  et  la  confiance  en  la 
vertu  de  Jésus-Christ  ,  et  la  soumission  à 
l'autorité  et  aux  soins  de  ses  ministres.  11 
est  vrai  que  c'est  lui-même  qui  donne  celte 
volonté  qu'il  nous  demande;  mais  fortifions 
cette  bonne  volonté  qu'il  nous  donne,  par 
nos  désirs,  par  nos  vœux,  par  nos  transports 
et  par  nos  soins  de  nous  séparer  de  tout  ce 
qui  peut  nourrir  un  amour  contraire  à  cette 
volonté. 

Alors  nous  avancerons  l'ouvrage  de  notre 
conversion  ,  nous  nous  rendrons  dignes  que 
le  médecin  opère  la  guérison  parfaite  de  nos 
âmes  ,  et  nous  nous  trouverons  auprès  de 
Jésus-Christ  presque  sans  peine,  et  avec 
une  facilité  qui  vient  de  la  douceur  et  de  la 
suavité  du  nouvel  amour  :  car  si  vous  dési- 
rez votre  conversion  ardemment  ,  disait 
saint  Paulin,  vous  trouverez  le  chemin  court 
et  facile;  mais  vous  le  trouverez  long  et  dif- 
ficile, si  vous  le  désirez  froidement. 

Achevons  de  vous  faire  sentir  les  consola- 
tions que  vous  devez  avoir  dans  votre  con- 
version; car  peut-être  nous  direz-vous  :  Je 
suis  persuadé,  je  suis  même  certain  que  Dieu 
peut  me  convertir,  mais  puis-je  assurer- qu'il 
le  voudra?  Les  exemples  que  vous  produi- 
sez sont  des  preuves  qu'il  a  le  pouvoir  de 
remettre  les  péchés  et  de  convertir  ceux 
qu'il  lui  plaît,  mais  sont-ce  des  assurances 
pour  moi  qu'il  me  convertira  ?  Ce  que  je 
puis  vous  répondre,  mon  cher  frère,  c'est 
qu'il  le  veut,  et  que  toutes  les  manières  dont 
il  s'est  expliqué  sur  cette  volonté  sont  géné- 
rales et  regardent  tous  les  pécheurs.  C'est  ce 
qui  t'ait  qu'il  dit  lui-même  qu'il  est  venu  pour 
appeler  les  pécheurs  à  la  pénitence,  que  le 
Fils  de  l'homme  est  venu  pour  chercher  et  pour 
sauver  ce  qui  était  perdu  ,  et  enfin  pour  ne 
pas  multiplier  ces  témoignages  à  l'infini,  l'a- 
pôtre saint  Paul  nous  dit  que  Jésus-Christ 
est  venu  dans  le  monde  sauver  les  pécheurs. 
Voilà,  mes  frères,  ce  qu'a  dit  le  Sauveur 
lui-même  ,  et  ce  qu'a  dit  son  apôtre  en  son 
nom  ;  voyons  maintenant  ce  que  Jésus-Christ 
a  fait  pour  nous. 

11  s'est  uni  par  une  charité  incompréhen- 
sible à  notre  nature  ,  il  a  voulu  être  une 
portion  de  notre  substance,  un  sang  de  no- 
tre sang,  une  chair  de  notre  chair,  et  tout 
cela  pour  nous  donner  celte  confiance  si  né- 
cessaire à  notre  salut  dans  les  faiblesses  et 
les  péchés  où  nous  sommes.  //  s'ett  Inimitié 
jusqu'à  la  mort,  et  à  la  mort  de  la  croix.  Il  y 
a  attaché  1$  péché }  gui  est  le  titre  de  la  dam- 
nation éternelle  ,  et  de  son  propre  sang  il  en 
a  effacé  les  caractères.  Quelles  frayeurs  no 
doivent  pas  s'apaiser  à  la  vue  de  cette  hos- 
tie divine  !  Appuyez-vous  sur  les  mérites  de 
Jesus-Chrisl ,  qui  est  l'Agneau  innocent  qui 
a  été  immolé,  el  qui  est  sur  le  trône  de  la  di- 
vinité, sur  lequel  il  peut  dire  qu'il  portera 
éternellement  dans  ses  plaies  el  dans  son 
sang  l'imagerie  son  sacrifice,  afin  de  fléchir 
la  justice  de'ou  Père,  el  d'obtenir  pour  nous 
les  effets  île  sa  miséricorde. 

Enfin  n'oublions  jamais  que,  comme  le  sa- 
lut vient  de  Dieu,  la  damnation  ne  vient  que 


;rj 


IEURS  SACRES.  F)OM  JEROME. 


;\à 


de  nous.  Adorons  la  justice  de  Dieu,  qoi  con- 
damne tant  de  coupables;  mais  soyons  as- 
surés que  ce  n'est  que  par  notre  propre 
faute  que  Dieu  nous  abandonne.il  veut  nous 
sauver,  il  est  mort  pour  tous,  que  tous  donc, 
espèrent.  Adorons  lout  ce  qui  passe  notre 
Intelligence,  mais  soyons  certains  ,  comme 
ledit  le  concile  de  Trente  ,  que  Dieu  ne  nous 
abandonne  qut  parce  que  nous  sommes  les 
premiers  qui  l'abandonnom.  Allons  donc  , 
comme  le  dit  l'Apôtre  ,  nous  présenter  avec 
confiance  devant  le  trône  de  la  grâce,  afin  d'y 
recevoir  miséricorde  et  d'y  trouver  les  secours 
de  sa  grâce  dans  nos  besoins. 

Voilà  les  consolations  que  j'avais  promises 
au  pécheur,  en* exposant  les  secours  que  re- 
çoit notre  malade  paralytique  de  l'Evangile. 
Écoutez,  pénitents,  vous  en  qui  Dieu  a  opéré 
la  guérison  des  plaies  de  l'âme  par  le  nouvel 
amour,  les  instructions  qui  vous  regardent; 
nous  les  tirerons  des  avis  que  le  Sauveur 
du  monde  donne  au  paralytique  qu'il  a  gué- 
ri :  c'est  le  second  point. 

SECONDE    PARTIE. 

Ce  serait  une  étrange  erreur  ,  mes  très- 
chers  frères,  que  de  croire  qu'un  pécheur 
que  Dieu  a  converti  par  sa  miséricorde  n'ait 
plus  besoin  de  lui,  et  que,  jouissant  en  paix 
du  bienfait  de  la  guérison  de  son  âme  ,  il 
peut  en  conserver  les  avantages,  sans  le  se- 
cours de  nouvelles  grâces  ,  qu'il  ne  peut  mé- 
riter que  par  un  travail  continuel.  A  Dieu 
ne  plaise  que  nous  entrions  dans  une  pensée 
si  contraire  aux  principes  de  la  religion  !  car 
c'est  un  article  de  la  foi  chrétienne  que,  sans 
un  secours  spécial  que  Dieu  ne  donne  pas  à 
tout  le  monde,  nous  ne  pouvons  demeurer 
dans  la  justice,  ni  persévérer  dans  la  grâce 
jusqu'à  la  fin  ;  et  c'est  pour  cela  que  l'Apôtre 
exhorte  les  chrétiens  à  opérer  leur  salut  avec 
crainte  et  avec  tremblement.  Confirmons  tou- 
tes ces  vérités  par  les  avis  que  le  Sauveur 
du  monde  donne  au  paralytique;  car,  après 
l'avoir  guéri  de  sa  maladie,  il  lui  dit  :  Levez- 
vous,  emportez  votre  lit,  et  allez-vous-en  en 
votre  maison.  Apprenons  donc,  des  avis  qu'il 
lui  donne,  les  instructions  que  nous  devons 
suivre  pour  assurer  la  guérison  de  notre 
âme  et  le  rétablissement  de  la  vie  de  Dieu  en 
nous,  c'est-à-dire  l'amour  de  Dieu,  qui  nous 
donne  des  mouvements  pour  le  salut  et 
nous  fait  marcher  dans  les  voies  de  justice  , 
qui  nous  conduit  à  notre  maison  ,  je  veux 
dire  à  la  gloire  éternelle  ,  laquelle  nous  est 
destinée,  comme  enfants  de  Dieu. 

Le  Sauveur  ordonna  trois  choses  à  ce  pa- 
ralytique :  1°  de  se  iever,  surge,  car  il  était 
dans  son  lit,  jacentem  in  lecto;  2'  ce  fut  de 
marcher,  ambula,  car  il  était  paralytique  et 
incapable  de  tout  mouvement,  qui  erat  para- 
ît/ticus;  3°  ce  fut  de  s'en  aller  dans  sa  mai- 
son, vade  in  domum  tuani,  car  il  en  était 
éloigné.  Or  ces  trois  avis  du  Sauveur  sont 
les  trois  importantes  instructions  qu'il  faut 
expliquer  au  pénitent  qui  veut  conserver 
la  santé  de  son  âme  opéiéc  par-«a  conver- 
sion. 

Il  faut  donc  d'abord  qu'il  seule  combien  il 
est  beureux  pour  lui  de  pouvoir  être  levé  , 


surge;  et  pourquoi  cria'.'  c'est  qne  le  péché 
est  une  effroyable  chute  •  l'Ecriture  n'en  a 

jamais  parlé  autrement.  Bll  effet,  saint  Jean 
nous  l'apprend  eu  parlant  du  péché  de 
l'ange.  Cumulent  es-tu  tombé  du  ciel,  Lucifer, 
toi  '/ui  paraissais  si  brillant  au  point  du  jour  ! 
Et  l'apôtre  saint  l'aul,  qui  exhorte  les  Bphé- 
sieni  à  quitter  le  péché  ,  leur  dit  :  Levez- 
vous ,  vous  gui  dormez;  sortez  d'entre  les 
morts,  et  Jésus-<  in  tst  vous  éclairera.  Celle 
expression  de  saint  l'aul,  qui  joint  les  ténè- 
bres a  la  chute,  nous  apprend  comment  le  pé- 
ché en  est  une  véritable,  que  nous  ne  faisons 
qu'a  cause  que  nous  fermons  les  yeux  à  la 
lumière;  mais  pour  la  bien  comprendre  il 
faut  se  représenter  ce  que  c'est  que  l'homme 
revêtu  de  la  grâce  de  Jésus-Christ,  et  ce  que 
ce  même  homme  devient  lorsqu'il  en  est  dé- 
pouillé par  le  péché. 

Le  prophète  royal  nous  marque  l'un  et 
l'autre  lorsqu'il  nous  dit  :  L'homme  étant 
dans  l'honneur  ne  l'a  pas  compris  ;  il  a  été  mis 
au  rang  des  bêles  sans  raison,  et  il  leur  est 
devenu  semblable.  Vous  voyez  dans  ces  pa- 
roles une  idée  de  ce  que  l'homme  est  par  la 
grâce  et  ce  qu'il  devient  par  le  péché.  Sa  di- 
gnité est  d'avoir  été  créé  à  l'image  de  Dieu  , 
d'avoir  reçu  de  son  Créateur  le  pouvoir  de 
le  connaître  cl  de  l'aimer;  sa  dignité  est  d'ê- 
tre le  frère  de  Jésus-Christ,  et  par  lui  enfant 
adoplif  de  son  Père  éternel,  l'héritier  de  sa 
gloire,  élevé  au-dessus  de  tout  ce  qui  est  pé- 
rissable et  destiné  à  posséder  des  biens  infi- 
nis et  étemels  :  voilà  ce  qu'il  est  par  la 
grâce.  Mais  qu'est  devenu  cet  homme  par  le 
péché?  il  est  mis  au  rang  des  bêtes  ,  il  a  ef- 
facé l'image  de  Dieu  en  lui  pour  port>  r  celle 
du  démon  ;  il  a  renoncé  à  la  dignité  d'enfant 
de  Dieu  pour  se  rendre  l'esclave  de  sou  en- 
nemi; il  a  méprisé  son  héritage  et  les  biens 
infinis  qu'il  lui  avait  préparés,  pour  courir 
après  un  fantôme  et  pour  suivre  ce  qui  n'a 
qu'une  vaine  apparence  de  bien. 

Voilà  la  chute  déplorable  que  le  péché  fait 
faire  à  l'homme;  voilà  les  funestes  effets  de 
son  attachement  à  la  terre  et  de  ce  repos 
trompeur  et  criminel  qu'il  cherche  dans  la 
jouissance  déréglée  des  créatures  qui  fait  ce 
renversement.  11  devient  semblable  aux  bê- 
tes, et  comme  elles  il  agit  sans  connaissance 
et  sans  raison.  De  là  .  mes  frères ,  il  est  aisé 
de  comprendre  le  bonheur  d'un  pénitent  qui 
se  sent  capable,  par  la  grâce  de  Jesus-Chrisl, 
d'être  relevé  ;  car  c'est  ai  oir  quitte  cette  v  oie 
d'égarement  qui  nous  conduit  à  notre  porte, 
c'est  avoir  quitté  la  créature  pour  l'Etre 
souverain,  et  mépriser  ce  qui  passe  si  légè- 
rement pour  ce  qui  est  éternel:  c'est  estimer 
les  choses  ce  qu'elles  raient  :  Dieu  sur  lout, 
les  créatures  par  rapport  à  Dieu;  l'élerniie 
prélérablemenl  à  toutes  choses,  et  toutes 
choses  dans  l'ordre  du  salut  éternel  et  comme 
des  moyens  et  des  voies  pour  y  arriver.  Mes 
frères,  la  foi  seule  ne  suffit  pas  pour  le  saint, 
il  faut  des  œuvres;  la  voie  du  salut  est  l'u- 
nion de  la  foi  et  des  <euvres.  l.e  juste  et 
l'homme  de  bien,  c'est  celui  qui  croit  comme 
l'Eglise  et  q ii i  agit  comme  il  croit. 
Sur  ces  principes-là  qui  appartiennent  à 


785 


SERMON  POUR  LE  DIX-HUITIEME  DIMANCHE  APRES  LA  PENTECOTE. 


78<i 


la  foi  ,  quel  est  le  véritable  pénitent?  c'est 
celui  qui ,  ayant  renoncé  à  son  péché  ,  l'ex- 
pie par  la  satisfaction  et  par  les  oeuvres  la- 
borieuses ;  car  vouloir  simplement  le  détes- 
ter, ce  n'est  pas,  dit  le  pape  saint  Grégoire, 
être  un  véritable  pénitent;  il  faut  non-seule- 
ment que  l'amour  de  Dieu  en  forme  dans  le 
cœur  une  détestalion  sincère ,  mais  il  faut 
encore  que  le  même  amour  nous  applique 
à  l'effacer  par  une  satisfaction  sérieuse  ,  lé- 
gitime, proportionnée,  sage  et  laborieuse. 
Voilà  la  première  règle  renfermée  dans  le 
premier  conseil  que  Jésus-Christ  donne  au 
paralytique  de  noire  évangile. 

La  seconde  renferme  un  des  principaux 
moyens  pour  accomplir  ce  premier  précepte 
et  pour  acquérir  la  solidité  si  essentielle  à 
la  conversion,  et  c'est  proprement  la  pre- 
mière œuvre  du  pécheur  converti,  ou  la  pre- 
mière démarche  du  pénitent  qui  vient  de  se 
lever  et  qui  est  debout  :  elle  consiste  à  em- 
porter son  lit.  Qu'est-ce  que  cela  signifie,  et 
comment  emporte-t-on  sou  lit?  c'est  en 
éloignant  toutes  les  occasions  du  péché  ,  en 
ôlant  tout  ce  qui  a  pu  servir  à  l'iniquité,  en 
se  privant  des  choses  dans  lesquelles  le  pé- 
cheur prenait  un  repos  criminel  ;  il  faut  qu'il 
n'en  paraisse  ni  trace  ni  vestige;  le  lit  du 
paralytique  est  enlevé,  on  n'en  voit  plus 
rien. 

Cette  seconde  règle  est  fondée  sur  cette 
vérité,  essentielle  dans  la  doctrine  de  la  pé- 
nitence, qu'il  ne  peut  y  avoir  de  vraie  et  so- 
lide pénitence  si  ou  ne  se  sépare  de  toutes 
les  occasions  du  péché;  car  pour  qu'elle  soit 
véritable  elle  doit  être  sincère,  et  comment 
pourrait-elle  être  sincère  si  on  conserve  en- 
core quelque  chose  qui  appartienne  au  pé- 
ché ?  Non,  mes  frères,  cela  ne  peut  pas  être, 
on  rejette  bien  loin  et  on  éloigne  de  devant 
ses  yeux  ce  qu'on  hait  véritablement.  Pour 
être  parfaite  elle  doit  être  de  durée,  car  toute 
pénitence  qui  est  suivie  d'une  prompte  re- 
chute dans  le  péché  n'a  point  ce  qui  doit  la 
faire  passer  pour  véritable,  au  jugement  des 
saints  Pères  de  l'Eglise,  et  comment  pourra- 
t-elle  être  de  durée  si  vous  conservez  des 
choses  qui  par  elles-mêmes  vous  portent  à 
retomber  dans  le  péché? 

Il  faut  donc  quitter  les  compagnies  dan- 
gereuses par  elles- mêmes  ou  par  la  dissipa- 
tion qu'elles  procurent,  rompre  tous  ces 
commerces  illicites  ,  abandonner  ceux  dont 
la  société  nous  entraîne  dans  le  désordre  :  il 
n'y  a  sans  cela  ni  conversion,  ni  pénitence, 
ni  guérison. 

Enfin,  la  troisième  règle  consiste  à  donner 
des  preuves  solides  et  sensibles  du  rétablis- 
sement de  la  santé  :  car  non-seulement  il 
faut  que  le  Lt  soit  ôlé  et  qu'il  ne  paraisse  plus 
aucun  vestige  de  maladie,  mais  il  faut  qu'on 
voie  des  marques  du  rétablissement  par  la 
pratique  des  œuvres  contraires  aux  faibles- 
ses de  la  maladie  et  aux  désordres  du  péché. 
//  se  leva  en  même  temps,  dit  l'Evangile,  il 
emporta  son  lit  et  s'en  alla.  Ceci  nous  figure 
une  vérité  fondamentale  dans  l'œuvre  de  la 
justification,  c'est  que  tout  homme  qui  est 
justifié  doit  être  une  nouvelle  créature  en  Jé- 


sus-Christ; car  comme  cet  homme  qui  avait 
été  créé  à  l'image  de  Dieu  a  été  tellement 
défiguré  par  le  péché  qu'il  n'était  plus  re- 
connaissable,  il  faut  que  la  grâce  de  Jésus- 
Christ  le  renouvelle,  qu'elle  forme  en  lui  de 
nouveau  les  traits  d'enfant  de  Dieu  sur  Jésus- 
Christ,  qui  est  l'original  et  comme  l'image 
de  Dieu  invisible,  et  c'est  ce  qui  se  fait  parla, 
pratique  des  vertus.  Et  de  même  que  l'image, 
du  vieil  homme  a  été  formée  en  nous  par  ses. 
œuvres,  comme  parle  saint  Paul,  qui  senties 
actes  du  péché  qui  nous  avaient  rendus  ses 
esclaves,  il  faut  que  l'image  de  Jésus-Christ 
soit  formée  en  nous  par  les  œuvres,  c'est-à- 
dire  par  des  actions  contraires  à  celles  qui 
Pavaient  effacé.  Ainsi,  ce  paralytique  qui 
était  couché  se  lève  ;  il  languissait  sur  son 
lit,  il  le  porte  et  il  s'en  va  dans  sa  maison  en 
rendant  gloire  au  Seigneur  :  c'est  ce  qui  est 
renfermé  dans  le  troisième  conseil  que  Jésus- 
Christ  lui  donne. 

Or,  mes  frères,  il  est  aisé  de  comprendre 
ce  que  c'est  que  d'aller  dans  sa  maison,  pour 
un  homme  que  la  grâce  de  Jésus-Christ  a 
converti,  à  qui  il  a  ouvert  les  yeux  pour  lui 
faire  voir  la  chute  et  l'aveuglement  déplora- 
ble de  son  chois,  à  qui  il  a  fait  rompre  les 
liens  qui  l'y  tenaient  encore  attaché,  et  à  qui 
il  a  donné  la  force  d'emporter  son  lit  et  de 
marcher.  Qu'est-ce  pour  cet  homme-là  que 
d'aller  dans  sa  maison?  c'est  de  n'avoir  qu'un 
désir,  et  de  dire  comme  le  Prophète  :  J'ai  de- 
mandé à  Dieu  une  chose,  et  je  la  lui  deman- 
derai toujours,  qui  est  d'habiter  dans  la  mai- 
son du  Seigneur.  Imaginez- vous,  mes  frères, 
quelle  dut  être  la  pensée  de  ce  paralytique 
lorsqu'il  se  vit  guéri  :  ce  fut  sans  doute  de 
retourner  dans  sa  maison  pour  faire  part  de 
sa  joie  et  de  son  bonheur  à  sa  famille,  et  de 
jouir  avec  eux  du  rétablissement  de  sa  santé. 
Il  était  sans  doute  dans  l'empressement  d'al- 
ler prendre  comme  une  nouvelle  possession 
de  ses  biens,  qu'il  avait  perdus  en  quelque 
sorte  ,  parce  que  son  incommodité  l'avait 
empêché  d'en  jouir.  Telle  doit  être  la  dispo- 
sition d'un  pécheur  converti  :  il  ue  doit  plus 
avoir  de  pensée  que  pour  la  maison  du  Sei- 
gneur, que  pour  cet  héritage  éternel  :  sem- 
blable au  peuple  de  Dieu  retournant  à  Jéru- 
salem après  une  longue  captivité  :  Je  me  ré- 
jouis, disait  ce  peuple,  à  cause  de  ce  qui  m'a 
été  dit  que  nous  irons  dans  la  maison  du  Sei- 
gneur. L'amour  des  biens  présents  ne  doit 
plus  être  dans  son  cœur;  relevé  de  sa  chute 
funeste,  il  ne  doit  plus  porter  sa  vue  que  vers 
celle  Jérusalem  céleste;  il  ne  doit  plus  se 
proposer  que  l'acquisition  de  ce  bien  unique 
dans  tous  les  moments  de  sa  vie;  il  doit  être 
attentif  à  considérer  si  tout  ce  qu'il  entre- 
prend et  tout  ce  qu'il  fait  le  conduit  à  celle 
fin;  il  doit  se  dire  souvent  à  lui-même  :  Le 
Seigneur  m'ordonne  d'aller  dans  ma  maison, 
ce  que  je  fais  ne  m'en  détourne-t-il  point?  Al- 
ler dans  sa  maison,  c'est  employer  le  moyen 
qui  peut  nous  faire  arriver  à  cette  fin  uni- 
que, c'est-à-dire  l'amour  do  Dieu  qui  peut 
nous  conduire  tous  dans  celte  maison,  ne  dé- 
sirant, ne  faisant  que  ce  qui  nous  y  peut  in- 
troduire, ne  le  faisant  que  pour  plaire  à  Dieu, 


^87 


ORATEURS  SACHES.  l.OM  JEROME. 


' 


ci  n'agissant  qu'à  cause  qu'on  l'aime  si  en 
l'aimant,  et  pour  l'aimer  durant  tonte  l'éti  - 
Élite.  Celui  «|ui  vil  de  celle  manière  rend 
gloire  À  Dieu,  quelque  long  que  soit  soit 
voyage  et  quelque  temps  que  le  Seigneur 
veuille  différer  l'heuveux  moment  de  sou 
rappel. 

Voilà,  nies  très-chers  frères,  l'exposition 
simple  et  naturelle  des  avis  que  le  Sauveur 
du  momie  donne  au  paralytique  de  notre 
évangile  après  l'avoir  guéri,  et  dans  ces  avis 
les  instructions  que  le  pénitent  doit  suivre 
servent  à  confirmer  sa  guérison  et  à  sortir 
entièrement  de  cette  paralysie  de  l'âme,  si 
commune  et  si  dangereuse,  figurée  par  celle 
de  cet  homme;  mais  à  quoi  noua  servirai!  de 
les  avoir  reçus  si  nous  ne  recourons  à  celui 
qui  peut  seul  nous  mettre  en  étal  de  les  sui- 
vre? C'est  donc  à  vous,  ô  mon  Sauveur,  que 
nous  avons  recours  I  Nous  croyons  que  vous 
êtes  le  souverain  et  l'unique  médecin  de  nos 
âmes,  que  vous  avez  la  puissance  et  la  vo- 
lonté de  nous  guérir,  et  nous  recourons  à 
votre  miséricorde  pour  vous  supplier  de  nous 
guérir,  comme  vous  avez  guéri  le  paralyti- 
que de  notre  évangile. 

Adressez-nous,  Seigneur,  à  des  amis  fidè- 
les qui  prient  pour  nous,  mais  qui  ne  nous 
entretiennent  point  dans  nos  maladies  par 
une  lâche  complaisance  ,  et  qui  ,  dans  la 
crainte  de  nous  causer  quelque  douleur  pré- 
sente, ne  nous  exposent  pas  à  en  souffrir 
d'effroyables  dans  l'éternité,  mais  qui  nous 
portent  à  vous  et  qui  n'aient  d'autre  soin  que 
de  nous  approcher  de  vous. 

Donnez -nous  cette  conGance  en  votre 
vertu,  qui  ne  peut  venir  que  de  votre  grâce; 
cette  soumission  aux  conseils  de  ceux  qui 
nous  portent  à  vous,  qui  ne  peut  être  qu'un 
effet  de  celte  foi  vive  qui  vient  de  vous.  Oué- 
rissez-nous,  Seigneur,  et  alors  nous  serons 
guéris.  Si  une  fois  nous  le  sommes,  nous 
marcherons  dans  les  voies  de  la  justice,  et 
toujours  soutenus  par  de  nouveaux  secours 
de  votre  grâce  qui  surmonteront  toutes  nos 
faiblesses,  nous  avancerons  à  grands  pas 
vers  cette  maison  permanente  où  nous  trou- 
verons uu  repos  éternel.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR  LA   FÊTE    OE   SAINT   MAUR,    ABBÉ. 

(15  janvier.) 

Gratia  Dei  suai  id  quod  suui,  et  gratis  ejus  in  me  vacua 
nofi  fuit. 

Ce  que  y  suis,  c'est  par  la  grâce  de  Dieu  que  je  le  suis, 
et  sa  grâce  n'a  point  été  inutile  en  moi  (l  Cor.,  XV,  10). 

Comme  c'est  la  miséricorde  du  Sauveur  qui 
fait  les  saints,  on  ne  peut  parler  d'eux  sans 
exposer  leur  conduite  aux  yeux  des  chré- 
tiens comme  uu  modèle  qu'ils  doivent  imiter, 
et  sans  découvrir  la  conduite  de  la  grâce  sur 
eux  et  leur  conduite  par  la  grâce.  C'est,  mes 
frères,  l'idée  que  j'ai  prise  dans  ces  paroles 
de  l'Apôtre  pour  l'appliquer  au  grand  saint 
Maur,  de  qui  la  solennité  nous  assemble  : 
Gratia  Dei  mm  id  quod  sum  :  C'est  la  miséri- 
corde du  Sauveur  qui  l'a  élevé  à  ce  point  de 
saiuteté  qui  le  rend  l'objet  de  notre  vénéra 
tiou,  el  c'est  en  suivant  les  mouvements 


de 


11-  n'j  est    ,-irri\é.     A  <  1  !  j  . .  i  l»C 

i  cil  qui   l'a  prévenu  t  el  lâchons 

livre  I  -  menti  de  cette  grdet   qui 

l'a  conduit.   Voyons  comme  i 
point  clé  inutile  en  lui,  examinons  se<  u|    - 
ratio 

quel*  mouvements  il  est  a  oint  de 

sainteté  qui  le  r<  ad  aujourd'hui   l'obji  t  des 
honneurs  qu'i   reçoit.  Or.  o  i   peut  eonsi  I 
rcr  la  grâce  du  Sauveur  dans  ce  .  il 

en  irois  différents  temps,  qui    ont  part 
toute  sa  vie  :  dans  sou  commencement,  dans 
son  progrès,  dans  sa  consommation. 

Dans  son  commencement,  elle  est  cou    r- 
vée  par  les  soins  d'u n  -éducation  l   ule  saii. 
première  partie  ;  dans    son    progrès,  elle  Oit 
augmentée  par  les  exercices  dune  vie  lab  >- 
rieuse:  deuxième  partie;  cel     .  ne   lui 

ayant  point  été  donnée  pour  lui  seul,  nous 
ajoutons  que  dans  sa  consommation  elle  est 
communiquée  par  les  effusions  d'une  char, té 
ardente  :  troisième  partie. 

Voilà  les  opérations  de  la  grâce  en   saint 
Maur.  Demandons  les  lumières  du  Saiul-!. 
prit.  Ave,  Maria. 

PUUIÈBB    PAKTIE. 

La  miséricorde  que  Dieu  fit  à  saint  Maur 
consista  d'abord,  nies  frères,  à  disposer  les 
choses  de  telle  sorte  qu'étant  sort,  du  inonde 
dès  sa  tendre  jeunesse,  il  le  conduisit  dans  la 
solitude  de  Sublac ,  où  l'innocence  el  la 
grâce  dont  il  l'avait  prévenu  furent  conser- 
vées par  les  soins  d'une  éducation  sa. nie. 
Mais  je  ne  puis  vous  exposer  parfaitement 
toutes  les  circonstances  de  celle  miséricorde 
cl  de  ce  premier  mouvement  de  la  grâce,  sans 
vous  parler  de  trois  personnes  qui  y  eurent 
part.  La  première,  c'est  Equice,  père  de  saint 
Maur,  qui  le  présenta  au  monastère;  la  se- 
conde, ce  fut  saint  Benoît,  qui  le  reçut:  ella 
troisième,  ce  fut  saint  Maur  lui-même,  qui  y 
enlra;  et  pour  exposer  loutes  les  circonsl 
ces  de  cette  miséricorde,  il  faut  reconnaître 
la  sagesse  d'Kquice  qui  le  présente,  la  sain- 
teté de  saint  Benoit  qui  l'instruit,  et  le  bon- 
heur de  Maur  qui  reçut  ses  instructions. 
Toutes  ces  choses  sont  admirablement  dispo- 
sées par  la  Providence,  et  elle  les  fail  entrer 
dans  l'ordre  des  desseins  qu'elle  a  formés  sur 
notre  saiul. 

En  effet,  mes  frères,  ne  doit-on  pas  recon- 
naître que  ce  fut  un  effet  des  dispositions  de 
la  Providence  d'inspirer  à  Equice  de  quitter 
Rome  pour  aller  visiter  saint  Benoit  daus  la 
solitude  de  Sublae,  et  pour  être  témoin  des 
merveilles  que  Dieu  opérait  eu  la  personne 
de  ces  saints  solitaires,  el  cela  non  par  une 
simple  curiosité,  mais  avec  le  dessein  de 
mettre  son  enfant  entre  les  mains  de  saint 
Benoit  pour  le  charger  des  soins  de  son  i  do- 
câlionï  Ne  faut-il  pas  dire  que  ce  fui  1'. 
d'une  sage-se  admirable  que  Dieu  av.  il  ri 
sée  dans  Pâme  de  ce  g  and  seigneur?  Car  y 
a-l-il  rien  de  si  oppose  a  l'esprit  du  monde 
que  celte  conduite?  quelle  éducation  pouvait 
recevoir  dans  une  solitude  le  Gis  d'un  séna- 
teur romain?  que  pouvait  apprend  parmi 
des  solitaires  un  jeune  homme  né  dans  l'é- 
clat, et  des  90  le  cours  de  sa  fortune, 


789 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINT  MAUR. 


790 


à  entrer  dans  celle  de  son  père  et  à  succéder 
à  ses  charges  et  à  ses  emplois?  Mes  frères, 
il  fallait  qu'Equice  fût  prévenu  des  lumières 
d'une  sagesse  toute  divine  pour  ne  vc.irdans 
son  fils  que  la  qualité  de  chrétien,  et  pour 
oublier  sa  naissance  et  sa  fortune;  pour  ne 
voir  que  les  périls  du  inonde,  et  n'eu  consi- 
dérer la  grandeur  et  l'état  que  comme  un 
obstacle  au  salut;  pour  s'oublier  enfin  lui- 
même,  étouffer  sa  tendresse,  renoncer  à  son 
enfant,  et  ne  se  souvenir  uniquement  que  de 
son  devoir  et  de  l'importante  obligation  de 
conservera  Dieu  ce  qu'il  avait  reçu  de  lui. 

Reconnaissons  donc  la  sagesse  d'Equipe, 
qui  le  présente  malgré  les  fausses  lumières 
de  la  sagesse  trompeuse  du  monde,  et  admi- 
rons aussi  la  charité  de  saint  Benoît,  qui  in- 
terrompt sa  retraite  et  qui  ouvre  son  monas- 
tère pour  y  recevoir  des  personnes  dont  la 
manière  et  la  conduite  sont  si  opposées  à 
celles  des  solitaires  Mais  Dieu  avait  destiné 
ce  grand  saint  pour  travailler  dans  le  cin- 
quième siècle  au  rétablissement  de  la  disci- 
pline de  l'Eglise,  qui  lui  est  redevable  de 
beaucoup  de  choses.  Considérons  que  la  cor- 
ruption des  mœurs  s'introduit  dans  l'Eglise, 
quelque  soin  que  les  évêques  prennent  d'in- 
struire en  public  et  de  s'élever  contre  les 
vices,  si  l'on  ne  prend  soin  dans  les  familles 
d'élever  les  entants  selon  l'esprit  de  l'Evan- 
gile. Car  si  on  les  élève  selon  l'esprit  du 
monde,  à  mesure  qu'ils  avanceront  en  âge, 
et  même  qu'ils  participeront  à  nos  saints 
mystères,  ce  seront  de  nouveaux  ennemis  de 
la  discipline  qui  fortifieront  le  parti  de  la 
corruption.  Il  n'y  a  donc  presque  que  par  la 
sainte  éducation  des  enfants  qu'on  puisse  ré- 
tablir la  pureté  de  la  discipline. 

Ce  fut  ce  zèle  pour  la  beauté  de  l'Eglise  qui 
obligea  saint  Benoît  d'ouvrir  ses  monastères 
aux  enfants  pour  les  y  recevoir,  et  de  les  ad- 
mettre dans  la  solitude  pour  y  conserver  l'in- 
nocence de  leur  baptême  et  les  établir  dans 
l'esprit  du  christianisme,  afin  que  si  Dieu 
les  rappelait  ensuite  dans  le  inoude,  ils  fus- 
sent plus  capables  de  résister  à  sa  corrup- 
tion, et  qu'ils  pussent  porter  aux  autres  l'o- 
deur de  la  vertu  dont  ils  s'étaient  remplis 
dans  le  monastère.  Il  ne  quittait  pas  sa  so- 
litude pour  aller  les  chercher,  mais  il  leur 
permettait  d'y  venir  sucer  la  piété  dans  un 
âge  où  on  ne  devait  pas  craindre  qu'ils  y  ap- 
portassent la  corruption.  Saint  Maur  était 
dans  cet  état  lorsqu'il  y  fut  offert  par  Equlce. 
sou  père,  et  saint  Benoit  n'hésita  pas  à  le 
recevoir;  car,  outre  ces  vues  générales  de 
charité,  il  en  oui  de  particulières  sur  sa  per- 
sonne: il  était  son  parent,  et  cette  alliance 
l'intéressait  davantage  dans  son  salut. 

Ce  fut  ainsi  que  la  provider.ee  de  Dieu  dis- 
posa ce  qui  était  nécessaire  pour  faire  réus- 
sir les  desseins  qu'elle  avait  formés  sur  saint 
Maur,  et  que  ce  jeune  homme  se  vit  heureu- 
sement dans  un  lieu  propre  à  conserver  son 
innocence  et  à  augmenter  la  miséricorde  de 
Dieu  et  les  dons  qu'il  avait  mis  en  lui.  (Juel 
avantage  pour  ce  j  une  homme  1  II  est  ravi 
au  monde  dès  l'âge  de  douze  ans,  afin  que  la 
malice  n'altère  point  sou  innocence,  il  porte 


le  joug  du  Seigneur  dès  sa  jeunesse,  et  s'at- 
tire par  Là  mille  bénédictions.  Il  n'a  jamais 
connu  le  monde  :  qu'heureuse  est  l'igno- 
rance qui  nous  empêche  de  connaître  ce  que 
nous  n'apprenons  jamais  sans  nous  exposer 
au  péril  de  nous  perdre!  Je  ne  m'arrêterai 
pas  davantage  à  vous  décrire  le  bonheur  de 
saint  Maur,  et  à  vous  marquer  le  progrès 
qu'il  fit  sous  la  conduite  d'un  si  saint  maître; 
vous  le  verrez  par  la  suite  de  sa  vie  dans  la 
deuxième  partie,  après  que  j'aurai  fait 
quelques  réflexions  sur  les  mouvements  de 
la  Providence  sur  sa  personne.  Nous  avons 
donc  reconnu  la  sagesse  de  son  père,  qui  l'a 
présenté;  la  charité  de  saint  Benoît,  qui  l'a 
reçu,  et  son  bonheur  à  lui-même  d'avoir  été 
offert  :  de  là  je  tire  trois  conséquence;,  et  je 
fais  trois  réflexions. 

1°1. a  sagesse  d'Equice,  qui  s'est  conduit 
d'une  manière  si  chrétienne  dans  l'acquit  de 
ses  obligations  de  père,  ma  que  à  tous  ceux 
qui  le  sont  ce  qu'ils  doiveut  aux  enfants  qua 
la  Providence  leur  a  donnés  :  il  faut  que  , 
comme  Equice,  ils  aient  en  vue  le  salu!  de 
leurs  enfants  avant  toute  autre  c'iose,  qu'ils 
songent  à  l'obligation  de  les  rendre  à  Uicu 
de  qui  ils  les  ont  reçus  ;  que,  dans  quelque 
état  qu'ils  embrassent,  ils  leur  apprennent 
que  le  capital  est  de  se  consacrer  à  Dieu,  en 
ne  perdant  jamais  de  vue  les  principes  de  la 
religion  ;  et  comme  ils  sont  chargés  de  leur 
éducation,  dont  ils  doivent  répondre  au  ju- 
gement de  Dieu  sur  leur  salut,  ils  doivent 
penser  sérieusement  à  chercher  les  moyens 
de  satisfaire  à  celte  importante  obligation. 

2°  La  charité  de  saini  Benoit  et  les  qualités 
de  ce  grand  saint,  qui  reçoit  saint  Maur  dans 
son  monastère,  m'apprennent  que  si  Dieu 
permet  aux  pères  et  aux  mères  chrétiens  de 
se  décharger  de  l'éducation  de  leurs  enfants 
sur  des  personnes  à  qui  ils  les  contient,  il 
faut  que  ces  personnes  soient  destinées  de 
Dieu  à  cel  emploi  et  Choisies  avec  beaucoup 
de  soin  :  car  il  n'y  a  rien  de  plus  nécessaire 
et  de  plus  difficile  que  de  trouver  une  per- 
sonne à  qui  vous  paissiez  confier  l'éducation 
de  vos  enfants.  C'est  là  une  obligation  es- 
sentielle de  votre  état,  et  nue  des  plus  gran- 
des affaires  et  des  5>lus  importantes  de  votre 
condition. 

3°  Enfin  quel  bonheur  pour  saint  Maur  de 
lomber  entre  les  mains  d'un  aussi  excellent 
maître  que  saint  Benoît!  Le  bonheur  ou  le 
malheur  éternel  dépend  presque  toujours  île 
la  bonne  ou  de  la  mauvaise  éducation  qu'on 
leur  donne  :  ils  n'ont  presque  que  ce  seul  se- 
cours par  le  moyen  duquel  ils  peuvent  con- 
server l'innocence  de  leur  baptême,  et  on  ne 
connaît  point  assez  que  la  perte  de  celte  in- 
nocence est  la  source  malheureuse  de  tous 
les  désordres  de  la  vie  que  l'on  cher,  ne  sou- 
vent ailleurs,  comme  sa  conservation  est  la 
source  de  tous  les  biens.  Vous  ressehtet  tous 
les  jours  dans  vos  familles  l«s  suites  déplo- 
rables de  celle  perte  dans  le  dérèglement  >>e 
la  vie  de  vos  enfants,  et  vous  les  ressentez 
tonj  >ur>  sans  le  connaître.  Vous  allez  \  i 
les  suites  heureuses  de  sa  conservation  dans 
la  conduite  de  seint  Maur,  en  qui.cllc  lut  con- 


791 


ORATEURS  SACRES.  DOS!  JEROME. 


ras 


scrvéc  par  les  soins  d'une  éducation  sainte, 
mais  en  qui  elle  fut  augmentée  par  les  exer- 
cices d'une  ne  laborieuse  :  c'est  le  sujet  du 
deuxième  point. 

DEUXIÈME   PARTIE. 

C'est  une  erreur  dangereuse  que  de  croire 
qu'on  puisse  avancer  dans  l'ouvrage  de  la 
perfection  et  voir  croître  en  nous  les  dons 
qu'il  a  plu*  à  Dieu  d'y  mettre  par  sa  miséri- 
corde, si  nous  n'y  travaillons  avec  soin,  et 
ui  nous  ne  nous  appliquons  à  les  augmenter 
parles  exercices  d'une  vie  laborieuse.  Saint 
Augustin  remarque  que  les  hommes  tombent 
pour  l'ordinaire  dans  l'un  de  ces  deux  e\cès, 
qui  ruinent  l'économie  de  leur  salut  et  de 
leur  perfection  :  les  uns  l'attribuent  à  leurs 
propres  œuvres,  et,  ne  regardant  jamais  que 
leurs  actions,  ils  négligent  de  recourir  à  la 
miséricorde  de  Dieu,  qui  commence,  qui  sou- 
tient et  qui  couronne  en  nous  toutes  nos  œu- 
vres. Les  autres  ne  regardent  que  la  miséri- 
corde de  Dieu,  ils  ne  nous  parlent  que  de  l'ef- 
ficacité de  la  grâce  de  Jésus-Christ,  et,  né- 
gligeant d'entrer  dans  les  voies  que  la  loi 
leur  enseigne,  ils  attendent  la  perfectionna 
sainteté  et  la  gloire  sans  vouloir  travailler  à 
l'acquérir;  ainsi  les  uns  se  perdent  parce 
qu'ils  sont  négligents,  et  les  autres  parce 
qu'ils  sont  présomptueux.  Or,  mes  frères,  on 
ne  peut  prendre  trop  de  précautions  contre 
cet  abus,  et  voici,  selon  saint  Augustin,  ce 
qu'il  faut  faire  pour  l'éviter.  11  faut  marcher 
entre  l'orgueil  et  la  paresse,  il  ne  faut  être 
ni  superbe  ni  négligent  :  on  est  superbe  lors- 
qu'on se  croit  capable  de  faire  quelque 
chose  par  soi-même  pour  le  salut  éternel,  et 
on  est  négligent  lorsqu'on  ne  veut  rien  faire 
du  tout.  Notre  grand  saint  évita  admirable- 
ment ces  deux  excès  :  il  ne  fut  point  super- 
be, et  il  reconnut  toujours  devant  Dieu  que 
la  grâce  l'avait  fait  ce  qu'il  était,  que  c'était 
elle  qui  l'avait  choisi,  que  c'était  elle  qui 
l'avait  séparé  du  monde,  que  c'était  elle  qui 
l'avait  conduit  dans  la  solitude;  mais  il  ne 
fut  point  négligent,  il  reconnut  qu'il  fallait 
travailler,  que  la  vie  du  chrétien,  et  par  con- 
séquent celle  du  religieux,  est  une  vie  labo- 
rieuse, et  qu'on  n'arrive  ni  à  la  perfection 
ni  à  la  sainteté  que  par  le  travail.  Il  recon- 
nut que  la  solitude  n'est  propre  qu'à  faire 
des  superbes  ou  des  malheureux,  quand  on 
ne  s'y  occupe  pas  dans  les  emplois  qui  con- 
tiennent aux  solitaires. 

Les  saints  Pères  donnent  trois  différentes 
occupa  lions  aux  solitaires,  et  ce  sont  celles  qui 
onl  partagé  toute  la  vie  de  saint  Maur  :  la 
première,  c'est  la  prière,  qui  occupe  l'esprit 
et  le  cœur;  la  seconde,  c'est  lamortificalion, 
qui  combat  les  désirs  des  sens;  la  troisième 
c'est  le  travail,  qui  applique  le  corps.  Il  est 
impossible  que  notre  solitude  soit  sainte 
sans  la  pratique  de  ces  vertus.  Sans  la 
prière  et  l'oraison,  notre  esprit  s'élève  et  no- 
tre solitude  nous  rendant  vains  et  superbes, 
nous  ne  devenons  tout  au  plus  que  des  phi- 
losophes orgueilleux.  Sans  la  mortification, 
nos  sens  cherchent  à  se  satisfaire,  et  se  plon- 
geant daus  une  espèce  de  sensualité  raffinée, 


nous  ne  sommes  qae  des  voluptueux.  Sans 
le  travail,  notre  corpi  s  appesantit  daus  une 
honteuse  oisiveté,  et  nous  ne  sommes  que  de 
lâches  fainéants. 

\  oici  donc,  mes  frères,  quelle  a  été  la  vie 
laborieuse  de  saint  Maur  dans  la  solitude  : 
son  esprit  a  été  continuellement  appliqué  à 
Dieu  par  l'oraison,  ses  sens  combattus  et 
comme  éteints  dans  leurs  désirs  par  une  sé- 
vère mortification,  et  son  corps  exercé  par 
un  travail  persévérant.  Voilà  les  exercices 
de  celte  vie  laborieuse  par  où  saint  Maur  a 
augmenté  le  don  que  la  miséricorde  de  Dieu 
avait  mis  en  lui.  Lisez  sa  vie,  mes  frères,  et 
vous  y  verrez  la  pratique  exacte  de  tous  les 
exercices  des  solitaires  :  vous  verrez  que  son 
oraison  fut  continuelle;  car,  sans  parler  des 
psalmodies  et  des  veilles  de  la  nuit  qu'il  fai- 
sait en  commun  avec  ses  frères,  auxquelles 
il  se  préparait  en  récitant  tout  le  psautier  en 
son  particulier,  il  fui  toujours  dans  l'exercice 
decelte oraison  que  l'esprit  de  Dieu  forme  en 
nous,  c'est-à-dire  dans  un  désir  continuel  de 
Dieu,  dans  un  amour  persévérant,  dans  un 
gémissement  à  la  vue  de  ses  misères  qui 
vient  de  la  charité. 

Tel  doit  être  l'exercice  et  l'occupation  d'un 
solitaire  que  saint  Jean  nous  a  marque  dans 
ces  paroles  :  Vox  clamantis  in  désert*  : 
C'est  une  voix  qui  crie  dans  le  désert.  Il  faut 
qu'il  ne  lève  jamais  les  yeux  de  dessus  lui- 
même  :  il  y  verra  un  horrible  désert  et  une 
affreuse  stérilité,  une  terre  qui  ne  pousse 
que  des  épines  et  des  ronces,  c'est-à-dire  une 
âme  plongée  dans  la  faiblesse,  un  cœur  tout 
rempli  d'imperfection,  un  fonds  inépuisable 
de  misères.  Cette  vue  continuelle  de  son 
néant  l'obligera  de  crier  vers  Dieu;  tout  son 
emploi  ne  sera  plus  qu'un  cri  du  cœur  vers 
lui.  pour  en  obtenir  le  secours,  et  ainsi  il  ne 
sera  plus  qu'une  voix,  criant  incessamment 
dans  son  désert  :  Miséricorde  :  Vox  claman- 
tis. Mais,  comme  cet  esprit  d'oraison  qui 
nous  tient  dans  l'humilité  en  nous  décou- 
vrant notre  fonds  nous  fait  voir  en  même 
temps  combien  nos  sens  et  notre  corps  don- 
nent des  secours  à  ce  mauvais  fonds  pour 
l'entretenir  et  pour  l'augmenter,  il  nous  dé- 
couvre aussi  l'obligation  où  nous  sommes  de 
combattre  incessamment  les  désirs  des  sens 
par  l'exercice  d'une  mortification  continuelle. 
En  effet  la  pénitence  de  Maur  était  excessi\e 
et  paraît  incroyable  à  ceux  qui  la  mesurent 
selon  les  forces  humaines.  Fauste,  son  con- 
frère, qui  en  avait  été  le  témoin  oculaire,  as- 
sure qu'il  ne  quitta  jamais  le  ciliée,  qu'il 
n'avait  point  d'autre  lit  qu'un  amas  de  chaux 
et  de  sable,  sur  lequel  il  prenait  uu  peu  de 
repos,  et  qu'encore  il  trouvait  ce  lieu  de  re- 
pos trop  délicat,  de  sorte  qu'il  dormait  de- 
bout ou  assis,  quand  l'excessive  lassitude  l'y 
contraignait.  Son  jeûne  fut  toujours  très-ri- 
goureux, cl.  le  voulant  rendre  plus  sévère 
aux  jours  destinés  par  l'Eglise  à  la  pénitence, 
il  se  contentait  deux  fois  la  semaine  de 
prendre  un  morceau  de  pain  sec,  .1  l'imita- 
tion de  saint  Benott,  qui  passa  tous  les  ca- 
rêmes de  la  même  sorlc.  Les  désirs  des  seus 
ne  s'accommodent  guère  à  ce  genre  de  vie, 


793 


SERMON  POUR  LA  CONVERSION  DE  SAINT  PAUL. 


7M 


qui  ne  l'exemptait  pas  même  des  fatigues 
d'un  travail  presque  continuel  :  vous  l'eus- 
siez vu,  dans  le  bâtiment  des  monastères 
dont  il  a  plu  à  la  Providence  de  le  rendre 
fondateur,  abattant  le  bois,  labourant  la 
terre,  portant  le  ciment  et  la  chaux,  roulant 
les  pierres ,  et  ne  craignant  point  d'appli- 
quer aux  exercices  d'un  manœuvre  des 
mains  dont  Dieu  se  servait  pour  opérer  de 
grands  miracles.  Tels  furent  les  travaux  de 
saint  Maur,  et  tels  furent  les  moyens  dont  il 
se  servit  pour  augmenter  le  don  de  Dieu  et 
accroître  la  grâce  de  Jésus-Christ  en  lui.  On 
n'oserait ,  mes  frères,  vous  proposer  une 
semblable  conduite  pour  exemple  :  la  seule 
idée  de  ce  genre  de  vie  est  capable  de  vous 
effrayer;  mais  au  moins  regardez-la  comme 
un  reproche  de  votre  lâcheté  et  comme  une 
condamnation  de  votre  mollesse;  car  on  peut 
tout  avec  la  grâce  du  Sauveur.  Souvenez- 
vous-en  la  regardant,  que  la  vie  du  chrétien 
est  une  vie  de  pénitence,  et  pensez  à  la  vô- 
tre; souvenez-vous  que  vous  avez  contracté 
au  baptême  l'engagement  de  suivre  Jésus- 
Christ  et  de  porter  la  croix  après  lui  comme 
saint  Maur  :  voyez  si  vous  songez  à  vous  en 
acquitter  ;  souvenez-vous  enfin  que  vous 
prétendez  à  la  même  gloire  que  ce  grand 
saint  s'est  acquise  par  tant  de  travaux,  et 
reconnaissez  devant  Dieu  ce  que  vous  faites 
et  ce  que  vous  souffrez  pour  la  mériter. 

Mais  il  est  temps  de  dire  un  mot  des  effu- 
sions d'une  charité  si  ardente  et  augmentée 
par  tant  de  travaux  :  ce  sera  la  matière  de 
ma  troisième  partie. 

TROISIÈME  PARTIE. 

Il  faudrait,  mes  frères,  un  discours  entier 
pour  vous  marquer  toutes  les  circonstances 
des  effusions  de  la  charité  du  grand  saint 
Maur,  et  encore  ne  pourrais-je  le  faire  qu'im- 
parfaitement. Rien  n';ipproche  davantage  de 
l'apostolat  que  la  mission  de  cet  illustre  solitai- 
re, et  si  j'avais  le  temps  de  vous  en  décrire  les 
circonstances, vousy  verriez,  mes  frères,  une 
idée  fort  naturelle  de  la  conduite  des  apôtres 
dans  les  fonctions  de  leur  ministère  :  en  ef- 
fet, l'idée  de  la  mission  des  apôtres  doit  être 
prise  sur  celle  du  Fils  de  Dieu,  puisqu'il  a 
dit  lui-même  dans  l'Evangile  qu'il  les  en- 
voyait comme  son  Père  l'avait  envoyé.  Or,  il 
faut  considérer  dans  la  mission  du  Fils  de 
Dieu  le  motif  de  son  entreprise,  c'est  l'a- 
mour des  hommes;  la  conduite  de  celte  en- 
treprise, qu'il  a  soutenue  malgré  les  peines 
elles  travaux  qu'il  a  fallu  souffrir;  enfin 
l'exécution  de  cette  entreprise  qui  s'est  ache- 
vée par  les  miracles  et  les  prodiges  qui  l'ont 
consommée. 

La  mission  des  apôtres  étant  donc  prise 
sur  celle  du  Fils  de  Dieu,  on  doit  dire  que  la 
charité  en  a  élé  le  motif,  que  les  peines  et  les 
travaux  en  ont  traversé  l'exécution, et  qu'en- 
fin les  prodiges  et  les  miracles  l'ont  confir- 
mée ;  c'est  ce  que  nous  trouvons  dans  celle 
de  saint  Maur  :  la  charité  en  est  le  motif,  les 
travaux  en  font  l'épreuve,  et  les  prodiges  en 
couronnent  l'exécution. 

Celte  charilé-qui  l'anime  dans  l'entreprise 
régue  partout,  et  elle  le  rend  fort  dans  les 


épreuves  et  agissant  pour  l'exécution.  Quel 
autre  motif  pouvait-il  avoir  que  le  désir  du 
salut  de  ses  frères,  lorsqu'il  prit  la  résolu- 
tion de  se  séparer  de  saint  Benoît  et  des  chers 
confrères  de  sa  solitude,  pour  venir  établir 
un  monastère  de  son  ordre,  qu'un  évêque  du 
Mans  avait  demandé  avec  de  grandes  instan- 
ces à  saint  Benoît?  Quelle  autre  force  que 
celle  qui  nous  est  donnée  par  la  charité  pou- 
vait être  capable  de  le  soutenir  au  milieu 
des  peines  et  des  travaux  qu'il  endure  dansce 
voyage,  des  contre-temps  qui  lui  arrivèrent, 
des  persécutions  qu'on  lui  suscita?  11  n'y  a, 
mes  frères, que  l'amour  de  Dieuet  celui  du  sa- 
lut de  nos  frères, il  n'y  a  qu'une  ardente  cha- 
rité, qui  cherche  à  se  répandre  parce  qu'elle 
est  pressée  par  son  abondance,  qui  puisse 
soutenir  au  milieu  de  ces  épreuves  l'âme 
d'un  solitaire  né  pour  les  délices  innocentes 
de  la  retraite  et  pour  le  repos  sacré  du  dé- 
sert. Mais,  semblable  à  ces  torrents  qui  tom- 
bent du  haut  des  montagnes,  et  qui,  après 
avoir  roulé  leurs  eaux  dans  le  désert,  vien- 
nent faire  de  grandes  inondations  dans  la 
campagne,  où  ils  entraînent  tout  ce  qui  s'op- 
pose à  leur  passage,  saint  Maur,  sorti  de  sa 
retraite  par  charité,  pressé  par  les  ardeurs 
de  cette  vertu  qui  l'anime,  ne  trouve  rien 
de  difficile  dans  son  entreprise,  et  passe  par- 
dessus tous  les  obstacles  qu'où  lui  veut  op- 
poser, de  quelque  part  qu'ils  lui  viennent. 
Dieu  enfin  couronne  les  ardeurs  de  cette 
charité  par  un  heureux  succès.  Les  marques 
de  son  apostolat  paraissent  par  les  miracles, 
par  les  prodiges  et  par  les  effets  extraordi- 
naires de  la  puissance  divine.  EnGn  l'établis- 
sement de  son  ordre  en  France,  les  grands 
biens  que  l'Eglise  en  a  reçus,  et  le  rétablis- 
sement de  ce  même  ordre  dans  cette  célèbre 
congrégation  qui  porte  son  nom,  congréga- 
tion qui  a  été  chercher  l'esprit  de  saint  Be- 
noît dans  les  cendres  des  dignes  enfants  de 
cet  illustre  père,  pour  représenter  sous  son 
invocation  l'image  de  celte  première  ferveur 
des  anciens  moines  et  les  fruits  de  leurs  tra- 
vaux pour  le  service  de  l'Eglise,  sont  les 
marques  visibles  et  éclatantes  de  la  charité  de 
ce  grand  saint,  et  l'effet  des  soins  qu'il  a  pris 
de  communiquer  le  don  qu'il  avait  reçu  de  la 
miséricorde  de  Dieu.  11  en  a  reçu  la* récom- 
pense, mes  frères,  car  Dieu  preud  plaisir  à 
couronner  ses  propres  dons  dans  ceux  eu 
qui  il  lui  a  plu  de  les  mettre.  Mettons-nous 
donc  en  étal  de  voir  couronner  en  nous  ceux 
qu'il  y  a  mis.  Appliquons-nousà  les  conser- 
ver, travaillons  à  les  augmenter,  et  atten- 
dons-en la  récompense  dans  l'éternité.  Je 
vous  la  souhaite.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR  LA  FÊTE  DELA  CONVERSION  DE  SAINT  PAl'L. 

(25  janvier.) 

Mon  misericordlam  Dei  coosecuius  smn,  ni  in  me  primo 
oslcnderct  Uirisius  JetUl  omnem  patietiiiain,  ad  informa- 
lionc.m  eorura  qui  rredllori  snnt  illi. 

Jésus-Christ  m'd  fait  miséricorde,  pour  frire,  paraître  en 
moi  le  promet  la  parfaite  patience ,  el  pour  donner  en  nui 
personne  un  modèle  a  ceux  qui  croiront  en  lui  (I  Tintoth  . 
I.  16] 

Ce  n'est  point,  mes  frères,  la  fêle  de  saint 


798 


ORATEURS  SACRES.  I»n\f  JEROMI 


7    G 


Paul  <|ue  je  viens  célébrer  dans  ce  lemple 
sacré,  <>ù  la  piôlé  nooi  assemb  e;  ce  ne  sont 
point  les  louanges  de  eel  apôlreqae  je  viens 
raconter  aux  fidèles  :  ce  sont  les  miséricor- 
des du  Seigneur  que  je  viens  exposer  auv 
pécheurs  clans  ce  discours. 

Saul  a  reçu  miséricorde,  c'est  la  gloire  de 
ce  persécuteur  devenu  un  apôtre  ;  mais  ce 
persécuteur  est  converti  pour  devenir  comme 
un  modèle  et  un  exemple  à  ceux  qui  croi- 
ront en  Jésus-Christ  :  voilà  ce  qui  doit  rele- 
ver notre  espérance,  quelque  grandes  que 
soient  nos  misères,  et  quelque  profondes  que 
puissent  être  nos  plaies. 

En  effet,  comme  nous  voyons  qu'un  mé- 
decin qui  a  guéri  un  malade  abandonné  et 
de  qui  on  n'attendait  plus  que  la  mort  s'at- 
tire la  confiance  de  tous  ceux  qui  se  trou- 
vent frappés  d'une  maladie  aussi  dangereuse, 
espérant  de  recevoir  un  semblable  secours, 
qui  peut  désespérer  de  sa  conversion  quand 
on  jette  les  yeux  sur  Saul  converti?  et  jus- 
qu'où ne  doit  pas  aller  la  confiance  des  pé- 
cheurs en  la  vertu  de  cette  grâce  qui  fait  en 
un  moment  d'un  persécuteur  un  disciple  de 
Jésus-Christ,  un  des  plus  saints  apôtres  de 
son  Eglise? 

Il  ne  faut  pourtant  pas  se  laisser  tellement 
éblouir  à  l'éclat  de  celle  lumière,  qu'on  s'a- 
bandonne aux  dangereuses  illusions  d'une 
espérance  téméraire  :  il  faut  étudier  les  mou- 
vements de  Paul  changé  par  la  grâce,  eu 
établissant  notre  espéiance  sur  cette  grâce 
qui  l'a  changé  ;  car  il  ne  nous  est  pas  seule- 
ment proposé  pour  réveiller  notre  espérance, 
mais  aussi  pour  régler  notre  conduite  :  J'ai 
reçu  miséricorde,  dit-il  dans  les  paroles  de 
mou  texte,  afin  que  je  fusse  le  premier  en  qui 
Jésus—Christ  fit  éclater  son  extrême  patience, 
et  que  je  devinsse  comme  un  modèle  et  un 
exemple  à  ceux  qui  croiront  en  lui. 

Ainsi,  mes  frères,  pour  suivre  cette  idée  et 
pour  entrer  dans  ces  paroles  selon  l'esprit 
de  saint  Paul  même,  je  vais  vous  proposer 
deux  choses  dans  les  deux  parties  de  ce  dis- 
cours :  dans  la  première  j'exposerai  les  fon- 
dements de  notre  espérance  dans  la  vertu  de 
la  grâce  qui  convertit  Saul  :  J'ai  reçu  misé- 
ricorde, afin  que  je  fusse  le  premier  t 
Jésus-Christ  fit  éclater  son  extrême  patience: 
première  partie;  dans  la  seconde  j'exposerai 
les  règles  de  uoire  conduite  dans  la  fidélité 
de  Paul  à  correspondre  à  celle  grâce  :  Afin, 
dit-il,  que  je  devinsse  comme  un  modèle  et 
comme  un  exemple  à  ceux  qui  croiront  en  lui  : 
seconde  partie. 

Nous  nourrirons  l'espérance  des  humbles 
en  proposant  la  conversion  de  Saul  ;  nous 
confondrons  la  témérité  des  présomptueux 
en  retraçant  la  conduite  de  Paul.  C'est  loule 
l'idée  de  ce  discours.  Demandons  les  lumiè- 
res de  l'Esprit-Sainl.  .lie,  Marin. 

PUEMIi'lU:    PARTIE. 

Il  faut  exposer  toutes  les  circonstances  de 
la  conversion  de  Saul  pour  vous  découvrir 
toule  la  vertu  de  la  grâce  qui  l'a  converti,  et 
pour  donner  en  même  temps  à  notre  con- 
fiance eu  la  vctîu  de  Jésus-Christ  toule  l'é- 


tendue qu'elle  doit  avoir.  Remarquez  donc 
trois  circonstances  ;  îopres  à  rous  con- 
vaincre de  lonl  ce  que  je  prétend!  re 
voir  :  Jésu  -Christ  le  prévient  el  ré  le  efa  r- 
cher,  première  circonstance;  dans  le  i  i 
de  sa  plus  grande  fureur  contre  l'Eglise,  se- 
conde circonstance;  pour  en  faire  un  îles  plus 
digues  ministres  de  l'Eglise  qne  Saul  ener- 
a  détruire,  troisii  me  circonstance,  uuel 
effet  produira  donc  la  conversion  de  Niul 
sur  les  plus  ah  indonnés,  quand  ils  feront 
réflexion  sur  celle  miséricorde  inépuisable 
de  Jésus-Christ  qui  prévient  cet  ennemi,  sur 
celte  force  in vin<  ible  qui  abat  ce  furieux, 
enfin  sur  cette  magnificence  infinie  qui  él 
ce  persécuteur  si  connu   de  Ions  1rs  fidèles. 

Entrons  dans  toul  ce  mystère  de  la  u 
ricorde  de  Jésus-Christ.  Il  fallait  qu'il  allât 
chercher  Saul  et  qu'il  le  prévînt  :  cirqu'i 
ce  que  l'homme  dans  le  péché?  C'est  un 
malheureux  qui  s'e>t  jeié  volonlairement  et 
par  son  choix  dans  un  abime  d'où  il  ne  peut 
plus  se  retirer  sans  un  secours  dont  il  est 
indigne;  c'est  celle  brebis  qui  s'est  égarée, 
qui  se  perdrait  entièrement,  si  le  pasteur 
n'allait  la  chercher  et  s'il  ne  la  rapportait 
sur  ses  épaulas. 

C'est  donc  la  miséricorde  de  Jésus-Christ, 
mes  chers  frères,  qui  va  chercher  Saul  par 
un  effet  de  la  pure  bonté  décelai  qui  veut  le 
prévenir.  Ou'avail-il  en  effet  en  lui  qui  le 
rendit  digne  de  celte  faveur,  ou  plutôt  n'è- 
tait-il  pas  très-indigne  qu'il  pensât  à  lui, 
puisque  toutes  ses  démarches  étaient  un  ob- 
stacle à  sa  coir.ersion  el  un  sujel  propre  à 
exciter  l'indignation  de  Dieu  contre  lui?  11 
étail  entré  l'on  avant  dans  la  counaissance 
des  vérités  delà  loi,  sa  vie  irréprochable 
était  réglée  par  ses  principes,  il  était  tout 
brûlant  de  zèle  pour  son  observation.  ( 
là  un  mérite,  à  parler  en  gênerai,  et  tout 
cela  est  admirable  en  lui-même;  mais  tout 
cela  formait  un  grand  fonds  d'orgueil,  d  ob- 
stination et  de  faux  zèle,  qui  1'  vaii  pion 
dans  un  abîme  d'où  la  seule  grâc •■  de 
Christ  le  pouvait  retirer.  11  av ail  cale  ce  qui 
étaiî  bon,  el  s'était  fait  par  son  orgueil  un 
poison  qui  lui  aurait  donné  la  mort  pour  tou- 
jours ,  si  Jésus-Christ,  qui  l'avait  des  ine 
pour  la  vie,  ne  l'avait  cherche  par  sa  nti 
ricorde.  D'ailleurs  quel  temps  Jésus-Christ 
choisit-il  pour  loi  en  faire  sentir  les  effets, 
et  quelle  est  la  disposition  de  Saul  contre 
l'Eglise  quand  le  Sauveur  pense  É  le  préve- 
nir '.'  Saul,  dit  l'Ecriture,  était  encore  plein  de 
menaces  et  ne.  respirant  qu  le  séngéis  disci- 
pie»  de  Jésus-t  hrist.  Ce  Saul  avait  ele  cl 
dès  sa  jeunesse  dans  des  sentiments  da»er- 
sion  contre  Jésus-Chrisi  et  contre  son  Eglise. 
h  avait  commencé  de  bonne  heure  à  persé- 
cuter Ses  minisires,  il  fui  i  recul  lorsqu'on 
lapida  saint  Etienne,  et  comme  il  n'avait 
peut-être  pas  encore  la  force  de  Contribuer 
à  sa  mort  de  ses  propres  mams.  il  1  lapida, 
disent  les  Pères,  par  les  mai  s  de  ions  ceux 
qui  ie  lapidèrent,  dont  il  s'offrit  de  garder  les 
v  lemenîs  durant  celte  cruei  e  exécution.  // 
mil  <i  mort  dam  Jérusalem  plusi  les, 

hommes  et  femmes,   qu'il  tirait  par  force  de 


797 


SERMON  POUR  LA  CONVERSION  DE  SAINT  PAUL. 


793 


leurs  maisons,  en  ayant  reçu  le  pouvoir  du 
grand  conseil  des  Juif»,  et  lorsqu'on  les  fai- 
sait mourir  il  y  donnait  son  consentement. 
Celte  fureur,  comme  il  l'appelle  lui-même, 
qui  le  transportait  contre  eux,  le  portait  à 
les  persécuter  jusque  dans  les  villes  étran- 
gères, et  il  alla  demander  au  grand  prêtre, 
comme  chef  du  grand  conseil  des  Juifs,  des 
lettres  pour  les  synagogues  de  Damas ,  afin 
que  s'il  trouvait  quelques  personnes  de  cette 
secte,  il  les  amenât  prisonnières  à  Jérusalem 
pour  être  punies. 

Quels  épouvantables  efforts  du  faux  zèle 
de  cet  homme  si  éclaLé  et  si  religieux  ob- 
servateur de  la  loi  !  Tout  ce  qu'il  avait  lu  et 
peut-être  vu  de  Jésus-Christ,  de  sa  vie  mira- 
culeuse et  des  prodiges  de  sa  mort;  tout  ce 
qu'il  avait  ouï  dire  des  merveilles  de  la  Pen- 
tecôte, de  la  prédication  des  apôtres  et  de  la 
descente  du  Saint-Esprit  ;  les  conversions  de 
tant  d'âmes  et  de  tant  de  prêtres,  les  prodi- 
ges de  la  vie  et  de.  la  mort  de  saint  Etienne, 
tant  de  passages  de  l'Ecriture  qu'il  savait 
sans  doute,  cités  par  les  apôtres  et  confirmés 
par  les  événements,  tout  cela  ne  put  arrêter 
l'impétuosité  de  son  faux  zèle,  ni  lui  faire 
ouvrir  les  yeux  à  tant  de  lumières.  11  vint, 
la  fureur  dans  l'âme,  les  menaces  dans  la 
bouche,  les  armes  à  la  main,  pour  enlever 
tout  ce  qu'il  trouverait  de  disciples  de  Jésus- 
Christ  et  de  sujets  de  son  Eglise. 

Mais  c'est  ici  que  Jésus-Christ  l'attend  :  il 
vient  en  personne  pour  résister  à  cet  en- 
nemi qui  n'en  veut  qu'à  lui,  et  il  lui  fait  en- 
tendre, par  la  manière  dont  il  lui  parle,  que 
c'est  le  persécuter  lui-même  que  de  faire 
souffrir  son  Eglise  et  dans  ses  enfants  et  dans 
ses  ministres,  parce  que  le  chef  qui  est  dans 
le  ciel  et  les  membres  qui  sont  sur  la 
terre  ne  forment  qu'un  corps.  Vous  ne  vous 
montrez  pas  toujours  à  ceux  qui  persécu- 
tent cette  Eglise,  Seigneur,  mais  vous  la  dé- 
fendez toujours  contre  ceux  qui  s'en  sépa- 
rent, qui  la  divisent,  qui  la  troublent  et  qui 
la  déshonorent. 

Que  je  vois  de  merveilles  dans  cette  appa- 
rition de  Jésus-Christ  à  Saul  et  dans  les  cir- 
constances qui  l'accompagnent  1  11  veut  en 
quelque  façon  nous  rendre  visible  l'ouvrage 
de  sa  conversion  et  de  la  grâce  qui  l'a  pro- 
duit. Il  vient  en  personne  pour  nous  appren- 
dre qu'il  est  l'auteur  de  cet  ouvrage;  il  em- 
ploie tout  pour  l'achever  :  la  lumière  qui 
aveugle  Saul  en  plein  midi,  la  main  qui  l'a- 
bat pour  le  relever,  la  voix  qui  lui  fait  des 
reproches  pour  l'attirer  à  lui,  IodI  ce  qui 
frappe  ici  no*  yeux  se  passe  invisiblement 
dans  le  cœur  du  pécheur  lorsque  la  grâce 
travaille  à  le  changer.  11  faut  qu'elle  brillé 
dans  son  esprit  par  d<>  nouvelles  lumières 
qui  l'aveuglent,  pour  l'empêcher  de  »oir  ce 
qu'il  voyait  auparavant  et  pour  lui  f.:ire  voir 
ce  qu'il  ne  voyait  pas;  il  faut  que  des  repro- 
ches salutaires  agitent  son  cœur  et  troublent 
heureusement  son  âme,  et  qu'une  main  in- 
visible l'humilie  et -le  terrasse. 

"Voilà  l'ouvrage  <!c  cette  grâce  intérieure 
cause  un  reu  vêlement  universel  dans 


l'âme  de  Saul  et  qui  l'assujettit  ;  mais,  ô  pro- 
fonde sagesse  de  notre  Dieu  dans  la  conduite 
de  cet  ouvrag!"  !  il  choisit  pour  l'accomplir 
un  temps  propre  à  nous  donner  encore  de 
nouvelles  preuves  du  triomphede  celte  grâce. 
Vous  attendez  que  ce  furieux  soit  prêt  à 
faire  éclater  les  desseins  de  sa  rage  contre 
les  enfants  et  les  ministres  de  votre  Eglise, 
afin  de  vous  servir  de  ses  desseins  mêmes 
pour  l'accomplissement  des  vôtres.  Quelle 
gloire  eût-ce  été  pour  vous,  Seigneur,  de 
prendre  un  homme  élevé  et  instruit  par  les 
apôtres  pour  l'associer  avec  eux  dans  les 
fonctions  du  sacré  ministère  ?  Il  n'y  aurait 
eu  rien  de  rare  ni  de  singulier  dans  cette 
conduite,  vous  en  voulez  tenir  une  qui  ap- 
prenne à  toute  la  terre  que  les  hommes  ne 
peuvent  rien  contre  vos  desseins,  et  que  vous 
les  accomplissez  par  les  voies  mêmes  qu'ils 
ont  choisies  pour  les  renverser.  Vous  vous 
servez  des  préparatifs  d'une  cruelle  et  san- 
glante persécution  pour  donner  de  la  conso- 
lation aux  fidèles,  pourrélablir  votre  Eglise, 
et  vous  conduisez  Saul  à  la  mission  aposto- 
lique par  la  mission  sacrilège  qu'il  vient  de 
demander  au  grand  prêtre  des  Juifs  pour 
verser  le  sang  de  ceux  à  qui  vous  le  destinez 
pour  apôtre. 

C'est  la  troisième  circonstance  qu'il  y  a  à 
remarquer  dans  cette  conversion,  qui  nous 
découvre  la  magnificence  de  la  grâce  de  Jé- 
sus-Christ, qui  relève  ce  persécuteur  abattu 
pour  en  faire  un  apôtre;  car  Jésus-Christ  lui 
dit,  comme  il  le  rapporte  lui-même  :  Levez- 
vous  et  tenez-vous  debout,  cir  je  vous  ni  ap- 
paru pour  vous  établir  ministre  et  témoin  des 
choses  que  vous  avez  vues,  et  de  celles  aussi 
que  je  vous  montrerai  en  vous  apparaissant 
de  nouveau.  Voilà,  mes  frères,  la  consom- 
mation de  la  patience  de  Jésus-Christ  envers 
cet  ennemi,  et  l'accomplissement  de  ses  mi- 
séricordes sur  ce  pécheur  converti  :  il  en  fait 
un  apôtre. 

La  grâce  de  sa  conversion  fut  accompa- 
gnée d'une  plénitude  de  lumière  et  d'onction, 
et  l'apparition  de  Jésus-Christ  à  ce  persécu- 
teur fut  comme  une  espèce  de  Pentecôte 
qui  le  remplit  de  l'esprit  de  Dieu  et  de  cette 
vertu  d'en  haut  dont  les  autres  apôtres 
avaient  été  remplis  parla  descente  du  Saint- 
Esprit.  Cette  grâce  et  celte  onction  agissent 
sur  son  tempérament  et  sur  son  ardeur  na- 
turelle pour  les  consacrer  aux  exercices  de 
son  ministère;  la  fureur  d'un  ennemi  se 
change  dans  te  zèle  d'un  apôtre  :  celte  ar- 
deur qu'il  avait  fait  paraître  pour  persécuter 
les  disciples  du  Sauveur,  il  l'emploie  à  les 
aire;  il  fait  pour  l'établissement  de  son 
Eglise  ce  qu'il  avait  fait  pour  sa  ruine,  et  ce 
furieux  qui  ne  cherchait  qu'à  verser  le  sang 
des  chrétiens  ne  soupire  plus  qu'après  les 
occasions  de  répandre  le  sien  pour  les  iuté— 
n  is  de  Jésus-Christ.  Ainsi  Dieu  fait-il  paraî- 
tre la  force  de  la  grâce  en  consacrant  à  sa 
propre  gloire  les  instruments  dont  le  pé- 
cheur s  était  servi  pour  lui  faire  injure:  ainsi 
fait-il  éclater  la  magnificence  de  sa  grâce,  en 
sanctifiant  ce  que  ce  pécheur  avait  cor- 
rompu, et  eu  lui  fournissant  jusque  dans  ses 


799  ORATEURS  SACHES 

inclination!  naturelles  de  quoi  réparer  le  dé- 
règlement de  sa  conduite. 

\  enei  donc  ici,  pécheurs  que  la  multitude 
de  vus  péchés  effraye,  que  la  qualité  et  le 
nombre  de  vos  iniquités  épouvantent;  venez 
voir  l'ouvrage  de  la  grâce  en  la  personne  de 
Saul,  et  réveillez  voire  espérance  à  la  vue 
de  ce  grand  ouvrage.  Vous  avez  reconnu  les 
qualités  du  cœur  de  ce  persécuteur  dans  ce 
que  je  viens  de  vous  dire;  il  a  dû  vous  pa- 
raître brillant  par  les  lumières  de  son  esprit, 
par  les  connaissances  de  la  loi  et  par  la  ré- 
gularité de  sa  vie,  étant  de  la  secte  des  pha- 
risiens. Vous  avez  vu  sa  durcie  :fl/on  zèle 
allait  jusqu'à  persécuter  l'Eglise  de  Jésus- 
Cltrist,  dit-il  lui-même  ;  il  était  parmi  ceux. 
qui  lapidèrent  saint  Etienne,  et  peul-ètre 
plus  endurci  que  pas  un  deux,  car  il  gardait 
les  vêtements  de  ceux  qui  le  lapidaient; il  ré- 
sistait à  la  vérité  et  il  se  révoltait  contre  l'E- 
vangile. Jésus-Christ  crie  du  haut  du  ciel: 
Saul,  Saul.  pourquoi  me  perse  calez-vous  ? 
et  cette  seule  parole  fait  disparaître  tout  d'un 
coup  toutes  les  résistances  de  Saul.  Ah  !  s'é- 
crie saint  Augustin,  Dieu  par  cet  exemple  crie 
en  quelque  sorte  à  tous  les  pécheurs  :  Venez, 
que  ceux  qui  ont  soif  s'approchent  et  qu'ils 
boivent  :  Saul  a  persécuté  saint  I:  tienne  jus- 
qu'à la  mort,  et  Saul,  maintenant  changé  en 
eau  vive,  invite  tous  les  pécheurs  à  venir  boire 
à  la  source. 

Il  ne  faut  donc  pas  que  le  pécheur  ait  ja- 
mais la  pensée  que  Dieu  ne  lui  pardonnera 
pas  ses  offenses,  cl  qu'elles  sont  trop  gran- 
des pour  pouvoir  lui  être  remises  :  qu'il  con- 
sidère la  bonté  infinie  de  Jésus-Christ,  qui  a 
daigné  se  faire  homme  et  prendre  une  chair 
comme  la  nôtre.  Jésus-Christ  descend  encore 
pour  aller  chercher  Saul,  et  il  se  plall  tous 
les  jours  à  réveiller  un  pécheur  du  plus  pro- 
fond assoupissement  où  il  soit,  et  à  lui  faire 
élever  la  voix  du  fond  de  l'abîme  où  ses  pé- 
chés le  retiennent  cl  l'oppriment.  Qu'il  fasse 
réflexion  sur  la  force  de  celle  voix  qui  ren- 
verse, qui  humilie,  qui  terrasse  ce  fier  en- 
nemi dans  le  plus  grand  emportement  de  sa 
fureur.  Peut-on  perdre  l'espérance  quand  on 
est  l'enfant  d'un  Père  et  la  créature  d'un 
Dieu  qui  peut,  quand  il  lui  plaît,  faire  de 
semblables  renversements  dans  l'âme  et 
changer  tout  d'un  coup  un  loup  en  un 
agneau? 

C'est  pour  nourrir  celle  espérance  que  Saul 
assure  toute  l'Eglise  qu'i7  a  reçu  miséricorde, 
afin  qu'il  fût  le  premier  en  quiJésus-i'hi  ist  fit 
éclater  son  extrême  patience;  mais  c'est  afin 
que  cette  espérance  ne  soit  pas  vaine  que 
l'Eglise  nous  expose  tout  ce  qui  se  passa 
dans  la  conversion  de  ce  persécuteur,  pour 
nous  tracer  la  fidélité  de  cet  apôtre  à  corres 


noM  jer.uME. 


KOO 


pondre  à  la  grâce,  afin  qu'elle  nous  serve  de 
règle  pour  notre  conduite  et  qu'il  devienne 
comme  un  modèle  et  un  exemple  à  ceux  qui 
croiront  en  Jésus-Christ  :  c'est  ma  seconde 
partie. 

SECONDE    PARTIE. 

Il  est  à  propos,  mes  très-chers  frères,    d'é- 
tablir quelques  principes,  afin  de  rendre  plus 


utile  ce  que  nous  avons  à  «lire  d'important 
dans  cette  seconde  partie,  qui  doit  renfermer 
loul  le  fruil  de  ce  dJ*<  >urs  et  nous  mettre  en 
état  de  suivre  l'excellent  modèle  que  l'EgliM 
nous  propose  dans  la  fidélité  de  Paul  à  cor- 
respondre à  la  grâce  qui  l'a  converti. 

I  11  y  a  des  conversions  extraordinaires, 
réservées  dans  les  trésors  de  la  miséricorde 
de  Dieu,  dans  lesquelles  il  fait  senlir  sa  puis- 
sance absolue,  et  où  il  parait  qu'il  est  !e 
maître  dans  l'empire  de  la  grâce.  Il  laisse 
descendre  le  pécheur  dans  le  plus  profond  de 
l'abîme  pour  l'en  retirer  avec  éclat,  faisant 
tout  en  lui  par  la  force  invincible  de  sa 
grâce.  Ces  coups-là  sont  des  miracles  qui  ne 
doivent  pas  nous  servir  de  règle  dans  la  pra- 
tique; nous  devons  bien  prendre  garde  l  m 
pas  nous  en  flatter,  il  y  aurait  de  l'insolence 
i  les  demander  cl  de  la  témérité  à  les  atten- 
dre. Telle  a  été  la  conduite  de  Dieu  dans  la 
conversion  de  Saul. 

2*  Dieu  se  renferme  comme  dans  une  espèce 
d'ordre  naturel  pour  les  opérations  ordinai- 
res de  sa  grâce,  cl  il  agit  pour  la  formation 
de  l'homme  intérieur  à  peu  près  comme  dans 
celle  de  l'homme  naturel  :  il  commence  par 
peu  et  il  conduit  son  ouvrage  par  degrés-,  il 
prévient,  mais  il  veut  que  nous  agissions; 
tout  est  de  lui,  tout  est  de  nous;  la  grâce 
fait  (oui  dans  la  volonté,  et  la  volonté  fait 
tout  par  la  grâce.  Aussi  voyons-nous  que 
l'esprit  de  Dieu  se  sert  dans  l'Ecriture  de  dif- 
férentes expressions  qui  marquent  qu'il  vent 
que  l'homme  agisse  avec  lui  dans  l'ouvrage 
de  sa  conversion,  et  qu'il  ne  l'accomplit  que 
par  le  concours  de  deux  voloniés,  de  celle 
de  Dieu,  qui  agit  dans  celle  de  l'homme,  et 
de  celle  de  l'homme,  qui  consent  à  celle  de 
Dieu.  Ainsi  nous  voyons  qu'il  fait  dire  au 
pécheur  :  Convertissez-nous,  Seigneur,  vous 
qui  êtes  notre  salut;  et  dans  un  autre  endroit 
il  dil  au  pécheur  :  Convertissez-vous  à  moi 
de  tout  votre  cœur.  Il  promet  au  pécheur  de 
lui  ôter  ce  cicur  de  pierre  et  de  lui  en  don- 
ner un  de  chair;  il  lui  demande  par  un  autre 
prophète  qu'il  se  fasse  lui-même  un  cœur 
nouveau. 

II  y  a  donc  des  occasions  où  l'on  peut  dire 
dans  un  très-bon  sens  qu'il  convertit 
l'homme,  sans  lui  demander  qu'il  se  conver- 
tisse ;  qu'il  lui  arrache  le  cœur  de  pierre  pour 
lui  en  donner  un  de  chair,  sans  attendre 
qu'il  s'applique  à  se  donner  un  cœur  nou- 
veau. Mais  dans  la  voie  ordinaire  il  veut 
qu'il  travaille  par  lui  et  avec  lui  à  l'accom- 
plissement de  cet  ouvrage,  et  c'est  dans  la  fi- 
délité à  suivre  cet  ordre  de  Dieu  et  à  ména- 
ger les  différents  effets  de  sa  grâce  en  nous 
pour  arriver  a  la  perfection  de  son  ou»  rage, 
que  consistent  l'obligation  et  les  soins  de  ce- 
lui qui  pense  à  se  convertir;  car  il  faut,  aux 
termes  de  l'Ecriture,  mettre  la  main  à  l'.iu- 
rre  et  travailler  A  bâtir  le  temple  de  Dieu. 
Considérons  donc  maintenant  en  détail  ce 
qui  s'est  accompli  dans  la  e  nvei  iou  de 
Saul,  afin  de  l'imiter  et  d'apprendre  à  simre 
le*  mouvements  delà  grâce. 

Que  fait  d'abord  la  grâce  à  l'égard  de  es 
persécuteur  qu'elle  veut  changer?  Il  fut  en- 


m 


SERMON  POUR  LA  CONVERSION  DE  SAINT  PAUL. 


802 


vironné  et  frappé  tout  d'un  coup  d'une  lu- 
mière du  ciel,  et,  comme  il  dit  lui-même  en 
rendant  compte  de  ce  qui  lui  était  arrivé 
dans  cette  occasion  :  Je  vis  en  plein  midi 
briller  une  lumière  du  ciel  plus  éclatante  que 
celle  du  soleil,  qui  m'environna  et  tous  ceux 
qui  m  accompagnaient.  C'est  par  là,  mes  frè- 
res, que  la  grâce  commence  l'ouvrage  de  la 
conversion  :  elie  répand  des  lumières  dans 
l'esprit  qui  produiraient  en  nous  l'effet  que 
produisit  en  Saul  celle  qui  le  frappa,  si  nous 
savions  les  ménager.  L'Ecriture  nous  dit 
qu'ayant  les  yeux  ouverts  il  ne  voyait  poiut: 
heureux  aveuglement  qui  ne  sert  qu'à  ou- 
vrir les  yeux  de  l'âme,  qui  empêche  ce  per- 
sécuteur de  voir  ce  qu'il  voyait  et  lui  fait 
voir  ce  qu'il  ne  voyait  point. 

Ouvrez  les  yeux,  chrétiens,  comme  Saul 
les  ouvrit;  fermez-les  comme  il  les  ferma, 
si  vous  voulez  commencer  l'ouvrage  de  votre 
conversion.  Défiez-vous  des  fausses  lumières 
de  votre  esprit  ;  que  les  maximes  du  monde 
vous  deviennent  suspectes.  Ne  suivez  pas 
comme  certains  des  principes  qui  ne  peuvent 
que  vous  égarer.  Ouvrez  les  yeux  sur  les  vé- 
rités de  la  foi,  écoutez  les  règles  de  l'Evan- 
gile ;  recevez  les  lumières  que  Dieu  veut  ré- 
pandre dans  votre  esprit,  par  ces  maximes 
que  vous  trouvez,  comme  par  hasard,  dans 
une  lecture  sainte  que  vous  avez  faite  sans 
attention,  par  ces  vérités  fortes  que  vous 
avez  entendues  dans  une  prédication  ,  qui 
vous  ont  fait  eutrevoir  ce  que  vous  ne  dé- 
couvriez pas  auparavant.  Ménagez  ces  lu- 
mières, elles  sont  capables  de  vous  mener 
loin  en  vous  rendant  les  vôt/es  suspectes; 
elles  vous  conduiront  à  cet  aveuglement  heu- 
reux qui  vous  fera  voir  la  lumière  de  la  vé- 
rité et  de  la  vie;  elles  vous  appliqueront  à 
cette  voix  intérieure  qui  parle  dans  votre 
cœur.  Les  aveugles  sont  plus  attentifs,  parce 
qu'ils  ne  sont  point  distraits  par  les  objets 
extérieurs.  Saul  écoute  la  voix  de  Jésus- 
Christ  après  que  la  lumière  du  ciel  l'a  aveu- 
glé. 

L'Ecriture  ajoute  qu'après  que  la  lumière 
l'eut  frappé,  il  entendit  une  voix  qui  lui  dit: 
Saul,  Saul,  pourquoi  me  peusécutez-vous  ? 
et  il  répondit  :  Qui  étes-vous,  Seigneur  ?  et 
le  Seigneur  lui  dit  ;  Je  suis  Jésus  que  vous 
persécutez.  Lu  voix  se  fait  entendre,  Saul 
écoule,  il  interroge  Jésus,  Jésus  répond: 
que  de  mystères,  mes  frères  1  que  d'instruc- 
tions I  Ah  1  si  vous  rentriez  dans  votre  cœur 
à  la  faveur  des  lumières  que  le  ciel  y  répand, 
vous  entendriez  la  voix  de  Dieu,  car  il  parle 
dans  le  temps  qu'il  éclaire  ;  il  parle  par  les 
remords  qu'il  excite  dans  la  conscience,  les 
dégoûts  pour  le  monde,  les  ennuis  secrets 
qui  se  font  sentir  au  milieu  des  plaisirs,  les 
lfé<  hircments  du  cœur  durant  la  fausse  joie. 
Ce  sont  des  voix  que  nous  ne  voulons  pas 
entendre.  Heureux  qui  ne  se  rend  pas  sourd 
à  ces  reproches  intérieurs  et  à  ces  coups  se- 
crets que  Dieu  frappe  dans  le  temps  qu'il 
éclaire  I  S'il  ouvre  les  yeux  et  qu'il  se  rende 
attentif,  il  reconnaîtra  la  grandeur  et  l'énor- 
mité  des  péchés;  il  apprendra  que  ces  cri- 
mes ne  sont  pas  des  choses  légères,  que  c'est 


Dieu  môme  qu'il  a  offensé,  que  c'est  Jésus- 
Christ  qu'il  persécute  ;  que  tout  est  à  crain- 
dre du  Dieu  qui  va  jeter  le  trouble  dans  son 
cœur  s'il  ne  prend  soin  d'en  ôter  ce  qui  lui 
déplaît,  mais  aussi  qu'il  doit  tout  espérer 
d'un  Dieu  qui  s'est  fait  homme.  A  quoi  ce 
trouble  excité  par  les  reproches  que  Dieu 
fait  au  pécheur  le  conduira-t-il,  s'il  les  écou- 
te ?  Poursuivons  ce  que  dit  l'Ecriture  en  rap- 
portant la  conversion  de  Saul  :  Et  alors,  tout 
tremblant  et  effrayé,  il  dit  au  Seigneur  :  Que 
voulez-vous  que  je  fasse  ?  Cette  crainte  des 
jugements  de  Dieu  est  le  premier  mouve- 
ment d'un  pécheur  qu'il  a  éclairé  par  sa 
miséricorde.  Alors,  tremblant  et  effrayé,  il 
dit.  :  Seigneur,  que  voulez-vous  que  je  fasse? 
C'est  l'état  où  doit  être  un  pécheur  qui  ré- 
fléchit sur  sa  vie  et  sur  les  jugements  de  Dieu; 
car  tout  homme  qui  n'est  pas  effrayé  de  cette 
vue  ne  sait  pas  ce  que  c'est  que  Dieu  et  ce 
que  c'est  que  le  péché,  et  il  ne  comprend  pas 
que  c'est  lui  qui  est  offensé  par  le  péché  ni 
que  c'est  lui  qui  le  doit  punir,  et  que  ce 
Dieu  offensé  et  vengeur  dans  sa  propre  of- 
fense agit  sans  miséricorde  quand  le  temps 
de  la  vengeance  est  venu,  que  le  temps  est  à 
sa  disposition,  et  qu'il  n'y  a  pas  un  moment 
dans  la  vie  du  pécheur  où  il  ne  puisse  tom- 
ber entre  les  mains  du  Dieu  vivant. 

Ces  vues,  mes  frères,  percent  le  cœur  d'un 
pécheur  et  le  remplissent  d'une  sainte 
frayeur  qui  produit  d'excellents  effets.  Hien 
ne  fixe  nos  pas  dans  la  voie  de  Dieu  comme 
la  crainte  salutaire  de  la  rigueur  de  sa  jus- 
tice soutenue  par  la  charité.  Ceux  qui  crai- 
gnent ainsi  les  jugements  de  Dieu  n'appré- 
hendent plus  ceux  des  hommes  qui  sont  con- 
traires à  ceux  de  Dieu;  ils  se  soumettent 
avec  humilité  à  ceux  qui  savent  ménager 
les  impressions  de  celte  crainte  pour  les 
faire  marcher  dans  les  voies  de  la  justice. 
C'est  encore  une  disposition  où  l'Ecriture 
nous  montre  saint  Paul  dans  le  récit  qu'elle 
nous  fait  de  sa  conversion.  Ou  le  conduit 
donc  par  la  main  et  on  le  mène  à  Damas. 
Que  peut  faire  un  homme  éclairé  par  de  nou- 
velles lumières  qu'il  ne  développe  pas  en- 
core, troublé  par  une  voix  secrèle  qu'il 
n'entend  pas  distinctement,  effrayé  par  des 
vues  terribles  qui  ne  semblent  propres  qu'à 
le  désespérer;  que  peut,  dis-je,  faire  cet 
homme,  que  de  demander  à  connaître  la  vo- 
lonté de  Dieu  ?  car  comme  la  source  de  tous 
ses  désordres,  c'est  sa  volonté  corrompue,  à 
laquelle  il  faut  renoncer,  la  source  de  sa 
sanctification,  c'est  la  volonté  de  Dieu,  qu'il 
faut  connaître  pour  s'y  abandonner  entière- 
ment. Mais  comment  la  connailra-t-il  s'il  ne 
s'adresse  pas  à  un  homme  qui  la  lui  décou- 
vre ?  C'est  l'ordre  de  Dieu:  saint  Paul,  tout 
éclairé  qu'il  était,  est  envoyé  à  Ananie,  qui 
était  un  homme  fort  simple,  pour  lui  dire  co 
qu'il  fallait  faire.  Ainsi,  quelques  lumières 
que  Dieu  nous  ait  données,  quand  nous  au- 
rions vu,  comme  saint  Paul,  les  rayons  d'une 
lumière  toule  nouvelle,  il  faut  se  soumettre 
au  jugement  de  ses  ministres  :  je  dis  s'y  sou- 
mettre, et  aller  à  eux  avec  la  disposition  de 
s'abandonner  entièrement  à  leur  conduite; 


807) 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


804 


car  on  rencontra  assez  de  gens  qui  entr'ou- 
vri'iit  les  yeux  à  la  lumière,  qui  se  rendent al- 
Leutiffl  à  quelques  r.  proches,  qui  entrent 
dans  quelque  frayeur  Bar  leur  état  et  sur  les 
jugements  de  Dieu,  qui  cherchent  an  homme 
et  qui  vont  a  lui;  mais  ils  en  veulent  un  se- 
lon leur  cœur  et  non  pas  selon  leurs  besoins  ; 
ils  veulent  bien  suivre  ses  lumiè.es,  mais  ils 
ne  veulent  pas  renoncer  aux  leurs  ;  ils  pré- 
tendent que  leurs  raisons  entrent  dans  celle 
de  sa  conduite,  et  en  raisonnant  avec  celui 
qu'ils  ne  devraient  qu'écouler  avec  soumis- 
sion, ils  soumettent  la  lumière  de  Oieu  à  leurs 
propres  lumières,  et  au  lieu  que  le  véritable 
pénitent  dit  à  Jésus-Christ  :  Que  voulez  vous 
que  je  fusse?  ceux  qui  conduisent  les  âmes 
dans  l'Eglise  sont  souvent  obligés  de  deman- 
der à  ceux  qui  viennent  à  eux  :  Que  voulez- 
vous  que  je  lasse?  comment  voulez-vous  que 
je  vous  traite?  C'est  donc  avec  une  disposi- 
tion de  dépendance  absolue,  avec  une  en- 
tière soumission,  avec  une  simplicité  d'en- 
fant, qu'il  faut  aller  à  l'homme  de  Dieu.  Mais 
qui  nous  découvrira  cet  homme?  me  direz- 
vous  :  la  même  simplicité  qui  vous  le  fera 
chercher.  Priez  comme  Saul,  demandez  de 
tout  votre  cœur  à  Oieu  de  connaître  sa  vo- 
lonté, il  vous  enverra  à  celui  qu'il  vous  a 
destiné  ;  il  le  fera  même  aller  au-devant  de 
vous,  car  il  inspire  à  ses  serviteurs  d'aller 
chercher  ceux  qui  le  cherchent  avec  simpli- 
cité par  la  prière,  comme  il  envoie  Ananie 
au-devant  de  Saul  en  la  maison  de  Judas. 
La  véritable  règle  pour  trouver  un  bon  di- 
recteur, c'est  de  voir  comment  se  conduisent 
les  personnes  qui  vont  à  lui. 

Mais  quel  que  soit  celui  à  qui  vous  vous 
adressez,  comptez  qu'il  ne  sera  pas  l'homme 
de  Dieu,  s'il  ne  suit  pas  l'ordre  que  Oieu  vous 
a  marqué  lui-même  dans  la  conduite  qu'il  a 
tenue  sur  Saul.  Avaut  que  de  lui  envoyer 
Ananie  pour  lui  l'aire  l'imposition  des  mains, 
il  fut  trois  jours,  dit  l'Ecriture,  sans  boire  ni 
manger.  Qu'etait-il  nécessaire  de  tenir  dans 
une  telle  privation  un  homme  en  qui  il  s'é- 
tait passé  de  si  grandes  choses?  Cet  homme, 
si  touché,  si  abattu,  si  effrayé,  si  soumis,  ne 
devait-il  pas  être  rétabli  dans  le  même  mo- 
ment? et  puisque  Oieu  avait  réuni  dans  sa 
conversion  les  effets  de  sa  grâce,  qu'il  ne 
produit  que  par  degrés  dans  les  autres  pé- 
cheurs qu'il  convertit,  pourquoi  séparc-l-il 
la  réconciliation  de  ses  autres  effets? 

Cette  conduite  ,  mes  très-chers  frères,  ren- 
ferme une  excellente  leçon  et  pour  les  direc- 
teurs et  pour  ceux  qui  s'adressent  à  eux. 
Jésus-Christ  ,  souverain  médecin  des  âmes  , 
ne  précipite  rien  dans  la  réconciliation  de 
saint  Paul,  toute  miraculeuse  qu'elle  est; 
apprenons  donc  à  n'aller  pas  si  vite,  surtout 
dans  celle  des  grands  pécheurs  que  la  misé- 
ricorde de  Dieu  nous  adresse.  Ananie  tremble 
quand  Dieu  même  lui  parle  d'aller  chercher 
Saul  ;  le  ministère  est  toujours  redoutable  , 
quoiqu'on  n'y  soit  appliqué  que  parla  vo- 
cation du  Seigneur.  Vous  ne  ferez  votre  de- 
voir, ministres  de  Jésus-Christ  ,  qu'eu  sui- 
vant les  règles  qu'il  vous  prescrit  ici  lui- 
mêiuc  dans  la  conduite  qu'il  a  tenue  à  l'é- 


gard de  Saul.  Nous,  pécheurs,  ne  vous  plai- 
gnez pas  qu'on  l'pbserve  à  voire  égard  :  re- 
connaissez au  contraire  qui  tom- 
bés entre  les  main-  de  l'homme  de  Oieu. 

Saint  Paul  demeure  tr  is  joui    ;■  U  la 

vue  .  dans  la  pratique  d'un  jeûne  rigoureux 
et  d'une  prière  continuelle.  Ces  joun 
dans  cet  éiai  d'humiliation  el  de  pi  ni  nce 
nous  enseignent  la  conduite  qu'il  faut  tenir 
avec  les  pécheurs  dans  l'administration  dp 
la  pénitence  :  il  faut  leur  donner  le  temps  de 
porter  et  de  sentir  le  poids  du  péché;  il  faut 
qu'ils  connaissent  ce  qu'ils  sont  et  à  quoi 
ils  se  sont  réduits  par  eux-mêmes  ;  il  Etui 
leur  donner  le  loisir  de  demander  l'esprit  de 
pénitence  et  de  contrition,  qu'ils  sachant  ce 
qu'il  vaut  et  qu'ils  l'achètent  en  quelque  fa- 
çon par  les  larmes,  par  les  prières,  par  les 
gémissements  ;  il  laut  enfin  qu'ils  eommen- 
cent  à  satisfaire  à  la  justice  de  Dieu  ,  qu'ils 
forment  une  certaine  habitude  de  pénitence 
qui  soil  comme  garant  du  changement  de 
leur  cœur,  avant  que  de  les  réconcilier  avec 
Dieu. 

Heureux  celui  qui  est  conduit  par  cette 
voie  I  elle  le  mènera  infailliblement  à  la  per- 
fection de  la  pénitence  .  dont  l'Ecriture  nous 
donne  l'idée  dans  ce  qu'elle  continue  de  rap- 
porter de  la  conversion  de  Saul.  Aussitôt  , 
dit-elle  ,  il  prêcha  Jesus-t'luist  dans  le>  si/na- 
gogues,  assurant  qu'il  était  le  Fils  de  Dieu. 
Jl  s'efforce,  dès  qu'il  est  converti ,  de  dé  ruire 
son  péché  par  une  voie  toute  contraire  :  il  a 
voulu  renverser  la  religion  chrétienne  pour 
faire  triompher  la  loi  des  Juifs  :  il  s'applique, 
aussitôt  que  Oieu  l'a  changé  ,  à  convaincre 
les  Juifs  mêmes  que  Jésus-Christ  est  le  vé- 
ritable Messie  ;  il  consacre  la  science  qu'il  a 
dans  la  loi  à  la  gloire  du  Sauveur  du  monde, 
et  l'ardeur  du  nouvel  esprit  dont  il  est  pé- 
nétré le  porte  à  réparer  le  tort  qu'il  a  fait  à 
son  Eglise. 

Ne  comptez  pas  ,  mes  frères,  que  vous 
soyez  véritablement  convertis  si  on  ne  voit 
un  changement  pareil  dans  votre  conduite. 
Par  où  connaîlra-l-on  que  vous  êtes  péné- 
trés d'am  lur  p  >ur  celui  qui  \ous  a  reg  irdes 
avec  miséricorde,  et  de  reconnaissance  pour  la 
grâce  que  vous  avez  reçue,  si  on  ne  vous 
voit  pas  chercher  les  voies  de  lui  satisfaire 
et  de  réparer  les  injures  que  vous  lui  avez 
laites?  Et  par  où  les  reparerez-vous  si  vous 
ne  suivez  une  conduite  tout  opposée  à  celle 
que  vous  avez  tenue?  (Juellc  autre  marque 
ci  itainc  peut-on  avoir  de  votre  conversion 
si  ce  n'est  le  changement  de  votre  caur  ,  et 
par  où  verra-t-on  que  ce  changement  est 
fait  s'il  ne  parait  pas  dans  vos  actions  ?  Les 
affections  du  cœur  règlent  les  mouvements 
de  la  vie  ;  fiiles  noue  des  actions  contraires 
à  celles  que  vous  avez  faites,  si  vous  voulez 
que  je  croie  que  votre  cœur  est  changé. 

Celle  grâce  qui  vous  a  convertis  i  si  le. 
principe  d'une  vie  nouvelle  .  qui  se  fortifie 
par  les  actions  qu'elle  fait  produire.  Ne  croyez 
donc  pas  que  vous  soyei  véritablement  con- 
vertis si  vous  ne  vous  établissez  dans  le  bien 
par  la  pratique  des  vertus  opposées  aux  vi- 
ces auxquels  vous  vous  êtes  abandounés.  Il 


805 


SERMON  SUR  LES  GRANDEURS  DE  JESUS-CHRIST. 

SERMON 


SOG 


faut  que  vous  changiez  de  façon  de  vivre,  de 
paroles  ,  de  desseins  ,  de  pensées  ;  il  faut 
que  votre  changement  ne  soit  pas  seulement 
ou  ce  que  vous  faites  profession  d'une  loi  qui 
vous  était  inconnue  ,  mais  en  ce  que  vous 
n'obéissez  plus  à  vos  passions,  en  ce  que 
vous  êtes  plus  justes  envers  votre  prochain  , 
pîus  sévères  envers  vous-mêmes,  plus  res- 
pectueux pour  Dieu. 

Vous  avez  vu  tout  ceci  dans  celle  du  per- 
sécuteur des  fidèles  :  ses  fausses  lumières  se 
sont  dissipées  ,  sa  fureur  s'est  éteinte  ,  il  est 
tombé  par  (erre  sans  force  et  sans  mouve- 
ment ;  mais,  peu  de  temps  après,  d'autres  lu- 
mières ont  succédé  aux  premières  ,  il  s'est 
senti  animé  d'un  nouveau  zèle  et  rempli 
d'une  force  toute  divine;  enfin  ,1a  reconnais- 
sance du  nouvel  esprit  dont  il  était  plein,  le  zèle 
du  salut  de  ses  frères,  le  désir  de  réparer  les 
maux  qu'il  a  faits  à  l'Eglise  ,  lui  ouvrent  les 
yeux  et  en  font  tout  d'un  coup  un  apôtre. 

Voilà,  mes  frères  ,  le  modèle  que  l'Eglise 
nous  présente  aujourd'hui.  Bénissons  Dieu 
de  la  conversion  de  ce  persécuteur,  adorons 
ses  miséricordes  sur  cet  apôtre  et  sur  son 
Eglise,  et  plus  encore  sur  son  Eglise  que  sur 
lui  ,  car  c'est  pour  elle  qu'il  l'a  converti  et 
qu'il  lui  a  changé  le  cœur.  I 

Admirons  cet  ouvrage  :  Dieu  fait ,  quand 
il  lui  plaît,  de  ces  conversions  extraordi- 
naires pour  manifester  le  pouvoir  de  sa 
grâce,  mais  il  ne  fait  pas  toujours  de  ces  mi- 
racles éclatants,  il  ne  rassemble  pas  tant  d'ef- 
fets différents  de  sa  grâce  pour  opérer  tout 
d'un  coup  de  semblables  prodiges  :  il  agit 
d'une  manière  plus  simple,  il  commence  par 
de  moindres  effets  l'ouvrage  des  conversions 
ordinaires,  quoiqu'il  accomplisse  à  propor- 
tion tout  ce  qui  s'est  fait  dans  celle  de  Saul. 
C'est  donc  à  vous  ,  mes  frères  ,  à  étudier  ces 
mouvements  ,  à  ménager  ces  premiers  effets, 
à  suivre  par  degrés  les  opérations  de  la  grâce 
en  nous.  L'ouvrage  de  notre  conversion  se- 
rait beaucoup  plus  avancé  si  nous  y  avions 
donné  celte  application  que  je  vous  demande; 
mais  nous  voulons  que  Dieu  fasse  des  mi- 
racles pour  nous  ,  nous  voulons  qu'il  nous 
convertisse  sans  vouloir  nous-mêmes  tra- 
vaillera nous  convertir;  nous  voulons  qu'il 
nous  éclaire  sans  renoncer  à  nos  lumières, 
qu'il  change  notre  cœur  sans  en  bannir  nos 
passions, qu'il  nous  humiliesans  nous  abattre, 
et  qu'il  fasse  de  nous  de  nouveaux  hommes 
sans  rien  changer  dans  nos  engagements  et 
dans  nos  pratiques. 

Prenons  une  autre  voie  ,  nies  très-chers 
frères  ,  recourons  à  lui  avec  confiance  :  ce 
qu'il  a  fait  pour  Saul  est  un  solide  fonde- 
ment d'espérance  pour  tous  les  pécheurs  : 
le  désir  de  nous  convertir,  qu'il  forme  dans 
noire  cœur,  est  un  commencement  de  con- 
version ;  ménageons-le  avec  humilité.  De- 
mandons toujours  comme  si  nous  ne  pou- 
vions rien  ;  travaillons  avec  application 
comme  si  nous  .pouvions  tout  ,  et  espérons 
qu'avec  sa  sainte  grâce  il  couronnera  ses  ou- 
vrages d'une  gloire  éternelle  :  je  vous  la 
souhaite.  Ainsi  soil-il. 


SUR    LES    GRANDEURS    !>E    JESUS-CHRIST- 

.   (28  janvier.  ) 

Unus  Dnminus  Jésus  Christus  ,  per  quem  omnia  et  nos 
per  ipsum  ;  sed  non  in  omnibus  est  scienlia. 

Il  h' ij  a  qu'un  seul  Seigneur,  qui  est  Jésus-Christ ,  par 
lequel  (pûtes  choses  ont  été  faites,  comme  c'est  aussi  pur  lui 
que  nous  sommes  ce  que  nous  sommes  ;  mais  tous  n'ont  point 
celte  connaissance  (l  Cor.,  VIII,  6,  7). 

Ces  paroles  renferment  le  malheur  de  ceux 
à  qui  l'apôtre  saint  Paul  s'adressait,  et  qui 
consistait  à  ne  pas  avoir  la  connaissance  de 
Jésus-Christ.  Ce  malheur,  mes  frères  ,  n'est 
pas  tombé  seulement  sur  les  païens  à  qui 
saint  Paul  parlait  dans  les  premiers  siècles 
de  l'Eglise  ;  mais  il  régnait  encore  d'une  fa- 
çon déplorable,  quoique  d'une  autre  manière, 
parmi  les  chrétiens  dans  les  derniers  temps  , 
lorsque  Dieu  suscita  un  prêtre  selon  son 
cœur,  quia  pris  soin  d'en  assembler  d'autres 
en  son  nom,  pour  renouveler  la  vraie  science 
de  Jésus-Christ  dans  son  Eglise. 

C'est  donc,  mes  très-chers  frères,  pour 
entrer,  autant  que  Dieu  m'en  rendra  ca- 
pable, dans  l'esprit  et  dans  les  intentions  de 
ces  saints  prêtres  si  liés  aux  intérêts  de  Jé- 
sus-Christ ,  que  j'entreprends  aujourd'hui 
de  vous  le  prêcher  tout  entier  selon  les  pa- 
roles de  mon  texte.  Regardons-le  donc  dans 
sa  personne  ,  dans  sa  vie  et  dans  sa  grâce  ; 
c'est  ce  que  nous  allons  faire  dans  ce  dis- 
cours :  nous  le  regarderons  dans  sa  personne, 
comme  l'objet  de  nos  adorations  ;  nous  le 
regarderons  dans  sa  vie,  comme  le  modèle 
de  notre  conduite;  nous  le  regarderons  dans 
sa  sainte  grâce  ,  comme  le  fondement  de  nos 
espérances. 

Nous  saurons  parfaitement  Jésus-Christ, 
et  nous  le  connaîtrons  comme  il  faut  le  con- 
naître, si  nous  savons  adorer  la  personne  de 
Jésus-Christ  :  première  partie  ;  retracer  la 
vie  de  Jésus-Christ  :  deuxième  partie  ;  nous 
abandonner  à  la  grâce  de  Jésus-Christ  : 
troisième  partie.  C'est  tout  ce  que  j'ai  à  pro- 
poser dans  ce  discours,  après  avoir  iniDloré 
l'assistance  du  ciel.  Ave,  Maria. 

PREMIERE   PARTIE. 

Saint  Paul ,  mes  très-chers  frères  ,  faisait 
profession  de  ne  connaître  que  Jésus-Christ, 
et  je  ne  suis  pas  surpris  que  ce  saint  apôtre 
ait  borné  toutes  ses  lumières  à  cette  seule 
connaissance,  puisqu'un  autre  apôtre  nous 
assure  que  la  vie  éternelle  consiste  à  con- 
naître Dieu  et  Jésus-Christ  qu'il  a  envoyé  ; 
mais  je  suis  étrangement  surpris  que  des 
chrétiens  qui  font  profession  d'être  tous  à 
Jésus-Christ  el  qui  n'espèrent  rien  que  par 
lui ,  donnent  néanmoins  si  peu  d'application 
à  le  connaître  et  s'informent  si  peu  de  la  ma- 
nière de  le  bien  connaîlrc.  Car  ne  vous  y 
trompez  pas,  il  y  a  une  sorte  de  connais- 
sance de  Jésus-Christ  qui  ne  dissipe  pas 
l'ignorance  dont  je  me  plains  ,  et  qui  ne  met 
guère  de  différence  entre  nous  cl  ceux  do 
qui  saint  Paul  disait  :  Tous  n'ont  pas  cette 
science;  mais  il  y  en  a  une  autre  qui  nous 
tire  de  celte   ignorance  et  qui  dissipe  les  té- 


,S07 


ORATEURS  SACRES.  IXJM  JEROME. 


813 


nèbrêl  intérieures  qui  rognent  plus  dans  le 
cœur  que  sur  l'esprit ,  et  assurément  celle- 
ci  n'est  pas  donnée  à  tous. 

La  première  peut  nous  donner  aes  idées 
de  Jésus-Christ  ,  mais  ce  ne  sont  que  des 
idées  ;  elle  nous  peut  apprendre  Jésus-Christ, 
mais  elle  ne  nous  unit  pas  à  Jésus-Christ  : 
c'est  une  connaissance  dont  le  malin  esprit 
se  fait  honneur  et  dont  ceux  qui  lui  appar- 
tiennent ne  sont  pas  privés.  La  seconde  i - 

seulement  nous  fait  connaître  Jésus-Christ , 
mais  elle  nous  unit  à  Jésus-Christ  :  elle  nous 
donne  des  idées  sur  la  dignité  de  son  être  , 
elle  nous  attache  à  sa  personne  :  connais- 
sance salutaire  et  pratique  qui  est  bien  moins 
un  effet  des  attentions  de  notre  esprit  que 
désaffections  de  notre  cœur:  connaissance 
en  un  mot  qui  ne  peut  être  produite  en  nous 
que  par  cet  esprit,  sans  lequel,  selon  saint 
Paul  ,  nous  ne  saurions  confesser  que  Jésus  - 
Christ  est  le  Seigneur. 

C'est ,  chrétiens  ,  de  cette  connaissance  de 
Jésus-Christ  que  je  veux  vous  parler  dans 
ce  discours  :  je  veux  d'abord  vous  le  pro- 
poser dans  sa  personne  divine  et  dans  ces 
deux  natures  inséparablement  unies  dans 
son  incarnation  ,  c'est-à-dire  vous  présenter 
ce  composé  admirable  de  l'Homme-Dieu  qui 
nous  est  donné  pour  être  l'objet  de  nos  ado- 
rations. 

C'est  ici  ,  mes  frères  ,  le  premier  rapport 
que  nous  avons  à  Jésus-Christ  ,  c'est  le  pre- 
mier devoir  que  nous  découvre  la  connais- 
sance de  sa  personne  divine  :  car  si  saint 
Paul  nous  assure  que  dès  que  Dieu  cul  intro- 
duit de  nouveau  son  premier-né  dans  le 
monde,  il  ordonna  aux  anges  de  l'adorer, 
quoiqu'il  ne  se  fût  pas  fait  ange,  que  doivent 
faire  les  hommes  pour  qui  il  s'est  fait  homme, 
et  quelle  serait  leur  ingratitude  et  leur 
aveuglement  s'ils  portaient  ailleurs  leurs 
adorations  ?  Il  faut  donc  que  nous  regardions 
la  personne  de  Jésus-Christ  comme  le  centre 
et  le  principe  de  nos  adorations  ;  c'est  sous 
ces  deux  vues  que  nous  dorons  regarder  celte 
personne  divine,  si  nous  voulons  en  prendre 
l'idée  qui  lui  convient  et  le  connaître  de 
celte  connaissance  qui  nous  unit  à  lui. 

En  effet,  il  est  le  centre  de  nos  adorations, 
parce  que,  outre  que  lui  seul  doit  être  ado- 
ré, c'est  à  lui  seul  que  nous  devons  rappor- 
ter nos  adorations;  car  rien  n'est  plus  grand, 
rien  n'est  plus  saint  que  lui.  (Juc  vous  dirai- 
je,  chrétiens,  pour  vous  faire  connaître  le 
mérite,  la  sainteté  et  les  grandeurs  de  Jésus- 
Christ?  vous  representerai-je  d'abord  que  sa 
venue  a  été  l'objet  de  L'attente,  des  vœux, 
des  empressements,  des  soupirs  des  patriar- 
ches et  de  tous  les  justes  de  l'Ancien  Testa- 
ment? ils  l'ont  appelé  le  désiré  de  toutes  les 
nations:  Desideratus  cunclis  gentibus.  Tour- 
nez-vous vers  nous  :  Convertere,  Domine; 
jusqu'à  quand  nous  rejetlercz-vous?  Faites- 
nous  connaître  votre  droite,  c'est-à-dire, 
selon  saint  Augustin,  le  Fils  de  Dieu,  le 
Christ,  dont  les  hommes,  accablés  sous  le 
poids  de  leurs  péchés  et  de  tant  de  maux  iim 
en  étaient  les  justes  peines,  souhaitaient  l'a- 
vénemeul  avec  ardeur.  Faites-nous-le  con- 


naître en  le  rendant  visible  par  son  incar- 
nat ion,  afin  que  nous  soyons  instruits  par 
lui,  non-seulement  à  l'extérieur,  e  rame  nos 

pires,  mai-  dans  le  cœur.  Ces  discours  ar- 
dents doivent  au  moins  être  considéré* 
comme  de  Farorables  préjugés  du  mérite  et 
de  la  sainteté  de  celui  qui  les  avait  fait  naître 
dans  l'âme  de  ces  justes. 

Mais  quels  qu'ils  pui-sent  élre,  reconnais- 
sons, chrétiens,  qu'ils  sont  infiniment  au- 
dessous  nu  mérite,  de  la  sainteté  et  des  gran- 
deurs de  celui  qu'ils  ont  obtenu.  I. rouions 
sur  cela  le  grand  saint  Augustin.  //  n'y  a  ja- 
mais eu,  dit  ce  grand  homme,  d'effusion  plus 
abondante  de  la  bonté  de  Dieu  sur  le  genre 
humain,  que  lorsque  la  Sagesse  même,  c'est- 
à-dire  son  propre  Fils,  qui  lai  est  coétirnel  et 
consubstantiel,  a  daigné  se  revêtir  de  tout  ce 
qui  appartient  à  la  nature  de  l'homme,  c'est- 
à-dire  lorsque  le  Verbe  s'est  fait  chair  et  qu'il 
a  habité  parmi  nous.  C'est  là  le  plus  grand  et  le 
plus  digne  ouvrage  de  la  bonté  d'un  Dieu  qui 
se  rend  pauvre  pour  nous  enrichir  de  $a  pu  - 
vrelé ,  qui  te  fait  infirme  pour  guérir  des  ma- 
lades, qui  devient  esclave  pour  délivrer  ceux 
qui  l'étaient,  et  qui  donne  le  premier  des  mar- 
ques du  j.lus  tendre  amour  à  ceux  qui  ne 
pensaient  pas  à  l'aimer.  (Juel  abîme  de  tageiêê 
clans  la  consommation  de  cet  ouvrage  divin, 
qui  nous  découvre  tant  de  puissance  et  tant 
de  bonté  !  Celui  qui  était  invisible  pnr  sa  na- 
ture se  rend  visible  par  son  iricarnation,  et  il 
se  proportionne  à  la  faiblesse  de  nos  yeux, 
gui  ne  pouvaient  pas  supporter  l'éclat  de  sa 
majesté,  il  s'est  rendu  le  modèle  des  hommes, 
il  a  trouvé  le  moyen  de  les  rappeler  par  les 
choses  sensibles  auxquelles  ils  étaient  attachés, 
aux  choses  spirituelles  desquelles  ils  s'étaient 
éloignés  entièrement. 

Peut-on  être  surpris  après  cela  que  le  pro- 
phète Isaïe  donne  tant  de  qualités  excellen- 
tes à  ce  petit  enfant  qui  nous  est  né,  à  ce 
fils  qui  nous  a  été  donne?  Il  l'appelle  l'Admi- 
rable, et  c'est  à  juste  titre,  si  nous  considé- 
rons tout  ce  qu'il  réunit  de  grand,  mais  plus 
encore,  dit  saint  Bernard,  par  le  changement 
qu'il  a  fait  dans  nos  cœurs  et  par  l'empire 
qu'il  s'est  acquis  sur  la  volonté  des  hommes. 

Il  l'appelle  {e  conseiller,  le  Dieu,  le  fort,  le 
père  du  siècle  futur,  le  prince  de  la  paix.  C'est 
donc  là  le  centre  de  nos  adorations,  c'est  là 
que  nous  devons  porter  tous  nos  hommage»; 
car  ('nomme, dit  saint  Augustin,  ne  doit  ado- 
rer que  ce  qui  est  l'objet  de  l'adoration  de 
toute  créature  raisonnable. 

Nous  croyons  sans  hésiter  que  les  anges 
mêmes,  ces  substances  si  nobles  et  si  pures 
qui  sont  les  minisires  les  plus  excellents  de 
la  toute-puissance  de  Dieu,  ne  désirent  autre 
chose  eux-mêmes,  sinon  que  nous  adorions 
avec  eux  celui  qu'ils  adorent,  et  dont  la  con- 
templation éternelle  faii  leur  bonheur,  rmmMCi 
elle  doit  faire  le  nôtre:  car  ce  ne  sera  pas 
parce  que  nous  verrons  les  saints  que  nous 
serons  éternellement  heureux  dans  le  ciel, 
mais  ce  sera  parce  que  nous  verrons  colle 
vente  éternelle.  Nous  prenons  pari  à  leur 
bonheur  et  à  leur  joie,  nous  les  honorons  par 
un  sentiment  d'amour  et  de  charité,  et  mm 


809 


SERMON  SUR  LES  GRANDEURS  DE  JESUS-CUR1ST. 


810 


par  un  dévouement  de  servitude;  mais  nous 
ne  leur  bâtissons  point  de  temples,  et  ils  sont 
bien  éloignés  de  demander  de  nous  ces  sortes 
d'honneurs,  puisqu'ils  savent  que  lorsque 
nous  avons  la  charité  nous  sommes  les  tem- 
ples du  Dieu  souverain  qu'ils  adorent  comme 
nous. 

C'est  donc  Jésus-Christ  seul  que  nous  ado- 
rons, c'est  sur  celte  sainte  montagne  que  nos 
pères  ont  porlé  leurs  adorations,  c'est  là  le 
centre  où  elles  doivent  se  terminer;  mais 
c'est  aussi  de  dessus  cette  montagne  qu'il 
faut  adorer:  c'est  celte  terre  d'où  coulent  le 
lait  et  le  miel.  Car  comme  Jésus-Christ  doit 
être  le  centre  de  toute  adoration,  parce  que 
rien  n'est  plus  grand  que  sa  personne  divine, 
rien  aussi  n'est  plus  saint  que  lui  :  il  est  le 
Saint  des  saints  ,  il  est  dans  sa  personne  la 
source  de  toute  adoration  ,  il  n'y  a  que  par 
lui  que  nous  le  puissions  adorer,  et  il  est  en 
nous  la  source  de  toute  adoration.  Pour  ex- 
poser Jésus-Christ  tout  entier,  il  faut  retra- 
cer toute  la  religion. 

En  effet,  mes  frères,  toute  créature  est 
faite  pour  adorer  Dieu  ;  car,  comme  Dieu  n'a 
pu  former  la  créature  que  pour  lui-même,  no 
pouvant  pas  n'élre  point  la  fin  de  toutes  cho- 
ses, il  n'y  a  point  de  créature  qui  ne  porte 
dans  sa  nature  et  dans  l'essence  de  son  être 
une  obligation  de  retourner  à  lui  :  si  elle  est 
raisonnable  ,  elle  ne  peut  y  retourner  que 
par  l'adoration;  elle  ne  doit  rechercher  <;ue 
lui,  ne  reconnaître  que  lui  pour  son  unique 
bien,  ne  vouloir  que  lui  ;  mais  celte  créature 
ne  peut  adorer  Dieu  qu'imparfaitement ,  car, 
pour  que  Padoralion  soit  absolument  par- 
faite, il  faut  qu'il  y  ait  un  rapport  de  mérite 
et  de  prix  entre  l'adoration  et  celui  à  qui 
elle  est  rendue,  et  c'est  ce  qui  ne  se  trouvera 
jamais  lorsqu'il  n'y  aura  que  la  créature  qui 
adore.  Adam  dans  son  innocence  fui  s:ms 
doute  dans  son  genre  un  parfait  adorateur  de 
la  Divinité  :  il  adora  Dieu  saintement,  il  était 
saint;  mais  comme  il  n'était  qu'homme,  il  ne 
l'adora  qu'imparfaitement:  le  mérile  de  son 
adoration  était  borné  et  réduit  aux  termes  du 
mérite  d'une  créature  qui  ne  peut  rien  avoir 
d'infini,  et  par  conséquent  rien  qui  ne  soit 
au-dessous  de  Dieu. 

Il  n'y  a  donc  qu'une  créature  d'un  mérile 
infini  qui  puisse  adorer  Dieu  selon  toute  sa 
dignité  ;  et  où  trouverons-nous  cette  créa- 
ture si  ce  n'est  dans  la  personne  de  Jésus- 
Cluist  .'  Il  fallait  ,  pour  former  ce  véritable 
adorateur,  qu'il  fût  homme  cl  qu'il  fût  Dieu: 
il  fallait  qu'il  fût  homme,  parce  qo  un  Dieu 
ne  peut  pas  être  adorateur,  il  doit  toujours 
être  adoré  ;  il  fallait  cependant  qu'il  fût  Dieu, 
car  un  homme  ne  peut  offrir  que  des  hon- 
neurs finis,  et  de  tels  honneurs  ne  sont  pas 
proportionnés  à  la  dignité  d'un  Dieu,  et  ne 
suffisaient  pas  pour  lui  rendre  ce  que  le  pé- 
ché lui  a  ôlé.  Jésus-Christ  seul  pouvait  donc 
être  cet  adorateur,  lui  seul  pouvait  offrir  une 
adoration  infinie:  car,  comme  toutes  les  ac- 
tions portent  avec  elles  le  prix  et  le  mérite 
de  la  dignité  de  'la  personne  qui  Jcs  produit, 
îîinsi  la  nature  que  le  Verbe  sesl  unie  ayant 
perdu  un  certain  être  humain  et  reçu  en 
Orateurs  sw:hi    .   \\\. 


place  un  être  divin  ,  ne  subsistant  plus  que 
par  cet  être  et  dans  une  personne  divine, 
toutes  les  actions  de  cet  Homme-Dieu  ont 
porté  avec  elles  un  mérite  et  une  valeur  in- 
finie. Il  n'y  a  donc  eu  nuile  adoration  vrai- 
ment digne  de  Dieu  jusqu'à  la  venue  de  Jé- 
sus-Christ, et  c'est  ce  que  le  Sauveur  du 
monde  enseignait  à  la  Samaritaine  lorsqu'il 
lui  dit  :  L'heure  est  venue  que  les  vrais  adora- 
teurs adoreront  le  Père  en  esprit  et  en  vérité. 
Jusque-là  il  n'y  avait  eu  que  des  adorations 
imparfaites  ;  lui  seul  est  le  véritable  adora- 
teur du  Père,  lui  seul  l'adore  en  esprit  et  en 
vérité  ;  c'est  donc  en  lui  que  se  trouve  la 
source  de  toute  adoration. 

Mais,  mes  frères  ,  cette  source  est  ouverte 
pour  nous,  car  il  n'y  a  que  par  lui  que  nous 
puissions  adorer  en  esprit  et  en  vérité  :  aussi 
dit-il  à  la  même  femme  que  l'heure  est  venue 
où  les  vrais  adorateurs  adoreront  en  esprit  et 
en  vérité;  car  nous  le  sommes  en  lui,  et 
même  nous  ne  formons  avec  lui  qu'un  seul 
adorateur,  nous  ne  formons  qu'un  corps  avec 
Jésus-Christ  ;  le  chef  ot  les  membres  ne  font 
qu'un  même  homme,  et  ne  formant  qu'un 
corps  avec  Jésus- Christ  et  l'ayant  pour  chef, 
nous  sommes  animés  de  son  esprit.  Saint 
Paul  nous  dit  :  Parce  que  vous  êtes  les  enfants 
de  Dieu  ,  Dieu  a  envoyé  dans  vos  cœurs  l'es- 
prit de  son  Fils.  Donc  ,  si  nous  ne  formons 
qu'un  corps  avec  lui  ,  si  ce  corps  est  animé 
de  son  esprit ,  c'est  lui  qui  agit  en  nous.  Le 
Verbe  a  été  fait  chair  et  il  a  habité  parmi  nous. 
Ce  n'est  pas  seulement  parce  que  cet  Homme- 
Dieu  a  conversé  avec  les  hommes,  mais  parce 
qu'il  est  dans  nous  tous  qui  sommes  ses  en- 
fants ,  et  qu'il  y  est  comme  un  autre  nous- 
mêmes  ,  qu'il  y  adore  son  Père  en  nous  et 
par  nous,  et  que  nous  l'adorons  par  lui.  Voi- 
là jusqu'où  la  dignité  de  chrétien  est  portée 
par  les  rapports  et  par  les  liaisons  qu'il  a 
avec  la  personne  de  Jésus-Christ.  Non-seu- 
lement il  est  destiné  à  aimer,  à  servir,  à  ado- 
rer Dieu  ,  mais  il  aime  Dieu  par  lui-même  ; 
c'est  par  lui-même  qu'il  le  sert,  c'esl  par  lui- 
même  qu'il  l'adore  ;  il  ne  va  à  lui  que  par  lui, 
cl  Jésus-Christ  est  tout  ensemble  l'objet  et 
le  moyen  de  son  adoration. 

Comprenez  bien  ,  mes  frères  ,  cette  émi- 
nente  dignité  de  \oirc  consécration,  et  la 
haute  élévation  de  l'état  d'un  chrétien  au- 
dessu  de  celui  d'un  juif.  Il  avait  bien  le  même 
objet  que  vous  dans  son  adoration,  il  la 
rapportait  à  Dieu  :  ainsi  il  n'était  pas  un  faux 
adorateur,  il  adorait  celui  à  qui  l'adoration 
état  due;  mais  il  n'était  qu'un  adorateur 
très-imparfait,  parce  qu'il  ne  lui  rendait  son 
culte  que  par  le  sacrifice  des  animaux.  Le 
chrétien  au  contraire  est  un  adorateur  par- 
fait ,  puisque  c'est  par  Jésus -Christ  qu'il 
adore,  et  qu'il  ne  peut  adorer  pleinement  que 
par  lui.  L'excellence  de  son  adoration  réunit 
et  égale  le  moyen  à  l'objet  ;  il  adore  Dieu,  et 
il  l'adore  par  Jésus-Christ.  Ce  sont  là,  chré- 
tiens, l(>s  idées  que  nous  devons  avoir  sur  la 
personne  de  Jésus-Christ ,  quo  nous  avons 
regardé  d'abord  comme  l'objet  de  nos  adora- 
tions. 11  en  est  le  centre,  il  en  est  la  source, 
prr  qnem  omnia  ,   et  nos  per  ipsum.  Il  faut 

20 


m 


ORATRl RS  SACRES.  DOM  JEROME. 


812 


maintenant  le  regarder  dam  a  vie  mbmm 
le  modèle  de  noire  conduite  :  c'est  la  sujet  du 
deuxième  point. 

OEUXIKVH-:    PARTIR. 

C'est  une  vérité  qui  appartient  a  la  foi  cl 
qui  csl  un  des  principes  de  la  religion,  que 
tout  chrétien  doit  regarder  la  vie  de  Jésus- 
Christ  rommfi  la  règle  de  la  sienne,  et  l'étu- 
dier comme  le  modèle  de  sa  couduite.  C'est 
ta  celte  voie  nouvelle,  cette  voie  vivante  dans 
laquelle  nous  devons  marclier  par  la  foi  : 
voie  unique,  hors  laquelle  il  n'y  a  qu'égare- 
ment ;  voie  qui  conduit  à  1 1  v  ic  et  qui  est  ex- 
posée à  nos  sens  par  sa  vie  même  et  par  ses 
mystères.  C'est  ce  qui  l'ait  que  saint  Paul  re- 
commande aux  chrétiens  de  jeter  les  yeux 
sur  Jésus-Christ ,  comme  sur  l'auteur  et  le 
consommateur  de  la  foi.  Par  là  ,  mes  frères  , 
comprenez  que  si  nous  connaissons  la  per- 
sonne de  Jésus-Christ ,  il  faut  encore  nous 
appliquer  à  connaître  sa  vie  et  à  l'étudier, 
comme  !e  modèle  qui  doit  régler  la  nôtre  ; 
car  il  était  nécessaire  absolument  pour  notre 
salut  que  ce  modèle  fût  exposé  à  nos  yeux, 
et  il  n'était  pas  possible  de  nous  en  exposer 
un  plus  excellent.  Ainsi  c'est  donc  pour  nous 
une  obligation  de  salut  de  l'étudier  et  de  le 
sui\re,  mais  nous  ne  saurions  être  convain- 
cus comme  il  faut  de  la  nécessité  où  nous 
étions  que  la  vie  de  Jésus-Cnist  lût  exposée 
à  nos  yeux  pour  servir  de  modèle  à  outre 
conduite,  si  nous  ne  retraçons  l'idée  de  l'état 
où  nous  avions  été  réduits  par  le  péché.  Ne 
craignez  pas,  mes  frères,  que  ceci  nous  éloi- 
gne de  notre  matière,  nous  ne  perdrons  pas 
Jésus-Chrisl  de  vue  :  il  y  a  une  relation  na- 
turelle entre  le  malade  et  le  médecin  ;  le  fon- 
dement de  la  religion  est  établi  sur  ces  deux 
hommes,  et  on  ne  peul  entrer  dans  la  con- 
naissance de  l'un  que  par  celle  de  l'autre. 

Retraçons  donc  en  deux  mots  l'état  où  nous 
avait  réduits  cet  homme  par  qui  tous  les 
maux  qui  nous  accablent  sont  entrés  dans  la 
nature.  Heureux  dans  l'étal  de  son  inno- 
cence, il  connaissait  et  il  aimait  Dieu  qui 
levait  formé  ;  malheureux  depuis  son  péché, 
il  fut  dépouillé  de  ces  deux  avantages  :  il 
perdil  toul  d'un  coup  la  connaissance  et  l'a- 
mour de  son  Dieu;  l'aveuglement  d'espril  et 
la  corruption  du  cœur  furent  ainsi  les  deux 
plaies  qu'il  reçut  par  son  crime.  Le  change- 
ment qui  se  fit  en  lui  fut  si  déplorable,  que 
son  âme,  qui  rendait  sa  chair  spirituelle  par 
l'empire  qu'elle  avait  sur  elle  et  par  l'im- 
pression qu'elle  y  faisait  à  cause  de  son  union 
avec  Dieu,  était  devenue  elle-même  toule 
matérielle  et  incapable  de  connaître  cl  d'ai- 
mer autre  chose  que  des  objets  sensibles  et 
corporels.  Il  est  vrai  qu'elle  n'avait  qu'à  ren- 
trer en  elle-même  pour  retourner  vers  son 
Dieu,  car  il  étail  au  dedans  d'elie  cl  il  luisait 
encore  dans  ses  ténèbres  ;  mais  elle  en  elail 
sortie.  Elle  était  tellement  dissipée  et  le  poids 
qui  l'entraînait  l'avait  reodue  si  charn 
qu'elle  ne  connaissait  et  n'aimait  plus  que 
des  corps. 

Dans  cet  état  il  lui  fallait  un  maître  qui  fût 
à  oortée  de  sa  disposition,  un  maiire  qui  pût 


la  ramener  aux  choses  spirituelles  par  la  vue 
de<  objels  sensibles,  uu  maitre  revêtu  'l'un 
corps,  afin  de  s'insinuer  par  nos  sens  jus- 
qu'au fond  de  notre  aine,  et  y  porter  une 
connaissance  et  un  amour  de  la  justice  capa- 
ble de  dissiper  l'aveuglern  ni  de  noire  esprit 
et  la  corruption  de  notre  cœur. 

Or,  vous  le  voyez  ce  maiire  qui  s'est  rendu 
visible  pour  nous  enseigner,  c'est  I  Verbe 
qui  s'est  fait  chair  et  qui  a  h  bile  parai 
nous,  pour  nous  détacher  des  biens  sensibles 
et  nous  ebver  à  l'amour  des  biens  invisibles; 
il  s'est  rendu  visible  lui-même,  et  s'est  anéanti 
en  se  révélant  de  noire  chair  pour  devenir 
ce  modèle  nécessaire  ,  mais  en  mém  t  •  ups 
si  excelle 

Cette  excellence  doit  se  prendre  de  la  <\\~ 
gnité  du  modèle  même  el  de  la  manière  qu'il 
a  choisie  pour  nous  proposer  ce  que  nous 
avions  à  i miter.  Ce  modèle,  c'est  Jésus-Thrisi 
lui-même,  c'est  la  vertu  et  la  sagesse  de  Dieu, 
c'est  la  vérité. 

Il  n'en  faut  pas  davantage  pourcomprendre 
quelle  est  la  dignité  de  ce  modèle  qui  nous 
est  proposé.  Jesus-Christ  est  la  vertu  de  Dieu, 
c'est  la  sagesse  infinie,  la  vérité  éternelle-  et 
pour  retracer  en  nous  l'image  de  la  Divinité, 
que  nous  y  avons  efiacée  par  notre  péché, 
il  vient  se  charger  de  nos  misères,  el  -e 
rendre  semblable  à  nous  pour  nous  mettre 
en  état  de  devenir  semblables  à  lui.  I!  a  com- 
mencé par  marquer  à  ceux  qu'il  voulait  ins- 
truire l'estime  qu'il  faisait  d'eux,  pour  s'in- 
sinuer dans  leur  cœur,  en  se  montrant  i 
nous  dans  notre  propre  nature  ;  après  s'être 
insinué  dans  le  cœur  de  ceux  qu'il  voulait 
instruire,  il  a  voulu  s'établir  une  certaine 
autorité  dans  leur  esprit ,  et  leur  donner  de 
grandes  idées  de  lui-même:  ainsi  il  s'est  ap- 
pliqué à  leur  faire  voir  que  si  son  amour  l'a- 
vait réduit  à  se  rendre  semblable  à  eux  en  se 
révélant  de  leur  nature  ,  sa  puissance  n'en 
étail  pas  diminuée  ,  et  qu'il  portait  sous  les 
faiblesses  de  l'humanité  loute  la  force,  toute 
la  majesté  el  loule  la  vertu  d'un  Dieu. 

H  leur  a  donc  fait  voir  qu'il  était  vérita- 
blement Dieu  et  véritablement  homme.  Ses 
miracles  et  les  bienfaits  dont  il  les  a  comblés 
ont  été  les  preuves  de  sa  divinité,  comme  sa 
passion  cl  ses  souffrances  les  ont  convaincus 
qu'il  était  homme  ;  el  il  n'y  a  aucune  action 
de  sa  vie  qui  n'aille  à  marquer  l'une  et  l'autre 
de  ces  deux  natures.  Il  élait  nécessaire  qu'ils 
fussent  convaincus  de  l'union  de  ces  deux 
natures,  mais  il  fallait  qu'ils  le  reconnussent 
pour  un  Dieu  avant  que  de  le  recevoir  pour 
maiire  :  car  tous  les  homme-  elanl  engages 
dans  l'aveuglement,  aucun  n'était  capable 
d'éclairer  les  autres,  et  ils  étaient  irop  pleins 
d'orgueil  pour  se  soumettre  à  leurs  sembla- 
bles. D'ailleurs  il  fallait  qu'ils  fussent  per- 
suadés qu'il  élait  homme,  capable  d  être 
louché  de  toutes  les  choses  sensibles,  sus- 
ceptible comme  eux  de  ton  es  le-  lenl  tioM 
agréables  que  l'homme  peut  recevoir 
leur  usage,  a  issi  bien  que  de  la  douleur  qu'il 
res>enl  par  leur  privation,  aûn  que,  lui 
v  vaut  rejeter  ce  qu'ils  avaient  toujours  pour- 
suivi  avec   lant  d'ardeur   el    embrasser  ce 


SERMON  SUR  LES  GRANDEURS  DE  JESUS-CHRIST. 


814 


qu'ils  avaient  toujours  rejeté  avec  tant  de 
soin,  ils  pussent  comprendre  que  ce  qu'ils 
avaient  regardé  connue  des  maux  n'en  était 
point  réellement,  et  que  ce  qu'ils  avaient 
recherché  comme  des  biens  n'en  avait  que 
les  apparences. 

Il  aurait  pu,  à  la  vérité,  se  servir  de  son 
autorité  pour  les  rappeler  de  leur  égarement 
et  pour  leur  commander  les  vertus;  il  aurait 
pu  leur  dire  seulement  :  Si  vous  ne  vous  hu- 
miliez, vous  n'entrerez  point  dans  le  royaume 
des  cieux,  et  ainsi  du  reste;  mais  il  n'a  pas 
voulu  mettre  la  force  en  usage;  il  n'a 
rien  voulu  établir  que  par  voie  d'enseigne- 
ment et  de  persuasion  ;  il  a  choisi  une  voie 
douce  et  aimable;  il  a  mieux  aimé  dompter 
le  cœur  par  l'insinuation  que  par  la  force  : 
Apprenez  de  moi,  dit-il,  que  je  sm's  doux  et 
humble  de  cœur.  Chrétiens,  qui  ne  se  rendrait 
pas  à  ce  maître?  Quelle  fierté  pourrait  tenir 
contre  ces  paroles,  soutenues  de  la  dignité 
infinie  et  des  profonds  abaissements  de  relui 
qui  les  a  prononcées? 

Les  hommes  couraient  avec  une  ardeur  in- 
satiable après  les  richesses  de  la  terre,  qui 
sont  les  instruments  de  la  volupté  :  il  s'est 
rendu  pauvre.  Ils  ne  cherchaient  qu'à  s'éle- 
ver au-dessus  des  autres  par  les  dignités,  il 
u'a  pas  voulu  souffrir  qu'on  le  fil  roi.  Leur 
orgueil  leur  donnait  de  l'horreur  pour  les 
outrages,  il  en  a  essuyé  en  toutes  manières. 
Ils  ne  pouvaient  souffrir  les  injures  les  plus 
légères,  en  est-il  de  plus  atroces  que  celle 
que  souffre  un  juste  et  un  innocent  qui  se 
yoit  condamné  a  la  mort?  La  douleur  leur 
était  insupportable,  il  a  été  déchiré  de  coups. 
Enfin,  mes  frères,  en  se  privant  de  tous  les 
biens  dont  l'amour  nous  porte  au  mal,  il  a 
fait  voir  le  peu  de  cas  qu'on  en  doit  faire,  et 
en  s'exposant  à  tous  les  maux  dont  la  crainte 
nous  détourne  de  la  recherche  de  la  vérité, 
c'est-à-dire  des  choses  éternelles  et  invisi- 
bles, opposées  aux  choses  sensibles,  qui  ne 
sont  que  mensonges  et  illusions,  il  a  mis 
tous  les  maux  sous  ses  pieds. 

Faut-il  présentement  vous  presser  sur  la 
conséquence  naturelle  de  ces  vérités, et  vous 
dire  qu'il  est  d'une  obligation  indispensable 
pour  nous  d'étudier  ce  modèle  et  de  le  sui- 
vre? Le  Sauveur  du  monde  ne  nous  dit-il  pas 
qu'il  est  la  voie,  et  n'ajoute-t-il  pas  qu'il  nous 
a  donné  l'exemple  afin  que  nous  fassions  de 
même?  C'est  donc  là  l'élude  d'un  chrétien  : 
copier  Jésus-Christ,  régler  sa  conduite  sur 
celle  du  Sauveur.  On  ne  saurait  dire  qu'on 
le  connaît,  qu'on  se  connaît  soi-même  et 
qu'on  connaît  la  religion,  quand  on  néglige 
celle  application  et  celle  étude,  puisque  tou- 
tes les.  obligations  d'un  chrétien  sont  ren- 
fermées dans  cette  application,  et  son  salut 
dans  l'avantage  d'y  réussir.  N'est-ce  pas  ce 
que  saint  Paul  nous  .marque  si  précisément 
quand  il  nous  dit  que,  comme  nous  avons  porté 
l  image  de  l'homme  terrestre,  il  faut  que  nous 
portion* l'image  de  l'homme  céletle'/  Car  Dieu 
ne  considère  en  nous  que  Jésus-Christ  et  son 
image,  et  celle  image  ne  se  forme  en  nous 
<iue  par  la  pratique  des  vertus  dont  il  nous  a 


donné  l'exemple  ;  c'est  donc  un  devoir  indis- 
pensable de  les  éludier  et  de  les  suivre. 

Il  est  vrai  que  chaque  chrétien  ne  peut  pas 
ressembler  en  toutes  choses  à  Jésus-Christ, 
que  toutes  ses  vertus  et  tous  ses  exemples 
ne  conviennent  pas  à  chaque  état  eu  parti- 
culier; mais  toute  l'Eglise  doit  représenter 
lout  Jésus-Christ.  Cette  multitude  qu'il  unit 
à  lui  par  la  grâce  et  par  la  charité  est  véri- 
tablement son  corps  mystique  ,  et  comme 
toute  la  société  des  chrétiens  prise  ensemble 
ne  fait  qu'un  seul  Jésus-Christ,  il  s'ensuit 
que  chaque  particulier  doit  lui  ressembler 
dans  son  état  et  être  reconnu  pour  son  mem- 
bre, comme  loule  l'Eglise  doit  le  représenter 
en  lout  son  corps.  C'est  en  conséquence  de 
cette  vérité  qu'un  grand  serviteur  de  Dieu  a 
fait  cette  belle  réflexion,  que  le  Sauveur  du 
monde,  ne  nous  ayant  point  laissé  par  écrit 
de  grandes  instructions  louchant  la  piété 
chrétienne,  il  a  voulu  nous  faire  entendre 
qu'elle  ne  pouvait  être  di  nement  représen- 
tée que  par  les  actions  vivantes  de  sa  vie 
mortelle  ;  et  comme  il  renouvelle  celte  vie 
tous  les  jours  en  la  communiquant  aux  chré- 
tiens par  la  foi  et  par  la  charité,  c'est  par 
celte  loi  agissante  et  par  la  charité  qu'ils 
doivent  représenter  Jésus-Christ. 

11  nous  a  laissé  trois  monuments  qui  sub 
sisteroni  jusqu'à  la  fin  des  siècles  :  celui  de 
sa  mort  dans  l'adorable  eucharistie,  celui  de 
sa  doctrine  dans  son  Evangile,  et  celui  de  sa 
vie  dans  les  vrais  chrétiens,  qui  sont  des  ta- 
bleaux de  celte  vie  divine  plus  excellents  en 
un  sens  que  les  seuls  écrits  de  son  Evangile, 
qui  ne  contient  que  le  récit  de  ses  actions  : 
car  l'Evangile  ne  renferme  que  la  vie  passée 
de  Jésus-Christ,  dans  des  caractères  qu'on 
peut  appeler  morts,  au  lieu  que  les  véri- 
tables chrétiens  contiennent  sa  vie  présente 
aussi  bien  que  sa  vie  passée;  ils  la  décou- 
vrent, ils  la  montrent,  ils  la  font  lire,  ils  la 
représentent  aux  yeux  de  tout  le  monde. 

De  là  venait  autrefois  que  les  païens, 
voyant  le  désintéressement,  la  simplicité,  la 
douceur  cl  les  autres  vertus  des  premiers 
chrétiens,  disaient  en  les  admirant  :  Les  dieux 
sont  descendus  sur  la  terre  et  ont  conversé 
parmi  nous;  car  Jésus-Christ  vivait  vérita- 
blement dans  les  premiers  fidèles,  comme 
l'apôtre  saint  Paul  dit  qu'il  vivait  en  lui.  En 
ell'et  Jésus-Christ  retrace  et  renouvelle  sa  vie 
dans  tous  ceux  qui  vivent  dans  le  monde 
comme  il  a  vécu  et  comme  il  a  recommandé 
à  tous  les  chrétien*  d'y  vivre  ;  et  il  ne  les  au- 
rait pas  appelés  ses  cohéritiers,  ses  associés 
à  la  filiation  divine,  à  sa  royauté,  à  sa  divi- 
nité même,  si  leur  vie  n'élait  pas  ici-bas  sem- 
blable à  la  sienne.  Telle  est  l'obligation  in- 
dispensable d'étudier  celte  vie  et  de  copier  ce 
modèle  di\  in. 

Qui  croirait  se  pouvoir  sauver  en  vivant 
d'une  autre  manière  tomberait  dans  l'illusion 
des  enfants  de  Zébédée,  aspirant  à  la  gloire 
sans  vouloir  suivre  les  seuls  moyens  parles- 
quels  on  y  peut  parvenir:  mais,  hélas  I  Sei- 
gneur, où  sont-ils  ces  table  mx  véritables  de 
Jesus-Chrisl?  où  lmuve-l-on  de  ces  image» 
fidèles?  quel  rapport  y  a-l-il  enire  la  conduite 


815 

de*' chrétiens  que  nous  voyons,  cl  celle  de 
Jésus-Christ  qui  est  contenue  dans  l'Krangile 
cl  (jui  nous  est  proposée  pour  modèle?  Son- 
geons à  relie  parole  de  saint  Paul  :  Ceux 
qu'il  «  connus  dans  ta  prescience,  il  les  tt atiiii 
prédestinée  pour  tire  conformée  à  Vimage  de 
son  Fils.  Il  n'y  a  pas  un  «le  nous,  mes  frères, 
qui  ne  veuille  être  du  nombre  des  prédesti- 
nés; mais  en  même  temps  faites-vous  cette 
réflexion,  que  d'être  prédestiné  pour  le  ciel 
c'est  être  prédestiné  pour  être  conforme  à 
Jésus-Christ  1  Si  vous  la  faites,  cellcréllcxion, 
n'en  demeurez  pas  là,  poussez-la  plus  loin 
el  considérez  quelle  est  votre  conformité  avec 
la  sienne  :  où  trouverons-nous  dans  nos 
mœurs  celle  modestie,  celle  pauvreté,  celte 
patience,  cette  frugalité,  celle  morlificalion 
dont  il  nous  a  donné  l'exemple?  vivons-nous 
comme  lui?  pensons-nous  comme  lui?  esti- 
mons-nous ce  qu'il  a  estimé?  aimons-nous  ce 
qu'il  a  aimé?  Quel  rapport,  mrs  frères! 

Nous  avons  tous  été  appelés  à  la  foi,  nous 
avons  reçu  la  vie  de  Jésus-Christ  dans  le 
baptême,  nous  avons  été  unis  à  son  corps  :  ce 
sont  autant  d'heureux  préjugés  de  noire  élec- 
tion, mais  il  la  faut  assurer  par  la  confor- 
mité de  noire  vie  avec  la  sienne,  c'est  à  quoi 
tout  élu  est  appelé  et  prédestiné.  Kfforccz- 
vous  donc  de  plus  en  plus  d'affermir  votre 
élection  parles  bonnes  œuvres.  Point  de  salut 
pour  nous  sans  les  œuvres  :  c'est  le  sceau  de 
l'élection  de  Dieu,  parce  que  c'est  le  moyen 
par  lequel  il  accomplit  ses  desseins;  mais  il 
faut  avoir  recours  à  la  vertu  de  Jésus-Christ 
cl  à  la  vertu  do  sa  sainte  grâce  qui  fait  ac- 
complir les  œuvres  :  c'est  la  troisième  vue 
dans  laquelle  il  faut  nécessairement  le  consi- 
dérer pour  le  connaître  loul  entier  :  c'est  la 
dernière  partie. 

TROISIÈME  PARTIE. 

De  quoi  nous  servirait-il  de  connaîire  la 
dignilé  de  la  personne  de  Jésus-Christ  ol 
délie  instruits  du  mérite  de  sa  vie,  si  nous 
ne  connaissions  pas  sa  grâce  et  sa  vertu? 
Quel  avantage  serait-ce  pour  nous  de  savoir 
que  celte  personne  divine  doit  être  l'objet  de 
nos  adorations,  et  que  sa  vie  nous  est  propo- 
sée pour  être  le  modèle  de  noire  conduite,  si 
nous  n'étions  pas  assurés  de  trouver  en  lui 
une  grâce  qui  nous  rende  capables  d'adorer 
véritablement  sa  personne  et  d'imiter  sa  vie? 
Je  cherchais,  dit  saint  Augustin,  par  où  je 
pouvais  m  élever;  mais  c'est  à  quoi  je  ne  pou- 
rais  parvenir  qu'en  recourant  à  Jésus-Christ, 
homme  médiateur  entre  Dieu  cl  les  hommes,  et 
Dieu  lui-même. 

Il  faut  donc,  chrétiens,  pour  que  nous  con- 
naissions Jésus-Christ  loul  entier,  que  nous 
le  regardions  comme  le  fondement  unique 
de  ims  espérances  dans  sa  grâce;  car  toute 
grâce  cl  toute  vertu  sonl  en  Jésus-Christ,  el 
elles  y  sont  pour  être  communiquées.  Parla 
il  est  clair  que  toute  grâce  élanl  en  lui  uni- 
quement, il  est  donc  le  seul  objet  de  mon 
espérance,  et  que  la  grâce  étant  en  lui  pour 
être  communiquée,  mon  espérance  ne  peut 
pas  être  \aine. 

Ot'i  mes  frères,  la  grâce  esl  en  Jcsus-Chrrsl, 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROMI.. 


M 


grâce  dont  l'étendue,  la  sainteté,  la  puissance, 
I  efficacité  répond  à  la  dignité  de  Fils  de  Dien, 
grâce  par  conséquent  qui  no  pouvait  être 
qu'en  lui  :  car  quel  est  l'ange,  dit  saint  Paul, 
c'est-à-dire  quelle  est  la  créature,  quelque 
excellente  qu'elle  p  lisse  être,  <i  r/ui  I  Se'- 
(jneur  ait  jamais  dit  :  Asseyez-vous  à  ma 
droite?  Sachez  donc,  di  ail  salai  Pierre  aux 
Juifs  <] u i  l'avaient  crucifié  (el  je  dis  la  même 
chose  aux  chrétiens  qui  f  ml  profeasioa  d'être 
ù  lui  elqui  vivent  comme  s'ils  ne  le  connais- 
saient pas),  sachez  qu'il  n'y  a  point  de 
pour  vous  par  aucun  dure;  car  nul  autre 
nom  sous  le  ciel  n'a  été  donné  aux  hommes 
par  lequel  nous  devions  vire  tauti 

C'est  donc  en  vous,  ô  Seigneur!  <]u<-  jo 
trouve  le  (résor,  la  source,  le  principe, le 
plénitude  de  toute  grâce.  C'est  vous  seul  qui 
pouvez  m'en  remplir,  p  in  qu  \  oui  seul  en 
éles  plein,  et  que  la  divinité  habile  en  vous, 
non  pas  par  une  simple  effusion  de  grâce, 
mais  par  union  substantielle  et  perpétuelle. 
A  Dieu  ne  plaise  que  je  pense  à  chercher 
quelque  chose  hors  de  vous,  puisque  tout  est 
en  vous!  C'est  vous  que  je  regarde  comme 
le  seul  et  unique  objet  de  mon  espérance; 
c'est  vers  vous  que  je  porte  toute  ma  con- 
fiance, tout  mon  amour,  toute  ma  reconnais- 
sance;  et  si  je  détourne  quelquefois  les  jeux 
sur  les  saints,  c'est  pour  vous  adorer  dans 
leur  personne,  c'est  pour  honorer  vos  dons 
el  votre  munificence  qui  les  a  fails  ce  qu'ils 
sont;  c'est  cnGn  pour  me  soutenir  et  pour 
m'animer  par  cette  pensée  si  consolante  , 
que  ce  que  vous  avez  fait  pour  eux,  vous 
voulez  le  faire  pour  ceux  qui  >ous  appar- 
tiennent, et  que  vous  êtes  préi  à  répandre  vos 
dons  sur  tous  les  membres  vivants  du  corps 
mystique  dont  votre  amour  vous  a  rendu  le 
chef. 

Mais  nous  ajoutons  que  celte  grâce  qui  est 
en  lui  y  est  pour  nous  être  communiquée, 
car  il  est  cet  homme  fa  il  pour  la  vie.  Il  ne 
faul  pas  lui  laire  l'injure  de  donner  plus  de 
force  à  la  créature  pour  nous  perdre,  qu'au 
Créateur  pour  nous  sauver.  Nous  reconnais- 
sons qu'Adam  a  été  pour  tous  les  hommes 
un  principe  de  péché,  de  mon  et  de  condam- 
nation; nous  savons  par  sainl  Paul  que  le 
péché  est  cnlré  dans  le  monde  par  un  seul 
homme,  et  la  mort  par  le  péché,  et  qu'ainsi  la 
mort  est  passée  dans  tous  les  hommes  par  ce 
seul  homme,  en  qui  tous  les  hommes  ont  péché  ; 
mais  nous  savons  aussi  que  Jésus-Chrbt  est 
un  principe  de  grâce,  de  vie  el  de  gloire. 

Adam  esl  le  chef  naturel  de  lous  les  hom- 
mes pécheurs,  Jésus-Christ  est  le  chef  spiri- 
tuel et  surnaturel  de  tous  les  fidèles,  en  qui 
Dieu  a  mis,  comme  dans  sa  source,  la  grâce 
qui  les  a  sanctifiés.  Adam,  en  qualile  de  |  é- 
cheur,  a  communiqué  son  péché  à  tous  ses 
descendants  par  la  voie  de  la  génération; 
Jésus-Christ,  souverainement  jusle,  commu- 
nique la  grâce  et  la  justice  à  lous  les  fidèles 
par  l'application  des  mérites  de  sa  passion  : 
communication  de  grâce  qui  s'est  faile  dans 
tous  les  temps,  et  qui  se  fera  jusqu'à  la  con- 
sommation de  tous  les  siècles  d'une  manière 
gratuite,  générale  et  abondaule  :  car  c'est  en 


817 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINT  SEVERIN. 


8(8 


lui,  dil  saint  Paul,  que  nous  avons  été  com- 
blés de  toutes  sortes  de  bénédictions  pour  le 
ciel;  de  sorte  que  nous  devons  dire  que, 
comme  au  commencement  du  monde  Dieu 
imprima  à  ses  créatures,  en  les  bénissant, 
une  admirable  fécondité  qui  leur  fit  produire 
dans  le  cours  de  tous  les  siècles,  leurs  sem- 
blables, ainsi  Jésus-Christ,  qui  est  devenu 
par  son  incarnation  le  principe  du  nouveau 
monde,  a  communiqué  dans  tous  les  tempg, 
par  la  bénédiction  toute  nouvelle  qu'il  a 
donnée,  une  autre  sorte  de  fécondité  plus 
heureuse,  plus  spirituelle  et  toute  divine,  qui 
fait  produire  continuellement  des  fruits  de 
vie  et  de  grâce.  Ainsi,  Sauveur  du  monde,  si 
je  vous  regarde  comme  le  seul  objet  de  mon 
espérance,  parce  que  toute  5>râcc  est  en  vous 
uniquement,  comme  dans  sa  source  cl  dans 
son  principe,  cette  espérance  s'anime  et  se 
fortifie,  parce  que  je  sais  que  vous  n'avez 
celte  grâce  que  pour  la  répandre  sur  les 
hommes,  et  je  dis  avec  le  roi-prophète  :  Ex- 
sultdjo  in  Deo  Jesu  meo  :  Je  tressaillerai  de 
joie  en  Dieu  mon  Sauveur. 

Ne  passons  pas  légèrement  sur  celle  com- 
munication de  grâce  qui  sort  de  Jésus-Christ 
et  qui  se  répand  sur  les  membres  de  son 
corps  mystique,  puisque  c'est  le  fondement 
de  notre  espérance.  Expliquons  en  peu  de 
mots,  et  pour  nourrir  celte  espérance,  el  pour 
mieux  connaître  Jésus-Christ,  qui  en  est 
l'objet  et  le  fondement,  comment  celte  com- 
munication s'est  faite  dans  tous  les  temps  et 
comment  elle  se  fera  jusqu'à  la  consomma- 
tion des  siècles.  Oui,  mes  frères,  elle  s'est 
faite  dans  tous  les  temps  d'une  manière  gé- 
nérale et  abondante;  car,  comme  dil  saint 
Augustin  en  écrivant  à  saint  Hilairc,  il  est 
vrai  que  Jésus-Christ  n'est  venu  au  monde 
sous  une  chair  mortelle  que  beaucoup  de  siè- 
cles après  Adam;  cependant,  comme  lou.'e  jus- 
tification se  rapporte  à  Jésus-Christ,  ce  qu'il 
y  a  eu  de  justes  dans  le  temps  de  l'ancienne  loi 
n'ont  été  délivrés  et  justifiés  que  par  la  même 
foi  par  laquelle  nous  le  sommes,  c'est-à-dire 
par  la  foi  de  l'incarnation,  qui  leur  avait  été 
prédite  en  ce  temps-là,  comme  elle  nous  est  an- 
noncée à  présent.  Et  dans  une  lettre  à  Optât, 
le  même  saint  dit  encore  :  Comme  il  y  a  eu 
des  justes,  c'al -à-dire  de  véritables  adora- 
teurs du  vrai  Dieu,  avant  aussi  bien  qu'après 
l'incarnation  de  ce  divin  Sauveur,  en  qui  ré- 
side la  plénitude  de  la  grâce,  il  ne  faut  point 
douter  que  ce  qui  est  écrit,  qu'il  n'y  a  point 
d'autre  nom  que  le  sien  dans  le  ciel  ni  sur  la 
terre  par  où  nous  puissions  être  sauvés,  a 
commencé  d'avoir  lieu  pour  le  salut  du  genre 
humain  dès  qu'il  a  été  corrompu  par  Adam, 
parce  que,  comme  c'est  par  Adam  que  tous 
sont  morts,  c'est  par  Jésus-Christ  i/uc  tous 
sont  vivifiés  ;  c'est-à-dire  que,  comme  nul  ne 
se  trouve  sous  l'empire  de  la  mort  que  par 
Adam,  nul  aussi  ne  se  trouve  dans  le  royaume 
dt  la  lie  que  par  Jésus-Christ;  cl  romm  c'est 
par  Adam  i/ur  tuas  1rs  hommes  naissent  im- 
pirs,  c'est  par  Jésus-Christ  que  tout  ce  qu'il  y 
u  de  justes  est  justifié. 

C'est  donc  dans  tous  les  temps  qu'il  a  ré- 
pandu sa  grâce   sur  tous  les  hommes,  sur 


ceux  qui  ont  marché  devant  son  incarnation 
comme  sur  ceux  qui  suivent,  et  il  continuera 
à  la  répandre  jusqu'à  la  fin  des  siècles  ;  car 
l'Apôtre  m'assure  que  Jésus-Christ  était  hier, 
qu'il  est  aujourd'hui,  et  qu'il  sera  le  même 
jusqu'à  la  consommation  des  siècles.  Que  cette 
vérité  est  consolante,  mes  chers  frères  ! 

Voilà,  chrétiens,  les  vues  que  la  miséri- 
corde de  Dieu  m'a  données  sur  Jésus-Christ: 
les  avez- vous  pénétrées,  mes  très -chers  frè- 
res ?  L'avcz-vous  toujours  regardé  -comme 
l'unique  objet  de  vos  adorations,  comme  le 
modèle  de  voire  conduite,  comme  le  seul  oit- 
jet  de  vos  espérances  ?  Si  vous  les  avez  eues , 
les  avez-vous  suivies  ?  et  ne  pourrait-on  pas 
vous  reprocher,  comme  à  ces  philosophes 
dont  parle  saint  Paul,  qu'ayant  connu  Dieu, 
vous  ne  l'avez  point  glorifié  comme  Dieu,  et 
que  vous  ne  lui  avez  pas  rendu  grâces? 

Avouons-le,  mes  Hères,  mais  que  ce  soit 
en  gémissant,  le  nombre  est  bien  petit  de 
ceux  qui  connaissent  Jésus-Christ  :  on  n'a 
que  des  idées  vagues  sur  Jésus-Christ,  que 
des  vues  générales  sur  sa  vie,  que  de  cer- 
taines notions  confuses  et  embarrassées  sur 
les  liaisons  qui  nous  attachent  à  sa  personne, 
sur  les  rapports  que  nous  avons  à  sa  vie.  sur 
la  dépendance  de  sa  grâce;  mais  on  n'éclair- 
cit  point  ces  idées,  ou  ne  suit  pas  même  ces 
vues  générales,  on  craint  d'entrer  dans  les 
vérités  qu'elle  nous  fait  entrevoir,  de  peur 
d'être  obligé  de  les  regarder  comme  des  sour- 
ces de  devoirs  importants  et  essentiels,  qui 
doivent  régler  notre  vie,  entrer  dans  notre 
conduite,  animer  tous  nos  sentiments  et  for-* 
mer  nos  pensées  et  tous  nos  désirs. 

La  négligence  a  porté  nos  connaissances 
jusqu'à  abuser  des  lumières  dont  il  nous  a 
éclairés,  et  on  lombe  sans  s'en  apercevoir 
dans  les  ténèbres  et  dans  l'aveuglement  du 
cœur,  jusqu'à  ne  connaître  plus  la  religion. 

Recourons  donc  à  la  grâce  de  Jésus-Christ, 
mes  très-chers  frères.  Pour  détourner  eu 
malheur  qui  nous  menace,  apprenons  à  con- 
naître Jésus-Christ,  portons  vers  lui  toutes 
nos  adorations,  attachons-nous  à  suivre  ses 
exemples,  étudions  ses  maximes  dans  son 
Evangile,  apprenons-y  à  faire  de  sa  vie  la 
modèle  de  la  nôtre,  mettons  uniquement  no- 
tre espérance  dans  sa  sainte  grâce,  enfin  ho- 
norons ceux  qui  s'appliquent  uniquement  à 
nous  faire  connaître  Jésus-Christ,  qui  retra- 
cent sa  vie  à  nos  yeux  par  leur  conduite,  et 
qui  mériteront  par  là  la  gloire  éternelle  que 
je  vous  souhaite.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUll    LA    FÊTE    »>E    SAINT  S 10 V IC R I V ,    ABBÉ    RT 

solitaire  (1 1   février). 

Non  invCDi  LanUm  Ddem  in  Israël. 
Je  n'ai  punit  trouvé  nue  si  fframle  foi  en  Israël  (Mattli., 
VIII,  10). 

Quoique  le  Sauveur  du  monde  ail  donné 
de  très-grandes  louanges  au  centonier  de  l'K- 
vangile  à  qui  s'appliquent  les  paroles  de  mon 
te\te,  on  ne  doit  point  le  comparer  aux  pa  - 
triarches  ni  aux  grandes  âmes  de  l'ancienne 
loi,  el  lorsque,  après  avoir  admiré  le  léinoi- 


819 


ORATEURS  SACRES 


gnasjc  de  sa  foi,  il  dit  à  cens  qui  le  suivaient 
qu'il  n'avait  point  trouvé  une  si  grande  loi 
dans  tout  Israël,  il  voulait  seulement  parler 
du  peuple  et  de  ceux  qu'il  avait  vus  lui-même 
depuis  qu'il  s'appliquait  au  ministère  de  la 
parole. 

finisi,  mes  frères,  je  ne  prétends  pas  l'aire 
de  comparaison  de  la  foi  de  saint  Severin,  à 
gai  j'ai  dessein  d'appliquer  ces  paroles,  avec 
le  ci  ntenier  de  l'Evangile;  mais  je  puis  dire 
avec  assurance  que  l'on  ne  peu!  trop  admirer 
la  foi  dont  Dieu  a  prévenu  ce  grand  saint  dès 
sa  jeunesse,  et  par  laquelle  il  l'a  conduit  jus- 
qu'à la  consommation  de  sa  vie.  L'apôtre 
saint  Paul,  en  nous  disant  que  lejuste  vit  dans 
la  foi,  nous  a  marqué  par  ces  paroles  le  ca- 
racière  de.  notre  saint  ;  car  celle  qu'il  plut  à 
Dieu  de  mettre  en  lui  fut  comme  une  source 
de  vie  répandue  d'une  manière  admirable 
dans  tous  ses  mouvements. 

Examinons  donc  ce  que  la  loi  a  fait  en  sa 
personne,  et  disons,  pour  faire  son  éloge  et 
partager  ce  discours,  que  la  foi  l'a  appelé 
dans  la  solitude,  comme  un  autre  Abraham  : 
première  partie  ;  que  la  foi  l'a  conduit  dans 
la  cour,  comme  un  autre  Moïse  :  deuxième 
partie;  enfin  que  la  foi  l'a  couronné  dans  le 
temple,  comme  Siméon  :  troisième  partie. 

Implorons  Marie  pour  obtenir  le  secours  du 
ciel.  Ave,  Maria 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Comme  la  foi  produit  différents  effets  dans 
le  cœur  des  chrétietis,  les  théologiens,  en 
suivant  les  expressions  de  l'Ecriture  sainte, 
lui  donnent  différents  noms,  que  nous  expli- 
querons dans  les  différentes  parties  de  ce 
discours  ,  afin  de  ne  pas  confondre  ce  que 
Dieu  a  l'ait  par  la  foi  dans  notre  illustre 
saint. 

Je  considère  d'abord  la  foi  <omme  une  lu- 
mière céleste  répandue  dans  l'esprit  du  chré- 
tien pour  l'éclairer  et  pour  lui  montrer  d'au- 
tres voies  que  celles  que  lui  découvre  la  na- 
ture, et  dans  lesquelles  le  monde  le  veut 
engager  :  lumière  accompagnée  d'un  mouve- 
ment intérieur  qui  le  porte  dans  ces  voies,  et 
d'une  onction  de  la  ^ràce  qui  lui  fait  foi  m  r 
la  résolution  de  la  suivre.  C'est  ainsi  que  l'a- 
pôtre saint  Paul  nous  décrit  cette  foi  dans  ce 
qu'il  rapporte  de  celle  d'Abraham  :  C'est  par 
la  foi,  dit-il,  que  celui  ijui  a  reçu  de  Dieu  le 
nom  d'Abraham  lui  obéit,  en  s'en  allant  dans 
la  terre  qu'il  devait  recevoir  pour  héritage,  et 
qu'il  partit  sans  savoir  où  il  al 

Cette  foi  venant  du  ciel  est  appelée  dans 
l'Ecriture  une  vocation  ,  et  comme  reçue 
dans  le  cœur  de  l'homme  qui  en  suil  les  lu- 
mières, la  même  Ecriture  lui  donne  le  nom 
d'obéissance.  Or,  mes  frères,  celle  foi  reçue 
dans  le  cœur  de  l'homme,  et  le  mérite  de 
l'obéissance  qu'il  lui  rend,  croissent  à  pro- 
portion que  les  choses  qu'il  quitte  pour  sui- 
vre ces  lumières  et  marcher  dans  ses  voies 
sont  plus  capables  de  le  retenir,  et  qu'il  est 
plus  fortement  sollicite  à  suivre  d'autres 
voies  que  celles  qu'elle  lui  monde.  C'esl 
pourquoi  les  saints  Pères  relèvent  si  fort  la 

fui  et  l'obéUsance  d'Abraham,  à  qui  Dieu 


DUM  JEROME.  Ko 

commande  de  sortir  de  son  pays,  de  quiit<  r 
ses  parents  et  d'abandon'.' r -ou  propre  père, 
pour  aller  dans  un  lieu  qu'il   ne  kli 
point  en  particulier.  Or  voici  quelque  <  lio^e 
nblable  que  la  foi  nous  lait   von   en  l,i 
personne    de   saint    Severin  :  Dieu    l'ap 
dans  la  solitude,  et  il  ne  pensa   qu'a    l.i  lui» 
vie,   sans  considérer    toutes    les  clios' »   qui 
devaient  le    retenir  da..s  le   monde.   Il  i  tait 
d'une    naissauce  illustre,   mailre  d'une  for- 
lune  avantageuse  et  dans  le  plus  bel  â. 
la  vie.  La  gloire  d'j  monde  que  sa  : 
lui  donnait,  les  biens  dont  il  était  a-suc 
la  fortune,  et  l'espérance  de  jouir  longtemps 
de  tous  les  avantages  dont  il  |  liai— 

ter,  formaient  de  grands  obstacles  à  sa  re- 
traite. Il  ne  faut  pas  s'étendre  beaucoup  sur 
la  liaison  que  le  pèche  a  mise  ;  Dire  ces  <,|i- 
jets  de  la  concupiscence,  comme  l'Ecriture 
les  appelle,  et  le  cœur  de  l'homme  qu'elle  a 
infecté,  pour  faire  connaître  quelle  violence 
il  doit  se  faire  pour  les  rejeter  quand  il  se 
viennent  offrir  à  lui,  qu'il  semble  être  né 
pour  les  posséder,  et  que  toutes  tes  choses 
se  présentent  dans  un  âge  où  les  préventions 
nous  aveuglent,  où  l'expérience  nous  man- 
que, où  li  s  passions  nous  entraînent.  Vous 
jugez  bien  que,  pour  quitter  les  voies  du 
monde  et  embrasser  celle  de  la  solitude,  il 
faut  que  la  foi  fasse  de  puissantes  impres- 
sions dans  un  cœur. 

C'esl  l'idée  que  vous  devez  prendre  de 
celle  qu'elle  a  faite  dans  le  cœur  de  notre 
jeune  solitaire  :  ell  lui  adoucit  tellement  ce 
chemin  et  la  voie  qu'elle  lui  fil  prendre,  et 
elle  lui  fit  si  bien  voir  le*  difficultés  et  ce  pé- 
ril des  voies  du  monde,  que,  devenant  sa^e 
avant  l'âge,  il  s'élève  au-dessus  des  préven- 
tions, et,  sa  foi  suppléant  au  défaut  d 
expérience,  il  apprit  à  juger  des  choses  non 
pas  sur  ce  qu'elle  --e.it.   mais  sur  ce 

qu'elles  sont  en  eflet.  Ainsi  il  co  ..para  la 
gloire  du  monde  avec  l'obscurité  de  la  -oli- 
lude,  non  pas  du  côte  d<  l'éclat  de  celle  gloire 
qui  nous  éblouit,  mais  du  côté  u  re;  os  et  de 
la  retraiie,  qui  contribuée  non-  rendre  heu- 
reux.. U  compara  les  grandeurs  du  monde 
avec  la  soumi->-i  n  et  la  dépendance  de  la 
solitude,  non   pas  du  l'empire  ei  de 

l'autorité  que  celle-là  nous  donne,  mais  du 
côté  où  l'assurance  de  celle-ci  nous  met.  Il 
compara  les  biens  d  i  la  fortune  et  les  com- 
modités du  corps  avec  la  pauvreté  el  lee  souf- 
frances de  la  solitude,  non  pas  du  coté  du 
plaisir  court  el  iu  parfait  que  ces  biens  peu- 
vent nous  donner,  mais  du  côté  d'une  éter- 
nelle félicité  où  elles  nous  mènent;  el,  bien 
loin  que  son  ige  lût  un  obstacle  aux  desseins 
de  la  foi,  il  regarda  coi  .el  d'une  très- 

grande  miséricorde  d'être  prévenu  de  ces  lu- 
mières avanl  que  d'avoir  fait  des  ci  . 
ments  difficiles  à  rompre  el  contraires  a  ceux 
de  M»n  baptême,  de  pouvoir  commencer  de 
bonne  heure  une  carrière  dans  I  quelle  OU 
ne  peut  mai  cher  asseï  longtemps  pour  le 
prix  de  la  récompense  promise,  el  de  s'assu- 
rer les  av  anlag<  s  d'une  v  ic  bienheureuse  qui 
ne  finira  point,  par  le  sacrifice  d'une  vie  mi- 
sérable qui  peut  finir  à  chaque  instant. 


821 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINT  SEVER1N. 


822 


Voilà  l'ouvrage  de  la  foi  dans  notre  illus- 
tre saint,  voilà  le  triomphe  auquel  nous  ap- 
plaudissons ;  mais  croyez- vous  ne  devoir 
contribuer  à  sa  gloire  que  par  de  simples  ap- 
plaudissements? croyez-vous  avoir  digne- 
ment célébré  la  mémoire  de  votre  saint  pa- 
tron en  donnant  des  louanges  stériles  à  ses 
actions?  et  ne  savez- vous  point  que  les 
louanges  que  vous  lui  donnerez  seront  une 
condamnation  que  vous  prononcerez  contre 
vous-mêmes,  si  vous  ne  vous  appliquez  pas  à 
imiler  par  votre  conduite  ce  que  vous  approu- 
vez par  vos  louanges?  Voyons  donc  si,  après 
avoir  reçu  les  mêmes  lumières  et  une  sem- 
blable vocation  que  la  sienne,  nous  nous 
sommes  mis  en  devoir  de  les  suivre  et  d'y 
obéir  comme  il  l'a  fait. 

Vous  n'ignorez  pas,  mes  frères,  que  l'apô- 
tre saint  Paul  appelle  les  chrétiens  des  en- 
fants de  lumière,  el  pour  rendre  son  expres- 
sion plus  forte,  il  les  appelle  eux-mêmes  lu- 
mière de  Noire-Seigneur  :  Nunc  autem  lux  in 
Domino.  Examinons  donc  d'où  vient  celle 
dénomination  des  chrétiens,  et  les  consé- 
quences qu'il  en  faut  tirer,  selon  la  doctrine 
de  saint  Paul.  Or,  mes  frères,  celle  double 
dénomination  a  deux  rapports,  selon  l'ex- 
plication des  sainls  Pères  :  un  qui  regarde 
les  chrétiens  mêmes,  l'autre  qui  regarde  leurs 
frères  :  elle  marque  dans  les  chrétiens  celte 
abondance  de  lumières  qu'ils  ont  reçues  de 
Dieu  dans  le  baptême,  qui  pour  ce  sujet  est 
appelé  par  Teriuliien,  s  a  crament  um  illumina- 
tionis;  et  c'est  pour  cela  que  l'Apôtre  les  ap- 
pelle enfants  de  la  lumière.  C'est  la  généra- 
lion  dans  la  lumière  parla  grâce  du  baptême 
qui  mel  en  eux  une  lumière  divine  el  une 
sagesse  semblable  à  celle  de  Jésus-Christ,  au 
nom  duquel  ils  soal  baptises,  et  de  qui  ils 
sont  revêtus  par  leur  baptême. 

Mais  en  même  temps  elle  marque  aux 
chrétiens  une  obligation  indispensable  de  se 
conduire  dans  tous  leurs  mouvements  sur 
les  principes  de  celte  lumière  qu'ils  ont  re- 
çue, en  sorte  que  toutes  leurs  actions  fassent 
comme  un  corps  de  lumière  qui  serve  de 
flambeau  aux  autres  pour  les  conduire,  et 
qu'étant  eux-mêmes  pénétrés  ,  pour  ainsi 
dire,  des  lumières  de  la  foi,  ils  deviennent  la 
lumière  de  leurs  frères,  comme  le  1er  péné- 
tré du  feu  jelte  assez  d'éclat  pour  servir  de 
(lambeau.  C'est  ce  que  signifient  ces  paroles  : 
Nunc  aillent  lux  in  Domino. 

Nous  apprenons  donc  de  ce  non),  que  l'A- 
pôtre donne  aux  chrétiens,  ce  que  c'est  que 
le  nouvel  être  du  chrétien  par  la  foi,  et  les 
obligations  du  chrétien  par  ce  nouvel  élre. 
Or,  mes  frères,  en  recevant  ce  nouvel  être 
p:ir  la  foi,  nous  avons  reçu  des  lumières 
scmblabli  s  à  celles  de  noire  illustre  saint  et 
une  pareille  vocation  :  car  la  foi  qui  nous 
éclaire  est  appelée  par  les  Pères  une  voix  qui 
nous  appelle;  ainsi,  dans  le  bap.èmc,  où 
nous  avons  quille  le  parti  du  monde  pour 
prendre  celui  de  Jésus-Chrisl,  et  où  nous 
avons  renoncé  aux  pompes  de  l'un  pour  em- 
brasser la  pauvreté  de  l'autre,  nous  avons 
reçu  des  lumières  qui  nous  ont  fait  connaîtra 
ce  qu'il   }  av  il  de  meilleur  pour  le  suivre, 


el  ce  qui  était  pernicieux  pour  le  rejeter,  et 
ces  mêmes  lumières  qui  nous  ont  éclairés 
pour  faire  ce  choix  forment  une  voix  qui 
nous  appelle  toujours  et  qui  nous  demande 
l'accomplissemenl  des  obligations  où  nous 
sommes  entrés.  En  un  mot,  le  baptême  a  fait 
en  vous,  qui  êles  chrétiens,  ce  que  la  foi  et 
la  vocation  singulière  ont  fait  dans  les  plus 
grands  solitaires  et  dans  les  plus  saints  moi- 
nes, et  par  la  consécration  de  ce  baptême 
Dieu  demande  de  vous  ce  qu'il  exige  d'eux 
par  la  sainteté  de  leur  professiou. 

Il  est  vrai,  mes  frères,  et  je  n'ai  garde  de 
donner  atteinte  le  moins  du  monde  à  la  per- 
fection d'un  état  dont  la  profession  fait  toute 
ma  gloire,  la  consécration  des  veux  de  reli- 
gion ajoute  beaucoup  à  la  perfection  ordi« 
naire  des  chrétiens,  et  les  religieux  accom- 
plissent les  règles  de  l'Evangile  d'une  ma- 
nière plus  pleine  que  les  fidèles  du  commun, 
puisqu'ils  abandonnent  réellement  et  en  effet 
ce  que  les  autres  ne  quittent  que  par  désir 
el  par  affection  ;  mais  comme  c'est  une  per- 
nicieuse erreur  que  de  s'imaginer  qu'il  n'y  a 
que  les  religieux  qui  soient  obligés  à  bien 
vivre,  et  que  les  autres  peuvent  vivre  négli- 
gemment, on  doit  représenter  aux  chré- 
tiens que  la  perfection  qui  est  marquée  dans 
l'Ecriture  est  pour  lont  le  inonde,  el  que 
quand  Jésus-Christ  et  les  apôtres  ont  parlé 
de  renoncer  au  monde,  de  mourir  à  soi- 
même,  de  combattre  ses  passions,  ils  ont 
parlé  à  tous  et  n'ont  point  lait  de  distinction 
de  personnes  ni  de  conditions  ;  que  le  mémo 
modèle  de  perfection  nous  est  proposé  à 
tous ,  et  qu'étant  obligés  d'imiter  Jésus- 
Christ,  il  n'y  a  point  d'état  dans  le  christia- 
nisme plus  obligé  que  d'autres  à  tendre  à  la 
perfection,  quoiqu'il  y  ait  différents  degrés 
de  perfection  dans  les  différents  étals  ;  enfin, 
que  tous  sont  obligés  à  marcher  dans  la  voie 
étroite,  pour  arriver  à  la  gloire  éternelle  à 
laquelle  tous  sont  appelés.  Ce  sont  là  les 
motifs  qui  m'ont  engagé  à  représenter  aux 
chrétiens  leurs  obligations  essentielles,  avec 
d'autant  plus  de  raison,  que, faisant  aujour- 
d'hui l'éloge  d'un  saint  solitaire,  on  pourrait 
croire  plus  facilement  qu'il  suffit  de  louer  ses 
vertus  sans  songer  à  suivre  ses  exemples, 
que  sa  conduite  n'est  pas  une  règle  pour 
la  nôtre,  et  que  ce  qui  a  fait  sa  sainteté  n'en- 
tre point  dans  les  voies  de  notre  sanctifica- 
tion. A  Dieu  ne  plaise,  mes  frères,  que  vous 
tombiez  dans  celle  erreur  1  sachez  que  la  foi 
vous  doit  conduite  comme  elle  la  conduit 
dans  la  solitude  intérieure,  si  vous  voulez 
assurer  votre  salut.  Vous  avez  renoncé  au 
monde  par  votre  baptême,  el  la  foi  qui  vous 
a  fait  faire  celle  renonciation  vous  appelle. 
dans  un  certain  genre  de  vie.  pour  la  soute- 
nir qui,  selon  les  vues  de  la  loi,  me  parait 
plus  difficile  que  celui  que  saint  Sévetia  ;i 
embrassé  el  que  les  solitaires  embrasent  à 
son  exemple. 

Je  condamne  l'erreur  de  Pelage  avec  toute 
ri,^lise,el  je  ne  crois  pas,  comme  cet  ennemi 
de  la  vérité,    qu'on   ne  puisse  se  sancli 
dans  l'usage  des  richesses  et  qu'il  faille  quit- 
ter absolument  le  commerce  du  inonde  pour 


845 


',ii.        H  ki        >)M   ii  KONI 


«44 


se  sauver;  mail  rien  ne  peut  m'empêcher  de 
dire,  en  considérant  l'état  'les  choses ,  qu'a 
près  avoir  renoncé  au  monde  par  son  baptê- 
me, il  est  bien  difficile  d"y  demeurer  ;  qu'étant 
obligé  de  le  haïr,  il  faulélre  bien  en  garde  pour 
vivre  avec  lui,  parler  comme  lui  et  posséder 
ses  biens;  qu'étanl  obligé  de  se  renoncer  soi- 
même  après  avoir  renoncé  à  toutes  les  pom- 
pes du  monde,  il  faut  être  bien  hardi  pour 
commander  aux  autres,  recevoir  des  hon- 
neurs et  posséder  des  dignités;  qu'étanl  obli- 
gé de  combattre  ses  passions,  il  est  bien  dé- 
licat de  demeurer  dans  un  lieu  où  tout  est  fait 
poiir  les  exciter,  où  on  trouve  mille  moyens 
de  les  satisfaire,  et  où  même  on  ne  se  fait  pas 
un  devoir  de  les  couvrir.  Il  faut  plus  de  force 
pour  demeurer  au  milieu  de  tant  de  périls  et 
y  vivre  en  chrétien,  qu'il  n'en  faul  pour  quit- 
ter le  monde  et  pour  vivre  en  solitaire  ;  mais 
heureux  celui  qui  sait  renoncer  à  celle  gloire 
pour  embrasser  dans  la  retraite  un  parti 
plus  sûr!  Souvenez-vous  surtout,  si-  vous 
n'êtes  pas  appelés  à  cette  solitude  parfaite  où 
Dieu  ne  conduit  que  les  grandes  âmes,  comme 
Abraham  et  votre  saint  patron,  que  vous 
êtes  obliges  de  vivre  dans  une  solitude  d'af- 
fection et  dans  une  séparation  de  cœur  tres- 
diflicile  dans  l'usage  des  choses  du  monde,  et 
absolument  nécessaire  pour  le  salut.  C'est  à 
vous  de  vous  examiner,  pour  reconnaître  si 
votre  manière  de  vivre  s'accorde  avec  les 
obligations  de  votre  baptême,  et  si  vous 
pouvez  espérer  que  voire  foi  vous  soutiendra 
dans  le  monde,  ainsi  qu'elle  a  soutenu  saint 
Séverin  dans  la  cour,  où  elle  l'a  conduit 
comme  un  autre  Moïse  :  c'est  le  sujet  de  la 
deuxième  partie. 

DEUXIÈME     l'ARTIE. 

Nous  ne  parlerons  plus  de  la  foi  dans  celle 
deuxième  partie,  sous  l'idée  que  nous  en 
avons  donnée  dans  la  première  :  comme  elle 
va  produire  différents  effets  dans  la  personne 
de  notre  saint,  il  faul  vous  marquer  les  dif- 
férentes idées  que  l'Ecriture  nous  en  donne, 
afin  de  distinguer  tout  ce  qu'elle  fait  en  lui, 
et  de  reconnaître  mieux  comment  elle  le  sou- 
tient au  milieu  de  la  cour,  où  elle  le  conduit 
comme  un  autre  Moïse.  Je  trouve  donc  que 
la  foi  est  souvent  prise  dans  l'Ecriture  pour 
une  certaine  confiance  de  l'homme  dans  le 
pouvoir  de  Dieu,  qui  lui  fait  croire  ferme- 
ment qu'il  fera  en  son  nom  tous  les  miracles 
nécessaires  pour  sa  gloire  et  pour  l'accom- 
plissement de  ses  desseins.  La  foi  est  prise 
encore  dans  l'Ecriture  pour  la  fidélité  de 
l'homme  à  demeurer  attaché  aux  promesses 
de  Dieu,  et  à  rejeter  tous  les  avantages  pré- 
sents, pour  ne  pas  perdre  le  droit  aux  biens 
invisibles  et  éternels.  Enfin  la  foi  est  prise 
pour  le  couronnement  de  celte  confiance  et 
do  celte  fidélité,  parce  qu'elle  en  est  le  prin- 
cipe et  qu'on  luien  rapporte  les  effets,  comme 
on  attribue  aux  empereurs,  disent  les  i n (or— 
prêtes,  la  victoire  des  soldats  qui  ont  com- 
battu par  leurs  ordres.  Or,  après  cet  éclair- 
cissement nécessaire,  je  dis,  mes  frères,  que 
la  foi  a  soutenu  noire  solitaire  dans  la  cour, 
où  elle  le  conduit  comme  un  autre  Moïse; 


i  ar  )'•  1 1  marque  que  ce  qui  s«  pa  »sa  dans  la 
cour  de  Pharaon,  où  ce  prophète  lut  conduit, 
et  ce  qui  marqua  la  grandeur  de  sa  loi,  s'o- 
père de  même  dans  la  cour  de  Clovis,  où  la 
foi  conduisit  notre  solitaire. 

Ce  prophète  y  fit  des  prodiges,  et  sa  foi  fut 
si  grande,  que.  Dieu  lui  abandonnant  son 
pouvoir,  il  devint  comme  le  Dieu  de  Pharaon, 
selon  l'expression  de  l'Ecriture.  Si  fidélité 
lut  si  étonnante,  que,  tout  mi-érable  qu'il 
était  dans  sa  fortune  par  sa  naissance,  il  a  - 
ma  mieux  voir  augmenter  sa  misère  en  mé- 
prisant les  offres  d'une  grande  princesse  et 
tous  les  trésors  de  l'Egypte  qui  lui  étaient  ou- 
verts, que  de  renoncer  à  l'effet  des  prou, 
de  son  Dieu.  Enfin  la  confiance  que  ce  pro- 
phète avait  en  Dieu  fut  si  parfaite,  que  -a 
mémoire  est  célébrée  d'une  manière  admira- 
ble dans  l'éloge  que  l'apôtre  saint  Paul  a 
consacré  à  la  foi  des  grands  hommes  de  l'au- 
cienne  loi. 

La  foi  l'a  donc  soutenu  dans  la  cour  de  ce 
prince,  puisque  par  elle  il  a  tout  soumis, 
puisque  pour  elle  il  a  tout  méprisé,  puisque 
par  elle  il  a  tout  mérité.  Or,  mes  frères,  ce 
que  la  foi  a  fait  pour  Moïse  dans  la  cour  d'un 
prince  idolâtre,  elle  l'a  fait  pour  notre  illus- 
tre saint  dans  la  cour  d'un  prince  très-chré- 
tien :  il  quitta  sa  solitude  pour  venir  secourir 
Clovis  dans  une  maladie  de  langueur  qui 
mettait  en  danger  la  vie  de  ce  grand  prince; 
mais  je  ne  peux  le  voir  sortir  de  sa  solitude, 
où  il  est  entré  comme  un  autre  Abraham, 
sans  marquer  encore  une  nouvelle  circon- 
stance dans  les  rapports  que  la  foi  a  mis  en- 
tre ce  patriarche  et  notre  saint  :  c'est  que  , 
pour  obéir  aux  ordres  de  Dieu,  il  fallait  sa- 
crifier ses  enfants  ;  car  il  en  avait  formé  dans 
sa  solitude,  où  sa  retraite,  devenue  féconde 
par  son  zèle,  l'avait  rendu  père  de  saints  dis- 
ciples, auxquels  il  était  attaché  et  desquels 
il  se  sépara.  Oubliant  qu'il  eu  était  le  père, 
pour  se  souvenir  seulement,  comme  Abra- 
ham, qu'il  élait  serviteur  d'un  Dieu  auquel  il 
fallait  obéir  en  renonçant  à  tout  autre  inté- 
rêt, il  abandonna  ses  chers  enfants,  sans  es- 
pérance de  les  revoir  jamais  :  et.  soutenu  par 
la  loi  qui  le  conduisait,  quittant  sa  solitude, 
il  prit  le  chemin  de  la  cour,  où  il  devait  faire 
tant  de  prodiges  et  donner  tant  de  marques 
de  sa  fidélité. 

Je  ne  vous  dirai  rien  de  ce  qu'il  fil  avant 
que  d'arriver  à  la  cour  de  Clovis  :  lou*  les 
malades  qui  se  présentèrent  à  lui  furent  gué- 
ris, et  ce  que  le  Sauveur  du  monde  dit  dans 
saint  Jean,  que  celui  qui  croit  en  lui  fera  tes 
n  livres  (jii'it  a  faites,  et  en  fera  encore  de  p/»> 
grandei,  s'accomplit  eu  la  personne  de  notre 
saint.  11  n'y  eut  ni  maladies  ni  démons  mê- 
me qui  pussent  remisier  à  sa  vertu,  la  foi 
ayant  mis  la  puissance  de  Dieu  entre  s  s 
mains.  Il  entre  enfin  dans  la  chambre  du  roi. 
et,  se  penchant  sur  ce  prince,  il  commanda  à 
la  fièvre  de  le  quitter,  et  la  fièvre  le  quitta 
au  même  instant. 

Ce  miracle  éclatant,  fait  sur  une  personne 
si  chère  à  tous  les  peuples,  de  qui  la  rie  li 
néccssairecl  si  précieuse  A  l'empire  français, 
était  comme  désespérée,  acquit  à  noire  saint 


8»r 


SEKMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINT  SEVEH1N 


820 


toute  l'estime  et  tout  le  crédit  que  vous  pou- 
vez penser.  On  le  regarda  comme  le  libéra- 
teur d'un  grand  roi  qu'on  est  en  danger  de 
perdre,  et  ce  grand  roi  lui-même,  sensible, 
autant  qu'il  le  devait,  à  un  bienfait  si  esti- 
mable, n'oublia  rien  pour  en  marquer  sa  re- 
connaissance à  son  bienfaiteur. 

Ce  fut  ici,  mes  frères,  que  notre  solitaire 
eul  besoin  de  toute  sa  fidélité  pour  se  soute- 
nir, et  où,  sa  foi  étant  devenue  comme  re- 
cueil de  sa  sainteté,  il  fallut  songer  à  défen- 
dre sa  vertu  contre  le  mérite  de  ses  miracles  : 
car,  après  la  miraculeuse  guérison  de  ce 
prince,  tout  s'étant  déclaré  pour  lui,  sa  foi 
3e  vil  exposéeà  d'étranges  épreuves  ;  et  quand 
je  vois  ce  saint  les  soutenir  toules  avec  une 
constance  et  une  fermeté  admirables,  je  ne 
puis  m'empêchcr  de  dire  :  Peut-on  trouver 
une  aussi  grande  foi  en  Israël?  Non  inveni 
t'antam  ficlem  in  Israël.  Je  n'en  marquerai  que 
quelques-unes,  n'étant  pas  possible  de  vous  les 
exposer  toutes.  Représentez-vous  ce  que  peu- 
vent faire  sur  un  cœur  la  vaine  gloire  et  la 
complaisance  où  l'exposaient  les  acclama- 
lions  du  peuple,  les  applaudissements  de  la 
cour,  les  honneurs  et  la  vénération  d'un 
grand  roi.  Si  saint  Bernard  a  dit  autrefois  que 
les  moines  gagnaient  beaucoup  à  demeurer 
dans  la  solitude,  parce  que,  leur  vie  n'étant 
point  exposée  aux  yeux  des  hommes,  ils  n'é- 
taient point  au  hasard  d'être  estimés  saints 
avant  que  de  l'être,  à  quel  danger  était  donc 
exposé  ce  grand  saint,  au  milieu  d'une  cour 
où  tout  retentissait  de  ses  louanges  !  et  quelle 
a  dû  être  sa  foi,  pour  savoir  se  cacher  à  ses 
propres  yeux,  lorsqu'il  éclatait  à  ceux  de 
toute  la  cour,  et  de  s'estimer  lui-même  un 
serviteur  inutile,  pendant  qu'on  l'admirait 
comme  un  homme  miraculeux  ! 

Croyez-vous  que  la  pénitence  et  cette  au- 
stérité de  vie  qu'il  avait  toujours  pratiquées 
n'eurent  pas  de  peine  à  se  soutenir,  en  vi- 
vant parmi  des  gens  à  qui  ces  exercices  cl 
ces  manières  déplaisent  même  dans  les  au- 
tres, parce  qu'elles  condamnent  toujours  en 
eux  un  genre  de  vie  qui  y  est  opposé  ?  Com- 
hien  se  présente-t-il  de  raisons  pour  affai- 
blir l'austérité  et  introduire  le  relâchement! 
Combien  ces  prétextes  de  bienséance,  d'une 
honnête  conformité  et  d'une  complaisance 
raisonnable  el  nécessaire  aux  rencontres  des 
temps  et  des  lieux,  aux  manières  et  à  l'hu- 
meur des  gens,  ne  font-ils  point  d'impres- 
sion !  Les  vues  mêmes  d'une  charité  sage  el 
judicieuse,  qui  sait  se  relâcher  pour  se  ren- 
dre utile,  ne  se  présentent-elles  pas  ?  et  com- 
bien en  a-t-on  vu  qui,  séduits  par  ces  illu- 
Jious,  ont  couru  risque  de  perdre  leur  vertu 
pour  le  salut  d  autrui,  et  se  sont  perdus  eux- 
mêmes  pour  sauver  les  autres  ! 

Que  la  résidence  dans  les  lieux  où  l'on  ne 
fait  pas  profession  de  suivre  les  règles  exac- 
tes de  la  religion  est  dangereuse,  quelque 
prétexte  qui  y  engage  I  11  faut  être  animé 
d'une  foi  bien  puissante  cl  solidement  enra- 
cinée dans  la  charité,  pour  s'y  soutenir  ;  et 
c'est  ce  que  nous  devons  admirer  dans  notre 
incomparable  saint  solitaire,  <|ni  vécut  au 
milieu  de  la  cour  comme  dans  l'horreur  de 


son  désert,  el  qui  ne  soupira  qu'après  sa  so- 
litude, lorsque  tant  de  moyens  de  la  quitter 
se  venaient  offrir  à  lui. 

Je  n'admire  pas  qu'un  homme  ne  pense 
qu'à  unir  ses  jours  dans  une  solitude  où  il 
est  comme  enterré  par  sa  profession,  in- 
connu à  toute  la  terre,  el  sans  aucun  moyen 
de  se  produire:  il  y  a,  mes  frères,  de  la  néces- 
sitée prendre  ce  parti,  et  il  y  aurait  même  sou- 
vent de  l'extravagance  à  songer  à  en  pren- 
dre un  autre.  Mais  qu'un  homme  de  qualité 
qui  s'est  engagé  très-jeune  dans  la  solitude, 
après  y  avoir  passé  un  nombre  d-'années 
avec  beaucoup  d'honneur,  vienne  à  eu  sortir 
par  une  rencontre  glorieuse,  et  que,  ren- 
trant dans  le  monde  avec  éclat,  il  s'y  sou- 
tienne par  une  conduite  digne  d'admiration 
et  capable  de  lui  attirer  l'estime,  la  faveur 
et  le  crédit  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  grand, 
j'admire  que  l'inconstance  et  l'ambition,  si 
naturelles  à  l'homme  ,  que  les  ennuis  delà 
solitude  et  la  facilité  de  réussir,  ne  persua- 
dent pas  à  cet  homme  qu'il  y  a  de  grands 
biens  à  faire  hors  de  sa  solitude,  et  qu'il  ne 
pense  pas  à  se  mettre  en  repos,  sous  pré- 
texte de  procurer  le  salut  d'autrui  par  cha- 
rité. 

La  fidélité  de  notre  solitaire  est  donc  d'au- 
tant plus  admirable  qu'elle  le  soutient  contre 
l'inconstance,  qu'elle  le  défend  contre  l'am- 
bition,qu'elle  lui   rend  aimables  les  peines 
de  sa  solitude,  cl  qu'elle  lui  fait  mépriser  la 
faveur   d'un   grand   roi   et  fouler  aux  pieds 
tous  les  biens  qu'il  lui  présentait.  Pcut-élre, 
mes  frères,  me  direz-vous  qu'il  n'avait  garde 
de  penser  à  s'établir  à  la  cour,  puisqu'avant 
que  de  sortir  de  sa  solitude  il  avait  eu  une 
vision  dans  laquelle  Dieu  lui  marqua   tout 
ce  qui  lui  devait  arriver  dans  son  voyage,  et 
l'avertit  qu'après  avoir  rendu  la  santé  au 
prince,   il  quitterait  la  cour  pour  aller  finir 
sa  vie  dans  une  autre  solitude,  qu'il  lui  mar- 
quait.  Mais  ,   croyez-moi ,   à   moins   d'une 
grande  foi ,  les  révélations  deviennent  aisé- 
ment suspectes  dans  de  pareilles  conjonc- 
tures, et  l'on  serait  bien  porté  à  se  persuader 
facilement  par  humilité  qu'on  est  indigne  de 
ces  faveurs  du  ciel,  si  l'on  se  trouvait  dans 
de  pareilles  circonstances.  Que  rien  donc  ne 
vous   empêche  de  donner   à   la  fidélité   de 
notre  solitaire  toutes    les  louanges   qu'elle 
mérite.  Comparons-le  avec.  Moïse,  puisque, 
aussi  bien  que  ce  prophète,  il  fait  éclater  la 
puissance  de  Dieu  par  le  mérile  de  sa  foi  au 
milieu  de  la  cour  des  rois,  et  que  comme  lui 
il  en  a  méprisé  les  grandeurs   et   les   hon- 
neurs, demeurant  aussi  ferme  et  aussi  con- 
stant que  s'il  avait  vu  de  ses  yeux  la  majesté 
de  celui  à  qui   il  devait  être  fidèle,  et  les 
récompenses  qu'il  avail  promises  à  sa  fidé- 
lité. An  !  quelle  condamnation  pour  la  noire, 
mes  frères  !  Ce  grand  saint  est  fidèle  jusqu'à 
mépriser  ce  qu'on  lui  offre,  de  peur  que  l'ac- 
c     tant  il  ne  parût  faire  quelque  eslime  des 
choses  auxquelles  il  avail  renonce,  el  qu'on 
ne  peut  aimer  s  lus  perdre  le  droit  aux  biens 
éternels   que  la  foi   nous  promet;  et  nous  , 
engagés  comme  lui  à  être  fidèles,  espérant 
les  mêmes  biens  éternels ,  nous  aimons  le 


827 


ORATEURS  SACRES.  DUM  JEROME. 


monde  cl  ses  biens,  quoique  nous  j  ayons 
renoncé.  Aveuglés  par  noire  amour,  nom 
courons  après  ce  qui  nous  luit,  cl,  abandon- 
nant ce  qui  ne  saurait  nous  manquer  si  nous 
étions  fidèles,  nous  poursuivons  toujours  ce 
que  nous  n'acquerrons  jamais  par  tous  nos 
soins.  Je  serais  coulent  si,  en  laissant  à  notre 
illustre  saint  la  gloire  d'avoir  refusé  ce  qu'on 
lui  offrait,  nous  (lions  assez  sages  pour  re- 
noncer à  ce  qu'on  nous  n  fuse,  et  si  la  vue 
des  duretés  que  le  monde  a  pour  ceu\  qui 
le.  suivent  nous  obligeait  à  retourner  à  Dieu 
par  la  foi,  el  à  demeurer  dans  les  engage- 
ments que  nous  nous  sommes  faits  avec  ce 
divin  maître,  qui  n'a  que  de  la  douceur  et 
des  biens  pour  ceux  qui  s'attachent  à  lui. 
Mais  pour  voir  l'ouvrage  de  la  foi  dans  sa 
consommation,  il  fallait  qu'elle  couronnât 
celui  qui  l'avait  fait  triompher  avec  lant 
d'éclat  ;  c'est  ce  qu'elle  fil  pour  notre  saint , 
qu'elle  couronna  dans  le  temple,  comme  Si- 
méon  :  c'est  le  troisième  point. 

TBOISIÈME   PAItTIE. 

Je  n'aurai  pas  le  temps  de  vous  marquer 
Dicn  au  long  les  admirables  rapports  que  la 
foi  a  mis  entre  Siméon  et  notre  solitaire  , 
qu'elle  couronne  dans  le  temple,  comme  ce 
juste  de  l'ancienne  loi.  Mais  pour  achever 
son  éloge,  et  pour  vous  animer  à  être  fidèles 
par  la  vue  de  l'heureuse  fin  de  ceux  qui  l'ont 
été,  je  dirai  seulement  qu'ayant  quille  la 
cour  et  passé  dans  la  solitude  que  Dieu  lui 
avait  marquée,  il  vint  dans  le  lieu  où  il 
devait  recevoir  la  récompense  de  ses  Ira- 
vaux  ,  étant  poussé  par  l'esprit  de  Dieu  , 
comme  un  autre  Siméon  :  Yenit  in  spiritu  in 
icmplo.  Là,  mes  frères,  après  s'être  décou- 
vert à  deux  saints  prêtres  qui  servaient  Dieu 
dans  une  chapelle  bâtie  au  milieu  de  ce  dé- 
sert, et  leur  avoir  communiqué  les  ordres 
du  ciel  sur  sa  personne,  il  ne  leur  parla 
plus  que  de  la  mort.  Dégagé  de  tous  les 
autres  soins,  el  comme  tenant  le  Fils  de 
Dieu  entre  ses  br.is,  par  un  renouvellement 
de  celle  foi  qui  le  lui  avait  toujours  rendu 
présent  dans  tous  les  mouvements  de  sa  vio: 
Accepit  eum  in  ulnas  suas,  il  lui  demandait 
qu'il  lui  plût  de  faire  avancer  cet  heureux 
moment  où  il  devait  le  posséder  :  Ninic  <!i- 
miltis  servum  liutm.  Ainsi  ce;te  grande  âme, 
qui  n'avait  jamais  agi  que  par  la  foi,  sortit  de 
son  corps  pour  aller'jouir  de  ce  Dieu  dentelle 
avait  fait  éclater  la  puissance  dans  la  cour 
des  rois,  et  qu'elle  avait  préféré  à  toutes 
leurs  grandeurs.  Que  celte  fin  est  heureuse, 
mais  qu'il  est  dangereux  de  se  flatter  d'en 
faire  une  pareille,  quand  on  ne  prend  pas 
des  mesures  qui  y  conduisent  en  réglant  sa 
vie  sur  les  lumières  de  la  foi!  Car  quollc  ap- 
parence y  a-l-il  qu'un  homme  qui  a  a:mé 
le  monde,  el  qui  s'en  est  rendu  l'esclave, 
malgré  les  engagements  de  son  baptême  et 
la  fidélité  qu'il  doit  à  Dieu,  méritera  d'être 
couronné  par  la  foi,  dont  il  n'a  jamais  connu 
I es  di  voira  ni  retendue  durant  sa  vie?  Alors 
la  foi,  qui  produit  une  profonde  paix  dans 
l'âme  des  justes,  excitera -un  trouble  épou- 
vantable dans  celle  des  pécheurs.  Ces  lu- 
mières  qui   découvrent  aux  uns  la  récom- 


pense qu'ils  ont  méritée,  montrent  aux  | li- 
tres les  (  bâtiments  qui  les  attendent,  et,  ou- 
vrant .1  tous  une  même  porte  qui  conduit  à 
l'éternité,  les  uns  y  entrent  avec  eonfi 
et  les  aulres  avec  désespoir.  Je  ^n\s  bien  que 
l»:cu  est  plein  de  nritértoordo  et  qui;  peui 
faire  des  miracles,  mais  qu'il  est  dangereux 
et  téméraire  loul  ensemble  d'en  allendre  pour 
son  salut  ! 

Adressons-nous  donc  a  Dieu,  pour  lui  faire 
la  prii  :  homme  de  l'Evangile  :  Credo, 

Domine:  Seigneur,  je  crois  :  suppléez  au  dé- 
faut de  ma  loi.  Défions-nous,  mes  frères,  de 
celle  qui  est  en  nous,  si  elle  n'est  opér 
Souvent  elle  est  si  faible,  qu'elle  n  <  n  mé- 
rite presque  pa-  le  nom.  Demandons  en  NRM 
eetse  l'accroissement  a  Dieu.  Employons 
pour  cela  le,  prières  et  les  larmes,  afin 
qu'après  avoir  publié  l'abondance  de  celle 
de  saint  Séverin,  nous  ne  soyons  pas  con- 
damnés par  la  faiblesse  de  la  noire,  et  que 
nous  méritions  le  ciel  :  c'est  ce  que  je  vous 
souhaite.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POtn    LA    FÊTE    DE    SAINTE    CLOTILDE    (3  juin'. 

M:igna  est  (ides  tua. 

0  femme!  que  voire  foi  est  grande  (Molth.,  XV,  28)1 

Gomme  la  foi  est  une  vertu  qui  doit  être 
commune  à  tous  les  enfants  de  Dieu,  on  peui, 
mes  très-chers  frères,  examiner  ses  diffé- 
rentes opérations  dans  chaque  saint,  où  elle 
se  trouve,  el  quand  on  y  rencontre  des  pro- 
di.es  dignes  de  notre  admiration,  il  est  tou- 
jours permis,  pour  marquer  son  adm  ra- 
tion, de  se  servir  de  ces  paroles  :  (Jue  votre 
foi  est  grande!  ÀJayna  mJ  f  des  tuai  Je  laisse 
donc  à  laChanauee  ce  qu'il  >  a  de  propre  dans 
les  preuves  de  la  foi,  et  j'admire  les  promptes 
el  persévérantes  opérations  de  cette  vertu 
dans  l'âme  de  celle  infidèle;  mais,  mes 
frères ,  ce  qu'il  y  a  de  particulier  daus  celle 
de  noire  admirable  sa  nie  est  si  surprenant, 
qu'il  me  semble  que  l'on  ne  peut  faire  son 
éloge  si  on  ne  parle  de  sa  foi,  et  qu'on  u'c 
peut  parler  dignement  si  on  ne  dit  qu'ell> 
ele  grande: Magna  est  /ides  tua.  Ainsi,  comme 
le  juste  nt  par  1 1  foi,  dit  l'Eciilure,  on  doit 
parler  de  la  grandeur  de  cette  ri  rlu  comme 
on  parle  de  celle  de  la  vie  des  hommes,  c'est- 
à-dire  par  rapport  aux  emplois  qui  la  ren- 
dent illustre  :  or.  la  l  ie  des  hommes  se  passe 
dans  le  soin  de  former  des  desseins  pour 
leur  gloire,  dans  l'application  à  vaincre  les 
obstacles  qui  s'opposent  à  leur  exécution,  et 
dans  le  plaisir  de  jouir  du  fruit  de  leur  suc- 
cès. C'est  ce  qui  fait  que,  lorsqu'il  arrive 
es  desseins  d'un  homme  ont  été  grands, 
qu'il  a  vaincu  de  puissants  obstacles  pour 
les  e\éeuter,  et  qu'enfin  il  a  heureus  ment 
réussi,  ou  ne  craint  point  de  le  placer  parmi 
les  grands  hommes  el  de  publier  que  sa  vie 
est  i  lustre. 

C'est  sur  ces  principes  que  je  reai  établir 
la  grandeur  de  la  foi  de  notre  incomparable 
reine,  pour  jushiier  la  vérité  tics  paroles  de 
mon  te\ le.  Celte  grande  sainte  n'a  vécu  que 
par  la  foi,  cl  elle  a  rendu  sa  vie  illustre  el 


PS) 

M 


829 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINTE  CLOTILDE. 


830 


grande  devant  Dieu  par  la  foi  :  c'est  ce  que 
vous  allez  reconnaître,  dans  les  entreprises 
difficiles  qu'elle  lui  fit  former  :  première 
partie;  dans  les  épreuves  terribles  qu'elle  lui 
fit  soutenir  :  deuxième  partie;  dans  les  suc- 
cès heureux  dont  elle  fut  couronnée  :  troi- 
sième partie. 

Demandons  les  lumières  du  Saint-Esprit. 
Ave,  Maria. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Il  faut  avouer,  mes  frères,  que  la  conduite 
de  Dieu  est  admirable,  et  qu'il  fait  éclater 
de  temps  en  temps  aux  yeux  des  hommes 
des  prodiges  qui  leur  apprennent  bien  qu'il 
est  leur  souverain,  et  que,  Lorsqu'il  a  résolu 
quelque  chose,  il  renverse  comme  il  lui  plaît 
et  les  conseils  et  les  obstacles  qu'ils  y  pré- 
tendent opposer. 

Pharaon  forme  des  desseins  de  mort  contre 
tout  le    peuple  de  Dieu,   et   lorsqu'il  croit 
avoir   pris   des   mesuri  s  infaillibles   pour  y 
réussir,  la  Providence  conserve  un   enfant 
dans  le  péril  ;  elle  le  fait  échapper  au  nau- 
frage, elle  veut  qu'il  soit  élevé  dans  sa  cour 
même,  et  qu'il  prenne  lui-même  soin  de  l'é- 
ducation de  celui  qui  doil  renverser  tous  ses 
dessens  et  rendre  la  liberté  au  peuple  qu'il 
veut  exterminer.  Les  commencements  de  la 
vie  de  la  grande  sainte  Clotilde  nous  offrent 
un   prodige   aussi   frappant  :  en   effet,    mes 
frères, Gondebaud,  ayant  résolu  d'exterminer 
toute  la  race  de  Childéric,   ne  pardonna  ni 
à  ce  prince,  ni  à  sa  fei  me,  ni  à  ses  enfants, 
à  la  réserve  de  ses  deux  filles  ;  et  on  ne  peut 
apporter   aucune   raison   de  celle  conduite 
que   l'arrangement  admirable  de   la    provi- 
dence divine.  A  la  vue  du  berceau  de  la  jeune 
Clotilde,  qu'on  voit  flotter  sur  le  cruel  déluge 
formé  du  sang   de  toute  sa  famille,  on  pou- 
vait donc  faire  la  même  demande  que  firent 
autrefois  les  parents   de  Zacbarie,   étonnés 
par  les  prodiges  qui  s'opèrent  à  la  naissance 
de  saint  Jean-Baptiste  :  Quis  putas  puer  isle 
erit?  Que  pensez-vous  que  sera  cet  enfant, 
et  à  quoi  croyez-vous  que  la  Providence  le 
destine?  Nam   et   manu  s   ejus  cum  ipso  est  : 
car  il  faudrait  être  aveugle  pour  ne  pas  dé- 
couvrir qu'il  y   a  une  protection   manifeste 
de  Dieu  sur  sa  personne,  et   que   c'est  sa 
main  toute-puissante  qui  l'a  tirée  de  tant  de 
périls.  Il  est  aisé  de  se  confirmer  dans  cette 
pensée  quand    on  passe  de  ce  premier  mi- 
racle de  la  Providence  au  second  qu'elle  fit 
en  faveur  de  Clotilde  :  ce  fut,  mes  frères,  de 
lui  conserver  la  pureté  de  la  foi,  quoiqu'elle 
permît  qu'elle  reçût  son  éducation  dans  une 
cour  infectée  de  l'arianism<\  Ce  prodige  sans 
doute  a  quelque  chose  de  surprenant,  et  on 
ne  saurait  comprendre  comment  il  est  pos- 
sible qu'une  jeune  Ame,  aussi  facile  aux  im- 
pressions de  l'erreur,  ait  pu  se  conserver 
fidèle  au  milieu  des  débordements  de  l'hé- 
résie, et  qu'elle  ait  échappé  à  la  mort  spiri- 
tuelle   qu'on    essayait  d'insinuer   dans    son 
âme,  en  y  versant  des  principes  contraires  à 
la  foi.  C'est  la  foi  elle-même  qui  l'a  défendue 
dans  ces   périls  :  comme   elle  avait  dessein 
d'en  faire  un  jour  son  héroïne,  elle  en  prit 


possession  de  bonne  heure,  et  se  rendit  maî- 
tresse de  son  esprit  aussitôt  qu'elle  fut  ca- 
pable de  discernement.  C'est  la  foi  qui  a  pris 
plaisir  de  faire  couler  cette  veine  d'eau  douce 
au  milieu  d'une  mer  agitée,  pour  venir  en- 
suite se  répandre  dans  un  pays  idolâtre,  et 
le  laver  de  toutes  les  taches  que  l'idoiâtrie  et 
l'hérésie  pouvaient  produire. 

Ainsi,  mes  frères,  nous  pouvons  dire  de 
notre  incomparahle  reine  que  Dieu  voulut 
que  sa  foi  fût  pure  et  qu'elle  se  conservât 
dans  la  maison  de  Gondebaud,  parce  qu'il  la 
destinait  à  être  le  ministre  de  la  foi  auprès 
des  Français. 

Après  cela  je  ne  crains  point  d'étaler  à  vos 
yeux  les  entreprises  qu'elle  lui  fit  former,  et 
si  j'en  relève  les  difficultés,  ce  ne  sera  que 
pour  élever  la  grandeur  de  sa  foi.  Ces  entre- 
prises furent,  mes  frères,  <le  faire  passer 
dans  la  France  idolâtre  cette  foi  qu'elle  avait 
gardée  pure  dans  la  Bourgogne  infectée  de 
l'arianisme;  et  remarquez  que  ce  q«i  relève 
extrêmement  la  difficulté  de  cette  entreprise, 
c'est  la  chose  en  elle-même  :  elle  forme  le 
dessein  de  convertir  un  royaume  idolâtre; 
c'est  le  caractère  de  la  personne  par  qui  elle 
entreprend  de  commencer  cet  ouvrage,  il 
s'agit  du  roi  ;  enfin  sa  propre  disposition 
forme  une  nouvelle  difficulté:  c'est  une  simple 
fille,  princesse  par  son  sang  à  la  vérilé  et 
reine  par  son  alliance,  mais  destituée  de  touî 
secours  et  fortifiée  de  sa  seule  foi.  Avouez 
donc  qu'il  faut  qu'elle  soit  grande  pour  for- 
mer de  semblables  desseins,  et  qu'en  consi- 
dérant ses  entreprises  on  ne  peut  pas  s'em- 
pêcher de  dire  :  0  femme!  que  votre  foi  esl 
grande l 

Elle  se  propose  donc  de  convertir  un 
royaume  idolâtre;  mais  ne  peut-on  pas  lui 
demander  d'abord  si  elle  fait  réflexion  sur  la 
difficulté  de  cette  entreprise?  Savez-vous , 
grande  princesse,  ce  que  c'est  que  l'attache - 
meni  des  peuples  à  leur  religion?  Savez-vous 
que  si  les  Etals  forment  des  corps,  la  religion 
en  est  le  cœur?  c'est  elle  qui  les  anime,  c'est 
elle  qui  sert  de  fondement  à  toutes  les  lois; 
et  comme  elle  porte  les  hommes  au  cullo 
d'une  même  divinité,  elle  les  réunit  tous  dans 
ce  point  sans  opposition  :  de  sorte  que  ceux 
qui  ont  d'ailleurs  des  antipathies  dans  l'hu- 
meur et  différentes  laçons  de  penser  dans  les 
intérêts,  s'accordent  entre  eux  et  prennent 
les  mêmes  sentiments  pour  l'intérêt  de  la 
religion,  quand  ou  l'attaque  dans  son  fonde- 
ment. Vous  allez  donc  attaquer  des  peuples 
dans  ce  qu'ils  ont  de  plus  précieux;  vous 
allez  attaquer  des  peuples  français,  qui  se 
piquent  «l'être  les  plus  religieux;  vous  allez 
leur  reprocher  les  erreurs  de  leur  ancienne 
religion  et  leur  en  proposer  une  autre  :  celle 
que  vous  leur  proposerez,  c'est  la  religion 
des  chrétiens,  c'est-à-dire  une  religion  qui 
n'enseigne  que  l'humilité,  qui  ne  promet  que 
des  croix,  qui  ne  recommande  «pue  la  pau- 
vreté, «|ui  lient  la  nature  dans  une  contrainte 
perpétuelle,  «pui  ne  propose  pour  objet  de 
ses  adorations  qu'un  Dieu  crucifié,  et  qui  n'a 
de  récompense  que  pour  une  autre  vie , 
qu'elle  nous  promet  et  que  nous  ne  connais- 


il- 1 


ORATEURS  SACRES.  I>0M  JMUJME. 


g» 


sons  poiat.  Grande  sainte,  que  l;i  différence 

de  ces  sentiments  ;ivcc  ceux  do  la  religion 
qu'ils  professent  formera  d'obstacles  à  votre 
dessein  !  Ils  oui  des  dieux  risibles  cl  qui 
s'expliquent  à  eux  par  1rs  oracles  qu'ils  leur 
rendent;  ils  oui  (les  dieux  commodes,  qui  ne 
combattent  point  les  inclinations  de  la  na- 
ture, mais  au  contraire  qui  en  autorisent  le 
dérèglement  par  leurs  exemples.  Reconnais- 
sez la  difliculté  de  celle  entreprise.  Mais, 
mes  frères,  ne  voyez-vous  pas  en  même  temps 
quelle  est  la  grandeur  de  celle  foi,  que  toutes 
ces  difficultés  n'ébranlent  pas?  Et  par  qni 
commencerez-vous  cet  ouvrage  si  dillicile? 
par  la  conversion  du  roi,  car  elle  n'accepta 
l'honneur  de  son  alliance  qu'à  condition 
qu'il  se  ferait  chrétien. 

Quoi  !  grande  princesse,  la  difficulté  de 
celte  entreprise  ne  vous  effraye  point  1  Ne 
savez-vous  pas  de  quelle  conséquence  sonl 
ces  sortes  de  changements  dans  un  Etal?  Ils 
ne  se  peuvent  faire  sans  en  ébranler  les  fon- 
dements et  mettre  toutes  choses  en  péril  par 
une  révolution  dangereuse.  Ne  savez-vous 
pis  qu'une  des  règles  de  la  politique  hu- 
maine esl  de  vivre  selon  les  lois  de  la  reli- 
gion de  nos  pères,  comme  nous  nous  condui- 
sons par  les  lumières  du  même  soleil  qui  les 
a  éclairés,  et  comme  nous  habitons  la  même 
lerre  qu'ils  ont  habitée?  11  est  vrai  qu'il  vous 
a  fait  promettre  par  son  ambassadeur  d'em- 
brasser la  religion  que  vous  professez  ;  mais 
ne  savez-vous  pas  que  les  promesses  d'un 
homme  qui  aime  n'engagent  point  les  intérêts 
d'un  roi,  et  qu'il  saura  bien  rejeter  sur  les  cir- 
constances de  ses  peuples  el  de  son  royaume 
le  manque  de  parole  que  la  passion  lui  a  fait 
avancer?  Voilà,  mes  frères,  la  situation  de 
Clotilde  lorsqu'elle  quitta  la  Bourgogne  pour 
passer  en  France.  Je  m'imagine  voir  l'invin- 
cible Judith,  sortant  de  liélhulie,  marchant  à 
travers  les  ombres  el  les  horreurs  de  la  nuit, 
engagée  dans  le  camp  de  ses  ennemis,  ex- 
posée seule  à  toutes  leurs  insultes  et  n'ayant 
que  sa  propre  générosité  pour  soutien.  C'est 
l'idée  des  périls  où  la  foi  expose  noire  in- 
comparable sainte  :  elle  sort  de  lu  Bourgogne 
pour  venir  dans  la  cour  de  Clovis,  où  les 
erreurs  du  paganisme  faisaieut  régner  une 
horrible  nuit;  elle  s'engage  seule  dans  le 
camp  de  ses  ennemis,  car  qu'est  ce  que  le 
peu  de  fidèles  qui  l'avaient  suivie  au  milieu 
d'une  cour  idolâtre,  que  le  mauvais  exemple 
pouvait  séduire  ou  que  la  crainte  pouvait 
abattre?  Elle  a  la  parole  du  roi,  mais  encore 
une  fois  elle  n'y  doil  compter  que  faiblement; 
il  l'aime,  je  l'avoue,  mais  je  ne  sais  si  ce 
n'est  point  un  sujet  de  crainte  pour  elle  plu- 
tôt qu'un  fondement  d'espérance;  car  elle 
l'aime  comme  elle  en  est  aimée,  et  cel  amour 
mutuel  qui  les  unit  esl  capable  de  faire  naître 
dans  le  cœur  de  Clotilde  pour  les  sentiments 
du  roi  son  époux  une  espèce  de  complaisance 
qui  doit  naturellement  ralentir  le  zelc  cl  les 
intérêts  de  la  gloire  de  Dieu,  et  c'est  la 
grande  raison  que  l'Eglise  a  toujours  eue  de 
blâmer  les  alliances  formées  avec  les  infidèles. 

Mais  je  ne  m'aperçois  pas  qu'en  mettant 
les  choses  dans   la   vraisemblance  j'oublie 


que  la  foi  avait  prévenu  noire  admirable 
princesse  d'une  force  qui  la  mettait  à  cou- 
vert de  lous  ces  dangers;  je  ne  pouvais  ce- 
pendant passer  sous  silence  les  circonstances 
délicates  où  elle  s'est  trouvée,  puisque  tontes 
ces  difficultés,  capables  d'épouranter  un 
autre  esprit  que  celui  de  Clotilde,  ne  purent 
pas  l'empêcher  de  suivre  la  volonté  du  ciel 
qui  l'appelle  en  France  pour  cxécu'er  les 
desseins  de  la  Providence.  File  y  vint  donc, 
mes  frères,  fortifiée  de  sa  seule  foi;  pour  se 
rendre  terrible  aux  ennemis  de  la  religion, 
elle  se  met  à  couvert  sous  le  bouclier  de  la 
foi,  elle  regarde  sans  crainte  tous  les  obsta- 
cles qu'il  faut  vaincre;  mais  elle  eut  I  l 
que  cette  foi  fût  puissante,  car  après  ces 
difficultés  qui  accompagnaient  son  entreprise 
il  lui  resta  encore  de  terribles  épreuves  à 
soutenir  :  c'est  le  sujet  du  deuxième  point. 

DEUXIÈME  PARTIE 

Quelque  difficiles  que  fussent  les  entre- 
prises de  Clotilde,  elle  les  fit  néanmoins 
réussir.  Il  esl  vrai,  mes  frères,  que  nous  ne 
devons  pas  tellement  attribuer  ces  bons  suc- 
cès à  la  prudence  de  Clotilde,  que  nous  ne 
reconnaissions  en  même  lemps  qu'elle  devait 
beaucoup  aux  qualilés  que  la  nature  avait 
versées  dans  l'âme  de  Clovis.  Ce  prince  avait 
une  inclination  naturelle  pour  la  vertu , 
beaucoup  de  noblesse  et  de  grandeur  d'âme; 
cl,  comme  nous  voyons  que  les  pierres  pré- 
cieuses jettent  au  milieu  de  la  nuit  un  cer- 
tain éclat  qui  fait  connaître  ce  qu'elles  valent, 
on  voyait  au  milieu  des  erreurs  du  paganis- 
me, cl  parmi  les  dérèglements  de  l'idolâtrie, 
un  certain  fond  heureux  dans  l'âme  de  Clo- 
vis. Ce  fut  aussi  ce  qui  fortifia  Clotilde  dans 
ses  desseins  :  elle  espéra  beaucoup  de  ce  bon 
naturel,  et  son  espérance  ne  fu!  point  vainc. 
En  effet,  quand  le  fond  est  bon  et  qu'il  y  a 
dans  l'âme  un  principe  de  reclilude  el  un 
amour  naturel  de  la  justice,  quelques  em- 
portements qui  paraissent  dans  la  jeunesse, 
quelque  violentes  que  soient  les  passions, 
on  en  revient.  L'âge  ralentissant  ces  pre- 
miers feux,  la  raison  se  rend  la  maîtresse, 
à  la  fin  l'âme  reprend  la  liberté  de  ses  mou- 
vements naturels,  toules  ses  bonnes  inclina- 
lions  agissent,  cl  nous  voyons  quelquefois 
une  grande  sagesse  succéder  aux  emporte- 
ments d'une  jeunesse  passionné.'. 

Ce  fut  là,  mes  frères,  l'adresse  de  Clotilde 
et  les  soins  de  cette  prudence  qu'elle  avail 
reçue  du  ciel,  de  savoir  ménager  les  bonm-s 
dispositions  de  Clovis.  Elle  savait  bien  qu'il 
n'était  pas  à  propos  de  se  presser  dans  une 
affaire  de  cette  nature;  car,  comme  a  dit  ex- 
cellemment TcrtuUien,  ce  n'est  pas  entendre 
les  intérêts  de  la  religion  chrétienne,  que  de 
contraindre  à  la  recevoir  :  Nec  religionis  tst 
cogère  religionem.  Elle  se  contente  donc  de 
faire  convenir  le  roi  de  la  promesse  qu'il  lui 
avail  faite  avant  que  de  quitter  la  Bourgo- 
gne, et  d'obtenir  la  liberté  de  faire  les  c\cr- 
cices  do  la  religion  dans  son  palais  avec  les 
personnes  qui  l'avaient  suivie.  Elle  se  sou- 
vient bien  que  la  loi  a  paru  d'abord  comme 
un   petit   lleuve  qui   n'a   forme  qu'un   petit 


833 


SERMON  I'OUR  LA  FETE  DE  SAINTE  CLOTILDE. 


854 


ruisseau,  roulant  ses  eaux  tantôt  en  ligne 
droile,  tantôt  en  serpentant;  qu'au  commen- 
cement il  n'arrosait  que  de  petites  plaines 
grasses  et  fertiles ,  lorsque  le  nom  de  Dieu 
n'était  connu  que  dans  la  Judée;  qu'après, 
en  se  divisant  en  divers  bras,  il  a  formé  de 
petites  îles,  lorsque  le  peuple  de  Dieu  s'est 
mêlé  parmi  ces  nations  où  au  milieu  de  l'im- 
piété il  a  conservé  la  pure'ié  de  la  loi;  et 
qu'enfin  l'esprit  de  Dieu,  se  répandant  comme 
un  déluge,  n'a  plus  fait  qu'une  loi  et  un  seul 
élément  spirituel,  comme  la  mer  qui  n'est 
que  l'assemblage  de  toutes  les  eaux.  Elle 
sait  donc,  celle  sage  princesse,  s'accommoder 
à  la  disposition  du  temps;  elle  se  contente 
de  former  une  espèce  de  petite  île  dans  s:i 
maison,  au  milieu  de  ce  vaste  océan  de  l'i- 
dolâtrie qui  inonde  la  cour  du  roi  son  époux, 
où  sa  foi  est  connue,  et  où  ses  sujets  sont  en 
assurance  au  milieu  des  tempêtes  et  de  l'im- 
piété. 

Mais  comme  elle  pense  toujours  à  augmen- 
ter le  nombre  des  adorateurs  de  son  Dieu, 
voyant  qu'il  avait  béni  son  alliance  et  qu'elle 
était  sur  le  point  de  donner  un  enfant  à  son 
époux,  et  peut-être  un  successeur  à  son  roi, 
elle  se  hasarda  de  lui  demander  que  ,  pour 
témoignage  de  la  sincérité  de  la  promesse 
qu'il  lui  avait  faite,  il  commençât  sa  conver- 
sion en  la  personne  de  cet  enfant,  et  qu'il  le 
consacrât  au  Dieu  des  chrétiens  par  le  bap- 
tême, comme  un  gage  de  la  consécration 
qu'il  avait  promis  de  lui  faire  et  de  sa  per- 
sonne et  de  son  Ktat.  Sa  proposition  fut  fa- 
vorablement écoulée,  et  le  roi  lui  accorda  ce 
qu'elle  lui  demandait. 

Jugez,  mes  frères,  quelle  fut  la  joie  de 
celle  grande  sainte  et  de  lous  les  sujets  véri- 
tables de  Jésus-Christ  :  mais,  hélas  !  celle 
joie  ne  fut  pas  de  longue  durée,  et  ce  qui  de- 
vait êlre  en  apparence  une  grande  espérance 
pour  la  conversion  de  Clovis  et  pour  les  pro- 
grès de  ia  foi  dans  sou  royaume,  pensa  bien 
renverser  les  desseins  de  Clotildc,  et  bannir 
pour  toujours  l'idée  de  cette  nouvelle  reli- 
gion qu'elle  enseignait.  Ce  jeune  prince,  que 
notre  histoire  appelle  Ingomer,  n'eut  pas 
plutôt  reçu  le  baptême  ,  qu'il  perdit  la  vie. 
Ce  sacrement  de  regénération,  par  un  secret 
jugement  de  Dieu  ,  semble  devenir  pour  lui 
un  sacrement  de  mort,  lmaginons-nouscc  que 
ce  coup  fatal  produisit  dans  l'esprit  de  Clovis 
et  dans  celui  de  tous  les  courtisans:  ce  pas- 
sage d'une  si  grande  joie  à  une  désolation  si 
profonde  ne  se  fait  point  sans  que  les  ressen- 
timents éclatent  avec  excès.  Le  roi  reprocha 
à  Clolildc  qu'elle  avait  fait  mourir  son  en- 
fant, et  que  ses  dieux,  irrités  de  l'impiété  à 
laquelle  il  avait  consenti  pour  lui  plaire,  l'a- 
vaient frappé  dans  leur  fureur. 

Grande  sainlc,  que  répondez-vous  à  ce  re- 
proche, cl  que  pensez-vous  de  cet  événement 
fatal  ?  Elle  répond  au  roi  avec  une  constance 
cl  une  modestie  divine  :  Et  moi ,  sire ,  je  re- 
mercie mon  Dieu  de  ce  qu'il  lui  a  plu  rece- 
voir le  premier  fruit  de  mon  sein  et  le  placer 
dans  son  paradis  ;  il  peut,  quand  il  lui  plaira, 
nous  en  donner  un  autre.  Voilà  le  plus  grand 
ouvrage  de  sa  foi,  et  l'épreuve  la  plus  terri- 


ble qu'elle  pouvait  soutenir.  Médilons  en 
toute  la  grandeur,  reconnaissons  sur  cet 
exemple  le  défaut  de  notre  confiance  en  Dieu, 
et  confondons-nous  à  la  vue  de  la  loi  de  cette 
grande  reine. 

Elle  a  donc  quitté  son  pays  pour  suivre 
l'inspiration  du  ciel,  qui  lui   a  persuadé  de 
venir  en  France  afin  d'y  apporter  la  connais- 
sance du  vrai  Dieu  ;  et  quand  elle  y  est,  et 
que  par  ses  soins  elle  a  l'ait  quelque  avance 
pour  le  succès  de  ses  desseins,  le  ciel  paraît 
l'abandonner  et  lui  manquer.  Il  me  semble, 
mes  frèies  ,  que  je  vois  dans  la  conduite  du 
ciel  sur  celle  grande  princesse  une  idée  de 
celle  que  Dieu  garda  autrefois  sur  les  mages, 
qu'il  lira  de  leurs  .royaumes  pour  venir  ado- 
rer Jésus-Christ  enfant,  et  qu'il  laissa  sans 
guide  et  sans  étoile  dans  la  cour  d'Hérode 
Clotilde  n'avait  d'autre  ressource  que  le  ciel, 
c'est  de  là  qu'elle  attendait  tout  son  secours  ; 
sa  confiance  en  Dieu  c'est  L'étoile  qui  la  guide 
dans  tous  ses  desseins,  et  le  ciel  l'abandonne 
quand  clic  a  le  plus  besoin  de  son   secours. 
Mais  encore  ,  s'il  est  permis  de  raisonner 
sur   la   conduite   de   la    Providence,  quelle 
peut  être   la  raison   de  cet   arrangement? 
Peut-il  jamais   se  traiter  sur  la  terre  une 
affaire  où  elle  ait  plus  de  part  ?  11  s'agit  d'é- 
tablir le  cultcde  Dieu  dans  un  grand  royaume 
idolâtre,  d'arracher  à  l'empire  du  démon  une 
multitude  presque  infinie  d'esclaves,  qu'elle 
relient  malheureusement   captifs,   pour  les 
rendre  à  leur  Rédempteur.  Jésus  Christ  aver- 
tit ses  disciples  dans  l'Evangile   qu'ils   ne 
doivent  pas  s'étonner  si  le  ciel  ne  les  exauce 
point  lorsqu'ils  demanderont  des  choses  vai- 
nes, et  que  c'est  comme  s'ils  n'avaient  rien 
demandé,  l'eut-on  demander  une  chose  plus 
solide  et  plus  juste  que  celle  dont  il  s'agit  ici? 
et  cependant  où  en  est  le  succès  ?  Est-ce  que 
les  mains  de  celle  qui  les  élève  vers  le  ciel 
pour  ce  sujet  ne  sont  pas  innocentes  ?  Le  dé- 
règlement de  sa  vie  nuit-il  à  l'accomplisse- 
ment de  ses  vœux  ?  et  Dieu  veut-il  punir  no- 
tre sainte  de  quelque  péché  secret  par  le  re- 
fus de  ses  justes  demandes  ?  Non,  non,  chré- 
tiens, c'est  une  sainlc,  Dieu  veut  l'éprouver: 
il  connaît  la  grandeur  de  sa  confiance  et  do 
sa  fui,  mais  il  veut  en  recevoir  encore  ce  té- 
moignage ;  il  veut  confondre  par  cet  exemple 
le  défaut  de  noire  confiance  en  son  pouvoir, 
Cl   nous   apprendre  de  quelle  manière  nous 
devons  recevoir  le  refus  apparent  des  juslcs 
demandes  que  nous  lui  faisons. 

Apprenez  donc,  chrétiens,  sur  cet  exem- 
ple, que  vous  ne  devez  pas  vous  lasser  d'im- 
plorer la  miséricorde  de  Dieu,  quoiqu'il  sem- 
ble d'abord  ne  pas  vous  écouter  dans  les  de- 
mandes qui  vous  paraissent  juslcs.  Sachez 
que  ce  délai  ou  cet  événement  contraire  à 
vos  désirs  csl  un  effet  de  sa  miséricorde  : 
comme  il  connaît  qu'il  n'y  a  presque  que  la 
vue  de  vos  intérêts  qui  vous  oblige  de  penser 
à  lui,  il  diffère  l'exécution  de  ce  que  vous 
souhaitez  pour  vous  mettre  dans  l'heureuse 
nécessité  dépensera  lui  pins  longtemps;  s'il 
vous  accordait  loul  d'un  coup  ce  que  vous 
demandez,  vous  l'oublieriez  après  que  vous 
l'auriez  obtenu.  C'est  donc  l'amour  moine 


838 


ORATF.UUS  SACBE  .  HOM  Jt.li  < 


836 


qui  loi  donne  celle  dureté  dont  vous  vous 
plaignez:  il  diffère,  afin  que  ce  délai  vous 
oblige  à  chercher  les  moyens  de  1  fléchir, 
âne  vous  preniez  des  dispositions  [dus  dignes 
d'obtenir  ce  que  vous  demandez,  et  plus  ca- 
pables quelquefois  à  vous  en  faire  obtenir 
davantage:  sachez  enGn  chrétiens,  que  Dieu 
se  platt  à  soti.ir  r  di  s  violence-  de  notre  part. 
Il  veut  qu'on  lui  arrache  avec  effort  ce  qu'il 
a  résolu  de  nous  donner  avec  amour  j  cl, 
semblable  à  cet  ange  contre  qui  Jacob  com- 
battit toute  une  nuit  pour  avoir  sa  béné- 
diction, il  se  défend  de  nous  donner  la  sienne 
pour  éprouver  notre  persévérance  et  notre 
foi.  Mais,  6  mon  Dieu!  n'étiez-vous  pas  assez 
certain  de  celle  de  la  grande  Qolilde  après 
cette  première  épreuve  ?  en  fallait-il  encore 
one?  fallait-il  que  le  second  prince  que  vous 
accordâtes  à  ses  vœux  lui  exposé  au  même 
péril  (juc  le  premier?  Car,  mes  frères,  ce  fut 
le  surcroît  d'épreuves  que  Dieu  voulait  avoir 
de  la  foi  de  notre  reine  :  il  lui  donna  un  se- 
cond (ils,  que  notre  histoire  appelle  Clodo- 
mer  ;  et  à  peine  eut-il  reçu  le  baplême,  qu'il 
tomba  dans  une  maladie  si  épouvantable,  que 
loutelacour  !e  crut  mort.  Jugez  quels  durent 
être  les  emportements  du  roi  et  les  plaintes 
de  tous  les  princes  ;  jugez  quelles  durent 
être  les  imprécations  qu'on  prononça  contre 
la  religion  des  chrétiens.  Nous  éliez  témoin 
de  toutes  ces  choses,  grande  reine,  et  c'était 
contre  vous  que  tous  es  coups  étaient  frap- 
pés ;  mais  quels  étaient  les  sentiments  de  vo- 
tre cœur  durant  cette  tempête  qui  menaçait 
toujours  vos  desseins  d'un  renversement  gé- 
néral ?  Vous  ne  désespérâtes  point  du  succès. 
Elle  se  relire  dans  le  secrel  pour  adorer  la 
providence  de  Dieu  ;  elle  reconnaît  que  ce 
sont  ses  péchés  qui  irritent  le  ciel  ;  elle  les 
déleste,  elle  reconnaît  qu'elle  est  indigne  de 
contribuer  à  un  dessein  si  jusle  que  celui 
qu'elle  a  formé,  et  que  Dieu  veut  le  faire 
réussir  sans  qu'elle  y  ait  de  part  ;  et  dans 
celte  disposition  ,  humiliée  devant  Dieu, 
anéantie  en  sa  présence,  accablée  sous  le 
poids  de  son  affliction,  elle  lui  demande  qu'il 
sauve  la  vie  de  ce  prince,  d'où  dépend  ni 
l'intérêt  de  l'Eglise,  l'honneur  de.  ses  aulels 
el  la  gloire  de  son  nom.  Dieu  l'exauce,  mes 
frères,  et,  après  avoir  combattu  contre  elle 
durant  toute  la  nuit  de  cette  épreuve,  elle  lui 
arrache  sa  bénédiction.  Voilà,  chrétiens,  le 
fruit  des  épreuves  de  la  foi  de  Clolilde  :  car 
enfin  les  affaires  changeront  de  face  ,  Dieu 
versera  sa  bénédiction  sur  ses  desseins,  et 
elle  en  remportera  tout  le  succès  que  méri- 
tait une  aussi  grande  foi.  Je  vais  vous  en 
faire  le  récit  en  peu  de  mots  dans  la  troi- 
sième partie  de  ce  discours. 

TROISIÈME    PABTIS. 

Je  trouve  quelque  chose  d'admirable,  mes 
frères,  dans  tous  le^  heureux  succès  que  la 
foi  de  Clolilde  lui  fit  remporter  après  ses 
épreuves  ;  car  comme  elle  força  Dieu  de  lui 
donner  sa  bénédiction,  qu'elle  prit  ,  pour 
ainsi  dire,  avec  violence  ,  il  n'en  fut  plus  le 
maître  ,  si  j'ose  ainsi  parler  ;  et  cette  béné- 
diction fut  si  grande,  qu'elle  la  vit  avec  com- 


plaisance   s'étendre    plus  loin  qu'elle    n'eût 
osé  penser.  Ainsi  élu  vit  !a  eonrersioa  du 

roi  sou  époux  el  celle  de  tout  ce  grand 
royaume  ;  elle  vit  fleurir  la  religion,  linno- 
cence  el  la  sainteté  :  elle  v  il  ce  prince,  qui  te- 
nait anp  irav  a  ni  à  l'idolâtrie,  combattre  pour 
la  virile  et  Uicrde  sa  propre  m, un  kl  roi  d 
\  isigolbs,  q  ti  défendait  l'hérésie  des  ari«Mj 
enfin  elle  le  vit  rendre  son  âme  entre  les 
mains  de  Dieu  avec  une  si  grande  estime  de 
sainteté,  qu'on  ne  lui  en  a  pas  refusé  U  nom, 
pour  récompense  de  tant  de  verlu».  Dieu 
donna  aussi  à  Clolilde  un  nom  plus  auguste 
et  plus  saint  que  celui  qu'elle  avait  porté 
jusqu'alors.  C'était  une  grande  princi -s  e  que 
lout  son  royaume  estimait;  mais  sa  loi  l'a 
rendue  une  grande  sainte  que  loule  l'Eglise 
universelle  honore  :  on  doit  la  regarder 
comme  une  princesse  remplie  de  l'esprit  de 
Dieu,  qui  a  sauvé  les  sujets  qu'elle  a  gouver- 
nés, et  qui  s'est  rendue  leur  apôtre  en  deve- 
nant leur  souveraine  ;  c'est  ce  qui  faii  qu'il 
me  semble  que  nous  devons  finir  son  éloge 
parles  paroles  dont  se  servit  autrefois  le 
pie  de  Bélhnlie  pour  bénir  l'invincible 
Judith  :  Vous  êtes  toute  la  gloire  de  notre  ;.u- 
lion  ;  et  nous  devons  ce  que  nous  sommes  à 
la  grandeur  de  vo're  foi  et  à  la  fermeté  de 
votre  cœur.  Voilà  quels  ont  été  les  ouvrages 
de  la  foi  dans  cette  sainte  reine  :  par  elle 
elle  a  formé  des  entreprises  difficiles,  par 
elle  elle  a  soutenu  des  épreuves  terribles,  et 
avec  elle  elle  a  été  couronnée  de  très-heu- 
reux succès.  Disons-le  donc,  mes  frères,  en 
finissant  :  0  femme!  que  votre  foi  est  grande! 
Mais  il  ne  sertit  pas  jusle  ,  mes  chères 
sœurs  (lj,  de  finir  ce  discours  sans  vous 
louer  et  sans  vous  instruire  :  sans  vous 
louer  d'avoir  ressuscité  la  mémoire  el  le  sou- 
venir de  cetie  grande  reine  en  la  prenant 
pour  patronne  et  pour  protectrice  de  voire 
communauté  ;  el  par  raj  port  à  l'instruction 
que  vous  devez  tirer  de  ce  que  nous  avons 
dit,  sachez  que,  comme  vos  desseins  ont 
quelque  rapport  avec  ceux  de  Clolilde,  il 
pourra  y  en  avoir  dans  vos  épreuves  el  peut- 
être  dans  vos  succès.  Le  zèle  de  la  loi  vous 
applique  à  la  conversion  des  infidèles  ,  il 
fuit  que  la  force  et  la  grandeur  de  cette 
même  loi  vous  fasse  soutenir  avec  constance 
et  avec  fermeté  les  épreuves  où  il  plaira  à  la 
Providence  de  vous  appliquer  ;  souvenez- 
vous  que  la  conversion  des  âmes  csl  lou- 
v  rage  de  Dieu,  ci  qu'il  faul,  comme  Qotilde, 
attendre  en  paix  qu'il  achève  par  sa  puis- 
sance ce  qu'il  veut  bien  quelquefois  com- 
mencer par  notre  ministère.  Par  là  vous 
mériterez  de  recevoir  un  jour  la  récompense 
de  voire  foi  :  c'esl  ce  que  je  vous  souhaite. 
Ainsi  soil-il. 

SERMON 

rOLR    LA    FETE   DE    SAINT  JEAN-U APT1STE 

■2't    ju:n). 

Hic  reoit  in  lesUiuoniam,  m  lestimoaiaa  pi  i 

lamine,  et  otnnes  creSi  reni  per  iIIudi. 
1 1 'vint  pour  servir  d<  irrendreu  à 

lu  IwitH'i  t,  afin  qui  tous  n  ussi'nl  par  lai  [Jouit.,  I . 

Ces  paroles,  mes  très-chers  frères,  renfer- 


(1)  La  conmmuaulé  des  nouvelles  catholiques,  où  ce  sermou  fut  prêché. 


837 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINT  JEAN-BAPTISTE. 


838 


ment  (outes  les  louanges  que  l'on  peut  don- 
nera saint  Jean-Baptiste,  et  elles  expriment 
toutes  celles  qui  sont  répandues  dans  les 
endroits  de  l'Evangile  où  Jésus-Christ  lui- 
même  en  a  parlé;  et  comme  Dieu  ne  met  ses 
dons  dans  les  créatures  que  par  rapport  aux 
desseins  qu'il  a  formés  sur  elles  ,  on  doit 
dire  qu'ayant  desliné  saint  Jean  à  être  son 
précurseur  et  le  témoin  de  sa  divinité  devant 
les  hommes  ,  il  ne  l'a  prévenu  de  toutes  ces 
grâces  admirables  qui  l'ont  rendu  grand  au 
jugement  de  Dieu  même,  que  pour  le  rendre 
(ligne  de  cette  excellente  fonction  :  ainsi  nous 
aurons  dit  de  lui  tout  ce  qu'on  en  peut  dire, 
et  nous  aurons  exposé  à  vos  yeux  tout  ce 
qu'on  en  peut  même  penser  de  grand  ,  quand 
nous  vous  aurons  lait  voir  que  c'est  lui  qui 
est  venu  pour  servir  de  témoin  et  pour  ren- 
dre témoignage  à  la  lumière,  afin  que  tous 
crussent  par  lui. 

Considérons  donc  notre  saint,  mes  chers 
frères,  dans  trois  états  différents  qui  parta- 
geront toute  sa  vie:  dans  le  sein  de  sa  mè- 
re, où  la  grâce  le  prévient;  dans  les  déserts 
de  la  Judée  ,  où  la  pénitence  et  la  vertu  le 
soutiennent  ;  dans  la  cour  d'Hérode,  où  l'in- 
justice l'opprime.  Dans  le  sein  de  sa  mère  il 
rend  témoignage  du  Messie  aux  justes  qui 
l'attendaient ,  dans  les  déserts  de  la  Judée  il 
le  rend  aux  peuples  qui  l'ignoraient,  dans  la 
cour  d'Hérode  il  le  rend  aux  superbes  qui 
le  méprisaient;  par  le  premier  témoignage 
il  console  les  justes,  par  le  second  il  instruit 
les  peuples  ,  et  par  le  troisième  il  confond 
les  superbes  :  voilà  ce  qui  fait  la  gloire  du 
grand  Jean-Baptiste;  mais,  afin  que  nous 
trouvions  notre  instruction  dans  les  louan- 
ges que  nous  donnerons  à  ce  grand  saint, 
puisqu'il  n'a  rendu  témoignage  qu'afin  que 
tous  crussent  en  Jésus-Christ  par  lui,  nous 
examinerons  les  effets  qu'ont  produits  en 
nous  les  vérités  dont  il  a  rendu  témoignage. 
Ce  sera  après  avoir  demandé  l'assistance  du 
ciel  par  l'intercession  de  celle  qui  fut  pré- 
sente à  la  naissance  de  notre  saint ,  et  qui, 
ayant  été  ministre  de  la  grâce  pour  lui,  ne 
refusera  pas  de  l'être  pour  nous.  Ave, Maria. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Si  c'est  une  grande  gloire  pour  un  homme 
que  d'être  choisi  pour  rendre  témoignage 
de  grandes  choses  ,  il  semble  qu'on  ne  puisse 
rien  ajouter  à  celle  d'être  desliné  à  le  ren- 
dre des  mystères  do  la  religion  et  de  l'au- 
teur de  la  religion  même  :  c'est  pourquoi 
l'Kcriture  sainte  nous  marque  que  le  Fils 
de  Dieu  dit  à  ses  apôtres  ,  lorsqu'il  allait  se 
séparer  d'eux,  qu'jVs  recevraient  la  vertu  du 
S<tinf-lïsprit  ,  ({ni  descendrait  sur  euxt  et 
,  qu'jV.ç  lui  rendraient  témoiqna'jedanslaJu- 
d  >,  dans  la  Samarie  et  jusqu'aux  extrémités 
de  In  terre ,  pour  nous  apprendre  que  tout 
ce  qu'il  avait  fait  pour  eux,  et  tout  ce  qu'il 
aliail  faire  encore  en  leur  envoyant  son  Es- 
prit-Saint ,  se  terminait  à  les  rendre  dignes 
d'être  ses  lémoi  is.  I.a  gloire  même  dé  re 
martyr,  qui  renferme  un  degré  de  charité 
excellente,  se  termine  à  rendre  le  chrétien 
(ligne  d'être  le  témoin  de  la  religion  ;  or, 


mes  frères,  ce  que  les  patriarches  et  les  pro- 
phètes, ce  que  les  apôtres  et  les  martyrs 
n'ont  appris  que  par  une  longue  succession 
de  temps  et  de  travaux,  saint  Jean  l'obtient 
tout  d'un  coup  :  ils  sont  nés,  ils  ont  travail- 
lé ,  il  a  fallu  même  qu'ils  aient  versé  leur 
sang  pour  rendre  témoignage  à  Jésus-Christ; 
niais  Jean-Baptisle  lui  rend  témoignage  par 
sa  seule  naissance,  et  il  fait  avant  que  de 
naître  ce  que  les  autres  n'ont  pu  faire  qu'en 
mourant. 

Appliquons-nous  à  expliquer  les  circon- 
stances de  ce  témoignage  si  miraculeux  ; 
mais  comme  il  prend  sa  source  et  sa  force 
dans  la  grâce  qui  a  prévenu  Jean-Baptiste 
dans  le  sein  de  sa  mère,  où  ce  témoignage 
est  rendu,  il  ne  faut  pas  omettre  ce  que  saint 
Bernard  dit  d'une  manière  si  admirable  sur 
le  privilège  de  sa  sanctification.  Tous  les 
hommes,  dit  ce  saint ,  sont  conçus  dans  l'i- 
niquité ,  et  nous  n'en  exceptons  que  celui-là 
seul  qui  n'a  point  fait  de  péché:  Solus  (lie 
qui  peccatum  non  fecil  excipitur.  Comme  il 
venait  pour  ôler  le  péché  des  autres,  il  ne 
devait  pas  en  être  souillé  lui-même;  et,  sans 
prendre  la  chair  du  péché  ,  il  suffisait  qu'il 
en  eût  pris  la  ressemblance.  Ce  principe  de 
corruption  étant  donc  commun  à  tous  les 
hommes  ,  nous  en  connaissons  deux,  dit  le 
même  saint  Bernard  ,  qui  ont  été  sanctifiés 
dans  le  sein  de  leur  mère  ,  Jérémie  et  saint 
Jean-Baptiste.  Ce  n'est  pas,  dit  ce  Père  ,  que 
nous  doutions  du  privilège  de  Marie;  car 
nous  savons  que  la  manière  dont  elle  l'a  été 
passe  de  beaucoup  les  deux  dont  nous  par- 
lons ;  nous  ne  croyons  pas  même  qu'elle  ait 
eu  besoin  d'être  purifiée;  nous  ne  croyons 
pas  même  que  le  démon  ait  jamais  eu  de 
pouvoir  sur  elle;  nous  suivons  la  pieuse 
pensée  de  l'Eglise,  qui  croit  qu'elle  a  été 
conçue  d  ;ns  la  justice  et  préservée  de  tout 
péché  par  Jésus-Christ  et  pour  Jésus-Christ; 
mais,  entre  les  deux  autres  dont  je  parle  , 
saint  Jean-Baptiste  l'a  emporté  assurément  : 
car  Jérémie  est  sanctifié  dans  le  sein  de  sa 
mère  ,  et  saint  Jean  y  est  rempli  du  Saint- 
Esprit;  l'un  par  sa  sanctification  ne  fait  que 
perdre  la  tache  de  son  origine,  et  l'autre  par 
la  sienne  reçoit  non-seulement  la  grâce  qui 
le  purifie  ,  mais  une  vie  abondante  de  grâce 
qui  le  remplit.  En  un  mol,  saint  Bernard  ne 
craint  point  de  dire  que  saint  Jean-Baptiste 
est  arrivé  en  un  instant  où  les  apôtres  ne 
sont  arrivés  que  par  degrés,  puisque  le  Fils 
de  Dieu  leur  donne  le  Saint-Esprit  peu  de 
temps  après  sa  résurrection,  mais  qu'il  leur 
a  fallu  demeurer  cinquante  jours  dans  la 
retraite  pour  mériter  d'en  être  remplis,  au 
lieu  que  Jean-Baptiste  dans  le  même  instant 
perd  la  lâche  de  son  origine,  reçoit  la  grâce 
qui  le  sanctifie  et  est  rempli  de  lÊspril-Saint. 

Tout  ceci  est  admirable,  dit  encore  saint 
Bernard,  n'en  soyons  pas  cependant  surpris. 
Comment  le  Roi  de  la  gloire  et  le  Rédemp- 
teur  du    monde  aurait-il  pu   être  présent  à 

in-Baptiste  dans  le  sein  de  sa  mère  qui  l'y 

ail,  sans    y    opérer  des    miracles  en    le 

prévenant  d'une  grâce   qui  le  distinguât  de 

tous  les  autres  hommes?  Ainsi  ue  vous  étoo- 


859 


oimrx'its  svcftEs.  »om  JEROME 


MO 


nez  donc  pas  ,  mes  frères,  si  je  ilis  qno  dans 
le  sein  «le  sa  mère  il  rend  témoignage  à  la 
venue  de  Jésus-Christ  et  à  sa  mère  même; 
car  si  Elisabeth  reconnaît  le  Sauveur  dans 
le  sein  de  Marie,  comme  il  paraît  par  la  ma- 
nière dont  elle  la  salue,  en  l'appelant  la  Mè- 
re de  son  Sauveur,  en  loi  disant  qu'elle  est 
bénie  cnlre  loules  les  femmes  et  que  le  fruit 
de  son  venlre  est  béni ,  n'est-ce  pas  du  tres- 
saillement de  son  enfant  dans  son  sein  qu'el- 
le'l'a  appris,  et  ce  tressaillement  u'cst-il  pas 
regarde  par  les  saints  Pères  comme  un  té- 
moignage rendu  par  saint  Jean  à  sa  mère 
de  la  venue  et  de  la  présence  du  Messie?  Ce 
qui  fait  dire  à  saint  Ambroisc  celte  parole 
qui  renferme  tant  de  mystères  que  les  deux 
mères  prophétisent  par  l'esprit  des  enfants 
qu'elles  portent  dans  leur  sein ,  c'est-à-dire 
que  ,  comme  Jesus-Chrisl ,  qui  est  dans  le 
sein  de  Marie  ,  se  sert  de  sa  mère  pour  ef- 
facer la  tache  originelle  de  saint  Jean  et 
pour  le  remplir  de  la  grâce,  Jean -Baptiste 
se  sert  de  la  bouebe  d'Elisabeth  pour  an- 
noncer la  venue  du  Messie  ,  dont  il  lui  avait 
rendu  témoignage  par  le  tressaillement  de 
joie  qu'elle  avait  senti  aussitôt  que  Marie 
lui  avait  parlé.  Mais  allons  plus  lo;n  ,  et  di- 
sons que  la  seule  nouvelle  de  la  naissance 
ou  de  la  conception  de  Jcan-Baplistc  est  un 
témoignage  pour  son  père  de  la  venue  du 
Messie;  car  dès  que  Zacbaric  apprend  de  la 
bouche  de  l'ange  que  sa  femme  devait  con- 
cevoir un  enfant,  il  le  regarde  dès  lors  comme 
le  prophète  du  Très-Haut  et  comme  celui 
qui  devait  marcher  devant  le  Seigneur  pour 
lui  préparer  ses  voies,  et  il  annonce  en  mê- 
me temps  que  le  Dieu  d'Israël  allait  visiter 
son  peuple,  le  racheter  et  lui  susciter  un 
puissant  Sauveur.  Est-il  nécessaire  mainte- 
nant d'ajouter  que  ce  témoignage  remplit 
de  joie  l'âme  de  ceux  qui  y  curent  part? 
l'ange  n'en  assure-t-il  pas  Zacbaric?  Vous 
en  serez,  lui  dit-il,  dans  la  joie  et  dans  le  ra- 
vissement ,  et  plusieurs  se  réjouiront  de  sa 
naissance;  non-seulement  par  les  raisons 
générales  qui  excitent  la  joie  ,  car  la  mère 
est  rendue  féconde  de  stérile  qu'elle  était,  et 
le  père,  qui  était  muet,  rentre  dans  la  liber- 
té de  la  langue  par  un  miracle  éclatant. 
Mais  s'il  faut  vous  donner,  mes  frères,  quel- 
que raison  de  celte  joie  ,  il  n'y  a  qu'à  vous 
représenter  quels  étaient  les  désirs  des  jus- 
tes, qui  sentaient  leurs  misères  et  qui  con- 
naissaient bien  qu'elles  ne  pouvaient  Unir 
que  par  la  venue  du  Messie  qui  leur  était 
promis  et  qu'ils  attendaient.  11  ne  faut  que 
vous  obliger  à  faire  réflexion  sur  les  motifs 
de  cette  joie  ,  que  Zacbaric  allègue  dans  le 
cantique  qu'elle  lui  fait  chanter  à  la  nais- 
sance de  son  fils,  Béni  soit,  dil-il,  le  Sei- 
gneur, le  Dieu  d'Israël,  parce  qu'il  a  visité  et 
racheté  son  peuple.  Voilà  les  motifs  de  celte 
joie  :  Dieu  nous  visite  par  son  Verbe,  el  le 
Verbe  comme  victime  nous  rachètera  par 
son  sang.  //  viendra  ,  dit-il ,  pour  éclairer 
ceux  qui  étaient  ensevelis  dans  1rs  ténèbres 
et  dans  V ombre  de  1a  mort,  ci  pour  conduire 
nos  pas  dan»  le  chemin  de  la  puix.  <juel  sujcl 
de  joie!  Enfin  Zacharh  reçoit  I  assurance 


de  la  renne  de  ccli-i  qui  doit  dissiper  les  lé- 
nèbi     il    l'ignoram  <•  du  péché  et  de  la  mort, 

pour  tourner  vers  le  ciel  les  meurs  el  les  in- 
clinations d'un  peuple  grossier  et  charnel, 
el  pour  donner  la  véritable  paix  .  ceux  qui 
avaient  vécu  dans  les  alarmes  ,  dans  la  ser- 
vitude (  l  dans  les  troubles  de  la  guerre.  Voi- 
là, mes  frères,  de  quelle  manière  le  premier 
témoignage  que  Jean-Baptiste  a  rendu  a  la 
venue  du  Messie  comble  de  joie  les  justes  qui 
le  reçoivent. 

A\ant  sa  naissance,  pour  ainsi  dire,  il 
tourne  leurs  cœurs  vers  le  Sauveur  qu'il 
leur  promet  ,  et  le  leur  propose  comme  leur 
unique  consolation.  C'est  ce  que  signilic 
cette  paroi'1  :  Plusieurs  se  réjouiront  de  s,i 
naissance.  Si  nous  venons  maintenant  à 
miner  l'effet  que  ce  premier  témoignage 
doit  produire  dans  notre  cœur,  où  en  serons- 
nous?  Nous  jouissons  des  fruits  de  ce  témoi- 
gnage, car  nous  savons  que  Jésus-Christ  est 
venu,  et  nous  croyons  de  plus  qu'il  doit  ve- 
nir encore.  Les  justes,  qui  apprennent  sa 
renne  par  Jean-Baptiste,  se  réjouissent  et 
mettent  e:i  lui  toute  leur  consola.ion  ;  mais 
l'espérance  de  son  retour  fail-cllc  notre  uni- 
que joie,  cl  est-ce  dans  l'attente  du  Sauveur 
que  nous  mettons  tout  notre  espoir?  Saint 
Augustin  fait  celle  belle  réflexion,  avec  la- 
quelle je  finis  celle  première  parlie  :  Dépita 
le  commencement  du  monde  jusqu'à  la  fin  de 
tous  les  siècles,  tes  vœux  de  tous  les  saints 
qui  ont  vécu  ,  qui  vivent  et  qui  vivront,  se 
sont  tous  terminés  à  Jcsus-Christ  seul  :  et  ce 
désir  ne  s'est  point  borné  au  temps  de  son  in- 
carnation, il  s'étend  encore  jusqu'à  la  fin  du 
monde,  où  ce  Désiré  des  nations  viendra.  Les 
premiers  temps  ont  eu  des  saints  qui  ont  sou- 
haité son  premier  avènement  ,  et  ces  temps-ci 
en  ont  qui  désirent  son  second.  Reconnais- 
sons donc  à  ce  caractère  ,  mes  chers  hrères, 
si  nous  sommes  les  membres  de  ce  corps  qui 
est  répandu  dans  toute  la  terre  el  qui  s  étend 
dans  tous  les  temps  ;  car  si  cela  est,  nous  de- 
vons être  pressés  de  ce  désir  du  Sauveur  ; 
et  ce  désir,  croissant  en  nous,  doil  nous  dé- 
tacher de  toutes  les  choses  de  la  terre;  il 
doit  nous  affaiblir  d'un  côté  pour  nous  for- 
tifier de  l'autre;  il  doit  diminuer  en  nous 
l'amour  des  créatures  cl  y  augmenter  l'a- 
mour de  Dieu  ;  il  doit  nous  rendre  insensi- 
bles aux  maux  comme  aux  bien-,  de  celle 
vie,  ne  cherchant  de  la  consolation  et  de  la 
joie  que  dans  celui  qui  doit  être  le  terme  et 
la  fin  de  tous  nos  désirs.  Voilà,  mes  frères, 
ce  que  doit  produire  en  nous  le  premier  té- 
moignage que  Jcan-Baplistc  rend  au  Sauveur. 
Examinons  les  circonstances  du  deuxième  : 
c'est  le  deuxième  point. 

OBI  \ll  Ml     r-ARTlE. 

Je  ne  saurais  lire  dans  l'Evangile  que 
Jcan-Bapliste  quille  la  maison  de  son  père 
pour  se  retirer  dans  le  désert  ,  qu'il  y  vivait 
de  sauterelles  et  de  miel  sauvage,  et  qu'il 
avait  un  vêtement  de  poils  de  chameau  et  une 
ceinture  de  cuir  autour  de  ses  reins,  sans 
m'écricr  avec  saint  Bernard  :  Mon  iii.u'. 
quth  homicides,  quels  sacrilèges,  quels  crimes 


811 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINT  JEAN-BAPTISTE. 


842 


avait  donc  commis  celui  que  Dieu  avait  sanc- 
tifié dès  le  sein  de  sa  mère ,  pour  se  séparer  de 
la  compagnie  de  ses  parents,  qui  étaient  des 
saints,  et  pour  s'engager  dans  les  exercices 
d'une  vie  si  terrible!  Je  pourrais,  mes  frères, 
dire  avec  saint  Bernard  que  c'est  pour  nous 
animer  à  la  pénitence, que  celui  qui  devait  la 
prêcher  en  a  usé  ainsi  pour  nous  porter  à 
punir  en  nous  les  excès  dont  nous  sommes 
coupables  ,  pour  nous  confondre  dans  notre 
délicatesse  et  dans  notre  lâcheté  ;  mais  je 
laisse  ces  raisons  ,  afin  de  vous  en  donner 
d'autres  de  la  conduite  de  saint  Jean-Baptiste 
qui  conviennent  mieux  à  mon  sujet.  Il  entre 
donc  dans  ces  exercices  laborieux  de  la  pé- 
nitence ,  il  suit  un  genre  de  vie  si  terrible  , 
pour  se  rendre  digne  de  sa  fonction  ,  pour 
être  capable  d'instruire  les  peuples  sur  la 
connaissance  du  Messie,  enfin  pour  leur  ren- 
dre témoignage  de  la  venue  et  de  la  mission 
de  Jésus-Christ,  d'une  manière  forte,  invin- 
cible et  digne  de  la  sainteté,  de  l'humilité  et 
de  l'amour  de  ce  divin  précurseur  pour  son 
Maître. 

Or,  afin  d'entrer  dans  ce  que  j'avance  ici, 
il  faut  remarquer  que  les  prédictions  que  les 
prophètes  avaient  faites  de  la  venue  du  Mes- 
sie étaient  obscures.  Il  n'y  a  qu'à  considérer 
dans  ces  prédictions  la  manière  dont  il  était 
prédit  :  quelquefois  ils  en  parlaient  comme 
d'un  roi  qui  ne  viendrait  que  pour  enrichir 
son  peuple;  tantôt  ils  en  parlaient  comme 
d'un  conquérant  qui  détruirait  leurs  enne- 
mis; d'autres  fois  ils  en  parlaient  comme  de- 
vant être  véritablement  caché,  comme  ne  de- 
vant point  être  connu,  comme  devant  être 
une  pierre  d'achoppement,  à  laquelle  plu- 
sieurs se  heurteraient  :  ainsi ,  ces  manières 
obscures  de  s'exprimer,  et  qui  semblaient 
même  se  contredire,  rendaient  la  connais- 
sance du  Messie  difficile.  Il  y  avait,  à  la  vé- 
rité, d'admirables  raisons  de  cette  conduite 
de  Dieu  sur  les  peuples  ,  qui  voulait  par  là 
rendre  le  Messie  connaissable  aux  bons  et 
méconnaissable  aux  méchants  :  mais  ces  ré- 
flexions ne  sont  pas  précisément  de  mon  su- 
jet. Voilà  donc  d'un  côté  ce  que  les  Ecritures 
annonçaient  du  Messie.  D'un  autre  côté  ,  les 
Juifs,  ce  peuple  qui  se  flattait  de  son  élection, 
de  l'amour  que  Dieu  avait  eu  pour  Abraham 
leur  père,  et  des  prodiges  qu'il  avait  faits 
pour  eux,  étaient  accoutumés  aux  miracles 
éclatants,  et  n'ayant  regardé  ces  prodiges  de 
la  mer  Rouge,  de  la  terre  de  Chanaan,  de  la 
chute  de  la  manne, cl  le  reste  des  faveurs  que 
Dieu  avait  faites  à  leurs  pères,  que  comme 
un  abrégé  des  grandes  actions  de  leurMessie, 
ils  attendaient  de  lui  des  choses  encore  plus 
éclatante!  ,  et  dont  ces  prodiges  passés  n'é- 
laient  que  comme  les  préludes. 

Lors  donc  que  le  temps  du  Messie  que  l'on 
attendait  fut  vcnu,l'éclatdesa  fortune  n'ayant 
aucun  rapport  à  l'idée  qu'ils  en  avaient  con- 
çue, et  comme  on  ne  trouvait  au  contraire 
que  des  misères  et  des  infirmités  où  l'on  ne 
M'était  figuré  que  de  la  puissance  et  de  la 
grandeur,  vous  comprenez  bien  quelles  fu- 
rent les  difficultés  qui  s'opposèrent  aux  suc- 
cès des  fonctions  de  Jean-Baptiste. 
OnATEuns  saches.  XXX. 


Or,  que  fait-il  pour  montrer  aux  Juifs  ce- 
lui qu'ils  auraient  eu  tant  de  peine  à  con- 
naître dans  un  état  si  opposé  à  l'idée  qu'ils 
en  avaient  prise?  Il  entre  dans  le  désert,  il 
joint  à  une  naissance  illustre  une  vie  admi- 
rable; il  ne  suit  pas  le  Sauveur,  il  se  fait  des 
disciples  qui  ne  sont  pas  contraires  à  Jésus- 
Christ,  mais  qui  semblent  aussi  ne  lui  être 
pas  soumis;  et  tout  cela  pour  s'acquérir  par- 
mi les  Juifs  celte  autorité  et  ce  crédit  qui  les 
obligea  de  le  respecter  comme  le  Messie  ,  et 
à  lui  offrir  même  de  le  reconnaître  en  celte 
qualité  ,  afin  qu'ils  eussent  plus  de  foi  pour 
son  témoignage,  et  qu'ils  reconnussent  le 
Messie  en  la  personne  de  Jésus-Christ  sur  sa 
parole. 

Voilà,  mes  frères,  ce  qui  fait  dire  à  notre 
saint  :  Ce  n'est  pas  moi  qui  suis  le  Christ;  et 
il  le  leur  montre,  en  leur  disant  qu'il  ne  l'é- 
tait pas.  Il  leur  apprend  que  son  baptême, 
qu'ils  viennent  lui  demander  avec  tant  d'em- 
pressement, n'a  pas  la  vertu  de  remettre  les 
péchés,  mais  que  c'est  celui  qu'il  leur  dit  être 
le  Messie  qui  doit  les  effacer.  Il  leur  apprend 
qu'il  n'est  qu'une  voix  et  qu'une  ombre  pour 
relever  son  éclat,  et  que  quand  le  temps  de 
paraître  pour  lui  sera  venu,  on  verra  effacer 
ce  qu'il  a  de  brillant,  comme  on  voit  qu'un 
flambeau,  sans  s'éteindre,  n'éclaire  plus  lors- 
que le  soleil  luit.  Ne  faut-il  pas  reconnaître 
que  celui-là  est  au-dessus  de  toute  louange, 
de  qui  la  vérité  par  essence  dit  qu'il  surpasse 
en  mérite  tous  ceux  qui  sont  nés  des  femmes? 

C'est  ainsi  que  Jean-Baptiste  rend  témoi- 
gnage à  Jésus-Christ  dans  les  déserts  de  la  Ju- 
dée, et  qu'il  le  montre  à  ceux  que  Dieu  avait 
préparés  à  le  connaître  :  il  se  sacrifie  tout 
entier  à  la  gloire  de  celui  qu'il  annonce;  il 
lui  renvoie  ses  disciples,  il  ne  veut  avoir  de 
mérite  que  pour  en  faire  hommage  au  Sau- 
veur; il  prétend  que  toute  l'estime  que  sa 
vertu  lui  a  acquise  ne  doit  servir  qu'à  ren- 
dre plus  fort  le  témoignage  qu'il  donne  en  sa 
faveur. 

Ah  !  qu'il  est  puissant  ce  témoignage!  car 
enfin,  dit  saint  Augustin,  quel  autre  témoi- 
gnage les  Juifs  pourraient-ils  attendre  de  la 
mission  de  Jésus-Christ,  que  de  voir  un  hom- 
me qui  pouvait  le  détruire  se  détruire  au 
contraire  lui-même  pour  l'établir.  Ne  passons 
pas  sur  un  si  grand  exemple  sans  y  arrêter 
nos  réflexions. 

Jean-Baptiste  a  rendu  lémoignageà la  gran- 
deur du  Messie,  caché  sous  des  dehors  si  mi- 
sérables et  si  humbles,  et  il  l'a  fait  reconnaî- 
tre aux  Juifs  en  cet  état,  qui  était  si  opposé 
à  l'idée  qu'ils  s'en  étaient  formée;  mais  nous, 
mes  frères,  à  qui  les  mystères  de  la  religion 
et  de  la  venue  du  Messie  sont  révélés  par  la 
foi  ,  pouvons-nous  dire  que  nous  le  recon- 
naissons sous  ces  dehors ,  nous  qui  savons 
par  la  doctrine  de  l'Apôtre  que  toutes  les  cho- 
ses auxquelles  les  Juifs  s'attachaient  à  la  let- 
tre n'étaient  que  des  figures,  et  que  les  véri 
tables  ennemis  du  peuple  de  Dieu  n'étaient 
pas  les  Babyloniens,  mais  nos  passions  ;  nous 
qui  savons  que,  s'il  a  enrichi  nos  pères  dans 
l'ancienne  loi,  c'est  qu'ayant  dessein  de  nous 
priver  des  biens  charnels  et  périssables,  dans 

27 


«47> 


ORATLURS  SACHES.  DOM  JEROMI. 


)a  nouvelle  loi,  qui  est  la  loi  de  perfection,  il 
voulait  montrer  que  Ce  c'était  pas  par  im- 
puitiaocc  qu'il  réduisait  les  siens  et  lui-même 
a  cet  état;  nous  enfin  qui  savons  que  le 
royaume  de  Dieu  n'est  pas  dans  la  chair,  niais 
dans  l'esprit,  pouvons-nous  dire  qui-  nous  le 
reconnaissons  pour  le  Messie  sous  Ces  dehors 
de  misère  et  de  dépouillement,  pendant  que 
nous  vivons  d'une  manière  opposée  à  ses 
.sentiments  et  à  sa  conduite  .'  Nou  .  reconnais- 
sons un  Dieu  dans  la  pauvreté,  et  nous  vou- 
lons vivre  dans  le  luxe  ;  nous  l'adorons  dans 
un  état  humilié,  et  nous  ne  formons  que  des 
desseins  de  grandeur  et  d'élévation.  Ce  n'est 

Îias  là  profiter  du  témoignage  de  saint  Jean- 
tapliste.  Non,  mes  chers  frères,  nous  ne  re- 
connaissons le  Messie  que  jour  le  temps  de 
son  avènement  passé;  nos  passions  et  notre 
cupidité  nous  cachent  les  lumières  que  la  foi 
nous  donne  sur  son  avènement  futur,  et  nous 
vivons  'l'une  façon  charnelle  dans  une  loi 
toute  d'esprit.  Rendez  grâces  au  Seigneur, 
saintes  âmes  ,  vraiment  épouses  de  Jésus- 
Christ,  de  ce  qu'il  vous  a  fait  estimer  son 
abaissement  jusqu'à  tout  quitter  pour  le  sui- 
vie dans  son  étal  caché.  Rendez  grâces  à  sa 
miséricorde,  vous  qui  avez  part  au  ministère 
de  son  précurseur,  puisque  vous  avez  l'avan- 
tage de  rendre,  comme  Jean-Raptiste,  témoi- 
gnage à  sa  grandeur,  en  vous  sacrifiant  à  an- 
noncer un  Dieu  caché  que  le  monde  ne  veut 
point  connaître. 

Demandez  à  Dieu,  pour  ceux  que  la  Provi- 
dence associe  aux  fonctions  de  Jean-Baplis- 
tc,  et  qui  sont  engagés  à  rendre  témoignage 
à  Jésus-Christ  devant  son  peuple  par  le  mi- 
nistère sacré,  qu'ils  suivent  l'exemple  de  ce 
précurseur  dans  leur  ministère;  car  il  ne  fau- 
drait entrer  dans  ces  fonctions  si  saintes  et 
si  redoutables  qu'après  avoir  pénétré  ces  pa- 
roles que  l'évangéliste  saint  Luc  rapporte  de 
saint  Jean-Baplisie  :  Or  l'enfant  croissait  et 
se  fortifiait  en  esprit,  et  il  demeurait  dans  lis 
dés  rts  jusqu'au  jour  qu'il  devait  paraître  de- 
vant le  peuple  d'Jsracï. 

Voilà,  mes  frères,  les  devoirs  d'un  prédica- 
teur évangélique  ,  avant  que  de  commencer 
les  fonctions  de  son  ministère.  Il  faut  qu'il 
soit  enfant  par  l'innocence  de  son  âme  et  par 
la  simplicité  de  son  cœur  ,  qu'il  ait  pris  soiu 
de  croître  dans  la  piété  en  se  nourrissant  du 
pain  de  la  prière;  il  faut  qu'il  donne  le  temps 
à  son  zèle  de  se  fortifier  par  la  lecture  de 
l'iicriture  sainte  et  des  saints  l'ères,  afin  que 
ce  zèle  soit  selon  la  science,  et  non. pas  aveu- 
gle et  indiscret  ;  il  faut  enfin  qu'il  demeure 
dans  la  retraite  et  dans  le  silence,  jusqu'à  ce 
que  Dieu  l'en  relire  cl  qu'il  l'expose  lui-mê- 
me au  jour. 

Finissons  celle  partie  par  une  réflexion 
sur  les  succès  du  ministère  du  précurseur  et 
sur  la  manièredont  il  en  exerce  les  fonctions. 
11  rend  témoignage  à  Jésus-Christ,  dil  levau- 
gélisle  sainl  Jean,  en  disant  :  Voici  celui  qui 
doit  venir  après  moi,  et  qui  a  </<•  préféré  à 
mot,  parce  qu'il  était  avant  moi.  li  faudrait, 
mes  frères,  ne  prêcher  que  .Icsus-Ch.  isl,  el 
dans  le  mi  i  1ère  nous  ne  devons  appliqi  •  i 
les  chrétiens  qu'à  Jesus-CiinsI   uniqui  nu'iil, 


en  nous  cachant  nous-mêmes,  et  en  ne  re- 
cherchant nulle  gloire  que  la  sienne.  Bai  et 
Jean  r  nroie  iplei à  Jésus-Chris 1 1 

no'is  enseigner  que  nous   ne  iefoni 
nous  Ittaeberceui  que   nous  instruisons 
n  s  exemples  étaient  rafris,  il  y  aurait  i 
moins  d'ambition  et  d'Intérél  dans  les  fonc- 
tions du  ministère  lacré,  il  s.  l'ambition  et 
l'intérêt  n'y  entraient  pour   rien,  mes  I  ètf 
on  verrait  bien  d'autres  fruit-  :  Jésus-Cfa 
serait  connu  el  servi  bien  plus  parlaitement  : 
car   ce    lurent   celte    humilité    sincère  et  ce 
désintéressement  rentable   qui  don    èrenl  la 
force  à  saint  Jean  d'annoncer  le  Messie  dans 
la  cour  d'Herode,  elde  lui  rendre  un  dernier 
lémoigni  m    lequel   il  confond  les  su- 

perbes,  quoique  l'injustice  l'opprime  :  c'c-l 
ma  dernière  partie. 

i  uoisi;  m:,   partik. 

Comme  on  parle  ordinairement  de  ce  troi- 
sième témoignage  que  Jean-Baptiste  a  rendu 
à  Jésus-Christ,  dans  le  jour  que  l'Eglise 
sainte  fait  la  solennité  de  sa  mort,  je  n'eu 
dirai  que  fort  peu  de  chose  en  finissant  ce 
discours,  et  je  me  contenterai  de  cette  unique 
proposition  :  que  ce  lioisième  témoignage 
donne  à  saint  Jean  plus  de  gloire  que  les 
deux  autres  dont  nous  avons  parlé.  Il  ••! 
vrai  que  ce  témoignage  ne  renarde  pas,  ab- 
solument parlant,  Jé»us-Chrisl  d'une  maniè- 
re directe,  puisqu'il  ne  s'agissait  pas  prêt  i- 
sémenl  de  le  faire  connaître  â  Uérode,  el  qu'il 
ne  regardait  que  sa  doctrine  violée  par  la 
conduite  d'Herode:  mais  je  le  regarde  comme 
plus  glorieux  à  Jean-Baptiste  que  les  deux 
autres,  parce  qu'on  peut  dire  en  un  sens 
qu'il  faut  plus  de  force  pour  rendre  témoi- 
gnage à  sa  doctrine  qu'à  lui-même  ,  cl  sur- 
tout dans  la  cour  des  grands,  où  il  semble 
qu'on  fas>e  gloire  de  la  méconnaîtra  el  de  no 
la  pas  suivre. 

Quand  on  ne  nous  parle  que  de  Jésus- 
Christel  qu'on  ne  nous  expose  que  des  mys- 
tères qui  le  regardent,  on  reconnaît  sa  gran- 
deur, on  admire  sa  patience,  on  loue  sa  pau- 
vreté :  ces  sentiments  ne  nous  coûtent  rien; 
mais  quand  ou  nous  parle  de  sa  doctrine,  et 
qu'en  appliquant  les  maximes  de  sou  Evan- 
gile à  nos  dérèglements  particuliers,  on  nous 
dit,  comme  sainl  Jean  à  Herode  :  La  loi  vous 
défend  ce  que  votre  pas-ion  vous  inspire, 
on  ne  peut  soulTiir  Jesus-Chnsi  dans  sa  I  i  : 
or  c'est  de  ce  dernier  témoignage  que  saint 
Jean  lire  plus  de  gloire.  H  n'y  a  rien  en  effet 
de  si  grand,  comme  le  reconnaît  saint  Ber- 
nard, que  de  le  voir,  s'élevaut  au-dessus  de 
toutes  les  vues  humaines  et  de  toutes  le>  con- 
sidérations d'intérêt,  reprendre  avec  fermeté 
un  roi  lier  et  cruel,  el  l'avertir  de  son  dés- 
ordre au  milieu  de  sa  cour.  Tout  ce  que  nous 
avons  dit  jusqu'ici  esl  ilTacé  par  cr  seul  en- 
droit ,  ou  plutôt  (oui  ce  que  uous  avons  dit 
jusqu'ici  e-l  confirmé  par  ce  seul  trait;  el  il 
fallait  avoir  ete  prévenu  d'une  grâce  aussi 
abondante,  et  soutenu  d'une  vertu  aussi  pu- 
re ,  pour  montrer  tant  de  force  i  t  de  Icr- 
inele.  Ce  n'est  \i..-  que  nous  exhortions  tous 
les  ministres  de  Jous-CLiasi  à  imiter  ce  zelo. 


m 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINTE  MADELEINE. 


846 


Dieu  lai-même  conduisait  Jean-Baptiste,  et  . 
lui  faisait  sentir  que  c'était  lui  qui  lui  inspi- 
rait ses  démarches.  Que  personne  ne  flatte 
les  hommes  dans  leurs  vices,  car  c'est  con- 
sentir aux  crimes  que  de  se  taire,  lorsqu'on 
doit  reprendre;  mais  il  faut  garder  beaucoup 
de  discrétion,  et  ne  se  pas  laisser  aller  où 
l'ardeur  d'un  zèle  mal  réglé  pourrait  souvent 
nous  entraîner.  Le  chagrin,  l'humeur,  la  va- 
nité prennent  souvent  les  apparences  du  zèle, 
et  il  n'arrive  que  trop  ordinairement  que 
nous  parlons  pour  nous-mêmes  quand  nous 
prétendons  défendre  la  justice  et  la  vérité.  II 
faut  être,  comme  saint  Jein,  attaché  à  Jésus- 
Christ,  humble,  pénitent  et  désintéressé,  et 
avoir  même  une  mission  particulière,  comme 
lui,  pour  reprendre  avec  force  et  pour  con- 
fondre les  superbes. 

Pour  nous,  mes  frères,  honorons  la  grâce 
qui  l'a  prévenu,  imitons  la  vertu  qui  l'a  sou- 
tenu, détestons  l'injustice  qui  l'a  opprimé,  et 
demandons  à  Dieu  qu'il  mette  dans  notre 
cœur  l'amour  des  vérités  dont  il  a  rendu  té- 
moignage, afin  que  nous  soyons  rendus  di- 
gnes d'aller  jouir  dans  le  ciel  de  celui  dont  il 
a  été  le  témoin  sur  la  terre.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POUR    LA    FÊTE    DE    SAINTE    MADELEINE 

(22  juillet) 
Dont  il  est  parlé  dans  l'Evangile,  et  qui  n'est  pas 
la  Pécheresse  (1). 

Ordinavii  in  me  charitaiem  ;  fulcile  me  Horions;  slipale 
me  malis,  quia  amorc  langueo. 

Il  a  réglé  dans  moi  mon  amour  ;  soulenez-moi  avec  des 
(leurs,  fortifiez-moi  avec  des  fruits,  parce  que  je  languis  d'a- 
mour (CanL,  11,  5). 

Comme  l'Eglise  est  comparée  dans  Je  Can- 
tique des  cantiques  à  une  armée  rangée  en 
bataille,  on  peut  dire  que  toutes  les  voies  par 
lesquelles  Dieu  a  conduit  les  âmes  justes  à  la 
perfection  en  les  faisant  triompher  du  monde 
et  de  la  chair,  sont  comme  autant  d'étendards 
dilïérents,  sous  lesquels  ils  ont  combattu 
pour  sa  gloire.  Or,  mes  frères ,  ces  diverses 
voies  se  réunissent  à  une  seule.  Comme  dans 
la  loi  nouvelle ,  il  n'y  a  p!us  d'autre  cliemin 
pour  aller  à  Dieu  que  la  charité,  ceux  qui 
appartiennent  à  cette  loi  n'ont  donc  plus 
d'autres  étendards  que  celui  de  l'amour  : 
ainsi  ceux  qui  sont  allés  à  Dieu  par  la  v  ie 
de  la  foi  sur  ses  promesses,  de  la  crainte  de 
ses  jugements,  de  la  confiance  en  sa  miséri- 
corde, de  la  pénileoce  et  de  l'austérité,  ont 
tous  combattu  sous  l'étendard  de  l'amour 
qui  agit  sous  diverses  formes.  Mais  celamour, 
qui  se  diversifie  el  qui  prend  différents  noms 
dans  la  conduite  dea  autres  saints,  a  toujours 
été  le  même  et  n'a  point  pris  d'autres  noms 

(I)  Celte  opinion  de  Dom  Jérôme  touchant  la  distinction 
de  Mari  -Madeleine  el  de  Marie  la  Pécheresse ,  opinion 
qui  du  rnste  ne  nui  eu  rien  au  mérite  de  ce  discours,  où 
il  célèbre  dignement  les  louanges  de  la  sainte  amante  da 
Sauveur,  vieni  d'être  admirablement  réfutée  par  un  prêtre 
da  clergé  Ipice,  auteur  de  la  dernière  Vie  da 

M .  Olier,  dans  un  otrvi  i  nous  venons  de  publier  sous 

le  litre  de  :  Monumenlê  inédits  tw  VnpottolatAetcunte  w  - 
rû  -Mi.dcii  ine,  saint  Lazare  et  les  murex  apôtres  de  ta  Pro- 
vence, 2  vol.  m-;".  L'assertion  ()<■  Dom  Jérôme,  qui  dislin- 
gue «tarie-Madeleine  d'avec  la  Péi  ni  i  e  donl  il  e  il  fait 
mention  dans  saint  Luc,  repose  sur  une  erreur  nul  i 
répandue  a  peu  niés  généralement  6  sou  époque,  si  qu'a 


dans  les  mouvements  différents  de  Marie- 
Madeleine;  car  on  peut  dire  que  le  caractère 
de  cette  incomparable  amante  du  Sauveur  du 
monde  est  marqué  naturellement  dans  ces 
paroles  de  mon  lexte  :  Ordinavit  in  me  cha~ 
ritatem.  Je  suis  résolu  à  ne  vous  parler  que 
de  son  amour,  puisque  c'est  de  son  amour 
seul  que  l'Evangile  nous  parle.  Je  vous  en 
découvrirai  la  grandeur  et  je  vous  en  expo- 
serai les  récompenses.  Tout  ceci  est  renfermé 
dans  ces  paroles  -.Ordinavit  in  me  chnritatem: 
l'Epoux  sacré  m'a  fait  combattre  sous  l'éten- 
dard de  l'amour;  et  comme  un  si  grand  amour 
pour  l'Epoux  ne  peut  pas  être  sans  une  gran- 
de récompense  de  la  part  du  même  Epoux, 
qui  a  mis  cet  amour  dans  le  cœur,  il  est  dit 
ensuite  :  Fulcite  me  floribus,  stipate  me  ma- 
lis;  c'est-à-dire  qu'on  a  répandu  sur  elle  à 
pleines  mains  et  des  fleurs  et  des  fruits;  ce 
qui  marque  les  prérogatives  d'honneur  et  de 
grâce  donl  elle  a  été  comblée.  Enfin,  pour 
montrer  que  toutes  ces  prérogatives  sont  des 
suites  de  cet  amour  fort,  tendre  et  languis- 
sant qui  fait  le  caractère  de  cette  divine 
amante,  prévenue,  animée  et  couronnée  par 
l'amour,  elle  avoue  qu'elle  languit  d'amour  : 
Quia  amore  langueo.  Réduisons  tout  ceci  à 
ces  deux  propositions  :  rien  de  plus  grand 
que  l'amour  de  Madeleine  pour  Jésus-Christ; 
rien  de  si  privilégié  que  cet  amour. 

La  grandeur  de  l'amour  fait  le  mérite  de 
Madeleine:  première  partie;  les  privilèges 
de  cet  amour  en  sont  les  récompenses:  se- 
conde partie. 

Mais  ,  comme  saint  Bernard  nous  avertit 
que  celui  qui  n'est  pas  pénétré  de  l'amour 
ne  saurait  parler  de  l'amour  que  d'une  ma- 
nière barbare  :  Lingua  amoris  ei  qui  non, 
amnt ,  barbara  est  ,  je  m'adresse  à  cet  esprit 
divin,  par  qui  l'amour  est  répandu  dans  nos 
cœurs,  afin  qu'il  me  donne  les  sentiments  et 
les  expressions  nécessaires  pour  en  parler 
dignement.  C'est  ce  que  je  lui  demande  par 
l'intercession  de  celle  qui  en  fut  pénétrée  , 
lorsque  l'ange  lui  dit  :  Ave  ,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Puisque  nous  entreprenons  de  parler  de 
l'amour  divin,  il  faut  prendre  dans  l'Ecriture 
sainte  ce  qui  peut  servir  à  vous  en  marquer 
les  traits,  et  je  ne  me  servirai  que  de  ce  que 
l'Evangile  nous  découvre,  pour  vous  donner 
l'idée  de  l'amour  de  Madeleine.  Or  ,  dans  ce 
qu'il  nous  a  rapporté  de  celle  amante  sainte 
et  innocente  de  Jésus-Christ ,  la  première 
chose  qui  nous  découvre  la  grandeur  de  son 
amour  pour  Jésus-Christ ,  c'est  ce  qu'elle  a 
sacrifié  pour  le  suivre  ;  la  seconde  ,  c'est  ce 
qu'elle  a  embrassé  pour  s'attacher  à  lui  ;   la 

vaieni  accréditée  les  sophismes  du  docteur  Launoy,  dans 
une  dissertation  latine  Intitulée  :  De  commenlilio  Laxari, 
Mngdalena:,  Murthce  el  Maximini  in  Proviticiam  appui  su. 
Nous  engageons  fortement  nos  honoraires  lecteurs  a  .se 
procurer  I  ouvrage  vraiment  mnoumenl  al  que  nous  annon- 
çons dans  celte  noie.  Ils  y  trouveront  des  trésors  île  .cicuce 
ei  d'érudition,  des  aperçus  nonveaux  sur  une  question  de 
la  plus  haute,  importance,  qui  intéresse  également  la  cu- 
i  i    |  té  des  savants  et  la  piété  'les  liilèlcs  ;  •  ritin,  une  foule 

de  monuments  authentiques  el  incontestable?  qui  tous  éta- 
bli senl  i'wiité  de  personne  de  sainte  Marie-Madeleine, 
Marie  de  Héllwnie  el  la  Pécheresse  dont  parle  l'êvangéliste 
saint  Luc.  (ISdit.) 


847 


OltATKI  KS  SACfU 


troisième,  c'est  ce  qu'elle  a  souffert  pour 
être  fidèle  el  constante  dans  sou  attachement 
à  Jésus-Chi  iit. 

C'est    par  là  que  je  veux  vous    montrer    la 

grandeur  de  l'amour  de  Madeleine  pour  Je- 
sus-Christ  dans  ses  sacrilices.dans  son  union 
et  dans  sis  souffrances.  Commençons  par 
les  sacrifices  qu'elle  a  faits  .  m  is  aupara- 
vant établissons  l'état  de  Madeleine ,  et  di- 
sons quelle  l'ut  celte  amante  de  Jésus-Christ, 
et  de  quelle  manière  la  providence  la  con- 
duisit a  lui. 

Ce  que  nous  si  vous  de  certain  sur  l'état 
de  Madeleine  ,  c'est  qu  elle  allait  de  ville  en 
ville  cl  de  village  en  village  pour  suivre  Jé- 
sus-Christ, qui  prêchait  l'Evangile  et  qui 
annonçait  le.  royaume  de  Dieu  avec  les  douze 
apôtres  qu'il  avait  choisis.  7/  y  (nuit  auiâi 
quelques  femmes,  dit  saint  Luc  au  VIII*  cha- 
pitre de  son  Evangile ,  qui  avaient  été  déli- 
vrées de  malins  esprits,  et  guéries  de  leurs  ma- 
ladies ,  el  Marie  ,  surnommée  Madeleine  ,  qui 
avait  élé  délivrée  de  sept  démons.  Voici  aussi 
ce  que  saint  Marc  rapporte  ,  en  parlant  de 
l'apparition  de  Jésus-Christ  après  sa  résur- 
rection :  Jésus-CItrisl,  étant  ressuscité  le  pre- 
mier jour  delà  semaine ,  apparut  à  Marie-Ma- 
deleine, dont  il  ai  ait  chassé  sept  démons. 

Quelles  inductions  devons-nous  tirer  do  ce 
texte  des  Evangiles  sur  l'état  de  Marie  Ma- 
deleine? Elle  avait  été  possédée  du  démon  , 
et  même  de  sept  ;  ce  qu'on  ne  doit  pas  ex- 
pliquer moralement ,  mais  réellement  de 
sept  démons.  Jésus-Christ  l'en  avait  déli- 
vrée ,  elle  l'avait  suivi  en  reconnaissance  de 
ce  grand  bienfait.  Elle  n'est  pas  la  péche- 
resse dont  parle  saint  Luc  ,  qui  n'est  point 
nommée  dans  1  Evangile,  ni  Marie,  sœur  de 
Marthe,  qui  n'était  point  de  Galilée,  comme 
celle-ci  ;  ce  qui  a  élé  reconnu  et  déterminé 
par  l'ordre  d'un  savant  prélat ,  comme  le 
missel  el  le  bréviaire  de  Paris  en  l'ont  loi. 
Enlln  on  peut  fort  bien  supposer  que  Marie 
Madeleine  était  vierge,  puisque  les  évangé- 
listes  ont  pris  soin  de  nommer  les  maris  ou 
les  enfants  de  celles  qui  ne  l'étaient  pas;  ce 
qu'ils  n'ont  pas  l'ait  à  l'égard  de  Madeleine  , 
se  contentant  seulement  de  la  nommer,  sans 
rien  ajouter.  Mais,  comme  les  anciens  Pères 
n'en  ont  rien  dit,  ceci  peut  être  pris  pour 
une  conjecture  ,  qu'il  est  libre  de  croire  ou 
de  rejeter,  quoiqu'elle  paraisse  n'être  pas 
sans  fondement. 

Cela  étant  supposé,  nous  pouvons  dire  que 
Marie -Madeleine,  animée  par  un  ardent 
amour  et  par  une  juste  reconnaissance  pour 
Jésus-Christ  ,  a  sacrilié  à  son  bienfaiteur  sa 
famille  ,  qu'elle  a  quillée  pour  le  suivre  ,  ses 
biens  ,  qu'elle  a  employés  à  le  soulager  ,  sa 
propre  personne  ,  qu'elle  a  dévouée  à  son 
service  ,  et  sa  propre  gloire  ,  qu'elle  a  expo- 
sée dans  le  sacrilice  qu'elle  a  lait  de  tout  ce 
que  nous  venons  de  dire.  Peut-on  imaginer 
quelque  chose  de  plus  parfait  que  celle  re- 
connaissance qui  ne  ménage  rien  el  qui  sa- 
crifie tout  à  son  libérateur? 

Elle  abandonne  donc  d'abord  sa  famille 
et  ses  parents,  dont  la  tendresse,  l'amitié,  les 
affaires,    les  intérêts,  les  passions  forment 


g.  DOM  JEROME.  81* 

ordinairement  de  grands  obstacles  à  la  re- 
connaissance ei  ,i  |f  fidélité  que  nous  devoM 
à  Ji  sus-Christ  :  <  'est  pourquoi  nous  vovons 
dans  l'Evangile  qu'il  les  met  au  nombre  des 
Choses  qu'il  faut  quitter  pour  le  suivre.  Aus- 
si, dit-il,  it  quelqu'un  »  l'en!  à  moi ,  et  n?  hait 
jais  w/7!  pire  et  $a  «éVi .  -  -  frère»  et  sc>  • 
et  même  ta  propre  vie,  il  tu  peut  être  mon  d*  - 
ciplc;  CC  qui  se  doit  entendre  quand  ils  nous 
détournent  de  JésuS'Christ.  C'est  pourquoi 
nous  voyons  que  les  v  rais  disciples  de  ce  di- 
\  in  Saut  eur,étant  appelés  à  s'>n  sen Ice,  ont 
accompagné  de  ce  sacrifice  leur  correspon- 
dance à  sa  vocation  et  leur  fidélité  à  le  sui- 
vre ;  car  il  est  dit ,  en  parlant  de  lacqfJM  et 
de  Jean,  fils  de  Zébédée,  qu'aussitôt  qu'il  les 
appela  ils  quittèrent  leurs  filets  et  leur  père, 
cl  le  suivirent.  Voilà  ce  que  fait  celt  ■  amante 
fidèle  de  Jésus-Christ  ,  que  nous  pouvons 
comparer  en  quelque  chose  avec  lesapôlr  -, 
puisqu'elle  a  élé  appelée  à  peu  prè>  dans  le 
même  temps  qu'eux  ,  cl  qu'elle  a  eu  paît 
d'une  certaine  manière  à  leur  ministère. Elle 
ne  veut  plus  connaître  personne  que  Jésus- 
Christ:  si  elle  retourna  quelquefois  dans  sa 
famille  depuis  que  Jésus  l'eut  délivrée  des 
sept  démons  qui  la  possédaient  ,  ce  ne  fut 
qu'en  passant,  et  sa  principale  résidence 
était  auprès  du  Sauveur  du  monde  ;  car  l'E- 
vangile nous  apprend  qu'elle  était  avec  lui , 
aussi  bien  que  quelques  autr.  s  femmes  qui 
l'assistaient  de  leurs  biens  :  autre  circon- 
stance qui  nous  découvre  l'élendue  de  son 
sacrilice  el  de  la  reconnaissance  qu'elle  avait 
pour  ses  bien  faits. 

Elle  n'a  pas  avec  cela  épargné  sa  per- 
sonne: elle  se  dévoua  entièrement  à  son  ser- 
vice. Semblable  dans  celte  conduite  à  la 
belle-mère  de  saint  Pierre,  qu'il  guérit  de  la 
fièvre  ,  et  qui  .  se  levant  de  son  lit,  se  mit 
aussitôt  à  servir  le  Sauveur  ,  Madeleine  ne 
se  vit  pas  plutôt  délivrée  des  démons  qui  la 
possédaient,  qu'elle  se  consacra  au  service 
de  son  libérateur,  reconnaissant  qu'elle  n'é- 
tait plus  à  elle  ,  mais  qu'elle  appartenait  à 
celui  qui  se  l'était  acquise  eu  la  délivrant  de 
la  tyrannie  du  démon. 

Elle  n'eut  plus  de  biens  ni  de  richesses 
que  pour  Jésus-Christ  et  pour  ses  apôtres. 
Quelle  gloire  pour  ces  saintes  finîmes  d'être 
les  ministres  delà  Providence  a  l'égard  du 
Eils  unique  du  Très-Haut;  de  contribuer  à 
la  prédication  de  l'Evangile,  à  la  conversion 
des  âmes .  à  l'opération  de  t  int  de  miracles 
et  à  l'établissement  du  royaume  de  Dieu  ,  et 
enfin  d'être  une  ressource  pour  Jésus-Christ 
dans  ses  besoins  ! 

.Mon  Dieu  .  que  vous  répandez  de  lumiè- 
res dans  une  âme  dont  vous  prenez  posses- 
sion 1  que  vous  la  rende/  savante  en  peu  de 
temps  ,  et  qu'elle  sait  bientôt  l'usage  qu'elle 
doit  faire  de  ses  richesses  quand  elle  est 
remplie  de  vos  biens  !  Mais  c'est  peu  que  le 
sacrifice  que  Madeleine  fait  de  sa  famille 
qu'elle  a  quittée  pour  suivre  Jesus-Chrisl  ; 
de  celui  de  sa  personne  qu'elle  a  dévouée  à 
son  service;  de  son  repos  qu'elle  a  inter- 
rompu parles  fréqueuts  voyages  qu'elle  fait  t 
•pour  raccompagner  ;   de  celui  de  ses   biens 


841) 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINTE  MADELEINE. 


destinés  à  ses  besoins  :  tout  cela  me  paraît 
peu  de  chose  en  comparaison  de  celui  de  sa 
gloire  qu'elle  a  exposée  aux  discours  et  à  la 
censure  du  monde  ,  qui  ne  manque  jamais 
de  critiquer  les  démarches  les  plus  exactes 
et  les  actions  les  plus  saintes  ,  lorsqu'elles 
sont  accompagnées  de  quelques  circonstan- 
ces qui  frappent  par  la  nouveauté. 

Je  vous  prie  de  bien  entrer  dans  ceci  :  car 
quoiqu'il  soit  certain  que  c'était  une  prati- 
que commune  parmi  les  Juifs  que  des  fem- 
mes de  piété  s'attachassent  à  ceux  qui  les  in- 
struisaient, sans  que  personne  s'en  offensât, 
comme  nous  le  marque  saint  Jérôme,  et  qu'à 
considérer  la  chose  en  elle-même,  Madeleine 
ne  s'exposait   à    rien    en   s'attachant   à  un 
homme  qui  l'instruisait  dans  la  piété,  cepen- 
dant,si  vous  considérez  que  cet  homme  était 
un  nouveau   venu  parmi  les  Juifs,  n'ayant 
aucune  autorité,  rejeté  parmi  les  pharisiens 
et  les  docteurs  de  la  loi,  qui  étaient  les  grands 
directeurs  de  ce  temps-là  ,  vous  comprenez 
bien  que  ce  choix  exposa  Madeleine  à  mille 
réflexions  désagréables  et  même  injurieuses. 
Les    hommes  ont  toujours  été  faits  de  la 
même  façon  :  d'une  part  il  y  a  toujours  eu 
dans  les  états   une  obligation  pour  le  salut 
de  quitter  la  voie  commune ,  c'est-à-dire  la 
voie  large  qui  conduit  à  la  mort .  pour  s'at- 
tacher à  Jésus-Christ,  et  de  marcher   par  la 
voie  étroite  que  lui  seul  enseigne  ;  et  d'autre 
part  Jésus-Christ  a  toujours  été  et  sera  tou- 
jours rejeté  par  le  plus  grand  nombre  ;  car 
ses    voies  ont    toujours  paru    et  paraîtront 
toujours    nouvelles  et  extraordinaires  dans 
tous    les  étals  à  ceux  qui  aiment  celles  du 
monde.  Ainsi ,  embrasser  les  voies  de  Jésus- 
Christ  et  le  prendre  pour  son    unique  con- 
ducteur, c'est  s'exposer  à  la  censure  et  à  la 
contradiction  des  hommes.  C'est  ce  qui  véri- 
fie cette  parole  de  saint  Paul  :  que  tous  ceux 
qui  veulent  vivre  dans  la  piété  avec  Jésus- 
Christ  seront  persécutés.  Le  monde  en  effet  a 
attaché  une  espèce  de  honte  à  abandonner  le 
parti  et  les  maximes  du  siècle,  pour  se  con- 
vertir  parfaitement  à  Dieu  ,   lorsqu'on   fait 
par  sa  naissance  ou  par  sa  fortune  quelque 
figure,  dans  le  monde  ;  et  de  là  il  s'ensuit  que 
l'amour  d'une  fausse  gloire  et  la  crainte  de 
celle    prétendue    confusion    empêchent    un 
grand  nombre  de  personnes  d'embrasser  le 
parli   de    Jésus-Christ.    Celte    considération 
n'arrêta    point   Madeleine  :  elle  sacrifia  sa 
gloire  aux  intérêts  de  son  salut ,  et  la  fausse 
honte  n'empêcha  poinl  sa   reconnaissance. 
Mais  vous  verrez  mieux  toul  le  mérite  de  ce 
sacrifice  dans  la  seconde  preuve  de  la  gran- 
deurdeson  amour,  qui  consisledanscequ'elle 
embrasse  pour  s'attacher  à  Jésus-Christ. 

Pour  bien  entrer  dans  cette  considération 
de  la  grandeur  de  son  amour  pour  Jésus- 
Chrisl ,  il  faut  se  représenlcr  quel  était  l'état 
naturel  de  Jésus-Christ ,  la  situation  des 
hommes  à  son  égard,  la  doctrine  qu'il  ensei- 
gnait, enfin  la  vie  qu'il  menait:  tout  cela 
n'était  pas  propre  a  lui  adirer  des  disci 
pics  ei  à  attacher  beaucoup  de  monde  à  sa 
personne, 
boa  état  était  pauvre  et  forl  méprisable 


850 

aux  yeux  des  hommes  :  il  dit  de  lui-même 
que  le  Fils  de  l'homme  n'npas  oùreposer  sa 
tête: voilà  son  état.  Il  fallait  qu'il  fût  pauvre, 
puisqu'il  venait  être  la  gloire  des  pauvres  , 
la  honte  et  la  condamnation  des  riches  ,  et 
qu'il  ne  devait  donner  ses  richesses  éternel- 
les qu'à  ceux  qui  seraient  pauvres  d'espril  ; 
mais  cet  état  ne  devait  pas  lui  attirer  l'esti- 
me et  l'approbation  des  hommes.  Aussi  leur 
situation  à  son  égard  était-elle  bien  éloignée 
de  ses  sentiments  ;  car  il  paraît ,  par  le  mé- 
pris qu'en  faisaient  ceux  de  son  pays  ,  que  , 
pour  affaiblir  l'éclat  de  sa  sagesse  et  la  force 
de  ses  discours,  ils  se  rejetaient  sur  la  bas- 
sesse de  sa  condition.  N'est-ce  pas,  disaient- 
ils,  le  fils  de  ce  charpentier?  Sa  mère  ne  s'ap- 
pelle-t-elle  pas  Marie  ?  Il  ne  se  présente  rien 
en  tout  cela  qui  puisse  nourrir  l'amour-pro- 
pre  et  qui  soit  capable  de.  lier  les  gens  à  un 
tel  homme  ,  par  des  vues  et  des  considéra- 
tions humaines  ;  aussi  Madeleine  n'est-elle 
conduite  et  animée  que  par  un  amour  que  la 
foi  éclaire. 

Mais  quelle  doctrine  enseigne  cet  homme 
si  pauvre  et  si  méprisé?  la  plus  rebutanlo 
pour  la  nature,  la  plus  dure  aux  sens,  la 
plus  opposée  à  une  certaine  raison  qui  prend 
ses  principes  dans  la  nature  et  qui  se  con- 
duit par  sentiment.  Il  ne  parle  que  de  se  re- 
noncer soi-même,  que  de  porter  sa  croix 
tous  les  jours  ;  il  ne  prédit  à  ses  disciples  que 
des  misères  et  des  maux;  il  ne  leur  fait  en- 
trevoir que  des  persécutions  et  des  tourments 
durant  cette  vie,  et  s'il  leur  donne  quelque 
espérance,  ce  n'est  que  pour  après  la  mort. 
Sa  vie  est  conforme  à  ses  principes  :  il  ne 
possède  rien,  il  est  dans  la  dépendance  de 
tout  le  monde,  il  est  méprisé  par  les  grands, 
il  n'a  de  société  qu'fivec  les  pauvres,  il  n'est 
éi  oulé  que  par  le  simple  peuple  ;  les  phari- 
siens le  méprisent,  le  calomnient;  ils  le 
poursuivent,  ils  le  persécutent,  ils  soulèvent 
contre  lui  les  puissances  spirituelles  et  tem- 
porelles; enfin  la  prédiction  de  Sjméon,  qu'il 
devait  être  en  butte  à  la  contradiction,  s'ac- 
complit à  la  lettre  dans  toutes  les  circons- 
tances de  sa  vie. 

C'est  à  cet  homme-là  que  s'attache  cette 
fidèle  amante.  L'idée  du  bienfait  qu'elle  a 
reçu  l'occupe  uniquement;  tout  lui  paraît 
beau,  noble,  grand  dans  celui  à  qui  elle  est 
redevable.  Rien  ne  lui  par  aH  difficile  quand  il 
s'agit  de  lui  marquer  sa  reconnaissance. 

Mon  Dieu  ,  quelle  condamnation  pour 
ceux  qui  demeurent  froids,  languissants,  im- 
mobiles ,  après  avoir  reçu  des  bienfaits  qui 
surpassent  ceux  qui  excitent  la  reconnais- 
sance de  Madeleine!  Mais  achevons  d'expo- 
ser toute  la  grandeur  de  son  amour  en  ra- 
contant ce  que  l'Evangile  rapporledcs  souf- 
frances qu'elle  a  endurées  pour  soutenir- son 
attachement  à  Jésus-Christ  et  pour  lui  don- 
ner des  marques  de  sa  fidélité  jusqu'à  la  fin. 
C'est  ici,  mes  frères,  que  nous  voyons 
ectic  force  et  celte  fermeté  de  l'amour  divin, 
marquées  par  ces  paroles  du  Cantique  :  tou- 
tes les  eaux  du  inonde  ne  sauraient  éteindre 
la  charité  et  l'amour  ,  ni  les  vents  les  plus  in- 
pélucux  l'étouffer  . 


851 


ORATEURS  SACRES    I)(»M  JEROMK. 


Madeleine  a-t-elle  abandonne  Jcsm -Christ 
dans  le  moment  qu'élant  livre  à  ses  ennemis, 
tous  ses  disciples  le  qnilleiit  !  Qu'un  de 
npôtres  le  tr.ihisse  et  le  vende,  <  l  qu'an  au- 
Ire  le  renie,  Madeleine  ne  le  quille,  point. 
Lorsqu'il  est  condamne  et  attache  à  la  croix, 
Madeleine  est  toujours  fidèle.  Tous  les  sou- 
lèvements «lu  siècle  contre  lui  De  l'effrayent 
point,  tonte  la  fureur  des  puissances  du 
monde  déclarées  contre  cet  innocent,  tous 
les  fleuves  impétueux  de  mille  tentations 
différentes  ne  sont  pas  capables  d'éteindre 
le  feu  de  son  amour.  Elle  va  lui  donner  des 
marques  de  sa  fidélité  jusqu'au  pied  de  la 
croix.  On  fuit  dans  de  pareilles  occasions; 
bien  loin  de  sr  produire,  l'on  cherche  à  se 
cacher:  lorsqu'il  est  arrivé  quelque  disgrâce 
dans  une  famille,  on  affecte  de  changer  de 
nom,  pour  paraître  n'avoir  nulle  liaison 
avec  celui  sur  qui  elle  est  tombée;  mais 
Madeleine  connaît  la  gloire  de  toute  celte 
infamie  qui  environne  le  Sauveur  du  monde: 
elle  met  la  sienne  à  donner  des  marques  de 
sa  ûdélité  el  de  sa  constance  à  cet  innocent , 
devenu  l'objet  du  mépris  de  tout  le  monde. 
Elle  va  mêler  les  soupirs  el  les  larmes  avec 
son  sang,  et  j'ose  dire  que  ,  plus  forte  que 
Pierre,  il  était  réservé  à  cette  sainte  amante 
de  dire:  Quand  il  me  faudrait  mourir  avec 
vous,  je  ne  tous  renoncerai  point.  Ah  !  l'on 
ne  relève  point  assez  l'amour,  la  constance, 
la  générosité,  la  grandeur  d'âme  de  celte 
sainte;  la  mort  même,  non,  la  mort,  à  qui 
tout  doit  céder,  n'est  pas  capable  d'interrom- 
pre ni  d'arrêter  le  cours  des  preuves  de  son 
amour  pour  Jésus-Christ. 

Les  disciples  du  Sauveur  perdent  courage 
en  le  voyant  dans  le  tombeau  :  ils  se  con- 
tentent de  dire  qu'ils  avaient  espéré,  spera- 
bamus,  et  ils  s'en  retournent  chez  eux  sans 
se  mettre  davantage  en  peine  du  corps  de 
leur  n, aiiie. 

Madeleine  est  impatiente  que  le  jour  soit 
venu  pour  aller  lui  rendre  ses  devoirs  :  dès 
qu'il  commence  à  paraître,  elle  se  met  en 
chemin  pour  aller  coller  sa  bouche  sur  les 
pieds  de  celui  qu'elle  avait  suivi  dans  lous 
ses  voyages,  depuis  qu'il  l'avait  délivrée  de  la 
possession  des  sept  démons.  Quel  fut  son 
trouble  et  quelle  fut  son  agitation  quand  elle 
ne  trouva  pas  ce  corps  adorable!  Son  amour 
et  sa  douleur  la  troublent;  elle  parle  à  un 
homme  qui  n'avai!  tout  au  plus  que  l'air  d'un 
jardinier,  pour  savoir  s'il  n'a  point  emporté 
le  corps  de  son  maître,  cl  elle  lui  dit  :  Sei- 
gneur, si  c'est  vous  qui  l'avez  âté,  dites-moi 
où  tous  l'avez  mis,  et  je  l'empoi '7;  r  i .  l.lio 
vient  avertir  les  apôtres  de  ce  qui  était  arri- 
vé; elle  cherche,  elle  s'agite,  elle  s'informe  à 
tout  le  monde  où  l'on  a  mis  le  corps  de  son 
mailrc,  elle  soupire,  elle  verse  des  laim  •>. 
Eles-vous  convaincus,  mes  frères, de  la  gran- 
deur de  l'amour  de  Madeleine  par  ce  qu'elle 
a  sacrifié  pour  suivre  Jésus-Christ,  par  ce 
qu'elle  a  embrasse  pour  l'attacher  à  lui,  et 
par  tout  ce  qu'elle  a  souffert  pour  soutenir 
avec  une  constance  héroïque  et  une  force 
toute  divine  l'attachement  qu'elle  a  eu  pour 
son  bienfaiteur  el  son  mailre? 


Mai-,  hclas!  de  quelle  ulililé  peut— il  élre 
pour  nous  d'admirer  la  grande*!  de 
amour  et  d'applaudir  à  la  reconnais  anee  si 
parfaite  de  celte  sainte  amante,  pendant  que 
nous  ne  songeons  pas  à  la  suivit-  dam  le» 
mouvements  de  s  n  im  -ur,  ni  a  l'imiii  r  dans 

sa  litlelilé  et  dan-  l'exactitude  <!<  -  |  i  <>n- 
naissanec?  c'est  là  pourtant  le  fruit  qu'il  faut 
tirer  de  ce  discoui  -.  Nous  devons  reconnu 
que  nous  avons  plus  reçu  de  Je  as-Christ 
que  Madeleine  n'en  avait  r>  eu:  nous  devons 
être  persuadés  que  la  reconnaissance  d  >i| 
croître  et  se  multiplier  à  proportion  sjes 
bienfaits  aug mentent  j  enfin  non-  -  ssmei 
obligés  de  nous  examiner  el  d'entrer  en 
compte  avec  nous-mêmes  sur  la  coi  da  s 
que  nous  tenons  à  l'égard  de  Jésus-Christ, 
notre  bienfaiteur. 

En  effet,  Madeleine  est  délivrée,  pa  la 
vertu  de  Jésus-Christ,  de  sept  démons  qui  la 
possédaient  :  voilà  le  bienfait  qu'elle  a  reçu 
de  Jésus-Christ  el  le  motif  qui  l'a  attachée  a 
lui;  et  nous,  nous  avons  été  arraché»  à  la 
puissance  des  ténèbres,  dit  saint  Paul  :  voilà 
l'égalité  du  bienfait  :  délivrance  de  la  tyran- 
nie du  démon  et  de  la  puissance  des  ténèbres 
de  part  el  d'autre.  Mais  voici  en  quoi  le  liieu- 
faii  que  nous  avons  reçu  excède  c>-lui  qui  a 
été  accordé  à  Madeleine  :  la  possession  ou  le 
démon  était  de  Madeleine  ne  s'étendait  quo 
sur  le  corps,  elle  ne  produisait  que  quelques 
agit  liions  violentes;  mais  celle  dont  Jésus- 
Christ  nous  délivre  par  la  grâce  regarde 
l'âme,  et  elle  cause  d'étranges  dérèglements 
dans  ses  facultés  el  dans  ses  puissances.  Or, 
comme  vous  savez,  il  faut  faire  plus  d'étal 
de  l'âme  que  du  corps,  puisque  le  Seigneur 
nous  dit  dans  l'Evangile  de  ne  pas  craindre 
ceux  qui  n'ont  de  puissance  que  sur  le  corps, 
sans  rien  pouvoir  sur  l'âme. 

Celle  de  Madeleine  n'était  pas  volontaire, 
die  pouvait  être  sous  la  tyrannie  du  dén 
sans  être  ennemie  de  Dieu  :  celle  dont  nous 
sommes  délivrés  par  la  grâce  est  un  effet  de 
notre  choix;  c'est  nous-mêmes  qui,  renon- 
çant à  la  lidélilé  que  nous  devons  à  Dieu, 
nous  soumettons  librement  à  l'empire  de  son 
ennemi. 

La  simple  possession,  telle  qu'élait  celle  de 
Madeleine,  n'efface  pas  en  nous  l'image  de 
Dieu  :  nous  pouvons  toujours  être  ses  en- 
fants, quoique  son  ennemi  nous  tyrannise. 
Mais  la  possession  de  l'âme,  telle. que  celle 
que  nous  contractons  par  le  péché,  efface  en 
nous  celle  image;  elle  y  imprime  celle  do  dé- 
mon, et  nous  ne  pouvons  la  porter  sans  re- 
noncer à  Jésus-Christ. 

Enfin  Madeleine  n'est  délivrée  qu'une  fois 
par  Jésus-Christ,  el  nous  combien  de  fois  l'a- 
votis-nous  été  1  Combien  de  fois  s'e<l-il  pré- 
sente pour  briser  nos  fers!  que  ne  fait-il  pas 
tous  les  jours  pour  nous  deliv  rer  de  cette  I  >  - 
ranniel  U  se  présente,  il  nous  appelle,  il 
nous  sollicile.il  nous  piesse.il  nous  offre  des 
secours  et  des  forces  contre  1  s  entreprises  el 
les  violences  de  cet  ennemi  :  jusqu  où  ne  doit 
donc  pa-  aller  notre  reconnaissance! 

Voyons  donc  maintenant  où  nous  en  som- 
mes :  c'esl  la  conclusion  de  ces  deux  vérités 


853 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINTE  MADELEINE. 


S54 


que  nous  venons  d'établir.  Ecoutons  saint 
Paul  :  Ayant  été  affranchis  du  péché,  vous 
êtes  devenus  esclaves  de  la  justice.  Cela  veut 
dire  que,  comme  il  n'y  a  point  de  milieu  en- 
tre l'état  du  péché  et  celui  de  la  grâce,  entre 
la  justice  et  l'iniquité,  il  n'y  a  point  de  dispo- 
sition indifférente  :  il  faut  être  ou  au  monde 
ou  à  Dieu,  ou  au  démon  ou  à  Jésus-Christ; 
et  comme  l'un  nous  a  dominés  absolument 
durant  sa  possession,  il  faut  que  nous  pas- 
sions absolument  sous  la  domination  de  l'au- 
tre. Vous  n'êtes  plus  à  vous-mêmes,  dit  encore 
le  même  apôtre,  car  vous  avez  été  rachetés 
d'un  grand  prix  ;  glorifiez  Dieu  et  le  portez 
dans  votre  corps. 

C'est  ce  qu'a  fait  Madeleine;  mais,  chré- 
tiens auditeurs,  le  faites-vous?  L'amour  de 
vos  familles  n'est-il  pas  un  grand  obstacle  à 
celui  que  vous  devez  à  Dieu?  Usez-vous 
pour  sa  gloire  des  biens  que  vous  avez  reçus 
de  lui?  La  dispensalion  que  vous  en  faites 
est-elle  réglée  sur  sa  volonté  et  sur  les  lois 
qu'il  vous  a  prescrites?  Le  glorifiez-vous  par 
la  tempérance,  par  la  modestie,  par  la  pu- 
reté qui  convient  à  vos  corps,  qui  sont  par 
Jésus-Christ  les  temples  du  Saint-Esprit?  En- 
fin mettez-vous  votre  gloire  à  vivre  selon  son 
Evangile,  à  vous  régler  sur  ses  préceptes? 
Ne  rougissez-vous  point  d'être  du  nombre  de 
ses  disciples?  car  c'est  en  rougir  que  de  ne 
pas  suivre  ses  exemples  dans  la  crainte  de 
déplaire  au  monde  ou  d'en  attirer  les  mé- 
pris. Pour  vous,  mes  très-chères  sœurs,  on 
voit  bien  que  vous  avez  quitté  vos  familles 
pour  suivre  celui  qui  vous  a  délivrées  de  la 
servitude  du  démon  et  de  la  possession  du 
prince  qui  règne  dans  le  monde  :  vous  lui 
avez  consacré  vos  personnes,  vous  avez  mé- 
prisé vos  biens,  et  vous  avez  pris  des  routes 
tout  opposées  à  celles  du  monde,  pour  lui 
marquer  votre  reconnaissance  et  consacrer 
votre  fidélité  à  la  grâce  de  voire  vocation; 
mais  tout  cela  est-il  soutenu  par  un  amour 
constant,  par  une  charité  vive  et  toujours 
agissante?  Vous  savez  la  parabole  des  dix 
vierges  :  le  défaut  de  l'huile  en  exclut  cinq 
de  la  salle  du  festin.  Craignez,  cependant 
animez-vous,  mes  très-chères  sœurs,  par  la 
vue  des  récompenses  et  des  couronnes  que 
Jésus-Christ  promet  à  la  fidélité  de  ses  épou- 
ses. Nous  allons  exposer  quelles  sont  celles 
que  Madeleine  a  reçues  de  lui  :  c'est  le  sujet 
du  second  point. 

SECONDE  PARTIE. 

Nous  vous  avons  découvert  la  grandeur  de 
l'amour  de  Madeleine,  il  faut  vous  en  expo- 
ser les  récompenses.  Celui  à  qui  elle  s'est 
consacrée  sous  l'étendard  de  la  charité,  selon 
le  sens  des  premières  paroles  de  mon  texte  : 
Ordinavit  in  me  charitalem,  n'a  pas  manqué 
de  récompenser  son  amour  et  de  couronner 
sa  charité.  C'est  ce  qui  paraît  dans  les 
dernières  paroles  qui  suivent  :  Fulcite  me 
florib us,  stipule  me  malù.  11  a  pris  soin  de  ré- 
pandre sur  elle  et  des  fleurs  et  des  fruits,  par 
let  prérogatives  d'honneur  et  do  grâces  dont 
elle  a  été  comblée,  et  c'est  ce  qui  va  former 
les  récompenses  et  composer  les  couronnes 


qu'elle  a  reçues  de  celui  à  qui  elle  s'est  atta- 
chée par  les  liens  de  la  charité. 

Je  renfermerai  donc  toutes  ses  récompen- 
ses et  toutes  ses  couronnes  dans  les  privilè- 
ges qu'elle  a  eus,  voilà  les  fleurs  d'honneur 
dont  il  l'a  revêtue  :  Fulcite  me  floribus ;  et 
dans  les  dons  des  grâces  dont  il  l'a  remplie, 
voilà  les  fruits  :  Stipate  me  malis.  Or,  les  pri- 
vilèges d'honneur  dont  il  l'a  revêtue  et  les 
fleurs  qu'il  a  répandues  sur  elle  à  pleines 
mains  consistent  en  ce  qu'il  se  l'est  associée  : 
il  a  bien  voulu  qu'elle  l'accompagnât  dans 
ses  voyages  et  ses  courses  continuelles  et 
évangéliques  ;  il  a  reçu  de  ses  mains  les  se- 
cours dont  il  a  eu  besoin  dans  ses  nécessités 
et  dans  les  travaux  où  l'engageait  sa  mis- 
sion; enfin  il  l'a  lice  avec  sa  sainte  Mère, 
qu'elle  ne  quitta  plus  et  qu'elle  suivit  après 
la  mort  de  son  cher  maître  :  voilà  les  hon- 
neurs et  les  fleurs  que  le  Suiveur  du  monde 
a  bien  voulu  répandre  sur  elle. 

En  effet,  rattachement  qu'elle  eut  pour  sa 
personne  ne  fut-il  pas  récompensé  glorieu- 
sement lorsqu'il  voulut  bien  se  l'associer  et 
la  renlre  la  compagne  de  ses  voyages?  Que 
devons-nous  penser  de  l'honneur  que  reçut 
Madeleine  en  se  voyant  associée  à  celui  qui 
venait,  par  sa  vertu,  de  la  dé'ivrer  de  la  pos- 
session des  démons,  écoutant  tous  les  jours 
les  discours  qu'il  faisait  à  ses  apôires,  voyant 
ses  miracles,  assistant  à  ses  prédications, 
étant  témoin  de  mille  \ertus  qu'il  pratiquait! 
Que  cette  association  est  glorieuse  pour  Ma- 
deleine! Mais  Jésus-Christ  a  encore  reçu  de 
notre  sainte  les  secours  dont  il  a  eu  besoin 
dans  les  nécessités  et  dans  les  travaux  où 
l'engageait  son  ministère.  Joseph  a  l'honneur 
de  porter  le  nom  de  père  du  Sauveur  du 
monde,  parce  qu'il  a  été  l'époux  de  Marie, 
mère  de  Dieu,  et  parce  qu'il  l'a  nourri  pen- 
dant la  plus  grande  partie  de  sa  vie  privé:'  : 
quelle  gloire  donc  pour  Madeleine  d'avoir  eu 
part  à  cet  avantage  durant  la  meilleure  par- 
lie  de  sa  vie  publique,  <iu  cours  de  son  mi- 
nistère et  de  sa  mission  !  quel  meilleur  usage 
des  biens  qui  doivent  périr,  et  qu'on  emploie 
ordinairement  si  mal,  que  de  les  faire  servir 
à  la  subsistance  de  celui  qui  en  est  l'auteur, 
et  de  les  rendre,  pour  sa  propre  utilité,  dans 
sa  nécessité,  dans  son  besoin,  à  celui-là 
même  de  la  libéralité  et  de  la  providence  de 
qui  on  les  a  reçus. 

Vous  pouvez  prendre  part  à  cet  avantage 
et  vous  revêtir  de  cette  gloire,  chrétiens  qui 
m'écoutez.  11  est  vrai  que  vous  ne  donnerez 
pas  les  vôtres  à  Jésus-Christ  immédiatement, 
car  c'est  le  privilège  de  Madeleine;  mais  vous 
les  donner*  z  aux  membres  du  corps  mysti- 
que du  même  Jésus-Christ,  en  qui  il  est  et  en 
qui  il  habile,  et  qui  vous  a  dit  qu  i  toute»  les 
fois  que  vous  feriez  ces  choses  au  f,lu<  petit  de 
ceux  qui  sont  à  lui,  il  les  tiendrait  faites  à 
lui-même.  Vous  ne  serez  pas  exclues  de  cet 
avantage,  mes  très-chères  sœurs,  quoique 
vous  ayez  renoncé  à  ces  biens  qui  périssent, 
si  vous  respectez  vos  sœurs,  si  vous  les  aidez 
dans  leurs  besoins,  si  vous  les  servez  par  les 
vues  de  la  foi  et  pour  honorer  en  elles  celui 
dont  elles  sont  les  épouses  par  leur  roi» 


«55 


ORATEURS  SACRES.  DOM  .1.  ROME. 


830 


cralion,  el  qui  par  cette  raison  entrent  d'une 
façon  plus  particulière  dans    le   bien   qu'on 
leur  fait,  en  son  nom. 
Enfin  Jésus-Christ  lia  Madeleine  avec  sa 

sainie  mère  d'une  façon  plus  particulière, 

alin  qu'elle  ne  restât  pas  seule  après  sa 
mort;  car  il  paraît  certain,  selon  les  auteurs 
les  plus  exacts  fondés  sur  le  témoignage  des 
anciens,  que  la  très-sainte;  Vierge  s'etant  re- 
tirée chez  saint  Jean,  à  qui  Jésus-Christ  en 
avait  conlié  le  soin,  Madeleine  les  suivit  et 
vint  même  à  Ephèse, où  cet  apôtre  conduisit 
Marie. 

Ce  dernier  caractère  d'honneur  n'est  pas 
inoins  glorieux  à  Madeleine  que  les  deux 
autres  :  c'est  une  récompense  de  son  amour 
qui  en  découvre  bien  la  grandeur,  cl  qui 
nous  montre  combien  Jésus-Chrisl  en  était 
touché  :  car  comme  il  n'avait  rien  de  plus 
cher  que  sa  sainte  mère,  il  ne  pouvait  pas 
marquer  plus  d'estime  pour  Madeleine  que 
de  la  rendre  sa  compagne;  et  Madeleine,  de 
sa  part,  connaissant  ce  que  Marie  était  à  Jé- 
sus-Christ, ne  pouvait  pas  lui  témoigner  plus 
d'attachement  après  sa  mort  que  de  se  livrer 
à  sa  mère  et  de  se  substituer  à  son  cher 
maître,  pour  continuer  en  la  personne  de  sa 
mère  les  services  et  les  soins  qu'elle  avait  re- 
çus de  son  fils.  La  voilà  donc  toute  couverte 
de  Heurs  que  la  main  de  son  bien-aimé  a  ver- 
sées sur  elle;  la  voilà  toute  brillante  de  l'é- 
clat de  ses  privilèges  d'honneur  qui  l'envi- 
ronnent :  Fulcite  me  fhribus.  Mais  les  ileurs 
que  Jésus-Christ  répand  produisent  des  fruits 
solides  :  Stipule  me  malis  :  c'est  ce  que  j'ai 
appeïé  les  dons  de  grâce  qu'il  lui  a  plu  de 
mettre  dans  Madeleine  pour  couronner  son 
amour;  car  elle  les  reçut,  ces  dons,  au  pied 
de  la  croix  du  Sauveur,  où  elle  assista  au 
moment  de  sa  mort,  et  dans  le  jardin  où 
Jésus-Christ  ressuscita  et  où  il  se  montra  à 
elle. 

Or,  mes  frères,  quelle  abondance  de  grâ- 
ces a  dû  puiser  dans  cette  première  source 
Madeleine,  qui  était  au  pied  de  la  croix,  où 
sou  amour  l'avait  conduite!  <Jue  croyez-vous 
que  puisait  notre  sainte  amante  dans  cette 
liqueur  divine,  source  de  toute  bénédiction 
et  de  toute  grâce,  qui  coulait  à  gros  bouil- 
lons et  se  répandait  à  grands  Ilots  pour  le 
salut  des  hommes  ?  Les  saints  Pères  ont  re- 
gardé comme  un  des  premiers  effets  de  celte 
grâce  que  les  saintes  femmes,  c'est-à-dire  la 
sainte  Vierge,  Madeleine,  cl  Marie,  femme  de 
Cléophas,  aient  surmonté  la  timidité  de  leur 
sexe,  l'horreur  d'un  tel  spectacle,  et  le  péril 
où  les  pouvait  mettre  la  fureur  d'un  peuple 
animé,  pendant  que  saint  Pierre  d'un  cote 
vient  de  le  renier  par  la  crainte  d'une  ser- 
rante, et  que  i'ilate  l'a  livré  pour  éviter  une 
disgrâce  dont  il  n'était  menacé  que  légère- 
ment. Quelle  abondance  de  grâces  1  quels 
dons  communiqués  à  celte  amante  intrépide 
que  Jésus-Christ  veut  couronner  1 

Mais  elle  en  trouva  une  nouvelle  source 
dans  ce  jardin  où  son  maître  ressuscité  se 
montra  à  elle.  De  combien  de  lumières  el  de 
connaissances  celte  apparition  fut-elle  ac- 
compagnée 1  Ne  peut-on  pas  dire  qu'elle  re- 


çut alors  les  prémices  de  l'esprit  nouveau 
que  les  apôtres  se  glorifièrent  d'avoir  reçu 
depuis?  Elle  fui  alors  elle-mé  ne  l'apôtre  de 
Jésus-Christ  ressuscité ,  auprès  de  sei  apô- 
tres, qui  apprirent  de  Madeleine  la  nouvelle 
de  la  résurrection  de  leur  maître,  ver-  qui  il 
l'envoya  pour  la  leur  annoncer. 

Concluons  ce  discours,  et  disons,  mes  trèt- 
cbères  sœurs,  que  comme  l'amour  n'est  ja- 
mais sans  mouvement  quand  il  est  véritable, 
les  mouvements  de  l'amour  ne  sont  jamais 
véritables  qu'ils  ne  soient  récompensés. 

Vous  avez  vu  ce  que  l'amour  de  recon- 
naissance a  fait  faire  à  Madeleine,  et  ce  que 
Madeleine  a  mérité  par  cet  amour  ;  qui  d'en- 
tre nous  peut  se  dispenser  d'aimer,  et  qui 
peut  se  flatter  d'aimer,  si  son  amour  ne  pro- 
duit rien  ?  Voilà  le  rapport  particulier  que 
lésus-Cbrist  a  eu  avec.Madeleine,  el  celui  qui 
doit  subsister  entre  lui  et  toutes  les  créatu- 
res qu'il  a  rachetées  par  son  sang.  Tout  cela 
est  renfermé  dans  ces  paroles  de  l'épouse  du 
C  antique,  qui  doiv  'ni  èlre  la  devise  de  toutes 
les  âmes  chrétiennes,  cl  qui  ne  doivent  ja- 
mais sortir  de  vos  esprits  et  de  vos  cœurs, 
mes  liés  chères  sœurs  :  Ditectus  mifii ,  et  eyo 
ilti  :  mon  bien-aimé  s'est  donné  à  moi  entiè- 
rement ,  et  je  suis  à  lui  par  autant  de  litres 
qu'il  est  à  moi. 

Nos  cœurs  sont  à  vous,  divin  Jésus  ;  mais 
prenez-en  possession  :  donnez-  nous  celle  re- 
connaissance dont  nous  nous  sentons  rede- 
vables, et  que  uous  ne  saurions  vous  rendre 
si  vous  ne  nous  !a  donnez  ;  faites  que  nous 
vous  aimions,  aûn  que  nous  soyons  rendus 
dignes  des  récompenses  que  vous  préparez  a 
ceux  qui  vous  aiment  ;  c'est  ce  que  je  vous 
souhaite.  Ainsi  soil-il. 

SERMON 

POLR   L4    FÊTE    DE    SAINTE    ELISABETH. 

(19  novembre.) 

Millier,  niairna  esl  fuies  lua. 

0  femme  !  que  votre  foi  est  <i>ande  (Matlii.,  Vf,  SE   ' 

Le  Sauveur  du  monde  ne  fui  point  frappé 
d'admiration,  disent  les  saiuls  Pères  ,  quand 
il  loua  si  hautement  la  foi  de  cette  femme 
chananéenne  à  l'occasion  de  laquelle  il  pro- 
nonça ces  paroles  que  j'ai  prises  pour  mon 
texlè;  rien  ne  pouvait  le  surprendre  de  tout 
ce  qui  se  trouve  dans  les  créatures  .  parce 
qu'il  n'y  a  rien  qu'il  ne  connaisse,  et  il  ne 
donna  des  louanges  à  la  foi  de  la  Chana- 
néenne, que  pour  rendre  les  hommes  atten- 
tifs aux  vertus  qui  la  soutenaient  el  à  la  con- 
duite de  celle  qui  en  était  animée. 

Aujourd'hui,  mes  frères ,  je  reprends  ces 
paroles  pour  les  appliquer  à  sainie  Elisabeth, 
fille  d'un  roi  de  Hongrie  etfemmedu  landgrave 
de  Thuringe,  étant  frappé  d'admiration  à  la 
vue  des  grandes  choses  que  la  loi  a  opérées 
en  elle,  el  je  voudrais  vous  engager  à  les  con- 
sidérer avec  moi. 

L'apôtre  saint  Paul  a  dit  autrefois  que  le 
juste  vil  de  la  foi;  et  quand  les  saints  lV-rcs 
oui  explique  ces  paroles,  ils  nous  ont  dil  que 
la  loi  devail  être  dans  la  vie  du  chrétien  à 
peu  près  ce  qu'esl  le  sang  dans  la  >ie  de 


857 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINTE  ELISABETH. 


858 


l'homme  :  il  l'anime  dans  toutes  ses  entre- 
prises, il  le  soutient  dans  toutes  -ses  opéra- 
tions ;  il  en  doit  être  ainsi  de  la  foi ,  elle  est 
le  principe  de  la  vie  du  chrétien, il  faut  qu'elle 
entre  dans  tous  ses  mouvements,  qu'elle  soit 
de  tous  ses  conseils,  qu'elle  anime  toutes  ses 
entreprises,  qu'elle  le  soutienne  dans  toutes 
ses  opérations;  et  c'est  ce  que  la  Providence 
nous  a  fait  voir  dans  la  conduite  de  l'illustre 
sainte  dont  la  solennité  nous  assemble.  Elle 
a  appelé  la  foi  dans  toutes  ses  délibérations, 
comme  son  conseil  ;  elle  l'a  fait  entrer  dans 
toutes  ses  actions,  comme  sa  force  ;  elle  s'est 
trouvée  dans  toutes  ses  souffrances,  comme 
sa  consolation.  0  millier!  magna  est  fides  tua! 
Femme  sainte  et  illustre,  que  votre  foi  a  été 
grande  dans  une  condition ,  dans  un  âge  et 
dans  des  conjonctures  où  les  personnes  de  vo- 
tre rang  ne  pensent  guère  à  la  consulter  1 

C'est,  mes  frères,  ce  qui  a  relevé  la  foi  de 
celte  sainte  princesse,  et  c'est  ce  qui  doit 
être  l'objet  de  notre  admiration  et  nous  ren- 
dre attentifs  aux  grands  ouvrages  de  celte  foi 
héroïque  que  je  vais  exposer  dans  les  trois 
parties  de  ce  discours. 

Celte  foi  qu'elle  a  appelé  dans  toutes  ses 
délibérations,  comme  son  conseil,  lui  a  fait 
voir  toute  la  petitesse  des  grandeurs  du 
monde  au  milieu  de  leur  plus  brillant  éclat: 
première  partie  ;  cette  foi  qu'elle  a  fait  en- 
trer dans  toutes  ses  entreprises,  comme  sa 
force,  lui  a  fait  embrasser  toute  la  perfection 
de  l'Evangile ,  malgré  les  obstacles  que  sa 
condition  v  opposait  :  deuxième  partie;  cette 
foi  qui  l'a  soutenue  dans  toutes  ses  souffran- 
ces, comme  sa  consolation,  lui  a  fait  suppor- 
ter les  épreuves  du  plus  terrible  de  tous  les 
abandonnemenls  :  troisième  partie. 

Voilà  le  sujet  de  notre  admiration  et  celui 
de  votre  attention  en  même  temps.  Deman- 
dons le  secours  du  ciel  par  l'intercession  de 
la  très-sainte  Vierge.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Comme  saint  Paul,  en  définissanlla  foi  dans 
l'Epitre  aux  Hébreux,  l'appelle  une  persua- 
sion ferme  et  certaine  des  choses  qui  ne  se 
voient  point,  argumentum  non  apparentium, 
il  faut  qu'elle  rende  présentes  à  l'esprit  du 
chrétien  des  choses  qui  ne  subsistent  pas  en- 
core, et  qu'elle  leur  donne  une  existence  et 
Une  solidité  qui  fassent  qu'il  n'en  doute  pas 
plus  que  si  la  main  les  touchait  déjà,  et  qu'il 
en  soit  aussi  fortement  persuadé  et  convaincu 
que  si  elles  étaient  prouvées  en  elles-mêmes 
par  une  démonstration  évidente  et  sensible. 

Or,  mes  frères,  ce  témoignage  de  la  foi  est 
reçu  par  le  chrétien  avec  plus  ou  moins  de 
soumission,  à  proportion  que  l'esprit  ou  le 
cœur  a  plus  ou  moins  d'objets  sensibles  et 
présents  qu'il  peut  substituer  à  ceux  dont  la 
loi  lui  rend  témoignage  :  car  un  homme  qui 
ne  possède  rien  se  laisse  loucher  volontiers 
par  l'espérance  d'un  bien  futur  qu'on  lui  pro- 
met; mais  il  est  difficile  de  persuader  à  un 
homme  de  mépriser  les  biens  qu'il  possède  , 
sous  l'espérance  qu'on  lui  donne  d'autres 
biens  qu'il  ne  connaît  point;  d'estimer  comme 
de  la  poussière  ce  qui  lui  attire  l'es  lime,  la 


considération,  les  services  et  rattachement 
des  homnies  ;  ce  qui  sert  à  contenter  tous  ses 
désirs,  à  fournir  à  tous  ses  besoins,  à  satis- 
faire toutes  ses  passions,  pour  donner  son 
estime  et  son  attachement  à  des  biens  qui  ne 
paraissent  point,  et  dont  il  n'a  nulle  assu- 
rance que  celle  qu'il  reçoit  par  le  témoignage 
que  la  foi  lui  rend* 

Avouez,  mes  frères,  que  la  foi  doit  être 
bien  grande  quand  elle  produit  de  sembla- 
bles effets  :  il  faut  qu'elle  détruise  et  qu'elle 
établisse  ,  il  faut  qu'elle  aille  au-devant  de 
tous  les  préjugés  qui  flattent  la  nature,  et  qui 
s'accordent  si  bien  avec  ses  inclinations  , 
pour  les  dissiper,  et  que,  par  la  force  du  té- 
moignage qu'elle  rend  à  l'esprit  et  au  cœur, 
elle  y  établisse  une  ferme  croyance  et  un 
amour  sincère  de  ce  qu'on  ne  voit  point.  Que 
vous  fûtes  heureuse,  grande  et  illustre  sain- 
le,  d'être  prévenue  par  une  miséricorde  si 
abondante,  d'avoir  reçu  un  don  de  foi  si  rare, 
une  soumission  si  entière  à  ses  lumières,  que 
vous  avez  consultées  dans  toutes  vos  délibé- 
rations, et  un  abandonnemenlsi  absolu  à  son 
témoignage,  que  vous  avez  suivi  fidèlement 
partout  comme  votre  conseil  1  Car  s'il  est  vrai 
que  la  multitude  et  la  variété  des  objets  sen- 
sibles, l'éclat  et  la  qualité  des  biens  présents, 
débauchent  l'esprit  et  le  cœur  de  cette  sou- 
mission au  témoignage  de  la  foi,  si  les  pré- 
jugés de  la  naissance,  de  la  fortune,  du  rang, 
des  principes  du  monde,  des  maximes  du  siè- 
cle, détruisent  les  lumières  de  la  foi  et  leur 
ferment  l'entrée  dans  l'esprit  des  grands,  qui 
a  dû  les  recevoir  moins  que  la  princesse  Eli- 
sabelh,  fille  du  grand  monarque  André  II , 
roi  de  Hongrie,  femme  de  Louis,  comte  pala- 
tin, landgrave  de  Thuringe,  prince  de  Hesso 
el  de  Saxe,  élevée  dans  une  cour  magnifique 
par  une  belle-mère  qui  la  reçut  dès  l'âge  do 
quatre  ans,  cl  qui  ne  consultait  rien  moins 
que  les  lumières  de  la  foi  pour  régler  les  sen- 
timents de  sa  conduite!  Cette  jeune  princesse 
se  trouva  en  naissant  environnée  de  tout  ce 
qui  peut  flatter  l'orgueil,  étouffer  l'esprit  du 
christianisme, -aveugler  l'âme  et  corrompre 
un  cœur  chrétien. 

Ce  n'est  guère  aux  lumières  de  la  foi  qu'on 
a  recours  pour  régler  les  sentiments  de  son 
cœur,  quand  on  est  élevé  dans  ces  places 
éminentes.  On  a  pour  l'ordinaire  des  vues 
hien  différentes  de  celles  qu'elle  inspire.  Le 
règne  de  Nabuchodonosor  devient  illustre,  et 
son  cœur  s'élève  dans  cette  gloire,  dit  l'Ecri- 
ture. Les  avantages  du  siècle,  les  grandeurs 
du  monde,  sont  comme  des  feux  au  milieu 
desquels  vivent  ceux  qui  les  possèdent.  Ils 
jettent  aux  yeux  de  ceux  qui  les  regardent 
un  éclat  qui  leur  inspire  ou  de  la  crainte,  ou 
du  respect,  ou  de  l'envie,  selon  les  passions 
qui  régnent  dans  leur  cœur. 

Ils  excitent  une  ardeur  insatiable  dans 
ceux  qui  les  possèdent  ;  mais  ils  y  élèvent  en 
même  temps  une  fumée  qui  leur  cache  la  vue 
du  ciel  el  des  lumières  qui  en  sortent.  Celles 
qu'il  plut  à  Dieu  de  répandre  dans  l'âme  do 
notre  princesse  furent  assez  fortes  pour  dis- 
siper toute  cette  obscurité,  el  comme  il  sem- 
ble quelquefois  que  la  terre  va  tomber  dans 


859 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME. 


S  M) 


une  nuit  obscure  ot  être  enicvelie  dam  d  i 

paisses  ténèbres  par  des  nuages  qui  couvrent 
I,.  toleil»  mais  comme  on  voil  aussi  tout  d  un 

coup  les  nuées  se  dissiper,  le  soleil  rej  araî- 

Ire  et  la  terri-  éclairée  de  tous  côtés  par  les 
lumières  qu'il  répand,  amsi  fit-on  celle  [eune 
princesse,  livrée  à  l'âge  de  quatre  ans  à  une 
belle-mère  qui  ne  se  conduisait  que  par  l'es- 
prit du  monde  ,  plongée  dans  les  ténèbres 
d'une  éducation  toute  humaine  ,  environnée 
des  maximes  de  l'ambition  ,  de  la  vanité,  de 
la  fausse  gloire,  qui  vont  le-  lumières,  les 
règles  et  les  principes  de  la  cour  ;  ainsi,  dis- 
je"la  vit-on  divinement  pénétrée  d'un  rayon 
du  ciel  qui  dissipa  tous  ses  nuages,  et  qui 
lui  donna  la  foi  pour  son  conseil  dans  toutes 
ses  délibérations. 

Ce  fui  donc  par  ses  lumières  qu'elle  se  con- 
duisit dès  ses  plus  tendres  années;  clic  ne 
consulta   qu'elle  quand   elle    eut    besoin   de 
prendre  son  parti,  et  de  délibérer  sur  quel- 
que chose.  Je  ne  vous  produirai  qu'un  exem- 
ple des  vues  que  la  foi   lui  donna  dans  sa 
grande  jeunesse.  Son  historien  rapporte  que 
Sophie,  mère  du   landgrave  qui  devait  être 
l'époux  de  notre  jeune  princesse  ,  la  faisait 
élever  avec  Agnès,  sœur  du  prince.   Elles 
étaient  toutes  deux  vêtues  de  la  même  ma- 
nière, portant  toutes  deux  des  couronnes  en- 
richies de  pierreries,  selon  la  coutume  du 
pays;  mais,  dès  qu'on  entrait  dans  l'église  , 
Elisabeth  était  la  couronne  de  dessus  sa  tête 
et  ne  la  remettait  que  quand  il  en  fallait  sor- 
tir. La  princesse  Sophie  lui  demanda  la  rai- 
son qui  l'obligeait  d'en  user  ainsi ,  et  pour- 
quoi elle  ne  laissait  pas  sa  couronne  sur  sa 
tête  comme  sa  sœur  :  Dieu  me  garde,  lui  dit 
cet  enfant,  de  commettre  une  si  grande  irré- 
vérence que  serait  celle  de  porter  sur  ma  tète 
une   couronne  toute  brillante  de  pierreries 
dans  le  même  lieu  où  je  vois  la  tête  de  Jésus- 
Christ,  mon  Sauveur,  si  cruellement  couron- 
née d'épines! 

On  peut  juger  par  les  premières  vues  de 
cet  enfant  quelles  ont  été  celles  qui  ont  réglé 
toute  sa    vie  ;  elle  les  a  toujours  prises  de  la 
foi  :  c'est  d'elle  qu'elle  a  appris  l'eslime  quelle 
devait  avoir  des  grandeurs  du  siècle  qui  l'en- 
vironnaient, et  qui  lui  a  fait  dire,  comme 
ce/te   illustre  reine  de  l'Ancien  Testament, 
qu'elle  avait  en  abomination  tous  les  riches 
ornements  qu'elle  portait;  c'est  elle  qui  lui  a 
appris  l'usage  qu'elle  devait  faire  de  son  rang 
et  de  sa  grandeur,  qui  la  liaient  à  une  infi- 
nité de  personnes  auxquelles  elle  était  rede- 
vable de  mille  devoirs  de  charité  et  de  jus- 
tice :  car  la  grandeur  n'est  qu'un  pur  min  s- 
lère  qu'il  faut   exercer  par  l'ordre  de  Dieu; 
mais  il  n'y  a  que  la  foi  uni  instruise  les  grands 
de  ce  devoir,  et  que  la  charité  qui  le  leur 
lisse  remplir.  Ce  lu  la  foi  qui  lui  fit  regar- 
der celle  vie  comme  un  passage  qui  conduit 
à  l'éternité,  où  il  faut  marcher  avec  beaucoup 
de  cire,  nspeciion  pour  ne  pas  se  détourner 
en  se  jetant  dans  les  égarements  que  les  voies 
du  siècle  ouvrent  de  toutes  part,  au\  grands 
du  monde. 

Ainsi  la  foi  entra  l-elle  dans  toutes  ses  dé- 
libérations, comme  son  conseil;  ainsi  lui  Bi- 


elle voir  la  petitesse  des  grandeurs  du  monde 
au  il. il  eu  de  leur  plus  brillant  éclat.  Mail 
mon  Dieu!  vous  seul  donne/  c  I  \ue>  élevi 
et  excellentes  à  qui  il  vous  plaît;  vous  seul 
répandez  cette  lumière  vive,  jointe  à  l'amour 
de  ce  qu'elle  montre,  selon  rotrebon  plaisir  : 
car  votre  Apôtre  m'apprend  que  la  foi  n*(  si 
pas  donnée  à   tous.   M.iis   n'oublions  pas  en 
même  temps  que  cette  foi  se  nourrit,  qu'elle 
croil  et  qu'elle  se  fortifie  par  les  moj  ens  que 
la    miséiicor  le  nous  a  foun  is,  et  qu'Elis*- 
!,.  t!i  a  pratiquées  :  car,  sans  parler  de  <■  ttc 
prière  continuelle  que  nous  devons   fai; 
Dieu  dans  toutes  nos   entreprises,   pour  lui 
demander  qu'il  nous  conduise  pai  son  esprit 
et  qu'il  nous  remplisse  de  la  foi  :  Adaugt  I 
bit  /idem:   il  faut,  dit  Tertullicn,  recourir  à 
l'Ecriture,  qui   est  le  livre  de  la  foi  et  on  on 
trouve  de  quoi   se  nourrir.  Permettez-moi 
d'appliquer  ici  ce  que  dit  saint  Paul,  je  ne  dé- 
tournerai  pas  les   paroles  de  cet  apôtre  de 
leur  sens  naturel,  par  l'application  que  j'en 
veux  faire  à  la  conduite  de  sainte  Elisabeth 
pour  nous  instruire.  Saint  I'  iu  dit  que  la  foi 
vient  de  ce  qu'on  a  oui,  et  on  a  oui  parce  (pie 
la  parole  de   Dieu  a  été  préchét.  Voilà  une 
source  de  la  foi  et  une  voie  pour  la  fortifier  : 
s'aitacher  à  la  parole  de  Jésus-Christ.  L'A- 
pôtre dit  un  peu  auparavant  :  Mait  comment 
entendront-ils.  si  personne  ne  leur  prêche?  et 
comment  prêcheront-ils  s'ils  ne  sont  envoyés? 
Voilà  une  seconde  source  de  la  foi,  une  se- 
conde voie  pour  la  fortifier  :  consulter  les  mi- 
nistres de  Jésus-Christ.  Là-dessus  je  dis  qua 
la  foi  d'Elisabeth  a  été  grande  :  Dieu  l'a  pré- 
venue, il  est  vrai,  il  a   versé  de  grandes  lu- 
mières dans  son  esprit;  mais  elle  s'est  atta- 
chée aux  sources  de  la  foi,  elle  a  fait  beau- 
coup de  bonnes  lectures,  et  c'est  là  qu'elle  a 
trouvé  les  justes  idées  des  choses  et  qu'elle  a 
appris  l'estime  cl  l'usage  qu'elle  devait  faire 
de  ses  grandeurs;  c'est   là  qu'elle  s'est  ins- 
truite de  ses  devoirs  et  de  la  manière  de  les 
remplir;  c'est  là  qu'elle  a  connu  Jésus-Christ 
et  qu'elle  a  appris  à  le  voir  en  tout,  et  c'  -t 
pare  que  nous  ne  recourons  pas  à  ces  sour- 
ces de  lumières  que  nous  avons  de  si  fausses 
idées  des  choses  et  que  nous  tombons  tous 
les  jours  dans  une  infinité  de  fautes.  Il  ne  Faut 
pas  douter  que  l'ignorance  ne  soit  une  souri  e 
malheureuse    dont   est   sorti    ce  déplorable 
dérèglement   des    mœurs   que  nous    \ oyons 
dans  tous   les  états;  car  on  aveugle  qui  ne 
voit  pas  le  jour  ne  peut  que  s'égarer  en  mar- 
chant, et  ceu\  qui  n'ont    pas  les  yeux  ou- 
verts sur  la  lumière  de  l'Ecriture  et  des  bons 
livre;  marchent  comme  dans  les  ténèbres.  Si 
donc  bOUl   sommes  de  ces  aveugles,  prenons 
les  bous  livres ,  où  la  parole  de  Dieu   est 
broyée  et  mise  à   notre  portée;  appliquons- 
nous  à  y  méditer  et  à  nous  entretei 
le  même  esprit  que  les  aveugles  qui  S*ap| 
(liaient  de  Jésus-Christ  :    ils  ne 
pas  en  s'en  approchant,  mais  ils  s'en 
chaienl  pour  être  rendus  capables  de  la  lu- 
mière;  il  leur  suffisait  d'être   a  '   il 

é  ait  l'our  leur  faire  déairer  de  renir  à  lui  et 
d'y  être  conduits.  La  persuasion  q  '  m  est 
aveugle  est  une  heureuse  et  sainte  disposi- 


861 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINTE  ELISABETH. 


8C2 


tion  pour  être  éclairé,  el  ce  qui  fait  que  la 
plupart  des  hommes  n'entrent  pas  assez  dans 
les  vérités  qui  leur  sont  nécessaires,  c'est 
qu'ils  ne  sont  pas  assez  persuadés  de  leur 
ignorance. 

Ce  malheur  est  assez  général,  mais  il  est 
plus  commun  parmi  les  grands  du  monde  : 
ils  sont  ordinairement  trop  occupés  d'eux- 
mêmes  pour  trouver  des  heures  pour  lire. 
L'Ecriture  sainte  n'a  rien  qui  leur  plaise,  sa 
simplicité  les  dégoûte,  ils  n'en  voient  pas 
l'utilité,  ils  ne  connaissent  pas  le  besoin 
qu'ils  ont  de  s'instruire,  et,  mesurant  tout 
par  leur  propre  grandeur,  ils  s'imaginent 
qu'il  n'est  pas  possible  d'être  ignorant  quand 
on  est  puissant.  Les  bons  livres  les  ennuient, 
on  n'est  pas  porté  à  lire  ce  qui  parle  de  ce 
que  l'on  n'aime  point. 

Elisabeth  se  déûa  d'elle-même,  elle  pria, 
elle  eut  recours  aux  saintes  lectures,  elle  en 
fit  ses  délices,  elle  trouva  Jésus-Christ  dans 
celle  étude;  elle  fut  remplie  de  ses  lumières 
et  pénétrée  des  vues  de  la  foi ,  et  cette  foi  se 
fortifia  en  elle  de  plus  en  plus.  Elle  ajoute  à 
ce  premier  soin  celui  de  consulter  les  minis- 
tres de  Jésus-Christ.  La  Providence  lui  en- 
voya un  excellent  prêtre,  nommé  Conrard, 
de  la  ville  de  Marpurg,  qui  était  célèbre  par 
la  pureté  de  sa  vie  et  de  sa  doctrine.  Elle  mit 
sa  conscience  entre  les  mains  de  ce  saint 
homme,  qui,  trouvant  un  sujet  disposé  si 
heureusement,  n'eut  pas  i'e  peine  à  former 
en  elle  l'esprit  de  Jésus-Christ,  et  à  lui  ap- 
prendre à  se  régler  en  toutes  choses  par  les 
vues  de  la  foi. 

Un  directeur  éclairé,  ferme,  désintéressé, 
est  un  trésor  inestimable  pour  toutes  sortes 
de  personnes,  mais  infiniment  plus  pour  les 
grands  du  monde;  car  ou  ils  éblouissent  les 
ministres  de  Jésus-Christ  par  l'éclat  de  leurs 
grandeurs  et  les  rendent  timides,  ou  i!s  les 
embarrassent  par  les  fausses  lueurs  de  leurs 
raisons  apparentes  et  les  rendent  douteux 
dans  leurs  décisions,  ou  ils  les  frappent  par 
leur  autorité  et  les  engagent  par  leur  puis- 
sance, et  ils  les  rendent  lâches  et  intéressés. 
De  là  vient  qu'il  se  trouve  si  peu  de  gens  qui 
disent  la  vérité  aux  grands  du  monde,  dont 
là  vie  se  passe  dans  de  si  étranges  égare- 
ments sans  qu'on  les  avertisse.  Ceux  qui  les 
approchent  avec  de  bonnes  intentions  se  cor- 
rompent avec  eux  assez  souvent,  et  les  gens 
de  bien  fuient  de  peur  de  se  gâter. 

Conrard  n'eut  rien  à  craindre  avec  cette 
princesse  :  elle  sentit  le  besoin  qu'elle  avait 
d'un  homme  éclairé  el  consommé  en  piété  et 
en  sagesse.  Elle  se  tint  très-heureuse  de  pou- 
voir enlendre  ses  avis,  el  très-éloignéc  de  cet 
orgueil  ordinaire  des  grands,  qui  dédaignent 
de  se  soumettre  à  la  lumière  des  petits,  et  qui 
regardent  leur  élévation  comme  inaccessible 
aux  conseils  des  sages. 

Ce  ministre,  à  la  vérité,  trouva  l'esprit  de 
cette  princesse  disposé  à  recevoir  toutes  les 
lumières  el  tout. le  bien  qu'il  y  voulut  répan- 
dre, et  comme  il  vil  qu'elle  appelait  la  foi 
dans  toutes  ses  délibérations,  comme  so>i 
conseil,  il  ne  feignit  pas  de  lui  laisser  cm 
brasser  toute  la  perfection  de  l'Evangile,  as- 


suré que  la  foi  entrerait  dans  toutes  ses  en- 
treprises comme  sa  force  :  c'est  le  deuxième 
point. 

DEUXIÈME   PARTIE. 

Ce  n'est  pas  assez  que  la  foi  soit  lumi- 
neuse, il  faut  encore  qu'elle  soit  agissante, 
et  en  vain  nous  donnerait-elle  des  lumières 
pour  découvrir  le  vrai,  si  elle  ne  nous  don- 
nait pas  des  forces  pour  pratiquer  le  bien. 

H  y  a  cependant  un  nombre  infini  de  per- 
sonnes qui  s'en  tiennent  aux  simples  idées 
delà  vertu,  et  qui  se  flattent  de  penser  comme 
des  disciples  de  Jésus-Christ,  pendant  qu'ils 
agissent  comme  des  amateurs  du  monde,  et 
dans  lesquels  on  trouve  une  sorte  de  religion 
d'esprit,  qui  n'est  autre  chose  qu'une  vraie 
illusion.  Elle  règne  surtout  parmi  les  grands 
du  monde,  qui  se  forment  une  religion  pour 
leur  élat,  sans  vouloir  s'assujettir  à  régler 
leur  état  sur  la  religion,  en  se  faisant  des 
pratiques  accommodantes  à  leur  orgueil,  à 
leur  délicatesse  et  à  leurs  passions,  au  lieu 
de  suivre  celles  qui  sont  prescrites  par  l'E- 
vangile. 

Cette  sorte  de  religion  dont  je  parle,  et  qui 
est  si  commune  dans  le  monde,  réforme  celle 
de  Jésus-Christ  ;  elle  la  retouche,  elle  y  laisse 
ce  qu'elle  approuve,  elle  en  ôte  ce  qui  lui  dé- 
plaît, elle  se  forme  une  idée  des  vertus  qui 
n'incommodent  point  les  passions,  qui  ne  de- 
mandent à  l'esprit  qu'une  simple  estime  pour 
ce  qu'elles  ont  de  beau  et  d'éclatant,  sans  en- 
gager ni  le  cœur  ni  les  sens  dans  des  prati- 
ques qui  les  peuvent  blesser:  ainsi  on  fait 
cas  de  la  pénitence,  mais  on  ne  s'engage  à 
rien  de  ce  qui  fait  souffrir,  on  estime  la  pau- 
vreté ,  mais  on  ne  se  dépouille  pas  de  la 
moindre  chose;  on  fait  de  grands  éloges  de 
l'humilité,  mais  on  veut  toujours  tenir  le 
premier  rang.  Ceci,  mes  frères,  est  une  dan- 
gereuse illusion  et  fort  commune  dans  tous 
les  étals  :  car  il  y  a  même  une  espèce  de  dé- 
votion aisée,  tournée  sur  ce  pied-là;  cepen- 
dant rien  n'est  plus  éloigné  des  vraies  idées 
de  la  religion,  puisque  le  salut  n'est  que  l'u- 
nion de  la  foi  et  des  œuvres.  La  foi  est  la 
racine  de  la  piélé,  et  les  œuvres  en  sont  les 
fruits.  Toute  racine  qui  ne  produit  rien  est 
morte;  toutes  vos  idées  de  foi  sont  donc  vai- 
ncs, si  je  ne  vois  point  d'œuvres  ;  c'est  à  elles 
à  répondre  de  la  foi,  comme  aux  fruits  à 
rendre  sensible  la  vie  de  la  racine.  Où  il  n'y 
a  point  d'œuvres  il  n'y  a  point  de  foi ,  et  où 
il  n'y  a  point  de  foi  il  ne  peut  y  avoir  do 
salut. 

Toutes  les  grandes  pratiques  de  la  religion 
sont  communes  à  tous  les  états  :  l'humilité, 
la  pauvreté,  la  patience,  l'obligation  de  por- 
ter sa  croix  comme  un  disciple  de  Jésus- 
Christ,  ce  qui  renferme  tout  ce  que  la  disci- 
pline de  l'Evangile  a  de  rigoureux,  a  été  im- 
posé à  tous  les  chrétiens  par  le  Sauveur  du 
monde,  que  nous  regardons  tous  également 
comme  notre  maître.  Il  n'y  a  que  la  faiblesse 
et  la  langueur  de  la  foi  qui  fasse  douter  de 
cette  vérilé,  si  absolument  nécessaire  pour 
le  salut,  et  qui  a  fait  inventer  toutes  les  dan- 
gereuses subtilités,  pour  se  décharger  des 


8o:» 


OllATKl'RS  SACHES.  DOM  JLHOME. 


i 


pratitiucs  qui  incommodent  lei  passion:-.  et 
qui  répriment  l'orgueil.  Mes  frères, on  serait 
beaucoup  plus  saint  si  on  avait  un  peu  moins 
d'esprit.  Ce  n'est  pas  qu'il  ne  Taille  garder 
des  mesures,  la  religion  ne  dérange  rien  : 
saint  Augustin  appelle  la  vertu  l'amour  do 
l'ordre  :  Amor  ordinis;  elle  donne  aux  bien- 
séances de  l'état  loul  ce  qui  convient  à  la 
justice  et  à  la  raison  réglée  par  la  foi. 

Elle  apprend  donc  à  faire  une  sage  dis- 
tinction entre  la  personne  et  l'état ,  et  elle 
accorde  à  l'état,  par  bienséance  et  pour  main- 
tenir l'ordre  de  Dieu  dans  les  choses  exté- 
rieures, ce  qu'elle  refuse  à  la  personne,  pour 
la  conserver  dans  l'esprit  de  la  religion  et 
dans  la  pratique  des  vérins.  Ainsi  elle  per- 
met à  un  prince  d'être  magnifique  pour  sa- 
tisfaire aux  bienséances  de  son  éiai,  de  se 
servir  des  choses  qui  sont  propres  à  impri- 
mer du  respect  à  ceux  qui  ne  se  laissent  tou- 
cher que  par  ce  qui  frappe  les  sens,  pendant 
qu'elle  lui  ordonne  d'être  humble  devant 
Dieu  et  modéré  dans  ce  qui  regarde  sa  per- 
sonne en  particulier. 

Ce  sont  les  lumières  de  la  foi  qui  servent  à 
faire  cette  distinction,  et  c'est  la  force  de  la 
foi  qui  la  fait  soutenir  :  car,  après  avoir  com- 
pris par  ces  lumières  qu'il  y  a  une  distinction 
entre  la  personne  et  l'état,  qu'on  est  chré- 
tien quoiqu'on  soit  prince,  qu'on  est  disciple 
de  Jésus-Christ  quoique  maître  d'un  grand 
royaume,  qu'on  est  pécheur  quoiqu'on  soit 
monarque,  et  qu'on  cesse  en  quelque  sorte 
d'êlre  prince  et  monarque  lorsque,  après 
avoir  satisfait  aux  devoirs  éclatants  de  ces 
éminentes  conditions,  on  se  trouve  seul  de- 
vant Dieu,  aux  yeux  de  qui  on  est  homme, 
chrétien,  pécheur  ;  après  avoir,  dis-je,  distin- 
gué ces  deux  états  par  les  lumières  de  la  foi, 
on  les  confond  bientôt,  si  la  force  de  la  ioi 
qui  nous  a  fait  faire  celle  distinction  ne  nous 
secoure  pour  la  soutenir. 

On  laisse  jouir  le  pécheur  des  droits  de  sa 
naissance,  et  le  chrétien  se  croil  permis  pour 
toujours  ce  qui  n'est  accordé  au  monarque 
qu'aux  jours  de  la  magnificence  ,  si  la  force 
de  la  foi  ne  lui  montre  la  vérité  de  cette  dis- 
tinction, et  certainement  il  faut  que  celle  foi 
soil  grande  et  même  héroïque,  pour  combat- 
tre contre  tant  d'ennemis  qui  s'opposent  à 
une  conduite  modeste  et  chrétienne,  pour  ré- 
sister aux  flatteurs  qui  en  conseillent  une 
tout  opposée,  pour  fermer  les  yeux  à  l'exem- 
ple qui  l'inspire,  pour  ne  pas  écouter  les 
maximes  du  monde  qui  l'autorisent,  et  pour 
s'élever  contre  la  présomption  qui  semble 
avoir  anéanti  celle  distinction.  Encore  une 
fois,  il  faut  une  force  héroïque  pour  demeu- 
rer dans  un  étal  qui  nous  expose  tous  les 
jours  à  de  nouveaux  combats,  et  où  à  tous 
les  moments  de  la  vie  il  faut  vaincre  ou 
périr. 

C'est  la  condition  des  grands  :  on  ne  leur 
Ole  pas  leurs  richesses,  mais  on  exige  d'eux 
l'amour  et  l'esprit  de  la  pauvreté;  on  les 
laisse  dans  leurs  grandeurs,  mais  on  leur 
recommande  d'être  humbles;  on  ne  leui  é- 
fend  pas  1,'usage  des  commodités  de  la  vie, 
mais  oo  les  oblige  d'être  mortifiés  dans  leurs 


plaisirs  et  tempérants  d  ins  la  bonne  chère. 
Ce  sont  là  les  règles  du  christianisme,  il  n'y 
a  rien  à  rabattre  :  ou  cette  conduite,  ou  l'ex- 
clusion du  salut.  Le  temps  est  court  :  (Jue 
ceux,  dit  l'Apôtre,  qui  usent  de  ce  monde, 
soient  comme  s'ils  n'en  tuaient  j/oinl.  Celte 
parole  est  bientôt  prononcée,  divin  A  oire; 
mais  <iue  la  pratique  de  ce  qu'elle  nous  re- 
commande est  dillicile!  Il  n'y  a  que  la  seule 
force  de  la  foi  qui  nous  y  puisse  soutenir  : 
au-si,  mes  frères,  c'a  été  par  la  foi  qu'Elisa- 
beth en  a  rempli  toute  l'étendue  d'une  ma- 
nière admirable. 

(Test  cette  foi  qu'elle  a  fait  entrer  dans 
toutes  ses  entreprises,  qui  lui  a  fait  embras- 
ser toute  la  perfection  de  l'Evangile,  malgré 
tous  les  obstacles  que  sa  condition  y  opposait. 
Mais  qu'est-ce  que  celle  perfection  èvaagé- 
liquc?  Elle  consiste  à  n'avoir  que  Dieu  en 
vue  dans  tous  ses  mouvements,  à  s'oublier 
soi-même  dans  toutes  les  occasions,  et  à  se 
ressouvenir  partout  de  son  prochain.  C'est, 
mes  frères,  cette  perfection  que  cette  illustre 
princesse  a  embrassée  dan  s  toute  son  étendue: 
car  elle  a  fait  peu  pour  elle-même,  elle  a 
beaucoup  fait  pour  les  autres,  elle  a  tout 
rapporté  a  Dieu.  Que  ne  puis-je  vous  la  faire 
voir  soutenue  par  les  forces  de  la  foi  dans 
toutes  les  privations  qu'elle  a  soutenues, 
dans  tous  les  empressements  qu'elle  a  eus 
pour  le  prochain,  dans  tous  les  sacrifices  que 
la  force  de  la  foi  lui  a  fait  offrir  au  Seigneur! 

Elle  a  fait  peu  pour  elle-même,  c'esi-à- 
dire  qu'elle  a  su  s'oublier  dans  toutes  les 
occasions,  ne  s'accorder  rien,  quoiqu'elle 
pût  facilement  se  donner  tout,  se  prescrire 
un  nécessaire  très-resserré,  dans  une  condi- 
tion où  l'on  ne  connaît  plus  de  superflu,  et 
où  la  conduite  la  plus  exacte  a  bien  de  la 
peine  à  mettre  des  bornes  :  lisez  la  vie  de 
cette  grande  sainte,  et  vous  verrez  qu'on  ne 
peut  pas  porter  plus  loin  la  mortification, 
la  modestie,  la  simplicité,  la  pauvreté,  le 
dépouillement. 

Princesse  en  public,  pénitente  en  secret  ; 
magnifique  quand  il  faut  paraître,  pauvre, 
dépouillée,  dès  que  ces  moments  sont  passés; 
sur  le  trône  pour  soutenir  sa  dignité,  dans 
la  poussière  pour  gagner  le  ciel  :  c'est  là  ce 
que  j'appelle  s'oublier  soi-même.  Elle  a  fait 
beaucoup  pour  les  autres;  car  j'appelle  faire 
beaucoup  pour  les  autres  de  se  donner  aux 
autres  sans  réserve,  quand  il  semble  que  les 
autres  ne  soient  faits  que  pour  nous,  n'avoir 
un  cœur  que  pour  les  aimer,  n'avoir  des 
mains  que  pour  les  servir,  n'avoir  des  biens 
que  pour  les  soulager.  Elle  a  su  rapporter 
tout  à  Dieu,  c'est-à-dire  n'avoir  que  lui  en 
vue  dans  tous  ses  mouvements,  s'oublier 
soi-même  pour  tout  parce  qu'on  a  toujours 
l'idée  de  sa  grandeur  présente,  faire  beau- 
coup pour  les  autres,  parce  qu'on  le  regarde 
uniquement  dans  leurs  personnes  ;  enfin  ne 
s'attacher  a  son  époux  que  pour  l'attacher 
lui-même  a  Dieu. 

Cette  sainte  femme  rend  a  l'homme  selon 
l'esprit  ce  qu'elle  en  a»ail  reçu  selon  la 
chair  dans  sa  première  formation.  Dieu  prit 
une  côle  de  I  homme  pour  en  fane  la  Icntme  : 


8C5 


SERMON  POUR  LA  FETE  DE  SAINTE  ELISABETH. 


8J6 


cette  cote  est  lo  symbole  de  la  Force;  elle  la 
lui  rend  selon  l'esprit,  en  l'attachant  a  Dieu, 
qui  est  noire  unique  force,  et  en  lui  appre- 
nant à  être  uniquement  à  lui.  Elle  rapporte 
tou  t  à  Dieu  en  ne  souhai  tan  tu'a  voir  des  enfants 
que  pour  voir  augmenter  le  nombre  de  ses 
adorateurs,  en  n'entrant  dans  les  affaires 
du  prochain  que  pour  faire  entrer  Dieu 
dans  son  cœur,  en  ne  répandant  ses  biens  sur 
les  misérables  que  pour  leur  faire  sentir, 
reconnaître,  adorer  sa  providence,  en  ne 
s'appliquant  à  panser  les  plaies  de  leurs  corps 
que  dans  l'espérance  de  guérir  les  maladies 
de  leurs  âmes. 

N'admirez-vous  pas,  mes  frères,  le  mer- 
veilleux triomphe  de  la  loi ,  qui  élève  tous 
les  jours  le  cœur  de  cette  princesse  au-dessus 
de  toutes  les  difficultés  que  ceux  de  son  rang 
trouvent  à  marcher  dans  les  voies  de  la  per- 
fection chrétienne,  et  qui  ne  fait  aucune  dé- 
marche que  pour  faire  triompher  une  vertu 
chrétienne,  de  quelque  vice  qui  s'élève  pour 
la  combattre  ? 

Avouons  ici  de  bonne  foi  qu'il  faut  que 
nous  cédions  à  la  vertu  de  ceux  qui  savent 
faire  un  si  saint  usage  de  leur  grandeur. 
Confessons  qu'il  faut  plus  de  force  pour  être 
toujours  pauvre  en  possédant  de  grands 
biens,  que  pour  les  abandonner  une  fois.  Re- 
connaissons qu'il  faut  plus  de  foi  pour  garder 
son  cœur  libre  au  milieu  des  richesses,  que 
pour  sacriGer  les  richesses,  afin  de  conserver 
son  cœur.  C'est  ce  que  nous  devons  admirer 
dans  la  conduite  de  cette  incomparable  prin- 
cesse. Ce  n'est  pourtant  pas  toutcequelafoi  a 
fait  en  elle  :  elle  l'a  soutenue  dans  ses  souf- 
frances, comme  sa  consolation;  c'est  un  des 
plus  beaux  endroits  de  sa  vie  et  une  des  plus 
glorieuses  circonstances  du  triomphe  de  sa 
loi,  que  je  ne  pourrai  marquer  qu'en  passant: 
c'est  le  troisième  point. 

TROISIÈME    PARTIE. 

L'affliction  est  en  un  sens  la  consommation 
de  la  foi  ;  c'est  le  couronnement  des  grandes 
actions  qu'elle  nous  fait  faire,  et  il  manque- 
rait quelque  chose  à  sa  perfection,  si,  après 
avoir  été  le  conseil  du  juste  dans  ses  délibé- 
rations et  sa  force  dans  ses  entreprises,  elle 
n'était  pas  encore  sa  consolation  dans  ses 
souffrances. 

Il  faut  prendre  ainsi  ces  paroles  de  saint 
Paul  aux  chrétiens  de  la  ville  de  Philippe  : 
C'est,  leur  disait-il,  une  excellente  grâce  que 
Dieu  vous  a  faite,  non-seulement  de  ce  </uc 
vous  croyez  en  Jésus-Christ,  mais  encore  de  ce 
que  vous  souffrez  pour  lui.  En  effet,  tout  le 
christianisme  est  renfermé  dans  ces  deux 
grâces,  croire  en  Jésus-Christ  et  souffrir  pour 
lui.  La  miséricorde  de  Dieu  sur  nous  est 
commencée  en  nous  par  la  grâce  qui  nous 
fait  croire,  et  ellccslconsommée  par  la  grâce 
qui  nous  fait  souffrir  :  car  le  christianisme 
noua  propose  Jésus-Christ  sous  deux  qua- 
lités qui  nous  attachent  à  lui  par  des  devoirs 
qui  se  rapportent  à  ces  qualités,  et  dans  l'ac- 
complissement desquels  se  rencontre  .la  per- 
fection du  chrétien  :  il  nous  le  représente 
comme  notre  maître,  cl  la  grâce  de  la  foi 


nous  rend  ses  disciples  ;  il  nous  le  représente 
comme  la  victime  du  sacrifice  de  notre  ré- 
conciliation et  le  consommateur  de  la  foi,  et 
la  grâce  de  la  souffrance  nous  engage  à  être 
ses  imitateurs;  par  l'une  nous  apprenons  sa 
doctrine,  et  par  l'autre  nous  la  pratiquons; 
dasis  l'une  je  reçois  de  lui,  il  m'éclaire,  il 
m'instruit,  il  me  dirige;  dans  l'autre,  quoi- 
que je  reçoive  de  lui,  il  reçoit  de  moi,  je  lui 
offre  ce  que  j'endure,  et  par  mes  souffrances 
il  devient  mon  redevable,  pour  ainsi  dire,  en 
quelque  chose  :  et  comme  on  va  de  l'un  à 
l'autre  dans  l'ordre  de  la  grâce,  celui  qui  a  eu 
plus  de  foi  dans  sa  conduite  a  plus  de  force 
dans  ses  souffrances.  Or,  ces  principes  posés, 
quelle  idée  devons-nous  nous  former  des 
souffrances  d'Elisabeth  et  de  sa  force  dans  ses 
souffrances?  Jusqu'où  Dieu  a-t-il  dû  la  pous- 
ser par  les  épreuves,  et  jusqu'à  quel  point 
P a-t-il  consolée  en  l'éprouvant?  Je  sens  bien 
que  je  ne  peindrai  jamais  ce  qui  me  reste  à 
vous  dire  avec  des  couleurs  assez  vives  pour 
vous  en  donner  une  juste  idée;  mais  imagi- 
nez-vous tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  propre  à 
affliger  une  fidèle  épouse,  une  souveraine 
légitime  et  une  tendre  mère.  Vous  compre- 
nez sans  doute  que  je  veux  vous  parler  de 
la  mort  précipitée  d'un  époux  tendrement 
aimé,  de  la  félonie  de  sujets  lâches  et  in- 
grats, qu'on  avait  accablés  de  biens,  et  des 
malheurs  dont  ses  enfants  se  trouvent  atta- 
qués. Toutes  ces  disgrâces  tombent  sur  elle 
tout  à  la  lois,  et  elle  est  frappée  de  ces  coups 
si  terribles  dans  le  même  temps. 

Elle  apprend  par  la  bouche  de  sa  belle- 
mère  la  mort  du  landgrave  son  mari.  Le  frèro 
de  ce  prince,  à  la  tête  d'une  cabale,  s'empare 
du  gouvernement  de  l'Etat,  et  chasse  de  son 
propre  palais  celte  jeune  veuve  affligée;  la 
rage  de  ses  ennemis  s'étend  sur  ses  chers 
enfants,  et  Dieu,  qui  ne  voulait  pas  que  rien 
manquât  aux  épreuves  de  celte  illustre  veu- 
ve, permit  que,  par  un  nouveau  genre  d'in- 
bumanilé,  on  rendît  ces  princes  innocents 
participants  de  l'infortune  de  leur  mère,  pour 
augmenter  le  poids  de  sa  douleur. 

Je  ne  sais  pas,  mes  frères,  s'il  s'est  jamais 
vu  un  plus  triste  spectacle.  Celle  que  tout 
le  monde  honorait  se  vil  abandonnée  de  tout 
le  monde,  et  il  n'y  eut  pour  celte  princesse 
qu'un  instant  entre  l'amour  de  ses  sujets, 
uni  au  respect  le  plus  profond,  et  l'oubli.  On 
vit  la  fille  d'un  grand  roi ,  la  veuve  d'un 
prince  puissant,  tomber  en  un  moment  du 
comble  de  toutes  les  grandeurs  dans  une  af- 
freuse nécessité  de  toutes  choses;  on  la  vit 
sans  époux,  sans  Etats,  chargée  de  trois  en- 
fants, qu'elle  porte  sur  son  cou  en  cherchant 
de  quoi  vivre,  demandant  pour  aumône  un 
coin  dans  une  misérable  hôtellerie  pour  se 
mettre  à  couvert.  Ses  enfants,  qui  auraient 
dû  êlre  sa  consolation  dans  la  perle  de  son 
illustre  époux,  ne  paraissent  à  ses  jeux  que 
pour  la  tourmenter,  et  ne  sont  collés  sur 
son  sein  que  pour  rendre  sa  douleur  plus 
cruelle. 

Il  ne  nous  appartient  pas  de  nous  plaindre 
dans  nos  peines,  mes  chers  frères,* et  c'est 
bien  à  tort  que  nous  écoulerions  les  témoigna- 


XU7 


ORATEURS  SACRES.  bOM  JEROME. 


m 


ges  (le  compassion  qu'on  veut  nous  donner 
quclquefoii  inr  l'exercice  de  noire  pénitence 
ci  sur  les  souffrances  de  notre  ne  monasti- 
que. La  moindre  circoml  ince  de  ce  qu'a 
souffert  celte  illustre  princesse  paise  Infini- 
ment lotit  ce  que  noos  pouvons  endurer,  et 
uno  heure  de  la  vie  d'Elisabeth  dam  celle 
misérable  hôtellerie,  où  elle  se  retire  avec 
si  i  enfants,  esl  un  plus  beau  spectacle  aux 
yeux  de  Dieu  que  celui  d'une  vie  de  plusieurs 
années  dans  la  pénitence  ordinaire  que  nous 
pratiquons. 

Que  ne  puis-jevous  représenter  les  senti- 
ments de  cette  princesse  dans  cet  état ,  pour 
les  exposer  aux  yeux  de  l'Eglise  !  Que  n'esl-il 
en  mon  pouvoir  de  retracer  le>  dispositions  de 
son  cœur,  les  consolations  que  la  foi  versa 
dans  son  esprit,  les  onctions  qu'elle  répandit 
dans  son  âme,  pour  confondre  ceux  qui  ne 
veulent  rien  endurer,  pour  soutenir  ceux 
qui  souffrent,  et  pour  cou  vaincre  les  chrétiens 
que  les  maux  les  plus  vils  sont  affaiblis  par 
les  onctions  de  la  loi  1 

Cette  tempête  fut  apaisée,  ses  ennemis  se 
réconcilièrent  avec  elle,  on  lui  rendit  la  jus- 
lice  qui  lui  était  due,  et  ceux  qui  avaient  été 
effrayés  par  ce  coup  de  foudre  qui  l'avait 
frappée,  étant  sortis  d'une  espèce  de  stupidité 
et  de  léthargie  où  les  disgrâces  qui  nous  ar- 
rivent mettent  ordinairement  ceux  qui  ne 
sonl  que  de  faibles  amis,  revinrent  à  elle 
pour  lui  faire  des  offres  et  pour  lui  témoigner, 
quand  il  n'était  plus  temps,  le  dévouement 
qu'ils  avaient  pour  sa  personne  et  la  part 
qu'ils  prenaient  dans  ses  intérêts. 

Mais  cette  sage  princesse,  qui  s'était  tou- 
jours conduite  par  les  lumières  de  la  foi, 
qu'elle  avait  appelée  dans  toutes  ses  délibé- 
rations comme  son  conseil,  n'avait  garde  de 
prendre  d'autres  lumières  que  les  siennes 
dans  cette  occasion.  Elle  mettait  le  monde  à 


sa  juste;  valeur,  et  elle  le  connaissait  trop 
pour  s'y  livrer  une  seconde  lois.  Comme  un 
autre  MoTse,  elle  aima  mieux  être  affligée 
ave<  le  peuple  de  Dieu  que  de  jouir  du  plai- 
sir si  orl  ni  se  trouve  avec  les  pécheurs. 
Comme  fille  et  disciple  de  Jésus-Cbmt,  péné- 
trée d'une  foi  vive  et  soutenue  par  l'exemple 
de  Jésos-Cbr  st,  elle  voulut  comme  lui  con- 
sommer sa  fol  dans  les  souffrances  Elle 
demeura  donc  séparée  des  créatures, 
unie  à  Dieu,  caillée  aux  yeux  du  monde,  et 
simplement  connue  de  celui  qui  veut  être 
servi  dans  le  secret.  Bile  passa  le  reste  de  sa 
vie,  qui  ne  fui  que  de  quatre  années 
la  perte  de  sou  illustre  époux,  d  .ris  la  prière, 
dans  les  larmes,  dans  les  œuvres  de  la  misé- 
ricorde, et  elle  la  finit  dans  le  baiser  du  - 
gneur.  O  mulierl  à  femme  1  que  votre  foi  esl 
grande  1  Nous  avons  admiré  !a  foi  de  celte 
lemrue  :  craignons,  mes  frères,  qu'elle  ne 
nous  confonde,  et  c'est  ce  qui  arrivera  i  fail- 
liblement  si  nous  prenons  dans  uos  délibéra- 
lions  d'autres  conseils  que  ceux  qu'elle  a 
pris,  si  nous  nous  appuyons  sur  d'autres 
forces  dans  nos  entreprises,  et  si  nous  ait  ri- 
dons d'un  autre  côté  des  consolations  il. us 
nos  afflictions.  Adressons-nous  donc  à  Jésus- 
Christ,  pour  lui  faire  cette  prière  que  les 
apôtres  lui  firent  :  Seigneur,  augmentes  en 
nous  la  foi;  nous  en  avons  reçu  les  luni 
donnez-nous  la  force,  qui  nous  fasse  agir 
comme  des  gens  éclaires  par  la  foi.  Faites 
que  nous  en  soyons  les  disciples  en  suivant 
ces  lumières,  les  coopérateurs  en  agissant 
par  la  force,  et  les  consommateurs  eu  souf- 
frant a  vecl'onclion  et  la  douceur  qu'elle  ins- 
pire dans  les  plus  violentes  épreuves,  afin 
qu'ayant  vécu  de  la  foi  qui  esl  la  vie  du  juste, 
nous  recevions  les  rccjmpenses  éternelles. 
Ainsi  soit-il. 


discours 

POUR  UNE  RETRAITE  DE  HUIT  JOURS 


PRIÈRE  AVANT  LA  RETRAITE. 

C'est  à  vous,  6  mon  Dieu!  que  je  m'adresse 
pour  vous  dire,  comme  voire  prophète:  Failes- 
moi  marcher  dans  le  sentier  de  vos  préceptes, 
car  c'est  tout  ce  que  je  désire.  Mais,  quoique 
je  le  désire  de  tout  mon  cœur  ,  je  reconnus 
cependant  que  cette  volonté  ne  suffit  pas,  et 
que  j'ai  besoin  que  vous  soyez  vous-même  mon 
conducteur  :  car  qu'est-ce  que  cette  volonté  f 
combien  de  fois  ai-je  été  trompé  !  que  de  re- 
traites tan»  fruits  !  que  de  résolutions  sans 
exécution  !  que  de  projets  sans  suite  !  Il  faut 
donc,  Sciqneur,  que  voua  soyez  mon  conduc- 
teur ;  il  faut  que  ce  soit  vous  qui  me  meniez 
dans  la  solitude  pour  que  j'in  puisse  reem  i  " 
les  fruits;  sans  vous  tous  mes  efforts  i 
muftis*,  et  je  sortirai  d<  la  relr  ite,  OÙ  j'en- 
tre aujourd'hui,  plus  criminelle  que  je  n'étais 
en  y  entrant.  Je  me  défie,  Saune ur,  de  cette 


volonté  qui  vient  de  moi  ;  je  vous  demande 
celle  que  cous  formez  vous  même,  puisque  vo- 
tre Apôtre  m'apprend  que.  tout  dépend  non  de 
celui  qui  9SUt,  ni  de  ce  ui  qui  court,  m  lis  de 
Dieu,  qui  fait  miséricorde.  Ma  volonté 
(/u'inconstanec et  légèreté; 90» forces  lium  mes 
ne  sont  qu'impuissance  et  uc  faiblesse;  ci. fin 
le  fonds  d'uiir  créature  tille  que  je  suis,  n'est 
i/ue  misère,  corruption  et  indi'/nité.  C  e.-t  i 
vous,  Seigneur,  que  je  m'adresse,  et  puisque 
vous  promettez  de  conduire  duns  la  têii  ><  ie 
tes  âmes  que  vous  aine:  al  tirer-  douceoicnt  <) 
vous,  et  de  parler  à  leur  coeur,  j'ose  / 
Seigneur,  que  je  suis  de  et  nombre, npri <s  | 
les  miséricordes  que  j "ai  reçues  de  votre  bon- 
té,et  j'espère  la  grâce  de  réussit  éssns  cite 
i  c  :  je  vous  la  demande  de  tout  mon 
cœur,  (i   mon   Dieu  !  avec  un  d  -  ,(   de 

l'obtenir  par  les  mérites  de  Jésus-Cknst,  en 


869 


PREMIER  DISCOURS  POUR  UlNE  RETRAITE 
Ainsi 


870 


qui  seul  je  mets  toute  ma   confiance 
soit-il. 

PREMIER  DISCOURS. 

Âd  dandam  scientiam  salutis  plcbi  ejus,  in  remissionem 
peccatorum  eorum,  per  viscera  misericordiœ  Dei  nnsiri. 

Pour  donner  à  sou  peuple  la  connaissance  du  &alul ,  afin 
qu'il  obtienne  la  rémission  de  ses  péchés  par  les  entrailles 
de  la  miséricorde  de  noire  Dieu  (Luc,  I,  77,  78). 

Ce  fut,  mes  chères  sœurs,  le  motif  de  la 
mission  de  Jean-Baptiste  :  il  fut  envoyé  pour 
donner  aux  Juifs  la  connaissance  du  salut, 
afin  qu'ils  obtinssent  la  rémission  de  leurs 
péchés. 

C'est  la  fin  que  nous  devons  nous  proposer 
dans  l'entreprise  dont  nous  faisons  aujour- 
d'hui l'ouverture;  et  il  faut, mes  chères  sœurs, 
quenous  examinionsensemble  tout  cequiap- 
parlient  à  la  science  si  importante  de  notre 
salut,  pour  nous  mettre  en  état  d'obtenir  la 
rémission  de  nos  péchés. 

Commençons  donc  aujourd'hui  par  nous 
convaincre  que  la  retraite  est  un  exercice  né- 
cessaire pour  arriver  à  cette  fin  si  impor- 
tante ;  vous  en  jugerez  ainsi  si  vous  faites  at- 
tention, 1°  que  nous  ne  sommes  sur  la  terre 
que  pour  faire  notre  salut  ;  2°  que  nous  avons 
reçu  de  puissants  secours  pour  y  travailler; 
3°  que  nous  formons  tous  les  jours  de  nou- 
veaux obstacles  à  l'accomplissement  de  cet 
ouvrage;  k"  qu'il  n'est  rien  de  plus  impor- 
tant que  de  voir  à  quoi  nous  en  sommes,  de 
peur  d'être  surpris;  5°  que  c'est  dans  la  re- 
traite qu'on  peut  faire  cet  examen  plus  utile- 
ment. 

En  effet,  nous  ne  sommes  sur  la  terre  que 
pour  travailler  à  l'ouvrage  de  noire  salut,  et 
c'est  premièrement  pour  y  travailler  que  le 
temps  de  celle  vie  nous  est  donné  :  car  voici 
en  deux  mots  l'abrégé  de  l'histoire  du  mal- 
heur do  l'homme  et  de  la  miséricorde  de  Dieu 
sur  lui. 

Créé  dans  la  justice  et  formé  pour  Dieu,  il 
le  possédait  et  il  jouissait  d'une  vie  inno- 
cente et  agréable,  qui  le  devail  conduire  à 
une  félicité  consommée,  si  en  péchant  il  ne  se 
fût  pas  détaché  de  Dieu;  mais,  la  mort  étant 
entrée  dans  le  monde  par  le  péché,  il  perdit 
tous  les  avantages  de  ce  premier  élat  :  il  fut 
livré  entièrement  à  la  mort,  voilà  son  mal- 
heur; mais  voici  l'effet  de  la  miséricorde  de 
Dieu  sur  lui.  Jésus-Christ,  le  Sauveur  du 
monde,  l'a  racheté,  Jésus-Christ  s'est  mis 
entre  l'homme  et  le  bras  de  sou  Père  pour 
Obtenir  ce  délai,  qu'on  appelle  le  temps  pré- 
sent, ou  la  vie,  durant  laquelle  l'homme 
peut  profiler  du  fruit  de  la  morl  du  Média- 
teur :  de  sorle  que  le  temps  présent,  ou  la 
v .c,  n'est,  à  proprement  parler,  qu'un  as- 
semblage de  moments  incertains  pour  leur 
durée,  formés  par  la  miséricorde  de  Dieu, 
durant  lesquels  il  suspend  l'exécution  de 
l'Arrêt  de  morl  rendu  contre  tous  les  hommes 
en  la  personne  du  premier,  afin  de  nous  don- 
ner le  temps  de  nous  racheter  de  la  mort  du 
pérhé  et  d'acheter  la  vie  éternelle  par  la 
pratique  des  bonnes  œuvres. 

La  vie  ne  non-  est  donnée  que  pour  celle 
œuvre,  c'est  là  la  seule  chose  nécessaire  :  il 
faut  donc  vivre  sur  la  lerre  en  passant,  il  faut 


y  vivre  pour  Dieu,  afin  de  vivre  éternellement 
dans  le  ciel  avec  Dieu. 

Toutes  les  paraboles  de  l'Evangile  tendent 
à  nous  prouver  celle  importante  vérité;  mais, 
sans  entreprendre  de  les  parcourir,  celle  du 
IV1  chapitre  de  saint  Luc,  où  un  homme  de 
grande  naissance  donne  à  ses  serviteurs  des 
marcs  d'argent  avant  que  de  partir  et  d'aller 
dans  un  pays  fort  éloigné,  en  leur  recom- 
mandant de  les  faire  profiler  jusqu'à  son  re- 
tour, n'est-elle  pas  une  fi  ièle  expression  de 
tout  ce  que  je  viens  de  vous  dire  ? 

Cet  homme  d'une  grande  naissance  n'est-il 
pas  Jésus-Christ  qui  nous  a  acquis  par  sa  mort 
le  temps  de  travailler  ?  Les  talents,  ne  sont- 
ce  pas  ces  moments  incertains  qui  se  pèsent? 
La  vie,  celle  durée  incertaine,  n'est-elle  pas 
marquée  par  son  éloigueuienl  et  par  son  re- 
tour, qui  est  entre  ses  mains,  et  qui  peut  finir 
quand  il  lui  plaira  ?  Cel  ordre  de  les  faire 
profiler,  n'est-ce  pas  l'usage  qu'il  veut  que 
nous  fassions  de  la  vie  pour  acheter  le 
salut? 

C'est  donc  précisément  pour  cela  que  nous 
sommes  sur  la  terre.  Mon  Dieu,  quel  ef- 
froyable aveuglement  dans  ceux  qui  ne  font 
aucune  réflexion  sur  cette  importante  vérité, 
qui  ont  reçu  la  vie  et  qui  vivent  sans  faire 
réflexion  pourquoi  ils  l'ont  reçue,  qui  la 
passent  dans  de  vains  amusements,  qui  ne 
songent  qu'à  s'établir  dans  un  pays  où  ils  ne 
seront  plus  demain  !  Malheur  à  ceux  qui  at- 
tendent à  l'extrémité  de  leur  vie  à  travailler 
à  un  ouvrage  pour  lequel  toute  la  vie  leur  a 
été  donnée  !  Le  salut  est  un  trésor  vraiment 
caché  pour  eux  ;  mais  il  faut  le  chercher,  peu 
de  personnes  le  trouvent  :  il  faut  cepeudant 
tout  donner  pour  l'obtenir.  Qu'il  est  honteux 
de  ne  pas  faire  pour  le  salut  ce  qu'un  négo- 
ciant fait  pour  des  richesses  périssables  1  Voilà 
donc  une  première  vérilé  certaine  :  nous  ne 
sommes  sur  la  terre  que  pour  travailler  à 
notre  salut;  mais  si  l'entreprise  est  considé- 
rable, nous  avons  reçu  de  puissants  secours: 
car  il  nous  a  mis  dans  un  élat  qui  éloigne  de 
nous  loules  les  grandes  occasions  de  l'offen- 
ser et  d'oublier  l'affaire  du  salut  ;  il  vous  a 
arrachées  de  la  puissance  des  ténèbres,  il 
vous  a  tirées  du  monde,  où  lout  est  corrom- 
pu ;  ii  vous  a  mises  dans  un  royaume  de  lu- 
mière cl  à  portée  de  tous  les  biens.  En  efiel, 
n'èles-vous  pas  ici,  dans  ce-  pâturages  abon- 
dants, pour  augmenter  en  vous  les  forces  de 
l'homme  nouveau  ?  Tout  est  san  tiliant  dans 
ce  royaume  de  lumière  où  il  vous  a  placées  : 
règles,  exercices,  lois,  exemples,  entretiens, 
peines,  épreuves,  maladies,  santé  ;  loul  mène 
à  Dieu,  ou  du  moins  loul  y  peut  et  tout  y 
doit  mener.  Car  tout  ce  qui  vous  entoure 
entre  dans  l'ordre  du  salut  :  les  lumières  ne 
manquent  pas;  les  instructions,  les  lectures, 
les  exhortations,  la  facilité  d'approcher  de 
Dieu  par  la  pratique  si  fréquente  d,:  la  prière, 
l'usage  ordinaire  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  lâint 
dans  l'Eglise,  tout  est  commun  enlre  .lesus- 
Clmsl  l  vous;  et  il  me  semble  que  Jésus- 
Christ  peut  duc  à  une  religieuse  ce  que  le 
père  de  l'cufaul   prodigue  disait  à  son  fils 


;\1\ 


ORATEURS  SACRES.  I«>U  JEROME. 


aine  :  Mon  fils,  rous  êtU  toujours  avec  moi, 
et  tout  ce  que  fat  eut  à  vous. 

C'est  donc  ici  celle  vigne  dont  parle  IsaYe, 
qni  est  plantée  sur  un  lieu  élevé.  La  perfec- 
tion  chréiicimo  est  coite  moûtagne  gratte  et 
fertile  par  tous  les  dons  que  Dieu  y  répand, 
Réparée  du  inonde,  environnée  d'une  haie 
qui  la  met  à  couvert  des  approches  des  hom- 
me! et  de  la  contagion  du  tiède.  !1  a  bâti  une 
tour  au  milieu  d'elle,  d'où  les  mini-Ires  de 
.!<  Mis-Christ,  qui  conduisent  celles  qui  y  ha- 
bitent, découvrent  les  mouvements  des  en- 
nemis qui  voudraient  entreprendre  de  les  in- 
sulter. 

Un  pressoir  est  dressé  au  milieu,  c'est  cet 
aulel  sacré  d'où  découle  le  sangadorabl  de 
l'Agneau,  source  inépuisable  de  notre  vertu 
et  de  nos  forces.  Qu'est-ce  que  Dieu  a  dû  faire 
de  plus  à  sa  vigne  que  ce  qu'il  lui  a  fait?  Il 
est  donc  clair  que  nous  avons  reçu  de  pui- 
sants secours  pour  travailler  à  notre  salut, 
mais  il  ne  l'est  pas  moins  que  nous  formons 
tous  les  jours  de.  nouveaux  obstacles  à  l'a- 
vancement de  cet  ouvrage. 

Jugez-vous,  mes  sœurs,  rentrez  en  vous- 
mêmes.  Avez-vous  proGté  de  tous  les  avan- 
tages que  vous  avez?  Ces  dons  et  ces  talents 
ont-ils  augmenté  entre  vos  mains  ;  ou  plutôt 
n'ètes-vous  pas  coupables  de  mille  négli- 
gences dans  l'ouvrage  de  votre  salut  et  de 
votre  perfection?  Etes-vous  plus  proches  de 
Dieu,  pour  être  plus  éloignées  du  monde  par 
votre  profession?  L'exercice  de  la  prière 
vous  unit-il  plus  intimement  à  lui?  L'usage 
des  sacrements  vous  donne-t-il  plus  de  force 
pour  combattre  vos  passions  et  pour  avan- 
cer dans  les  voies  de  la  justice  ? 

Jugez-vous,  mes  très-chères  sœurs:  que 
de  négligence  dans  la  prière  !  que  de  légère 
té  dans  les  discours!  que  d'indiscrétion  dans 
les  paroles  1  que  d'immorlification  dans  la 
conduite!  que  d'impatience  dans  les  contra- 
dictions 1  que  d'orgueil  et  de  murmures  dans 
les  corrections  1  que  d'infidélité  dans  les  ob- 
servances !  que  de  résistance  aux  inspira- 
tions de  Dieu!  que  d'abus  des  grâces  et  des 
lutnières!  Combien  avons-nous  arrêté  le 
cours  des  miséricordes  de  Dieu  sur  nous 
dans  l'usage  d%s  sacrements,  par  le  défaut  de 
préparation!  Di»vi  veuille  même  que  nous  ne 
les  ayons  pas  profanés  par  une  attache  se- 
crète à  nos  défauts  et  à  nos  passions  I 

Prenons  donc  garde  de  n'être  pas  du 
nombre  de  ceux  qui  disent:  Je  suis  riche,  je 
suis  comblé  de  biens,  je  n'ai  besoin  de  rien; 
et  vous  ne  savez  pas  que  vous  êtes  miséra- 
ble et  malheureux,  pauvre  aveugle! 

Ne  vous  flattez  donc  pas  d'une  vaine  espé- 
rance sur  la  sainteté  de  votre  profession  ; 
mais  examinez  soigneusement  si  vous  en 
avez  conservé  la  grâce  et  rempli  les  enga- 
gements. Car  nous  devons  nous  dire  chacun 
en  particulier;  Nous  sommes  environnés  de 
faiblesse  de  tous  côtés;  nous  avons  la  répu- 
tation d'être  vivants,  cl  peut-être  sommes- 
nous  morts  devant  Dieu.  Cependant  il  n'y  a 
rien  de  plus  important  que  de  savoir  à  quoi 
nous  en  sommes,  de  peur  d'être  surpris.  Car 
qu'y  a-t-il  de  certain?  n'avez-vous  pas  des 


expériences  sensibles  que  c'est  une  grande 
erreur  de  compter  tur  !■'  jeunette  el  •■ur  une 
rfgooreute  tante?  Il  raul  te  dire  loo  les 
jours  ce  qu'lsaïedit  au  roi  Rxéekiei:  Donnes 

ordre  aux  affaires  de  votre  maison,   car  » 
n'i  n  réchapperez  pus. 

Tout  homme  est  condamné  à  mourir,  rien 
n'est  si  incertain   que  le  moment  d'une  mort 
certaine  cl  inévitable  ;  rien  de  si  dangereux 
que   d'être  surpris  dans  une  affaire   qui  dé- 
pend   d'un   moment  et    qui   est  irréparal 
rien  de  plus  important  qu<'  de  savoir  au  ju^le 
à  quoi  00  eu  est:    niais  comment  le  conii.ii 
tre?  en  examinant  sa  vie   par   rapport  à  ses 
devoirs,  sa  conduite  sur  ses   obligations,  sa 
fidélité  sur  les   grâces    reçues,  sou   pro_ 
dans  la  perfection  sur  ses  lumières  et  sur  les 
secours  qui  ont  élé  donnés,  la  pureté  de  son 
cœur  par  se-  attaches,  la  solidité  de  ses  ver- 
tus par  sa  charité,  enfin  son  état  devant  Dieu 
par  son  amour. 

Ah!  qu'il  est  important  de  s'examiner  soi- 
gneusement sur  tous  ces  articles,  de  peur 
que  nous  ne  tombions  dans  d'élranges  mé- 
comptes, et  que  ce  que  nous  regardon- 
comme  de  l'or,  selon  ce  que  dit  saint  Ber- 
nard, ne  «oit  véritablement  de  l'écume  de- 
vant Dieu! 

.Mais  où  cette  recherche  et  cet  examen  peu- 
vent-ils se  faire  plus  tûrement  que  dans  la 
retraite  où  vous  allez  entrer?  Ecoutez  ce  que 
dit  le  Seigneur  lui-même  par  son  prophète: 
Je  le  mènerai  dans  ta  solitude,  et  je  lui  par- 
lerai au  cœur:  c'est  donc  là  qu'il  parle. Aussi 
voyons-nous  que,  lorsqu'il  veut  découvrir  à 
ses  disciples  les  grands  mystères  renfermes 
dans  sa  transfiguration,  il  les  mène  seuls 
avec  lui  sur  une  haute  montagne.  Il  faut 
donc  s'éloigner  du  monde,  s'élever  de  la 
terre,  et  suivre  Jésus-Christ  sur  la  montagne 
pour  recevoir  ses  lumières.  //  ne  criera  paint, 
et  personne  n'entendra  sa  voix  dans  les  rues, 
dit  un  prophète.  Terrible  préjugé  contre  les 
gens  du  monde,  qui  sont  toujours  dans  l'a- 
gitation, dans  le  mouvement  des  passions, 
le  l'intérêt,  des  affaires,  des  plaisirs,  des 
conversations  inutiles,  d'un  flux  et  reflux  de 
visites,  et  dans  un  commerce  perpétuel  d'a- 
musements où  Dieu  ne  se  fait  point  entendre! 

11  ne  répand  point  ses  lumières  dans  une 
âme  agitée  par  ses  passions  :  Nom  in  comme- 
tione  Dominas  :  un  vase  plein  et  rempli  d'une 
eau  agitée  et  bourbeuse  ne  présente  que  con- 
fusion; si  elle  reçoit  quelque  rayon  de  lu- 
mière, il  est  dissipé  presque  aussitôt. 

Ne  sentons-nous  pas  que  les  yeux  qui 
sont  dans  un  mouvenicnl  continuel  et  qui  se 
tournent  de  tous  côtes  en  même  temps  ne 
sauraient  voir  exactement  les  objets  qui  se 
présentent  à  eux?  Il  faut  que  la  vue  se  Bxe 
et  s'arrête,  si  nous  voulons  regarder  attenti- 
vement et  considérer  parfaitement  un  objet  : 
ainsi,  lorsque  noire  ;imc  est  distraite  el  par- 
tagée par  une  multitude  de  soins,  elle  n'est 
point  capable  de  considérer  la  rérité  avec 
l'exactitude  et  l'attention  qu'elle  demande. 
Les  soins  même  les  p. us  innocents  el  les 
plus  légitimes  en  eux-mêmes  sont,  dit  saint 
Basile  flans  sa  lettre  à  saint  Grégoire  deNa- 


Wl 


DEUXIEME  DISCOURS  TOUR  UNE  RETRAITE. 


87* 


zianze,  comme  une  tempête  qui  remplit 
l'air  de  nuages  et  d'obscurité;  et  comme, 
ajoute-t-il,  on  dompte  aisément  les  bêtes  fa- 
rouches en  les  caressant,  ainsi  les  passions 
et  les  maladies  de  l'âme,  étant  comme  as- 
soupies par  le  repos  et  dans  le  silence,  n'é- 
tant point  irritées  par  de  continuelles  occa- 
sions, deviennent  plus  faciles  à  dompter  par 
les  mesures  que  l'on  prend  et  parles  secours 
qu'on  reçoit  dans  une  retraite.  Un  vaisseau, 
dit  saint  Chrysostome,  qui  est  battu  sans 
relâche  par  les  flots  de  la  mer,  se  ruine  in- 
sensiblement. Il  faut  donc  qu'une  âme  reli- 
gieuse et  chrétienne  cherche  dans  sa  retraite 
même  le  port  tranquille  d'une  solitude  plus 
profonde,  afin  qu'en  imitant  un  pilote  sage 
et  expert,  elle  puisse  elle-même  se  réparer 
et  se  rétablir  de  tous  les  dommages  qu'elle  a 
pu  souffrir  dans  les  occupations  extérieures 
de  son  état. 

Que  celte  pratique  où  vous  allez  entrer 
est  donc  excellente,  mes  très-chères  sœurs  1 
Semblables  au  prophète  David,  vous  pouvez 
dire  :  Je  me  suis  humilié,  j'ai  garde  le  si- 
lence, pour  dire  de  meilleures  choses.  Je  de- 
mande à  Dieu  de  tout  mon  cœur  que  vous 
puissiez  ajouter  avec  ce  saint  roi  :  Que  mou 
cœur  s'échauffe  au  dedans  :  Concaluit  cor 
meum  intra  me;  qu'en  pensant  à  vos  misères 
et  à  vos  faiblesses,  il  s'allume  un  feu  au  fond 
de  voire  âme,  non  pas  un  feu  consumant, 
mais  un  feu  tel  que  celui  que  vit  Moïse  dans 
le  buisson  du  désert,  qui  était  ardent  sans  se 
consumer;  un  feu  qui  ne  serve  qu'à  détruire 
vos  faiblesses  et  vos  imperfections,  et  à  pu- 
rifier vos  cœurs;  un  feu  enfin  qui  se  nour- 
risse et  s'entretienne  en  l'augmentant  tou- 
jours par  la  méditation  des  saintes  Ecritures, 
que  saint  Auguslin  appelle  les  chastes  déli- 
ces de  l'âme  chrétienne  ;  et  que  dans  cette 
retraite  vous  vous  éloigniez  absolument  du 
monde  pour  entrer  dans  le  commerce  le 
plus  intime  que  vous  allez  avoir  avec  Dieu, 
afin  qu'il  puisse  retomber  sur  nous  quelques 
gouttes  de  celte  rosée  céleste  que  Dieu  veut 
répandre  sur  vous  avec  abondance. 

DEUXIÈME  DISCOURS. 

Ducam  eam  in  solitiulinem,  et  loqnar  ad  cor  ejus. 
Je  lu  mènerai  dans  la  solitude,  cl  je  parlerai  à  son  cœur 
(Ose,  II,  14). 

J'essayai  hier,  mes  chères  sœurs,  de  vous 
convaincre  de  la  nécessité  de  prendre  du 
temps  pour  se  retirer  dans  une  solitude  plus 
profonde,  aGn  que,  dégagées  de  lous  autres 
soins,  vous  puissiez,  dans  une  paix  parfaite 
et  dans  une  tranquillité  entière,  rentrer  dans 
vous-mêmes,  vous  demander  complc  de  vo- 
tre conduite,  examiner  de  plus  près  les  affai- 
res de  votre  salut,  et  vous  mettre  en  état 
d'éviter  la  surprise  dans  une  affaire  aussi 
importante  que  celle-ci. 

11  faut  aujourd'hui  vous  parler  des  dispo- 
sitions qu'il  faut  prendre  pour  réussir  dans 
celle  retraite,  et  pour  en  tirer  tout  le  fruil 
que  nous  en  attendons  par  la  miséricorde  de 
Dieu. 

Or,  mes  sœurs,  il  y  a  trois  sortes  de  dispo- 
sitions :  les  dispositions  éloignées,  les  dispo- 
0«atelrs  SACRÉS.  XXX. 


sitions  prochaines,  enfin  les  dispositions  plus 
précises  encore.  Nous  ne  vous  parlerons  au- 
jourd'hui que  des  éloignées,  et  je  les  réduis 
à  trois  :  1°  il  faut  recourir  à  Dieu  pour  lui 
demander  la  grâce  de  réussir  en  celte  re- 
traite; 2°  il  faut  s'exposer  à  ses  ministres 
sans  déguisement,  nous  montrer  tels  que 
nous  sommes,  afin  qu'ils  nous  révèlent  le 
fond  de  notre  cœur,  et  qu'ils  nous  aident  à 
nous  reconnaître  tels  que  nous  sommes  ;  3"  il 
faut  demandera  Dieu  qu'il  forme  dans  notre 
cœur  une  résolution  sincère,  solide  et  vraie 
de  renoncer  à  tout  ce  qui  peut  former  quel- 
que obstacle  à  notre  perfection,  et  commen- 
cer à  exécuter  ce  que  l'on  aura  résolu. 

Je  dis  donc  d'abord  qu'il  faut  demander  à 
Dieu  qu'il  nous  conduise  :  nous  ne  réussi- 
rions pas  si  lui-même  ne  nous  conduisait.  II 
n'y  a  qu'à  faire  réflexion  sur  les  paroles  du 
Prophète  :  Ducam  eam  in  solitudinem  :  Je  la 
mènerai  dans  la  solitude.  Il  faut  que  ce  soit 
lui  qui  y  mène  l'âme,  car  autrement  il  ne 
lui  parlera  pas  au  cœur  :  Et  loqnar  ad  cor. 

Ce  ne  doit  donc  être  aucun  motif  humain 
qui  nous  engage  dans  cet  exercice  :  ce  ne  doit 
être  ni  la  coutume, quoique  bonne  et  louable, 
c'est-à-dire  qu'on  ne  doit  point  se  mettre  en 
retraite  parce  qu'on  s'y  met  à  certains  temps 
et  que  cette  pratique  est  établie  dans  la  mai- 
son ;  car  si  l'institution  est  bonne,  l'intention 
n'est  pas  suffisante.  Il  faut  des  vues  dignes 
d'un  enfant  de  Dieu  qui  veut  s'approcher  de 
son  père  pour  en  êlre  instruit, et  d'une  épouse 
qui  veut  jouir  des  embrassements  de  son 
époux  et  parler  avec  lui  le  langage  du  cœur. 
Ce  ne  doit  pas  être  non  plus  la  crainte  d'être 
distinguée  si  on  ne  faisait  pas  ce  que  font  les 
autres  :  car  ce  serait  agir,  selon  que  le  dit 
saint  Paul,  comme  des  esclaves, par  la  crainte 
d'être  punis,  et  non  pas  par  l'amour  de  son 
devoir.  Cette  vue  est  indigne  des  servantes 
de  Jésus-Christ,  dit  l'Apôtre  :  Ut  servi  Chrisli 
facientes  volunlatem  Dei  ex  animo.  11  faut 
faire  son  œuvre  avec  une  pleinevolonté  etdu 
fond  du  cœur.  Enfin  l'humeur  ne  doit  entrer 
pour  rien  dans  la  résolution  que  nous  pre- 
nons d'entrer  en  retraite  :  et  j'entends  par 
humeur  un  certain  amour  du  repos,  une  tié- 
deur qui  provient  d'un  tempérament  taci- 
turne, quelquefois  même  uucccrlaine  indiffé- 
rence pour  les  autres,  de  qui  on  n'est  pas 
fâché  do  se  séparer  pour  jouir  de  soi-même. 

Il  faut  %onc  que  ce  soit  Dieu  qui  nous 
conduise  :  Ducam  eam;  il  n'y  a  que  lui  qui 
puisse  nous  y  mener  utilement,  car  il  dit 
qu'il  parlera  à  celle  qu'il  conduira.  Or,  que 
dirail-il  à  celles  qui  n'iraient  que  parce  que 
les  autres  y  vont?  Il  ne  parle  qu'à  ci  lies 
qu'il  conduit.  Que  dirait-il  à  celles  qui  n'i- 
raient que  pour  éviter  d'être  reprises?  H  n'a 
rien  à  leur  dire,  car  elles  sont  satisfaites, 
puisqu'elles  évitent  le  reproche  de  leurs 
sœurs.  Enfin  que  pourraii-il  dire  à  celles 
qui  y  vont  par  humeur?  Il  leur  dirait  :  Pre- 
nez soin  de  vous  entretenir  vous-mêmes, 
puisque  vous  n'êtes  entrées  ici  que  pour 
vous-mêmes.  Et  ne  prenez  pas  ici  le  ch;ingc, 
mes  chères  sœurs,  il  y  a  une  sorte  de  lan- 
gage que   Dieu  tient  à  celles  qu'il  n'a  pas 

'28 


«75 


OKATEDns  SACRES.  DOM  1EROME. 


876 


conduites,  fort  différent  île  celui  qu'il  lienl  a 
cellea  qui  ton!  conduite!  par  ion  esprit. 

Il   est  des  unes  et  dei  autres  comme   'les 
Juifs  et  des  chrétien*  :  il  est certain  que  Dit  n 

8  parlé  aux  Juils  par  la  bouche  des  prophète-, 
cependant  les  Juifs  oe  sont  poinl  entrât  dans 
L'intelligence  de  la  loi  :  ils  eu  ont  reçu  la  let- 
tre, et  ils  n'en  ont  point  reçu  l'esprit;  il  en 
a  u--é  avec  eux  comme  ils  en  usaient  eux- 
mêmes  avec  lui  :  ils  lui  donnaient  l'extérieur 
sans  lui  donner  le  cœur;  il  leur  a  donné 
la  lettre  de  la  loi  sans  leur  en  donner  l'espnl  ; 
ils  portaient  les  Ecritures  qui  contenaient  les 
promesses  et  loules  les  vérités  de  la  religion 
qui  enseignaient  Jésus-Christ,  cependant  ils 
ne  l'ont  point  connu;  ils  ont  été  iaus  le  dé- 
sert, ils  é  aient  au  pied  de  la  montagne  où 
Dieu  donnait  la  loi  à  Moïse,  et  ils  ne  I  ont 
point  entendu;  ils  la  voyaient,  et  ils  ne  la 
comprenaient  pas. 

Mais  à  légard  des  chrétiens,  il  en  a  usé 
ci'une  autre  manière  :  il  leur  a  donné  l'esprit 
de  la  loi  ;  il  t<e  s'est  pas  contenté  d'écrire 
pour  eux  lu  lui  sur  des  tables  de  pierre,  dit 
saint  Paul,  mais  sur  des  tables  de  chair,  qui 
sont  nos  cœurs.  Le  cœur  de  l'homme  est  donc- 
comme  du  papier  sur  lequel  Dieu  écrit;  ce 
qu'il  y  écrit,  c'est  la  charité,  c'est  son  amour; 
et  l'instrument  dont  il  se  sert  pour  écrire, 
c'est  le  Saint-Esprit,  qui  est  appelé  le  doigt 
de  Dieu.  Qu'est-ce  donc  que  recevoir  l'esprit, 
et  non  pas  la  lettre  seulement?  c'est,  mes 
sœurs,  recevoir  de  Dieu,  qui  nous  parle  en 
nous  donnant  la  1  i,  la  grâce  et  la  charité 
qui  fait  garder  la  loi;  c'est  ce  que  signiûent 
les  paroles  du  Prophète  :  Je  parlerai  à  son 
cœur  :  Loquar  ad  cor. 

Or,  revenons.  Comme  il  y  a  eu  des  Juifs 
au  cœur  de  qui  il  a  parlé,  comme  Abraham, 
Isaac  et   Jacob,  qui  n'étaient  juifs   que  de 
nom,  il  y  a  des  chrétiens  qui   sont  juifs  en 
cflet,  au  cœur  de  qui  il  ne  parle  point.  Il  y 
a  des  épouses  de  nom  au  cieur  de  qui  il  ne 
parle  point  non  plus  :  ce  sont  celles  qui  ne 
sont  pas  conduites  par  son  esprit,  mais  par 
des  vues  purement  humaines.  11  leur  parle, 
elles  connaissent  leurs  devoirs,  elles  n  igno- 
rent pas  les  vérités,  mais  elles  n'ont  que  la 
lettre  qui  tue,  comme  dit  saint  Augustin.  La 
loi  nous  fait  bien   connaître  le  péché,  mais 
ellcnenousle  fait  poir.léviler, elle  l'augmente, 
bien  loin  de  le  diminuer.  Le   mal  du   viole- 
ment  de  la  loi  est  surajouté  au  mauvais  dé- 
sir   que   la  cupidité  fait  nailre.  Ainsi,  mes 
chères  sœurs,  la  connaissance  de  la   vérité 
ne  sert  alors  qu'à  nous  rendre  plus  coupa- 
bles, quand  nous  ne  la  pratiquons  pas.  Les 
lumières  sur  la  vertu,  les  instructions  sur  la 
pratique  du  bien,  les  grâces  que   Dieu  nous 
fait  dans  une  retraite,  les  avertissements  que 
nous  y  recevons,  les  voies  qu'on  nous  y  ou- 
vre pour  avancer  dans   la  justice,  tout  cela 
nous  rend  plus  criminels;  car  en  ne  les  sui- 
vant pas  nous  ajoutons  le  mépris  de  tous  les 
avantages  à  l'amour  de  nons-mémes.  C'est  là 
ce  fonds  de  cupidité  intérieure  qui  nous  em- 
pêche d'en  profiter.  Dieu   nous  parle   mais 
notre  cœur  ne  lui   parle  point  :  ce  cœur    si 
occupé  à  d'aulros  choses,  il  écoute  un  autre 


langage.  C'eet  donc  ,i  vous,  ô  mon  Dieu,  que 
je  m'adresse  pour  roni  dire  comme  votre 

Propfa  t''  !  l>  due  me,  Domine,  xu  -rmiliiin 
mandalontm  tuortttn,  quia  iptcwn  wolui  :  1  ai- 
tes-moi  marcher  iê  I  le  sentier  de  vos  pré- 
ceptes, car  c'est  tout  ce  que  je  désire. 

Prenez  jiarde  cependant,  mes  très-chères 
sœurs,  que  quoique  le  Prophète  désire  de 
marcher  dans  la  w>ie  des  préceptes,  et  qu'il 
dise  avec,  vérité  qu'il   le  vent  e!  qu'il  l'aime, 
quia  ipsam  volui,  cependant  cette  volonté  ne 
sultil  pa>,  et  il  a  besoin  que  Dieu  lui  serve  de 
conducteur;  car  qu'est-ce  que  cette  volonté? 
Combien    de   lois   ai-je  été   trompe!  que   de 
retraites  sans  fruit  (que  de  résolutioni  susu 
exécution!  il    faut  donc,  Seigneur,  que  ro«S 
soyez  mon   conducteur,   il   faut  que   ce  soit 
vous  qui   me  meniez  dans   la   solitude,  pour 
que  j'en  puisse  recueillir  les  fruits;  sans  ce 
nouveau  secours,  tous  mes  efforts  seront  in- 
utiles, et  je  sortirai  de  la  retraite,  où  j'entre 
aujourd'hui,   plus  criminelle  que  je  n'étais 
en  y  entrant.  Je  me  défie  de  ma  volonté,  je 
vous  demande  celle  que  vous  formez  vous- 
même;  car  j'ai  appris  de  votre  saint  Apôtre 
que  tout  dépend  de  Dieu  qui  fait  miséricorde. 
Encore  une  lois,  qu'est-ce  que  cette  volon  é 
qui  n'est    qu'inconstance    et  que    léj    retél 
Qu'est-ce  que  des  fore  s  humaines  qui  ne  sont 
qu'impuissance  et  faiblesse  !  Qu'est-ce  enfin 
que  tout  le  fonds  d'une  créature  qui  n  est 
que   misère,   faiblesse  et   dis  ipalion!  C'est 
donc  à  vous,  Seigneur,  que  je  m'adresse,  et 
puisque  vous  promettez  de  conduire  dans  la 
solitude  celle  que  vou*  aurez  attirée  douce- 
ment à   vous  :  Ecve  eqo   luelabo  eam,  et  de 
parler  à  son  cœur,  et  loquar  ad  cor,  j'ose 
présumer  que  je  suis  de  ce  nombre,  aptes 
toutes  les  miséricordes  que  j'ai  reçues  de  vo- 
tre bonté,  et  j'espère  encore  la  grâce  de  réus- 
sir dans  cette  retraite. 

Mais  il  y  a,  mes  chères  sœurs,  une  seconde 
disposition,  dont  nous  devons  parler  :  il  faut 
s'exposer  aux  ministres  de  Jesus-ChrM  s  us 
déguisement,  et  se  montrer  tels  que  nous 
sommes,  afin  qu'ils  nous  révèlent  le  fond  do 
notre  cœur  et  qu'ils  nous  aident  à  nous  con- 
naître parfaitement,  car  c'est  le  fruit  prin- 
cipal de  noire  retraite.  Celte  seconde  propo- 
sition est  importante,  et  pour  la  Lien  entendre 
il  faut  être  persuadés  que  nous  avons  besoin 
d'un  ministre  de  Jésus-Christ  qui  nous  con- 
duise en  son  nom  dans  noir'  retraite,  qu'il 
faut  lui  découvrir  notre  cœur  et  se  montrer 
à  lui  tels  que  nous  sommes,  enfin  que  le 
principal  office  qu'il  puisse  nous  rendre, 
c'est  de  nous  aider  à  nous  connaître,  car 
c'est  à  quoi  il  faut  tendre  dans  la  retraite. 

El  d'abord  je  vous  dirai,  mes  chères  sœurs, 
ce  que  Tobie  dit  à  son  fils  lorsqu'il  était  prêt 
à  partir  pour  s'en  aller  au  pays  des  Mèdea 
dans  la  ville  de  llauès  :  Perge  mine,  et  in- 
quire  tibialiquem  fidclcm  virum  qui  eut  treum: 
Aile/  chercher  présentement  quelque  homme 
fidèle  qui  puisse  aller  arec  tous.  Meeroyexpat 
vous  suf/iie à  9ou» même, disait  sainl  Jérôme 
à  Rustique,  et  ne  tout  menez  p«s  en  chemin 
sans  un  quidc.  Après  tout,  c'est  l'ordre  de 
Dieu,  cl  voici  uuc  .belle  idée  du  iondemeul 


877 


DEUXIEME  DISCOUItS  POUR  UNE  RETRAITE. 


.578 


de  cet  ordre,  selon  la  pensée  de  saint  Au- 
gustin. Il  est  dit  au  IIe  chapitre  «le  la  Genèse 
qu'il  sortait  de  la  terre  une  fontaine  qui  ar- 
rosait toute  la  surface  du  paradis  terrestre, 
et  il  est  dit  auparavant  que  Dieu  n'avait  point 
encore  fait  pleuvoir  sur  la  terre,  et  qu'il  n'y 
avait  point  d'hommes  pour  la  labourer.  Ceci, 
dit  saint  Augustin,  nous  marque  la  différence 
du  premier  homme  dans  son  innocence,  et 
des  hommes  sortis  de  lui  après  le  péché; 
car  alors  le  cœur  de  l'homme  étanl  pur  et 
tel  que  Dieu  l'avait  créé,  il  n'avait  pas  besoin 
d'être  instruit  par  un  autre  homme,  comme 
une  lerre  qui  a  besoin  d'être  arrosée  par  les 
eaux  de  la  pluie;  mais  il  avait  dans  lui- 
même  la  souveraine  vérité,  qui,  comme  une 
source  de  lumière  et  de  grâce  éclairait  son 
esprit  et  remplissait  sans  cesse  le  fond 
de  son  cœur  :  De  fonte  suo  mimante  verilate 
saliabatur  ;  mais  après  que  le  premier  homme 
s'est  élevé  contre  Dieu,  et  que,  sortant  en 
quelque  sorte  de  lui-même  par  son  orgueil, 
il  a  perdu  ce  trésor  intérieur  et  spirituel,  et 
nous  a  tous  réduits  avec  lui  à  une  extrême 
indigence,  nous  avons  besoin  nécessairement 
d'apprendre  la  vérité  de  la  bouche  des  minis- 
tres de  Dieu,  qui  sont  comme  des  nuées  spiri- 
tuelles par  lesquelles  le  Saint-Esprit  répand  les 
eaux  de  sa  ^râce  pour  arroser  la  sécheresse 
etla  siérilité  des  âmes.  C'est  par  eux  que  celte 
pluie  que  Dieu  a  destinée  pour  les  peuples 
qui  sont  son  héritage  est  répandue  :  c'est 
une  pluie  qui  vient  immédiatement  du  ciel, 
où  elle  est  formée,  comme  la  pluie  ordinaire 
qui  se  forme  des  vapeurs  que  le  soleil  élève 
de  la  terre;  et  comme  Dieu  se  sert  de  ses  mi- 
nistres pour  la  répandre,  c'est  à  eux  qu'il 
faut  aller  pour  la  recevoir.  Ainsi  donc, 
comme  Tobie  dit  à  son  fil  s  prêt  à  se  mettre 
en  chemin  :  Cherchez  présentement  un  homme 
fidèle,  on  ne  doit  point  marcher  dans  le  désert 
sans  un  Moïse  pour  nous  conduire:  c'est  lui 
qui  fait  tomber  la  manne,  c'est  lui  qui  fait 
tomber  des  rochers  des  eaux  abondantes,  qui 
abreuvent  et  qui  désaltèrent.  Nous  avons 
donc  besoin  d'un  ministre  de  Jésus-Christ 
qui  nous  conduise  en  son  nom  dans  cette 
retraite;  il  faut  lui  découvrir  noire  cœur  et 
se  montrer  à  lui  tels  que  nous  sommes.  Il 
ne  faut  que  faire  réflexion  sur  ce  qui  se  passa 
entre  l'ange  qui  conduisit  Tobie  et  ce  jeune 
homme,  pour  se  former  une  idée  de  la  cou-  j 
duile  qu'il  faut  tenir  avec  le  ministre  de  Jé- 
sus-Christ, qui  prend  soin  de  nous  conduire 
dans  la  solitude,  afin  de  parvenir  â  une  heu- 
reuse alliance  avec  le  Seigneur,  qui  doit 
être  la  lin  de  noire  retraite,  cl  qui  est  figurée 
par  celle  du  jeune  Tobie  avec  la  fille  de  Ra- 
:;uel.  On  y  voit  un  abandonnement  entier  de 
ce  jeune  homme,  à  l'égard  de  l'ange  Raphaël, 
un  soin  étonnant  de  lui  découvrir  toutes  ses 
craintes,  une  confiance  entière  à  lui  expo- 
ser tous  ses  besoins,  une  fidélité  parfaite  à 
exécuter  tout  ce  qu'il  lui  ordonne,  et  par  là 
un  succès  merveilleux  de  toute  celle  con- 
duite, qui  comble  de  joie  les  deu\  familles 
de  Tobie  et  de  Raguel.  C'est  la  manière  dont 
il  en  faut  user  avec  le  ministre  de  Jésus- 
Cbrisl  :  il  faut  avec  une  sage  ingénuité  lui 


découvrir  les  maladies  de  son  âme  sans  dis- 
simulation, évitant  les  manières  de  se  dé- 
couvrir en  s'excusant,  de  rejeter  les  défauts 
d'observance  sur  l'infirmilé,  les  manque- 
ments contre  la  charité  sur  les  manières  du 
prochain,  certaines  entreprises  contre  la  dé- 
pendance sur  les  airs  rudes  et  impolis  des 
personnes  do  qui  on  dépend,  en  un  mot, 
voulant  bien  donner  quelque  chose  aux  re- 
proches de  sa  conscience,  mais  voulant  d'ail- 
leurs ménager  l'amour-propre,  qui  n'aime 
ni  la  contrainte  ni  l'humiliation.  Gardons- 
nous  bien  du  mauvais  artifice  de  ceux  qui 
font  une  espèce  de  violence  à  ceux  qu'ils  con- 
sultent sur  leurs  défauts,  qui  ne  découvrent 
qu'à  demi  les  raisons  qui  pourraient  porter 
les  ministres  de  Jésus-Christ  à  retrancher 
ce  qu'ils  ne  voudraient  pas  quitter,  et  qui  au 
contraire  s'appliquent  à  faire  valoir  tout  ce 
qui  est  favorable  à  leurs  inclinations  :  de 
sorte  que,  faisant  pencher  celui  qu'ils  con- 
sultent du  côté  qui  leur  plaît  davantage,  ils 
réussissent  à  se  tromper  eux-mêines  en  trom- 
pant ceux  qu'ils  neconsultent  que  pour  trou- 
ver une  sorte  d'approbation  ;  ce  qui  ne  sert 
qu'à  les  faire  marcher  avec  une  pernicieuse 
confiance  dans  la  voie  de  leurs  passions.  Ne 
faisons  pas  non  plus  comme  ceux  qui  n'ex- 
posent que  de  certains  défauts  sur  lesquels 
on  est  indifférent,  mais  qui  gardent  un  pro- 
fond silence  sur  les  principaux  objets  de  leurs 
attaches,  qu'ils  justifient  toujours  quand  la 
conscience  les  leur  représente,  et  qu'ils  met- 
tent toujours  du  nombre  îles  choses  sur  les- 
quelles ils  ont  besoin  d'avis  :  de  sorte  qu'a- 
près vingt  jours  de  retraite  et  un  nombre 
infini  de  conférences  avec  les  ministres  de 
Jésus-Christ,  on  se  trouve  dans  les  mêmes 
défauts,  dans  les  mêmes  passions,  et  sans 
aucun  avancement,  soit  dans  la  perfection, 
soit  dans  les  voies  de  la  justice  chrétienne. 

Eloignons-nous  de  ces  dangereux  artifices 
de  l'amour-propre;  agissons  avec  droiture 
lorsqu'il  s'agit  de  nos  plus  importants  inté- 
rêts; exposons  notre  cœur  avec  simplicité  , 
et  attirons  sur  nous  les  lumières  du  ciel  par 
la  pureté  de  nos  intentions;  autrement  nous 
nous  priverions  du  principal  office  que  nous 
doit  rendre  celui  qui  nous  conduit ,  qui  est 
de  nous  révéler  notre  propre  cœur,  et  nous 
donner  la  connaissance  de  l'état  de  notre 
àme.  C'est  pour  cela  que  le  prophète  Mala- 
chie  nous  dit  que  les  lèvres  du  prêtre  seront 
les  dépositaires  de  la  science,  et  que  c'est  de 
sa  bouche  que  l'on  recherchera  la  connaissance 
de  la  loi,  parce  qu'il  est  l'ange  du  Seigneur 
des  armées,  c'est-à-dire  son  ambassadeur  et 
l'interprète  de  ses  volontés. 

Il  ne  nous  reste  plus  qu'une  chose  à  dire 
pour  finir  cet  entretien,  c'est  de  demander  à 
Dieu  que  nous  puissions  former  dans  noire 
cœur  une  résolution  sincère  ,  solide  ,  vraie  , 
de  renoncer  à  tout  ce  qui  forme  quelque  ob- 
stacle à  notre  avancement  dani  le  bien. 
Adressons-nous  avec  l'Eglise  à  l'adorable 
Trinité,  pour  demander  à  chacune  des  per- 
sonnes en  particulier  ce.  qu'elle  lui  demande 
pour  tou^  les  fidèles  :  lia  posse  quod  jubés  ; 
J'atcr  :  Père  éternel ,  rendez-nous  capables 


871) 


ORATEURS  ^  M  i. 


d'exécuter  tout  ce  que  vous  nous  comman- 
dez pour  arriver  à  la  perfection.  Ha  scire, 
Fili,  quod  doees  :  lils  de  Dieu,  lumière  éier- 
11  t-IIe,  source  de  toute  vérité  ,  faites-nous 
connaître  les  voies  de  la  justice  et  loute  l'é- 
tendue de  la  perfection.  Foc  corde  loto,  Spi- 
ritus,  nos  telle  (juod  probas  botium  :  Esprit- 
Saint,  qui  donnez  la  bonne  volonté,  donnez- 
nous  l'amour  de  la  justice  ,  formez  en  nous 
ce  désir  plein  et  efficace  de  inarcher  dans 
toutes  les  voies  de  la  perfection.  Ainsi 
soit-il. 

TROISIÈME    DISCOURS 

Descendat  a  l  singulare  certaim-n. 

Qu'il  vienne  1e  bullre  seul  à  seul  (I  Rey.,  XVII,  10). 

Après  vous  avoir  parlé  dans  le  dernier  en- 
tretien des  dispositions  générales  et  éloi- 
gnées pour  réussir  dans  la  retraite,  je  vais 
vous  parler  aujourd'hui  des  dispositions 
plus  particulières  et  plus  prochaines  ,  sui- 
vant ce  que  porte  ce  texte  du  premier  livre 
des  Rois  :  Qu'il  vienne  se  battre  seul  à  seul. 
Le  Philistin  qui  (il  cette  proposition  était  un 
homme  plein  de  lui-même,  que  l'orgueil  et 
la  confiance  en  ses  propres  forces  faisait 
parler,  croyant  qu'il  n'y  avait  personne  dans 
tout  Israël  qui  fût  capable  de  lui  résister.  Or, 
mes  chères  sœurs,  nous  nous  servons  des 
paroles  de  ce  superbe  Philistin  aQn  de  vous 
faire  sentir  que  nos  pensées  doivent  être 
bien  éloignées  de  ses  sentiments.  Il  se  con- 
fiait en  ses  propres  forces  ,  et  nous  devons 
nous  défier  des  nôtres;  il  donnait  dans  l'il- 
lusion, et  nous  voulons  apprendre  à  l'éviter. 
Rejetons  ces  sentiments  ,  profitons  de  ses 
paroles  ,  et  tirons-en  trois  instructions  pro- 
pres à  nous  faire  entrer  dans  des  disposi- 
tions aussi  prochaines  que  nécessaires  pour 
réussir  dans  notre  retraite. 

1°  Il  ne  faut  pas  se  contenter  de  certaines 
vues  vagues  et  générales  de  perfection  <'l  de 
changement  de  vie  et  d'avancement  dans  le 
bien  ,  qui  se  terminent  à  peu  de  chose  , 
et  souvent  à  rien  :  Descendat  ad  singulare 
cerlamen.  2°  Ayant  choisi  son  ennemi,  il 
faut  sur-le-champ  prendre  des  mesures  pour 
le  combattre  :  Descendat  ad  singulare  cerla- 
men. 3"  Il  faut  se  porter  avec  vivacité  à  dé- 
truire ce  que  nous  sentons  être  plus  opposé 
aux  desseins  de  Dieu  sur  nous,  et  s'éloigner 
de  tout  ce  qui  peut  faire  plus  d'obstacle  à 
notre  perfection  :  Descendat  ad  singulare  cer- 
tamen. 

Et  d'abord  instruisons-nous,  mes  chères 
sœurs  ,  et  reconnaissons  les  illusions  que 
nous  nous  taisons  à  nous-mêmes  dans  l'ou- 
vrage de  notre  salut  et  de  notre  perfection  : 
car  nous  sommes  convaincus  que  nous  ne 
saurions  non-seulement  arriver  à  la  perfec- 
tion ,  mais  même  au  salut,  sans  la  connais- 
sance, l'amour  et  la  pratique  de  la  vérité.  La 
connaissance  de  la  vérité  nous  fait  plaisir  , 
niais  l'amour  de  la  vérité  nous  trompe  ,  et 
nous  pensons  l'avoir  quand  il  n'en  est  rien. 
D'ailleurs,  la  pratique  de  la  vérité  nous  dé- 
courage; or  c'est  par  ce  découragement  que. 
nous  pouvons  reconnaître  que  nous  n'avons 
qu'une  connaissance  stérile  et  qu'un  faux 


F.S.  DOM  JEROME-  .180 

amour  de  la  vérité.  En  effet,  la  jo;e  que  nous 
donne  la  connaissance  de  la  vérité  nooi  la 

lait  recevoir  avec  plaisir  :  ainsi,  quand  il  ne 
s'agit  que  d'une  certaine  lum  ère  que  la  vé- 
rité porte  dans  l'esprit  où  elle  est  reçu.'  .  il 
lui  est  toujours  ouvert;  toutes  les  vérités 
spéculatives  se  font  recevoir  sans  peine, 
comme  l'unité  de  l'essence  d'un  Dieu  en  trois 
personnes,  la  Trinité  de  ces  personnes  dans 
l'unité  de  l'essence,  et  ainsi  des  autres  véri- 
lés  qui  répandent  la  lumière  dans  l'esprit  ; 
niais  il  n'en  est  pas  de  même  des  vérités  de 
pratique,  c'est-à-dire  de  celles  qui  exigent  de 
nous  des  choses  qui  nous  metteut  dans  quel- 
que sorte  de  contrainte.  Tilles  sont  les  véri- 
tés qui  nous  apprennent  qu'on  n'est  disciple 
de  Jésus-Christ  qu'en  portant  sa  croix  tous 
les  jours  ,  qu'on  n'obtiendra  le  pardon  de 
ses  fautes  qu'en  pardonnant  au  prochain  les 
injures  que  nous  en  avons  reçues,  et  ainsi 
du  reste. 

Comme  ces  vérités  combattent  nos  pas- 
sions, nous  voudrions  ne  les  point  connaître, 
parce  que  le  mauvais  amour  de  nous-mêmes 
s'oppose  à  l'amour  qui  leur  est  dû,  et  le  fonds 
de  notre  corruption  s'oppose  sans  cesse  a  la 
pratique,  qui  est  la  suite  nécessaire  de  l'a- 
mour. Ne  prenons  point  le  change,  en  disant 
que  nous  recevons  les  vérités  pratiques 
comme  les  spéculatives,  parce  que  nous 
convenons  des  unes  comme  des  autres  ,  et 
que  nous  sommes  aussi  sûrs  et  aussi  soumis 
à  la  vérité  qu'il  faut  porter  sa  croix  pour 
être  sauvé  ,  comme  à  celle  qui  nous  oblige 
de  croire  le  mystère  de  la  sainte  Trinité. 

C'est  ici  que  notre  amour-propre  nous 
fait  illusion  ,  en  séparant  ce  qu'il  y  a  de 
dogme  et  de  croyance  d'avec  ce  qu'il  y  a  de 
pratique.  Nous  convenons  qu'il  faut  porter 
sa  croix  ,  et  nous  honorons  cette  vérité  pré- 
cisément comme  vérité,  ainsi  que  nous  ho- 
norons la  vérité  d'un  mystère  spéculatif.  Je 
dis  plus  :  nous  croyons  [aimer,  et  c'est  ici 
que  notre  cupidité  nous  trompe  ,  et  que  l'a- 
niour-propre  nous  fait  illusion  :  car  1  amour 
des  vérités  dogmatiques  se  termine  à  l'ado- 
ration, mais  celui  des  vérités  pratiques  ne  se 
prouve  que  par  l'action  et  par  la  pratique 
de  la  vertu  que  la  vérité  nous  enseigne  ,  ce 
qui  est  le  fruit  et  la  production  de  l'amour. 

Nous  convenons  donc,  mes  chères  sœurs  , 
de  toutes  les  propositions  générales  .  qu'il 
faut  porter  sa  croix,  qu'il  faut  combattre  ses 
passions  ,  que  nous  n'arriverons  à  la  gloire 
que  par  la  voie  des  humiliations,  et  le  reste; 
mais  nous  ne  lirons  point  de  ces  vérités  II  >> 
conséquences  qu'il  en  faut  tirer;  ce  n'est  pas 
assez  de  dire  :  11  faut  se  faire  violence,  il  est 
nécessaire  d'agir  en  conséquence.  Je  vais 
donc,  se  faut-il  dire  à  soi-même,  faire  telle 
action,  agir  de  telle  manière.  Nous  sommes 
de  mauvais  logiciens  dans  l'affaire  du  salut  et 
de  notre  perfection;  nous  admettons  les  preu- 
ves d'une  proposition,  et  noua  n'en  lirons  pres- 
que jamais  les  conséquences  .  connue  nous 
le  devons.  Saint  Thomas  dit  dans  quelque 
endroit  que  si  le  démon  prêchait,  il  prêche- 
rait comme  certaines  gens  qui  >e  contentent 
de  proposer  des  vérité»  générales,  sans  nous 


881 


TROISIEME  DISCOURS  POUR  UNE  RETRAITE. 


832 


mener  à  la  pratique,  en  nous  ouvrant  sim- 
plement les  voies  pour  faire  ce  qu'ils  nous 
ont  enseigné;  car  le  démon  convient  malgré 
lui  de  toutes  les  vérités  générales,  qu'il  faut 
aimer  Dieu,  faire  pénitence,  porter  sa  croix  ; 
mais  il  s'en  lient  là. 

Ainsi,  mes  chères  sœurs  ,  défions-nous  de 
ces  vues  vagues  et  générales  ;  donnons-nous 
bien  de  garde  de  nous  en  tenir  à  dire  :  Je 
veux  réformer  ma  conduite,  je  veux  com- 
battre mes  passions,  je  ne  veux  plus  languir 
dans  les  misères  qui  m'accablent ,  je  veux 
sortir  de  celte  retraite-ci  tout  autre  que  je 
n'y  suis  entrée  ,  je  veux  me  renouveler  en 
esprit,  cl  prendre  une  nouvelle  vigueur  pour 
marcher  à  grands  pas  dans  les  voies  de  la 
perfection  de  l'état  que  j'ai  embrassé. 

Défions-nous,  encore  un  coup,  de  ces  vues 
vagues;  on  n'aime  pas  ce  qui  peut  conduire 
au  renouvellement  d'esprit ,  parce  qu'on  le 
connaît  simplement.  On  revient  du  désert  , 
comme  on  y  est  entré ,  quand  on  n'y  entre 
qu'avec  des  vues  générales  ;  on  rapporte  ses 
imperfections  et  ses  défauls,  quand  on  ne  les 
regarde  qu'en  gros.  Semblable  à  ces  peuples 
dont  il  est  parlé  dans  le  IV"  livre  des  Rois  , 
qui  écoutaient  avec  une  sorte  d'attention  ce 
que  leur  disait  le  prêtre  du  Seigneur,  lou- 
chant l'obligation  de  servir  Dieu,  et  touchant 
la  sévérité  de  ses  jugements;  ils  concevaient 
des  sentiments  de  crainte  et  de  respect  pour 
le  Seigneur,  mais  en  même  temps  ils  sui- 
vaient leurs  idoles.  Avec  les  vues  vagues  et 
générales,  on  accommode  Dieu  et  les  idoles  ; 
on  se  propose  une  certaine  idée  de  réforma- 
tion,dechangement, mais  on  demeure  attaché 
aux  choses  qui  font  obstacle  à  notre  avan- 
cement dans  le  bien.  On  se  repaît  de  l'idée 
de  la  perfection  ,  et  on  ne  rompt  point  avec 
les  objets  qui  nous  retiennent  dans  la  fai- 
blesse. Dieu  se  trouve  dans  la  suprême  ré- 
gion de  l'esprit,  et  la  créature  demeure  dans 
le  fond  du  cœur.  Je  vous  renvoie  à  vous-mê- 
mes, mes  chères  sœurs  :  voyez  le  profit  que 
vous  avez  tiré  des  retraites  précédentes  où 
vous  n'avez  eu  que  des  vues  vagues  et  géné- 
rales de  perfection  et  de  changement.  Il  faut 
donc  s'attacher  à  un  défaut  pour  le  combat- 
tre ;  il  faut  reconnaître  quelle  est  la  passion 
dominante  et  entreprendre  de  la  surmonter; 
il  faut  convenir  de  ce  qui  est  le  plus  puis- 
sant obstacle  à  noire  salut  avec  le  ministre 
de  Jésus-Christ  qui  nous  conduit ,  et  pren- 
dre des  mesures  pour  le  détruire.  C'est  ce 
que  j'ai  appelé  se  battre  seul  à  seul  :  Descen- 
dat  ad  singulare  eertamen. 

Quand  un  gios  d'ennemis  vient  à  une  ar- 
mée, et  que  nous  n'avons  pas  assez  de  force 
pour  le  vaincre  ou  pour  lui  résister,  on  se 
retranche,  on  ne  s'expose  point  à  ses  efforts, 
on  cherche  un  poste  avantageux,  et  si  l'on 
peut  le  prendre  au  déGIé,  on  en  vient  à  bout. 
Voyez  ce  fier  Philistin  :  quelque  confiance 
qu'il  eût  en  sa  (aille  énorme  ,  en  ses  armes 
excellentes,  en  sa  force  extraordinaire,  il  ne 
se  présente  pas  néanmoins  pour  combattre 
lui  seul  contre  toute  l'armée  d'Israël;  il  de- 
mande qu'on  choisisse  un  homme  d'entre  le 
peuple  de  Dieu  :  Lligitc  ex  vohis  virum ,  et 


qu'il  vienne  se  battre  seul  à  seul,  et  descen- 
dat  ad  singulare  eertamen.  Or  ce  choix,  mes 
chères  sœurs,  étant  fait,  il  faut  sur-le-champ 
prendre  des  mesures  pour  le  combattre  : 
c'est  ma  seconde  vérité. 

II  y  a  longtemps  que  saint  Augustin  a  dit 
que  le  vice  qui  nous  domine  le  premier  est 
le  dernier  que  nous  surmontons,  et  il  nous 
fait  remarquer,  dans  le  premier  livre  de  ses 
Confessions,  que  l'on  commence  ordinaire- 
ment dès  l'enfance  à  être  sujet  aux  mêmes  pas- 
sions que  Von  retient  encore  dans  un  âge 
avancé.  Ainsi,  mes  chères  sœurs,  on  peut 
dire  qu'il  en  est  en  quelque  sorte  de  l'homme 
intérieur  et  invisible  comme  de  l'homme  ex- 
térieur et  que  nous  voyons.  Nous  avons  tous 
le  même  principe  de  vie,  qui  est  l'âme;  nous 
sommes  tous  composés  des  mêmes  parties  : 
cependant  chaque  homme  a  au  milieu  de  ces 
mêmes  parties  des  traits  qui  le  distinguent 
de  tous  les  autres,  et  un  certain  degré  de 
singularité  qui  empêche  qu'on  ne  le  confonde 
avec  eux. 

Il  en  est  à  peu  près  de  même  de  l'hommo 
intérieur  et  invisible  qui  est  caché  dans 
le  cœur.  Nous  avons  tous  un  même  principe 
de  vie  :  la  charité  dans  les  justes,  la  cupidité 
dans  les  pécheurs.  Cet  homme  intérieur  a 
cependant  un  degré  d'individualité  qui  le 
dislingue  de  tous  les  autres.  Dans  les  justes, 
à  la  verilé,  c'est  la  vertu,  et  dans  les  pécheurs 
c'est  le  vice;  mais  dans  les  jusles  il  y  a  une 
vertu  favorite  qu'on  pratique  plus  volontiers, 
et  dont  on  n'interrompt  l'exercice  que  diffi- 
cilement :  c'est  proprement  le  penchant,  ou, 
si  vous  voulez,  comme  l'impression  naturelle 
de  la  charité.  De  même,  dans  le  pécheur, 
c'est  un  vice  dominant  qui  entre  presquo 
dans  tous  nos  mouvements,  qui  forme  les 
plus  grands  obstacles  à  notre  perfection  et 
qui  corrompt  toutes  nos  œuvres,  si  nous  ne 
travaillons  continuellement  à  le  combattre. 
Saint  Augustin  l'appelle  le  démon  de  chaque 
homme  :  c'est  ce  démon  qu'il  faut,  attaquer 
sans  cesse;  ce  démon  doux  et  flatteur,  dit  ce 
saint  docteur,  qui  nous  prend  par  des  caresses, 
et  de  qui  le  ton  agréable  et  insinuant  est  bien 
plus  à  craindre  que  celui  du  commandement. 
C'est  pour  celte  raison  que  saint  Bernard 
appelle  la  passion  dominante  et  ce  vice 
propre  qui  forme  tant  d'obstacles  à  l'ouvrage 
de  notre  perfection,  l'enfant  chéri  de  notre 
cœur  et  l'tsaac  bien-aimé  de  chaque  chrétien. 
Entrez  bien  dans  la  pensée  de  ce  Père,  elle 
est  excellente.  C'est  dans  le  sermon  79, 
où,  expliquant  ces  paroles  du  psaume  CVII  : 
ParalwH  cor  meum,  Deus,  mon  cœur  est  pré- 
paré, ô  mon  Dieu!  Le  Prophète  fait  voir,  dit 
ce  grand  saint,  qu'il  doit  >/  avoir  une  double 
préparation  dans  l'âme,  afin  qu'elle  soit  en  état 
de  suivre  Dieu  partout  où  il  l'appelle  ;  car 
elle  est  prête  quelquefois  de  suivre  Dieu  en 
certaines  choses,  et  clic  ne  l'est  pas  de  le  suivre 
dans  1rs  autres.  Quand  Dieu  dit  aux  justes, 
comme  Sara  le  dit  à  Abraham  :  Chassez  celle 
servante  cl  son  fils,  c'est-à-dire,  renoncez  aux 
désirs  de  la  chair  cl  des  sens,  quittez  le  monde 
et  ses  plaisirs,  méprisez  ces  biens  et  suivez- 
moi  dans  la  solitude,  ce  discours  de  Sara,  dit 


OR  ATI  ITtS  SACRES.  DOM  JF.ROMK. 


8*4 


V Ecriture,  parut  dur  à  Abraham;  car  il  ai- 
mait IsmuHl.  Cependant  il  s'en  trouva  qui 
obéissent  à  ce  commandement!  Voui  êtes  de 
ce  nombre,  met  chères  sœurs  :  Dieu  vous  a 

fait  entendre  sa  voix,  cl,  quelque  dur  que 
soit  à  la  nature  ce  commandement  qui  nous 
sépare  de  ce  qui  nous  est  cher,  la  grâce  de 
Jésus-Chrisi  vous  l'a  fait  exécuter. 

Mai;  DieU,  a  joule  saint  Bernard,  a  fait  un 
autre  commandement  à  Abraham  bien  plus 
di/fic  le  à  exécuter  que  le  premier.  Prenez 
Jsauc,  votre  fils  unique,  qui  vous  est  si  iher, 
et  allez  me  l'offrir  en  holocauste;  c'est-à-dire, 
renoncez  à  la  concupiscence  et  a  l'amour— 
propre  qui  est  né  d'elle  ;  immolez-moi  la  de- 
sirs  les  plus  tendres  de  votre  cœur,  cette  in<  li- 
nation  favorite,  ce  vce  dominant  que  nous 
ne  condamnons  jamais  absolument,  et  que  nous 
épargnons  toujours,  dont  nous  ne  confessons 
jamais  les  effets,  sans  les  rejeter  sur  les  con- 
jonctures, et  sans  alléguer  mille  raisons  pour 
le  mettre  à  couvert  de  la  condamnation.  C'est 
là  ce  vice  qu'il  faut  combattre,  c'est  là  ce 
cher  enfant  qu'il  faut  offrir  en  holocauste 
au  Seigneur;  et  de  peur  que  nous  ne  nous 
fassions  illusion  à  nous-mêmes,  et  que  cet 
objet  de  nos  attaches,  revêtu  des  couleurs  du 
bien,  ne  nous  paraisse  une  vertu  dont  il  faut 
défendre  la  pratique  et  soutenir  les  droits, 
écoulez  ce  que  saint  Bernard  ajoute  :  Privez-' 
vous  de  cet  exercice,  bon  en  lui-même,  mais 
mal  placé.  Défaites-vous  de  cette  occupation 
utile  pour  une  autre,  mais  pernicieuse  pour 
vous.  Sortez  de  ce  repos  prétendu  et  de  cette 
tranquillité  trompeuse  que  vous  goûtez  dans 
une  oisiveté  consacrée  par  l'amour-propre, 
sous  le  nom  spécieux  de  prière  et  de  contem- 
plation. Quittez  toutes  ces  pratiques  pour  vous 
rendre  à  l'obéissance.  Interrompez  ces  exer- 
cices pour  rendre  au  prochain  les  devoirs  que 
la  charité  demande  de  vous.  Comprenez  bien 
que  comme  toute  la  grandeur  et  toute  la  sain- 
teté d'Abraham  a  consisté  dans  la  plénitude 
de  sa  foi  et  de  sa  dépendance  absolue  du  pou- 
voir souverain  de  Dieu,  qui  en  est  insépara- 
ble, toute  votre  per fiction  consiste  à  faire  la 
volonté  de  Dieu,  et  que  le  plus  grand  obstacle 
que  vous  puissiez  y  apporter,  c'est  de  vous 
conduire  par  la  vôtre.  Déûez-vous  donc  de 
toutes  les  entreprises,  quoique  saintes  en 
apparence,  où  vous  u'étes  conduites  que  par 
goût  et  où  votre  volonté  seule  a  part. 

11  faut  se  porter  avec  vivacité  contre  tout 
ce  qui  s'oppose  en  nous  à  la  volonté  de 
Dieu,  et  s'éloigner  de  lout  ce  qui  fait  obstacle 
à  notre  avancement  dans  le  bien.  Il  ne  faut 
ménager  ni  penchant,  ni  habitude,  ni  incli- 
nation, ni  pratique,  ni  exercice  de  vertu,  au 
préjudice  de  celle  dépendance  absolue  de  la 
volonté  connue  de  celui  sans  qui  nous  ne 
pouvons  que  nous  égarer.  11  faut  donc  égor- 
ger cette  passion  dominante,  celle  funeste 
production  de  noire  amour- propre,  sous 
quelque  figure  qu'elle  puisse  se  cacher.  Il  eu 
faut  user  comme  Samuel  en  usa  à  l'égard 
d'Agag,  ce  malheureux  roi  d'Amalec  que 
S.iùJ  avait  ménagé  contre  l'ordie  de  Dieu  : 
il  faut  le  couper  en  morceaux,  il  faut  lout 
détruire,  lout  arrachor,  ne  laisser  aucune 


fibre  de  cette  malheureuse  racine;  c'est-. i- 
dire  qu'il  faut  prendre  sur-le-cha  |  devant 
le  Seigneur  toutes  les  mesures  peur  réussir 

dans  ce  sacrifice  si  important  pour  notre 
perfection. 

Je  vous  laisse  le  soin  <!e  prendre  ces  me- 
sures arec  le  ministre  de  Jésus-Chrisl  oui 
vous  conduit.  Adressez-vous  i  lui,  m  -  li 
chères  sœurs;  et  comme  autrefois  Seul,  percé 

d'un  coup  dont  il  ne  pouvait  pas  L'u  rit ,  di- 
sait à  un  soldat  échappé  du  peuple  d'Ama- 
lec :  Appuyez  -  nous  sur  moi,  el  achevez 
de  me  luer  ,  parce  que  mou  Ame  S*t 
tout  entière  en  moi,  adbuc  tut  a  anima  sera 
in  me  est;  dites  comme  lui  à  votre  guida  :  Je 
me  défie  de  moi-même;  les  inclinaiious  de 
mon  amour-propre  sont  encore  toutes  vi- 
vantes ;  la  nécessité  d'y  renoncer  m'est  con- 
nue, je  n'ai  pas  la  force  de  prendre  des  me- 
sures pour  y  réussir,  je  suis  dans  un  acca- 
blement de  douleur;  je  veux  el  je  ne  veux 
pas,  sta  saper  me,  rendez-vous  maître  de 
celle  volonté  rebelle,  et  inlerfice  me,  et  donnez 
le  coup  de  la  mort  a  cet  am<>ur-pr  pre  si  op- 
posé à  ma  perfection,  en  lui  o'.aut  par  l'au- 
torité du  Seigneur,  que  vous  exercez  sur  moi, 
tout  ce  qui  l'a  nourri  jusqu'ici.  Heureuse 
celle  mort  d  s  passions  qui  conduit  à  la  vie, 
que  je  vous  souhaite.  Ainsi  soil-il. 

QUATRIÈME  DISCOURS. 

Qnae  terra  tua,  et  quo  vadis,  vol  ex  quo  populo  la 
D'où  êiet-vcw.  où  allez-vous,  el  quel  est  votre  peuple  (Jo- 
1015,1,8)? 

Je  veux  vous  parler  encore  aujourd'hui, 
mes  chères  sœurs,  des  dispositions  prochaines 
que  vous  de.ez  prendre  pour  r<  ndre  votre 
retraite  utile,  et  p  mr  lirer  de  celle  pratique 
si  saintement  établie  parmi  vous  tout  ce 
qu'elle  peut  produire  de  bon  pour  votre  a\  an- 
cement  dans  les  voies  de  la  justice,  et  dans  la 
perfection  de  votre  état.  Je  veux  donc  m  »  - 
difier  avec  vous  dans  ce  discours,  et  pour 
cela  examiner  ensemble  ce  que  nous  sommes 
et  ce  que  le  Seigneur  a  fait  pour  nous  par  sa 
grande  miséricorde,  afin  que,  retraçant  l'idée 
générale  de  nos  principaux  devoirs,  nous  re- 
connaissions à  quoi  nous  eu  sommes  ave  le 
Seigneur  sur  les  obligations  de  notre  état] 
;.insi  examinons  d'abord  qui  nous  sommes. 
Quœ  terra  tua?  D'où  éles-vous,  disaient  les 
gens  de  l'équipage  du  vaisseau  où  était  Jo- 
ins :  Quo  vadis?  où  allcz-\ons?  Ex  quo  po- 
pulo tu  es?  quel  est  voire  peuple? 

Nous  sommes  chrétiens,  mes  chères  sœurs, 
régénères  en  Dieu  par  le  sang  de  Jésus- 
Christ.  Voilà  ce  que  nous  sommes  :  Quœ 
titra  tua?  D'où  sommes-nous  venus,  et  d'où 
Jésus-Christ  nous  a-t-il  tirés?  du  monde  où 
nous  sommes  nés.  Yoiià  d'où  nous  venons  : 
Ex  quo  populo  es  tu?  Où  avons-nous  été 
conduits?  dans  la  solitude,  dans  j  Je 

la  perfection  chrétienne  ;  voilà  le  chemin  que 
nous  tenons  :  Quo  vadis? 

examinons  lout  ceci.  Nous  sommes  (lire- 
tiens,  il  est  vrai;  m  is  savez-voos  véritable- 
ment ce  que  c'e.-t  qu'un  chrétien?  Connais- 
se /-le  par  la  dignité  de  cet  être  dit  m  que  nous 
recevons  dans  le  baptême,  el  par  les  enga- 


885  QUATRIEME  DISCOURS  POUR  UNE  RETRAITE, 

gements  où  nous  mettent  les  conditions  sous 


886 


lesquelles  nous  recevons  cet  être  divin. 

Le  seul  témoignage  de  saint  Pierre,  c'est- 
à-dire  l'expression  dont  il  se  sert  dans  sa 
seconde  Epîlre  canonique,  suffit  pour  nous 
donner  la  plus  grande  et  la  plus  noble  idée 
que  nous  puissions  nous  former  de  la  di- 
gnité du  chrétien.  Il  dit  donc  à  tous  les  fidèles 
que  Dieu  a  non-seulement  accompli  par  Jésus- 
Christ  toutes  les  promesses  qu'il  avait  faites  à 
nos  pères,  mais  qu'il  les  a  surpassées,  en  nous 
faisant  part  d'une  grâce  qui  est  au-dessus  de 
toutes  les  riche  ses  du  monde,  qui  consiste  à 
nous  rendre  participants  de  la  nature  divine; 
et  cela  par  l'effttsion  du  Saint-Esprit  et  la 
vertu  de  sa  grâce,  qui  est  comme  une  seconde 
âme  qui  la  meut,  qui  l'anime  et  qui  la  fait  agir 
pour  Dieu.  Or,  voici  comme  cette  merveille 
s'accomplit  en  nous  :  la  miséricorde  de  Dieu 
nous  élève  à  celte  grandeur  divine  par  Jésus- 
Christ,  en  tons  rendant  semblables  à  lui  : 
Conformes  fieri  imagine*  Filiisui;  car  c'est 
à  quoi  nous  sommes  destinés  :  Quos  prœde- 
stinavit  conformes  fieri;  et  voici  la  manière 
grande  ,  merveilleuse ,  divine  et  glorieuse 
dont  ce  dessein  élerneî  s'est  accompli  dans 
ce  temps  sur  chacun  de  nous  :  Le  Père  éternel 
a  formé  une  famille  et  un  peuple  choisi,  par 
lequel  il  veut  être  adoré  éternellement.  Celte 
famille  est  composée  de  plusieurs  enfants; 
l'un  est  appelé  l'aîné,  primogenilus,  et  les 
autres  son)  ses  frères.  Il  ne  rougit  point,  dit 
saint  Pilul,  de  les  appeler  ses  frères  :  Non 
confunditur  fralres  cos  rocare.  Jésus-Christ 
est  donc  l'aîné  de  sa  famille,  parce  qu'il  est 
fils  par  nature,  et  nous  sommes  ses  frères, 
parce  que  nous  ne  sommes  enfants  que  par 
adoption.  Nous  entrons  dans  cette  famille  par 
une  naissance  qui  est  appelée  régénération. 
Car,  comme  dit  saint  Augustin,  nous  pou- 
vons dire  que,  pour  mettre  une  sorte  de  con- 
formité entre  tous  les  enfants  dune  même 
famille,  Dieu  a  voulu  que  les  cadets  eussent 
deux  sortes  de  naissance.  Comme  le  premier- 
né,  Jésus-Christ  a  une  naissance  éternelle 
dans  le  sein  de  son  Père,  et  une  temporelle 
dans  le  sein  de  sa  mère  ;  il  est  Dieu  par  la 
première  ;  il  e*t  Homme-Dieu  par  la  seconde. 
Les  chrétiens  ont  deux  naissances,  une  na- 
turelle dans  le  sein  de  leur  mère,  et  une  sur- 
naturelle dans  le  sein  de  l'Eglise. 

Le  Fils  de  Dieu,  ce  premier-né,  sort  du 
sein  de  son  Père,  pour  prendre  dans  le  sein 
d'une  Vierge  une  naissance  humaine.  Le 
chrétien,  en  sortant  du  sein  de  sa  mère, 
prend  une  naissance  divine  dans  le  sein  de 
l'Eglise.  Le  Fils  de  Dieu,  ce  premier-né,  sort 
d'un  être  divin  sans  le  perdre,  pour  prendre 
un  être  humain,  et  s'appelle  Christ;  nous 
sorlonsd'un  êtrchumains.ins  le  perdre,  pour 
prendre  un  être  divin,  et  nous  sommes  ap- 
pelés chrétiens  ;  et  comme  le  mystère  (le  t'in- 
cflrntttion  du  Verbe  s'est  accompli  dans  le 
sein  de  la  Vierge,  le  mystère  de  notre  adop- 
tior.  et  de  la  régénération  des  fidèles  s'ac- 
complit dans  I"  sein  de  l'Eglise,  qui  est  au 
chrétien  ce  que  le  scinde  cette.  Vierge  si  pure 
a  été  à  Jésus-Christ. 

Mais  ce  qu'.il  y-n  d'admirable  et  de  glorieux 


pour  le  chrétien,  c'est  que,  par  un  effet  ex- 
cellent de  l'amour  de  Dieu  pour  nous,  qui 
relève  infiniment  l'être  du  chrétien,  il  a 
voulu  que  notre  filiation  divine  ne  fût  pas 
moins  l'ouvrage  du  Saint-Esprit  que  l'incar- 
nation de  son  Verbe. 

Il  faut  entendre  parler  saint  Augustin  sur 
ce  degré  de  dignité  et  de  grandeur  des  chré- 
tiens, quiconsacrelesenfanls  de  Dieu  dans  le 
sein  de  l'Eg!ise.Ce  divin  esprit,  quiest  stérile 
dans  le  sein  delà  Divinité,  aune  admirable  fé' 
couditéau  dehors,  et  elle  a  paru  dans  deux  ren- 
contres signalées,  qui  sont  deux  merveilles 
incomparables  qu'il  a  opérées  dans  le  monde, 
l'une  dans  le  sein  de  Marie,  lorsqu'il  a  formé 
Jésus-Chrisi,  l'autre  dans  le  sein  de  l'Eglise, 
lorsqu'il  a  formé  le  chrétien. 

C'est  une  vérité  qui  appartient  à  la  foi,  que 
le  Saint-Esprit  a  formé  Jésus-Christ  dans  le 
sein  de  Marie  ;  mais  ce  qu'il  n'a  fait  qu'une 
fois  dans  la  sainte  Vierge,  il  le  fait  tous  les 
jours  dans  l'Eglise,  autant  de  fois  que  quel- 
qu'un se  présente  pour  être  baptisé.  Ainsi  le 
baptême  est  comme  l'extension  de  l'incar- 
nation dans  le  sein  de  Marie.  Ayant  pris  une 
partie  de  son  sang  très-pur,  il  a  formé  un 
homme,  et  dans  le  même  instant,  se  trou- 
vant uni  à  la  personne  du  Verbe,  cet  homme 
est  devenu  le  Fils  de  Dieu  par  nature;  de 
même,  mes  chères  soeurs,  dans  le  sein  de  l'E- 
glise le  même  esprit  prend  la  vertu  et  l'es- 
prit du  sang  de  Jésus-Christ,  et  le  versant 
dans  l'âme  du  chrétien,  il  en  fait  un  enfant 
de  Dieu  par  adoption  et  par  grâce  :  en  sorie, 
dit  saint  Augustin,  que  la  même  grâce  qui 
a  fait  Jésus-Christ  fait  aussi  le  chrétien,  et 
que  le  même  esprit  qui  a  fait  naître  le  Fils 
de  Dieu  fait  renaître  tous  ses  frères  et  les 
rend  enfants  adoptifs  de  Dieu. 

Comprenez- vous  bien  présentement  la  di- 
gnité du  chrétien,  son  élévation,  sa  gran- 
deur? Voilà,  mes  sœurs,  ce  que  nous  som- 
mes par  Jésus-Christ.  Nous  ne  pouvons  pas, 
dit  saint  Augustin,  être  portés  plus  haut  : 
participants  de  la  nature  divine,  formés  par 
le  même  esprit  qui  a  formé  Jésus-Christ,  frè- 
res de  l'Homme-Dieu,  héritiers  du  royaume 
de  son  Père  ;  Aynosce,  o  Christianc,  digni- 
tatem.  Mais  aussi,  comme  chrétiens,  recon- 
naissons les  obligations  que  cette  dignité 
nous  impose,  car  elle  ne  nous  est  donnée 
qu'à  des  conditions.  Saint  Jean  dit  que  Dieu 
a  donné  à  tous  ceux  qui  ont  reçu  son  Fils  le 
pouvoir  d'être  faits  enfants  de  Dieu,  c'est  ce. 
que  nous  venons  d'expliquer;  ensuite  il 
ajoute  qu'ils  ne  sont  point  nés  du  sang  ni  de 
la  volonté  de  lu  chair,  ni  de  la  volonté  de 
l'homme  ;  voyons  donc,  suivant  les  paroles 
de  cet  apôtre,  quels  sont  les  engagements 
du  chrétien.  En  effet,  comme  c'est  au  bap- 
tême que  l'alliance  de  Dieu  avec  le  chrétien 
se  fait  par  Jésus-Christ,  c'est  là  qu'il  con- 
Iracte  si  s  engagements  avec  lui  :  car,  comme 
dans  la  première  alliance  que  Dieu  contracta 
avec  les  hommes  par  Moïse,  ce  premier  lé- 
gislateur prit  du  sang  de  la  victime  qu'il  iio- 
iii  la,  et,  le  mêlant  avec  de  l'eau,  en  ai  rusa 
premièrement  le  livre  de  la  loi  et  ensuite  tout 
le  peuple,  et  leur  dit  :    tous    promettez  tM 


887 


ORATEl'KS  SACHES.  DOM  JEltOME. 


K88 


Seigneur  de  le  servir  et  de  le  reconnaître  pour 
votre  Dieu,  et  le  Seigneur  de  même  vous  pro- 
met de  vous  reconnaître  pour  son  peuple  ;  à 
quoi  tout  le  peuple  répondit  :  Nous  promet- 
tons d'accomplir  fidèlement  toutes  les  volon- 
tiê  et  toutes  les  ordonnances  du  Seigneur  ; 
ainsi,  dans  la  nouvelle  alliance  que  Dieu  a 
contractée  avec  les  chrétiens  par  Jésus- 
Cbrist,  il  a  voulu  être  la  victime,  cl  la  scel- 
ler de  son  propre  sang  pour  la  rendre  plus 
sainte  et  plus  inviolable. C'est  pourquoi  saint 
Jean  dit  que  Jésus-Christ  est  venu  avec  Veuu 
et  avec  le  sang.  Or  dans  celte  alliance  nous 
prenons  Dieu  pour  notre  père  et  il  nous 
prend  pour  ses  enfants.  Nous  renonçons  aux 
pompes  de  Satan,  et  nous  prenons  comme 
enfants  de  Dieu  son  royaume  pour  notre  hé- 
ritage. Tout  ceci  est  renfermé  dans  les  pro- 
messes que  nous  faisons  à  notre  baptême  ; 
car  on  nous  demande  :  Ne  renoncez-vous  pas 
au  démon  ?  nous  disons  :  J'q  renonce.  Ne  re- 
noncez-vous pas  à  ses  œuvres?  Oui,  disons- 
nous.  Ne  renoncez-vous  pas  à  ses  pompes  ? 
et  nous  répondons  :  J'y  renonce.  Tout  ceci 
va  plus  loin  que  l'on  ne  pense  ;  car  en  re- 
nonçant au  démon  on  se  donne  entièrement 
à  Dieu.  On  nous  demande  si  nous  ne  croyons 
pas  tout  ce  qui  est  compris  dans  le  Symbole, 
et  nous  répondons  par  trois  fois  :  Je  crois. 
Ainsi  nous  livrons  notre  âme,  notre  intelli- 
gence et  notre  volonté  à  Dieu.  En  renonçant 
au  démon  nous  nous  engageons  dans  la  pra- 
tique de  toutes  les  vertus  opposées  à  ses 
œuvres,  et  principalement  dans  celle  de  l'a- 
mour de  Dieu,  qui  est  l'âme  de  toutes  les 
vertus.  En  renonçant  aux  pompes  de  Satan, 
nous  renonçons  à  toutes  les  occasions  pro- 
chaines du  péché,  à  tous  les  lieux,  à  toutes 
les  assemblées,  à  tout  ce  qui  tient  à  Satan. 
Ah  1  mes  chères  sœurs,  que  ces  obligations 
sont  étendues,  et  que  le  monde  les  connaît 
peu  1  Sait-on  qu'un  chrétien  baptisé  au  nom 
des  trois  personnes  de  la  sainte  Trinité  est 
un  religieux  de  la  religion  dont  Jésus-Christ 
est  le  fondateur,  que  sa  règle  est  l'Evangile, 
qu'ayant  renoncé  au  démon  et  à  ses  œuvres 
il  a  renoncé  à  tous  désirs,  à  toutes  pensées, 
paroles,  entreprises,  actions  contraires  à  la 
loi  de  Dieu,  et  surtout  à  l'orgueil,  qui  est  la 
source  de  tout  péché  ;  qu'ayant  renoncé  à 
ses  pompes  il  a  renoncé  à  toutes  les  vanités 
du  monde  et  à  tout  ce  qui  sert  à  entretenir 
en  nous  l'esprit  d'ambition,  de  vaine  gloire, 
à  réveiller  et  à  enflammer  les  passions,  comme 
les  danses,  les  festins,  les  spectacles  et  tous 
les  divertissements  déréglés  ;  que,  nous  étant 
livrés  à  Dieu  par  Jésus-Christ,  nous  avons 
fait  un  vœu  solennel  d'adorer  Dieu  unique- 
ment et  de  le  servir  par  Jésus-Christ,  de  nous 
unir  à  lui  et  de  nous  y  attacher  inviolablc- 
nient  comme  à  notre  principe  et  à  notre  fin 
par  les  liens  de  la  loi,  de  l'espérance  cl  de  la 
charité:  que  nous  sommes  obligés  de  retra- 
cer la  vie  de  Jesus-Christ dans  la  nôtre  ;  que 
c'est  la  fin  de  notre  prédestination  et  de  no- 
tre vocation  :  Prœdestinavit  fteri  imagines 
\Filii  sut? Tout  chrétien  doit  donc  vivre  se- 
i  l'esprit  de  Jésus-Christ.  De  quelque  con- 
dition qu'il  soit,  il  est   obligé  de  t'attachera 


lui  pour  continuer  sa  vie  sur  la  terre  par 
l'imitation  de  son  humilité,  de  sa  pauvreté 
et  de  son  amour  pour  Dieu  et  pour  le  pro- 
chain, de  son  opposition  au  monde,  de  son 
détachement  des  richesses,  des  honneurs  et 
des  plaisirs.  Voilà,  tues  chères  sœurs,  nos 
engagements  comme  chrétiens  ;  malheur  a 
ceux  qui  cherchent  des  raisons  pour  adoucir 
ce  joug  dur  à  l'amour-propre  et  a  la  nature 
corrompue,  et  qui  croient  marcher  en  IMI< 
rance  en  mirant  un  autre  chemin,  parce 
qu'il  est  plus  fréquenté  et  que  la  multitude 
le  suit.  Au  jour  de  notre  mort,  la  profession 
de  notre  baptême  sera  représentée  telle  que 
nous  l'avons  prononcée  ;  alors  on  présen- 
tera à  chacun  de  nous  le  sceau  de  son  bap- 
tême, pour  voir  s'il  n'aura  point  été  ri  «le, 
chacun  se  souviendra  de  ces  paroles  que  le 
ministre  de  Jésus-Christ  a  dites  en  le  revê- 
tant de  la  robe  de  la  première  innocence  : 
Hecevez  ce  vêlement  blanc,  saint  et  sans  ta- 
che ;  portez-le  tel  que  vous  le  recevez  devant 
le  tribunal  de  Noire-Seigneur  Jésus-Christ, 
afin  que  vous  ayez  la  vie  éternelle  ;  car  sans 
cl  a  il  n'y  d  d'espérance  pour  i/ui  que  ce  soit. 
Voici  donc,  selon  saint  Ambroise,  la  défini- 
tion d'un  chrétien  donnée  par  saint  Paul  : 
Ego  enim  sum  Chrislus;  ce  qui  veut  dire  :  le 
suis  un  homme  en  Jésus-Christ,  c'est-a-dire. 
un  homme  chrétien,  qui  est  tout  à  Jésus- 
Christ.  Voilà,  mes  chères  sœurs,  ce  que  nous 
sommes.  Chargés  des  engagements  du  bap- 
tême, revêtus  de  l'éminente  qualité  d'enfants 
de  Dieu,  nous  sommes  liés  à  lui  par  des  en- 
gagements très-précis ,  très-importants  et 
très-indispensables  que  le  monde  ne  con- 
naît pas.  C'est  de  ce  monde  av  eugle  et  mal- 
heureux que  Dieu  vous  a  fait  sortir  :  Ex 
quo  populo  es  tu  ?  C'est  sur  quoi  je  vais  faire 
ma  seconde  rétlexion.  D'où  venez-vous?  >a 
monde. 

Après  avoir  donné  l'idée  de  l'excellence 
de  la  qualité  de  chrétien  et  de  l'étendue  des 
engagements  où  nous  sommes  entrés  en  la 
recevant,  je  ne  saurais,  mes  chères  sœurs, 
vous  donnerune  preuve  plus  sensible  et  plus 
vive  de  la  miséricorde  de  Dieu  sur  vous, 
qu'en  vous  faisant  faire  réflexion  sur  le  lieu 
d'où  vous  êtes  sorties  ci  en  vous  demandant 
d'où  vous  venez.  Vous  êtes  sortiesdu monde  ; 
or  qu'est-ce  que  le  monde  d'où  vous  clés 
sorties  ?  C'est  une  assemblée  de  gens  qui 
comme  vous  ont  reçu  l'auguste  qualité  de 
chrétiens,  qui  ont  contracte  comme  vous  les 
mêmes  alliances  avec  Dieu  par  Jésus-Christ, 
qui  ont  les  mêmes  droits  à  sou  héritage,  et 
qui  se  nourrissent  de  l'espérance  d'y  parve- 
nir ;  qui  sont  entrés  dans  les  mêmes  engage- 
ments, <jui  ont  fait  vœu  de  marcher  dans  les 
mêmes  voies,  qui  se  sont  entièrement  livres 
à  Dieu  par  Jésus-Christ,  qui  ont  renonce  à 
Satan,  à  ses  œuvres  et  à  toutes  ses  pompes. 
Cependant  ces  mêmes  gens  vivent  dans  un 
violentent  gênerai  de  tous  leurs  engagements 
avec  autant  de  sécurité  que  s'ils  n'en  avaient 
contracte  aucun.  En  effet,  qu'est-ce  que 
c'est  que  la  vie  des  gens  du  inonde,  sinon 
un  cercle  perpétuel  d'actions  et  de  mouve- 
ments contraires  aux   obligations  du  chris- 


889 


QUATRIEME  ÏMSCOURS  POUR  UNE  RETRAITE. 


890 


tianisme.  L'ambition,  l'avarice,  la  volupté, 
animent  toutes  leurs  entreprises,  et  quand 
ils  se  seraient  engagés  à  mener  une  vie  tout 
opposée  à  celle  que  prescrit  l'Evangile,  ils 
ne  pourraient  pas  s'y  prendre  d'une  autre 
façon.  Pour  vous  prouver  ce  que  j'avance 
ici,  tirons  la  preuve  de  cette  vérité  de  saint 
Jean.  Tout  ce  qui  est  dans  le  monde,  dit  cet 
apôtre,  est  la  concupiscence  de  la  chair ,  ou  la 
concupiscence  des  yeux,  ou  la  superbe  de  la 
vie  ;  c'est-à-dire  que  ce  corps  des  méchants 
révoltés  contre  l'Evangile  qui  forme  le  monde 
n'est  animé  que  par  les  différentes  passions 
des  plaisirs  des  sens,  de  la  cupidité  des  ri- 
chesses, du  désir  de  toutes  les  curiosités 
vaines  et  criminelles,  de  l'orgueil, de  l'amour 
des  honneurs  et  de  l'élévation.  Quelle  ef- 
froyable opposition  de  sentiments  aux  vô- 
tres, Seigneur  1  et  que  peut-on  penser  de 
ceux  qui  s'y  abandonnent  ainsi  1  Le  nombre 
cependant  en  est  bien  grand  parmi  ceux 
mêmes  qui  se  flattent  de  ne  les  pas  suivre. 
Leur  vie  est-elle  autre  chose  qu'un  cercle 
d'affaires  que  l'avarice  et  la  cupidité  fait 
entreprendre ,  d'intrigues  que  l'ambition 
mène,  de  divertissements  et  de  piaisirs  que 
la  mollesse  inspire  ?  On  garde  quelques  pra- 
tiques de  religion,  mais  on  n'en  a  pas  l'es- 
prit ;  on  accommode  le  monde  auquel  on  a 
renoncé  avec  la  religion  qu'on  a  embrassée 
et  qu'on  ne  connaît  point;  on  lit  l'Evangile 
de  Jésus-Christ  dans  les  familles  qu'on  ap- 
pelle chrétiennes,  et  on  y  suit  en  tout  les 
maximes  du  monde  ;  on  y  abhorre  les  cri- 
mes, mais  on  y  souffre  tous  les  vices  qui  ne 
sont  point  grossiers  et  qui  ne  déshonorent 
point  ;  on  y  fréquente  les  sacrements,  mais 
on  n'y  voit  ni  changement  dans  la  vie,  ni 
réformation  de  mœurs,  ni  avancement  dans 
la  pratique  du  bien.  Que  peut-on  penser  de 
toutes  ces  personnes  qui  sont  à  Jésus-Christ 
sans  lui  appartenir?  Car  qui  n'a  point  l'es- 
prit de  Jésus-Christ  n'est  point  à  lui,  dit  saint 
Paul.  Voilà  donc  l'état  effroyable  de  ce 
monde  que  vous  avez  quitté,  mes  chères 
sœurs  :  où  l'on  devient  chrétien  sans  le 
savoir,  où  l'on  vit  sans  s'informer  de  ce  que 
c'est  que  de  l'être  ;  ou,  chargé  du  poids  du 
baptême,  comme  parlent  les  Pères,  on  meurt 
non-seulement  sans  en  avoir  rempli  les  de- 
voirs, mais  même  sans  en  avoir  connu  les 
engagements.  Au  reste,  je  ne  dirai  pas  qu'ils 
sont  impossibles  à  observer  dans  le  monde  ; 
à  Dieu  ne  plaise  I  ce  serait  une  hérésie  qui  a 
été  avancée,  combattue  et  condamnée  ;  mais 
je  dirai  hardiment  que  c'est  une  terrible 
erreur  de  croire  qu'on  s'y  sauve  en  vivant 
comme  y  vivent,  je  ne  dis  pas  les  libertins, 
m  lis  ce  qu'on  appelle  les  plus  honnêtes  gens; 
car  rien  n'est  plus  vrai  que  la  vie  de  ceux 
dont  je  viens  de  parler  se  termine  tout  au 
plus  a  ne  faire  point  de  grands  maux,  sans 
s'appliquer  à  la  pratique  du  bien,  comme 
s'il  suffisait,  pour  être  chrétien,  de  n'être 
point  coupable,  sans  être  saint.  Que  la  mi- 
séricorde de  Dieu,  mes  chères  sirurs,  est 
donc  grande  à  votre  égard,  puisque  c'est  lui 
qui  vous  a  retirées  de  ce  monde  1 

Car  il  y  a  trois  sortes  de  chrétiens  qui  for- 


ment le  monde  :  il  y  a  des  libertins  déclarés 
qui  se  moquent  de  toutes  les  pratiques  de  re- 
ligion, et  qui  se  font  des  sujets  de  raillerie 
de  tout  ce  qu'on  y  observe.  11  y  a  d'au- 
tres hommes  qui  se  font  illusion  à  eux- 
mêmes,  qui  se  dérobent  aux  lumières  de  l'E- 
vangile dans  la  crainte  d'en  être  éclairés, 
qui  négligent  d'apprendre  ce  qu'ils  ne  veu- 
lent pas  observer  ;  et  qui,  prenant  pour  sûres 
des  maximes  qui  flattent  leurs  passions,  re- 
jettent des  vérités  et  des  règles  qui  les  met- 
traient dans  la  contrainte.  Le  nombre  de 
ceux-ci  est  très-grand.  Enfin  il  y  en  a  qui 
sont  retenus  par  une  lâche  timidité,  qui  se- 
raient chrétiens  s'ils  osaient  l'être,  qui  se  ca- 
chent quand  ils  veulent  honorer  le  Seigneur, 
qui  manquent  à  une  infinité  de  devoirs  par  la 
crainte  d'une  mauvaise  honte,  et  qui,  pour 
ne  pas  s'exposer  au  mépris  et  à  la  raillerie 
des  hommes,  s'attirent  la  colère  et  l'indigna- 
tion de  Dieu.  Le  nombre  de  ceux-ci  est  pour 
le  moins  aussi  multiplié  que  l'autre.  Ainsi, 
quelle  miséricorde  sur  vous,  mes  sœurs,  que 
Dieu  ail  bien  voulu  vous  tenir  par  sa  main 
puissante  et  vous  instruire,  afin  que  vous  ne 
marchiez  pas  dans  la  voie  de  ce  peuple  !  En- 
core une  fois  c'est  d'entre  ce  malheureux 
peuple  que  vous  êtes  sorties  :  Ex  quo  populo 
es  tu  ? 

Qu'elle  est  donc  admirable  ,  celte  miséri- 
corde, qui  vous  a  retirées  d'un  lieu  inondé  pir 
le  mensonge,  par  le  larcin,  l'homicide,  L'adul- 
tère; d'un  lieu  où  tous  les  biens  sont  faux,  puis- 
qu'il n'y  a  aucune  vérité  dans  ce  que  l'on  pos- 
sède; où  tous  lesmauxsonlréels,eloùcnfinles 
biens  faux  et  les  maux  réels  conduisent  in- 
failliblement ceux  qui  y  sont  liés  par  le  cœur 
à  une  désolation  effroyable  ! 

Mais  où  vous  conduit  cette  main  puissante 
qui  vous  a  retirées  de  ce  lieu  dangereux  ? 
Quo  radis?  Dans  la  retraite,  dans  l'heureuse 
solitude  du  cloître.  Je  ne  m'arrêterai  point  à 
faire  un  vain  éloge  de  la  dignité  de  notre 
profession,  nous  en  parlerons  dans  une  autre 
occasion,  évitons  seulement  un  double  mé- 
compte; celui  du  monde  à  notre  égard  pour 
flatter  ses  passions,  le  nôtre  à  l'égard  du 
monde  pour  nourrir  notre  vanité.  Par  les  vœux 
monastiques  nous  ne  faisons  que  prendre  un 
chemin  plus  court  pour  accomplir  les  vœux 
de  notre  baptême,  et  par  là  nous  fermons 
l'entrée  au  démon  ;  car  c'est  une  barrièro 
contre  tous  les  objets  do  la  concupiscence 
que  la  retraite;  l'on  y  est  à  couvert  de  l'im- 
pression des  passions  les  plus  grossières,  on 
y  est  dans  l'usage  de  tous  les  moycus  pro- 
pres pour  comhaitre  les  passions  les  plus  dé- 
licates :  tout  y  contribue,  et  chacun  nous 
aide  pour  y  réussir  ;  on  est  dans  les  exercices 
d'une  guerre  déclarée  contre  l'homme  cor- 
rompu et  contre  l'amour-propre  qui  nourrit 
la  corruption,  car  tout  lui  est  contraire  ;  ou 
marche  par  les  voies  les  plus  sûres  et  les 
plus  courtes  pour  arriver  à  la  perfection,  où 
tous  les  chrétiens  sont  appelés  en  qualité 
d'enfants  de  Dieu.  Enfin  nous  sommes  hors 
de  ce  torrent  si  dangereux  où  tant  d'hommes, 
liés  les  uns  aux  autres  par  des  chaînes  do 
ténèbres,  sont  entraînés  de  compagnie  dans 


891 


ORATEURS  SACRES.  I)()M  JKROMF. 


•: 


cet  ôtniior  brûlant  do  soufre  el  de  feu,  qui  est 
appel*''  la  lèeonde  mort,  aui  termei  de  l'Kcri- 
lure;  et,  liées  l<s  unes  aux  aulres  par  d'heu- 
reuses chaînes  de  lumière,  vous  êtes  entraî- 
nées dans  les  v  ies  de  la  justice  et  dans  I  i 
pratique  du  bien  par  une  espèce  de  nécessité 
que  saint  Augustin  et  saint  Rernard  ont  ap- 
pelée mille  fuis  heureuse  :  Félix  nécessita*. 
parce  qu'elle  vous  contraint  en  quelque 
sorte  à  faire  le  liien  :  Qwe  ad  tneliora  cotn- 
pellit.  Sentez,  mes  Irès-ehèrcs  sn-urs,  les 
avantages  de  votre  état;  tressaillez  de  joie  à 
la  vuedes  miséricordes  du  Seigneur  sur  vous. 
Enfin  je  vous  dirai  avec  Saint  Put  :  Vous 
avez  été  introduites  par  la  vertu  du  sang  de 
Jésus-Christ  dans  la  demeure  des  sainls  :  In 
introitu  ëanctorum,  in  sanguine  ChritH.  Ap- 
prochez-vous de  lui  avec  un  cœur  vraiment 
sincère  el  une  pleine  loi  :  Accedamus  cum 
vero  corde  in  plenitudine  fidei. 

Nous  entrerons  demain  dans  le  détail  des 
devoirs  que  nous  sommes  obligés  de  rendre 
à  celui  qui  nous  a  prévenus  par  une  miséri- 
corde si  admirable.  Je  vous  souhaite  la  grâce 
de  Jésus-Christ  pour  les  bien  comprendre  et 
pour  les  remplir  dignement.  Ainsi  soit-il. 

CINQUIÈME  DISCOURS. 

Vêlera  transiernnt,  ecce  facta  sunt  omnia  nova. 
Ce  qui  eïail  vieux  esl  passé,  el  tout  est  nouveau  (II  Cor., 
V,  17). 

Je  me  suis  proposé,  mes  très-chères  sœurs, 
de  vous  parler  aujourd'hui  des  devoirs  des 
solitaires,  et  de  vous  marquer  ce  qu'ils  sont 
obligés  de  rendre  au  Seigneur  dans  la  con- 
duite de  leur  vie  ,  pour  répondre  à  celte 
grande  miséricorde  de  Dieu  qui  a  été  les 
chercher  dans  les  égarements  du  monde  pour 
les  en  retirer,  et  j'ai  pensé  qu'il  fallait  vous 
donner  d'abord  l'idée  juste  d'un  bon  solitaire, 
d'un  parlait  religieux  et  d'une  excellente  re- 
ligieuse; car  par  ce  moyen  il  sera  facile  de 
voir  d'un  coup  d'œil  ce  que  l'on  doit  à  Dieu, 
lorsqu'on  est  revêtu  de  cette  qualité. Or,  mes 
chères  sœurs,  qu'est-ce  qu'un  bon  moine, 
une  excellente  religieuse,  une  digne  épouse 
de  Jesus-Chrisl?  C'est  une  nouvelle  créature: 
In  Chrislo  nova  creatura  ,  comme  dit  saint 
Paul.  C'est  une  créature  engagée  dans  un 
genre  de  vie  dans  lequel  tout  ce  qui  était 
vieux  esl  passé  :  Vêlera  transiernnt,  ajoute 
le  même  apôtre,  et  où  tout  esl  devenu  nou- 
veau :  Ecce  facta  sunt  omnia  nota.  Ainsi  en 
trois  mots  une  bonne  religieuse  est  une  soli- 
taire parfaite;  c'est  une  créature  perdue  ab- 
solument pour  le  monde,  armée  sans  relâche 
contre  elle-même,  enfin  livrée  entièrement 
à  Jésus-Chrisl. 

Kilo  esl  perdue  pour  le  monde  :  nous  n'a- 
vons point  d'idée  d'une  perle  plus  profonde 
que  celle  que  nous  fournit  l'image  d'une 
mort,  el  rien  ne  parait  plus  perdu  pour  nous 
que  ceux  qu'elle  nous  a  enlevés  pour  tou- 
jours; et  voilà  l'idée  que  doit  donne-  l'étal 
de  noire  profession.  Aussi  les  saints  Pores 
ont- ils    applique    à    ceux    qui    l'embrassent 

plusieurs  expressions  de  L'Ecriture,  qui  sont 

toutes  propres  à  soutenir  cette  idée.  Ils  nous 
appliquent  les  paroles  que  David  a  dites   de 


lui-mémo  à  l'occasion  de  la  fureur  de  se  en- 
nemis, ou  lie  lésât-Chris!    par  rapport  à  --es 

souffrances  dus  le  cour»  de  sa  passion  :  Cens 
qu'  me  volent  se  100I  enfuis  loin  de  moi;  j'é- 
tais  mi-    ou    oubli    et    efl   Ce  de    I   11  r    eo-ur, 

comme  si  j'eusse  été  mort  :  Qui  tidtbamt  m$ 

fora  .  (tir/rant  a  me.  Que  s'en  fait-il,  me* 
SŒOTS,  que  ces  paroles  ne  se  \ériliont  à  la 
lettre  par  la  conduite  du  monde  à  notre 
i  rd?  le  monde  ne  fuit-il  H  les  ■ersOM 
de  notre  profession  dès  qu'ils  les  \ oient.  A 
peine  renient-ils  lier  conversation  avec  nous. 
S'ils  nous  voient  quelquefois  par  bienséance, 
ils  sont  si  pressés  de  nous  quitter,  qu'on 
peut  dire  qu'ils  fuient  dès  qu'ils  :  ous  ont 
a  us.  comme  <>n  fuit  la  vue  d'ut  mort  anpl 
duqu"!  on  s'est  ren  In,  ou  par  devoir  de  bien- 
séance, ou  par  curiosité  :  (Jui  videbunt  me 
foras  fugrrunt  a  mr. 

N'arrivo-l-il  pas  assez  'ouvent  qu'après 
nous  avoir  vus  entrer  dans  notre  tombeau  le 
jour  de  noire  profession,  ils  nous  uohlienlf 
A  peine  se  SOnvieunent-ils  de  nous  :  O'ili- 
vioni  datas  sum;  comme  si,  en  entrant  dans 
le  cloître,  nous  sortions  de  leur  cœur  :  Tan- 
quam  mortuus  a  corde.  Nous  sommes  encore 
à  leur  égard,  selon  les  Pères,  comme  ceux 
qui, selon  le  même  prophète,  ayant  été  bles- 
sés à  mort,  dorment  dans  les  sépulcre-  et 
dont  on  ne  se  souvient  plus  :  Sicul  vulnerati 
in  sepulcris. 

Rendons  grâces  au  Seigneur,  quand,  par 
un  nouvel  effet  de  sa  miséricorde,  il  permet 
que  nos  amis  du  monde  nous  traitent  ainsi  et 
que  nos  proches  nous  bandonnent:  Foetus 
sum  opprobrium  vicinis  meis  ta'.de  a  timoré 
mords,  puisqu'ils  nous  aident  par  là  à  de- 
meurer dans  l'étal  où  nous  nous  sommes  mis 
parles  obligations  de  notre  profession;  et 
malheur  à  ceux  qui  lèveraient  Ifl  tote  el  qui 
feraient  quelques  signes  à  ceux  qui  les  fi.i 
pour  les  inviter  à  approcher  de  leurs  tom- 
beaux! Ces  expressions,  mes  chère-  -ours, 
sont  exactes,  et  nous  dosons  nous  regarder 
précisément  comme  des  morts  à  l'égard  dn 
monde  depuis  notre  profession,  puisque  nous 
sommes  perdus  pour  lui  réellement  ;  H  la 
raison  de  cette  vérité,  cY-l  que  la  consécra- 
tion des  VTOOX  est  à  proprement  parler  l'im- 
molation d'un  holocauste,  qui  ne  -ouffre  ni 
restriction,  ni  réserve,  et  où  tout  est  entn 
ment  consumé  par  le  feu.  Car  il  y  a  une  irès- 
grande  différence  entre  vous  ,  mes  chères 
sœurs,  et  les  chrétiens  du  commun.  H  est 
vrai  que  nous  sommes  tous  les  ur.s  el  1rs  au- 
tres morts  et  ensevelis  avec  Jetas-Christ  par 
le  bftptéme,  que  tous  les  chrétiens  doivent 
être  morts  au  monde,  à  ses  biens,  à  ses  hon- 
neurs, à  ses  plaisirs;  voici  cependant  ce  qui 
nous  distingue,  nous  aulres  religieux,  c'est 
qu'il  suffit  au  chrétien,  pour  satisffl  re  i  i  - 
devoirs,  de  renoncer  au  monde  et  à  (oui  ce 
qui  est  du  monde  par  la  disposition  de  -  u 
coMir.  !l  iloii  bien  prendre  garde  qu 
qu'il  lui  -oit  permi-  de  conserver  la  posses- 
sion et  l'usage  du  momie  el  de  s*  •  biens,  il 
•Oit  néanmoins  en  être  dégagé  par  \i\\  senti- 
ment intérieur.  Il  faut  donc  qu'il  soit  panrra 
dans  I  abondance»  chaste  dans    le   mariage, 


893  CINQUIEME  DISCOURS 

tempérant  dans  la  bonne  chère,  et  appliqué 
à  Dieu  dans  le  commerce  du  monde.  Mais 
pour  vous,  mes  chères  sœurs,  ce  n'est  pas 
assez,  il  faut  être  réellement  dans  le  déta- 
chement actuel  de  toutes  les  choses  sensi- 
bles. Le  vrai  solitaire  ne  doit  plus  prendre 
de  part  à  rien;  il  n'est  pas  plus  touché  de  la 
louange  ou  de  la  flatterie  que  de  la  médi- 
sance. Qu'on  le  regarde,  qu'on  détourne  les 
yeux  de  dessus  lui,  il  est  également  insensi- 
ble à  tout.  Sa  vie  est  cachée  avec  Jésus-Christ 
en  Dieu;  elle  est  éteinte  pour  le  monde,  elle 
ne  subsiste  plus  que  pour  Dieu. 

Du  jour,  mes  chères  sœurs,  que  vous  vous 
êtes  données  à  Jésus-Christ,  vous  êtes  per- 
dues pour  le  monde  :  le  voile  dont  vous  vous 
êtes  couvertes  est  le  suaire  qui  vous  a  ense- 
velies; votre  monastère  est  votre  tombeau; 
c'est  la  demeure  éternelle  d'une  mort  d'où  il 
ne  faut  sortir  que  pour  entrer  dans  l'éternité 
bienheureuse,  et  où,  en  vivant  mortes  au 
monde  et  dans  l'insensibilité  d'un  mort  pour 
tout  ce  qui  regarde  le  monde,  vous  devez 
faire  voir  à  toute  la  terre,  en  soutenant  les 
engagements  de  votre  sainte  profession,  que 
l'amour  est  aussi  fort  nue  la  mort  :  Fords  est 
ut  mors  diteclio;  et  qu'il  consume  entière- 
ment les  victimes  qu'on  lui  offre,  ne  leur  lais- 
sant qu'aut;inl  de  vie  qu'il  en  faut  pour  être 
armées  sans  relâche  contre  elles-mêmes. 

Mais  qu'est-ce  que  s'armer  contre  soi-mê- 
me? Entrez  bien  dans  cette  obligation,  elle 
est  une  suite  nécessaire  de  notre  état  présent: 
car  notre  état  nous  lie  à  deux  hommes,  au 
vieil  et  au  nouveau.  L'un  est  Adam,  et  l'au- 
tre Jésus-Christ;  et  je  vous  regarde,  mes 
chères  sœurs,  ou  dans  les  liens  d'Adam,  in 
vinculis  Adam,  ou  dans  les  liens  de  Jésus- 
Christ,  in  vinculis  charitntis;  et  j'ajoute  que 
vous  êtes  attachées  par  ces  deux  liens.  En 
effet,  reconnaissons  le  devant  Dieu,  nous 
avons  été  sédui's  par  les  attraits  d'Adam, 
mais  Dieu,  par  sa  grande  miséricorde,  nous 
a  lies  à  lui  par  les  attraits  de  sa  charité; 
c'est-à-dire,  en  un  mot,  que  nous  avons  été 
ennemis  de  Dieu  par  le  péché,  nous  qu'il  a 
bien  voulu  rendre  ses  épouses  par  su  cha- 
rité. 

Or,  mes  chères  sœurs,  comme  ennemies  de 
Dieu  et  en  qualité  de  pécheresses,  il  faut  non- 
seulement  que  vous  soyez  armées  .contre 
vous-mêmes,  mais  irritées  et  sans  pitié,  ne 
vous  pardonnant  rien,  et  mettant  tout  en 
usage  pour  détruire  en  vous  l'ennemi  de 
Dieu,  c'est-à-dire  le  péché  :  en  un  mot, 
vous  devez  tout  faire  pour  briser  entière- 
ment les  liens  d'Adam,  in  funiculis  Adam. 

Comme  épouses  de  Jésus-Christ  et  atta- 
chées à  lui  par  les  liens  si  doux  de  la  charité, 
il  faut  que  vous  soyez  armées  contre  vous- 
mêmes, et  dans  uncaltentioii  continuelle  pour 
arracher  jusqu'aux  moindres  fibres  du  péché, 
pour  vous  dépouiller  avec  quelque  violence 
que  ce  soit  de  tous  les  restes  du  vieil  homme, 
pot  vous  revêtir  de  tous  les  ornements  du 
nouveau,  afin  de  vous  rendre  agréables  a 
votre  époux  par  les  attraits  de  la  charité  :  In 
vinculis  charitntis.  Ces  engagements  vont 
plus  loiu,  mes  chères  sœurs,  qu'on  ne  pense, 


POUR  UNE  RETRAITE. 


8<J4 


et  ne  vous  permettent  aucun  relâche  :  aussi 
se  faut-il  bien  mettre  d;ins  l'esprit  qu'on  ne 
satisfait  pas  à  la  justice  de  Dieu  par  peu  de 
chose,  et  qu'il  en  coûte  beaucoup  pour  se 
rendre  une  digne  épouse  de  Jésus-Christ. 
Il  sulfit,  mes  très-chères  sœurs,  d'avoir  man- 
qué de  fidélité  à  Jésus-Christ  une  seule  fois 
grièvement,  pour  être  son  ennemi,  et  vous 
ne  doutez  point  qu'un  seul  péché  mortel  est 
suffisant  pour  nous  obliger  à  marcher  tou- 
jours dans  les  voies  étroites  de  la  pénitence. 
Cela  supposé,  appliquons-nous  cette  règle, 
et  voyons  ce  que  nous  sommes  effectivement 
devant  Dieu  :  nous  trouverons  que  nous 
sommes  obligés  de  faire  pénitence,  parce  que 
nous  nous  sommes  chargés  volontairement 
des  liens  d'Adam.  Apprenons  donc  ici  ce  que 
c'est  que  la  pénitence,  les  vues  que  les  péni- 
tents doivent  avoir,  la  conduite  qu'ils  doi- 
vent tenir. 

La  pénitence  est  une  vertu  établie  par  la 
miséricorde  de  Dieu  en  la  place  de  la  justice  ; 
il  faut  par  conséquent  que  je  règle  mes  vues 
et  ma  conduite  sur  (elle  de  Dieu  irrité  con- 
tre moi  :  car  si  je  suis  rentré  en  grâce  avec 
lui  par  la  charité,  qui  a  opéré  la  conver- 
sion de  mon  cœur ,  il  faut  que  j'entre 
dans  ses  sentiments,  que  j'aime  ce  qu'il  aime 
et  que  je  haïsse  ce  qu'ii  hait.  C'est  en  vue 
de  celte  vérité  que  saint  Augustin,  mettant 
le  pécheur  converti  dans  les  intérêts  de  Dieu 
qu'il  aime,  l'appelle  un  homme  irrité  contre 
lui-même:  Homo  sibimet  irascens ;  et  c'est 
en  conséquence  de  ces  sentiments  que  le 
même  saint  ajoute  à  l'idée  qu'il  nous  a  don- 
née d'un  pécheur  converti  et  d'un  véritable 
pénitent, cette  nouvelle  qualité  qui  suit  natu- 
rellement de  la  première  :  Homo  (prise  mactat 
Deo.  Le  pénitent  n'est  pas  seulement  un 
homme  irrite  contre  lui-même,  mais  c'est  un 
homme  qui  se  sacrifie  à  Dieu,  qui  s'immole 
par  les  exercices  laborieux  de  la  pénitence; 
c'est  un  homme  qui  se  dit  à  lui-même  :  J'ai  pé- 
ché contre  Dieu,  j'ai  mérité  de  périr  éternelle- 
ment ;  c'est  un  homme  qui  compare  les  tour- 
ments de  l'éternité  qu'il  a  mérités  avec  les 
souffrances  de  cette  vie,  qu'il  ne  regarde  plus 
par  celte  comparaison  que  comme  des  peines 
en  peinture;  c'est  un  homme  qui  se  dit,  avec 
saint  Chrysoslome  :  11  faut  que  le  malade 
ait  recours  à  la  médecine  de  la  pénitence, 
dont  il  n'avait  pas  besoin  quand  il  se  portait 
bien;  il  faut  appliquer  le  fer  delà  componc- 
tion, le  feu  de  la  douleur,  les  fomentations 
des  soupirs;  il  faut  laver  les  ulcères  du  cœur 
avec  les  larmes  de  ses  yeux  ;  il  faut  que  les 
cilices  enlèvent  les  souillures  du  corps  :  il 
est  juste  que  celui  qui  n'a  pas  pris  soin  de 
conserver  sa  sanléel  sa  vie  supporte  la  cure 
amère  de  la  pénitence.  Lisez,  mes  chères 
sœurs,  le  cinquième  degré  de  l'Echelle  de 
saint  'eau  Climaque,  et  vous  y  verrez,  dans 
la  description  des  exercices  des  pénitents  du 
monastère,  de  la  prison,  jusqu'où  des  reli- 
gion v  pénétrés  des  inlidéiilés  qu'ils  avaient 
commises  contre  leur  Dieu  ont  pousse  leur 
pénitence.  Kn  voici  une  légère  esquisse.  On 
voyait  que  leurs  genoux  s'étaient  endurcis 
par  le  grand  nombre  de  leurs  agenouille- 


B9.'» 


ORATMUHS  SACRES.  DOM  JEROME. 


*% 


monls.  Leurs  yeux  s'étaient  léchés  et  en- 
foncés dans  la  léte  à  force  de  pleurer.  Ils 
avaient  perdu  tout  le  poil  de  leurs  paupières, 
cl  avaient  creuse  la  peau  de  leurs  joues  par 
l'ardeur  cuisante  de  leurs  larmes  am 
Leurs  visages  étaient  si  maigres  et  si  pâles, 
qu'en  les  comparant  à  celui  d'un  morl  on  n'y 
eût  point  trouvé  de  différence.  Ils  avaient 
meurtri  leur  poitrine  à  force  de  se  frapper,  et 
leurs  poumons,  pressés  par  la  violence  des 
coups  qu'ils  s'étaient  donnés,  leur  faisaient 
cracher  le  sang.  Enfin  on  ne  savait  en  ce 
lieu-là  ce  que  c'était  que  de  coucher  sur  un 
lit.  Qu'est-ce,  s'écrie  ce  grand  homme,  que  la 
douleur  de  ceux  qui  pleurent  la  mort  de  leurs 
proches  et  de  leurs  amis,  en  comparaison  de 
ces  travaux  ?  Qu'est-ce  que  l'ennui  des  exilés? 
Certainement  les  peines  involontaires  de  toute  $ 
ces  personnes  ne  sont  rien  auprès  des  souf- 
frances  volontaires  des  saints  pénitents;  et  je 
vous  prie,  mes  frères,  ajoule  saint  Jean  Clt- 
tnaque,  de  ne  pas  croire  que  ce  que  je  vous  dis 
soit  une  fable. 

Voilà,  mes  chères  sœurs,  l'image  de  la  pé- 
nitence de  ceux  qui  ont  voulu  rompre  entiè- 
rement les  liens  d'Adam,  dont  ils  avaient  été 
assez  malheureux  pour  se  charger  volon- 
tairement; mais  si  ces  liens  sont  entièrement 
rompus,  si  la  paix  est  faite  heureusement 
avec  Dieu, et  que,  comme  de  dignes  épouses, 
nous  soyons  liés  à  lui  par  les  liens  de  la  cha- 
rité, ne  croyons  pas,  mes  chères  sœurs, 
qu'il  faille  pour  cela  vivre  en  paix  avec  nous- 
mêmes.  Ne  soyez  pas  sans  crainte  de  l'offense 
qui  vous  a  été  remise,  dit  le  Sage,  parce  que 
les  crimes  sont  les  blessures  profondes  de 
l'âme,  qui  la  laissent  très-faible  après  même 
que  la  plaie  est  refermée. 

il  faut  être  incessamment  armé  contre  soi- 
même  et  dans  une  attention  continuelle, 
pour  arracher  jusqu'aux  moindres  fibres  du 
péché;  et  ce  serait,  mes  chères  sœurs,  mal 
connaître  l'état  dn  chrétien  depuis  le  péché, 
que  de  croire  qu'il  puisse  jouir  d'un  repos 
sans  trouble  et  d'une  paix  parfaite  dans  la 
vie  présente.  L'Ecriture  nous  en  donne  bien 
d'autres  idées.  La  vie  de  l'homme  est  un 
combat  perpétuel  :  Militia  est  vita  hominum. 
L'apôtre  saint  l'aul  nous  dit  :  Quand  je  veux 
faire  le  bien,  je  trouve  en  moi  une  loi  op- 
posée, parce  que  le  mal  habite  en  moi  ;  je  me 
plais  dans  la  loi  de  Dieu,  selon  l'homme  inté- 
rieur, mais  je  sens  dans  mes  membres  xme  loi 
qui  combat  contre  la  loi  de  l'esprit,  et  qui  me 
tient  en  servitude  sous  la  loi  du  péché.  C'est 
donc  un  étrange  composé  que  le  chrétien  : 
il  est  à  Jésus-Christ  et  à  Adam  tout  ensemble; 
il  appartient  au  péché  et  à  la  grâce.  De  là 
naît  l'obligation  d'avoir  sans  cesse  les  armes 
à  la  main  pour  arracher  les  restes  du  péché, 
c'est-à  dire  pour  affaiblir  par  la  pénitence 
celle  loi  des  membres  si  opposée  à  celle  de 
l'esprit.  C'est  donc  là  notre  devoir  el  noire 
attention,  principalement  dans  une  retraite. 
11  faut  combattre  loul  ce  que  la  chair  et  le 
sang  nous  inspirent,  en  arrêter  loules  les 
inclinations,  tous  les  sentimenls,  toutes  les 
ardeurs,  combattre  toutes  les  passions  avec 
tant  de  fermeté  et  de  persévérance,  que  nous 


nous    en    rendions   les  maîtres   et  que    rien 
n'empêche  que  l'esprit  de  Dieu  ne  règne  en 

nous  d'une  manière  abtolue.  //  faut  ,  dit 
saint  Jean  Climaqne,  qu'un  véritable  Militaire, 
louché  dans  le  fond  de  l'âme  de  la  tris/ 
talutaire  de  la  pénitence,  soit  toujours  oc- 
cupé de  la  pensée  de  lamort,  qu'il  n'arrête 
pas  le  cours  de  ses  larmes,  jusqu'à  ce  qu'il  ait 
vu,  comme  un  autre  Lazare,  que  ./■  i  '  kriit 
ett  irn  <  vert  lui,  qu'il  a  ôté  la  pierre  d'en- 
durcissement de  dessus  son  cieur .  et  délivré 
son  esprit  des  liens  du  jiéché.  Souvenons- 
nous  bien,  mes  chères  sœurs,  de  ces  paroles 
de  saint  Augustin,  que  le  premier  vice  au- 
quel l'âme  s'est  laisse  vaincre  est  aussi  le  der- 
nier qu'elle  surmonte.  Souvenez-vous  que  si 
nous  sommes  exempts  des  crimes  grossiers, 
par  un  effet  de  la  miséricorde  de  Dieu,  nous 
devons  combattre  nos  humeurs  el  nos  incli- 
nations, pour  les  assujettir  à  la  volonté  de 
Dieu,  prenant  garde  de  ne  pas  agir  confor- 
mément aux  pensées  qu'elles  pourraient  nous 
inspirer,  parce  que  cet  instinct,  ce  goût,  ce 
plaisir,  cet  amour  que  nous  avons  po  :r  tout 
ce  qui  vient  de  nous,  est  ce  levain  que  l'a- 
pôtre saint  Paul  nous  recommande  tlcpuryr, 
afin  d'être  une  nouvelle  pâte,  et  pour  pré- 
senter au  banquet  de  l'Agneau,  auquel  nous 
sommes  appelés,  un  j,ain  sans  levain  de  sin- 
cérité et  de  vérité.  Enfin,  souvenez- vous  donc 
que  vous  devez vou»  revêtir  de  tous  les  or- 
nements du  nouvel  homme,  pour  vous  ren- 
dre agréables  à  votre  Epoux,  en  retraçant  sa 
vie  dans  vos  actions  el  dans  votre  conduite. 

Jugez,  mes  chères  sœurs,  sur  cela,  quelle 
doit  être  la  vie  d'une  épouse  de  Jésus-Christ. 
Elle  doit  lui  dire,  comme  la  femme  de  Moïse, 
Sponsus  sanguinum  tu  rnihi  es  :  Vous  m'êtes 
un  époux  de  sang.  Elle  doit  savoir  que  l'image 
de  son  Epoux  ne  se  formera  jamais  en  elle, 
que  par  les  plaies  qu'elle  aura  le  courage  de 
se  faire  à  elle-même,  et  qu'elle  doil  en  aller 
prendre  les  traits  dans  le  dépouillement, dam 
les  humiliations  el  dans  les  souffrances  da 
Jésus-Christ. 

Enfin  elle  ne  doit  plus  rien  ménager,  puis- 
qu'elle est  livrée  entièrement  à  Jésus-Christ. 
Ses  devoirs  sont  renfermés  dans  ces  paroles 
de  Jésus-Christ  qu'elle  doil  entendre,  rece- 
voir, comprendre  et  pénétrer,  comme  si  elles 
n'avaient  été  dites  que  pour  elle  unique- 
ment :  Sancti  estote,  quoniam  sanctus  sum  : 
Que  ma  sainteté  soit  la  règle  el  la  mesure  de 
la  vôtre.  En  effet,  vous  voyez  que  l'époux, 
dans  les  Cantiques,  veut  que  la  beauté  de 
l'épouse  soit  parfaite  et  accomplie.  Son  cœur 
est  tellement  sensible  à  tout  ce  qui  vient 
d'elle,  que  l'indifférence  d'un  de  ses  regards, 
le  dérangement  d'un  de  ses  cheveux,  lui  fait 
une  blessure  profonde  :  Vulnerasti  cor  meum 
in  uno  oculorum  tuorum  cl  in  uno  crine  co'li 
tui.  Aussi  ne  veut-il  pas  qu'il  y  ail  en  elle  le 
moindre  défaut  ni  la  moindre  lâche  :  Jota 
pulchra  es,  tnnuanira.  11  la  nomme  deux  lois 
belle,  pour  nous  marquer  quel  e  dot  avoir 
une  double  beauté,  et  qu'il  faut  qui  lie  n'ait 
pas  moins  de  pureté  dans  .«-on  .'une  *;ue  d'in- 
tégrité dans  son  corps  :  Quam  pulchra  M, 
ami  eu  mes/  >.e  croyez  donc  pas.  mes  chères 


8S7 


SIXIEME  DISCOURS  POUR  UNE  RETRAITE. 


m 


sœurs,  que  vous  puissiez  être  agréables  à  un 
Epoux  à  qui  vous  êtes  livrées  entièrement 
par  les  engagements  si  saints  de  votre  pro- 
fession, parce  que  vous  êtes  exemptes  des  im- 
puretés grossières,  si  vous  ne  l'êtes  pas  en 
même  temps  de  l'orgueil,  de  la  colère,  de 
l'envie,  de  la  paresse,  et  d'un  certain  amour- 
propre  qui  nous  met  toujours  à  nos  yeux 
au-dessus  de  ce  que  nous  sommes  réellement. 
Enfin  souvenez-vous  que  du  jour  de  votre  pro- 
fession vous  êtes  à  cet  Homme-Dieu,  sans 
réserve,  sans  exception,  et  d'une  manière 
irrévocable  pour  jamais. 

Il  faut  donc,  mes  chères  sœurs,  que  votre 
vie  soit  pure.  Vous  devez  vous  proposer  une 
sainteté  parfaite,  il  faut  y  tendre  continuelle- 
ment, il  faut  vous  y  élever  par  toutes  sortes 
de  voies;  et  comme  Dieu  vous  a  appelées  à 
cette  haute  perfection,  il  faut  non-seulement 
éviter  les  moindres  défauts,  puisque  la  per- 
fection n'en  souffre  aucun,  mais  il  faut  entrer 
dans  la  pratique  des  plus  excellentes  vertus. 
Enfin,  mes  chères  sœurs,  je  ne  vous  dirai  rien 
de  trop,  en  vous  disant,  après  un  grand  ser- 
viteur de  Dieu,  très-éclairé  sur  les  devoirs 
de  notre  état,  que  ce  degré  de  vertu  qui  sau- 
verait une  femme  du  monde  ne  peut  exemp- 
ter une  religieuse  de  la  condamnation.  Dieu 
Vous  fasse  la  grâce  de  bien  entrer  dans  de  si 
importantes  vérités  1  A insi  soit— il. 

SIXIÈME  DISCOURS. 

Nolite  diligere  munilum,  neque  ea  quœ  in  mundo  sunt. 
N'aimez  point  le  monde,  ni  ce  qui  est  dans  le  monde 
(1  Joan.,  Il,  15). 

Après  vous  avoir  donné  l'idée  juste  d'une 
parfaite  religieuse  dans  le  dernier  discours, 
il  faut,  mes  chères  sœurs,  vous  marquer  dans 
celui-ci  quelles  sont  les  obligations  et  la  con- 
duite qu'il  faut  qu'elle  tienne  pour  soutenir 
la  dignité  de  son  caractère.  Nous  dîmes  dans 
le  dernier  discours  qu'une  bonne  religieuse 
doit  être  perdue  pour  le  monde,  et  elle  doit 
dire,  non  pas  par  un  esprit  d'orgueii  et  de 
mépris  pour  ceux  qui  sont  liés  au  monde, 
mais  par  un  esprit  de  reconnaissance  pour 
la  miséricorde  que  Dieu  lui  a  faite  :  Vous  êtes 
d'ici-bas,  vous  autres,  mais  je  suis  d'en  haut  ; 
ainsi  je  n'ai  plus  rien  de  commun  avec  vous. 
Or,  pour  soutenir  ce  caractère  et  répondre 
à  la  miséricorde  qu'elle  a  reçue  de  Dieu, 
voici  quelle  doit  être  sa  conduite.  1°  Il  faut 
qu'elle  soit  fortement  persuadée  que  le  monde 
est  son  plus  grand  ennemi,  que  le  commerce 
qu'elle  a  avec  le  monde  lui  est  pernicieux, 
que  la  vue  même  du  monde  est  pleine  de  con- 
tagion; 2°  il  faut  qu'elle  s'applique  à  l'éloi- 
gner; 3"  il  faut  qu'elle  ait  un  vrai  désir  d'en 
être  oubliée  entièrement. 

En  effet,  qu'est-ce  que  le  monde?  que  de- 
vons-nous entendre  par  le  monde?  Car  vous 
devez  regarder  comme  votre  ennemi  celui  de 
qui  le  commerce  ne  peut  vous  être  que  très- 
perniricux,  et  dont  la  seule  vue  est  pleine  de 
contagion.  Voici  donc  ce  que  c'est  que  le 
inonde  :  c'est  un  certain  lieu  où  habitent  des 
hommes  en  passant  pour  aller  à  Dieu,  en 
usant  selon  ses  desseins  des  moyens  établis 
par  l'auteur  de  ce  lieu,  qui  les  leur  fournit 


pour  cette  fin.  Or  le  monde,  pris  dans  ce  sens- 
là,  est  l'ouvrage  de  Dieu  dans  toutes  ses  par- 
ties. Mais  quel  est  le  monde  qui  ne  connaît 
point  Dieu  et  qui  est  son  ennemi?  C'est  un 
nombre  d'hommes  qui  sont  dans  ce  monde, 
formés  de  la  main  de  Dieu,  qui,  au  lieu  de  se 
servir  de  ce  qui  y  est  et  de  ce  qui  ne  s'y 
trouve  qu'afin  d'en  user,  pour  arriver  à  la  i 
jouissance  et  à  la  possession  de  Dieu,  s'y  atta-  1 
client  comme  à  leur  fin,  y  mettent  leur  bon- 
heur et  oublient  celui  auquel  ils  doivent  al- 
ler, en  usant  de  ces  moyens  contre  les  des- 
seins de  l'auteur  de  la  nature. 

Représentons-nous,  dit  saint  Augustin,  que 
nous  sommes  des  voyageurs,  pour  qui  il  n'y  a 
de  bonheur  à  attendre  que  dans  la  patrie  ;  mais 
que  faudrait-il  penser  de  nous  dans  cette  cir- 
constance, si,  venant  à  nous  laisser  toucher 
des  beautés  et  des  agréments  de  la  route  et  de 
la  commodité  des  voitures  qui  nous  condui- 
raient,nous  nous  arrêtions  tellement  à  vouloir 
jouir  des  choses  dont  nous  ne  devrions  qu'em- 
prunter l'usage,  que  nous  ne  voulussions  point 
voir  finir  le  voyage,  et  que,  enchantés  par 
une  fausse  et  funeste  joie,  nous  nous  éloignas- 
sions de  la  patrie  dont  la  jouissance  et  les 
charmes  nous  devraient  rendre  parfaitement 
heureux?  11  est  donc  évident  que  dans  cette 
vie  mortelle,  où  nous  voyageons  éloignés  de 
Dieu,  il  faut  user  de  ce  monde  et  non  pas  en 
jouir.  II  faut  s'en  servir  pour  contempler  et 
admirer  dans  les  créatures  les  grandeurs  in- 
visibles de  Dieu,  et  s'élever  des  choses  sen- 
sibles et  passagères  à  celles  qui  sont  spiri- 
tuelles et  permanentes. 

C'est  ainsi  que  les  justes  en  ont  usé,  c'est 
ainsi  que  les  vrais  chrétiens  en  usent  par 
nécessité,  comme  d'un  moyen  pour  arriver  à 
leur  fin,  qui  est  Dieu,  avec  la  modération  ré- 
glée sur  les  desseins  et  sur  la  volonté  de  celui 
qui  nous  les  apprête,  et  qu'ils  n'en  jouissent 
pas  avec  un  attachement  et  une  cupidité  dont 
l'amour  de  préférence  et  de  repos  fait  le  cri- 
me. Ceux  qui  en  usent  ainsi  ne  sont  pas  du 
monde,  (lit  saint  Jean  ,  quoiqu'ils  soient  dans 
le  monde,  et  ils  sont  dans  ce  monde  bienheu- 
reux pour  qui  Jésus-Christ  prie  et  que  saint 
Augustin  appelle  mundus  salvatus.  Ce  que 
nous  appelous  donc  le  monde,  c'est  un  cer- 
tain nombre  de  personnes  opposées  aux  des- 
seins de  Dieu,  qui  renversent  l'ordre  établi 
par  la  loi  éternelle  et  par  la  vérité  immuable, 
et  qui  veulent  jouir  des  choses  dont  ils  ne 
doivent  qu'user. 

Voilà,  mes  chères  sœurs,  ce  qui  compose 
et  ce  qui  constitue  le  dérèglement  du  monde, 
c'est  l'amour  déréglé  des  choses  présentes  et 
périssables  :  les  hommes  qui  sont  animes  de 
cet  amour  s'appellent  le  monde. 

H  ne  faut  pas  s'étonner  maintenant  si  Dieu 
hait  le  monde.  C'est  un  ennemi  opposé  à  tous 
ses  desseins,  qui  renverse  toutes  ses  lois,  qui 
le  chasse  de  son  cœur  pour  y  établir  la  créa- 
ture en  sa  place.  Jugez  de  là  si  l'on  a  raison 
de  vous  dire  que  le  monde  est  votre  plus 
grand  ennemi ,  puisqu'il  est  celui  de  Dieu,  de 
qui  vous  êtes  |.  g  épouses  ;  il  ne  vous  ost  donc 
pas  permis  de  le  regarder  avec  indifférence, 
mais  il  faut  le  haïr.  Tout  commerce  avec  lui 


8M 


ORATEURS  SACRES,  dom  JEROME. 


000 


no  saurai!  vous  être  que  pernicieux  :  il  pente 

luut autrement  que  vous,  il  ne  peut  donc  vous 
tenu  qu'un  langage  qui  tende  à  affaiblir  les 

i  -ri les  cl  les  sentiments  doul  volic  cu:ur  doit 
être  rempli,  el  comme  il  est  attaché  à  ses 

erreurs,  et  qu'il   prend   ses  ténèbres   pour  la 

I  re,  (oui  ce  que,  vous  lui  pourrez  dire 
n'esl  piis  capable  de  l'éclairer  et  de  le  ic- 
roeltre  dans  la  voie.  Fuyez-le  donc,  puisque 
le  moindre  mal  qui  vous  peut  arriver  dans 
son  commerce,  c'est  de  perdre  un  temps  pré- 
cieux i!oni  vous  devez  Lire  un  usage  consacré 
aille  <rs  par  voire  règle. 

Fuyez,  encore  un  coup,  dérobez-vous  aux 
yeux  de  ce  nioude  pernicieux  sous  le  voile 
dont  vous  êtes  couvertes,  car  sa  seule  vue 
est  contagieuse;  et  il  me  semble  que  je  ne 
dirai  lien  de  trop  quand  je  dirai  qu'une 
femme,  dans  le  ajustements  et  dans  les  pa- 
rures indécentes  de  son  luxe  et  de  sa  vanité, 
est  contagieuse  par  sa  seule  vue  à  des  vier- 
ges chrétiennes  et  religieuses,  en  sorte  qu'on 
lui  peut  appliquer  ces  paroles  de  saint  Pierre: 
Elles  ont  les  yeux  pleins  d'adultères,  et  elles 
attirent  à  elles  par  des  amorces  tiomjieuses  les 
âmes  légères  el  inconstantes.  Saint  Ambroisc 
dit,  en  parlant  de  David,  qui  ne  tomba  dans 
l'adultère  eldtiv.  l'homicide  que  pou,-  avoir 
regardé  par  hasard  une  personne  qui  se 
trouva  à  portée  de  sa  vue,  de  dessus  un  bal- 
con où  il  était  entré  pour  prendre  l'air  après 
une  assez  longue  maladie,  qu'il  eûl  mieux 
valu  pour  lui  qu'il  eût  toujours  été  malade 
que  d'avoir  recouvré  la  santé  de  son  corps 
pour  venir  faire  une  plaie  mortelle  à  son  âme. 

II  vaut  bien  mieux  pour  nous,  mes  chères 
sœurs,  qu'on  nous  accuse  d'impolitesse,  et 
qu'on  nous  reproche  d'être  farouches  en 
fuyant  le  monde  et  en  rejetant  son  commerce, 
que  de  nous  livrer  indiscrètement  entre  les 
mains  d'un  ennemi  qui  nous  aborde  avec  des 
airs  doux  et  gracieux,  mais  pleins  de  venin 
el  de  contagion.  Vous  vous  en  êtes  éloignées, 
mes  chères  sœurs,  vous  avez  mis  une  bar- 
rière entre  lui  et  vous  ;  dites  à  toutes  le>  per- 
sonnes de  ce  monde  corrompu  ce  qu'Abra- 
ham disait  au  mauvais  riche  :  Il  y  a  un  grand 
abîme  entre  vous  it  nous,  (le  sorte  que  ceux 
qui  voudraient  passer  d'ici  vers  vous  ne  le 
peuvent,  comme  on  ne  le  peut  d'ici  où  cous 
êtes. 

Ainsi  donc,  apprenez  qu'étant  perdus  pour 
le  monde  par  les  engagements  de  notre  pio- 
fession,  nous  devons  non-seulement  le  re- 
garder comme  notre  plus  grand  ennemi, 
mais  il  faut  faire  connaître  que  ce  sentiment 
est  sincèrement  dans  notre  cœur  par  une  ap- 
plication continuelle  à  éloigner  le  monde  de 
nous.  Ne  nous  y  trompons  pas,  mes  ibères 
sieurs,  nous  ne  saurions  nous  assurer  que 
nous  haïssons  le  monde  comme  notre  profes- 
sion nous  y  oblige,  si  nous  ne  nous  appli- 
quions pas  à  l'éloigner.  Tonte  épouse  de 
Jésus-Christ  doit  dire  a  son  époux  :  Le  prince 
du  monde  va  venir,  et  il  n'a  aucun  droit  sur 
moi.  Toute  épouse  de  Jésus-Christ  doit  écou- 
ter comme  sa  règle  celle  parole  de  saint  Paul  : 
J\e  vous  conformez  point  aa  siècle  prêtent  ; 
«  M  otite  conjor.mari-huic  sœculo  ,  »  mais  qu'il 


se  l.isse  en   vous  une  transformation  par  le 

renouvellement  de  votre  esprit  •.  S*é  refor- 

ni  m  novitatt  tentut  vettti,  <>r.  pour 

entrer  dans  cetle    disposition   et   éloigner    le 

monde  de  nous  entièrement,  voici  ce  qu'il 
faut  observer  :  il    faut   renoncer    pleinement 

à  tout  ce  qui  t'appelle  l'esprit  du  monde;  il 
faui  s'éloigner  entièrement  de  toutes  ses  ma» 

nions;  il  laul  enfin  en  éviter  la  fréquentation 
avec  soin,  et  même  avec  une  sorte  de  dut 
Après    vous  avoir  donne    l'idée  de   ce  que 

nous  entendons  par  le  mon  le,  il  est  aise  de 
Comprendre  ce  que  c'e^l  que  son  esprit  :  c'est 
la  cu|/ii!ilé,  ou,  ce  qui  est  la  même  i  b.OM,  le 
désir  dérégie  des  choses  du  monde  et  le  mau- 
vais usage  qu'on  en  fait.  Or,  mes  sœur  i  | 
esprit  ne  laisse  pas  (pie  de  suivre  quelque- 
fois dans  la  retraite  ceux  el  «elles  qui  ont 
quitté  le  monde,  et  c'est  à  cet  esprit  que  doit 
renoncer  pleinement  une  créature  qui  est 
perdue  pour  le  monde  par  sa  profession.  Cet 
esprit  du  monde  et  de  convoitise  se  retrouve 
dans  le  désir  déréglé  d'augmenter  les  biens 
du  monastère  et  de  s'enrichir  pour  >  vivre 
plus  commodément.  Prenez  garie.  mes  ché- 
ri s  sœurs,  à  celle  parole  de  saint  liernard  : 
La  pauvreté  en  elle-même  n'e-t  pas  une  ver- 
tu, mais  c'est  l'amour  de  !a  pauvreté:  N<m 
enim  paupertas  virtus  reputatur,  sed  nauper- 
latis  amor.  Ce  n'est  pas  la  pauvreté  seule, 
mais  l'amour  de  la  pauvreté  qui  fait  les  re- 
ntables pauvres,  et  nous  devons  dire  que 
comme  la  joie  d'un  avare  est  de  trouver  des 
moyens  et  des  expédients  pour  devenir  ri- 
che, l'attention  et  le  désir  d'une  vraie  reli- 
gieuse doil  être  de  ne  perdre  aucune  occa- 
sion d'avancer  encore  plus  dans  le  détache- 
ment des  choses  d'ici-bas.  Jugez,  mes  très- 
chères  sœurs,  si  celle  disposition  peut  s'ac- 
corder avec  le  désir  continuel  d'augmenter 
les  biens  temporels,  et  de  f.iire  sans  cesse  de 
nouvelles  acquisitions  pour  s'enrichir.  On  ne 
peut  cependant  défendre  de  faire  ces  s  irt<  - 
d'augmentations  de  biens  lorsqu'elles  se  font 
par  le  ménage  de  l'épargne  sur  les  choses 
qui  ne  sont  point  nécessaires  à  la  subsistance 
raisonnable  des  sœurs.  Le  superflu  des  biens, 
c'est-à-dire  ce  qui  reste  aprèâ  que  le  monas- 
tère a  le  nécessaire,  peut  encore  servir  à  eu 
augmenter  le  revenu,  pourvu  que  le  molil 
soil  d'être,  par  celle  augmentation,  à  portée 
de  recevoir  des  filles  gratis.  Alors  c'est  pro- 
curer des  secours  aux  membres  de  Jésus- 
Christ,  c'est  les  soulager  dans  leur  misère  el 
les  racheter  de  la  corruption  du  inonde  et  de 
la  perle  de  leurs  âmes. 

Mais  il  faut  bannir  l'esprit  du  monde  dans 
ces  acquisitions,  et  s'établir  solidement  sur 
ce  principe  essentiel,  que,  s'il  n'est  pas  dé- 
fendu d'acquérir,  il  n'est  jamais  permis  de 
s'agrandir  par  le  pur  motif  de  posséder  plus 
de  biens  et  plus  de  domaine. 

Une  autre  chose  nécessaire  pour  éloigner 
le  monde  de  nous,  c'est  de  nous  éloij  D  r 
nous-mêmes  entièrement  de  toutes  ses  ma- 
nières. Ceci  est  un  point  fort  recommandé 
dai  s  la  règle  de  saint  Beuolt,  cel  excellent 
législateur  des  solitaires  d  Occident.  11  faut 
donc  s'éloigner  des  manières  d'agir  des  geus 


901 


SIXIEME  DISCOURS  POUR  UNE  RETRAITE. 


902 


du  monde;  le  soin  de  les  copier  est  une  mar- 
que de  l'estime  qu'on  a  pour  eux,  et  celle 
opinion  ne  peut  être  qu'une  suite  de  l'amour 
qu'on  conerve  pour  leur  esprit;  comme  au 
contraire  l'attention  de  s'écarter  de  leur  ma- 
nière d'agir  est  une  preuve  du  peu  d'estime 
qu'on  en  a.  Or,  le  défaut  d'estime  pour  une 
personne  marque  que  l'on  condamne  l'es- 
prit qui  la  fait  agir.  Nous  nous  sommes  dé- 
clarés hautement  contre  leurs  manières  par 
la  différence  que  nous  avons  mise  entre  no- 
tre vie,  nos  vèlcuienls,  nos  manières  et  cel- 
les des  gens  du  monde,  et  celle  différence 
doit  s'étendre  et  régner  sur  tout.  Qu'est-ce 
en  effet  aux  jeux  du  monde  qu'une  épouse 
de  Jésus-Christ  qui  djnne  dans  la  gentillesse 
et  dans  l'agréable,  et  qui  affecte  des  airs  de 
propreté  et  d'arrangement  étudiés,  dans  son 
sac  et  sous  la  bure?  Elle  se  rend  ridicule 
quand  elle  affecte  de  parler  le  langage  du 
monde  et  de  le  copier  dans  ses  expressions. 
11  faut  qu'elle  oublie  ses  manières  de  s'expri- 
mer, et  que  comme  Joseph,  en  sorlant  do 
l'Egypte,  entendit  une  langue  qui  lui  était 
étrangère,  elle  sache  que  le  cœur  nouveau 
est  formé  par  la  grâce  de  Jésus-Christ,  et  que 
ses  épouses  ne  parlent  plus  le  langage  du 
monde  corrompu  auquel  elles  ont  renoncé. 
La  pauvreté  et  la  simplicité  doivent  paraître 
sur  tout  ce  qui  est  à  leur  usa;:c;  elles  doivent 
éloigner  d'elles  tout  ce  qui  pourrait  avoir 
l'air  du  fasle  et  de  la  curiosité  du  monde. Nous 
pressons  tous  les  jours  les  gens  du  siècle  sur 
la  pratique  de  ces  vertus,  qui  les  regardent 
comme  chrétiens  et  disciples  d'un  Dieu  pau- 
vre et  dépouillé.  Ils  s'excusent  souvent  sur 
leur  condition,  sur  la  bienséance  et  sur  la 
nécessité  où  ils  se  trouvent  de  ne  se  pas  éloi- 
gner trop  de  ceux  avec  lesquels  ils  se  trou- 
vent obligés  de  vivre,  et  quelquefois  ils  ont 
raison.  Mais  une  épouse  de  Jésus-Christ,  mais 
un  moine  ne  saurait  alléguer  rien  de  sem- 
blable; c'est  au  contraire  par  la  raison  de  la 
nécessité  où  il  est  de  vivre  comme  ceux  de  sa 
condition,  qu'il  doit  éviter  tout  air  de  re- 
cherche et  de  curiosité,  puisqu'il  a  embrassé 
un  genre  de  vie  qui  l'engage  à  la  pratique 
d'une  humililé  et  d'une  abjection  sans  ré- 
serve. Croyez-moi,  mes  chères  sœurs,  c'est 
une  science  que  celle  de  connaître  el  de  pra- 
tiquer les  bienséances  de  son  étal,  l'amour- 
propre  n'y  trouve  même  que  trop  souvent  son 
complc. 

L'humilité  et  la  simplicité  bien  placées  font 
beaucoup  d'honneur  aux  personnes  de  notre 
profession  ;  certains  airs  au  contraire  les 
déshonorent  infiniment.  Le  bon  sens  ut  frap- 
pé, dit  un  grand  homme,  de  voir  des  meubles 
pauvres  dans  la  maison  d'un  prince,  el  la  i  ai- 
son  éclairée  n'approuve  jamais  des  richesses 
el  des  embellissements  curieux  dans  la  demeure 
des  pénitents. 

Ceux-là  donc,  mes  chères  sœurs,  se  trom- 
pent grossièrement  qui,  dans  une  profession 
aussi  opposée  au  monde  qu'est  la  nôtre,  veu- 
lent conserver  des  inclinalions,  des  vues  et 
des  pensées  tout  humaines;  qui  se  persua- 
dent qu'il  leur  est  permis  d'imiter  ceux  avec 
lesquels  ils  ont  rompu   (oui  commerce;  qui 


affectent  sottement  d'en  copier  les  airs,  les 
manières  et  les  modes  dans  les  discours,  dans 
le  manger,  dans  les  vêtements,  et  qui,  ne 
pouvant  pas  quitter  entièrement  tout  l'exté- 
rieur de  l'air  de  leur  profession,  font  con- 
naître par  leur  conduite  qu'ils  n'en  ont  ni  les 
sentiments  ni  l'esprit. 

Enfin,  souvenons-nous,  mes  très-chères 
sœurs,  que  nous  sommes  entièrement  per- 
dus pour  le  monde  par  les  engagements  sa- 
crés de  notre  profession,  et  n'ayons  plus  de 
fréquentation  avec  ceux  qui  l'habitent.  Je  ne 
voudrais  pas  cependant  condamner  absolu- 
ment de  certains  devoirs  de  bienséance  quand 
on  essaye  de  les  animer  de  la  charité,  el  qu'il 
ne  s'y  trouve  rien  d'essentiel  aux  devoirs  de 
sa  profession  en  les  remplissant;  mais  rien 
n'est  si  opposé  à  l'esprit  de  la  retraite  et  de 
notre  profession,  qu'un  certain  désir  de  voir, 
de  converser,  d'entretenir  commerce  avec  les 
gens  du  monde  pour  qui  nous  sommes  per- 
dus par  les  engagements  de  notre  profession. 
Ce  désir  ne  peut  être  que  l'effet  de  l'amour 
que  nous  conservons  pour  les  personnes  que 
nous  avons  quittées.  Mais,  me  direz-vous, 
est-il  défendu  de  voir  des  amis  chrétiens,  de 
converser  avec  des  gens  d'Eglise  estimables, 
d'entrelenir  quelque  commerce  avec  des  per- 
sonnes raisonnables  et  qui  peuvent  nous  êlre 
de  quelque  utilité? 

Non,  cela  n'est  pas  absolument  défendu, 
mais  ces  commerces  ne  nous  sont  permis 
qu'autant  qu'ils  n'intéressent  point  nos  de- 
voirs principaux.  Or,  ces  sortes  d'euipresse- 
ments  pour  voir  et  pour  converser  avec  le 
monde  sont  des  effets  d'un  amour  qui  no 
convient  plus  au  renoncement  absolu  que 
nous  y  avons  fait,  et  celle  situation  esl  pré- 
cisément la  même  que  celle  où  se  trouva  le 
peuple  de  Dieu  après  qu'il  eut  passé  la  mer 
Rouge  et  qu'il  fut  entré  dans  le  désert.  Il 
s'ennuya  dans  cette  relraile,  il  s'accoutuma 
aux  miracles  que  Dieu  avait  faits  en  sa  fa- 
veur, il  se  dégoûta  de  la  manne  qui  tombait 
du  ciel,  en  un  mot,  revenant  sur  ce  qu'il 
avait  quille,  il  regretta  les  oignons  d'iigyple  : 
et  comme  il  ne  pouvait  plus  y  retourner,  à 
cause  de  la  mer  qui  lui  en  fermait  le  pas- 
sage, il  s'y  transportait  par  ses  désirs  :  Corde, 
dit  saint  Bernard,  redit runt  in  Jiqyptum. 
Voilà  l'élald'un  solitaire  qui  s'ennuie,  voilà 
la  disposition  d'une  vierge  chrétienne  qui 
sent  toujours  les  impressions  d'un  amour  il- 
légitime pour  ce  qu'elle  a  quitté  :  elle  ne  peut 
retourner  dans  le  monde,  les  chemins  lui  en 
sont  fermés,  il  y  a  une  mer  à  passer;  mais 
elle  y  retourne  par  ses  désirs,  elle  appelle  le 
monde  à  elle,  elle  le  prie  de  se  rapprocher. 
Or,  mes  sœurs,  nous  ne  sommes  véritable- 
ment que  ce  que  nous  sommes  devant  Dieu, 
cela  esl  certain;  nous  pouvons  paraîtra  auv 
yeux  des  hommes  ce  que  nous  ne  sommes 
point,  nous  les  trompons  par  des  apparen- 
ces, mais  nous  ne  saurions  en  imposer  à 
Dieu. 

Que  diriez-vous  si  vous  voyiez  une  reli- 
gieuse sorl.r  de  son  cloilrc  tous  les  jours  pour 
aller  rendre  dei  viviles,  quitter  furtivement 
su  solitude  pour  aile;  converser  avec  le  mon- 


!)03 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME, 


tic?  Vous  en  seriez  icandaliiées,  <  l  vous  au- 
riez raison;  vous  regarderiez  cette  Bile  arec 
indignation.  Quelle  différence  cependant  y 
;i-t-il  de  colle  Bile  avec  celle  de  qui  le  ccenr 
sort  tous  les  jours  contre  ses  obligations  pour 
aller  chercher  ce  qu'elle  a  quitte,  pour  taire 
rapprocher  d'elle  ce  qu'elle  en  a  sépare  par 
un  engagement  solennel  passé  avec  Dieu.' 

Voici  la  différence  :  c'est  que  celle-là  vous 
scandalise  et  celle-ci  vous  trompe;  l'une  ne 
garde  pas  des  mesures  qui  sauvent  sa  réputa- 
tion dans  l'esprit  des  hommes,  et  l'autre  vit 
dans  des  dispositions  qui  la  rendent  crimi- 
nelle aux  yeux  de  Dieu  ;  elle  se  perd  au  ju- 
gement de  Dieu  en  conservant  dans  la  pen- 
sée des  hommes  l'honneur  d'un  sacrifice  que 
la  disposition  de  son  cœur  rend  inutile  et  sa- 
crilège, et  on  peut  dire  qu'elle  est  semblable 
à  un  martyr  aveugle  et  dignede  compassion, 
lequel,  après  avoir  essuyé  des  peines  et  sup- 
porté des  tourments,  exposerait  le  fruit  de 
ses  travaux  pour  vouloir  sentir  seulement, 
en  allant  au  supplice,  l'odeur  de  l'encens  que 
les  païens  offriraient  aux  idoles.  Quel  aveu- 
glement, mes  chères  sœurs,  et  quelles  mi- 
sères! Nous  sommes  perdus  pour  le  monde, 
soyons-le  pleinement,  éloignons-le  de  nous 
comme  nous  nous  sommes  éloignés  de  lui, 
et  conservons  dans  notre  cœur  un  vrai  et 
sincère  désir  d'en  être  oubliés  tout  à  fait.  C'est 
la  plus  heureuse  situation  où  puisse  se  trou- 
ver une  épouse  de  Jésus-Christ;  il  n'en  faut 
plus  chercher  d'autre  preuve  que  celle  que 
nous  fournissent  ces  paroles  du  Sauveur  du 
monde  :  Si  le  monde  vous  hait,  sachez  qu'il 
m'a  haï  devant  vous.  Si  vous  étiez  du  mondé, 
le  monde,  mes  chères  sœurs,  vous  aimerait, 
parce  qu'il  aime  tout  ce  qui  est  à  lui.  Y  a-t-il 
un  plus  grand  malheur  pour  une  vierge  chré- 
tienne que  d'être  encore  du  monde  après  y 
avoir  renoncé  ?  et  au  contraire  y  a-t-il  quel- 
que chose  qui  puisse  la  consoler  davantage, 
et  lui  donner  une  assurance  plus  certaine 
qu'elle  est  dans  l'esprit  de  sa  vocation,  et 
qu'elle  est  séparée  réellement  et  véritable- 
ment du  monde,  que  de  voir  que  le  monde 
la  hait?  Or,  une  marque  de  celte  haine  du 
monde  pour  elle,  c'est  qu'il  l'oublie;  car  il 
ne  l'oublierait  pas  s'il  l'aimait,  puisque  le 
Sauveur  du  monde  nous  assure  que  le  monde 
aime  ce  qui  est  à  lui ,  par  conséquent  ce  qu'il 
oublie  n'est  point  à  lui. 

Quel  bonheur,  mes  chères  sœurs,  qu'il 
n'en  coûte  que  l'amitié  du  monde  pour  pos- 
séder Jésus-Christ!  que  l'oubli  du  monde 
nous  attire  les  bontés  de  notre  Dieu  !  Prenons 
donc  bien  garde  de  réveiller  le  monde  quand 
il  nous  oublie;  faisons  plutôt  tous  nos  efTorls 
pour  qu'il  ne  pense  pas  à  nous;  enfonçons- 
nous  dans  nos  tombeaux,  pour  qu'il  n'ait  au- 
cun souvenir  de  nous  ;  ne  l'attirons  point  par 
des  plaintes  sur  son  oubli,  par  des  sollicita- 
tions et  par  des  reproches.  Ne  perdons  jamais 
de  vue  la  réponse  du  Sauveur  du  monde  à  ce 
disciple  qui  lui  demande  la  permission  d'aller 
ensevelir  son  père  avant  que  de  se  mettre 
tout  à  lait  à  sa  suite  :  Suivez-moi,  lui  dit  le 
Sauveur  du  monde,  et  laissez  aux  morts  le 
soin  d'ensevelir  les  morts 


Il  ne  refuse  pas,  disent  les  Pères,  qu'on 
rende  ces  devoirs;  mais  il  veut  nous  appren- 
dre que  nous  n'avons  rien  de  plu  impor- 
tant que  l'affaire  de  notre  salut  et  l'accom- 
plissement de  la  volonté  de  Dieu,  à  quoi  tout 
doit   céder.  Or,  s'il    donne  ce  conseil  ;,  celai 

qui  n'est  point   encore  i  i  le  suirre, 

sera-t-il  permis  à  ceux  qui  se  sont  livrée  en- 
tièrement à  lui  par  des  rœox  solennels  et  des 

engagements  indissolubles  ,  de  retourner 
vers  ce  qu'ils  ont  quitté  et  de  rechercher  ce 
qu'ils  ont  rejeté?  Si  nous  disons  aux  gens  du 
siècle,  que  quelques  liens  retiennent  tou- 
jours quand  Dieu  les  appelle  :  N*écoutei 
point  la  \oiv  du  sang,  méprisez  tous  ses 
éganis,  ne  faites  point  d'attention  sur  ces 
devoirs  de  la  vie  civile  quand  il  est  question 
de  votre  salut,  que  doit-on  dire  à  une  vier- 
ge chrétienne  qui  doit  être  élevée  au-dessus 
de  tous  ces  égards,  qui  doit  mépriser  toutes 
ces  vues,  qui  doit  se  regarder  comme  une 
personne  ensevelie  dans  la  solitude,  où  elle 
ne  vit  plus  que  pour  Dieu,  et  qui  doit  être 
ravie  que  le  monde  ne  pense  plus  à  elle? 
C'est  alors  qu'elle  pourra  dire  ces  paroles 
dans  toute  leur  étendue,  comme  David  le>  a 
dites  étant  persécuté  et  oublié  par  sa  famille 
et  par  ses  proches  :  Soyez  à  mon  aide,  ne 
m'abandonnez  pas,  et  ne  me  méprisez  pas,  6 
Dieu  qtà  êtes  mon  Sauveur  !  Mon  père  et  ma 
mère  m'ont  abandonnerais  le  Seigneur  s'est 
chargé  de  moi  pour  en  j/rendre  soin.  Prescri- 
vez-moi, Seigneur,  la  loi  que  je  dois  suivre 
dans  cette  voie,  et  conduisez-moi  dans  le  droit 
chemin.  11  vous  mènera,  mes  chères  sœurs, 
à  la  vie  éternelle,  si  vous  suivez  les  maximes 
que  nous  vous  exposons  ici  :  je  vous  la  sou- 
haite. Ainsi  soit-il. 

SEPTIÈME  DISCOURS. 

Tradili  snmus  e^ro  et  populus  meus,  ut  conleramur,  ju- 
gulemur,  et  pereamus. 

A'oiis  taon»  été  livrés,  moi  et  mon  pïuple,  pour  être  /ou- 
lés  aux  pieds ,  pour  être  égoryét,  cl  exterminés  (Ktiher., 

C'est  ainsi  que  parlait  la  reine  Eslher 
pour  loucher  le  cœur  d'Assuérus  et  obtenir 
grâce  pour  tout  son  peuple.  Je  me  sers  de 
ces  paroles,  mes  très-chères  sœurs,  pour  vous 
donner  une  idée  plus  étendue  des  obligations 
d'une  parfaite  religieuse,  regardée  par  rap- 
port à  elle-même. 

Nous  avons  dil  en  général  dans  un  autre 
discours  que  c'était  une  personne  armée  con- 
tre elle-même;  il  faut  aujourd'hui  vous  dé- 
couvrir en  détail  ses  obligations  sous  cette 
qualité. 

Ainsi  on  doit  dire  qu'une  parfaite  reli- 
gieuse, armée  contre  elle-même,  ne  se  doit 
épargner  en  rien;  il  faut  que  tout  soit  sacri- 
fie, laine  et  le  corps,  les  pensées  de  l'esprit 
et  les  affections  du  cœur.  Qu'une  proposi- 
tion si  dure  en  apparence  ne  vous  effraye 
pas,  mes  très-chères  sœurs  :  Vous  sa\e/  que 
celui  qui  perd  son  dnie  pour  le  Seigneur  la 
doit  retrouver  sûrement ,  et  que  ce  corps  plein 
de  corruption  doit  ressusciter  incorruptible. 
Tout  ceci  se  terminera  donc   à  une  violence 


905 


SEPTIEME  DISCOURS 


passagère  qui  nous  conduira  à  une  félicité 
fixe  et  permanente.  Or,  pour  vaincre  dans 
les  combats  qu'une  vierge  chrétienne  doit 
soutenir  contre  elle-même,  afin  de  rempor- 
ter une  victoire  qui  la  rendra  digne  d'être 
couronnée,  1°  il  faut  qu'elle  s'applique  à  re- 
tenir continuellement  les  légèretés  de  son 
esprit,  qui  se  dissipe  aisément;  2°  à  fixer  les 
inconstances  du  cœur,  qui  s'échappe  facile- 
ment ;  3°  à  surmonter  les  résistances  qu'elle 
trouvera  en  elle,  qui  répugnent  toujours  au 
bien.  Commençons  à  vous  prouver  la  pre- 
mière proposition. 

L'esprit  de  l'homme,  mes  chères  sœurs, 
n'est  fait  que  pour  la  vérité.  C'est  sa  nour- 
riture sur  la  terre,  dit  saint  Augustin,  et  la 
félicité  qu'il  attend  dans  le  ciel  n'est  autre 
chose  que  la  joie  qui  se  trouve  dans  la  vérité. 
Il  en  jouissait  dans  l'état  d'innocence,  il  l'a 
perdue  par  le  péché ,  c'est-à-dire  que  la 
transgression  du  précepte  qui  lui  avait  été 
fait  s'est  terminée  à  lui  faire  connaître  sa  mi- 
sère cl  à  le  jeter  dans  l'ignorance  et  dans 
l'erreur.  De  toutes  les  lumières  dont  le  Sei- 
gneur avait  rempli  l'esprit  du  premier 
homme,  et  qu'il  y  avait  mises  en  dépôt  pour 
les  répandre  sur  sa  postérité,  il  ne  nous 
reste  plus  qu'un  sentiment  confus  de  notre 
dégradation  et  de  notre  ruine.  Heureux  en=- 
core  si  nous  en  étions  bien  convaincus,  et 
si,  par  un  aveuglement  d'obstination  et  de 
choix,  nous  ne  voulions  pas  prendre  les  té- 
nèbres pour  la  lumière,  et  suivie  avec  com- 
plaisance les  légèretés  de  notre  esprit  qui 
nous  conduisent  d'erreur  en  erreur,  et  qui 
nous  engagent  à  combattre  contre  nous-mê- 
mes, pour  reprendre  le  chemin  de  la  vérité! 
Entrez  bien  en  ceci. 

Nous  avons  déjà  dit  qu'il  y  avait  en  nous 
deux  hommes,  le  vieil  et  le  nouveau,  Adam 
elJésus-Chrisl.  Le  premier  est  plus  ancien 
que  le  second,  si  j'ose  ainsi  parler,  c'est-à- 
dire  que  nous  appartenons  bien  plus  à  Adam, 
malheureusement  pour  nous,  qu'à  Jésus- 
Christ.  Nous  sommes,  dit  saint  Augustin, 
régénérés  dans   la  pointe   de  l'âme,  tout,  est 

firesque  vieux  en  nous  ;  c'est  ce  qui  fait  que 
es  impressions  du  vieil  homme  sont  plus  vi- 
ves que  celles  du  nouveau.  Nous  avons  bien 
plus  de  pente  au  mal  qu'au  bien,  aux  ténè- 
bres qu'à  la  lumière,  à  l'erreur  qu'à  la  vé- 
rité. Le  mauvais  sentiment  est  toujours  le 
premier  qui  se  forme  en  nous.  Ce  qui  est  en 
nous  du  vieil  Adam  est  plus  fort,  plus  vif, 
plus  agissant  que  ce  que  nous  tenons  du  nou- 
veau; les  sens  l'emportent  sur  la  foi;  l'er- 
reur et  le  mensonge  sur  la  vérité.  Do  là  la 
nécessité  de  combattre  les  obstacles  qui  s'op- 
posent à  notre  retour  vers  elle,  cl  de  faire 
îles  efforts  continuels  pour  y  arriver.  Elle 
est  la  nourriture  de  l'esprit  de  l'homme, 
mais  il  est  nécessaire  qu'il  travaille  pour  ve- 
nir au  point  de  s'en  nourrir.  Terrible  diffé- 
rence entre  le  premier  homme  cl  nous  1  11 
était  dans  le  paradis  terrestre,  nous  en  som- 
mes chassés.  Là  il  cultivait  la  terre,  mais  ce 
travail  étail  délicieux,  dit  saint  Augustin  ; 
ici  nous  devons  travailler  pour  être  nourris 

OllATIil/RS    SACRÉS.    XXX. 


POUR  UNE  RETRAITE.  906 

de  la  vérité;  mais  que  ce  pain  nous  coûte 
cher!  nous  ne  mangeons  ce  pain  qu'à  la 
sueur  de  noire  corps  :  In  sudore  vultus  lui. 
Ce  fonds  de  terre  ne  produit  plus  que  des 
broussailles  et  des  épines  :  Terra  in  opère 
tuo  spinas  et  tribulos  germinabil  libi  :  c'est- 
à-dire  que  d'abord  notre  âme,  remplie  des 
lumières  de  Dieu  et  pénétrée  de  la  vérité, 
n'était  formée  que  pour  contempler  sa  gran- 
deur et  pour  s'élever  à  lui  par  de  continuel- 
les admirations,  par  des  actes  d'adoration 
toujours  nouveaux,  par  une  application  fixe 
àla  contemplation  de  ses  divines  perfections; 
mais  celte  âme  présentement  ne  peut  pres- 
que s'élever  vers  lui,  et  n'y  pense  que  par 
des  intervalles  fort  courts.  Elle  est  interrom- 
pue par  mille  pensées  vaines  et  frivoles  dès 
qu'elle  songe  à  s'en  occuper.  Vous  le  savez, 
mes  chères  sœurs,  quelles  sont  les  interrup- 
tions auxquelles  nous  sommes  sujcîs  tous 
les  jours,  dans  l'application  que  nous  vou- 
lons donner  à  la  méditation  de  la  vérité. 
Quelle  foule  de  pensées  inutiles  nous  acca- 
blent, même  malgré  nous,  et  se  glissent  à 
notre  insu  si  subitement  dans  notre  cœur, 
qu'il  n'est  pas  possible  de  s'en  apercevoir  et 
de  les  remarquer  1  Ces  sortes  de  pensées  dé- 
rangent les  âmes,  comme  les  vers  réduisent 
en  poussière  les  vêtements.  Vous  pensez 
trouver  un  habit  pour  vous  vêtir,  quand 
vous  allez  dans  un  lieu  que  vous  avez  cru 
propre  à  le  conserver,  et  vous  ne  trouvez 
plus  qu'une  poassière  arrangée  qui  se  dis- 
sipe quand  vous  y  louchez  :  ainsi  on  se  met 
en  la  présence  de  Dieu,  on  se  forme  un  sujet 
pour  le  méditer,  on  croit  se  remplir  de 
grandes  vérités  cl  animer  son  cœur  par  de 
pressants  motifs  ;  mais  l'esprit  c-A  emporté 
par  mille  pensées  vaincs  qui  se  succèdent  les 
unes  aux  autres,  et  on  se  trouve,  à  la  fin  de 
son  temps,  vide,  froid  et  sans  mouvement 
pour  le  bien. 

Il  est  vrai,  mes  chères  sœurs,  et  vous  le 
savez  sans  doute,  que  l'on  peut  considérer 
les  distractions  en  deux  manières  :  les  unes 
sonl  involontaires  cl  surprennent  les  élus 
mêmes  dans  la  ferveur  de  la  prière,  et  lors- 
qu'ils s'efforcent  davantage  de  se  conserver 
dans  la  présence  de  Dieu.  11  y  en  a  d'autres 
qui  sonl  volontaires,  que  nous  nous  procu- 
rons à  nous-mêmes,  qui  sonl  les  effets  de  la 
légèrelé  de  notre  esprit,  qui  se  remplit  do 
mille  idées  inutiles  ,  vaines ,  indignes  do 
nous.  Il  faut  donc  combattre  c^s  deux  obsta- 
cles que  la  légèrelé  de  notre  esprit  forme 
au  retour  de  la  vérité  en  nous  et  à  l'éléva- 
tion de  noire  âme  vers  Dieu,  source  de  loule 
vérité.  Les  sainls  oui  gémi  sous  le  poids  de 
ces  légèretés  involontaires,  et  voici  c.ommo 
sainl  Grégoire,  en  a  parlé  :  l.eurscœurs,  ditee 
saint  pape,  sont  dans  une  solitude  continuelle, 
cl  ils  ressentent  de  vives  afflictions  lorsqu'ils 
se  voient  troublés  parles  moindres  de  ces  agi- 
tations cl  de  ces  mouvements.  Par  rapport  à 
celles  qui  sonl  volontaires,  et  que  l'espril  se 
procure  à  lui-même,  on  ne  peut  les  regarder 
(pie  comme  des  effets  de  l'insensibilité  et  de 
la  durcie  de  noire  cœur,  du  peu  d'estime  que 

'29 


907 


ORATFt'R*  SACRES    D'-M  JFP.OMF 


008 


nous  faisons  ia  la  vérité,  ci  du  piu  de  res- 
peel  que  nous  portons  à  la  m  ij.slô  de  Dieu. 
Car  qu'est-ce  que  de  se  distraire  <!e  Dieu 
quand  l'égarement  esl  volontaire?  Ceci  quit- 
ler  le  Créateur  pour  cherche*  e(  pour  suivi" 
la  créature.  C'ait  se  détourner  de  lui  pour  10 
tourner  vers  elle;  ce  qui  M  peut  se  faire 
que  l'on  ne  donne  à  la  créature.  dans  le  fond 
de  son  cœur,  une  préférence  secrète. 

Qui  peu.  comprendre,  dit  encore  saint  Gré- 
goire, le  grand  nombre  de  fautes  que  l'on 
commet  par  des  pensées  vagabondes  et  in- 
constantes auxquelles  on  s'arrête?  On  peul 
aiaei  éviter  les  occasions  de  péché,  niais 
il  n'y  a  rien  de  si  difficile  que  de  garantir 
son  esprit  tle  pensées  inutiles.  Iïiles  sont 
plus  dangereuses  qu'on  ne  pense.  Ellea  ont 
une  malignité  cacliée,  et  à  moins  que  l'eu 
n'y  apporte  des  remèdes  propn  s  et  puis- 
sants, elles  infectent  nos  âmes,  elles  se  ré- 
p, mil.  ni  sur  tout  le  corps  de  nos  actions  et 
nous  jettent  dans  un  affreux  aveuglement  et 
dans  un  déplorable  éloignement  de  la  vérité. 

C'est  donc,  mes  chères  amure,  une,  occu- 
pation très-nécessaire  et  très-importante  que 
de  combattre  ces  sortes  de  pensées,  que  de 
faire  une  guerre  continuelle  à  son  esprit  et 
détruire  sans  cesse  cea  sortes  de  pensées 
pour  ne  s'occuper  que  de  la  vue  et  de  la  con- 
templation de  la  vérité  ;  et  c'est  ce  qui  se 
doit  faire  par  l'application  continuelle  à  re- 
trancher de  sa  mémoire  et  de  son  imagi  ri- 
lion  toute  idée  vaine  et  inutile,  en  s'inlerdi- 
sant  toute  mauvaise  curiosité  de  savoir  et 
de  connaître  une  infinité  de  choses  qui  se 
passent  dans  nos  familles,  auxquelles  nous 
avons  renoncé;  dans  le  monastère,  de  la 
conduite  duquel  nous  ne  sommes  point  char- 
gés ;  dans  la  conduite  de  nos  s-. "urs,  dont 
nous  ne  répondons  point;  en  vrillant  beau- 
coup sur  nous-mêmes,  pour  ne  laisser  entrer 
dans  notre  esprit  que  des  pensées  propres 
à  nous  élever  vers  Dieu  et  à  nous  conduire  à 
la  vérité. 

Ceci  demande  de  la  vigilance  cl  de  l'atten- 
tion; mais  l'avantage  d'éviter  les  maux  où 
nous  jettent  ces  légèretés  d'esprit,  et  celui 
de  nous  rapprocher  de  la  vérité,  mérite  bien 
que  nous  nous  appliquions  à  ce  travail. 

Tant  que  notre  âme,  dans  le  cours  de  no- 
tre vie,  sera  comme  inondée  par  le  torrent 
de  ses  passions,  il  esl  impossible  qu'elle  ne 
.soit  agitée  pur  une  multitude  de  pensées  ; 
mais  ('est  à  elle  à  veiller  et  à  appui  1er  tous 
ses  soins  pour  voir  quelles  sont  celles  à  qui 
elle  doit  donner  entrée  :  car  si  elle  s'occupe 
par  le  désir  de  s'avancer  dans  la  perfection, 
par  l'espérance  de  la  gloire,  par  la  contem- 
plation de  la  majesté  de  Dieu  et  des  choses 
éternelles  ,  les  pensées  saintes  qui  se  seront 
élevées  de  ces  saints  exercices  nous  rappro- 
cheront de  la  vérité,  et,  en  arrêtant  les  lé- 
gèretés de  notre  esprit,  serviront  beaucoup 
a  fixer  les  inconstances  de  notre  cœur.  Les 
dispositions  de  ce  cœur  Ue  son!  pas  meil'e  l- 
rea  que  celles  de  notre  esprit  ;  si  notre  esprit 
a  des  légèretés,  notre  cœur  a  ses  ineouslan- 
.  Il  faut  pour  le  moins  autant  d'attention 
et  de  travail  pour  fixer  les  unes  que  pour  ar- 


rêter les  antres  :  le  mal  vient  de  la  même 
source;  car  comme  l'esprit  Ml  ht  ponr  la 
vérité,  le  cœur  l'est  pour  la  justice.  L  appli- 
cation   de   l'un   esl  de  conn  litre,  et   celle  de 

l'antre  est  d'aimer;  cl  la  bonheur  de  l'un  et 

de  l'autre  cou  iste  à  posséder  Dieu  et  à  être 
rempli  de  ce  grand  objet  par  la  oouMniesanM 
cl  par  l'amour;  c'est  ce  qui  fait   la  f<  ' 
.Mais  comme   1  un  et  l'autre   par  le   |  (•• 
sont  détachés  de  cet  objet  [i  ur  retomber  sur 
la  créature,    l'un    cherché    à    se   remplir  de 
vainej  connaissances  a   la  place  de  la  \>  rite 
qu'il    a    quittée,   et  l'autre   court   après    un 
bonheur  qu'il  imagine  dans  la  jouissance  des 
créatures;   c'est  la  source  de  ci 
(  es  plus  dangereu  i  i  encore  que  les  lé 
tés  de  l'esprit. 

Pour  bien  entendre  ceci,  et  c'est  notre  se- 
conde rélle\ion,  il  faut  savoir  que  l'homme 
a  été  fait  pour  Dieu,  et  que  l'excellence  de  i;i 
nature  consiste  en  ce  qu'il  l'a  r  udu  capable 
de  le  posséder.  En  effet.  Lieu  nous  a  faits 
/tour  lui,  et  mire  cœur  est  toujours  sJautJ  I  n- 
i/italion  et  dans  le  trouble,  tsasfas'd  ce  qu'il 
soil  au  point  de  ne  elierclter  son  repos  qu'en 
lui,  dil  saint  Augustin.  La  sour  e  de  se- 
talions  et  de  sis  incons  ncei  vient  de  n'être 
pas  convaincu  qu'il  ne  peut  trouver  de  f  r- 
melé  et  de  solidité  que  dans  le  Créateur  :  I 
cherche  parmi  les  créatures  ce  qu  il  n'v 
trouvera  jamais;  il  voltige  d'objet  en  objet, 
cl,  ne  trouvant  qu'un  grand  vide  partout,  il 
cherche  toujours  et  ne  se  repose  jamais.  Or, 
quiconque  est  tourmenté  est  malheureux  ;  la 
misère  et  le  bonheur  ne  sauraient  subsister 
ensemble  dans  un  même  homme,  il  faut  donc 
revenir  à  Dieu,  car  nous  ne  saurions  être 
h "ureux  que  par  la  possession  de  ce  qui  est 
meilleur  que  nous;  mais,  pour  revenir  à  lui 
solidement,  il  faut  fKer  les  inconstances  du 
cœur;  il  faut  renoncer  aux  créatures,  cl  re- 
trancher toutes  les  liaisons  qu'un  faux  amour 
et  l'idée  d'un  bonheur  trompeur  voudrait  en- 
tretenir avec  elles. 

Il  fait  se  dérober  à  ce  cœur  tourmente, 
séduit  et  malade;  et  ne  nous  imaginons  pas 
que  ce  soil  une  chose  si  difficile,  proposons- 
nous  seulement  d'ouvrir  les  yeux  pour  n'être 
plus  trompés,  désirons  d'être  guéris  ;  consi- 
dérons les  créatures  en  elles-mêmes,  et  les 
objets  qui  causent  les  inconstances  de  notée 
CiBUf  ,  et  assurément  nous  revien. Irons  à 
Dieu.  L'homme  était  heureux,  il  a  quitté  son 
bonheur  pour  courir  après  les  créatures,  et 
il  ne  trouve  partout  que  du  vide:  mais  Dieu 
a  rendu  les  créatures  si  pauvres,  qu'elles  ne 
peuvent  lui  donner  de  consolations  solides. 
Il  faut  donc  qu'il  revienne  à  lui.  L'amertume 
même  des  peines  que  la  miséricorde  de  Dieu 
nous  fait  s  ruffrir,  en  punition  de  ce  que  nous 
nous  sommes  laisse  séduire,  devient .  entré 
les  mains  de  sa  miséricorde,  un  moyen  pool 
nous  faire  revenir  à  lui.  Donnons-lui  donc, 
mes  chères  sœurs,  toutes  les  affections  de 
notre  c  t  r,  arrachons  les  moindres  i 
qui  pou.  raient  nous  lier  le  moins  du  m 
aux  créatures.  Je  sai  i  ien  que  t  ul  amour 
jour  les  créaiuree  n'est  pas  mortel, 
qu'il  n'est  pas  toujours  dominant,  mais  il  est 


909 


HUITIEME  DISCOURS  POUR  UNE  RETRAITE. 


toujours  dangereux  ,  c'est  toujours  un  com- 
mencement d'infidélité,  et  ce  seul  mol  doit 
faire  trembler  une  épouse. 

Prenons  pour  notre  règle  celle  de  saint 
Bernard  :  Modus  diligendi  Deum  sine  modo 
diligere.  la  mesure  de  notre  amour,  c'est 
d'aimer  sans  mesure,  et  de  ne  rien  admettre 
dans  notre  cœur  qui  puisse  affaiblir  notre 
amour.  Celui  qui  aime  véritablement,  dit  saint 
Jean  Climaquc.  se  représente  sans  cesse  le  vi- 
sage de  la  personne  qu'il  aime  ,  et  le  regarde 
arec  tant  de  joie  dans  sa  seule  pen  e'e ,  que  le 
sommeil  même  n'est  pas  capable  de  détourner 
son  affection,  puisqu'elle  lui  en  fait  même  voir 
l'objet  en  songe.  Il  en  doit  être  ainsi  de  l'amour 
de  Dieu  :  c'est  ce  qui  fait  dire  à  l'épouse  des 
Cantiques,  blessée  du  trait  de  l'amour  divin  : 
Je  dors  ,  par  la  nécessité  de  la  nature;  mais 
mon  cœur  veille  ,  par  la  grandeur  de  mon 
amour. 

Après  tout,  mes  chères  sœurs,  ne  nous 
plaignons  ni  de  la  jalousie,  ni  des  sévérités 
de  la  délicatesse  que  nous  devons  apporter 
dans  notre  amour  pour  le  Créateur  :  c'est 
moins  pour  lui  que  pour  nous-mêmes  qu'il 
veut  nous  arracher  si  absolument  aux  créa- 
tures ,  et  anéantir  dans  notre  cœur  toute 
affection  et  toute  pente  vers  elles;  car  nous 
ne  devons  aimer  que  les  choses  dont  la  pos- 
session nous  peut  rendre  heureux.  Or  on  ne 
saurait  jouir  en  paix  de  ce  que  l'on  sent  bien 
qu'on  doit  perdre,  et  comment  peut-on  être 
heureux  étant  continuellement  tourmenté 
par  la  crainte  de  perdre  ce  qu'on  aime?ei  telles 
sont  toutes  les  créatures  et  tous  les  biens  de 
celte  vie.  C'est  donc  un  effet  de  la  bonté  de 
Dieu  de  se  substituer  en  leur  place  ,  lui  qui 
est  le  seul  bien  qui  peut  nous  rendre  heu- 
reux ,  et  que  rien  ne  nous  peut  ôter  malgré 
nous.  Mais  comme  on  n'arrive  à  la  possession 
de  ce  souverai  i  et  de  cet  unique  bien  de 
l'âme  que  par  la  pratique  du  bien,  disons  un 
mot  de  la  nécessité  de  surmonter  les  rési- 
stances qui  se  rencontrent  pour  pratiquer  ce 
bien. 

Nous  avons  déjà  dit  que  le  corps  livrait  un 
combalcontinuel  à  l'esprit,  etqu'il  formait  des 
résistances  à  tout  le  bien  que  l'esprit  voulait 
entreprendre;  c'est  donc  notre  principal  en- 
nemi, contre  lequel  nous  evons  toujours 
être  armés.  N'écoulons  pas  le  monde  ,  qui 
enseigne  que  ce  n'est  pas  viv.c  que  de  se 
combattre  et  se  renoncer  continuellement  soi- 
même,  licuuions  Jésus-Christ  an  contraire, 
qui  nous  dit  parla  bouche  de  son  Apùtro  : 
Si  vous  fuites  mourir  par  l'esprit  les  œuvres 
de  la  chair,  vous  vivrez,  En  effet,  mes  sœurs, 
comme  le  corps  qui  aura  élé  soumis  à  I  es- 
pril  ,  et  qui  aura  servi  d'instrument  à  ses 
bonnes  œuvres  ,  sortira  immortel  Ju  tom- 
beau, où  il  aura  été  exposé  à  la  corruption, 
la  mortification  et  la  pénitence  le  conservera 
et  le  préparera  à  la  bienheureuse  immorta- 
lité :  la  h. oit  qui  nous  detruil  est  un  passage 
à  un  étal  plus  heureux,  elle  nous  fait  naître 
pour  l'immortalité  ,  perdant  qu'on  croit 
qu'elle  nous  anéantit. 

Ainsi,  mes  chères  sœurs,  ceux  qui  comme 
vous  IM  se  contentent  pas  seulement  de  re- 


910 

fuser  à  leurs  corps  les  délices  de  la  vie,  mais 
qui  les  affligent  par  les  austérités  de  la  péni- 
tence, et  qui  les  tiennent  dans  un  assujettis- 
sement continuel  par  les  exercices  d'une 
mortification  vive,  continuelle  et  sans  relâ- 
che ,  passeront  toujours  ,  au  jugement  des 
hommes  sages,  pour  ennemis  d'eux-mêmes  , 
quoiqu'ils  soient  du  nombre  de  ceux  qui  s'ai- 
ment le  plus  et  qui  cherchent  leurs  intérêts 
avei  plus  d'ardeur.  N'interrompez  donc  point 
celle  guerre  innocente,  mes  très-chères  sœurs; 
animez-vous-y  au  contraire  de  plus  en  plus, 
puisqu'elle  doit  vous  procurer  une  paix  éter- 
nelle. N'oubliez  jamais  que  l'emploi  d'une 
vierge  chrétienne  sur  la  terre,  c'est  de  com- 
battre; que  son  devoir,  c'est  de  vaincre  ,  et 
qu'elle  trouvera  sa  gloire  et  son  triomphe 
dans  le  sein  de  l'immortalité  :  je  vous  la  sou- 
h  iite.  Ainsi  s  oit-il. 

HUITIÈME  DISCOURS. 

Ego  atilein  Christi. 

Peur  moi  je  suis  à  Jésus-Christ  (I  Cor.,  I,  12). 

Une  parfaite  religieuse,  livrée  entièrement 
à  Jésus-Christ  par  sa  profession,  doit  pren- 
dre pour  sa  devise  ces  paroles  de  saint  Paul  : 
Pour  moi,  je  suis  à  Jésus-Christ.  Il  s'agit 
maintenant  d'examiner  l'étendue  de  ces  cn- 
gagementsavec  Jésus-Christsous  ces  qualités 
d'époux  et  d'épouse,  puisque  nous  avons  exa- 
miné les  autres  devoirs  sous  les  différents 
caractères  que  sa  profession  sainte  lui  im- 
prime. Or  il  n'y  a  point  d'engagement  plus 
universel  que  celui  qt.e  contracte  une  épouse 
avec  son  époux  ;  c'est  pourquoi,  dit  le  Fils  de 
Dieu ,  L'homme  abandonnera  son  père  et  sa 
mère ,  et  il  demeurera  attaché  à  sa  femme;  et 
ils  formeront  tous  deux  une  société  plus  in- 
time et  plus  inséparable  que  celle  des  pères 
et  des  mères  avec  leurs  entants  ;  société  d'âme 
et  de  corps,  de  vie  et  de  biens. 

C'esl  donc  sur  l'idée  de  l'union  de  l'époux 
et  de  l'épouse  qu'il  faut,  selon  saint  Bernard, 
que  nous  formions  l'idée  de  celle  qui  doit 
être  entre  l'épouse,  selon  la  foi,  el  Jésus- 
Christ  qui  est  l'époux.  Or  voici  comme  parle 
saint  Bernard  :  Une  épouse  livrée  à  son 
époux  n'a  plus  rien  qui  lui  soit  propre;  tout 
est  commun,  lout  est  confondu;  il  faut  qu'il 
y  ail  une  seule  el  même  communauté  de 
biens,  une  iréme  lablc ,  et  vivre  des  mêmes 
aliments  :  Çuibus  omnia  communia  nihil  a  se 
divisum  hubentibu*  ,  una  hœr éditas  ,  una 
domus,  una  mriisa,  unus  cibus.  Ainsi  l'épouse 
livrée  entièrement  à  son  époux  doit  n'avoir 
d'autre  bien  que  celui  de  son  époux  ,  ni 
d'autre  volonté  que  la  sienne.  Expliquons 
ceci  ,  mes  chères  sœurs. 

Il  est  à  propos,  pour  animer  noire  recon- 
naissance envers  un  époux  qui  a  tout  fait 
pour  nous,  que  je,  vous  dise  que  l'on  cherche 
ordinairement  une  sorlc  d'égalité  entre  les 
personnes  que  l'on  veut  unir  par  celle  al- 
lianre.  Si  l'on  veut  qu'un  mariage  soit  heu- 
reux, on  le  fait  entre  des  personnes  égales; 

.  is  où  trouver  de  l'égalité  entre  Jésus-Christ 
et  les  âmes  qu'il  choisit  pour  ses  épouses? 
C'esl  un  roi  ,  el  nous  sommes  ses  vassaux  , 
quelle  différence  I  H  y  a  plus  :  quelles  sont 


!)il 


les  qualités  «le  rot  époux  cl  de  ce  roi,  et 
quelles  sont  tes  vôtres?  11  est  saint,  et  vous 
êtes  blessées  Je  la  plaie  du  péché .  11  est  libre 
et  souverain  ,  et  vous  éles  esclaves  et  char- 
gées des  chaînes  du  péché.  Il  est  roi  et  plein  de 
richesses,  et  vous  éles  dépouillées  et  réduites 
à  la  plus  profonde  misère;  quelles  opposi- 
tions! Cependant  il  vous  a  choisies  et  vous 
a  enrichies  de  ■•es  grâces  :  et  pour  vous  faire 
comprendre  rétendue  de  sa  miséricorde,  il  a 
jeté  les  veux  sur  vous,  quand  il  vous  a  donné 
sa  grâce,  afin  qu'il  trouvât  en  vous  quelque 
chose  d'admirable  cl  digne  de  lui.  Quelle 
gloire,  mes  chères  sœurs  ,  que  d'entrer  dans 
une  telle  communauté  ,  et  quelle  obligation 
de  lui  garder  la  fidélité  dans  les  devoirs  que 
vous  avez  contractés  par  une  telle  alliance! 
Or,  comme  les  biens  sont  confondus  dans  les 
alliances  humaines,  il  faut  dans  ceilc-ci  que 
l'épouse  n'en  ait  plus  d'autres  que  ceux  de 
son  époux  :  Una  hœreditas,  una  domus.  Mais 
quels  sont  les  biens  de  l'époux  qui  vous  a 
choisies  et  à.  qui  vous  vous  éles  livrées?  C'est 
la  pauvreté.  11  a  dit  dans  l'Evangile  qu'iï  n'a 
pas  où  reposer  sa  (été  ;  de  riche  qu'il  était ,  il 
s'est  fait  pauvre  ,  dil  l'Apôtre,  pour  vous  en- 
richir; né  dans  un  établc  ,  exposé  aux  inju- 
res de  l'air,  ayant  mené  une  vie  obscure  et 
cachée  dans  le  travail  et  dans  la  dépendance, 
mort  nu  sur  une  croix,  enterré  dans  un  sé- 
pulcre d'emprunt,  il  a  ennobli  et  consacré  la 
pauvreté  dans  sa  personne.  Quel  est  l'héri- 
tage de  ses  enfanis  sur  la  lerre?  La  pauvreté, 
l'abnégalion  de  soi-même,  le  dépouillement, 
enfin  le  détachement  intérieur  de  tout  ce  qui 
s'appelle  biens,  richesses,  honneurs,  luxe  et 
inagnificcnccll  rejette  ceux  qui  ne  renoncent 
pas  aux  biens  périssables,  lln'admc'lra  donc 
jamais  au  nombre  de  ses  épouses  celles  qui 
n'auront  pas  renoncé  à  ces  sortes  de  biens  , 
il  n'admet  point  des  biens  étrangers  dans  sa 
famille,  où  tout  doit  cire  spirituel. 

Comprenez  bien  ,  mes  chères  soeurs,  jus- 
qu'où doit  aller  celle  pauvreté  cl  l'amour 
de  celle  verlu  pour  avoir  quelque  rapport 
avec  le  dépouillement  de  Jésus-Christ  et  la 
pauvre'é  où  il  s'est  réduit  pour  se  mettre  en 
état  de  faire  alliance  avec  nous.  Saint  Ber- 
nard nous  l'apprendra,  car  il  veut  que  dans 
Ja  pratique  de  cette  vertu  ,  pour  la  rendre 
parfaite  et  pour  nous  assurer  qu'elle  est  en 
nous  au  point  où  elle  doit  être  ,  afin  de  ré- 
pondre à  ce  que  nous  devons  à  Jésus-Christ, 
nous  nous  fassions  une  loi  de  ne  rien  deman- 
der cl  do  ne  rien  désirer.  En  effet ,  pour  élre 
véritablement  pauvres  avec  notre  époux  ,  il 
ne  suffit  pas  ,  mes  chères  sœurs  ,  d'avoir  re- 
noncé à  la  propriété  de  vos  biens  et  de  vous 
être  réduites  à  ce  dépouillement  extérieur  cl 
à  celle  désapproprialion  essentielle  à  votre 
état,  et  qui  est  une  suilc  nécessaire  de  voire 
profession  ;  il  faut  que  celle  disposition  ex- 
térieure soit  soutenue  et  animée  d'un  senti- 
ment intérieur  et  d'un  détachement  plein  et 
entier  produit  par  la  foi  qui  nous  attachée 
Jésus-Christ  pauvre,  et  qui  nous  fasse  aimer 
l'esprit  de  pauvreté.  Car  prenez  garde  que 
ce  n'est  pas  la  pauvreté  qui  fait  les  vrais 
pauvres  tels  que  Jésus-Christ  les  demande  , 


ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROMK  012 

c'est  l'amour  de  celte  verlu  ;  comme  ce  ne 
sont  pai  les  tourments  et  les  supplices  qui 
font  les  marl)rs  ,  mais  la  charité  ,  l'amour 
de  Dieu,  la  cause  Je  Jésus-Christ  et  les  inté- 
rêt! de  la  foi  et  de  la  vérité  ,  pour  la  défense 
de  laquelle  ils  souffrent  :  A'o»  est  pvim,  ted 
causa  ;  autrement  il  tau  Irait  honorer  les 
chaînes  d'un  scélérat.  Disons  la  même  <  bote 
de  la  pauvreté  :  Non  pœna,  sed  causa  ;  sans 
cela  il  faudrait  respecter  les  haillons  d'un 
misérable. 

C'est  dans  la  disposition  du  cœur  que  se 
trouve  la  verlu.  Heureux  ,  dil  Jésus-Christ  , 
les  pauvres  d'esprit ,  c'est-à-dire  qui  oui  l'es- 
prit et  l'amour  de  la  pauvreté  !  Beatt  jkiu- 
peres  spirilu!  Or.  cette  disposition  ne  sera 
jamais  telle  qu'elle  doit  élre,  si  une  épouse 
n'est  pas  dans  la  disposition  de  ne  rien  de- 
mander. Elle  est  dépouillée  d<  tout  droit  sur 
les  choses  périssables  ;  elle  doit  s'abandon- 
ner pour  loutes  clioses  à  la  Providence  ;  elle 
n'a  d'aulre  ressource  que  les  soins  de  son 
époux  pour  elle  ;  elle  doit  se  ressouvenir 
qu'il  n'avait  pas  lui-même  où  reposer  sa 
tête.  Loin  donc  d'une  épouse  de  Jésus-Christ, 
non-seulement  les  empressements  ,  mais  les 
soins  pour  les  choses  qui  sont  dans  la  classe, 
du  superflu,  pour  les  commodités  ,  pour  les 
choses  plus  belles  ,  plus  propres,  plus  cu- 
rieuses ;  ce  qu'il  y  a  de  plus  simple,  de  plus 
vil  et,  comme  disait  saint  Ambroise,  ce  qui  est 
moindre  aux  yeux,  forme  en  nous  les  plus 
beaux  traits  de  ressemblance  de  Jésus- 
Christ. 

Une  épouse  ne  doit  rien  désirer  des  choses 
périssables  ;  car  le  désir  est    l'effet   de  l'a- 


mour, et  l'amour  île  ces  choses  périssables 
est  incompatible  avec  les  dispositions  du 
cœur  que  nous  venons  de  supposer  ;  car 
c'est  l'amour  de  la  pau\rcté  qui  fait  le  pau- 
vre et  l'amour  des  richesses  qui  fait  le  riche; 
ce  qui  fait  dire  à  saint  Augustin  :  Abraham 
a  été  pauvre  dans  les  richesses,  parce  qu'il 
les  a  possédées  sans  les  aimer  ;  c'est  pour 
cela  que  Lazare,  qui  était  dépouillé  des  biens 
de  la  lerre  ,  est  porlé  dans  son  sein  par  les 
mains  des  anges  ,  comme  dans  le  trône  de 
la  pauvreté  qui  régnait  dans  le  cœur  de  ce 
patriarche.  Et  ne  serait-ce  pas  se  rendre  dou- 
blement misérable  ,  que  de  porler  les  désirs 
de  son  cœur  vers  des  choses  qu'on  a  quittées, 
en  risquant  de  perdre  celles  qu'on  a  préten- 
du acquérir  en  les  quittant? 

Enfin,  la  marque  sûre  que  le  cœur  est 
dans  la  disposition  où  il  doit  être  à  l'égard 
de  la  pauvreté  ,  c'est  si  l'on  se  sent  dans  la 
tranquillité  lorsque  quelque  chose  vient  à 
nous  manquer.  Une  épouse  de  Jésus-Christ 
doit  être  dans  la  même  égalité  d'âme  lors- 
que quelque  chose  lui  manque. 

Mais  à  quoi  servirait  celle  communauté 
de  biens  cl  celle  réunion  du  même  esprit  de 
pauvreté,  si  l'union  des  volontés  dans  le  reste 
des  actions  ne  l'aceompagne  pas  ?  il  ne  suf- 
fit pas  que  les  biens  soient  communs,  il  faut 
que  les  cœurs  soient  unis  et  que  les  \  "tou- 
tes soient  confondues  :  car  que  serait-ce  si 
elles  étaient  opposées?  c'est  ce  que  saint 
Bernard  explique ,  eu  disant  qu'il  faul  n'a- 


915 


HUITIEME  DISCOURS  POUR  UNE  RETRAITE. 


914 


voir  plus  d'autre  table  ni  d'autre  nourriture 
que  celle  de  son  époux  :  Una  mensa ,  unus 
eibus. 

Pour  bien  entendre  ceci ,  il  faut  se  rap- 
peler une  expression  du  Sauveur  du  monde, 
qui  nous  a  dit  dans  son  Evangile  que  sa 
nourriture  consistait  dans  l'accomplissement 
de  la  volonté  de  son  Père  :  Meus  cibus  est  ut 
faciam  voluntatem  Patris  met.  Or,  le  Sauveur 
du  monde  a  voulu  nous  apprendre  par  celte 
expression  que,  comme  la  nourriture  est  un 
principe  de  vie,  parce  qu'elle  sert  à  l'entre- 
tenir, c'est  par  l'accomplissement  de  la  vo- 
lonté de  son  Père  qu'il  a  entretenu  sa  vie 
comme  homme  ,  et  même  qu'il  ne  l'a  reçue 
que  pour  accomplir  cette  volonté  ;  car  c'est 
l'obéissance  seule  qui  a  formé  l'être  de 
l'homme  nouveau,  comme  la  désobéissance 
a  formé  celui  du  vieil  homme.  Par  la  déso- 
béissance d'un  seul,  tous  sont  morts,  dit  saint 
Paul  ,  et  par  l'obéissance  d'un  autre  ,  tous 
ceux  qui  vivent  ont  reçu  la  vie.  Le  nouvel 
homme  est  donc  formé  pour  obéir  :  In  capite 
libri  scriplum  est  de  me,  voilà  le  principe  de 
sa  vie  ;  c'est  pour  obéir  qu'il  est  né  ;  il  n'a 
entretenu  celte  vie  qu'en  obéissant  :  Meus  ci- 
bus est  facere  voluntatem  Patris  mei ,  c'est  ce 
dont  il  s'est  nourri;  il  n'a  fini  sa  vie  que  par 
obéissance  ;  Filius  hominis  secundum  quod 
scriplum  est  vadit  ,  c'est  la  la  perfection  efc 
la  consommation  de  son  être.  Or,  si  Jésus- 
Christ  est  fait  pour  Dieu  ,  selon  l'expression 
de  saint  Paul ,  le  chrétien  est  fait  pour  Jésus- 
Christ  :  Vos  aulem  Cltrisli.  Jugez,  mes  chères 
sœurs,  quelle  doit  être  la  conformité  et  l'u- 
nion de  la  volonté  d'une  vierge  chrétienne  à 
celle  de  Jésus-Christ  par  les  simples  engage- 
ments communs  de  tous  les  chrétiens.  Comme 
il  n'a  reçu  la  vie  que  pour  faire  la  volonté  do 
son  Père ,  qu'il  n'a  vécu  qu'en  la  faisant  , 
qu'il  n'est  mort  que  pour  l'accomplir,  une 
vierge  ne  vit  que  pour  faire  cotte  volonté  : 
Vita  in  volunlale  ejus. 

?  C'est  la  pensée  de  saint  Augustin,  qui  ap- 
pelle l'obéissance  la  seule  et  l'unique  vertu 
des  chrétiens.  Kt  en  effet,  comme  la  déso- 
béissance peut  êlrc  appelée  le  péché  univer- 
sel ,  parce  que  tous  les  péchés  se  sont  trou- 
vés renfermés  dans  la  révolte  du  premier 
homme  contre  Dieu  ,  la  dépendance  et  la 
soumission  peut  donc  aussi  être  appelée  la 
verlu  universelle  ,  parce  qu'elle  renferme 
loutcs  les  autres. 

Rien  n'est  donc  plus  important  que  de  ré- 
gler sa  vie  sur  la  volonté  du  Seigneur,  et 
l'alliance  que  vous  avez  formée  avec  votre 
Epoux  ne  peut  subsister  que  par  celte  con- 
formité et  par  cetle  union  intime  do  votre 
volonté  avec  la  sienne.  Or,  mes  chères  sœurs, 
la  volonlé  de  votre  Epoux  vous  est  marquée 
par  vos  règles  et  par  les  commandements  et 
les  ordres  des  personnes  qui  vous  conduisent 
en  son  nom  et  qui  sont  revêtues  de  son  au- 
torité. C'csl  l'avantage  de  votre  état  que  tout 
soit  fixe,  que  tout  soit  déterminé,  que  toute.-, 
vos  démarches  soient  réglées  ;  car  un  des 
grands  obstacles  au  salut  des  gens  du  siècle, 
c'est  l'incertitude  de  leurs  voies  ,  non  pas 
qu'ils  n'aient  des  règles,  car  outre  les  com- 


mandements marqués  si  précisément ,  et  lo 
grand  précepte  de  l'amour  de  Dieu  ,  chaque 
état  a  les  siennes  ,  il  ne  s'agit  que  de  les  ap- 
pliquer ;  mais  la  nécessité  d'entretenir  com- 
merce avec  le  monde  et  les  besoins  différents 
des  étals  où  ils  sont  liés,  les  jettent  dans  des 
maximes  qui  affaiblissent  en  eux  l'amour  de 
Dieu  cl  les  éloignent  de  la  voie  des  pré- 
ceptes, si  elles  ne  forment  pas  même  sou- 
vent des  oh'lacles  presque  invincibles  à  leur 
accomplissement.  Pour  nous  ,  mes  chères 
sœurs,  tout  est  réglé  dans  notre  état,  toutes 
nos  voies  sont  sûres  ,  et  en  marchant  par 
celles  de  l'obéissance  ,  nous  ne  saurions 
nous  écarter  de  la  voie  du  salut. 

Il  faut  donc  qu'une  épouse  fidèle  n'écoute 
plus  que  la  voix  de  son  Epoux  et  qu'elle 
n'ait  plus  d'autre  volonté  que  la  sienne  , 
qu'elle  apprendra  toujours  sûrement  de  la 
bouche  de  ceux  qui  la  conduisent  en  son 
nom  et  de  la  règle  à  laquelle  elle  s'est  vouée. 

La  disposition  où  doit  être  l'épouse  fidèle 
est  donc  de  n'avoir  aucun  mouvement  que 
celui  qu'on  lui  donne.  Les  moindres  choses 
deviennent  pour  elles  des  mériies  infinis, 
quand  elles  sont  faites  par  obéissance  ;  les 
plus  grandes  sont  de  nulle  valeur  quand  on 
les  entreprend  par  sa  propre  volonté.  Mais 
finissons  en  disant  que  ,  pour  rendre  votre 
communauté  parfaite  avec  l'Epoux  adorable, 
qui  vous  a  choisies  pour  ses  épouses  par  sa 
grande  miséricorde  ,  vous  ne  devez  point 
avoir  d'autre  couche  que  celle  de  votre 
Epoux  :  Unus  lhorus,una  cliam  caro,  comme 
dit  saint  Bernard.  Vous  comprenez  sans 
doule  que  celte  couche  de  voire  Epoux  c'est 
la  croix  ,  sur  laquelle  il  a  engendré  l'Eglise, 
comme  parlent  les  saints  Pères  ,  et  qu'étant 
unies  à  lui  en  qualité  d'épouses  ,  il  faut  que 
vous  ne  fassiez  avec  lui  qu'une  seule  victime 
digne  d'être  offerte  au  Père  éternel.  C'est  le 
devoir  d'une  épouse  fidèle  de  suivre  en  tou- 
tes choses  le  sort  de  son  époux  ,  et  toutes 
celles  qui  portent  celte  glorieuse  qualité  doi- 
vent s'appliquer  ces  paroles  de  saint  Paul  : 
Nous  sommes  des  brebis  destinées  à  être 
égorgées  :  /Eslimati  sunuis  sicut  oves  occi— 
sionis  ;  mais  pour  vivre  conformément  à 
cetle  glorieuse  dcslinalion,  il  faut,  mes  chères 
sœurs,  ne  se  ménager  sur  rien.  Il  faut  qu'une 
épouse  de  Jésus-Christ  ait  toujours  le  glaive 
à  la  main  et  qu'elle  cherche  continuellement 
dans  sa  conduite  de  nouvelles  victimes  et  de 
nouveaux  sacrifices  à  présenter  à  Dieu  par 
Jésus-Christ ,  afin  qu'elle  puisse  dire  avec 
saint  Paul  :  Chrislo  confixus  sum  cruci ,  je 
suis  collée  sur  la  croix  ;  Vivo  eqojumnonego, 
vivit  vero  in  me  CUrislus  :  Je  vis,  il  est  vrai  , 
mais  c'e  t  par  Jésus-Christ  et  pour  Jésus- 
Christ,  car  c'est  lui  qui  vil  en  moi 

Tel  doit  être  le  fruit  de  votre  retraite,  mes 
Ires-chères  sœurs  ,  et  telle  ai— je  sujet  d'es- 
pérer qu'elle  sera  par  la  miséricorde  de 
Dieu. 

l'Rlï.lli;    l'OUll    LA    UN    DE    LA    RBTBAITB. 

J'ai  reçu,  mon  Dieu!  les  lumières  qu'il 
vous  a  plu  de  répandre  sur  moi  dans  cette 
retraite  ,  où  je  ne  suis  entrée  que  pour  up- 


H8 

prendre  votre  volonté  el  je  vous   en  rends  de 
iinbles  fictions  de  grée  ,  Seigneur, 

je  ne  suis  point  en  af turance ,  quoiqu'il  me 
terrible  </ue  je  connaisse  ee  qu  voue  voulez  te 
moi.  Faites  que  la  lumière,  de  la  vérité  dissipe 
n  'S  épaisses  ténèbres,  et  (I  qui  pounai-je  m'a- 
dre<ser  pour  empêcher  que  met  faible  ses  et  lu 
corruption  de  mm  eeeîtr  ne  ma  téduieenl ,  aï 
ce  n'est  à  vous  !  J  vous  deman  le  don  ,  Sei- 
gneur, votre  iirâce,  afin  qaeHe  dissipe  et  t  dan- 
gereuses ténèbres  qui  m'ont  empêché  jus  u'ici 
de  voir  aussi  clairement  les  vérités  que  v  >us 
m'avez  découvertes  ;  je  vous  li  demande,  cette 
gréce  qui  donne  V amour  de  ces  vérités ,  celte 
grâce  qui  peut  seule  me  les  faire  pra 
di'/nein  nt  ,  cette  gréce  ,  enfin  ,  qui  ,  me  ren- 
dant toujours  ottenthe  à  l'union  que  fa  con- 
tractée arec  Jésus-Chrisl  dans  mon  l/apléine  , 
et  que  j'ai  renouvelée  dans  ma  profession,  le 
tienne  louj  nirs  appliquée  «  combattre  mes 
passions  et  à  détruire  le  vieil  komms  perr  te 
glaive  d'une  morti/icalion  continuelle  ,  afin 
que  je  puisse  dire,  comme  votre  Apô're  :  Ce 
n'est  plus  moi  qui  vis  ,  c'est  Jésus-Chrisl  qui 
vil  en  moi.  Ainsi  soit-il. 

S—      ■  i       -.   i  ■  ■  -     -  i    ■'  < 

SERMON 

POUR    LA    SOLENNITÉ    DES    SAINTS    DE    L'ORDRE. 

Prêché  dans  un  couvent  de  filles. 

Filii  sanctorum  sumiis,  et  vilam  illam  exspectamus  quam 
Deus  daturus  est  liis  qui  (idem  suam  nuuquam  mutant. 
ab  eo. 

Nous  sommes  enfants  des  saints,  et  nous  attendons  celte 
vie  que  Dieu  doit  donner  à  ceux  qui  ne  violent  jamais  la  fi- 
délité qu'ils  lui  ont  promue  (Tob.,  II,  18). 

Ainsi  parlait  'c  saint  homme  Tobie  dans 


sa  famille,  pour  animer  ses  parents  et  ses 
alliés  à  la  \erlu  et  !os  soutenir  dans  la  prati- 
que du  bien  :  Ne  parlez  pas  comme  vous  fai- 
tes, leur  disait-il,  rien  n'est  perdu  de  ce  que 
nous  faisons  pour  Dieu;  souvenez-vous  qw. 
nous  sommes  les  enfants  de<  saints.  Nous  ap- 
partenons i  Abraham,  êi  Isaac  et  êi  Jacob. 
Leur  conduite  doit  régler  la  nôtre.  Nous  at- 
tendons celte  vie  que  Dieu  doit  donner  à  ceux 
qui  ne  violent  jamais  la  fidélité  qn'ih  lui  ont 
promise.  Ainsi  parlerai-je  aujourd'hui,  mes 
Ires-chères  sœurs,  dans  la  famille  de  saint 
Augustin,  où  nous  nous  trouvons  pour  so- 
lenniser  la  fête  de  vos  saints  frères,  et  pour 
nous  animer  à  la  pratique  des  vertus  q u i  tes 
a  couronnés  de  cotle  gloire  immortelle.  Je 
ne  ferai  que  vous  expliquer  simp'emrnt  les 
paroles  de  mon  texle;  elles  renferment  trois 
choses  qui  me  paraissent  fort  propres  à  nous 
faire  entrer  naturellement  dans  l'esprit  de  la 
solennité  qui  nous  assemble  :  la  première, 
c'est  l'alliance  que  Tobie  el  sa  famille  avait 
avec  les  saints  qu'il  représente  à  ses  proches: 
Filii  sanctorum  sinnns;  la  sceonde,  c'est  la 
vue  de  cette  vie  bienheureuse  qu'ils  atten- 
daient :  Vitam  illam  exspectamus  ;  la  troi- 
sième, c'est  la  condition  sous  laquelle  elle 
csi  promise,  et  la  voie  qu'il  faut  tenir  pour 
y  arriver:  Quam  Deus  daturus  est  his  qui 
fidetn  suam  nunquam  mutant  se  M.  Or,  nies 
sœurs,  je  regarde  les  sainls  dont  nous  solen- 
nisons    aujourd'hui    la    mémoire  sous    trois 


.du  II- IBS  SACRES.  DOM  JEROME.  IM 

qualités  différente--,  et  dans  ces  trois  qu  ali- 
i  lelles  nous   rendons    lis   lion- 

publics  à  des  hommes  si  saint»,  je 
trouve  des  motifs  admirables  pour  n>>us  ani- 
mer à  suivre  leur  conduite,  cl  pour  nous 
soutenir  dans  la  pratique  des  verlus  dont  ils 
nous  ont  donné  l'exemple. 

I  Cmmm  vos  fi «t-  i,  i  u  s  devez  avoir  p.irt 
aux  biens  qu'ils  possèdent  :  ils  on1  été  vos 
i  ,  Dieu  par  sa  miséricorde  vou-aéfi- 

.  eux  par  une  vocation  commune;  c'est 
votre  gloire,  nous  sommes  les  enfanls  des 
sainls  :  premier.'  partie.  S*  ComOM  lunlieii- 
rcux.nous  honorons  I  i  grandeur  et  la  m 
li  en  de  i-'i  ■,  qui  les  a  couronnés  et  dont 
vous  attendez  la  mime  ré..-.,mpcii-t-  Us  Ml 
bienheureux,  vous  êtes  appelées  à  la  même 
félicité  qu'ils  possèdent;  c'est  votre  espé- 
rance, nous  attendons  cet'e  vie  :  deuxième 
partie.  3"  Comme  justes,  nous  applaudissons 
à  leurs  combats  et  à  leurs  victoires  :  ils  ont 
été  justes,  et  leur  justice  les  a  rendus  dignes 
de  l'éternelle  félicité;  il  faut  les  suivre  dans 
les  voies  de  la  justice,  Dieu  ne  la  doit  don- 
ner qu'à  ceux,  qui  ne  violent  point  la  fidélité 
qu'ils  lui  ont  promise  :  troisième  parlie. 

Voilà,  ce  me  semble,  l'esprit  de  l'Eglise 
dans  la  solennité  qui  nous  assemble. Deman- 
dons à  Dieu  qu'il  nous  y  fasse  entrer  par  le 
sien,  et  recourons  à  l'intercession  de  la  sainte 
Vierge.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE 

C'est  un  grand  sujet 
nous,  mes  très-chères 

temps  la  matière  d'une  pro'onde  reconnais- 
sance envers  Dieu,  de  ce  que  par  son  infinie 
miséricorde  il  a  bien  voulu  noua  égaler  aux 
sainls  de  qui  nous  faisons  la  mémoire  :  cl 
c'est  ce  qui  fait  que  nous  pouvons  commen- 
cer ce  discours  en  vous  disant  ce  q 
Paul  disait  aux  Colossiens  :  Rendez  grd  es  à 
Dieu  qui  vous  a  rendus  dignes  d'avo  r  part  su 
sort  et  à  l'héritage  des  saints.  Eu  i  (Tel,  qu'a-i- 
il  fait  sur  la  terre  pour  ceux  que  nous  hono- 
rons en  commun,  qu'on  ne  puisse  pas  dire 
en  un  sens  très-véritable  qu  ii  a  fait  |  oor 
chacun  de  nous  en  particulier?  Il  n'y  a  pas 
une  de  vous  à  qui  nous  ne  puissions  dire  qu'il 
luiadonné,  comme  l'esprit  de  Dii  u  le  d.i  de 
Moïse,  parla  grâce  de  >a  vocaii  m,  un  pria- 


PARTIE. 

de  consolation  pour 
sœurs,  cl  en   mémo 


<i|ie  et  une  source  de  gloire  semblable  à 
celle  des  saints. 

Retraçons  l'idée  de  ce  qu'il  a  fait  pour"  vos 
sainls  frères,  alin  devons  remettre  devant 
les  veux  ce  qu'il  a  fait  pour  vous,  el  pour 
y  voir  cote  heureuse  égalité  qui  fait  votre 
gloire,  afin  qu  elle  ne  soit  pas  un  jour  le  su- 
jet de  votre  condamna  i. m.  Or,  mes  sœurs, 
vous  trouverez  ce  qu'il  a  fait  pour  c  ix  dans 
ces  paroles  de  saint  Paul  :  Il  les  a  (lus 
en  lui  avant  la  création  du  monde  par  l'a- 
mour qu'il  leur  a  porc,  afin  qu'ils  /  | 
wmlS  el  irrépréhensibles  devant  tes  yeux.  Le 
motif  de   leur   élection  a  été  s  !  mie, 

c'est  par  l'amour  qu  il  leur  a  p  rie.  H  u  v  a 
nulle  autre  cause  de  ce  choix.  Je  vous  ai 
choisis  el  je  vous  ai  sépares  de  Unis  les  au- 
tres, parce  que  je  vous  ai  a. mes.  L'effet  do 


917  SEKMON  POUR  LA  SOLENNITE  DES  SAIM'S  DE  L'ORDRE 

ce  choix,  c'est  de  les  avoir  rendus  saints.  Il 


<M8 


ne  les  a  point  choisis  parce  qu'ils  étaient 
saints;  car  l'Apôtre  dit  qu'ils  ont  été  choisis 
avant  la  création  du  monde.  Il  a  donc  pensé 
à  les  former  pour  lui  avant  qu'ils  fussent  en 
état  de  penser  à  lui,  aGn  que  vous  fussiez 
particulièrement  à  lui. 

Mais  peut-être  me  direz-vous  :  il  les  a 
choisis  parce  qu'ils  devaient  êlre  saints. 
Dites  plutôt,  pour  parler  le  langage  de  l'E- 
criture et  ne  vous  pas  éloigner  eu  sens  de 
saint  Paul;  ils  sont  devenus  sainls,  parce 
q d'il  les  a  choisis,  le  décret  de  leur  élection 
renfermant  la  grâce  qui  a  produit  en  eux  le 
mérite  qui  les  a  rendus  sainls  et  irrépréhen- 
sibles aux  yeux  de  Dieu,  selon  les  desseins 
éternels  de  sa  miséricorde  sur  eux. 

Enfin  le  fruit  et  la  consommation  de  ce 
choix,  c'est  qu'il  les  a  rendus  dignes  d'avoir 
part  à  l'héritage  des  saints,  dont  il  les  a  mis 
en  possession  pour  couronner  en  eux  tous 
les  dons  de  sa  miséricorde.  Or  présentement 
il  s'agit  de  vous  faire  voir  que  ce  qu'il  a  fait 
pour  vos  frères  il  le  fait  pour  vous,  et  que, 
par  un  effet  de  sa  grande  miséricorde,  il 
vous  a  égalées  à  eux.  En  effet  il  vous  a  choi- 
si, s  :  car  par  où  êtes- vous  entrées  dans  l'é- 
tal où  vous  êtes  à  présenl,  si  ce  n'est  pas 
par  une  suite  du  choix  qu'il  a  fait  de  vous 
par  préférence  à  un  nombre  infini  d'autres 
créatures  qu'il  a  laissées  dans  le  train  ordi- 
naire de  la  vie? 

Hé  1  quel  dut  être  le  motif  de  ce  choix?  sa 
miséricorde  et  sa  bonté  par  rapport  à  vous; 
car  quel  mérite  lui  avez-vous  offert  pour  le 
déterminer  à  ce  choix  ?  Formées  dans  lin i— 
quilé,  conçues  dans  le  péc!.é,  nées  dans  l'air 
in'ec  é  du  monde,  si  cont  ifjieux  et  si  con- 
traire à  la  sainteté  de  votre  baptême,  élevées 
dans  ses  maximes,  peut-être  déjà  pénétrées 
du  dangereux  amour  de  ses  faux  biens,  liées 
à  des  conditions  et  à  des  fortunes  qui  allaient 
v.;us  jeter  dans  le  torrent  de  la  corruption 
qui  entraîne  presque  tous  les  hommes,  c'est 
dans  ces  dangereuses  et  funestes  dispositions 
qu'il  vous  a  prises. Où  donc  trouver  des  mo- 
tifs <!e  son  choix  par  rapport  à  vous,  sinon 
dans  le  fonds  inépuisable  de  sa  bonté? 

Mais  quel  a  été  l'effet  de  celle  élection  et 
•le  ce  choix?  Qu'a-t-il  prétendu  en  vous  éga- 
lant à  vos  sainls  frères?  le  voici  :  il  a  voulu 
que,  vous  ayant  égalées  à  eux  dans  la  dignilé 
et  dans  l'avantage  de  la  profession,  vous  leur 
devinssiez  semblables  dans  le  mérite  et  dans 
la  sainteté.  C'est  dans  eette  seconde  vue  de 
sa  miser  corde  sur  vous  qu'il  en  a  attaché 
les  moyens  à  la  grâce  de  votre  vocation;  car 
qu'a-l-il  fait  en  vous  appelant?  il  vous  a  fait 
sortir  des  voies  de  l'erreur  ei  it  l'égarement; 
mais  ce  n'est  pal  tout,  il  vous  a  introduites 
dans  le  royaume  de  son  Fils  bien-aimé,  et 
ce  royaume,  c'est  l'Eglise;  et  les  assemblées 
différentes  des  vierges  <  hréliennes  dans  l'E- 
glise font  la  plus  illustre  portion  du  troupeau 
de  Jésus-Christ  :  portion  du  troupeau  choi- 
si ',  re  fermée  dans  des  lois  plus  précises, 
conduite  par  un  chemin  plus  court  et  plus 
sûr,  et  dirigée  par  un  pasteur  attentif  et  ap- 
pliqué. C'i  si  donc,  mes  chères  sœurs,  aux 


règles  de  voire  étal  et  à  la  fidélité  à  les  gar- 
der que  Dieu  a  attaché  les  voies  de  votre 
sanctification;  c'est  en  les  observant  avec 
exat  litude,  avec  ferveur,  avec  respect,  avec 
humilité,  avec  simplicité,  avec  patience,  que 
vos  sainls  frères  se  sont  sanctifiés,  et  c'est 
en  les  imitant  dans  celte  fidèle  observance 
que  vous  vous  sanctifierez. 

Disons  donc  ce  que  saint  Paul  disait  aux 
Galates  :  La  circoncision  ne  sert  de  rien  ;  c'est- 
à-dire  que  ce  serait  une  dangereuse  illusion, 
mes  chères  sœurs,  que  de  prétendre  attacher 
votre  sanctification  à  des  pratiques  d'austé- 
rité que  votre  règle  n'ordonne  pas,  pendant 
que  vous  négligeriez  ce  qu'elle  vous  com- 
mande, et  de  chercher  dos  voies  étrangères 
pour  arriver  à  la  perfection,  pendant  qu'il 
n'y  en  a  plus  d'au!res  pour  vous  que  celles 
que  Dieu  lui-même  vous  a  marquées  en  vous 
liant  à  un  état  où  se  s  ni  sanctifiés  tant  do 
sainls  et  de  saintes  de  qui  vous  célébrez  au- 
jourd'hui la  mémoire. Ne  vous  y  trompez  pas, 
mes  chères  sœur?,  les  voies  étrangères  pa- 
raissent droites  et  assurées,  et  souvent  au 
lieu  de  conduire  à  la  vie,  elles  mènent  à  la 
mort.  C'est  de  ceux  qui  suivent  ces  voies  que 
parle  saint  Augustin, quand  il  dit:  Vous  pré- 
tendez entrer  dans  le  port,  mais  par  la  route 
que  vous  tenez,  votre  barque  va  se  briser  c  li- 
tre les  rochers. 

Cette  réflexion  me  conduit  naturellement 
à  ma  deuxième  proposition  :  ce  n'esl  point 
assez  que  la  miséricorde  de  Dieu  vous  ait. 
égalées  par  la  vocation  à  vos  saints  frères 
de  qui  vous  faites  la  mémoire;  ils  vous  assu- 
rent encore  le  droit  que  vous  avez  à  l'héri- 
tage dont  ils  sont  allés  prendre  possession. 

Itcgardez-les  donc  maintenant  comme  des 
bienheureux  qui  possèdent  une  gl  >ire  à  la- 
quelle nous  sommes  appelés,  et  sur  laquelle 
nous  avons  droit,  comme  enfants  du  même 
père  qui  les  a  couronnés  :  c'est  le  sujet  du 
deuxième  point. 

DEUXIÈME    PARTIE 

Ledroità  l'héritage  est  acquis  aux  enfants: 
Quod  filii,  et  hœredes,  dil  l'apôtre  saint  Pau!  ; 
le  pacte  que  Dieu  avait  fait  ave:-  les  Juifs 
s'accomplit  avec  les  chrétiens  :  Vous  serez 
monpeuple,  leur  dil-il,  et  in  ferai  votre  Dira. 

Il  leur  promettait  ce  que  les  rois  de  la  terre 
peuvent  donner  à  des  peuples  fidèles,  des 
biens  temporels,  une  félicite  passagère,  des 
héritages  qu'il  faut  quitter;  et  il  donne  aux 
chrétiens  ce  qu'un  Dieu  seul  peut  donnera 
des  créatures  fidèles,  des  biens  éternels,  une 
félicité  fixe  et  permanente,  un  héritage  d  gne 
de  lui,  dit  saint  Augustin.  C'est,  mes  chères 
sœurs,  un  second  degré  d'égalité  qu'il  a  |  lu 
à  la  miséricorde  de  Dieu  de  mettre  entre  vos 
sainls  frères  et  vous.  Comme  eux,  il  vous  a 
choisies  pour  ses  enfants  ;  comme  eux,  vous 
l'avez  choisi  pour  votre  père.  Vous  pouv  z 
lui  dire  comme  eux  :  Vous  voyez  q'e  nour. 
avons  tout  (/uitté.  et  que  nous  vous  avons 
suivi,  (juell'  réconiptnse  nous  donnerez-cous? 
El  il  vous  répondra  :  Jr  vous  assuve  (jur  vous 
serez  assis  sur  douze  Irônrs,  ri  que  vous  juge- 
rez les  douze  tribus  d'Israël.  Un   peut  donc. 


y  tu 


<>i;\ll  I  ItS  >\i  RKS    DOM   il  ROME. 


vous  dire  que  c'est  ici  pour  vous  le  (aherna- 
elo  «le  Dieu  avec  les  hommes.  Il  demeurera 
avec  eux,  et  ils  seront  sou  peuple,  et  Dieu 
demeurant  en  eux  sera  leur  Dieu.  Je  ne  sau- 
rais douter,  mes  chères  sœurs,  que  vous  ne 
sentiez  des  désirs  ardents  d'entrer  en  posses- 
sion de  celte  gloire  qui  vous  est  promise  ; 
car  c'est  la  situation  du  cœur  d'un  véritable 
chrétien,  et  nul  n'est  digne  de  porter  cette 
qualité  qu'il  ne  scnlece  désir,  toutes  les  fois 
qu'il  dit  à  Dieu  :  Que  votre  règne  arrive  : 
Advcniat  regnum  luum. 

Car  après  tout  qui  est-ce, dit  saint  Cypricn, 
qui,  se  voyant  séparé  de  ses  proches,  ne  dé- 
sire pas  d'y  être  réuni?  Qui  es!-cc  qui,  se 
voyant  sur  la  mer  battu  des  vents,  exposé  à 
(1rs  tempêtes  fréquentes  et  violentes,  dans 
une  incertitude  continuelle  du  succès  de  sa 
navigation,  ne  demande  pas  avec  ardeur  un 
vent  favorable  qui  le  conduise  au  port?  11 
faut  donc,  mes  chères  sœurs,  ne  pas  oublier, 
en  solennisanl  cette  fête,  que  nous  sommes 
dans  le  chemin  que  nos  saints  frères  ont  suivi 
pour  arriver  au  bonheur  étemel  et  à  cette 
gloire  que  nous  honorons  dans  leurs  person- 
nes, et  que  nous  espérons  de  posséder  bien- 
tôt avec  eux,  comme  enfants  choisis  par  la 
miséricorde  du  même  père  :  Vilam  illam  ex- 
spectumus.  Ainsi  nous  devons,  comme  nos 
saints  frères,  vivre  sans  attache  à  tout  ce  qui 
est  passager;  car  un  voyageur  qui  s'arrête 
à  tout  sur  son  chemin  n'est  plus  voyageur, 
et  ne  marque  point  assez  d'estime  ni  assez 
d'ardeur  pour  sa  patrie.  11  ne  doit  s'arrêter 
que  pour  des  nécessités  inévitables  :  il  dort 
peu,  il  ne  mange  que  pour  le  besoin,  il  ne 
converse  qu'en  passant;  et  s'il  est  louché  de 
quelque  chose  sur  sa  roule,  rien  n'est  capa- 
ble de  lui  faire  oublier  qu'il  faut  qu'il  s'a- 
vance vers  ceux  à  qui  il  désire  de  se  rejoin- 
dre. Telles  doivent  êlre  les  impressions  que 
l'idée  du  bonheur  des  saints,  auquel  nous 
sommes  appelés,  doit  faire  dans  notre  cœur. 
Ce  qui  doit  nous  consoler  dans  le  retarde- 
ment de  la  possession  de  l'héritage  des  en- 
fants, cl  nous  soutenir  dans  les  ennuis  de 
notre  exil,  c'est  la  pensée  si  réelle  et  si  so- 
lide que  par  la  communion  du  corps  et  du 
sang  adorable  de  Jésus-Christ,  nous  jouis- 
sons déjà  de  ce  bonheur,  puisqu'il  est  vrai 
que  la  divine  eucharistie  fait  l'union  des  deux 
Eglises,  cl  égale  d'une  façon  très-réelle  les 
juslcs  avec  les  bienheureux  :  les  bienheu- 
reux jouissent  de  Dieu  à  découvert,  cl  les 
justes  le  possèdent  dans  ce  sacrement,  sous 
des  voiles  à  la  vérité,  mais  réellement  et  en 
effet. Mais  souvenez-vous  surtout  que  la  voie 
qui  a  conduit  vos  saints  frères  à  la  félicité 
éternelle  vous  est  commune  :  c'est  par  la 
croix,  c'est  par  la  fidélité  et  l'exactitude  à 
garder  les  lois  de  leur  état  qu'ils  y  sont  ar- 
rivés. Nous  devons  donc  supporter  les  croix 
que  Dieu  nous  envoie,  et  regarder  les  mala- 
dies,les  humiliations  et  tous  les  événements 
qui  nous  détachent  des  créatures,  comme 
autant  de  vents  favorables  que  la  Profit! euce 
lâche  de  ses  trésors,  pour  nous  faire  entrer 
promptcmcul  dans  le  port  du  salut  éternel. 

Ainsi,  inos  chères  sœurs,  j'appliquerai  ici 


cette  parole  de  saint  Grégoire  de  Nazianze, 
eu  parlant  du  déair  qu'avaient  ces  généreux 
Machabées  de  signaler  leur  zelc  pour  la 
gloire  de  Dieu  :  Ils  n'avaient  tous  qu'un  dé- 
sir, dit  ce  Père,  ils  tendaient  tous  à  la  m 
fin,  et  ils  ne  connaissaient  tous  qu'une  seule 
et  unique  voie  pour  y  arriver  :  c'était  celle  de 
verser  leur  tang  pour  maintenir  la  loi  du  Sei- 
gneur en  lui  gardant  une  fidélité  inviolable. 

J'ai  essayé  de  vous  convaincre  de  celle  vé- 
rité, il  n'y  a  qu'un  moment,  en  vous  disant 
qu'il  n'y  avait  point  d'autre  voie  de  sanctifi- 
cation pour  vous  que  l'exacte  fidélité  dans 
l'obéissance  et  l'observation  des  règles  de 
votre  profession  :  c'est  par  là  qu'ils  ont  mé- 
rité d'entrer  en  possession  de  l'héritage  des- 
tiné aux  enfants,  puisque  c'est  par  là  qu'ils 
ont  été  reconnus  justes;  et  c'est  par  là,  mes 
chères  sœurs,  qu'il  faut  le  devenir;  car  la 
justice,  selon  i'Ecriturc,  consiste  dans  la  fidé- 
lité à  marcher  dans  la  voie  des  préceptes  : 
apprenons  à  y  marcher  d'une  manière  irré- 
préhensible pour  arriver  à  cette  félicité  ;  car 
Dieu  ne  se  donne  qu'à  ceux  qui  ne  violent 
point  la  fidélité  qu'ils  lui  ont  promise  :  c'est 
le  sujet  de  la  dernière  partie. 

TROISIÈME  PARTIS 

Ce  serait  une  étrange  erreur,  mes  chères 
sœurs,  que  de  croire  que  vous  honoreriez 
vos  saints  frères  comme-Dieu  veut  que  vous 
les  honoriez,  si  vous  vous  contentiez  de  leur 
rendre  des  hommages  extérieurs,  sans  vous 
appliquer  à  suivre  leurs  exemples  et  à  re- 
tracer leur  conduite  en  les  imitant  dans  la 
pratique  de  leurs  vertus.  Saint  Augustin,  in- 
struisant son  peuple  sur  la  manière  d'hono- 
'  rer  les  martyrs,  dans  une  assemblée  qui  s'é- 
tait faite  au  jour  de  leur  fête,  lui  disait  que 
toute  celte  pompe  et  celle  magnificence  se- 
rait vaine,  si  on  ne  pensait  pas  à  demander  à 
Dieu  la  grâce  d'imiter  ce  qui  pouvait  nous 
convenir  dans  la  conduite  des  saints  mar- 
tyrs, et  que,  à  parler  précisément,  la  solen- 
nité que  l'Eglise  faisait  dans  le  jour  de  leur 
fête  était  autant  pour  exciter  les  peuples  à 
imiter  leurs  vertus  qu'à  leur  rendre  des  hom- 
mages dont  il  est  vrai  de  dire  qu'ils  n'ont 
aucun  besoin.  En  effet,  dit  saint  Bernard, 
dans  la  pensée  de  ce  Père,  dont  il  parait  dan-j 
tous  ses  ouvrages  qu'il  avait  si  bien  pris  les 
principes  et  l'esprit,  comment  peuvent  con- 
tribuer à  la  gloire  de  ceux  que  le  l'ère  cé- 
leste prend  soin  d'honorer  lui-même  ,  les 
hommages  que  les  hommes  leur  rendent  sur 
la  terre?  La  gloire  des  saints  est  fondée  sur 
leurs  actions  et  sur  leurs  souffrances,  et  I  - 
unes  et  les  autres,  qui  sont  les  ouvrages  de 
Dieu  en  eux,  subsistent  devant  lui  et  devant 
les  hommes,  indépendamment  de  nos  hom- 
mages. Mais  il  y  a  plus  :  ce  ne  sont  pas  pré- 
cisément leurs  actions  ni  leurs  souffrances 
que  nous  honorons,  c'est  plutôt  l'esprit  qui 
a  animé  leurs  souffrances  et  leurs  actions. 
C'est  ce  qui  fait  dire  à  saint  Augustin  que 
dans  les  martyrs  nous  n'honorons  pas  leurs 
tourments,  mais  leur  charité  et  leur  foi  dans 
les  tourments  :  Non  pvna,  sed  causa.  Car  si 
les  tourments  étaient  précisément  l'objet  de 


921 


SERMON  POUR  LA  SOLENNITE  I>ES  SAINTS  DE  L'ORDRE. 


922 


nos  respects,  nous  devrions  honorer  les  fers 
d'un  scélérat  comme  les  chaînes  d'un  mar- 
tyr; la  solitude  et  l'abstinence  d'un  malheu- 
reux que  ses  crimes  ont  relégué  dans  un  ca- 
chot affreux,  comme  celle  d'un  solitaire  que 
la  foi  et  l'amour  de  Dieu  ont  renfermé  dans 
la  sainte  obscurité  d'un  cloître. 

Or,  mes  sœurs,  comme  c'est  cet  esprit  qui 
est  l'objet  de  nos  respects,  c'est  précisément 
à  nous  revêlir  de  cet  esprit  que  l'Eglise  veut 
nous  porter,  lorsque,  dans  la  solennité  de  la 
fête  des  saints,  elle  nous  raconte  leurs  souf- 
frances et  nous  expose  leurs  vertus.  Il  faut 
donc  joindre  l'imitation  à  la  louange,  comme 
il  faut  joindre  les  soins  de  marcher  dans  les 
voies  de  la  justice  à  l'avantage  d'y  être  en- 
trés par  la  miséricorde  de  Dieu;  car  c'est  à 
ces  conditions  qu'il  nous  a  distingués  de  tant 
d'autres  pour  nous  égaler  aux  saints  en  tant 
de  manières  et  par  tant  de  rapports.  Ce  serait 
une  étrange  erreur  de  croire  qu'il  suffit  d'en- 
trer dans  la  solitude  où  vos  saints  frères  se 
sont  sanctifiés,  sans  travailler  à  vous  sancti- 
fier par  la  fidélité  à  suivre  les  moyens  qu'ils 
ont  employés  pour  y  réussir.  Celle  erreur 
est  assurément  grossière.  Ne  \  ourrail-on 
point  dire  cependant  de  plusieurs  ce  que  dit 
saint  Augustin  de  l'erreur  de  ceux  qui  pro- 
mettaient le  salut  à  tous  ceux  qui  avaient 
reçu  le  baptême,  quelque  vie  qu'ils  menas- 
sent, pourvu  qu'ils  ne  renonçassent  point 
formellement  à  Ja  foi  ?  Car  il  y  a  un  grand 
nombre  de  personnes  qui  prétendent  tirer 
beaucoup  d'avantage  des  marques  extérieu- 
res de  la  religion,  et  qui  se  flattent  d'obtenir 
les  récompenses  qu'elle  propose ,  pourvu 
qu'elles  en  conservent  les  dehors;  el  encore 
une  fois  ne  pourrions-nous  point  dire  de 
beaucoup  de  communautés  ce  que  Richard 
de  Saint-Victor  a  dit  de  quelques-unes  de 
son  temps,  qu'elles  étaient  à  peu  près  comme 
le  sépulcre  du  Sauveur  du  monde  après  sa 
résurrection?  Quand  les  apôtres  y  allèrent, 
ils  n'y  trouvèrent  plus  que  le  suaire  et  les 
linceuls  où  il  avait  été  enseveli  :  Jésus- 
Christ  n'y  était  plus.  On  conserve  l'extérieur, 
on  y  voit  encore  quelques  pratiques  propres 
et  particulières  aux  différentes  institutions, 
mais  l'esprit  n'y  est  plus.  11  n'y  a  plus  que 
des  dehors,  on  ne  voit  plus  que  l'habit,  le 
suaire  et  les  linceuls.  Semblables  encore,  se- 
lon la  pensée  de  saint  Chrysostome,  en  par- 
lant de  l'Eglise  même,  où  la  ferveur  des  pre- 
miers siècles  ne  se  trouvait  plus,  à  une  prin- 
cesse qui,  de  riche  el  puissante  qu'elle  était, 
est  devenue  pauvre,  qui  n'a  plus  que  les 
vases  où  elle  renfermait  les  trésors  précieux 
qu'elle  possédait  dans  sa  splendeur;  ainsi  je 
ne  sais  si  nous  serions  bien  loin  de  compte, 
en  disant  que  nous  liouvons  bien  des  assem- 
blées religieuses  où  lous  ceux  el  celles  qui 
les  composent  s'engagent  à  Dieu  par  des 
vieux  solennels  à  vivre  d'une  certaine  fa- 
çon, et  où  en  même  temps  un  grand  nombre 
passent  leur  vie  à  chercher  des  prélcxles 
pour  s'en  dispenser.  Rendez  grâces  à  Dieu, 
mes  chères  sœurs,  de  ce -que  sa  miséricorde 
Vous  a  conduites  dans  une  maison  où  le  pre- 
mier esprit  s'est  conservé  par  la  charité  qui 


y  règne  ;  mais  craignez  de  tomber  dans  le  re- 
lâchement, et  évitez  l'erreur  de  ceux  qui, 
mesurant  leur  propre  perfection  à  la  sainteté 
de  leur  état,  se  croient  déjà  saints  parce 
qu'ils  sont  entrés  dans  une  profession  qui  les 
engage  à  le  devenir,  et  qu'ils  se  contentent 
de  paraître  ce  qu'ils  devraient  être  aux  yeux 
do  ceux  qui  ne  les  considèrent  qu'en  pas- 
sant, sans  se  mettre  en  peine  d'être  réelle- 
ment aux  yeux  de  Dieu  ce  qu'ils  paraissent  à 
ceux  des  hommes. 

Rien  n'est  si  terrible  que  cet  état,  car  on 
est  d'autant  plus  misérable  devant  Dieu 
qu'on  mène  une  vie  qui  ne  répond  pas  à  la 
dignité  d'un  état  saint,  et  l'égalité  que  la  mi- 
séricorde de  Dieu  a  bien  voulu  mettre  entre 
vos  saints  frères  et  vous  dans  cette  vie  ne 
vous  rendrait  que  plus  misérables  dans  l'é- 
lernité,  si  vous  n?  la  souteniez  pas  en  vous 
appliquant  à  les  imiter  dans  leur  conduite. 

Il  ne  faut  pas  compter  sur  la  dignité  de 
notre  profession,  ni  prétendre  de  se  revêtir 
d'un  état  saint  en  menant  une  vie  lâche  et 
déréglée.  Dieu  saura  bien  séparer  ces  deux 
choses  à  notre  confusion.  Dieu  ne  nous  sau- 
vera pas  pour  nous  avoir  appelés  à  une  pro- 
fession sainte;  mais  il  nous  punira  plus  sé- 
vèrement si  nous  n'y  avons  pas  vécu  sainte- 
ment. 11  arrivera,  au  jour  terrible  de  son  ju- 
gement ,  que  beaucoup  de  celles  que  les 
hommes  auront  honorées  dans  ce  monde 
comme  ses  épouses,  leur  paraîtront  plus  mi- 
sérables que  les  païens  mêmes  qui  ne  l'ont 
point  connu,  et  seront  en  effet  plus  malheu- 
reuses qu'eux  durant  toute  l'éternité.  C'est 
dans  ce  sens  que  le  Sauveur  du  monde  dit 
que  les  publicains  et  les  femmes  de  mau- 
vaise vie  précéderont  les  princes  des  prê- 
tres. Mes  chères  sœurs,  souvenez-vous  qu'un 
degré  de  vertu  qui  sera  suffisant  pour  le  sa- 
lut d'une  femme  du  monde  ne  le  sera  pas 
pour  celui  d'une  vierge. 

Détournons  donc  ce  malheur  en  marchant 
sur  les  pas  de  nos  saints  frères.  Travaillons 
à  l'ouvrage  de  noire  sanctification,  en  sui- 
vant les  exemples  qu'ils  nous  ont  donnés,  et 
en  animant  nos  travaux  de  l'esprit  qui  a 
sanctifié  leurs  actions  et  leur  conduite.  Car 
à  quoi  serviraient  vos  jeûnes,  s'ils  n'étaient 
pas  animés  de  l'amour  de  la  pénitence?  Votre 
solitude  serait  ennuyeuse,  si  l'esprit  de  la 
prière  ne  l'animait  pas.  Vos  prières  seraient 
inutiles,  si  elles  ne  partaient  pas  d'un  cœur 
pénétré  de  ses  misères  et  d'une  solide  et 
humble  confiance  en  la  miséricorde  de  Dieu. 

Soutenez  donc  les  engagements  de  votre 
état  avec  humilité,  avec  patience,  avec  cou- 
rage. L'Eglise  vous  retrace  aujourd'hui  la 
gloire  du  triomphe  de  vos  saints  frères,  pour 
vous  animer  à  les  suivre  dans  les  voies  qui 
les  ont  conduits  à  celte  gloire  immortelle 
dont  ils  sont  revêtus.  Voudricz-vous  risquer 
le  fruit  de  tant  de  sacrifices  déjà  faits  et  de 
tant  de  travaux  soufferts,  en  vous  livrant  au 
relâchement,  à  la  négligence  cl  à  !a  tiédeur? 

Si  vous  avez  beaucoup  travaillé,  vos  tra- 
vaux ne  peuvent  pas  encore  durer  long- 
temps; la  peine  va  finir,  la  récompense  est 
proche;  il  ne  faut  plus  qu'un  faible  effort,  et 


'j23 


OltATEl'IlS  SACRES.  WM  JEROME. 


M 


MM  niiez  prisse;  dans  le  roxaume  il.-  la  ;,ii\ 
pour  vous  réunir  à  vos  maints  frèn 
vous  attendent.  Si  vous  ne  1  litrs  nue  de  corn* 
mencer  vos  travaux  ,  considérez  qu'ils  peu— 
vent  Unir  demain,  qac  la  vie  c  si  tnVinrer- 
laine,  que  la  récompense  qui  v on ^  es(  pro- 
mise est  iné*  lie,  que  rus  saints  frères  prient 
piiir  vou-.  Car,  eomoM  dit  saisi  Bern  ml,  si 
les  lieux  vou-  séparent,  leurs  cinir-  le-  rap- 
prochent de  vous.  Ce  qu'ils  n  i  s  uiVerl  dans 
celte  terre  de  misère  et  d'aflli  lion  les  rend 
sensibles  à  ce  que  vous  endurez,  et  le  souve- 
nir des  besoins  qu'ils  ont  eus  durai. t  leur 
exil  les  fail  penser  aux  vôtre*.  Travail' 
nous  réunir  à  eux;  soutenons  la  gloire- de 
celte  égalité  que  Dieu  par  sa  miséricorde  a 
bien  voulu  mettre  cnlre  eux  et  nous.  Ils  ont 
été  nos  livres,  c'est  votre  gloire;  il. 
dent  la  gloire,  c'est  votre  espérance  ;  ils  ont 
élé  justes,  c'est  le  fondement  de  nos  devoirs, 
afin  que  nous  devenions  leurs  compagnons 
dans  la  gloire  éternelle.  Ainsi  soit-il. 

SERMON 

POCR  LA    VÊTt'RE    D'UNE    RELIGIEUSE. 

Transfigurants  est  anle  eos. 

Il  fui  ii  ans/iguré  devant  eux  (Malth.,  XVII,  2). 

L'Eglise,  ma  chère  sœur,  nous  expose  dans 
ce  jour  un  mystère  de  la  vie  du  Sauveur  du 
monde  dont  les  circonslances  nous  présen- 
tent une  image  si  nalurellede  la  miséricorde 
que  ce  même  Sauveur  commence  aujour- 
d'hui à  répandre  sur  vous,  qu'il  ne  faut  que 
vous  les  retracer  simplement  pour  vous  don- 
ner une  idée  juste  et  en  même  temps  une 
estime  infinie  de  la  conduite  qu'il  plaît  à  sa 
bonté  de  tenir  à  votre  égard.  Il  choisit  des 
disciples  parmi  ceux  qui  sont  à  sa  suite,  et 
il  les  distingue  des  antres;  il  les  conduit  sur 
une  montagne  élevée,  pendant  qu'il  laisse 
les  autres  dans  la  campagne;  enfin  il  les 
rend  les  témoins  du  miracle  de  sa  transfigu- 
ration. Il  fait  dans  ce  moment,  ma  sœur, 
quelque  chose  de  semblable  en  votre  faveur, 

1°  Il  vous  distingue  et  il  vous  élève  au-des- 
sus des  chrétiens  du  commun  en  vous  choi- 
sissant: nous  vous  expliquerons  ce  premier 
mouvement  de  sa  miséricorde  dans  la  pre- 
mière partie  ;  Sr"  il  vous  conduit  sur  une  fer- 
tile cl  sainte  montagne,  dont  nous  vous  ex- 
pliquerons les  avantages  et  les  biens  dans 
la  deuxième  partie  ;  â°  il  veut  enfin  opérer 
en  vous  une  transfiguration  prise  sur  le  mo- 
dèle de  la  sienne,  dont  nous  vous  donne- 
rons l'idée  dans  la  troisième  partie  de  ce  dis- 
cours. 

Suivez-moi  dans  celte  idée,  ma  très-chère 
>œur,  elle  vous  donnera  celle  que  vous  de- 
vez avoir  de  la  miséricorde  que  Dieu  veut 
vous  l'aire;  mais  demandons  les  lumières  de 
son  Esprit  par  l'intercession  de  Marie.  Ave, 
Maria. 

PREMIERE    PARTIE. 

1!  est  écrit  dans  l'évangile  <>ù  le  mystère 
que  l'Eglise  solennise  aujourd'hui  est  rap- 
porté, que  le  Sauveur  du  monde  pi  il  en  par- 
ticulier Pierre,  Jacques  et  Jean.  Le  choix 
qu'il  fil  de  ces  trois  disciples  est  une  suite  du 


premier  qu'il  avait  faild'iux  avec  les  docuz 
qn'il  avait  cl  •  es  apodes,  et  l'un 

(t  l'autre  fui  un  pur  cil  t  de    sa  miséricorde 
el  de  si  bonté,  car  e'esl  uniquement  laOJ  sa 
vol, nié  qu'il    prend  Im  mollis  duchoiv  qn'il 
(ait  des   hommes  «    et   de    la   distinction  qu'il 
mel  entre  eux.  l'ouï  ee  qu'on  peut  trouver 
de  mérite  d    i:s    l'homme  est  un  présent  gra- 
tuit ,  dit  saint  Augustin,  puisque l'homm    ne 
mérite  de    recevoir  aucun    bien  du  Père  des 
lumières,   de  qui   descend    lout    don  p 
q  l'en  recevant  la  grâce  qu'il  ne  mérite  point. 
Ce  ne   sont  donc   point  les  qualités  d 
a]  6li  es  ni  leur  mérite  q   i  1  ■•-  ont  la  Ich 
I  or  le  Sauveur;   c'est   t:n  ordr.  établi  par  --a 
e  pour  l'aicom  •  ut  de  ses  des- 

e  réglé  p.sr  ia  volonté,  dans  lequi  I  il 
l'ail  entrer  ceux  qu'il  lui  plaît.  Ce  n'est  pas 
cependant  que  ces  apôtres  fument  sans  mé- 
rite; mais  ce  qu'ils  <  n  onl  est  une  suil  de 
cette  volonté  souveraine  de  Dieu  qui  le-  a 
ch  isis,  el  le  m  rit  même  est  une  grâce,  se- 
lon saint  Augustin:  Ipsttm  meritum  est  gra- 
tin. Telle  <st,  ma  sœur,  la  source,  le  prin- 
cipe et  le  motif  du  ch  >ix  de  ses  apôtres  et  de 
la  distinct  on  que  Jésus-Christ  fait  d'eux  et 
des  autres  qu'il  laisse  au  bas  de  la  munlagne; 
et  vous  trouverez  que  tel  est  le  fondement 
de  la  miséricorde  qu'il  vous  fait  aujourd'hui. 
Elle  est  pour  vous,  comme  pour  ses  apolr  - 
la  suite  d'une  aulre  et  la  confirmation  de  la 
première  grâce  par  laquelle  il  lui  a  plu  de 
vou  :  appeler  à  lui. 

Entrez  bien  dans  cette   pensée,   ma 
chère  soeur,  e!  pour  vous  la  rendre  ph 
sible  fa  'c;  réflexion  avec  moi  qu'il  y  a  diffé- 
rents (lais  pour  les  chrétiens  dans   l'E. 
ils  sont  l  us  transportés  par  le.:r  père  hors 
de   la    terre  de   leur   naissance,   c'est-à-dire 
que,  par  la   grâce  de  leur  baptême,  il- 
sépares  du  monde   el    établis   dan-    l'I 
par  Jésus-Christ. 

Cette  première  séparation,  qui  est  com- 
mune à  lous  les  chrétiens,  est  perfectionnée 
par  une  autre  qui  est  particulière  à  ceux 
qu'on  distingue  dans  l'Eglise  parle  nom  de 
solitaires  ou  de  religieux.  Les  premieis  ne 
s  ml  plus  du  monde,  non  plus  que  I. 
couds;  car  tout  chrétien  y  a  renoncé,  et  celle 
renonciation  va  bien  loin;  mats  les  premiers 
qui  n'ont  pas  ajouté  une  renonciation  par- 
ti uli're  à  la  séparation  commune,  entre- 
tiennent encore  un  certain  commerce  d.  us 
le  monde,  qui  leur  l'ail  des  liaisons,  qui  leur 
donne  des  vues  et  qui  les  engage  à  des  ac- 
tions qu'on  ne  peut  pas  condamner  absolu- 
ment, mais  qui  les  exposent  à  des  |  ériil 
pa  les  de  f  i  ire  trembler  lout  homme  qui  au- 
ra les  idées  qu'il  doit  avoir  des  obligations 
d'un  chrétien,  des  engagements  qu  il  a  pris 
avec  Dieu  par  Jésus-€hi  isl  d  us  le  baptême, 
cl  de  la  sainteté  à  laquelle  il  est  appelé,  et 
qui  considère  en  même  temps  la  vie  du 
inonde,  les  maxiin  s  qui  y  régnent  el  la  t  on- 
duil  qu'on  y  lient.  C'est  la  \  ON 
qui  a  ouvert  les  solitudes,  qui  a  |  eu; 
déserts,  et  quia  inspirée  tant  alleu* 

aux  intérêts  de   leur  salut  d'einbi 
la  voie  d,  s  conseils  pour  ue  pas  tomber  daus 


025 


SERMON  POUR  LA  YETURE  D'UNE  RELIGIEUSE. 


920 


le  violement  des  préceptes.  Des  homme?, 
éclairés  par  la  foi,  convaincus  de  la  sainlelé 
du  christianisme  et  de  celle  que  Dieu  de- 
mande de  ceux  qu'il  y  a  appelés,  ont  com- 
pris avec  un  prophète  qu'il  n'y  a  point  de 
justice,  point  de  vérité,  point  de  connais- 
sance de  Dieu  sur  la  terre;  ils  se  sonl  sépa- 
rés de  ces  injustes,  de  ces  aveugles,  de  ces 
infidèles,  et  ils  ont  demandé  au  Seigneur, 
avec  un  autre  prophète,  que  le  Seigneur  leur 
montrât  ses  voies:  Vins  tuas,  Domine,  de- 
monslra  mihi,  et  semitas  tuas  edocc  me.  Il 
faut  pourtant  avouer  qu'ils  n'ont  pas  préten- 
du mettre  au  rang  de  ceux  qui  s'égarent  tous 
ceux  qui  resent  dans  les  engagements  du 
sièc'e,  car  ils  ont  hien  su  que  Dieu  a  des 
saint i  dans  tous  les  états;  mais,  éclairés  par 
les  paroles  du  Seigneur,  qui  dit  qu'il  ne  pi  ie 
pas  pour  le  inonde,  attentifs  à  sa  voix  lors- 
qu'il recommande  à  sou  peuple  de  fuir  du 
milieu  de  Babylone,  à  celle  de  son  Apôtre, 
qui  dit  :  Séparez-vous  de  celle  race  corrompue 
du  monde;  en  entendant  un  autre  qui  dit  : 
N'aimez  point  le  monde  ;  sentant  d'ailleurs 
leur  co  ruption  et  se  défiant  de  leur  propre 
faiblesse,  ils  ont  compris  que,  dans  une  af- 
faire aussi  importante  que  celle  du  salut,  il 
ne  fallait  rien  hasarder,  que  la  souveraine 
sagesse  consistait  à  prendre  le  plus  sûr,  et 
que  la  demeure  du  monde  étant  si  dange- 
reuse, le  parti  d'un  chrétien  dans  certaines 
circonstances,  et  qui  tend  plus  vivement  h  la 
perfection,  était  de  le  quitter.  Or,  ma  sœur, 
c'est  à  cette  espèce  de  gens  si  sages  qu'il 
veut  voui  associer  aujourd'hui.  Vous  sépâ- 
rar.t  de  la  mullilu  'e,  il  vous  unit  au  petit 
nombre;  vous  retirant  de  la  voie  large,  il 
vous  conduit  dur.  la  vue  étroite,  et  pendant 
qu'il  laisse  lu  gros  de  ses  disciples  au  bas  de 
la  montagne,  exposés  au  péril  si  ordinaire 
et  si  commun  d'abandonner  la  vérité  pour 
ne  suivre  dans  leur  vie  que  les  opinions  des 
hommes  cl  les  impressions  de  leur  exemple, 
il  vous  conduit  sur  la  montagne,  pour  vous 
faire  entendre  non  pas  la  voix  des  hommes, 
mais  celle  du  ciel,  et  vous  associer  à  te 
nombre  si  petit  des  disciples  choisis,  qui  ont 
établi  le  plan  d' leur  vie  sur  les  principes  si 
solides  de  la  vérité.  Quelles  impressions  doi- 
vcni  faire  sur  votre  âme,  ma  très-chère  sœur, 
la  gloire  de  cette  distinction,  et  l'avantage 
d'être  prévenue  par  une  grâce  si  singulière? 
Comme  elle  est  une  suite  de  celle  qui  vous  a 
faite  dire  'icône,  que  vous  n'avez  pu  mériter, 
on  peut  dire  qu'elle  est  aussi  gratuite,  puis- 
que l'homme,  encore  une  fois,  ne  mérite  de 
recevoir  aucun  bien  du  Père  des  lumières, 
de  qui  descend  loul  don  parfait,  que  parce 
qu'il  en  a  r<  çu  d'abord  sans  l'avoir  mérité. 
Répandez  donc  votre  cœur  en  la  présence  du 
Seigneur,  et  ne  cessez  jamais  de  dire  avec 
l'apôtre  saint  Paul:  Béni  soit  Dieu,  père  de 
Notre  Seigneur  Jésus  Christ,  qui  nous  a  élus 
en  lui  dès  l'éternité,  pour  nous  faire  saints, 
et  qui  nous  a  prédestinés  par  un  pur  effet  de 
sa  honte. 

Tout  est  miséricorde,  tout  est  bonté,  tout 
est  grâce  dans  la  conduite  que  Dieu  lient  sur 
nous,  comme  dans  celle  qu'il   lient  sur  ses 


apôtres,  qu'il  distingue  des  autres  dans  l'ac- 
complissement de  ce  mystère;  mais  lout  est 
grand,  tout  est  magnifique  dans  les  do  is  qu'il 
lui  plaît  de  vous  faire  aujourd'hui,  ma  chère 
sœur,  comme  tout  brille  et  tout  est  éclatant 
de  gloire  sur  la  montagne  où  il  les  conduit; 
et  j'ose  dire  qu'il  ne  s'y  passe  rien  que  nous 
ne  retrouvions  sur  celle  où  il  veut  vous  con- 
duire aujourd'hui,  et  dont  je  vais  vous  expo- 
ser les  avantages  et  les  biens,  dans  la  deuxiè- 
me réflexion. 

DEUXIÈME    PARTIE. 

Le  prophète-roi,  voulant  nous  donner  une 
idée  de  l'Eglise  dans  le  psaume  LXVII,  l'ap- 
pelle la  montagne  où  il  a  plu  à  Dieu  de  faire 
sa  demeure  :  M  on  s  in  quo  beneplacitum  est 
Deo.  C'est  pourquoi  il  nous  assure  que  cette 
montagne  est  fertile  et  grasse  :  Mons  coa- 
gulatns,mons  pinguis. 

Or,  ce  qu'il  dit  de  l'Eglise  en  général,  je 
puis  le  dire  de  cette  partie  de  l'Eglise  à  la- 
quelle vous  vous  unissez  aujourd'hui,  ma 
très^-chère  sœur,  puisque  les  vierges  chré- 
tiennes auxquelles  la  miséricorde  de  Dieu 
vous  associe,  en  vous  séparant  du  reste  des 
fidèles,  sont  appelées  par  les  saints  Pères  la 
plus  illustre  portion  de  ce  troupeau  choisi 
par  JésusrChrist  ;  mais  que  vous  dirai-je 
des  avantages  et  des  biens  que  Dieu  a  ren- 
fermés sur  celte  montagne  où  il  vous  con- 
duit aujourd'hui?  Quelle  est  sa  fertilité? 
quelle  est  la  graisse  qui  en  découle? 

Arrêtons  nos  idées  et  renfermons-nous  dans 
ce  qui  se  passe  sur  celle  montagne  où  le 
Sauveur  du  monde  conduit  ses  disciples  pour 
les  rendre  témoins  du  miracle  qui  s'accomplit 
sur  sa  personne;  il  n'y  a  rien  qui  n'ait  un 
rapport  naturel  avec  les  avantages  qu'il  vous 
prépare  dans  le  lieu  où  sa  miséricorde  vous 
conduit,  el  qui  sera  pour  vous,  comme  [tour 
ses  disciples,  une  montagne  de  grâce  et  de 
bénédiction.  Pour  ne  rien  perdre  de  ce  que 
l'Evangile  nous  en  rapporte,  il  y  a  plusieurs 
choses  à  remarquer  qui  son:  toutes  impor- 
tantes. La  première,  c'est  la  hauteur  de  cette 
montagne,  qui  est  grande,  selon  l'expression 
de  l'Evangile  :  In  montent  excelsum  ;  la 
deuxième,  c'est  la  situation  :  elle  était  reti- 
rée du  commerce  et  fort  à  l'écart  :  seorsum; 
la  troisième,  ce  sont  les  gens  qu'on  y  trouve: 
c'est  Moïse  et  Elie  :  Apparuerunt  illis  Moyses 
et  Elias  cum  eo  lor/uentes;  la  quatrième,  ce 
sont  les  discours  qu'on  y  lient  :  on  y  parle 
de  ce  que  Jésus-Christ  devait  souffrir  dans  Jé- 
rusalem :  Diccbant  excessum  rjus;  la  cinquiè- 
me, c'est  la  voix  qu'on  y  entend  et  le  Maître 
qui  y  parle  :  c'est  le  Père  éternel,  le  Dieu  de 
vériîé:  Et  ecce  vox  de  nube  ;  la  sixième,  c'est, 
la  personne  que  le  Père  éternel  se  substitue 
pour  nous  parler  en  son  nom:  Hic  est  Filius 
meus,  ipsum  uudite. 

Que  d'avanlages,  ma  très  chère  smur  1 
que  «le  biens  sur  cette  montagne  où  la  misé- 
ricorde de  Dieu  vous  conduit  I  El  si  je  vous 
fais  voir  que  lout  ce  qui  est  rapporté  de  celle 
du  Thaï) or  convient  au  lieu  où  la  grâce  de 
Jésus-Christ  vous  instruit,  pourriez-vous 
croire  qu'il  y  eût  ailleurs  une  montagne  plus 


'•-27 


OllATEI.'US  SACRES.  DOM  JFUOMI . 


irai 


fertile  et  pms  grasse:  Ut quid  tvêpicamini 

montes  coagulatOi?  Parcourons  un  peu  loul 
ceci,  ma  sœur,  cl  instruisons-nous. 

Je  vous  dirai  peu  de  choses  sur  la  hau- 
teur de  celte  montagne,  c'est-à-dire  sur  le 
mérite  de  la  profession  que  vous  voulez  em- 
brasser ;  car  il  est  bien  plus  important  de 
nous  arrêter  sur  ce  qui  regarde  les  engage- 
ments et  les  devoirs  de  celte  profession  si 
sainte,  que  de  donner  du  temps  à  en  décrire 
les  avantages  el  à  en  découvrir  la  gloire. 

Il  faut  pourtant  reconnaître  que  celte 
montagne  est  haute,  que  la  profession  où 
vous  aspirez  est  éminente ,  et  que  ceux  que 
Dieu  y  a  véritablement  appelés,  et  qui  en 
remplissent  les  devoirs,  tiennent  parmi  les 
disciples  du  Sauveur  un  rang  qui  les  élève 
au-dessus  des  autres.  Ces  disciples  que  Jésus- 
Christ  conduisit  avec  lui  sur  le  Thabor,  le 
furent  à  l'égard  de  ceux  qu'il  laissa  au  bas 
de  la  montagne.  Il  faut  entendre  parler  saint 
Bernard,  cel  homme  si  fidèle  aux  devoirs  de 
sa  profession  et  si  instruit  de  ses  avantages. 
Votre  profession  est  très-haute,  dhail-il  à  ses 
solitaires  ;  elle  vous  élève  jusque  dans  les 
deux,  et  elle  vous  rend  semblables  aux  anges, 
parce  qu'en  ne  vous  appliquant  qu'à  croître 
toujours  dans  la  connaissance  et  dans  l'amour 
de  Dieu,  ce  qui  est  l'essentiel  de  vos  devoirs, 
vous  avez  l'avantage  de  représenter  sur  la 
terre  les  occupations  des  anges,  qui  ne  sont 
appliqués  qu'à  le  connaître  et  à  l'aimer,  el  que 
vous  les  représentez  par  une  vie  toute  spiri- 
tuelle, toute  uniforme,  toute  égale,  toute  de 
Dieu,  toute  pour  Dieu,  toute  procédante  de 
l'esprit  de  Dieu  et  de  l'amour  de  Dieu,  comme 
celle  des  anges  dans  le  ciel.  Une  chanoinessc 
doit  être  toute  appliquée  à  chanter  les  louan- 
ges du  Seigneur  et  à  adorer  la  grandeur  et 
la  majesté  de  Dieu. 

Peut-on  rien  trouver  de  plus  éminent,  rien 
de  plus  haut  que  celle  montagne  où  Dieu 
vous  conduit?  Telle  est  donc  sa  hauteur; 
mais  voici  sa  situation.  Eilc  est  retirée  du 
commun  et  fort  à  l'écart;  mais  pourquoi 
cette  montagne  si  élevée  au-dessus  de  la 
terre  par  sa  hauteur  se  trouvc-t-elle  encore 
si  séparée  de  la  voie  commune  par  sa  situa- 
tion? Ceci  est  une  excellente  instruction 
pour  vous,  ma  sœur  ;  comprenez  donc,  s'il 
vous  plaît,  que  comme  le  Seigneur  ne  vous  a 
distinguée  du  commun  qu'en  vous  élevant  et 
vous  conduisant  sur  la  montagne,  vous  ne 
conserverez  les  avantages  de  celle  distinc- 
tion qu'autant  que  vous  serez  exacte  à  vous 
tenir  dans  la  séparation  des  créatures  dont 
il  vous  a  distinguée.  C'est  le  mystère  de  la 
situation  de  celle  montagne:  une  vierge  chré- 
tienne doit  se  dire  continuellement  :  Il  n'y  a 
plus  de  monde  pour  moi,  mes  entretiens  ne 
doivent  plus  elfe  qu'avec  les  anges  et  avec 
les  bienheureux  ;  ou  si  la  fragilité  humaine 
ou  l'état  présent  de  la  vie  ne  me  permet  pas 
d'élre  continuellement  élevée  vers  le  ciel 
avec  Jésus-Christ  et  avec  ses  apôtres,  au 
moins  n'aurai-jo  plus  de  commerce  qu'avec 
les  plus  excellents  chrétiens  et  ceux  qui  par 
les  avantages  de  la  vie  nouvelle  sont  entiè- 


rement séparés  du  monde  et  n'y  veulent  plut 
•voir  aucun  rapport. 

Je  me  souviens,  ma  sœur,  sur  ce  sujet  d'un 
beau  mol  de  saint  Jérôme  à  Bnstoebie  ;  il  lui 
défend,  dans  la  lettre  quatorzième  du  second 
livre  ,  d'entretenir  aucun  commerce  réglé 
avec  les  femmes  du  monde,  et  même  les  plus 
distinguées  par  leur  condition,  el  il  lui  en 
donne  celle  raison  :  ffe  songez-vous  pas  que 
c'est  en  qinlque  sorte  vous  dégrader  que  d'al- 
ler chercher  la  compagnie  de  celles  qui  ne  sont 
alliée*  qu'à  des  hommes  mortels  ,  vous  qui 
avez  Dieu  même  pour  époux?  Tenez-vous  donc 
séparée,  soutenez  la  dignité  de  votie  rang, 
et  qu'un  saint  orgueil  vous  empêche  de  vous 
faire  voir  à  celles  qui  sont  au-dessous  de  tous. 
Ainsi  ceux  qui  ont  des  choses  les  idées  qui  s 
en  doivent  avoir  ne  regardent  pas  la  sep  i- 
ralion  et  la  clôture  de  ces  sainles  épouses  de 
Jésus-Christ  comme  une  loi  dure  ,  imposée 
par  l'autorité  des  législateurs  :  ils  les  regar- 
dent au  contraire  comme  une  barrière  que 
les  âmes  consacrées  à  Dieu,  qui  ne  veulent 
voir  el  aimer  que  lui,  ont  posée  entre  elles  el 
ceux  qui  sont  du  monde,  afin  de  pouvoir 
leur  dire  comme  Abraham  disait  au  mauvais 
riche  :  Il  y  a  un  très-grand  abîme  et  un  es- 
pace infini  entre  vous  et  nous ,  en  sorte  qu'il 
ne  vous  est  pas  permis  de  venir  à  nous,  non 
plus  qu'à  nous  d'aller  à  vous. 

-Mais  après  loul  que  quittez-vous,  ma  très  - 
chère  sœur,  en  vous  séparant  extérieure- 
ment des  créatures,  que  vous  ne  trouviez 
avec  avantage  sur  celte  montagne  où  vous 
devez  vivre  à  l'écart?  Qui  sont  ceu*  qu'on 
y  trouve,  scion  le  rapport  de  l'Evangile  .' 
C'est  Moïse  et  Elie,  les  plus  grands  hommes 
de  l'ancienne  loi  ;  c'est  saint  l'ierre  ,  saint 
Jacques  et  saint  Jean,  les  premiers  ministres 
de  la  nouvelle  loi. 

Vous  voyez  sans  doute  déjà  ,  ma  chère 
sœur,  quel  est  le  caractère  de  celles  à  qui 
vous  allez  vous  associer  :  ce  sont  des  per- 
sonnes sorties  du  monde,  dont  elles  ont  mé- 
prisé la  fortune  et  les  biens,  choisies  par  le 
Seigneur,  distinguées  par  la  grâce  du  com- 
mun des  fidèles,  conduites  par  son  esprit  sur 
la  montagne,  éclairées  de  ses  lumières,  pé- 
nétrées de  ses  vérités,  vivant  selon  sa  loi, 
suivant  ses  conseils,  attachées  à  faite  sa  vo- 
lonlé.  Vous  trouverez  dans  leur  société  le 
zèle  d'Elie,  la  douceur  de  Moïse,  la  foi  de 
Pierre,  l'amour  de  Jean,  la  Gdélité  de  Jac~ 
qucs;cn  un  mot,  vous  n'y  verrez  rien  qui 
ne  vous  porte  à  Dieu,  cl  vous  pourrez  diic, 
comme  le  Prophète  ,  en  entrant  dans  celle 
heureuse  société  :  Je  suis,  6  Seigneur!  avec 
celles  ijui  vous  craignent  et  qui  garder 
commandements. 

Voulez-vous  savoir,  ma  chère  sœur,  de 
quoi  ces  prophètes  s'entretiennent  ave 
sus-Christ  en  la  pr<  senec  de  ses  apôtre- .  i  I 
quelle  est  la  matière  de  la  conversation  de 
ces  personnes  saintes?  Saint  Luc  nous  le 
rapporte.  Ils  parlaient  (iu  Sain  cor.  de  sa 
sortie  du  monde  et  de  ce  qu'il  devait  souffrir 
dans  Jérusalem.  Tels  doivent  être  le-  en- 
tretiens de  ccuv  qui  habitent  sur  celle  mon- 
tagne où  le  Seigneur  vous  conduit  aujour- 


P29 


SERMON  TOUR  LA  VETURE  D'UNE  RELIGIEUSE. 


H30 


d'hui ,  ma  très-chère  sœur.  On  n'y  parle 
jamais,  selon  les  règles  établies  par  les  saints 
Pères,  qu'on  regarde  comme  les  maîtres  de 
cette  vie  si  sainte,  de  choses  curieuses,  vai- 
nes et  inutiles;  l'on  bannit  tous  les  discours 
qui  peuvent  affaiblir  la  vigueur  de  l'esprit, 
la  solidité  des  sentiments  et  le  recueillement 
de  l'âme;  on  rejette  bien  loin  ces  paroles 
folles  et  indiscrètes  dont  l'usage  est  défendu 
aux  chrétiens  par  saint  Paul  ,  qui  ne  con- 
viennent ni  à  la  dignité  de  notre  état,  ni  à  la 
sainteté  de  notre  consécration;  on  ne  parle 
sur  cette  montagne  que  de  ce  qui  peut  con- 
tribuer à  produire  le  parfait  dégagement  du 
cœur,  à  augmenter  le  mépris  pour  le  monde 
qu'on  a  quitté,  et  à  nous  faire  vivre  dans  la 
reconnaissance  due  à  la  miséricorde  de  Dieu, 
qui  nous  a  séparés  par  sa  grâce. 

Là  on  conserve  le  recueillement  par  des 
discours  tout  pleins  de  feu  :  Ignitum  elo- 
quium  tuum;  de  peur  que  ,  dans  le  repos  de 
cette  vie  si  réglée  et  si  au-dessus  du  trouble 
des  passions,  on  ne  vînt  à  dire  comme  Pier- 
re :  Nous  sommes  bien  ici ,  on  interrompt 
celle  joie  et  cette  prospérité  spirituelle  par 
la  vue  des  souffrances  de  Jésus-Christ,  et  on 
se  dit  souvent  qu'il  faut  acheter  les  avanta- 
ges et  les  délices  de  l'éternité  par  des  tra- 
vaux continuels  qui  aient  quelque  rapport 
avec  ceux  du  Sauveur  du  monde.  Que  de 
biens  ,  ma  très-chère  sœur,  pour  ceux  qui 
vivent  sur  cette  montagne  selon  les  règles 
établies  par  les  Pères  1  C'est  trop  peu  dire  à 
l'avantage  de  la  vie  qu'on  doit  y  mener,  que 
de  n'en  reconnaître  pour  maîtres  et  pour  in- 
stituteurs que  des  hommes  saints  et  choisis 
du  ciel,  pour  en  tracer  l'idée  et  y  conduire 
les  autres;  c'est  Dieu  lui-même  qui  l'a  éta- 
blie, et  ces  grands  hommes  n'ont  été  que  les 
exécuteurs  des  desseins  de  sa  miséricorde. 
C'est  aussi  ce  qui  s'est  passé  au  ïhabor, 
c'est  la  voix  du  ciel  qu'on  y  entend;  et  le 
maître  qui  y  parle,  c'est  le  Père  éternel. 

Nous  pouvons  donc  dire,  ma  très  chère 
sœur,  de  celte  sainte  montagne,  ce  que  saint 
Jean  dit  dans  son  Apocalvpsc  de  la  céleste 
Jérusalem  dont  elle  est  l'image,  qu'elle  n'a 
point  besoin  d'être  éclairée  dans  un  certain 
sens  par  le  soleil  ou  par  la  lune,  c'est-à-dire 
par  des  lumières  inférieures  et  humaines  , 
parce  que  c'est  la  lumière  de  Dieu  qui  l'é~ 
claire,  et  que  l'Agneau  en  est  la  lampe. 

Ici,  ma  sœur,  on  n'entend  que  la  voix  du 
Père  éternel,  on  s'attache  à  la  loi  préci- 
sément; on  va  prendre  dans  les  Ecritures 
les  règles  de  sa  conduite  ,  la  solution  de  ses 
doutes,  les  lumières  de  son  esprit,  la  nourri- 
ture de  son  âme  ,  la  consolation  et  la  force 
de  son  cœur.  Ici  l'on  s'enveloppe  dans  l'heu- 
reux nuage  d'une  humble  soumission  aux 
paroles  de  la  loi  et  aux  vérités  de  l'Evangile; 
on  ne  veut  point  ici  de  ces  dangereuses  in- 
terprétations des  hommes  qui  affaiblissent 
la  force  de  ces  vérités  saintes  ,  et  au  travers 
de  ces  nuages  la  voix  du  Père  se  fait  enten- 
dre à  ceux  qui  l'écoulcnt  avec  humilité. 

Que  resle-t-il  à  vous  dire,  ma  très-chère 
sœur,  pour  achever  le  parallèle  de  la  mon- 
tagne du  Thabor  et  de  cçllc  où  la  miséri- 


corde de  Dieu  vous  conduit? qu'ici  comme 
sur  le  Thabor  tout  disparaît  aux  yeux  de 
ceux  qui  y  habitent,  et  qu'après  avoir  en- 
tendu la  voix  et  s'être  abattus  sur  l'autorité 
de  cette  voix,  ils  ne  voient  plus  que  le  Fils 
en  se  relevant ,  et  ils  ne  regardent  unique- 
ment que  Jésus-Christ  :  Neminem  viderunt 
nisi  solum  Jesum.  Que  de  vérités  ,  ma  très- 
chère  sœur,  et  que  de  choses  excellentes  ! 
que  de  principes  de  religion  dans  cette  der- 
nière circonstance  et  ce  dernier  rapport  du 
Thabor  et  de  la  solitude  où  vous  entrez  1 

Ne  regardons  que  Jésus-Christ,  qui  de- 
meure seul  sur  le  Thabor  avec  ses  apôtres. 
Lui  seul  est  la  source  de  notre  être,  le  prin- 
cipe de  la  grâce  qui  nous  sancliûe,  le  modèle 
et  le  sanctificateur  des  œuvres  qui  nous 
rendent  dignes  des  promesses,  le  consomma- 
teur de  l'œuvre  de  notre  salut,  l'unique  objet 
de  nos  espérances  comme  de  notre  félicité. 
Nous  ne  voulons  donc  voir,  Sauveur  du 
monde  ,  que  vous  en  Dieu  et  Dieu  en  vous  : 
Neminem  viderunt  nisi  solum  Jesum.  Je 
n'entre  pas  plus  avant  dans  des  vérités  si 
vastes  et  si  relevées;  il  faut,  ma  chère  sœur, 
vous  apprendre  en  peu  de  mots  quelle  doit 
être  celle  transfiguration  que  Jésus-Christ 
veut  opérer  en  vous  sur  le  modèle  de  la  sien- 
ne :  c'est  la  troisième  partie. 

TROISIÈME  PARTIE. 

Je  remarque  trois  choses  dans  la  transfi- 
guration du  Sauveur  du  monde:  1°  qu'elle 
se  faisait  sur  l'extérieur  de  Jésus-Christ  ;  2' 
qu'elle  paraît  aux  yeux  des  apôtres  ;  3°  qu'el- 
le était  l'roduilepar  la  disposition  intérieure 
du  Sauveur  du  monde.  Expliquons  ceci  en 
peu  de  mots. 

Elle  se  fit  sur  l'extérieur  du  Sauveur  du 
monde  ,  c'est-à-dire  que  son  visage,  où  rien 
ne  paraissait  d'extraordinaire  ,  devint  com- 
me le  soleil,  et  que  ses  habits  ,  qui  étaient 
comme  ceux  des  autres  ,  devinrent  blancs 
comme  la  neige.  De  plus  ses  apôtres  s'aper- 
çurent de  ce  changement  et  en  furent  com- 
blés de  joie;  ce  qui  fit  dire  à  saint  Pierre: 
Seigneur,  nous  sommes  bien  ici.  Enfin  toutes 
ces  merveilles  avaient  leur  source  dans  la 
disposition  intérieure  de  Jésus-Christ;  il 
possédait  toute  la  plénitude  de  la  Divinité, 
et  il  suspendait  tout  l'éclat  de  sa  gloire  et 
l'empêchait  de  se  répandre  au  dehors,  ce  qui 
était  nécessaire  pour  l'accomplissement  des 
desseins  de  sa  miséricorde.  Car  si  les  Juifs 
l'eussent  connu,  dit  saint  Paul,  ils  n'eussent 
jamais  crucifié  le  Seigneur  de  la  gloire.  Il 
laissa  donc  paraître  dans  ce  moment  quel- 
que éclat  de  cette  gloire;  il  laissa  échapper 
quelque  rayon  de  sa  divinité  ,  qui  frappa  les 
yeux  de  ses  apôtres  et  qui  les  mit  dans  l'ad- 
miration. 

Or,  ma  sœur,  c'est  sur  cette  idée  que  vous 
devez  prendre  celle  de  la  transfiguration  que 
le  Sauveur  du  monde  veut  opérer  en  vous. 

I'1  Elle  va  commencer  par  l'extérieur,  et 
voici  naturellement  les  changements  qui 
vont  se  faire  :  vous  aile/  changer  de  lieu  , 
vous  allez  quitter  celui  où  vous  êtes  née 
pour  entrer  dans  celui  où  vous  êtes  résolue 


931 


ORATEURS  s\<-RLS.  UOM  JEROME. 


m 


d'aller  vous  préparer  à  mourir.  Vous  sortez 
du  monde  i  où  vous  laisses  la  ouenraua  dot 
Ddèlei  ;  tous  .il  cz  vous  d>  puuiller  pour  tou- 
jours dei  vêlements  du  siècle  ci  des  vains 
OT  OC  menti  qu'on  y  porte,  pour  vuiii  rc 
de  vêtements  blancs  comme  1 1  aeige;  enfin 
vous  allez  quitter  le  nom  de  \olre  lamille 
pour  ou  prendre  un  autre  :  nous  anez  do  ic 
elre  changée  en  une  autre  personne;  voila 
celle  transfiguration  extérieure. 

2°  Il  n'est  pas  possible  que  les  autres  ne 
s'aperçoivent  de  ce  changement;  mai*,  ni 
chère  sœur,  ce  u'esl  pas  assez  qu'ils  le  re- 
marquent ,  i!  faut  encore  qu'il-,  en  soient 
charmél  et  qu'il  les  nielle  dans  l'admiration. 
Ecoulez  les  belles  p. noies  de  saint  Augustin 
qui  expriment  si  bien  loutc  L'étendue  de  ce 
changement  :  Voici,  dit  ce  saini  docteur,  un 
nouveau  voyageur;  il  est  clian'jé  et  irantfi- 
ijaré  en  tout:  la  candeur  de  sa  eonduilfi  et 
l'innocence  de  ses  mains  brillent  bien  davan- 
tage à  nos  yeux  que  lu  blancJteur  des  habit» 
dont  il  est  revêtu.  Il  tient  anéantie  voie,  et  il 
parait,  par  la  morti/icatiou  de  ses  sens,  \,<\r 
la  modestie  de  son  maintien,  par  le  recueille- 
ment de  son  esprit ,  qu'il  a  quitté  les  voies  du 
monde  ,  ei  qu'il  demeure  sur  la  montagne  qui 
est  un  lieu  de  récollection  et  de  prire.  Il 
parle  tout  un  autre  langage;  la  douceur,  la 
simplicité,  la  discrétion  répandues  dans  tous 
ses  discours  nous  apprennent  qu'il  est  chan- 
gé entièrement.  C'est ,  ma  chère  sœur,  de  ce 
changement  que  vos  sœurs  doivent  s'a- 
percevoir ;  c'exl  ce  changement  qui  les  char- 
mera et  qui  les  comble;  a  de  joi  ■ ,  parce  que 
si  elles  remarquent  que  la  grâce  de  .'ésus- 
Christ  l'ai  fait  en  vous  ,  elles  reconnaîtront 
que  vous  êtes  digne  d'avoir  été  admise  dans 
une  société  où  l'on  ne  souffre  pas  qu'il  en- 
tre rien  de  ce  qui  tient  encore  du  vieil  hom- 
me, et  où  l'on  ne  sent  admettre  que  île  nou- 
velles créatures  en  Jésus-Ciirisl. 

3°  Mais  il  faut  que  ces  changements  pio- 
cèuent  de  l'intérieur,  qu'ils  aient  leur  sour- 
ce dans  les  disposions  de  voire  âme  ;  car 
c'est  l'esprit  qui  vivifie  ,  et  la  chair  ne  sert  de 
rien.  En  vain  sortiriez- vous  du  monde,  si 
vous  ne  renonciez  pas  entièrement  à  son 
nspr.it.  Il  serait  tort  inutile  de  vous  dépouil- 
ler de<  habits  du  siècle  ,  si  vous  ne  quittez 
pas  toutes  les  liaisons  qui  pourraient  vous 
attacher  aux  créatures  que  vous  y  laissez, 
et  qui  partageraient  un  cœur  dont  Dieu  veut 
être  le  maître  entièrement.  Lu  quittant  vo- 
tre non,  oubliez-vous  vous-même,  et,  ne 
\ous  souvenant  plus  de  ce  que  vous  avez 
été  ,  ne  songez  qu'a  ce  que  vous  prétendez 
devenir. 

Enfin,  ma  chère  sœur,  souvenez-vous  que 
voire  transfiguration  ne  sera  point  vérita- 
ble si  elle  n'est  intérieure,  et  qu'elle  ne  sera 
pas  parfaite  si  elle  ne  consiste  uniquement 
qu'à  vous  unir  à  ces  vierges  chrétiennes  qui 
vous  tendent  les  bras.  Ce  lut  dans  la  prière 
que  le  visage  de  Je  us-Christ  parut  tout  au- 
ue  cl  que  ses  habits  devinrent  blancs  et 
<  l  latents;  c'est  par  la  prière  que  MOUS  ,  ou- 
\ous  espérer  la  grâce  qui  nous  change  et 
uous  Iransligure  inlct  ieureuicul.  N'inlerrow- 


pcz  jamais  cet  exercice,  que  tous  vos  mou- 
vements soient  des  p  In  que  vous 
les  obtenir  cette  grâce  parti  b  le  la 
miséricorde  de  Dieu  qui  vous  a  déjà  i  i 
nue  ,  (t  que  nois  puissions  dire  qm 
transfiguration  est  pleinement  accomplir. 
Ainsi  soil-il. 

SERMON 

PO!  Il     l  M     l'HOFKSSIUN. 

Noli  a' tiiru  upere,  ied  tins. 

point,  mais  craignez  [Boni.,  XI,  20). 

Ainsi  parlait  l'apôtre  saint  Paul,  dans  VI'.- 
I litre  aux  Romains,  pour  réprimer  l'orgueil 
de  ces  peuples,  et  pour  empêcher  qu'ils  ne 
s'élevassent  à  c,;usc  de  la  grâce  qu'ils  a\  aient 
reçue,  en  demeurant  fermes  sur  le  tronc  de 
<•  i  arbre  mystique  ù  ils  avaient  été  entés 
en  la  place  des  Juifs  infidèle*.  Ainsi  doit  par- 
ler tout  ministre  de  Jésus-Ci. rist,  ma  très- 
chère  sœur,  à  celles  que  Dieu  appelle  comme 
\ous  par  sa  miséricorde  à  la  plus  haulc  per- 
fection du  chri  lianisme  ,  pour  leur  donner 
nue  juste  idée  de  leur  état  et  pour  les  p;é»e- 
njr  i  outre  le  dangereux  orgueil  qui  pourrait 
leur  inspirer  du  mépris  pour  ceu\  qui'  D  eu 
a  lai  ses  dans  un  d*.  gré  de  perfeelion  infé- 
rieure. 

Il  est  vrai,  ma  chère  sœur,  que  Dieu  a 
mis  de  la  différence  entre  les  âmes  qu'il  ap- 
pelle  dans  la  solitude  et  celles  qu'il  laisse 
dans  le  commerce  du  monde  ;  mais  celle  dif- 
férence ne  doit  pas  élever  les  unes  au-d  -sus 
des  autres,  et  si  la  lâcheté  des  chrétiens,  qui 
leur  a  fait  abandonner  la  perfection  de  l'E- 
vangile, a  donné  de  l'éolal  et  a  revêtu  d'une 
i  aine  gloire  la  profession  monastique,  par 
laquelle  nous  ne  faisons  que  l'embrasser,  il 
faut  reconnaître  que,  comme  nous  ne  som- 
mes que  substitues  à  la  place  de  ces  i  lire- 
liens  lâches  et  timides  que  le  poids  «I  :  bap- 
tême épouvante,  et  qui  sont  effray. 
quelque  sorte  par  la  dignité  de  leur  cons  - 
dation,  nous  ne  devons  pas  nous  élever, 
puisque  nous  ne  persévérons  dans  la  fidélité 
qui  leur  a  fait  peur  que  par  la  grâce  qui 
nons  soutient,  et  que  nous  devons  tout  crain- 
dre, puisque  nous  pouvons  déchoir  â  tout 
moment  par  les  infidélités  dont  nous  som- 
mes capables. 

J'espère,  ma  chère  sœur,  qu'en  suivant 
celle  idée  je  vous  donnerai  celle  que  vous 
devez  avoir  de  votre  état,  afin  que  vous  ne 
vous  éleviez  jamais,  et  je  vous  marquerai 
les  engagements  où  vous  entrez,  afin  que 
vous  craigniez  toujours  :  ainsi  je  vais  vous 
faire  voir,  dans  la  première  partie  de  ce  dis- 
cours, que  la  gloire  qui  pa:  ail  attachée  à  vo- 
lioii  ne  doit  pas  vous  élever;  dans  la 
seconde,  je  vous  montrerai  que  les  engage- 
ments qui  sont  inséparables  de  voire  prt 
sion  \ou<  doivent  faire  craindre.  C'est  toute 
l'idée  de  ce  discours.  Ave,  Maria. 

PBsuiens  paiuik. 
11   n'y  a   que    l'esprit  d'erreur  qui    pi 
f  rmer  les  yeux  pour  ne  pas  voir  la  u luire 
qui  environne  l'action  qu  Me/  taire, 

ma  urèe-cbère  saur.  Qusites*  sus   biens,  se 
séparer  de  ceux  qu'où  aime,  choisir  la  croix 


933 


SERMON  POUR  UNE  PROFESSION. 


934 


pour  son  partage,  et  la  porter  tous  les  jours 
de  sa  vie  ,  se  renoncer  soi-même,  et  suivre 
Jésus-Chiisl,  faire  tout  ce  qui  est  nécessaire 
pour  devenir  son  disciple  et  être  disciple  du 
Sauveur  du  monde,  c'est  toute  la  gloire  et 
toute  la  perfection  du  christianisme.  D'ail- 
leurs, celte  action  qui  vous  met  au  nombre 
des  disciples  de  Jésus-Christ  vous  donncdroit 
sur  les  récompenses  qu'il  leur  a  promises. 
Hé  I  qui  pourrait  douter  qu'une  action  qui 
vous  acquiert  le  droit  déjuger  le  monde  avec 
Jésus-Chrisl,  et  qui  vous  donne  place  auprès 
du  trône  de  sa  gloire,  ne  vous  revête  de 
l'éclat  de  celte  même  gloire  dès  celle  vie, 
puisque  vous  y  commencez  le  jugement  du 
monde  par  l'abandonncment  que  vous  en 
faites?  Disons  donc  ;ivec  saint  Bernard  que 
voire  profession  est  très-élevée,  qu'elle  égale 
celle  des  anges,  et  qu'elle  n'est  point  infé- 
rieure à  la  pureté  de  ces  esprits  si  purs.  Au 
milieu  de  celle  gloire,  ne  vous  laissez  pas 
éblouir,  ma  chère  sœur,  prenez  une  iu.e 
juste  de  votre  état,  et  pour  vous  la  donner 
telle  qu'elle  puisse  vous  empêcher  de  vous 
élever,  entrez  bien  dans  ces  deux  considéra- 
lions:  1°  c'est  qu'en  entrant  dans  la  solitude 
pour  y  marcher  dans  la  voie  des  conseils, 
vous  ajoutez  piU  de  chose  aux  obligations 
communes  à  tous  les  chrétiens;  2°  c'est  que 
ce  qu'il  y  a  de  différence  entre  eux  et  vous 
est  l'ouvrage  de  la  miséricorde  de  Dieu. 

Or,  la  preuve  de  la  première  considération 
dépend  de  la  connaissance  de  l'être  du  chré- 
tien, des  devoirs  du  chrétien  en  conséquence 
de  son  être,  et  de  sa  situation  eu  égard  à  son 
être  et  à  ses  devoirs.  L'apôtre  saint  Paul 
nous  donne  l'idée  de  l'être  du  chrétien  en 
plusieurs  endroits  de  ses  Epîlres.  Ne  savez- 
rous  pas,  dit-il,  que  nous  tous  qui  avons  été 
baptisés  en  Jésus- Christ,  nous  avons  été  ba~- 
ptisés  en  sa  mort  ?  c'est-à-dire  que  nous 
avons  reçu  la  vie  qui  nous  l'ail  chrétiens  par 
la  mort  de  Jésus-Christ,  et  qu'ainsi  celte  vie 
est  uye  mort  à  l'égard  du  monde.  L'êlre  du 
chrétien  est  donc  un  être  de  mort  par  rap- 
port à  la  vie  présente.  Rien  n'est  plus  com- 
mun que  celle  idée  dans  toute  l'Ecriture,  et 
plus  conforme  aux  principes  de  la  religion, 
lui  conséquence  de  cet  être,  voici  les  devoirs 
du  chrétien  (c'est  toujours  saint  Paul  qui 
continue  de  parler)  :  Nous  avons  été  ensevelis 
avec  lui  pur  te  baptême  pour  mourir  au 
péché. 

Or,  mourir  au  péché,  c'est,  comme  parle 
le  même  Apôtre,  représenter  la  mort  de  Jé- 
sus-Christ ;  et  la  représenter,  c'est  vivre  se- 
lon celle  mort.  C'est  mourir  au  monde  et  à 
toutes  ses  affections  aussi  réellement  que 
Jésus-Chrisl,  par  sa  mort,  s'est  privé  de  tou- 
tes les  fonctions  de  la  vie  corporelle. 

Voila  les  devoirs  du  chrétien,  el  n'être  pas 
dans  cette  disposition  après  avoir  déclaré  an 
baptême  que  l'on  renonce  au  momie,  c'est 
n'y  avoir  renoncé  que  de  bouche,  et  non  pas 
en  effet.  Le  chrétien  doit  donc  élre  mort  aux 
irs,  à  ses  bictti  et  à  sa  propre  vie; 
c.'i  s!-à-di:e  à  l'amour  déréglé  de  toutes  ces 
chotea  ;  et  aimant  Dieu  plus  que  tout  cela,  il 
doil  être  disposé  à  tout   perdre  dès  qu'il  ne 


pourra  plus  jouir  de  tout  cela  sans  perdre 
Dieu. 

De  là  j'apprends  quelle  est  la  situation 
d'un  chrétien  :  c'esl  un  homme  à  qui  il  est 
permis  de  conserver  des  richesses,  mais  à 
qui  il  est  défendu  de  Ie>  aimer;  qui  les  pos- 
sède légitimement,  mais  qui  ne  peut  en  dis- 
poser que  selon  la  volonté  du  Seigneur,  et  à 
qui,  au  milieu  de  ses  biens,  il  est  ordonné  de 
conserver  l'amour  et  l'esprit  de  la  pauvreté. 
C'est  un  homme  à  qui  il  est  ordonné  d'être 
humble  dans  l'élévation,  modeste  dans  les 
grandeurs,  chaste  dans  la  sensualité,  tempé- 
rant dans  la  bonne  chère  el  moriifié  dans  les 
plaisirs  ;  en  un  mot,  c'est  un  homme,  dit 
saint  Jérôme,  réduit  dans  la  nécessité  de 
vaincre  tous  les  jours  de  sa  vie  des  ennemis 
qui  ne  l'attaquent  qu'en  le  Caressant,  ou  de 
périr  éternellement  s'il  est  vaincu.  Voilà  la 
situation  et  l'état  d'un  chrétien  également  pé- 
nible et  dangereux.  Que  faisons-nous,  nous 
autres,  et  qu'allcz-vous  faire,  ma  très-chère 
sre.ir,  pour  éviter  également  cette  peine  et 
ces  dangers?  Vous  quillez  tout,  et  vous 
fuyez.  Appelez,  si  vous  voulez,  celle  fuile 
une  faiblesse  ;  qu'il  y  a  de  sagesse  dans  cette 
fuite,  el  que  celte  sorte  de  faiblesse  est  un 
grand  effort  de  la  foi!  Car  en  me  relirant  du 
combat,  je  me  mels  en  assurance  et  j'évite  le 
danger  d'être  vaincu.  Or  il  y  a  deux  maniè- 
res de  vaincre  les  obstacles  que  le  monde 
forme  au  salut  des  chrétiens,  ou  de  les  at- 
tendre pour  le  combattre,  ou  de  fuir  pour 
éviter  le  combat  :  je  fuis  pour  ne  pas  com- 
battre, et  je  sais  qu'en  fuyant  je  n'ai  pas  en- 
core remporté  la  vicloire;  mais  au  moins  je 
fais  ce  que  je  puis  pour  n'être  pas  vaincu;  et, 
semblable  à  ceux  qui  se  défendent  dans  une 
place  assiégée,  je  me  retranche  et  je  ruine 
les  dehors  pour  incommoder  ceux  qui  m'at- 
taquent. Mais  il  ne  faut  pas  que  ces  ré- 
flexions, quoique  justes,  nous  écartent  :  re- 
venons. Par  où  donc  sommes-nous  distin- 
gués du  reste  des  chrétiens,  et  au  fond  quelle 
est  précisément  la  différence  de  leur  état  et 
du  nôtre?  Elle  consiste  dans  l'abandonne- 
ment actuel  el  pour  toujours  que  nous  fai- 
sons des  biens  que  les  chrétiens  doivent  être 
prêts  à  quitter  dès  qu'ils  ne  pourront  pLs 
les  posséder  sans  être  infidèles  à  Jésus- 
Christ.  Après  tout,  celle  différence  n'est  pas 
grand'1  ;  car  un  vrai  chrétien  doil  être  disposé 
à  faire  dans  tous  les  moments  de  sa  vie  ce 
que  nous  n'avons  fait  qu'une  fois.  Ces*,  dit 
saint  Augustin,  cette  heurcue  disposition 
de  cœur  qui  a  produit  à  l' lùjlise  tant  d'il- 
lustres a  artyrs  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  ;  c'est 
ce  qui  a  fait  que  plusieurs  qui  n'avaient  pas 
eu  le  courage  de  tendre  à  la  perfection  en  re- 
nonçant à  tous  leurs  biens,  y  ont  été  élevés 
tout  d'un  coup  en  devenant  les  imitateurs  de 
la  ]>nssion  de  Jésus-Christ.  Ç 

INç,  croyez  dune  pas,  ma  chère  sœur,  que  I 
toute  la  perfection  el  la  sainteté  du  chris' ia-  f 
nistne  soient  attachées  à  notre  profession. 
lez  pas  croire,  dit  saint  Bernard,  que  toute 
i  d  vint  ne  soit  répandue  qur  sur  la 
barbe  d'Aaron;  elle  est  versée  sur  la  téie,  et  la 
léten'est  noint  seulement  pour  porter  la  barbe, 


93! 


ORATEURS  SACRES.  ROM  II  ROME 


iflfl 


mai*  elle  influe  sur  tout  le  corps;  c'est-à-dire 
que  loute  la  sainteté  n'est  pas  seulement  daoi 
ceux  qui  semblent  loucher  de  plus  près  à 
Jésus-Christ  par  leur  profession,  comme  la 
barbe  lient  à  la  télé  immédiatement.  Tous  les 
membres  «lu  corps  mystique  y  ont  leur  pari  ; 
et  comme  Jésus-Christ  en  est  le  chef,  lui  dont 
toute  sainteté  et  toute  justice  découlent,  il  la 
répand  jusque  sur  les  parties  les  plus  éloi- 
gnées ,  et  il  arrive  même  souvent  que  celles 
qui  sont  de  beaucoup  inférieures  aux  autres 
par  leur  situation  surpassent  en  mérite  cel- 
les qui  sont  plus  élevées  par  leur  rang. 

Preuez  donc  garde,  ma  ebére  sœur,  de  ne 
vous  pas  élever.  Vous  ajoutez  peu  de  chose 
aux  obligations  communes  à  tous  les  chré- 
tiens, et  de  plus  la  différence  qui  se  trouve 
entre  eux  et  vous  est  l'ouvrage  de  la  miséri- 
corde de  Dieu.  Le  sens  des  paroles  que  saint 
l'aul  emploie  dans  l'endroit  où  j'ai  pris 
celles  de  mon  texte  pour  réprimer  l'orgueil 
des  Romains  est  merveilleux  pour  expliquer 
celle  seconde  considération.  Il  découvre  à 
ces  peuples,  1°  la  nature  de  la  grâce  qui  les 
distingue  ;  2°  le  motif  qui  a  obligé  Dieu  de  la 
leur  accorder  ;  3"  les  conditions  sur  lesquel- 
les il  la  leur  accorde.  Il  leur  découvre  la  na- 
ture de  leur  grâce  par  ces  paroles:  Les  bran- 
ches naturelles  ont  été  rompues,  afin  que  je 
fusse  enté  en  leur  place.  Leur  grâce  est  une 
grâce  de  substitution;  ils  ont  été  enlés  en  la 
place  des  Juifs,  qu'il  a  rompus  et  arrachés  de 
l'arbre,  à  cause  de  leur  incrédulité. 

C'est  l'idée  naturelle  de  ce  que  nous  som- 
mes dans  l'Eglise  de  Jésus-Christ:  nous 
sommes  entés  sur  ces  véritables  adorateurs, 
qui  eurent  l'amour  de  Dieu  dans  un  degré  si 
éminent,  qu'on  les  voyait  renoncer  non- 
seulement  à  leurs  biens ,  à  leurs  frères 
et  à  leurs  propres  enfants  ,  mais  même 
à  leur  propre  vie,  et  préférer  à  toutes  les 
forlunesdu  monde  la  gloire  de  la  perdre  pour 
la  confession  du  nom  de  Jésus-Christ.  C'est 
à  ces  véritables  adorateurs  de  la  majesté  de 
Dieu  que  nous  avons  succédé,  et  la  grâce  de 
notre  vocation  est  une  grâce  de  substitution. 
En  effet,  les  chrétiens  venant  à  se  multiplier, 
la  ferveur  commença  à  s'affaiblir  dans  l'E- 
glise. Cette  mère  des  enfants  de  Dieu  devint 
languissante,  pour  avoir  été  trop  féconde,  dit 
Sa.lvicn.  Les  plaisirs  de  la  paix  lui  ravirent 
ceux  que  les  horreurs  de  la  guerre  ne  lui 
avaient  pu  faire  perdre,  el  les  branches  de  cet 
arbre  mystique,  que  les  secousses  de  la  perse- 
cation  n'avaient  pu  rompre,  se  détachèrent 
dans  le  calme  et  tombèrent  dans  la  belle  sai- 
son. Cependant  Dieu,  qui  voulait  maintenir 
cette  pureté  parfaite  dans  son  Eglise,  se  form  i 
lui-même  de  nouveaux  martyrs:  il  choisit  dee 
gens  parmi  ceux  que  le  relâchement  commen- 
çait à  corrompre,  auxquels  il  inspira  de  mé- 
priser par  un  renoncement  volontaire  ce  que 
les  premiers  abandonnaient  plutôt  que  de  per- 
dre la  foi  ;  el  afin  qu'ils  ne  leur  fussent  infé- 
rieurs en  rien,  il  les  arma  contre  eux-mêmes, 
appelant  à  leur  secours  la  faim,  la  soif  il  les 
injures  de  toutes  les  saisons.  Ils  se  composè- 
rent un  martyre  qui  n'avait  pas  toute  l'hor- 
reur de  relui  des  tyrans,  mais  qui  tuppl     il 


ce  défaut  ]iar  sa  longueur.  I  etl  de  là,  mes 
chères  SO!  is,  d'où  nous  sommes  venu 
/clc  inspiré  de  Dieu  et  fariné  par  la  charité 
s'est  répandu  sur  les  anachorètes  et  sur  les 
i  îles.  Les  l'aul  cl  les  Antoine  qui  furent 
les  premières  victimes  de  ce  nouveau  mar- 
tyre ont  élé  les  premiers  fondateurs  de  la  vie 
que  nous  embrassons;  el  nous  avons  clé 
subslitués  avec  eux  en  la  place  des  apôtres 
et  dec  martyrs,  que  les  chrétiens  allai  nés  sa 
monde  et  à  eux-mêmes  n'étaient  plus  dignes 
de  remplir. 

La  seconde  chose  que  saint  Paul  apprend 
aux  Romains,  c'est  que  celle  substitution  a 
été  faite  par  grâce.  Vous  n'étiez,  leur  dit-il, 
qu'un  olivier  sauvage  qui  tuez  <  té  enlés  ;  cl 
c'est  là  le  motif  de  la  substitution.  He!  par 
où,  ma  très-chère  sœur,  sommes-nous  enlés 
en  la  place  que  nous  tenons?  C'est  l'ouvraqe 
de  la  miséricorde  de  Dieu,  cl  non  pas  un  effet 
de  votre  mérite,  dit  saint  Augustin  :  prenez 
donc  garde  de  ne   vous  pas  élever. 

La  troisième  chose  que  saint  Paul  apprend 
aux  Romains,  c'est  la  condition  sous  la- 
quelle cette  grâce  leur  a  clé  accordée  :  Si 
toutefois,  leur  dit-il,  tous  demeurez  dans  l'étal 
ferme  où  sa  bonté  vous  a  mis,  autrement  vous 
serez  aussi  arrachés  comme  eux.  Celle  der- 
nière réllexion  n'est  pas  moins  forte  que  les 
deux  autres  pour  empêcher  votre  orgueil  ; 
car  enfin  cette  bonté  que  Dieu  nous  a  témoi- 
gnée nous  deviendra  entièrement*  inutile,  si 
nous  ne  persévérons  pas  dans  l'état  où  il 
nous  a  mis,  cl  si  nous  sommes  assez  mal- 
heureux que  d'en  sortir  par  un  orgueilsccrcl, 
qui  nous  porterait  à  mépriser  ceux  à  qui  il 
n'a  pas  fait  la  même  grâce  qu'à  nous. 

Toutes  ces  vérités  sont  propres,  ma  très- 
chère  sœur,  à  vous  donner  une  juste  idée  de 
l'état  que  vous  embrassez,  et  à  vous  appren- 
dre que  vous  ne  devez  pas  vous  élever  au- 
dessus  de  ceux  que  Dieu  n'y  a  pas  appelés. 
Sa  miséricorde  a  fait  beaucoup  pour  vous, 
mais  il  vous  reste  encore  beaucoup  de  cho- 
ses à  faire.  //  n'est  pas  temps,  dit  saint  Pau- 
lin, 'de  donner  la  couronne  à  un  athlète  qui  ne 
fait  que  quitter  ses  habits  el  entrer  dans  la 
lice  sans  avoir  combattu.  Ne  chantons  donc 
pas  la  victoire  au  commencement  du  com- 
bat. Vous  avez  oté  les  obstacles  qui  s'oppo- 
sent à  votre  perfection,  et  qui  auraient  pu 
vous  empêcher  d'y  travailler  ;  retenez  que 
c'est  peu  de  chose  :  Noli  altum  sapere  ;  mais 
souvenez-vous  que  les  engagements  qui  sont 
inséparables  decette  profession  vous  doivent 
faire  craindre:  Scd  lime;  c'est  la  seconde 
partie. 

SECONDE   PARTIE. 

Trois  choses  vous  doivent  faire  craindre 
dans  l'état  que  vous  embrassez,  ma  chère 
sœur  :  I  I. 'étendue  de  la  perfection  où  «tous 
êtes  obligée  de  tendre;  2°  les  petites 
que  nous  avons  de  celle  perfection  el  de  son 
étendue,  elle  principe  d'où  elles  viennent, 
c'est-à-dire  ce  qui  affaiblit  celles  que  nous 
devrions  avoir  ;  •'!  un  fonds  de  faiblesse  qui 
est  en  nous,  qui  nous  fait  enshrasser  ces  pe- 
tites idées  cl  qui  combat  la  volonté  de  leudre 


957 


SERMON  POUR  UNE  PROFESSION. 


958 


à celteexcellenteperfection  par  la  plus  exacte 
pratique  des  règles. 

Si  vous  considérez  bien  ces  trois  choses, 
ma  très-chère  sœur,  et  que  je  puisse  vous  les 
représenter  aussi  vivement  que  je  les  conçois 
et  que  je  les  ressens ,  vous  comprendrez 
sans  doute  que,  bien  loin  de  nous  élever  dans 
notre  état,  nous  devons  toujours  craindre, 
toujours  trembler  et  toujours  gémir  devant 
Dieu  :  Noli  altum  sapere,  sed  lime. 

Or,  pour  vous  donner  l'idée  que  vous  devez 
avoir  de  l'excellence  et  de  l'étendue  de  la 
perfection  à  laquelle  vous  vous  obligez  de 
tendre  dans  l'état  que  vous  embrassez,  il  ne 
faut  que  vous  représenter  encore  une  fois  ce 
que  je  vous  disais  il  n'y  a  qu'un  moment, 
que  Dieu  nous  a  choisis  pour  retracer  dans 
notre  conduite  la  sainteté  des  premiers  fidè- 
les ;  c'est-à-dire,  ma  chère  sœur,  qu'il  faut 
que  nous  retracions  l'extrême  pauvreté  et  le 
dépouillement  universel  des  apôtres ,  par 
un  renoncement  général  à  tout  ce  qui  est 
renfermé  dans  l'ordre  des  biens  de  la  terre  ; 
il  faut  que  nous  retracions  la  force  invinci- 
ble et  l'intrépide  fermeté  des  martyrs,  par  un 
amour  général  de  la  croix,  et  par  une  prati- 
que continuelle  de  la  mortification  pour  la 
destruction  du  vieil  homme. 

Je  ne  détruis  pas  ici  ce  que  j'ai  dit  dans 
ma  première  partie  ;  car  tous  ces  devoirs  es- 
sentiels dans  notre  état  ajoutent  peu  de  chose 
aux  obligations  d'un  chrétien,  puisque  pour 
l'être  il  faut  non-seulement  qu'il  n'aime  pas, 
contre  l'ordre  de  Dieu,  les  biens  qu'il  possède, 
mais  qu'il  soit  disposé  à  les  perdre  tous  plu- 
tôt que  de  consentir  de  faire  une  action  qui 
puisse  le  priver  de  la  grâce  de  Jésus-Christ: 
il  faut  qu'il  renonce  non-seulement  à  l'amour 
de  tous  les  plaisirs  illicites,  mais  qu'il  soit 
disposé  à  mourir  plutôt  que  d'user,  contre 
l'ordre  de  Dieu,  d'aucun  de  ceux  qui  lui  sont 
permis. 

Oui,  chrétiens,  il  faut  que  vous  ayez  dans 
le  cœur  l'amour  de  celte  perfection  des  apô- 
tres et  des  martyrs  que  nous  entreprenons, 
par  la  grâce  de  Jésus-Christ, de  retracer  dans 
notre  conduite,  et  que  vous  soyez  disposés  à 
nous  suivre  par  la  voie  des  conseils.  Ajou- 
tons à  tout  ceci,  ma  très-chère  sœur,  pour 
vous  donner  une  idée  juste  de  la  perfection 
que  nous  embrassons,  que  nous  sommes  ap- 

rielés  à  retracer  en  nous  l'image  de  Dieu,  que 
e  péché  y  a  effacée  ;  car  c'est, à  proprement 
parler,  la  fin  de  ces  vœux  solennels  qui  font 
l'essence  de  notre  état.  Si  nous  renonçons 
aux  biens  de  la  terre, c'est  pour  ne  nous  plus 
occuper  que  des  richesses  de  l'élernilé.  Nous 
ne  sacrifions  le  corps  que  pour  ne  plus  pen- 
ser qu'à  la  sanctification  de  l'âme,  cl  nous 
ne  travaillons  â  la  sanclifier  qu'afin  d'y  voir 
rétablir  l'image  de  la  Divinité.  Or,  ma  (hère 
sœur,  on  n'arrive  à  lout  ceci  que  par  des 
moyens  qui  aient  quelque  proportion  avec 
ce  but  que  l'on  se  propose.  Ainsi  un  simple 
renoncement  à  la  propriété  et  au  domaine 
des  biens  extérieurs  ne  suffit,  pas  pour  arri- 
ver à  celte  entière  désoccupation  de  la  terre, 
qui  est  essentielle  dans  notre  état  :  il  faul, 
ma  chère  sœur,  que  nous  travaillions  à  roin- 
Orateurs  saches.  XXX. 


pre  tous  les  liens  de  cette  vie  terrestre  et 
passagère,  et  que  par  toutes  sortes  de  voies 
nous  lâchions  d'acquérir  un  affranchisse- 
ment de  tous  les  soins  et  de  toutes  les  affai- 
res humaines,  aGn  d'être  plus  prompts  et 
plus  disposés  à  entrer  dans  les  voies  de  Dieu 
les  plus  parfaites.il  ne  suffit  pas  même  d'être 
éloigné  de  lout  commerce  qui  peut  souiller 
l'âme  et  le  corps,  pour  être  pur  :  il  faut  être 
vierge  dans  toute  la  conduite  de  notre  vie. 
Vous  voyez  jusqu'où  doit  aller  le  renonce- 
ment à  soi-même,  quelle  doit  élre  l'extinc- 
tion de  notre  propre  volonté,  puisque  nous 
devons  ne  plus  vivre  que  de  Jésus-Christ  et 
retracer  en  notre  âme  cette  image  de  la  Divi- 
nité que  le  péché  a  effacée. 

Ahl  ma  chère  sœur,  que  la  perfection  où 
nous  sommes  appelés  est  excellente,  et  que 
l'obligation  d'y  travailler  a  d'étendue!  Quel- 
les pratiques  de  vertu  ne  renferme-t-elle 
pas  !  Où  sont  les  réserves  qu'elle  peut  nous 
permettre?  Quels  retours  vers  la  terre  ou 
vers  les  personnes  que nousy avons  laissées, 
ne  lui  sont-ils  pas  contraires!  Nous  nous 
sommes  donnés  à  Dieu  en  holocauste;  tout 
ce  qui  est  de  nous  doit  donc  lui  être  consa- 
cré, et  nous  ne  saurions  en  reprendre  la 
moindre  chose  pour  l'appliquer  à  un  autre 
usage. 

Mon  Dieu!  faites-moi  connaître  l'étendue 
de  mes  obligations;   mais    fortifiez-moi    en 
même  temps  par  votre  grande  miséricorde, 
de  peur  que  ma  faiblesse  n'en  soit  accablée. 
Eclairez  mes  yeux,  ô  mon  Dieu!  afin  que  je 
ne  m'endorme  point  du  sommeil  de  la  mort. 
Ne  permettez  jamais  que  de  dangereuses  pré- 
ventions  affaiblissent  en  moi  l'idée   de  mes 
devoirs,  et  que  je  me  laisse  séduire  parles 
fausses  maximes  dont  le  relâchement  se  sert 
pour  les  diminuer.  Car  nous  ne  connaissons 
que  trop  par  notre  expérience  la  vérité  de  ce 
que  saint  Augustin  nous  a   si  bien  marqué, 
en  nous  disant  qu'i7  ne  faut  pas   encore  se 
croire  dans  une  entière  sûreté  au  milieu  d'une 
profonde  solitude  où  tout  parait  réglé,  puis- 
qu'on y  trouve  encore  des  occasions  de  se  re- 
lâcher. Il  est  vrai, continue  cet  incomparable 
docteur,  que  parmi  les  serviteurs  et  les  servan* 
tes  de  Dieu  qui  vivent  ensemble  dans  une  même 
maison,  on  y  rencontre  de  grandes  âmes,  ony 
voit  des  saints  qui  vaquent  à  la  prière  el  aux 
louanges  du  Seigneur,  qui  se  nourrissent  de 
sa  parole,  qui  font  leurs  délices  de  ses  Ecritu- 
res, qui  travaillent  de  leurs  mains,  et  q*e  l'a- 
varice ne  porte  pas  à  vouloir  acquérir  des  ri- 
chesses. Cependant   i  c'est  toujours  saint  Au- 
gustin qui  parle),  dans  ces  lieux  si  vénérables 
el  si  saints,  qu'on  peut  les  comparer  au  para- 
dis terrestre,  sachez  qu'il  y  a  un  serpent  à 
craindre,  qui  tâche  d'inspirer  à  ceux  qui  y  ha- 
bitent ce  qu'il  inspira  autrefois  à  nos  premiers 
parents.  Il  essaya  alors  de  retirer  l'homme  de 
la  dépendance  de  Dieu,   en  lui  inspirant  du 
mépris  pour  sa  loi,  sachant  bien  qu'il  retoni' 
berait  sur  lui-même,  c'est-à-dire  dans  l'abîme 
de  toutes  les  misères,  s'il  s'élevait  contre  son 
Dieu  et  son  souverain.  Par  là  il  renversa  cet 
homme  si  fort  et  si  parfait,  qui  Dieu  axait 
.  créé  avec  tant  d'avantages  ;   cl   c'est  par  la 

30 


m  ORATFt'RS  SACRES 

mfme  voie  qu'il  travaille  à  vous  fuite  perdre 
ceux  que  nous  avons  reçus  pur  su  miséricorde  : 
car,  comme  nous  ne  sourions  nous  soutenir 
dan»  la  perfection,  ni  remplir  les  obligations 
dont  nous  sommes  chargée,  </uc  pur  les  se- 
cours continuels  de  la  grâce,  et  que  nous  ne 
pouvons  nous  en  rendre  dignes  i/ue  par  ta  pra- 
tique exacte  et  fidèle  de  nos  règles,  Oui  sont 
comme  les  liens  qui  nous  attachent  à  lui,  et 
comme  une  espèce  de  pacte  formé  entre  Dieu 
et  nous,  dont  l'observation  nous  mérite  un  se- 
cours et  une  force  qui  nous  rend  capables 
d'arriver  à  la  perfection  d'un  état  si  saint,  il 
essaye  de  nous  cacher  la  vue  de  cette  perfec- 
tion, à  laquelle  nous  sommes  appelés,  et  d'af- 
faiblir l'estime  et  l'amour  d(S  moyens  néces- 
saires pour  y  arriver.  Il  travaille  èi  réussir  à 
l'une  de  ces  entreprises,  en  vous  faisant  jeter 
les  yeux  sur  la  conduite  de  ceux  qui  se  sont 
relâchés  dans  leurs  devoirs,  en  nous  faisant 
juger  de  la  perfection  vu  nous  devons  tendre, 
par  celle  des  personnes  avec  qui  nous  vivons. 
Il  ta  he  de  nous  persuader  que  Dieu  ne  de- 
mande de  nous  que  ce  que  nous  voyons  en 
elles  ;  ainsi,  pour  nous  séduire,  il  se  sert  de 
l'exemple  de  ceux  avec  qui  nous  sommes  liés. 
Lu  femme  que  vous  m'uvez  donnée,  dit  à  Dieu 
le  piemier  homme,  m'a  trompé  :  Mulier  quanti 
dedisti  milii,  decepil  me.  //  tire  des  forc<s  de 
celte  persuasion  pour  affaiblir  l'estime  des  rè- 
gles, de  l'amour  de  l'ordre  et  de  l'exactitude. 
Dès  qu'onne  voit  plus  cette  perfection  de  l'état 
dans  toute  son  excellence,  et  qu'on  s'est  ac- 
coutumé à  lu  réduire  à  la  vie  commune  et  re- 
lâchée, on  est  bientôt  persuadé  qu'il  nesl  pas 
nécessaire  de  se  contraindre  pour  observer  des 
règles  qui  fontquelque  violenceà  la  nature;  on 
écoule  volontiers  toutes  les  raisons  qui  nous 
en  déchargent:  Cur  praecepit  Dominus? 
A  quoi  bon  toute  cette  gêne?  Le  cœur  s'ouvre 
à  toutes  lesmauvaises  muxitnes  ;  onreçoit  tous 
les  faux  principes  comme  vrais,  on  s'attache  à 
toutes  les  dangereuses  probabilités  comme,  à 
des  règles  sûres,  et  enfin  on  en  vient  jusqu'à 
s'endormir  du  dernier  sommeil  de  la  mort, 
aux  termes  de  l'Ecriture,  c'est-à-dire  que  ion 
tombe  dans  cet  aveuglement  déplorable  de 
croire  qu'on  puisse  remplir  les  devoirs  d'une 
vie  pénitente  sans  travailler  continuellement 
à  la  mortification  de  sa  sens,  qu'on  puisse 
être  pauvre  en  se  donnunî  quelques  commodi- 
tés, que  la  seule  délicatesse  rend  nécessaires, 
et  qu'on  ne  doive  pas  craindre  le  châtiment 
des  épouses  in  fidèles, en  violant  (es  lois  de  l'al- 
liance. Ce  sujet  de  craindre  n'est  pas  indif- 
férent, ma  chère  sœur;  saint  Augustin  ne  l'a 
pas  regardé  comme  tel,  quand  il  a  dit  que 
la  plus  cruelle  persécution  des  justes  en  cette 
rie,  c'est  de  se  voir  mêlés  parmi  les  michunts  ; 
d'où  il  est  aisé  de  conclure  qu'une  des  plus 
dangereuses  tentations  pour  ceux  qui  sont 
obligés  de  marcher  dans  la  voie  étroite,  c'est 
de  vivre  avec  des  persunnos  relâchées;  he  1 
où  ne  s'en  trouve-t-il  point  1 

Mais,  ma  chère  .sœur,  il  ne  faut  pas  vous 
découvrir  le  mal  sans  vont  en  donner  le  re- 
mède. Nous  l'apprendrons  de  saint  Augus- 
tin. Ne  prenez  jamais,  dit-il,  de  liuisun  avec 
ceux  qui  s'éloignent  de  la  règle,  et  n'approu- 


vât /F.ROM  F. 


riz  aucun  discours,  aucune  maxime  qui  tende 
à  affaiblir  l'amour  de  l'ordre.  ït< prin  z-l<s 
duu-  h urs  éipirements,  non  ;  as  par  une  cor- 
rection formelle,  qu'il  t  convient  de  faire  que 
quand  on  en  est  chargé  par  état,  mais  pal  l  •- 
niformité de  votre  rie,  /  ar  un  a  fa<  henient  in- 
violable aux  règles.  Voilà  l'excellente  correc- 
tion de  laquelle  chacun  ot  capable. 

Il  vous  reste  une  troisième  < -ho-c  à  crain- 
dre, c'est,  ma  très-chère  saur,  votre  propre 
personne,  c'est  vous-même,  ci  c'est 
nemi  que  tous  ne  potiii z  éviter  nbs  lumsnl, 
poursuit  saint  Augustin.  Vous  n'aurez 
de  commerce  avecles  personnesqui  s'é  oignent 
de  la  voie  étroite,  vous  nt  vous  conformerez 
en  rien  à  la  conduite  de  ceux  qui  sont  r  lâ- 
chés, et  vous  rejetterez  comme  pernicieuse» 
toutes  l' s  maxime*  qui  peuvent  affaiblir  l'idée 
de  ta  perfecti  m  oèi  ious  (liez  tendre;  mais 
nous  avons ,  continue  ce  >aiit  docteur,  de 
grand»  et  de  continuels  combats  à  sou  enir 
contre  nous-mêmes  dans  ce  cœur  coi  rompu  ; 
cl  il  n'y  a  point  d'homme  qui  ne  trouve  au  d  - 
dans  de  lui  une  multitude  d'ennemis  toujours 
opposés  aux  bonii's  r  solution*  que  la  grâce 
de  Jésus-Christ  lui  fait  former  dans  son  cœur. 
Le  chagrin,  l'inconstance,  la  paresse,  l'or- 
gueil, la  recherche  de  nous-mêmes,  le  préteste 
des  faux  besoins,  s'opposent  incessamment  à 
l'uniformité  de  notre  vie,  et  combattent  pour 
le  rclâhement  coude  no»  devoirs,  et  souvent 
même  coAtre  ce  que  notre  cœur  désire. 

Que  ferons-nous  donc,  ma  très-chère  sœur, 
étant  appelés  à  une  si  haute  perfection,  dans 
un  état  si  saint,  ayant  tant  d'obstacles  à 
surmonter,  soit  de  la  part  des  autres,  soit  à 
cause  de  notre  propre  faiblesse,  qui  nous  en- 
traîne toujours  du  côté  du  relâchement,  et 
qui  est  prête  à  recevoir  avec  une  si  grande 
avidité  tout  ce  qui  est  propre  à  l'autoriser  ? 
Recourons  à  saint  Augustin,  et  écoutons  les 
derniers  avis  de  cet  incomparable  docteur. 
Demeurez,  dit-il,  dans  l'humilité,  dans  la 
crainte  et  dans  le  tremblement.  Si  COtU  WteX 
sujet  de  vous  réjouir  pur  ce  que  le  Seigneur 
a  fait  en  vous,  il  faut  toujours  que  celle  jois 
soit  eccompagnée  d'une  sorte  de  crainte,  afin 
que  la  grâces  qui  ont  clé  données  ne  vous 
portent  point  à  devenir  superbe  e!  ingrat 
(Qu  >d  datum  est  liumili  aufiralur  superbu). 
Prenez  donc  garde,  ma  très-chère  soeur,  de 
ne  vous  élever  jamais.  Rien  n'est  si  opposé 
à  notre  état  que  l'orgueil.  Comme  c'est  par 
la  miséricorde  de  Dieu  que  nous  sommes  ce 
que  nous  sommes,  c'est  elle  qui  peut  nous 
soutenir,  et  il  abandonne  les  superbes.  Hu- 
miliez-vous donc,  ma  très-chère  sœur,  bien 
loin  de  vous  élever.  La  gloire  qui  est  atta- 
chée à  l'action  que  vous  allez  faire  est  un 
effet  de  la  miséricorde  de  Dieu,  craignez  de 
la  perdre  eu  vous  élevant.  Les  engagements 
de  notre  profession  lont  grands,  erai 
d'y  succomber;  car  nous  avons  de  redouta- 
bles ennemis  autour  de   nous    et   au  dedans 

de  n  us-,  appuyez- vous  sur  Jésos-Chrisl  ; 
mettez  en  lui  toute  rolre  confiance  ;  atten- 
de! lotit  de  sa  sainte  grâce  :  c'est  pour  nous 
inspirer  ce  sentiment  qu'il  a  dit  dans  l'Lvau- 
gilc  qu'il  était  la   voie,  la  vérité  et   lu   vie. 


comme  s'il  voulait  dire  en  s'attribuant  ces 
qualités  :  Quel  sujet  avez-vous  de  craindre? 
c'est  par  ma  vertu  que  vous  marchez,  c'est  à 
moi  nue  vous  voulez  venir  ;  mettez  donc 
toute  votre  confiance  en  moi,  car  c'est  en 
moi  uniquement  que  vous  trouverez  votre 
repos.  C'est  ce  repos  que  je  vous  souhaite, 
(  te.  Ainsi  soi  t  — il  - 

AUTRE  SERMON 

POUR  UNE  PROFESSION. 

Qui  in  Judaea  sunt  fugiant  ad  montes. 

Que  ceux  qui  sont  dans  la  Judée  s'enfuient  sur  les  mon- 
tagnes (M  atlh.,  XXIV,  1G). 

J'observerai  dans  ce  discours,  ma  chère 
sœur,  ce  que  j'observe  ordinairement  dans 
des  occasions  pareilles  à  celle  pour  laquelle 
vous  nous  assemblez.  J'y  retrace  ordinaire- 
ment l'idée  de  la  miséricorde  que  Dieu  a  faite 
à  celles  qui  se  consacrent  à  lui ,  où  il  se 
trouve  presque  toujours  des  circonstances 
singulières  dignes  d'une  attention  qu'on  ne 
donne  point  à  des  discours  vagues  et  géné- 
raux. J'en  vais  prendre  l'idée  dans  la  partie 
de  l'évangile  que  l'Eglise  nous  lit  aujour- 
d'hui, pour  servir  de  nourriture  à  notre 
âme,  parce  qu'il  me  paraît  très-convenable 
à  mon  dessein.  Or,  ma  chère  sœur,  il  y  a  des 
circonstances  singulier  es  dans  !a  miséricorde 
que  Dieu  vous  fait,  et  elles  paraissent  mar- 
quées naturellement  dans  cet  évangile;  je 
vais  donc  vous  les  retracer  dans  ce  discours, 
qui  aura  deux  parties  :  dans  la  première  je 
vous  donnerai  l'idée  de  la  miséricorde  de 
Dieu  sur  vous  ;  dans  la  seconde  je  vous  tra- 
cerai la  conduite  que  vous  devez  tenir  pour 
ménager  les  fruits  de  celte  miséricorde.  Nous 
ne  sortirons  point  de  notre  évangile.  De- 
mandons l'assistance  du  Saint-Esprit.  Ave, 
Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Le  Sauveur  du  monde  avait  dit  aux  juifs 
qu'ilsvcrraient  leur  ville  foulée  aux  pieds  par 
les  gentils  ;  qu'ils  passeraient  par  le  fil  de 
l'épée,  ou  qu'ils  seraient  emmenés  captifs 
dans  toutes  les  nations  ;  qu'ils  seraient  enfin 
accablés  de  tous  les  maux  dont  Dieu  les 
avait  menacés  dans  ses  Ecritures,  et  qu'ils 
seraient  réduilsà  une  allliction  telle  qu'il  n'y 
en  avait  jamais  eu  et  qu'il  n'y  en  aurait  ja- 
mais de  semblable.  Après  cette  affreuse  des- 
cription, il  leur  dit  ces  paroles  -.Alors,  que 
ceux  qui  sont  dans  la  Judée  s'enfuient  sur  les 
monlai/nes. 

Ces  paroles  renferment,  1°  la  fuite  de  la 
Judée;  2  la  retraite  sur  les  montagnes;  or  je 
trouve  dans  ces  paroles  l'idée  naturelle  de  la 
mi  éricorde  que  Dieu  vous  a  faite,  ma  chère 
sœur.  Elle  consiste,  l°à  vousavoir  fait  sortir 
du  monde,  où  vous  a\iez  vécu;  2"  à  vous 
avoir  lait  entrer  dans  la  solitude,  où  vous 
voulez  finir  vos  jours.  Mais,  pour  bien  com- 
prendre toute  l'étendue  de  cette  miséricorde, 
il  faut  vous  donner  une  idée  du  monde,  en 
suivant  celle  que  le  Sauveur  nous  donne  de 
la  talée,  en  nous  disant  que  l'abomination 
ri  la  désolation  sont  iant  le  lieu  saint  ;  et 
n'est-ce  pas  là  l'étal  de  ce  monde,  qui  fait 
une  prolession  extérieure  d'être  à   Jésus- 


DEUXIEME  SERMON  POUR  UNE  PROFESSION. 


942 


Chi  ist?  n'est-ce  pas  du  monde,  c'est-à-dire  de 
ce  corps  d'hommes  qui  ont  l'esprit  et  la  vie 
toujours  opposés  à  la  loi  de  Jésus-Christ,  que 
saint  Jean  nous  a  parlé  quand  il  a  dit  que 
tout  ce  qu'il  y  a  dans  le  monde  est  la  concu- 
piscence de  la  chair,  ou  la  concupiscence  des 
yeux,  ou  l'orgueil  de  la  vie?  c'est-à-dire  que 
le  corps  des  méchants  qui  forme  le  monde 
n'est  animé  que  de  la  passion  des  plaisirs 
des  sens,  de  la  cupidité  des  richesses,  du  dé- 
sir des  curiosités  vaines  et  criminelles,  de 
l'orgueil,  de  l'amour  des  honneurs  et  de  la 
grandeur  humaine.  Quelle  effroyable  oppo- 
sition entre  ces  sentiments  et  les  vôtres,  ô 
Seigneur  Jésus  !  Hé!  que  peut-on  penser  de 
ceux  qui  les  suivent,  et  qui  vivent  cependant 
dans  notre  Eglise  et  dans  la  participation 
extérieure  de  nos  sacremen's?  n'est-ce  pas 
l'abomination  de  la  désolation  dans  ce  lieu 
saint?  Ceux  qui  vivent  ainsi  vous  appar- 
tiennent, 6  Sauveur  du  monde  1  comme  des 
coupables  appartiennent  à  un  juge  qui  va 
les  condamner;  aussi  avez  -  vous  dit  que 
vous  ne  priez  pas  pour  le  monde. 

Voilà,  ma  chère  sœur,  par  où  on  peut  ap- 
pliquer au  inonde  l'idée  de  cette  abomination 
dans  le  lieu  saint  dont  il  est  parlé  dans  cet 
évangile,  et  dont  il  vous  fait  sortir  par  sa 
grâce;  mais  qu'a-t-il  fait  pour  vous  en  faire 
sortir?  Il  a  tenu  une  conduite  contraire  à 
celle  qu'il  paraît  dans  cet  évangile  avoir 
voulu  tenir  avec  les  Juifs  qui  appartenaient 
à  la  loi  nouvelle  :  il  leur  commande  de  sor- 
tir avant  que  la  désolation  de  Jérusalem  ar- 
rive, et  à  votre  égard  il  a  voulu  que  vous 
vissiez  la  désolation  pour  vous  obliger  à 
prendre  la  fuite.  lia  renversé  votre  fortune, 
afin  de  vous  séparer  du  monde,  où  vous  n'é- 
l.ez  déjà  que  trop  attachée  et  dans  lequel 
vous  alliez  vous  perdre.  Il  a  fait  périr  le 
monde  sous  vos  mains,  de  peur  que  vous  ne 
périssiez  avec  lui  ,  et  il  vous  a  arraché  par 
sa  miséricorde  ce  qui  n'aurait  servi  qu'à 
vous  y  lier  davantage,  en  nourrissant  votre 
orgueil  et  vos  passions.  Heureuses  celles 
qu'il  chasse  par  violence,  quand  il  les  sou- 
tient par  sou  esprit  !  mais  combien  y  en  a- 
t-il  qu'il  a  frappées  de  même,  et  qui  ne  l'ont 
point  entendu  1  combien  y  en  a-t-il  qui,  com- 
me les  soldais  dans  le  jardin  des  Oliviers,  ont 
été  renversées  et  sont  tombées  par  terre,  mais 
dont  le  cœur  ne  s'étant  point  laissé  toucher 
par  sou  amour,  ne  se  sont  point  converties 
cl  n'ont  fait  aucun  usa^e  de  ce  renverse- 
ment? il  vous  a  ouvert  les  yeux  sur  sa  con- 
duite à  votre  égard,  il  vous  a  fait  compren- 
dre ce  qu'il  voulait  de  vous,  en  vous  frap- 
pant aussi  rudement  qu'il  a  fait;  ainsi,  ma 
chère  sœur,  étant  de  dessus  vos  yeux  le  voile 
dont  parle  saint  Paul,  qui  demeure  sur  le 
co'ur  d'un  grand  nombre  de  chrétiens,  il  vous 
a  fait  comprendre  qu'il  fallait  le  suivre  dans 
la  solitude  et  l'aller  chercher  sur  les  monta- 
gnes :  Fuginnl  ad  montes.  Vous  voyez  déjà 
quelle  est  celle  montagne  dont  je  veux  vous 
parler  :  c'est  celte  sainte  maison  ,  que  j'apr 
pellerai  une  montagne, aux  termes  de  l'Ecri- 
ture ;  montague  grasse,  fertile;  montagne 
où  Dieu  habile  et   où  le  Seigneur  habitera 


9ii  ORATEURS  SACRES.  DOM  JEROME 

tant  que  la  paix  cl  la  charité  o,ui  y  régnent 
continueront  d'y  régner,  cl  où  l'on  enseigne 
les  règles  de  la  perfection  qu'on  y  pratique 
On  j  csl  à  cou\crt  de  l'iri.pt ession  des  pas- 
sions grossières,  on  y  csl  dans  l'otage  des 
moyens  propres  à  combattre  les  plus  délica- 
tes et  les  plus  imperceptibles  ;  on  y  suit  les 
moyens  les  plus  sûrs  pour  accomplir  les  de- 
voirs auxquels  oblige  le  grand  seeau  du  bap- 
tême commun  à  tous  les  chrétiens,  cl  dont 
les  obligations  sont  inconnues  presque  de 
lous  ;  on  y  est  dans  les  exercice!  d'une 
guerre  déclarée  contre  l'homme  corrompu, 
cl  contre  l'amour-proprc  qui  nourrit  sa  cor- 
ruption ;  on  y  est  hors  de  ce  torrent  dange- 
reux où  tant  d'hommes,  liés  les  uns  aux  au- 
tres par  des  chaînes  de  ténèbres,  sont  entraî- 
nés (Je  compagnie  dans  cet  étang  brûlant  de 
feu  et  de  soufre  dont  parle  l'Ecriture;  on  y 
marche  enfin  par  les  voies  les  plus  courtes 
pour  arriver  à  la  perfection  où  nous  som- 
mes lousappelés  en  qualité  d'enfants  de  Dieu. 
C'est  donc  sur  cette  montagne  que  la  grâce  de 
Jésus-Christ  vous  a  appris  à  fuir.  Vous  de- 
vez la  regarder  comme  une  montagne,  elle 
l'est  pour  vous  plus  que  pour  un  autre;  car 
vous  avez  eu  plus  de  peine  à  y  mouler;  il  a 
fallu  cinq  années  d'efforts  et  de  persévérance 
pour  y  parvenir.  Combien  d'obstacles  s'y 
sont-ils  opposés  lit  était  juste  ,  ma  (hère 
sœur,  que  cela  fût  ainsi  :  vous  aviez  été  at- 
tachée au  monde  plus  qu'une  autre,  et  vous 
aviez  contracté  davantage  de  ces  ordu- 
res dont  se  noircissent  ceux  qui  s'y  atta- 
chent. 11  fallait  en  quitter  les  affections,  et 
que  le  cœur  lût  purifié  par  une  plus  longue 
épreuve. 

Moïse  lui-même  ne  monta  sur  la  montagne 
d'Horeb  qu'après  avoir  Ole  les  souliers  de  ses 
pieds.  Enfin  vous  y  voilà  sur  celte  montagne 
où  la  grâce  de  Jésus-Chrisl  vois  a  appelée, 
et  vous  y  avez  été  conduite  par  la  main  sage 
et  charitable  du  digne  ministre  de  Jésus- 
Christ  qui  va  recevoir  de  voire  bouche  l'as- 
surance de  la  résolution  que  vous  avez  prise 
d'y  vivre  toujours.  Apprenez  ce  que  vous  de- 
vez faire  pour  ménager  les  fruits  de  la  misé- 
ricorde de  celui  oui  vous  y  a  appelée  :  c'est 
le  second  point. 


ni» 
Il  faut  oublier  tout  ce  qui  peut  appartenu 
à  cette  miison  vrs  laquelle  nous  ne  devoM 
plus  tourner  les  yeux.  Or,  tout  ce  qui  est 
dans  celte  vallée  que  nous  avons  quittée 
pour  passer  sur  la  montagne  se  reluit  à  rua 
biens  ,  à  vos  proches  et  à  tous-même.  L'ou- 
bli du  chemin  \ers  sa  maison  esl  ■éeeiMi  t 
pour  s'affermir  utilement  sur  la  montagne 
où  la  miséricorde  de  Dieu  vous  a  conduite,  et 
il  consiste  à  croire  que  Jésus-Christ  n'est 
pour  vous  que  sur  celle  montagne.  Si  l'on 
vous  dit  que  le  Christ  est  ailleurs,  n'en  croyez 
rien,  et  soyez  sûre  qu'il  n'y  a  point  d'autres 
voies  pour  aller  à  lui  que  les  règles  et  les 
obser  va  ncos  de  cet  te  m  d  i  son. Regardez  comme 
des  illusions  pour  vous  toutes  les  vues  de 
perfection  qui  ne  sont  pas  renfermées  dans 
les  règles  de  la  vie  d'une  chanoinesse  régu- 
lière. L'austérité  d'une  capucine  est  excel- 


SECONDE   PARTIE. 

Je  réduirai,  ma  chère  sœur,  à  Irois  choses 
ce  que  vous  devez  faire  pour  ménager  les 
fruits  de  la  miséricorde  de  Oieu  sur  vous, 
dont  je  tiens  de  vous  donner  l'idée,  et  je  les 
prendrai  dans  l'Evangile.  1  '  Il  faut  vous  atta- 
cher à  celle  montagne  et  y  demeurer  ferme  : 
Qui  in  ta  to  non  descendat  tollcre  aliquid  de 
domo  sun  :  Oue  celui  qui  est  au  haut  du  toit 
ne  descende  point  pour  emporter  quelque 
chose  de  sa  maison  :  premier  devoir.  2°  Il 
faut  travailler  fidèlement  sur  cette  montagne 
cl  n'y  pas  demeurer  oisive  :  Qui  in  aijro  non 
revertatur  tollere  tunicmn  suam  :  Que  celui  qui 
sera  dans  les  champs  ne  retourne  point  pren- 
dre ses  vêlements  :  deuxième  devoir.  S'  Il 
faut  travailler  toujours  sans  relâche  :  Orale, 
ne  fuga  vestra  fiât  in  hieme  vcl  sabbato  :  troi- 
sième devoir. 


lente,  mais  elle  n'est  pas  la  voie  d'une  cha- 
noinesse :  Si  on  vous  dit  :  Le  Christ  est  dan» 
le  désert,  n'y  allez  pas.  La  solitude  d'une 
chartreuse  est  merveilleuse,  mais  elle  ne 
convient  point  à  la  vie  de  société  d'une  cha- 
noinesse régulière.  Renoncez  à  votre  propre 
esprit  et  à  toutes  les  pensées  d'une  sorte 
d'estime  mal  entendue  sur  ces  différents  gen- 
res de  vie.  Renlermez-vous  dans  cette  règle 
de  charité  et  d'amour  de  Dieu  que  saint  Au- 
gustin vous  a  tracée  et  que  vous  embrassez 
aujourd'hui.  Vous  aurez  le  mérite  de  la  dure 
austérité  et  de  l'affreuse  solilude  en  servant 
Dieu  en  esprit  et  en  vérité,  dans  la  douceur 
de  la  règle  dont  vous  allez  faire  profession. 
Que  l'idée  cependant  de  la  douceur  de  vie  que 
j'attache  à  votre  profession  ne  vous  trompe 
pas,  ma  chère  sœur.  Elle  vous  engage  à  tra- 
vailler, mais  d'une  manière  différente  :  l'E- 
vangile nous  en  averlit.  En  effet,  il  appelle 
aussi  un  champ  celte  montagne  où  elle  nous 
conseille  de  fuir;  or  le  champ  est  un  lieu  où 
l'on  travaille,  et  l'Evangile  nous  le  marque, 
puisqu'il  ajoute  :  Que  celui  qui  est  dans  le 
champ  se  donne  bien  de  garde  de  retourner 
pour  prendre  ses  vêlements. 

Les  ouvriers  les  quittent  pour  travailler.et 
ils  ne  les  prennent  que  quand  ils  veulent 
quitter  leur  ouvrage;  ainsi  non-seulement  il 
faut  travailler  dans  le  champ  de  cette  monta- 
gne, mais  il  ne  faut  jamais  cesser  de  le  faire, 
puisqu'il  nous  défend  de  reprendre  nos  vêle- 
ments, et  que  d'ailleurs  il  nous  avertit  de 
prier,  afin  que  notre  fuite  n'arrive  point  du- 
rant l'hiver  ni  au  jour  du  sabbat;  car  par  là 
il  a  prétendu  que,  comme  l'hiver  est  une  sai- 
son morte,  où  la  nature  semble  ne  plus  tra- 
vailler, que  le  sabbal  est  un  jour  de  repos,  où 
le  commerce  des  œuvres  laborieuses  esl  in- 
terrompu .  il  fallait  bien  nous  donner  de 
garde  de  croire  que  la  vie  de  retraite  et  de 
séparation  que  l'on  mène  sur  la  montagne 
lût  une  vie  de  repos,  désoccupée  et  sans  tra- 
vail. 

11  sera  aisé  de  se  convaincre  de  ce  que 
nous  avançons  ici  quand  on  considérera  que 
nous  avons  des  crimes  propres  à  expier, 
ceux  du  peuple  à  pleurer,  des  passions  à 
combattre,  un  orgueil  à  dompter,  une  chair 
à  sountcllrc,  un  esprit  à  fixer,  des  vertus  à 


945 


SENTIMENTS  DE  PENITENCE  POUR  UN  MOURANT. 


946 


acquérir,  un  ciel  à  mériter,  un  Dieu  à  apai- 
ser et  la  vie  de  Jésus-Christ  à  retracer. 

Voilà  la  matière  de  nos  travaux  :  Elie  était 
sorti  de  la  cour  de  Jésabel,  il  était  entré  dans 
le  désert,  il  y  avait  fait  quelques  journées,  il 
y  avait  bu  de  l'eau  des  larmes  et  mangé  le 
pain  de  la  pénitence;  il  s'y  endort.  L'ange  du 
Seigneur  revient  une  seconde  fois,  il  le 
frappe  et  il  lui  dit  :  Lecez-vous  et  mangez, 
car  il  vous  reste  un  grand  chemin  à  faire.  Il 
en  est  de  même  de  vous,  ma  chère  sœur. 
Vous  avez  quitté  la  Judée,  rende*  grâces  au 
Seigneur;  il  vous  a  conduite  sur  la  monta- 
gne, n'oubliez  jamais  ce  bienfait  :  demeurez 
ferme,  ne  tournez  jamais  la  tête  du  côté  de 
celte  malheureuse  société  du  monde  que 
tous  avez  quittée.  11  n'y  a  plus  que  la  charité 
qui  nous  puisse  permettre  de  jeter  les  yeux 
sur  les  personnes  que  nous  y  avons  laissées. 
Plus  de  part  à  leurs  intérêts,  plus  de  soins, 
plus  d'égards,  si  ce  n'est  à  ceux  du  salut. Te- 
nez-vous dans  la  voie  que  Dieu  vous  a  ou- 
verte. On  se  perd  en  corrompant  sa  voie,  et 
ou  la  corrompt  en  se  nourrissant  des  idées 
d'un  bien  étranger  qu'on  se  propose  pendant 
qu'on  néglige  celui  que  Dieu  demande  de 
nous  dans  notre  état.  C'est  ce  que  saint  Am- 
broise  appelle  être  dévot  en  idée  et  en  pa- 
resseux :  Corde  devotus,  opère  piger,  religio- 
sus  affeclu,  oliosus  actu.  Le  ciel  et  la  terre 
passeront,  mais  les  paroles  d'engagement  à 
Jésus-Christ,  que  vous  allez  prononcer  entre 
les  mains  de  son  ministre,  ne  passeront  point. 
Ce  sera  sur  ces  paroles  que  vous  serez  jugée 
à  la  mort;  mais  vous  y  serez  fidèle  dans  vo- 
tre vie.  Je  l'espère  de  la  miséricorde  de  Dieu, 
qui  achèvera  en  vous  ce  qu'il  a  commencé; 
et  par  là  vous  comprendrez  l'étendue  de  cette 
miséricorde.  Je  vous  la  souhaite.  Ainsi  soit-il. 

SENTIMENTS 

DE  PENITENCE  POUR  UN  MOURANT. 

PREMIER  SENTIMENT. 

Se  reconnaître  pécheur. 
Oui,  Seigneur,  je  me  reconnais  pécheur; 
j'ai  péché  contre  le  ciel  et  contre  vous  :  je  ne 
suis  plus  digne  d'être  appelé  votre  enfant. 

IIe   SENTIMENT. 

Se  reconnaître  digne  de  la  mort. 

Seigneur,  je  suis  digne  de  la  mort;  votre 
Apôtre  m'apprend  que  la  mort  est  le  prix  et 
le  fruit  du  péché, et  vous-même  vous  en  avez 
prononcé  l'arrêt  contre  tous  les  hommes  en 
la  personne  du  premier.  J'ai  donc  mérilé  de 
mourir  dès  que  j'ai  commencé  de  vivre,  et  je 
n'ai  fait  en  vivant  que  me  rendre  digne  de  la 
mort  de  plus  en  plus;  car  j'ai  souillé  mon 
âme  par  toutes  les  iniquités  que  j'ai  commi- 
ses, et  j'ai  mérité  la  mort  éternelle  par  ces 
iniquités,  qui  sont  sans  nombre.  Oui,  mon 
Dieu,  je  suis  digne  de  la  mort. 

III'   SENTIMENT. 

Accepter  l'arrêt  de  la  mort. 
O  mon  Dieul  je  consens  que   cet  arrêt  de 
mort  s'exécute  sur  moi.  Qu'elle  vienne  donc, 


cette  mort,  qu'elle  exerce  sur  moi  toute  sa 
puissance,  qu'elle  m'ôte  la  raison,  qu'elle 
éteigne  toutes  les  lumières  de  mon  esprit, 
qu'elle  anéantisse  pour  ici-bas  toutes  les  puis- 
sances de  mon  âme ,  qu'elle  afflige  mon 
corps,  qu'elle  ronge  ma  chair,  qu'elle  me  dé- 
vore par  les  vers  de  la  terre,  auxquels  je  me 
livre  pour  être  leur  pâture.  Je  me  regarde 
déjà  dans  ce  tombeau  qu'on  me  prépare,  et 
je  m'y  sacrifie  comme  une  victime  que  le  pé- 
ché a  rendue  digne  de  la  mort.  Oui,  mon 
Dieu,  j'y  descends  tout  en  vie  pour  y  porter, 
par  la  loi  et  par  une  humble  soumission  à 
vos  volontés,  cet  arrêt  de  mort  que  vous  avez 
rendu  contre  les  pécheurs. 

IV   SENTIMENT. 

Être  bien  aise  que  cet  arrêt  de  mort  ne  s'exé' 
cute  que  peir  parties. 

Mais,ô  mon  Dieu!  quoique  j'accepte  la 
mort,  je  ne  vous  demande  pas  qu'elle  vienne 
finir  mes  douleurs,  ni  consumer  dans  ce  mo- 
ment celte  vie  languissante  que  je  mène  de- 
puis tant  de  temps.  J'adore  la  conduite  que 
vous  lenez  sur  moi.  Je  suis  bien  aise  que 
mon  sacrifice  ne  se  fasse  que  suivant  volro 
volonlé.  Heureux,  ô  mon  Dieu!  si  je  pouvais 
voir  éteindre  toutes  les  facultés  de  mon  âme 
l'une  après  l'autre,  et  mourir  successive- 
ment par  tous  les  membres  de  mon  corps, 
afin  que  je  pusse  expier  par  autant  de  morts 
particulières  les  péchés  innombrables  quo 
j'ai  commis  contre  votre  volonlé  par  toutes 
ces  parties  de  mon  être  !  Oui,  je  le  dis  avec 
votre  Prophète,  dans  l'amertume  de  mon  âme 
cl  dans  le  brisement  de  mon  cœur,  que  la 
mort  se  nourrisse  de  mon  corps,  qu'elle 
broute  et  mes  membres  et  ma  chair,  comme 
les  brebis  broutent  l'herbe  des  champs  ;  mais, 
ô  mon  Dieu!  soutenez-moi  dans  ce  sacrifice. 

Ve  SENTIMENT. 

Désapprouver  toutes  les  dispositions  contrai- 
res à  cet  abandonnemenl. 

Je  sens  ma  faiblesse,  ô  mon  Dieu!  et  si 
vous  ne  m'assistez  par  votre  sainte  grâce,  je 
succomberai  dans  ces  épreuves.  Je  l'implore 
donc  avec  humilité  comme  mon  unique  ap- 
pui, et  je  renonce  de  tout  mon  cœur  à  toutes 
les  dispositions  contraires  à  cet  abandonne- 
ment  que  ma  faiblesse  et  l'infirmité  de  ma 
chair  pourraient  produire.  Je  m'unis  à  Vous 
sur  votre  croix;  vous  n'y  avez  clé  mis  quo 
pour  moi,  vous  n'avez  pas  voulu  en  des- 
cendre que  le  sacrifice  ne  fût  consommé. 
Mon  cœur  n'en  veut  pas  descendre  non  plus; 
je  désire  d'y  mourir  avec  vous,  et  quoique 
mon  corps  y  répugne,  je  dirai  toujours  dans 
le  fond  de  mon  cœur  avec  le  Prophète  :  Je 
prendrai  le  calice  du  salut,  et  j'invoquerai  le 
nom  du  Seigneur  :  Calicem  sulutaris  acci- 
piam,  et  nomen  Domini  invocabo. 

VI'   SENTIMENT. 

Désirer  Dieu  et  son  royaume. 

Puis-je  invoquer  autre  chose  que  volro 
saint  nom.  ô  mon  Dieu!  puisque  je  ne  désire 
que  vous?  Formez  en  moi,  Seigneur,  ces  dé- 
sirs ardents  sans  lesquels  on  n'est  jamais  di- 


W7  ORATEURS  SACRES.  DE  NES.MONR. 

gne  de  vous  voir.  Mon  cœur,  il  est  vrai,  s'est 
occupé  des  créatures;  et,  se  remplissant  des 
vanités  du  siècle,  il  ne  s'est  point  assez  ac- 
coutumé à  vous  désirer.  Mais  recevez-le, 
Suiveur  du  monde;  vous  avez  toujours  été 
digne  d'amour,  vous  m'avez  toujours  promis 
dis  richesses  infinies  et  un  royaume  éternel, 
el  je  n'ai  jamais  désiré,  comme  j'ai  dû,  ni 
vous  ni  vos  biens.  Que  dcviendrai-ji-  quand 
tout  disparaîtra  et  que  toutes  les  créatures 
périront  pour  moi,  si  vous  ne  me  tournez 
vers  vous,  et  si  je  ne  regarde  avec  tout  l'a- 
mour que  vous  êtes  capable  d'inspirer  ce 
royaume  éternel  qui  va  s'ouvrir?  Faites— lc- 
moi  désirer,  ô  mon  Dieu!  détachez  ce  cœur 
des  créature!  qu'il  va  perdre,  et  remplissez- 
le  d'un  désir  ardent  d'être  uni  à  vous  el  de 
vous  posséder  dans  votre  royaume  éternel  : 
Fient,  Domine  Jesu  :  adveniat  regnum  tuum  : 
Venez,  Seigneur  Jésus  :  que  votre  royaume 
arrive. 

VIP   SENTIMENT.   - 


Ml 

(|u  la  fxn  l<  iln  royaume  de  Dieu  me  soit  ou- 
vert ".  (.'est  la  giâce  de  mon  S  uveur  qui 
foui'  ma  coi. fiance;  car  ('est  dans  Jésus- 
Chrisl  que  noua  Irouvons  le  salut,  la  VM  tjl 
1  irrcK  ion  :  Ptr  Domûum  Ho$trun  J<- 
sum  (In  islam  ;  (,'hrhtus,  in  quo  est  salas ,  i  (  i 
et  reauri  ecti'j  HOi  lia. 

V 111'   6BHT1MJ  N  I 


S'unir  à  Jésus-Christ,  pour  qu'il  nous  offre  à 
son  Père. 

Oui,  mon  Dieu,  je  paraîtrai  à  la  porte  de 
votre  royaume  avec  confiance,  quoique  j'aie 
mérité  d'en  être  exclu  pour  toujours;  je  mo 
présenterai  sans  crainte  aux  yeux  du  Roi  de 
gloire  et  de  majesté  qui  y  règne,  quoique 
j'aie  mille  fois  mérité  sa  colère,  parce  que 
je  prétends  ne  m'y  présenter  que  par  Jésus- 
Christ.  Je  suis  tout  rempli  d'iniquités,  mais 
je  suis  couvert  de  son  sang.  Mes  péchés  me 
rejettent,  mais  sa  mort  m'introduit;  el,  sa 
croix  à  la  main  ,  je  demande  avec  confiance 


Attendre  en  paix  («m  >ment  de  Dieu  el  (a  con- 
sommation du  sacrifice. 

Os  désirs,  o  mon  Dieu  !  et  celle  confiance 
en  la  vertu  du  sang  de  Jcsus-Chn-t  ne  ten- 
dent pas  à  m'élever,  mais  à  mettre  ma  con- 
fiance dans  les  dispositions  de  lotre  provi- 
dence sir  ma  personne  el  sur  ma  vie.  J'ai 
humilié  mon  cœur  en  votre  présence  par  la 
déclaration  de  mes  crimes,  que  je  rendrais 
publique  si  c'était  votre  volonté  et  s'il  était 
nécessaire  pour  votre  g'oire.  J'ai  reçu  le 
sceau  de  ma  réconciliation  avec  vous  par  la 
participation  du  corps  et  du  sang  de  votre 
fils.  J'attends  la  consommation  de  mon  lacri- 
fice;  mon  âme  est  dans  la  paix,  mon  sort  est 
entre  vos  mains.  J'attends  sans  inquiétude, 
parce  que  je  sais  que  c'est  mon  père  qui  doit 
méjuger;  je  remets  donc  mon  esprit  entre 
vos  mains  :  In  ma  nu  s  tuas  cummendo  spiri- 
tuni  meum  ;  et  je  finirai  ma  vie  dan-,  le  si- 
lence, en  disant  avec  votre  Prophète  :  Four 
moi,  je  me  coucherai  eu  paix,  et  je  jouirai 
d'un  n  pos  parfait  ;  à  Dieu  seul  soit  l'hon- 
neur cl  la  gloire  dans  l'éternité  :  In  pace  in 
idipsum  durmi-tm  et  requieseam  ;  soli  Deo  ho 
nor  et  glori  t. 


NOTICE  SUR  NESMOND. 


Nesmo^d  (Henri  de),  d'une  famille  illustre 
de  l'Angoumois,  se  destina  de  bonne  heure 
à  l'état  ecclésiastique,  et  fit  ses  études  à  Pa- 
ris. Il  ne  larda  pas  à  se  faire  un  nom  dis- 
tingué dans  le  ministère  de  la  prédication  , 
et  ses  succès  lui  méritèrent  l'évèché  de  Mon- 
tauban.  Il  passa  ensuite  à  l'archevêché 
d'Albi,  puis  à  celui  de  Toulouse.  Reçu,  en 
1710,  à  l'académie  française,  à  la  place  de 
l'illustre  Flécbier,  il  fut  souvent  choisi  pour 
porter  la  parole  devant  les  assemblées  du 
clergé,  et  celles  des  Etals  de  Languedoc  em- 
pruntèrent plus  d'une  fois  sa  plu  me  et  sa  voix, 
ce  qui  montre  le  cas  qu'on  faisait  de  son  élo- 
quence dans  le  siècle  si  éclairé  de  Louis  XIV . 
Ce  prince,  qui  savait  si  bien  apprécier  tous 
les  genres  de  mérite,  goûlail  beaucoup  la 
manière  de  notre  prélat.  Un  jour  que  Nes- 
inond  le  haranguait,  la  mémoire  lui  man- 
qua et  il  resta  courl  devant  lui  après  avoir 
prononcé  quelques  mots  d'exorde.  Le  roi 
lui  dit  alors  avec  bonté  :  «  Je  suis  bien  aise 
que  vous  me  donniez  le  temps  de  goûter  les 
belles  choses  que  vous  me  dites  (1).  » 

Henri  de  Nesmond  mourut  eu  1727.  On 
possèle  un  recueil  de  ses  Sermons,  Discours, 

(1)  On  cilc  à  peu  près  lus  mêmes  paroles  adressées  par 
Louis  XIV  à  Massillon,  au  moment  où  ce  grand  homme, 


Harangues,  etc.,  qui  furent  publiés  à  Paris 
en  17a4,  1  vol.  iu-12.  C'esl  sans  doute  pai 
erreur  que  le  Dictionnaire  historique  do 
l'abbé  Feller,  el  la  fiioaraphe  universelle 
rédigée  par  une  so  iétc  de  yens  de  lettres  el 
de  savants,  disent  que  les  œuvres  de  Nes- 
mond virent  le  jour  à  Taris  en  1734  ;  car 
l'éditeur  du  recueil  que  nous  r<  produisons 
se  plaint,  dans  l'avertissement  mis  en  tète 
de  sa  publication  ,  qu'on  eût  négligé  jus- 
qu'alors de  rassembler  les  différent*  écrits  de 
ce  célèbre  orateur,  et  il  ajoute  qu'il  les  publie 
pour  la  première  fois.  Or  cet  éditeur  écrivait 
ces  lignes  en  17ôi,  à  propos  de  l'unique  édi- 
tion que  l'on  connaisse  des  ouvrages  de 
l'archevêque  de  Toulouse.  Le  style  de  Nes- 
mond, simple,  élégant,  souvent  énergique,  se 
fait  encore  remarquer  par  l'élévation  des  pen- 
sées et  la  noblesse  des  images.  S'il  ne  manquait 
pas  habituellement  rie  cette  chaleur,  de  ce 
l'eu  qui  anime  el  vivifie  I  s  productions  de 
tant  d'illustres  orateurs  s  s  contemporains, 
on  ne  pourrait  lui  refuser  une  place  hono- 
rable parmi  les  meilleurs  écrivains  du  siècle 
de  Louis  le  Grand. 


prêchant  en  sa  présence,  s'arrêta  uu  instant   au  milieu  de 
son  discours. 


SERMONS 

HARANGUES,  DISCOURS,  ETC., 

DE  NESMOND. 


DISCOURS 

Prononcé  à  l'ouverture  des  Etats  de  la  pro- 
vince du  Languedoc,  dans  la  grande  église 
de  Pézenas  ,  le  dimanche  23  novembre 
1692. 

Reddiie  ergo  omnibus  débita  :  cui  tribulnm,  tribulum; 
cui  timorem,  timorem  ;  cui  honoreni,  honorem. 

Rendes  donc  à  chacun  ce  qui  lui  est  dû:  ta  crainte  a  qui 
tous  devez  la  crainte  ;  le  tribut  à  qui  vous  devez  le  tribut, 
et  l'honneur  à  qui  vous  devez  l'honneur  (Rom.,  Xllt,  7). 

Monseigneur  (1), 

C'est  ainsi  que  s'expliquait  autrefois  l'A- 
pôtre, lorsque,  recueillant  dans  un  même 
lieu  tous  les  principes  île  la  souveraineté  des 
rois  et  de  l'obéissance  des  sujets,  il  ensei- 
gnait aux  premiers  fidèles  de  Rome  ce  qu'ils 
devaient  à  leur  prince  et  à  leur  patrie. 

11  leur  disait  avec  une  éloquence  unie  et 
animée  que  toute  autorité  est  établie  du  ciel  ; 
que  les  rois,  étant  les  images  visibles  de  la 
Divinité  et  les  dépositaires  de  sa  puis- 
sance, ils  attirent  nos  respects,  notre  véné- 
ration et  nos  hommages;  que,  puisqu'ils 
sont  les  anges  tutélaires  de  leurs  Etals  et  du 
public,  nous  leur  devons  des  tributs  et  des 
secours  quand  ils  les  demandent  ;  que  la  sou- 
mission et  l'obéissance  qu'on  leur  rend  ne 
sont  point  un  fardeau  servile  qu'imposent  la 
crainte  et  la  politique ,  mais  un  devoir 
qu'exigent  la  naissance  et  la  religion;  qu'on 
ne  peut  être  un  clnétien  parfait  si  l'on  n'est 
citoyen  fidèle,  et  que,  comme  il  y  a  une  cha- 
rité commune  qui  nous  fait  compatir  aux 
nécessilés  des  fidèles  qui  sont  nos  frères,  il 
y  a  aussi  dans  le  fond  de  nos  cœurs  et  de 
nos  consciences  une  loi  qui  nous  intéresse 
dans  les  besoins  de  l'Etat  dont  nous  sommes 
les  membres,  cl  dans  ceux  des  princes  qui 
en  sont  les  maîtres. 

Pénétrés  de  cet  esprit  et  de  ces  maximes, 
nous  nous  rassemblons  en  ce  lieu,  mes  frè- 
res, pour  remplir  un  des  plus  importants  de- 
voirs du  caractère  dont  nous  sommes  revê- 
tus dans  celte  pro\ince.  Ce  n'est  point  la  sa- 
gesse mondaine  ni  la  piudcnce  delà  chair 
qui  nous  excitent  ici  à  l'accomplissement  de 
uos  obligations,  c  est  notre  foi  qui  nous  ins- 
truit et  qui  nous  anime;  nous  obéissons  à 
Dieu  en  rendant  à  César  ce  qui  est  dû  à  Cé- 
sar, et  c'est  par  cette  raison  qu'offrant  au 
Seigneuries  prémices  île  ces  Elals  cl  de  nos 
fonctions,  tout  ce  que  la  religion  a  de    plus 

(f  )  L'évêque  de  Carcassoune,  ollicianl. 


saint  et  de  plus  auguste  consacre  aujour- 
d'hui les  commencements  de  notre  assem- 
blée. 

Le  Saint-Esprit  invoqué  par  le  ministère  d'un 
pon  tife,l'oh  lai  ion  pure  des  mystères  que  l'Egli- 
se appelleterribies,  un  minisire  de  Jésus-Christ 
qui  vient  annoncer  les  vérités  de  l'Evangile, 
el  joindre,  selon  l'expression  de  saint  Au- 
gustin, à  la  majesté  du  sacrifice  le  sacre- 
ment de  la  parole,  le  Sauveur  du  monde 
présent  sur  nos  autels,  pour  nous  avertir 
qu'il  sera  le  témoin  de  nos  délibérations  et  le 
jugedenos  justices,  ce  grand  concours  de  fidè- 
les empressés  à  adorer  l'arche  du  Seigneur  et  à 
la  suivre,  tout  cet  appareil  de  cérémonies 
vénérables  par  la  sainteté  qui  les  accompa- 
gne et  par  la  ferveur  de  ceux  qui  y  assistent  : 
tout  cela  ne  jelte-t-il  pas  dans  nos  cœurs  des 
impressions  de  christianisme  et  de  piété? 
Nous  venons  secourir  l'Etat  dans  sis  be- 
soins, pourvoir  au  soulagement  des  peuples 
de  celte  province,  nous  édifier  les  uns  les 
autres  par  de  bons  exemples  :  peut-il  y  avoir 
des  obligations  plus  importantes  dans  la  re- 
ligion ?  Hé  1  quels  objets  plus  dignes  de  no- 
tre application,  de  notre  vigilance  et  de  no- 
tre zèle  1 

Ne  nous  considérons  point  par  conséquent, 
mes  frères,  comme  un  corps  politique,  uni 
par  les  liens  extérieurs  el  par  les  intérêts 
communs  de  la  patrie.  Jugeons  de  nos  occu- 
pations comme  Dieu  en  juge  lui-même.  Nous 
sommes  un  corps  de  chrétiens  appelés  ici  à. 
des  fonctions  qui  entrent  dans  l'économie  de 
notre  salut.  Il  y  a  dans  les  soins  et  dans  les 
affaires  qui  nous  occupent  une  espèce  de  vo- 
cation dont  Dieu  nous  demandera  compte,  et 
malheur  à  nous  si  nous  regardions  le  temps 
de  uos  Etats  comme  une  saison  qui  ramène 
la  joie  et  les  consolations  de  la  terre,  comme 
un  séjour  où  règne  un  commerce  agréable 
d'esprit,  d'amusement  et  de  politesse;  et 
quelle  prévarication  ne  serait-ce  point,  s» 
on  n'avait  ici  d'autre  motif  que  l'envie  de 
produire  ses  talents  et  ses  lumières,  si  on 
pensait  bien  plus  à  se  rendre  recommanda- 
ble  par  son  mérite  qu'utile  au  bien  public  par 
ses  services,  et  si  les  désirs  séculiers  dont 
parle  l'Apôlrc,  et  les  considération!  humai- 
nes étaient  le  mobile  el  le  principe  de  notre 
conduite  ? 

Grâce  a  Jésus-Christ,  je  prêche  aujour- 
d'hui, comme  Saùl  entre   les   prophètes,  la 


951 


sagesse  devant  les  parfaits  ;  chacun  vient  ici 
convaincu  du  poids  de  sc>  obligations.  Tous 
ces  pontifes  si  distingués  par  leur  doctrine, 
leur  piété  et  leur  caractère,  celle  noblesse 
aussi  estimable  par  si  sagrssc  que  par  s.:in 
courage,  tous  ces  députés  attentifs  aux  de- 
voirs de  li  m-  mission,  sont  plutôt  mes  mo- 
dèles que  le  sujet  de  mes  instructions,  et,  té- 
moin tous  les  ans,  Messieurs,  de  vos  vertus 
et  de  votre  zèle,  je  viens  moins  vous  édiGer 
par  mes  paroles  que  m'animer  moi-même 
par  vos  exemples. 

Recueillons  ce  discours,  dont  je  vous  ai 
déjà  insinué  (oui  le  plan  et  tout  le  partage. 
Rendons,  selon  le  précepte  de  l'Apôtre  et 
les  paroles  de  mon  tcxle,  à  chacun  ce  que 
nous  lui  devons  :  Jtfdditv  ertjo  omnibus  dé- 
bita. Craignons  le  Seigneur,  c'est  mon  pre- 
mier point;  secouions  le  roi  dans  les  pres- 
santes nécessités  de  l'Etal,  c'est  mon  deu- 
xième point;  édifions-nous  les  uns  les  autres 
dans  le  cours  de  nos  séances  par  la  prati- 
quedes  vertus  chrétiennes,  c'est  le  troisième. 
Nous  devons  de  la  crainte  à  Dieu,  des  se- 
cours à  l'Etat,  de  l'édification  au  pro- 
chain ,  trois  devoirs  qui  partagent  la  vio 
chrétienne,  et  qui  feront  le  sujet  de  votre 
attention. 

Esprit-Sainl,  qui  promettez  voire  protec- 
tion à  ceux  qui  s'assemblent  au  nom  du  Sei- 
gneur, vous  connaissez  la  pureté  de  nos  in- 
tentions, accomplissez  votre  promesse;  ce 
que  saint  Paul  disait  par  humilité,  je  le  dis 
avec  justice,  que  je  ne  fonde  pas  le  succès  de 
mon  discours  sur  mes  paroles,  dont  je  con- 
nais l'inutilité  et  la  faiblesse,  mais  sur  votre 
grâce,  dont  j'invoque  la  puissance.  Répan- 
dez votre  onction  divine  dans  le  cœur  de 
ceux  qui  m'écoutent,  et,  suppléant  par  vos 
dons  à  ce  qui  manquera  à  mes  expressions, 
bénissez  le  ministre  et  donnez  en  ce  jour  de 
l'efficace  à  mon  ministère.  Je  vous  le  de- 
mande par  l'intercession  de  Marie,  en  lui  di- 
sant :  Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

11  n'y  a  point  de  devoir  plus  répété  dans 
l'Ecriture  que  celui  de  craindre  le  Seigneur, 
soit  que  celle  crainte,  étant  un  mouvement 
et  une  inspiration  de  la  grâce,  soit  de  l'es- 
sence de  la  vie  chrétienne  et  de  la  sanctifica- 
tion des  hommes  soit  que  d'ordinaire  elle 
soit  le  principe  de  la  conversion  des  pé- 
cheurs, comme  la  charité  l'est  de  la  perfec- 
tion et  de  la  persévérance  des  justes,  soit 
qu'enfin  les  vues  des  jugements  de  Dieu  et 
de  sa  justice  fassent  plus  d'impression  sur  la 
plupart  des  chrétiens  du  monde  que  toutes 
les  réflexions  de  sa  miséricorde  et  de  sa 
bonté. 

C'est  par  cette  raison  que  le  prophète-roi, 
si  savant  dans  les  désordres  du  péché  cl  dans 
les  ressources  de  la  pénitence,  nous  repré- 
sente le  nom  du  Seigneur  sous  l'idée  de  saint 
et  de  terrible,  afin  que,  frappés  de  la  ma- 
jesté d'un  Dieu  puissant  et  vengeur  de  nos 
infidélités,  nous  travaillions  à  notre  sanc- 
tification; et  Salomon,  après  avoir  dans  ses 
livres  divin,  expliqué  les  devoirs   de    toutes 


ORATEURS  SACHES.  DE  NESMOND. 

b \t  conditions  différentes 
maine,  et  prescrit 

moyens 


MH 


de  la  société  hu- 
a  loni  les  hommes  les 
de  se  sanctifier  dans  l'étal  où  la 
Providence  les  a  appelés,  finit  tous  ses  dis- 
cours et  tous  ses  préceptes  par  celui  de 
craindre  Dieu  et  d'observer  ses  commande- 
ments, comme  le  fondement  cl  l'abrégé  de 
noire  salut.  Oeum  lime,  et  mandata  <jus  ob- 
serva, hoc  est  enim  omnis  homo  ;  heureux  lui- 
même  s'il  n'eût  point  démenti  ses  propres 
maximes,  et  si,  déchu  de  cette  sagesse  infuse 
dont  le  ciel  l'avait  favorisé,  il  ne  nous  avait 
appris  par  le  scandale  de  sa  chute  jusqu'à 
quel  point  d'aveuglement  I  oubli  de  Dieu  et 
I  inattention  à  ses  jugements  précipitent 
souvent  les  âmes  les  plus  saintes  et  les  plus 
parfaites. 

L'Ecclésiastique,  dans  le  premier  chapitre 
de  son  livre,  donne  encore  plus  d'étendue  à 
celte  matière,  quand  il  nous  explique  la  na- 
ture de  la  crainte  de  Dieu  et  lous  ses  effets  : 
il  nous  dit  d'abord  qu'elle  chasse  le  péché, 
que  sans  elle  nous  ne  sommes  ni  pénitents 
ni  justifiés  :  Timor  Domini  expellit  pecca- 
tum;  car  si  nous  regardons  ce  que  Dieu  fait 
pour  nous  l'inspirer  et  ce  que  le  démon  em- 
ploie pour  nous  la  ravir,  nous  compren- 
drons que,  comme  ce  Père  de  miséricorde  ne 
nous  propose  des  images  terribles  qu'afin  d'é« 
tonner nolreenteridementetnous  appliquer  à 
l'ouvrage  de  notre  salut,  cel  esprit  de  malice 
ne  travaille  qu'à  nous  ôter  celte  frayeur, 
persuadé  que  c'est  elle  qui  nous  affermit 
dans  la  pratique  de  nos  devoirs  et  dans  les 
exercices  du  christianisme. 

Le  prophète-roi  était  convaincu  de  sa  né- 
cessité, quand  il  demandait  à  Dieu,  au  nom 
de  tous  les  pécheurs,  de  percer  sa  chair  de 
celle  crainte  salut  lire,  afin  que  celte  vertu, 
éteignant  dans  son  cœur  et  dans  le  nôtre  ces 
traits  de  feu  dont  parle  l'Apôtre,  et  qui  sont 
le  monde,  ses  tentations  et  ses  convoitises, 
elle  substitue  en  leur  place  des  traits  de  fer 
détrempes  dans  les  amertumes  de  la  péni- 
tence ,  selon  l'expression  d'un  prophète,  et 
que,  retenus  par  l'appréhension  des  châli- 
menlsdonl  Dieu  nous  menace, nous  marchions 
dans  l'observation  de  ses commandements.juS' 
qu'à  ce  que,  avançant  par  degrés  dans  le  che- 
min de  la  perfection  chrétienne,  le  Seigneur 
nous  attache  à  lui  par  les  liens  plus  doux  et 
plus  saints  d'une  charité  parfaite. 

C'est  ainsi  que  Tertullien  appelle  la  ter- 
reur qu'excitent  en  nous  les  jugements 
de  Dieu,  le  premier  baptême  de  la  jus- 
tification des  pénitents  :  Prima  audirn- 
tium  intinctio,  tnetus,  parce  que,  sur  la  pro- 
portion et  le  modèle  du  baptême,  qui  lave  en 
nous  le  péché  du  vieil  homme,  si  nous  som- 
mes dans  l'erreur,  c'est  elle  qui  nous  en  dé- 
livre, si  nous  vivons  dans  les  ombres  de  la 
mort,  c'esl  par  elle  que  nous  en  sortons,  et 
enfin  si  nous  avons  du  penchant  au  mal,  c'es! 
elle  qui  l'arrête.  Voici  une  induction  sensi- 
ble de  cette  vérité,  que  me  fournit  sainl  Au- 
gustin dans  son  commentairesurles  Psaumes. 

En  effet,  dit  ce  Père,  vous  menez  une  vie 
mondaine  et  voluptueuse,  et.  vous  aban- 
donnant aux   affections  dépravées  de  la  na- 


955 


DISCOURS  l  POUR  L'OUVERTURE  DES  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


954 


ture  corrompue,  vous  vivez  dans  le  dérègle- 
ment el  dans  le  péché;  oubliant  Dieu  et  ou- 
blié do  lui,  vous  nourrissez  dans  voire  cœur 
des  passions  criminelles,  el  profanez  dans 
l'usage  des  sacrements  tout  ce  que  la  reli- 
gion a  de  plus  redoutable  et  de  plus  auguste  ; 
attentif  à  ce  qui  peut  plaire  à  vos  sens,  vous 
vous  accordez  toutes  les  commodités  qu'in- 
vente et  que  fournit  le  luxe,  aujourd'hui  si 
prodigue  et  si  raffiné;  insensible  aux  be- 
soins des  pauvres  ,  vous  ne  prononcez 
jamais  sur  la  question  du  superflu,  pour 
élre  en  droit  de  leur  refuser  leur  nécessaire  ; 
menant  une  vie  régulière  et  innocente  aux 
yeux  des  hommes,  vous  la  menez  vide  et 
inutile  aux  yeux  de  Dieu;  content  d'éviter 
les  vices  grossiers  que  le  monde  même  con- 
damne, vous  croyez  vivre  sans  péché  parce 
que  vous  vivez  sans  scandale;  honorant  Dieu 
des  lèvres  seulement ,  pendant  que  votre 
cœur  se  dissipe  en  amusements  et  en  vains 
désirs,  vous  priez  sans  attention  el  sans  fer- 
veur, vous  remplissez  les  devoirs  les  plus 
essentiels  du  christianisme  sans  goût  et  sans 
dévotion.  A  tout  cela  quel  remède,  mes  frè- 
res, el  quel  est  le  premirr  pas  qui  vous  con- 
duit à  la  pénitence  ?  Le  Saint-Esprit  l'a  dit  : 
craignez  le  Seigneur,  écoulez  une  voix  inté- 
rieure qui  vous  crie  du  fond  de  votre  con- 
science que  les  pécheurs  seront  livrés  à  ces 
feux  vengeurs  dont  l'horreur  est  décrite 
dans  l'Evangile;  alors,  étonnés  de  l'idée  des 
jugements  de  Dieu,  vous  vous  convertirez  el 
vous  éprouverez  que  la  crainte  de  la  colère 
du  Seigneur  commence  toujours  l'ouvrage 
de  notre  conversion,  et  que  sa  première  mi- 
séricorde est  d'ordinaire  de  nous  inspirer  la 
connaissance  et  le  sentiment  de  sa  justice. 

La  crainte  de  Dieu  est  encore  appelée  dans 
l'Ecclésiastique  le  fondement  de  la  sagesse: 
Radix  sapieniiœ  est  limere  Deum;  elle  n'en 
est,  dis-je,  que  le  commencement,  puisqu'il 
n'appartient  qu'à  la  charité  d'en  être  la 
perfection  et  la  plénitude.  Cette  crainte  fai- 
sait toute  la  justice  de  la  loi  mosaïque,  mais 
dans  la  loi  de  grâce  elle  n'est  que  la  vertu 
des  faibles  et  des  commençants,  elle  diminue 
dans  nous  à  mesure  que  l'amour  divin  s'y 
perfectionne  et  s'y  fortifie;  le  Sauveur  du 
inonde  est  venu  graver,  non  pas  sur  des 
tables  de  pierre,  mais  dans  nos  cœurs,  une 
loi  parfaite,  selon  la  doctrine  et  les  expres- 
sions de  l'Apôtre;  les  menaces  de  sa  colère 
étaient  l'objet  des  Juifs  charnels  et  grossiers, 
leur  loi  ne  pouvait  faire  des  prédestinés,  et 
s'il  y  a  eu  parmi  eu  des  justes  et  des  .par- 
faits, c'est  que,  par  une  adoption  anticipée, 
ils  appartenaient  à  la  grâce  de  Jésus-Christ, 
et  que,  perçant  par  leur  foi  les  voiles  obscurs 
du  temps  cl  du  l'avenir,  ils  étaient  chrétiens 
avant  la  naissance  mémo  du  christianisme. 

Or,  celle  sagesse  à  laquelle  la  crainte  dis- 
pose est  celte  sagesse  qui  vient  du  ciel,  selon 
l'expression  de  l'apôtre  saint  Jacques,  qui  est 
pacifique,  modeste,  pleine  de  miséricorde  et 
de  compassion,  détachée  d'elle-même,  tou- 
jours attentive  au  bien  public,  telle  enfin  que 
nous  la  -voyons  dansée  grand  cardinal  (1)  que 

(1)  Le  ca'diaal  de  Boni',  archevêque  de  Narboooc. 


sa  protection  et  sa  paternelle  bonté  rendent 
encore  plus  cher  à  cette  province  que  le  siège 
qu'il  y  occupe,  qui  n'emploie  jamais  plus  vo- 
lontiers son  crédit  auprès  du  prince  que  lors- 
qu'il faut  représenter  nos  besoins  ou  faire 
valoir  notre  zèle,  qui  a  su  joindre  à  un  mé- 
rite solide  et  éprouvé  dans  toute  l'Europe  ces 
grâces  de  l'esprit  si  nécessaires  aux  grands 
emplois  et  aux  grandes  places,  et  dont  la  pru- 
dence, tantôt  occupée  au  bien  de  l'Etat,  tan- 
tôt à  celui  de  la  religion,  a  contribué  à  l'exal- 
tation d'un  souverain  pontife  sur  la  piété 
duquel  tant  d'Eglises,  gémissantes  depuis 
longtemps  dans  une  triste  et  longue  viduité, 
fondent,  par  d'heureux  préjugés,  l'espoir 
d'une  paix  si  utile  cl  si  désirée. 

Mais  à  celte  sagesse  qui  vient  du  ciel  est 
opposée  celle  du  siècle,  qui  est  terrestre,  sen- 
suelle, ennemie  de  Dieu  el  fille  du  démon  : 
ce  sont  les  caractères  que  l'apôtre  saint  Jac- 
ques lui  donne,  et  c'est  d'elle  qu'il  est  écrit: 
Le  Seigneur  confondra  lu  subtilité  des  sages  et 
la  prudence  des  prudents;  elle  est  par  consé- 
quent vaine  et  fausse  dans  son  essence  et 
dans  ses  effets,  non-seulement  parce  qu'elle 
est  contraire  à  la  loi  de  Dieu,  mais  encore 
parce  qu'il  y  a  dans  les  choses  dont  elle  s'oc- 
cupe un  vide  et  un  néant  dont  les  mondains 
eux-mêmes,  dit  saint  Augustin,  ne  discon- 
viennent pas  quand  ils  sont  sincères,  et  qui, 
nous  désabusant  du  monde  par  le  monde 
même,  nous  fait  sentir  par  notre  expérience 
qu'il  n'y  a  point  d'autre  sagesse  que  celle  que 
Dieu,  selon  l'expression  figurée  du  prophète 
Baruch,  a  apportée  du  ciel,  qu'il  a  fait  des- 
cendre de  la  région  des  nuées,  el  qu'il  a  em- 
menée de  delà  les  mers,  comme  le  trésor  le 
plus  précieux  de  la  vie  spirituelle  et  comme 
le  vrai  principe  de  la  sanctification  des 
hommes. 

Oui,  mes  frères,  ce  raffinement  d'actions  et 
de  démarches  dont  on  se  sert  pour  parvenir 
aux  fins  que  notre  cupidité  se  propose,  cette 
adresse  que  l'on  emploie  pour  dissimuler  ses 
pensées  et  pour  deviner  celles  des  autres,  ce 
commerce  insinuant  de  paroles  obligeantes  et 
de  flatterie  mutuelle,  souvent  pour  se  trom- 
per et  pour  se  surprendre,  ces  détours 
ingénieux,  selon  l'expression  de  saint  Gré- 
goire, pour  substituer  à  toute  heure  le  men- 
songe à  la  place  de  la  vérité,  celle  application 
continuelle  qu'on  a  pour  cacher  des  défauts 
cl  pour  produire  de  fausses  vertus,  cet  ar- 
rangement d'égards  el  de  bienséances,  qu'on 
observe  par  politique  et  qui  fait  presque  toute 
l'occupation  de  noire  vie  :  voilà  ce  que  le 
monde  appelle  sagesse,  el  que  l'homme  qui 
craint  Dieu  regarde  comme  perdition  el 
comme  folie. 

Mais  quand  je  parle  de  l'obligation  de 
craindre  Dieu,  je  n'entends  pas  une  crainte 
purement  servile  par  laquelle  le  pécheur 
n'observe  qu'à  regret  les  commandements,  ne 
rend  aux  lois  du  Seigneur  qu'une  obéissance 
involontaire,  no  se  sépare  du  péché  qu'en 
conservant  dans  son  cœur  la  volonté  de  le 
commettre,  et  qui,  joignant  au  litre  d'enfant 
de  Dieu  les  sentiments  d'un  esclave  cl  d'un 


1IW 


OltATKUtS  SACRES,  lu.  NESMOND. 


WO 


mercenaire,  no  renonce  à  ses  déi  '■  1  menti 
que  dans  l'tmpotsibMilé  de  se  snuslra  re  à  la 
justice  du  Sei  neur  et  à  se*  vengeani 
Telles  étaient  les  disposition!  d'Anliochus, 

dont  il  est  parlé  dans  le  eco  d  livre  des  Ma- 
chahées  :  quand  la  main  de  Dieu  s'appesantit 
sur  lui  et  qu'il  se  vit  frappé  d'une  plaie 
mortelle,  il  commençai  dit  l'Ecriture,  à  réflé- 
chir sur  son  orgueil  el  a  rentrer  dans  la  con- 
naissance de  soi-même  ;  il  avoua  qu'il  était 
juste  que  l'homme  fût  tournis  à  Dieu,  et  que 
celui  qui  est  mortel  ne  l'égalât  pas  à  son 
Seigneur  el  à  son  Maître;  il  ne  peufl  i  qu  à  se 
réconcilier  avec  les  Juifs  el  qu'à  leur  faire 
sentir  les  effet!  de  sa  c  emence;  il  ne  voulait 
plus  adorer  que  le  Dieu  d'Israël  el  n'adresser 
qu'à  lui  seul  désormais  tousses  vœux  et  ses 
sacrifice  |, 

D'où  vient  donc,  demande  saint  Augustin, 
que  ce  prince,  en  apparence  si  humble  el  si 
pénitent,  ne  put  pourtant  trouver  grâce  de- 
vant le  Seigneur?  S'il  entra  véritablement 
dans  la  connaissance  de  ses  crimes,  cl  s'il  re- 
connut la  justice  qui  soumet  à  Dieu  tous  les 
hommes,  ne  cessait-il  pas  par  conséquent 
d\  Ire  superbe  ?  S'il  priait  le  Seigneur  avec 
humilité  et  avec  foi,  n'était— il  pas  digne 
d'obtenir  miséricorde  de  celui  qui  la  promet 
aux  pécheurs  qui  l'invoquent  et  qui  la  de- 
mandent '.' 

11  esl  vrai,  répond  le  même  saint  Augus- 
tin; mais  ce  roi  ne  renonça  point  sincèrement 
à  sou  impiété;  la  connaissance  qu'il  eut  de 
lui-même  ne  le  rendit  point  |  énile  it,  mais 
hypocrite;  il  priait  pour  laguérisondu  corps, 
et  non  pas  pour  celle  de  l'àme;  se-  sentiments 
étaient  plutôt  de  la  chair  que  d'un  coeur  pé- 
nétré de  son  i.éaut  et  de  la  grandeur  de 
Dieu,  et  tout  son  repentir  se  terminait  à  des 
larmes  dissimulées  et  à  des  résolutions  peu 
sincères. 

Combien  y  a-t-il  de  ;  énitenecs  semblables 
à  celle  de  ce  prince,  qui  sent  l'effet  de  la  vio- 
lence d'une,  maladie  ou  de  la  crainte  d'une 
mort  prochaine,  et  non  pas  de  la  douleur 
d'avoir  mal  vécu  1  Combi  n  de  restitutions 
forcées,  que  le  remords  et  l'impuissance  de 
jouir  après  sa  mort  des  biens  qu'on  a  volés 
arrachent  plutôt  qu'un  véritable  motif  d'une 
justice  surnaturelle  1  Combien  y  a-t-il  au- 
jourd'hui dans  le  christianisme  de  dévotions 
saintes  qui  sont  le  fruit  de  l'intérêt,  de  la  va- 
nité, de  la  politique  !  Dans  ce  grand  nombre 
de  néophytes  que  nous  avons  vus  revenir  en 
foule  au  sein  de  l'Eglise,  si  plusieurs  nous 
édifient  par  leurs  exemples,  combien  d'au- 
tres démentent  par  li  ur  tiédeur  la  grâce  de 
leur  vocation  !  Mais  si  nous  gémissons  de  la 
lenteur  de  leur  réunion  parfaite,  louons  au 
moins  leur  zèle  et  leur  fidélité  pour  le  roi  : 
imitateurs  en  cela  des  maximes  de  Jésus  - 
Christ, ni  laconuaissancc  des  conjonctures,  ni 
les  offres  de  nos  ennemis  n'ont  pu  tenter  leur 
attachement  pour  leur  pairie  ;  tant  il  esl  vrai 
que  l'amour  de  la  royauté  el  le  grand  mérite 
du  roi  sont  des  liens  chers  à  tous  les  Fran- 
çais 1  Hé  1  peut-être  que  Dieu,  louché  d'une 
conduite  si  sage  et  si  conforme  aux  devoirs 
du  christianisme,  achèvera  de  purifier  la  foi 


de  nos  frères  réunis,  et  que,  déracinant  de 
1  m  i mur  ce  re  ie  de  préjugés  «iui  les  relii  ut 

encore,  nous  \  errons  re\  enir  ces  temps  heu- 
reux dont  parlail  saint  Jérôme  quand  il  disait 
que  la  Franco  seule  était  exempte  des  mal- 
heurs et  du  monstre  de  l'hérésie  :  Solu  G  al  lia 
munslru  non  luihet. 

Il  y  a  une  autre  espèce  de  crainte,  senile 
à  la  vérité,  mais  pourtant  sainte  cl  suri. a. u- 
n  Ile,  puisqu'elle  convertit  le  pécheur,  et  que, 
selon  la  décision  d'un  grand  concile,  il 
elle  ne  fait  pas  toute  l'essence  de  la  justi- 
fie 1 1 ion,  elle  est  au  moins  la  disposi'ion  qui 
nous  y  conduit  el  nous  y  prépare.  Or  celle 
crainte,  quoique  utile,  est  pourtant  impar- 
faite en  elle-même,  dit  saint  Uernard  :  le  S  i- 
gneurdi mande  des  cœurs  plus  reconnaissant! 
et  plus  épurés;  le  servir  par  l'appréhension 
seule  des  châtiments,  c'est  lui  v«  iidre  en 
quelque  façon  notre  culte.  Les  hommes,  dans 
les  amitiés  que  forme  entre  eux  la  société 
civile,  voudraient-ils  n'être  aimés  que  par 
intérêt  et  dans  la  vue  du  bien  qu'ils  font  ou 
du  mal  qu'ils  peuvent  faire?  Pourquoi  uffrent- 
ils  donc  à  Dieu  des  vœux  mercenaires  el  un 
encens  intéressé  ?  Pourquoi  ont-ils  pour  le 
Créateur  des  sentiments  dont  ils  reconnais- 
sent l'imperfection  dans  la  créature?  et  ces 
motifs  judaïques  sont-ils  dignes  de  la  grâce 
du  Rédempteur  elde  la  perfection  du  chris- 
tianisme ? 

Mais  il  y  a  une  crainte  parfaite,  qui  est  le 
partage  el  l'occupation  des  âmes  justes,  se- 
lon l'expression  du  prophète-roi,  el  c'est  celle 
dont  parle  l'A;  ôlre  quand  il  nous  dit  d  us 
1  Fpîlre  aux  I\  imains  que  l'esprit  qu*  nous 
avons  reçu  n'est  pas  un  esprit  de  servitude  , 
mais  celui  des  enfants,  par  lequel  nous  appe- 
lons Dieu  noire  Père  ;  crainte  qui  n'est  autre 
chose  que  celle  charité  qui  fait  les  parlai  s 
sur  la  terre,  et  qui  n'est  différente  de  celle 
dvS  bienheureux  qu'en  ce  qu'elle  est  grâce 
et  mérite  dans  les  uns  el  récompense  da  s 
les  autres,  ctque,  la  sainteté  de  ceux-ci  étant 
consommée  par  la  possession  de  Dieu,  ils 
sont  dans  l'heureuse  nécessité  de  l'aimer,  et 
par  conséquent  dans  l'impossibilité  de  lui 
déplaire. 

Voulez-vous  savoir,  dit  saint  Augustin,  si 
vous  avez  celle  crainte  des  enfants  de  Dieu, 
interrogez  votre  cœur,  pénétrez  ses  re,  li  I 
sondez  les  sentiments  de  votre  con  çienec  : 
Juttrroga  cor  tuum  :  ces  biens.  c>  s  honne  i  =•• 
ces  dignités  que  Dieu  vous  donne  pour  l'uti- 
lité du  prochain  el  pour  votre  propre  sancti- 
fication, les  regardez- vous  comme  l'accom- 
plissement de  vos  souhaits  et  le  terme  de  vos 
désirs  ?  Préferez-vous  le  séjour  de  l'Egypte 
à  toutes  les  bénédictions  de  la  terre  promise, 
comme  les  Israélites  dans  le  déserl  ?  Consi- 
dérez-vou  F  ulre  vie  dans  l'éloignement,  et 
comme  un  avenir  fâcheux  qui  afflige  bien 
plus  votre  cœur  qu'il  n'anime  \olie  espé- 
rance? Voudriez-vous  que  ce  inonde,  dont 
les  jours  s'écoulent  avec  >aul  de  rapidité,  fut 
pour  vous  un  étal  de  consistance  el  un  séjour 
fixect  durable?  Si  cela  est,  vous  ne  craignez 
point  le  Seigneur. 

Mais  si,  plus  sensible  à  l'attrait  de  ses  mi- 


957 


DISCOURS  I  POUR  L'OUVERTURE  DES  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


9Ï'8 


séricordes  qu'aux  motifs  de  sa  colère  et  de  sa 
justice,  vous  dites,  comme  saint  Paul  :  Qui 
me  séparera  de  la  charité  de  Jésus-Christ  f  si, 
dans  le  doute  si  vous  êtes  digae  d'amour  ou  de 
haine,  vous  opérez  votre  salut  avec  frayeur; 
si,  touché  des  biens  invisibles  que  le  Seigneur 
promet  à  lous  ceux  qui  le  suivent,  vous  re- 
gardez le  monde  comme  une  cité  passagère 
et  un  exil  à  charge  à  votre  ferveur  et  à  votre 
foi;  si,  demandant  sans  cesse  à  Dieu  la  per- 
sévérance dans  la  grâce,  vous  appréhendez 
d'être  un  seul  jour  sans  i'aimer  cl  d'être  privé 
de  sa  présence  dans  tout  le  cours  de  l'éter- 
nité; si  vous  le  craignez  ainsi,  vous  l'aimez  : 
SI  expavisti,  amasli;  semblable,  dit  encore  ce 
même  Père,  à  une  épouse  vertueuse  et  fidèle, 
qui  lâche  de  plaire  à  son  époux  de  peur  de 
s'allier  son  indifférence,  qui  souffre  son 
éloignement  et  son  absence  a\ec  douleur,  et 
qui,  lui  conservant  toute  la  délicatesse  de  ses 
sentiments  et  de  ses  désirs,  s'afflige  des  délais 
d'un  retour  qui  fait  toute  son  attente  et  sou 
impatience. 

En  effet,  qu'est-ce  qu'un  chrétien,  à  con- 
sidérer par  les  règles  de  l'Evangile  son  es- 
sence, sa  fin  et  ses  devoirs  ?  c'est  un  homme 
qui,  connaissant  tout  le  poids  des  vœux  de 
son  biplême,  ne  s'occupe  que  du  soin  d'en 
remplir  les  obligations  ;  qui,  concevant  la  va- 
nité des  choses  qui  passent,  médite  les  éter- 
nelles vérités; qui, retenu  par  ce  cos  psde  inoBt 
qui  retarde  sou  impatience  ,  soupire,  comme 
sain!  Paul,  après  le  jour  de  ^n  entière  ré- 
demption ;  qui,  rendant  au  Seigneur  par  sa 
crainte  et  par  son  amour  les  hommages  qui 
lui  sont  dus,  désire  de  se  perdre  dans  le  sein 
de  Dieu,  qu'il  regarde  comme  sa  fin  et  son 
origine. 

Oui  ,  mes  frères,  c'est  par  celle  crainte 
chaste  et  filiale,  à  laquelle  se  rapporienl  tou- 
tes les  vci  lus  chrétiennes,  que  nous  rendons 
aux  attributs  de  Dieu  les  hommages  que 
nous  leur  devons: nous  honorons  sa  sagesse 
quand  nous  vivons  sous  sa  conduite  et  que 
nons  captivons  notre  esprit  suus  le  joug  de 
ses  commandements  et  de  sa  loi,  sa  justice 
quand  nous  tremblons  à  la  considération  de 
ses  vengeances,  sa  providence  en  nous  con- 
fiant à  ses  soins  cl  à  sa  bonté,  sa  toute-puis- 
sance en  lui  Consacrant  <e  que  nous  avons 
et  ce  que  nous  sommes,  la  simplicité  de  son 
être  en  rapportant  à  lui  seul  nos  désirs  et 
nos  volontés,  son  immensité  lorsque  nous 
nous  donnons  à  lui  sans  division  et  sans 
partage,  non  d'une  préférence  de  spécula  - 
lion,  qui  est  plutôt  une  vaine  pensée  de  l'en- 
tendement qu'une  solide  affection  du  cœur, 
mais  d'une  préférence  effective,  qui  adore 
et  qui  cherche  le  Créateur  en  tout  temp*  et 
tous  lieux,  dans  l'usage  même  des  créatures. 

Cependant  qu'y  ?-l-il  de  plus  commun 
parmi  les  chrétiens  que  ce  partage,  que  ce 
service  des  deux  maîtres,  que  le  Sauveur 
condamne  dans  l'Evangile?  On  place  dans  un 
même  cœur  l'arche  d'alliance  et  l'image  de 
Dagon,  et  l'on  voit  régner  Jésus-Christ  et 
Bélial  dans  le  cercle  d'une  même  vie;  on 
observe  les  devoirs  extérieurs  de  la  loi  de 
Dieu,  par  bieuséaucc  cl  par  habitude  de  re- 


ligion, et  l'on  se  prêle  au  monde  par  incli- 
nation et  par  attache;  on  croit  pouvoir  con- 
cilier ses  passions,  ses  plaisirs,  ses  spectacles 
avec  les  principes  de  sa  loi  et  les  pratiques 
du  christianisme.  Qu'il  y  a  de  demi-chrétiens, 
imitateurs  de  ces  demi-Juifs  qui  mêlaient  sur 
la  montagne  de  Samarie  le  culte  du  vrai  Dieu 
avec  l'adoration  des  idoles!  Combien  de  fem- 
mes mondaines  réservent  pour  le  Seigneur 
le  reste  de  leurs  pensées,  après  avoir  donné 
à  }a  vanité,  au  désir  de  plaire,  ces  belles 
années  où  la  piété  est  d'autant  plus  agréable 
à  Dieu,  qu'elle  trouve  plus  d'écueils  et  plus 
d'obstacles  parmi  les  hommes  I  On  quille  le 
monde  par  dépit,  après  qu'il  nous  a  quittés 
par  indifférence,  et  l'on  va  souvent  cacher 
dans  une  retraite  affectée,  et  qu'inspire  le 
chagrin  plus  que  la  piété,  les  débris  du  temps 
et  les  ruines  que  fait  la  vieillesse. 

Craignons  donc  le  Seigneur,  mes  frères, 
c'est  l'obligation  de  notre  étal  et  c'est  le 
fondement  de  notre  sanctification;  soyons 
assez  parfaits  pour  être  pénétrés  de  celte 
crainte  des  enfants  de  Dieu  ;  aimons  celui  qui 
nous  a  aimés  dans  l'éternité,  avant  que  nous 
fussions  dans  la  durée  des  temps,  et  dont  la 
prédilection  qu'il  a  eue  pour  nous,  avant 
nous,  comme  parle  l'Apôtre,  a  été  la  première 
grâce  de  notre  vocation.  Comment  peut-on 
ne  pas  aimer  Jésus-Christ,  lui  qui  s'est  con- 
sacré tout  entier  à  l'ouvrage  de  notre  ré- 
demption, et  dont  la  charité,  soit  dans  les 
abaissements  de  son  incarnation,  soit  dans 
les  humiliations  de  sa  vie  mortelle,  soit  dans 
l'ignominie  et  le  scandale  de  la  croix,  a  été 
en  quelque  façon  si  peu  convenable  â  sa 
grandeur  et  à  sa  gloire? 

Mais,  si  nous  ne  sommes  point  parfaits, 
soyons  au  moins  pénilents,  reconnaissons  la 
main  de  Dieu,  appesantie  sur  nous  par  tant 
de  calamités  publiques  et  particulières;  hu- 
milions-nous à  la  vue  de  tant  de  maux  pré- 
sents, cl  détournons  par  une  i  raiute  salutaire 
les  tribulations  dont  Dieu  nous  menace; 
souvenons-nous  qu'il  mesure  ses  vengeances 
sur  l'amour  qu'il  a  eu  pour  nous,  qu'il  pro- 
portionne la  sévérité  de  ses  jugements  à  l'ex- 
cès de  ses  miséricordes,  et  qu'il  imite  sa 
charité  dans  l'étendue  qu'il  donne  à  sa  colère 
cl  à  sa  justice.  Vous  avez  vu  l'obligation 
qu'il  y  a  de  le  craindre,  eut  timorem,  timo- 
rem;  voyons  colle  que  nous  avons  de  secourir 
le  roi  dans  les  besoins  de  l'Etat,  cui  tribu- 
tum,  ti  ibulum:  c'est  mon  deuxième  point. 

DEUXIÈME   POINT. 

Je  ne  puis,  mes  frères,  vous  proposer  de 
preuves  plus  solides  de  l'obligation  de  rendre 
aux  rois  ce  que  nous  leur  devons,  que  la 
manière  dont  l'apôtre  saint  Paul  explique 
cette  vérité  dans  cette  divine  Epîtrc  où  il 
nous  découvre  les  plus  grands  mystères  de 
la  religion  et  les  principaux  devoirs  de  la 
morale  chrétienne;  il  n'y  a  point  de  matière 
qu'il  ait  traitée  avec  plus  d'étendue  que  celle 
dont  je  vais  parler  :  il  nous  assure  que  la 
paix  et  le  repos  des  consciences,  la  félicité 
des  Etats,  la  sûreté  même  du  culte  divin, 
roulent  sur  le  ministère  des  princes  et  sur 


y.vj 


ORATEURS  SACRES.  DE  NESMONU. 


l'obéissance  des  sujets  ;  et  l'apôlre  saint 
Pierre,  après  nous  avoir  recommandé  «le 

craindre  Dieu  et  d'aimer  nos  frères  (les  deux 
grands  commandements  de  la  lui  nouvelle), 
ajoute  d'honorer  les  rois,  connue  s'il  y  avait 
dans  ces  trois  devoirs  unité  d'obligation  et 
de  précepte. 

Or,  la  nécessité  de  conti  iDuer  aux  besoins 
de  l'État  par  nos  subsides,  qui  sont  comme 
la  marque  et  l'hommage  de  noire  dépendance, 
est  fondée  principalement  sur  deux  raisons: 
la  religion  nous  l'ordonne,  et  notre  intérêt 
même  nous  y  excite;  la  religion  en  est  la 
loi,  et  notre  intérêt  en  est  le  motif;  deux 
raisons,  Messieurs,  que  j'ai  à  vous  proposer, 
moins  pour  votre  instruction  que  pour  voire 
éloge:  votre  fidélité, qui  se  distingue  toujours, 
ne  laisse  rien  à  faire  à  mes  paroles,  et  je  ne 
viens  pas  animer  voire  zèle,  mais  \ous  en 
faire  connaître  tout  le  prix  et  luul  le  mérite. 
Je  dis  donc  que  la  religion  nous  ordonne 
de  secourir  les  princes  dans  leurs  besoins, 
et  c'est  la  raison  dont  se  servait  ïertullien 
lorsqu'il  répondait  aux  reproches  que  fai- 
saient les  païens  aux  premiers  fidèles.  Vous 
nous  accusez,  leur  disait-il,  d'avoir  un  esprit 
d'indépendance  pour  nos  maîtres  et  une  in- 
différence criminelle  pour  les  nécessités  de 
l'Etat;  tous  vous  trompez,  les  empereurs 
n'ont  point  de  soldats  plus  vaillants  que  nous, 
ni  de  sujets  plus  fidèles;  les  légions  chrétien- 
nes sont  invincibles,  parce  quelles  sont  ani- 
mées par  l'ordre  du  Dieu  qu'elles  adorent  et 
par  les  principes  de  la  foi  qu'elles  professent; 
nous  payons  nos  tributs  avec  joie,  et  nous 
sacrifions  nos  vies  avec  courage;  pendant  que 
les  uns  répandent  leur  sang  dans  les  hasards 
de  la  guerre,  les  autres,  renfermés  dans  les 
soins  d'une  administration  domestique,  tirent 
de  leur  économie  et  de  leur  substance  des  fonds 
pour  les  intérêts  de  la  patrie.  Nos  princes 
sont  encore  plus  les  maîtres  de  nos  cœurs  que 
de  nos  fortunes,  et  votre  fidélité,  qui  n'est  en 
vous  que  l'effet  d'une  crainte  humaine  et  d'un 
intérêt  politique,  est  en  nous  un  devoir  de 
religion  et  un  article  de  notre  créance. 

C'est  ainsi  que  Tertullien  louait  le  zèle 
des  premiers  chrétiens  de  son  temps,  et  saint 
Jérôme  nous  assure  que  saint  Paul  n'a  ex- 
pliqué ce  précepte  avec  tant  de  fore*;  et  d'ap- 
plication que  pour  confondre  la  malice  de 
certains  indépendants  et  de  quelques  enne- 
mis de  la  subordination  et  de  l'ordre,  secta- 
teurs de  Judée  de  Galilée,  qui  disaient  que 
Dieu  seul  devait  être  appelé  Maître  et  Sei- 
gneur, et  qui  en  liraient  cette  conséquence 
factieuse,  qu'il  suffisait  de  porter  au  temple 
les  dîmes  et  les  offrandes,  et  qu'il  ne  fallait 
point  payer  de  tributs  aux  princes,  comme 
si  le  Seigneur  avait  voulu  se  réserver  à  lui 
seul  cetle  marque  de  notre  dépendance  et  de 
son  pouvoir. 

Mais  saint  Paul,  que  saint  Chrysostomc 
appelle  le  prédicateur  de  l'autorité  des  rois, 
établit  ma  proposition,  d'abord  par  l'inslilu- 
tiou  que  Dieu  a  faite  des  puissances  de  la 
terre  :  Omnis  pointas  a  Deo  ordinata  est; 
voilà  le  droit  primitif,  lit  saint  Grégoire  pape 
(t)  l.e  comte  dePeyre. 


remarque  que,  lorsque  Samuel,  selon  les 
ordres  de  Dieu,  plaça  Saiïl  sur  le  trône  d'Is- 
raël, les  Israélites  pieux  et  dociles  adorèrent 
la  vocation  du  Seigneur  dans  la  personne  de 
ce  roi,  et  que  les  seuls  enfants  de  Déliai,  c'est- 
à-dire  les  ennemis  de  la  loi ,  des  ho:. mies 
vains  et  orgueilleux,  des  libertins  de  cour  et 
d'esprit,  si  pernicieux  au  bien  public,  refu- 
sèrent de  s'y  soumettre  et  d'apporter  les  dons 
qui  étaient  dus  à  la  souveraineté  de  ce  nou- 
veau prince.  Filii  veto  Iielial  desptxerunt 
eum,  et  non  nltulerunt  ei  munera. 

L'Apôtre  dit  ensuite  que  les  rois  sont  les 
ministres  du  Seigneur;  car,  quoique  Dieu 
soit  le  chef  invisible  de  l'univers,  il  leur  en 
confie,  non  par  besoin  mais  par  sagesse, 
l'adminislr  .lion  cl  la  police,  afin  que,  révélas 
de  la  puissance  qu'il  leur  commet,  ils  main- 
tiennent parmi  leurs  sujets  l'ordre  et  le  repos 
que  la  cupidité  des  hommes  pourrait  trou- 
bler; pouvoir  qui  n'est  pas  fondé  par  consé- 
quent sur  un  établissement  humain,  ni  sur 
la  loi  du  plus  fort,  ni  sur  les  qualités  person- 
nelles du  plus  vertueux,  mais  sur  l'institution 
de  Dieu  seul;  et  c'est  par  celte  raison  que 
les  princes  sont  appelés  par  l'Ecriture  les 
ministres,  non  pas  des  hommes,  mais  de 
Dieu,  pour  marquer  par  ces  termes  la  voca- 
tion toute  divine  d'un  ministère  qui  réside 
dans  les  rois  comme  dans  sa  source,  ensuite 
par  émanation  dans  ceux  qu'ils  choisissent 
pour  êlre  les  dépositaires  de  leur  aulorilé, 
et  à  qui  l'apôtre  saint  Pierre  nous  ordonne 
de  rendre  des  tributs  d'honneur  et  de  véné- 
ration :  Subditi  estote  régi  quasi  prœcellenti, 
et  ducibus  ab  eo  rnissis.  Notre  cœur,  plus  en- 
core que  notre  devoir,  nous  inspire  ces  sen- 
timents pour  ce  lieutenant  général  (1)  qui 
représente  ici  le  caractère  du  prince;  qui, 
par  la  droiture  de  son  cœur  et  la  solidité  do 
son  esprit,  fait  honorer  dans  sa  personne 
autant  son  mérite  que  sa  dignité,  et  qui  par 
sa  |  résence  nous  console  de  la  douleur  de  ne 
plus  posséder  ici  ce  général  (21  illustre  dont 
les  vertus  nous  seront  toujours  chères  et 
toujours  présentes,  et  dont  la  proteclion  a 
été  aussi  utile  auprès  du  roi  à  celle  province, 
que  sa  prudence  et  sa  valeur  l'ont  élé  conlre 
nos  ennemis  sur  noire  frontière. 

Mais  comme  le  ministère  des  rois  a  des  oc- 
cupations importantes,  et  qu'ils  s'appliquent 
tantôt  pendant  la  paix  à  réformer  les  abus, 
à  maintenir  les  lois  et  à  procurer  la  félicité 
des  royaumes,  lanlôt  pendant  la  gu<  rre  à 
entretenir  des  armées  nombreuses,  à  dissi,  er 
des  ligues,  à  défendre  les  frontières;  el  ces 
fonctions  étant  ou  saintes  en  elles-mêmes  ou 
nécessaires  au  bien  public,  il  s'ensuit,  con- 
clut l'Apôlre,  que  nos  contributions,  consa- 
crées par  la  sainteté  de  ces  motifs  et  par 
l'importance  de  l'us.ige,  sont  précieuses  aux 
yeux  de  Dieu;  que  les  efforts  que  nous  fai- 
sons du  fond  de  noire  pauvreté  nous  sont 
imputés  à  mérite,  el  que  ces  bit  ns  que  nous 
sacrifions  pour  la  défense  de  l'Etat,  tout  pas- 
sagers qu'ils  sont  par  leur  matière,  acquiè- 
rent, par  le  précepte  du  Seigneur  el  par  la 
considération   de  l'utilité  de   la   pairie,   un 

(a)  Le  duc  de  Moailles. 


9G1 


DISCOURS  I  POUR  L'OUVERTURE  DES  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


9Gâ 


caractère  de  spiritualité  pour  l'avantage  et 
la  perfection  de  notre  salut.  Aussi  TEcriture 
appelle  les  subsides  une  dette;  ce  n'est  donc 
pas  seulement  un  don  que  notre  naissance 
exige  de  nous,  ce  n'est  pas  une  libéralité 
purement  gratuit*1,  que  nous  inspirent  notre 
fidélité  et  notre  zèle,  ce  n'est  pas  un  joug 
que  le  pouvoir  des  princes  impose  sur  la 
fortune  des  sujets,  c'est  une  dette  dans  toute 
la  rigueur  de  la  justice  :  comme  Dieu  est  le 
Seigneur  et  le  dispensateur  suprême  de  nos 
biens,  il  a  voulu  en  réserver  sur  nous  une 
portion  pour  les  nécessiiés  de  l'Etat,  comme 
il  y  en  a  une  pour  celle  des  pauvres  ;  et  si  la 
charité  chrétienne,  qui  s'occupe  par  l'au- 
mône à  soulager  les  besoins  des  malheureux, 
et  qui  n'a  qu'une  utilité  passagère,  est  pour- 
tant un  commandement  si  précis  par  l'Evan- 
gile, que  devons-nous  penser  de  l'excellence 
et  de  l'obligation  de  cette  espèce  de  charité 
qui  pourvoit  aux  nécessités  publiques,  qui 
prévient  des  malheurs  universels,  qui  com- 
prend dans  l'étendue  de  ses  motifs  cl  de  ses 
effets  le  bonheur  et  le  repos  de  tout  un 
royaume? 

Vous  me  direz  sans  doute  que  ces  maxi- 
mes sont  certaines,  que  vous  connaissez  vos 
devoirs,  mais  que  la  pratique  en  est  difficile; 
je  l'avoue  :  permettons  les  gémissements  à 
ces  malheureux  qui, portant  tout  le  poids  du 
jour  et  de  la  chaleur,  n'ont  pour  ressource 
que  leur  travail  et  leur  industrie  ;  qui,  victi- 
mes innocentes  d'une  guerre  longue  et  opi- 
niâtre, perdent  quelquefois  dans  un  moment, 
par  la  main  du  soldat  et  de  l'ennemi ,  plu- 
sieurs récolles  dans  une  seule  et  l'espoir  de 
plusieurs  années  ;  qui  ne  sèment  et  ne  mois- 
Bonnenl  que  pour  acquill  r  leurs  subsides  , 
et  à  qui  nous  pouvons  appliquer  ce  que  dit 
saint  Augustin  ,  que  ,  pendant  que  les  uns  , 
aisés  et  opulents  dans  les  villes  ,  s'adonnent 
au  penchant  de  leurs  convoitises  ,  suites  fu- 
nestes du  péché  du  premier  homme  ,  les  au- 
tres ,  dans  les  tribulations  et  les  travaux  de 
la  campagne  ,  semblent  en  souffrir  ici-bas 
tou'e  la  malédiction  et  toute  la  peine. 

Mais  parmi  tant  de  malheureux  ,  combien 
y  a-t-il  de  citoyens  qui  sont  avares  et  indif- 
férents quand  il  faut  contribuer  aux  besoins 
publics  ,  et  qui  ne  sont  que  trop  prodigues 
pour  entretenir  leur  faste  et  pour  rechercher 
leurs  plaisirs  1  On  ne  s'entretient  dans  le 
monde  que  de  la  diminution  des  revenus  et 
de  la  difficulté  de  subsister  ;  cependant  il  n'y 
eut  jamais  plus  de  magnificence  dans  les  bâ- 
timents ,  dans  les  meubles  et  dans  les  modes 
qu'invente  tous  les  jours  noire  nation,  fertile 
en  moyens  de  se  ruiner  ;  les  nécessités  de 
l'Etat  nous  coûlenl-elles  ce  que  nous  coû- 
tent notre  passioi  et  noire  mollesse?  Hé  I 
pourquoi  rejelez-vous  avec  injustice  sur  les 
subsides  que  vous  payez  le  désordre  de  vos 
affaires  ,  qui  est  plutôt  la  suite  des  folles  dé- 
penses qui  vous  épuisent  et  qui  vous  consu- 
ment? 

Or,  ce  n'est  pas  seulement  un  devoir  de 
religion  qui  nous  excite  à  secourir  l'Etat  , 
notre  intérêt  aussi  nous  y  oblige  (deuxième 
réflexion  )  ;  et  c'est  la  raison  dont  se  servait 


l'apôtre  saint  Pierre ,  quand  il  disait  aux 
prosélytes  de  la  dispersion  de  l'Asie  qu'ils 
étaient  libres  à  li  vérité,  puisqu'ils  étaient 
affranchis  de  la  servitude  du  démon  par  la 
grâce  de  l'adoption  qu'ils  avaient  reçue  dans 
le  baplême,  mais  que  cette  liberté  n'était  pas 
une  exemption  de  dépendance  ,  parce  qu'é- 
tant les  serviteursdeDieu  ils  devaient,  et  par 
l'obligation  de  leur  conscience,  et  par  l'inté- 
rêt même  de  leur  conservation  et  de  leur  re- 
pos ,  l'être  aussi  des  princes  que  Dieu  avait 
établis  pour  les  gouverner  et  pour  les  défen- 
dre. 

Vous  pratiquez  ces  préceptes  ,  Messieurs  : 
plus  vous  êtes  libres  ,  plus  votre  fidélité  so 
signale  dans  vos  dons  ;  vous  consultez  bien 
plus  votre  zèle  que  votre  pouvoir.  Celte  li- 
berté qui  autrefois,  pour  me  servir  des  paro- 
les du  même  apôtre  saint  Pierre,  dans  les 
temps  difficiles  et  oubliés  ,  était  le  prétexte 
de  la  faction  et  de  la  cabale,  est  aujourd'hui 
votre  gloire  et  votre  mérite  ;  et  tout  l'usage 
que  vous  en  faites  est  de  vous  épuiser  sans 
cesse  par  de  nouveaux  efforts  pour  soutenir 
le  poi  1s  d'une  guerre  que  nos  péchés  ont  at- 
tirée et  que  Dieu  seul  peut  finir. 

Souvenons-nous  des  temps  heureux  qui 
l'ont  précédée  ;  trompons  ,  s'il  est  possible  , 
l'idée  de  nos  contributions  présentes  par  le 
ressouvenir  de  noire  abondance  passée  et  par 
l'espoir  d'un  meilleur  avenir. 

Cette  monarchie  était  formidable  à  tout 
l'univers  ,  et,  pour  parler  le  langage  de  l'E- 
criture ,  toule  la  terre  était  dans  la  crainte  et 
dans  le  silence.  Les  uns,  admirateurs  de  no- 
tre gloire  ,  recherchaient  notre  alliance  ;  les 
autres ,  jaloux  en  secret  de  nos  prospérités  , 
redoutaient  notre  ascendant  :  l'opulence  , 
suite  ordinaire  de  la  paix,  faisait  la  félicité 
publique  ,  nos  subsides  n'excédaient  point 
notre  pouvoir,  et  l'on  venait  des  extrémités 
du  monde  admirer  le  bonheur  de  ce  florissant 
royaume,  et  surtout  la  grandeur  d'un  roi 
dont  les  héroïques  actions  paraîtront  à  la 
postérité  ou  fabuleuses  ou  exagérées  ,  et  du- 
quel nous  pouvons  dire  ce  que  disait  uue 
grande  reine  à  Salomon  ,  qu'il  surpasse  les 
autres  rois  par  une  dislance  infinie  de  mé- 
rite, cl  la  renommée  même  par  la  supériorité 
de  ses  vertus:  Vicisti famamvirtutibus  luis. 

Mais  elle  ne  dura  pas  longtemps  ,  celle 
paix  dont  toute  l'Europe  jouissait.  Les  divi- 
sions cl  les  ruptures  entre  les  nations  vien- 
nent, selon  l'apôtre  saint  Jacques  ,  des  ini- 
quités des  hommes;  les  maux  que  nous  souf- 
frons sont  les  peines  des  crimes  que  nous 
commettons,  et  les  créatures  ne  se  soulèvent 
les  unes  contre  les  autres  que  parce  qu'elles 
ont  offensé  celui  qui  les  a  créées. 

En  effet,  quel  usage  avons-nous  fait  des 
douceurs  de  la  paix  pour  notre  sanctifica- 
tion ?  Quelles  réflexions  faisons-nous  pour 
notre  instruction  sur  les  incommodités  de  la 
guerre?  Tout  le  monde  gémit  et  se  plaint, 
et  personne  ne  se  convertit.  Qui  de  nous 
cherche  la  cause  de  ses  malheurs  dans  ses 
péchés  el  le  remède  dans  la  pénitence? Nous 
sommes  affligés  ,  mais  c'est  de  la  tristesse  de 
ce  monde  qui  produit  la  mort,  cl  non  pas  de 


9C3 


ORATEERS  SACRES.  DE  NESMOND. 


W4 


colle  qui  est  selon  Pieu  ,  qui  assura  le  salut 
et  opère  la  conversion.  V  eut-il  jamai  •  plus 
de  dérèglement  dans  les  mœurs  .  plus  d'or- 
gueil et  d'ostentation  dans  les  prtti  |Ues  ex- 
térieures de  la  piété,  plus  de  venin  dans  la 
médisance  '.' 

Je  dis  ,  plus  de  venin  dans  la  médisam  \t  : 
car  y  al  il  dans  le  coin  ;orcc  du  monde  des 
conversations  dont  le  prochain  ne  soit  pas  le 
sujet  ou  la  victime?  Ou  ami  on  ne  peut  cen- 
surer ses  actions  ,  on  se  plaît  à  produire  le 
ridicule  des  personnes  dans  cm  récils  impos- 
teurs que  sème  l'imprudence  ou  la  calom- 
nie ;  les  méchants  ne  se  font-ils  pas  un  plai- 
sir de  les  répandre?  les  plus  sages  se  font-ils 
un  scrupule  de  les  écouler  ?  et  les  médisan- 
ces les  plus  fausses  et  les  plus  grossières  , 
quand  elles  sont  inventées  avec  artifice  et 
débitées  avec  esprit  ,  ne  trouvent-elles  pas 
partout  de  l'impunité  ,  de  l'applaudissement 
et  de  la  créance  ? 

Mais  ne  bornons  pas  l'effet  de  nos  subsides 
au  seul  motif  de  notre  conservation,  et  con- 
solons-nous des  efforts  que  nous  faisons,  par 
la  suite  continuelle  de  nos  victoires.  Dieu 
s'intéresse  pour  nous  ,  selon  sa  proii.es  e  , 
parce  que  nous  combattons  pour  lui  ,  et  re- 
connaissons dans  le  succès  qu'il  donne  à  nos 
armes  l'emploi  de  nos  contributions  et  la 
justice  de  notre  cause.  Une  adversité  a  trou- 
blé dans  celle  campagne  la  joie  de  nos  con- 
stantes prospérités  ;  ruais  les  éléments  ont 
élé  le  principe  de  notre  malbeur,  et  non  pas 
le  courage  de  nos  ennemis  :  les  vaincus  ont 
acquis  plus  de  gloire  que  les  vainqueurs  ,  et 
celui  à  qui  la  mer  et  les  Ilots  obéissent ,  et 
qui  lire,  selon  l'expression  d'un  prophète, 
les  vents  de  ses  trésors  pour  les  distribuer 
sur  la  terre,  a  voulu  une  seule  fois  nous  faire 
sentir  le  poids  de  nos  iniquités  par  une  dis- 
grâce. Tous  les  événements  glorieux  de  celle 
campagne  nous  ont  dédommagés  de  celle 
perte:  la  prise  d'une  place  autrefois  la  ter- 
reur des  plus  grands  capitaines ,  forte  par 
l'art  et  par  la  nature,  défendue  par  le  dérè- 
glement des  saisons,  encouragée  par  une  ar- 
mée de  libérateurs  qu'elle  voyait  de  ses  mu- 
railles, a  élé  l'ouvrage  seulement  de  quelques 
semaines;  tous  les  alliés  accoururent  au 
spectacle  de  sa  capitulation  plutôt  qu'au  se- 
cours de  ses  défenseurs,  el  le  roi,  par  sa  va- 
leur ,  son  expérience  ,  et  malgré  mille  périls 
dont  nous  frémissons  encore  ,  termina  une 
conquête  que  nos  ennemis  mêmes  regardent 
comme  l'abrégé  de  sa  gloire  el  le  chef-d'œu- 
vre de  ses  exploits. 

Béni  soyez-vous,  Seigneur  1  Vous  avez  élé 
le  Dieu  de"  nos  pères,  vous  êtes  encore  le  nô- 
tre ;  nous  adorons  vos  bontés  ,  cl  nous 
voyons  que  vous  n'avez  pas  raccourci  sur 
nous  vos  miséricordes. 

Une  victoire  couronna  cet  important  suc- 
cès ;  les  ennemis,  malgré  la  situation  des 
lieux  et  la  supériorité  du  nombre  ,  furent 
contraints  de  se  retirer  el  d'avouer  leur  dé- 
faite; nos  bataillons  liront  voir  dans  ce  san- 
glant combat  que  si  on  pouvait  les  attaquer, 
on  ne  pouvait  les  vaincre  ,  et  égalèrent  par 

(t)  Le  dm  du  Maine. 


une  noble  é.nulalion  la  gloire  qu'avaient  ac- 
qin-"  auparavant  nos  escadrons  dans  les 
champs  de  Leuse  et  de  I  leurtlS  ,  journées  si 
Honorables  I  noire  nation  et  surtout  à  ce 
leiuie  prince  (1)  que  celte  province  a  pour 
gouverneur  ,  qui  signala  son  bris  i  ar  des 
prodiges  de  courage  ,  el  qui  ne  fi  pas  BB0I01 
admirer  son  intrépidité  à  nos  soldais,  qui 
son  savoir  dans  l'art  militaire  à  DOS  capitai- 
ne-. 

Tous  ces  avantages  sont  à    la   vérité   . 
rieux,  mais   qu'il  en  coule  de   d<    en  co 

royaume  épuise  !  Les  con'.re-iemps  des  sai- 
sons ,  qui  n'ont  point  retardé  nos  exploits , 
ont  l'ait  perdre  presque  partout  l'espérai 
des  récolles.  Nous  avons  \u  ce  que  dit  lo 
Sage,  au  milieu  de  l'été  la  rigueur  el  les  fri- 
mas de  l'hiver  :  la  terre  n'a  produit  (tue  des 
herbes  au  lieu  des  mu -sons;  le  ciel,  au  lien 
de  rosées,  ne  nous  a  donné  que  des  pluies  et 
des  tempêtes,  c'est  le  langage  de  l'Ecriture  ; 
a  la  sécheresse  îles  dernières  anaéea  ont 
succédé  les  inond  lions  de  celle-ci.  Rendez 
grâces  au  ciel ,  peuples  de  ce  beau  (limai, 
donl  Dieu  a  béni  les  campagnes  par  une 
heureuse  fertilité,  et  qu'il  a  par  sa  protection 
préservé  des  gémissements  des  antres  con- 
trées et  d'une  stérilité  presque  universelle. 

Mais  plus  la  guerre  nous  épuise  par  sa 
durée  ,  plus  nous  devons  faire  d'efforts  pour 
la  soutenir  ;  la  bon'.,'  du  Seigneur  nous  dé- 
dommagera quelque  jour  de  ce  que  nous 
coûte  la  haine  d'une  ligue  injuste:  si  nous 
n'avons  pas  l'abondance  que  danne  la  paix  , 
au  moins  nous  en  goûlons  ici  le  repof  :  le  fer 
et  le  feu  des  ennemis  n'ont  dévore  ni  nos 
maisons  ni  nos  villes,  et  celte  province  a 
dans  son  épuisement  la  consolation  d'avoir 
un  intendant  (2)  qui  connaît  ses  besoins  et 
qui  les  soulage,  qui  n'est  pas  nions  le  pro- 
tecteur des  peuples  par  la  bonté  de  son  na- 
turel, que  l'homme  du  roi  par  son  applica- 
tion et  par  son  zèle  :  qui  ,  par  un  mérite  si 
connu  el  si  honoré,  donne  un  nouvel  éclata 
l'ancienne  gloire  de  sa  famille,  el  qui  ,  af- 
franchi du  motif  dangereux  de  faire  valoir 
son  ministère  aux  dépens  de  la  vérité ,  ne 
consulte  dans  son  administration  que  les 
mouvements  de  son  équité  el  les  inspira- 
lions  de  sa  conscience. 

Oépcedela  justieedeDieu!  ne  vousrcpose- 
rez-vous point  sur  la  terre?  disait  le  prophète 
Jérémie  :  O  mucro  Vomini!  usquequu  non 
quitecos?  ingreéertin  vugiiiam  (nom.  Seigneur, 
rempli rez-vous  encore  longtemps  l'univers 
des  horreurs  sanglantes  de  votre  vengeance? 
Soullrirez-vousqueEennemi  du  nom  chrétien 
Be  prévale  de  nos  d  irisions?  Vous  avez  permis 
qu'un  souverain  d'une  maison  si  catholique 
prélorâlà  la  ruine  presque  certaine  de  cel  em- 
plie infidèle  une  guerre  quedes  soupçons  mé- 
nages avec  arUlice  lui  ont  inspirée:  aussi  avez- 
vous  voulu  que  le  vol  de  l'aigle  impériale,  si 
rapide  dans  la  Hongrie,  s'arrêtât  sur  les  bords 
du  Rhin,  el  que  ,  malgré  l'inondation  de  tant 
d'ennemis  .  nos  troupes  s'enrichissent  tous 
les  jours  de  leurs  perles  et  de  leurs  dépouil- 
les. IN 'inspirerez-vous  point  des    sentiments 

'2)  M.deRuville. 


96:i 


DISCOURS  I  POUR  [/OUVERTURE  DES  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


960 


de  repentir  à  ceux  qui ,  à  la  houle  do  la  re- 
ligion, onl  toléré  l'abomination  de  la  désola- 
tion dans  le  lieu  saint  ,  et  les  ministres  de 
l'erreur  dans  la  chaire  même  de  la  vérité? 
Ne  metlrez-vous  point  des  bornes  à  une 
guerre  si  funeste  à  toute  l'Europa?  et  voire 
colère  ne  cédera-l-elle  point  à  votre  clémen- 
ce ?  vous  qui ,  dans  l'excès  de  votre  justice  , 
selon  l'expression  du  Prophète,  ne  pouvez 
oublier  vos  miséricordes. 

Oui,  mes  frères,  nos  péchés  ont  mérité  les 
vengeances  de  Dieu  ,  notre  piété  attirera  ses 
bontés.  La  colombe  gémit ,  dit  saint  Augus- 
tin, c'est-à-dire,  les  âmes  saintes  prient ,  et 
Dieu  accorde  à  leurs  cris  ei  à  leurs  prières 
le  bonheur  et  la  tranquillité  des  Etats.  Les 
grands  succès,  qui  sont  en  apparence  l'ou- 
vrage de  la  valeur  ,  de  la  sagesse  cl  de  l'in- 
dustrie des  hommes,  sont  souvent  la  récom- 
pense d'une  âme  juste,  inconnue  au  monde, 
etqueDieu  s'est  réservée  dans  le  secret  de  sa 
face  ;  le  roi  ,  après  avoir  été.  le  maître  de  la 
guerre  ,  sera  encore  une  fois  l'arbitre  et  le 
pacificateur  de  l'Europe  ,  cl  si  nos  lauriers 
sont  depuis  longtemps  employés  à  couronner 
nos  vainqueurs  ou  à  marquer  nos  victoires, 
peut-être  qu'à  leur  tour  les  branches  de  vos 
oliviers  seront  bientôt  le  symbole  d'une  paix 
solide  et  durable. 

Demandons-la  à  Dieu  celte  paix  dans  nos 
prières  ,  méritons-la  par  nos  vertus  ,  cl  édi- 
tions-nous les  uns  les  attifes  dans  le  cours 
de  nos  séances  par  de  bons  exemples  ,  oui 
honorent,  honorent;  c'est  la  troisième  partie 
de  ce  discours ,  que  je  finis  en  peu  de  paroles 
pour  ne  pas  abuser  plus  longtemps  de  votre 
attention. 

TROISIÈME    POINT. 

Quoique  le  précepte  de  rendre  l'honneur  à 
ceux  à  qui  nous  le  devons  semble,  dans  le 
sons  le  plus  naturel  ,  s'entendre  dos  puis- 
sances de  la  terre  à  qui  l'ordre  du  ciel  nous 
a  soumis,  cependant  saint  Jean  Chrysostome 
l'applique  à  celui  de  l'édification  mutuelle  ; 
car  comme  nous  sommes  débiteurs  à  Dieu 
de  notre  amour  cl  au&  rois  de  nos  respects 
cl  de  nos  hommages  ,  nous  le  sommes  aussi 
au  prochain  de  nos  bons  exemples  ,  par  les- 
quels il  est  vrai  de  dire  que  nous  rendons 
l'honneur  que  nous  devons  au  litre  de  chré- 
tiens que  nous  portons  depuis  le  baptême  ; 
et  suivant  cette  pensée  je  dis  que  nous  de- 
vons tous,  par  la  pratique  des  vertus  de  no- 
tre état,  honorer  le  ministère  qui  nous  ap- 
pelle en  ce  lieu,  dans  le  même  sens  que  saint 
Paul  se  rendait  témoignage  à  lui-même  qu'il 
honorait  celui  de  l'apostolat  par  la  sainteté 
que  demandaient  de  lui  des  fonctions  si  ex- 
cellentes et  si  relevées. 

Aussi  le  commandement  en  général  le  plus 
recommandé  à  tous  les  chrétiens,  et  dont 
l'expérience  nous  fait  le  plus  connaître  la 
nécessité,  est  celui  d'édifier  nos  f.  ères  ;  et  en 
effet,  ce  serait  donner  des  bernes  trop  étroi- 
tes à  la  perfection  chrétienne  que  d  !  la  ren- 
fermer dans  des  vertus  stériles  et  purement 
intérieures  :  la  même  loi  qui  nous  ordonne 
de  cacher  une  partie  de  nos  bonnes  œuvres 
par  humilité ,   nous   commande  aussi   d'en 


laisser  voir  par  nécessité  ce  qui  est  néces- 
saire à  l'édification  des  autres ,  la  sainteté 
n'acquérant  cette  plénitude  de  justice  dont 
parle  l'Ecriture  que  lorsqu'elle  se  communi- 
que au  prochain  par  l'efficace  de  l'imitation 
et  de  l'exemple. 

De  là  vient  que  l'Apôtre  nous  enseigne 
que  Dieu  ,  dent  la  sagesse  a  établi  des  états 
différents  parmi  les  hommes,  H  assigné  à 
chacun  de  nous  dos  devoirs  particuliers  à  la 
condition  où  il  nous  appelle,  a  fait  un  pré- 
cepte universel  pour  tous  les  états,  renfer- 
mé dans  ces  paroles  :  Unusquisque  vestrum 
proximo  suo  placeat  in  bonum  ad  œdifica- 
tionem  :  Que  chacun  de  vous  se  rende  nlile 
au  prochain  en  PédifiGiU;  et  il  ajoute  que 
cette  obligation  e-t  plus  ou  moins  essentielle 
en  nous  a  proportion  que  nous  sommes  éle- 
vés, que  plus  on  est  distingué  par  les  digni- 
tés et  par  la  naissance,  plus  on  est  respon- 
sable de  la  régularité  de  sa  conduite,  et  que, 
comme  les  péchés  des  grands  deviennent 
d'ordinaire  la  mode  et  la  règle  des  petits  , 
leurs  vertus  aussi  servent  avec  plus  de  fruN 
à  la  sanctification  du  prochain  et  à  l'hon- 
neur et  à  l'avancement  de  la  religion, 

Or  l'Ecriture  a  fait  de  l'exemple  un  pré- 
cepte si  précis  et  si  absolu  principalement 
pour  deux  raisons  :  premièrement  il  con- 
tribue à  l'augmentation  et  à  la  gloire  de 
l'Eglise,  et  c'est  ainsi  que  s'en  explique  Ter- 
tullien  ,  dans  le  livre  de  la  Résurrection.  On 
reprochait  aux  premiers  chrétiens,  dit  ee 
Père,  que  leurs  dogmes  étaient  incroyables, 
que  la  raison  se  déclarait  contre  les  mystères 
de  leur  foi,  que  la  mort  qu'ils  souffraient 
pour  elle  élail  plutôt  un  désespoir  qu'une 
action  d'un  véritable  courage,  et  que  la  croix 
de  celui  qu'ils  adoraient  n'était  pas  moins 
injurieuse  au  législateur  qu'à  ceux  qui 
étaient  les  sectateurs  do  sa  doctrine.  Mais 
lorsqu'on  les  voyait  si  purs  et  si  irrépréhen- 
sibles dans  leur  conduite,  si  charitables  dans 
la  distribution  de  leurs  biens,  si  humbles 
dans  leurs  actions,  leur  vie  devenait  la  preuve 
de  leur  religion  ;  leur  piété  était  l'apologie 
do  leurs  dogmes,  et  leur  sang  était  la  fécon- 
dité du  christianisme.  Los  païens  étaient  tou- 
chés et  convertis  par  leurs  vertus,  el  ceux 
qui  se  révoltaient  contre  la  vérité  dos  mys- 
tères cédaient  enfin  à  la  persuasion  do  lu 
sainteté  et  à  la  force  du  bon  exemple. 

C'est  aussi  par  cette  raison  que  Jésus- 
Christ  dit  à  tous  les  fidèles,  dans  la  personne 
de  ses  apôtres,  qu'ils  sont  la  lumière  pour 
éclairer  tous  cou*  qui  habitent  dans  la  mai- 
son du  Seigneur, cl  qu'il  faut  qu'elle  paraisse 
devant  les  hommes,  afin  qu'ils  voient  leurs 
bonnes  œuvres  el  qu'ils  glorifient  leur  Père 
qui  est  dans  le  ciel;  précepte  par  conséquent 
recommandé  à  tous  les  chrétiens,  Surtout 
dans  dos  assemblées  comme  celle-ci,  où  la 
dissipation  ,  inséparable  du  bruit  et  du 
monde,  dérange  les  plus  fervents  et  les  plus 
parfaits,  où  la  piété  est  aussi  nécessaire 
pour  édifier  les  peuples,  que  le  sont  la  pru- 
dence et  les  lumières  pour  les  gouverner,  ci 
est  plus  indispensable  encore  dans  un  sièclu 
tel  que  le  nôtre,  où  rien  n'échappe  à  la  eu- 


967 


OltATKUllS  SACRES.  DE  NI  5MOND. 


908 


riosile  ol  à  la  malice,  où  l'on  est  comme  on 
spectacle  aux  mauvais  jugements  el  à  la 
censure,  et  où  L'injustice  îles  spectateurs.  , 
bien  loio  «le  supporter  les    imperfections   et 

les  défauts,  n'épargne  pas  1  innocence  et  la 
vertu  même. 

Secondement,  Dieu  ordonne  que  les  fidèles 
édifient  leurs  frères;  car  quoiqu'il  puisse 
par  lui-même  et  par  le  seul  attrait  de  sa 
grâce  nous  inspirer  l'observation  de  sa  sainte 
loi,  cependant  il  se  sert  de  l'exemple  des 
chrétiens  parfaits,  soit  alin  qu'ils  coopèrent 
avec  lui  à  la  sanctification  des  hommes,  soit 
qu'il  veuille  nous  rendre  la  sainteté  plus  fa- 
cile en  nous  la  montrant  imitable. 

Ce  fut  par  ce  moyen  que  la  conversion  de 
saint  Augustin  devint  entière  et  parfaite  : 
il  ne  tenait  plus  au  monde  que  par  ses  irré- 
solutions et  par  ses  craintes  si  ordinaires  à 
ceux  qui  veulent  embrasser  une  vie  chré- 
tienne après  en  avoir  mené  une  tout  à  fait 
mondaine;  il  ne  faisait  pas  le  bien  qu'il  vou- 
lait et  faisait  le  mal  qu'il  ne  voulait  plus,  et 
il  était  dans  cet  état  neutre  et  chancelant  où 
l'on  n'a  ni  la  volonté  du  péché,  ni  le  mérite 
de  la  pénitence.  Mais  quand  il  vit  un  fameux, 
pécheur  de  son  temps  converti,  il  eut  honte 
de  ne  pas  imiter  dans  le  repentir  et  dans  la 
vertu  celui  qu'il  n'avait  que  trop  imité  dans 
ses  dérèglements  et  dans  ses  crimes  :  il  fut 
déterminé  par  l'efficace  de  l'imitation. 
L'exemple  fil  en  lui  ce  que  tous  les  autres 
motifs  n'avaient  pu  faire,  et  sa  conversion  , 
qui  a  été  si  utile  et  si  importante  à  l'Eglise  , 
fut  la  suite  et  le  fruit  de  celle  d'un  autre. 

Qu'ajouterai-je,  mes  frères,  en  finissant  ? 
vous  dirai-je,  comme  l'apôtre  saint  Pierre  : 
Craignez  Pieu,  honorez  le  roi,  aimez  vos 
semblables  ?  vous  dirai-je  :  Que  la  conduite 
de  votre  vie  parmi  les  chrétiens  soit  pleine 
d'édification  ,  afin  qu'en  voyant  vos  bonnes 
a  uvres  ils  puissent  vous  louer  cl  vous  imi- 
ter ? 

Grâces,  encore  une  fois,  à  la  miséricorde 
du  Seigneur,  nous  ne  verrons  ici  que  régu- 
larité dans  les  mœurs,  que  paix  et  union  en- 
tre les  uns,  que  vertu  et  que  mérite  dans  les 
autres.  Les  peuples,  que  leurs  malheui  s  ren- 
dent encore  plus  attentifs  à  la  conduite  de 
leurs  supérieurs,  n'auront  point  à  gémir  do 
votre  faste  et  de  vos  dépenses,  et  celte  com- 
pagnie ne  sera  pas  moins  la  bonne  odeur 
de  la  religion  par  ses  exemples  que  le  mo- 
dèle des  autres  provinces  par  la  prudence 
de  ses  règlements  ,  par  le  bon  ordre  de  ses 
affaires  et  par  la  sage  administration  de  ses 
revenus  et  de  ses  finances. 

Fasse  le  ciel  qu'on  ne  connaisse  point 
parmi  nous  l'image  de  ces  assemblées  mon- 
daines et  tumultueuses  où  l'on  occupe  tout 
s  m  esprit  à  démêler  des  intérêts  et  à  former 
des  intrigues,  où  la  concurrence  des  emplois 
fait  tant  d'inimitiés  et  de  jalousies,  où  l'on 
ue  songe  qu'à  avancer  ses  projets  ou  à  tra- 
verser ses  compétiteurs,  où  l'ambition  règne 
dans  les  uns  et  la  cupidité  dans  les  autres,  et 
où  les  inutilités  cl  les  plaisirs  sont  presque 
toute  l'occupation  de  la  vie  qu'on  y  mène. 
(I)  L'évéque  ofliciant. 


Puissent  les  devoirs  de  zèle  et  de  piélé 
|Ue  \ous  pratiquerez  être  toujours  présents 
a  votre  mémoire,  et  puisions-nous  mériter 
l'éloge  que  faisait  Tertullien  des  fi  lèles 
d'Afrique,  q'iand  il  les  appelait  la  gloire  du 
christianisme  et  l'abrégé  de  l'Evangile  :  Corn- 
pendium  Evangelii. 

Seigneur,  répandez  vos  dons  sur  (oui  ceUI 
qui  composent  une  assemblée  si  auguste  et 
si  vénérable;  donnez-leur  votre  intelligence, 
voire  jugement  el  votre  justice;  protège! 
celle  province,  célèbre  par  son  zèle  pour  la 
religion, estimable  par  son  attachement  pour 
son  prince, et  qui  n'est  devenue  le  patrimoine 
de  nos  rois  que  pour  se  sacrifier  sans  cesse 
pour  le  repos  el  la  gloire  de  ce  royaume. 
Donnez  à  nos  peuples  gémissants  et  épuisés 
des  récoltes  abondantes  ,.  et  ,  accordant  la 
fertilité  à  leurs  campagnes  ,  donnez-leur  la 
rosée  du  ciel  el  la  graisse  de  la  terre.  Apres 
avoir  été  pour  nous  le  Dieu  de  la  guerre  , 
devenez  le  Dieu  de  la  paix.  Bénissez  nos  ar- 
mes ,  surtout  convertissez  nos  cœurs,  aûn 
qu'après  vous  avoir  loué  pendant  celle  vie  , 
nous  puissions,  dans  ce  jour  terrible  où  le 
temps  finit  et  où  l'éternité  commence  ,  être 
reçus  dans  le  sein  de  la  gloire,  que  je  vous 
souhaite  ,  au  nom  du  Père  ,  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit.  Ainsi  soil-il. 

AUTRE  DISCOURS, 

Prononcé  à   l'ouverture   de   l'assemblée    des 
Etats  du  Languedoc. 

Quare  ergo,  Domiue,  pereussisii  nos?  Eipeclavimus  pa- 
cem,  el  non  esi  bonum;  tempus  curationis,  et  eccc  lurba- 
tio.  Cogiiovimus,  Domine,  qnia  percaviinns  tibi. 

Seigneur,  pourquoi  noua  af/Ugez-vous  ?  Sous  attendions 
la  paix ,  et  la  paix  n'est  point  venue  ;  nom  espérions  la  fin 
de  tus  maux,  et  nous  somma  encore  dans  le  trouble  de  la 
guerre.  Son,  reconnaissions  que  nous  tuons  péché  contre 
vois  (.lerem.,  XIV,  19,  20). 

Monseigneur  (1), 

C'est  ainsi  que  ce  prophète ,  sanctifié 
avant  sa  naissance,  répandait  son  Ame  de- 
vant le  Seigneur,  cl  que.  accomplissant  les 
devoirs  de  sa  mission  ,  il  exhortait  à  la  pé- 
nitence un  peuple  ingrat  ,  qu'une  heureuse 
paix  avait  amolli  et  que  les  adversités  sem- 
blaient rendre  plus  impénitent  et  plus  in- 
sensible. 

'l'a mût  le  prophète  représente  tous  les 
malheurs  de  la  guerre  la  plus  sanglante  que 
les  Juifs  eussent  jamais  soutenue,  et  qui 
élait  d'autant  plus  cruelle  que  la  haine  et  la 
jalousie  l'avaient  allumée  ;  lanlôl  il  décou- 
vre tous  les  projets  d'une  ligue  qu'avaient 
formée  contre  eux  le  roi  de  Babylone  et  les 
Assyriens,  et  qui  n'avait  pour  fondement 
que  la  grandeur  et  la  gloire  d'un  royaume 
chéri  de  Dieu  ;  tantôt  il  anime  les  Hébreux 
à  la  défense  de  leur  patrie  par  le  péril 
même  de  leur  religion  menacée  ;  il  recueille 
en  eux  l'amour  de  la  sainte  Sion  el  du  tem- 
ple de  Jérusalem  que  leurs  ennemis  vou- 
laient détruire,  cl,  par  le  récit  des  biens 
qu'ils  avaient  à  espérer  ou  des  maux  qu'ils 
avaient  à  craindre,  il  tache  d'exciter  dans 
leurs  cœurs  un  reste  de  foi  ,  que  le  péché 
n'éteint  pas  toujours,  el  qui  par  la  boiu-i  de 


969 


DISCOURS  »  POUR  L'OUVERTURE  DES  ETATS  DE  LANGUEDOC.  970 

la  plus  sainte  de  mon  ministère,  dans  ce  jour 
l'humilité  et 


Dieu  devient  quelquefois  le  germe  et  le  prin- 
cipe de  la  pénitence. 

Tels  étaient  les  sentiments  qu'inspirait  à 
Jérémie  la  considération  des  malheurs  dont 
le  peuple  juif  était  menacé;  mais  cherchons, 
ajoutait-ildansson  amertumeet  dans  sa  don- 
leur,  la  source  de  nos  misères  dans  nos'déré^Ie- 
inents  etdans  nos  crimes.  LeSeigneur  cùtcté 
fidèle  à  ses  promesses  si  nous  eussions  été 
fidèles  à  sa  sainte  loi  ;  lorsque  nous  fûmes 
vertueux,  l'empire  de  Juda  fut  toujours  le 
plus  riche  et  le  plus  florissant  royaume  du 
monde  ;  si  nous  nous  plaignons  des  délais 
d'une  paix  lente  et  fugitive,  c'est  du  fond  de 
nos  consciences  criminelles  que  s'élèvent 
les  difficultés  et  les  obstacles.  Enfin  les  ju- 
gements du  Seigneur  sont  adorables,  et 
Dieu  est  juste  quand  il  nous  fait  sentir  les 
effets  de  .sa  vengeance  et  de  sa  colère.  Co~ 
gnovimus,  Domine,  quia  peccavimus  tibi. 

Je  viens  aujourd'hui,  Messieurs,  vous  re- 
nouveler les  mêmes  instructions  dans  des 
événements  presque  semblables.  Je  veux 
vous  représenter  toutes  les  puissances  de 
l'Europe  conjurées  pour  notre  destruction  et 
pour  notre  ruine:  une  ligue  formidable, 
qui ,  par  un  mystère  de  la  Providence  plutôt 
que  par  les  secrets  de  la  politique,  s'entre- 
tient malgré  le  temps  et  malgré  ses  pertes  ; 
toutes  les  incommodités  d'une  guerre  qui 
par  ses  dépenses  et  par  sa  longueur  épuise 
notre  sang  et  notre  substance.  A  la  vue  de 
tant  de  calamités,  je  viens  exciter  dans  nos 
cœurs  le  repentir  de  nos  péchés,  et,  dans 
l'espoir  d'une  paix  aussi  nécessaire  à  nos 
ennemis  qu'à  nous-mêmes,  fonder  sur  le 
changement  de  nos  mœurs  nos  motifs  de 
consolation  et  de  confiance. 

Quel  moment  plus  favorable  pour  vous  ins- 
pirer la  pratique  des  vertus  chrétiennes  que 
celui  dans  lequel  je  parle?  Soit  coutume, 
soit  religion,  tout  respire  ici  un  air  de  re- 
cueillement et  de  piété  ;  vous  consacrez  le 
commencement  de  vos  Etals  par  les  cérémo- 
nies les  plus  augustes  du  christianisme.  Un 
ministre  de  la  loi  nouvelle,  auquel  s'unis- 
sent tous  ces  grands  pontifes,  lève  les  mains 
au  ciel  pour  attirer  sur  vous  le  désir  d'une 
conversion  solide;  Jésus- Christ,  hostie  de 
grâce  et  de  propiliation  ,  s'offre  à  son  Père 
sur  cet  autel  pour  désarmer  sa  colère  ;  au- 
tour de  l'arche  du  Seigneur  se  rangent  tous 
ces  fidèles  attentifs  et  humiliés,  et  nous  in- 
voquons en  ce  jour  un  Dieu  qui  ne  résiste 
point  à  des  cœurs  contrits ,  et  qui,  dans  l'ex- 
cès même  de  sa  justice,  ne  saurait  oublier  ses 
miséricordes. 

N'attendez  donc  pas  que  je  loue  ces  hom- 
mes illusires  que  le  mérite  rend  si  dignes 
de  nos  éloges  et  que  la  justice  du  prince  a 
couronnés.  En  d'autres  lieux  et  dans  d'au- 
tres temps,  admirateur  de  leurs  vertus  ,  j'ai- 
me mieux  les  honorer  ici  par  un  silence 
respectueux,  plus  convenable  même  à  leur 
modestie.  Oserai-je,  en  présence  de  Jésus- 
Christ  anéanti,  flatter  les  grandeurs  et  les  di- 
gnités de  la  créature?  Puis-je  mêler  un  en- 
cens profane  à  celui  qui  fume  sur  ces  autels  ? 
Hé  !  dans  la  chaire  de  vérité,  dans  la  fonction 

Orateurs  sacrés.  XXX. 


consacré  a  1  numuite  ev  a  la  prière,  je  ne 
dois  louer  que  ce  Dieu  jaloux  à  qui  seul  ap- 
partient toute  gloire  et  toute  louange. 

Recueillons  ce  discours,  dont  je  vous  ai  , 
déjà  insinué  tout  le  plan  et  tout  le  partage.  \ 
Je  vous  ferai  voir  dans  la  première  partie 
que  nos  péchés  sont  la  source  d'une  guerre 
si  fatale  à  toute  l'Europe ,  et  dont  les  pros- 
pérités mêmes  coûtent  presque  aussi  cher  que 
les  disgrâces;  dans  la  seconde  je  vous  mon- 
trerai que  la  pénitence  est  le  moyen  unique 
pour  obtenir  du  ciel  une  paix  que  la  provi- 
dence humaine  ne  peut  donner  ,  et  dont  la 
politique  la  plus  éclairée  ne  saurait  aplanir 
les  difficultés,  si  la  Providence,  à  qui  tout 
est  possible,  ne  les  surmonte. 

C'était  sur  ces  considérations  que  Jérémie 
fondait  toute  son  espérance  quand  il  disait  à 
Dieu  :  Nous  reconnaissons  que  nous  sommes 
pécheurs  ;  ressouvenez-vous  de  l'alliance  que 
vous  avez  faite  avec  nos  pères  et  avec  nows- 
mémes.  En  un  mot,  la  guerre  est  la  suite  de 
nos  dérèglements,  la  paix  sera  la  récom- 
pense de  notre  conversion  :  deux  réflexions 
importantes,  que  je  propose  aujourd'hui  à 
vos  cœurs  touchés  de  vos  besoins ,  et  qui  se- 
ront la  matière  de  votre  attention.  Mais  afin 
que  ma  parole  ne  retourne  pas  vide  devant 
le  Seigneur,  prions  le  Saint-Esprit  qu'il  la 
rende  efficace  à  mess auditeurs  ;  demandons- 
le  car  l'intercession  de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

Quand  les  hommes  raisonnent,  dit  saint 
Jean  Chrysostome,  des  causes  de  la  guerre 
par  les  vues  de  la  sagesse  humaine  et  de  la 
prudence  de  la  chair,  ils  les  cherchent  ou 
dans  l'ambition  des  princes  de  la  terre,  qu'a-* 
gite  un  désir  excessif  de  gloire  et  souvent 
celui  d'étendre  les  limites  de  leurs  Etats,  ou 
dans  les  ressorts  de  cette  politique  maligne  et 
mondaine  qui  se  nourrit  dans  les  divisions,  et 
qui  pour  des  vues  particulières  remue  le 
monde  entier  par  des  "intrigues  et  pardes  pré- 
textes. Ils  les  regardent  comme  les  suites  do 
ces  intérêts  différents  qui  divisent  les  nations 
et  qui  les  arment  les  unes  contre  les  autres 
pour  s'attaquer  et  pour  se  détruire,  ou  comme 
l'effet  de  celle  inquiétude  naturelle  à  l'hom- 
me, qui  se  plaît  dans  la  discorde,  et  qui  aux 
dépens  de  son  repos  cherche  à  troubler  celui 
des  autres. 

Aussi  rien  n'est  plus  ordinaire  que  d'at- 
tribuer les  succès  des  expéditions  militaires 
à  la  prévoyance  des  rois,  à  l'expérience  de 
leurs  capitaines  et  à  la  valeur  des  soldats. 
Malheur  aux  conquérants  qui  disent  ces  pa- 
roles impies,  que  leur  défend  le  Saint-Esprit: 
C'est  à  ma  puissance  et  à  mon  bras  que  je 
dois  ma  gloire  et  ma  réputation!  N'est-ce 
pas  le  Seigneur  qui  fait  les  héros  par  sa  vo- 
lonté, comme  il  fait  les  saints  par  sa  grâce? 
Hél  que  sont  les  plus  grands  princes  de  la 
terre,  que  les  instruments  dont  Dieu  se  sert 
au  gré  de  ses  desseins,  qu'il  élève  et  qu'il 
abaisse  comme  il  lui  plaît?  et  que  sont  leurs 
actions  les  plus  héroïques,  que  les,  œuvres 

31 


1)71 


OIUTKUU»  SACRES.  DE  NESMOND. 


de   sa   providence  sur  le  gouvernement  du 
monde  et  sur  la  destinée  de-  royaumes  | 

Or  il  n'y  a  point  de- vérité  plus  répétée 
dans  l'Krrilure  que  celle  qui  nous  apprend 
que  les  péchés  des  peuples  attirent  sur  eux 
ce  fléau  delà  vengeance  de  Dieu,  que  saint 
Augustin  appelle  avec  raison  le  plus  terrible 
de  tous  les  fléaux,  parce  qu'il  confond  dans 
les  calamités  publiques  louiez  les  fortunes 
particulières,  que  l'innocent  et  le  coupable 
sont  également  les  victimes  de  sa  fureur, 
qu'il  éteint  non-seulement  les  familles,  mais 
encore  qu'il  détruit  les  villes  entières  ;  qu  il 
ravage  non-seulement  les  provinces,  mais 
qu'il  décide  du  sort  des  empires.  Kl  ne  sont- 
ce  pas,  conclut  ce  Père,  les  iniquités  de  noi 
consciences  el  la  dépravation  de  nos  mœurs 
qui,  après  avoir  lassé  la  patience  du  Sei- 
gneur, irritent  enfin  ia  justice? semblables  à 
ces  exhalaisons  inalignes  qui  s'élèvent  de  la 
terre  et  qui  deviennent  dans  les  nuées  la 
matière  de  ces  tempêtes  et  de  ces  orages  qui 
ruinent  les  moissons  et  qui  désolent  toutes 
les  campagnes. 

En  effet ,  tant  que  les  Israélites  furent  D- 
dèles  zélateurs  de  leur  loi,  tant  qu'ils  adorè- 
rent sans  mélange  de  culte  le  Dieu  de  leurs 
pères  et  qu'ils  ne  se  Oient  point  d'autres 
dieux,  de  constantes  prospérités  suivirent 
toujours  leurs  desseins;  le  Seigneur  prodi- 
gua pour  eux  jusqu'à  ses  miracles  ;  tous  les 
éléments  obéissaient  à  leur  voix,  et  le  ciel 
et  la  terre  étaient  comme  les  tributaires  de 
leurs  désirs.  Tous  les  peuples,  soit  crainte, 
soit  admiration,  recheichaient  leur  alliance 
et  leur  amitié,  et  les  plus  grands  rois  n'o- 
saient attaquer  que  par  des  murmures  se- 
crets et  impuissants  une  nation  que  le  ciel 
favorisait  d'une  si  longue  suite  de  bénédic- 
tions et  d'une  protection  si  visible. 

Telle  était  la  promesse  que  Dieu  avait  faite 
aux  Juifs  par  la  bouche  de  son  serviteur 
Moïse  :  S'ils  écoutent  ma  voix,  disait  le  Sei- 
gneur, et  s'ils  marchent  dans  l'observation  de 
mes  préceptes,  je  les  rendrai  formidables  à  tout 
l'univers;  mais  je  mesurerai  mes  grâces  sur 
leur  reconnaissance,  je  m' éloignerai  d'eux  à 
mesure  qu'ils  s' éloigneront  de  moi  :  s'ils  cessent 
de  me  servir  et  de  m'adorcr,  je  permettrai  à 
leurs  ennemis  de  les  attaquer,  je  tes  livrerai  à 
une  guerre  cruelle  et  sanglante;  ceux  qui 
échapperont  au  glaive  périront  par  les  mala- 
dies ;  des  sécheresses  brûlantes  ou  des  inon- 
dations imprévues  détruiront  leurs  récoltes  , 
et  ils  seront  l'objet  de  ma  justice,  après  l'avoir 
été  si  longtemps  de  mes  miséricordes  et  de  mes 
bienfaits. 

El  c'est  aussi  l'ordre  de  la  Providence  que 
les  créatures  ne  se  soulèvent  jamais  les  unes 
contre  les  autres  qu'après  qu'elles  se  sont 
soulevées  elles-mêmes  contre  celui  qui  les  a 
créées.  Il  y  a  au  dedans  de  nous,  selon  l'ex- 
pression de  l'Apôtre,  un  royaume  où  par  le 
désordre  des  passions  se  forment  ces  agita- 
tions qui  se  répandent  ensuite  sur  la  terre. 
D'où  viennent  les  guerres  et  les  combats,  dit 
l'apôtre  saint  Jacques,  que  des  désirs  de  la 
convoitise  qui  régnent  dans  notie  chair  ?  cl 
comme  Dieu  a  des  punitions  spirituelles  et 


972 
livre  à  leur 


invisibles  pour  les  âmes,  qu'il 
réprobation  et  à  leur  perte,  il  a  aussi  des 
châtiment!  temporels  dont  il  afilige  les  pé- 
cheurs, souvent  pour  les  corriger.  Heureux 
lorsque,  par  un  petil  nombre  de  mauvais 
jours  et  par  des  peines  passagères,  ils  peu- 
vent racheter  le  poids  des  supplices  éternels, 
et  que  leurs  afflictions  deviennent  la  matière 
de  leur  pénitence  ! 

Aussi  il  n'y  a  point  de  litre  que  Dieu 
prenne  plus  souvent  dans  les  saint'  s  Kcri- 
lures  que  celui  de  Dieu  de  la  guerre,  non- 
seulement  parce  qu'il  en  conduit  les  succès 
et  qu'il  en  dirige  les  événements,  mais  en- 
core pour  nous  faire  voir  que  c'est  lui  qui 
l'envoie  sur  la  terre  pour  la  punir.  Les  ad- 
versités personnelles  et  particulières  sont 
quelquefois  les  marques  de  son  amour,  el 
sont  au  moins  dans  les  justes  les  épreuves 
de  leurs  vertus;  mais  les  adversités  publi- 
ques sont  toujours  les  signes  de  sa  fureur 
et  les  suites  des  péchés  des  hommes;  hé l 
quel  doit  être  leur  endurcissement,  dit  saut 
Augustin  ,  puisqu'il  faut  un  si  redoutable 
moyen  pour  les  exciter  à  une  conversion  sin- 
cère et  solide  !  En  effet,  au  milieu  des  dou- 
ceurs d'une  heureuse  paix,  presque  toujours 
on  oublie  Dieu  et  on  néglige  les  devoirs  de 
la  religion  :  chacun,  renfermé  dans  son  re- 
pos et  content  de  son  abondance,  ne  s'occupe 
guère  du  soin  de  :-on  salut.  Mais  dans  les 
tribulations  d'une  longue  guerre,  lorsqu'on 
est  épuisé  par  les  subsides  que  les  besoins  du 
prince  rendent  nécessaires,  quand  on  appré- 
hende pour  sa  patrie  et  pour  soi-même, 
lorsqu'aux  nécessités  de  l'Ktal  se  joignent 
les  nécessités  domestiques,  ou  qu'on  est  af- 
fligé du  présent  et  qu'on  craint  encore  pour 
l'avenir  ;  quand  la  mort  nous  enlève  tous  les 
jours  ceux  qui  nous  sont  chers  ou  par  le 
sang  ou  par  l'amitié,  alors  on  s'humilie  sous 
la  main  de  Dieu,  on  ne  l'adore  d'ordinaire 
que  quand  il  nous  frappe  ;  et  telle  est  la 
corruption  des  hommes,  qu'ils  ne  reconnais- 
sent sa  puissance  que  quand  il  l'a  fait  sentir 
par  sa  justice. 

Cependant  quel  usage  faisons-nous  des 
malheurs  de  la  guerre  pour  notre  sanctifi- 
cation? Malgré  celte  plainte  si  commune  que 
les  temps  sont  mauvais,  le  luxe  ne  fut  ja- 
mais si  prodigue  ni  si  général.  On  ne  se  re- 
fuse rien  de  tout  ce  que  suggèrent  la  mol- 
lesse el  la  vanité,  pour  chercher  les  commo- 
dités de  la  vie  ou  pour  soutenir  ce  qu'on 
appelle  les  bienséances  de  sa  condition;  on 
trouve  des  fonds  pour  toutes  les  dépenses, 
souvent  excessives,  de  la  cupidité,  el  on  en 
manque  seulement  pour  tous  les  devoirs  de 
la  miséricorde  chrétienne.  Vit-on  les  pauvres 
plus  oubliés?  On  les  abandonne  à  leur  mau- 
\ «lis  sort;  les  riches  sont  plus  cruels  pour 
eux  que  la  fortune,  et,  sur  ce  vain  prétexte 
que  l'on  n'a  point  de  superflu,  on  se  croit  en 
droit  de  leur  refuser  le  nécessaire.  Je  ne 
parle  point  de  tant  de  dérèglements  aujour- 
d'hui si  communs,  et  qui,  naissant  dans  la 
corruption  de  la  cour,  s'introduisent  ensuite 
dans  les  provinces  à  titre  de  mode  el  de  po- 
litesse; je  passe  sous  silence  la  profanation 


973 


DISCOURS  II  POUR  L'OUVERTURE  DES  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


974 


des  sacrements  les  plus  augustes  du  christia- 
uisme,  et  dont  on  approche  sans  goût,  sans 
préparation  et  peut-être  pir  coutume  et  par 
politique.  Combien  y  a-t-il  de  libertins  de 
mœurs  et  surtout  de  raisonnement,  qui  font 
gloire  de  douter  des  mystères  les  plus  saints 
de  notre  foi,  qui,  non  contents  de  renfermer 
leur  infidélité  dans  le  secret  de  leur  cœur, 
emploient  leur  faux  esprit  à  disputer  de  tout 
et  à  ne  rien  croire  ,  qui  regardent  la  soumis- 
sion comme  le  partage  des  âmes  faibles,  et  qui 
deviennent  sans  principes  et  sans  religion, 
en  craignant  d'être  trop  crédules  I  Ne  voit- 
on  pas  les  femmes  mondaines,  sans  cesse  oc- 
cupées du  désir  de  plaire,  de  celui  de  voir  et 
d'être  vues,  et  peu  attentives  à  la  modestie 
chrétienne  qui  devrait  faire  l'ornement  de 
ieur  sexe,  se  faire  un  art  de  séduire  ou  s'ex- 
poser au  péril  d'être  séduites  ?  Faut-il 
donc  s'éionner  si  le  ciel  irrité  nous  frappe  et 
nous  afflige?  Et  nous  pouvons  dire  des  con- 
jonctures présentes  ce  que  disait  saint  Jérôme 
de  l'irruption  d'Alaric  dans  l'Italie,  que  la 
force  de  nos  ennemis  vient  moins  de  leur 
union  et  de  leur  puissance  que  de  la  multi- 
tude de  nos  péchés.  Nostris  viliis  fortes  sunt 
barbari. 

Aussi  le  Saint-Eiprit  ne  nous  parle  de  la 
guerre  que  sous  l'idée  de  colère  et  de  fureur, 
et  c'est  ainsi  que  Dieu,  selon  les  vues  de  sa 
providence,  a  divers  moyens  convenables 
aux  différentes  dispositions  des  hommes  qu'il 
veut  ou  confirmer  dans  la  justice  ou  ramener 
à  la  pénitence.  Veut-il  affermir  dans  la  pieté 
une  âme  juste  et  fidèle,  il  sufiil  qu'il  lui  an- 
nonce sa  parole,  qu'il  lui  représente  ses  mi- 
séricordes, qu'il  lui  propose  ses  récompen- 
ses, et,  l'excitant  à  la  vertu  par  l'attrait  de 
la  vertu  même,  sa  grâce  lui  fait  accomplir  ce 
que  la  loi  lui  commande.  Veut-il  retirer  de 
l'égarement  une  âme  qui  commence  seule- 
ment â  se  perdre  dans  les  voies  du  monde  et 
qui  tient  encore  à  Dieu  par  quelques  senti- 
ments de  religion  et  par  les  remords  d'une 
conscience  timide,  il  l'épouvante  par  des  me- 
naces, il  soutient  sa  fragilité,  il  la  secourt 
dans  hs  tentations,  et,  lui  inspirant  la  ter- 
reur de  ses  jugements,  il  la  convertit  par  sa 
crainte  et  la  perfectionne  par  son  amour. 

Mais  quand  les  hommes  sont  venus  à  un 
certain  période  de  dérèglement,  et  que  leur 
cœur  est  endurci  comme  celui  do  Pharaon, 
lorsque  le  péché  se  communique  par  la  con- 
tagion de  l'exemple,  et  que  d'un  peuple  en- 
tier il  s'en  fait  une  même  masse  d'iniquité, 
alors  Dieu  emploie  les  moyens  les  plus  effi- 
caces et  les  plus  violenls  :  à  une  corruption 
générale  il  applique  une  punition  universelle, 
et  ces  fléaux,  les  plus  terrible! de  sa  justice, 
sont  les  dernières  ressources  dont  se  sert  sa 
m.sencorde. 

Que  la  politique  raisonne  donc  selon  les 
vues  de  la  prudence  humaine,  de  cette  variété 
d'événements  qui  agitent  aujourd'hui  le 
monde  et  qui  se  succèdent  les  uns  aux  au- 
tres ;  qu'elle  parle  de  ces  résolutions  qui 
font  l'élévation  ou  la  décadence  des  empires; 
qu'elle  admire  la  monarchie  française,  dont 
l'Europe  conjurée  no  peut  obscurcir  la  gloire, 


et  qui  se  soutient  avec  dignité  par  la  sagesse 
du  prince  qui  la  gouverne  et  par  la  valeur 
d'une  nation  belliqueuse  qui  la  défend  ; 
qu'elle  regarde  avec  étonnement  un  autre 
sceptre  qui,  plus  fragile  que  le  roseau  que 
le  vent  agite,  change  si  souvent  de  main  par 
l'inconstance  des  peuples  et  par  l'adresse 
des  usurpateurs  ;  que  le  conseil  des  rois  dis- 
pose avec  la  prévoyance  la  plus  consommée 
tout  ce  qui  peut  contribuer  aux  heureux  suc- 
cès de  la  guerre,  il  sera  toujours  vrai  de  dire 
que  le  démon,  qui  souffle  la  discorde  dans 
tout  l'univers,  n'est  que  l'instrument  de  la 
colère  de  Dieu  sur  les  hommes  ;  et  nous  ne 
pouvons  douter  de  la  vérité  de  ce  que  dit 
Salomon,  que  les  malheurs  des  peuples  vien- 
nent de  leurs  péchés,  comme  leurs  prospé- 
rités sont  la  suite  de  leur  justice  :  Justitia 
élevât  gentem,  pauperes autem  facit  peccatum. 

A  la  vérité,  Dieu  réserve  ses  jugements  au 
dernier  jour,  où  il  n'y  aura  plus  de  crainte 
de  chute  pour  les  bons,  ni  d'espérance  ni  de 
miséricorde  pour  les  méchants.  Cependant 
il  est  de  l'intérêt  de  sa  gloire  qu'il  récom- 
pense ou  qu'il  punisse  les  hommes  dans  le 
cours  même  de  ieur  vie  mortelle,  parcs  que 
les  justes  murmureraient  s'ils  étaient  sans 
consolation,  et  les  impies  s'endurciraient  s'ils 
étaient  sans  adversités. 

Et  c'est  sur  ce  principe,  dit  saint  Augustin, 
qu'encore  que  les  vertus  des  premiers  Ro- 
mains fussent  plutôt  des  vices  déguisés  que 
de  véritables  vertus,  et  que  celte  sagesse 
dont  ils  faisaient  le  mobile  elle  motif  de  leurs 
actions  ne  lût  qu'un  raffinement  délicat  de 
i'orgueil  et  de  l'amour-propre ,  cependant 
Dieu,  par  un  ordre  secret  de  sa  providence  , 
toujours  juste  dans  ses  desseins,  leur  avait 
donné  l'empire  du  monde  pour  prix  de  la 
droiture  extérieure  de  leurs  mœurs  et  de 
leur  conduite.  11  jugea  digne  d'assujettir  à 
leur  souveraineté  les  nations  les  plus  éloi- 
gnées, parce  qu'ils  assujettissaient  leurs  pas- 
sions aux  règles,  quoique  imparfaites,  de  la 
sagesse  humaine,  pour  nous  apprendre,  con- 
clut ce  Père,  quelle  confiance  doivent  avoir 
en  la  protection  de  Dieu  les  peuples  chrétiens 
qui  pratiquent  sa  sainte  loi ,  puisqu'il"  a  ac- 
cordé tant  de  gloire  et  tant  de  puissance  aux 
sages  mêmes  du  paganisme. 

11  est  donc  vrai  que  la  piété  rend  les  Etats 
heureux  et  florissants  ;  et  cette  vérité  paraît 
encore  avec  plus  d'éclat  dans  les  succès  de 
la  guerre  ;  car  ce  n'est  ni  le  nombre,  ni  la 
prudence,  ni  le  courage,  qui  décident  du  sort 
des  combats  ;  si  Dieu  ne  s'intéresse  pour  les 
combattants,  un  contre-temps  dérange  sou- 
vent les  entreprises  les  mieux  concertées. Les 
armées  les  plus  nombreuses  sont  quelque- 
fois vaincues  par  des  accidents  imprévus  de 
la  fortune,  ou  plutôt  par  les  ordres  de  la 
Providence.  Le  Seigneur,  jaloux  de  son  pou- 
voir, ne,  veut  pas  qu'on  lui  ravisse  la  gloire 
des  événements,  et  le  Saint-lispi  il  nous  ap- 
prend que  les  victoires  des  Israélites  furent 
nions  l'ouvrage  de  la  valeur  de  Josue,  que 
de  la  ferveur  et  de  la  sainteté  de  Moïse. 

Telles  étaient  les  dispositions  des  premiers 
fidèles  dans  les  occasions  de  la  guerre  et  dans 


075 


OIUTI-XRS  SACIlKS.  DE  NESMOND. 


970 


les  besoins  de  l'Etat,  selon  le  témoignage  de 

Terlullien.  Vous  haïssez  la  relit/ion  chrétien- 
ne, disait- i)  aux.  païens,  cl  tous  lu  persécutez 
en  tous  lieux  pur  des  proscriptions  et  par  des 
supplices  ;  cependant  c'est  aux  vertus  et  au 
couraijedes  chrétiens  i/ue l'empire  romain  doit 
sa  réputation  <  t  .ses  victoires:  pendant  que 
les  uns  combattent  pour  leur  pairie,  1rs  aunes 
prient  pour  rendre  le  Dieu  des  armées  propice 
dans  tous  vos  desseins.  Aous  n'épargnons  ni 
nos  biens,  ni  notre  vie  même,  pour  le  service 
de  nos  empereurs.  !\'otre  fidélité  n'est  point 
l'effet  de  la  crainte  ni  de  la  politique,  mais 
le  devoir  le  plus  essentiel  de  lu  loi  que  nous 
professons.  Les  légions  chrétiennes  sont  in- 
vincibles, parce  qu'elles  sont  encore  ]ilus  ani- 
mées par  leur  piété  f/ue  par  leur  valeur.  JJi  ! 
quels  ennemis  peuvent  résister  à  des  troupes 
gui  aux  armrs  matérielles,  i/uc  l'intrépidité 
rend  redoutables,  ajoutent  encore  les  armes 
spirituelles  de  la  vertu,  de  la  pénitence  et  de 
la  prière  ? 

Ne  professons-nous  pas,  mes  frères,  la 
même  foi  ?  n'adorons-nous  pas  le  même 
Dieu,  et  dans  les  temps  malheureux  où  nous 
sommes  n'avons-nous  pas  les  mêmes  besoins? 
Ne  reviendront-ils  point  ces  jours,  pour  mé- 
diter la  loi  de  Dieu  avec  attention  ?  Fré- 
quenter les  sacrements  avec  ferveur,  écou- 
ler la  sainte  parole  avec  profit,  était  la  con- 
solation des  premiers  chrétiens,  soit  dans  les 
avantages,  soit  dans  les  afflictions  de  ce 
inonde.  Dans  ces  conjonctures  si  importantes 
au  royaume  et  à  nous-mêmes,  une  vie  pé- 
nitente, pleine  de  bonnes  oeuvres  et  attentive 
à  l'unique  nécessaire  de  notre  salut,  ne  suc- 
cédera-t-elie  point  à  ce  néant  qui  nous  oc- 
cupe et  aux  inutilités  qui  nous  amusent  ? 
Ne  perdra-t-on  point  le  goût  de  ces  spec- 
tacles profanes,  si  souvent  funestes  à  l'inno- 
cence, et  que,  malgré  la  coutume  et  l'impu- 
nité, on  ne  peut  excuser,  sans  trahir  l'E- 
vangile, l'expérience  et  la  tradition  ?  Parmi 
quelques  gens  de  bien  qui  servent  Dieu  dans 
la  droiture  et  dans  la  simplicité  de  leur 
cœur,  combien  y  en  a-l-il  qui  sont  dé\ols 
par  humeur  et  par  naturel,  qui  cherchent 
dans  une  apparente  piété,  moins  la  rosée  du 
du  ciel  que  la  graisse  de  la  terre,  et  qui  se 
font,  par  une  réforme  extérieure,  inspirée 
par  la  vanité  et  par  l'intérêt,  un  chemin  à  l'é- 
lévation et  à  la  fortune  !  Quelle  douleur  de 
voir  renouveler  de  nos  jours  les  erreurs  que 
le  concile  de  Vienne  avait  condamnées!  A  la 
voie  simple  et  toujours  égale  de  Jésus-Christ, 
on  substitue  je  ne  sais  quelle  spiritualité 
plus  suspecte  encore  que  ridicule.  On  quitte 
les  étroites  roules  où  l'on  se  sauve,  pour  en 
prendre  d'obliques  où  l'on  s'égare  ;  et  n'a- 
t-on  pas  vu  les  sentiments  d'une  fausse  et 
mystique  piété  devenir  le  langage  des  séduc- 
teurs et  le  piège  des  âmes  faibles? 

Encore,  si  Dieu  ne  punissait  les  péchés  des 
liommes  que  par  des  châtiments  temporels  , 
nous  ne  serions  pas  sans  consolation  :  les 
afflictions  les  plus  louchantes  sont  souvent 
plus  utiles  à  l'âme  que  de  constantes  pros- 
pérités :  nous  savons  que  les  chrétiens  se 
glorifient  dans  leurs   maux  avec  l'Apôtre  , 


que  la  patience  conduit  à  l'épreuve,  et  l'é- 
preuve a  l'espérance;  et  quand  la  guerre 
nous  coûte  quelque  portion  de  nos  biens  , 
que  perdons  nous  ?  l'aliment  de  notre  cupi- 
dité, les  instruments  de  notre  réprobation, 
la  matière  de  nos  crin 

.Mais  Dieu  punit  souvent  les  péchés  des 
hommes  par  les  ténèbres  de  l'esprit  et  par  la 
perle  de  la  foi  ;  et  c'était  la  menace  que  fai- 
sait Jesiis-Clirist  aux  pharisiens,  qi  nul  il 
leur  disait  qae  le  royaume  de  Dira  leur  serait 
ote,  et  qu'il  serait  donné  au  gentils,  qui  en 
feraient  les  fruits  parleurs  bonne',  o-uvres  : 
prophétie  que  la  suite  des  temps  vérifia,  par 
la  réprobation  des  Juifs  et  par  le  salut  de 
ceux  qui  vivent  sous  la  sainte  loi  de  l'Evan- 
gile. Hé!  qu'ont  été  l'extinction  du  royaume 
d'Israël,  la  profanation  du  temple,  la  deslruc- 
lioi.  de  Jérusalem  et  la  dispersion  entière  de 
celle  malheureuse  nation,  que  le  châtim  ni 
de  ses  péchés?  Et  nous  qui  étions  compris 
dans  la  masse  de  la  genlilité  prédite  par  le 
S  luveur  du  monde,  que  sommes-nous,  que 
les  branches  heureuses  entées  sur  l'olivier 
véritable,  et  la  preuve  littérale  contre  les 
Juifs  des  malédictions  de  Jésus-Christ  et  de 
l'accomplissement  de  ses  menaces? 

C'était  ainsi  que  Dieu  s'en  expliquai!  quand 
il  disail  par  la  bouche  de  son  serviteur  Job 
qu'il  ôterait  aux  nations  impies  le  don  pré- 
cieux de  la  foi.  Sa  justice  souvent  permet  que 
cette  lumière  spirituelle  s'éteigne  dans  un 
pays,  et  sa  miséricorde  la  fait  renaître  dans 
un  autre.  L'Eglise  d'Afrique,  autrefois  si  cé- 
lèbre par  ses  conciles,  par  la  pureté  de  sa 
discipline,  et  si  féconde  en  saints  évéques, 
ne  subsiste  plus.  Dieu  s'est  retiré  d'un  peu- 
ple qui  l'avait  offensé  par  les  plus  grands  dé- 
règlements, selon  le  témoignage  de  Salvien  ; 
et  a'a-t-on  pas  vu,  dans  un  royaume  voisin 
du  notre,  la  dépravation  des  mœurs  suivie 
du  schisme  et  de  l'hérésie  ?  On  y  tolère  tou- 
tes les  sectes  les  plus  ridicules,  on  y  reçoit 
toutes  les  erreurs,  on  y  embrasse  toutes  les 
religions,  et  on  n'y  persécute  que  la  vé- 
ritable. 

Or,  si  Dieu  ne  nous  livre  pas  à  l'esprit 
d'erreur  et  de  mensonge,  c'est  toujours  uue 
suite  de  sa  colère,  dit  saint  Augustin ,  et  un 
malheur  digne  de  nos  gémissements  et  de 
nos  larmes,  lorsque  noire  foi  est  attaquée, 
quand  il  permet  que  nos  temples  et  nos  au- 
tels ne  soient  pas  moins  l'objet  de  la  rage  de 
nos  ennemis  que  nos  biens  et  nos  fortunes  , 
et  que  nous  ayons  à  défendre  également  no- 
tre religion  et  notre  patrie.  Kn  effet,  de  quelle 
paix  ne  jouissait  pas  notre  sainle  loi  quand 
la  guerre  vint  interrompre  ses  progrès  et 
surprendre  ses  prospérités  !  l'hérésie  était 
partout  abattue  et  impuissante,  incapable  de 
nuire  par  les  armes,  convaincue  dans  les 
écrits  et  dans  les  disputes  :  sur  le  penchant 
de  sa  ruine  elle  perdait  tous  les  jours  quel- 
ques-uns de  ses  sectateurs  :  il  semblait  ojoe 
Dieu,  qui  a  prescrit  des  bornes  à  toutes  les 
sectes,  nous  faisait  espérer  la  fin  prochaine 
de  eclleque  nos  Pères  aran  ni  «  ue  naître,  i.'i. 
glise,  qui  ne  fut  jamais  si  florissante,  comp- 
tait au  nombre  de  ses  prosélytes  un  roi  que 


977 


DISCOURS  II  POUR  L'OUVERTURE  DES  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


973 


ses  malheurs  elses  vertus  rendent  le  specta- 
cle des  anges  et  de  Dieu  même.  Jésus-Christ 
crucifié  était  annoncé  aux  nations  les  plus 
éloignées,  et,  par  un  zèle  qui  a  toujours  été 
la  marque  de  la  vraie  Eglise,  on  portait  jus- 
qu'aux extrémités  du  monde  les  richesses  de 
l'Evangile.  Dans  d'autres  climats  l'ennemi 
du  nom  chrétien  était  vaincu  et  presque 
chassé  de  l'Europe.  Cet  empire  si  formida- 
ble était  réduit  à  sauver  dans  l'Asie  1rs  res- 
tes malheureux  de  sa  puissance.  Fallait-il 
que  les  passions  humaines  vinssent  troubler 
la  joie  de  tant  de  victoires  si  glorieuses  à 
Jésus-Christ  et  au  monarque  qui  en  était 
l'instrument  !  Quel  malheur  quand  les  rois 
de  la  terre  sacrifient  aux  vues  d'une  politi- 
que mondaine  les  intérêts  les  plus  pressants 
de  leur  religion  !  Ce  prince  ,  qui  doit  à  la 
piété  de  ses  aïeux  sa  grandeur  et  sa  cou- 
ronne, n'aurait  pas  préféré  des  triomphes 
certains,  qui  auraient  rendu  sa  gloire  im- 
mortelle devant  Dieu  et  devant  les  hommes, 
à  tous  ces  vains  efforts  qu'il  fait  sur  les 
bords  du  Rhin  ;  et,  sans  cotte  jalousie  injuste, 
sortie  du  puits  de  l'abîme,  nous  verrions 
peut-être  aujourd'hui  la  croix  du  Sauveur  du 
monde  sur  les  murs  de  celte  ville  célèbre 
dont  Constantin  avait  fait  le  siège  de  l'em- 
pire d'Orient,  et  que  le  second  concile  œcu- 
ménique appelait  la  nouvelle  Rome. 

Oui,  mes  frères,  le  devoir  le  plus  essentiel 
des  princes  est  de  défendre  et  de  protéger  la 
religion  ;  car  si  le  Saint-Esprit  nous  apprend, 
tantôt  qu'il  est  le  Dieu  de  tous  les  royaumes, 
tantôt  que  le  souverain  pouvoir  des  rois 
n'est  qu'une  émanation  et  une  dépendance 
du  sien  ,  tantôt  qu'il  a  gravé  dans  le  cœur 
des  vrais  fidèles  la  loi  inviolable  de  la  sou- 
mission et  de  l'obéissance  pour  ceux  dont 
ils  sont  sujets  ,  il  est  juste  par  conséquent  , 
conclut  saint  Augustin  ,  que  les  monarques 
régnent  pour  le  Seigneur,  puisqu'ils  régnent 
par  lui  ;  que  sa  gloire  soit  l'objet  continuel 
de  leurs  desseins  et  de  leur  conduite  ;  que 
leurs  armes  soient  employées  à  maintenir 
son  culte  et  à  l'étendre  :  cl  malheur  à  ceux 
qui ,  trop  occupés  des  motifs  criminels  de 
leur  ambition  ou  de  leur  haine,  qui  ,  séduits 
par  les  fausses  couleurs  de  la  prudence  de 
la  chair,  trahissent  les  droits  les  plus  sacrés 
de  celui  à  qui  ils  doivent  leur  élévation  et 
leur  puissance! 

Ce  juste  reproche,  que  tant  de  princes  ont 
mérite,  est  l'éloge  de  celui  sous  le  rè^nc  du- 
quel nous  avons  le  bonheur  de  vivre.  Il 
semble  que  le  ciel  ail  réservé  à  sa  vertu,  à 
sa  prudence  et  à  sa  valeur,  le  titre  glorieux 
de  l'unique  défenseur  de  l'Evangile  attaqué 
et  de  la  foi  menacée.  Que  n'a-t-il  pas  fait, 
dans  les  temps  tranquilles  el  paisibles,  pour 
détruire  le  schisme  et  l'hérésie  dans  tout  son 
royaume  I  Que  le  mondain  et  le  politique 
raisonnent  de  ce  grand  ouvrage  selon  les 
vues  de  la  sagesse  humaine  ,  qui  n'est  que 
folie  aux  yeux  du  Seigneur  ;  Dieu  ne  juge 
pas  comme  nous  jugeons.  L'Eglise  recon- 
naissante le  regarde  comme  le  monument 
immortel  du  zèle  et  de  la  piété  de  ce  grand 
monarque-  Sans  les  malheurs  d'une  guerre 


que  nos  péchés  ont  allumée  ,  le  mur  de  sé- 
paration serait  ôté  par  une  réunion  sincère  et 
solide  ;  nos  néophytes  seraient  notre  joie  et 
notre  couronne  ,  et  au  lieu  de  gémir  de  leur 
indifférence  et  de  leur  tiédeur,  nous  jouirions 
en  paix  du  fruit  de  nos  instructions,  et  nous 
n'aurions  qu'à  les  édifier  par  nos  exemples. 

J'ai  dit  ,  mes  frères  ,  que  vous  devez  les 
édifier  par  vos  exemples  ;  car  enfin  que  sert- 
il  de  professer  la  foi  dans  la  pureté  ,  si  on  la 
dément  par  la  corruption  des  mœurs  ?  La 
preuve  la  plus  persuasive  de  la  religion  est 
la  pratique  de  sa  loi  et  l'accomplissement  de 
ses  préceptes  ;  cependant ,  dans  un  temps  où 
l'édification  est  si  nécessaire  ,  on  assiste  au 
saint  sacrifice  sans  respect  et  sans  piété  ,  et 
seulement  pour  remplir  les  dehors  de  la  bien- 
séance et  de  la  coutume.  Nos  mystères  les 
plus  redoutables  ne  peuvent  exciter  notre 
recueillement  et  notre  attention  ;  au  lieu  de 
sanctifier  le  jour  du  Seigneur  parles  bonnes 
œuvres  et  par  la  prière,  on  le  regarde  comme 
un  jour  fâcheux  ,  dont  les  devoirs  sont  im- 
portuns. Nos  temples  sont  souvent  le  réduit 
des  conversations  mondaines,  et,  par  un 
mépris  criminel  des  lois  les  plus  saintes  de 
l'Eglise,  on  porte  jusqu'au  pied  des  autels, 
en  présence  de  Jesus-Christ  immolé  pour 
nous  ,  la  vanité  ,  la  dissipation  et  l'immo- 
destie. 

Pourquoi ,  Seigneur  ,  nos  espérances  ont- 
elles  été  confondues  ?  Vos  jugements  sont 
justes  et  nous  ne  devons  que  les  adorer  ; 
mais  nos  crimes  avaient-ils  mérité  tous  les 
malheurs  d'une  guerre  plus  funeste  encore- 
au  progrès  de  la  religion  qu'à  nos  fortunes 
particulières?  Ne  s'esl-il  point  trouvé  quel- 
que juste  dans  Israël  pour  désarmer  votre 
colère  el  pour  fléchir  votre  clémence  ?  Quoi  ! 
faut-il  que  votre  saint  nom  soit  blasphémé 
par  tant  de  nations  ,  et  comme  ,  selon  le  té- 
moignage de  saint  Jérôme,  tout  l'univers 
devint  presque  arien  ou  par  sentiment  ou 
par  protection  ,  pourquoi  permettez-vous 
aussi  que,  dans  celle  ligue  formée  entre  tant 
de  peuples  et  soutenue  par  le  mensonge  et 
par  l'artifice,  les  uns  soient  les  sectateurs  de 
l'hérésie  et  les  autres  les  complices  de  ses 
intérêts  et  de  ses  desseins  ? 

Mais  apaisons  ,  mes  frères  ,  la  colère  do 
Dieu  par  nos  venus  ,  invoquons  ses  miséri- 
cordes ,  méritons-les  par  la  pénitence.  Vous 
avez  vu  que  la  guerre  est  la  punition  de  nos 
péchés  ;  il  me  reste  à  vous  faire  voir  que 
notre  conversion  est  un  moyen  efficace  pour 
obtenir  du  ciel  la  paix  que  nous  désirons  : 
c'est  la  seconde  partie  de  ce  discours. 

SECOND    POINT. 

Il  n'y  a  rien  de  plus  précieux  et  déplus 
désirable  dans  la  vie  spirituelle  que  la  paix 
de  l'âme  et  le  repos  intérieurde  la  conscience, 
et,  selon  les  principes  de  saint  Augustin, 
celle  paix  consiste  dans  l'ordre  ou  plutôt 
dans  la  conformité  de  la  volonté  de  l'homme 
avec  celle  de  Dieu,  qui ,  nous  attachant  à  lui 
comme  a  notre  souveraine  félicité,  nous  dé- 
lin  lie  de  nous-mêmes,  soit  dans  les  prospé- 
rités, soit  dans  les  adversités  de  la  vie  ;  afin 


0'/!> 


Olt.Ul.l  ItS  SACHES.  DE  NESMOND. 


818 


que,  convaincus  par  sa  grâce  du  néant  et  de 
la  vanité  de  la  créature,  nous  ne  cherchions 
qu'en  lui  mu] 490  bonheur  durable  et  solide 
que  le  monde  ne  peut  donner. 

C'est  ce  repos  d'une  conscience  tranquille 
qui  Taisait  tous  les  dés.rs  des  patriarches  et 
des  prophètes  de  l'ancienne  loi  ;  c'est  cette 
paix  que  les  anges  annoncèrent  aux  hommes 
de  bonne  volonté  dans  le  temps  de  la  nais- 
sance du  Sauveur  du  monde;  qu'il  laissa  à 
ses  disciples,  comme  le  gage  de  son  amour  , 
sur  le  point  de  sa  passon  ;  et  qu'enfin  il  leur 
donna  le  jour  de  sa  résurrection  ,  comme  le 
prix  de  tous  ses  travaux  et  comme  la  con- 
sommation de  sa  vie  mortelle. 

Or,  si  la  paix  de  l'âme  fait  le  bonheur 
chrétien,  il  n'est  pas  moins  vrai  que  la  paix 
temporelle  lait  toute  la  félicité  des  peuples. 
Son  nom  seul  halte  nos  esprits,  dit  saint  Au- 
gustin, et  fait  je  ne  sais  quelle  impression 
de  douceur  cl  de  joie  dans  le  cuuir  des  hom- 
mes :  Tunlum  est  paeis  bomim,  ut  nihil  gra- 
tins soleat  audiri.  Elle  est  l'objet  de  leurs 
espérances  et  de  leurs  soupirs  quand  ils  ne 
la  possèdent  pas  :  Nihil  desiderabilius  con- 
cupisci  ;  et  lorsque  Dieu,  propice  à  leurs  dé- 
sirs, la  donne  à  la  le;re,  ils  en  désirent  la 
durée  avec  ardeur,  et  ils  la  regardent  comme 
un  présent  du  ciel,  qui  procure  le  repos  pu- 
blic et  assure  toutes  les  fortunes  particu- 
lières :  Nihil  melius  possit  inveniri. 

C'était  une  des  raisons  dont  se  servait 
saint  Paul ,  quand  il  exhortait  les  premiers 
fldèles  à  faire  à  Dieu  des  demandes  ,  des 
prières,  des  supplications  pour  les  rois  de  la 
terre.  Ne  cessons  point  d'importuner  le  Sei- 
gneur ,  disait-il  .  afin  que  nous  menions  une 
vie  paisible  et  tranquille  dans  la  piété  et  daîis 
la  vertu.  Cet  apôtre,  convaincu  que  les  peu- 
ples ne  peuvent  recevoir  de  leurs  princes  un 
bien  plus  important  et  plus  nécessaire,  mar- 
que pour  princine  de  l'obligation  où  nous 
sommes  d-;  prier  pour  eux  le  besoin  que 
nous  avons  de  celte  tranquillité  extérieure 
et  passagère,  non-seulement  utile  à  nos  in- 
térêts temporels  ,  mais  encore  plus  propre 
aux  devoirs  de  notre  salut  et  plus  conve- 
nable à  l'exercice  des  vertus  chrétiennes. 

En  elïet,  les  princes  ambitieux  haïssent  la 
paix  parce  qu'elle  est  un  obstacle  à  leurs 
vains  désirs.  Ils  souhaitent  la  guerre  parce 
qu'elle  est  un  moyen  ou  d'étendre  les  bor- 
nes de  leur  empire  ,  comme  s'ils  devaient 
être  seuls  sur  la  terre  ,  ou  d'immortaliser 
leur  nom,  comme  si  leur  réputation  les  de- 
vait suivre  dans  le  tombeau.  Par  mille  Ira- 
vaux  ils  cherchent  une  gloire  sujette  à  des 
révolutions  et  à  des  chutes  ,  et  qui ,  par  un 
juste  jugement  de  Dieu,  est  difficile  à  acqué- 
rir et  facile  à  perdre.  In  événement  malheu- 
reux ternit  souvent  tout  l'éclat  d'une  belle 
vie.  l'eu  attentifs  à  toutes  les  calamités  que 
produit  leur  ambition  ,  il  leur  importe  peu 
de  troubler  le  monde  entier,  pourvu  qu'ils 
suivent  les  mouvements  dérègles  de  leur  va- 
nité. Leurs  actions  les  plus  héroïques  et  que 
li  s  mondains  admirent  ne  sont  souvent  que 


crime  et  qu'iniquité  aux  yeux  de  Dieu  ;  et , 
se  préparant  des  supplices  éternels,  ils  uni- 
fient dans  l'autre  vie  ce  que  dit  saint  Au- 
gustin ,  que  ces  héros  apr'i  leur  mort  sont 
tourmentés  où  ils  sont  ,  et  loués  où  ils  ne  • 
pas. 

Mais  au  contraire  les  bons  princes,  qui  M 
vent  que  la  guerre  la  plus  juste  a  des  eflèll 
nécessairement  funestes  et  presque  loujour» 
irréparables,  ne  l'entreprennent  que  par  né- 
cessité ;  convaincus  que  leur  rentable  gran- 
deur consiste  à  rendre  leurs  peuplas  heu- 
reux ,  ils  aiment  la  paix  par  conscience  et 
par  religion;  instruits  de  cette  maxime  da 
saint  Paul,  qu'en  vain  gagne-l-ou  le  mon  le 
entier  si  on  perd  son  âme  fl),  ils  pn  lèn-nl 
le  litre  de  pacifique  à  celui  de  conquérant. 
Au  milieu  des  succès  dont  Dieu  bénit  leui  % 
armes  et  leurs  desseins,  ils  sont  plus  touchés 
du  beso  n  de  leurs  sujets  que  de  l'idée  (lai- 
teuse de  leurs  conquêtes  :  leur  gloire  mé 
est  à  charge  à  leur  piété,  et,  sachant  ie  que 
coûtent  aux  particuliers  les  exploits  des 
princes  et  la  fortune  de  l'Etal,  ils  s'affligent 
dans  leurs  cœurs  de  leurs  pr  spérilés  el  g  •  - 
missent  en  secret  de  leurs  victoires. 

.Mais  celle  tranquillité  temporelle,  si  dé- 
sirée dans  tous  les  temps  ,  est  l'ouvrage  de 
Dieu  seul  ,  qu^  1  i  donne  ou  qui  la  relire  se- 
lon les  vues  toujours  justes  de  sa  provi  - 
ocine  ;  tantôt  lsaïe  dit  que  le  téntable  u  m 
du  Seigneur  est  ielui  de  prince  de  la  paix  : 
Vocabitur  nomen  ejxu  ,  princep*  jiucis  ;  tan- 
tôt Dieu  nous  assure  qu'il  la  donnera  à  sou 
peuple  quanJ  sa  justice  sera  satisfaite  :  Lo- 
quelur  pacem  ad  plebem  su  .m  ;  tantôt  il  n  u> 
dit ,  par  la  bouche  de  l'Apôtre,  que  c'est  lui 
qui  la  donne  à  l'Orient  et  â  l'Occident  quand 
il  lui  plaît;  qu'il  rompt  ce  mur  de  séparation 
que  la  guerre  élève  entre  des  nations  dilTe- 
reules,  lorsque  sa  colère  est  apaisée,  ou  par 
l'innocence  des  justes ,  ou  par  la  conversion 
des  pécheurs;  et  que,  comme  l'union  qui 
nous  lie  avec  le  prochain  par  les  nœuds  de  la 
charité  chrétienne  est  l'effet  de  son  amour 
et  de  son  esprit  ,  l'union  politique  qui  ré- 
concilie les  peuples  et  les  Liais  par  les  liens 
d'une  charilé  commune  est  aussi  la  suite  de 
sa  miséricorde  et  de  sa  puissance. 

C'est  ainsi ,  Seigneur,  que  vous  le  décla- 
rez dans  vos  Ecritures,  et  vos  paroles  ne  Bout 
jamais  vaines.  Vous  pronn  lie/  de  pardonner 
aux  pécheurs  qui  se  convertissent ,  et ,  cou- 
lent de  leur  repentir,  vous  donnez  des  bor- 
nes à  votre  vengeance.  Au  milieu  des  agita- 
tions d'une  guerre  longue  et  sanglante,  vous 
lirez  quelquefois  le  calme  el  le  repos  du  sein 
de  votre  paternelle  boule.  Vous  tournez  le 
cœur  îles  rois  au  gre  de  vos  volontés,  t  t\ous 
leur  inspirez  quand  vous  voulez  le  désir 
d'une  heureuse  réunion.  Votre  clémence  est 
infinie  ,  nous  connaissons  que  nous  avons 
péché  contre  vous,  nous  nous  coulions  en 
>os  boules;  el  si  la  politique  mondaine,  tou- 
jours douteuse  el  toujours  flottante,  ne  voit 
que  des  obstacles  qui  s'opposent  au  retour 
d'une  paix   si  attendue  et  nécessaire  ,  notre 


(1)  C.eiie  çi.iTole   nY*  p.is  do  avilit  Paul,  niais  die   est  sortie  0«  la  l<oucbe  luërot  de   Notre  -Seigneur,  «n  Mi*t 
Matthieu,  ebap.  XVI,  v.  m. 


981 


DISCOURS  II  POUR  L'OUVERTURE  DES  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


foi,  appuyée  sur  votre  parole  et  sur  la  dou- 
leur de  nos  péchés  ,  espère  des  ressources 
que  votre  providence  a  préparées  et  que  la 
prudence  humaine  n'a  pas  prévues. 

En  effet,  les  promesses  de  Dieu  ne  sont 
pas  romme  celles  des  hommes,  qui  sont 
d'ordinaire  sans  certitude,  sans  sincérité, 
sans  exécution.  Il  jure  par  lui-même  que  la 
paix  sera  la  suile  de  notre  justice;  pourquoi 
cela,  mes  frères?  c'est  qu'il  y  a  un  pacte 
éternel  et  immuable  entre  la  miséricorde  du 
Seigneuret  la  pénitence  des  hommes.  Si  nous 
avons  un  désir  sincère  d'une  conversion 
solide,  nous  devons  être  sûrs  qu'il  se  laissera 
fléchir  :  comme  la  vérité  de  ses  Ecritures 
n'est  pas  incertaine,  l'espérance  du  pénitent 
n'est  pas  confondue;  hé!  quelle  source  de 
confiance  n'est-ce  pas  pour  les  pécheurs 
dans  le  cours  de  leur  pénitence,  et  pour  les 
malheureux  dans  les  adversités  de  la  vie ,  de 
servir  un  maître  qui  donne  à  ceux  qui  le 
craignent  non-seulement  les  grâces  inté- 
rieures ,  qui  sont  le  principe  de  noire  salut , 
mais  encore  ces  consolations  passagères  qui 
font  le  repos  et  la  félicité  de  la  terre? 

Quel  homme  fut  plus  affligé,  plus  persé- 
cuté et  enfin  plus  heureux  et  plus  favorisé 
de  Dieu  que  le  prophète-roi?  Un  fils  ingrat 
se  révolte  contre  lui ,  et  veut  usurper  un 
trône  que  la  nature  lui  destinait  et  que 
sou  crime  lui  fit  perdre.  Dicite  :  Regnavit 
Absalom  in  Jlebron.  Il  emploie  tous  les  ar- 
tifices qu'une  excessive  ambition  suggère  à 
un  esprit  habile  et  insinuant  :  Erut  ambitio- 
sus  valde.  Il  flatte  un  peuple  crédule  par  des 
espérances  cl  par  des  caresses  :  Et  cum 
arceileret  ad  eum  homo ,  extendebat  manum 
snam;  il  attire  ce  genre  d'hommes  toujours 
mécontents,  qui  sont  avides  de  la  nouveauté, 
et  qui  cherchent  dans  les  révolutions  des 
empires  la  matière  de  leur  fortune  :  Sollici- 
tabal  corda  virorum  Israël.  11  fait  servir  la 
religion  même  de  prétexte  à  ses  desseins  :  Si 
reduxerit  me  Dominus  in  Jérusalem,  sacrifi- 
caho  Domino;  tout  Israël  suivait  le  parti  de 
l'usurpateur,  et  tout  semblait  conspirera 
rendre  son  crime  heureux  :  Toto  corde  uni- 
verstis  Israël  sequitur  Absalom.  Mais,  Sei- 
gneur, vous  dissipez  quand  il  vous  plaît  les 
puissances  les  plus  affermies,  et  les  prospé- 
rités des  mondains  sont  quelquefois  les  pré- 
sages de  leur  réprobation  et  de  leur  chute. 
David,  abandonné,  fugitif,  et  trouvant  à  peine 
un  asile  dans  le  désert,  n'avait  pour  lui  que 
sa  piété el  sa  confiance;  il  fut  pourtant  vain- 
queur de  ses  ennemis;  ce  fils  dénaturé  fut 
enfin  la  victime  de  son  ingratitude  et  de  siv; 
projets  ;  et  celte  profonde  paix  ,  conclut 
l'Ecriture,  qui  succéda  aux  expéditions  mi- 
litaires du  roi  son  père,  fut  moins  l'ouvrage 
de  sa  valeur  et  de  ses  exploits ,  que  le  fruit 
de  sa  ferveur,  de  sa  foi  et  des  larmes  de  sa 
pénitence. 

Il  est  donc  vrai  que  notre  conversion  seule 
nous  peut  procurer  celte  tranquillité  exté- 
rieure que  nous  désirons;  car  le  péché  a  trois 
effets  principaux  (nouvelle  raison  île  saint 
Augustin)  :  il  nous  révolte  contre  Dieu  par 
nuire  désobéissance.,  il  nous  soulève  contre 


nous-mêmes  par  le  dérèglement  de  nos  pas- 
sions, il  divise  les  hommes  par  la  cupidité; 
or  la  grâce  de  la  pénitence  rétablit  tous  ces 
désordres  et  produit  trois  avantages  opposés  : 
elle  nous  soumet  à  Dieu  dans  l'observation 
de  ses  lois  et  de  ses  préceptes,  elle  nous  sou- 
tient dans  les  tentations  dont  la  chair  afflige 
l'esprit ,  et  en  troisième  lieu  elle  nous  unit 
avec  le  prochain;  elle  accorde  les  nations 
avec  les  nations,  noi»-seulement  en  nous  ins- 
pirant de  bons  désirs,  mais  encore  par  voie 
d'impétration,  en  déterminant  Dieu  à  conci- 
lier tous  les  différents  intérêts  qui  partagent 
les  empires,  et  qui  sont  la  matière  des  guerres 
les  plus  sanglantes  el  les  plus  cruelles. 

Qu'elle  est  grande  par  conséquent ,  dit  ce 
même  Père,  l'efficace  de  celte  vertu,  puisque 
la  justice  de  Dieu  même  cède  à  son  pouvoir, 
qu'elle  seule  nous  obtient  du  ciel  le  bien  le 
plus  précieux  de  la  terre,  et  qu'elle  nous  rend 
ce  repos  temporel  qui  nous  retrace  l'image 
decelui  quepossèdenlles  saints  dans  le  centre 
de  la  béatitude,  sans  cupidité,  sans  jalousie, 
sans  passions;  toujours  unis  avec  Dieu,  tou- 
jours unis  entre  eux-mêmes  ,  ils  jouissent 
d'une  éternelle  paix;  et  tel  aussi  eût  été  l'état 
heureux  de  la  condition  humaine,  si  notre 
premier  père  eût  conservé  l'innocence  pri- 
mitive de  sa  création,  el  s'il  n'eût  point  laissé 
dans  les  hommes  par  son  péché  la  source  de 
la  division  et  de  la  discorde. 

Mais  pouvez-vous  demander  à  Dieu  cette 
paix  que  vous  désirez,  vous  qui  ne  la  con- 
servez pas  avec  vos  citoyens  el  avec  yos 
frères;  qui  nourrissez  dans  votre  cœur  des 
haines  injustes  que  le  temps  ne  saurait  finir; 
qui  vous  réconciliez  plutôt  par  bienséance 
et  par  politique  que  par  les  mouvements  de 
la  charité  chrétienne,  et  qui  ne  pardonnez 
peut-être  à  vos  ennemis  que  lorsque  vous 
n'êtes  plus  en  pouvoir  de  leur  nuire?  Aimez- 
vous  votre  prochain,  vous  qui  dans  vos  dé- 
tractions ne  respectez  ni  le  sacré  ni  le  pro  - 
fane,  ni  l'innocent  ni  le  coupable;  qui,  non 
content  de  parlerdesdéréglementsapparenls, 
inventez  ce  qui  n'eul  jamais  de  vérité  ni  de 
vraisemblance;  qui,  ne  pouvant  censurer  les 
mœurs  ,  cherchez  avec  soin  le  ridicule  des 
personnes,  et  qui,  bien  loin  de  .supporter  les 
imperfections  et  les  défauts,  n'épargnez  pas 
l'innocence  et  la  vertu  même?  Aimez-vous  la 
paix,  vous  qui,  dans  les  projets  de  votre 
ambition  ,  ne  pensez  qu'à  détruire  ceux  qui 
peuvent  être  vos  concurrents?  Vous  allez 
sans  scrupule  noircir  leur  réputation  dans 
les  lieux  où  les  grâces  se  distribuent,  par 
des  voies  obliques  et  d'autant  plus  dange- 
reuses qu'elles  sont  cachées;  vous  tâchez  de 
décréditer  un  mérite  qui  vous  efface;  vous 
égorgez  en  secret  des  victimes  innocentes, 
de  peur  que  la  fortune  ou  la  faveur  ne  vous 
les  préfère;  et  souvent,  déchu  de  l'espoir  de 
l'élévation  où  vous  aspirez,  vous  perdez  par 
la  malice  d'un  autre  compétiteur  et  par  un 
juste  jugement  de  Dieu  le  fruit  de  vos  in- 
justices et  de  vos  mensonges. 

Ce  n'est  donc  point  la  prudence  humaine 
qui  peut  aujourd'hui  procurer  la  paix;  car 
si  la  guerre  que  nous  soutenons  n'avait  pour 


ORATEURS  SACRES.  DE  NESMOND. 


984 


fondement  qu'un  intérêt  passager  ou  une 
prétention  douteuse,  la  fin  en  serait  pro- 
chaine; quelques  événements  décideraient 
des  droits  contestés  ;  les  succès  d'une  cam- 
pagne ,  la  prise  d'une  ville  ou  la  conquête 
d'une  province  ramèneraient  la  tranquillité, 
et  le  calme  succéderait  bientôt  à  ces  orages 
qui  ne  durent  que  peu  de  temps,  et  qui  se 
dissipent  presque  aussitôt  qu'on  les  a  vus 
naître. 

Mais  cette  guerre,  la  plus  cruelle  dont 
l'Europe  ait  été  affligée  depuis  plusieurs 
siècles  ,  a  été  allumée  par  l'ambition  et  par 
la  haine;  la  fureur  et  la  férocité  l'entretien- 
nent :  le  temps  ,  qui  ralentit  toutes  choses, 
semble  augmenter  la  rage  de  nos  ennemis; 
aussi  épuisés  que  nous ,  ils  sacrifient  la 
douceur  de  leur  repos  aux  sentiments  de 
leur  jalousie  :  les  conditions  qui  leur  sont 
offertes  ,  au  lieu  d'attirer  leurs  réflexions  , 
flattent  peut-être  leur  espérance;  nos  pros- 
pérités les  irritent,  nos  disgrâces  les  en- 
couragent, et,  dans  les  divers  mouvements 
de  leur  désespoir  ou  de  leur  orgueil,  ils  sont 
également  animés  par  nos  victoires  et  par 
nos  pertes. 

Au  milieu  d'une  profonde  paix,  dont  la  foi 
des  traités,  solennellement  jurés,  semblait 
assurer  la  durée  ,  on  vit  éclore  tout  d'un 
coup  une  ligue  formidable,  qui,  préparée 
avec  secret  et  fondée  sur  le  mensonge  ,  sur- 
prit presque  notre  prévoyance.  Le  bonheur 
d'un  royaume  gouverné  par  le  plus  grand 
et  par  le  plus  sage  de  tous  les  rois  excita  le 
dépit  injuste  de  tant  d'alliés  :  on  craignit  une 
puissance  qui  faisait  la  loi  à  toutes  les  autres, 
et  qui ,  par  une  protection  constante  dont 
Dieu  la  favorisait,  était  devenue  la  terreur 
et  l'admiration  de  toute  l'Europe;  on  mit  en 
usage  contre  nous  l'artifice,  l'imposture,  le 
prétexte  de  la  religion. 

Ecoutez  par  conséquent,  princes  de  la 
terre,  dit  la  Sagesse  éternelle,  et  craignez; 
vous  qui,  troublant  le  repos  du  monde  ,  sa- 
crifiez votre  salut  à  votre  ambition  ,  consi- 
dérez que  l'usage  que  vous  devez  faire  de 
votre  pouvoir  est  de  procurer  la  félicité  pu- 
blique; Dieu  jugera  le  fond  de  vos  pensées  et 
interrogera  toutes  vos  œuvres;  les  prétextes 
el  les  artifices  dont  vous  vous  servez,  les  re- 
plis les  plus  secrets  de  vos  cœurs  n'échappe- 
ront poiut  à  sa  pénétration  et  à  ses  lumières; 
il  vous  redemandera  âme  pour  âme,  et  toutes 
les  calamités  d'une  guerre  injuste  seront 
comptées  avec  rigueur.  11  réprouve  loule 
puissance  que  la  religion,  la  piélé  et  l'amour 
de  la  paix  ne  dirigent  pas  ;  et  pendant  qu'il 
promet  aux  petits  ses  grâces  et  ses  récom- 
penses, tremblez  lorsqu'il  fait  craindre  aux 
puissants  du  siècle  les  châtiments  les  plus 
redoutables  d'un  juge  inflexible  qui  ne  par- 
donne plus  quand  la  mesure  de  sa  miséri- 
corde est  comblée. 

C'est  l'avis  que  Dieu  donne  aux  princes  de 
la  terre,  qui,  occupés  d'ordinaire  des  senti- 
ments de  leur  pouvoir  et  de  leur  orgueil , 
songent  moins  à  rendre  leurs  peuples  heu- 
reux que  leur  nom  célèbre.  Mais  quel  fonds 
«te  gloire   n'est-ce  point  pour  ce  grand  roi 


auquel  la  Providence  nous  a  soumis,  qui, 
sans  (esse  attentif  aux  intérêts  de  son  Elal , 
est  toujours  prêt  de  sacrifier  les  conquêtes 
qui  sont  lei  fruits  de  ses  travaux  et  de  son 
courage;  qui,  pouvant  soutenir  la  guerre  avec 
succès  ,  ne  désire  que  de  la  finir  par  pieté  et 
par  religion;  qui,  dans  les  dépenses  que  ses 
besoins  el  une  indispensable  nécessité  l'obli- 
gent de  faire,  n'exige  de  nous ,  contre  son 
cœur,  des  subsides  extraordinaires,  que  pour 
forcer  ses  ennemis  à  une  paix  durable  et 
solide;  et  qui,  comme  le  disait  autrefois 
sainl  Grégoire  à  l'empereur  Maurice,  dans 
les  fondions  différentes  de  la  royauté  et 
dans  les  plus  petites  pratiques  des  vertus 
chrétiennes  ,  ne  regarde  que  l'accomplisse- 
ment de  ses  devoirs,  la  tranquillité  de  ses 
sujets  et  les  lois  les  plus  exactes  de  l'Evan- 
gile et  de  sa  conscience  1 

A  la  vérité,  le  poids  de  nos  contributions 
est  à  charge  à  nos  fortunes  ;  une  guerre  si 
longue  et  si  opiniâtre  diminue  nos  moyens 
et  épuise  toutes  nos  ressources.  A  nos  maux 
et  à  nos  tribulations  Dieu  ajoute  souvent  des 
récoltes  stériles,  ci  nos  campagnes  semblent 
avoir  perdu  leur  graisse  et  leur  fécondité  ; 
nous  sommes  même  pauvres  dans  l'abon- 
dance de  nos  moissons,  par  la  cessation  du 
commerce, que  la  paix  seule  rend  florissant  ; 
nous  voyons  tarir  avec  nos  biens  le  sang  le 
plus  pur  de  la  noblesse  française,  qui  rend 
le  royaume  de  France  si  redoutable  à  nos  en- 
nemis; et  dans  cet  épuisement  presque  uni- 
versel où  nous  réduit  la  punition  de  nos  pé- 
chés ,  nous  ne  sommes  soutenus  que  par 
l'espoir  d'un  temps  plus  heureux,  et  par  l'a- 
mour pour  la  gloire  et  pour  les  intérêts  de 
notre  patrie. 

Quel  empressement  louable  et  digne  du 
nom  français  ue  voit-on  pas  dans  les  ordres 
de  cette  monarchie  ,  pour  proportionner  le 
secours  aux  nécessités  présentes?  Les  ma- 
gistrats et  le  peuple,  les  villes  el  la  campa- 
gne, les  grands  et  les  petits,  u'ont  tous  pour 
i'Eiat  qu'un  même  esprit  el  qu'un  même 
cœur;  l'Eglise  de  France,  qui  offre  tous  les 
jours  à  Dieu  des  prières  el  des  sacrifices,  se 
signale  encore  dans  ses  assemblées  par  des 
dons  extraordinaires,  preuves  éclatantes  de 
son  dévouement.  Celle  prounce,  outre  les 
subsides  qu'elle  paye  avec  d'aulant  plus  de 
mérite  qu'elle  a  plus  de  peine  à  les  acquitter, 
a  eu  la  gloire  de  proposer  un  nouveau  moyen, 
que  sa  prévoyance  et  sou  attention  au  Lien 
public  lui  ont  inspire  :  nos  successeurs  ver- 
ront après  nous  dans  nos  registres  ce  monu- 
ment illustre,  que  le  roi  ,  par  des  témoigna- 
ges publics,  a  bien  voulu  bonorer  de  son 
approbation  el  de  ses  éloges;  el  dans  la  glo- 
rieuse possession  où  nous  sommes  de  d  n- 
ner  l'exemple  aux  aulres  provinces,  insensi- 
bles à  nos  propres  besoins  ,  toujours  atten- 
tifs à  nos  devoirs,  nous  n'avons  d'autre  dou- 
leur que  de  ne  pouvoir  égaler  par  de  plus 
grands  effort!  tous  les  mouvements  de  uolre 
lidelilé  et  loule  l'étendue  de  notre  zèle. 

Aussi  quel  mérite  n'onl  point  aux  yeux 
de  Dieu  les  subsides  que  nous  payons  pour 
le  soutien  de  l'Etat  I  Quoi  de  plus  graud,  non- 


985 


DISCOURS  II  POUR  L'OUVERTURE  DES  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


9RC 


seulement  pour  le  citoyen  qui  se  conduit  par 
les  règles  de  la  politique  mondaine,  mais  en- 
core pour  le  chrétien  qui  suit  les  préceptes 
de  l'Evangile,  quoi  de  plus  saint,  dis-je,  que 
de  sacrifier  ses  biens  et  sa  vie  même  pour  la 
défense  de  la  religion  et  du  bien  public  1  Les 
premiers  fidèles,  fondés  sur  les  paroles  et 
sur  les  exemples  de  Jésus-Christ,  préféraient 
à  leurs  propres  besoins  les  intérêts  de  leurs 
princes  et  de  leur  patrie;  et  ne  pouvons-nous 
pas  conclure,  avec  saint  Augustin,  que  nos 
contributions  ,  consacrées  par  la  sainteté  de 
ces  motifs  et  par  l'importanre  de  l'usage, 
sont  précieuses  devant  le  Seigneur;  que  ces 
biens  que  nous  sacrifions  ,  tout  passagers  et 
terrestres  qu'ils  sont,  acquièrent,  par  le  pré- 
cepte de  Jésus-Christ  et  par  la  considération 
de  l'utilité  publique,  un  caractère  de  consis- 
tance et  de  spiritualité  pour  l'avantage  et  la 
perfection  de  notre  salut? 

Vous  me  direz  sans  doute  que  ces  ma- 
ximes sont  certaines ,  que  vous  connaissez 
vos  obligations  ,  mais  que  la  pratique  en  est 
difficile  ;  je  l'avoue  :  permettons  les  gémis- 
sements à  ces  ma  heureux  qui,  portant  tout 
le  poids  du  jour  et  de  la  chaleur,  n'ont  pour 
ressource  que  leur  travail  et  leur  industrie; 
qui,  victimes  innocentes  d'une  guerre  dont 
le  temps  ne  diminue  ni  les  incommodités  ni 
la  fureur,  perdent  quelquefois  par  la  main 
du  soldat  et  de  l'ennemi  plusieurs  récoltes 
dans  une  seule  et  l'espoir  de  plusieurs  an- 
nées ;  qui  ne  sèment  et  ne  moissonnent  que 
pour  acquitter  leurs  subsides,  et  à  qui  nous 
pouvons  appliquer  ce  que  dit  saint  Augustin, 
que  pendant,  que  les  uns,  aisés  et  opulents 
dans  les  villes  ,  suivent  le  penchant  de  leur 
convoitise  (suites  du  péché  du  premier  hom- 
me ) ,  les  autres,  dans  les  tribulations  et 
dans  les  travaux  de  la  campagne,  semblent 
en  souffrir  ici-bas  toute  la  malédiction  et 
toute  !a  peine. 

Mais  parmi  tant  de  malheureux ,  combien 
y  a-t-il  de  citoyens  qui  sont  avares  ou  in- 
différents quand  il  faut  contribuer  aux  be- 
soins publics  ,  et  qui  ne  sont  que  trop  pro- 
digues pour  entretenir  leur  faste  ou  pour 
rechercher  leurs  plaisirs!  On  ne  s'entretient 
dans  le  monde  que  de  la  diminution  des  reve- 
nus et  de  la  difficulté  de  subsister  ;  cependant 
il  n'y  eut  jamais  plus  de  magnificence  dans 
les  bâtiments,  dans  les  meubles  et  dans  les 
modes  qu'invente  tous  les  jours  notre  na- 
tion ,  fertile  en  moyens  de  se  ruiner.  Les 
nécessités  de  l'Etat  nous  coûtent-elles  ce 
que  nous  coûtent  nos  passions  et  notre 
mollesse?  Et  pourquoi  rejetez-vous  avec 
injustice  sur  les  subsides  que  vous  payez 
le  désordre  de  vos  affaires ,  qui  est  plu- 
tôt la  suite  de  vos  folles  dépenses  ,  qui 
vous  épuisent  et  qui  vous  consument  ? 
Or,  ces  subsides  mêmes  doivent  faire  une 
partie  de  notre  pénitence;  et  c'est  en  cela, 
dit  saint  Grégoire  ,  que  consiste  le  bon- 
heur et  la  consolation  du  chrétien  qui 
pense  sérieusement  à  sa  conversion  :  les 
peines  et  les  amertumes  peuvent  devenir 
par  sa  soumission  et  par  sa  pénitence  la 
source  de  sa  sanctification  et  de  son   mé- 


rite: tout  tourne  au  profit  du  juste  et  du 
pénitent,  jusqu'à  leurs  imperfections  et  à 
leurs  fautes  ;  ils  ne  doivent  point  se  dé- 
courager, dans  les  afflictions  que  Dieu  leur 
envoie  pour  la  punition  de  leurs  crimes 
ou  pour  l'exercice  de  leurs  vertus  ;  et  dans 
les  adversités  publiques,  comme  dans  les 
pratiques  particulières  du  salut,  il  n'y  a 
point  de  péché  qui  déplaise  davantage  à 
Dieu  que  la  défiance  de  ses  bontés  ou  les 
doutes   de  sa    providence. 

Et  en  effet ,  c'est  pour  établir  dans  nos 
cœurs  l'espoir  certain  de  sa  protection  dans 
toutes  les  tribulations  ou  générales  ou  per- 
sonnelles ,  qu'il  s'appelle  si  souvent  dans 
les  saintes  Ecritures  le  Dieu  ,  le  Seigneur 
et  le  Père  des  hommes  ;  l'idée  de  sa  di- 
vinité met  entre  lui  et  nous  une  distance 
infinie;  l'attribut  de  Seigneur  et  de  Père 
nous  rapproche  de  lui  ;  sa  puissance  nous 
étonne ,  mais  sa  miséricorde  nous  rassure 
et  anime  notre  confiance.  C'est  ainsi  que 
s'en  expliquait  David,  dans  les  divers  évé- 
nements de  son  règne:  Mes  ennemis,  di- 
sait-il, se  sont  élevés  contre  moi;  mais 
ils  ne  savent  pas  ,  que  ,  comme  Dieu  , 
vous  pouvez  dissiper  tous  leurs  vains  pro- 
jets ;  que  ,  comme  père  de  tous  ceux  q^'' 
se  confient  en  vous  ,•  et  dans  les  larmes 
d'une  pénitence  sincère,  vous  êtes  le  pro- 
tecteur de  ma  couronne  et  de  mon  royau- 
me ;  et  rien,  conclut  saint  Bernard,  ne 
marque  mieux  la  dépendance  où  nous  som- 
mes à  l'égard  de  Dieu  ,  comme  aussi  rien 
ne  rend  plus  de  gloire  à  sa  souveraineté 
que  l'espérance  que  nous  avons  en  son 
pouvoir  et  en  son   secours. 

Quelle  preuve  plus  sensible  de  l'obliga- 
tion où  nous  sommes  de  nous  confier  en 
lui  ,  que  les  bénédictions  qu'il  a  répan- 
dues sur  la  France ,  depuis  la  naissance 
même  de  la  monarchie ,  dans  les  temps  les 
plus  difficiles  !  Dans  les  conjonctures  les 
plus  pressantes,  il  a  pour  elle  des  retours 
de  miséricorde  que  la  prévoyance  humaine 
ne  connaissait  pas.  Malgré  nos  dérègle- 
ments et  notre  tiédeur,  dans  cette  guerre 
dont  nous  gémissons ,  l'ange  qui  veille  à 
notre  garde  a  conservé  nos  provinces  et 
défendu  toutes  nos  frontières  :  le  Dieu  de 
nos  pères  ne  nous  a  pas  privés  de  ses 
grâces  et  de  sa  protection  ;  chaque  cam- 
pagne a  presque  toujours  été  marquée  par 
quelques  victoires,  et  tous  les  efforts  de 
nos  ennemis  n'ont  pu  jusqu'ici  que  repren- 
dre une  place  dont  la  défense  a  été  si  glo- 
rieuse à  noire  nation,  et  dont  Dieu  n'a 
permis  la  perle  que  pour  humilier  peut- 
être  en  nous  l'orgueil  d'une  constante  su- 
périorité,  et  pour  ramener  à  lui  seul  no- 
tre confiance. 

Il  s'ensuit  de  tous  ces  principes  (  et  je 
finis  par  cette  réflexion  )  que  notre  con- 
version seule  peut  attirer  sur  nous  les 
prospérités  de  la  guerre  et  les  douceurs 
d'une  paix  durable.  Telle  était  la  conduite 
des  Juifs  :  dans  les  besoins  publies  ,  ils  se 
purifiaient  Mr  le  jeûne,  par  les  veilles 
cl  par    la    prière  ;   on    ne   voyait   dans    les 


1)87 


ORATEURS  SACRE*.  DE  NESMOND. 


083 


villes  et  dans  les  campagnes  que  douleur, 
que  silence,  que  recueillement  ;  Dite  na- 
tion   entière   s'unissait   par   des    pratique! 

communes  de  pénitence;  el  ,  i  our  fonder 
noire  e -péran'e  sur  l'imita t ion  de  ces  exem- 
ples ,  nous  lisons  dans  les  livres  saints 
que  la  miséricorde  de  Dieu  ,  Qéchie  par 
les  larmes  d'un  repentir  sincère  el  solide, 
a  révoqué  plusieurs  lois  des  arrêts  que 
sa   colère   avait   prononcés. 

Hé!  quelle  source  de  consolation  n'est- 
ce  point  quand  nous  voyons  dans  les  Ecri- 
tures qu'il  ne  faut  que  dix  justes  pour 
lllirer  les  bénédictions  du  ciel  sur  une 
ville  ,  sur  toui  un  royaume  !  Dieu  ne  con- 
fond jamais  l'innocent  avec  le  coupable, 
mais  il  pardonne  souvint  au  coupable  en 
faveur  du  juste;  il  aime  à  resserrer  ses 
jhsiires  et  à  étendre  ses  miséricordes;  et 
peut-être  qu'il  accordera  à  la  ferveur  de 
quelque  âme  fidèle,  qui  prie  dans  le  fond 
de  sa  solitude,  ou  à  quelque  pécbeur  con- 
trit qui  gémit  au  pied  des  autels  ,  cette 
paix  désirée  par  tant  de  peuples  ,  et  qui 
doit  être  l'objet  continuel  de  nos  vœux, 
de   nos    sacrifices  et   de   nos   prières. 

Mais  en  vain  la  demandons-nous  celle 
paix ,  si  nous  ne  la  procurons  plutôt  à 
nos  cœurs  el  à  nos  consciences.  Tout  le 
monde  gémit  et  se  plaint ,  et  personne  ne 
se  convertit  ;  le  néant  et  la  vanilé  des 
créatures  attachent  presque  tous  les  hom- 
mes: l'un,  rempli  des  projet!  de  son  am- 
bition ,  cherche  tous  les  moyens  de  s'éle- 
ver à  une  fortune  incenaine  dans  sa  pour- 
suite et  fragile  dans  sa  possession  ;  l'au- 
tre ,  entraîné  par  la  convoiiise  des  sens, 
ne  pense  qu'aux  plaisirs  trompeurs  d'une 
Vie  molle  et  voluptueuse;  chacun  s'oc- 
cupe des  affaires  passagère-,  du  siècle,  et 
nous  passons  nos  jours  dans  un  oubli  con- 
tinuel des  devoirs  de  notre  salut.  On  ren- 
voie à  un  temps  douteux  une  conversion 
encore  plus  douteuse  :  on  remet  si  pé- 
nitence au  moment  fatal  de  la  mort,  qui, 
par  un  juste  jugement  de  Dieu  ,  est  pres- 
que toujours  imprévue  ,  el  de  tous  les 
intérêts  qui  font  notre  étude  et  notre  at- 
tention dans  tout  le  cours  de  notre  vie, 
le  plus  important  de  tous  est  le  seul  que 
nous   négligeons. 

Seigneur,  dans  la  douleur  que  nous  cau- 
sent nos  péchés  et  dans  la  confiance  que 
nous  donne  votre  bonté,  nous  vous  adres- 
sons les  paroles  que  votre  Esprit-Saint 
nous  a  inspirées  :  que  les  ennemis  qui 
nous  attaquent  sachent  que  c'est  vous  qui 
dès  le  commencement  du  monde  avez  dis- 
sipé les  armées  les  plus  redoutables  ;  ils 
se  confient  en  leur  multitude  et  en  leur 
puissance,  cl  nous  espérons  en  votre  non» 
et  en  votre  bras;  bnsez  leur  foi  ce  par 
voire  force;  cl  humiliez  devant  nous  ceux 
qui  veulent  renverser  par  leur  épée  la 
sainteté  du  tabernacle  et  la  majesté  de 
voire  autel.  Vous  haïssez  les  hommes  su- 
perbes, et  les  prières  des  humbles  vous 
sont   agréables  ;   après   avoir   clé   si  long- 

(I)  L'cvCquo  otliciaiu. 


i  inpi  pour  nous  le  Die  i  de  I,  guerre, 
loyei  en6n  le  Dieu  de  la  paix,  afin  que 
par  vous  et  arec  vous  nous  passion i  du 
repos  de  ce  moule  périssable  dans  le  icla 

d'une  éternelle  paix,  que  je  vous  sou- 
haite.   Ainsi   Soft- il.  | 

TROISIEME  SERMON, 

Préekd  aux  Élattéê  LasuNteie*,  dans  Vé- 
fii$e  de  Noire-Dame  de  Mont/jetlier,  le  2V 
noiem'  re  Di!i7. 

Si  in  prxceptii  meta  ambnla-entisel  mandata  mea  eo»> 
I"  lu  riiis,  m  |U  biiibus  ve.slrn,  eiurnialxi  par  uiu 

DM  .m  v  iota  m 

Si  n,u.,  marchez  selon  mes  précepte!  et    i  tous  obu 
mes  commwidementt,  j  établirai  une  pa 
dont  Boire  pays   et  je  ferai  une  éternelle  alliance  m  ec  tous 

(LfVl!.,  \\\  I,  T,,  (j,  9). 

Monseigneur  (1), 

Si.  dans  ce  jour  que  cette  auguste  assem- 
blée sanctifie  par  sa  piété,  je  monte  ene 
d  inS  «elle  chaire  pour  lui  annoncer  la  parole 
de  vie,  un  sujet  heureux  et  nouveau  vient  au- 
jourd'hui  me  soutenir  dans  mon  dessein  et 
donner  de  la  dignité  et  de  la  force  à  mon  mi- 
nistère. 

;c  venais  autrefois,  mes  frères,  cemir  avec 
vous  des  malheurs  d'une  guerre  cruelle,  que 
les  préventions  ci  la  jalousie  avaient  allu- 
mée. Je  vous  montrais  la  main  de  Dieu  ap- 
pesantie sur  vous,  et  j'ignorais  comment  se 
développeraient  ses  miséricordes;  vos  cala- 
mi'.és  étaient  réelles,  el  je  n'osais  flatter  vo- 
tre douleur  que  dans  l'eloignemenl  par  des 
consolations  douteuses:  nos  victoires  mêmes 
nous  étaient  à  charge,  et  je  ne  parlais  qu'à 
regret  de  ces  prospérités  qui  nous  coût  lient 
le  sang  de  nos  frères  et  la  substance  de  nos 
provinces.  Je  déplorais  le  présent,  je  crai- 
gnais pour  l'avenir  ;  et  au  milieu  de  nos  tri- 
bulati  ns  et  de  nos  craintes,  je  ne  proposais 
à  vos  cœurs  que  l'esi  oir  incertain  d'une 
paix  que  tant  d'intérêts  différents  rendaient 
difficile,  et  que  vos  besoins  vous  faisaient 
désirer  comme  nécessaire, 

Mais  enfin.  Dieu  l'a  donnée  cette  paix,  qui 
a  été  si  longtemps  le  sujet  de  notre  attente 
et  de  nos  désirs.  H  nous  a  éprouvés,  et  il 
nous  console,  soit  que  nous  soyons  devenus 
pénitents  par  l'épreuve,  ou  que,  ma'grc  nos 
dérèglements,  le  St  igneur  se  ressouvienne 
encore  de  ses  anciennes  misérta  >rdesau  mi- 
lieu même  de  sa  colère  :  il  a  regardé  en  pilie 
l'Europe  gémissante  el  aflligee,  il  a  brisé  les 
armes  des  combattants,  cl  il  i  consumé  1  e- 
pee  el  le  boudier  dans  ces  feux  que  nous 
avons  allumés  i  t  qui  ont  éle  les  interprètes 
de  notre  joie;  ce  fer  meurtrier,  et  depuis 
neul  ans  entiers  l'instrument  de  la  destruc- 
tion des  hommes,  ne  sera  désormais  employé 
qu'au  travail  paisible  de  nos  recolles  el  de 
nos  campagnes  ;  la  lance  va  devenir  la  faut 
de  nos  moissonneurs  ^ce  sont  les  expressions 
d'un  prophète):  heureux  de  vous  annoncer 
la  douceur  et  les  avantages  e  la  paix,  plus 
heureux  si  je  pouvais  vous  inspirer  l'usage 
qu'il  en  faut  faire  ! 
Et  ne  pensez  pas  que  ce  grand   ouvrage 


DISCOURS  III  PRECHE  AUX  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


«JS'J 

soit  le  fruit  de  l'industrie  des  hommes;  cl 
qui  eût  cru  que  la  guerre  dût  finir  dans  des  t 
conjonctures  si  difficiles?  La  ligue  qui,  par 
le  nombre  de  ses  partisans  et  par  la  durée  de 
leur  union,  a  été  comme  le  prodige  de  notre 
siècle,  semblait  redoubler  ses  efforts  toutes 
les  années  ;  notre  gloire  était  moinsle  moyen 
que  l'obstacle  de  la  paix,  et  plus  nos  armes 
étaient  victorieuses,  plus  on  craignait  une 
puissance  que  Dieu  protège  et  que  les  hom- 
mes ne  peuvent  abattre.  La  jalousie  augmen- 
tait par  nos  bons  succès,  et  le  temps  ne  dé- 
truisait point  l'espérance  de  nos  ennemis  ;ils 
ne  pouvaient  nous  vaincre,  et  ils  tâchaient 
de  nous  épuiser;  et,  déchus  de  l'espoir  d'af- 
faiblir jamais  notre  réputation  et  notre  va- 
leur, ils  se  flattaient  au  moins  de  décourager 
notre  constance. 

D'ailleurs,  quel  moyen    de   concilier  tant 
d'intérêts  différents  et  même  contraires!  En 
vain  les  ambassadeurs  des  rois  de  la  terre  se 
seraient  assemblés,  si  Dieu  n'eût  été  au  mi- 
lieu d'eux,  pour    leur   inspirer   l'esprit   de 
droiture,  de  sagesse  et  d'intelligence.   Dans 
ces  sortes  de  négociations,  chacun   pense   à 
l'agrandissement  et  à  la  gloire  de  sa  nation, 
et  peu  au  repos  des  peuples, qui  sont  les  vic- 
times. On  emploie  presque  toujours  sa  pru- 
dence à  surprendre  celle  des  autres  ;  on  ne 
se  contente  pas  de  pourvoir  à  la   sûreté  de 
ses  frontières,  on  veut  encore  s'enrichir  des 
dépouilles  de  ses  voisins;  on  sacrifie  d'ordi- 
naire la  simplicité  et  la  bonne  foi  aux  soup- 
çons et  aux  défiance^  :  mais  Dieu,  lorsqu'il  lui 
plali,  ramène  la  poli  tique  des  hommes  aux  des- 
seins que  se  propose  sa  sagesse  ;  les  ministres 
desprinces  ne  sont  que  les  instruments  de  ses 
grâces  et  les  organes  de  ses  volontés  :  sem- 
blables à  ces  ouvriers  que  Moïse  employait 
à    la    conslruction   du    tabernacle  ,   et   qui 
étaient  conduits  par  la  main    invisible  de 
Dieu  et  par  la  vertu  secrète  de  sa   Provi- 
dence. 

C'est  ainsi  que  le  Seigneur  s'en  expli- 
quait, lorsque,  dans  le  judaïsme  naissant, 
selon  les  paroles  de  mon  texte,  il  donnait 
aux  Israélites  les  cérémonies  de  leur  reli- 
gion et  les  règles  de  leur  conduite.  Je  suis, 
leur  disait-il,  le  Dieu  de  la  paix  comme  de  la 
guerre  ,  ti  vous  marchez  selon  mes  préceptes 
et  si  vous  pratiquez  mes  commandements,  ma 
puissance  sera  comme  tributaire  de  vos  désirs; 
je  porterai  la  gloire  de  rolre  nom  jusqu'aux 
extrémités  dr  la  terre  et  j'humilierai  tous  vos 
ennemis  :  après  avoir  éprouvé  votre  courage, 
ils  rechercheront  votre  alliance  ,  vous  serez 
l'étonnement  ou  la  (erreur  des  autres  nations. 
Soyez  fidèlts  ù  ma  sainte  loi,  el  j'accomplirai 
toutes  met  promettre ,  votre  sanctification 
fera  votre  félicité,  et  la  durée  de  voire  piété 
sra  la  mesure  de  mes  miséricordes  et  de  mes 
bien  ft  ils. 

Dans  celte  vue,  mes  frères,  je  viens  vous 
expliquer  aujourd'hui  dans  ce  discours  vo- 
tre bonheur  el  vos  devoirs,  ce  que  le  Sei- 
gneur a  fait  pour  vous  et  ce  que  vous  devez 
l'ai-  e  pour  lui  ;  les  avanlages  de  la  paix  el  les 
obligalions  qu'elle  vous  impose.  Hé  1  no 
croyez  pas,  dit  saint  Augustin,  que  Dieu 


900 


vous  accorde  les  prospérités  de  la  terre  pour 
vous  rendre  seulement  heureux  :  il  veut 
aussi  que  vous  soyez  saints  ;  ces  bénédictions 
temporelles,  qui  étaient  le  partage  et  la  ré- 
compense de  l'ancienne  loi,  ne  sont  dans  la 
nouvelle  et  dans  les  desseins  de  la  Provi- 
dence que  les  moyens  de  votre  salut  ;  et 
malheur  à  vous  si  ces  principes  de  votre 
perfection  devenaient  les  instruments  de  vo- 
tre réprobation  et  de  votre  perle  !  En  un  mot, 
la  paix  est  la  suite  de  la  miséricorde  de  Dieu, 
c'est  mon  premier  point  ;  elle  doit  être  le 
motif  de  notre  sanctification,  c'est  le  second, 
sujet  important,  qui  renferme  les  plus  essen- 
tielles vérités  do  christianisme  pour  l'édifi- 
cation de  vos  mœurs;  et  j'espère  que  ce  q-i 
manquera  à  mes  expressions  sera  suppléé 
par  votre  zèle.  Demandons  les  lumières  du 
Saint-Esprit  par  l'intercession  de  Marie,  en 
lui  disant  avec  l'ange  :  Ave,  Maria. 

PREMIEH    POINT. 

Rien  n'est  plus  ordinaire,  dans  le  langage 
des  gens  du  monde,  que  de  tout  rapporter 
aux  causes  humaines;  comme  si  Dieu  était 
un  être  tranquille  et  indifférent  dans  la  plé- 
nitude de  sa  gloire  et  de  son  repos.  On  re- 
garde ce  qui  arrive  parmi  les  hommes 
comme  l'ouvrage  des  hommes  mêmes  :  on 
envisage  à  la  lettre  et  sans  attention  les  pros- 
pérités et  les  disgrâces,  l'élévation  des  em- 
pires et  leur  décadence,  la  guerre  et  la  paix, 
les  biens  et  les  maux  de  la  vie,  et  on  ne  re- 
mon'e  jamais  jusqu'au  principe. 

Telle  a  été  la  conduite  de  la  plupart  des 
philosophes  païens  :  tout  ce  qui  se  passe  ici- 
bas  n'était  pour  eux  qu'un  enchaînement 
fortuit  d'événements  ;  ils  ne  voulurent  pas 
s'élever  des  choses  visibles  et  créées  iusqn'à 
la  connaissance  du  Créateur  invisible,  selon 
la  doctrine  de  l'Apôtre;  et  c'est  pour  cette 
raison  que  Dieu  les  abandonna  à  leur  corrup- 
tion et  à  leurs  erreurs  ;  les  ténèbres  de  leur 
esprit  furent  la  source  de  la  dépravation  de 
leur  cœur,  et  les  merveilles  de  la  Provi- 
dence, qui  pouvaient  être  pour  eux  des  mo- 
tifs de  sanctification,  ne  servirent  qu'à  leur 
endurcissement  et  à  leur  malheur. 

Les  chrétiens  qui  connaissent  leur  dépen- 
dance à  l'égard  de  Dion  ne  sont  pas  plus  at- 
tentifs a  sa  loi  et  à  ses  préceptes  ;  convaincus 
par  leur  reigion,  et  instruits  par  l'Evangile, 
qu'il  (  si  l'auteur  de  toutes  choses,  hors  du 
péché,  ils  devraient  tout  rapporter  A  sa 
gloire  et  à  leur  salut;  les  bienfaits  dont  11 
nous  comble  sont  des  motifs  pour  exciter 
notre  reconnaissance  et  notre  piété;  s'il 
nous  rend  heureux  devons-nous  être  in- 
grats ?  Cependant  nous  connaissons  le  vrai 
Dieu,  mais  nous  ne  le  glorifions  pas  comme 
Dieu.  Attachés  an  siècle,  ses  dons  mêmes 
ne  servent  qu'à  serrer  les  nœuds  nui  nous  y 
attachent;  notre  ingratitude  est  plus  crimi- 
nelle que  l'ignorance  des  païens,  ot  pour 
être  plus  éclairés  nous  n'en  sommes  que 
plus  coupables. 

Il  i  st  donc  vrai  que  les  événements  de  ce 
inonde  et  les  biens  temporels,  dont  sans  doute 
la  paix  est  le  plus  grand  elle  plus  précieux, 


01»  1 


ORATF.t'RS  SACRKS.  DE  NFSMOND. 


sont  les  suilcs  de  la  providence  du  Seigneur 
et  de  sa  bonté  :  nier  celte  providence  uni- 
verselle qui  s'étend  à  lotit,  c'est  être  aveugle 
et  déraisonnable;  ne  la  pas  aimer  quand  on 
l'a  connue,  c'est  être  Ingrat  et  rebelle.  Dieu 
est  l'arbitre  souverain  de  la  fortune  de  l'uni- 
vers et  des  nôtres  particulières  ;  par  lui  nous 
sommes,  nous  agissons,  nom  ri  vous,  afin  que 
uous  vivions  pour  lui;  et  c'est  par  celte  rai- 
son, dit  Tcrlullien,  que  Dieu,  dans  ses  Ecri- 
tures, ne  prend  la  qualité  de  Seigneur  qu'a- 
près la  production  de  l'homme,  comme  s'il 
n'avait  acquis  ce  nouvel  empire  qu'après 
qu'il  eut  formé  de  ses  mains  celle  créature 
qui  esl  son  image,  et  qui  est  comme  l'a- 
brégé de  toutes  les  autres. 

Mais  que  nous  servent,  mes  frères,  contre 
l'intention  de  Dieu,   ces    prospérités    de   la 
terre,  qu'à  séduire  notre  cœur,  qu'à  corrom- 
pre   notre  esprit  et  à  éteindre   eu  nous   la 
piété?  Ces  biens   qu'il  nous  donne   pour  la 
consolation  de   notre  exil    et   de    notre  vie 
mortelle,  et  que  le  retour  de  la  paix  va  nous 
procurer,  feront-ils  la  matière  de  nos  bonnes 
œuvres?  Le  commerce  de  la  terre  et   de  la 
mer  va  s'ouvrir  pour  vous,  et  l'on  viendra 
des    extrémités   du   monde  vous   demander 
vos  récoltes;   mais,  au  milieu  des  soins  do- 
mestiques   qui    vous  occuperont,   sèmerez- 
vous  pour  le  ciel  et  moissonnerez-vous  pour 
l'éternité?   dépenserez-  vous  toujours  pour 
tout  ce  qui  peut  flatter  vos   sens  et  satisfaire 
vos  passions,  et  n'aurez-vous  jamais  que  les 
mouvements  de  voire  orgueil  pour  règle  de 
votre  conduite?  L'égalité  du   faste  et  de  la 
dépense  fera-t-ellesans  cesse  ignorer  la  dif- 
férence des  conditions,  et  ne  connaîtrez-vous 
fioint  enfin  les  bienséances  de  l'âge,  des  qua- 
ités  et  des  caractères?  Au  lieu  de  soutenir 
vos  familles  dans  une  honnête  et  prudente 
frugalité,  ne  les  incommoderez-vous   point 
par  vos  dérèglements?  el  vos  richesses  mêmes 
ne   seront-elles   point    l'occasion    de    voire 
ruine?  Soulagerez-vous  les  besoins  des  pau- 
vres, et  direz-vous  que  vous  n'avez  point  de 
superflu,  pour   être  en  droit  de  leur  refuser 
leur  nécessaire?  La  paix  vous  rendra  riches, 
mais  serez-vous  modestes  et  charitables?  Je 
crains  que   l'abondance  n'augmente  encore 
votre  vauilé,  et  que  le  luxe,  que  le  malheur 
des  temps  n'a  pu  corriger,  ne  devienne  plus 
prodigue  par  l'accroissement  de  votre  opu- 
lence. 

J'ai  dit  que  la  paix  est  le  plus  précieux  de 
tous  les  bienfaits  delà  miséricorde  de  Dieu; 
el  en  effet,  lorsque  Isaïe  nous  décrit  tous  les 
attributs  du  Messie,  dout  il  a  élé  le  prophète 
par  excellence,  et  dont  Salomon  n  était  que 
l'image,  il  l'appelle  à  la  vérité  le  Dieu  fort, 
le  Père  du  siècle  futur,  Y  Ange  de  tout  bon 
conset/;  niais  il  semble  réduire  tous  ses  titres 
à  celui  de  Dieu  de  la  paix;  elil  nous  apprend 
que  son  avènement  devait  élre  le  présage 
d'une  tranquillité  durable.  11  nous  dit  que 
son  trône  serait  fondé  sur  la  justice  el  sur  la 
douceur;  et  ce  l'ut  pour  accomplir  ce  qui  était 
écrit  de  lui  que  Jésus-Christ  voulut  nailre 
dans  un  temps  où  l'univers  jouissait  d'une 
longue  paix,  et  sous  le  règne  de  l'empereur 


le    plus   pacifique  qui  ail   jamais   gouverné 
I  i  mpire  de  l'am  ii'iim-  EtOBBCi 

C'était  aussi  la  doctrine  de  saint  Paul,  dans 
sa  divine  Epi  Ire  aux  Bphésiens,  où  il  nous 
assure  que  la  paix  temporelle  fut  un  des 
mollis  de  la  mission  du  Messie  :  Vous  n'éles 
plus  éloignés  de  Dieu,  leur  disait-il.  ni  de  vos 
frères;  le  sang  de  lésus-Chlist  nous  a  ap- 
prochés les  uns  des  autres;  c'est  lui  qui,  de 
tant  de  nations  divisées  parles  intérêts  diflé- 
renls  de  la  politique,  n'en  a  fail  qu'un  peu- 
ple par  les  liens  sacrés  de  la  charité  chré- 
tienne. C'est  lui  qui  a  rompu  le  mur  de  sépa- 
ration, et  qui,  pour  nous  réunir  tous  dans 
un  même  corps,  a  éteint  dans  sa  personne 
adorable  toutes  les  inimitiés  générales  el  par- 
ticulières. Interficiens  inimicititu  in  semet- 
ipio. 

Et  il  était  convenable,  conclut  l'Apôtre, 
que  celui  qui  était  descendu  sur  la  terre 
pour  réconcilier  le  monde  pécheur  avec  son 
Père,  réunit  aussi  par  le  prix  de  son  sang 
les  hommes  avec  les  hommes;  que  les  hain  i 
les  pius  obstinées  cédassent  à  celle  chanté 
dont  il  a  été  tout  ensemble  le  législateur  et 
le  modèle;  qu'il  fût  le  pacificateur  du  genre 
humain,  après  en  avoir  elé  le  réparateur; 
qu'il  désarmât  le  démon  homicide  et  meur- 
trier, dont  il  voulait  anéantir  l'empire;  et 
que  toute  guerre  finit  en  lui  el  par  lui,  puis- 
qu'il était  venu  pour  détruire  la  convoitise, 
qui  en  est  la  source. 

C'est  de  ce  principe  que  saint  Jean  Chry- 
soslome,  dans  une  de  ses  homélies  au  peu- 
ple d'Anliocbe,  lire  celte  belle  réflexion,  que 
Dieu  avait  d'abord  formé  le  dessein  de  créer 
un  homme  dont  tous  les  autres  descend, ssent, 
afin  qu'ils  n'eussent  tous  qu'un  même  cœur, 
puisqu'ils  n'avaient  qu'un  même  père;  mais 
que,  par  un  effet  lout  contraire,  la  i  liair  d'A- 
dam n'ayant  élé  qu'une  source  de  division, 
le  Père  éternel  avait  voulu  substituer  son 
Fils  à  la  place  du  vieil  Adam,  aûn  que  le 
nouveau  rétablît  entre  les  hommes  cette 
paix  bannie  du  monde,  qui  n'était  qu'un 
triste  ihéâlre  de  partialités  el  de  discorde. 

Mais  au  lieu  d'accomplir  en  nos  sens  el  en 
notre  esprit,  par  la  mortification ,  parla 
charité  et  par  la  douceur,  ce  qui  manque  à 
la  passion  de  Jésus-Christ,  il  semble  plutôt 
que  nous  anéantissions  le  fruit  de  sa  croix 
par  nos  divisions,  par  nos  haines,  par  nos 
médisances.  Comment  vivons-nous  avec 
noire  prochain?  ou  médit  sans  réflexion  el 
sans  scrupule ,  et  on  confond  d'ordinaire  le 
vrai  avec  le  faux,  le  sacré  avec  le  profane  , 
l'innocent  avec  le  coupable;  les  personnes 
les  plus  respectables  par  leurs  dignités  el  par 
leur  vertu  sont  presque  toujours  les  pre- 
mières victimes  de  l'indiscrelion  ou  de  la 
malice.  La  réputation  la  plus  entière  se  sauve 
à  peine  des  soupçons  temeraires  ou  des  mau- 
vais bruits  ;  on  ne  s'oc  upe.  dans  les  con- 
versations mondaines ,  qu'à  chercher  dans 
les  autres  les  imperfections  ou  le  ridicule  : 
je  parle  dans  une  ville  où  la  médisance  ,  si 
commune  en  tous  lieux,  esl  encore  plus  har- 
die et  plus  imprudente  :  heureuse  si  les  ci- 
toyens étaient  aussi  estimables  par  la  sainteté 


993 


DISCOURS  III  PRECHE  AUX  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


994 


que  par  la  politesse  de  leurs  mœurs ,  et  s'ils 
employaient  pour  la  religion  et  pour  la  piété, 
et  non  pas  pour  la  vanité  et  pour  le  plaisir  , 
tous  les  dons  qu'ils  ont  reçus  du  ciel  et  de  la 
nature. 

Avançons  ma  proposition  :  je  dis  que  le 
christianisme  est  une  religion  de  douceur  et 
de  paix  ,  au  lieu  que  l'ancienne  loi  était  une 
loi  de  mort  et  de  châtiment;  elle  fut  donnée 
sur  le  mont  Sina,  au  bruit  des  tonnerres,  au 
milieu  des  éclairs  et  dans  tout  l'appareil  de 
la  majesté  d'un  Dieu  terrible  et  puissant. 
Moïse  ne  fut  pas  moins  capitaine  que  légis- 
lateur; il  se  chargea  du  soin  des  expéditions 
militaires,  et  laissa  à  son  frère  Aaron  les 
fonctions  de  la  sacrificature  et  du  sacerdoce. 
Dieu  lui  contia  le  glaive  exterminateur  pour 
détruire  l'ennemi  de  son  peuple  ;  son  culte 
s'établit  par  la  crainte  et  par  la  rigueur  ,  et 
la  mort  était  souvent  le  châtiment  des  trans- 
gressions de  sa  loi..  De  là  vient  que  les  hé- 
rétiques manichéens  ont  cru  que  le  Dieu  de 
l'Ancien  Testament  était  une  divinité  fa- 
rouche et  austère,  qui  se  plaisait  dans  le 
sang  et  dans  les  victimes,  et  qui ,  bien  diffé- 
rent du  Dieu  du  Nouveau  Testament,  aimait 
mieux  la  mort  du  pécheui  que  sa  conversion 
et  sa  pénitence. 

Au  contraire,  la  loi  de  Jésus-Christ  est 
une  loi  d'amour  et  de  paix;  le  Père  éternel 
l'annonça  aux  hommes  de  bonne  volonté.  Le 
Verbe  incarné,  après  qu'il  eut  consommé 
son  ministère  sur  la  croix,  et  dans  toutes  les 
apparitions  miraculeuses  qui  faisaient  la 
consolation  de  ses  disciples  affligés,  leur  pro- 
mit plusieurs  fois  la  paix, comme  tout  l'objet 
et  l'unique  récompense  de  sa  mission  ;  son 
esprit  sanctificateur  est  un  esprit  d'union  et 
de  charité.  Les  gémissements  de  la  colombe, 
c'est-à-dire  les  vœux  ,  les  désirs  et  les  priè- 
res de  l'Eglise,  demandent  sans  cesse  à  Dieu 
non-seulement  cette  paix  intérieure  qui  est 
celle  du  cœur  et  de  la  conscience,  mais  en- 
core celte  tranquillité  temporelle  qui  faisait 
dire  à  saint  Augustin  que  nous  vivons  sous 
un  Evangile  qui  ne  nous  propose  d'autres 
combats  que  ceux  que  nous  livrons  au  dé- 
mon et  à  l'enfer,  d'autres  victoires  que  celles 
que  nous  remportons  sur  nous-mêmes,  d'au- 
tres ennemis  que  ceux  de  notre  salut,  ni 
d'autres  armes  que  la  prière,  la  mortifica- 
tion et  la  pénitence. 

Telle  était  la  conduile  des  premiers  chré- 
tiens, et  leurs  mœurs  répondaient  à  la  sain- 
teté de  leur  religion  et  de  leur  état.  Ils  n'é- 
taient qu'un  même  cœur  et  qu'un  même 
esprit.  Voyait-on  entre  eux  ces  haines  invé- 
térées que  la  mort  même  ne  peut  éteindre, 
et  qui,  se  perpétuant  de  génération  en  géné- 
ration, deviennent  comme  héréditaires  dans 
les  familles?  Connaissait-on  ces  procès  in- 
justes qui,  par  l'avidité  des  parties  et  quel- 
quefois par  celle  des  juges,  s'éternisent  dans 
les  tribunaux;  qui  commencent  par  la  cu- 
pidité et  par  l'avarice,  et  qui  se  soutiennent 
avec  le  secours  de  l'intrigue  et  de  la  cabale  ? 
Voyait-on  ces  hommes  avares  qui,  dans  les 
subsides  que  la  guerre  rend  nécessaires  , 
cherchent  la   matière  de  leurs  exactions  ; 


qui,  outre  les  profits  légitimes  que  la  reli- 
gion leur  permet,  élèvent  de  grandes  for- 
tunes aux  dépens  des  peuples;  qui,  sortant 
des  bornes  de  la  modestie  et  de  la  prudence, 
satisfont  leur  fasle  et  leur  vanité  par  leurs 
larcins  et  par  leurs  rapines,  et  qui,  sans 
conscience  et  sans  bonne  foi,  égorgent  tant 
de  victimes  innocentes  et  s'engraissent  de 
leur  substance  et  de  leur  misère  ?  Non ,  mes 
frères,  on  ne  voit  presque  plus  parmi  nous 
aucune  trace  du  christianisme  ;  nous  avons 
dégénéré  de  l'esprit  primitif  de  la  religion  , 
et  le  dérèglement  de  nos  mœurs  a  effacé 
dans  notre  conduite  tous  ces  traits  de  la 
perfection  de  l'âme,  que  Tertullien  appelle 
naturellement  chrétienne,  et  qui  appartient 
à  Jésus-Christ  non-seulement  par  le  bienfait, 
de  sa  rédemption  ,  mais  encore  par  création 
et  par  origine. 

Ne  croyez  donc  pas  ,  mes  frères,  que  la 
paix  soit  l'ouvrage  de  la  sagesse  des  hom- 
mes, et  ne  l'attribuez  ni  à  la  vicissitude  des 
choses  humaines,  qui,  semblables  à  la  mer  , 
passent  sans  intervalle  de  l'agitation  au 
calme  et  du  calme  à  l'agitation,  ni  à  l'épui- 
sement des  empires, à  qui  une  longue  guerre 
ôte  souvent  le  pouvoir  ou  d'attaquer  ou  de 
se  défendre,  ni  à  l'ascendant  d'une  puissance 
supérieure,  qui  peut  donner  la  loi  à  toutes 
les  autres,  ni  à  la  subtilité  d'une  négociation 
bien  ménagée  ,  qui  sait  finir  par  adresse 
une  guerre  commencée  quelquefois  par  am- 
bition ;  et  ne  sait-on  pas  que,  dans  ces  trai- 
tés où  l'on  décide  de  la  destinée  des  nations, 
rien  n'est  plus  rare  que  de  voir  céder  la 
prudence  humaine  à  la  sagesse  de  Jésus- 
Christ,  les  sentiments  de  la  raison  aux  mou- 
vements de  la  foi,  et  les  prétextes  mondains 
de  la  politique  aux  intérêts  les  plus  pressants 
de  li  religion  ? 

De  là  vient  que  Dieu,  dans  ses  Ecritures  , 
loue  toujours  par  préférence  les  princes  qui 
aiment  la  paix.  David  était  un  roi  selon  son 
cœur  ,  il  n'avait  jamais  combattu  que  pour 
défendre  sa  couronne  et  sa  religion  ,  et  il 
n'avait  employé  celte  épée,  que  Dieu  ne 
donne  pas  en  vain  aux  rois  de  la  terre,  que 
pour  réprimer  l'injustice  ou  l'iniquité  ;  ce- 
pendant le  Seigneur  lui  dit  :  Vous  n'édifierez 
pus  la  maison  où  je  veux  être  adoré  dans  Jé- 
rusalem, parce  que  vous  avez  répandu  beau- 
coup de  sang.  11  prépara  les  matériaux  du 
temple,  et  Dieu  ne  lui  accorda  pas  la  conso- 
lation de  le  bâtir.  H  le  combla  de  toutes  ses 
bénédictions,  mais  il  ne  lui  donna  pas  celle 
qui  était  l'objet  de  ses  vœux  et  de  ses  prières; 
et  celte  gloire  que  Dieu  refusa  à  David  vic- 
torieux et  conquérant  ,  fut  destinée  à  Salo- 
mon  pacifique  :  heureux  lui-même  si  les 
délices  et  l'oisiveté  d'une  longue  paix  n'eus- 
sent pas  amolli  sa  piété,  et  s'il  n'eût  pas  été 
par  sa  chute  un  exemple  d'humiliation  et  de 
crainte  pour  les  justes,  comme  le  roi  son 
père  a  été  un  sujet  d'espérance  et  de  conso- 
lation pour  les  imparfaits  et  pour  les  pé- 
cheurs 1 

Et  en  effet,  c'est  la  maxime  de  saint  Au- 
gustin que  les  princes  doivent  faire  la  guerro 
par  nécessité  cl  la  paix  par  inclination,  parce 


. 


ORATEURS  SACHES.  DE  NESMO.ND. 


yj<> 


qu'elle  est  l'objet  tics  désira  de  leora  sujets 

ci  a  h  Mire  a  de  leur  bonheur  :  car  il  y  a  ,  dit 
ce  Père,  un  ordre,  de  charité  dans  tou-  tel 
chrétiens  par  rapport  à  l'état  où  la  Provi- 
dence les  a  appelés  :  Dieu  veut  que  le  riche 
soulage  I t-s  besoins  du  pauvre  ,  el  t|ue,  par 
une  juste  compensation  ,  l'aliondancc  de 
l'un  sujjplée  à  l'indigence  de  l'autre  :  c'est 
l'obligation  la  plu»  importante  de  l'homme 
riche.  Il  faut  qu'un  père  chrétien  veille  à 
l'éducation  de  ses  enfants,  cl  c.u'il  préfère 
leur  sanctification  à  le  r  établissement  et 
à  leur  fortune;  c'est  la  charité  la  plus  es- 
sentielle de  sa  condition.  Le  Seigneur  or- 
donne qu'un  débiteur  songe  moins  à  faire 
l'aumône  qu'à  payer  ses  dettes  ,  cl  qu'une 
indiscrète  compassion  cède  aux  lois  d'une 
justice  aussi  sage  que  nécessaire  :  c'est  le 
précepte  le  plus  indispensable  du  débiteur. 

Or  il  y  a  aussi  ,  continue  saint  Augustin  , 
une  espèce  de  charité  royal • ,  qui  oblige  les 
rois  à  rendra  leurs  peuples  heureux  :  Ser- 
vimtl  ni  reges,  c'est  le  devoir  le  plus  impor- 
tant de  leur  dignité  et  de  leur  couronne. 
Dieu  ne  leur  demandera  point  s'ils  ont  fait 
de  grandes  conquêtes  ,  mais  s'ils  ont  fait 
de  bonnes  œuvres.  11  n'est  pas  nécessaire 
qu'ils  soient  conquérants,  et  il  est  presque 
toujours  utile  à  leurs  peuples  qu'ils  soient 
pacifiques.  C'est  peu  que  d'avoir  une  auto- 
rité souveraine  ,  s'ils  n'ont  encore  une  pa- 
ternelle bonté;  et  la  puissance  suprême  des 
rois  n'a  rien  de  plus  grand  que  de  pouvoir, 
rien  de  meilleur  que  de  vouloir  procurer  la 
félicité  publique. 

Aussi  Dieu  bénit  d'ordinaire  les  princes 
de  paix  ,  et  c'est  ainsi  qu'il  combla  de  ses 
bénédictions  le  règne  d'un  des  plus  saints 
rois  qui  aient  porlé  le  sceptre  de  Juda  ,  non- 
seulement  parce  qu'il  avait  abattu  les  hauts 
lieux  et  détruit  les  autels  sacrilèges  de  Sa- 
marie,  mais  encore  parce  qu'au  milieu  de 
ses  victoires  il  n'avait  jamais  perdu  le  sou- 
venir et  le  désir  de  la  paix  ;  et  telle  est  la 
gloire  du  monarque  auquel  la  Providence 
nous  a  soumis.  Il  pouvait  continuer  la  guerre 
avec  succès,  et  il  l'a  finie  par  religion,  plus 
estimable  aux  yeux  de  Dieu  par  sa  bo:.té  que 
par  ses  exploits;  il  a  voulu  pacifier  l'Europe 
aux  dépens  même  de  ses  conquêtes  les  plus 
chères  ;  arbitre  du  sort  de  ses  ennemis  vain- 
cus el  épuisés,  il  a  préféré  le  repos  de  ses 
sujets  à  quelques  places  qui  pouvaient  être 
l'obstacle  d'une  paix  si  désirée  ;  sa  puis- 
sance les  avail  conquises,  et  sa  piété  seule 
les  a  rendues.  11  a  humilié  la  ligue  par  son 
courage,  et,  ce  qui  est  encore  plus  difficile 
aux  héros  victorieux,  il  a  par  sa  modération 
su  vaincre  la  victoire  même. 

El  c'est  par  celle  vertu  bienfaisante  que 
les  princes  sont  des  images  plus  parfaites  de 
la  Divinité  que  les  autres  hommes,  parce 
qu'ils  joignent  au  dé»ir  de  faire  du  bien  le 
pouvoir  et  les  occasions.  Tous  les  attributs 
de  Dieu  sont  l'objet  de  notre  adoration  ,  el 
soûl  par  une  distance  infinie  au-dessus  de 
notre  faiblesse.  Sa  bonté  seule  est  propor- 
tionnée à  noire  imitation.  Plus  nous  imitons 
celle  divine  pertection,  plus  nous  sommes 


semblables  en  quelque  façon  à  Dieu  même. 
Sa  providence  est  tans  cesse  oceop  e  A  a 

rendre  heureux,  autant  qu'il  est  convenable 
à  noire  salut  ;  et  c'est  par  cette  raison  ,     I 

saint  Léon,  que  Dieu  ne  se  repentit  (Ta VU  r 
créé  l'homme  que  lor-que  Adam  ,  par  B 
péi  lie  ,  se  rendit  indigne  de  s-  s  bienfaits,  et 
qu'il  fallut  que  sa  miséricoidc  cédai  à  sa  co- 
lère   t  à  sa  justice. 

Comment  imitez-vous,  mes  frères,  cette 
bonté  du  Seigneur?  Et  comment  vivez-vous 
dans  le  secret  de  vo-  maisons  et  avec  ceux 
que  la  Providence  a  faits  vos  égaux  ou  vos 
inférieurs  ?  Vous  troublez  la  paix  de  vos 
familles  par  vos  chagrins  et  par  vos  c  l- 
prices  ;  vous  voulez  que  tout  cède  à  vos 
volontés  ,  et  vous  vous  croyez  dispensés  des 
égards  et  des  complaisances  :  il  faut  que  tout 
le  monde  souffre  vos  humeurs  el  vos  imper- 
fections, et  vous  ne  pouvez  supporter  celles 
des  autres  ;  de  là  viennent  ces  divisions  do- 
mestiques que  les  inégalités  et  les  jalou-ies 
rendent  si  communes  ,  el  qui  n'allèrent  que 
trop  souvent  la  sainteté  d'un  sacrement  que 
Dieu  a  institué  pour  faire  la  plus  douce  so- 
ciété des  hommes  et  pour  être  l'image  de 
l'union  sainte  de  Jésus-Christ  avec  son 
Eglise. 

Or  je  dis  de  plus,  mes  frères,  que  l'inten- 
tion primitive  de  Dieu  était  que  les  hommes 
vécussent  dans  une  éternelle  paix  ,  et  elle 
eût  été  le  fruit  de  la  justice  de  n  >tre  origine, 
si  Adam  eût  conservé  la  grâce  de  sa  création: 
Fruclus  justitiœ  pax  ;  nous  eussions  joui 
des  bienfaits  de  Dieu  sans  trouble  et  saus 
inquiétude;  nous  n'aurions  connu  ni  les  en- 
nemis iniérieurs  et  invisibles,  qui  sont  au 
dedans  de  nous  les  écueils  ou  les  tentations 
de  notre  vertu,  ni  au  dehors  ces  ennemis 
visibles  qui  troublent  notre  repos  el  qui 
renversent  nos  fortunes.  La  terre  eût  suffi 
à  tous  nos  besoins  ,  et  n'aurait  point  été 
le  théâtre  malheureux  de  nos  discordes  ; 
chacun  aurait  pris  sa  porlion  de  ce  patri- 
moine commun,  sans  désirer  celle  des  au- 
tres; et  comme  il  n'j  eût  pas  eu  de  cupidité, 
tous  les  hommes,  contents  des  limites  que 
le  Seigneur  leur  aurait  données  ,  eussent  , 
dans  une  parfaite  reconnaissance  et  dans 
une  heureuse  tranquillité,  honoré  les  dons 
de  Dieu  et  respecté  les  ordres  de  si  provi- 
dence. 

C'est  donc  par  le  péché  que  la  guerre  s'est 
introduite  dans  le  monde,  ainsi  que  la  mort, 
selon  la  doctrine  de  l'Apôtre.  Dès  que  notre 
premier  j  ère  eut  transgressé  les  lois  du 
Seigneur  par  une  téméraire  désobéissance  , 
te  démon  troubla  la  douceur  d'une  famille 
que  le  sang  el  l'amitié  devaient  unir.  1. 'envie 
fut  la  source  d'une  haine  injuste,  et  la  haine 
fut  la  cause  d'un  fratricide.  Tant  que  le  pé- 
ché régnera  sur  la  terre,  on  verra  dans  tous 
les  temps  et  dans  tous  les  siècles  les  hommes 
armés  contre  les  hommes,  les  nations  sou- 
levées contre  les  nations  ;  la  convoitise  sera 
toujours  l'obstacle  de  la  cliarilé  :  ce  n'est 
que  dans  le  ciel  qu'un  amour  consommé  dé- 
truira tous  les  motifs  des  passions  humaines; 
et  qu'esl-ce  que  la  félicilé  des  sainls,  sinon 


007 


DISCOURS  Ml  PRECHE  AUX  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


908 


une  heureuse  paix  dont  ils  jouissent  dans  le 
sein  de  Dieu,  qui,  après  les  avoir  sanctifiés 
par  sa  grâce  ,  couronne  en  eux  moins  leurs 
mérites  que  ses  dons  et  ses  propres  miséri- 
cordes? 

Mais  faut-il  s'élonner,  mes  frères,  si  les 
intérêts  des  nations  sont  si  difficiles  à  conci- 
lier, et  si  les  traités  saintement  jurés  sont 
souvent  sacrifiés  aux  moindres  prétexies  de 
les  violer,  puisque,  pour  les  plus  légères 
raisons,  nous  ne  saurions  conserver  la  paix 
avec  nos  amis,  nos  citoyens,  nos  frères? 
L'ambition,  l'avarice,  la  vanité,  rompent 
tous  les  jours  les  nœuds  les  plus  sacrés  do  la 
société  civile  et  de  la  charité  chrétienne.  Ja- 
loux des  prospérités  du  prochain,  son  bon- 
heur devient  notre  croix  et  notre  supplice. 
Pleins  de  nous-mêmes  et  vides  d'humililé, 
nous  croyons  que  l'on  ôte  à  noire  mérite  les 
récompenses  que  l'on  donne  à  celui  des  au- 
tres. Si  nous  faisons  un  projet  de  fortune  et 
d'élévation,  nos  concurrents  deviennent  nos 
ennemis,  l'émulation  dégénère  en  jalousie, 
et  la  jalousie  produit  les  crimes  les  plus  hor- 
ribles. Nous  allons  sans  scrupule  noircir 
leur  réputation  dans  les  lieux  où  les  grâces 
se  distribuent;  de  là  naissent  les  faux  bruits 
et  les  faux  rapports,  et  l'on  ne  vérifie  que 
trop  ce  que  dit  saint  Basile,  que  le  serpent 
n'a  mis  sur  chaque  péché  qu'une  goutte  de 
son  venin,  mais  qu'il  l'a  imprimé  tout  en- 
tier sur  l'envie,  qui  est  comme  la  consom- 
mation et  le  comble  de  sa  malice. 

C'est  donc  un  principe  certain,  mes  frères, 
que  la  paix  temporelle  a  été  la  première  in- 
tention de  Dieu,  et,  si  j'ose  parler  ainsi,  la 
première  vocation  des  hommes  après  leur 
salul.  L'union  et  la  charité  sont  essentielles 
au  christianisme,  elles  ont  comme  présidé  à 
sa  naissance,  et  il  s'est  multiplié  par  les 
mêmes  vertus  de  son  origine.  Les  premiers 
fidèles,  comme  je  l'ai  déjà  insinué,  aimaient 
non-seulement  leurs  frères  ,  mais  encore 
leurs  ennemis,  quoique  redoutables  par  leur 
nombre  et  par  leur  courage;  toujours  fidè- 
les à  leurs  souverains,  on  les  vit  aussi  paci- 
Gques  sous  le  règne  de  Dèce  et  de  Maxnnien 
que  sous  ceux  de  Constantin  et  de  Tliéodose  ; 
leur  défense  était  la  douceur,  ia  patience  et 
le  martyre  :  bien  différents  de  l'esprit  de  la 
plupart  des  hérésies,  qui  ont  été  inventées 
par  la  vanité  et  soutenues  par  la  rébellion  ; 
et  ce  n'est  qu'avec  peine  que  je  rapporte  ici 
les  sentiments  séditieux  d'un  faux  prophète 
du  schisme  du  dernier  siècle  (Bèze),  lorsqu'il 
dit  (|u'unc  bataille  avait  été  le  berceau  de  sa 
prétendue  réformation,  et  que  c'était  dans 
les  campagnes  de  Dreux  qu'avaient  été  je- 
tées les  premières  semences  de  son  évan- 
gile :  In  campis  Druidum  jacta  suni  evan- 
yelii  s t mina. 

.Mais  laissons  ses  cendres  en  paix,  et  louons 
seulement  la  fidélité  de  nos  prosélytes.  Au 
milieu  des  événements  incertains  de  la  guerre 
que  la  divine  bonté  vient  de  finir,  ils  ont 
rendu  à  César  ce  qu'ils  devaient  à  César,  et 
ils  n'ont  point  trompé  les  espérances  que 
nous  avions  conçues  de  leur  soumission  et 
de  leur  sagesse.  La  paix,  qui  va  ranimer  no- 


tre zèle,  noire  charilé  et  nos  instructions, 
fixera  sans  doute  les  agitations  de  leurs 
consciences  flottantes;  nous  verrons  revenir 
ces  temps  heureux  dont  parlait  saint  Jérôme, 
quand  il  disait  que  la  France  seule  était 
exempte  du  monstre  de  l'hérésie;  nos  frères 
seront  quelque  jour  notre  joie  et  notre  cou- 
ronne, et  au  lieu  de  gémir  de  leur  indiffé- 
rence et  de  leur  tiédeur,  nous  jouirons  en 
paix  du  fruit  de  nos  travaux,  et  nous  n'au- 
rons qu'à  les  édifier  par  noire  douceur  et 
par  nos  exemples. 

Or,  si  la  guerre  est  la  suite  de  la  colère  du 
ciel  et  le  châtiment  de  nos  péchés,  il  s'en- 
suit ,  par  une  conséquence  nécessaire,  que 
la  paix  est  le  fruit  de  sa  miséricorde;  il  la 
donne  et  il  la  relire  quand  il  lui  plaît,  et  elle 
est  l'ouvrage  de  sa  volonté  et  de  sa  parole. 
Comme  il  a  dit  à  la  mer  :  J'arrêterai  votre 
fureur,  et  vos  flots  se  briseront  contre  le  sa- 
ble de  ros  rivat/es ,  il  ordonne  aussi  aux  pas- 
sions qui  troublent  la  tranquillité  du  monde 
de  s'apaiser,  et  elles  s'apaisent.  Il  a  dit  à  un 
roi  conquérant  :  Ne  vous  prévalez  poinl  de 
votre  supériorité,  et  devenez  le  pacificateur 
de  l'Europe;  Dieu  parle,  et  ce  roi  obéit  à 
son  inspiration  et  à  sa  voix.  Il  dit  à  un  au- 
tre monarque  :  Epargnez  le  sang  de  vos  peu- 
ples, tournez  vos  efforts  contre  l'ennemi  du 
nom  chrétien,  et  je  bénirai  vos  armes  victo- 
rieuses ;  Dieu  parle,  et  ce  prince  ne  résiste 
point.  Il  dit  à  un  potentat:  Arrêtez  vos  pro- 
jets, et  jouissez  en  repos  de  votre  bonheur 
et  de  votre  gloire  ;  et  ce  prince  se  modère.  Il 
dit  à  un  autre  roi  :  Rentrez  dans  la  connais- 
sance de  \o$  intérêts,  sauvez  les  débris 
d'une  vaste  monarchie  qui  s'étend  sur  l'an- 
cien et  le  nouveau  monde,  et  que  vos  pères 
avaient  rendue  si  lorissante;  Dieu  parle,  et 
le  prince  cède  à  l'eificace  de  sa  parole. 

C'est  ainsi,  Seigneur,  que  vous  avez  dil  : 
Que  la  paix  se  fasse,  el  elle  a  été  faite.  Vous 
formâtes  par  la  verlu  de  votre  parole  le 
monde  de  celle  masse  grossière  qui  lut  la 
matière  de  sa  production,  el  par  votre  vo- 
lonté vous  tirez  notre  repos  des  obstacles 
mêmes  des  intérêts  politiques.  Vous  avez 
voulu  montrer  les  prodiges  de  votre  bouté, 
où  votre  clerc  a  été  désarmée  par  les  priè- 
res de  quelque  âme  vraiment  chrétienne  ;  en 
faveur  des  justes  vous  pardonnez  souvent 
aux  coupables;  votre  miséricorde  descend 
sur  les  hommes  à  mesure  que  les  oraisons 
des  saints  montent  vers  le  tronc  de  votre 
gloire:  semblables,  dit  saint  Augustin,  a  ces 
douces  exhalaisons  qui  s'élèvent  sur  la  terre, 
et  qui  deviennent  le  principe  de  ces  rosées 
salutaires  qui  font  les  richesses  des  mors- 
sons  et  la  fécondité  de  nos  campagnes. 

Je  dis  plus,  mes  frères,  cl  j'ajoute  que, 
comme  dans  l'économie  des  dons  surnatu- 
rels il  y  a  certaines  âmes  choisies  à  qui  il 
accorde  gratuitement  les  grâces  ordinaires 
el  même  les  victorieuses  pour  en  faire  des 
prodiges  de  pénitence  ou  des  modèles  de  per- 
fection, il  y  a  aussi  dans  la  distribution  do 
ses  bienfaits  temporels  certaines  nations 
qu'il  favorise  d'une  protection  spéciule  et 
particulière.  Il  combla  les  Juifs  de  ses  béné- 


9!)f> 


WtATEUIlS  SACHES.  DE  NESMOND. 


lOoO 


dictions  au  milieu  même  de  leurs  dérègle- 
ments ;  il  faisait  au  gré  <le  leuis  désirs  des 
miracles,  ou  pour  soutenir  leur  valeur  dans 
les  événements  de  la  guerre,  ou  pour  assu- 
rer leur  repos  dans  la  paix.  C'est  ainsi  que 
la  France  a  été  l'objet  le  plus  cher  de  sa 
protection  et  de  son  amour.  Dans  les  temps 
les  plus  difliciles,  il  a  eu  pour  elle  des  res- 
sources de  miséricorde  que  la  sagesse  hu- 
maine n'avait  pas  prévues  ;  il  ajoute  sans 
cesse  grâces  sur  grâces,  et,  non  content  de 
la  tranquillité  publique  depuis  longtemps  le 
sujet  de  nos  vœux  et  de  nos  désirs,  il  nous 
donne  encore  une  princesse  qui  a  été  le  pre- 
mier dépôt  de  cette  paix  si  nécessaire.  Elle 
est  venue  dans  une  cour  polie,  dont  elle  est 
l'ornement,  auprès  d'un  roi  dont  elle  a  mé- 
rité toute  la  tendresse,  comme  la  colombe 
de  l'arche,  pour  être  le  présage  heureux  de 
la  sérénité  dont  nous  jouissons.  Le  ciel  l'a 
fait  naître  pour  le  bonheur  de  l'aimable 
prince  qu'il  lui  destine.  Dans  peu  de  jours 
Dieu  va  allumer  au  pied  des  autels  ces  feux 
chastes  et  innocents  qui  feront  leur  félicité 
mutuelle,  et  nos  neveux  verront  après  nous 
leur  glorieuse  postérité  remplir  le  premier 
trône  de  l'univers,  et  commander  peut-être 
à  toute  la  terre. 

Mais  si  Dieu  nous  rend  heureux ,  mes 
frères,  faut-il  que  nous  soyons  infidèles  à 
ses  préceptes?  Est-il  juste  que  notre  ingra- 
titude soit  la  suite  de  ses  bienfaits  ?  Malgré 
toutes  les  faveurs  dont  il  nous  comble,  les 
chrétiens  seront-ils  toujours  sans  piété  et 
sans  attention  pour  leur  salut  ?  Rempliront- 
ils  les  devoirs  de  la  religien  par  bienséance, 
et  fréquenteront-ils  nos  églises  par  cou- 
tume et  nos  sacrements  par  politique?  Ver- 
ra-t-on  les  femmes  mondaines ,  toujours 
occupées  du  désir  de  plaire,  porter  jusqu'au 
pied  des  autels  l'indévotion  et  l'immodestie  , 
cacher  sous  des  couleurs  empruntées  et  sous 
un  artiûce  aussi  ridicule  que  criminel  les 
débris  du  temps  et  les  ruines  de  la  vieillesse, 
prolonger  jusqu'à  la  mort  un  caractère  de 
vanité  que  rien  ne  peut  corriger,  et  ne  pou- 
voir se  résoudre  à  quitter  le  monde,  lors 
même  qu'il  les  abandonne  et  qu'il  les  mé- 
prise ?  Verra-t-on  toujours  les  ecclésiastiques 
s'éloigner  sans  cesse  de  l'esprit  de  leur  vo- 
cation, porter  sous  un  habit  sacré  des  désirs 
profanes  et  séculiers,  mener  dans  une  pro- 
fession toute  sainte  une  vie  toute  mondaine, 
consumer  dans  le  luxe  le  bien  que  Dieu  leur 
donne  pour  les  bonnes  œuvres,  cl  devenir 
les  dissipateurs  du  patrimoine  de  Jésus- 
Christ,  dont  ils  ne  sont  que  les  dispensateurs 
et  les  économes?  Mais  il  est  temps  lie  finir 
celte  première  partie,  et  après  avoir  vu  que 
la  paix  est  le  fruit  de  la  miséi  icorde  de  Dieu, 
il  me  reste  à  vous  prouver  qu'il  nous  l'a 
donnée  pour  notre  sanctification  :  c'est  ma 
seconde  partie. 

SECOND  POINT. 

Quoiqu'il  y  ait  plusieurs  degrés  de  perfec- 
tion et  plusieurs  demeures  dans  la  maison  du 
l'ère  céleste,  parie  que  la  grâce  a  plusieurs 
formes,  il  est  néanmoins  certain, mes  frères, 


que  nous  sommes  tous  appelés  à  la  sainteté. 
Dieu  donne  a  tous  les  hommes  ou  les  grâces 
ou  les  secours  nécessaires  pour  l'acquérir; 
malheur  à  (eux  qui  resserrent  les  bontés  du 
Seigneur  1  Nous  avons  tous  le  même  Dieu, 
le  même  esprit,  les  mêmes  sacrements,  la 
même  espérance  de  notre  vocation  ,  le  même 
droit  à  la  récompense  des  élus  ;  et  le  Père 
éternel  pouvait-il  nous  donner  une  plus 
grande  preuve  du  désir  qu'il  a  que  nous 
soyons  saints,  que  d'envoyer  dans  la  pléni- 
tude des  temps  son  Fils  unique  pour  être 
par  la  mort  de  la  croix  le  principe  et  l'exem- 
ple de  notre  sanctilicalion? 

Et  en  effet ,  ce  n'est  point  précisément 
pour  nous  rendre  heureux  ici-bas  qu'il  nous 
donne  quelquefois  les  prospérités  de  la  terre: 
tout  ce  qui  est  terrestre  n  est  pas  digne  de 
nous  occuper  comme  notre  fin  ;  Dieu  seul 
doit  remplir  notre  cœur  et  notre  espérance  ; 
s'il  nous  accorde  la  paix  temporelle,  nous 
devons  la  regarder  comme  un  moyen  de  pos- 
séder par  la  pratique  des  vertus  chrétiennes 
celle  paix  intérieure  que  le  monde  ne  peut 
donner  et  qui  surpasse  toute  intelligence. 
Dans  tout  ce  que  le  Seigneur  fait  pour  nous 
et  dans  tous  les  bienfaits  dont  il  nous  com- 
ble, il  n'a  jamais  d'autre  motif  que  celte 
volonté  de  nous  sanctifier  dont  parle  saint 
Paul,  et  qui  est  aussi  immuable  que  son 
essence  même.  Hœc  est  voluntas  Dei  sancti~ 
ficatio  vestra  ;  et  il  est  juste,  dit  saint  Au- 
gustin, que  tout  ce  qui  vient  de  lui  comme 
noire  principe  retourne  à  lui  comme  noire 
(in  .  et  que  les  biens  que  nous  tenons  de  sa 
bonté  soient ,  par  le  bon  usage  que  nous  eu 
faisons,  rapportés  à  la  louange  de  sa  grâce 
et  à  la  manifestation  de  sa  gloire. 

Et  il  est  certain  ,  mes  frères,  que  comme 
Dieu,  en  connaissant  son  essence,  connaît 
tout  ce  qui  est  hors  de  lui,  en  aimant 
aussi  sa  propre  bonté,  il  \eut  toutes  choses 
par  rapport  à  lui  et  à  l'état  particulier  de 
ciiacuue  de  ses  créatures,  et  par  conséquent 
la  sainlelé  de  celles  qui  sont  raisonnables: 
car  qu'est-ce  qu'il  demande  d'elles,  siuou 
qu'elles  lui  ressemblent,  puisqu'elles  sont 
laites  à  son  image?  et  comme  c'est  leur 
sanctification  qui  leur  donne  eu  celle  vie  les 
derniers  traits  de  ressemblance,  c'est  aussi  à 
cette  perfection  qu'il  les  appelle,  jusqu'à  les 
obliger  à  èlre  saints  par  la  même  raison 
qu'il  est  saint  lui-même.  Sancti  eslote,  quiu 
ego  sanctus  sum. 

Mais  la  plupart  des  chrétiens  n'entrent 
presque  jamais  dans  les  desseins  de  sa  pro- 
vidence lorsqu'elle  les  favorise  de  ses  grâces 
et  de  ses  bienfaits:  ils  ne  pensent  dans  la 
paix  qu'.iux avantages  qu'elle  leur  procure, 
cl  non  pas  à  l'accomplissement  des  préceptes 
que  Dieu  leur  impose  ;  ils  en  goûtent  la  dou- 
ceur et  le  repos,  et ,  peu  sensibles  à  la  re- 
connaissance que  le  Seigucur  exige  d'eux, 
ils  n'en  sont  pas  moins  tièdes  pour  leur  per- 
fection et  pour  leur  saint,  comme  s'ils  n'é— 
laient  pas  obligés  parles  vœuvdelcur  baptême 
à  être  saints  ;  i  anime  si  la  sainteté  eiait  une 
œuvre  de  subrogation;  comme  si  leur  Nota- 
tion n'était  pas  une  vocatiou  à  la  sainteté; 


100* 


DISCOURS  III  PRECHE  ALIX  ETATS  DE  LANGUEDUC. 


1002 


comme  si  l'esprit  qu'ils  ont  reçu  n'était  pas 
un  esprit  de  ferveur  et  de  piété;  comme  si 
toutes  les  maximes  de  la  morale  chrétienne 
n'étaient  pas  dos  règles  de  la  sainteté;  et 
enfin  comme  s'ils  pouvaient,  contre  l'inten- 
tion de  Dieu,  faire  de  ses  bienfaits  les  ins- 
truments de  leur  endurcissement  et  de  leur 
perle. 

Je  dis  plus,  les  prospérités  personnelles  et 
particulières  ne  sont  pas  toujours  les  preu- 
ves de  son  amour  et  peuvent  être  les  effels 
de  sa  colère.  S'il  nous  donne  les  richesses, 
elles  ne  deviennent  que  trop  souvent  dans 
nos  mains  l'aliment  de  noire  cupidité;  s'il 
permet  que  nous  parvenions  aux  dignités  de 
la  terre,  elles  irritent  notre  vanité  et  notre 
ambition,  et  sont  les  occasions  de  notre 
chute;  au  lieu  que  les  adversités  personnel- 
les sont  quelquefois  des  grâces  que  Dieu  fait 
pour  nous  attirer  à  lui  et  pour  nous  convain- 
cre du  néant  du  monde,  de  ce  monde,  dis-je, 
qui,  par  ses  amertumes  et  par  ses  dégoûts, 
selon  la  belle  expression  de  saint  Augustin, 
nous  détache  de  lui  par  lui-même;  qui,  dé- 
nué de  tous  les  attraits  de  la  séduction,  n'a 
point,  quand  il  est  connu,  assez  de  charmes 
pour  nous  tromper,  et  qui,  bien  loin  de  pro- 
curer à  ceux  qui  le  suivent  un  bonheur 
solide  et  réel,  n'en  donne  pas  même  l'appa- 
rence :  lia  ut  mundus  speciem  seduclionis 
amiserit. 

Mais  les  prospérités  publiques  sont  tou- 
jours les  effets  de  la  miséricorde  de  Dieu  :  il 
nous  dit  dans  ses  Ecritures,  tantôt  qu'il  élève 
les  royaumes,  et  que,  comme  il  les  afilige 
quelquefois  dans  sa  colère,  il  les  favorise 
aussi  dans  sa  bonté;  tantôt  qu'il  ne  rend  les 
peuples  heureux  qu'autant  qu'il  les  aime,  et 
que  leur  repos  est  l'ouvrage  de  la  Providence  ; 
tantôt  que  leur  gloire,  leur  abondance  et  leur 
tranquillité  ne  viennent  ni  du  hasard,  ni  de 
leur  industrie,  ni  de  la  fortune,  mais  que 
ce  sont  des  bienfaits  que  sa  libéralité  leur 
distribue  par  sa  grâce.  Or,  comme  le  remar- 
que saint  Grégoire  pape,  les  biens  que  Dieu 
répand  par  la  paix  sont  pour  chacun  de  nous 
des  motifs  de  notre  sanctification  particu- 
lière, par  deux  raisons  différentes  :  premiè- 
rement, Dieu  fait  notre  bonheur  personnel, 
nous  lui  devons  donc  de  la  reconnaissance 
et  de  l'amour;  secondement,  il  fait  la  félicité 
"de  notre  nation,  nous  devons  donc  partager 
en  commun  avec  nos  frères  les  actions  de 
grâces  qui  lui  sont  dues.  La  première  raison 
est  fondée  sur  notre  propre  intérêt,  et  la  se- 
conde sur  la  charité,  qui  nous  intéresse  dans 
les  avantages  de  notre  patrie.  Peut-il  y  avoir 
deux  considérations  plus  pressantes  pour  de- 
venir saints?  Plus  nous  avons  reçu  du  Sei- 
f;neur,  plus  il  demande  de  nous  de  fidélité,  et 
'étendue  de  ses  grâces  doit  être  la  règle  de 
notre  ferveur  et  de  notre  zèle. 

Tel  était  l'usage  que  firent  les  Juifs  de  la 
profonde  paix  dont  ils  jouissaient  sous  le 
tranquille  gouvernement  d'un  pieux  et  il- 
lustre chef,  dont  le  Saint-Esprit  fait  l'éloge 
dans  le  premier  livre  des  Machabées.  Cha- 
cun, dit  l'Ecriture,  était  sous  sa  vigne  et  sous 
son  figuier,  et  cultivât 4' héritage  de  ses  pères 

OlUTEUnS   SACRÉS. 'XXX. 


sans  crainte  et  sans  inquiétude  ;  on  voyait 
l'opulence  dans  les  villes  et  la  fécondité  dans 
les  campagnes  ;  les  vieillards  racontaient  dans 
les  places  publiques  les  merveilles  que  Dieu 
avait  faites  pour  leur  nation,  et  les  jeunes 
étaient  revêtus  des  dépouilles  qu'ils  avaient 
remportées  sur  leurs  ennemis;  les  contribu- 
tions qu'ils  payaient  pour  le  besoin  de  l'Etat 
n'excédaient  point  leur  pouvoir  et  n'étaient 
point  à  charge  à  leurs  fortunes;  la  terre  ren- 
dait au  centuple  le  grain  iju'elle  avait  reçu,  et 
la  richesse  des  moissons  (ce  sont  les  terme»  do 
l'Ecriture  sainte)  surpassait  toujours  leurs 
désirs  et  leurs  espérances. 

Au  milieu  de  ces  bénédictions  temporelles, 
quelle  était  la  conduite  des  Israélites?  La 
voici,  mes  frères,  et  imitez  un  si  grand  exem- 
ple :  Ils  étaient  fidèles  au  Dieu  de  leurs  pères, 
dit  l'Ecriture  ;  ils  pratiquaient  sa  loi,  ils  ob- 
servaient  ses  commandements  et  ils  honoraient 
leur  religion  par  leur  piété  et  par  leur  jus- 
tice. Le  même  bonheur  devrait  produire  en 
nous  les  mêmes  vertus;  et  notre  repos  ne 
sera-t-il  pas  la  source  de  notre  sanctifica- 
tion? Après  tous  les  malheurs  d'une  longue 
guerre,  une  consolation  effective  a  bientôt 
suivi  notre  attente  et  notre  espérance;  un 
même  jour  a  vu  la  publication  de  la  paix  et 
la  diminution  de  nos  subsides  ;  les  besoins  do 
la  couronne  ont  cédé  au  désir  de  nous  sou- 
lager. Ce  tribut  nouveau,  dont  la  proposi- 
tion sera  dans  vos  registres  le  monument 
éternel  du  zèle  de  celle  province,  sera  par  sa 
cessation  le  présage  heureux  des  douceurs 
qu'elle  va  goûter;  et  plaise  au  ciel  que  nous 
mettions  à  profit  pour  notre  salut  les  grâces 
ineffables  que  Dieu  nous  a  faites  et  toutes 
celles  qu'il  nous  prépare  1 

Mais  quel  progrès  faites- vous  dans  la 
piété?  Avez-vous  commencé  de  suivre  les 
desseins  dcDicu?El  quand  corrigerez-vous 
vos  défauts,  ces  désirs  du  siècle  et  le  jeu  ex- 
cessif qui  vous  possède  et  qui  vous  occupe? 
Oserai' je  censurer  ici  un  dérèglement  au- 
jourd'hui si  commun  et  si  impuni  ?  Hé  !  pour- 
quoi ne  le  ferais-je  pas,  puisque  le  Seigneur 
condamne  les  prédicateurs  qui  trahissent 
leur  ministère  par  respect  humain,  cl  qui 
retiennent  la  vérité  captive  dans  le  men- 
songe ou  dans  le  silence?  Le  jeu,  qui  n'était 
dans  son  origine  qu'un  amusement  permis 
et  innocent,  et  un  relâchement  nécessaire  des 
soins  et  des  travaux  de  notre  vie  mortelle, 
est  devenu  notre  unique  occupation  et  notre 
habitude  :  on  joue  presque  partout  avec  ava- 
rice, on  gagne  avec  avidité  et  on  perd  avec 
fureur.  Combien  y  a-l-il  de  familles  dont  celle 
passion  a  fait  la  ruine  et  la  décadence  1  com- 
bien y  a-t-il  de  femmes  mondaines  pour  qui 
elle  a  été  le  premier  écueil  de  leur  innocence 
et  de  leur  vertu  1  combien  de  bassesses  forec- 
t-elle  de  tolérer  ou  de  commettre  I  Et  je  puis 
vous  dire  avec  l'Ecriture  :  Malheur  à  vous 
qui  consumez  un  temps  que  Dieu  vous  donne 
pour  racheter  vos  péchés  ;  qui  ruinez  votre 
santé  par  de  longues  veilles,  et  qui,  pour 
satisfaire  votre  cupidité,  passez  dans  le  jeu 
les  jours  et  les  nuits  même  que  la  nature 
destine  au  repos,  cl  que  tant  de  solitaires 

32 


\9K  ORATEUnS  SACHES.  DP  NESMONT). 

emploient  à  honorer  Dieu  et  à  chanter  la* 
cantiquea  de  leur  reconnaissance  el  <ie  leur 
ferveur  ! 

Et  en  elTel,  mes  frères,  il  y  ■  une  recon- 
naissance de  louange  qui  consiste  à  sentir 

notre  faiblesse  cl  notre  dépendance  à  l'égard 
de  Dieu,  à  connaître  qu'il  est  l'auteur  de 
tous  nos  avantagea  et  de  tous  nos  bteni,  à 
avouer  qu'il  «•  droit  d'exiger  de  nous  un 
tribut  d'honneur  et  de  u'oire.  puisque,  lou- 
ché de  nos  besoins,  il  nons  donne  des  mar- 
ques de  sa  miséricorde  ci  de  son  amour,  cl 
à  publier  que  ses  bienfaits  viennent  de  sa 
protection  et  de  son  secours;  liien  différents 
en  cela  des  idolâtres  dont  parle  Tcrlullien, 
qui,  après  avoir  obtenu  la  paix  par  les  prières 
des  chrétiens,  au  lieu  d'adorer  le  vrai  Dieu, 
allaient  offrir  à  Jupiter  leur  encens  et  leurs 
sacrifices. 

C'était  dans  le  mouvement  d'une  tendre  et 
pieuse  reconnaissance  que  Jacob  disait  au- 
trefois :  Si  le  Seigneur  est  avec  moi,  et  s'il  me 
protège  dans  les  besoins,  je  m'engage  par  un 
vœu  public  et  solennel  que  je  le  reconnaîtrai 
pour  mon  Dieu.  Le  patriarche  lut  fidèle  à  sa 
promesse,  il  rendit  au  Seigneur  ce  qu'il  lui 
devait,  il  lui  érigea  un  autel  pour  éterniser 
en  quelque  façon  sa  piété.  Hé!  puisse  ainsi 
le  Seigneur  favoriser  un  prince  (le  prince  de 
Conli  qu'un  royaume  étranger  a  choisi  pour 
son  souverain  !  Ce  peuple  belliqueux  est 
venu  chercher  parmi  nous  un  maître  digne 
de  le  commander;  son  grand  mérite  a  fait  sa 
plus  forte  brigue,  et  ses  premiers  suffrages 
ont  été  ceux  de  la  renommée.  Dieu  protégera 
sans  doute  une  cause  que  la  justice  el  la  re- 
ligion doivent  rendre  si  chère  à  toute  l'E- 
glise. Celte  province,  qui  s'intéresse  partant 
de  titres  à  son  auguste  élévation,  le  couron- 
nera par  ses  vœux,  et  malgré  les  obstacles 
qui  s'opposent  à  ses  intérêts,  nous  dirons 
bientôt  de  ce  prince  ce  qu'un  Père  de  l'E- 
glise a  dit  de  l'empereur  Marcien,  qu'en  lui 
la  fortune  est  d'accord  avec  la  vertu  ,  et 
qu'une  couronne  a  été  le  prix  de  sa  réputa- 
tion et  de  sa  gloire. 

Il  faut  donc  rapporter  à  Dieu  toutes  nos 
prospérités,  et  c'est  de  ce  principe  que  ve- 
nait celte  louable  coutume  des  premiers  chré- 
tiens, qui  se  disaient  toujours  les  uns  aux 
autres  :  Rendons  grâces  au  Seigneur  pour  le 
bien  qu'il  nous  procure  ;  ils  répétaient  en  tout 
temps  et  en  tous  lieux  ces  saintes  paroles, 
que  saint  Paul  leur  avait  apprises;  ils  se  re- 
présentaient leur  bonheur  et  leurs  avantages 
comme  des  motifs  d'une  fidèle  et  réciproque 
reconnaissance;  et  c'est  ce  qui  faisait  dire  à 
sainl  Augustin  qu'il  n'est  jamais  permis  d'ou- 
blier les  grâces  de  Dieu,  qu'il  faut  lui  rendre 
la  gloire  qu'il  attend  de  sa  créature,  qu'il  est 
juste  de  lui  consacrer  non-seulement  son  es- 
prit et  son  coeur,  mais  encore  sa  mémoire, 
en  ramassant  pour  ainsi  dire  les  plus  petites 
portions  de  ses  bienfaits,  afin  qu'aucune  n'é- 
chappe à  noire  zèle,  el  que,  dans  tv  souvenir 
si  utile  à  noire  piété,  les  mouvements  de 
notre  ferveur  égalent,  s'il  est  possible,  les 
richesses  de  sa  miséricorde  el  de  sa  grâce 


1004 

avoir  vaincu  les  ennemis  de  Dieu,  et  qu'ar- 
bitre de  leur  sorl,  iprèi  les  avoir  réduit,  ( 
une  fuite  honteuse,  voulut,  pour  i  •  i  onnailrc 
un  si  grand  bienfail,  que  les  Juifs  n'eu  per- 
dissent jamais  la  mémoire,  que  le  rec  t  de 
leurs  victoires  fûl  écrit  dans  les  livres  sa- 
li dans  les  fastes  des  Israélites,  que  les 
pères  en  parlassent  à  leurs  i  nfentl  et  qu'une 
fête  solennelle  en  perpétuât  le  souvi  B  r  ju-- 
qu'à  la  postérité  la  plus  reculée.  Si  le 
gnenr  fil  beaucoup  pour  eux,  que  n'a-l-il  pas 
lait  pour  nous  dans  le  cuis  de  celle  longue 
guerre?  La  dernière  campagne;  a  élé  plus 
glorieuse;  la  prise  d'une  place  que  l'art  et  la 
nature  rendent  si  forte  en  a  signalé  dans  la 
Flandre  les  commencements,  el  nous  l'a- 
vons terminée  par  la  conquête  de  la  Cata- 
logne. Au  bruit  de  cette  nouvelle,  lontfl 
pagne  a  tremblé,  el  la  capitale  de  celle  mo- 
narchie a  redouté  nos  armes  victorieuses  ;  o  i 
a  vu,  pendant  le  siège  fameux  de  Baicelone, 
tout  ce  que,  dans  deux  nations  rivales  de 
gloire,  la  constance,  (Intrépidité  et  la  scient  e 
militaire  fournissent  de  moyens  el  de  res- 
sources, soit  pour  attaquer,  soit  pour  se  dé- 
fendre; nous  avons  conservé  notre  supério- 
rité et  notre  ascendant  :  nos  troupes,  ani- 
mées par  l'exemple  du  général  qui  les 
commandait,  n'ont  rien  trouve  d'impossible 
à  leur  valeur;  et  Dieu  avait  r  s  ne  à  ce 
grand  prince  l'honneur  immortel  d'avoir 
avancé  la  paix  par  un  exploit  si  imposant 
et  si  digne  de  sa  réputation  et  de  son  courage. 

11  esl  donc  vrai  que  l'oubli  des  dons  da 
Dieu  est  injurieux  à  sa  bonté,  qui  en  esl  la 
source;  et,  pour  donner  plus  d'étendue  à  ce 
principe,  je  dis  avec  saint  Augustin  que  nous 
ne  pouvons  pas  toujours  sans  interruption, 
ni  écouter  Dieu  dans  la  révélation  de  ^es 
mystères,  ni  l'adorer  dans  la  contemplation, 
ni  goûter  par  des  consolations  sensibles  com- 
bien il  est  doux  à  ceux  qui  l'aiment.  Les  oc- 
cupations différentes  de  notre  vie,  qui  don- 
nent des  bornes  à  nos  plus  sainls  désirs,  ne 
permellent  pas  cette  actuelle  application  que 
rien  ne  puisse  distraire,  et  ce  houheur  est 
réservé  à  la  gloire  consommée  des  bî  nheu- 
reux;  mais  je  dois  au  moins  cotise,  ver  dans 
mon  cœur  le  souvenir  de  ses  bienfait- 
lous  lieux  :  je  suis  comblé  de  ses  grâces,  je 
suis  donc  engagé  partout  à  les  reconnaîtra, 
el  comme  les  deux  chérubins  donl  il  est  parle 
dans  l'Exode  étaient  toujours  tournes  du  rôlo 
du  propiliatoire  pour  y  adorer  Dieu,  je  suis 
aussi  sans  cesse  obligé  à  me  représenter  ses 
bontés,  à  m'oceuper  de  ses  dons  el  à  l'ho- 
norer comme  il  l'ordonne  \  ar  ie  eu  te  en 
esprit  et  en  vérité  qui  toit  louie  la  consom- 
mation de  la  loi  el  la  perfection  de  l'Evangile 

Or,  mes  frères  quel  souvenir  conserveront* 
nous  des  bienfaits  de  Dieu  et  de  celle  paix 
qu'il   nous  adonnée?   Kl  peut-on  assef  dé- 


C'est  ainsi   que  Jud&s   Machabée  , 


après 


plorer  la  tiédeur  de  la  plupart   de>  chiclicns 
pour  les    devoirs    de    la  religion    il   ''  c 

étal  Y  On  ci  oit  (el  c'est  l'erreur  la  plus  dan- 
gereuse des  gens  du   m  mde    que.    pi 
qu'on  ne  tombe  pas  dans    le>  grands  désor- 
dres, on   peut   faire  sou  salut  sans  travail, 
sans   ferveur,   sans  bonnes  œuvres,  el  que 


1005. 


DISCOURS  IH  PRECHE  AUX  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


1006 


lorsqu'on  n'est  point  scandaleux  on  peut  im- 
punément être  inutile.  Pense-l-on  que  la 
sainteté  ne  coûte  rien  à  acquérir?  et  n'est-il 
pas  écrit  que  le  ciel  ne  s'emporte  qu'avec 
vioïvnce  ?  Les  amusements,  les  bienséances 
elles  conversations  remplissent  presquelout 
notre  temps,  et  l'on  ne  donne  à  Dieu  qu'un 
cœur  dissipé  par  les  inutilités  du  siècle. 
Dans  ce  cercle  d'actions  qui  partagent  tou- 
tes nos  journées,  à  peine  en  trouve-t-on  une 
seule  que  nous  rapportions  à  noire  sanctifi- 
cation. L'indolence  dans  la  vie  chrétienne, 
la  perte  du  temps,  l'oisiveté,  sont  des  maux 
d'autant  plus  à  craindre  que  l'on  n'en  con- 
naît pas  assez  ie  danger;  sur  la  foi  d'une 
conscience  trompée  on  s'endoit  dans  le  sein 
d'une  fausse  paix,  on  se  damne  presque  sans 
y  penser,  et,  sans  être  tout  à  fait  mauvais, 
on  tombe  dans  l'état  des  âmes  tièdes,  que 
Dieu  réprouve, et  qui  sont,  aussi  bien  que  les 
plus  grands  pécheurs,  les  malheureux  objets 
de  sa  malédiction  et  de  sa  colère. 

Maiss'il  y  aune  reconnaissance  de  louange, 
il  y  en  a  aussi  une  d'actions  et  de  mœurs, 
qui  ne  consiste  pas  dans  un  souvenir  stérile 
et  oisif  des  bienfaits  de  Dieu,  mais  qui  nous 
engage  à  l'aimer  et  à  le  servir,  à  lui  rendre 
amour  pour  amour,  et  à  observer  ses  com- 
mandements dans  la  pratique  d'une  piété 
solide,  qui  est  la  preuve  la  plus  certaine 
d'une  effective  ci  sincère  reconnaissante. 

C'était  dans  cette  vue  que  saint  Paul,  après 
nous  avoir  expliqué  les  grâces  même  tempo- 
relles que  Dieu  nous  fait,  nous  invite,  dans 
toute  la  ferveur  de  son  zèle  apostolique,  de 
faire  de  nos  corps  des  hosties  vivantes,  de 
nous  renouveler  sans  cesse  dans  l'esprit  de 
Jésus-Chris!,  de  nous  tenir  dans  ies  bornes 
de  la  modération  chrétienne,  sans  nous  éle- 
ver par  de  vains  sentiments  de  nous-mêmes, 
et  de  nous  souv;  nir  que  la  volonté  de  notre 
salut  étant  le  seul  principe  des  bienfaits  de 
Dieu,  ces  mêmes  biens  doivent  être  aussi  le 
motif  de  notre  sanctification  :  maxime  invio- 
lable de  reconnaissance,  qui  est  même  sacrée 
parmi  les  hommes;  rien  n'est  si  détesté 
parmi  eux  que  le  imm  odieux  de  l'ingrati- 
tude. Quoi  !  faut-il  donc  que  Dieu  soit  !e  seul 
pour  qui  nous  manquions  de  fidélité?  Est-il 
juste  que  la  probité  du  inonde  aille  plus  loin 
que  la  charité  de  la  religion  ?  Hé  !  pourquoi 
l'auteur  de  nos  prospérités  cl  de  nos  biens 
sera-t-il  le  seul  qui  soit  paje  par  nos  infi- 
délités et  par  nos  parjures  ? 

C'est  donc  notre  sanctification  nui  dans  nos 
prospérités  est  le  motif  p.énéral  de  la  Provi- 
dence :  si  Dieu  nous  l'ait  riches,  c'est  afin  que 
nous  soyons  modérés  «t  charitables  dans 
l'usage  de  nos  richesses  ;  si  vous  êtes  savants, 
il  veut  qne  vos  lumières  vous  rendent  plus 
attentifs  à  votre  salut  et  plus  fervents  pour 
celui  des  autres;  s'il  vous  d  nue  des  dignités-, 
il  désire  que  votre  élévation  soit  utile  à  vo- 
ire prochain  par  vos  bonnes  œuvres  et  par 
vos  bons  exemples. 

Or,  comme  toutes  ses  grâces,  soit  pour  le 
temps,  soit  pour  i  éternité,  viennent  de  Dieu 
comme  de  leur  principe,  il  est  convenable 
que  par  notre  sainteté  ces  biens  dispersés 


parmi  les  hommes  et  ces  portions  différentes 
se  rejoignent  à  leur  unité,  qui  n'est  autre 
chose  que  Dieu  même.  Sans  la  piété  tous  les 
bienfaits  sont  non-seulement  inutiles,  mais 
dangereux,  et  ne  servent  qu'à  nous  rendre 
plus  coupables.  Rien  n'est  plus  criminel  que 
d'abuser  des  dons  de  Dieu,  et  s'il  est  dérai- 
sonnable de  murmurer  contre  sa  justice  quand 
il  nous  afflige, quel  crime  n'est-ce  pas  d'offen- 
ser sa  miséricorde  dans  le  temps  même  qu'il 
nous  protège  ! 

El  c'est  pour  imprimer  fortement  dans  nos 
cœurs  le  désir  de  notre  salut  que  l'apôtre 
saint  Paul,  dans  cette  divine  Epître  aux  Ro- 
mains qui  renferme  tout  l'abrégé  de  la  mo- 
rale de  Jésus-Christ,  et  qui  devrait  être,  se- 
lon saint  JeanChrysoslome,le  sujet  continuel 
de  nos  pieuses  médit  ations.nousenseigneque 
non-seulement  les  grâces  temporelles,  mais 
même  les  devoirs  que  Dieu  nous  impose, 
sont  les  marques  de  noire  vocation  à  la  sain- 
teté; s'il  nous  menace.il  veut  donc  que  nous 
évitions  le  péché  par  la  crainte  des  châti- 
ments; s'il  nous  promet  des  récompenses, 
il  veut  donc  nous  exciter  à  la  vertu  par 
la  reconnaissance  et  par  l'amour.  Et  pour- 
quoi, conclut  l'Apôtre,  Dieu  veut-il  nous 
assujettir  à  tous  ces  préceptes?  c'est  afin 
que  vous  vous  rendiez  ce  témoignage  à  vous- 
mêmes,  qu'en  remplissant  vos  obligations  vous 
accomplissez  cette  volonté  de  Dieu  qui  nous 
objige  à  être  saints  :  Ut  probetis  quœ  sit  vo- 
luntas  Dei  bona  et  pei  ferta. 

Et  en  effet,  lorsqu'on  offrait  des  victimes 
dans  l'ancienne  loi,  Dieu  voulait  qu'elles  fus- 
sent saintes,  non-seulement  d'une  sainteté  de 
séparation  par  rapport  aux  autres  animaux 
qui  n'étaient  point  réservés  pour  les  sacri- 
fiées; non-seulement  d'une  sainteté  de  con- 
sécration par  rapport  aux  cérémonies  de  la 
loi  qui  les  destinait  au  culte  de  la  religion, 
mais  encore  d'une  sainteté  de  relation  et  de 
signe,  par  rapport  aux  prêtres  et  au  peuple 
qui  les  offraient.  Or,  nous  qui  sommes  les 
hosties  vivantes  de  Jésus-Christ  et  le  temple 
même  du  Saint-Esprit  par  la  régénération 
spirituelle  de  noire  baptême,  nous  vivons 
sous  une  loi  qui  nous  impose  le  devoir  de 
notre  sanctification,  par  cette  grâce  nouvelle 
que  l'esprit  sanctificateur  a  répandue  dans 
nos  cœurs  avec  abondance  :  sainteté  recom- 
mandée pour  tous  les  temps,  et  surtout  dans 
celui  dans  lequel  nous  sommes.  Et  qui  sait 
si  Dieu,  après  nous  avoir  punis  par  les  tri- 
bulations d'une  longue  guerre,  ne  nous  a 
point  accordé  la  paix  comme  un  dernier 
moyen  que  sa  miséricorde  nous  donne  pour 
notre  conversion,  ou  pour  ôter  toute  excuse  à 
notre  endurcissement  cl  à  notre  perle? 

Quand  je  parle  de  la  pratique  de  la  piété, 
;  n'entends  pas  celle  qui  est  aujourd'hui  si 
commune  dans  le  monde,  et  qui  n'est  que  le 
j  .éi(  \l<>  de  la  cupidité  et  de  l'ambition.  Com- 
bien y  a-l-il  de  chrétiens  qui,  dans  un  siècle 
où  (-races  au  ciel)  la  sainteté  n'est  plus  sans 
crédit  et  sans  récompense, s'érigent  en  dévols 
pour  surprendre  ceux  qui  le  sont!  Sous  les 
«  elrors  d'une  modestie  fausse  et  dissimulée, 
ils  ne  sont  au  dedans  ni  humbles  ni  mortifié!  . 


ORATEURS  SACRES.  I)K  NESMOM). 


1008 


ili  censurent  dam  leurs  frères  lei  fautes  les 
plus  petites,  et  no  peinent  souffrir  que  l'on 
connaisse  leurs  imperfection!  et  leurs  défauts  ; 

ils  n'aiment  personne,  et  par  un  retour  né- 
cessaire ils  ne  sont  aimes  de  personne:  s'ils 
étaient  charitables  pour  les  autres  par  reli- 
gion, on  serait  indulgent  pour  eux  par  re- 
connaissance, et  s'ils  supportaient  les  infir- 
mités de  leur  prochain,  peut-être  excuserait- 
on  leur  vanité  et  leur  ambition  et  tous  les 
excès  de  leur  amour-propre. 

Quand  je  parle  de  la  pieté,  je  n'entends  pas 
ct'Ùe  nouvelle  et  mystique  dévotion  qui,  por- 
tée des  rivages  étrangers,  s'est  introduite,  je 
ne  sais  comment,  dans  ce  royaume  si  savant 
et  si  éclairé  ;  qui ,  sous  le  nom  d'une  femme 
sans  science  et  sans  soumission  ,  s'insinue 
presque  en  tous  lieux  et  trouble  la  paix  de 
l'Eglise  ;  qui ,  sous  l'attrait  séducteur  d'ex- 
pressions artificieuses  ,  renferme  une  doc- 
trine fausse  dans  ses  principes  et  dangereuse! 
dans  ses  conséquences  ;  qui  anéantit  jusqu'à 
l'espérance  chrétienne  ,  cette  divine  vertu 
qui  fait  la  consolation  de  notre  exil  et  jus- 
qu'au plus  saint  désir  de  l'âme  pieuse,  et  qui, 
dans  la  recherche  d'une  vaine  perfection  que 
l'Evangile  et  la  tradition  n'enseignent  point, 
dégénère  insensiblement  en  illusion  et  en 
fanatisme. 

J'entends,  mes  frères,  celte  piété  que  saint 
l'aul  confond  avec  la  charité,  qui  est  la  règle 
ou  le  motif  de  notre  conduite.  S'agit-il  des 
imperfections  du  prochain  ,  1  homme  vrai- 
ment vertueux,  ou  les  excuse  ,  ou  les  dissi- 
mule ;  s'agit-il  de  son  propre  intérêt  ,  il  le 
néglige;  si  Dieu  lui  envoie  des  adversités, 
il  s'y  soumet  sans  murmure  et. avec  patience; 
faut-il  dans  les  familles  éprouver  des  hu- 
meurs ou  des  contradictions  domestiques,  il 
donne  l'exemple  d'une  douceur  et  d'une  bé- 
nignité chrétienne  ;  faut-il  préférer,  dans  des 
conjonctures  délicates ,  sa  conscience  à  sa 
fortune  ,  il  sacrifie  sans  peine  son  ambition  ; 
si  Dieu  lui  donne  la  paix  temporelle,  il  la  re- 
garde comme  un  nouveau  motif  de  sainteté. 
Car  de  même  qu'il  y  a  des  vertus  convenables 
au  temps  de  la  guerre  ,  comme  la  pénitence 
et  la  soumission  dans  les  châtiments  dont 
Dieu  nous  afflige,  il  y  a  aussi  des  vertus  pro- 
pres au  temps  de  la  paix  ,  comme  le  bon 
usage  des  douceurs  qu'elle  nous  procure,  la 
modération  dans  les  prospérités  et  dans  l'o- 
pulence cl  le  renouvellement  de  notre  fer- 
veur dans  les  devoirs  du  christianisme. 

Que  demandez-vous  donc  pour  devenu- 
saints  ?  et  je  finis  par  cette  réflexion  , -pour 
ne  pas  abuser  plus  longtemps  de  l'attention 
fa\  omble  dont  vous  m'honorez  (et  que  je 
dois  à  votre  piété)  ;  vous  faut-il  des  grâces  ? 
hé  !  à  qui  Dieu  les  rcfuse-l-il  ?  S'il  veut  notre 
sanctification  en  tout  temps  ,  en  tous  lieux 
cl  en  tous  états  ,  il  s'ensuit  qu'il  nous  donne 
tous  les  secours  pour  l'acquérir  :  il  veut 
cette  fin  ,  et  par  conséquent  les  moyens  qui 
nous  y  conduisent;  il  demande  notre  sainteté, 
il  désire  donc  tout  ce  qui  l'opère,  à  moins 
qu'on  ne  se  ligure  un  Dieu  austère  et  cruel , 
qui,  injuste  pour  ses  créatures,  leur  prescrit 
des  devoirs  sans  leur  donner  des  grâces  ne- 


ceftairet  pour  les  accomplir ,  principe  qui 
conduit  infailliblement  ou  au  libertinage  ou 

au  désespoir. 

Mais  Dieu  veut  bien  ajouter  quelquefois  à 
ces  secours  intérieurs  les  prospérités  de  la 
terre.O  malheureuse  corruption  de  I  'h<  mme! 
ô  bonté  ineffable  du  Seigneur  !  s'écrie  saint 
Grégoire  :  l'obligation  de  l'aimer  et  de  le  ser- 
vir est  la  vue  de  notre  salut.  N'élaienl-ce  pas 
des  raisons  suffisantes  pour  nous  exciter  à 
l'accomplissement  de  ses  préceptes?  (allait- 
il  encore  qu'il  satisfit  en  quelque  façon  no- 
ire cupidité,  qu'il  (lattât  la  passion  la  plus 
délicate  du  cœur  humain  ,  c'est-à-dire  notre 
intérêt  propre  ,  et  qu'il  nous  accordât  les 
bienfaits  temporels,  comme  un  nouveau  mo- 
tif d'avancer  dans  les  voies  delà  sainteté  du 
christianisme  ? 

Que  faut-il  encore  pour  votre  sanctifica- 
tion ?  des  exemples.  Combien  y  a-t-il  de  chré- 
tiens qui  ,  n'ayant  pas  des  grâces  plus  fortes 
que  nous  ,  ni  moins  d'obstacles  à  surmonter 
dans  des  professions  semblables  aux  nôtres, 
au  milieu  du  monde  et  de  ses  tentations,  ex- 
posés aux  mêmes  dangers  ,  hommes  comme 
nous,  mais  plus  saints  que  nous,  ont  vaincu 
le  siècle  et  ses  pompes,  renoncé  au  démon  et 
à  ses  œuvres  1  El  c'est  celte  nuée  de  témoins, 
dont  parle  le  Saint-Esprit ,  que  Dieu  pro- 
duira contre  nous  au  jour  de  son  jugement, 
et  qui  seront  le  reproche  éternel  de  notre  en- 
durcissement et  de  nos  crimes. 

Que  désirez-vous  encore  pour  votre  salul  1 
des  facilités.  Je  dis  qu'en  quelque  façon  nous 
sommes  plus  les  maîtres  de  noire  sainteté 
que  nous  ne  le  sommes  de  notre  fortune  : 
pour  être  saints  il  nous  suffit  de  le  vouloir 
être  et  de  faire  avec  la  grâce  ce  que  nous 
pouvons  pour  le  devenir  ;  et  pour  être  grands 
dans  le  siècle  ,  souvent  nos  désirs  sont  su- 
perflus et  tous  nos  efforts  sont  inutiles.  Le 
joug  du  monde  est  plus  à  charge  que  celui 
de  Jésus-Christ  ,  qui  nous  parait  pesant  par 
quelques  peines  extérieures  et  apparentes  , 
mais  qui  devient  léger  ,  selon  les  paroles  do 
l'Ecriture,  par  celte  onction  secrète  que  Dieu 
répand  dans  les  cœurs  de  ceux  qui  l'aiment, 
et  qui  faisait  dire  à  saint  Bernard  :  Les  pé- 
cheurs voient  nos  croix  et  ne  sentent  pas 
nos  consolations  et  nos  joies  :  Cruce*  nostras 
vident,  unctiones  non  rident. 

Tâchons  donc  de  nous  forliGer  ,  mes  frè- 
res, dans  l'état  où  sa  providence  nous  a  pla- 
cés ;  détachons-nous  des  plaisirs  du  monde; 
délrompons-nous  de  celte  beauté  mortelle 
qui  allume  dans  nos  co'urs  des  feux  cri- 
minels, et  qui  est  la  cause  et  peut-être  le 
principe  de  nos  péchés.  Que  les  clameurs  se- 
crètes de  notre  conscience  agitée  rappellent 
en  nous  le  désir  efficace  d'une  conversion 
sincère.  Malheur  à  celui  qui  se  scandalise! 
'  mais  aussi  malheur  à  celui  par  qui  le  scan- 
dale arrive  !  Le  monde  est  à  la  vérité  injuste 
et  léméraire  dans  ses  jugements,  il  augmente, 
il  exagère;  mais  ne  donnons  pas.  par  des 
mœurs  suspectes  ,  matière  à  ses  soupçons  et 
à  ses  mensonges  ;  ne  nous  plaignons  pas 
toujours  de  ses  injustices  ,  corrigeons  seule- 
ment nos  imprudences  ;  le  seul  moyeu  de 


1009 


DISCOURS  IV  PRECHE  AUX  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


1010 


nous  sauver  de  sa  malignité,  c'est  de  ména- 
ger sa  délicatesse  :  arrêtons  les  projets  de 
notre  ambition,  et  voyons  si  les  dignités  de 
la  terre  valent  ce  que  coûte  la  peine  de  les 
acquérir,  la  difficulté  de  les  conserver  et  la 
crainte  de  les  perdre.  La  mort  peut-élre  vien- 
dra bientôt  couper  le  Gl  de  nos  jours  ,  elle 
s'avance  à  grands  pas  ;  noire  vie  s'écoule 
insensiblement  vers  le  terme  où  le  temps  fi- 
nit et  où  l'éternité  commence  :  une  maladie 
souvent  soudaine  et  imprévue  termine  dans 
un  instant  nos  desseins  ,  notre  vanité  ,  nos 
plaisirs  ;  et  que  nous  reste-t-il  dans  ce  der- 
nier moment ,  qui  devrait  être  toujours  pré- 
sent à  notre  mémoire  ,  que  l'attente  terrible 
des  jugements  de  Dieu  et  les  horreurs  de 
l'incertitude  entre  l'espoir  de  sa  miséricorde 
et  la  crainte  de  sa  justice  ? 

Ne  regardons  pas  la  durée  de  nos  Etats 
comme  une  saison  qui  ramène  les  plaisirs 
innocents  d'une  société  nombreuse  et  polie; 
mais  songeons  à  ces  devoirs,  plus  chrétiens 
encore  que  politiques,  qui  nous  engagent  à 
rendre  à  César  ce  qui  est  dû  à  César,  à  sou- 
lager les  peuples  dont  Dieu  nous  commet  le 
soin  et  les  intérêts  ,  à  édifier  par  notre  piété 
et  par  nos  exemples  ceux  qui  sont  ou  les  té- 
moins indifférents  ou  les  spectateurs  critiques 
de  notre  conduite.  Goûtons  tous  ensemble 
pendant  cette  vie  les  fruits  de  la  paix,  dans 
la  charité  ,  dans  l'union  et  dans  la  pratique 
d'une  piété  constante  et  sincère  ,  afin  que 
Dieu  nous  donne  quelque  jour  celle  éternelle 
paix  qu'il  destine  à  ses  élus,  et  que  je  vous 
souhaite,  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit.  Ainsi  soit-il. 

QUATRIÈME  DISCOURS, 

Prononcé  à    l'ouverture  de   rassemblée    des 
Etats  de  Languedoc. 

Etnunc  orale  Deum  omnium,  qui  magna  fecit  in  omni 
terra,  et  fecit  nohiscum  misericordiam,  del  nobis  fieri  pa- 
cem  in  diebus  Doslris  per  dies  sempiiernos. 

Prions  le  Seigneur,  qui  a  fait  de  grandes  choses  dans 
toute  la  terre,  et  qui  nous  a  toujours  traités  selon  sa  miséri- 
ctrde,  que  pendant  nos  jours  et  pour  jamais  il  fasse  fleurir 
la  paix  dans  Israël  (Kccli.,  L,  21,  23). 

Monseigneur  (1), 

C'était  dans  le  trouble  que  causait  une 
guerre  qui  semblait  prochaine,  et  dans  le  désir 
d'une  paix  qui  semblait  douteuse,  que  le 
grand  prêtre  exhortait  Israël  à  la  pratique  et 
aux  exercices  de  la  pénitence. 

Vous  êtes,  disait-il  aux  Juifs,  la  portion  de 
la  terre  la  plus  chérie  de  Dieu.  Le  ciel  a  ré- 
pandu sur  vous  à  pleines  mains  ses  plus 
abondantes  bénédictions.  Le  Seigneur  est  vo- 
tre Dieu,  et  vous  êles  son  peuple  par  prédi- 
lection et  parprivilége.  Vos  alliés  respectaient 
votre  bonheur  et  recherchaient  votre  pro- 
tection; ceux  qui  étaient  jaloux  de  votre 
grandeur  redoutaient  votre  puissance,  Peut- 
être  Dieu  abrégcra-t-il  vos  prospérités;  c'est 
a  vous  à  être  aussi  fidèles  pour  lui  qu'il  a 
été  bienfaisant  pour  vous,  à  reconnaître  les 
grâces  anciennes  et  nouvelles  qu'il  vous  a 
faites,  et  à  mériter  par  une  vie  pure  et  inno- 

11)  L'évô'inc  officiant 


cente  qu'il  multiplie  sur  vous  ses  miséricor- 
des, 

Je  viens  en  ce  jour,  mes  frères,  dans  les 
mêmes  circonstances  vous  représenter  les 
mêmes  devoirs.  Dieu  par  sa  bonté  avait  fini 
une  guerre  de  plusieurs  années,  tout  sem- 
blait promettre  à  la  terre  une  tranquillité 
durable.  L'abondance  et  la  joie  renaissaient 
dans  cette  province,  et  notre  bonheur  présent 
nous  consolait  de  nos  tribulations  passées. 
Les  temps  sonl  changés  :  de  nouvelles  crain- 
tes viennent  troubler  la  douceur  d'une  heu- 
reuse paix  ;  l'orage  se  forme  de  toutes  parts, 
nous  voyons  partout  les  tristes  présages  des 
calamités  futures,  et  dans  les  intérêts  qui 
agitent  l'Europe  affligée,  Dieu  seul  est  au- 
jourd'hui sa  consolation  et  son  espérance. 

Je  dois  donc,  en  ce  temps  de  crainte  et  de 
douleur,  vous  représenter  vos  obligations,  et, 
dans  un  discours  institué  non  pas  pour  la 
curiosité,  mai  ;  pour  l'édification  des  audi- 
teurs, il  faut  vous  annoncer  les  solides  véri- 
tés de  la  religion. 

Tout  favorise  ici  mon  dessein  et  intéresse 
votre  piété.  Dans  ce  jour,  destiné  plus  encore 
par  voire  ferveur  que  par  l'usage  à  l'humi- 
lité et  à  la  prière,  au  milieu  de  l'oblalion  des 
saints  mystères  qu'interrompt  un  ministre 
de  l'Evangile  pour  joindre,  selon  l'expres- 
sion de  saint  Augustin,  à  la  dignité  du  sa- 
crifice le  sacrement  de  la  parole,  dans  cet 
amas  pompeux  de  cérémonies  ecclésiastiques 
qui  montrent  aux  fidèles  la  sainteté  de  la  re- 
ligion ,  dans  ce  temple  sacré  où  s'humilient 
les  premières  têtes  d'un  pays,  en  présence  de 
Jésus-Christ  anéanti,  que  peut-on  présumer 
de  vos  sentiments,  sinon  que  vos  intentions 
sonl  saintes,  que  vous  cherchez  au  pied 
des  autels  les  motifs  de  vos  délibérations  et 
de  vos  suffrages,  et  que,  attentifs  à  votre 
salut,  vous  voulez  diriger  vos  fonctions  po- 
litiques par  l'esprit  du  christianisme  et  par 
les  mouvements  de  votre  conscience? 

En  effet,  mes  frères,  sans  la  religion  et 
sans  la  piété  dont  vous  donnez  tous  les  ans 
de  si  grands  exemples,  que  seraient  ces  as- 
semblées, qui  renferment  tant  de  grandeur 
dans  l'enceinte  d'une  seule  ville?  On  regar- 
derait les  jours  qui  en  composent  la  durée 
comme  une  saison  qui  ramène  la  joie  et  les 
divertissements  du  siècle;  on  mêlerait  aux 
occupations  sérieuses  des  amusements  mon- 
dains et  frivoles  ;  on  passerait  dans  les  jeux 
et  dans  les  plaisirs  que  le  monde  appelle  in- 
nocents, et  que  l'Evangile  nous  fait  regarder 
comme  dangereux,  un  temps  destiné  aux 
nécessités  communes  de  l'Etal  et  aux  besoins 
particuliers  de  la  province;  on  chercherait 
quelquefois  dans  l'administration  publique 
la  matière  de  son  orgueil  ou  les  moyens  de 
son  avancement  et  de  S'ût  fortune;  et  clans  les 
excès  qu'introduisent  le  luxe  et  la  vanité, 
que  ferait-on  qu'exciter  sans  remords  et 
sans  réflexion  les  gémissement!  des  pauvres 
cl  les  murmures  secrets  des  peuples? 

Je  veuv  par  conséquent  me  renfermer 
dans  les  paroles  de  mon  texte;  et,  dans  les 


1011 


OHATKIRS  SACRES.  DE  NESMO 


loti 


désirs  d'une  paix  que  le  ciel  nous  a  donnée, 
et  dont  l'envie  lâche  encore  de  nous  ravir 
les  douceurs  et  le-,  avantages,  je  prétend! 
vous  faire  voir  que  nous  devons  en  obtenir 
la  durée  par  nos  vertus  el  la  procurer  par 
nos  contributions  et  par  nos  secours  ;  .Ile 
est  un  don  de  Dieu,  c'est  donc  <lo  Dieu  qu'il 
faut  l'attendre  et  la  mériter:  c'est  mon  pre- 
mier point.  Elle,  est  1"  bien  le  plus  précieux 
de  la  terre,  il  faut  donc  employer  quelque 
portion  de  notre  substance  et  de  nus  fortu- 
nes pour  la  rendre  solide  et  durable  :  c'est 
mon  second  point.  Ne  cherchez  pas  dans 
ce  discours  l'éloquence  humaine,  mais  les 
vérités  évangélîques ;  et  puissiez-vous,  dans 
l'amour  même  de  vos  intérêts  temporels, 
trouver  des  principes  de  sanctification  et 
des  motifs  de  pénitence  1  Demandons  les  lu- 
mières du  Saint-Esprit  par  l'intercession  de 
Marie,  eu  lui  disant  avecl'ange  :  Ave,  Muriu. 

PREMIER  POINT. 

C'est  l'expression  de  saint  Augustin,  que 
si  nous  étions  aussi  spirituels  et  aussi  par- 
faits que  semble  l'exiger  de  nous  l'esprit  du 
christianisme,  nous  serions  non-seulement 
sans  cupidité,  mais  encore  sans  désir  pour 
les  biens  périssables  et  passagers.  Indifférents 
aux  prospérités,  comme  soumis  dans  les 
afflictions,  la  vie  future  ferait  seule  ici-bas 
notre  attention  et  nos  espérances.  Nous  lais- 
serions aux  morts  le  soin  d'ensevelir  les 
morts,  et  aux  hommes  charnels  le  goût  des 
consolations  terrestres;  et,  dans  le  cours 
d'une  vie  libre  et  dégagée  des  inquiétude,  du 
siècle,  nous  n'aurions  d'autre  vue  que  la  fin 
de  notre  exil  et  le  terme  de  noire  pèlerinage. 

Toutefois  Dieu  ne  nousdefend  pas  de  désirer 
des  biens  temporels,  pourvu  qu'on  les  rap- 
porte à  la  fln  que  la  grâce  nous  propose  pour 
notre  salut  :  soit  qu'il  nous  les  donne  pour 
condescendre  à  notre  faiblesse,  soit  qu'il  les 
accorde  comme  les  adoucissements  de  notre 
voyage  pendant  que  nous  sommes  dans  co 
corps  de  mort,  soit  qu'il  les  répande  afin  que 
nous  en  fassions  la  matière  de  nos  bonnes  œu- 
vres, il  s'accommode  et  se  prêle  par  sa  bonté 
à  notre  intérêt  et,  si  je  l'ose  dire,  à  notre 
amour-propre;  et,  sachant  combien  nous 
sommes  sensibles  aux  douceurs  et  aux  avan- 
tages de  la  terre,  il  ne  nous  en  interdit  point 
le  désir  et  la  possession,  mais  seulement  le 
mauvais  usage. 

Or  c'est  la  paix  qui  de  tous  les  biens  est  le 
plus  précieux  et  le  plu-,  utile.  Son  nom  seul 
flatte  nos  esprits,  dit  saint  Augustin,  et  l'ait 
je  ne  sais  quelle  impression  de  joie  et  de 
douceur  dans  les  cœurs  des  hommes  :  Tun- 
tum  est  pacis  Uonwii,  ut  nikil  gratins  itfemt 
audiri  ;  elle  est  l'objet  de  leur  espérance  et 
de  leurs  soupirs  quand  ils  ne  la  possèdent 
pas  :  iVtTuï  desiderabilius  conatpisci  ;  et  lors- 
que Dieu,  propice  à  leurs  désirs,  l,i  donne 
à  la  terre,  ils  la  regardent  comme  un  prisent 
du  ciel  qui  ramène  la  tranquillité  <  t  qui  as- 
sure toutes  les  fortunes  particulières  :  Xihil 
nielius  possit  inveniri. 

Mais  qu'est-ce  que  la  paix,  dans  sa  défi- 
nition littérale,  continue  ce  même  Père,  qu'un 


ordre  établi  de  Dieu  entre  tous  les  hommes, 
dit  igé  par  la  charité  et  par  la  jnslii  •  ■.  i  I  qui 
s'étend  ou  se  resserre  selon  les  différents 
objets  où  elle  s'applique  ?  Tantôt  elle  nous 
renferme  dans  l'enceinte  des  obligations  d<>- 
mestiques,  et,  nous  liant  par  les  nœuds  sa- 
cres du  san^'  et  de  la  nature,  elc  fait  dans 
les  familles  la  domeur  de  l'union  et  de 
l'amitié  ;  tantôt  elle  nOUf  engage  aux  devoirs 
de  la  vie  civile,  .1,  comme  portion  d'une 
mè  ne    ville,  d'une  même  province  et  d'une 

n  ■  patrie,  elle  nous  rend  citoyens  zi 
ou  sujets  soumis  et  (idèles  ;  tantôt,  par  un 
mélange  d'intérêt,  de  commerce  et  de  motifs 
politiques,  eile  unit  les  peuples  avec  lu-  peu- 
ples, les  royaumes  avec  les  royaumes, et  pro- 
cure le  repos  public  que  Dieu  donne  dans  sa 
miséricorde,  et  que  les  princes  inquiets  et 
ambitieux  ne  troublent  que  trop  souvent  par 
les  mouvements  déréglés  que  leur  inspirent 
leur  vanité,  leur  gloire  ou  leur  jalousie. 

Et  c'est  la  cliarilé  qui  est  le  fondement  el 
le  motif  de  cette  paix  ,  dit  encore  saint  Au- 
gustin :  Charitas  calestis  pacem  f/i'riyjf,  ter- 
rena  cupidttm  destruil  :  La  charité  la  dirige, 
et  la  convoitise  la  détruit  ;  et  en  effet,  à  q 
s'occupent  la  prudence  .le  la  chair  et  la  poli- 
tique mondaine  dans  les  conjonctures  impor- 
tantes où  il  s'agit  du  sort  des  nations  ?  n'est- 
ce  pas  à  troubler  le  repos  el  les  prospérités 
de  ses  voisins,  à  c  mlredire  les  droits  les  plus 
authentiques  el  les  plus  sacrés,  à  s'élever 
conire  une  puissance  dont  la  supériorité  sa 
fait  craindre  de  ses  ennemis,  à  for.ner  des  li- 
gues nombreuses  aux  dépens  de  la  raison  et 
de  l'équité  ,  à  faire  servir  le  mensonge,  les 
artifices  et  souvent  la  religion  ,  à  ses  projets 
el  à  ses  prétextes  ;  enfin  à  susciter  des  guerres 
qui  coûtent  si  cher,  même  aux  victorieux, 
et  dont  le  mond  ■  entier  est  quelquefois  le 
ili  âtre  et  presque  toujours  la  victime  ?  Ch- 
piditas  pacem  dtstruit. 

.Mais  la  charité  au  contraire  se  renferme 
toujours  dans  le  droit  d'une  défense  juste  et 
nécessaire  ;  elle  conserve  la  paix  par  incli- 
nation et  ne  la  rompt  jamais  que  par  néces- 
G  ■Mente  de  s'opposer  à  l'envie  el  à  l'in- 
justice, elle  observe  les  lois  que  la  nature  et 
la  Providence  ont  établies.  !  Ile  laisse  à  cha- 
cun ce  qui  lui  est  dû.  Bien  loin  d'être  j.ilouse 
du  bonheur  des  autres,  elle  apprend  aux  na- 
tions a  se  communiquer  ;  ar  un  commerce 
sincère  el  fidèle  les  richesses  que  Dieu  a  par- 
tagées dans  chaque  pays  :  et  dans  un  concours 
de  besoins  et  de  secours  mutuels,  elle  fait 
trouver  dans  l'observation  des  devoirs  du 
christianisme  l'utilité  m  nie  de  la  vie  pré- 
sente :  Charifas  pacem  diri    i. 

Ces  principes  poses,  disons  que  la  paix  est 
le  fruit  de  la  piété  des  hommes  :  Opus  justitiw 
pur,  disait  le  prophète  Isaïe.  Les  bénédic- 
tions de  la  terre  personnelles  et  particulières 
ne  sont  pas  toujours  la  preuve  de  1  i  miséi  i- 
enrde  de  Dieu:  il  consomme  quelquefois  par 
elles  la  réprobation  et  l'endurcissement  du 
pécheur  :  mais  les  pros|  ei  iles  publiques  sont 
d'ordinaire  l'effet  de  la  piété  des  pevpl  - 

Lorsque  les  Juifs  furent  fidèles  à  la  loi,  les 
grâces,  les  succès,  les  miracles,  le  ciel  même, 


1013  DISCOURS  IV  POUR  L'OUVERTURE  DES  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


1014. 


èiaient  comme  tributaires  de  leurs  désirs. 
Comment  Dieu  refuserait-il  les  consolations 
extérieures  el  sensibles  aux  vertus  chré- 
tiennes, puisqu'il  les  accorde  aux  vertus  mo- 
rales ?  Tant  que  les  Romains  furent  ver- 
tueux, leur  empire  fut  florissant, leurs  mœurs 
eurent  plus  de  part  à  leurs  Gonquéles  que 
leur  puissance;  ils  vainquirent  par  leur  sa- 
gesse quoique  mondaine  ,  ils  furent  vaincus 
à  leur  tour  par  la  volupté,  et  les  dérègle- 
ments qu'ils  contractèrent  dans  le  commerce 
des  nations  subjuguées  furent  le  signe  pro- 
chain de  leur  décadence  et  de  leur  chute. 

Et  à  quoi  doit-on  attribuer  le  bonheur  et 
la  durée  de  la  paix  ?  dit  saint  Augustin  :  est- 
ce  à  la  puissance  d'un  potentat  victorieux, 
qui  peut  donner  la  loi  et  qui  s'est  rendu  l'ar- 
bitre des  événements?  Ne  voil*on  pas  que 
cette  supériorité  ne  fait  souvent  que  des  ja- 
loux et  des  ennemis  ?  Est-ce  à  la  modération 
des  princes  ?  et  concourent-ils  tous  avec  une 
mutuelle  intelligence  au  repos  public?  Est- 
ce  aux  motifs  du  christianisme?  et  les  chré- 
tiens ne  les  sacrifient-ils  pas  tous  les  jours 
aux  désirs  du  siècle  et  à  l'attrait  du  péché? 
Est-ce  à  l'adresse  et  à  la  subtilité  des  négo- 
ciations ?  et  qui  ne  sait  que  c'est  un  art  ingé- 
nieux ,  que  la  religion  ne  dirige  que  rare- 
ment ,  et  où  chacun  ,  sans  sincérité  et  sans 
bonne  foi .  cherche  à  tromper  el  à  surpren- 
dre ?  Concluons  donc  que  Dieu  seul  donne  la 
paix,  lorsque  nous  la  méritons  par  notre 
vertu,  et  qu'il  tire,  quand  il  lui  plaH,  du 
fond  même  de  la  politique  mondaine  et  des 
intérêts  les  plus  opposés  et  les  plus  con- 
traires ,  l'avancement  de  son  œuvre  et  les 
desseins  de  sa  providence. 

C'est  ce  que  le  Seigneur  nous  répète  si 
souvent  par  la  douche  du  prophète-roi  :  Si 
vous  vous  convertissez  à  moi ,  je  me  conver- 
tirai à  vous,  et  je  suspendrai  le  cours  d'une 
guerre  dont  vous  gémissez  et  qui  vous  épuise. 
Conservez  la  paix  avec  moi ,  nous  dit-il  dans 
Jérémie,  et  je  vous  rendrai  ce'le  dont  vous 
jouissiez.  Ne  nous  plaignons  pas  par  consé- 
quent, mes  frères  que  les  temps  vont  deve- 
nir mauvais  ;  prévenons  ces  tristes  jours  par 
nos  bonnes  œuvres  :  nous  sommes  ainsi  en 
quelque  façon  les  arbitres  de  notre  sort  tem- 
porel ;  la  parole  de  Dieu  est  le  ga-je  de  sa 
promesse  ,  comme  elle  est  la  règle  de  notre 
piété.  Ses  bénédictions  descendent  sur  nous 
à  mesure  que  nos  vertus  et  nos  oraison» 
montent  vers  le  ciel  :  semblables  à  ce*  douces 
exhalaisons  qui  s'élèvent  de  la  terre,  et  qui, 
dans  la  région  des  nuées,  formant  des  pluies 
salutaires,  donnent  à  toutes  nos  campagnes 
la  fertilité  et  l'abondance. 

Mais  quelles  sont  nos  rmeurs  aujourd'hui  I 
el  dans  quel  siècle  y  a-t-il  eu  moins  de  bonne 
foi  dans  le  commerce  et  dans  les  affaires, 
plus  d'infidélité  dans  les  mariages,  plus  d'ex- 
cès et  d'impudence  dans  le  luxe,  moins  de 
goût  pour  les  bonnes  œuvres,  plus  d'attache, 
aux  plaisirs  ou  criminels  ou  innocents  , 
moins  de  scrupule  dans  l'usure,  plus  de  venin 
dans  la  médisance  I  On  attaque  indifférem- 
ment l'innocent  et  le  coupable  ,  les  amis  et 
les  ennemis,  le  sacré  cl  le  profane,  ses  égaux 


et  ses  supérieurs.  Les  conversations  ne  rou- 
lent plus  que  sur  la  satire  et  sur  la  critique. 
On  croit  faire  oublier  son  dérèglement  en  ra- 
contant celui  des  autres:  encore,  si  on  ne 
censurait  que  le  vice  public  el  connu,  la  va- 
nité insulterait  à  la  vanité,  et  un  péché  serait 
le  châtiment  d'un  autre  péché  ;  mais  la  vie 
la  plus  régulière  n'échappe  pas  aux  soup- 
çons et  aux  injustices.  La  réputation,  ce  bien 
si  cher  et  si  précieux  à  tous  les  hommes,  est 
tous  les  jours  la  victime  d'un  mauvais  esprit 
ou  d'un  envieux.  La  réparation,  quoique  né- 
cessaire ,  est  presque  toujours  aussi  dange- 
reuse que  la  blessure  que  l'on  a  faite.  Ceux 
qu'un  mouvement  de  religion  empêche  demé- 
dire  écoutent  avec  complaisance;  emploient- 
ils  leur  autorité  ou  leurs  avis  pour  réprimer 
le  mal  qu'on  dit  du  prochain?  et  quoiqu'on 
ne  soit  pas  auteur  de  la  détraction,  on  en  de- 
vient pourtant  le  complice  par  son  consente- 
ment et  par  son  silence. 

Voit-on  à  présent  parmi  les  femmes  chré- 
tiennes la  pudeur  et  la  modestie  qui,  selon 
l'expression  de  l'Apôtre  ,  devraient  faire  la 
gloire  et  l'ornement  de  leur  sexe  ?  Dans  leurs 
premières  années  ,  occupées  seulement  du 
soin  d'une  fragile  beauté ,  et  dans  les  der- 
nières, dévotes  par  ostentation  et  par  res- 
source, elles  ne  donnent  d'ordinaire  à  Dieu 
que  les  ruines  de  l'âge  et  les  tristes  débris 
d'une  inutile  vieillesse.  Combien  y  en  a-t-il 
qui,  dans  des  intrigues  où  règue  le  péché  et 
souvent  le  mauvais  choix  ,  sont  le  scandale 
des  villes,  la  honte  de  leur  famille  et  le  ridi- 
cule des  libertins  ;  qui  promènent  leurs  vo- 
lages désirs  sur  lous  les  objets  qui  peuvent 
flatter  leur  libertinage  ou  leur  avarice  ;  qui 
déshonorent  également  leur  sexe  et  leur 
naissance,  et  qui,  par  un  juste  jugement  du 
ciel,  ont  le  sort  attaché  à  la  dépravation  des 
mœurs,  d'être  non-seulement  criminelles  aux 
yeux  de  Dieu,  mais  aussi  méprisables  à  ceux 
du  monde,  à  qui  elles  veulent  plaire  1 

Or,  pour  prouver  ma  proposition,  je  dis  de 
plus  que  l'intention  primitive  de  Dieu  a  été 
que  les  hommes  vécussent  dans  une  éter- 
nelle paix,  el  elle  eût  été  le  privilège  de  no- 
tre Origine,  si  Adam  eût  conservé  la  première 
grâce  de  sa  création  ;  nous  eussions  joui  des 
bienfaits  de  Dieu  sans  trouble  el  sans  inquié- 
tude ,  nous  n'aurions  connu  ni  ses  ennemis 
invisibles,  qui  sont  au  dedans  de  nous  les 
obstacles  de  la  vertu,  ni  au  dehors  les  enne- 
mis visibles  qui  troublent  notre  repos  et  qui 
détruisent  nos  fortunes.  La  terre  aurait  sulli 
à  lous  nos  besoins  et  n'aurait  pas  été  le 
théâtre  malheureux  de  nos  discordes.  Chacun 
aurait  pris  sa  part  de  ce  patrimoine  commun 
sans  désirer  celle  des  autres  ;  et  comme  il  n'y 
eût  pas  eu  de  cupidité ,  tous  les  hommes, 
contents  des  limites  que  le  Seigneur  leur  au- 
rait données,  eussent  dans  une  parfaiie  tran- 
quillité honoré  le  nom  de  Dieu  el  respocté 
les  ordre*  de  la  Providence. 

C'est  donc  par  le  péché  que  la  guerre  s'est 
introduite  dans  le  monde,  ainsi  que  la  mort, 
selon  la  doctrine  de  l'Apotrc.  Dès  que  noire 
premier  père  cul  transgresse  la  loi  du  Sei- 
gneur, le  dcuiou  troubla  la  douceur  d'une 


1018 


famille  <|ue  le  sang  et  l'amitié  devaient  unir. 
I.  envie  dit  lu  cause  d'un  fratricide  :  le  S 
Espril  l'a  dit.  Tant  que  le  péché  régnera  s  r 

la  terre,  on  verra  dans  tous  les  nèclei  les 
hommei  armés  contre  les  lioninies,  les  na- 
tions soulevées  contre  les  nations.  Ce  n'e  l 
que  dans  le  ciel  qu'un  amour  consommé  dé- 
truira tous  les  motifs  des  pas-ions  humaines; 
cl  qu'est-ce  que  la  félicité  des  saints  ,  sinon 
une  heureuse  paix,  dont  ils  jouissent  dans  le 
sein  de  Dieu,  qui  couronne  en  eux  ses  dons 
et  ses  propres  miséricordes  ? 

C'est  par  celte  raison  que  Dieu  veut  qu'au 
milieu  du  trouble  des  actions  militaires  les 
princes  conservent  le  désir  de  la  paix.  Faire 
la  guerre  par  haine  ou  par  ambition,  c'e-t 
violer  les  lois  les  plus  essentielles  du  chris- 
tianisme ;  la  soutenir  pour  se  défendre  con- 
tre l'injustice,  c'est  le  droit  des  souverains, 
qui  ne  portent  pas  en  vain  l'épée  que  Dieu 
leur  a  confiée. 

Tel  a  été  le  sentiment  relig  eux  du  monar- 
que sous  qui  nous  vivons  :  posant  profiter 
de  ces  premiers  moments  où  ses  ennemis 
étaient  étonnés  et  incertains,  s'cst-il  prévalu 
des  avantages  que  lui  donnaient  sa  "-u;  ério- 
rité  et  sa  diligence?  quelles  conditions  rai- 
sonnables a-t-il  refusées  ?  Une  prompte  hos- 
tilité, qui  aurait  été  favorable  à  ses  intérêts, 
a  paru  contraire  à  la  délicatesse  de  sa  con- 
science ;  il  a  voulu  que  nous  dussions  la  paix 
moins  à  ses  armes  qu'à  sa  piété,  et  <|ue  I  Eu- 
rope éprouvât  encore  une  fois  plutôt  sa  mo- 
dération que  sa  puissance. 

Mais  si  le  péché  du  vieil  homme  a  été  le 
principe  de  la  discorde  des  hommes  dans 
tous  les  siècles,  une  des  plus  importantes 
fonctions  du  nouvel  Adam  a  été  de  détruire 
celte  nouvelle  division.  L'union  publique  n'a 
pas  moins  été  l'objet  de  sa  divine  mission 
que  la  charité  particulière.  Il  n'est  venu  dé- 
clarer la  guerre  qu'aux  passions  humaines, 
cl  les  armes  qu'il  nous  met  en  main  sont  la 
mortification  et  la  pénitence.  Le  titre  qu'il 
prend  le  plus  souvent  dans  les  Ecritures  est 
celui  de  Dieu  de  la  paix  ,  et  pour  accomplir 
ce  que  les  prophètes  avaient  dit  de  lui,  il 
voulut  naître  sous  le  règne  d'un  empereur 
pacifique.  Ce  fut  dans  celle  époque  ,  arrivée 
dans  la  plénitude  des  temps,  que  se  fermèrent 
les  portes  fatales  de  ce  temple  si  célèbre  dans 
l'ancienne  Uorae ,  et  la  paix  qui  régnait  sur 
toute  la  face  de  la  terre  tut  moins  l'effet  du 
bonheur  cl  de  la  puissance  d'Auguste  que  le 
présage  heureux  de  la  naissance  du  Sauveur 
du  monde. 

Cette  paix  générale  était  même  nécessaire 
au  progrès  de  l'Evangile.  L'œuvre  de  Dieu 
demandait  des  esprits  paisibles  et  attentifs, 
et  la  guerre  eût  rendu  les  nations  inacces- 
sibles aux  fonctions  de  l'apostolat.  A  la  fa- 
veur de  ce  repos  universel ,  les  apôlres  par- 
tagèrent entre  eux  leur  mission  et  la  con- 
quête spirituelle  du  monde  entier.  Les  uns 
pénétrèrent  jusqu'aux  extrémités  des  Indes  , 
cl  fondèrent  celle  Eglise  que  nous  voyons  de 
nos  jours  heureusement  renaissante.  Les  au- 
tres allèrent  confondre  par  la  folie  de  la  pré- 
dication la  sagesse  de  l'aréopage  et  d'Athè- 


OIUTEI'RS  SACHES.  DE  NESMOND  1016 

net .  'l  l'on  vit  enfin  Pierre  fixer  le  liège  'le 
la  primauté  ecclésiastique  dans  la  capitale 
de  l'univers,  établir  le  vrai  culte  par  la  des- 
truction des  fausses  divinités,  el  élever  pour 
ainsi  dire  I  i  croix  du  Sauveur  sur  les  ruines 
mé  ne  du  Capitule. 

I.a  paix  fut  donc  l'ouvrage  de  Jésus-Christ, 
et  telle  était  la  doctrine  de  l'Apôtre,  daei  M 
divine  Lpîlrc  aux  Epbési  ns  :  Vous  n'Uêt 
vins  éloignés  île  Dieu  ni  de  vos  frères,  leur 
disait-il  ;  le  sang  du  Médiateur  vous  a  rap- 
prochés tes  uns  des  autres.  C'est  lui  qui,  de 
tant  de  nations  divisées  par  I-  s  intérêts  de  la 
politique  mou  laine,  n'en  a  fait  qu'un  peuple 
par  le»  nœuds  plus  doux  et  pi  de  la 

charité  chrétienne  ;  c'est  lui  qui,  pour  nous 
réunir  dans  un  même  corps  ,  a  rompu  dans 
sa  chair  le  mur  de  séparation  cl  éteint  les 
inimitiés  qui  nous  divisaient:  Inimiritias  în- 
terfteiens  in  seinrtipso 

Il  était  convenable,  conclut  le  même  Apô- 
tre, que  celui  qui  était  descendu  sur  la  terre 
pour  réconcilier  le  monde  pécheur  avec  son 
l'ère  réunît  aussi  les  hommes  avec  les  hommes, 
que  les  haines  publiques  et  particulières  cé- 
dassent à  celle  charité  dont  il  a  été  loul  en- 
semble le  législateur  et  le  modèle,  qu'il  lut 
le  pacificateur  du  monde  pour  en  devenir 
le  réparateur,  qu'il  désarmât  le  démon  ho- 
micide el  meurtrier,  dont  il  voulait  abolir 
l'empire,  el  que  toute  uuerre  finit  en  lui  el 
par  lui  ,  puisqu'il  était  venu  détruire  la  con- 
voitise, qui  en  esl  la  source. 

Et  en  effet,  d'où  vient  qne  la  paix  s'est  re- 
tirée de  vous,  el  que  le  glaive  s'enivre  lous 
les  jours  du  sang  des  hommes?  demande 
l'apôtre  saint  Jacques  ;  n'est-ce  pas  par  les 
passions  qui  combattent  dans  votre  chair? 
YY.us  êtes  pleins  de  plaisirs  déréglés,  el  vous 
n'avez  pas  ce  que  vous  désirez;  vois  éles 
enyieux  et  jalons,  et  vous  ne  pouvez  obtenir 
ce  que  vou-  voulez  ;  vous  vous  faites  la  guerre 
et  vous  combattez  les  uns  contre  les  autres, 
et  vous  n'avez  pas  pourtant  ce  que  vous  lâ- 
chez d'avoir,  parce  que  vous  ne  demandez 
pas  comme  il  faut  el  que  vous  n'êtes  pas  di- 
gnes d'èlrc  exaucés.  Tels  sont  les  avis  que 
cet  apôtre  donnait  aux  chrétiens  de  son 
temps,  et  le!s  sont  les  châtiments  dont  Dieu 
nous  afflige.  Sa  justice  nous  ôte  souvent  les 
biens  que  nous  a  donnés  sa  miséricorde. 

El  quel  usage  avons-nous  fait  de  celte  paix 
que  nous  désirons  avec  tant  d'ardeur?  Com- 
bien y  a-t-il  de  procès  odieux  que  suscite  1  i 
cupidité ,  que  les  sollicitations  cl  l'intrigue 
éternisent  avec  injustice,  el  qu'entretiennent 
la  chicane  des  parties  el  quelquefois  aussi 
l'avarice  même  des  juges!  Combien  de  gens, 
dans  les  subsides  que  la  guerre  oblige  de  le- 
ver, cherchent  la  matière  de  leurs  rapines, 
s'engraissent  de  la  substance  des  peuple-,  i 
ruinés  à  leur  tour  par  la  recherche  qu'on  fait 
de  leurs  exactions  ,  retombent  dans  le  même 
néant  dont  le  hasard  les  avait  tirés  I  Ne  • 
on  pas  des  haines  injustes  que  la  mort  nu 
saurait  finir,  elqui, passant  de  main  en  main, 
se  perpétuent  jusqu'à  la  génération  la  plus 
reculée?  N'j  a-l-il  pas  dans  le  siècle  où  nous 
vivons  des  familles  qu'un  sordide  intérêt  di- 


1017 


DISCOURS  IV  POUR  L'OUVERTURE  DES  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


lois 


vise,  que  des  amis  charitables  ne  peuvent 
unir,  et  dont  un  directeur  imprudent  ou  in- 
téressé fomente  souvent  la  discorde  ,  au  lieu 
de  l'éteindre  par  son  autorité  ou  par  ses  con- 
seils ? 

C'est  donc  aux  vertus  des  peuples  que 
Dieu  attache  le  repos  et  la  félicité  de  la  terre. 
Le  premier  objet  de  la  grâce  est  à  la  vérité 
leur  sanctification;  c'est  proprement  l'unique 
nécessaire  de  la  vie  chrétienne  :  mais  ia  paix 
es!  leur  première  vocation  apr,">s  le  salut.  Et 
c'était  !a  raison  dont  seservait  l'Apôtre  quand 
il  exhortait  les  fidèles  à  prier  pour  leurs  sou- 
verains :  iVe  cessons  point,  disait-il,  d'invo- 
quer pour  eux  le  Seigneur,  afin  que  nous  me- 
nions une  vie  paisible  dans  la  justice  et  dans 
la  piété.  Il  marque  par  conséquent  pour 
principe  de  l'obligation  où  nous  sommes  de 
prier  pour  le  prince  ,  le  besoin  que  nous 
avons  de  cette  tranquillité  extérieure  et  pas- 
sagère, non-seulement  parce  qu'elle  est  utile 
à  nos  intérêts  temporels ,  mais  aussi  parce 
qu'elle  est  plus  propre  aux  devoirs  de  notre 
salut  et  à  l'exercice  des  vertus  chrétiennes. 

De  là  vient  que  les  premiers  fidèles  deman- 
daient à  Dieu  qu'il  donnât  à  leurs  empereurs 
des  armées  toujours  victorieuses,  un  empire 
florissant,  des  peuples  fidèles,  des  enfants 
soumis  ,  un  conseil  éclairé  et  surlonl  un  rè- 
gne paisible,  afin  que  les  rois  et  les  sujets 
goûtassent  ensemble  une  parfaite  félicité  ,  et 
que,  affranchis  des  soins  que  donne  dans  la 
guerre  la  conservation  de  l'Etal,  les  uns  pus- 
sent opérer  leur  salut  dans  les  devoirs  d'une 
autorité  suprême,  et  les  autres  dans  les  dou- 
ceurs d'une  inviolable  obéiscancc. 

Et  en  effet,  selon  l'Evangile,  l'esprit  de 
Dieu  n'aime  point  la  guerre  ni  les  calamités 
qui  en  sont  la  suite.  La  loi  de  Jésus-Christ 
est  une  loi  pacifique  :  Je  vous' annonce,  disait 
l'Apôtre,  un  Evangile  qui  bannit  la  discorde 
et  qui  établit  la  paix.  Or  il  entend  non-seu- 
lement ce  repos  intérieur  d'une  conscience 
que  Dieu  remplit  de  sa  grâce  et  de  son  onc- 
tion, mais  encore  cette  charité  qui  procure 
entre  les  nalions  une  correspondance  dura- 
ble :  car,  selon  la  réflexion  de  saint  Augus- 
tin, s'il  y  a  une  paix  temporelle  que  le  monde 
donne  et  qui  ne  dure  qu'autant  que  durent 
les  intérêts  de  la  politique, il  y  en  a  aussi  une 
qui  est  un  don  du  ciel,  qui  ne  dépend  point 
des  causes  humaines,  qu'il  accorde  à  notre 
justice  et  à  nos  prières  ,  et  qui  subsiste  au- 
tant que  les  vertus  qui  l'ont  méritée.  Dieu 
est  riche  dans  ses  miséricordes  :  sa  bonté  se 
manifeste  souvent,  malgré  notre  corruption, 
et  s'il  est  bienfaisant  pour  les  hommes  lors 
même  qu'ils  sont  ingrats,  que  ne  doit-il  pas 
faire  pour  eux  quand  ils  sont  fidèles I 

11  est  donc  vrai  que  la  paix  est  la  récom- 
pense des  bons  peuples.  Telles  furent  les  bé- 
nédictions du  ciel  sur  les  Israélites,  sous  le 
règne  d'un  prince  religieux  dont  le  Saint- 
Esprit  fait  l'éloge.  Ils  offraient  sans  cesse 
avec  piété  des  sacrifices  au  Dieu  de  leurs  pè- 
res; ils  abattirenl  les  hauts  lieux  cl  tous  les 
autels  de  la  schismatique  Samarie.  Ils  mirent 
la  cognée  dans  ces  bois  prétendus  sacrés, 
a<ile  malheureux  de  la  superstition  et  du 


faux  culte.  Exacts  observateurs  des  ancien- 
nes traditions  ,  ils  marchaient  dans  les  voies 
de  la  justice  et  de  la  vertu.  Quel  fut  le  prix 
d'une  si  constante  ferveur  ?  La  tranquillité 
régna,  ajoute  l'Ecriture,  sur  tout  Israël,  et 
l'on  ne  vil  couler  d'autre  sang  que  celui  des 
viclimes  immolées;  la  guerre  ne  troubla  ja- 
mais le  repos  des  Juifs  ;  chacun  vivait  con- 
tent à  l'ombre  de  sa  vigne  et  de  son  figuier, 
et  ils  comptaient  leurs  années  non  pas  par 
le  nombre  de  ces  victoires  sanglantes  que 
saint  Augustin  appelle  des  joies  mêlées  de 
larmes  ,  mais  par  l'accroissement  et  par  la 
graisse  de  leurs  troupeaux,  par  la  richesse 
de  leurs  récoltes  e!  par  l'opulence  de  leurs 
familles. 

David  reconnaît  celle  vérité  par  son  expé- 
rience ,  et  il  nous  l'avoue  dans  ses  divins 
cantiques.  Sa  piété  naissante  fut  dans  son 
enfance  le  présage  de  sa  gran  leur  future. 
Tant  qu'il  fut  vertueux  sur  le  trône  où  il  était 
monté,  son  règne  fut  une  suite  continuelle  de 
prospérités  et  de  conquêtes;  quand  il  devint 
pécheur,  la  guerre  et  les  auires  fléaux  du 
ciel  irrité  désolèrent  tous  ses  peuples  ,  et  il 
trouva  jusque  dans  sa  propre  famille  des 
usurpateurs  de  son  sceptre  et  de  son  royau- 
me; mais  quand  il  se  convertit  à  Dieu,  Dieu 
se  convertit  à  lui  ,  et  la  profonde  paix  dont 
Dieu  couronna  ses  travaux  militaires  et  son 
heureuse  vieillesse  fut  le  fruit  de  ses  larmes 
et  le  prix  de  sa  pénitence. 

De  toutes  ces  raisons,  concluons  donc  que 
c'est  par  nos  vertus  que  nous  devons  mériter 
la  durée  de  la  paix.  Cependant,  malgré  un  in- 
térêt si  pressant,  quel  goût  avons-nous  pour 
la  piété  et  pour  nos  devoirs?  Comment  par- 
ticipons-nous aux  sacrements?  n'est-ce  pas 
sans  préparation  et  presque  toujours  par  po- 
litique, mêlant  dans  un  même  jour  aux  mys- 
tères les  plus  augustes  de  la  religion  le  désir 
du  siècle  ,  l'amour  des  plaisirs  et  l'attache- 
ment criminel  à  la  créature?  Nous  assistons 
au  saint  sacrifice  par  coutume  et  par  bien- 
séance; avec  quelques  prières  rapidement  ré- 
citées ,  nous  pensons  nous  acquitter  do  ce 
que  nous  devons  à  Dieu,  el  nous  portons 
souvent  jusqu'au  pied  des  autels  la  tiédeur, 
l'indévotion  et  l'immodestie. 

Conservons-nous  la  paix  avec  nos  frères  ? 
Une  parole  innocente  qui  leur  échappe  et  à 
qui  nous  donnons  une  sinistre  interprétation 
nous  blesse  et  nous  indispose;  nous  ne  vou- 
lons ni  rien  souffrir  ni  rien  pardonner,  et 
dans  le  même  temps  que  nous  sommes  sans 
prudence  et  sans  charité  pour  la  réputation 
d'autrui  ,  nous  avons  pour  la  nôtre  une  ex- 
cessive délicatesse.  Arrive-l-il  quelque  pros- 
périté à  notre  prochain  ,  notre  amour-propre 
excite  noire  jalousie  :  nous  croyons  que  l'on 
Ole  à  notre  mérite  ce  que  l'on  donne  à  celui 
des  autres  ;  et ,  jamais  contents  de  ce  que 
nous  sommes, lecœur  toujours  rempli  d'envie 
et  de  vanité,  nous  nous  plaignons  en  secret 
avec  amertume  des  injustices  el  des  préfé- 
rences de  la  fortune.  Il  est  temps  de  finir  ce 
premier  point,  et  après  vous  avoir  convain- 
cus que  vous  «levez  obtenir  la  paix  par  vos 
vertus,  il  me  rcsic  à  vous  prouver  que  vous 


1019 


OUATEIUS  SACRES.  L>L  NESMOND. 


1020 


devez  la  procurer  par  vos  secours  :  c'esl  la 
seconde  partie  de  co  discours. 

SI'  n  M.     POINT. 

il  n'y  a  point  de  plus  grande  preuve  de 
l'obligation  de  rendre  aux  rois  ce  que  nous 
leur  devons  cl  de  contribuer  aux  nécessités 
publiques  de  l'Elat,  que  la  manière  dont  l'a- 
pôtre saint  Paul  explique  celle  vérité  dans 
celle  divine  Epîlre  où  il  nous  découvre  Ie> 
ni} stères  lie  la  religion  et  les  principes  de  la 
morale  chrétienne.  Il  n'y  a  point  de  matière 
qu'il  ait  traitée  avec  plus  d'étendue  que  celle 
dont  je  vais  parler: il  nous  assure  que  la  paix 
et  le  repo3  des  consciences,  la  félicité  des 
Etals,  la  sûreté  même  du  culte  divin,  roulent 
sur  le  ministère  des  princes  et  sur  le  zèle  des 
sujets.  lit  l'apôtre  saint  Pierre,  après  nous 
avoir  recommandé  de  craindre  Die.i  et  d'ai- 
mer nos  frères,  ajoute  d'honorer  les  rois, 
comme  s'il  y  avait  dans  ces  trois  devoirs  une 
égalité  d'obligations  et  de  préceptes. 

Or,  la  nécessité  de  concourir  aux  besoins 
publics  par  nos  subsides,  qui  sont  comme  la 
marque  et  L'hommage  de  notre  dépendance, 
esl  fondée  sur  trois  raisons  :  la  religion  nous 
l'ordonne,  l'intérêt  de  l'Etal  nous  y  engage, 
noire  propre  sanctification  l'exige  de  nous; 
devoir  par  conséquent  de  religion,  conserva- 
lion  de  l'Etal,  moyens  do  sanctification  et  de 
pénitence  :  trois  courtes  réflexions  que  j'ai  à 
vous  proposer,  moins  pour  votre  instruction 
que  pour  votre  éloge.  Votre  fidélité ,  qui  se 
signale  toujours  par  de  nouveaux  efforts,  ne 
laisse  rien  à  faire  à  mes  paroles;  et  je  ne  viens 
pas  exciter  votre  zèle  ,  mais  vous  en  faire 
connaître  loul  le  prix  et  loul  le  mérile. 

Je  dis  donc  en  premier  lieu  que  la  religion 
nous  ordonne  de  secourir  les  princes  et  l'Etat 
dans  leurs  besoins;  et  c'esl  la  raison  dont  se 
servait  Tertullien ,  lorsqu'il  répondait  aux 
reproches  que  faisaient  les  païens  aux  pre- 
rniers  fidèles  :  Vous  nous  accusez,  leur  di- 
sait-il, d'avoir  un  esprit  d'indépendance  pour 
nos  maîtres  el  une  indifférence  criminelle  pour 
les  nécessités  de  la  patrie.  Vous  vous  trompez: 
les  empereurs  n'ont  point  de  soldats  plus  vail- 
lants (/ue  nous,  ni  de  sujets  plus  fidèles.  Les 
légions  chrétiennes  sont  invincibles  ,  parce 
qu'elles  sont  animées  par  les  ordres  du  Dieu, 
qu'elles  adorent  et  par  les  principes  de  la  foi 
qu'elles  professent.  Mous  payons  nos  tributs 
avec  joie  et  nous  sacrifions  notre  vie  avec  cou- 
rage. Pendant  que  les  uns  répandent  leur  sang 
dans  les  occasions  de  la  guerre,  les  autres, 
renfermés  dans  les  soins  d'une  administration 
domestique ,  tin  nt  île  leur  économie  et  de  leur 
substance  des  fonds  pour  les  nécessités  de  l'E- 
tat. Nos  princes  sont  encore  plus  les  maîtres 
de  nos  cœurs  que  de  nos  fortunes,  et  votre  /<- 
délité,  qui  n'est  en  vous  que  l'effet  de  la  politi- 
que ,  est  en  nous  un  devoir  de  religion  et  un 
article  de  notre  croyance  (1). 

(l)  On  a  déjà  pu  remarquer  que  mire  orateur,  dans  loi 
divers  dis  ours  prononcés  devant  les  Etats  de  Languedoc, 
ayant  ï  traitera  peu  près  les  mêmes  matières,  c'est-à-dire 
les  biens  et  lea  avantages  de  la  paix,  les  malheurs  et  toa 
calamités  de  la  guerre  ,  I»  soumission  due  aux  puissances 
de  la  terre,  etc.,  etc.,  revient  plusieurs  fois  sur  ses  pro- 


El  eu  effet  la  lui  de  Jésus-Christ  seule  ura- 
\e  dan-  le  cn;ur  d'  s  fidèle!  les  vr  <is  earactè— 
ics  de.  la  soumission  aux  puissances  établies 
de  Dieu.  Loi  busses  religions  a'inspimnt 
qu'une  dépendant  e  servile  <  i  ini  olontaire,  et 
la  politique  humaine  esl  le  principe  de  la  fi- 
délité de  leurs  sectateurs.  La  chair  el  le  sang 
ne  relèvent  [«oint  les  motifs  de  l'obéissance 
chrétienne.  Les  Romains  n'étaient  si  jaloux: 
de  la  gloire  de  leur  pairie  que  parce  q  l'ili 
voulaient  être  les  maîtres  des  autres  nations; 
leur  zèle  était  la  suite  de  leur  vanité,  et  c'est 
par  celle  raison  que  saint  Paul  dirait  à  tous 
les  chrétiens  de  son  temps  qu'ils  devaient 
servir  leurs  princes  par  1  esprit  de  leur  reli- 
gion, el  leur  obéir  non  pas  parla  traiule 
du  châtiment,  mais  par  le  devoir  inviolable 
de  leur  conscience. 

De  là  vient  que  le  même  Apôtre  nous  ap- 
prend que  les  rois  sont  les  ministres  duSei-. 
(jwur:  car,  quoique  Dieu  soil  le  cliel  invi- 
sible de  l'univers,  il  leur  en  confie,  non  par 
besoin,  m  is  p.ir  sagesse,  I' drnuistration  et 
la  police;  afin  que,  revêtus  de  la  puissance 
qu'il  leur  commet,  ils  maintiennent  dans 
leurs  Etals  l'ordre  et  le  repos,  que  la  <  upi- 
dilé  pourrait  troubler:  pouvoir  qui  n'e-t  pas 
fonde  par  conséquent  sur  un  <  ta'  lissement 
humain,  ni  sur  la  loi  du  plus  fort,  ni  -ur  les 
qualités  personnelles  du  plus  vertueux,  mais 
sur  l'institution  de  Dieu  seul.  Ainsi  qui  ré- 
siste aux  princes  résiste  auxordris  même  du 
ciel;  el  leur  autorité  est  une  vocation  divine, 
qui  doit  être  le  inolif  de  noire  zèle,  comme 
elle  esl  la  source  et  l'origine  de  leur  puis- 
sance. 

Or  la  contribution  aux  nécessités  publi- 
qu  s  de  l'Etal  est  une  suife  de  nolTe  dépen- 
dance et  un  de  ces  devoirs  essentiels  que 
nous  prescrivent  I  Evangile  et  la  religion; 
et  saint  Grégoire  pape  remarque  que  lors- 
que Samuel,  selon  les  ordres  de  Dieu,  plaça 
Saùl  sur  le  trône  d'Israël,  les  Israélites  pieux 
et  dociles  adorèrent  la  vocation  du  Soigneur 
dans  la  personne  du  roi,  el  que  les  seuls  en- 
fants de  fiélial,  c'est-à-dire  les  ennemis  do 
la  loi,  des  hommes  vains  el  orgueilleux,  des 
libertins  de  cœur  et  d'esprit,  si  pernicieux 
au  bien  public,  refusèrent  de  s'y  soumettre 
et  d'apporter  les  dons  qui  elaienl  du-  à  la 
souveraineté  de  ce  nouveau  prince  :  Filiive- 
ro  llelial  despexerunl  eum  ,  el  non  atlulerunt 
ei  munera. 

C'était  ainsi  que  les  Juifs  se  regardaient 
comme  exempts  de  tout  subside,  et  croyaient 
faussement  que  la  liberté  des  enfanls  d-  Dieu 
étant  un  privilège  d'exemption  et  d'indépen- 
dance. Sur  ce  prétexte,  les  pharisien  de- 
mandèrent à  Jésus-Chrisl:  .Voit*  est-il  permis 
de  payer  le  tribut  ?  Ils  voulaient,  par  une 
quesliun  si  maligne  el  si  concertée,  le  sur- 
prendre dans  ses  paroles  et  le  commettre  ou 
avec  l'empereur  ou  avec  Herode.  Il  connut 

près  Idées,  el  répète  les  passages  >ie>  .an.   r-  auxquels  il 

emprunte.  Ainsi,  la  citation  de  Tertuttien  qu'un  vient  de 

lire  se  i  ouve  d<  a  alléguée  dans  l'un  des  • 

deuis.  Nous  avons  cru  de  luire  nous- 1 

i ,  |  itiuoos,  |i  ur  ne  pas  nuire  à  l'ensemble  de  ces  discours 

el  a  l'euclialueiuuul  des  idées  qui  les  couiposeul.  (Lon.) 


1021 


DISCOURS  IV  POUR  L'OUVERTURE  DES  ETATS  DE  LANGUEDOC. 


102$ 


leur  artifice  et  ne  ménagea  point  leur  mali- 
gnité: Hypocrites!  pourquoi  me  (entez-vous? 
Et  comme  il  était  venu  sur  la  terre  pour  en- 
seigner les  voies  de  Dieu  dans  la  vérité: 
Vous  devez  à  Dieu,  leur  répondit-il,  puis- 
que vous  êtes  ses  créatures;  mais  vous  de- 
vez aussi  à  César,  puisque  vous  êtes  ses  tri- 
butaires. 

Il  voulut  même  ajouter  à  sa  parole  divine 
l'autorité  de  son  exemple.  Quoique  par  sa 
divinité  il  lût  le  maître  de  tout  l'univers, 
quoique  par  son  humanité  sainte  il  fût  sorti 
d'une  longue  suite  de  rois,  il  n'en  fut  pas 
moins  ;<'Ssujetli  aux  puissances  de  la  terre  et 
aux  lois  communes  de  sa  pairie.  Sa  conduite 
est  le  motif  de  notre  imitation.  11  paya 
le  tribut  à  l'exacleur.  Il  tira  du  fond  de 
la  mer  de  quoi  fournir  aux  nécessités 
de  l'Etat,  et,  dans  l'impuissance  où  le  met- 
tait sa  vie  pauvre  et  humiliée,  il  suppléa  à 
sa  pauvreté  par  un  grand  miracle. 

Aussi  le  Sauveur  du  monde  appelle  les 
subsides  une  délie  :  Beilde  quœ  sunt  Ctesnris. 
Ce  n'est  donc  pas  seulement  un  hommage 
que  votre  naissance  exige  de  vous,  ce  n'est 
pas  une  libéralité  purement  gratuite  que 
vous  inspire  votre  fulélilé,  ce  n'est  pas  un 
joug  que  le  pouvoir  des  princes  impose  à 
leur  gré  sur  la  fortune  de  leurs  sujets,  ce 
n'est  pas  seulement  un  don  qu'.ittcnd  de  vous 
la  conservation  du  royaume  et  que  vos  pri- 
vilèges rendent  volontaire,  c'est  aussi  une 
dette  dans  toute  la  rigueur  de  la  justice,  en 
premier  lieu  parce  que  Dieu,  étaul  le  Sei- 
gneur et  le  dispensateur  suprême  de  vos 
biens,  en  a  voulu  réserver  sur  vous  une 
portion  pour  les  nécessités  de  l'Etat,  et  eu 
second  lieu  parce  qu'étant  membres  d'une 
même  patrie  vous  devez  en  aimer  la  gloire 
et  en  partager  en  commun  tous  les  besoins, 
et  que,  dans  les  règles  de  l'équité  et  de  la 
conscience,  malgré  l'amour-proprc,  qui  ne 
sent  que  ses  avantages  personnels,  le  bien 
public  et  le  bien  particulier  ne  sont  jamais 
qu'une  même  chose. 

Vous  pratiquez  ces  préceptes,  Messieurs  : 
plus  vous  êies  libres ,  plus  voire  fidélité 
se  signale  dans  vos  dons.  Vous  consultez 
bien  plus  votre  zèle  que  ^olre  pouvoir.  Celte 
liberté,  qui  autrefois,  dans  les  temps  diffici- 
les et  oubliés,  était  le  prétexte  delà  faction 
et  de  la  cabale,  est  à  présent  par  volve  sou- 
mission la  source  de  votre  mérite.  Vous 
avez  même  prévenu  les  désirs  du  prince  OU 
pour  conserver  une  heureuse  paix,  ou  pour 
soutenir  une  guerre  dont  la  colère  de 
Dieu  nous  menace.  L'Italie  a  déjà  vu  les 
premières  hostilités  :  les  ennemis  ont  eu  l'a- 
vantage que  donne  le  nombre,  nous  avons 
eu  la  gloire  qui  suit  la  valeur  ;  si  nous  n'a- 
vo  s  pu  vaincre,  nous  avons  su  nous  faire 
craindre,  et  c'est  à  notre  protection  et  à  nos 
armes  qu'un  pays  ilepuis  longtemps  affran- 
chi de  la  servitude  et  de  l'oppr  mon  va  de- 
voir aujourd'hui  sa  conservation  et  sa  dé- 
fense. 

Mais  s'il  y  a  des  citoyens  zélés,  combien  y 

(i)  Cm  pensées  el  plusieurs    le  tuliai  qfal  vont  suivre 

onnîejd  été  premthia»  duas  le» riincoan  juéeôUenLs  ai 


en  a-!- il  qui,  quoique  riches,  parlent  tou- 
jours des  malheurs  des  lemps,  des  besoins  de 
l'Etat  et  de  la  décadence  de  leur  affaires  ;  qui, 
dans  les  plaintes  qu'excite  leur  intérêt,  re- 
grettent le  passé,  s'affligent  du  présent  et 
s'inquiètent  pour  l'avenir;  qui,  dans  les  sub- 
sides que  l'on  impose,  feignent  au  dehors  de 
murmurer  du  poids  que  porlent  les  p  îuvres, 
et  ne  s'iméressent  en  secret  que  pour  eux- 
mêmes,  faisant  ainsi  de  leur  compa  sion  le 
prétexte  de  leur  avarice;  qui,  politiques  in- 
téressés, ne  sont  jamais  contents  ni  des 
prospériié;  de  la  guerre,  ni  des  conditions 
de  la  paix  ;  qui  veulent  pénétrer  dans  le  con- 
seil des  rois,  et  consacrer  sans  lumière  el 
sa '.s  raison  le  gouvernement  et  le  ministère; 
qui,  dans  les  contributions  publiques,  disent 
sans  cesse  qu'ils  sont  trop  chargés  et  mur- 
murent de  l'injustice  des  laxateurs,  et  qui 
souvent,  au  milieu  de  toutes  les  commodités 
de  la  vie,  se  plaignent  encore  que  l'on  Ole  à 
leur  nécessaire  ce  qui  n'est  pourtant  qu'une 
modique  portion  de  leur  opulence  et  de  leurs 
richesses  ! 

J'avoue  que  les  temps  sont  mauvais  et 
peuvent  le  devenir  encore  davantage,  que 
la  cessation  du  commerce  rend  nos  plus  ri- 
ches récoltes  inutiles  et  même  onéreuses  , 
que  nos  moyens  diminuent  tous  les  jours  et 
que  nos  ressources  sont  épuisées,  que  la 
langueur  el  que  l'impuissance  sont  non- 
seulement  universelles,  mais  aussi  presque 
ii réparables,  qu'à  peine  avons-nous  goûté 
les  douceurs  d'un  repos  si  nécessaire  au  bien 
public,  et  que,  dans  les  nouvelles  dépenses 
où  nous  engagent  les  desseins  et  les  efforts 
de  nos  ennemis,  la  paix  incertaine  dont  nous 
jouissons  encore  n'est  guère  moins  à  charge 
ni  moins  ruineuse  que  la  guerre  même. 

Or,  pour  qui  surtout  les  temps  sont-ils 
mauvais?  n'est-ce  pas  pour  c  s  malheureux 
qui,  portant,  tout  le  poids  du  jo:r  et  de  la 
chaleur,  n'ont  pour  ressou  c  ■  que  leur  tra- 
vail et  leur  industrie  ;  qui,  viclim  s  innocen- 
tes des  malheurs  de  la  guerre,  perdent  quel- 
quefois dais  un  moment,  par  la  main  du  sol- 
dat et  de  l'ennemi,  plusieurs  récolles  dans 
une  seule;  qui,  s'épuisant  pour  les  besoins 
de  l'étal,  ne  moissonnent  que  pour  acquitter 
leurs  subsides  ;qui  cultivent  par  leurs  sueurs 
el  par  leur  peine  une  terre  avare  sans  en 
recueillir  les  fruits,  el  à  qui  l'on  peut  appli- 
quer ce  que  dit  saint  Augustin,  que,  pen- 
dant que  les  uns,  aisés  et  opulents  dans  les 
villes,  suivent  le  penchant  de  leurs  convoi- 
tises, suites  funestes  du  péché  du  premier 
ho  une,  les  autres,  dans  les  tribulations  et 
dans  les  fatigues  de  la  campagne,  semblent 
ici-bas  en  porter  toute  la  malédiction  et 
toute  la  peine  (I    î 

Mais  combien  y  en  a-t-il  parmi  vous  qui 
sont  avares  quand  il  faut  contribuer  aux  né- 
ce  sites  de  l'Etal,  el  qui  ne  sont  que  trop 
prodigues  quand  il  s'agit  d'entretenir  leur 
faute  ou  fournir  à  leurs  plaisirs  !  L'un,  ou- 
bliant sa  condition,  dément  la  frugale  sim- 
plicité de  ses  pères,  el  dévore  en  peu  d'an- 
tennes absolument  identiques.  Voir  la  note  ci-ilcssus,  col. 
1019.  (Iii)iT.) 


It83 


ORATEURS  SACHES.  DK  NESMOSk 


1"j:4 


nées,  par  un  luxe  aussi  ridicule  que  crimi- 
nel, le  bien  que  la  sagesse  el  l'économie  de 
ses  aïcu\  avaient  acquis.  L'autre  se  ruine 
en  maisons  superbes,  en  bonne  clière,  en 
ameublements,  et  dépense  avec  profusion  ce 
qu'il  avait  peut-être  acquis  avec  injustice. 
Où  ne  va  point  aujourd'hui  l'amour  du  jeu, 
dans  le  temps  même  que  l'on  se  plaint  du 
poids  dos  impositions  ?  Ce  n'est  plus  un  amu- 
sement tranquille  et  passager,  c'est  un  em- 
portement, une  fureur.  L'avarice  en  est  le 
motif;  le  murmure,  l'impatience  el  quelque- 
fois le  blasphème  en  sont  les  suites,  et  la 
fin  est  la  destruction  entière  des  familles. 
Les  femmes  mondaines  y  passent  les  jours  el 
les  nuits,  et  n'épargnent  rien  pour  satisfaire 
celte  lyrannique  passion,  pendant  qu'elle  s  re- 
fusent à  leurs  domestiques  el  à  leurs  enfants 
les  secours  les  plus  nécessaires  de  la  vie  hu- 
maine. Elles  ruinent  leur  bien,  leur  santé, 
leur  réputation,  avides  dans  le  gain,  incor- 
rigibles malgré  les  pertes  qu'elles  font,  et 
quelquefois  criminelles  par  les  honteuses 
ressources  dont  elles  se  servent  pour  les  ré- 
parer. Vous  ne  vous  entretenez  que  de  la 
diminution  de  vos  biens  cl  de  la  difiicullé  de 
subsister;  mais  les  besoins  de  l'État  vous 
coûtent-ils  ce  que  vous  coûtent  vos  passions 
et  votre  mollesse?  Et  pourquoi  rejetez-vous 
sur  les  subsides  que  vous  payez  le  désordre 
de  vos  affaires,  qui  est  plutôt  la  suite  des 
folles  dépenses  qui  vous  épuisent  et  qui  vous 
consument  ? 

En  second  lieu,  l'intérêt  de  l'Etat  nous  en- 
gagea le  secourir:  seconde  réflexion.  C'est 
ainsi  que  s'en  explique  saint  Augustin. 
Comme  il  y  a,  dit  ce  Père,  une  charité  qui 
nous  rend  attentifs  aux  besoins  des  pauvres, 
qui  fait  de  nos  richesses,  qui  sont  d'ordi- 
naire les  aliments  de  notre  cupidité,  les 
moyens  de  notre  salut;  qui,  lorsque  la  mi- 
sère est  pressante,  retranche  non-seulement 
sur  noire  opulence,  mais  aussi  sur  notre 
pauvreté,  et  qui  détruit  tous  les  prétextes 
que  suggèrent  notre  indolence  et  notre  ava- 
rice, pour  dispenser  d'un  précepte  si  précis 
et  si  répété  dans  l'Ecriture,  il  y  a  aussi,  con- 
tinue ce  même  Père,  une  charité  de  citoyen 
et  de  sujet,  qui  nous  intéresse  à  la  gloire  et 
â  la  conservation  de  la  pairie,  qui  nous  fait 
regarder  la  fortune  de  l'Etat  comme  une  por- 
tion de  la  nôtre,  qui  soutient  notre  zèle  dans 
l'espoir  d'un  avenir  plus  heureux,  qui  opère 
en  nous  la  patience  dans  l'épuisement  même 
de  nos  moyens,  cl  qui  est  d'autant  plus  im- 
portante qu'elle  pourvoit  aux  nécessités  pu- 
bliques, qu'elle  prévient  des  malheurs  uni- 
versels, el  qu'elle  comprend  dans  l'étendue 
de  ses  motifs  el  de  ses  elïets  le  bonheur  et  la 
tranquillité  de  tout  un  royaume. 

Ainsi,  quoique  celle  charité  n'ait  qu'un 
objet  terrestre  et  passager,  par  exemple  la 
gloire  de  l'Etal,  la  durée  de  la  paix,  notre 
repos  temporel,  cependant  le  motif  du  bien 
public  la  sanctifie  en  quelque  façon.  No> 
contributions,  consacrées  par  notre  inten- 
tion et  par  l'importance  de  l'usage,  sont  pré- 
cieuses aux  yeux  de  Dieu.  Les  efforts  que 
nous  faisons  du  fond  même  de  noire  pau- 


vreté nous  sont  imputés  a  mérite,  el  ces 
biens  que  nous  sacrifions  pour  la  défense  du 
royaume,  tout  matériels  qu'ils  sont  par  eux- 
mêmes,  acquièrent,  par  ce  précepte  du  Sei- 
gneur et  par  la  considération  des  avantages 
de  la  patrie,  un  caraclère  de  consistance  et 
de  spiritualité  pour  la  perfection  cl  pour 
l'ouvrage  même  de  noire  salut. 

Tels  étaient  les  sentiments  du  peuple  juif 
sous  le  gouvernement  de  Judas  Machabéc. 
Les  ennemis,  disait-il  à  son  illustre  chef, 
nous  menacent  de  toutes  parts  :  mais  la 
sainte  cité,  le  lemplc  de  Dieu  et  la  religion 
ne  seront  point  la  victime  de  leur  jalousie. 
11  est  juste  que  les  bien;  que  nous  avons 
rec.us  de  la  bonté  du  Seigneur  retournent 
aux  usages  que  sa  providence  prescrit.  Le 
Dieu  de  la  \  icloire  nous  dédommagera  de  nos 
contributions  par  nos  prospérilés.  Pour  ac- 
quérir une  paix  durable,  il  faut  faire  crain- 
dre notre  valeur  et  notre  puissance.  Et  c'est 
sur  ces  principes  que  l'Eglise  de  France 
vient  de  signaler  sa  fidélité.  Malgré  les  se- 
coursimmensesqu'elle  a  fournis  dans  la  der- 
nière guerre,  elle  a  encore  depuis  peu  de 
jours  déposé  aux  pieds  du  prince  les  débris 
de  ses  efforts  passés  et  les  Iristes  restes  de 
son  indigence;  et  elle  a  cru  que  s'il  était 
glorieux  aux  autres  sujets  de  mourir  pour 
la  cause  publique,  il  était  honnêle  el  même 
méritoire  aux  ministres  de  Jésus-Christ  de 
s'épuiser  pour  la  patrie. 

Et  en  etfet,  trois  raisons,  dit  encore  saint 
Augustin,  doivent  consoler  ceux  qui  souf- 
frent et  exciter  votre  zèle  dans  les  impôts 
extraordinaires  que  requiert  quelquefois 
l'importance  des  occasions  :  premièrement, 
quand  ils  cessent  avec  la  cause  qui  les  a 
produits  :  or  la  parole  royale  n'cst-elle  pas 
le  gage  de  la  fidélité?  et  le  passé  nous  ré- 
pond de  l'avenir;  secondement,  quand  l'em- 
ploi est  utile  au  bien  publi  \  el  en  ce  point 
j'en  atteste  votre  équité  et  je  m'en  rapporte 
à  vos  connaissances:  troisièmement,  quand 
le  motif  en  est  aussi  juste  que  nécessaire. 
Avons-nous  recherché  la  guerre  dont  on 
nous  menace  ?  avions-nous  pensé  à  la  révo- 
lution présente,  et  pouvions-nous  la  prévoir 
ou  la  préparer?  Si  Dieu,  selon  ses  anciennes 
miséricordes,  verse  sur  nous  ses  bénédic- 
tions, et  si  dans  ses  décrets  il  a  résolu  de 
couronner  tous  nos  princes,  faut-il  que  no- 
tre bonheur  offense  tant  de  potentats?  est-il 
juste  que  la  France  soit  si  souvent  attaquée, 
parce  qu'elle  est  heureuse  el  puissante  ?  et 
ne  pouvons-nous  acheter  la  correspondance 
et  l'amitié  de  nos  ennemis  qu'au  prix  de  nos 
intérêts  et  de  nos  portes? 

Le  monde  entier  jouissait  de  celte  heu- 
reuse paix,  que  Dieu  avait  enûn  accordée 
aux  pri  res  des  gens  de  bien  et  à  celte  por- 
tion d'élus  qu'il  se  réserve  toujours,  mal- 
gré la  corruption  du  siècle.  L'Europe  soupi- 
rail dans  le  souvenir  de  ses  malheurs  pas- 
sés, el  se  consolait  par  l'espoir  d'une  tran- 
quillité permanente.  Rien  ne  paraissait  plus 
pouvoir  troubler  la  sérénité  des  beaux  jours 
que  le  ciel  nous  avait  rendus,  lorsque  la 
mort  enleva  un  jeune  monarque  à  qui  une 


1025 


DISCOURS  IV  POUR  L'OUVERTURE  DES  ETATS  DE  LANGUEDOC 


1026 


santé  toujours  languissante  n'avait  jamais 
permis  de  régner  ni  presque  de  vivre;  Dieu 
nous  a  fait  voir  ce  qu'il  nous  dit  si  souvent 
dans  ses  saintes  Ecritures,  qu'il  brise-  les 
sceptres  quand  il  lui  plaît,  qu'il  dispose  des 
rois  et  des  royaumes,  qu'il  transporte  les 
couronnes  au  gré  de  ses  désirs,  et  que  les 
princes,  tout  grands  qu'ils  sont  sur  la  terrée, 
ne  sont  à  ses  yeux  qu'un  plus  noble  à  la 
vérité,  mais  un  plus  humiliant  amas  de  pous- 
sière. 

L'Espagne  avait  besoin  d'un  roi  formé  sur 
la  modèle  et  sous  les  yeux  de  Louis.  Le  droit 
successif,  la  dernière  volonté  d'un  roi  mou- 
rant et  le  désir  des  peuples  ont  appelé  le 
prince  que  la  Providence  lui  a  donné.  Dieu 
a  fait  son  auvre  par  sa  miséricorde,  et  il  la 
soutiendra  par  sa  puissance.  Le  roi  qui  a 
tant  de  fuis  sacrifié  ses  intérêts  à  la  tran- 
quillité de  l'Europe  pouvait-il  négliger  les 
droits  de  son  auguste  famille?  Equitable, 
même  pour  ses  ennemis,  n'aurait-il  été  in- 
juste que  pour  son  propre  sang  ?  Tout  autre 
traité  ne  devait-il  pas  céder  à  des  titres  et  si 
sacrés  et  si  légitimes?  Et  dans  cet  événe- 
ment si  glorieux  au  nom  français,  qu'a  fait 
le  monarque  qui  nous  gouverne,  que  de  res- 
pecter la  vocation  du  ciel,  et  de  suivre 
moins  l'attrait  flatteur  d'une  gloire  humaine 
que  les  règles  de  sa  conscience  et  de  sa  jus- 
lice? 

Dieu  a  manifesté  sa  volonté  par  l'expérien- 
ce. Les  vœux  de  l'Espagne  sont  accomplis, 
et  la  gloire  de  son  nouveau  roi  surpasse  en- 
core la  renommée.  Dès  les  premiers  jours  de 
son  règne  il  montre  des  vertus  inconnues 
depuis  longtemps  dans  ce  vaste  empire,  l'ac- 
tivité, l'ordre,  l'application  et  la  prévoyance. 
Déjà  commencent  à  renaître  parmi  ces  peu- 
ples abatlus  l'ardeur  et  l'émulation  qui  ren- 
dirent cette  monarchie  si  florissante.  Ce  prince 
rappelle  chez  ses  sujets,  étonnés  et  comblés 
de  joie,  le  souvenir  de  ces  deux  empereurs 
que  l'Espagne  donna  à  l'ancienne  Rome;  il 
fait  connaître  à  toute  la  terre,  par  les  mer- 
veilles de  son  gouvernement ,  que  c'est  en 
France  aujourd'hui  que  l'on  apprend  l'art 
de  régner  et  que  se  forment  des  rois  dignes 
de  l'être;  il  fait  voir  enfin,  sur  le  trône  où  la 
Providence  l'a  fait  monter,  un  prince  fait 
exprès  de  la  main  de  Dieu  pour  commander 
à  une  nation  si  noble  et  si  belliqueuse. 

Telle  est  aujourd'hui  la  face  de  toute  l'Eu- 
rope. Quel  en  sera  l'événement?  Dieu  lésait 
et  nous  l'ignorons.  Dans  ce  grand  nombre 
de  potentats,  les  uns  se  préparent  à  attaquer, 
elles  autres  à  se  défendre;  ceux-ci  forment 
des  alliances  convenables  à  leurs  intérêts  et 
à  leur  passion,  ceux-là,  dans  une  exacte 
neutralité,  pensent  à  sauver  leurs  pays  des 
malheurs  et  des  calamités  de  la  guerre. 
Toute  la  terre,  attentive  et  dans  le  silence, 
attend  que  Dieu  s'explique  sur  sa  destinée. 
Pour  nous,  nous  dirons  avec  le  prophète-roi  : 
Nos  ennemis  s'assurent  sur  leur  multitude,  et 
nous  nous  confions  en  la  vertu  du  Seigneur.  Ils 
font  des  ligues  injustes,  dont  ils  ont  reconnu 
tant  de  fois  l'inutilité,  et  nous  avons  aussi 
des  alliés  puissants  cl  fidèles.  Ils  s'assem- 


blent pour  contenter  leur  jalousie,  et  nous 
combattrons  pour  soutenir  la  justice.  Ils 
s'épuisent  pour  nous  vaincre,  il  est  juste 
que  nous  fassions  des  efforts  pour  les  re- 
pousser. Dieu  ne  confondra  point  nos  espé- 
rances, parce  que  nous  croyons  en  lui,  et, 
dans  une  suite  continuelle  de  prospérités,  il 
sera  encore  pour  nous  notre  soutien,  notre 
gloire  et  notre  couronne. 

Mais  méritons-nous  la  durée  de  la  paix 
par  notre  vertu?  et  qu'aperçoit-on  aujour- 
d'hui parmi  les  chrétiens,  'qu'une  entière 
négligence  pour  notre  salut?  On  vole  sans 
cesse  d'amusement  en  amusement  ;  un  plaisir 
sucièdc  à  un  autre.  11  n'est  que  trop  vrai,  ce 
que  dit  saint  Jean,  que  tout  n'est  ici-bas  que 
concupiscence  de  la  chair  ou  orgueil  delà  vie; 
cependant  la  figure  du  siècle  passe,  l'éter- 
nité s'approche  insensiblement  pour  chacun 
de  nous.  La  perle  inespérée  d'un  prince  vail- 
lant dans  la  guerre,  aimable  dans  la  paix,  et 
que  Dieu  vient  d'ôter  à  la  France,  nous  ap- 
prend que  la  gloire,  les  dignités,  une  floris- 
sante santé  et  l'amour  des  peuples  ne  sauvent 
point  la  fatalité  de  la  mort;  et  notre  expé- 
rience nous  fait  sentir  tous  les  jours  que  rien 
n'est  sûr,  que  rien  n'est  solide  sur  la  terre, 
que  de  servir  Dieu  ,  que  de  travailler  à 
son  salut,  et  que  d'opposer  au  torrent  des 
passions  humaines  les  sentiments  du  chris- 
tianisme et  les  instructions  secrètes  de  noire 
conscience. 

En  troisième  lieu  les  subsides  doivent  être 
le  principe  de  votre  pénitence,  dernière  ré- 
flexion, que  je  Gnis  en  peu  de  mots.  En  effet, 
Dieu  met  d'ordinaire  une  espèce  de  rapport 
et  d'égalilé  entre  le  péché  que  l'on  a  commis 
et  la  punilion  qu'il  exerce  sur  le  pécheur. 
Vous  avez  noirci  votre  prochain  par  vos  mé- 
disances, il  permet  que  l'on  attaque  votre 
réputation  par  la  calomnie.  Vous  avez  sacri- 
fié plusieurs  enfants  à  l'élévation  d'un  aîné, 
il  vous  enlèvera  ce  fils,  l'idole  de  votre  cœur 
et  l'espérance  de  votre  famille.  Vos  sens  ont 
servi  à  l'iniquité,  vos  sens  seront  punis  par 
des  maladies  longues  et  humiliantes.  Vous 
avez  employé  vos  biens  à  la  vanité,  au  plai- 
sir, à  l'amour  du  monde;  un  procès,  un  con- 
tre-temps, le  poids  des  subsides  diminueront 
vos.  moyens  et  votre  fortune.  Ainsi  Dieu, 
vengeur  de  ses  miséricordes  négligées,  par 
une  proportion  de  châtiment  nous  punit  sou- 
vent par  la  privation  de  ce  qui  avait  été  la 
matière  et  l'occasion  de  notre  malice. 

Or,  nos  afflictions  qui  viennent  de  la  main 
du  Seigneur  sont  destinées  à  trois  usages  :  à 
châtier  le  péché,  à  convertir  le  pécheur  cl 
à  apaiser  Dieu  ;  elles  punissent  le  péché, 
parce  que  ce  sont  des  châtiments  ;  elles  con- 
vertissent le  pécheur,  parce  que  ce  sont  des 
grâces  ;  elles  apaisent  Dieu  ,  parce  que  co 
sont  des  satisfactions.  Ainsi  c'est  l'intention 
de  Dieu  que  vous  mettiez  à  profit  pour  votre 
salut  vos  tribulations,  vos  amertumes,  vos 
subsides,  et  que  vous  soyez  aflligés  uou  pas 
de  celte  tristesse  oui  produit  la  mort,  mais 
de  celle  qui  opère  la  componction  et  la  péni- 
tence. 

C'.élail  dans  celcsprild'huutilialioncldc  cou- 


in-27 


formilé  aux  ordres  du  ciel  que  Job  é'ail  heu- 
reux au  milii'U  des  malbeUM  1rs  [tins  tu  is.i  nls 
delà  i  le  humaine;  que  Dav  ida'appliquaitdans 
le  repentir  ci  dans  loi  larmes  les  châtiments  de 
la  colère  de  Dieu  ;  que  saint  Paul,  dan»  ses  ten- 
tations et  dans  ses  souffrances,  disait  :  Su/jcr- 
nbundo  gawlio  in  omni  tribulaiitnê  nostra  : 
Je  suis  i  empli  de  consolation  et  de  joie,  ma  - 
gré  mes  infirmités  et  mes  travaux.  De  là  vient 
que  ce  qui  est  souvent  la  punition  du  pi  ché 
peut  nous  servir  pour  le  réparer,  et  que,  tant 
<|ue  nous  sommes  sur  la  terre,  les  jn 
mêmes  de  Dieu  sont  pour  nous  des  miséri- 
cordes. 

Cependant  travaillons-nous  à  profiler  des 
grâces  que  le  Seigneur  nous  fait  pour  nous 
désabuser  des  attraits  du  monde?  Nous  deve- 
nons pauvres,  mais  en  sommes-nous  meil- 
leurs? Les  temps  sont  mauvais  et  nous  gé- 
missons, mais  corrigeons-nous  nos  mœurs 
el  notre  conduite?  Combien  y  a-t-il  do  gens 
(]ui  passent  toute  leur  vie  dans  de  grands 
crimes,  dan»  l'impureté,  dans  l'adultère,  dans 
l'abus  des  sacrements,  dans  les  sacrilèges, 
et  qui,  amassant  sur  leur  tète  les  trésors  de 
la  colère  de  Dieu,  meurent  dans  les  présages 
(je  leur  réprobation ,  dans  les  horreurs  de 
i'impénitence  ! 

Ceux  qui  évitent  les  grands  désordres  ne 
vivent-ils  pas  dans  l'oisiveté  el  dans  la  pa- 
resse pour  leur  salut?  Suffi t-il  de  ne  point 
être  scandaleux,  et  est-il  permis  d'être  inu- 
tile? Il  faut  pour  se  sauver  remplir  ses  jours 
de  bonnes  œuvres,  contraindre  ses 'humeurs, 
prévoir  la  tentalion  ,  attaquer  sa  passion 
dominante  jusque  dans  sa  source  el  dans  son 
principe,  résister  ;:ux  mauvais  exemples, 
sanctifier  un  lemps  précieux,  qui  s'écoule  si 
promptcrnenl  el  dont  le  prix  est  l'éternité, 
par  la  pratique  constante  et  fidèle  des  de- 
voirs du  christianisme.  Tout  cela  ne  se  fait 
point  sans  effort,  et  nous  le  savons  par  l'o- 
racle du  Saint-Esprit,  que  le  ciel  ne  s'ac- 
quiert qu'avec  travail  et  avec  volonté. 

Seigneur,  protégez  le  paya  dont  nous  ve- 
nons régler  le  sort  et  les  intérêts  ;  donnez-lui 
la  rosée  du  ciel  et  la  graisse  de  la  terre.  Sur- 
tout conservez  ce  roi  auquel  votre  provi- 
dence nous  a  soumis.  Qu'il  vive!  et  c'est  as- 
sez pour  notre  bonheur.  \  ellez  sur  ce  fils 
auguste,  la  seconde  espérance  de  ce  royaume, 
et  ne  permettez  plus  que  nous  tremblions 
pour  des  jours  si  précieux  à  toute  la  France. 
Faites  vivre  dans  votre  grâce  les  deux  jeunes 
princes  que  nous  avons  vus  depuis  peu  de 
temps  honorer  nos  provinces  par  leur  pré- 
sence, et  s'atlirer  les  hommages,  l'amour  et 
l'admiration  d  •  tous  les  peuples  :  l'un  sera 
dans  un  avenir  lointain  la  félicité  d.-  nos  ne- 
veux, et  l'autre  fera  la  gloire  de  quelque  n  i- 
tion  qui  le  couronnera.  Versez  vos  bénédic- 
tions sur  celle  auguste  assemblée  ;  sanclifiez- 
r.ous  par  voire  esprit  et  par  votre  grâce,  afin 
que  nous  puissions  régner  un  jour  avec  vous 
dans  la  gloire,  que  je-vous  Souhaite,  au  mia) 
du  Père,  du  F41s  el  du  Saint-Esprit.  Ainsi 
suit-il. 


oit  \  j  r  i  us  SACRES.  DE  NESMOND.  I0M 

LBTTBI  PASTORAL! 

De  M.    de  Neimond    ■  Montauban, 


aux  nouveaux  catholiques  de  son  dto* 

lli  nui  de  Ni  sviovh,  par  !a  miséricorde  de 
Dieu  et  par  la  grâce  du  saint-siéu'e  apostoli- 
que, évêqucet  seigneur  de  Montauban,  con- 
seiller du  roi  en  tous  ses  conseils  al  en  son 
parlement  de  Toulouse,  aux  nouveaux  ca- 
i Indiques  de  notre  diocèse,  salul  et  henédie- 
tion  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

Depuis  que  la  Providence  nous  a  appelé 
au  gouvernement  de  ce  diocèse,  sous  le  poids 
duquel  nous  gémissons  tous  les  jours  en  se- 
cret devant  Dieu,  nous  avons  cru  que  notre 
principale  vocation  élaitde  travailler,  autant 
qu'il  nous  serait  possible,  à  vous  fortifier 
dans  la  loi  que  vous  avez  embrassée,  de  vous 
i  n'Ier  comme  l'objet  le  plus  important  de 
notre  sollicitude  pastorale  ,  el  d'imiter  le 
Pasteur  de  la  parabole  de  l'Kvangile,  qui  sem- 
ble oublier  quatre-vingt-dix-neuf  brebis  fi- 
dèles et  soumises, pour  chercher  d.ms  ! 
turages  étrangers  la  centième,  qui  se  perd  et 
s'égare. 

Après  le  grand  événement  de  la  réunion 
que  la  piélé  du  roi  el  les  soins  de  notre  illus- 
tre prédécesseur  procurèrent  dans  cette  v - i lie 
par  une  délibération  publiqu  •  et  unanime, 
on  avait  espéré,  mes  Irès-che  s  frères,  que 
votre  foi,  encore  nouvelle,  croîtrait  avec  le 
temps;  que  votre  persévérance  sciait  l'édi- 
fication de  l'Eglise,  dont  vos  pères  étaient 
sortis  ;  que  l'on  verrait  entre  les  anciens  et 
les  nouveaux  catholiques  une  sainte  émula- 
tion de  zèle  et  de  bonnes  rruv  res,  et  qu'après 
avoir  été  sur  la  lerre  notre  joie,  noire  espé- 
rance, vous  seriez  un  jour  devant  Dieu  no- 
tre gloire  et  notre  couronne  (I  Tktês  ,  11). 

Je  sais  qu<>  parmi  vous  il  y  en  a  quelques- 
uns  qui  n'ont  jamais  démenti  les  prou, 
de  leur  conversion,  qui  no  s  édifient  par  leur 
piété  et  par  leurs  exemples,  qui  ré  puissent 
le  ciel  et  la  lerre  dans  une  constante  appli- 
cation à  tous  leurs  devoirs,  qui  ne  se  distin- 
guent des  anciens  fidèles  que  par  une  vie 
plus  pieuse  el  |  lus  régulière,  et  qui,  malgré 
les  mauvais  exemples  de  leurs  frères  errants, 
bénissent  en  paix  et  dans  l'amour  du  Seigneur 
le  jour  qu'ils  ont  été  régénérés  à  la  vérité  et  à 
riiglisc. 

Mais  je  sais  aussi,  mes  Irès-chers  frères, 
que  plusieurs  ont  bientôt  trompé  uolre  at- 
tente. Les  agitations  de  l'Europe,  lincerli- 
tude  des  événements  et  les  mauvais  conseils, 
certaines  espérances  secrètes  qui  séduisaient 
voire  cœur,  oui  diminué  voire  première  fer- 
veur. Vous  avez  néglige  la  grâce  de  voire 
conversion,  el  elle  s  est  insensiblement  rel- 
iée de  vous;  el  telle  est  votre  indifférence 
pour  tous  les  exercices  de  notre  reli- 
que, dans  la  douleur  d'un  si  grand  relé<  h  - 
ment,  nous  disons  souvent  à  Dieu  ce  que  di- 
sait autrefois  le  prophète  Isaïe  :  Mais  vous 
z  pas  augmenté  notre  joie  (/se.,  IX). 

A  Dieu    ne  plaise,    m  s  tiès-chcrs    li 
que  j'attribue  à  l'opiniâtreté  de   vos  esprit! 
eu  à  la  dureté  de  vos  casera  l'opposiliou  u  te 
vous  avez   encore  contre  les  dogmes  te  \k% 


LETTRE  PASTORALE  AUX  NOUVEAUX  CATHOLIQUES  DE  MONTAUBAN.  K'30 


1029 

glise  catholique.  Je  n'ignore  pas  que  les  pré- 
jugés de  la  naissance  se  détruisent  avec 
peine  et  renaissent  avec  facilité.  II  y  a  dans 
la  foi,  comme  dans  les  mœurs,  des  chutes, 
des  tentaiions,  des  vicissitudes;  il  en  coûte 
toujours  beaucoup  quand  il  faut  rompre  les 
nœuds  qu'ont  serrés  l'éducation  et  la  cou- 
tume, cl  c'est  ce  qui  faisait  dire  à  saint  Au- 
gustin ,  qu'après  la  persévérance  finale ,  le 
bienfait  le  plus  important  de  la  miséricorde 
de  Dieu  c'est  celui  de  nous  faire  naître  dans 
la  communion  de  la  vraie  Eglise. 

Mais  le  temps  est  venu  que  vous  devez 
vous  réunir  à  l'Eglise  catholique  sans  délai 
et  dans  la  sincérité  de  vos  cœurs.  Pourriez- 
vous  demeurer  toujours  sans  culte  et  sans 
exercice?  et  ne  sentez-vous  point  les  cla- 
meurs intérieures  de  votre  conscience?  Dé- 
nués de  tous  les  secours  nécessaires  à  votre 
sanctification,  trop  éclairés  pour  compter  dé- 
sormais sur  des  événements  favorables  à  vos 
anciennes  prétentions,  o#  vous  direz-vous 
point  à  vous-mêmes  :  Voyons  si  la  religion 
catholique  est  teile  que  nos  ministres  nous 
l'ont  dépeinte,  et  ne  pouvons-nous  point  faire 
notre  salut  dans  cette  communion,  où  nos 
aïeux  ont  fait  le  leur  avant  la  séparation  ? 
Serez-vous  sans  cesse,  mes  très-chers  frères, 
ou  prévenus  ou  incertains?  D'autant  plus 
coupables  que  plusieurs  parmi  vous  con- 
naissent nos  saintes  vérités  et  n'osent  les 
professer  en  public  par  une  fausse  honte  qui 
les  retient  ;  et  que  d'autres,  jeunes  encore  el 
mal  instruits,  ne  sont  ni  catholiques  ni  pro- 
testants, et  déterminent  leur  religion  sur  les 
seules  inspirations  de  leurs  amis  el  de  leurs 
familles. 

Tout  vous  engage  à  vous  éclaircir  et  à 
vous  instruire.  La  triste  el  funeste  indolence 
où  vous  vivez,  et  dont  l'oubli  de  Dieu  et  le 
dérèglement  des  passions  humaines  sont 
toujours  la  suite;  l'intérêt  de  votre  salut,  la 
situation  où  vous  vous  trouvez,  les  larmes 
elles  gémissements  de  l'Eglise,  votre  mère, 
vous  invitent  à  celte  douce  et  sainte  unité, 
qui  est  le  prix  du  sang  de  Jésus-Christ,  et 
qui  nous  est  recommandée  dans  son  Evangile 
comme  l'obligation  la  plus  importante  de  tous 
les  fidèles. 

Outre  ces  motifs,  ne  serez-vous  point  enr- 
core  sensibles  aux  bontés  d'un  roi  beaucoup 
plus  grand  par  sa  piété  que  par  ses  conquê- 
tes? Il  vous  appelle  à  une  sincère  réunion 
par  ses  édits,  par  sa  douceur  et  par  ses  bien- 
faits; il  a  arrêté  le  cours  de  ses  victoires  pour 
ne  songer  qu'au  progrès  de  la  véritable  re- 
ligion ;  il  veut  étendre  par  son  zèle  l'Eglise 
qu'il  édifie  par  ses  exemples;  el  dans  le  sein 
d'un  noble  repos,  il  ne  s'occupe  que  du  sa- 
lut de  ses  sujets,  après  avoir  établi  leur  fé- 
licité temporelle  par  la  paix  qu'il  leur  a 
donnée. 

Quand  je  vous  demande,  mes  très  chers 
frères,  pourquoi  vous  demeurez  éloignés  de 
nous,  je  ne  fais  que  prévenir  ce  que  Jésus- 
Christ  vous  dira  datll  ce  moment  terrible  où 
il  vous  demandera  compte  de  votre  vie.  C'est 
le  principal  article  sur  lequel  vous  serez  .ju- 
gés. Les  préventions,  les  respects  humains, 


les  déguisements  et  les  faux  prétextes  ne  se- 
ront point  d'usage  dans  ce  grand  jour;  vous 
ne  serez  plus  opiniâtres  ni  prévenus  impuné- 
ment. Malgré  les  noms  spécieux  d'évangéli- 
que  et  de  réformé,  dont  se  flatte  votre  mal- 
heureuse crédulité,  il  faudra  répondre  sur  la 
séparation  des  proteslanis  ;  et  le  jugement 
que  vous  porterez  en  cette  vie  de  l'Eglise  de 
Jésus-Christ  sera  la  règle  de  celui  que  Jé- 
sus-Christ portera  de  votre  sort  pour  toute 
l'éternité. 

Je  dis  que  la  séparation  de  vos  pères  a  été 
injuste,  puisqu'il  ne  peut  jamais  y  avoir  de 
raison  légitime  de  rompre  l'unité  ;  c'est  !e 
principe  de  saint  Augustin  (Contr.  Parm., 
lib.  ii,  cap.  2).  Et  pourquoi  donc  !es  pre- 
miers réformateurs  l'onl-ils  divisée?  Si  leurs 
motifs  eussent  élé  sincères  et  leurs  inten- 
tions droites  ,  ils  se  seraient  adressés  à  l'E- 
glise ,  selon  le  précepte  de  l'Evangile  ;  ils 
lui  araient  représenté  les  raison  et  les  abus 
dont  ils  se  plaignaient,  et  ils  devaient  se  sou- 
mettre à  ses  décisions.  Ils  avaient  appelé  à 
Nuremberg  au  fulur  concile  en  1530,  et  ils 
pouvaient  suivre  leur  appel,  lorsque  le  con- 
cile de  Trente  fut  assemblé.  On  leur  donna 
dans  cette  vue  un  sanf-conduit  dans  une 
forme  très-ample  et  très-authentique  ;  mais 
ils  le  refusèrent  sur  de  vains  prétextes.  Leur 
première  démarche  fut  la  séparation  ;  ils 
quittèrent  la  communion  de  l'Eglise  avant 
qu'elle  les  eût  chassés  ;  et  ces  esprits  inquiéta 
et  ennemis  de  l'obéissance  et  de  l'ordre,  par 
l'i  iée  d'une  vaine  réformalion  ,  consommè- 
rent le  schisme  et  rompirent  l'unité. 

Que  n'imilaient-ils  la  conduite  de  saint 
Cyprien  ?  On  sait  les  différends  qu'il  eut  avec 
le  pape  Etienne  ;  il  s'agissait  entre  eux  d'une 
cause  très-importante  et  qui  intéressait  toute 
l'Eglise.  L'un  soutenait  la  vérité  avec  zèle  et 
avec  courage,  l'autre  la  combattait  avec  bonne 
foi  et  avec  charité.  Les  lettres  qu'ils  s'écrivi- 
rent mutuellement  furent  vives  et  animées  ; 
cependant  leurs  cœurs  furent  unis,  malgré  la 
différence  de  leurs  sentiments.  Saint  Cyprien 
ne  rompit  jamais  les  nœuds  sacrés  de  la  com- 
munion ecclésiastique  ;  il  respecta  toujours 
la  personne,  la  sainteté  et  la  primauté  d'E- 
tienne; et,  après  avoir  été,  selon  l'expression 
de  saint  Augustin  ,  le  défenseur  de  l'unité  de 
l'Eglise  (Lib.  de  Unit.  Eccles.)  par  ses  écrits 
et  par  ses  exemples,  il  fut  le  marlvr  de  la  vé- 
rité. 

Si  vous  me  demandez,  mes  très-chers  frè- 
res, quelle  est  cette  Eglise  dont  il  n'esl  per- 
mis dans  aucun  cas  de  se  séparer  ,  je  vous 
répondrai  ce  que  dit  saint  Augustin  :  Quand 
je  mettrais  ù  part  la  sagesse  el  la  connaissance 
de  la  vérité,  que  les  hérétiques  ne  croient  pas 
être  dans  l  Eglise  catholique,  il  y  a  beaucoup 
de  motifs  qui  me  retiennent  dans  son  sein  avec 
ruison.  Le  consentement  des  peuples  et  des  na- 
tions m'y  confirme;  l'autorité,  commencée  pil- 
les miracles,  nourrie  par  I  espérance,  augmen- 
tée par  la  chariié,  m'y  retient;  la  succession 
<les  évéqurê  depuis  le  siège  même  de  l'apôtre 
saint  >  ierre,  à  qui  le  Seigneur  a  donné  la 
charge  de  paître  h  s  brebis,  jusqu'à  l'épiscopat 
de  celui  qui  l'occupe  maintenant,  m'y  attache 


1(131 


OKATEIJItS  SACRES.  DE  NESMOND. 


onore;  enfin  j'y  suis  retenu  ]>tu  le  nom  même 

de  Catholique,  gui  tel  demeuré  tellement  pro- 
pre à  cette  Eglue,  que,  quoique  tons  les  he'ré- 

tiques  prétendent  se  l'attribuer,  si  toutefois 
un  étranger  demande  où  $'a*$emble  l'Fylise 
catholique,  il  n'y  a  point  d'hérétique  qui  ose 
montrer  son  église  ou  sa  maison  [Conf.  de  Pist. 
Fondant.,  cap.  ■'»).  Or  pouvail-011  no  pal  con- 
naître dans  le  temps  de  la  séparation  l'Eglise 
catholique  à  ces  marques  extérieures?  Les 
protestants  oseraient-ils  s'attribuer  aucun  de 
ces  aimables  liens  du  nom  chrétien?  comme 
parle  encore  saint  Augustin  ;  et  n'est-ce  pas 
à  elle  que  conviennent  ces  attributs  et  ces 
caractères? 

J'ajoute  une  hypothèse  impossible,  c'est 
que  ,  quand  mémo  il  serait  permis  de  se  sé- 
parer, ce  ne  peut  être  que  pour  des  erreurs 
essentielles  et  fondamentales  ;  c'est  un  prin- 
cipe incontestable  que  les  ministres  ne  dés- 
avouent pas,  et  il  est  aisé  de  prouver  par  une 
briève  et  claire  induction  que  vos  pères  n'ont 
pas  eu  des  motifs  suffisants  de  séparation. 

Il  est  certain  que  la  présence  réelle  n'est 
pas  de  ce  genre,  puisque  les  calvinistes  con- 
viennent que  c'est  une  doctrine  sans  venin, 
qu'ils  la  regardent  comme  un  article  de  to- 
lérance, et  qu'à  ce  prix  ils  offrirent  dans  le 
syuode  de  Cbarenton,  en  1631,  leur  commu- 
nion aux.  luthériens,  qui  la  refusèrent.  Lors- 
qu'un dogme  est  toléré  ,  les  conséquences 
prochaines  ,  directes  et  immédiates  de  ce 
dogme,  doivent  aussi  l'être.  L'adoration,  se- 
lon Daillé,  et  la  transsubstantiation,  selon 
Calvin  et  Bèze,  sont  les  suites  nécessaires 
de  la  présence  réelle,  et  par  conséquent  elles 
ne  peuvent  être  le  fondement  d'une  juste 
séparation.  Il  faut  dire  la  même  chose  de  la 
communion  sous  les  deux  espèces,  que  la 
pratique  de  l'Eglise,  seule  et  véritable  inter- 
prèle de  l'Ecriture,  a  établie  comme  indiffé- 
rente, parce  que  la  substance  du  corps  de 
Jésus-Christ  est  indivisible.  De  plus,  on  ne 
peut  pas  nier  que  saint  Cyprien,  saint  Au- 
gustin et  tous  les  Pères,  n'aient  offert  le  sa- 
crifice, révéré  les  reliques,  invoqué  les  saints 
et  prié  pour  les  morts.  Les  ministres  n'ose- 
raient dire  qu'ils  se  seraient  séparés  de  la 
communion  de  saint  Cyprien  et  de  saint 
Augustin.  Les  protestants  sont  trop  éclairés 
pour  accuser  de  superstition  et  d'erreur  ca- 
pitale le  culte  de  la  Vierge,  dont  nous  hono- 
rons les  image*,  puisque  Luther  lui-même 
blâma  Carloslad  de  fonder  sur  ce  culte  un 
motif  de  séparation,  et  qu'il  avoue  que  l'i- 
mage de  Jésus-Christ  crucifié  est  très-utile 
pour  exciter  les  mourants  à  une  piété  tendre 
et  reconnaissante.  Voilà  à  peu  près  les  rai- 
sons dont  se  servent  les  protestants  pour 
justifier  leur  schisme.  11  n'y  en  a  aucune  qui 
soit  suffisante,  et  par  conséquent  ils  seront 
contraints  d'avouer  que  leur  séparation  a 
été  injuste  et  téméraire.  Cela  supposé,  la 
réunion  est  absolument  nécessaire,  puisque 
ceux  qui  demeurent  dans  le  schisme  ne  sont 
pas  moins  coupables  que  ceux  qui  le  fout  et 
qui  le  commencent. 

Je  ne  sais,  mes  très-chers  frères,  si  nous 
avez  quelquefois  examiné  le  caractère  et  lu 


eondoile  «les  premier!  réformateurs,  que  la 
profession  <J<-  loi  des  eali  inities  nous  dépeint 
comme  des  ouvriers  ehoilil  de  Dieu  cl  su-ci- 
lél  par  la  Providence  pour  réédifier  sou 
Eglise.  Leurs  dogmes  ont  toujours  été  di- 
rectement contraires,  surtout  pour  le  point 
de  l'eucharistie;  ils  n'ont  pu  jamais  convenir 
ensemble  que,  dans  la  haine  sacrilège  qu'ils 
avaient  conçue  contre  l'Eglise  catholique, 
ils  se  sont  sans  ces^c  réciproquement  traités 
d'hérétiques:  pleins  d'eux-mêmes  <t  vides 
de  l'esprit  de  Dieu,  chacun  vou  ail  avoir  pour 
soi  toute  la  gloire  de  la  prétendue  réforma- 
tion ;  et,  bien  loin  de  conserver  entre  eux 
l'amour  el  la  paix,  qui  doivent  cire  au  moins 
une  des  marques  de  leur  chimérique  voca- 
tion ,  ils  s'emportèrent  les  uns  contre  les 
autres  à  des  excès  de  rage  et  de  férocité 
aussi  indignes  des  bienséances  de  la  vie  ci- 
vile que  contraires  aux  règles  de  la  charité 
chrétienne. 

Je  ne  puis  mieux  vous^le  prouver  qu'en 
voui  rapportant  les  paroles  mêmes  de  Lu- 
ther, dans  son  livre  de  la  Dispute  sur  l'Eu- 
charistie, où  il  appelle  les  sacramentaires 
des  idolâtres,  des  spectres,  des  insensés,  des 
frénétiques,  des  engeances  de  vipères,  des  tueurs 
d'âmes,  des  ennemis  du  Fils  de  Dieu,  des  loups 
ravissants  envoyés  et  obsédés  par  Satan,  qui 
prêchent  te  diable  au  lieu  d'1  prêcher  le  royau- 
me de  Dieu,  qui  font  moins  d'étal  du  Fils  de 
Dieu  qu'Arius  et  que  Mahomet.  Ce  sont  les 
éloges  qu'il  donne  à  ceux  qui  étaient  dans 
le  sentiment  des  protestants  ses  coopérateurs 
à  l'œuvre  de  Dieu  pour  la  réformaiiou  de 
l'Eglise. 

Mais,  pour  mieux  connaître  le  génie  et  le 
caractère  de  ce  prétendu  réformateur,  je 
veux  vous  faire  remarquer  en  passant  le 
style  insolent  dont  il  se  servit  pour  écrire 
contre  Henri  VIII  ,  roi  d'Angleterre  ,  qui  , 
après  avoir  composé  un  livre  pour  la  défense 
de  la  religion  catholique,  se  livra  ensuite 
aux  passions  honteuses  qui  perdirent  Salo- 
mon,  et  fut  l'auteur  de  ce  schisme  fatal  qui 
désole  encore  aujourd'hui  loulc  l'Angleterre. 

Je  ne  sais,  dit  Luther,  si  la  folie  peut  être 
plus  folle  ou  la  stupidité  plus  stupi  le  que  l'est 
la  tête  de  notre  Henri.  Il  'loit  s'imputer  si  je 
le  traite  si  durement,  car  il  ne  m'a  )ias  attaqué 
avec  un  cœur  de  roi,  mais  arec  l'impudence 

d'un  valet  et  d'une  effrontée Je  dis  nette* 

nient  et  sans  me  cacher  que  ce  Ilmri,  roi 
d' Angleterre  en  a  menti,  et  qu'il  joue  plus  le 
personnage  d'un  ridicule  bouffon  par  ses  men- 
songes que  celui  d'un  roi...  Il  serait  honteux, 
ajoute-t-il,  qu'une  fem  ;,e  impudique  mentit 
avec  tant  d'extraviujiincc  et  s'emportât  en  de 
si  grands  excès  de  folie.  C'est  ainsi  que  ce 
malheureux  hérésiarque  insulte  à  la  suprê- 
me majesté  des  rois,  que  l'Evangile  nous  or- 
donne si  souvent  de  respecter  el  de  craindre; 
et  ce  n'était  pas  le  style  qu'employaient  les 
apôtres  pour  répondre  aux  empereurs  du  pa- 
ganisme el  aux  persécuteurs  de  la  religion 
naissante  qu'ils  venaient  prêcher. 

On  voit  encore  dans  ses  ouvrages  sa  vanité 
et  .si  fureur  lorsqu'il  (Jcrit  contre  la  papauté, 
qui  eluil   l'objet  le  plus  ordiuuiro  de  ses  ri- 


1055  LETTRE  .PASTORALE  AUX  NOUVEAUX  CATHOLIQUES  DE  MONTAUBAN.  1034 

que  de  celles   qui   seraient   tirées  de  l'Ecri- 


dicules  emportements,  de  ses  pointes  basses 
et  obscènes  et  de  ses  fades  railleries.  Presque 
tous  les  monastères,  disait-il,  sont  ravagés  pur 
ma  plume,  et  j'ai  fait  plus  de  mal  au  pape  moi 
seul  que  n'aurait  pu  faire  aucun  roi  avec  tou- 
tes les  forces  de  son  royaume  (1).  Mes  prières 
ne  sont  pas  une  foudre  de  Salmonée  ni  un  vain 
murmure  dans  l'air,  elles  sont  un  rempart  in- 
vincible plus  puissant  que  le  diable  même.  Et 
dans  un  livro  qu'il  composa  contre  les  papes 
du  temps  de  Paul  III,  il  répète  plusieurs  fois 
ces  belles  paroles  :  Le  pape  ne  peut  pas  me 
tenir  pour  un  ignorant,  je  suis  plus  savant 
dans  les  Ecritures  que  lui  et  toutes  ses  bêtes... 
Si  j'en  étais  cru,  je  ferais  un  paquet  du  pape 
et  des  cardinaux  pour  tes  jeter  tous  ensemble 
dans  le  Tibre.  Ce  bain  les  guérirait,  j'y  enga- 
ge ma  parole  et  je  donne  Jésus-Christ  pour 
caution.  Paroles  que  je  rapporte  avec  peine 
et  que  je  passerais  volontiers  sous  silence, 
si  l'importance  de  mon  sujet  ne  m'engageait 
à  vous  faire  connaître  le  caractère  de  ces 
premiers  héros  de  sa  réforme. 

Les  sacramentaires  de  leur  côté  n'ont  pas 
traité  les  luthériens  avec  plus  d'égard  et  de 
charité.  Calvin,  dans  sa  lettre  à  Vestphal,  dit 
que  ce  sont  des  insolents  sans  honte  et  sans 
pudeur,  qu'ils  ne  craignent  ni  le  jugement  de 
Dieu  ni  celui  des  anges  ;  qu'ils  sont  pleins  d'une 
passion  furieuse,  d'une  inconstance  ridicule, 
d'un  enivrement  aveugle  et  d'une  maladie  dia- 
bolique. Il  les  appelle  des  bêtes  féroces  dé- 
pouillées de  toute  humanité,  des  cyclopes,  des 
opiniâtres  et  des  frénétiques.  Et  ce  sont  aussi 
les  titres  d'honneur  que  Théodore  de  Bèze 
donna  àHeshusius,  célèbre  luthérien.  Jugez, 
mes  très-chers  frères,  de  la  réformation  par  le 
génie  des  réformateurs  ,  et  prononcez  vous- 
mêmes  sans  prévention  s'il  est  possible  que 
Dieu  ait  donné  son  esprit  à  des  hommes  si 
peu  propres  à  l'avancement  de  son  œuvre  et 
si  remplis  des  excès  les  plus  emportés  de 
toutes  les  passions  humaines. 

Je  ne  sais  si  vous  avez  jamais  considéré 
la  manière  dont  la  réformalion  s'établit  dans 
les  cantons  de  Zurich  et  de  Berne.  Zuingle 
en  fut  le  premier  auteur;  après  avoir  été  le 
pasteur  de  Glaronne,  il  le  fut  encore  de  Zu- 
rich. Les  indulgences,  qui  avaient  été  le  pré- 
texte de  Luther,  furent  aussi  d'abord  le  su- 
jet et  l'occasion  des  invectives  de  Zuingle 
contre  l'Eglise.  Trouvant  les  magistrats  et 
les  peuples  favorables  à  ses  erreurs,  il  atta- 
qua l'invocation  des  saints,  la  pratique  du 
carême,  les  vœux  monastiques  et  le  célibat 
des  prêtres  ;  il  procura  une  convocation  de 
tout  le  canton.  Le  conseil  de  deux  cents  s'as- 
sembla pour  délibérer  sur  tous  les  points,  et 
l'on  vit  pour  la  première  fois  des  laïques 
téméraires  et  ignorants  s'ériger  en  juges  et 
en  arbitres  de  la  foi,  et  s'attribuer  un  droit 
que  Jésus-Christ  n'a  confié  qu'aux  pasteurs 
de  l'Eglise,  qui  est  son  épouse. 

Le  sénat  assemblé  ordonna  que  des  doc- 
teurs catholiques  disputeraient  contre  Zuin- 
gle. sur  les  articles  de  la  réforme  naissante, 
et  il  fut  défendu  de  se  servir  d'autres  preuves 

(1)  EpUre  à  Georges,  duc  de  Saxe. 

(2)  Silice  ne  lit  que  cODttrmei  |>ar  .son  décret  une  discv- 

OhATKUUS   S.iClŒS.    XXX. 


ture  sainte.  Ainsi  la  tradition  lut  proscrite, 
l'autorisé  de  l'Eglise  anéantie  et  tous  les 
Pères  dégradés.  Les  docteurs  catholiques 
étaient  ou  ignorants  ou  intimidés,  et  Zuingle 
avait  pour  lui  tous  les  magistrats  qui  étaient 
déjà  protestants.  Ainsi  dans  la  première  con- 
férence de  ce  bizarre  et  ridicule  concile  on 
défendit  l'observation  du  carême,  quoiqu'elle 
fût  consacrée  par  la  pratique  de  toute  l'an- 
tiquité; on  dévoila  les  vierges  chrétiennes 
avec  scandale,  quoiqu'elles  soient,  selon  l'ex- 
pression de  saint  Cyprien,  la  plus  noble  et  la 
plus  illustre  portion  du  troupeau  de  Jésus- 
Christ  ;  on  abolit  le  célibat  des  ministres  des 
autels,  quoiqu'il  fût  en  usage  dans  toute 
l'Eglise,  au  moins  depuis  le  décret  du  pape 
Sirice,  qui  vivait  à  la  fin  du  ive  siècle  (2); 
enfin  on  décida  que  l'invocation  des  saints, 
qui  a  toujours  été  l'objet  de  la  piélé  de  tous 
les  fidèles  depuis  le  temps  des  apôtres,  serait 
désormais  supprimée  comme  un  culte  super- 
stitieux que  le  démon  avait  suggéré. 

Nous  avons  les  actes  de  ces  conférences, 
et  il  semble  que  la  Providence  ait  voulu  les 
conserver  comme  la  preuve  de  l'injustice  et 
de  la  témérité  de  la  séparation  de  Zuingle. 
Dans  les  dernières  séances  on  délibéra  sur 
la  présence  réelle  et  sur  le  saint  sacrifice  de 
la  messe.  Le  secrétaire  de  la  ville  soutint  la 
créance  de  l'Eglise  catholique.  Les  paroles  de 
l'institution  de  l'eucharistie,  Ceci  est  mon 
corps,  embarrassaient  Zuingle  ;  mais  il  pré- 
tend qu'un  fantôme  blanc  ou  noir  lui  était 
apparu  en  songe  et  lui  avait  dit  :  Lâche,  que 
ne  réponds-tu  ce  qui  est  écrit  dans  l  Exode  : 
«  L'agneau  est  la  pâque,  »  pour  dire  qu'il  en 
est  le  ligne.  Ce  songe  ridicule  et  digne  d'un, 
éternel  mépris  fut  tout  le  fondement  de  l'opi- 
nion de  Zuingle.  Sur  cet  heureux  dénoue- 
ment, le  conseil  de  Zurich  se  détermina  dans 
celle  importante  dispute;  et,  après  avoir  loué 
Zuingle  comme  un  homme  éminent  en  doc- 
trine et  en  piélé,  il  abolit  la  messe  pour  tou- 
jours dans  tout  ce  canton. 

C'est  à  ce  conciliabule  assemblé  que  ce 
réformateur  adresse  ces  paroles  que  nous 
aurions  de  la  peine  à  croire,  si  nous  ne  les 
trouvions  dans  ses  ouvrages.  Je  suis  assuré, 
disait-il,  que  cette  compagnie,  qui  a  été  assem- 
blée devant  le  très-honorable  sénat  de  Zurich 
pour  entendre  la  parole  de  Dieu,  ne  peut  er- 
rer. 11  donne  à  ses  laïques,  sans  mission  et 
sans  lumières,  un  privilège  d'infaillibilité 
qu'il  refuse  à  toute  l'Eglise.  Tel  a  été  ce  Zuin- 
gle, ce  prétendu  prophète  envoyé  de  Dieu 
pour  la  réformalion  de  son  Eglise,  qui  ne  fut 
pourtant  qu'un  apostat,  un  visionnaire  et  un 
hérétique  ;  qui  n'était  que  peu  versé  dans  la 
science  des  Ecritures  et  des  Pères  ;  qui  re- 
haussait une  très-médiocre  éruditiou  par  une 
hardiesse  incroyable;  qui,  contre  l'esprit  de 
l'Evangile,  fut  tué  les  armes  à  la  main  dans 
une  bataille  donnée  entre  les  cantons  catho- 
liques et  les  cantons  protestants,  et  qui,  a. 
toutes  les  erreurs  dont  nous  venons  de  parler, 
ajoutait  celle  de  nier  le   péché  originel  (3), 

pllne  établie 
(3)  Decl.de  Pecc.  orig. 

3'J 


qu'il  regardait  comme  une  maladie,  mais  no» 
pai  comme  un  péché.  Serait-il  possible  que 

I)icu  eût  confié  son  oeuvre  à  un  homme  qui 
niait  une  vérité  qui,  selon  la  doctrine  de 
saint  Paul,  est  le  principe  de  l'incarnation  et 
(oui  le  fondement  de  la  grâce  de  Jésus-Christ 

réparateur. 

.Mais,  pour  achever  le  portrait  de  Zuingle, 
il  est  à  propos  d  6  vous  rapporter  les  paroles 
de  la  confession  de  foi  qu'il  présenta  à  Fran- 
çois I".  En  expliquant  l'article  de  la  vie  éter- 
nelle, il  dit  à  ce  prince:  Vous  trouverez  un 
jour  dans  le  ciel  tout  ce  qu'il  y  a  jamaii  eu 
d'hommes  saint*;  ;  vous  y  verrez  les  deux: 
Adam:!,  le  racheté  et  le  Rédempteur  ;  Abel,  Hé- 
noch,  ]\oi:,  (îéiléon,  Isair  avec  ta  Vierge 
de  Dieu,  qu'il  a  annoncée;  VOUt  y  verrez  Her- 
cule, Thésée,  Ariêtide,  Anligonus,  PfUma, 
Caion,  etc.  Peut-on  imaginer  un  plus  grand 
blasphème  que  de  confondre  ainsi  le  Sau- 
veur du  monde  et  les  saints  que  sa  grâce  a 
faits  dans  la  loi  ancienne  et  nouvelle,  avec 
les  faux  héros  du  paganisme,  de  consacrer 
de  plein  droit  le  vice  et  l'idolâtrie,  et  de  pla- 
cer sur  un  même  autel  Jésus-Christ  et  Dé- 
liai 1  Et  c'est  cependant  celle  confession  de 
foi  que  Bulingcr  appelle  le  chef-d'œavre  et  le 
der  ier  chant  de  ce  cygne  mélodieux. 

Luther  eut  honte  de  la  folie  de  Zuingle,  et 
lui  déclara  qu'il  désespérai'  de  son  salutt 
parce  que,  non  content  de  combattre  les  sacre- 
ments,  il  était  devenu  païen,  en  mettant  des 
païens,  jusques  à  Scipion  l'épicurien,  jusques 
à  Numa  [l'organe  du  de  mon  pour  établir  l'ido- 
lâtrie chez  les  Romains) ,  au  rang  des  âmes 
bienhmreuses.  A  quoi  nous  servent,  ajoule-t- 
II,  le  baptême,  les  au'.res  sacrements,  l'Ecri- 
ture et  Jésus-Christ  même,  si  les  impies  et  les 
idolâtres  sont  saints  et  bienheureux  ?  Et 
qu'est-ce  autre  chose  que  d'enseigner  que  cha- 
cun peut  se  sauver  dans  sa  religion  et  dans  sa 
croyance? 

Luther  n'était  pas  plus  scrupuleux  quand 
il  s'agissait  des  intérêts  de  la  prétendue  ré- 
formalion;  et,  quoiqu'il  se  glorifiât  à  tort  de 
prendre  toujours  l'Ecriture  sainte  pour  la 
règle  de  sa  foi  et  de  sa  doctrine,  cependant  on 
le  vit  sacrifier  les  vérités  les  plus  essentielles 
de  l'Evangile  aux  passions  d'un  prince  in- 
continent et  déréglé,  dans  une  conjoncture  si 
importante,  que  nous  ne  pouvons  la  passer 
sous  silence. 

On  sait  que  Philippe,  landgrave  de  Hesse, 
fut  un  des  plus  grands  protecteurs  de  la  nou- 
velle rélormalion,  et  qu'il  travailla  toute  sa 
vicia  à  soutenir  et  à  la  défendre.  Néanmoins  ce 
prince,  si  ardent  zélateur  de  la  pureté  de  l'E- 
vangile, n'en  fut  pas  plus  réglé  dans  ses 
mœurs.  Ayant  pris  en  aversion  la  princesse 
Christine  de  Saxe,  sa  femme,  dont  il  avait 
une  nombreuse  famille,  il  voulut  épouser 
Marguerite  de  Saxe,  avec  la  permission  même 
de  ses  pasteurs.  La  dispense  étail  pourtant 
inouïe;  les  ministres  ne  pouvaient  pas  igno- 
rer que,  dans  l'institution  primitive,  l'époux 
cl  l'épouse  n'étaient  qu'une  même  chair;  que 
la  polygamie  fut  accordée  par  tolérance  aux 
pour  la  dureté  de  leur  cœur,  et  que  Jé- 
sus-Christ, ayant  élevé  le  maritgt  à  la  di- 


ORATEURS  SACHES.  DE  NRSMOND.  |   M 

guité  de  sacrement,  lui  avait  rendu  la  saiu- 


lelé  et  l'unité  de  son  orîgini 

Malgré  ces  lois  si  clairement  expliqo  m 

dans  l'Kvangilc,  le  landgrave  chargea  Buccr, 
par  une  instruction  datée  de  Melsiuguc,  de 
lâcher  d'obtenir  de  Luther  et  des  principaux 
pasteurs  d'Allemagne  cette   permission   si 

souhaitée.  Après  quelques  relus  affectés,  ils 
accordèrent  enfin  cette  dispense,  et  elle  fut 
signée  par  Luther,  par  Melanchlhon  cl  par 
cinq  autres  minisires.  La  menace  que  leur 
fit  le  landgrave  d'abandonner  la  réforme,  et 
l'espérance  qu'il  leur  donna  de  leur  livrer 
tous  les  biens  des  monastères,  les  détermi- 
nèrent à  la  transgressio  i  d'un  point  si  M 
liel  de  la  loi  de  Jésus-ChrM,  cl  à  permi  l  re 
que  le  landgrave  eût  deux  femmes  à  la  lois. 
La  crainte  et  l'intérêt  furent  les  motifs  de  leur 
décision,  et  l'Evangile  céda  à  leur  politique. 
Après  la  concession  de  cette  dispense,  le 
landgrave  épousa  en  secret  Marguerite  de 
Saxe,  du  consentement  de  sa  première  femme. 
Tous  les  actes  de  ce  mystère  d'iniquité  sub- 
sislent  encore.  Le  feu  électeur  palalin  les  fit 
imprimer,  et  c'est  un  fait  si  certain,  qu'aucun 
protestant  n'a  osé  en  contester  la  preuve,  et 
moins  encore  en  entreprendre  la  juslifLalion 
cl  l'apologie. 

Ce  fut  par  ers  mêmes  raisons  que  les  pre- 
miersréformateurs  conseillèrent  àHenri  \  III, 
roi  d'Angleterre,  de  ne  point  rompre  son  ma- 
riage avec  Catherine  d'Aragon  sa  femme  , 
mais,  quoiqu'elle  fûl  vivante,  d'épouser  en- 
core Anne  de  Iioulen  ;  et  le  cinquième  sermon 
que  Luiher  prêcha  à  Willemberg contient  des 
propositions  si  téméraires,  si  scandaleuses  et 
si  obscènes,  sur  la  malière  de  la  polygamie, 
que  la  prudence  ne  nous  permet  pas  de  les 
rapporter,  el  il  faut  sacrifier  à  la  modestie  et 
à  la  pudeur  l'avantage  que  l'Eglise  catholi- 
que en  pourrait  lirer. 

Mais,  après  avoir  parlé  de  la  conduite  per- 
sonnelle des  réformateurs,  il  est  nécessaire 
]  our  votre  instruction,  mes  très-chers  frè- 
res, d'examiner  leur  mission  et  celle  des  au- 
tres ministres  de  la  réforme.  Il  est  certain 
qu'il  n'y  a  point  d'Eglise  sans  ministre.  Or, 
nul  ne  doit  s'ingérer,  s'il  n'est  appelé  [Htbr., 
Y ,  k),  et  tout  fidèle,  avant  que  d'écouter  un 
homme  qui  se  dit  pasteur,  doit  être  surtout 
assuré  de  sou  aulorilé  el  de  son  pouvoir.  11 
ne  peut  y  avoir  de  fonctions  légitimes  sans 
un  tilre  qui  les  valide,  cl  les  protestants  sont 
d'autant  plus  obliges  à  jusiifier  le  minisièrc 
de  leur  Eglise,  que  comme,  selon  leurs  prin- 
cipes, les  pasteurs  seuls  peuvent  bapliscr 
validement,  il  s'ensuit,  par  une  conséquence 
nécessaire,  que  l'assurance  de  leur  baptême 
et  la  validité  de  leurs  sacrements  dépendent 
absolument  de  la  certitude  de  la  mission  de 
leurs  ministres. 

Dans  le  commencement  de  la  réforme,  les 
pasteurs  protestants  s'attribuaient  une  vo- 
callon  extraordinaire;  leur  confession  de  foi 
dit  en  termes  exprès  :  Mous  croyons  que  nul 
ne  doit  t'ingérer  d  son  autorité  propre  pour 
gouverner  l'Eglise,  mais  nie  cela  se  doit  faire 
pni  élection,  autant  qu'il  est  possible  et  que 
Vieu  le  permet.  Laquelle  exception  nous  y 


LETTRE  PASTORALE  AUX  NOUVEAUX  CATHOLIQUES  DE  MONTÂUBAN. 


10,7 

ajoutons  notamment,  parce  qu'il  a  fallu  quel- 
que fois,  même  de  notre  temps,  auquel  l'état  de 
l'Eglise  était  interrompu,  que  Dieu  ait  suscité 
des  gens  d'une  façon  extraordinaire,  pour 
dresser  l'Eglise  de  nouveau,  qui  était  en  ruine 
et  en  désolation  (arl.  3). 

Calvin  est  dans  le  même  sentiment  (Inst., 
I.  IV,  cap.  5),  et  Théodore  de Bèze,  au  colloque 
de  Poissy, déclara  au  cardinaldeLorraineque 
les  auteurs  de  la  ré  forme  avaient  volontairement 
renoncé  à  la  marque  de  l'Eglise  romaine,  qu'il 
n'y  avait  point  alors  d'ordre  ecclésiastique 
dans  l'Eglise.  11  assure  la  même  chose  dans 
un  traité  qu'il  composa  contre  un  protestant 
appelé  Sarrarias  :  N ous  ne  rejetons  pas,  dit-il, 
cette  merveilleuse  vocation  extraordinaire  qui 
ne  procède  que  de  l'inspiration  intérieure  de 
Dieu,  par  laquelle  Dieu  Notre -Seigneur  s'est 
rendu  si  admirable  en  ce  temps  pour  délivrer 
son  Eglise. 

Enfin  le  synode  de  Gap,  tenu  en  1603, 
fit  une  semblable  décision,  et  voici  ses  pa- 
roles :  Sur  l'article  31,  la  confession  de  la  foi 
ayant  émis  la  question  (de  savoir  quelle  con- 
duite il  faut  tenir)  lorsque  l'on  vient  à  traiter 
de  la  vocation  de  nos  premiers  pasteurs,  ou  à 
fonder  l'autorité  qu'ils  ont  eue,  de  réformer 
l'Eglise  et  d'enseigner  sur  la  vocation  qu'ils 
avaient  tirée  de  l'Eglise  romaine,  la  compa- 
gnie a  jugé  qu'il  se  faut  rapporter,  sur  l'ar<~ 
ticle  de  la  vocation  extraordinaire  par  la- 
quelle Dieu  les  a  poussés  intérieurement  à 
leur  ministère,  et  non  pas  à  ce  peu  qui  leur 
restait  de  la  vocation  ordinaire  corrompue  de 
l'Eglise  romaine. 

Or,  un  ministère  nouveau  et  extraordi- 
naire demande  nécessairement  deux  condi- 
tions. Il  faut  premièrement  qu'il  soit  prédit 
dans  les  Ecritures,  et  en  second  lieu  qu'il 
soit  prouvé  par  des  miracles.  Pourquoi  les 
ministres  de  la  réformalion  voudraient-ils 
être  exempts  de  celte  loi,  puisque  Jésus- 
Christ  ne  s'en  est  pas  dispensé  lui-même?  Il 
a  toujours  dit  (Joan.,  I)  qu'il  avait  été  pro- 
mis par  les  prophètes,  et  que  ses  œuvres  certi- 
fiaient qu'il  était  celui  qui  avait  été  promis. 
Ce  sont  les  Ecritures  qui  rendent  témoignage 
de  moi,  disait-il  aux  Juifs  ;  et  lorsque  les 
disciples  de  Jean-Baptiste  lui  demandèrent 
s'il  était  le  Messie  qui  devait  venir,  il  leur 
répondit  (Luc,  VII)  :  Allez  dire  à  Jean  ce  que 
vous  entendez  et  ce  que  vous  voyez  :  Les  aveu- 
gles voient,  les  boiteux  marchent .  les  lépreux 
sont  guéris,  les  sourds  entendent,  les  morts 
ressuscitent,  et  il  ajoute  expressément  (Joan., 
XIII),  que  s'il  n'avait  pas  fait  les  œuvres  que 
nul  autre  n'avait  pu  faire,  les  Juifs  n'auraient 
pus  été  inexcusables.  D'où  il  s'ensuit  évi- 
demment que  la  promesse  et  les  miracles  sont 
la  preuve  nécessaire  d'une  nouvelle  mission. 

El  en  effet,  quand  Dieu  a  une  fois  établi 
un  ministère  successif,  qu'il  l'a  attaché  ou 
a  une  famille,  comme  dans  l'ancienne  loi, 
ou  à  l'ordination  ,  comme  dans  la  loi  nou- 
velle, il  convient  à  la  Providence  de  ne 
point  changer  cet  ordre,  sans  donner  des 
inarques  certaines  ,  claires  et  incontes- 
tables ,  qui  fassent  connaître  la  -vérité 
de  ce  ministère  nouveau.  11  y  a  une  rcla- 


1058 


tion  immédiate  entre  les  pasteurs  et  les 
peuples  ,  et  si  les  pasteurs  sont  en  droit 
d'exiger  l'obéissance  dans  les  choses  qui  re- 
gardent le  salut,  les  peuples,  a  leur  tour, 
doivent  discerner  avec  évidence  le  titre  de 
l'autorité  qui  les  gouverne.  Autrement  la 
mission  serait  en  proie  à  tous  ceux  qui 
voudraient  l'usurper  ;  ce  serai!  mettre  les 
fidèles  dans  le  péril  continuel  et  inévitable 
de  la  séduction  des  faux  pasteurs,  et  ex- 
poser l'ordre  et  la  hiérarchie  aux  entre- 
prises téméraires,  à  des  ministres  ou  usur- 
pateurs  ou  fanatiques. 

Cela  supposé ,  je  dis  en  premier  lieu  , 
mes  très-chers  frères  ,  que  Dieu  avait  pré- 
dit que  le  ministère  de  la  Synagogue  fi- 
nirait,  et  que  Jésus-Christ  a  promis  quo 
celui  de  la  loi  nouvelle  ne  finirait  point. 
Les  protestants  ne  sauraient  désavouer  cette 
proposition.  Le  Père  éternel  envoya  son 
Fils  unique  dans  la  plénitude  des  temps. 
Jésus-Christ  donna  la  mission  aux  apô- 
tres ,  et  celle  des  apôtres  est  venue  jus- 
qu'à nous  de  main  en  main.  Et  c'est  par 
celte  succession  non  interrompue  que  nous 
avons  reçu  le  caractère  de  l'épiscopat ,  et 
que  subsistera  le  bel  oidre  de  l'Eglise  jus- 
qu'à  la  consommation  des  siècles. 

Le  ministère  nouveau,  qui  a  été  la  chi- 
mère des  derniers  novateurs  ,  a  été  in- 
connu à  toute  la  tradition  et  à  tous  les 
Pères.  Tertullien  pressait  les  hérétiques 
de  son  temps  de  rapporter  le  commence- 
ment de  leurs  églises,  et  de  faire  voir  que 
l'ordre  de  leurs  évéquês  coulait  de  la  source 
de  son  origine  par  succession  jusqu'à  eux; 
en  sorte  que  leur  premier  évêque  eût  été 
ordonné  par  les  apôtres  ou  par  quelqu'un 
des  hommes  apostoliques.  Saint  Cyprien  re- 
prochait à  Novalien  quï/  n'était  point  dans 
l'Eglise  et  qu'il  ne  pouvait  être  pincé  au 
nombre  des  évêques,  parce  qu'en  méprisant 
la  tradition  évangélique  et  apostolique ,  il 
était  né  de  lui-même  et  ne  succédait  â  per- 
sonne. Rendez-nous  compte,  disait  Optât  à 
Parménien  et  aux  donatisles,  de  l'origine 
de  votre  chaire,  vous  qui  voulez  vous  at- 
tribuer l'Eglise  de  Dieu.  Saint  Augustin 
prouve  dans  tous  ses  ouvrages  la  vérité 
de  l'Eglise  catholique  par  la  succession  des 
évêques,  surtout  des  souverains  pontifes 
dans   la   chaire   de    Rome. 

Or,  le  raisonnement  de  ces  Pères  eût  été 
peu  solide  et  peu  concluant,  si  une  mis- 
sion eût  été  promise  dans  l'Evangile  ;  les 
hérétiques,  sans  se  mettre  en  peine  de 
justifier  leur  succession  ,  n'avaient  qu'à 
répondre  que  Dieu  les  avait  appelés  par 
une  vocation  extraordinaire ,  et  par  une 
'«réponse  si  courte  et  si  décisive  ils  au- 
raient aisément  réfuté  un  argument  que 
les  Pères  ivous  représentent  pourtant  com- 
me invincible. 

En  second  lieu  ,  les  protestants  nous  dis- 
pensent de  la  peine  de  contester  les  mi- 
racles de  leur  secte  naissante  ,  puisqu'ils 
avouent  de  bonne  foi  que  leurs  premiers 
pasteurs  n'en  ont  point  fait.  Cependant, 
c'est    par    les    œuvres    que    Jésus -Christ 


t03fJ 


ORAIEIRS  SACRES.  DE  SESMO.Mi. 


1040 


prouva  sa  vocation  ,  comme  je  l'ai  déjà 
dit,  et  c'est  sur  ce  fondement  que  Ter- 
i  ii  I  !  mu  ,  ayant  demandé  à  Hermogène  ei  à 
Nigidius  qu'ils  montrassent  le  titre  sur  le- 
quel ils  fondaient  leur  prétendu  apostolat, 
leur  adresse  ces  paroles  :  Vous  dites  que 
vous  êtes  de  nouveaux  apôtres  ?  je  veux 
donc  des  miracles  pour  reconnaître  votre 
mission  ;  et  ce  Père  ajoute  que  Jésus-Christ , 
en  choisissant  des  apôtres,  leur  donna  aussi 
le  pouvoir  de  faire  les  mêmes  prodiges  quil 
a  faits   lui-même. 

Je  sais ,  mes  très-chers  frères,  que  le 
progrès  subit  de.  la  réformation  est  allé- 
gué par  les  protestants  comme  la  preuve 
de  leur  mission  extraordinaire  ;  mais  il 
n'y  eut  jamais  de  raison  plus  équivoque 
que  celle-là  ;  et  combien  d'autres  sectes  , 
à  la  faveur  de  l'orgueil  de  l'esprit  ou  de 
la  corruption  des  mœurs  ,  ont  eu  un  ac- 
croissement plus  prompt  et  plus  étendu 
que  la  prétendue   réformation  ! 

Qu'une  loi  qui  enseigne  des  mystères  in- 
compréhensibles et  qui  combat  toutes  les 
inclinations  corrompues  de  la  uature,  s'é- 
tende et  se  multiplie  en  fort  peu  de  temps, 
rien  n'est  plus  surprenant;  et,  selon  le 
sentiment  de  tous  les  saints  Pères  ,  c'est 
une  preuve  décisive  et  évidente  de  la  vé- 
rité de  la  religion  chrétienne.  La  profon- 
deur de  ses  dogmes,  la  pureté  de  sa  mo- 
rale, la  pratique  des  vertus  inconnues  aux 
païens ,  la  mort  du  législateur  que  les  Juifs 
avaient  crucifié,  douze  apôtres  sans  nais- 
sance ,  sans  doctrine  et  sans  protection , 
les  préjugés  des  hommes  à  qui  on  prê- 
ebait  cette  loi ,  tout  cela  devrait ,  ce  semble, 
empêcher  son  établissement  ;  cependant  , 
malgré  ces  obstacles  ,  elle  fut  bientôt  re- 
çue dans  toutes  les  parties  du  monde.  Ce 
progrès  est  une  marque  de  sa  divinité , 
et  Dieu  seul  pouvait  faire  ce  grand  ou- 
vrage. 

Mais  rien  n'est  moins  étonnant  que  de 
voir  l'accroissement  d'une  secte  qui  assu- 
jettit les  mystères  au  raisonnement  hu- 
main, qui,  par  le  mépris  de  toute  auto- 
rité spirituelle ,  met  la  raison  dans  cette 
liberté  et  daus  celte  indépendance  que 
saint  Augustin  appelle  le  charme  secret  et 
fatal  des  esprits  présomptueux,  qui  dis- 
pense de  tous  les  préceptes  pénibles  de 
l'Eglise,  comme  du  carême,  de  la  con- 
fession, de  la  pénitence:  et  qui,  abolis- 
sant le  célibat  des  prêtres  et  les  vœux 
monastiques,  favorise  la  licence  et  la  cor- 
ruption. Toute  loi  qui  aura  pour  elle  l'or- 
gueil ,  la  concupiscence  et  la  vanité ,  ne 
in/ini, uci.i  jamais  de  s'étendre;  et,  bien 
loin  que  le  progrès  de  la  prétendue  ré- 
formation  soit  un  miracle  et  une  preuve 
de  sa  sainteté,  c'est  au  contraire  un  pro- 
dige de  sa  providence  d'avoir  préservé 
tant  d'autres  nations  de  cet  esprit  de  men- 
songe et  d'erreur  par  une  protection  visi- 
ble  de  sa  miséricorde   et  de  sa   bonté. 

Toutes  ces  raisons  que  nous  venons  d'é- 
tablir, mes  très-chers  frères,  et  l'impossi- 
bilité  do  prouver  uu,e  vocation  extraordi- 


naire, ont  obligé  les  protestant!  d'avoir 
recours  à  la  mission  ordinaire  que  les 
premiers  réformateurs  n'a  raient  osé  sou- 
tenir. Telle  a  été  leur  ressource  dans  la 
faiblesse  de  leur  cause,  et  la  gloire  de  OS 
système  est  due  principalement  au  minil  ra 
du   Moulin. 

Pour  l'éclaircissement  de  celle  matière  je 
dis  que  le  ministère  ordinaire  suppose  deux 
conditions i  sans  lesquelles  ce  serait  au  pas- 
teur une  témérilé  que  de  l'usurper,  et  aux 
fidèles  une  illusion  que  de  le  reconnaître  : 
il  faut  qu'il  soit  donné  par  l'ordination,  et 
que  l'ordination  soit  faite  par  un  évéque; 
l'une  ou  l'autre  de  ces  conditions  indispi  n- 
sables  et  essentielles  manquent  au  minis- 
tère des  protestants. 

Premièrement,  la  mission  ne  se  commu- 
nique que  par  l'ordination;  c'est  aux  nova- 
teurs à  nous  montrer  dans  l'Ecriture  ou 
dans  la  tradition  un  seul  exemple  que  les 
laïques  aient  conféré  la  mission.  Nous 
sommes  d'aulant  plus  en  droit  de  leur  de- 
mander cet  exemple,  que,  selon  leurs  prin- 
cipes, les  dogmes  de  la  foi  doivent  être 
fondés  sur  l'autorité  des  saintes  lettres. 
Nous  voyons  dans  les  Actes  des  apôtres  que 
l'assemblée  des  fidèles  élut  les  sept  diacres  ; 
mais  ils  furent  ensuite  présentés  aux  apô- 
tres pour  être  ordonnés  (Act.,  VI).  11  y 
a  une  grande  différence  entre  le  choix  et 
l'ordination.  Les  peuples  ont  quelquefois 
choisi  leurs  pasleurs  ,  et ,  dans  le  Pon- 
tifical romain,  avant  que  l'évêque  impose 
les  mains  aux  ordinands,  il  demande  le 
témoignage  des  fidèles  ;  et  la  raison  qu'en 
apporte  l'Eglise,  c'est  que  l'on  obéit  avec 
plus  de  docilité  à  celui  dont  on  a  approuvé 
l'ordination  ;  mais  le  pouvoir  d'ordonner 
est  le  privilège  de  l'épiscopat.  Saint  Paul 
ne  dit  pas  à  Tite  qu'il  obligeât  les  villes 
de  Crète  d'ordonner  les  prêtres,  mais  il  le 
laissa  dans  celle  île  afin  qu'il  en  ordon- 
nât lui-même.  Il  recommanda  à  Timolhée 
de  ne  pas  imposer  les  mains  avec  pré- 
cipitation ,  et  il  assure  que  cette  sainte 
fonction  n'est  pas  moins  l'attribut  que  le 
devoir  de  son   caractère. 

Or,  combien  y  a-t-il  d'églises  protes- 
tantes dans  ce  royaume  dont  les  premiers 
pasteurs  n'ont  eu  d'aulre  mission  que  celle 
qu'une  troupe  tumultueuse  de  laïques  igno- 
rants leur  conférait?  Pierre  le  Clerc,  car- 
deur  de  laine,  comme  chacun  sait,  fut 
établi  ministre  de  Meaux  par  une  multi- 
tude de  cardeurs  et  de  foulons  de  la  même 
ville.  Jean  Masson  la  Rivière  fut  appelé 
au  ministère  do  l'église  protestante  de  Pa- 
ris par  une  compagnie  de  laïques,  et  sans 
avoir  reçu  l'imposition  des  mains.  Les  enli- 
ses de  Metz  ,  d'Orléans  el  de  Senlis  fu- 
rent ainsi  fondées  par  des  artisans  disper- 
sés après  la  mort  de  Pavéua  ,  que  Bèn 
appelle  le  premier  martyr  de  la  reforme. 

Ces  premiers  pasteurs  n'étaient  donc  point 
des  pasleurs  véritables,  puisqu'ils  n'étaient 
point  ordonnés.  C'est  en  vain  que  les  pro- 
testants justifient  celte  conduite  par  les  be- 
soins de  ces  eulises  naissautes  el  deiui-for- 


1041 


LETTRE  PASTORALE  AUX  NOUVEAUX  CATHOLIQUES  DE  MONTAUBAN. 


1042 


mées.  on  ne  peut  dans  aucun  cas  conférer 
la  mission  que  selon  l'ordre  prescrit  par 
Jésus-Christ  et  pratiqué  par  les  apôtres. 
La  tradition  a  prévu  les  cas  de  nécessité 
pour  le  baptême,  et  a  déclaré  qu'un  laïque 
en  pouvait  être  le  légitime  ministre  ;  mais 
elle  n'a  jamais  dit  que  dans  de  certaines 
circonstances  les  peuples  étaient  en  droit 
de  donner  la  mission  aux  pasteurs  qu'ils 
avaient  choisis,  fondés  sur  des  systèmes 
chimériques  et  qui  sont  l'ouvrage  de  l'ima- 
gination et  de  l'esprit.  Le  point  le  plus 
essentiel  de  la  religion  est  une  illusion  si 
funeste ,  que  l'on  ne  peut  assez  la  déplorer, 
et  ceux  qui  vivent  sous  ce  ministère  usurpé 
devraient  enfin  connaître  que  s'ils  n'ont 
point  de  pasteurs  ils  n'ont  point  d'église  ; 
et  que,  contre  l'autorité  claire  et  évidente 
de  l'Ecriture  et  de  la  tradition  ,  ils  hasar- 
dent visiblement  leur  salut  sur  des  hypo- 
thèses. 

En  second  lieu,  non-seulement  les  laïques 
n'ont  aucun  droit  de  conférer  la  mission , 
mais  les  prêtres  mêmes  ne  peuvent  s'at- 
tribuer ce  pouvoir,  et  les  évêques  seuls, 
par  l'éminence  de  leur  caractère  et  par 
l'institution  de  Jésus-Christ  déclarées  par  la 
tradition  ,  ont  le  privilège  d'imposer  les 
mains.  La  seconde  Apologie  adressée  par 
saint  Athanase  à  l'empereur  Constance 
rapporte  qu'lschiras  n'était  point  regardé 
comme  prêtre ,  parce  qu'il  avait  été  or- 
donné par  Colluthe  ,  qui  n'était  point  évê- 
que  ,  quoiqu'il  prétendît  l'être ,  et  qu'il 
avait  été  réduit  à  l'ordre  des  prêtres  par 
Osius  et  par  le  concile  d'Alexandrie.  Saint 
Epiphane  ,  dans  son  livre  des  Hérésies , 
assure,  contre  Aérius  ,  que  le  ministère 
des  prêtres,  ne  pouvant  donner  des  pères 
à  l'Eglise ,  lui  donne  des  enfants  spiri- 
tuels par  le  sacrement  de  la  régénération. 
Saint  Jérôme,  que  Blondel ,  Saumaise  et 
Daillé  citent  comme  favorable  à  leur  sen- 
timent, déclare  en  termes  formels,  dans 
sa  lettre  à  Evagrc  ,  que  le  pouvoir  d'im- 
poser les  mains  et  d'ordonner  est  telle- 
ment propre  à  l'évêque  ,  qu'il  ne  peut  ja- 
mais appartenir  au  prêtre.  Et  pour  vous 
donner,  mes  très-chers  frères,  un  exemple 
de  cette  vérité  qui  vous  soit  connu,  vous 
savez  que  les  ministres  presbytériens  ne 
sont  admis  à  l'exercice  de  leur  ministère 
dans  l'Eglise  anglicane  qu'après  avoir  reçu 
l'Imposition  des  mains  des  évêques  ;  et  c'est 
une  preuve  décisive  que  ceux  qui  exigent 
celle  condition  ,  aussi  bien  que  ceux  qui 
s'y  soumettent,  regardent  également  la 
mission  des  presbytériens  comme  insoute- 
nable et   insuffisante. 

Puisque  le  point  du  ministère  est  le  plus 
essentiel  des  controverses  ,  et  que ,  selon 
la  méthode  de  prescription  ,  il  décide  seul 
toutes  les  disputes  ,  suivant  l'aveu  même 
des  protestants,  résumons  en  peu  de  mois, 
dans  un  argument  clair  et  concluant ,  tout 
ce  (jue  nous  venons  de  dire  sur  cette  ma- 
tière. Tout  ministère  qui  n'est  point  auto- 
risé clairement  par  l'Ecrilurc  sainte  et  par 
la  iradiliou   est  faux  et  illégitime.  Or,  ce- 


lui des  protestants  n'est  fondé  ni  sur  les 
saintes  Ecritures  ni  sur  les  Pères,  puis- 
que l'on  n'a  jamais  vu  des  laïques  don- 
ner la  mission  et  imposer  les  mains  à  leurs 
pasteurs,  ni  des  prêtres  ordonner  des  prê- 
tres ;  donc  le  ministère  des  protestants  est 
faux  et  usurpé,  et  par  conséquent  ils  n'ont 
point  d'Eglise ,  et  leur  société  est  notoi- 
rement schismatique   et  illégitime. 

Si  Dieu  a  attaché  par  sa  volonté  et  par 
l'ordination  à  la  mission  successive  une 
fécondité  spirituelle  qui  en  assure  la  durée, 
il  s'ensuit  que  l'Eglise  qui  est  gouvernée 
par  ce  ministère  établi  par  Jésus-Christ 
est  toujours  visible,  toujours  durable,  tou- 
jours infaillible. 

C'est  cet  article  de  l'Eglise  qui  a  fait  le 
plus  grand  embarras  des  ministres  pro- 
testants depuis  le  commencement  de  la  ré- 
formation. Ils  ont  sans  cesse  changé  de 
système  sur  ce  point.  Quand  ils  ont  voulu 
expliquer  l'essence  de  l'Eglise,  les  uns  l'ont 
Irop  resserrée,  les  autres  l'ont  trop  éten- 
due, ceux-ci  la  composent  de  l'amas  de 
toutes  les  sectes  du  christianisme,  pourvu 
qu'elles  ne  détruisent  pas  les  vérités  fon- 
damentales; ceux-là  au  contraire  la  font 
consister  dans  les  seuls  prédestinés.  Tan- 
tôt pressés  par  la  question  que  l'on  leur 
fait,  où  était  leur  société  avant  la  sépa- 
ration, ils  ont  été  contraints  de  nier  la 
visibilité  de  l'Eglise  et  de  n'y  mettre  que 
des  élus  invisibles  et  connus  de  Dieu  seul. 
Tantôt,  dans  l'impossibilité  de  répondre  à 
l'argument  de  saint  Augustin  et  d'Optat , 
qu'il  y  a  une  Eglise  dont  il  n'était  jamais 
permis  de  se  séparer,  ils  ont  pris  le  parti 
de  dire  que  celte  Eglise  est  l'enceinte  gé- 
nérale de  toutes  les  communions  chrétien- 
nes. Enfin ,  condamnés  par  tous  les  con- 
ciles, ils  n'ont  point  eu  d'autres  ressour- 
ces que  d'eu  nier  l'infaillibilité.  Ainsi  leurs 
intérêts  ont  toujours  fait  leurs  principes; 
mais  un  catholique  puise  les  siens  dans 
les  sources  mêmes  que  le  Saint-Esprit  lui 
a  enseignées,  et,  au  lieu  qu'un  protestant 
préfère  son  esprit  particulier  à  toute  au- 
torité ,  et  qu'il  croit  qu'un  simple  et  qu'un 
ignorant  pourrait  mieux  entendre  l'Ecri- 
ture sainte  que  tous  les  conciles,  fussent- 
ils  composés  de  tous  les  pasteurs  les  plus 
habiles  et  les  plus  pieux  qui  soient  dans 
toutes  les  parties  du  monde  chrétien,  un 
catholique  au  contraire  ,  et  plus  humble  et 
plus  prudent,  soumet  sa  faible  raison  à  un 
tribunal  légitime  et  infaillible  que  Dieu  a 
établi  pour  le  gouverner  et  pour  le  con- 
duire. 

Ces  deux  propositions  des  protestants  que 
je  viens  de  loucher  ne  sont  point  fausse- 
ment imputées.  La  première  est  en  termes 
exprès  dans  l'article  k  de  leur  confession  de 
foi  :  Nous  connaissons  ces  livres  être  canoni- 
ques et  la  règle  très-certaine  de  notre  foi,  non 
tant  par  le  commun  accord  et  consentement 
de  l'Eglise,  que  par  le  témoignage  et  persua- 
sion intérieure  du  Saint-Esprit,  qui  nous  le 
fait  discerner  d'avec  le*  autres  livres  ecclésias- 
tiques. Voilà  bien  clairement  le  propre  esprit 


1043 


ORATEURS  SACRES.  DE  NESMOSD. 


i   L4 


préféré  à  loulc  autorité.  El  la  seconde  pro- 
position ,  que  tout  simple  cl  tout  ignorant 
peut  iniciiv  entendre  les  Ecritures  (|ue  tous 
les  conciles  oecuméniques,    a  été  avouée  p  ir 

un  ministre  habile  dans  une  conférence  célè- 
bre qui  n'est  ignorée  de  personne.  En  faut-il 
davantage,  mes  très-cher»  Itères,  pour  re- 
noncer à  une  secte  dont  tous  les  principes 
np  tendent  qu'à  favoriser  l'illusion,  l'orgueil 
et  l'indépendance. 

Il  est  donc  nécessaire  que  l'Eglise  soit  tou- 
jours visible,  et  l'apôlre  taint  Paul  enseigne 
clairement  cette  vérité  [Ephes.,  IV).  Jésus- 
Christ  a  donné  à  son  Eglise  les  uns  pour  être 
apôtres,  les  autres  pour  être  prophètes,  les 
autres  pour  être  pasteurs  et  docteurs,  aiin 
qu'ils  travaillent  à  la  perfection  des  saints, 
aux  fonctions  de  leur  ministère  et  à  l'édifica- 
tion du  corps  du  Christ.  L'Eglise  par  consé- 
quent est  une  société  composée  de  pasteurs 
et  de  peuples  :  les  uns  sont  établis  pour  des 
fonctions  visibles,  qui  sont  la  prédication  de 
la  parole  et  l'administration  des  sacrements; 
et  les  autres  sonl  obligés  d'écouter  ces  pas- 
teurs, auxquels  la  Providence  les  a  soumis. 

Or,  avant  que  la  colère  de  Dieu  eût  donné 
Luther  à  'a  terre,  et  que  cet  hérésiarque  eût 
éprouvé  tant  de  forts  et  séduit  tanl  de  faibles, 
y  avait-il  une  Eglise  qui,  semblable  à  celle 
des  protestants  d'aujourd'hui,  fût  unie  par 
1-es  mêmes  sacrements,  par  la  confession  pu- 
blique des  mêmes  dogmes,  et  par  un  minis- 
tère connu,  prêchant,  enseignant,  baptisai)'., 
tel  enfin  que  l'Ecriture  sainte  nous  dépeint 
le  ministère  de  la  véritable  Eglise?  Y  avail- 
t-il  une  société  séparée  des  catholiques  que 
l'on  pût  démontrer  et  désigner,  en  sorte  que 
l'on  pût  dire,  voilà  l'Eglise?  Avait-elle  cette 
universalité  et  celle  étendue  dans  toutes  les 
parties  du  monde  qui  la  fit  proprement  ca- 
tholique, et  que  tous  les  Pères  regardent 
comme  essentielle  à  la  vraie  religion?  Avait- 
elle,  cette  Eglise,  quelque  marque  extérieur..: 
rcconnaissable  aux  fidèles,  qui  dans  leurs 
doutes  ou  dans  leurs  nécessites  spirituelles 
avaient  besoin  de  ses  décisions  et  de  ses  se- 
cours? Avait-elle  le  pouvoir  de  lier  et  de  dé- 
lier? Y  réconciliait-on  les  pénitenls  et  y  punis- 
sait-on ceux  qui  élaient  dignes  de  ses  ana- 
thèmes  et  de  ses  censures?  Si  les  protestants 
ne  peuvent  nous  prouver  cette  société  avec 
les  marques  qui  sont  essentielles  à  l'Eglise, 
nous  sommes  en  droit  de  conclure  que  la 
leur  est  une  secte  nouvelle,  et  que  cette  in- 
visibilité prétendue  est  d'autant  plus  chimé- 
rique, que,  quoiqu'il  soit  parlé  de  l'Eglise 
dans  l'Ecriture  presque  à  chaque  page,  elle 
n'est  pourtant  représentée  dans  aucun  en- 
droit comme  un  corps  invisible  cl  inconnu 
aux  fidèles  mêmes  qui  la  composent. 

C'est  ainsi  que  l'apôtre  saint  l'aul  nous 
enseigne  encore,  que  l'Eglise,  qui  n'a  ni  ta- 
che ni  ride,  est  celle  que  Jésus-l'lirist  sanctifie 
visiblement  dans  Je  Oth/Uéme  de  l'eau  ]>ar  la 
parole  (Ephes.,  V)  ;  et  tous  les  saints  Pères 
nous  apprennent  qu'elle  est,  selon  le  cin- 
quième chapitre  de  saint  Matthieu,  In  ville 
D  lie  sur  In  montagne  qui  ne  peut  être  tac 
tomme  aussi  lu  lumpc}   que  l'on  ne  met  pas 


sous  le  boisseau,  mais  sur  le  chandelier ,  afin 
•■  ei,{  :  fui  $OUi  d<in.-  lu  mai- 
son. Dans  ce  sens,  saint  Augustin  <lil  que 
l  l.qlise  a  œil  m  que  ttr laine,  qu'elle  ne 
peut  être  cachée,  que  la  secte  de  Douât  était 
inconnue  à  plusieurs  nations,  et  que  par  con- 
séquent elle  n'élait  jjoint  l' Lglise  i(  onlr. 
l'elil.,  10.1;.  Et  la  anlioo  de  celle  visibilité 
est  si  naturelle  el  si  re,  que  ''  '  •!•■ 

(  liisme,  la  discipline  et  la  confession  de  foi 
des  protestants  mêmes,  qui  la  ment,  ne  par- 
lent jamais  de  l'Eglise  que  sous  l'idée  d'une 
société  qui  a  des  marques  et  des  fonctions 
qui  la  rendent  toujours  certaine  el  toujours 
visible. 

J'ajoute  que  l'argument  de  saint  Augustin 
e<t  plus  fort  et  plus  concluant  contre  les  pro- 
testants qu'il  ne  l'était  contre  les  donatist 
Les  prolestants,  au  moins  la  plupart ,  con- 
viennent que  leur  Eglise  avant  la  séparation 
n'avait  ni  visibilité  ni  étendue,  et  les  doua- 
tisles  s'attribuaient  et  l'une  el  l'autre  de  ces 
deux  marques.  Ils  avaient  un  éveque  dans 
Rome  même,  et  un  petit  nombre  de  secta- 
teurs africains  qui  y  habitaient.  Ils  mon- 
traient une  de  leurs  églises  eu  Espagne, 
fondée  par  les  soins  el  par  le  secours  d'un  ■ 
femme  nommée  Eucile.  Ils  prétendaient  au-vi 
que  le  conciliabule  de  Philippopoli  ,  qu'ils 
confondaient  faussement  avec  le  concile  de 
Sardique,  avait  écrit  des  lettres  de  coimiiu* 
nion  à  Douât,  faux  évéquede  Carlhage.Et  si 
sur  cet  exemple  les  protestants  veulent 
descendre  des  henriciens,  des  vaudois  ou 
des  albigeois  (dont  néanmoins  les  dogmes 
étaient  très-différents  des  leurs),  nous  leur 
dirons  ce  que  disait  saint  Augustin  aux  d  >- 
nalsles,  que  ces  sectes  étaient  renferm 
dans  un  petit  coin  de  la  terre,  proscrites  par 
toules  les  Eglises  du  monde,  inconnues  à 
toutes  les  nations,  à  peine  connues  à  à 
mêmes.  Et  nous  leur  répéterons  sans  cesse 
ces  paroles  du  même  l'ère  :  Muntrez-nous 
qu'elles  communiquaient  avec  tous  les  peuples 
de  la  terre. 

Je  sais  que  les  novateurs  fondent  une  fai- 
ble objection  sur  ce  qui  est  rapporté  dans  le 
dix-neuvième  chapitre  du  troisième  livre  des 
Rois,  où  Dieu  dit,  qu'il  s'était  réservé  sept 
mille  fidèles  dans  Israël  qui  n'avaient  point 
fléchi  le  genou  devant  liaal.  D'où  ils  infèrent 
qu'il  peut  y  avoir  une  Eglise  composée  de 
seuls  justes  qui  ne  sont  connus  que  de  Dieu. 
Mais  il  est  étonnant  que  les  ministres  veu- 
lent encore  mettre  en  œuvre  une  difficulté 
dont  la  solution  est  si  facile  el  si  évidente. 
Jamais  l'Eglise  judaïque  ne  fui  moins  caclie<i 
qu'elle  t'était  dans  le  temps  où  les  sept  nulle 
justes  ne  voulurent  pas  adorer  l'idole.  C'était 
en  Israël  schisme  tique  et  sous  le  règne  de 
l'impie  Achab  que  se  passa  cet  événement; 
niais  dans  le  royaume  de  Jud  i,  sous  l'empire 
du  pieux  Josapbal,  on  adorait  Dieu  on  Jéru- 
salem. Le  temple,  les  sacrifiées,  la  loi . 
pontifes,  les  docteurs,  rendaient  la  religion 
judaïque  très-visinle  et  irès-tloris-anle  ;  un 
grand  nombre  de  Juifs  qui  étaient  en  Israël 
reoail  adorer  Dieu  et  observer  la  loi  dan 
sainte  cité.  La  commuuion  des  Juifs  était  doue 


1045  LETTRE  PASTORALE  AUX  NOUVEAUX  CATHOLIQUES  DE  MONTAUBAN. 


1040 


visible,  et  les  protestants  ne  pouvaient  citer 
un  exemple  moins  concluant  de  leur  préten- 
due invisibilité  que  ce  fait  célèbre  que  le 
cardinal  du  Perron  a  si  doctement  éclair  ci 
dans  le  quatre-vingt-cinquième  chapitre  de 
>a  réplique  à  Jacques  1er,  roi  d'Angleterre. 

Si  l'Eglise  est  nécessairement  visible  et 
connue,  elle  est  aussi  infaillible  par  son  es- 
sence; puisque,  selon  le  témoignage  de  saint 
Paul,  elle  est  la  base  et  la  colonne  de  la  vérité; 
qu'elle  détermine  par  ses  décisions  ce  que 
nous  devons  croire,  de  peur  que  nous  ne 
tournions  fans  cesse  à  tout  vent  de  doctrine; 
qu'elle  réprime  les  contredisants  qui  com- 
battent ou  ses  dogmes  ou  ses  pratiques;  et 
que,  dépositaire  des  secrets  de  Jésus-Christ, 
elle  nous  explique  ce  qu'il  a  voulu  révéler 
pour  l'instruction  de  noire  foi  et  pour  l'édi- 
fice de  notre  salut. 

Et  en  effet,  tous  les  attributs  de  l'Eglise 
sont  clairement  marqués  dans  les  derniers 
versets  de  l'Evangile  de  saint  Matthieu. 
Lorsque  le  Sauveur  du  monde  confia  sa  mis- 
sion aux  disciples  qui  étaient  en  Galilée  sur 
la  montagne,  il  leur  dit  :  Allez  dans  toutes 
les  parties  du  monde,  et  instruisez  tous  les 
peuples  (voilà  l'étendue  de  i'Eglise),  baptisez 
au  nom  du  Père,  et  du  Fils,  et  du  Saint-Es- 
prit (c'est  son  ministère  public  et  visible); 
assurez-vous  que  je  suis  moi-même  avec  vous 
(c'est  son  infaillibilité)  jusqu'à  la  fin  du  monde 
(voilà  sa  durée  et  sa  perpétuité).  Et  cette 
promesse  ne  s'adresse  pas  seulement  aux 
disciples,  mais  encore  au  corps  de  tous  les 
pasteurs  de  siècle  en  siècle.  Comme  nous 
sommes  les  héritiers  du  ministère  des  apô- 
tres, nous  le  sommes  aussi  de  leur  pouvoir; 
nous  avons  leurs  privilèges,  quoique  nous 
n'en  ayons  pas  la  sainteté,  et  s'ils  ont  été  les 
témoins  de  la  révélation,  nous  en  sommes 
les  dépositaires  et  les  interprètes,  par  cette 
assistance  du  Saint-Esprit  promise  à  l'Eglise 
jusqu'à  la  consommation  des  siècles. 

C'est  en  vertu  de  celte  promesse  que  les 
apôtres  s'assemblèrent  à  Jérusalem  (Act., 
XV)  pour  décider  si  la  circoncision  selon  la 
pratique  de  la  loi  de  Moïse  était  nécessaire  à 
ceux  qui  embrassaient  la  foi  de  Jésus-Christ, 
et  qu'ils  prononcèrent  sur  cette  question 
avec  une  entière  certitude  d'infaillibilité  ex- 
primée par  cette  formule  :  Il  a  semblé  bon  au 
Saint-Esprit  et  à  noxis.  Ils  envoyèrent  en- 
suite Barnabe  et  Paul  à  tous  les  fidèles,  non 
pas  pour  leur  dire  d'examiner  s'ils  avaient 
bien  jugé,  mais  pour  leur  ordonner  d'obéir 
à  leurs  décisions.  Telle  est  l'autorité  de  l'E- 
glise sur  les  fidèles,  et  telle  est  l'obéissance 
que  les  fidèles  doivent  à  l'Eglise.  Sur  ce  fon- 
dement saint  Augustin  nous  apprend,  que 
quiconque  ne  veut  pus  cire  trompé  dans  lin- 
l<  lliqcnce  des  Ecritures,  n'a  qu'à  consulter 
l'Eglise,  et  qu'il  u aurait  pas  cru  à  l'  Evangile 
ni  f 'autorité  de  ce  tribunal  infaillible  ne  l'y 
obligeait  (Conlr.  Cresc.  lib.  I,  cap.  33)  :  et 
dans  le  treizième  chapitre  du  Symbole  a- 
dreisé  aux  catéchumènes,  il  ajoute,  que  les 
portes  de  l'enfer  ne  prévaudront  jamais  con- 
tre cette  Eglise,  qui  n'est  sortie  d'aucune  au- 
tiesociété,et  dont  toutes  les  sectes  sont  sorties; 


qui  a  été  souvent  attaquée  par  les  hérétiques, 
mais  qui  n'a  jamais  été  vaincue;  qui  est  la 
tige,  la  racine  et  la  mère  de  tous  les  fidèles, 
dont  on  ne  saurait  se  séparer  sans  crime  et 
sans  être  regardé  comme  un  sarment  inutile 
retranché  de  la  vigne-  Et  c'est  ce  qui  faisait 
dire  à  saint  Cyprien,  que  celui-là  n'aura  pas 
Dieu  pour  père  qui  n'a  pas  l'Eglise  pour  mère 
(Lib.  de  Unit.)  ;  et  à  Facundus,  évoque  d'Hcr- 
miane  en  Afrique,  qu'il  faut  croire  avec  cer- 
titude que,  toujoursdiriqée  par  l'esprit  de  Dieu, 
elle  ne  peut  ni  nous  tromper  ni  être  trompée. 
Or,  si  l'Eglise  a  été  une  fois  infaillible, 
elle  doit  l'êtr'e  toujours.  Comme  elle  tire  son 
aulorilé  des  promesses  de  Jésus-Christ,  qui 
ne  sont  limitées  ni  à  aucun  temps  ni  à  aucun 
siècle,  il  s'ensuit  que  ses  décisions  seront 
toujours  véritables  et  que  son  infaillibilité 
n'aura  d'autres  bornes  que  celle  que  la  puis- 
sance de  Dieu  donnera  à  la  durée  du  monde 
même. 

De  plus,  à  quels  dangers  ne  serions-nous 
pas  exposés  si  nous  n'avions  pas  cette  auto- 
rité pour  nous  déterminer  dans  les  matières 
de  la  foi  et  dans  les  disputes  qui   s'élèvent 
tous  les  jours  poui  l'intelligence desEcritures? 
Ce  livre  divin  est  une  lettre  morte  qui,  selon 
le  témoignage  de  l'apôtre  saint  Pierre,  a  été 
à  plusieurs  une  occasion  de  chute  (  I  Petr. ,  II  ), 
et  tous  les  hérétiques  se  glorifient  faussement 
d'y  trouver  la  preuve  de  leurs  opinions.  Com- 
bien y  a-l-il  de  chrétiens,  mes  frères,  qui  sont 
incapables  de  se  déterminer  par  eux-mêmes 
et  par  leurs  lumières,  qui  ignorent  les  langues, 
et  par  conséquent  la  fidélité  des  versions  l 
Un  père  protestant,  qui   veut  élever  ses  en- 
fants selon  les  principes  de  la  secte,  doit  leur 
présenter  l'Ecriture ,  et,  sans  leur   inspirer 
des  préjugés  sur  la  religion,  leur  dire  de  la 
chercher  dans  ce  sain!  livre.  U  faut  exami- 
ner de  nouveau   toutes  les  hérésies  qui   se 
sont  élevées   depuis    le   commencement  du 
christianisme.  Si  l'Eglise,  qui  les  a  condam- 
nées, n'est  pas  infaillible,  on  n'en  doit  pas 
croire  aveuglément  à  ses  décisions;  et  il  est 
juste  de  voir  par  soi-même  si  ces  sectes  ont 
été  justement  ou  injustement  proscrites.  No- 
tre vie  fût-elle  quatre  fois  plus  longue,  suffi- 
rait-elle à  un  examen  impossible  à  plusieurs, 
difficile  à  lous  ?  Nos  distractions,  nos  négli- 
gences,   nos  occupations,   notre  ignorance, 
peuvent-elles  nous  le  permettre?  On  court 
risque  ou  de  se  tromper  en  suivant  son  pro- 
pre esprit,  ou  de  se  décourager  dans  l'em- 
barras du  choix  de  ses  opinions.  Ainsi  tout 
homme  qui  préfère  sa  faible  raison  à  la  force 
de  l'autorité  n'a  pour  tout  fruit  de  son  tra- 
vail que  l'illusion  ou  le  désespoir. 

Si  nous  vous  demandions,  mes  très.-chers 
frères,  pourquoi  vous  croyez  que  le  Verbe 
est  consubslantiel  à  son  Père,  que  le  Saint- 
Esprit  procède  également  du  Père  et  du  Fils, 
qu'il  y  a  dans  Jésus-Christ  une  personne,  et 
deux  natures  ,  et  si  nous  attestions  votre 
bonne  loi,  vous  nous  répondriez  que  les  dé- 
cisions des  conciles  de  Nicce,  de  Conslanti- 
nople  ,  d'Kphèse  et  de  Chaicédoine  ,  sont  les 
motifs  de  vota) créance  dans  tous  ces  points* 
là.  C'est  donc  sur  la  foi  de  ces  cou.  îles,  dout 


1047 


ORATEURS  SACRES.  DE  NESMOND. 


!Ui8 


la  confession  des  Eglises  protestante!  de 
France  reconnaît  la  sainteté,  que  vous  n'êtes 
ni  ariens,  ni  macédoniens,  ni  nestoriens,  m 
outycliiens.  V'ons  avez  même  reçu  les  Ecri- 
tures dis  mains  de  l'Eglise;  et,  puisque  vous 
êtes  chrétiens  par  autorité,  pourquoi  ne 
serez-vous  pas  aussi  catholiques  par  au- 
torité ? 

Tous  ces  principes  sont  tirés  de  la  doc- 
trine de  saint  Augustin,  qui,  dans  un  excel- 
lent livre  intitulé  :  l'Utilité  de  la  créance  par 
autorité,  prouve  en  premier  lieu  l'infaillibi- 
lité de  l'Eglise  par  les  Ecritures,  et  se  sert 
en  second  lieu  d'un  autre  argument  très- 
concluant  et  très-décisif,  dont  voici  la  sub- 
stance et  l'abrégé. 

La  Providence,  dit  ce  Père,  doit  à  tous  les 
fidèles  ,  mais  plus  encore  aux  ignorants 
qu'aux  doctes,  un  moyen  facile,  évident  et 
abrégé  pour  arriver  à  la  connaissance  des 
dogmes  que  Dieu  a  révélés  et  qui  sont  néces- 
saires au  salut.  Or,  ce  moyen  ne  peut  être 
l'examen  des  dogmes  particuliers  de  la  reli- 
gion, puisque  les  simples  et  les  ignorants  ne 
sont  pas  capables  d'une  discussion  si  longue 
et  si  difûcile.  Donc  il  ne  leur  reste  que  la 
voie  de  l'autorilé  pour  savoir  ce  qu'ils  doi- 
vent croire  ou  rejeter.  Si  cette  voie  est  uni- 
que, ajoutesaint  Auguslin,elle  est  sans  con- 
tredit vraie  et  infaillible;  autrement  Dieu 
conduirait  le  chrétien  aux  vérités  de  la  foi 
par  un  moyen  ou  faux  ou  douteux  ;  ce  qui 
serait  d'un  côté  contraire  à  sa. bonté  et  à  sa 
justice,  et  laisserait  de  l'autre  l'ignorant 
dans  l'impossibilité  de  se  déterminer  et  de 
choisir. 

Mais  il  est  encore  vrai,  continue  le  même 
Père,  que  Dieu  doit  donner  à  celte  autorité 
des  marques  extérieures,  indépendantes  de 
l'examen  du  fond,  fortes,  claires  et  sensi- 
bles, pour  la  discerner  entre  toutes  les  sectes 
qui  s'attribuent  le  titre  et  le  nom  d'Eglise. 
Ces  preuves  sont  les  miracles  ,  les  conciles  , 
l'étendue,  la  succession  du  ministère  et  de 
la  doctrine.  Les  proieslants  ne  contestent  pas 
ces  marques  à  l'Eglise  catholique,  et  ils  con- 
viennent qu'elle  seule  a  été  dans  tous  les 
siècles  la  plus  étendue  de  toutes  les  sociétés 
chrétiennes,  que  les  conciles  et  la  mission 
successive  lui  appartiennent.  Ils  nient  les 
miracles,  mais  peuvent-ils  désavouer  ceux 
qu'a  affirmés  et  crus  saint  Augustin  (De  Ci- 
vit.  Dei,  lib.  XXII),  et  qui  sont  aussi  des 
preuves  pour  nous,  puisque  res  prodiges  ont 
été  souvent  les  effets  de  l'invocation  des 
saints  et  de  la  vénération  de  leurs  reliques  ? 
Or,  conclut  ce  Père,  ces  marques  extérieu- 
res suffisent  pour  déterminer  l'ignorant  à 
choisir,  sans  un  plus  grand  examen,  l'Eglise 
catholique  par  préférence  aux  autres  socié- 
tés. Et  toutes  les  subtilités  des  hérétiques  ne 
sauraient  affaiblir  l'impression  que  ces  preu- 
ves font  dans  les  esprits  même  les  plus  pré- 
venus. 

J'ajoute  encore,  mestrès-chers  frères,  qu'il 
y  a  aussi  dans  les  dogmes  par'iculiers  cer- 
tains préjugés  extérieurs  suffisant  pjonr  dé- 
terminer l'ignorant  à  les  croire  sans  exami- 
ner le  fond  de  ces  dogmes.  Qu'on  lui  dise, 


par  exemple,  que  tonte  l'antiquité  a  cru  l'u- 
tilité de  l'invocation  des  saints  et  la  prière 
pour  les  morts;  que  CCI  p.-atiques  ont  été 
aussi  llorissantes  dans  les  plus  beaux  jours 
de  l'Eglise  primitive  qu'elles  le  sont  aujour- 
d'hui ;  que  sainl  Augustin  et  tous  les  Pères 
les  plus  éminenls  en  sainteté  et  en  science, 
et  voisins  du  siècle  des  apôtres,  ont  professé 
ces  vérités  ;  qu'il  n'est  pat  <  rowible  que  ces 
grands  hommes  aient  été  asseï  malins  pour 
le->  inventer  ni  assez  simples  pour  les  croire, 
s'ils  ne  les  avaient  reçues  de  la  tradition 
apostolique;  qu'il  ne  parait  dans  la  pratique 
de  ces  dogmes  aucun  vestige  d'innovation  ou 
d'invention  humaine  :  que  l'on  dise  enlin  à 
cet  ignorant  que,  malgré  ces  époques  avouées 
des  protestants  mêmes,  Luther,  dans  le  sei- 
zième siècle,  est  venu  troubler  celte  posses- 
sion et  combattre  les  dogmes  de  l'Eglise  ca- 
tholique, ce  préjugé  seul  suffira  pour  déter- 
miner cet  ignorant,  et  il  dira,  en  comparant 
l'autorité  de  tous  les  Pères  avec  celle  de  Lu- 
ther et  de  Calvin,  ce  que  disait  autrefois 
saint  Augustin  sur  la  matière  de  la  grâce  de 
Jésus-Christ  :  Est-il  possible  que  dans  une  vé- 
rité aussi  importante  à  ï Eglise,  Pelage,  Cé- 
leslius  et  Julien  soient  éclairés,  et  qu'Hilaire, 
Grégoire,  Ambroise  et  tant  de  conciles  soient 
aveugles  ! 

Enfin  la  notion  d'une  autorité  infaillible 
et  nécessaire  est  si  forte  et  si  évidente  ,  que 
les  protestants  la  reconnaissent  dans  leurs 
synodes.  Ils  la  nient  à  la  vérité  dans  sa  sépa- 
ration ,  mais  leur  discipline  établit  une  sou- 
mission aveugle  qu'ils  refusent  à  la  vraie 
Eglise.  Cette  tyrannie  qu'ils  nous  reprochent 
est  devenue  leur  usage.  Ils  s'attribuent  sur 
les  consciences  cette  domination  qu'ils  ne 
veulent  pas  accorder  à  nos  conciles;  et  dans 
ce  point  comme  en  beaucoup  d'autres,  leur 
pratique  dément  leurs  principes. 

On  sait  qu'ils  ont  quatre  degrés  de  juridic- 
tion dans  les  disputes  qui  s'élèvent  sur  les 
matières  delà  foi,  le  con>isloire,  le  colloque, 
le  synode  provincial  et  le  synode  national. 
Et  il  est  à  propos  d'observer  ici  la  forme 
des  lettres  d'envoi  que  l'on  donne  à  ceux 
qui  sont  députés  par  les  provinces  au  synode 
national,  cl  qui  fut  dressée  à  Vitré  en  1017. 
Nous  promettons  devant  Dieu  de  nous  sou- 
mettre à  tout  ce  gui  sera  conclu  et  résolu  en 
votre  assemblée,  y  obéir  et  l'exécuter  de  tout 
notre  pouvoir,  persuadés  que  nous  sommes 
que  Dieu  y  présidera  et  vous  conduira  en  son 
Saint  Esprit  en  toute  vérité  et  équité  par  la 
règle  de  sa  parole  ,  pour  le  bien  et  pour  l  édi- 
fication de  son  Eglise,  et  à  sa  grande  gloire  : 
c'est  ce  que  nous  demanderons  dans  nos 
prières. 

Ou  iloil  inférer  de  la  formule  de  ces  lettres 
d'envoi  ,  mes  très-chers  frères ,  que  les  pro- 
testants reconnaissent  dans  leurs  synodes 
un  pouvoir  de  juger  qui  lie  les  promet- 
tants et  qui  oblige,  les  consciences,  lis  sont 
persuadés  que  le  Saint-Esprit  y  préside:  les 
décisions  sont  donc  toujours  sûres.  Ils  s'y 
soumettent  par  avance,  ils  ne  réservent  donc 
pas  le  pouvoir  de  l'examen  après  le  juge- 
ment. Celle  soumission  antérieure  et  absolue 


LETTRE  PASTORALE  AUX  NOUVEAUX  CATHOLIQUES  DE  MONTAUBAN. 


4049 

ne  peut  être  fondée  que  sur  une  certitude 
d'infaillibilité  ;  l'obéissance  que  nous  ren- 
dons à  nos  conciles  n'est  ni  plus  respectueuse 
ni  plus  étendue,  et  il  faut  nécessairement,  ou 
que  le  tribunal  auquel  on  se  soumet  de  cette 
manière  soit  infaillible  ,  ou  que  la  promesse 
soit  téméraire  et  insensée.  Et,  en  effet,  cette 
clause  d'une  aveugle  soumission  excita  une 
grande  tempête  dans  les  Eglises  des  protes- 
tants; plusieurs  provinces  ne  voulurent  pas 
l'accepter,  et  ce  ne  fut  qu'après  des  censures 
réitérées  qu'elles  obéirent. 

C'est  sur  ce  principe  qu'il  est  écrit  dans 
l'article  31  du  chapitre  5  de  la  discipline. 
que  l'entière  et  finale  résolution  des  matières 
de  foi  doit  se  faire  dans  les  synodes  nationaux, 
par  la  parole  de'  Dieu,  à  laquelle  si  les  con~ 
tredisanls- refusent  d'acquiescer  de  point  en 
point  et  avec  un  exprès  désaveu  de  leurs  er- 
reurs enregistrées  ,  ils  seront  retranchés  de 
l'Eglise. 

Il  est  à  propos  de  faire  plusieurs  observa- 
tions sur  cet  article.  En  premier  lieu  ,  c'est 
pour  le  seul  synode  national  que  l'on  fait  la 
soumission  dont  nous  venons  de  parler;  et 
il  y  a  par  conséquent  une  grande  différence 
de  l'autorité  de  ce  dernier  tribunal  à  celle  de 
tous  les  autres.  Secondement,  ce  n'est  point 
la  parole  de  Dieu  prise  en  elle-même,  qui  est 
le  motif  de  l'entière  et  finale  résolution  , 
puisqu'elle  avait  été  déjà  expliquée  dans  le 
consistoire,  dans  le  colloque  et  dans  le  sy- 
node provincial  ;  mais  c'est  la  parole  de  Dieu, 
comme  interprétée  par  l'Eglise.  De  plus,  on 
engage  les  contredisants  au  désaveu  de  leurs 
erreurs;  le  synode  les  oblige  donc  à  croire. 
Or,  il  n'y  a  qu'un  tribunal  infaillible  qui 
puisse  exiger  la  foi  des  fidèles  qui  lui  sont 
soumis.  Enfin  on  excommunie  ceux  qui  ne 
■veulent  pas  obéir  ;  mais,  s'il  leur  est  permis 
d'examiner  les  décisions,  ils  peuvent  aussi 
n'y  pas  adhérer.  Le  synode  n'est  pas  leur 
juge  absolu  ;  les  protestants  ,  au  contraire  , 
sont  juges  du  synode  par  leur  examen.  L'E- 
criture sainte  est  toujours  ou  le  prétexte  ou 
l'excuse  de  leur  désobéissance  ,  et  l'excom- 
munication n'est  pas  juste  si  l'appel  à  l'E- 
criture est  légitime. 

Pour  finir  cette  importante  matière,  il  ne 
me  reste  qu'à  vous  expliquer  en  peu  de  mots, 
mes  très-chers  frères,  que  l'Eglise  n'est  point 
l'amas  de  toutes  les  sectes  chrétiennes  , 
comme  l'ont  dit  faussement  quelques  mi- 
nistres. Et  en  effet ,  l'Eglise,  selon  le  senti- 
ment de  saint  Augustin,  est  la  société  des  fi- 
dèles unis  par  le  lien  intérieur  de  la  charité 
et  par  le  lien  extérieur  des  sentiments  (Contr. 
Don.  lib.  VII,  cap.  57).  Et  le  même  Père  ne 
reproche  jamais  aux  donatistes  qu'ils  fussent 
schismatiques  ,  parce  qu'ils  étaient  séparés 
des  autres  sectes.  La  séparation  de  la  seule 
Eglise  catholique  faisait  leur  crime  et  leur 
schisme,  et  il  est  certain  par  conséquent  que 
l'Eglise  réside  dans  une  seule  communion, 
dont  il  n'est  jamais  permis  de  se  séparer. 

De  plus,  saint  Cyprien  ne  rompit  jamais  la 
communion  de  l'Eglise  catholique  ;  cepen- 
dant il  n'était  pas  uni  avec  les  sectes  héréti- 
ques, puisqu'il  no  reconnaissait  pas  le  bap- 


1050 

tême  qu'elles  donnaient  pour  légitime.  D'où 
il  faut  conclure  que  les  Pères  n'ont  jamais  cru 
que  l'Eglise  fût  un  corps  bizarre  et  mons- 
trueux de  toutes  les  sociétés  chrétiennes  ;  et 
c'est  ce  qui  faisait  dire  au  même  saint  Au- 
gustin que  si  une  communion  est  l'Eglise,  une 
autre  communion  séparée  ne  l'est  pas  ,  parce 
qu'il  n'y  a  qu'une  seule  Eglise 

C'étaitàcette  même  autorité  sainte,  visible, 
successive  et  infaillible,  que  saint  Augustin 
adressait  autrefois  ces  belles  paroles  :  Qu'il 
me  soit  permis,  6  Eglise  catholique,  véritable 
épouse  de  Jésus-Christ,  de  vous  parler  selon 
la  petitesse  de  mes  lumières  ,  moi  qui  suis  le 
moindre  de  vos  serviteurs  et  le  plus  petit  de 
vos  enfants.  Que  les  vaines  promesses  que  font 
ceux  qui  se  sont  séparés  de  vous,  de  prouver 
avec  évidence  la  vérité  de  leurs  dogmes,  ne 
puissent  tromper  personne.  Vous  seule  possé- 
dez toute  vérité  et  toute  science,  soit  dans  les 
instructions  communes  et  faciles  que  vous 
donnez  aux  petits  comme  un  lait  dont  leur  fai- 
blesse a  besoin,  soit  dans  celles  dont  vous 
nourrissez  les  forts  comme  d'une  viande  so- 
lide. Toutes  les  sectes  n'ont  que  le  nom  et  Vap- 
parence  de  la  vérité  même.  Vous  n'avez  rien 
à  craindre  pour  ceux  de  vos  enfants  qui  sont 
éclairés;  mais  je  m'adresse  aux  petits  d'entre 
eux,  qui  sont  mes  frères  et  mes  maîtres  ,  dont 
vous  soutenez  la  faiblesse  par  votre  charité, 
vous  qui  êtes  vierge  sans  être  stérile,  et  mère 
sans  corruption.  Ce  sont  les  faibles  que  je  con- 
jure de  n'écouter  point  les  vains  discours 
qu'une  vaine  curiosité  fait  sur  nos  mystères, 
mais  d'anathématiser  d'abord  tout  ce  qu'on 
leur  dira  de  contraire  à  ce  qu'ils  ont  appris 

dans  votre  sein Qu'ils  n'attendent  pas  la 

vérité  de  ceux  qui  font  Jésus-Christ  même 
trompeur,  mais  qu'ils  la  cherchent  dans  vos 
décisions  avec  un  cœur  soumis  et  docile.  Telle 
était  la  sainte  simplicité  de  ce  grand  docteur. 
Bien  différent  de  nos  derniers  novateurs,  il 
croit  qu'obéir  à  l'autorité  de  l'Eglise  est  non- 
seulement  un  devoir  de  religion,  mais  aussi 
un  acte  de  sagesse  et  d'humilité  ;  que  dans 
les  matières  de  la  foi  il  faut  se  défier  de  soi- 
même  et  de  ses  lumières,  que  le  renonce- 
ment à  son  propre  esprit  est  cette  enfance 
chrétienne  qui  nous  est  si  recommandée  dans 
l'Evangile,  et  qu'une  soumission  humble  et 
parfaite  doit  tenir  lieu  de  raison  à  tout  es- 
prit raisonnable. 

Il  est  étonnant  qu'un  mystère  aussi  claire- 
ment révélé  que  l'est  celui  de  la  présence 
réelle  de  Jésus-Christ  dans  l'eucharistie  ait 
été  l'objet  des  contradictions  des  novateurs 
du  dernier  siècle.  Nous  attestons  votre  bonne 
foi,  mes  très-chers  frères  :  quel  autre  dogme 
est  énoncé  dans  l'Ecriture  en  des  termes  plus 
précis  et  plus  évidents?  La  nécessité  du  bapr 
tême  pour  les  adultes  et  pour  les  enfants  ,  le 
péché  originel,  la  consubstantialilé  du  Ver- 
be, la  résurrection  des  morts,  cl  tant  d'autres 
mystères  que  nous  croyons  et  que  nous  ado- 
rons et  vous  et  nous,  sont-ils  expliqués  plus 
nettement  dans  les  saintes  Ecritures?  Est-il 
possible  qu'une  vérité  dont  l'Eglise  catholi- 
que était  en  possession  depuis  plus  de  quinze 
cents  ans  ait  élé  combattue  par  tant  do  so- 


1051 

phtsmes?  Bl  fallait-il  que  la  Minlc  eneba- 
ristie,ce  sacrement  ineffable,  le  lien  et  le 
gage  de  la  pal*  et  de  l'union  des  hommes, 
fût  le  sujel  de  leurs  divisions  el  de  leurs  dis- 
putes? 

Il  faut  que  notre  créance  soit  bien  cer- 
taine, puisque  nos  ennemis  mêmes  convien- 
nent qu'elle  est  tolérablc.  Cet  important 
aveu  n'est  pas  sans  doute  l'effet  de  leur  com- 
plaisance, il  a  pu  l'être  de  leur  politique, 
niais  il  l'est  aussi  de  la  force  de  la  vérité.  Si 
les  protestants  tolèrent  notre  doctrine  do  la 
présence  réelle,  c'est  donc  une  opinion  inno- 
cente et  (comme  ils  l'expriment)  sans  venin. 
Or,  elle  n'est  point  innocente  et  sans  venin 
que  parce  qu'elle  est  véritable.  Pour  un 
dogme  révélé  et  aussi  essentiel  que  celui  de 
l'eucharistie,  il  n'y  a  point  de  milieu  entre  la 
vérité  et  l'erreur,  el  l'on  est  absolument  ou 
catholique  ou  hérétique.  Ainsi  les  novateurs 
sont  en  conscience  obligés  ou  à  nous  con- 
damner ou  à  nous  suivre  :  c'était  à  eux  de 
choisir  l'un  ou  l'autre  de  ces  deux  partis. 
Celui  qu'ils  prirent  dans  le  synode  de  Cha- 
rculon  était  ridicule  et  insoutenable,  et  ils 
devaient  conclure,  pour  raisonner  consé- 
quemment,  ou  que  notre  créance  sur  l'eu- 
charistie est  orlhodoxe,  ou  que,  si  elle  ne 
l'est  pas,  leur  tolérance  était  également  cri- 
minelle et  contradictoire. 

J'ajoute  que,  supposé  le  sens  de  la  présence 
réelle,  Jésus-Christ   ne   pouvait  s'expliquer 
plus  proprement  que  par  ces  paroles,  ceci  est 
mon  corps,  ni   plus  improprement,  supposé 
le  sens  de  l'absence  réelle.  Est-il  croyable 
qu'il   ait   voulu    parler    métaphoriquement 
dans   une  occasion  où  il  s'agissait  de  nous 
donner  un  grand  précepte,  d'instituer  le  plus 
saint  de  ses  sacrements,  d'accomplir  le  plus 
redoutable  de  ses  mysières,  d'expliquer  son 
dernier  testament?   Convenait-il,  dans   ces 
circonstances,  que    Jésus-Christ    se    servît 
d'une  meta  plier  e?  Voulait-il  induire  à  erreur 
les  apôtres  et  les  fidèles  de  tous  les  siècles? 
Les  disciples   étaient  soumis,  dociles  et  ac- 
coutumés à  écouter  un  maître  tout-puissant 
pour  opérer  ce  qu'il  disait,  el  dont  les  paro- 
les étaient  vérité  :  pouvaient-ils  donc   inter- 
préter celles  de  l'institution  de  l'eucharistie 
autrement  que  dans  le  sens  de  réalité?  La 
parole  du  Sauveur  du  monde  captivait  leur 
entendement,  el  sa  toute-puissance  calmait 
les  doutes  que  la  profondeur  de  ce  mystère 
pouvait  faire   naître.   Ce  sacrement  allirait 
leur  reconnaissance  et  leur  amour,  et  n'ex- 
citait pas  leur  curiosité,  el  les  apôtres  prati- 
quèrent dans   ce   moment   ce   que  dit  saint 
Epiphane  (In  Ancor.),  que  nul  jiilrle  ne  doit 
refuser  d'ajouter  foi  aux   paroles  de  Jésus- 
Cltrist,    parce  que  celui  qui  ne  les  croit  pas 
comme  il  les  a  dites  déchoit   de  la  grâce  et  de 
la  voie  du  salut. 

Le  sens  réel  est  si  simple  et  si  naturel, 
qu'il  a  été  l'objet  de  -la  foi  de  toutes  les  na- 
tions chrétiennes,  comme  nous  le  prouve- 
rons dans  la  suite.  Et  Rercnger  fut  le  pre- 
mier qui  combattit  ce  dogme  universel  vers 
le  milieu  du  onzième  siècle.  Tous  les  lidèles 
»  élevèrent  contre  lui,  el  son  erreur  lut  pios- 


ORATKUR8  SACHES.  DE  NE8HORD.  tt)52 

crile  partout.  Il  se  rétracta,  il  se  ropen  il  et 
il  mourut  dans  la  communion  de  l'Eglise. 
Luther,  longtemps  après,  aurait  b  ila 

détruire,  s'i.  eût  pa,  la  doctrine  catholique 
sur  un  point  si  essentiel  ,  et  son  sepril  lit 
mille  efforts  intérieurs  pour  y  réussir:  ma  i 
la  force  de  ces  paroles  de  Jésus-Christ, et 
est  mon  corps,  s'opposa  toujours  à  ses  pro- 
jets, et  pour  celle  fois  sa  fureur  céda  a  la  vé- 
rité. Il  nous  révèle  lui-même  sa  malignité,  i  t 
il  a  l'impudence  de  nous  l'apprendre  dans 
ses  ouvrages.  On  m'aurait  fait  plaisir,  dit-il, 
de  me  donner  un  bon  moyen  île  nier  la  pré- 
sence réelle;  el  rien  n'eût  été  meilleur  dans  le 
dessein  que  j'avais  de  ruiner  la  papauté 
(i.pist.  ad  Arqent.)  Ce  n'était  donc  pas  la 
vérité  qui  fut  le  motif  de  sa  séparation,  mais 
le  dessein  formé  de  faire  un  schisme  el  une 
hérésie.  Est-il  possible  que  l'on  se  laisse  sé- 
duire à  de  tels  esprits?  Luther  soutint  jus- 
qu'à la  mort,  malgré  lui,  la  présence  réel!  : 
et  c'est  ainsi  que  Dieu  donne  des  bornes  se- 
crètes à  la  malice  des  novateurs  les  plus  em- 
portés, et  que  les  vérités  qu'ils  sont  forcés 
d'avouer,  servent  à  établir  la  foi  de  l'Eglise, 
qu'ils  veulent  détruire. 

Zuingle  chercha  longtemps  le  sens  figuré, 
et  il  l'eût  toujours  ignoré  sans  le  secours  de 
son  prétendu  fantôme.  Calvin  est  inintelli- 
gible quand  il  s'explique  sur  la  matière  de 
l'Eucharistie,  et  surtout  dans  le  quatrième 
livre  de  l'Institution.  Retenu  d'une  pari  par 
l'énergie  des  paroles  de  Jesus-Chrisl ,  cl  dé- 
terminé de  l'autre  à  combattre  notre  dogme  , 
il  parle  de  manière  qu'il  est  impossible  de 
pénétrer  son  sentiment.  Tantôt  catholique, 
tantôt  protestant,  toujours  équivoque  el  tou- 
jours obscur,  il  est  aussi  peu  d'accord  avec 
lui-même  qu'avec  l'Eglise.  Les  ministres  ont 
imité  ses  expressions,  qui  sont  pompeuses 
et  magnifiques,  mais  destituées  de  sens  et 
d'intelligence.  Et  Aubertin,  dans  son  livre 
de  l'Eucharistie,  qui  lui  coûta  trente  ans  de 
travail,  et  où  il  joint  une  prod'gieuse  lec- 
ture à  peu  de  discernement  et  de  bonne  foi, 
attaque  toujours  la  doctrine  catholique  et 
n'explique  jamais  la  sienne. 

Aussi  les  calvinistes  n'en  ont-ils  point  de 
fixe  et  de  précise  sur  cet  article.  Depuis 
qu'ils  se  sont  éloignés  de  la  sainte  simpli- 
cité du  sens  réel,  ils  se  sont  partagés  en 
mille  opinions  différentes.  Chacun  parmi 
eux  aujourd'hui  se  fait  au  gré  de  ses  désirs 
et  de  son  caprice  un  système  sur  l'eu.haris- 
lie.  Si  les  expressions  de  Calvin  les  embar- 
rassent, ils  le  désavouent  et  abandonnent 
leur  maître  sans  scrupule.  La  plupart,  cal- 
vinistes par  profession,  sont  zuingliens  ;  r 
sentiment  ;  il  y  a  presque  autant  de  religions 
que  de  têtes  ,  et  chaque  particulier  se  croit 
eu  droit  de  penser  comme  il  lui  ptafl  el  de 
se  faire  une  consciencearbitraire  et  indépen- 
dante. Quoique  les  protestants  différent 
tre  eux  en  des  points  essentiels,  ils  m>  par- 
donnent naturellement  1  tirs  opinions  les 
plus  i.pposees.  Pourvu  que  l'on  ne  soit  point 
catholique,  on  est  sûr  dis  leur  tolérance  et, 
si  l'on  veut,  même  de  leur  commun  n:  el 
on  peut  dire  d'eux  ce  que  disait  saint  Léon 


4055 


LETTRE  PASTORALE  AUX  NOUVEAUX  CATHOLIQUES  DE  MONTAUBAN. 


1054 


des  païens  de  l'ancienne  Rome,  qu'ils  tolé- 
raient toutes  les  fausses  religions,  et  qu'ils  ne 
haïssaient  que  la  véritable  [Serin.  1  in  Nat. 
apost.,  cap.  2). 

Mais  voyons  en  peu  de  mois,  mes  très- 
chers  frères ,  comment  les  évangélistes  se 
sont  expliqués  q.uand  ils  rapportent  l'insti- 
tution de  l'eucharistie.  Ont-ils  jamais  dit  que 
le  pain  fût  le  signe  du  corps  du  Christ?  Et, 
s'ils  avaient  reçu  du  Seigneur  le  sens  figuré , 
auraient-ils  concerté  ensemble  de  s'énoncer 
toujours  improprement?  Pourquoi  tant  de 
détours  pour  trouver  dans  les  paroles  de  Jé- 
sus-Christ une  métaphore  qui  n'y  est  point 
enseignée  et  que  les  Pères  de  tous  les  siècles 
n'ont  point  aperçue?  Et  pourquoi  employer 
tant  de  sophismes  pour  soutenir  le  menson- 
ge et  l'erreur,  lorsque  la  vérité  se  montre  à 
nous  avec  éridence? 

C'est  dans  le  sixième  chapitre  de  saint 
Jean  que  nous  lisons  la  promesse  du  grand 
sacrement  de  l'eucharistie,  et  c'est  ainsi  que 
s'explique  le  Sauveur  du  monde  :  Si  quel- 
qu'un mange  de  ce  pain,  il  vivra  éternelle- 
ment; et  le  pain  que  je  donnerai  est  ma  chair, 
que  je  dois  donner  pour  la  vie  du  monde.  A 
ces  paroles  les  disciples  s'émurent  et  doutè- 
rent. Or,  le  sens  figuré,  qui  n'était  difficile 
ni  à  concevoir  ni  à  croire,  ne  fut  pas  l'objet 
de  leur  incrédulité  ,  et  la  réalité  seule  était 
le  motif  de  leur  doute.  Jésus-Christ  apaise- 
t-il  leurs  murmures  par  la  révélation  de  la 
métaphore?  Au  contraire,  il  insiste  toujours 
plus  fortement  sur  le  sens  réel ,  et  il  ajoute  : 
en  vérité,  en  vérité  je  vous  dis  (expressions 
dont  il  se  servait  d'ordinaire  quand  il  vou- 
lait nous  annoncer  quelque  grand  mystère), 
si  vous  ne  mangez  la  chair  du  Fils  de  l'homme 
et  ne  buvez  de  son  sang,  vous  n'aurez  pas  la 
vie  en  vous.  Celui  qui  mange  ma  chair  et 
boit  mon  sang  a  la  vie  éternelle;  ma  chair  est 
vraiment  viande  ;  celui  qui  mange  ma  chair 
demeure  en  moi.  Ces  paroles  de  Jésus-Christ 
vives  et  précises,  ces  répétitions  accumulées, 
ces  termes  si  éloignés  de  la  métaphore,  les 
reproches  qu'il  fait  à  ses  disciples  incrédu- 
les, tout  cela  détruit  sans  réplique  le  senti- 
ment des  calvinistes;  et  telle  est  l'évidence 
de  ce  passage,  que  la  ressource  de  la  plu- 
part des  ministres  a  été  de  nier  qu'il  s'en- 
tende de  l'eucharistie. 

Saint  Jean  nous  a  appris  la  promesse  du 
sacrementde  l'eucharistie,  elles  autres  évan- 
gélistes nous  en  rapportent  l'institution 
énoncée  par  ces  paroles  de  Jésus-Christ, 
ceci  est  mon  corps.  Je  fais  une  observation 
qui,  quoique  légère  en  apparence,  ne  laisse 
pas  d'être  concluante.  Il  est  dit  on  saint  Luc 
que  le  Seigneur  du  monde  prit  le  calice 
après  le  souper,  en  disant  :  Ce  calice  est  la 
nouvelle  alliance  en  mon  sang  ,  lequel  calice 
sera  répandu  pour  vous.  Or,  il  parait  par  le 
texte  grec  que  le  relatif  lequel  se  rapporte 
au  calice  et  non  pas  au  sang  ;  il  s'ensuit  donc 
«Hic.  le  sang  était  contenu  dans  le  calice,  et 
la  construction  du  passade  induit  cette  con- 
séquence. 

On  nous  objecte  ces  paroles:  Faites  cerirn 
mémoire  de  moi.  Mais   rien    n'est  plus  faible 


que  celte  difficulté,  qui  a  été  si  souvent  et  si 
fortement  réfutée.  Jésus-Christ  nous  or- 
donne, toutes  les  fois  que  nous  recevons  son 
corps  adorable,  de  penser  que  ce  même  corps 
a  été  livré  et  crucifié  pour  nous.  Cette  pen- 
sée si  utile  pour  exciter  notre  amour  et  no-  ! 
tre  ferveur,  est  une  disposition  efficace  pour 
une  bonne  communion  ;  ou  si  l'on  veut  que 
ce  souvenir  que  Jésus-Christ  nous  recom- 
mande se  rapporte  à  ce  que  nous  recevons 
dans  l'eucharistie,  je  réponds  que  l'on  n'en 
peut  pas  conclure  l'absence  réelle.  La  mé- 
moire n'est  pas  opposée  à  la  présence,  mais 
à  l'oubli.  Or,  quand  un  objet  n'est  pas  sen- 
sible, quoique  présent,  rien  n'est  plus  ordi- 
naire que  d'en  exciter  le  souvenir.  Dieu  est 
présent  partout,  et  on  exhorte  tous  les  jours 
les  chrétiens  de  ne  le  pas  oublier.  L'ange 
commis  pour  notre  secours  est  auprès  de 
nous;  et  ne  nous  dit-on  pas  de  penser  qu'il 
veille  à  noire  conduite?  Que  les  ministres 
cessent  donc  d'imposer  aux  simples  et  au 
peuple  par  une  objection  qui  n'est  fondée 
que  sur  des  paroles  mal  entendues  et  mal 
expliquées. 

L'apôtre  saint  Paul,  qui  avait  reçu  du  Sei- 
gneur ce  qu'il  nous  a  appris,  après  avoir  ra- 
conté l'institution  de  l'eucharistie  (I  Cor., 
XI),  nous  enseigne  les  dispositions  néces- 
saires pour  approcher  de  ce  mystère  auguste 
et  redoutable,  et  nous  représente  en  même 
temps  toute  l'énormité  d'une  mauvaise  com- 
munion :  Quiconque  mangera  ce  pain,  dit 
l'Apôtre,  ou  boira  le  calice  indignement,  sera 
coupable  de  la  profanation  dit  corps  et  du 
sang  du  Seigneur.  Ces  paroles  expriment  clai- 
rement la  réalité.  Si,  dans  le  sens  des  calvi- 
nistes le  corps  du  Christ  n'était  qu'en  vertu 
et  en  efficace  et  par  la  foi  dans  l'eucharistie, 
les  dignes  seuls  le  recevraient  ;  les  indignes, 
qui  n'auraient  point  la  foi,  ne  communie- 
raient point  véritablement,  et  le  pain,  qui 
serait  pour  ceux-là  le  signe  et  la  figure  du 
corps  du  Christ,  ne  serait  pour  ceux-ci  que 
du  pain  commun  et  ordinaire.  Les  pécheurs 
à  la  vérité  commettraient  une  infidélité,  mais 
non  pas  un  sacrilège.  Or,  selon  l'Apôtre  , 
leur  crime  se  rapporte  immédiatement  et  di- 
rectement à  la  profanation  du  corps  de  Jé- 
sus-Christ. Il  est  donc  réellement  dans  l'eu- 
charistie, puisque  les  bons  et  les  méchants  le 
reçoivent,  les  uns  pour  leur  perfection  et 
pour  leur  salut,  et  les  autres  pour  leur  con- 
damnation et  pour  leur  perte. 

Les  calvinistes  prétendent  que  ces  paroles 
de  Jésus-Christ,  ceci  est  mon  corps,  veulent 
dire,  ceci  est  la  figure  de  mon  corps,  et  ap- 
portent quelques  propositions  où  le  mot  est 
est  pris  pour  celui  de  signifie.  Celte  préten- 
tion est  chimérique;  cl  voici  en  peu  de  mots 
la  source  de  tous  leurs  sophismes  sur  celle 
malière. 

J'avoue  qu'il  y  a  des  propositions  méta- 
phoriques; mais  s'ensuit-il  que  toutes  les 
propositions  le  soient?  Dans  une  dialectique 
exacte, on  ne  conclut  point  d'une  proposition 
particulière  à  une  proposition  générale.  H 
est  écrit  que  la  pierre  était  le  Christ;  et  il 
faut  entendre,  à  la  vérité,  que    la   pierre 


ORATEURS  SACRES.  DE  NESMOND. 


\<w, 


était  la  figure  du  Christ.  Mais  dire  sur  cet 
exemple  que  le  pain  est  la  ligure  du  corps 
du  Christ,  c'est  un  sophisme  insoutenable  ; 
par  un  tel  principe,  il  n'y  a  point  d'hérésie 
qui  ne  s'introduise.  Un  marcionite,  s'il  y  en 
avait  encore  sur  la  terre,  dirait  que  le  Verbe 
n'a  pas  été  fait  chair,  mais  seulement  figure 
et  fantôme  de  la  chair;  et  il  se  servirait  pour 
le  prouver  de  toutes  les  métaphores  tant 
citées  et  tant  répétées  par  les  calvinistes. 

Il  y  a  donc  dans  les  Ecritures  des  propo- 
sitions figuratives;  mais  combien  y  en  a-t-il 
d'autres  qui  ne  le  sont  pas?  Elles  se  discer- 
nent par  ce  qui  les  précède  ou  ce  qui  les 
suit,  par  les  circonstances  qui  les  accompa- 
gnent,  par  le  sens  qu'elles  présentent  à 
l'esprit,  par  la  manière  dont  les  hommes  ont 
accoutumé  de  parler  et  de  s'expliquer,  et 
plus  encore  par  l'autorité  de  l'Eglise,  qui 
nous  donne  le  sens  et  l'intelligence  des  Ecri- 
tures. 

Cela  supposé,  toutes  les  circonstances 
nous  font  connaître  la  métaphore  des  pro- 
positions figuratives.  Par  exemple,  quand  il 
est  dit  que  la  pierre  était  le  Christ,  le  Saint- 
Esprit  ajoute  en  même  temps  :  Or  toutes  ces 
choses  ont  été  des  figures  (I  Cor.,  X,  k).  Lors- 
qu'il est  écrit  dans  la  Genèse  {Genr,  XLI,  26) 
que  les  sept  vaches  grasses  du  songe  de  Jo- 
seph et  les  sept  épis  pleins  de  grain  étaient 
les  sept  années  d'abondance,  on  sait  assez 
que  jamais  les  songes  ne  sont  pris  dans  leur 
être  physique,  mais  dans  leur  être  significa- 
tif. Tel  est  le  langage  des  hommes,  et  per- 
sonne ne  peut  s'y  tromper.  Il  en  est  de  même 
des  autres  propositions  que  nous  objectent 
les  protestants,  tout  nous  aide  à  les  discer- 
ner. Mais  dans  le  sacrement  de  l'eucharistie, 
tout  nous  conduit  au  sens  réel,  et  les  cir- 
constances nous  y  préparent.  Encore  une 
fois,  est-il  possible  que  Jésus-Christ  ait  parlé 
par  figure  dans  l'institution  d'un  sacrement? 
S'était— il  servi  de  métaphore  pour  le  bap- 
tême, et  avait-il  dit  que  l'eau  était  son  sang 
ou  son  Saint-Esprit?  Les  hommes  mêmes 
qui,  dans  leurs  conversations  familières,  s'é- 
noncent quelquefois  par  figure,  emploient- 
ils  la  métaphore  dans  les  occasions  sérieuses 
de  leur  vie,  dans  leurs  contrats,  dans  leurs 
testaments?  Que  les  ministres  cessent  donc 
de  ramener  si  souvent  un  sophisme  qu'une 
fausse  et  vaine  logique  leur  a  suggéré  et 
qui  n'a  pour  fondement  que  ces  dangereuses 
subtilités  dont  parle  Terlullien,  qui  sont  le 
piège  et  l'écueil  de  l'esprit  humain  dans  les 
matières  de  la  religion  et  de  la  foi. 

J'ajoute  qu'un  signe  est  affirmé  quelque- 
fois du  nom  de  la  chos e  signifiée,  mais  c'est 
lorsqu'il  est  signe  par  sa  nature  ou  par  in- 
stitution. On  dit,  par  exemple,  du  portrait  du 
roi,  que  c'est  le  roi,  parce  que  tout  portrait 
représente  naturellement  son  original.  Ou 
bien  si  deux  hommes  conviennent  qu'un  ar- 
bre désigne  César,  ou  Alexandre,  en  indi- 
quant cet  arbre,  ils  peuvent  dire  :  voilà  Cé- 
sar ou  Alexandre.  La  convention  rend  la 
proposition  raisonnable,  et  elle  est  insensée 
et  ridicule  sans  la  convention  ou  la  prépa- 
ration. Appliquons  ce  principe  incontesta- 


ble à  l'eucharistie.  Le  pain  n'est  point  le  si- 
gne naturel  du  corps  du  Christ,  el  il  est  inu- 
tile de  le  prouver.  Il  ne  l'est  pas  aussi  par 
institution,  puisque  le  Seigneur  ne  nous  a 
point  révélé  que  lorsqu'il  dirait  :  Ceci  ett 
vion  corps  ,  il  faudrait  entendre  :  Ceci  e»t  le 
signe  de  mon  corps;  il  n'a  jamais  préparé 
ses  apôtres  à  la  métaphore.  D'où  il  s'ensuit 
évidemment  que  la  proposition  doit  être  prise 
dans  le  sens  de  réalité. 

Tel  a  été,  mes  très-chers  frères,  le  senti- 
ment de  l'Eglise  dans  tous  les  siècles.  Vous 
n'ignorez  pas,  premièrement  ,  que  les  voya- 
geurs, dans  les  premiers  temps  du  christia- 
nisme, emportaient  avec  eux  la  sainte  eu- 
charistie (  Amb.  ,  de  ObitU  Sat.  [rat.);  elle 
était  leur  force  et  leur  consolation  lorsqu'ils 
mouraient  dans  le  cours  de  leur  voyage.  En 
second  lieu ,  on  la  réservait  pour  les  mala- 
des dans  les  églises,  et  on  la  suspendait  sur 
Jes  autels  dans  une  boîte  d'or  faite  en  forme 
de  colombe.  On  voit  l'usage  de  cette  suspen- 
sion dans  l'action  5  du  concile  de  Constanti- 
nople,  tenu  en  53G,  et  il  paraît  que  c'était 
une  coutume  fort  ordinaire.  De  plus,  les  eu- 
cologes  des  Grecs  nous  apprennent  que  dans 
l'Eglise  grecque  l'on  ne  consacraitdans  toute 
l'année  l'eucharistie  pour  les  malades  que  le 
jeudi  saint.  Troisièmement,  les  solitaires, 
qui  n'assistaient  que  rarement  aux  assem- 
blées publiques  des  fidèles,  portaient  une  por- 
tion de  la  sainte  eucharistie  dans  leur  soli- 
tude ,  et  communiaient  de  leurs  propres 
mains.  Enfin,  les  chrétiens,  pendant  les  per- 
sécutions, gardaient  avec  beaucoup  de  révé- 
rence et  de  respect,  dans  leurs  maisons,  ce 
sacrement  auguste  (Cyp.,  epist.  oi)  ;  et,  mu- 
nis de  ce  pain  des  foris,  ils  soutenaient  leur 
piéié,  ils  augmentaient  leur  ferveur  el  se 
préparaient  au  mariyre. 

Or,  ces  coutumes,  usitées  dans  le  premier 
âge  du  christianisme,  pratiquées  par  des 
saints  el  approuvées  par  l'Eglise,  sont  une 
preuve  certaine  de.  la  présence  réelle,  el  il 
est  impossible  que  les  ministres  puissent  dé- 
truire l'induction  que  nous  en  tirons,  cl  qui 
paraîtra  toujours  à  des  esprits  non  prévenus 
très-forte  et  très-décisive. 

J'ajoute  que  les  protestants  conviennent  que 
dans  le  neuvième  siècle,  toute  Eglise  croyait, 
comme  nous,  la  réalité;  et  ils  disent  que  les 
siècles  précédents  professaient  l'opinion  con- 
traire. 11  y  a  donc  eu  un  changement  dans 
la  créance  de  l'eucharistie.  Je  leur  demande 
l'époque  de  celle  innovation  et  dans  quel 
temps  elle  esl  arrivée.  Nul  auteur  n'eu  a 
parle,  nulle  histoire  n'en  a  fait  mention. 
Est-il  croyable  que  l'on  ail  passé  du  sens  fi- 
gure au  sens  réel  sans  que  personne  s'en 
soit  aperçu  ?  Une  séduction  universelle,  in- 
sensible et  inconnue  même  àceuv  qui  chan- 
geaient, est-elle  vraisemblable,  est-elle  pos- 
sible ?  Comment  se  répandirent  ces  ténèbres 
sur  toute  la  face  de  la  terre,  elque  l'on  nous 
apprenne  le  détail  d'un  événement  si  e  >nsi- 
dérable?  Ne  se  trou\ a-t-il  dans  ce  temps-là 
aucun  pasteur,  aucun  éréqne  nsseï  habile 
,  pour  connaître  ce  changement  et  assez  lélé 
pour  le  combattre?  Ne  sail-ou  pas  que  les 


«er;7 


LETTKE  PASTORALE  AUX  NOUVEAUX  CATHOLIQUES  DE  MONTAUBAN. 


moindres  innovations  dans  les  dogmes,  et 
quelquefois  même  dans  la  discipline,  ont 
toujours  fait  beaucoup  de  bruit  dans  l'E- 
glise? La  rebaptisation  des  hérétiques,  le 
jour  de  la  célébration  de  la  Pâque,  la  consé- 
cration en  pain  azyme  ou  en  pain  levé,  et 
d'autres  points  encore  moins  essentiels,  ont 
causé  de  grandes  disputes.  Veut-on  que 
ce  grand  événement  du  changement  de  la 
créance  de  l'eucharistie  se  soit  passé  sans 
éclat,  et  que  tout  l'univers  chrétien  ait  gardé 
un  profond  silence?  C'est  une  chimère  in- 
soutenable, c'est  un  système  mal  appuyé, 
qui  tombe  et  qui  se  détruit  par  lui-même. 

Si  l'on  ne  voit  donc  point  d'innovation  sur 
cet  article,  il  s'ensuit  bien  clairement  que  la 
doctrine  de  la  présence  réelle  vient  des  apô- 
tres, qui  l'avaient  reçue  de  Jésus-Christ, 
selon  cette  maxime  de  saint  Augustin  :  Si 
quelqu'un,  dit  ce  Père,  cherche  dans  les  dis- 
putes qui  regardent  la  religion  l'autorité  di- 
vine, il  doit  suivre  une  règle  qui  est  évidente. 
Ce  que  l'Eglise  universelle  observe,  qui  n'a 
point  été  institué  par  les  conciles  et  dont  on 
ne  connaît  point  le  commencement,  n'a  point 
certainement  d'autre  origine  que  la  tradition 
apostolique  (De  Bapt.,  cont.  Don.,  lib.  IV, 
cap.  23).  Le  sens  réel  est  sans  doute  de  ce 
genre,  comme  nous  l'avons  prouvé.  Et  je 
dis  aussi  en  passant  que  les  dogmes  de  l'in- 
vocation des  saints,  de  la  prière  pour  les 
morts  et  du  saint  sacrifice  de  la  messe  sont 
très-solidement  prouvés  par  ce  principe  de 
saint  Augustin,  qui  doit  être  regardé  comme 
incontestable. 

De  plus,  toutes  les  sociétés  chrétiennes, 
schismatiques  et  séparées  de  nous  depuis 
longtemps  (si  l'on  en  excepte  les  calvinistes) 
ont  toujours  cru  et  croient  encore  comme 
nous  la  réalité.  Par  exemple,  l'Eglise  grecque, 
autrefois  si  florissante, mère  de  tantde saints, 
célèbre  par  sa  discipline  et  par  la  science,  mais, 
parun  secret  jugementdeDieu  qu'il  faut  ado- 
rer, schismalique  depuis  le  neuvième  siècle, 
professe  la  même  doctrine  que  l'Eglise  latine 
sur  l'article  de  l'eucharistie.  C'est  un  fait 
coustant,  qu'un  ministre  fort  connu  a  voulu 
nier;  mais  ses  collègues,  ou  plus  sincères, 
ou  plus  éclairés  que  lui,  n'ont  jamais  eu  la 
hardiesse  de  désavouer  cette  vérité.  Unis 
avec  les  Grecs  sur  la  présence  réelle,  nous 
sommes  divisés  pour  d'autres  points  moins 
essentiels.  L'une  et  l'autre  Eglise  ne  se  sont 
jamais  reproché  d'hérésie  sur  l'eucharistie, 
et  le  concile  de  Florence,  où  elles  se  réuni- 
rent, n'en  a  fait  aucune  mention. 

Les  Grecs  n'ont  pas  commencé  à  croire  le 
sens  réel  depuis  le  schisme.  Aigris,  enveni- 
més et  emportés  contre  les  Latins,  auraient- 
ils  adopté  leurs  dogmes  et  leurs  sentiments? 
La  moindre  innovation  sur  un  article  si  ca- 
pital aurait  été  pour  eux  un  prétexte  plus 
plausible  de  séparation  que  les  autres  qui 
nous  divisent.  Est-il  croyable  que  l'Eglise 
latine  leur  eût  persuadé  le  mensonge  et 
l'erreur,  puisqu'elle  n'a  jamais  pu  leur  ins- 
pirer la  vérité  ni  le  désir  d'une  paix  durable? 
Ils  croyaient  donc  la  présence  réelle  avant 
le  schisme.  Cela  supposé,  c'est  une  croyance  . 


I0S8 

de  tous  les  siècles,  et  nous  pouvons  appli- 
quer, mes  très-chers  frères,  à  ce  consente- 
ment unanime  de  toutes  les  sociétés  chré- 
tiennes, ces  belles  paroles  de  Tertullien  : 
Est-il  possible  que  tant  d'Eglises  soient  toutes 
tombées  dans  la  même  erreur  ?  et  serait-il  vrai- 
semblable qu'il  y  eût  une  si  grande  uniformité 
dans  une  multitude  d'événements  qui  ne  dé- 
pendent que  du  hasard?  Il  est  donc  impossi- 
ble que  tant  d'Eglises  aient  erré  de  la  même 
sorte.  Ainsi,  quand  on  voit  la  même  doctrine 
dans  plusieurs  Eglises,  c'est  une  marque  que 
ce  n'est  pas  une  erreur,  mais  que  c'est  la  foi 
que  nous  avons  reçue  par  la  tradition  [De 
Prœscr.,  adv.  hœret.,  cap  28). 

Voyons  ce  que  dit  la  confession  de  foi  des 
protestants  (art.  36),  et  comment  elle  s'ex- 
plique sur  la  matière  de  l'eucharistie.  Nous 
confessons  qu'en  la  sainte  cène  Jésus-Christ 
nous  repaît  et  nourrit  vraiment  de  sa  chair 

et  de   son  sang Nous  croyons  que, 

par  la  vertu  secrète  et  incompréhensible  de 
son  esprit,  il  nous  nourrit  et  vivifie  de  la 

substance  de  son   corps  et  de  son  sang 

Bref,  il  ne  peut  être  appréhendé  que  par  la 
foi.  Que  signifient  ces  termes,  par  la  foi  /veut- 
on  dire  que  la  foi  est  le  principe  qui  opère 
la  présence  réelle  du  corps  de  Jésus-Christ 
dans  le  sacrement?  c'est  une  question  diffé- 
rente de  celle  dont  il  s'agit,  et  que  nous 
traiterons  ailleurs  amplement.  Entend-on 
que  ce  mystère  auguste  et  révélé  quant  à  la 
substance,  est  l'objet  de  notre  foi  quant  à  la 
manière  dont  il  s'accomplit?  c'est  une  vé- 
rité dont  nous  convenons.  Enfin  prétend-on 
que  le  Seigneur  n'est  qu'en  vertu  et  en  effi- 
cace dans  l'eucharistie?  c'est  une  contra- 
diction dans  les  termes,  puisque  l'union 
substantielle  de  Jésus-Christ  avec  nous, 
énoncée  dans  la  confession  de  foi,  ne  peut 
être  que  l'effet  de  la  réception  actuelle  et 
réelle  du  corps  du  Sauveur  du  monde. 

Je  sais  qu'un  grand  nombre  de  calvinistes 
désavouent  sur  ce  point  leur  confession  de 
foi ,  parce  qu'elle  ne  parle  pas  comme  ils 
voudraient.  Attachés  à  leur  propre  esprit,  ils 
méprisent  toute  autorité  ;  déserteurs  du  cal- 
vinisme ,  comme  nous  l'avons  déjà  dit  ,  ils 
tombent  insensiblement  dans  le  zuinglianis- 
me  ,  que  Luther  et  Calvin  même  avaient 
frappé  de  tant  d'analhèmes.  Et  celte  confes- 
sion de  foi  ,  présentée  à  François  I,r,  jurée 
par  les  ministres  lorsqu'ils  étaient  reçus 
daus  le  ministère  ,  honorée  dans  les  synodes 
nationaux  comme  le  fondement  de  leurs  dé- 
cisions ,  n'est  aujourd'hui  la  règle  de  la 
créauce  des  calvinistes  qu'autant  qu'il  plaît 
à  leur  caprice  ou  qu'elle  convient  aux  pré- 
ventions de  leur  esprit. 

Ne  vous  laissez  point  préoccuper ,  mes 
très-chers  frères,  par  les  difficultés  que  le 
raisonnement  humain  et  une  présomptueuse 
curiosité  forment  sur  la  créance  de  l'eucha- 
ristie. C'est  un  mystère,  et  par  conséquent  il 
est  incompréhensible.  Calvin  lui-même  l'a- 
voue, et  assure  que  la  cène  calviniste  renfer- 
me plus  de  miracles  que  la  cène  de  l' Eglise  ca- 
tholique. Ne  demandes  donc  pas  comment  un 
corps  peut  être  rétréci  eu  un  point  et  perdre 


1039 


ORATKl'RS  SACHES.  DE  NESMOND. 


1000 


ses  qualités  corporelles;  comment  il  peut 
être  reproduit  eu  même  temps  en  plusieurs 
lieux  différents  ;  OommeDl  les  accidents  exis- 
tant sans  leur  sujet.  I.a  révélation  (le  Jésus— 
Christ  captive  notre  entendement,  et  la  rai- 
son humaine  doit  se  soumettre  quand  il  s'.i- 
git  de  la  religion.  Oui  sommes-nous  pour 
sonder  les  secrets  de  Dieu  et  pour  donner 
des  bornes  àsa  puissance?Ouc  deviendrions- 
nous  si  nous  voulions  approfondir  les  diffi- 
cultés des  autres  mystères?  Ces  saintes  ob- 
scurités, ces  impossibilités  apparentes  ,  sont 
l'épreuve  et  l'exercice  de  notre  foi.  lit  sui- 
vant la  maxime  de  saint  Augustin,  croyons 
avec  soumission  ce  que  Dieu  nous  rév*  le ,  et 
ailorons  avec  humilité  ce  qu'il  nous  cache. 

Je  n'entre  point  dans  la  discussion  de  la 
doctrine  des  Pères  :  cet  examen  ,  quoique 
uiile  à  l'édification  de  votre  foi  ,  pourrait 
être  à  charge  à  votre  attention.  Il  suffit  de 
vous  dire  que  toute  la  tradition  a  déposé 
pour  la  réalité  ,  et  qu'elle  rend  témoignage  à 
notre  créance.  J'avoue  qu'au  milieu  d'un 
grand  nombre  de  passages  évidents  il  y  en  a 
quelques-uns  équivoques  et  embarrassés 
dans  les  Pères,  mais  doit-on  en  être  surpris? 
Ils  parlaient  sans  précaution,  parce  qu'il  n'y 
avait  point  eu  encore  de  disputes  sur  le  dog- 
me du  saint  sacrement.  Dans  la  simplicité  de 
leur  foi  et  dans  la  diversité  des  sujets  qu'ils 
avaient  à  traiter ,  pouvaient-ils  prévoir  le 
mauvais  usage  que  les  sacramenlaires  fe- 
raient de  leurs  expressions?  La  présence  des 
catéchumènes,  à  qui  l'on  cachait  la  connais- 
sance de  l'eucharistie  ,  obligeait  souvent  les 
pasteurs  à  s'énoncer  avec  obscurité  dans 
leurs  discours  et  dans  leurs  écrits.  N'oni-ils 
jamais  parlé  obscurément  quand  ils  traitaient 
des  autres  mystères  de  la  religion?  Avant  la 
naissance  de  l'arianisme,  saint  Justin  Mar- 
tyr ,  quoique  au  fond  très-orthodoxe  ,  s'ex- 
primait-il sur  la  consubstanlialilé  du  Verbe 
avec  la  môme  précision  que  saint  Athanase 
après  les  décisions  des  conciles  d'Alexandrie 
et  de  Nicée  ? 

Mais  il  y  a  pour  l'examen  des  Pères  une 
règle  de  comparaison  que  nous  enseigne  Ter- 
tullien,  et  qui  est  conforme  à  la  raison  et  au 
bon  sens.  Un  petit  nombre  de  passages  doit 
l'expliquer  par  le  plus  grand  nombre  ;  ceux 
qui  sont  obscurs  et  difficiles  s'éclaircissent 
par  ceux  qui  sont  clairs  et  indubitables  ,  et 
il  faut  chercher  la  doctrine  de  l'Eglise  dans 
ce's  ouvrages  dogmatiques  que  les  Pères  com- 
posaient pour  l'insiruclion  des  fidèles,  qui 
étaient  une  exposition  simple,  et  facile  des 
dogmes  que  l'on  devait  croire,  et  qui  de- 
vaient, par  conséquent,  être  conçus  en  ter- 
mes propres  ,  précis  et  intelligibles.  Tel  est 
le  traité  des  Initiés  ,  composé  par  saint  Am- 
broise;  telles  sont  les  Catéchèses  de  saint  Cy- 
rille de  Jérusalem  ;  et  lisez,  s'il  est  possible, 
ces  auteurs  dans  la  source  ,  pour  rentière 
conviction  de  votre  esprit,  s'il  vous  reste  en- 
core quelque  doute  sur  la  matière  de  l'eu- 
charistie 

Commeftf  m'assurez-vous  ,  dit  saint  Am- 
broise  ,  que  c'esi'le  corps  de  Jésut-Chrjel  que 
je  reçois,  puisque  je  vois  autre  chose  f  c'est  ce 


qui  me  reste  à  tous  prouver.  ATou«  trouvons 
uw  infinité  d'ex't/i])les  pour  montrer  que  ce 
que  l'on  reçoit  à  l'autel  n  est  point  ce  qui  a  été 
formé  pur  lu  nature  ,  mais  ce  qui  a  été  <  onsa- 
cré  pur  lu  bénédiction  .  qui  est  j/lus  puissante 
qw  lu  nature  ,  puisqu'elle  change  la  nature. 
Moïse,   tenant  un  bâton  en  sa  u  ain  ,  le  jette  à 

terre  ,  et  le  bâton  iti  iut  serpent Qu<  si  la 

simple  bénédiction  d'un  homme  a  eu  assez  de 
pouvoir  pour  transformer  la  nature  ,  que  di- 
rons-nous de  la  consécration  divine  dans  la- 
quelle les  paroles  mêmes  du  Sauveur  opèient 
tout  ce  qui  s'y  fuit  '(  et  Jésus-Christ  ne  pour- 
ra-t-il  pas    transformer   la   nature  d<s  chotes 

créées  ? Vous  avez   lu    dans  l'histoire  du 

monde  que  ,  Dieu  ayant  parlé  ,  toutes  choses 
ont  été  faites.  Si  la  parole  a  pu  du  néant  faire 
ce  qui  n'était  point  encore  ,  ne  pourra-t-elle 
pas  changer  en  d'autres  natures  celles  qui  sont 
déjà  faites  ? 

Servons-nous,  ajoute  saint  Ambroisf1  ,  des 
exemples  que  Dieu  nous  fournit.  Etablissons 
la  vérité  de  l'eucharistie  par  l'exemple  de  l'in- 
carnation du  Sauveur.  Il  est  visible  que  c'est 
contre  l'ordre  d-e  la  nature  qu'une  vierge  soit 
devenue  mère.  Or,  ce  corps  que  nous  produi- 
sons dans  le  sacrement  est  le  même  corps  qui 
est  né  de  la  sainte  Vierge.  Pouiquoi  cherchez- 
vous  l'ordre  delà  nature  dans  la  production 
du  corps  de  Jésus-Christ  dans  nos  mystères, 
puisque  c'est  contre  l'ordre  de  la  nature  qu'il 
est  né  d'une  vierge  ?  C'est  la  véritable  chair 
qui  a  été  crucifiée.  Jésus-Christ  dit  lui-même  : 
Ceci  est  mon  corps.  Avnnt  la  consécration 
qui  se  fait  avec  les  paroles  célestes,  on  donne 
à  cela  un  autre  nom  ;  mais  après  la  consécra- 
tion il  est  nommé  le  corps  du  Christ  ;  or  vous 
répondez  :  Amen  ,  c'est-à-dire,  cela  est  vrai  ; 
croyez  donc  de  cœur  ce  que  vous  confesses 
de  bouche  (De  iniliandis,  cap.  9). 

Saint  Cyrille  de  Jérusalem  s'explique  pres- 
que dans  les  mêmes  termes:  Lorsque  Jésus- 
Christ,  dit  ce  Père,  nous  assure  et  nous  dit 
lui-même,  en  parlant  du  pain:  Ceci  est  m  mi 
corps,  qui  oserait  en  douter?  Et  lorsqu'il  dit 
de  même  :  Ceci  est  mon  sang,  qui  oserait  dire 
que  ce  n  est  pas  véritablement  son  sang  (  Ca- 
tech.  myst.  k). 

Ce  Père  se  sert  ensuite  de  la  comparaison 
de  l'eau  changée  en  vin  aux  noces  de  Cana  , 
pour  prouver  que  si  le  Sauveur  du  monde 
a  eu  le  pouvoir  de  faire  ce  miracle  ,  on  ne 
doit  pas  douter  qu'il  n'ait  celui  de  changer 
le  pain  et  le  vin  en  son  corps  et  en  son  sang. 
C'est  pourquoi,  ajoute-l-il  ,  recevons  aver  une 
pleine  certitude  le  corps  et  le  sang  de  Jésus- 
Christ;  car  on  nous  donne  son  corps  sous 
l'espèce  du  pain  ,  et  son  sang  sous  Ceepèee  du 

vin Ainsi  ne  regardez  pus  M  pain  et  ce  MM 

CMUIM  ses  éléments  nus  ;  car  c'est  le  corps  et 
le  sang  de  Jésus-Christ,  selon  les  propres  pa- 
roles du  Seigneur.  Malgré  l'indication  de  vos 
sens,  que  votre  foi  n-anmoins  v>  us  empêche 
de  juger  pur  t  ire  goal  ,  et  que  ce  soit  celle 
même  foi  ijui  vous  met  croire  sans  hésiter  que 
l'on   vous  donne   le  c   rps  et  le  sang  rf|  J  sus- 

Chrisi Souee  donc  certaine  que  le  pain  que 

veut  voues  n'est  plue  du. pain,  quoique  votre 
goût  vous  le  dise ,   mais  que  c'est  te  corps  du 


40G1 


PREMIERE  HARANGUE  Al  ROI  LOUIS  XIV. 


1062 


Seigneur  y  et  que  le  vin  que  l'on  vous  donne 
n'est  pas  du  vin,  quoiqu'il  paraisse  tel  à  votre 
août,  mais  que  c'est  le  sang  de  Jésus-Christ 
{Lac.  cit.). 

Ces  passages  sont  si  évidents  ,  que  toute 
explication  serait  superflue. Ces  expressions, 
ces  comparaisons  de  changement  de  substan- 
ces ,  ces  transformations  de  natures  ,  celle 
efficace  attribuée  non  à  la  foi,  mais  à  la  con- 
sécration et  à  la  parole,  tout  cela  prouve  à 
la  fois  bien  clairement  la  transsubstantiation 
et  l'existence  de  Jésus-Christ  dans  l'eucha- 
ristie hors  le  temps  même  de  la  manducation 
el  de  l'usage. 

C'est  ainsi  que  s'expliquait ,  sur  les  Caté- 
chèses de  saint  Cyrille,  un  savant  cardinal  de 
ce  siècle  ,  dont  les  paroles  sont  assez  belles 
pour  être  transcrites.  Il  n'y  a  point,  dit-il, 
d'énigmes  ni  d'illusions  dans  les  instructions 
de  Cyrille.  Ce  n'était  point  là  le  temps  d'user 
d'hyperboles ,  ni  de  périlleuses  observations 
d'éloquence ,  mais  d'arroser  les  jeunes  el  ten- 
dres plantes  de  l'Eglise  de  la  pure  et  simple 
vérité  de  la  foi.  Ce  sont  les  néophytes,  les  nou- 
veaux baptisés,  les  enfants  naguère  engendrés, 
qu'il  instruit  et  catéchise  de  la  droite  et  sin- 
cîre  croyance  qu'ils  doivent  avoir  de  ce  mys- 
tère ,  pour  s'y  présenter  dignement  et  non  à 
leur  condamnation....  L'impression  qu'il  leur 
donne  alors,  comme  à  une  terre  molle  et  neu- 
ve, pour  en  former  des  vaisseaux  de  grâce  et 
d'élection  propres  à  contenir  ce  sacré  trésor, 
est  celle  qu'ils  doivent  conserver  toute  leur  vie 
(Du  Perron,  de  Euchar.). 

Finissons,  mes  très-chers  frères,  cette  ins- 
truction que  Dieu  m'a  inspirée  pour  votre 
salut,  et  recevez-la  avec  docilité  el  avec  fruit  ; 
nous  vous  donnerons  à  loisir  des  éclaircisse- 
ments sur  les  autres  dogmes  de  la  religion. 
Heureux  si  nous  pouvions  jeter  dans  vos 
cœurs  ces  troubles  salutaires  qui  émeuvent 
les  consciences  el  qui  opèrent  ane  conver- 
sion solide.  La  gloire  en  serait  à  Dieu,  de  qui 
vient  tout  don  céleste,  non  pas  à  mes  paroles, 
qui  sont  faibles  et  inefficaces  par  elles-mê- 
mes. Sa  grâce  est  toute-puissanle  quand  il 
lui  plaît  ,  indépendamment  des  ouvriers 
qu'elle  emploie  pour  son  œuvre,  el  je  puis 
dire  avec  saint  Paul  :  Je  n'ai  point  employé, 
en  vous  instruisant,  les  discours  persuasifs  de 
la  sagesse  humaine  ,  mais  les  effets  sensibles  de 
l'esprit,  de  la  vertu  de  Dieu,  afin  que  votre  foi 
ne  suit  point  établie  sur  la  sagesse  des  hommes, 
mais  sur  la  puissance  de  Dieu  même  (I  Cor., 

Si  vous  avez  des  difficultés  et  des  doutes, 
venez  à  nous  avec  confiance.  Toujours  prêts 
à  vous  répondre  et  à  vous  instruire,  nous 
vous  rendrons  raison  de  notre  foi  (Philem., 
v.  19) ,  el  nous  tâcherons  d'édifier  la  vôtre. 
Nous  vous  devons  l'instruction  et  notre  se- 
cours; nous  nous  devons  nous-mêmes  aux 
grands  et  aux  petits, aux  forts  elaux  faibles, 
aux  docles  et  aux  ignorants  de  ce  diocèse. 
La  Providence  m'a  établi  voire  pasteur;  mal- 
heur à  moi  si  je  ne  vous  instruis  pas!  mal- 
heur à  vous  si  vous  ne  voulez  pas  écouler 
nvi  voix!  Dieu  esl  témoin  que  je  vous  porte 
tous  dans  mon  cœur  et  dans  mes  cnlrailles 


(lbid.,  12),  et  que  je  souhaite  ardemment  d'ê- 
tre aimé  de  vous. 

Résisterez-vous  encore  longtemps  à  la  vé- 
rité qui  vous  presse,  et  ne  craignez-vous 
poinl  les  maux  qu'une  trop  longue  résistance 
peut  vous  ailirer?  Pour  moi,  la  douceur,  la 
persuasion,  la  charité,  les  condescendances 
permises,  seront  toujours  les  objets  de  mon 
ministère,  et  cette  conduite  n'est  pas  moins 
conforme  à  mon  inclination  que  convenable 
à  mes  devoirs.  Je  gémirai  sans  cesse  jusqu'à 
ce  que  Jésus-Christ  soit  pleinement  formé  en 
vous  (Galat.,  IV,  19)  ;  je  dois  aimer  votre 
salut,  puisque  Dieu  me  demandera  compte 
de  mon  administration  âme  pour  âme,  et  que 
vous  serez  un  jour  ma  récompense  ou  ma 
eonfusion.  Vos  intérêts,  même  temporels, 
me  sont  précieux  ;  je  voudrais  vous  procurer 
le  repos  el  la  paix  dans  vos  biens  et  dans 
vos  familles,  persuadé  que  les  pasteurs  doi- 
vent imiter  la  Providence  qui ,  outre  l'héri- 
tage éternel  qu'elle  promet  à  ses  enfants,  leur 
donne  aussi,  quand  il  convient  à  leur  sancti- 
fication, la  félicité  de  la  terre. 

N'écoutez  donc  point  les  mauvais  conseils 
que  certains  esprits  factieux,  ennemis  de  vo- 
tre repos  et  de  leur  patrie,  vous  donnent  ou 
dans  leurs  discours  ou  dans  leurs  libelles.  Et 
je  vous  dis,  en  finissant,  ces  paroles  de  saint 
Paul  :  Il  y  a  des  gens  qui  vous  troublent  et  qui 
veulent  renverser  l'Evangile  de  Jésus-Christ  ; 
mais  je  vous  le  dis  encore,  si  quelqu'un  veut 
vous  enseigner  une  doctrine  différente  de  celle 
que  nous  vous  avons  annoncée,  qu'il  soit  ana- 
thème  [Galat.,  II,  7).  Revenez  sincèrement  à 
l'Eglise,  qui  vous  appelle  et  qui  vous  sou- 
haite, afin  que  la  paix  de  Jésus-Christ,  qui 
est  la  vie,  la  voie  et  la  vérilô,  habile  toujours 
dans  vos  cœurs  et  dans  vos  consciences. 

Donné  à  Montauban,  le  15  juillet  1G99. 

PREMIÈRE  HARANGUE  AU  ROI, 

Prononcée  le  16  août  1G9V,  ri  la  tête  des  dé- 
putés des  trois  Etats  de  la  province  de  Lan- 
guedoc. 

Sire, 

Nous  approchons  de  votre  personne  sacrée 
avec  un  profond  respect  et  une  parfaite  con- 
fiance. Nous  sommes  également  éblouis  par 
l'éclat  qui  vous  environne,  et  attirés  par  la 
douceur  qui  le  tempère;  nous  envisageons 
moins  votre  puissance  que  l'accueil  favora- 
ble dont  Votre  Majesté  nous  honore,  et  votre 
bonté  nous  rassure,  lorsque  tant  de  grandeur 
et  lant  de  gloire  nous  étonnent. 

Que  vos  ennemis  vous  craignent  comme  lo 
plus  redoutable  de  tous  les  rois  ;  permettez- 
nous  de  vous  regarder  comme  le  plus  aima- 
ble de  tous  les  maîtres.  Sous  celle  idée,  si 
douce  pour  nous,  si  digne  de  vous,  Sire,  nous 
vous  apportons  les  hommages  accoutumés  do 
notre  province.  Les  peuples  qui  nous  eu- 
voient,  et  dont  nous  sommes  les  interprètes, 
vous  offrent  par  noire  bouche  un  tribut  d'a- 
mour que  Dieu  même  ne  déd, ligne  pas,  et 
Votre  Majesté  règne  sur  leurs  cœurs  et  sur 
leurs  csprils  avec  un  empire  plus  absolu  que 


«0C5  OHATCCRS  SACRES.  DE  NESMOND. 

celui  que  la   royauté  vous  donne  sur  leurs 
bîeoi  et  sur  leurs  fortunes. 

Ouel  honneur,  quelle  joie  pour  nous,  Sire, 
de  nous  renouveler  les  assurances  d'un  zèle 
ardent  et  d'une  inviolable  fidélité,  de  venir 
tous  les  ans  serrer  les  nœuds  sacrés  qui  nous 
lient  à  votre  souveraineté  et  vous  expliquer 
les  sentiments  qui  nous  attachent  à  votre 
personne,  de  pouvoir  admirer  de  près  un 
monarque  que  sa  présence  montre  encore 
plus  grand  que  la  renommée  ne  le  public,  et 
qui,  par  des  actions  peut-être  trop  héroïques 

fiour  la  foi  de  la  postérité,  a  toujours  humi- 
ié  les  nations  conjurées  contre  sa  puissance 
et  contre  sa  gloire. 


toa 


Vous  attaquez,  Sire,  avec  supériorité,  lors- 
que tout  autre  prince  que  vous  ne  serait  que 
trop  occupé  du  soin  de  se  soutenir  et  de  se 
défendre.  Dans  celte  guerre  où  l'on  voit  tant 
de  potentats  réunis  sous  des  étendards  sacri- 
lèges, on  croirait  la  résistance  difficile  et  les 
conquêtes  impossibles  :  cependant  Votre  Ma- 
jesté surpasse  toujours  notre  attente;  elle  ne 
6e  borne  pas  à  la  conservation  de  ses  frontiè- 
res, elle  les  étend  toutes  les  années.  Elle 
prend  non-seulement  des  villes,  elle  subju- 
gue des  provinces,  et  pendant  qu'elle  décon- 
certe en  tous  lieux  les  desseins  de  ses  enne- 
mis, elle  égale  le  nombre  de  ses  triomphes 
à  celui  de  ses  entreprises. 

La  Catalogne  vient  de  sentir  l'effort  de  vos 
armes,  et  une  victoire  a  été  le  présage  heu- 
reax  de  cette  campagne.  Ni  le  passage  des  ri- 
vières (1),  ni  la  difficulté  des  postes,  n'ont  pu 
arrêter  une  armée  que  votre  esprit  animait; 
dans  l'exécution  de  vos  ordres  elle  n'a  rien 
trouvé  d'impossible,  et  telle  est  l'intrépidité 
de  vos  troupes  ,  accoutumées  à  vaincre  sur 
la  terre  et  sur  la  mer,  qu'elle  nous  Ole  l'in- 
quiétude des  événements,  et  aux  vaincus  la 
honte  de  leur  défaite. 

Vous  ordonnez  le  siège  d'une  ville  (Pala- 
mos)  qui  ne  se  défend  que  pour  être  prise 
avec  plus  de  valeur,  et,  passant  à  de  plus 
nobles  projets,  vous  soumettez  une  place  ^Gi- 
rone)  si  souvent  fatale  à  nos  prospérités,  et 
qui,  forcée  enfin  à  vous  obéir,  a  éprouvé  ce 
que  l'Europe  entière  éprouve  comme  elle, 
un  génie  plus  fort  que  le  sien,  et  un  ascen- 
dant plus  infaillible  que  sa  résistance. 

En  même  temps  et  dans  un  autre  climat  ce 
fils  auguste  à  qui  vous  avez  confié  votre  fou- 
dre étonne  ce  corps  nombreux  de  tant  de 
nations  rassemblées,  il  confond  par  sa  seule 
présence  leurs  capitaines  les  plus  habiles  et 
leurs  troupes  les  plus  aguerries;  inspiré  par 
vos  ordres  et  formé  sur  votre  modèle,  il  fait 
craindre  dans  la  Flandre  le  vainqueur  de 
Philisbourg  et  ne  trouve  dans  ses  desseins 
que  l'obstacle  ordinaire  aux  héros  trop  re- 
doutés. On  n'ose  les  attendre,  et  le  bruit  de 
leur  nom  laisse  moins  à  faire  à  leur  cou- 
rage. 

La  victoire  fidèle  accompagne  partout  vos 
désirs,  et  vos  ennemis,  Sire,  ne  descendent 
sur  les  côtes  de  la  Bretagne  (Brest)  que  pour 
apprendre  par  de  nouveaux  malheurs  qu'ils 
ue  peuvent  tromper  votre  vigilance  ni  sur- 

(1)  BjUiIIc  de  la  rivière  du  Ter. 


la  gloire  de  leurs  tro- 


prendre  voire  sagesse.  Leur  entreprise  et 
leur  défaite  n'ont  été  qu'une  même  rhose. 
ll>  ont  perdu  leur  chef,  leurs  soldats,  leur 
réputation.  Nos  rivages  ont  été  couverts  du 
débris  de  leurs  vaisseaux, et  leurs  vastes  pro- 
jets, qui  tenaient  la  ligue  attentive,  ont  été 
bornés  à  la  désolaliou  d'une  ville  sans  mu- 
raille et  sans  défense  (Dieppe).  Vaine  conso- 
lation! faible  avantage!  dont  leur  orgueil  ne 
peut  se  glorifier,  dont  la  dépense  est  plus 
grande  que  notre  perte,  et  qui  est  plutôt  le 
monument  de  leur  désespoir  et  de  leur  rage 
que  de  leur  puissance  et  de  leur  valeur. 

Tant  «l'heureux  succès,  Sire,  sont  la  ré- 
compense de  votre  zèle.  11  est  juste  que  Dieu 
soutienne  un  bras  qui  n'est  armé  que  pour 
maintenir  nos  autels.  La  religion  catholique, 
attaquée  par  ses  ennemis,  trahie  par  ses  pro- 
pres enfants, ne  reconnaît  que  vous  pour  son 
protecteur;  vous  seul  aujourd'hui  reagej 
son  culte  et  ses  intérêis,  vous  l'édifiez  par 
vos  exemples  comme  vous  la  défendez  par 
vos  armes  ;  vous  vous  proposez  pour  modè- 
les ces  rois  vos  prédécesseurs,  qui  ont  été 
plus  célèbres  encore  par  leur  sainteté  que 
par  leurs  exploits,  et  vous  imitez  leur  piété 
après  avoir  effacé 
phées. 

Que  n'a  pas  fait  Votre  Majesté,  dans  ce 
temps  de  tribulation  et  de  douleur,  où  le 
ciel,  irrité  contre  nous,  avait  troublé  la  joie 
de  nos  constantes  prospérités  par  une  disette 
presque  universelle!  Malgré  les  dépenses 
d'une  guerre  longue  et  opiniâtre,  vous  avez 
consacré  des  fonds  aux  exercices  religieux 
de  la  miséricorde  chrétienne;  on  vous  a  vu 
resserrer  votre  magnificence  pour  étendre 
votre  charité.  Par  une  heureuse  et  louable 
imitation,  votre  zèle  a  passé  jusqu'à  vos  su- 
jets; combien  de  bonnes  œuvres  connues  et 
inconnues  ont  été  le  fruit  de  vos  ordres  et  do 
vos  exemples!  11  semble  que  Dieu  n'ait  aflligé 
votre  peuple  que  pour  donner  plus  de  ma- 
tière à  vos  vertus,  et  pour  nous  montrer  en 
vous  un  prince  plus  occupé  des  soins  labo- 
rieux de  la  royauté  que  de  la  grandeur  mon- 
daine qui  l'environne. 

Votre  prévoyance  n'a  pas  été  moins  utile 
que  votre  charité.  Vos  vaisseaux  nous  ont 
apporté  des  moissons  que  nous  n'avions 
point  semées,  vous  avez  rendu  les  nations 
éloignées  tributaires  de  votre  prudence  ;  com- 
bien de  maux  menaçaient  le  royaume  le  plus 
fertile  de  l'univers,  s'il  ne  vous  avait  pas  eu 
pour  maître!  Et  cette  circonstance  de  votre 
vie,  Sire,  ne  vous  sera  pas  moins  glorieuse 
que  la  suite  continuelle  de  vos  victoires. 
L'art  des  ressources  est  toujours  l'effet  de  la 
sagesse  et  de  la  vertu,  au  lieu  que  les  con- 
quêtes sont  quelquefois  l'ouvrage  de  la  puis- 
sance et  de  la  fortune. 

Nous  sentons  le  bonheur  de  vivre  sous  vo- 
tre empire,  et,  dépositaires  aujourd'hui  des 
vœux  de  la  province  qui  nous  envoie,  que 
ne  pouvons-nous  vous  exprimer  son  respect, 
sa  soumission  ,  sa  reconnaissance  ! 

Pénétrée  de  ses  obligations,  elle  n'épargne 
ni  les  biens  ui  la  vie  de  ses  peuples;  elle 


10C3 


DEUXIEME  HARANGUE  AU  ROI  LOUIS  XIV. 


10GG 


ue  connaît  (!ans  ses  assemblées  d'autre  règle 
que  sa  fidélité,  dans  sa  conduite  d'autre  mo- 
tif que  ses  devoirs,  dans  ses  dons  d'au- 
tres bornes  que  vos  volontés.  Elle  donne 
tous  les  jours  des  secours  à  votre  Etat 
et  des  victimes  à  votre  service.  Tous  les  or- 
dres qui  la  composent  s'empressent  à  signa- 
ler leur  obéissance,  ils  vous  dévouent  leur 
sang,  i!s  vous  consacrent  leurs  fortunes ,  cl 
tous,  animés  d'un  égal  désir  de  vous  plaire, 
ou  s'immolent  ou  s'épuisent  pour  votre  gloire. 

Oui,  Sire,  celte  province,  qui  fut  toujours 
si  fidèle,  sera  toujours  soumise  à  vos  lois  : 
quoiqu'elle  sente  le  poids  des  contributions 
que  Votre  Majesté  demande  à  regret,  et  que 
la  guerre  rend  nécessaires,  elle  vous  offre  en- 
core loul  ce  qui  lui  reste  :  comme  vous  devez 
tout  attendre  de  son  amour,  elle  doit  tout  es- 
pérer de  votre  bonté.  Vos  victoires  lui  pro- 
mettent un  meilleur  avenir,  et  dans  l'attcuto 
d'une  paix  que  voire  puissance  prépare,  et 
que  vous  préférez  aux  titres  de  vainqueur  et 
de  conquérant,  elle  se  soutient  par  son  zèle 
et  se  console  par  l'espérance. 

Après  ces  hommages  sincères  et  respec- 
tueux, que  nos  cœurs,  [dus  éloquents  que 
nos  discours,  ne  peuvent  jamais  cesser  de 
vous  rendre,  nous  n'avons  qu'à  demander  au 
ciel  que  la  vie  de  Votre  Majesté  soit  aussi 
longue  qu'elle  es!  héroïque, qu'elle  est  néces- 
saire :  vivement  persuadés  que  nous  (enfer- 
mons dans  cet  unique  souhait  non-seulement 
la  félicité  de  voire  royaume,  niais  encore  le 
bonheur  de  toute  l'Europe,  dont  vous  serez 
ou  le  pacificateur  par  votre  modération,  ou 
le  maître  par  vos  conquêtes. 

DEUXIÈME  HARANGUE  AU   ROI, 

Prononcée  à  Versailles,  le  20  septembre  1700, 

pour  la  clôture  de  rassemblée  générale  du 

clergé  de  France. 
Sire, 

Nous  vcnons.au  pied  do  trône  de  Votre 
Majesté,  remplir  en  nous  séparant  le  plus 
juste  et  le  pus  important  de  nos  devoirs.  No- 
tre assemblée  a  commencé  par  votre  autorité, 
permettez  quelle  finisse  par  nos  remercî- 
menls  et  par  nos  vœux,  et  qu'approchant  de 
votre  auguste  personne  comme  on  approche 
des  choses  sacrées,  c'est-à-dire  avec  respect 
et  avec  confiance,  nous  renouvelions  les 
Irès-humblcs  actions  de  grâces  que  nous  de- 
vons à  voire  piété,  à  votre  protection  et  à 
votre  zèle. 

Le  sujet  qui  nous  amène  aujourd'hui,  ce 
grand  nombre  de  sacrés  ministres  dont  j'ai 
l'honneur  d'être  l'interprète,  celte  foule  de 
spectateurs  attentifs,  nous  rappellent  le  sou- 
venir de  ces  temps  heureux  où  l'Eglise,  as- 
semblée dans  ses  conciles,  portail  aux  empe- 
reurs chrétiens  les  témoignages  de  sa  pro- 
fonde vénération;  où  ses  dernières  actions 
étaient  toujours  destinées  aux  acclamations 
qu'elle  faisait  à  leur  honneur  ;  où  loul  reten- 
tissait des  expressions  tendres  et  sincères  de 
sa  reconnaissance  et  de  sa  joie,  et  où  les 
évoques,  dans  tout  l'appareil  de  leur  dignité, 
et  pleins  de  l'Esprit-Saint  qui  les  avait  ani- 
més dans  le  cours  de  leurs  séances,  allaient 

Orateuis  SACRÉS,  XXX 


offrir  à  leur  souverain,  avec  leurs  hommages 
particuliers,  ceux  de  leurs  églises  et  de  leurs 
provinces. 

Tels  furent  les  respects  des  Pères  du  con- 
cile de  Chalcédoine  pour  l'empereur  Marcien. 
Le  clergé  de  France,  Sire,  répèle  leurs  ex- 
pressions, et  adresse  aujourd'hui  les  mêmes 
vœux  à  un  prince  qui,  toujours  auguste  et 
toujours  pieux,  donne  sans  cesse  à  l'Eglise 
tanl  de  preuves  éclatantes  de  sa  protection; 
qui  reconnaît  que  les  rois  ne  sonl  grands  aux 
yeux  de  Dieu,  et  même  heureux  sur  la  terre, 
qu'autant  qu'ils  aiment  la  religion;  qui,  ne 
pensant  à  gouverner  son  royaume  que  par 
la  même  grâce  de  celui  qui  le  lui  a  mis  entre 
les  mains,  allire  sur  sa  personne  sacrée  les 
bénédictions  du  ciel,  et  qui  n'édifie  pas  moins 
l'univers  par  les  exemples  de  sa  piété,  qu'il 
ne  i'étonne  par  les  prodiges  de  son  règne. 

Aussi,  quels  succès  n'a  point  eus  Voira 
Majesté  quand  de  justes  raisons  ont  armé 
votre  bras  et  fait  voir  votre  puissance!  Si- 
gnaler chaque  campagne  par  des  victoires 
ou  par  des  conquêtes;  entreprendre  et  finir 
des  sièges  fameux,  malgré  les  obstacles  des 
saisons  et  des  éléments;  étendre  votre  domi- 
nation jusque  sur  les  rivages  du  nouveau 
monde,  et  enrichir  vos  sujets  des  pertes  et 
des  dépouilles  de  vos  ennemis;  porlcr  la  dé- 
solation et  la  terreur  au  milieu  îles  Etats  voi- 
sins, pendant  que  vos  frontières  jouissaient 
d'une  heureuse  tranquillité;  fixer  au  gré  de 
vos  désirs  les  caprices  et  l'inconstance  de  la 
fortune,  et  la  rendre,  pour  ainsi  dire,  tribu- 
taire de  voire  prudence;  suppléer  à  la  stéri- 
lité des  moissons  par  des  ressources  de  pré- 
voyance que  vos  peuples  consternés  n'o- 
saient espérer,  cl  ne  craindre  presque  jamais 
les  adversités  que  le  sort  des  armes  rend  si 
ordinaires  dans  les  longues  guerres  :  ce  sonl, 
Sire,  les  bénédictions  que  le  ciel  a  répandues 
sur  vous  et  sur  voire  empire,  et  qui  ne  sont 
pas  moins  la  récompense,  de  voire  piété  quo 
la  source  et  le  principe  de  voire  gloire. 

Oui,  Sire,  vous  seul  avez  détruit  les  pro- 
jets d'une  ligue  que  le  nombre  de  ses  armées 
el  l'expérience  de  ses  capitaines  rendaient 
redoutable.  Votre  Majesté  a  toujours  vaincu 
lorsqu'à  peine  la  résistance  paraissait  pos- 
sible; voire  fermeté  a  fait  notre  confiance; 
cl,  sûrs  des  événements,  nous  ne  craignions 
que  les  périls  où  pouvait  vous  exposer  voire 
courage.  Le  Dieu  de  Clovis,  de  Charlemagnc 
et  de  saint  Louis,  a  protégé  l'auguste  suc- 
cesseur de  leurs  vertus  cl  de  leur  couronne, 
et  il  semble  que  le  ciel  n'ait  permis  l'union 
de,  tant  de  nations  conjurées  contre  vous  que 
pour  donner  une  plus  noble  matière  à  vos 
travaux  et  à  vos  triomphes. 

Ouellc  suite  de  prospérités  ne  vous  pro- 
mettaient point  voire  supériorité  el  votre 
puissance  I  Mais  voire  piété  a  désarmé  votre 
valeur.  Selon  la  maxime  de  saint  Augustin, 
Votre  Majesté  commença  la  guerre  par  né- 
cessité, cl  elle  l'a  finie  par  religion.  Vous 
avez  préféré  le  repos  et  la  tranquillité  de  vos 
peuples  à  vos  intérêts  et  (ce  qui  est  plus  rare 
dans  les  héros)  au  désir  flatteur  de  conqué- 
rir. Comblé  de  celle  gloire  humaine  qu'ac- 

3i 


««07  OKATFL'RS  SACRES.  DE  NF.SMOND. 

quièrenl  1*1  rois  holliquciix ,  vous  ne  pense/ 

qu'au  bonheur  solide  qu'éprouvent  les  rois 

pacifiques.  Ce    n'es!    point  sur  les   projet! 

d'une  aveugle  ambition   on   d'une   politique 

selon  la  chair  que  root  réglez  l'art  (Je  li- 
gner, niais  sur  le-  maximes  de   l'Fvangile  et 

sur  û*l  sentiments  de  voire  conscience;  |    r 

vous  el   par  vos  bienfaits  votre  royaume  va 

devenir  aussi  florissant  qu'il  est  redouté,  et, 

dans  le  sein  d'une  heureuse  pan  que  volrc 

prévoyance  affermit,  vous  assurez  1(1  félicité 

de  vos  sujets,  après  les  avoir  rendus  dans  la 

guerre  la  terreur  et  l'admiration  de  lout  l'u- 
nivers. 

Telle  fui  la  tranquillité  dont  jouit  autrefois 

le  peuple  de  Dieu  sous  la  conduite  du  plus 

puissant,  du  plus  aimé  et  du  plus  sage  des 

rois  d'Israël.  On  accourait  de  toutes  paris 

pour  admirer  la  prudence  de  ses  discours  et 

de  ses  conseils.  Au  seul  bruit  de  son  nom,  le 

monde  était  dans  le  silence  cl  dans  le  respect, 

et  sa  puissance  était  redoutable  à   tous  ses 

voisins.  Les  nations  allaient  dans  son  pays, 

ou    pour  y  apporter  les   richesses    de   leur 

commerce,  ou  pour  y  apprendre  la  politesse 

des  mœurs, des  sciences  et  des  arts.  On  payait 

avec  joie  les  subsides  que  le  prince  deman- 
dait avec  peine.  Le   laboureur,  tranquille, 

cultivait  l'héritage  de  ses  pères,  et  chacun, 

dans  les  villes  et  dans  les  campagnes,  bénis- 
sait à  l'envi  l'auteur  du  bien  public  et  du  re- 
pos de  toute  la  terre. 

Votre  Majesté  nous  prépare  les  douceurs 

de  ce  règne  si  célèbre  dans  l'Ecriture.  Nos 

inlérêls  occupent  tous  vos  soins  el  tous  vos 

désirs,  et  nous  pouvons  dire  de  vous  ce  que 

disait  autrefois  s . > i n t  Ambroise  d'un  grand 

empereur  :  que  si  son  autorité  suprême  le 

faisait  craindre,  sa  bonté  paternelle  le  faisait 

aimer;  qu'il  chérissait  son  royaume  comme 

un  père  tendre  chérit  sa  famille;  que  la  com- 
passion et  l'humanité,  vertus  si  dignes  des 
bons  rois,  formaient  le  caractère  de  son  cœur 
et  de  son  esprit;  et  que  le  bonheur  de  ses 
peuples  était  l'objet  le  plus  cher  de  sa  gran- 
deur et  de  sa  puissance. 

Le  clergé  de  France, Sire,  s'intéresse  selon 
ses  devoirs  aux  prospérités  de  votre  règne.  Il 
regarde  l'honneur  qu'il  a  d'être  le  premier 
corps  de  volrc  royaume,  non  pas  comme  un 
vain  litre  de  prééminence  et  de  privilège, 
mais  comme  une  obligation  de  donner  à  tous 
vos  sujets  des  exemples  édifiants  d'obéis- 
sance et  de  soumission.  Nous  ne  voulons  élre 
plus  élevés  que  pour  être,  s'il  est  possible, 
plus  fidèles.  Combien  de  vœux  offerts  au  Sei- 
gneur pour  voire  conservation  ci  pour  voire 
gloirel  Lorsque  vous  marchiez  pour  vos  ex- 
péditions militaires,  nous  invoquions  le  Dieu 
des  armées.  Volrc  augusle  nom  ,  répété  si 
souvent  dans  nos  saints  mystères,  redoublait 
la  ferveur  de  nos  sacrifices;  et  dans  tous  les 
événements  d'une  longue  guerre,  dans  les 
délais  d'une  paix  longtemps  fugitive,  el  que 
nous  désirions  encore  plus  pour  volrc  repos 
que  pour  le  nôtre,  nous  léchions,  au  pied  des 
autels  du  Dieu  vivant,  de  fléchir  sa  justice  ou 
d'attirer  sur  vous  ses  miséricordes 

Mais  nous  ne  nous   bornions  pas  à  nos 


vœux  et  à  nos  prières,  et  pendant  que  vus 
autres  sujets  n'épargnaient  ni  leurs  vies  ni 
leurs  fortunes,  nous  signalions  pour  n  OUI  BO> 
Ire  reconnaissance  el  notre  amour.  Ces  biens 
temporels  dont  Dlco  nous  a  commis  l'admi- 
nistration, non  pal  pour  llalt<  r  en  nous  le 
luxe  et  la  vanité,  mais  pour  la  subs;sl 
des  pauvres  et  pour  l'édification  «les  tii 
nous  les  avons  employés  avec  joie  aux  né- 
cessités d'une  guerre  que  rous  souteniez 
pour  l'intérêt  de  l'Eglise  et  pour  la  dé. 
de  la  foi.  Exempts  de  scrupule  par  le  saint 
usage  que  Votre  Majesté  faisait  de  nos  dons, 
notre  conscience  même  a  servi  de  motif  à 
notre  zèle.  Le  clergé  de  France  n'a  consulté 
ses  besoins  qne  pour  vous  en  faire  un  sacri- 
fice plus  parfait  cl  plus  absolu.  Presque  ac- 
cablés sous  le  poids  de  nos  contributions  et 
de  tant  de  dettes  contractées  depuis  quinze 
années,  nous  axons  épuisé  toutes  nos  res- 
sources :  heureux  d'avoir  pu  par  nos  biens 
soutenir  la  gloire  de  la  religion  et  servir  à 
vos  exploits  et  à  vos  victoires. 

Nous  ne  doutions  fias  que  la  paix  ne  nous 
ramenât  un  temps  plus  heureux,  et  par  \ os 
bienfaits, Sire,  noire  attente  n'a  pas  été  v  aine. 
Malgré  !e>  dépenses  excessives  d'une  guerre 
si  longue  el  si  opiniâtre,  vous  avez  uubl  é 
vos   propres   intérêts,   dans  l'impatience  de 
nous  soulager.  En  nous  remettant  une  partie 
du  don  que  noire  assemblée  vous  avait  of- 
fert, Votre  Majesté  a  connu  nos  besoins,  pré- 
venu nos  désirs  et  surpassé  nos  espérances. 
Les  ministres  du  Seigneur,  touchés  de  celte 
marque  éclatante  de  votre  confiance  et  de 
votre  estime,  ont  redoublé  partout  leurs  ac- 
clamations el  les  sentiments  de  leur  respec- 
tueuse reconnaissance.  Nos  registres  conser- 
veront avec  soin  le  souvenir  précieux  de  vo- 
tre bonté,  et  nous  apprendrons  à  la  postérité, 
jalouse  des  douceurs  dont  nous  jouissons, 
que  jamais  prince  ne  commanda  à  des  sujets 
si  fidèles  et  si  dévoués  et  que  jamais  sujets 
n'obéirent  a  un  prince  si  juste  etsi  bienfaisant. 
En  effet,  quel   monarque   mérita  comme 
Volrc    Majesté    l'hommage   et   l'amour    d<  s 
peuples  qui  lui  sont  soumis?  C'est  sous  votre 
règne  ,  aussi   puissant  que    religieux  ,  que 
nous  voyons  la  fureur  des  duels ,  plus  fatale 
à  la  France  que  les  guerres  les  plus  cruel- 
les, abolie  et  presque  oubliée;  la  licence  des 
mœurs  el  l'impiété  proscrites,  ou  du  moins 
forcées  de  se  cacher;  la  justice  et  les  lois 
écoutées  avec  respect  el   suivies  avec  s  u- 
misslon;  les  dignités  ecclésiastiques, et  même 
la   pourpre   romaine,  sous  des    rois   moins 
pieux  et  moins  attentifs,  l'objet  de  l'ambi- 
tion et  de  la  faveur,  aujourd'hui  le  prix  du 
mérite  et  de  la  vertu;  l'autorité  des  evéques, 
en    tant   de    lieux    la    victime    des    hos! 
exemptions   et  des   privilèges  abusifs, 
blie  dans  les  droits  que    Dieu    même    leur   a 
confiés;  la  piété,  que  la  cour  ne  connaissait 
guère,  pratiquée  dans  tous  les  états  cl  hono- 
rée  de  voire   estime  et  de  vos  bienfaits,  et 
I  hérésie  enfin  expirante,  moins  |  ar  \  t  tre  au- 
torité que  par  vos  exemples  el  par  vo  :  e  zèle. 
Le  ciel  vous  avait  réservé,  Sire,  pour  dé- 
truire dans  volrc  royaume  le  schisme  de  ce* 


1069 


DEUXIEME  HARANGUE  AU  ROI  LOUIS  XIV. 


1070 


derniers  siècles.  Comme  il  choisit  autrefois 
Salomon  pour  bâtir  le  temple  matériel  de 
Jérusalem,  il  vous  destina,  par  une  vocation 
personnelle,  l'honneur  immortel  d'augmen- 
ter l'édifice  spirituel  de  l'Eglise,  où  s'unis- 
sent les  vrais  fidèles.  Votre  Majesté  n'em- 
ploie pour  ce  grand  ouvrage  que  le  seul  se- 
cours de  la  charité,  des  bienfaits  et  de  la  pa- 
tience. Vos  édits  ont  aboli  le  faux  culte,  et 
vos  bontés  disposent  les  cœurs  à  la  vérité. 
Chaque  jour  reviennent  dans  nos  troupeaux 
ces  brebis  dispersées  que  les  préjugés  d'une 
malheureuse  naissance  avaient  séduites.  Ces 
néophytes  sincères  vous  regardent  comme  le 
minisire  de  la  Providence,  et  avouent  qu'ils 
vous  doivent  leur  conversion.  Vous  contri- 
huez  à  leur  salut  et  ils  servent  à  voire  sanc- 
tification, et,  pour  me  servir  des  paroles  de 
saint  Paul,  s'ils  font  la  joie  et  la  consolation 
de  l'Eg!ise,  ils  sont  aussi  votre  récompense 
et  votre  gloire. 

Vos  augustes  prédécesseurs  auraient-ils 
cru,  Sire,  que  ce  parti,  si  fier  et  si  redouté 
dès  les  premiers  temps  de  son  origine,  ver- 
rait bientôt  sa  chule  et  sa  fin  dans  tout  ce 
royaume;  que  ces  vills  fameuses,  autrefois 
l'asile  de  l'iniquité  et  du  mensonge,  et  quel- 
quefois de  la  rébellion  ,  deviendraient  et  sou- 
mises et  catholiques;  que  les  enfants,  par 
leur  docilité  et  par  leur  foi,  répareraient  la 
désobéissance  et  l'incrédulité  de  leurs  pères; 
que  la  croix  de  Jésus-Christ  serait  plantée 
sur  les  ruines  des  temples  démolis,  et  que 
l'Eglise  serait  florissante  dans  les  lieux  mê- 
mes où  elle  avait  été  l'objet  d'une  injuste  per- 
sécution? Telles  sont  les  bornes  que  Dieu  a 
prescrites  à  toutes  les  sectes  :  tel*  étaient 
ses  desseins  sur  vous,  Sire,  et  par  votre  piété 
nous  approchons  de  ce  temps  si  désiré  Jont 
parlait  autrefois  saint  Jérôme  quand  il  disait 
que  la  France,  l'heureuse  France,  inacces- 
sible aux  erreurs  d'Arius  et  de  Pelage,  igno- 
rait jusqu'au  nom  fatal  du  schisme  et  de 
l'hérésie.  { 

Que  n'a  point  fait  Votre  Majesté  pour 
éteindre  ces  mystiques  subtilités,  ces  illu- 
sions erronées  ,  qui  s'insinuaient  dans  les 
cœurs  et  dans  les  esprits  sous  la  spécieuse 
apparence  d'une  sainte  spiritualité?  Votre 
prudence  en  a  connu  les  périls,  votre  auto- 
rité en  a  arrêté  le  cours,  et  voire  piété  en  a 
procuré  la  condamnation.  Pierre  a  parlé  par 
la  bouche  d'un  souverain  pontife  comparable 
aux  plus  grands  papes  des  premiers  siècles, 
et  à  un  jugement  si  sage  et  si  respectable, 
l'Eglise  gallicane  a  joint  son  acceptation. 
C'est  ainsi,  Sire,  que  par  vos  soins  les  nou- 
veautés suspectes  finissent  presque  dans  leur 
naissance,  que  rien  n'échappe  à  votre  pré- 
voyance et  à  vos  lumières,  et  que  vous  n'em- 
ployez jamais  plus  volontiers  votre  puis- 
sance que  lorsqu'il  s'agit  du  règne  de  Jésus- 
Christ  et  de  la  gloire  de  l'Eglise,  qui  est  son 
épouse. 

Pour  remplir  aussi  nos  devoirs  cl  pour 
suivre  les  pieux  sentiments  de  Votre  Majesté,, 
notre  assemblée  a  prononcé  sur  cet  amas 
confus  d'opinions  fausses  et  téméraires  que 
l'esprit  de  mensonge  introduit  tous  les  jours 


parmi  les  fidèles.  En  rendant  à  César,  comme 
sujets,  ee  que  nous  devions  à  César,  il  était 
juste  <jue  nous  rendissions  à  Dieu,  comme 
évoques,  ce  que  nous  devions  à  Dieu,  à  ses 
maximes,  à  sa  vérité.  Eloignés  et  d'une  vaine 
singularité  et  d'un  relâchement  dangereux, 
nous  avons  conservé  les  bornes  que  nos  pré- 
décesseurs avaient  posées.  Les  saints  canons 
ont  été  la  règle  de  nos  décisions.  Notre  voix 
s'est  élevée  contre  ces  erreurs  tant  de  fois 
proscrites,  tant  de  fois  naissantes,  et  dont  la 
condamnation  signala  les  premières  années 
de,  Votre  Majesté.  Animés  par  votre  zèle  , 
Sire,  nous  ne  tiendrons  jamais  la  vérité  cap- 
tive dans  l'injustice  ou  dans  le  silence,  et 
nous  transmettrons  à  nos  successeurs  le  dé- 
pôt précieux  de  la  doctrine  aussi  pur  et  aussi 
saint  que  nous  l'avons  reçu  pour  l'édification 
de  l'Eglise  et  pour  la  gloire  du  christianisme. 
Oui,  Sire,  par  voire  protection  le  clergé  do 
France  est  devenu  la  plus  heureuse  portion 
du  monde  chrétien,  pour  me  servir  des  ter- 
mes de  saint  Léon.  Nous  ne  formons  presque 
plus  de  désirs  que  votre  bonté  ne  prévienne. 
Exempts  de  l'inquiétude  que  causent  tou- 
jours les  demandes  les  plus  raisonnables,  à 
l'ombre  de  votre  justice,  nous  vivons  dans 
une  confiance  parfaite  et  tranquille.  Les 
plaintes  et  les  remontrances  qu'autrefois  les 
besoins  des  temps  rendaient  nécessaires  ont 
fait  place  aux  remercîments  et  aux  éloges. 
Nous  ne  pensons  aux  siècles  passés  que 
pour  mieux  sentir  la  félicité  du  nôlre,  et 
nos  assemblées  ne  viennent  plus  faire  enten- 
dre à  leur  souverain  les  tristes  accents  de  la 
colombe  mystique,  c'esl-à-dire  de  l'Eglise 
gémissante  sous  le  poids  de  ses  douleurs  et 
de  ses  disgrâces. 

Toutefois,  Sire,  la  charité  de  Jésus-Christ 
nous  presse  d'implorer  voire  zèle  et  votre 
bonté.  L'Eglise,  cette  mère  commune  des 
fidèles,  qui  vous  a  engendré  au  christia- 
nisme et  à  l'adoption  sainte  des  enfants  de 
Dieu  ;  qui  par  l'onction  sacrée  a  sanctifié  en 
vous  le  caractère  de  la  royauté;  qui  nourrit 
tous  les  jours  votre  foi  et  votre  piété  par  ses 
sacrements  et  par  le  ministère  de  sa  parole; 
qui  vous  promet  une  couronne  incorruptible, 
plus  estimable  que  celle  que  vous  portez  ici- 
bas  avec  tant  de  gloire;  celte  Eglise  enfin 
qui  vous  regarde  comme  le  premier  et  le 
plus  auguste  de  ses  enfants,  attend  de  Votre 
Majesté  le  rétablissement  des  conciles  pro- 
vinciaux, si  nécessaire  pour  assurer  la  pu- 
reté de  la  foi,  la  réformation  des  mœurs  et 
l'uniformité  de  la  discipline. 

Ces  assemblées  <  anoniques  porteront  vo- 
ire nom  jusque  dans  les  temps  les  plus  recu- 
lés, au  delà  même  des  temps. Le  sainl  concile 
de  Nicéc  rendit  celui  du  grand  Constantin 
plus  célèbre  que  la  défaite  de  Maxence  et 
de  ses  aulres  compétiteurs.  Nous  ignorerions 
aujourd'hui  la  grandeur  et  la  fortune  de 
Martien,  si  le  concile  de  Chalcédoine  n'en 
avait  transmis  le  souvenir  jusqu'à  nous.  Les 
règlements  ecclésiastiques  que  procura  la 
protection  de  Charlcinagnc  ont  éternisé  la 
mémoire  de  son  règne  et  de  sa  vertu.  Les 
monuments,  Sire,  que  l'on  érige  pour  voiro 


1071 


gloire  seront,  par  le  défaut  de  vraisemblance, 

suspects  de  mensonge  ou  d'adulation.  L'E- 
glise, !>cule  dépositaire  de  la  vérité  cl  <|ui  ne 
loue  qu'avec  discernement  et  avec  justice, 
pot  mériter  la  créance  de  l'avenir;  cl  la 
postérité,  qui  douterait  pcut-élrc  de  vos  faits 
héroïques  sur  la  déposition  de  l'histoire,  les 
croira  sur  la  foi  et  sur  le  témoignage  de  nos 
annales. 

Les  conciles  provinciaux  de  Reims,  de 
Houcn,  de  Naibonnc  el  de  Bordeaux,  con- 
voqués sous  les  derniers  régnes,  ont  été  di- 
gnes de  l'estime  et  de  la  vénération  du 
inonde  chrétien.  Par  cet  usage,  recommandé 
avec  tant  de  yèle  par  le  concile  de  Trente, 
l'Eglise  de  Fiance  vous  devrait,  Sire,  tout 
son  bonheur  et  toute  sa  gloire,  et  l'on  ver- 
rait, malgré  la  corruption  des  hommes  el  le 
relâchement  des  mœurs,  revivre  sous  votre 
protection  royale  l'exacte  discipline  des  saints 
canons;  mais  que  nos  vœux  soient  exaucés, 
ou  que  vous  en  suspendiez  l'accomplisse- 
ment, nous  obéirons  toujours  avec  soumis- 
sion, et  nous  aurons  pour  vos  ordres  ce 
respect  que  Dieu  seul  petit  exiger  de  nous, 
de  soumettre  jusqu'à  nos  désirs  et  nos  senti- 
ments les  plus  secrets  aux  vues  de  votre 
piété  et  aux  lumières  de  votre  prudence. 

Dans  l'attente  de  cette  nouvelle  grâce,  que 
nous  espérons  de  Votre  Majesté,  il  ne  nous 
reste  qu'à  vous  protester  en  corps  que  notre 
fidélité  est  ;iussi  inviolable  par  les  mouve- 
ments de  nos  cœurs  que  par  les  devoirs  que 
nous  prescrit  notre  caractère.  Les  nœuds 
qui  nous  attachent  à  vous,  Sire,  et  que  Dieu 
même  a  serrés,  nous  seront  toujours  chers 
et  toujours  sacrés.  Vos  vertus  nous  rendent 
aimable  celle  soumission  que  notre  nais- 
sance nous  rend  nécessaire.  Notre  soin  le 
plus  important  sera  d'enseigner  sans  cesse  à 
vos  peuples  qu'ils  sont  heureux  de  vivre 
sous  votre  autorité,  et  nous  conserverons 
avec  joie  celle  gloire  qui,  selon  le  témoi- 
gnage de  Tertullien,  est  propre  au  christia- 
nisme, d'obéir  au  souverain  que  le  ciel  nous 
adonné,  non-seulement  par  le  motif  d'une 
crainte  humaine  et  politique,  mais  aussi  par 
les  sentiments  les  plus  vifs  el  les  plus  ar- 
dents de  la  religion  et  de  la  conscience. 

Après  ces  hommages  sincères  que  le  res- 
pect, la  reconnaissance  el,  si  je  l'ose  dire, 
l'amour  pour  votre  auguste  personne  exige 
de  nous,  nous  allons  dans  toutes  les  provin- 
ces de  votre  royaume  publier  vos  \crtus,  ra- 
conter vos  bienfaits,  imiter  votre  zèle  et  de- 
mander à  Dieu  qu'il  ne  trouble  jamais  le 
cours  de  vos  constantes  prospérités  ;  qu'il 
prolonge  une  vie  si  précieuse  et  si  héroïque 
au  delà  du  terme  ordinaire  que  la  Provi- 
dence a  prescrit  aux  hommes  ;  qu'il  mesure 
la  durée  de  vos  jours  sur  les  vœux  de  tous 
vos  sujets,  et  que  nos  successeurs,  long- 
temps après  nous,  puissent  encore  jouir  des 
douceurs  d'un  règne  si  grand  el  si  glorieux. 


ORATEURS  SACRES.  DE  NF.SMO.M»  1071 

TROISIÈME  BARANGUE  M    ROI, 


Pour  la  clôture  de  ïusscmblcc  du  clergé 
de  1711. 
Sire, 

Le  clergé  de  France  approche  de  Votre 
Majesté  avec  un  profond  respect  cl  avec  une 
parfaite  confiance,  il  vous  offre  ses  vœux  cl 
ses  acclamations  ordinaires.  Ses  dernières 
séances  sont  toujours  destinées  à  une  fonc- 
tion qui  lui  est  aussi  chère  que  glorieuse  ;  el 
quel  honneur  pour  moi  de  vous  présenter 
encore  en  ce  jour  les  très-humbles  homma- 
ges d'u;i  corps  illustre  dont  des  preuves 
éclatantes  viennent  de  signaler  la  fidélité,  el 
dont  les  temps  les  plus  dillicilcs  ne  sauraient 
ralentir  le  zèle  et  l'obéissance  1 

Quel  spectacle  édifiant  pour  tous  vos  peu- 
ples, quel  sujet,  Sire,  de  surprise  et  d'envie 
pour  vos  ennemis,  de  voir  l'Eglise  gallicane 
se  sacrifier  tous  les  jours  pour  la  défense  de 
voire  Etat,  oublier  ses  propres  besoins  pour 
ne  penser  qu'à  ceux  de  la  monarchie,  ne 
connaître  dans  ses  délibérations  d'autres 
bornes  que  vos  volontés,  d'autres  motifs  que 
la  nécessité  publique,  se  mettre,  malgré  sou 
épuisement  et  son  indigence,  au-dessus  de 
l'inquiétude  de  l'avenir  et  des  retours  secicts 
de  la  réflexion,  trouver  dans  son  dévoue- 
ment et  dans  son  amour  des  ressources  ines- 
pérées, et,  dans  l'espace  de  peu  d'années, 
l'aire  des  efforts  qu'en  deux  siècles  entiers 
nos  prédécesseurs  n'avaient  pu  faire  I 

Nous  les  faisons,  Sire,  ces  efforts  avec  cm- 
pressentent  et  avec  ardeur.  Si  nos  dons  sont 
immenses,  nos  résolutions  sont  promptes  el 
unanimes  ;  et  que  pouvons-nous  trouver 
d'impossible  pour  un  prince  qui  nous  honore 
toujours  de  sa  royale  protection  et  nous  re- 
garde comme  le  premier  objet  de  sa  bien- 
veillance, qui  ne  nous  assemble  qu'à  regret 
el  ne  nous  demande  qu'avec  peine,  qui  no 
touche  qu'avec  scrupule  à  ces  biens  tempo- 
rels destinés  pour  la  subsistance  des  pau- 
vres et  des  ministres  du  Dieu  vivant,  qui 
ménage  avec  bonté  notre  liberté  et  nos  pri- 
vilèges, qui  connaît  mieux  que  nous-mêmes 
les  ruines  du  sanctuaire,  qui  sent  nos  mal- 
heurs, qui  ne  pense  qu'à  les  soulager,  cl 
qui,  par  ses  expressions  tendres  cl  paternel- 
les, dont  nos  fastes  conserveront  un  souve- 
nir précieux,  nous  remplit  de  consolation  cl 
de  confiance! 

Nous  louons,  Sire,  le  Père  céleste,  d'où 
découle  tout  bien  parfait,  d'avoir  mis  dans  lo 
cœur  de  Votre  Majesté  cel  amour  filial  pour 
l'Eglise,  dont  vous  êtes  l'édification  et  le 
soutien,  ce  zèle  aident  pour  le  culte  des  au- 
tels, dont  vous  êtes  aujourd'hui  le  défen- 
seur, celte  foi  vive  el  supérieure  à  tous  les 
événements  de  la  vie  humaine,  cette  piélé 
constante  qui  vous  fait  sentir  qu'il  n'y  a  que 
Dieu  qui  possède  la  véritable  grandeur,  quo 
son  règne  seul  est  immuable  el  éternel,  que 
les  rois  ainsi  que  les  autres  hommes  sont 
assujettis  à  son  pouvoir  el  à  ses  décrets, 
que  le  bonheur  des  empires  est  dans  sa 
main  toute-puissante,  et  que  les  révolutions 
qui  arrivent  sur  la  face  de  l'univers  sont 


1073 


TROISIEME  HARANGUE  AU  ROI  LOUIS  XIV 


107* 


l'ouvrage  Je  sa  miséricorde  ou  de  sa  justice. 

C'est  celte  piélé  sincère,  Sire,  dont  Votre 
Majesté  donne  de  si  grands  exemples,  qui 
vous  a  engagé  à  désirer  la  paix,  que  vous 
avez  cru  ne  pouvoir  acheter  trop  cher,  à  gé- 
mir sur  les  malheurs  d'une  guerre  dont  Dieu 
demandera  compte  aux  puissances  qui  vous 
attaquent,  à  sacriOer  vos  conquêtes  les  plus 
chères  et  ces  places  importantes  qui  auraient 
été  le  prix  de  votre  valeur,  à  ôter,  par  une 
modération  si  digne  de  votre  bonté,  tous  les 
prétextes  odieux  qu'inspirent  la  crainte  et  la 
défiance,  à  offrir  des  conditions  que  des  en- 
nemis moins  jaloux  et  moins  orgueilleux  au- 
raient acceptées,  et  à  préférer  un  repos, 
aussi  nécessaire  à  l'Europe  qu'à  vos  sujets, 
aux  vues  mondaines  et  souvent  injustes  de  la 
politique  et  de  l'ambition. 

Votre  Majesté,  Sire,  ne  fait  la  guerre  que 
par  nécessité,  et  ses  motifs  sont  la  justice  et 
la  religion.  Fallait-il  qu'une  maison  inquiète 
et  jalouse  vînt  troubler  la  paix  et  le  calme 
heureux  dont  nous  jouissions,  qu'elle  formât 
contre  vous  une  ligue  redoutable  dont  la  du- 
rée est  le  prodige  de  ce  siècle,  qu'elle  rallu- 
mât un  feu  que  depuis  dix  ans  lant  de  sang 
répandu  ne  peut  éteindre,  qu'elle  établît  la 
domination  de  l'erreur  et  de  l'hérésie  dans 
des  pays  qui  furent  toujours  si  catholiques, 
qu'elle  osât  disputer  une  couronne  que  le 
droit  des  successions  lui  avait  autrefois 
donnée  et  que  le  même  droit  lui  a  ôtée  !  Et 
fallait-il  enfin  que  l'Europe  entière  devînt 
le  théâtre  infortuné  de  son  ambition  et  de  ses 
projets  1 

Aussi  Dieu  répand  libéralement  ses  béné- 
dictions sur  le  roi,  votre  auguste  petit-fils,  et 
sa  couronne  s'affermit  tous  les  jours,  mal- 
gré les  obstacles.  Une  journée  malheureuse 
et  l'invasion  de  la  capitale  de  sa  monarchie 
semblaient  avoir  décidé  de  la  destinée  de  l'Es- 
pagne; mais  le  Seigneur  préparait  ses  voies 
dans  le  secret  et  dans  le  silence.  Sa  provi- 
dence avait  mis  ce  prince  sur  le  trône,  cl  sa 
protection  l'y  soutient.  Il  a  confondu  l'or- 
gueil et  les  espérances  de  ses  ennemis.  L'im- 
prudence cl  la  présomption, suites  ordinaires 
de  la  témérité,  ont  borné  bientôt  leurs  pro- 
grès, et  leurs  premiers  succès  furent  la  cause 
même  de  leur  défaite. 

Quelle  joie  pour  une  nation  si  fidèle  à  son 
prince  légitime  de  le  voir,  à  la  tête  de  ses 
armées,  ramener  sous  ses  étendards  la  vic- 
toire fugitive,  animer  ses  soldais  par  ses  or- 
dres et  par  sa  présence,  tromper  le  savoir 
et  l'expérience  des  capitaines  les  plus  con- 
sommés, emporter  par  la  célérité  d'une  mar- 
che précipitée  une  ville  importante,  que  dé- 
fendaient des  troupes  aguerries,  gagner  une 
bataille,  cl  presque  dans  le  même  jour  deve- 
nir pour  ainsi  dire  le  conquérant  do  ses  pro- 
pres royaumes,  donnera  son  compétiteur  de 
grands  exemples  d'activité  et  décourage,  et 
laissera  l'Euroj  e  équitable,  si  elle  peut  l'être, 
le  soio  de  décider  qui  des  deux  est  le  plus  di- 
gne de  régner,  ou  du   rival   «.u  du  mailre  I 

Dans  le  même  temps,  en  Catalogne,  une 
place,  fameuse  autrefois  par  nos  disgrâces, 
se  soumettait  à  votre  domination.   Les  diffi- 


cultés d'un  siège  long  et  pénible  nous  en 
faisaient  craindre  l'événement.  La  rigueur  de 
la  saison  et  des  inondations  subites  et  impré- 
vues ne  purent  arrêter  l'intrépidité  de  vos 
troupes,  leur  constance  fut  à  l'épreuve  de 
tous  les  obstacles,  et  la  fureur  dos  éléments 
conjurés  ne  servit  qu'à  montrer  la  vigilance 
du  général  et  à  rendre  votre  conquête  plus 
éclatante. 

Après  les  malheurs  de  quelques  campa- 
gnes, qui  n'aurait  cru,  Sire,  votre  puissance 
affaiblie  et  la  France  découragée?  mais  Vo- 
tro  Majesté  trouve  toujours  des  ressources 
dans  sa  prévoyance  et  dans  sa  sagesse;  elle 
sait  attaquer  ou  se  défendre  avec  dignité, 
elle  oppo  c  partout  dos  armées  formidables, 
et  l'inaction  présente  de  ses  ennemis  suc- 
cède à  leurs  avantages  passés.  Nos  frontiè- 
res sont  tranquilles,  el  vos  provinces  ne 
craignent  point  les  vaines  menaces  d'une 
invasion.  Le  ciel  a  fait  sentir  à  la  ligue  aussi 
bien  qu'à  nous  des  tribulations  et  des  amer- 
tumes, et  la  mort  lui  a  enlevé  sa  première 
tête.  Qui  sait  les  desseins  de  Dieu  dans  une 
si  subite  révolution,  el  si  l'Allemagne,  au- 
trefois si  jalouse  des  droits  de  sa  liberté,  ne 
voudra  point  jouir  de  l'indépendance  et  sui- 
vre enfin  les  maximes  fondamentales  de  sa 
politique? 

Le  clergé  de  France  connaît  toute  l'é- 
tendue de  ses  devoirs  dans  des  conjonctures 
aussi  importantes,  et  son  ardeur  pour  votre 
service  fait  toute  sa  joie  et  toute  sa  gloire. 

Toutefois,  Siro,  ce  n'est  point  notre  des- 
sein de  cacher  à  Votre  Majesté  notre  épuise- 
ment et  nos  besoins.  Nous  vivons  sous  un 
règne  aimable  et  bienfaisant,  où  il  nous  est 
permis  d'être  sincères,  où  la  liberté  de  prier 
et  de  demander,  liberté  que  Dieu  même  com- 
mande aux  hommes  pour  leur  salut,  fait 
notre  félicité  temporelle,  et  où,  affranchis 
de  ces  égards  timides  qui  dissimulent  les 
nécessités  publiques,  nous  pouvons  porter 
au  meilleur  prince  qui  fut  jamais  les  très^ 
humbles  supplications  de  l'Eglise  gémis- 
sante sous  le  poids  de  ses  douleurs  et  de  ses 
disgrâces. 

Nous  parlerons  donc,  Sire,  avec  confiance, 
et  c'est  moins  pour  nous  plaindre  que  pour 
retracer  aux  yeux  de  Votre  Majesté  le  sou- 
venir flatteur  de  notre  amour  et  de  no- 
tre zèle. 

S'il  ne  s'agissait  que  des  premiers  minis- 
tres de  l'Eglise,  nous  vous  offririons  nos 
dons  avec  allégresse.  Qu'importe  que  nous 
retranchions  sur  nous  mêmes  la  plus  grande 
portion  de  nos  commodités  temporelles  ? 
nous  vous  marquons  à  ce  prix  notre  respec- 
tueuse reconnaissance.  Comblés  de  vos  bien- 
faits, élevés  par  votre  choix  à  des  dignités 
éclatantes,  nous  rendons  à  la  défense  cl  à 
l'utilité  de  votre  Etal  ce  que  nous  tenons  do 
votre  bonté.  Quel  sort  plus  heureux  pour 
des  sujets  soumis  et  (idoles!  Pendant  que  nos 
proches  vous  dévouent  leur  sang  dans  vos  ar- 
mées, nous  vous  apportons  l'hommage  vo- 
lontaire de  tous  nos  biens  ;  nous  partageons 
ainsi  dans  nos  familles  la  gloire  de  vou> 
obéir  el  de  vous  plaire,  el,  dans  ce  concours 


%m 


ORATLIIIS  SACHES.  bF  NKSMO.M). 


1076 


mutuel  de  nos  sentiments  et  de  nos  devoii  -, 
les  uns  s'exposent,  el  les  autres  s'épuisent 
pour  votre  service. 

Mais,  Sire,  l'étal  des  ministres  inférieurs, 
l'indigence  de  ces  pasteurs  qui  portent  une 
partie  du  poids  du  jour  el  de  la  chaleur,  non l 
afflige  et  nous  inquiète;  ils  ne  peuvent  pres- 
que plus  vivre  de  l'autel,  et  leur  subsistance 
devient  difficile.  Nous  craignons  que  le  ser- 
vice divin  ne  souffre  quelque  décadence,  et 
«lue  les  églises  ne  perdent  insensiblement  les 
biens  que  la  piété  des  fondateurs  leur  avait 
donnés.  La  moisson  évungélique  est  abon- 
dante, mais  le  nombre  des  ouvriers  diminue 
dans  les  villes  et  dans  les  campagnes,  et  le 
clergé  de  France,  que  le  bon  ordre  de  ses 
affaires  avait  rendu  si  llorissanl,  ne  se 
soutient  plus  que  par  son  ancien  crédit  et 
par  les  derniers  efforts  de  son  économie. 

Mais,  Sire,  vous  connaissez  nos  maux; 
un  jour  viendra  qu  •  votre  prudence  les 
saura  finir,  l'espérance  nous  anime  et  votre 
bonté  nous  console.  L'usage  que  Votre  Ma- 
jesté fait  de  nos  dons  nous  dispense  du  scru- 
pule, et  notre  conscience  même  sert  de  motif 
à  notre  zèle;  les  biens  destinés  pour  les  au- 
tels ne  peuvent  être  plus  saintement  employés 
qu'à  les  soutenir  et  à  les  défendre,  et  l'œu- 
vre la  plus  méritoire  de  la  religion  est  de 
conserver  la  religion  même.  Nous  attendons 
un  avenir  plus  heureux,  et,  dans  l'espoir 
d'une  paix  que  le  ciel  voudra  peut-cire  ac- 
corder bientôt  aux  vœux  de  l'Europe  affli- 
gée, le  clergé  se  confie  en  voire  piélé  et  s'a- 
bandonne à  votre  sagesse. 

Oui,  Sire,  il  est  juste  que  Dieu  favorise 
vos  pieux  desseins,  qu'il  protège  le  défen- 
seur de  l'Eglise  el  le  vengeur  des  trônes 
abattus  ou  attaqués,  qu'il  récompense  par 
d'abondanles  bénédictions  cet  amour  pour 
la  foi  orthodoxe  que  vous  regardez  comme 
ta  premier  devoir  de  la  royauté,  ce  zèle  in- 
flexible contre  loul  esprit  d'erreur  el  de  nou- 
veauté,ce  désir  sincère  de  rendre  vos  peuples 
heureux  et  tranquilles,  loules  ces  vertus 
enfin  que  vous  avez  transmises  avec  voire 
sang  à  votre  royale  postérité,  et  qui,  par  les 
grands  exemples  que  vous  lui  donnez,  pré- 
parent le  bonheur  de  plusieurs  royaumes  et 
de  plusieurs  siècles. 

Pénétrés,  Sire,  des  sentiments  les  plus 
vifs  de  respect,  d'amour  et  de  vénération 
pour  la  personne  sacrée  de  Votre  Majesté, 
nous  retournons  dans  nos  diocèses,  nous  al- 
lons veiller  avec  attention  el  avec  soin  aux 
besoins  de  l'Eglise  et  aux  secours  que  les 
nécessités  de  votre  empire  exigent  de  nous, 
el  demander  à  Dieu  dans  nos  sacrifices  et 
dans  nos  prières  qu'il  augmente  sans  cesse 
en  vous  les  impressions  salutaires  de  la  sain- 
teté et  le  désir  de  votre  salul,  qu'il  conserve 
jusque  dans  le  temps  le  plus  reculé  d'une 
vieillesse  inconnue  aux  autre--  hommes  une 
vie  aussi  précieuse  qu'elle  est  nécessaire, 
qu'elle  ajoute  à  vos  jours  ceux  qu'il  a  retran- 
chés à  un  prince  que  la  France  ne  peut  ja- 
mais assez  pleurer,  que  dans  -le  sein  de  voire 
augusle   famille.,  au  milieu  d'une  cour  lou-  I 

(t)  L'archevêque  de  Narbonae. 


jours  attentive  à  vous  servir  el  à  vos  s  plaire, 
il  préserva  voire  laaln  des  moindres  ac<  i- 
deuls  de  la  vie  humaine,   et  qu'enfin  i 
narque  le  plus  digne  de  régner  soit  aussi  le 
plus  grand  el  le  plus  heureux. 

QUATRIÈME  HARANGUE  AU  ItOI, 
Prononcée  4  Y  ei  saillis,  1$  lundi  3  juin  1715, 

ji  ut  l'ouverture  de  l'nsseinOlce  générale  du 

(ht  t],' . 

Sire, 
Le  clergé  de  France  n'approche  jamais  do 
vole  pers  -nue  laci  e  U  il  ne  s.  nie  redou- 
bler pour  elle  sa  vénération  profonde  el,  si 
je  l'ose  dire,  M  tendresse  res;  (  tueuse  ;  vo- 
tre autorité  nous  ,i  convoqués  et  noire  lèlc 
pour  voire  service  nous  rassemble  :  ce  i  c*t 
point  le  désir  de  soulager  les  travaux  de  la 
résidence  dans  les  douceurs  domestiques  do 
nos  proches  et  do  nos  familles,  qui  nous 
ramène  dans  ces  lieux  ;  de>  motifs  plus  saints 
et  plus  religieux  intéressent  noire  attention. 
Nous  venons  vous  réitérer  les  ,  eclamations 
que  nous  devons  sans  cesse  à  vo'.ro  piélé  el 
à  votre  gloire,  vous  apporter  de  nouveaux 
secours  pour  l'utilité  de  votre  Etat,  goûter 
celle  joie  vive  et  pure  qu'inspire  à  de  ions 
sujels  la  présence  auguste  d'un  bon  maître, 
et  chercher  dans  les  favorables  regards  de 
Votre  Majesté  des  présages  flatteurs  de  pro- 
tection et  de  bienveillance. 

J'ai  donc  l'honneur  de  vous  parler  ,  Sire  , 
pour  tout  le  clergé  de  votre  royaum  •  ,  pour 
ce  corps  illustre  que  la  doctrine  et  la  piélé 
rendent  célèbre  dans  tout  l'univers  ,  pour 
une  portion  noble  el  choisie  de  celte  Eglise 
universelle  que  les  rois  de  la  terre  respecte  t 
comme  leur  mère,  pour  une  assemblée  digne 
de  votre  confiance  el  de  voire  estime,  par 
les  vertus  du  grand  archevêque  qui  y  pré- 
side (1)  cl  de  tant  de  ministres  du  Seigneur 
qui  la  composent  :  ils  se  servent  encore  en 
ce  jour  de  ma  faibb-  voix  pour  vous  expli- 
quer les  sentiments  de  leur  inviolable  fidé- 
lité, et  je  viens  en  leur  nom  et  sons  leurs 
auspiios  vous  offrir  avec,  nos  hommages  par- 
ticuliers ceux  de  nos  diocèses  et  de  nos  pro- 
v  ii  ces. 

Quelles  actions  Je  grâces  ne  devons-nous 
pas  à  un  prince  qui  regarde  la  protection 
dont  il  nous  honore  comme  le  premier  devoir 
de  la  royauté  ;  qui  sait  que  les  rois  ne  sont 
grands  aux  yeux  du  Seigneur,  el  souvent 
heureux  sur  la  le  re  .  qu'autant  qu'ils  favo- 
risent la  religion  ;  qui  cherche  son  salul  el  le 
royaume  de  Dieu  sur  loules  choses,  malgré 
les  dangers  du  pouvoir  suprême  ;  qui,  dans 
les  prospérités  les  plus  brillantes  et  dans  les 
afllictions  domestiques  Ie>  plus  sensibles, 
s'est  toujours  soutenu  avec  modération  ou 
avec  patience,  et  qui  ,  rempli  de  toutes  les 
vertus  que  les  Pères  de  lïlglise  et  les  cône  les 
même  Oecuméniques  ont  lanl  louées  dans 
Constantin  el  d  >.ns  Théodose  .  é  aie  ces  cm 
pereurs  par  li  s  exemples  de  si  piété  el  leur 
ressemble  parles  merveilles  de  son  règne] 

Nous  ne  venons  point  ,  Sire,  donner  de 
vaines  louanges  à  cette  gloire  humaine  0.1  i 


1077 

vous  environne  et  que  la  terre  admire,  et  no- 
tre caractère  nous  défend  un  encens  pro- 
fane. A  Dieu  ne  plaise  que  la  politique  du 
siècle,  ni  les  bienfaits  dont  Votre  Majesté 
nous  a  comblés,  nous  inspirent  l'art  de  flat- 
ter, et  que  notre  reconnaissance  s'explique 
aux  dépens  de  la  simplicité  évangélique  ! 
Vous  voulez  que  les  évêques  édifient  votre 
piété,  vous  attendez  de  nous  que  nous  rap- 
portions à  Dieu  et  aux  sentiments  de  l'hu- 
milité chrétienne  ces  éloges  que  la  vérité  et 
la  justice  nous  engagent  à  consacrer  à  votre 
honneur,  et  ,  bien  loin  d'éblouir  les  maîtres 
du  monde  par  le  récit  fastueux  de  leurs  ver- 
tus et  de  leurs  exploits  ,  c'est  à  nous  à  leur 
apprendre  avec  respect  et  avec  confiance  le 
saint  usage  qu'ils  en  doivent  faire. 

Cependant ,  Sire,  pouvons-nous  taire  tont 
ce  que  le  ciel  a  opéré  par  vous  dans  les  der- 
nières actions  de  la  guerre  que  Votre  Majesté 
vient  de  finir? 

On  a  vu  la  trame  de  cette  ligue  formidable, 
dont  la  durée  avait  été  le  prodige  de  notre 
siècle  ,  rompue  par  la  supérioriié  de  voire, 
sagesse  ;  vos  généraux  saisir  avec  prudence 
et  avec  valeur  ces  moments  critiques  qui  dé- 
cident des  succès  et  qui  changent  la  face 
des  événements  (1);  des  postes,  défendus  par 
des  retranchements  et  par  des  rivières,  em- 
portés presque  sans  perle  et  par  la  seule  au- 
dace de  l'entreprise  ;  des  places  impor- 
tantes (2)  revenues  sous  votre  domination 
en  présence  même  de  vos  ennemis,  a<  cou- 
rus plutôt  pour  en  orner  le  triomphe  que 
pour  en  disputer  la  conquête  et  la  victoire  , 
enfin  se  prêter  à  lou-;  vos  projets,  moins  par 
le  courage  de  vos  troupes  que  par  cette  pro- 
tection de  Dieu  qui  fut  toujours  la  ressource 
ta  plus  sûre  de  votre  royaume  et  de  votre 
règne. 

Quelle  campagne  fut  jamais  plus  éclatante 
que  celle  qui  couronna  vos  exploits  et  où  il 
plut  à  Dieu  d'inspirer  un  esprit  pacifique  à 
tant  de  puissances  confédérées! 

Deux  villes  fameuse-;  (3)  et  redoutées  fu- 
rent l'objet  de  vos  entreprises  et  le  théâtre 
de  votre  gloire  :  ni  la  longue  ré>islanre  de 
leurs  défenseurs  ,'ni  les  ouvrages  immenses 
que  l'art  avait  élevé>  et  qui  semblaient  inac- 
cessibles à  tous  les  efforts  de  la  valeur  ,  ni 
les  obstacles  des  saisons  et  <!cs  éléments  ,  ni 
ces  feux  souterrains  qui  portent  la  mort  par- 
tout où  ils  sont  et  se  font  craindre  même  où 
ils  ne  sont  pas  ,  ne  purent  arrêter  l'intrépi- 
dité de  vos  troupes.  Ces  places  tombèrent  en 
votre  pouvoir  :  l'une  est  à  présent  le  rempart 
le  plu9  assuré  de  vo9  frontières,  vous  ne  sou- 
mîtes l'autre  que  pour  en  taire  I  •  prix  de  la 
paix.  Le  sacrifice  fut  l'effet  de  votre  modéra- 
tion, comme  la  conquête  avait  été  le  triom- 
phe de  votre  puissance. 

Telles  sont,  Sire,  les  bénédictions  que  le 
ciel  répand  sur  vous  ,  et  il  était  juste  que 
Dieu  couronnât  par  d'heureuv  succès  tant 
d'actions  que  vous  avez  entreprises  et  exécu- 
tées   pour   sa  gloire,  et  des  intentions  plus 

(t)  La  journée  (Je  Denain. 

(i)  Douai,  le  (jut^noy  n  BoQcbain. 

(3)  I.wJau  ei  Fi  ibourg. 


QUATRIEME  HARANGUE  AU  ROI  LOUIS  XIV. 


1078 


pures  et  plus  saintes  que  vos  actions  mêmes  ; 
qu'il  récompensât  ce  zèle  constant  pour  la 
religion  dont  Votre  Majesté  a  toujours  mé- 
nagé les  intérêts  plus  que  les  siens  propres 
dans  tous  les  traités  que  sa  prudence  a  con- 
clus ;  celle  protection  généreuse  et  édifiante 
que  vous  donnez  aux  besoins  de  la  chré- 
tienté menacée  aujourd'hui  de  l'invasion 
d'un  ennemi  puissant  et  redoulé  (k);  ces  se- 
cours offerts  ou  préparés  pour  une  île  cé- 
lèbre (5)  qui  fut  l'écueil  de  la  fierté  des  Ot- 
tomans, et  qui  trouva  toujours  dans  l'amitié 
de  la  France  une  ressource  sûre  et  solide; 
celte  haute  sagesse  qui  préside  à  tous  vos 
conseils  et  qui  vient  de  vous  attirer  la  vé- 
nération des  plus  grands  princes  de.  l'O- 
rient (6)  :  enfin  ,  celle  inviolable  fidélité  pour 
vos  alliés,  qui  furent  si  louables  par  leur  at- 
tachement pour  votre  service,  et  que  votre 
protection  a  rétablis  dans  toute  la  splend  ur 
du  rang  que  le  ciel,  leur  avait  donnée. 

Pouvons-nous,  Sire  ,  oublier  ce  testament 
célèbre,  ce  dépôt  si  digne  de  votre  prudence, 
que  sans  doute  l'esprit  de  Dieu  vous  a  dicté 
et  que  vous  a  inspiré  votre  amour  pour  les 
peuples  que  sa  providence  vous  a  soumis. 

Vous  avez  envisagé  avec  tranquillité  co 
moment  terrible  où  le  temps  finit  et  où  l'é- 
ternité commence,  dont  le  monde  charnel  et 
terrestre  éloigne  sans  cesse  l'idée  et  le  sou- 
venir, et  que  les  rois  craignent  comme  le 
terme  ferlai  de  la  gloire  et  de  la  grandeur. 
Dans  des  jours  lissus  pour  vous  de  prospé- 
rités ,  au  milieu  des  applaudissements  de 
toute  la  terre,  dans  une  flori-sanle  santé  qui 
nous  montre  pluîôl  une  jeunesse  renouvelée 
que  la  décadence  de  l'âge  avancé,  vous  avez 
connu  que  vous  éliez  homme  et  mortel ,  et , 
vo^re  piélé  mc'.tant  à  p  ofil  l'avis  salutaire 
qu'un  prophète  donnait  autrefois  à  un  saint 
roi  ,  vous  avez  voulu  préparer  à  vos  sujet;; 
un  sort  heureux  et  tranquille.  Vous  avez 
porté  votre  pi  évoyance  jusque  dans  l'avenir  : 
cet  objet  si  humiliant  pour  tous  les  hommes 
n'a  point  dérangé  voire  constance  ,  cl  ces 
dernières  dispositions,  que  nous  ne  traçons 
d'ordinaire  qu'avec  tristesse  et  avec  frayeur, 
ont  été  pour  Votre  Majesté  le  monument  le 
plus  héroïque  de  sa  fermeté  et  de  sa  sagesse. 

Le  clergé  de  France  s'intéresse,  Sire  ,  se- 
lon ses  devoirs  ,  à  tous  les  événements  de 
voire  règne,  cl  dans  ces  jours  difficiles  d'une 
guerre  longue  et  sanglante,  nous  avons  tou- 
jours invoqué  le  Dieu  des  armées. 

Que  de  vœux  adressés  pour  vous  au  Sei- 
gneur! nos  temples  retentissaient  sans  cesse 
des  cantiques  sacrés  de  notre  joie  ou  de  no- 
tre crainte.  Que  de  sacrifices  offerts  dans  tous 
les  temps  et  dans  tous  les  lieux  pour  les  pros- 
pérités de  votre  Htat  cl  pour  la  conservation 
de  votre  personne  sacrée!  Combien  de  minis- 
tres fervents  ont  élevé  leurs  mains  pour  de- 
mander au  Père  céleste  le  retour  de  ses  aurien- 
ncs  miséricordes  I  Combien  d'âmes  fidèles  , 
connues  de  Dieu  seuli  t(  -achées  dans  l'intérieur 
de  sa  face,  ont  pri  t  dans  le  secret  do  leur  soli- 


(4)  Les  Turcs. 

(5)  L'Ile  de  Malle. 

(6)  Le  roi  de  iVwe. 


t07«J 


oiuTKrRs  Sacrer  i>i  nksmond. 


MHO 


iule  elalliré  sur  vous  les  consolation,  éternel- 
les cl  les  bénédictions  de  la  lerre  1  El  peu  i-<*ir<> 
que  ces  campagnes  ,  si  honorables  au  nom 
français  et  qu'une  paix  si  désirée  a  couron- 
nées ,  ne  sont  pas  tint  fourrage  de  rc 
dats  que  le  fruit  heureux  des  larmes  el  des 
gémissements  de  l'Eglise. 

Dieu  a  exaucé  tant  de  rœni  et  tant  de 
prières ,  et ,  libre  des  soins  que  donne  la 
guerre,  Notre  Majesté  ,  par  des  vertus  plus 
conformes  à  sa  piété,  ne  va  plus  penser  qu'à 
soulager  les  sujets  les  plus  fidèles  qui  furent 
jamais,  et  dont  elle  fut  toujours  l'amour,  la 
consolation  et  la  confiance. 

Kl  en  effet,  dit  saint  Augustin,  les  lois  ne 
sont  justes  et  sainls  aux  yeux  dv  Dieu  que 
lorsque  ,  remplis  de  l'esprit  de  religion  qui 
vous  conduit  et  qui  vous  dirige,  ils  ne  travail- 
lent que  pour  rendre  leurs  Etats  heureux  ; 
qu'ils  aiment  mieux  être  appelés  les  pères 
que  les  maîtres  de  leurs  peuples  ;  que,  supé- 
rieurs à  ces  grands  noms  de  vainqueur  et  do 
conquérant  que  le  monde  a  trop  consacrés , 
ils  s'attirent  l'amitié  de  leurs  voi-ins  et  les 
acclamations  de  leurs  sujets;  qu'ils  se  ren- 
dent dignes  d'être  un  jour  récompenses  dans 
le  ciel ,  où  ils  seront ,  et  loués  sur  la  terre  , 
où  ils  ne  seront  plus  ;  et  que,  laissant  après 
eux  un  souvenir  durable  de  leurs  vertus  et 
de  leurs  bienfaits,  ils  méritent  la  noble  ému- 
lation des  princes  qui  leur  succèdent. 

Mais  ,  Sire,  nous  n'avons  pas  borné  notre 
zèle  à  des  vœux  stériles  et  à  une  contempla- 
tion oisive  ,  el  nos  pains  sacrés  ,  destinés  à 
la  subsistance  des  pauvres  cl  des  minisires 
du  Seigneur,  oui  servi  souvent  à  la  nourri- 
ture des  soldats  d'Israël. 

Le  corps  de  votre  royaume  le  plus  libre  a 
toujours  été  le  plus  libéral  et  le  plus  soumis  ; 
malgré  les  délies  immenses  que  nous  a\ons 
contractées  pour  le  service  de  Votre  Majesté, 
nous  avons  trouvé  dans  notre  économie  et 
dans  notre  amour  des  ressources  inespérées  ; 
dans  le  désir  de  vous  obéir  et  de  vous  plaire, 
nous  ai  ons  préféré  une  louable  confiance  aux 
réflexions  trop  timides  de  notre  épuisement  ; 
nous  avons  regardé  la  conservation  de  fil- 
ial comme  le  premier  intérêt  de  la  religion  , 
et  ses  besoins  sont  devenus  la  règle  de  nos 
consciences  et  de  nos  devoirs.  Dieu  même, 
nous  commande  de  nous  intéresser  aux  né- 
cessités de  la  patrie  ,  et  la  justice  la  plus  sé- 
vère nous  engage  d'accorder  nos  biens  tem- 
porels au  défenseur  de  la  discipline  des  sainls 
canons ,  à  l'auguste  héritier  de  nos  fonda- 
teurs ,  à  notre  bienfaiteur  même  el  au  pro- 
tecteur de  loulc  l'Eglise. 

Oui,  Sire,  elle  ne  peut  assez  reconnaître  ce 
que  vous  avez  fait  pour  sa  g'oire  el  pour  son 
bonheur  dans  tout  le  cours  de  voire  règne; 
elle  ne  peut  assez  louer  ce  zèle  aident  pour 
la  parfaite  conversion  de  ceux  que  les  préju- 
gés de  leur  naissance  avaient  séparés  de  nous 
et  que  vos  bienfaits  cl  votre  patience  ramè- 
nent insensiblement  dans  nos  troupeaux; 
celte  estime  et  cette  confiance  dont  vous  ho- 
norez les  évoques,  cl  qui  est  le  seul.molil.hu- 
Uiain  auquel  il  leur  soit  permis  d'élrc  sensi- 
bles; celle    scrupuleuse   attention    dans    le 


chois  de         '    que  toc-  mu  JiLMii- 

ics  ecclésiastiques,  et  que  Voti  le  *a 

même  chercher  dans  cette  obscurité  où  la 
\eriu  aime  A  se  cacher;  cette  bon'é  qui  eosv 
serve  nos  privilèges, el  qui,  ménageante! 
toutes  choses  noire  liberté,  nous  donne  loule 
la  gloire  d'une  obéissance  d'autant  plus  pure 
quelle  est  volontaire;  enfin  cet  amour  <  ons- 
i  .ni  p  m r  la  saine  doctrine,  et  celte  fermeté 
inflexible  contre  ces  nouveautés  que  les  pre- 
miers jour.-  de  votre  enfance  virent  écl  re,  et 
qui,  formées  par  la  singularité  Cl  par  l'or- 
gueil, se  soutiennent  toujours  par  la  faelion 
et  par  le  mensonge. 

Est-il  possible  que  presque  chaque  siècle 
donne  au  monde  le  triste  spectacle  dune  er- 
reur nouvelle;  que  celle-ci,  conçue  dan-  les 
contrées  Belgique»,  se  soil  i  sinuée  dans  un 
royaume  si  sav  ant  et  :  i  catholique;  que,  cent 
fois  foudrojée  cl  cent  fois  renaissante,  elle  se 
re!èc  sur  ses  propres  ruines;  que  l'épouse 
de  Jésus-Christ  soil  non-seulement  attaquée 
par  ses  ennemis  déclarés,  nuis  qu'elle  trouve 
encore  dans  son  sein  des  enfants  indociles? 
L'illusion  a  ses  bornes,  el  l'Eglise  seule  n'eu 
a  point.  Dieu  sans  douie  réserve  à  Votre  M  i  • 
jeslé  la  gloire  d'achever  sou  œuvre,  et  nous 
pouvons  lui  adresser  ces  belles  paroles  que 
saint  Léon  écrivait  autrefois  a  l'empereur 
Ma rcien  :  Soutenez  tan»  cesse,  grand  pria  e, 
le  lèjne  de  la  vérité,  comme  Dieu  protège  le 
vôtre.  El  qu'y  a-t-il  à  souhaiter  pour  le  bon- 
heur de  lu  i  eligiont  sinon  q  l'une  hérésie  pros- 
crite dans  son  origine  pur  la  condamnation 
de  ceux  gui  en  furent  les  premiers  auteurs 
puisse  s'éteindre  à  jamais  pur  voire  autorité  et 
pur  votre  zèle? 

Le  corps  des  pasteurs  de  \oire  royaume, 
Sire, s'est  préservé  du  venin  de  ces  opinions 
si  dangereuses ,  même  pour  l'Etal  ;  cl  nos 
vo?ux  les  plus  ardents  seraient  accompli-,  si 
ces  divisions,  que  nos  péchés  ont  fait  naître 
depuis  quelque  temps  entre  les  frères,  cé- 
daient aux  motifs  et  à  l'amour  de  l'unité;  si, 
liés  par  les  nœuds  sacrés  du  caractère  de 
l'épiscopai,  nous  l'étions  aussi  par  la  par- 
faite conformité  de  nos  sentiments;  si,  dans 
le  concours  d'une  acceptation  universelle, 
nous  suivions  tous  la  voix  de  Pierre  qui  nous 
conduit  ;  si  nous  conservions  celle  sainte 
unanimité  qui  fut  toujours  la  gloire  de  l'E- 
glise gallicane;  si  nous  pouvions  bientôt 
marquer  dans  nos  fastes  ce  jour  heureux 
que  nous  désirons  avec  gémissement  et  ave: 
larmes,  et  si  Dieu  voulait  enfin  accorder  à  \  o- 
tre  piété  cl  à  vos  soins  celte  paix  ecclésiasti- 
que que  nous  demandons  par  les  entrailles  de 
Jésus-Christ,  et  qui,  pour  me  servir  des  pa- 
roles d'un  grand  concile,  ferait  la  joie  du  ciel 
et  la  consolation  de  la  terre. 

C'est  ainsi,  Sire,  que  Votre  Majesté 
acquis  pendant  tout  son  règne  le  litre  de  pro- 
tecteur de  la  foi  orthodoxe,  que  les  prîmes 
chrétiens  doivent  regarder  comme  l'objet  le 
plus  solide  de  leur  ambition.  Ce  que  vous  fai- 
tes pour  la  religion  sera  immortel  coi  me 
elle;  vos  bonne-  œuvres  sont  écrites  dans  le 
h\  re  de  vie  eu  caractères  ineffaçables  ;  l'K  - 
glise  reconnaissante  cl  ses  annales  sincères 


1081 


DISCOURS  PRONONCE  AU  SACRE  DE  LOUIS  XY. 


1082 


en  feront  passer  le  souvenir  jusque  <lans  la 
poslérilé  la  plus  reculée,  et  comme  Dieu  seul 
en  est  le  motif  et  le  principe,  Dieu  seul  aussi 
Be  réserve  le  soin  d'en  assurer  la  gloire  et 
d'en  préparer  la  récompense. 

Vivez,  Sire,  vivez,  et  la  Franco  sera  heu- 
reuse. Possédez  en  repos  ce  loisir  que  Dieu 
vous  a  Fait  dans  ces  superbes  palais  où  les 
prodiges  de  l'art  s'unissent  à  toutes  les  ri- 
chesses de  la  nature.  Nous  verrons  Votre  Ma- 
jesté, libre  des  soins  cl  del'inquiéludedes  évé- 
nements, couler  doucement  les  jours  d'un  ave- 
nir paisible  et  tranquille,  soulager  vos  sujets 
lorsque  la  situation  des  affaires  encore  agi- 
tées ne  mettra  plus  d'obstacle  à  votre  bonté, 
compter  vos  journées  par  vos  grâces  et  par 
vos  bienfaits,  apprendre  l'art  de  régner  à  ce 
royal  enfant,  reste  précieux  de  tant  de  prin- 
ces, que  le  ciel  n'a  fait  que  montrer  à  la  terre, 
et  joindre  dans  le  cours  d'une  même  vie  la 
gloire  du  règne  de  David  belliqueux  aux 
douceurs  de  celui  de  Salomon  pacifique. 

Nous  allons,  Sire,  dans  le  cours  de  notre 
assemblée  donner  à  Votre  Majesté  de  nouvel- 
les preuves  de  notre  ancienne  fidélité.  Nous 
demanderons  pour  elle  dans  nos  sacrifices 
cette  plénitude  de  jours  qui  est  la  première 
bénédiction  de  la  terre,  et  sur  toutes  choses 
ce  que  vous  désirez  vous-même,  votre  sancti- 
fication et  votre  salut. 

HARANGUE  AU  DAUPHIN, 

Monseigneur, 

C'est  la  première  fois  que  le  clergé  de 
France  a  l'honneur  de  paraître  devant  vous, 
il  vous  assure  par  ma  bouche  de  ses  pro- 
fonds respects  ;  et  quelle  joie  ne  resscnl-il 
pas  de  révérer  en  vous  la  plus  chère  espé- 
rance de  cet  empire  et  l'héritier  de  la  plus 
belle  couronne  du  monde  1 

Ce  sont  les  évoques  de  ce  royaume  qui  re- 
cevront vos  lois  dans  un  avenir  éloigné,  ce 
sont  les  pontifes  de  celte  Eglise  que  vous  de- 
vez regarder  comme  votre  mère,  et  dont  vous 
êtes  le  fils  précieux  et  chéri;  ce  sont  les  mi- 
nistres du  Dieu  vivant  qui  se  présentent  à 
vous,  et  qui  ne  cessent  de  demander  au  Sei- 
gneur dans  leurs  sacrifices  qu'il  vous  donne 
les  bénédictions  de  la  (erre,  et  surtout  cet 
esprit  de  piété  et  de  religion  qui  fait  la 
gloire  la  plus  solide  des  bons  princes. 

Le  ciel  a  affligé  la  France  par  les  plus  sé- 
vères châtiments  de  sa  justice;  il  vous  a  ré- 
servé, Monseigneur,  pour  noire  félicité,  et, 
réunissant  en  vous  nos  vœux  et  nos  espé- 
rances, il  nous  conservera  sans  doute  l'uni- 
que consolation  que  nous  a  laissée  sa  misé- 
ricorde. 

Avec  quel  plaisir  voyons-nous,  Monsei- 
gneur, que  'es  infirmités  de  l'enfance  respec- 
tent une  santé  si  précieuse  et  si  nécessaire, 
que  l'ange  lulélaire  de  la  France  veille  lui- 
même  à  votre  conservation  ,  qu'élevé  par 
les  heureuses  mains  à  qui  la  Providence  et  le 
roi  ont  confié  votre  première  éducation  (1), 
vous  croissez  pour  le  bonheur  de  la  monar- 
chie, que  l'âge  développe   chaque  jour  en 

(1)  La  duchesse  de  Ventadour. 


vous  de  nouvelles  grâces,  et  que,  sur  ces 
traits  embellis  des  plus  riches  trésors  de  la 
nature,  Dieu  nous  montre  déjà  l'impression 
de  votre  future  grandeur  et  la  gloire  qu'il 
vous  prépare  ! 

Vivez,  Monseigneur,  pour  notre  consola- 
tion et  pour  la  félicité  du  royaume;  nous  de- 
mandons au  ciel  que  la  piété,  l'innocence  et 
la  justice  augmentent  toujours  en  vous,  que 
vos  jours  soient  prolongés  au  delà  du  siècle 
qui  vous  a  vu  naître  ;  et  souvenez-vous,  Mon- 
seigneur, qu'un  évêque,  interprète  des  vœux 
de  l'Eglise  gallicane,  vous  a  dit,  dans  les  pre- 
mières années  de  votre  enfance,  que  tous  vos 
devoirs  consistent  à  craindre  Dieu  et  à  obéir 
au  plus  grand  roi  et  au  meilleur  père  qui  fut 
jamais. 

DISCOURS 

Prononcé  à  Reims, le  QS  octobre  1722,  au  sacre 
et  couronnement  de  Sa  Majesté. 

Sire, 

Nous  offrons  à  Votre  Majesté  les  Irès-hum- 
bles  hommagesd'une  portioi  noble  ri  illustre 
de  cette  Eglise  universelle  que  les  rois  de  la 
terre  respectent  comme  leur  mère,  et  dont 
vous  êtes  le  fils  le  plus  précieux  et  le  plus 
chéri. 

Nous  représentons  en  ce  jour  solennel  ot 
mémorable  nos  confrères  dispersés  dans 
toutes  les  contrées  de  votre  empire;  nous 
sommes  les  interprètes  de  leurs  sentiments, 
et  nous  devons  joindre  aux  tendres  acclama- 
lions  de  tous  vos  sujets  des  vœux  d'autant 
plus  ardents,  qu'ils  ont  leur  source  dans 
noire  confiance,  cl  que  la  religion  nous  les 
inspire.  L'Eglise  gallicane  se  présente  donc 
avec  confiance  au  pied  du  Irône  de  Votre 
Majesté;  c'est  elle  qui  a  reçu  les  promesses 
de  votre  baptême  et  qui  vous  a  régénéré  à 
l'adoption  sainte  dns  enfants  de  Dieu  ;  elle 
vient  de  consacrer  en  vous,  par  les  mains 
d'un  grand  pontife  successeur  de  saintRcmi, 
l.i  dignité  suprême  de  la  royauté;  elle  nour- 
rit votre  foi  et  votre  piété  par  ses  sacrements 
el  par  sa  parole;  elle  demande  sans  cesse  à 
Dieu  par  ses  prières  la  durée  de  vos  jours 
précieux,  qu'une  brillante  santé  nous  assure  ; 
et  voire  nom,  si  souvent  répélé  dans  nos 
sacrifices,  est  l'objet  le  plus  cher  de  son 
amour  et  de  sa  ferveur. 

Tant  de  nœuds  qui  nous  attachent  à  vous, 
Sire,  nous  répondent  de  vos  bontés,  et  nous 
avons  la  consolation  de  trouver  dans  les  fa- 
vorables regards  de  Votre  Majesté  des  pré- 
sages flatteurs  de  protection  cl  de  bienveil- 
lance. 

Quel  bonheur  pour  la  France,  et  surtout 
pour  l'Eglise,  qui  en  est  le  premier  corps, 
d'obéir  à  un  maître  dont  la  raison,  formée 
avant  l'âge,  nous  annonce  un  règne  si  floris- 
sant; qui,  en  recevant  la  plus  belle  couronne 
du  monde,  seul  plutôt  le  poids  immense  du 
devoir  qu'elle  impose,  que  les  avantages  du 
rang  suprême  ;  qui,  par  son  recueillement 
el  par  sa  piélé,  rend  la  cérémonie  de  sa  con- 
sécration plus  augusle  que  par  la  magnifi- 


1087, 


ORATEURS  SACRES.  DE  NESMOND. 


1084 


ccnce  ci  la  splendeur  du  spectacle  qui  hit 
rouler  de  noi  yeux,  avides  du  plaisir  de  re- 
garder, les  larmes  précieuses  que  produisent 
h  joie,  l'amour  et  l'admiration  ;  qui  nous 
rappelle  sans  cesse  le  souvenir  «les  vertus 
du  prand  prime  de  qui  II  lient  son  royaume, 
et  qui,  sur  ces  (rails  embellis  des  plus  riches, 
trésors  de  la  nature,  nous  montre  déjà  l'i.n- 
pression  de  la  future  grandeur  et  de  la  gloire 
que  Dieu  lui  prépare  '. 

Veut  commandez,  Sire,  à  la  plus  noble 
nation  de  l'univers;  son  attachement  invio- 
lable pour  ses  maîtres  est  le  caractère  essen- 
tiel qui  la  distingue  de  toutes  les  autres,  et 
son  zèle  fut  toujours  à  l'épreuve  des  temps 
les  plus  difficiles;  une  émulation  louable  et 
constante  anime  tous  les  ordres  qui  la  com- 
posent. 

Le  clergé  a  signalé  sans  cesse  sa  fidélité, 
et  les  secours  immenses  qu'il  a  accordés  ont 
été  plus  d'une  fois  la  ressource  de  votre  em- 
pire. La  noblesse  prodigue  son  sang  dans 
les  puerres  que  la  fatalité  des  conjonctures 
n'attire  que  trop  souvent,  et  sa  valeur  e>t 
l'appui  de  votre  couronne;  la  magistrature, 
cette  profession  si  honorable  dans  ses  fonc- 
tions et  si  utile  au  bien  public,  a  souvent 
soutenu  le  trône  aux  dépens  des  fortun  s 
innocentes  de  ses  familles  particulières. 
Chacun  dans  sa  condition  mesure  sa  con- 
duite plus  sur  son  amour  que  sur  son  pou- 
voir, et  dans  un  concours  mutuel  de  devoirs 
et  de  sentiments ,  tous  s'empressent,  selon 
les  besoins,  à  s'immoler  ou  s'épuiser  pour  la 
gloire  de  la  monarchie.  Aussi  que  ne  devons- 
nous  point  attendre  de  la  douceur  et  de  la 
honte  de  votre  cœur  paternel,  dont  Dieu  dé- 
veloppe à  chaque  instant  le  principe  et  le 
mouvement! 

Vous  faites,  Sire,  l'attente  de  tout  l'uni- 
vers; vos  vertus  en  font  déjà  l'espérance  et 
l'admiration,  et  le  ciel  ouvre  pour  vous  le 
cours  de  vos  hautes  destinées.  La  justice,  la 
religion  et  l'innocence  des  mœurs  dirigeront 
tous  les  motifs  de  votre  royale  administra- 
tion ;  vous  ne  ferez  jamais  la  guerre  qu'avec 
douleur,  et  vous  conserverez  la  paix  avec 
attention;  affranchi  de  l'idée  Batteuse  qui 
séduit  les  princes  belliqueux  cl  conquérants, 
vous  penserez  au  bien  solide  que  procurent 
les  rois  pacifiques;  les  serments  que  vous 
avez  faits  à  la  l'ace  des  autels,  et  dont  Dieu 
même  fut  le  témoin  et  dont  il  sera  le  jupe, 
deviendront  l'objet  éternel  de  votre  piété  ;  et, 
persuadé  que  l'autorité  suprême  n'a  rien  de 
plus  grand  que  de  pouvoir  faire  le  bien  pu- 
blic, ni  rien  de  meilleur  que  de  le  vouloir, 
vous  rendrez  au  dedans  votre  règne  aussi 
aimable  par  vos  bienfaits,  qu'il  sera  au  de- 
hors redouté  par  votre  puissance. 

Veuille  le  Dieu  de  Clovis  et  de  Clotilde  ré- 
pandre toujours  la  plénitude  de  ses  dons  sur 
votre  personne  sacrée,  et  combler  d  •  ses 
précieuses  bénédictions  les  augustes  alliances 
«lue  la  sagesse  humaine  a  préparées,  et  que 
la  Providence  a  accomplies  pour  le  repos  de 
l'Europe  cl  la  gloire  de  deux  royaumes I 
l'uissiez-vous  mettre  à  profit,  pour  le  pou- 
(i)  Avec  l'empereur  de  Russie  ei  le  Grand-Seigneur. 


vernemeiit  de  vos  sujets,  les  lumières  cl  les 
travaui  d'un  grand  prince  depuis  loi     '         s 

dépositaire  de  voire  aaloril  n     ez- 

vou-,  Wre,  (pie  tous  lai  devoirs  d'un  prand 
roi  consistent  à  craindre  Dieu,  i  défendre  et 
à  proléper  l'Eglise  trop  souvent  attaquée,  et 
à  devenir  le  père  dei  peuples  dont  e  uel  l'a 
fait  le  maître. 

HAHANGUi:  AT  ROI, 

Prononcée  à  Ver  failles,  le  dimanche  'i  juin 
i~iï'i,  par  M   île  Netmoni,  archevêque  de 
Toulouse,  président  de  l'a 
du  clergé  de  France,  tenue  m  Vannée  1725. 

Sire, 

J'ai  l'honneur  de  présentera  Votre  Majesté 
les  profonds  respects  d'une  as  cmldé  •  digne 
de  votre  affection  et  de  v  tre  estime,  et  qui 
est  une  portion  illustre  de  tout  le  clergé  de 
votre  royaume;  vos  ordres  l'ont  convoqu  e, 
et  elle  a  confié  à  mes  faibles  talents  la  p!a<  e 
importante  que  j'y  occupe.  Tous  ces  pontifes 
que  j'accompagne,  tous  ces  autres  ministres 
duSeigneur  vous  renouvellent  par  nu  bou  lie 
les  assurances  d'une  fidélité  éprouvée  dans 
tous  les  âges  et  dans  tous  les  règnes.  Je  suis 
l'interprète  de  leurs  sentiments,  et  je  viens 
en  leur  nom  et  sous  leurs  auspices  vous  ap- 
porter les  très-humbles  hommages  de  nos 
églises  et  de  nos  provinces. 

Quelle  joie  pour  nous,  Sire,  d'approcher 
avec  confiance  du  trône  glorieux  où  le  ciel, 
propice  à  la  France,  vous  a  fait  asseoir;  de 
goûter  ce  plaisir  secret  et  touchant  que  pro- 
duit votre  royale  présence  dans  le  cœur  de 
tous  vos  sujets;  de  pouvoir  admirer  Je  près 
ces  grâces  extérieures  qui  ornent  votre  i  cr- 
sonne  sacrée,  et  qui  sont  un  présent  de  la 
nature  si  désirable  dans  les  rois,  s'il  était 
moins  dangereux  pour  leur  salut:  de  révérer 
en  vous  le  protecteur  de  l'Eglise,  dont  le 
soutien  est  le  premier  devoir  de  la  royauté, 
et  de  sentir,  dans  le  favorable  accueil  dont 
Votre  Majesté  nous  honore,  ces  hontes  qui 
annoncent  notre  bonheur,  et  qui  font  notre 
consolation  et  notre  espérance! 

Dieu  vous  a  prévenu,  Sire,  de  ses  bénédic- 
tions dès  les  premiers  temps  de  votre  cn- 
frince,  et  il  a  mis  en  vous  tous  les  présages 
d'un  règne  heureux  cl  florissant.  Voire  au- 
torité fut  toujours  aussi  rc-pccléc  que  celle 
des  rois  les  plus  affermis  i  ar  une  longue  et 
paisible  administration.  La  fidélité  de  vos 
peuples,  la  soumission  des  grands  et  l'amitié 
de  vos  voisins  ont  concouru  avec  un  zèle 
égal  à  la  tranquillité  de  votre  royau  ne;  des 
potentats  (le  czar)  sont  venus  du  fond  de 
leurs  vastes  Liais  vous  offrir  le  ir  but  de 
leur  tendre  vénération,  et  votre  nom,  partout 
si  chéri  et  si  révère,  répond  à  la  France  de 
la  durée  du  repos  dont  elle  jouit.  De  sages 
négociations  (1)  dirigées  par  vos  ordres  ont 
réuni  dans  les  rivages  lointains  des  puis- 
sances que  l'intérêt  ou  l'ambition  avait  divi- 
sées. Vous  êtes  le  spectacle  cl  l'attente  de 
toutes  les  nations,  cl  c'est  à  la  conservation 
de  vos  jours  précieux  que  Dieu  semble  alla- 


1085 


HARANGUE  AU  ROI  LOUIS  XV. 


1080 


cher  aujourd'hui  le  bonheur  et  la  destinée 
de  l'Europe. 

Mais,  Sire,  la  dignité  souveraine  n'est 
agréable  aux  yeux  du  Seigneur  qu'autant 
que  sa  grâce  en  règle  l'usage.  Les  vertus 
chrétiennes  font  seules  la  plus  soLide  gran- 
deur des  rois,  et  attirent  d'ordinaire  sur  eux 
colle  gloire  et  ces  bénédictions  de  la  terre  qui 
sont,  dans  l'ordre  de  la  Providence,  le  prix 
et  la  récompense  du  juste. 

Permettez,  Sire,  que,  l'un  des  plus  anciens 
pasteurs  de  votre  royaume  porte  la  vérité 
jusqu'au  pied  du  Irônc.  Notre  ministère  ne 
doit  point  s'expliquer  aux  dépens  de  la  sin- 
cérité évangélique;  Vous  voulez  que  les  évê- 
ques  instruisent  et  édifient  votre  piété,  et, 
bien  loin  de  séduire  les  maîtres  du  monde 
par  l'éloge  trop  flatteur  de  leur  autorité  et  de 
leur  puissance,  c'est  à  nous  à  leur  apprendre 
avec  respect  et  avec  confiance  le  saint  usage 
qu'ils  en  doivent  faire. 

Oui,  Sire,  la  vie  la  plus  éclatante  n'est 
qu'une  ombre  que  le  temps  dissipe,  et  qui 
laisse  bientôt  dans  l'oubli  et  dans  le  silence 
la  réputation  des  héros.  Les  amusements 
qui  suivent  en  foule  le  trône  sont  des  pièges 
dangereux  à  la  sainteté  des  mœurs.  Les  ta- 
lents politiques,  que  sont-ils,  si  la  piété  ne 
les  conduit  pas,  qu'une  ambition  déguisée 
sous  de  vains  prétextes,  et  que  Dieu,  malgré 
la  prudence  de  la  chair,  ramène  quand  il  lui 
plaît  aux  desseins  de  sa  providence?  Les  ex- 
ploits militaires,  que  le  monde  admire,  si- 
gnalent à  la  vérité  la  valeur  et  l'expérience 
des  conquérants;  mais  les  prospérités  de 
l'Etal  épuisent  quelquefois  les  sujets  :1e  sang 
qu'une  guerre  même  involontaire  fait  ré- 
pandre déplaît  aux  yeux  du  Seigneur,  et  la 
gloire  d'achever  le  temple  de  Jérusalem,  que 
Dieu  refusa  à  David  belliqueux,  lut  réservée 
à  Salomon  pacifique. 

Votre  Majesté  nous  rassure  sur  les  dangers 
qui  accompagnent  la  royauté,  et  le  désir  de 
votre  salut  sera,  sur  toutes  choses,  l'objet  le 
plus  cher  de  votre  piété. 

Quelle  consolation  n'est-ce  pas,  Sire,  poul- 
ies vrais  fidèles,  de  voir  relie  foi  vive  et  sin- 
cère que  vous  apportez  au  pied  des  autels, 
où  vous  humiliez  la  première  léte  de  l'uni- 
vers en  présence  de  Jésus-Christ  caché  dans 
nos  saints  mystères  I  Cette  attention  à  la  pa- 
role que  vous  annoncent  les  ministres  de 
l'Evangile,  et  qui  vous  apprennent  les  maxi- 
mes de  bien  vivre  et  de  bien  régner;  ce  re- 
cueillement dans  toutes  les  cérémonies  ecclé- 
siastiques où  la  dignité  suprême  vous  ;.p- 
pelle,  et  où  votre  modeste  simplicité  fait  le 
plus  grand  ornement  de  ces  spectacles  de 
religion;  cette  innocence  de  nururs  qu'un 
siècle  trop  dépravé  ne  pourra  séduire,  et 
que  le  Seigneur  fera  servir  à  l'édification  de 
la  superbe  cour  qui  vous  environne  ;  enfin 
cet  assemblage  heureux  de  tint  de  vertus 
que  des  mains  habiles  ont  su  cultiver,  et  qui 
ont  travaille  avec  la  nature,  avec  Dieu  même, 
à  l'éducation  d'un  roi  qu'il  a  tiré  pour  notre 
bonheur  des  trésors  de  sa  providence. 

Votre  Majesté  n'oubliera  jamais  les  der- 
nières instructions  que  lui  donna  son  au- 


guste bisaïeul,  dans  les  tristes  instants  qui 
finirent  le  cours  de  sa  belle  vie,  et  ses  paroles 
mémorables,  toujours  présentes  à  vos  yeux, 
seront  le  monument  éternel  de  sa  religion  et 
de  sa  sagesse. 

Il  vainquit  souvent  ses  ennemis  par  ses 
armes,  et  triompha  de  la  mort  même  par  sa 
constance.  Sa  piété  fut  l'édification  du  chris- 
tianisme. Il  protégea  la  foi  orthodoxe,  et 
son  zèle  s'éleva  toujours  contre  les  erreurs 
que  l'orgueil  et  la  singularité  ont  introduites 
depuis  près  d'un  siècle  dans  une  Eglise  si 
savante  et  si  catholique.  L'auguste  prince  à 
qui  vous  devez  le  jour  aurait  porté  sur  le 
trône  ces  trésors  de  justice,  de  lumière  et 
de  sainteté,  si  Dieu  ne  l'eût  ravi  à  ce  royaume, 
dont  il  possédait  l'amour  et  la  confiance.  Ce 
sont,  Sire,  toutes  ces  vertus  que  vous  avez 
à  nous  rendre.  La  France  attend  de  vous 
l'imitation  de  ces  grands  modèles,  et  vous  ne 
serez  jamais  plus  au-dessus  de  toute  compa- 
raison, que  lorsque  vous  leur  serez  plus 
comparable. 

Dans  un  espoir  si  flatteur  et  si  consolant, 
quel  bonheur,  Sire,  pour  tous  vos  sujets  de 
vivre  sous  un  maître  que  l'on  voit  chaque 
jour  s'instruire  dans  ses  conseils  des  devoirs 
de  la  royauté;  fonder  son  expérience  sur 
celle  des  plus  grands  personnages  de  son 
Eial;  garder  dans  ses  projets  un  secret  pro- 
fond, d'où  dépendent  les  succès  des  événe- 
ments ;  écouter  avec  réflexion  les  sentiments 
du  grand  prince  à  qui  il  a  confié  les  soins 
divers  de  l'administration  publique,  et  qui 
porte,  sous  les  ordres  de  Votre  Majesté,  tous 
les  travaux  de  cette  royale  sollicitude  qui 
trouble  souvent  le  repos  des  souverains  et 
affermit  la  félicité  de  leurs  peuples  ! 

Mais,  Sire,  le  titre  le  plus  glorieux  de  vo- 
tre couronne  est  celui  de  défenseur  de  la  re- 
ligion. Il  consacre,  pour  ainsi  dire,  le  trône 
que  vous  occupez,  et  vos  augustes  ancêtres 
vous  l'ont  laissé  comme  la  portion  précieuse 
de  votre  royal  héritage.  L'onction  sainte  a 
réuni  en  vous  le  sacerdoce  et  la  royauté. 
Des  conciles  œcuméniques,  qui  ne^sont  ja- 
mais suspects  de  flatterie,  ont  autrefois  donné 
à  Constantin  et  à  Théodose  le  nom  sacré  do 
poatifes,  et  n'ont  point  mis  de  différence  en- 
tre les  évêques  qui  gouvernent  l'Eglise  et 
les  princes  qui  la  protègent. 

C'est  par  votre  zèle,  Sire,  que  la  lumière 
de  l'Evangile  sera  portée  jusqu'aux  extré- 
mités de  la  terre;  que  nous  verrons  l'auto- 
rité ecclésiastique,  souvent  l'objet  des  con- 
tradictions humaines,  rétablie  dans  tous  les 
droits  que  Jésus-Christ  lui  a  confiés  ;  que 
l'ordre  de  la  hiérarchie  sera  respecté  par 
ces  esprits  inquiets  que  séduit  le  goût  de  la 
nouveauté,  cl  quo  l'on  a  vus  sortir  dans  ces 
derniers  temps  des  bornes  d'une  subordina- 
tion légitime  ;  que  ces  dissensions  que  nos 
péchés  ont  fait  naître  entre  les  frères  dans 
l'épiscopat  céderont  enfin  à  l'attrait  d'une 
sainte  unanimité.  Le  ciel  sans  doute  a  ré- 
servé à  votre  piété  et  à  votre  règne  la  gloire 
de  les  terminer.  Vous  serez  le  ministre  de  la 
Providence  pour  l'accomplissement  de  ce 
grand  ouvrage,   cl  nous  vous  devrons  celle 


1087 


ORATEURS  &ACRES    DE  NF.SMOND. 


KtS8 


pais  si  longtemps  fugitive  que  l'Eglise  de- 
mande avec  gémissement  et  avec  larmes,  et 
qui  ferait  la  joie  du  ciel  et  la  consolation  de 
tous  les  fidèles. 

le  clergé  de  France,  Sire,  s'intéresse  se- 
lon ses  devoirs  à  tous  les  événements  du  rè- 
gne de  Votre  Majesté,  et  il  vient  de  vous  ap- 
porter de  neuveaux  secours  pour  l'utilité  de 
votre  royaume. 

A  la  vérité,  nos  biens  temporels,  qu'exa- 
gère sans  cesse  la  crédulité  on  la  préven- 
tion, sont  réservés  à  des  usages  que  l'Evan- 
gile mêsne  nous  prescrit;  nous  les  tenons  de 
la  libéralité  de  nos  roisou  de  la  religion  et  de 
la  piété  des  fondateurs.  Dieu  nous  en  a  éta- 
blis les  dépositaires,  et  leur  destination  est 
consacrée  au  soulagement  des  pauvres.  La 
charité  les  a  donnés,  la  charité  doit  les  re- 
prendre, et  c'est  à  nous  à  faire  servir  à  l'é- 
dification publique  les  oblalions  des  fidèles 
et  le  patrimoine  du  sanctuaire. 

Mais,  Sire,  ces  biens  temporels  ont  été 
souvent  employés  pour  la  gloire  et  pour  l'in- 
térêt de  votre  État.  La  justice,  la  reconnais- 
sance et  la  religion  l'ont  exigé  de  nous,  et 
le  corps  le  plus  libre  a  été  dans  tous  les 
temps  le  plus  libéral  elle  plus  soumis.  Les 
secours  que  le  clergé  de  France  a  fournis 
ont  été  plus  d'une  fois  la  ressource  de  votre 
empire.  Les  dettes  immenses  qu'il  a  contrac- 
tées pour  votre  service  signaleront  dans  la 
postérité  son  obéissance.  Nous  en  prenons 
tous  les  ans  la  libération  sur  nous-mêmes, 
et,  par  un  zèle  désintéressé  et  si  rare  dans  le 
siècle  où  nous  vivons,  nous  épargnerons  à 
nos  successeurs  le  soin  de  les  acquitter. 
Malgré  les  retours  secrets  de  la  réflexion  cl 
Je  l'inquiétude  de  l'événement,  nos  dons 
sont  toujours  au-dessus  de  notre  pouvoir, 
et,  dans  la  triste  situation  de  nos  affaires, 
que  l'économie  la  plus  attentive  ne  saurait 
presque  rétablir,  à  peine  conservons-nous 
pour  l'avenir  la  douceur  cl  la  consolation  de 
l'espérance. 

A  Dieu  ne  plaise,  Sire,  que  ce  récit  soit 
l'effet  criminel  du  murmure  ou  de  l'impa- 
tience I  Dans  les  nécessités  du  royaume, 
nous  avons  connu  nos  devoirs,  et  nous  nous 
flattons  de  les  avoir  remplis;  mais  qu'il 
nous  soit  permis  de  nous  applaudir  de.  no- 
tre fidélité,  d'exprimer  à  Votre  Majesté  le 
prix  et  le  mérite  de  nos  services,  et  d'ajou- 
ter à  la  gloire  de  les  avoir  rendus  le  plaisir 
innocent  de  vous  en  instruire. 

Nos  ordres  nous  amènent,  Sire,  dans  la 
circonstance  d'un  événement  qui  produit 
partout  des  cris  d'allégresse,  el  Votre  Ma- 
jesté no  pouvait  nous  assembler  sous  des 
auspices  plus  fortunés.  Nous  approchons  du 
jour  mémorable  d'une  sainte  cérémonie  que 
vous  venez  de  nous  annoncer  cl  qui  remplit 
l'attente  et  l'espérance  de  vos  sujets.  Votre 
choix  va  couronner  une  auguste  épouse,  qui 
doit  partager  avec  vous  le  plus  noble  em- 
pire de  l'univers.  L'Eglise,  gallicane  unira 
ses  acclamations  à  celles  de  vos  peuples,  et 
nos  temples  retentiront  des  cantiques  sacrés 
de  notre  joie.  Dieu  répandra  ses  grâces  sur 
votre  union  :  clic  promet  à  la   France  des 


[.rinces  dont  la  naissance  réparera  la  perte 
de  ceux  que  la  mort  lui  avait  ravi-t  et  que  le 
cid  ne  fit  que  montrer  à  la  terre.  Le  Sei- 
gneur, touché  de  nos  vœux  cl  de  nos  be- 
soins, vous  donnera  bientôt  une  royale  pos- 
térité, présent  le  plus  précieux  que  sa  bonté 
puisse  faire  aux  monarques  qu'il  aime,  et 
qui  est  l'appui  le  plus  solide  du  bonheur 
de  leur  règne  et  de  la  tranquillité  de  leur 
royaume. 

Nous  allons,  Sire,  commencer  sous  votre 
autorité  les  séances  de  notre  assemblée. 
Flattés  de  l'honneur  de  votre  protection, 
vous  devez  tout  attendre  de  notre  obéis- 
sance, nous  devons  tout  espérer  de  voire 
bonté  ;  nous  sommes  vos  sujets  par  notre 
naissance,  et  nous  sommes  dignes  de  létrc 
par  notre  fidélité.  Nous  imiterons  nos  pré- 
décesseurs, nous  nous  imiterons  nous-mê- 
mes, et  nous  demanderons  à  Dieu  dans  nos 
sacrifices  qu'il  comble  votre  personne  sacrée 
de  prospérités  el  de  gloire;  qu'il  soutienne 
dans  la  guerre  et  dans  la  paix  une  nation 
qui  fut  dans  tous  les  temps  son  peuple  chéri; 
que  l'innocence  et  la  religion  marchent  de- 
vant vous  dans  tous  les  événements  de  votre 
règne,  et  que  les  vertus  que  le  ciel  prodigue 
vous  adonnées,  et  dont  nous  voyons  le  pro- 
grès avec  tant  de  joie,  puissent  toujours 
faire  le  bonheur  de  votre  empire  el  la  con- 
solation de  toute  l'Eglise. 

COMPLIMENT 

A  Messieurs  les  commissaires  du  roi  à  l'assem- 
blée du  clergé. 

Messieurs, 

Les  bontés  dont  le  roi  nous  honore  rem- 
plissent nos  souhaits  cl  comblent  notre  es- 
pérance; mais  nous  osons  dire  que  nous  en 
sommes  dignes  par  celte  ancienne  fidélité, 
qui  fait  notre  gloire,  el  que  nous  inspirent 
le  respect ,  la  reconnaissance  et  la  reli- 
gion. 

La  présence  des  personnes  illustres  que  nous 
voyons  aujourd'hui  dans  celte  assemblée  ne 
nous  Halle  pas  moins  que  la  fonction  même 
qui  les  amène.  Leur  réputation  éga'e  leurs 
grands  services,  et  leur  haute  capacité  dans 
les  emplois  confiés  à  leur  ministère  les  a 
élevés  aux  dignités  les  plus  éminenlcs  de 
l'Etat.  Leur  nom  est  cher  à  toute  la  nation; 
leurs  rares  talents,  si  connus  et  si  applaudis 
dans  tout  cet  empire,  ont  mérité  celle  véné- 
ration publique  qui  est  le  fruit  de  leurs  tra- 
vaux el  la  récompense  flatteuse  de  leur  mé- 
rite. 

Nous  sentons,  Messieurs,  le  bonheur  do 
vivre  sous  les  ordres  du  jeune  monarque  à 
qui  la  Providence  nous  a  soumis,  qui  a  suc- 
cédé à  la  piété  de  ses  augustes  aïeux,  comme 
à  leur  puissance  et  à  leur  couronne;  qui, 
ne  pensant  à  gouverner  son  royaume  que 
par  la  même  grâce  de  celui  qui  le  lui  a  mis 
entre  les  mains,  attire  sur  sa  personne  sa- 
crée les  bénédictions  du  ciel  et  les  prospéri- 
tés de  la  terre;  qui  favorise  l'épiscopal  et 
le  sacerdoce  de  son  affection  el  de  son  es- 
time, et  qui  protège  l'Eglise  par  le  secours 


108'J 


MANDEMENT  AU  SUJET  DE  MALADIES  CONTAGIEUSKS. 


1090 


de  son  autorité,  comme  il  la  console  par  l'é- 
dification de  ses  exemples. 

C'est  de  son  zèle  et  de  sa  piélé  que  nous  I 
alternions  le  retour  de  notre  ancienne  féli- 
cité. Nous  espérons  qu'à  l'ombre  de  son  trône 
la  religion  et  la  vérité  seront  préservées  des 
dangers  delà  séduction;  que  notre  juridiction 
sera  rétablie  dans  tous  les  droits  que  Jésus- 
Christ  même  nous  a  confiés;  que  les  tribu- 
naux séculiers,  d'ailleurs  si  équitables  et  si 
respectés,  veilleront  avec  nous  et  avec  une 
intelligence  mutuelle  à  la  correction  des 
mœurs  et  au  soutien  de  la  discipline;  que 
les  ministres  inférieurs  connaîtront  les  bor- 
nes que  leur  prescrit  une  subordination  lé- 
gitime et  nécessaire,  et  que  nous  verrons 
enfin  renaître  cette  paix  ecclésiastique  trop 
longtemps  attendue,  et  que  nous  désirons 
ardemment,  comme  le  lien  de  l'union  des 
premiers  pasteurs,  et  comme  le  gage  du  re- 
pos même  de  l'Etal  cl  de  la  sanctification  de 
tous  les  fidèles. 

Nous  vous  supplions,  Messieurs ,  d'em- 
ployer en  notre  faveur  celte  confiance  que 
vos  vertus  vous  ont  si  justement  acquise 
auprès  du  monarque  qui  nous  commande. 
Déposez  au  pied  du  trône  nos  vœux,  nos  be- 
soins, nos  espérances;  nous  lui  demandons 
par  voire  ministère  cette  protection  royale 
qui  fera  toujours  notre  plus  douce  consola- 
tion, et  qui  ne  nous  fut  jamais  plus  néces- 
saire. 

RÉPONSE 

Au  compliment  de  M.  le  prévôt  des  marchands 
et  échevins  de  Paris  à  l'assemblée  du 
clergé. 

Messieurs, 

Nous  sentons  tout  le  prix  des  sentiments 
de  vos  citoyens  pour  celle  illustre  assemblée, 
et  ils  nous  sont  d'autant  plus  ebers  que  des 
magistrats  recommandables  par  leur  mé- 
rite en  sont  les  dépositaires  et  les  inter- 
prètes. 

C'est  moins  l'usage  ou  l'intérêt  qui  vous 
amènent  que  cet  esprit  de  piélé  que  vous 
avez  reçu  de  vos  pères.  Voire  amour  filial 
pour  l'Eglise,  voire  attention  pour  les  pas- 
teurs qui  la  gouvernent  et  pour  les  ministres 
qui  la  servent,  ces  respects  que  vous  venez 
rendre  à  la  dignité  du  sacerdoce,  sont  les 
motifs  de  notre  sincère  affection  pour  vous 
cl  le  gage  de  notre  fidèle  reconnaissance. 

Quelle  administration  fut  jamais  plus  ap- 
plaudie que  celle  que  les  suffrages  publics 
nous  onl  confiée  I  Vous  contribuez  à  l'éclat 
et  à  la  splendeur  de  celte  ville,  seule  digne 
de  posséder  le  trône  auguste  de  nos  rois,  cl 
qui  ne  connaît  presque  point  de  rivale  sur  la 
terre.  Vous  pourvoyez  à  ses  besoins  et  à  ses 
commodités  délicieuses,  que  les  siècles  pas- 
sés avaient  ignorées;  vous  conservez  l'abon- 
dance cl  la  paix  au  milieu  d'un  peuple  im- 
mense, toujours  docile  à  vos  soins  pour 
l'observation  des  lois  politiques;  voire  sa- 
gesse et  vos  talents  sont  au-dessus  des  dé- 
làlls  de  vos  fondions,  Vous  donnez  de  grands 
exemples  à  vos  successeurs,  et  vous  leur 
laisserez  cette  noble  émulation  qui  produit 


d'ordinaire  dans  les  hommes  le  goût  du  tra- 
vail et  de  la  vertu,  et  qui  les  rend  utiles 
à  la  gloire  et  au  service  de  leur  patrie. 

Les  étrangers  s'empressent  de  parta- 
ger avec  les  Français  les  douceurs  d'un 
séjour  si  riant  et  si  gracieux;  ils  vien- 
nent s'instruire  de  la  politesse  des  mœurs  et 
de  la  perfection  des  sciences  et  des  arts.  Une 
louable  curiosité  les  attire  des  climats  les 
plus  éloignés,  leur  expérience  leur  confirme 
ce  que  la  renommée  leur  avait  appris,  et  la 
magnificence  de  celle  capitale  leur  fait  bien- 
tôt connaître  la  grandeur  et  la  puissance  de 
la  monarchie. 

Mais  nous  admirons  surtout  cet  esprit  de 
religion  qui  faille  vérilable  caractère  de  vos 
citoyens.  Quelle  docilité  pour  leurs  pasteurs  1 
quel  zèle  pour  l'ordre  de  la  hiérarchie  1  quel 
amour  pour  les  bonnes  œuvres  !  Combien  de 
monuments  érigés  à  la  gloire  du  Seigneur 
ou  à  l'utilité  du  prochain  !  Chaque  espèce 
de  misère  trouve  quelque  espèce  de  charité 
qui  la  soulage  ;  cl  si  cette  ville  célèbre  est 
l'ornement  de  ce  glorieux  empire,  elle  en 
csl  aussi  l'édification  et  l'exemple. 

Elle  doit,  Messieurs,  sa  félicité  à  vos 
soins  et  à  votre  illustre  chef,  que  tant  de 
ministères  importants  ont  signalé  jusqu'aux 
extrémités  de  l'Europe.  Nous  sommes  les 
témoins  des  applaudissements  que  vos 
vertus  vous  attirent,  et  celte  auguste  com- 
pagnie m'ordonne  de  vous  assurer  de  sa 
parfaite  considération  et  d'une  estime  que 
méritent  les  travaux  de  vos  emplois  et  les 
succès  de  vos  grands  services 

MANDEMENT 

Pour  demander  à  Dieu,  par  de  nouvelle* 
prières  publiques,  d'être  préservé  des  mala- 
dies contagieuses. 

Henri  de  Nesmono,  par  la  miséricorde  de 
Dieu  et  par  la  grâce  du  sainl-siége  aposto- 
lique, archevêque  et  seigneur  d'Albi,  con- 
seiller en  ses  conseils  et  en  son  parlement  do 
Toulouse,  à  lous  les  fidèles  de  notre  diocèse, 
salut  et  bénédiction  en  Nolrc-Seigncur  Jé- 
sus-Christ. 

Vous  êtes  informés,  mes  très-chers  frères, 
de  toutes  les  calamités  qui  affligent  depuis 
longtemps  une  des  plus  belles  provinces  do 
ce  royaume.  Soit  que  Dieu  ait  déterminé, 
dans  les  décrets  de  sa  providence  adorable, 
de  punir  encore  les  pécheurs  ou  de  purifier 
les  justes  qui  l'habitent;  soit  qu'il  veuille 
nous  avertir,  par  les  malheurs  de  nos  voi- 
sins, du  danger  qui  nous  menace,  et  exciter 
en  nous  le  désir  de  la  correclion  de  nos 
mœurs,  il  semble  que  sa  justice  n'est  pas 
satisfaite  ;  sa  main  continue  à  s'appesantir 
sur  nos  frères  de  Provence,  cl  lous  nos 
vœux  n'ont  pu  jusqu'à  présent  obtenir  de 
sa  bonté  le  retour  de  ses  anciennes  miséri- 
cordes. 

Quel  ravage  ne  fait  point,  dans  un  pays 
qu'il  veut  punir  ou  éprouver,  celte  funeslo 
contagion,  dont  le  venin  est  si  sublil  et  le 
progrès  si  rapide,  qui  semble  ne  s'éteindre 
dans  une  contrée  que  pour  se  rallumer  dans 
une  autre  avec  plus  de  violence  cl  d'activité, 


1001 


OIUTEURS  SvCHES.  DE  NI.>MOND. 


qui  laisse  pou  a'intervallo  entre  lei  premier* 

symptômes  de  la  maladie  et  ceux  d'une  mort 
prochaine,  qui  s'insinue  dans  Ions  toi  w  us 
du  coi  ps  humain  parunsoullle  impe;  ccplilrc, 
qui  l'imprime  même  sur  lis  choses  ma  ni  - 
méee,  et  qui,  malgré  les  précautions  que 
l'atlention  et  la  vigilance  peuvent  inspirer, 
trompe  presque  loujours  lee  raisonnements 
de  l'art  le  plus  éclaire  et  l'espérance  des  re- 
mèdes les  plus  efficaces  ! 

Quels  tristes  spectacles  ne  voit-on  pas  dans 
les  lieux  où  cette  contagion  est  répandue I 
Elle  porte  la  terreur  et  la  mort  partout  où 
elle  csl,  et  la  consternation  où  elle  n'est  pas. 
Elle  met  une  division  intestine  dans  les  fa- 
milles, dans  les  villes  et  dans  les  provinces. 
Dans  ces  sortes  d'événements  tout  devient 
suspect  et  ennemi.  Au  milieu  d'une  pats 
profonde,  qui  régne  aujourd'hui  sur  la  terre, 
les  peuples  sont  armés  les  uns  contre  les 
autres,  et  défendent,  contre  leurs  voisins  les 
frontières  de  leurs  contrées.  Chacun  songe 
à  se  préserver,  aux  dépens  de  la  compassion 
naturelle  à  tous  les  hommes  ;  la  guerre  la 
plus  vive  n'exerce  point  de  pareilles  hosti- 
lités ;  les  précautions  les  plus  sévères  et  les 
plus  dures  paraissent  raisonnables  et  né- 
cessaires, et  tel  est  l'effet  delà  plus  dange- 
reuse des  calamités  publiques,  que  l'on  sa- 
crifie à  sa  propre  conservation  les  devoirs 
les  plus  sacrés  de  l'humanité,  et  quelquefois 
même  les  liaisons  les  plus  tendres  et  les  plus 
intimes  du  sang  et  de  la  nature. 

Vous  savez,  mes  irès-cln  rs  frères,  que  les 
villes  principales  de  la  Provence,  célèbres 
par  leur  antiquité  et  par  la  magnificence  de 
leurs  édifices,  l'ornement  du  royaume,  l'a» 
înour  elles  délices  des  étrangers,  ont  éprouvé 
tour  à  tour  la  tribulation  la  plus  amère  que 
le  soleil  ail  jamais  vue.  La  plus  grande  par- 
tie de  leurs  citoyens  a  péri  par  le  glaive  de 
l'ange  exterminateur.  Ce  pays  si  riant  el  si 
gracieux,  el  à  qui  il  ne  manquait  peul-élre 
qu'un  plus  saint  usage  des  dons  qu'il  av.it 
reçus  du  ciel  el  de  la  nature,  a  perdu  son 
ancienne  splendeur.  Celle  lerre  heureuse, 
où  abordèrent  autrefois  les  premiers  apôtres 
de  nos  Gaules,  et  qui  fut  engendrée  au  chris- 
tianisme par  leurs  travaux,  n'est  plus  au- 
jourd'hui qu'un  séjour  de  trouble,  de  tris- 
tesse et  de  confusion.  Plusieurs  âges  ne  ré- 
pareront pas  les  ruines  qu'a  fait'  s  une  seule 
année.  La  mer  apporta  à  ces  villes  el  à  ces 
campagnes  infortunées  cet  air  de  mortalité, 
des  rivages  de  la  Syrie,  el  le  commerce,  qui 
les  rendit  si  florissantes,  a  été  la  cause  fatale 
de  leur  décadence. 

Tant  que  nous  n'avons  vu,  mes  très-cbers 
frères,  le  mal  qu'en  éluigrtement,  nous  pleu- 
rions sur  nos  frères  affligés  ;  mais  nous  ne 
craignions  pas  pour  nous-mêmes.  Unis  avec 
eux  par  les  liens  de  la  religion,  du  voisin  ge 
cl  do  la  patrie,  nous  déplorions  leurs  mal- 
heurs el  nous  vivions  dans  une  espèce  de 
sécurité.  Nous  étions  rassurés  par  la  distance 
des  lieux  et  par  la  barrière  d'un  grand  fleuve 
gardé  avec  lout<  s  les  précautions  que  la 
prudence  humaine  peut  suggérer.  Nous  niel- 
lions uolre    confiance   et  notre   espoir    dans 


I  attenlii  ■  des  puissances  séculières  à  qui 
le  soin  de  la  prorines  est  eottfé,  el  qui.  diri- 
i  lies  de  l'auguste  prince  qui 
nous  gouverne,  veillent  pour  co'ie  sûre  é 
avec  un  zèle  digne  de  notre  reconnaissance 
et  de  notre  amour.  Ainsi,  tranquilles  I  us  le 
climat  que  nous  habitons,  nous  ne  pr-  n.oiis 
d'aulre  part  à  cet  événement  que  celui  que 
nous  inspiraient  la  compassion  et  1 1  cha- 
rité. 

Mais  il  ne  s'agit  [dus,  mes  Irès-cbers  frè- 
res, de  nous  flaitcr  :  le  mal  approche  denone, 
la  contagion,  semblable  à  une  flèche  poustee 
avec  impétuosité,  a  volé  du  midi  au  seplai- 
Irion.  L'altenlion  la  plus  exacte  n'a  pu  ni  la 
prévenir,  ni  en  arrêter  le  progrès.  Indes 
plus  riches  diocèses  de  cette  province,  assez 
voisin  de  celui  où  la  Providence  roos  ■  fa  t 
naître,  est  attaqué.  Dieu  a  dit  à  ce  peuple 
désolé:  Je  répandrai  la  mortalité  sur  tos 
montagnes  et  sur  vos  voilées;  et  ce  paj 
apparence  le  moins  accessilre  aux  attein- 
tes de  la  maladie,  commence  à  en  ressentir 
la  malignité. 

0  épée  de  la  justice  de  Dieu!  ne  (e  repose- 
ras-tu  jamais  ?  Une  guerre  quia  duré  plus 
ue  vingt  années,  la  stérilité  des  campagnes, 
l'espérance  des  moissons  piesque  loujours 
trompée  sur  le  point  de  l<  s  recueillir,  la  fa- 
mine trop  fréquente  et  trop  éprouvée,  n'onl 
point  desarmé  la  colère  du  Seigneur.  Fal- 
lait-il que  le  fléau  le  plus  redoute  vint  en- 
core affliger  ou  menacer  nos  provinces  !  Nous 
devons  donc  duc  avec  le  Prophète  :  Malheur 
à  nous  qui  uvons  péclié ! 

Aujourd'hui,  dans  le  discours  ordinaire 
des  hommes,  on  attribue  le  progiès  de  la 
contagion  aux  altérations  de  l'air,  à  l'in- 
tempérie des  saisons,  à  la  qualité  des  aliments 
nécessaires  à  ia  vie  humaine,  aux  commu- 
nications du  comni  rce.à  la  cupidité  punis- 
sable des  négociante  <jui  sacrifient  leur  con- 
servation et  celle  de  leur  patrie  à  un  intérêt 
criminel  cl  à  une  sordide  avarice.  Ce  dis- 
cours n'est  que  trop  véritable,  et  Dieu  sou- 
vent se  serl  des  causes  secondes  pour  punir 
nos  dérèglements  ;  mais  nos  péchés  sont  la 
cause  la  plus  certaine  des  maux  que  nous 
souffrons  ou  que  nous  craignons.  Si  vous 
n'écoutez  pas  ma  voir,  disait  le  Seigneur,  et 
si  vous  n'accompli$ez  pas  mes  commande- 
ment  s,  je  consumerai  par  la  contagion  la 
terre  que  vous  habitez. 

Nous  sommes  affligés,  mes  très-cbers  frè- 
res; maïs  c'est  une  tristesse  qui  n'opère  point 
la  pénitence  et  le  salut.  En  efftt,  maigre  le 
péril  qui  nous  menace,  on  n'aperçoit  dans 
les  villes  que  luxe  el  que  vanité;  la  charité 
e.t  refroidie  partout,  plus  parla  dureté  du 
cœur  que  par  le  dérangement  des  fortunes 
particulières.  On  ne  compte  pour  rien  ce 
qu  il  en  coule  pour  le  plaisir  ;  on  n'est  mé- 
nager que  quand  il  s'agit  de  faire  l'aumône. 
La  médisant  •  fut-elle  jamais  plus  scanda- 
leuse et  plus  commune? On  n  épargne  ni  la 
.sacre  ni  le  profane,  el  la  vertu  la  plus  pure 
el  la  réputation  la  mil  ux  établie  ne  sont  pas 
à  l'abri  de  la  détraction,  L'intempérance, 
autrefois  le  partage  des  plus  viles  conditions. 


1093 


NOTICE  SUR  PONCET  DE  LÀ  RIVIERE. 


um 


est  devenue  la  mode  et  la  politesse  des  gens 
du  inonde.  N'a-t-on  pas  vu  dans  ces  der- 
niers temps  des  trésors  immenses  d'iniquité 
amassés  par  des  hommes  avares  et  par  les 
subtilités  d'un  trafic  odieux  et  inconnu  à  la 
sage  simplicité  de  nos  pères  ?  La  mauvaise 
foi,  l'intrigue,  la  cupidité,  l'envie  el  les  dé- 
sirs séculiers  dont  parle  l'Apôtre,  régnent 
dans  tous  les  états  avec  impunité  et  avec 
empire,  et  presque  toute  chair  a  corrompu 
ses  voies.  Devons-nous  donc  nous  étonner  si 
Dieu  rejette  des  vœux  formés  sans  pénitence 
et  sans  conversion,  et  qui,  n'étant  inspirés 
que  par  une  frayeur  passagère  et  intéressée, 
finissent  avec  cette  crainte  humaine  qui  les 
a  fait  naître? 

Cependant,  mes  très-chers  frères,  malgré 
la  corruption  du  siècle,  nous  savons,  et  nous 
le  publions  avec  justice,  qu'on  trouve  de  la 
religion  el  delà  piété  dans  ce  diocèse  et  dans 
celle  ville  ;  qu'il  y  a  des  justes  qui  adorent 
Dieu  en  esprit  et  en  vérité,  qui  remplissent 
avec  édification  les  devoirs  de  l'état  où  la 
Providence  les  a  appelés,  qui  s'emploient  à 
tous  les  exercices  de  la  charité  el  des  bonnes 
œuvres,  qui  ne  s'occupent  que  des  maximes 
del'Evangile  et  du  désir  de  leur  salut,  etqui 
portent  partout  où  ils  sont  la  bonne  odeur 
du  christianisme.  Ce  petit  troupeau  d'élection 
a  toujours  fait  noire  consolation  et  noire 
joie,  il  fait  même  notre  espérance  dans  les 
circonstances  où  nous  nous  trouvons  ;  ses 
prières  obtiendront  peut-être  du  ciel  ses  plus 
grandes  miséricordes;  et,  selon  la  belle 
expression  de  saint  Augustin,  cesévénemeits 
heureux  qui  sauvent  les  provinces  et  les 
royaumes  sont  quelquefois  le  fruit  des  gé- 
missements de  la  colombe,  c'est-à-dire  d'une 
âme  fidèle  que  les  hommes  ne  connaissent 
pas,  et  que  Dieu  cache  dans  le  secret  de  sa 
face. 

Ne  cessons  donc  point  oe  demander  à  Dieu 
qu'il  console  nos  frères  affligés,  qu'il  dise  à 
l'ange  qui  les  frappe  :  C'est  assez,  retenez 
votre  main,  dont  ma  colère  s'est  servie.  Prions 

(t)  M.  de  Nesmond,  archevêque  d'Albi  lors  de  la  publi- 
cation de  ce  mandement,  eu  1721 ,  venait  d'être  nommé  à 
l'archevêché  de  Toulouse. 


qu'il  nous  garantisse  nous-mêmes  du  fléau 
d'une  contagion  trop  voisine  de  nos  contrées. 
Le  Seigneur  diffère  quelquefois  ses  bien- 
faits pour  éprouver  notre  fidélité,  et  les  grâ- 
ces qu'il  nous  fait  attendre  sont  d'ordinaire 
le  prix  de  la  ferveur  et  de  la  persévérance 
des  prières  publiques  ou  particulières. 

Voici  peut-être ,  mes  très-chers  frères, 
l'une  des  dernières  fonctions  du  ministère 
que  j'exerce  ici  depuis  longtemps.  Je  suis  sur 
le  point  de  me  séparer  de  vous  pour  toujours, 
et  la  Providence  m'appelle  ailleurs  contre 
mon  attente  (1).  Je  n'oublierai  jamais  un 
troupeau  qui  me  fut  si  cher,  et  je  le  porte- 
rai jusqu'à  mon  dernier  soupir  dans  mon 
cœur  et  dans  mes  entrailles  ;  Dieu  connaît 
que  je  ne  mens  pas.  Je  vous  conjure  de  vous 
souvenir  de  moi  dans  vos  prières,  de  de- 
mander au  Seigneur  sur  toutes  choses  ma 
sanctification,  et  de  me  pardonner  mes  fau- 
tes, mes  négligences  et  le  mauvais  exemple 
que  je  puis  vous  avoir  donné.  Au  moins  je 
me  rends  témoignage  à  moi-même  que  mes 
intentions  ont  toujours  été  droites  pour  le 
bien  public,  el  que  vos  intérêts  spirituels  ou 
temporels  ont  été  dans  tous  les  temps  lo 
premier  objet  de  ma  sollicitude  pastorale. 
Ma  consolation  est  de  vous  laisser  sous  la 
conduite  d'un  prélat  illustre  par  sa  nais- 
sance (2),  plus  respectable  encore  par  ses 
vertus,  et  dont  le  sage  gouvernement  fera  la 
félicité  de  ce  diocèse.  Cependant,  mes  très- 
chers  frères,  je  ne  vous  quitterai  que  lors- 
que les  nœuds  sacrés  qui  nous  unissent  se- 
i  ont  rompus.  Vous  êtes  encore  mon  peuple 
el  je  suis  votre  pasteur.  Heureux  si  ma  pré- 
sence peut  vous  rassurer  ou  vous  consoler, 
et,  nous  confiant  en  la  grâce  du  Seigneur, 
qui  donne  l'esprit  de  force  à  qui  il  lui  plait, 
nous  sommes  résolu,  dans  ces  jours  de  tri- 
bulalion  et  de  calamité,  de  partager  avec 
vous  les  soins  nécessaires  à  voire  conserva- 
tion, et  le  danger  des  tristes  événements  dout 
Dieu  vous  menace. 


(I)  M.  de  la  Croix  de  Caslries,  successeur  de  M.  de  Nes- 
mond au  siège  d'Albi. 


NOTICE  SUR  PONCET  DE  LA  RIVIÈRE. 


Poncet  de  la  Rivikre  (Matthias),  évêque 
de  Troyes,  né  à  Paris  en  1707,  mort  en  1780, 
s'est  dislingue  par  son  zèle,  ses  vertus  et  ses 
talents  oratoires.  11  fut  aumônier  de  Stanislas, 
roi  de  Pologne,  et  fut  exposé  aux  plus  vio- 
lentes contradictions,  dans  un  diocèse  où  les 
jansénistes  avaient  longtemps  dominé.  Son 
opposition  à  leurdoctrine  lui  mérita  l'exil,  «  t 
le  Força,  en  1758,  à  donner  la  demi:;  ion  (Je 
son  siège.  La  lecture  de  ses  Oraisons  funè- 
bres donne  une  haute  idic  de  l'effet  que  de- 
vait produire  sa  parole.  Le  caractère  de  son 
éloquence,  sans  être  du  uremicr  genre,  a  un 


mérite  qui  lui  est  particulier.  On  a  encore 
de  ce  prélat  une  Instruction  pastorale  sur  le 
schisme,  el  un  Discours  sar  le  goût,  estimé 
pour  la  délicatesse  des  pensées  et  l'élégance 
de  l'expression.  (Extrait  du  Dictionnamih 
historique  de  Feller.) 

L'abbé  Feller  oublie  de  mentionner  daus 
relie  notice  le  Sermon  que  prononça  Poncet 
de  la  Rivière  pour  la  prise  d'habil  de  Mn" 
Louise*  aux  Carmélites  de  Saint-Denis.  Ce 
sermon,  justement  estimé,  a  élé  traduit  en 
i  agi  <>i.  ,ous  le  reproduisons  en  fiançais 
à  la  suite  des  Oraisons  funèbre».  (Knir.) 


ORAISONS    FUNEBRES 


DE 


PONCET  DE  LA  RIVIÈRE. 


ORAISON  FUNEBRE 

DE  MARIE-THÉRÈSE,   INFANTE    D'ESPAGNE , 
DACPHINE. 

Proposui  pnflace  babere  Sapientiam,  tiuoniam  iaexstin- 
gaibile  esl  lumen  illias. 

J'ai  pris  lu  Sagesse  pour  règle  de  ma  conduite,  parer  que 
te  flambeau  dont  elle  se  sert  pour  m'éclaircr  ne  s'éteindra 
jamais  (Sup.,  VII,  10). 

Madame  (1), 

Des  jours  mesurés,  une  mort  inévitable,  un 
jugement  sans  appel ,  tel  est  le  partage  de 
l'homme  et  le  sort  que  tôt  ou  lard  nous  de- 
vons tous  éprouver. 

Le  rang  le  plus  élevé ,  l'autorité  la  plus 
étendue,  les  trésors  les  plus  abondants,  la 
magnificence  la  plus  éblouissante,  les  succès 
les  plus  heureux,  l'indépendance  la  plus  en- 
tière, la  jeunesse  la  plus  florissante,  les  char- 
mes les  plus  séduisants,  ne  l'orme  ni  pas  une 
félicité  solide  et  permanente.  Tout  ici-bas 
s'échappe  ,  s'évanouit ,  s'anéantii.  Ce  qu'on 
appelle  grandeur  est  une  espèce  d'écorce 
brillante  que  le  temps  ne  respecte  pas,  et  les 
cèdres  mêmes  du  Liban  scréduisent  enfin  en 
poussière. 

Vous  m'en  êtes  une  preuve  en  ce  moment, 
somptueux  et  lugubre  appareil,  qui  frappez 
mes  yeux  et  qui  troublez  mon  cœur.  Ces  os- 
sements superbement  déguisés,  cette  cire  ar- 
dente qui  ne  peut  éclairer  sans  se  consumer 
elle-même,  ce  lit  funèbre,  que  je  regarde 
comme  le  trône  de  la  mort,  où  elle  s'applau- 
dit de  voir  à  ses  pieds  des  cendres  pré- 
cieuses, que  nous  ne  cessons  d'arroser  de 
nos  larmes  ;  ces  voiles  obscurs,  ce  deuil  gé- 
néral, tout  me  rappelle  que  la  gloire  du  siècle 
est  une  ombre  fugitive,  qui  ne  laisse  après 
clic  que  quelque  bruit  cl  que  d'inutiles  re- 
grets. 

La  véritable  Sagesse  est  seule  en  droit  de 
faire  posséder  un  empire  qui  ne  peut  être  en- 
levé, ni  par  la  rapidité  tics  années,  ni  par  le 
coup  fatal  du  trépas.  C'est  elle  qui,  suivant 
le  langage  du  Saint-Esprit ,  enseigne  la  so- 
briété, la  prudence,  la  justice,  la  vertu  ;  et 
les  souverains  qui  ont  écouté  et  suivi  ses  le- 
çons envisagent  sans  effroi  le  dernier  mo- 
ment de  leur  vie,  parce  qu'ils  savent  qu'en 
mourant  ils  ne  feront  que  changer  de  cou- 
ronne. 

Telle  fut  l'espérance  qui  anima,  qui  sanc- 
tifia TRES-HAUTE,  TRES-PUISSANTE,  TRÈS-VER- 
TUEUSE    ET    EXCELLENTE     PRINCESSE,    MaRIB- 

Thérbse,  infante  d'Espagne,  dauphins. 

Si,  pour  payer  un  tribut  de  louanges  à  celle 
auguste  princesse,'jc  ne  .pouvais,  Messieurs, 
(1)  Madame  Me  France  première. 


fixer  mes  regards  que  sur  l'éclat  inséparable 
de  sa  haute  naissance;  si  je  me  trouvais 
forcé  d'emprunter  des  monarques  e:  des 
princes  ses  aïeux  quelques-unes  des  vertus 
qu'on  suppose,  souvent  trop  légèrement,  élre 
héréditaires  ;  si,  dans  le  lieu  saint,  je  me 
voyais  réduit  à  faire  valoir  les  qualités  ai- 
mables dont  la  Providence  avait  permis  à  la 
nature  de  l'orner,  j'admirerais,  mais  je  trem- 
blerais, et  je  serais  plutôt  ébloui  qu'encou- 
ragé. 

Grâces  à  la  miséricorde  de  Dieu,  des  res- 
sources plus  sûres  et  plus  saintes  viennent 
à  mon  secours.  Je  dois  parler  d'une  prin- 
cesse qui,  disciple  fidèle  de  la  Sagesse,  en  re- 
çut toutes  les  lumières,  et  sut,  dans  l'âge  le 
plus  tendre,  en  suivre  tous  les  mouvements; 
l'encens  que  je  brûlerai  sur  son  tombeau  ne 
profanera  pas  celui  qui  va  fumer  sur  l'autel, 
cl,  louché  moi-même  de  la  perfection  du  mo- 
dèle que  j'ai  à  vous  remettre' devant  les  yeux, 
je  ne  me  lasso  point  d'admirer  l'étendue  de 
la  Sagesse  qu'elle  avait  prise  pour  règle  de  sa 
conduite  :  Proposai  pro  luce  habere  Sapien- 
tiam. 

C'est  la  Sagesse  qui  peut  rendre  l'homme 
véritablement  grand  ,  c'est  la  Sagesse  qui 
peut  rendre  l'homme  constamment  heureux  : 
deux  avantages  que  l'illustre  princesse  que 
nous  regrettons  a  su  procurer.  La  Sagesse 
forma  dans  elle  un  assemblage  de  qualités 
augustes,  qui  méritèrent  de  régner  sur  nos 
cœurs,  cl  de  là  sa  véritable  grandeur.  Cette 
Sagesse  fut  consacrée  dans  elle  par  un  as- 
semblage de  vertus  chrétiennes  qui  perfec- 
tionnèrent son  cœur,  et  de  là  la  perpétuité 
de  sa  gloire. 

Sagesse  respectable,  ce  sont  vos  pas  que 
je  vais  suivre  dans  le  cours  d'une  si  belle  vie; 
daigne/  me  prêter  ce  flambeau  sacré  qui  ré- 
pandit tant  d'éclat  sur  ces  beaux  jours,  ter- 
ici  lés  silo!  et  éclipses  à  jamais  ;  daignez  me 
servir  vous-même  de  guide  pour  entrer  dans 
la  courte  carrière  où  celle  oriocesse  fut  si  fi- 
dèle à  vous  suivre. 

PRKUliRB   PARTIE. 

Kicn  n'est  plus  naturel  que  de  se  croire  vé- 
ritablement grand  ,  quand  on  so  trouve  re- 
vêtu de  tout  l'apanage  de  la  grandeur.  C'est 
un  sentiment  que  l'amour-proprc  inspire , 
que  la  flatterie  soutient,  mais  qu'un  jaste  dis- 
cernement  n'apj  rou\e  pas  toujours,  et  dont 
il  n'appartient  qu'à  la  Sagesse  de  nous  ga- 
rantir. 

La  naissance,  le  rang,  le  pouvoir,  foruieut 


4097 


ORAISON  FUNEBRE  DE  MARIE-THERESE  D'ESPAGNE. 


1098 


la  grandeur;  la  piété,  la  justice,  le  courage, 
la  bonté,  forment  le  grand  prince.  Si  l'éléva- 
tion donne  droit  d'exiger  des  hommages  et 
des  respects ,  il  faut  d'autres  titres  pour  ob- 
tenir l'estime  et  l'amour.  Le  cœur  de  l'homme 
est  une  espèce  d'empire  dont  chaque  parti- 
culier est.  le  souverain  :  cet  empire  ne  se 
rend  jamais  à  la  force  et  à  la  violence ,  il  ne 
peut  être  conquis  pour  toujours  que  par  le 
mérite  et  par  la  vertu. 

Ainsi  le  pensa  l'auguste  princesse  dont, 
j'entreprends  aujourd'hui  l'éloge,  déjà  com- 
mencé par  vos  regrets.  Guidée  par  un  rayon 
de  cette  sagesse  immuable,  qui,  suivant  l'ex- 
pression de  Salomon,  ne  s'éloigne  jamais  du 
trône  du  Tout-Puissant,  elle  reconnut  qu'elle 
ne  pouvait  jouir  d'une  véritable  grandeur 
qu'autant  qu'elle  se  rendrait  maîtresse  de 
nos  cœurs  ;  et,  occupée  de  cette  juste  idée, 
elle  s'attira  notre  vénération  par  la  noblesse 
de  ses  sentiments,  elle  mérita  noire  attache- 
ment par  la  bonté  de  son  cœur,  elle  enleva 
notre  admiration  par  la  solidité  de  son  esprit. 

Qu'elle  fut  remplie  de  sentiments  nobles  et 
élevés  !  Qui  pourrait  en  être  surpris,  Mes- 
sieurs ?  elle  sortait  du  sang  des  Bourbons. 
Fille  des  maîtres  du  monde,  elle  se  voyait  un 
de  ses  conquérants  pour  bisaïeul,  pour  père 
un  de  ses  rois,  et  devait  trouver,  dans  la  cour 
d'un  monarque,  qui  en  est  le  modèle,  un 
époux  qui  en  fait  l'espérance. 

A  l'impression  de  celte  origine  éclatante 
était  jointe  une  éducation  digne  de  sa  nais- 
sance. Cultivée  par  les  soins  d'une  reine  plus 
respectable  encore  par  son  génie  et  par  ses 
qualités  personnelles  ,  que  par  les  droits  et 
l'éclat  de  tant  de  couronnes,  elle  profila 
bientôt  de  ses  leçons  et  se  rendit  capable  de 
donner  des  exemples. 

Qu'il  fut  glorieux  pour  elle  ce  moment  où 
le  plus  grand  des  rois,  cherchant  une  épouse 
au  plus  aimable  des  princes,  lui  donna,  pour 
être  le  théâtre  de  ses  perfections,  le  premier 
rang  dans  une  cour  qui  est  elle-même  le 
centre  de  tous  les  agréments  1 

Ce  ne  fut  point  un  de  ces  choix  que  la  po- 
litique seule  conseille  ou  que  l'intérêt  com- 
mande ,  que  présente  le  hasard  ou  que 
!a  prévention  conduit,  et  qui ,  portant  tou- 
jours le  caractère  de  leur  principe,  se  font 
quelquefois  sans  goût  par  celui  qui  en  est 
l'arbitre,  et  sans  mérile  dans  celles  qui  en 
sont  l'objet. 

Ce  fut  d'abord  l'envie  de  rappeler  à  sa 
source  le  plus  pur  sang  de  l'univers ,  d'unir 
par  les  nœuds  les  plus  sacrés  deux  trônes  si 
glorieusement  unis  par  ceux  de  la  nature,  et 
d'entretenir  dans  le  peuple  du  monde  le  plus 
attaché  à  ses  rois,  et  le  plus  digne  que  ses 
rois  S'attachent  à  lui,  l'espérance  d'avoir  tou- 
jours des  maîtres  sortis  de  la  même  tige. 
Mais,  j'ose  le  dire,  ce  motif  n'élait  que  su- 
bordonné, dans  les  vues  du  roi,  à  un  objet 
plus  intéressant.  Les  vertus  du  prince  qu  il 
voulait  établir  demandaient  que  les  .vertus 
seules  fussent  le  principe  de  cet  établisse- 
ment ;  la  sagesse  de  Louis  exigeait  que  son 
choix  fût  justifié  aux  yeux  de  l'Europe  par 
le  mérile  de  -celle   qui   en   serait  honorée. 

Obatiiurs  sacré».  XXX. 


S'esl-il  trompé,  Messieurs?  C'est  à  vous-mê- 
mes que  j'en  appelle. 

Nous  l'avons  vue,  dans  une  cour  d'autant 
plus  éclairée  sur  la  vraie  grandeur,  qu'elle 
en  voit,  et  un  spectacle  plus  éclatant  sur  le 
trône,  et  autour  du  trône  des  juges  plus  ins- 
truits; nous  l'avons  vue,  dis-je,Gxer  l'atten- 
tion sans  la  rechercher,  s'attirer  le  respect 
sans  le  commander  ;  porter  dans  toutes  ses 
démarches  une  dignité  de  conduiie  qui  se 
soutenait  également,  et  dans  la  dépendance 
du  devoir,  et  dans  la  supériorité  du  rang; 
qui  savait  se  partager  entre  les  hommages 
qu'elle  devait  comme  sujette  et  ceux  qu'elle 
recevait  comme  princesse;  obéir  avec  ma- 
jesté, dominer  avec  réserve,  suivre  la  loi  et 
la  donner;  servir  de  spectacle  et  d'exemple; 
n'être  jamais  au-dessous  de  ses  obligations, 
et  toujours  au-dessus  de  ses  honneurs. 

Nous  l'avons  vue,  attentive  à  tout  ce  que  la 
religion  enseigne  ou  inspire,  la  révérer  dans 
ses  mystères,  la  soulenir  dans  ses  droits,  la 
suivre  dans  ses  règles,  la  respecter  dans  toutes 
ses  pratiques,  se  rendre  elle-même  respecta- 
ble en  la  pratiquant,  confondre  par  ses 
exemples  et  ne  souffrir  jamais  autour  de  sa 
personne  cette  impiété  étudiée  qui,  sous  le 
spécieux  nom  de  philosophie,  consulte  Iji  rai- 
son  quand  la  loi  parle,  ne  croit  pas  même  è, 
la  raison  quand  elle  a  parlé,  étudie  sans  s'ins- 
truire, se  confond  sans  se  convaincre,  se  perd 
dans  les  doutes,  s'égare  dans  les  erreurs,  ne 
craint  que  la  vérité,  s'honore  du  beau  nom 
de  Sagesse  dont  elle  est  l'écueii;  s'appelle 
force  d'esprit,  et  n'est  que  faiblesse  du  cœur 
ou  du  génie. 

Nous  l'avons  vue,  au  pied  d'un  trône  dont 
le  premier  éclat  répandait  sur  elle  le  lustre  le 
plus  capable  de  l'éblouir,  soulenir  le  poids  de 
celle  gloire  avec  une  modestie  qui  acquérait 
sans  cesse  des  droits  par  les  bornes  qu'elle 
semblait  leur  prescrire  ;  qui  se  communiquait 
sans  se  dégrader,  alliait  ensemble  ce  que  le 
rang  demande  de  réserves  et  ce  que  la  bonté 
permet  de  complaisance,  honorait  le  mérite 
dans  tous  les  autres,  le  présentait  dans  elle- 
même,  voyait  partout  des  vertus,  n'ignorait 
pas  les  défauts,  mais  admirait  les  unes,  plai- 
gnait les  autres,  faisait  avec  plaisir  des  élo- 
ges, et  n'était  ennemie  que  de  ceux  dont  elle 
était  l'objet. 

De  là,  Messieurs,  cette  tendresse  de  senli- 
ments  qui  nous  assuraient  de  son  cœur  cl  lui 
engageaient  tous  les  nôtres. 

Rappelez-vous  ce  moment  où,  à  peine  unie 
avec  un  jeune  héros,  elle  le  vil,  non  pas  ré- 
pandre des  larmes  de  jalousie  sur  les  lau- 
riers de  son  père,  mais  se  séparer  d'elle  pour 
voler  sur  les  pas  d'un  roi  conquérant;  con- 
fondre ensemble,  sous  un  si  grand  modèle, 
l'aride  vaincre  et  celui  de  combattre;  lui 
disputer  l'honneur  des  dangers  au  milieu 
d'une  armée  qui  ne  connaissait  que  les  leurs, 
et  effrayer  autant  l'amour  des  soldats  fran- 
çais, que  l'audace  des  troupes  ennemies.  Ahl 
que  celte  séparation  dut  coûter  au  cœur  de 
la  princesse!  Représentez- vous,  Messieurs, 
celte  conformité  de  sentiments  qui  les  unis- 
sait l'un  à  1  autre,  ces  rapports  de  volonté. 

35 


J009 


ORATEI.'RS  SACRES.  PONCET  DE  LA  l'.IVIERE. 


IlitO 


ces  égards  de  complaisance,  celle  tendresse 
de  soins  et  d'assiduité.  Ce  sont  les  mi-uds  de 
celle  union  qu'il  i;iliui  rompre  au  premier 
hriiil  d'un  combat  qui  nattait  le  cour.i 
l'époux  par  Happai  (le  la  gloire,  mais 
portail  la  crainte  de  tous  ses  risques  dans  le 
cœur  de  I  épouse  alarmée.  La  nature  eut  ses 
droits  dans  ce  moment,  les  larmes  coulèrent 
dans  le  sein  de  la  tendresse;  mais  ,  apt 
premier  tribal,  dont  nous  trouvons  tous  la 
justice  dans  nos  sentiments,  elle  marqua  une 
grandeur  d'âme  dont  elle  ne  trouvait  le  mo- 
dèle que  dans  les  siens.  Ses  inquiétudes  ne 
cessèrent  pas,  mais  elle  sut  leS  reprimer  ;  le 
trouble  était  dans  son  cœur,  mais  aucun 
nuage  n'annonça  que  la  sérénité  en  était 
bannie;  je  me  trompe,  Messieurs  :  la  fer- 
meté du  prince  sembla  passer  tout  entière 
dans  l'âme  de  la  princesse  ;  les  adieux  ne 
furent  pas  moins  tendres,  mais  ils  ne  furent 
pas  moins  héroïques  :  elle  osa  disputer  de 
courage  avec  lui  ;  et,  comme  si  elle  eût  clé 
sûre  de  l'événement  glorieux  qui  allait  être 
le  prix  de  cette  cruelle  séparation,  tout  ce 
qu'il  en  pouvait  coûter  à  son  inclination  cl 
à  son  cœur  fut  sacrifié  sans  réserve  à  tout  ce 
qui  devait  porler  dans  elle  le  caractère  du  de- 
voir et  de  l'héroïsme. 

Ce  n'est  point  trop  nous  flatter,  Messieurs, 
que  de  nous  faire  entrer  pour  une  grande 
partie  dans  cette  noblesse  de  sentiments 
qu'elle  fit  paraître  alors.  Nos  alarmes  deman- 
daient qu'elle  nous  dissimulât  les  siennes  : 
elle  nous  voyait  trembler  sur  les  périls  d'un 
prince  qui  lui  était  si  cber,  elle  nous  chéris- 
sait assez  nous-mêmes  pour  nous  épargner 
un  nouveau  motif  d'inquiétude  dans  le  spec- 
tacle de  sa  douleur  ;  mais  qu'elle  fut  dédom- 
magée de  la  peine  que  lui  causait  un  pareil 
sacrifice,  par  le  plaisir  de  revoir  son  épouv 
aussi  tendre  et  plus  glorieux,  après  une 
campagne  commencée  par  une  victoire , 
achevée  par  la  conquête  d'une  province,  et 
couronnée  par  l'admiration  des  peuples  1 

A  ce  tableau  que  je  viens  de  tracer  ,  quel 
assemblage  d'autres  qualités  augustes  !  Quelle 
tendre  compassion,  surtout ,  au  récit  qu'on 
lui  f  isait  des  misères  1  Elle  cherchait  à  les 
connaître  ,  elle  aimait  à  les  soulager,  et  la 
peine  qu'elle  avait  à  voir  des  malheureux 
eta  l  balancée  dans  elle  par  le  plaisir  d'adou- 
cir ou  de  terminer  leurs  malheurs. 

Disons-le,  à  la  honte  du  siècle,  la  dureté 
est  presque  toujours  la  compagne  de  l'opu- 
lence. Moins  possesseur  qu'esclave  de  ses 
biens,  le  riche  ne  pense  ni  à  la  source  éter- 
nelle d'où  ils  se  sont  écoulés,  ni  aux  condi- 
tions qui  peuvent  en  rendre  la  possession  in- 
nocente, ni  au  tombeau  qui  en  est  l'inévita- 
ble écueil;  il  ne  refuse  rien  au  luxe,  il  ac- 
corde tout  au  plaisir  ;  une  passion  se  sacrifie 
les  trésors  que  toutes  les  antres  se  sont 
amassés  ;  si  la  charité  eu  réclame  quelques 
secours  en  laveur  de  l'indigence ,  sa  voix, 
n'est  point  entendue,  et  le  pauvre  sans  res- 
source se  trouve  souvent  dépouillé,  ou  par 
la  cruauté  de  l'avarice,  ou  par  les  excès  de 
la  prodigalité. 

Celle  insensibilité,  condamnable  dans  luus 


les  hommes,  serait    bien    plus    inexcusable 
dans  les  grands,  ils  sont  en  droit,  il  Ml 
d'exigi  r  du  peuple  des  hommages  etd< 

ais  ils  sont  obligés  de  pourvoir,  au- 
tant   qu'il  est    possible  ,  ,'i  leurs    besoins  ;  et 
triompher,  par  ses  bienfait-.,  de  leur  m 
est,  pour  un   cœur  tendre  et  rertoeox ,  le 
plus  juste  et    le   plus  glorieux   de   loi  - 
triomphe*. 

Principes  solides,  que  la  sage  priw 
que  nous  pleurons  prit  pour  règle  de  sa 
conduite.  Qu'elle  étaii  digne  de  la  religion, 
qu'elle  était  consolante  pour  l'humanité, 
cette  compassion  dont  on  la  voyait  péi 
aux  premières  plaintes  que  pouvaient  faire 
passer  jusqu'à  elle  des  victime-,  déplorables 
ne  l'imprudence  de  leurs  pères  ou  des  mal- 
heurs des  temps!  On  ne  la  vil  jamais  sépa- 
rer de  la  connaissance  des  misères  la  com- 
passion pour  les  misérables;  apprendre  leurs 
besoins,  et  leur  refuser  des  secours;  savoir 
l'étendue  de  leurs  maux,  et  mettre  des  bor- 
nes à  ses  bienfaits,  ou  ne  se  prêter  qu'avec 
peine  à  ces  malheureux  qui  sollicitent  si 
souvent  la  charité  parmi  les  chrétiens,  al 
qui  trouvent  à  peine  de  l'iiumanilé  parmi  les 
hommes. 

Quelle  bonté  de  cœur,  Messieurs,  et  dès 
lors  que  de  litres  légitimes  pour  régner  sur 
les  nôtres  1  Mais  suivons  cette  pieuse  , 
cesse,  et  nous  reconnaîtrons  que  la  solidité 
de  son  esprit  ne  méritait  pas  moins  noire 
admiration. 

Placée  dans  le  plus  grand  monde,  env  - 
ronnée  de  tous  les  charmes  qui  plaisent,  au 
milieu  des  illusions  qui  séduisent,  dans  un 
âge  où  l'on  cherche  presque  également  tout 
ce  qui  plaît  el  tout  ce  qui  séduit,  parmi  des 
honneurs  dont  ou  ne  voit  que  l'éclat,  dans 
un  rang  qui  ne  craint  aucun  revers,  elev  e 
jusqu'au  trône,  ne  recevant  des  lois  que  d'un 
seul,  en  donnant  à  tous  les  autre- hom- 
mes du  inonde,  vous  vous  écriez  :  Que  d'b  ai- 
lleurs el  d'avantages  !  El  moi,  ministre  de 
l'Evangile,  éclairé  par  son  flambeau,  je  m'é- 
crie :  Que  de  prestiges  el  de  dangers  !  Qu'il 
est  difficile  de  conserver  sur  soi-même  l'em- 
pire que  l'on  a  sur  les  autres  !  Le  plus  saga 
des  rois  connut  la  vanité  de  tous  ces  hon- 
neurs, et,  malgré  celte  connaissance,  il  y 
succomba.  Ses  premiers  regarda  eu  décou- 
vrirent l'illusion,  elle  égara  les  derniers,  et 
la  séduction  le  perdit  au  milieu  des  écueils 
qu'il  nous  avertit  de  craindre. 

C'est  cette  crainte  pleine  de  force  cl  de  sa- 
gesse qui  soutint  la  princesse  vertueuse  dont 
je  fais  l'éloge  ;  elle  étudia  1 1  vérité  dans  un 
âge  où  l'on  fuil  de  la  connaître.  Son  esprit, 
en  garde  contre  les  surprises  de  l'amour 
propre  ou  de  la  vanité,  préfera  toujours  \< 
plaisir  de  mériter  des  hommages  à  p  lui  de 
les  recevoir,  craignit  l'intérêt  qui  Batte,  air.  ; 
la  vérité  qui  instruit,  et  ne  regarda  connu  ; 
dignes  de  son  amitié  que  ceux  dont  les  con- 
seils pouvaient  la  rendre  elle-même  plu 
digne  d'être  aimée.  Plaire  à  Dieu  el  au  prince 
son  époux  était  sa  principale  oceupaliou  et 
son  unique  plaisir.  Jalouse  de  se  former  sur 
le  vrai,  elle  savait  Consacrer  à  des  lectures 


1101  ORAISON  FUNEBRE  DE  MARIE-THERESE  D'ESPAGNE, 


1102 


utiles  les  moments  qu'elle  pouvait  dérober  à 
ses  devoirs.  Quel  prodige  de  voir  une  jeune 
princesse  regarder  les  plaisirs  de  son  âge  et 
tous  les  avantages  de  sa  naissance  ei  de  son 
rang  comme  des  eaux  inconstantes  et  rapides 
qui  s'écoulent  quelque  temps  ,  s'épuisent 
bientôt  et  disparaissent  pour  toujours  I  Si 
elle  était  obligée  de  se  prêter  aux  amuse- 
ments qu'on  cherchait  à  lui  procurer,  quel- 
que innocents  qu'ils  fussent,  ce  n'était  ja- 
mais qu'aux  dépens  de  son  inclination  qu'elle 
consentait  de  s'y  livrer  ,  la  complaisance 
seule  guidait  ses  pas. 

O  vous  ,  qui  consacrez  au  sommeil  les 
plus  belles  heures  de  votre  vie,  qui  sacrifiez 
aux  joies  du  siècle  la  plus  grande  partie  de 
votre  temps  ,  qui  variez  vos  amusements 
pour  les  rendre  plus  piquants  et  plus  sensi- 
bles ;  qui  cherchez  à  vous  remettre,  par  l'oi- 
siveté, de  la  fatigue  du  plaisir;  qui  évitez  à 
votre  corps  tout  ce  qui  peut  le  contraindre; 
qui  accoutumez  votre  conscience  à  ne  s'a- 
larmer jamais  ;  qui  rendez  Dieu,  pour  ainsi 
dire,  esclave  de  la  bienséance;  qui  retran- 
chez, autant  que  vous  le  pouvez,  sur  ce  que 
vous  n'osez  lui  refuser;  vous,  en  un  mot, 
qui  faites  paraître  une  avidité  insatiable  pour 
ne  rien  perdre  des  agréments  du  siècle,  ap- 
prochez de  ce  tombeau,  et  que  l'exemple  de 
la  vertueuse  princesse  qui  a  le  tribut  de  vos 
larmes  vous  apprenne  à  ne  point  chercher 
ce  que  vous  devez  craindre,  et  à  transporter 
dans  vos  mœurs  celte  sagesse  qui  fit  son  ca- 
ractère et  qui  doit  réformer  le  vôtre. 

Mais  n'imaginez  poi.it,  Messieurs,  que  le 
sacrifice  qu'elle  se  trouvait  souvent  forcée 
de  faire  à  la  bienséance,  fût  pour  elle  une 
occasion  de  manifester  au  dehors  l'ascen- 
dant qu'elle  avait  sur  sa  volonlé.  Sa  condi- 
tion, son  devoir,  triomphaient  de  son  incli- 
nation, sans  qu'aucune  des  personnes  qui 
avaient  le  bonheur  d'être  auprès  d'elle  pus- 
sent s'apercevoir  de  la  victoire  que  la  soli- 
dité de  son  esprit  lui  faisait  remporter  sur 
elle-même.  Quelle  conduite  plus  digne  d'ad- 
miration 1  M'en  soyez  point  surpris,  Mes- 
sieurs, la  Sagesse  présidait  à  toutes  les  ac- 
tions de  l'auguste  princesse  qui  nous  ras- 
semble aujourd'hui  :  Proposai  pro  luce  ha- 
Ocrc  Sapientiam. 

i'ar  la  noblesse  de  ses  sentiments  elle  s'at- 
tira notre  vénération  ;  par  la  bonté  de  son 
cœur  elle  mérita  notre  attachement;  par  la 
solidité  de  son  esprit  elle  enleva  notre  admi- 
ration, cl  de  là  sa  véritable  grandeur  :  mais 
elle  sut  aussi  perfectionner  son  cœur  par  un 
assemblage  de  vertus  chrétiennes,  et  de  là  la 
perpétuité  de  sa  gloire,  et  le  sujet  de  la  se- 
conde partie  de  son  éloge. 

SECONDE    PARTIE. 

S'il  faut  de  grandes  qualités  pour  se  ren- 
dre maître  du  cœur  des  autres  hommes,  quel 
courage,  quelle  force  ne  faut-il  pas  pour  se 
rendre  maître  de  son  propre  cœur!  Ce  cœur, 
aossi  jaloux  de  conserver  sa  lilicrlc  que 
prompt  à  en  abuser,  au  seul  nom  de  capti- 
vité s'effarouche  :  il  ne  se  plaît  que  dans  le 
.tumulte  des  passions,  il  ne  craint  que  la  gène 


des  devoirs;  tyran  domestique,  il  nous  fait 
des  lois  de  toutes  ses  révoltes,  des  obstacles 
de  tous  ses  penchants,  et  une  espèce  de  reli- 
gion de  tout  ce  qui  la  combat. 

Rien  n'est  plus  capable  de  l'entretenir  dans 
ce  goût  funeste,  que  les  tentations  qui  sont 
inséparables  de  la  grandeur.  Dans  un  rang 
élevé,  à  peine  a-t-on  le  temps  de  désirer. 
Ecucils  de  toutes  parts  ;  tentation  de  fierté, 
qui  enfle  l'esprit;  tentation  de  luxe,  qui 
corrompt  les  mœurs  ;  tentation  d'indépen- 
dance, qui  ne  connaît  d'autres  lois  que  cel- 
les qu'elle  donne.  De  sorte  que  l'on  peut 
dire  que  les  grands  de  la  terre  sont  beaucoup 
plus  à  plaindre  que  les  autres  hommes  , 
parce  qu'ils  onl  beaucoup  plus  d'ennemis  à 
redouter  et  de  combats  à  essuyer. 

La  vertueuse  princesse  dont  je  parle,  quoi- 
que dans  un  âge  rarement  susceptible  de  ré- 
flexions, sentit  tous  les  périls  auxquels  elle 
se  trouvait  exposée  par  sa  naissance  et  par 
son  rang.  A  peine  fut- elle  en  état  d'éprou- 
ver la  sensibilité  de  son  cœur,  qu'elle  le  re- 
garda comme  un  ennemi  qui  ne  respirait  que 
la  révolto,  et  dès  ce  premier  instant  elle  tra- 
vailla constamment  à  le  réduire  ;  elle  y  réus- 
sit, et  elle  s'en  rendit  maîtresse  absolue  par 
l'étude  des  vertus  chrétiennes.  La  sagesse 
seule  n'en  eût  fait  que  l'admiration  de  la 
terre;  mais,  sanctifiée  par  ces  vertus,  elle 
lui  donna  droit  sur  la  gloire  du  ciel.  Piété 
constante  au  milieu  des  pièges  de  la  gran- 
deur, fermeté  intrépide  au  moment  de  la 
mort,  deux  traits  de  l'héroïsme  chrétien  qui 
fondent  la  justice  de  nos  espérances  ;  suivez- 
moi,  je  vous  prie,  Messieurs,  et  ne  perdez 
rien  des  exemples  que  j'ai  à  vous  offrir. 

Jésus-Christ,  en  proclamant  sa  loi  par 
tout  l'univers,  n'a  jamais  prétendu  détruire 
la  subordination  qui  y  était  établie  ;  jamais 
il  n'a  voulu  égaler  toutes  les  conditions , 
confondre  le  sceptre  avec  la  houlette,  rem- 
plir la  distance  qui  sépare  le  monarque  et  la 
sujet,  enrichir  le  pauvre  de  la  dépouille  du 
riche,  ôter  aux  grands  le  droit  de  comman- 
der et  aux  petits  le  mérite  d'obéir,  faire  de 
son  Evangile  un  titre  d'audace  et  de  licence, 
renverser  par  sa  grâce  l'ordre  établi  par  sa 
Providence,  et  troubler  le  monde  pour  lo 
sanctifier.  Uniquement  occupé  du  salut  do 
tous  les  hommes,  il  s'est  borné  à  f.iire  con- 
naître le  péril  de  chaque  état,  à  intimider  le 
faste  qui  abuse  de  son  pouvoir,'ct  à  réprimer 
l'indocilité  qui  se  révolte  contre  l'humilia- 
tion, à  épouvanter  la  prospérité  féconde  en 
vices,  et  à  corriger  l'adversité  stérile  en  ver- 
tus. Son  Evangile,  plein  de  modération  et  do 
sagesse,  n'esi  pas  une  loi  de  trouble  et  de 
désolation  ;  son  zèle  est  un  feu  qui  purifie, 
mais  qui  ne  consume  pas  ;  et  comment  le 
destructeur  de  l'iniquité  serait-il  devenu  le 
protecteur  du  désordre? 

La  piété,  que  nous  devons  regarder  comme 
le  fruit  de  la  doctrine  du  Fils  de  Dieu,  est 
aussi  appuyée  sur  les  mêmes  principes.  Pour 
en  établir  le  règne  dans  son  cœur,  il  n'est 
point  de  loi  qui  oblige  l'homme  à  se  dé- 
pouiller absolument  de  ses  richesses,  à  se 
dégrader    lui-même  du  rang  qu'il  doit  à  sa 


nos 


ORATEURS  SACRES.  PONCET  DE  L\  RI  MERE. 


f  101 


naissance  :  il  n'est  d'autre  obligation  que 
celle  de  ne  point  se  prévaloir  de  son  éléva- 
tion, de  se  soustr.iire  à  ce  que  le  inonde  a  de 
corrompu,  de  savoir  également  lui  être  utile 
Cl  empêcher  qu'il  ne  nous  devienne  funeste, 
de  lui  donner  nos  soins  cl  de  ne  poi.it  lui 
engager  notre  cœur. 

Qui  reconnut  plus  parfaitement  que  notre 
auguste  princesse  celle  nécessité  précieuse 
qui  met  dans  la  pieté  de  tous  les  riais  la 
distinction  qui  est  dans  les  étals  eux-mêmes? 
Qui  sut  mieux  qu'elle  allier  les  devoirs  de  la 
religion  avec  les  bienséances  de  son  rang, 
donner  à  l'une  ce  qu'elle  exige,  sans  refuser 
à  l'aulre  ce  qu'il  demande,  concilier  ensem- 
ble l'obéissance  qui  suil  la  loi  et  l'autorité 
qui  la  donne,  être  soumise,  mais  en  souve- 
raine, commander,  mais  avec  dépendance  , 
donner  les  obligations  pour  règle  et  les 
exemples  pour  leçons? 

Quelle  vertu,  Messieurs,  fut  jamais  plus 
pure  dans  sis  motifs,  plus  noble  dans  ses 
sentiments,  plus  sincère  dans  son  usa^e  , 
plus  inébranlable  dans  ses  épreuves,  plus 
dégagée  des  vices  qui  la  combattent,  et  plus 
sanctifiée  par  les  actions  qui  perfectionnent 
son  caractère  dans  les  hommes? 

Car  ne  vous  figurez  pas  une  de  ces  vertus 
simulées,  qui,  n'offrant  aux  yeux  que  le  de- 
hors de  la  vraie  vertu,  en  usurpent  le  nom, 
en  allèrent  la  sainteté,  en  sont  l'image  et 
l'écueil,  et  n'édifient  ceux  qui  en  sont  les 
spectateurs  qu'en  rendant  criminels  ceux, 
qui  la  font  paraître.  Ce  n'était  point  une  de 
ces  vertus  d'ostentation  qui  rendent  un  ser- 
vice à  charge,  et  qui,  bien  loin  d'exciler  les 
autres  à  la  piété,  deviennent  pour  eux  une 
occasion  de  murmure  et  un  sujet  d'impa- 
tience. Ce  n'était  point  une  de  ces  vertus  mo- 
mentanées, qui  n'ont  d'autre  règle  que  le 
caprice,  et  qui,  d'un  recueillement  alîcclé, 
passent  brusquement  à  une  dissipation  scan- 
daleuse. Ce  n'était  pas  une  de  ces  vertus  po- 
litiques et  intéressées,  qui  pensent  plus  au 
centuple  qu'elles  peuvent  recevoir  en  ce 
monde,  qu'à  la  couronne  immortelle  qui  en 
doit  être  la  véritable  récompense.  Plaire 
à  Dieu  et  se  sanctifier,  c'était  tout  son  objet. 

Je  crois  la  voir.  Messieurs,  rapporter  le 
soir  aux  pieds  du  Maître  de  tous  les  rois  les 
hommages  qu'elle  av.: il  reçus  le  jour  ;  lui 
consacrer  dès  le  malin  ceux  qu'elle  devait 
recevoir;  humiliée  sous  le  sentiment  de  la 
dépendance,  anéaulie  dans  la  présence  de 
Dieu  ,  consulter  ses  volontés  pour  en  faire 
sa  règle  ,  se  pénétrer  de  ses  oracles  pour  en 
former  son  instruction,  l'interroger  comme 
l'Apôtre,  et  attendre  des  maximes  qu'il  pou- 
vait seul  lui  inspirer,  les  seules  lois  qu'elle 
devait  suivre. 

Vanité,  faux  brillant  du  monde,  vous  dis- 
paraissiez alors  à  ses  yeux  ;  clic  sentait  la 
fragilité  de  loulc  élévation  humaine,  elle  ne 
connaissait  d'autre  plaisir  que  celui  de  ser- 
vir Dieu,  d'autre  mal  que  celui  de  lui  dé- 
plaire, d'autre  bien  que  le  bonheur  de  le 
posséder. 

Unirons  avec  elle  dans  le  temple,  où  la 


majesté  d'un  Dieu  anéanti  interdit  le  fasle 
de  toute  autre  majesté  ;  quel  recueillement 
dans  son  maintien  !  quelle  ferveur  dans  sa 
prière!  quelle  âme,  qui  Ile  ardeur  dans  les 
vu-ux  qu'elle  adresse  au  Dieu  modèle  de 
toutes  verlus,  pour  qu'il  daigne  perfection- 
ner son  cœur!  au  Dieu  arbitre  de  nos  jour-, 
pour  qu'il  conseri e  ceux  d'un  priuce  donl  la 
vie  lui  esl  plus  chère  que  la  sienne  .  au  Dii-u 
dispensateur  des  victoires,  pour  qu'il  en 
multiplie  le  nombre  en  faveur  d'un  roi  d'au- 
tant plus  digne  de  vaincre,  que  c'est  malgré 
lui,  si  j'ose  ainsi  m'exprime^  qu'il  est  vain- 
queur, puisqu'il  ne  cherche  à  trompher  de 
ses  ennemis  par  le-  an. .es  que  pour  les  for- 
cer eux-mêmes  à  les  quitter! 

Vous,  qu'elle  houoraii  de  ses  entretiens 
les  plus  libres  el  les  plus  intimes,  la  viles- 
vous  jamais  faire  des  défauts  d'autrui  la  ma- 
tière de  ses  discours,  ou  souffrir  qu'en  sa 
présence  la  médisance  osât  élever  la  voix, 
contre  la  vertu,  el  insulter  à  la  faiblesse? 
Elle  oubliait  alors  celle  douceur  de  langage 
qui  parlait  ordinairement  à  chacun  le  lien  , 
et  celle  bonté  de  caractère  qui,  pouvant  plier 
tous  les  autres  à  sa  volonté,  se  pliait  lui- 
même  à  la  volonté  de  tous  les  autres.  Lille 
se  chargeait  elle-même  d'affaiblir  leurs  dé- 
fauts qu'elle  ne  pouvait  dissimuler,  n'ap- 
prouvail  pas  ce  qu'elle  devait  blâmer  dans 
eux,  mais  excusait  ce  qu'elle  ne  pouvait  pas 
approuver,  et,  les  trouvant  toujours  assez 
malheureux  pour  les  plaindre,  ne  les  trou- 
vait jamais  assez  coupables  pour  les  cou- 
damucr. 

0  vous,  dépositaire  des  secrets  de  cette 
grande  âme,  minisire  de  la  justice  et  de  la 
miséricorde  du  Seigneur,  que  ne  pouvez- 
vous  ici  nous  exposer  celle  exactitude  scru- 
puleuse dans  la  recherche  de  ses  imperfec- 
tions, lorsqu'elle  se  disposait  à  se  réconcilier 
avec  Dieu  ;  cette  foi  vive  qui  la  pénétrait  du 
respect  le  plus  religieux  dans  la  parliiipa- 
tion  fréquente  des  saints  mystères  ;  celte  at- 
tention sur  elle-même  pour  ne  pas  perdre 
de  vue  le  trésor  qu'elle  possédait  dans  son 
cœur  ;  cel  assemblage  de  verlus,  qui  ne  fu- 
rent ni  altérées  par  le  mélange  des  vices,  ni 
flétries  par  la  contagion  du  grand  monde,  ni 
dissipées  dans  la  licence  et  la  légèreté  de 
l'âge,  mais  qui,  soutenues  par  la  giâce,  pré- 
sentèrent le  modèle  d'une  sainteté  achevée 
dans  le  cours  d'une  vie  à  peine  commencée  1 

Une  vie  à  peine  commencée  et  déjà  sur  le 
point  de  finir  !  Quelle  réflexion  vient  de 
m 'échapper,  Messieurs  ?  Grand  Dieu  !  quoi  ! 
si  peu  d'intervalle  eutre  le  moment  où  vous 
l'accordâtes  à  nos  désirs,  et  celui  où  vous 
l'enlevez  à  noire  félicité  1  Quels  coups  pour- 
rez-voua  porter  sur  celle  lêle  auguste,  qui 
ne  percent  tous  les  cœurs  qui  lui  sont  dé- 
voues? Que  de  victimes  immolées  dans  une 
seule!  Ah  1  Seigneur,  les  larmes  répandues 
sur  la  mort  du  père  (1)  ne  sont  pas  encore 
essuyées  ;  ménagez-nous  au  moins  le  repos 
que  demandent  des  perles  si  sensibles,  el  ne 
confondez  pas  ensemble  tant  de  douleurs, 
dont  une  seule  peut  nous  accabler. 


l!j  l'Utlt|.po  do  France,  V  du  nom,  roi  d'Espagne,  nvwt  k  Madria  le  9  juillet  1T4G. 


IHJo 


ORAISON  FUNEBRE  DE  MARIE-THERESE  DESPAGNE. 


I10G 


Vœux  inutiles,  prières  infructueuses,  et 
c'est  ici,  Messieurs,  le  triomphe  de  la  fer- 
meté cl  de  la  piété  de  notre  auguste  prin- 
cesse; sa  vertu  remporte  sur  les  horreurs  de 
la  mort  un  triomphe  égal  à  celui  qu'elle  a 
remporté  sur  les  passions  de  l'âge  et  les  dan- 
gers de  la  grandeur. 

Heureuse  l'âme  attentive  à  la  voix  du  Sei- 
gneur, qui,  dès  sa  plus  tendre  jeunesse,  l'é- 
coute avec  soin,  la  suit  avec  empressement, 
lui  obéit  avec  fidélité;  qui  ne  réserve  pointa 
Dieu  les  soupirs  forcés  que  la  mort  arrache  du 
cœur  des  pécheurs;  qui,  faisant  au  Seigneur 
un  sacrifice  méritoire  des  apanages  qu'elle 
reçoit  de  la  grandeur,  et  des  agréments  que 
la  nature  lui  a  donnés,  ne  songe  à  les  rele- 
ver que  par  les  ombres  de  la  modestie  et  par 
l'éclat  de  ses  vertus  ;  qui,  sensible  aux  saintes 
inspirations  d'une  grâce  bienfaisante,  re- 
nonce à  des  plaisirs  dont  elle  connaît  la  va- 
nité; qui,  après  avoir  reçu  avec  indifférence, 
dans  un  rang  élevé,  l'encens  des  enfants  du 
siècle,  répand  sur  les  pieds  du  Sauveur  les 
parfums  d'une  sincère  piété  !  Heureux  ceux 
qui,  comme  notre  illustre  princesse,  embras- 
sent le  parti  de  la  vertu  et  ne  l'abandonnent 
jamais  ! 

Rappelez-vous,  Messieurs,  la  ferveur  des 
prières,  la  vivacité  des  vœux  que  vous  et 
moi  ne  cessions  pas  de  former  pour  la  satis- 
faction de  notre  monarque,  pour  notre  pro- 
pre bonheur;  en  un  mot,  pour  obtenir  du 
ciel  un  héritier  digne  de  perpétuer  le  nom  et 
les  perfections  de  son  auguste  père.  Le  mo- 
ment vint  où  ce  désir  si  légitime  parut  être 
sur  le  point  de  s'accomplir;  mais,  hélas! 
fragilité,  faiblesse  humaine,  rien  ne  peut 
meltrc  à  l'abri  de  vos  atteintes,  et  vous  bra- 
vez toute  autorité;  en  un  instant  nous  per- 
dîmes notre  espérance,  et  ce  même  instant 
pensa  nous  enlever  la  princesse.  lillc  s'aper- 
çut du  péril,  elle  l'envisagea  sans  trembler, 
et,  loin  d'écouler  les  frayeurs  qui  accompa- 
gnent ordinairement  la  vue  d'un  danger 
presque  inévitable  :  Songez  à  l'enfant  !  s'é- 
cria-l-elle,  ne  pensez  point  à  moi  ! 

Paroles  bien  précieuses,  Messieurs,  qui 
étaientl'cxpressiond'un  cœur  bien  généreux, 
et  dont  il  n'appartient  qu'à  des  cœurs  bien 
reconnaissante  d'être  les  interprètes.  Sauvez 
l'enfant  /c'est-à-dire,  que  Louis  ait  un  héri- 
tier de  son  sang  :  que  le  prince  mon  époux 
reçoive  comme  père  les  hommages  qu'il 
rend  comme  fils;  que  le  premier  trône  du 
monde  voie  la  lige  auguste  sur  laquelle  il  est 
appuyé,  enrichie  d'un  nouveau  rejeton  qui 
le  rende  inébranlable.  Sauvez  l'enfant  !  ne 
pensez  pas  à  moi  !  c'est-à-dire,  si,  pour  ache- 
ter le  bonheur  de  la  Krance,  il  ne  faut  que 
le  sacrifice  de  ma  vie,  celte  vie  n'a  plus  rien 
qui  me  flatte  ;  victime  volontaire  de  la  féli- 
cilô  d'un  peuple  qui  m'est  cher,  je  me  livre 
sans  peine  aux  rigueurs  d'une  mort  néces- 
saire à  son  bonheur;  que  dis-je?  Français, 
la  vue  de  votre  bonheur  rend  la  mort  moins 
rigoureuse  à  mes  yeux;  j'oublie  qu'elle  ter- 
mine mes  jours,  je  pense  qu'elle  assure  vo- 
tre espoir;  occupée  de  vous  seuls,  je  vous 
laisse  uu  gage  de  moi-uicuie;  c'est  par  lui 


que,  reproduite  à  vos  regards,  je  retrouverai 
dans  votre  souvenir  la  vie  que  je  sacrifie  à 
vos  intérêts. 

Qu'il  est  triste,  mais  qu'il  doit  nous  être 
cher  ce  souvenir,  Messieurs  1  Que  de  larmes 
ont  coulé  jusqu'  ici,  que  de  larmes  couleront 
encore  à  tous  les  moments  où  nous  nous  rap- 
pellerons celui  qui  enleva  pour  toujours  à 
nos  yeux  une  princesse  si  digne  de  régner 
toujours  dans  nos  cœurs  !  O  mort  1  que  tu  es 
amère  1  s'écriait  un  grand  roi;  tu  sépares 
impitoyablement  ce  qui  est  le  plus  étroite- 
ment uni  :  Siccine  séparas,  amara  mors  ! 
C'est  en  vain  que  l'on  s'efforce  d'échapper  à 
ses  coups;  le  crime  de  notre  premier  père  a 
répandu  jusque  sur  nous  son  venin;  tous 
frappés  du  péché  dans  lui,  nous  sommes  tous 
devenus,  par  lui,  sujets  à  la  mort;  l'arrêt 
en  est  prononcé,  et  les  princes,  comme  les 
autres  hommes,  en  subissent  toute  la  ri- 
gueur. 

Mais  que  d'horreurs  en  accompagnent  le 
spectacle,  lorsque,  présentée  dans  tout  ces 
qu'elle  a  d'affreux,  elle  frappe  ces  victimes 
précieuses,  dont  les  jours  ne  peuvent  cesser 
d'être  sereins,  sans  porter  des  nuages  sur 
ceux  des  autres,  et  de  qui  la  perte  devient 
une  calamité  pour  les  Etats  qu'elles  aban- 
donnent. 

Idoles  du  siècle  ,  qui  ne  songez  qu'à  don- 
ner carrière  à  votre  luxe  et  à  votre  vanité  , 
prévenues  en  faveur  de  vos  prétendus  agré- 
ments, vous  les  contemplez  avec  plaisir,  vous 
les  entretenez  avec  délicatesse,  vous  les  pro- 
duisez avec  complaisance  ;  mais  lorsque  la 
foi  nous  présente  ce  même  objet  qu'une  mol- 
lesse attentive  a  si  longtemps  ménagé  ,  que 
le  pinceau  de  la  vanité  a  déguisé  lanl  de  fois, 
à  qui  la  vivacité  de  l'esprit  du  monde  impri- 
mait la  violence  de  ses  mouvements  ;  quand 
je  le  vois  ,  dis-je  ,  froid  et  immobile  ,  devenu 
un  spectacle  effrayant ,  dont  on  ne  s'appro- 
che qu'avec  horreur,  resserré  dans  les  bornes 
étroites  du  cercueil  ,  jeté  dans  le  sein  d'une 
terre  avare,  qui  ne  le  restituera  qu'à  la  jus- 
tice de  Dieu  ,  réduit  en  poussière  et  entière- 
ment évanoui  à  nos  yeux,  je  me  récric,  avec 
l'Ecclésiasle  :  O  vanité  des  vanités  !  tout 
n'est  que  vanité  sur  la  terre:  Yanitas  v<tni- 
tatum,  omnia  vanitas. 

A  l'approche  de  ce  dernier  moment ,  Mes- 
sieurs ,  l'illustre  princesse  dont  je  p  irle  ne 
perd  rien  de  sa  tranquillité;  soutenue  par 
cette  force  qui  l'avait  rendue  maîtresse  de 
son  propre  cœur,  elle  prévoit  elle-même 
l'instant  qui  doit  la  dérober  à  la  terre.  Elle 
demande  son  confesseur  avec  empressement, 
elle  l'attend  avec  impatience,  le  moindre  re- 
tardement effraye  la'  délicatesse  de  sa  cons- 
cience ;  à  peint  paraît-il ,  qu'elle  a  recours 
à  Dieu  ,  qu'elle  espère,  qu'elle  s'encourage  , 
qu'elle  envisage  le  ciel  et  désire  d'y  parvenir. 
Conquérants  qui  faites  trembler  la  terre  , 
vous  qui ,  élevés  au  milieu  des  combats,  bra- 
vez la  mort  dans  le  leu  des  hasards,  et ,  ren- 
dus a  vous-mêmes ,  n'en  pouvez  soutenir  les 
approches;  vous  dans  qui  l'homme  ,  prêt  à 
s'affaiblir,  dément  si  souvent  le  héros  qui  a 
triomphé,  venez  ,  venez  appreudre  de  notre 


OKATFl  (IS  SACRES.  l'ONCKT  "F  L\  RIVIERE. 


princesse  comme  il  faut  mourir  ;  un  prince 
qui  faisait  sa  félicité,  fondant  en  larmes;  un 
roi  couronne  de  gloire  ,  accablé  de  douleur; 
une  reine  éclairée  par  ses  propres  vertus 
sur  le  mérite  de  celles  des  autres,  prèle  à 
succomber  sous  le  poids  de  l'affliction  la  plus 
vive;  déjeunes  princesses,  qui  formaient 
avec  elle  une  société  de  vertus  et  d'agré- 
ments, en  proie  à  la  tristesse  la  plus  ac- 
cablante ;  une  cour  qui  lui  était  dévou 
livrée  à  toute  la  vivacité  des  regrets  :  rien 
n'est  capable  d'ébranler  sa  constance,  rien 
ne  peut  donner  atteinte  au  mérite  de  s  u 
sacrifice;  les  témoignages  même  de  tendresse 
qu'elle  reçoit  d'un  époux  qu'elle  cfa  rit  <  t 
dont  elle  est  aimée,  ne  produisent  d'autre  ef- 
fet que  de  donner  un  nouveau  lustre  à  son 
courage  et  à  sa  vertu.  Prince  ,  lui  dil-elle  j 
vous  seul  me  faites  regretter  la  vie  ;  mais  </ue 
celte  assurance  vous  suffise  ,  retirez-vous  ,  et 
laissez-moi  ménager  pour  l'éternité  le  peu  de 
moments  qui  me  restent.  Moments  précieux 
où  ,  après  avoir  détourné  ses  regards  de  tout 
ce  qui  pouvait  l'attacher  au  monde  ,  elle  ne 
pense  plus  qu'à  Dieu  seul  et  à  son  salut. 

Le  mal  cependant  devient  plus  dangereux; 
on  tremble,  on  frémit  pour  les  jours  de  la 
princesse.  On  n'est  plus  occupé  qu'à  soute- 
nir sa  piété  par  l'administration  du  dernier 
sacrement.  Le  roi  lui-même,  tout  éploré  qu'il 
est,  donne  ses  ordres  pour  cette  triste  céré- 
monie; sa  religion  semble  lui  faire  oublier 
sa  douleur;  son  impatience  répond  à  son  zèle, 
et  son  zèle,  dans  ee  moment  d'épreuve,  n'est 
pas  moins  grand  que  son  courage  à  la  tête 
de  ses  armées. 

Venez,  pontife  respectable  (1),  interprète 
de  la  vérité  quand  il  faut  instruire  les  prin- 
>ces  dans  l'art  d'obéir  et  de  commander,  s^yez 
ici  l'oracle  de  la  religion  pour  leur  appren- 
dre à  mourir;  soutenu  par  la  vôtre  dans  ce 
moment  funeste,  portez  sur  son  corps  défail- 
lant les  Onctions  saintes  de  l'Eglise;  résil- 
iez, s'il  est  possible,  cette,  âme  précieuse, 
assoupie  dans  les  ténèbres  de  la  mort  ;  assu- 
rez à  la  religion  le  dernier  moment  d'une 
vie  dont  tous  les  jours  lui  ont  été  consacrés; 
profitez  de  l'instant  où  elle  est  eucore...  Que 
dis-je?  l'instant  passe,  et  elle  n'est  plus. 

Vous  nous  l'avez  enlevée,  grand  Dieu  !  dans 
les  plus  beaux  jours  de  sa  vie.  Nous  ne  nous 
plaignons  point  de  votre  justice,  nous  im- 
plorons pour  elle  votre  miséricorde,  nous 
réclamons  votre  bonté  en  faveur  d'un  mo- 
narque et  d'un  prince  à  la  \ie  desquels  est 
attachée  notre  destinée.  Puissiez-vous  leur 
accorder  autant  de  jours  que  nous  regret- 
tons de  qualités,  et  qu'ils  en  possèdent  eux- 
mêmes  1  Puissiez-vous,  ô  mon  Dieu,  même 
au  risque  de  renouveler  sans  cesse  notre 
douleur,  nous  conserver  une  image  des  ver- 
tus de  la  mère,  dans  celte  jeune  princesse, 
gage  précieux  et  malheureux  de  nos  espé- 
rances et  de  nos  regrets;  elle  remplira  les 
unes,  elle  adoucira  1rs  autres,  en  se  formant 
sous  les  yeux  et  par  les  soins  d'une  reine 
vertueusel  Puissc-l-elle  lui  donner  toujours 

(1)  L'ancien  êvique  de  Mirepoiz,  pour  lors  premier  tu- 
ni"UKT  de  madame  la  daupbme 


U  8 


autant    de    satisfaction    qu'elle   en 
d'e\' 

Pour  i  uns,  Messieurs,  que  le  zèle,  la 
le  devoir,  on'  conduits  rno- 

nie,  apprenez  de  cel  éloge,  dicté  par  la 
rite,  auiorivé  par  la  reli-ion,  trop  p  écipité 
pour  être  digne  d'un  si  grand  sujet ,  spore* 
ne/,  dis  je,  à  réjiler  par  la  S  igesse  les  quali- 
té* que  Dieu  vous  a  donnée  tifler 
celte  Sagesse  elle-même  par  les  vertus  chré- 
tiennes qu'il  couronne;  prenez  sur  la  terre 
sa  volonté  pour  guide,  et  son  éternité  de- 
viendra votre  partage  dans  le  ciel.  Ainsi 
soit-il. 

OHAISON  FUHfeBl 

M  CATHERINE  OI'ALINSKa,  tUSS  OH  l'OLOf.st. 

Gloria  ei  divRiae  iudomo  ejus,  et  jusi'iia  ejus  mant-t  iu 
saBculum  necttli. 

La  gloire  cl  les  richesse*  oui  été  dans  sa  maison,  cl  sa  jus- 
tice mbsisle  dans  tout  les  siècles  {Psuwne  III). 

Monseigneur  (2), 

La  gloire  s'éclipse,  les  richesses  disparais- 
sent, la  justice  reste,  et  il  n'appartient  qu'a 
elle  de  subsister  toujours.  Indépendante  des 
temps,  elle  se  soutient  dans  la  révolution  des 
âges;  son  empire  ne  finit  point  avec  les  - 
des;  ils  cessent  d'être,  elle  ne  cesse  pas  de 
régner  :  Justtlia  manet  in  sœculum  sœculi. 

Hommes,  aussi  fragiles  que  les  hi^ns  qui 
vous  échappent,  à  la  vue  du  néant  où  ils 
rentrent,  reconnaissez  celui  d'où  \ous  sor- 
tez. Que  la  gloire  ennoblisse  vos  maison-, 
que  l'abondance  en  relève  l'éclat;  l'une  et 
l'autre  ne  font  qu'y  passer,  vous  passerez 
comme  elles  :  Gloria  et  divitiœ  in  domo  ejus. 

Ce  monument  funèhre,  ces  cemb-cs  inani- 
mées, ces  lumières  obscurcies  par  les  ombres 
de  la  mort,  ces  devoirs  lugubres  que  vous 
rendez  à  une  reine  qui  n'est  plus,  quels  ob- 
jets 1  mais  quelle  leçon,  Messieurs!  In  autel, 
un  tombe,  u  ;  esclaves  du  monde,  voilà  vo- 
tre école  :  là  ce  que  vous  devez  comme  <  !: 
liens,  là  où  vous  descendrez  comme  mor- 
tels; là  où  le  plus  grand  des  rois  sera  comme 
le  dernier  des  hommes,  sans  titres  qui  e  dis- 
tinguent, sans  appui  qui  le  soutienne,  sans 
faste  qui  l'environne,  peut-être  sans  regrets 
qui  honorent  sa  mémoire,  sans  mérites  qui 
assurent  son  salut,  m  son  régne  n'a  point  t 
celui  de  la  justice. 

C'est  ce  règne  de  la  justice  que  j'ai  à  \ov.s 
décrire  aujourd'hui.  Messieurs,  dan-  la  tic 
d'une  auguste  reine  qui.  choisie  par  le  Sei- 
gneur pour  donner  des  lois  et  des  exemples 
au  monde,  mérita  la  c  uronne  s  ans  I  i  souhai- 
ter, quitta  le  sceptre  sans  le  regretter,  re- 
garda l'empire  comme  un  devoir,  en  accepta 
la  perte  comme  un  avantage,  ne  régna  que 
pour  faire  des  heureux,  se  crut  benrei 
dès  qu'elle  ne  régna  plu*,  vil  entier  II  gloire 
dans  sa  maison,  en  \  il  sortir  les  rie! 
et  qui,  conservant  toujours  la  justice  au  fol  ■! 
de  son  cœur,  ne  voulut  d'à  aire  éclat  que 
celui  des  vertus,  d'autres  trésors  que  ceux  de 
la  grâce. 

Quel  sujet  d'admiration  1  et  qu'il  est  con- 
(5)  Le  dauphin. 


1109 


ORAISON  FUNEBRE  DE  LA  REINE  DE  POLOGNE. 


1110 


so'ant  pour  un  ministre  de  l'Evangile  de 
n'avoir  à  parler  que  son  langage  dans  l'éloge 
d'une  princesse  qui  en  fut  le  modèle,  au  mi- 
lieu d'un  monde  qui  en  est  lui-même  l'ennemi 
et  l'écueil! 

Oui,  Messieurs,  j'ai  dans  un  seul  tableau 
toutes  les  vertus  à  vous  .peindre,  et  vous  re- 
connaîtrez ce  qu'enseigna  Jésus-Christ  dans 
ce  que  pratiqua  très-haute,  très-puissante 
et  très-excellente  princesse,  catherine 
Opalinska,  reine  de  Pologne,  grande  du- 
chesse de  Lithuanie,  duchesse  de  Lorraine 
et  de  Bar. 

Quand  le  Seigneur  fit  entrer  la  gloire  de 
l'empire  dans  sa  maison,  il  voulut  récompen- 
ser sa  justice;  sa  justice  la  soulint  quand  il 
plut  au  Seigneur  de  laisser  éclipser  celte 
gloire.  Par  là  elle  remplit  dans  toute  son 
étendue  cet  oracle  du  roi-prophète  :  Gloria 
et  divitiœ  in  domo  ejus,  et  juslitia  ejus  manet 
in  sœculum  sœculi. 

Digne  du  trône  quand  elle  l'occupa,  su- 
périeure au  trône  quand  elle  l'eut  quitté: 
c'est  dans  ces  deux  traits  que  je  renfermerai 
tout  son  éloge. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Dans  les  hommes  ordinaires  la  justice  n'est 
qu'une  vertu,  dans  les  princes  c'est  l'assem- 
blage de  toutes  les  qualités  :  non  pas  de  ces 
qualités  aussi  fragiles  qu'elles  sont  brillan- 
tes, qui  n'ont  point  de  durée  parce  qu'elles 
n'ont  point  de  principe,  dont  le  vain  éclat  ne 
sort  qu'avec  peine  des  ténèbres,  y  rentre 
sans  délai,  et  qui,  comme  l'éclair  à  peine 
aperçu,  s'évanouit  pour  toujours;  non  pas 
de  ces  qualités  douteuses  ou  équivoques  dont 
la  vanité  se  pare,  que  le  mensonge  adore, 
qui  n'ont  de  réel  que  l'illusion,  qui  se  pro- 
duisent sur  les  pas  de  l'erreur,  et  qui  tombent 
avec  elle  sous  le  poids  do  la  vérité;  non  pas 
de  ces  qualités  fausses  ou  frivoles  qui  impo- 
sent aux  peuples  sans  ajouter  aux  souverains, 
qui  obtiennent  le  respect  sans  mériter  l'es- 
time, qui  reçoivent  des  hommages  sur  la 
terre  et  qui  sont  réprouvées  du  ciel,  qui 
portent  le  nom  de  vertus  et  qui  en  sont  l'é- 
cueil, qui  prétendent  au  litre  de  justice  et 
qui  ne  servent  souvent  que  de  voile  à  l'ini- 
quité. 

Il  faut  aux  princes  que  Dieu  choisit  pour 
gouverner  ses  peuples  une  grandeur  de  sen- 
timenlsqui.dans  lesfaiblesscsdenotrcnature, 
les  égale  à  la  sublimité  de  leur  rang;  une 
modestie  de  conduite  qui,  dans  l'indépen- 
dance de  leur  état,  les  retienne  sous  l'empire 
de  la  loi  ;  une  bonté  de  cœur  qui,  dans  l'usage 
du  pouvoir  suprême,  ne  captive  les  sujets 
que  par  les  liens  de  l'amour  et  de  la  recon- 
naissance :  trois  qualités  qui  font  que  les 
souverains  sont  en  quelque  sorte  parmi  les 
peuples  ce  que  Dieu  lui-même  est  pour  les 
souverains,  supérieurs  aux  hommages  qu'ils 
reçoivent,  modérés  dans  les  devoirs  qu'ils 
exigent,  bienfaisants  dans  le  pouvoir  qu'ils 
exercent. 

Tels  sont  les  traits  principaux  qui  carac- 
térisent les  princes  selon  le  cirur  de  Dieu, 
et  tels  soûl  les  traits  qui  formèrent  le  carac- 


tère de  l'auguste  reine  à  qui  la  vérité  qu'elle 
aima  paye  aujourd'hui  le  tribu!  de  sesélogesj 
la  France  qu'elle  habita,  celui  de  ses  regrets, 
et  la  religion  qu'elle  honora,  celui  de  ses 
prières. 

La  grandeur  n'est  point  une  qualité  qui 
s'acquiert  par  l'usage,  que  l'expérience 
forme,  quo  les  exemples  enseignent;  elle  se 
reçoit  avec  la  vie,  sa  source  est  dans  le  sang, 
l'éducation  l'entretient,  la  majesté  en  fait 
son  mérite  ;  et  quand  elle  a  pour  objet  la 
religion,  le  monde  ne  voit  rien  qui  l'égale, 
le  trône  n'offre  rien  qui  la  surpasse,  Dieu 
seul  possède  ce  qui  la  récompense. 

Ignorée  du  vulgaire,  elle  n'est  le  partage 
que  de  ces  âmes  nobles  et  privilégiées  dans 
qui  le  Seigneur,  qui  les  a  destinées  pour  être 
ses  images  sur  la  terre,  rassemble  des  traits 
dignes  de  le  représenter  ;  qui  étant,  comme 
les  autres,  l'ouvrage  de  sa  main,  sont  plus 
particulièrement  que  les  autres  l'ouvrage  de 
son  choix;  qui,  nées  pour  peindre  l'indé- 
pendance de  son  être  par  la  souveraineté  de 
leur  état,  voient  l'humanité  ennoblie  dans 
elles  par  des  traits  émanés  de  la  Divinité, 
et  n'emploient,  pour  se  faire  révérer  des 
hommes,  que  les  titres  sous  lesquels  Dieu 
se  fait  adorer  par  elles. 

C'était  sans  doute  pour  disposer  la  reine 
de  Pologne  à  cette  glorieuse  destination  que 
Dieu  la  fit  naître  dans  le  sein  de  la  gloire  et 
de  l'opulence  :  car,  après  les  maisons  souve- 
raines, à  quelle  autre  conviennent  mieux 
qu'à  celle  d'Opalinski  ces  paroles  de  l'Ecri- 
ture que  j'ai  choisies  pour  texte:  Gloria  et 
divitiœ  in  domo  ejus  ? 

Cherchcrai-je  l'antiquité  de  cette  gloire 
dans  les  monuments  de  celte  maison  ?  Son 
origine,  perdue  dans  celle  de  la  Pologne,  no 
se  trouve  qu'au  delà  de  neuf  cents  ans,  parmi 
les  titres  de  cette  monarchie  et  autour  de  son 
premier  trône:  que  dis-je?  la  Pologne  n'a- 
vait pas  encore  des  rois,  la  maison  d'Opa- 
linski avait  des  héros.  Des  siècles  nombreux 
se  sont  écoulés  avec  ce  sang  illustre,  et  ce 
sang,  dans  le  cours  de  tant  de  siècles,  n'a 
point  démenti  la  pureté  de  sa  source  ;  il  faut 
remonter  dans  les  âges  du  monde  pour  aper- 
cevoir le  premier  éclat  de  celle  maison,  et 
l'on  descend  les  âges  sans  voir  cet  éclat  ob- 
scurci ;  cette  tige  glorieuse  n'avait  pas  encore 
été  sur  le  trône,  mais  le  trône  était  appuyé 
sur  elle  :  Gloria  in  domo  ejus. 

Arous  peindrai-je  la  succession  de  cette 
gloire  dans  celle  des  héros  qu'elle  nous  pré- 
sente ?  Quelle  foule  de  noms  respectables 
sortiraient  des  ténèbres  de  l'antiquité I  La 
valeur  les  porta,  la  victoire  les  couronna, 
l'opulence  les  enrichit,  la  gloire  lesdislingua, 
l'histoire  les  consacre,  l'amour  des  peuples 
les  a  écrits  dans  les  cœurs,  et  la  religion  re- 
connaissante les  a  gravés  autour  des  autels 
sans  nombre  qu'ils  ont  élevés  :  Gloria  in 
domo  ejus. 

Vous  marquerai-je  les  divers  degrés  de 
cette  gloire  dans  les  dignités  dont  ces  héros 
ont  été  revêtus  '.'  Quinze  Caslelaus,  Irei/e  Pa- 
latins, soixante-sept  sénateurs  de  la  repu- 
blique, iiuit  maréchaux  de  la  nation,  grands 


1111 

officiers  de 
pro\  inces, 


ORATPERS  SACRES.  PONCET  DE  LA  RIVIERE. 


)lli 


la  couronne,  gouverneurs  dis 

(énéraux  des  années;  dans  tous 
ces  temps  et  dignes  de  tous  ces  litres,  il  leur 
a  manqué  do  régner  ;  mais  plusieurs  ont 
mérité  le  trône,  quelques-uns  l'ont  refusé, 
d'autres  l'ont  donné,  tous  l'ont  soutenu  : 
Gloria  in  domo  ejus. 

Vous  décrir.ii-je  l'étendue  de  celle  gloire 
dans  les  différentes  alliances  qui  l'ont  répan- 
due? Les  anciens  Piasts,  les  ducs  de  Cétopa, 
les  princes  les  plus  distingués  de  l'Allemagne, 
plusieurs  souverains  de  l'Europe,  se  sont 
fait  honneur  de  lui  appartenir.  Mais  il  était 
dans  les  desseins  de  Dieu  une  alliance  égale 
à  toutes  les  autres  par  sa  splendeur,  et  que 
ses  suites  devaient  rendre  supérieure  à  toutes 
les  autres. 

La  maison  de  Leczinski,  perdue,  comme 
celle-ci,  dans  les  siècles  les  plus  éloignés, 
avait  les  rapports  les  plus  glorieux  avec  elle. 
Ce  que  la  première  noblesse  peut  rassem- 
bler de  titres,  ce  que  le  mérite  reconnu  doit 
attirer  d'honneurs,  mais  surtout  ce  que  la 
religion  pratiquée  enseigne  de  vertus,  se 
trouvaient  avec  l'opulence  autour  de  ces 
deux  tiges  respectables  :  il  neleur  manquait 
que  d'être  unies  l'une  à  l'autre,  Dieu  lui- 
même  forma  les  nœuds  sacrés  de  cette  union, 
qui,  les  rendant  supérieurs  à  toutes  les  fa- 
milles où  l'on  pouvait  choisir  des  rois,  les 
fit  monter  avec  la  victoire  sur  le  trône  de  la 
Pologne,  et  sur  celui  de  la  France  avec  les 
verlus,  et  c'a  été  le  comble  de  la  gloire  qui 
fut  toujours  l'héritage  de  la  maison  d'Opa- 
linsl»i  :  Gloria  in  domo  ejus. 

Je  dis  de  sa  gloire  devant  les  nommes; 
car,  Messieurs,  il  en  est  une  plus  précieuse 
aux  yeux  du  Seigneur,  et  dont  celle-ci  fut  la 
récompense  :  c'est  cette  justice  permanente 
et  invariable,  qui,  de  siècles  en  siècles,  avait 
passé  successivement  des  pères  aux  enfants. 
Pour  en  développer  la  gloire  à  vos  yeux,  vous 
décrirai-je  les  premiers  triomphes  de  la  foi 
naissante  dans  la  Pologne?  Vous  dirai-je  que 
C'est  sur  les  pas,  sous  les  auspices  et  parles 
exemplesdes  Opalinski,quc  le  christianisme 
pénétra,  s'est  maintenu,  a  subsisté  dans  cette 
république  ;  que  c'est  de  cette  maison,  réfé- 
rée elle-même  comme  un  temple,  qu'ont  été 
tirées  les  pierres  des  premiers  sanctuaires 
qu'ait  eus  l'Eglise  dans  ces  vastes  contrées? 
Ouvrirai-jc  à  vos  regards  ces  basiliques  su- 
perbes qui  furent  d'abord  élevées  en  tant 
d'endroits  différents,  mais  partout  sur  les 
fonds  et  par  les  libéralités  de  ces  héros  de  la 
religion  aussi  bien  que  du  monde? Leurs  ar- 
nies  ,  gravées  autour  des  cathédrales  de 
Gnesnc  et  de  Cracovie,  attesteront  toujours 
et  leur  zèle  pour  la  religion  et  la  reconnais- 
sance de  la  religion  pour  eux.  Dois-jc  rap- 
peler ces  siècles  malheureux  dont  les  atten- 
tats ont  été  écrits  a\cc  le  fer,  et  sont  mar- 
qués par  le  sang  dans  les  annales  de  l'em- 
pire ?  siècles  funestes,  où,  sur  les  pas  d'un 
apostat  et  de  tous  les  crimes,  l'imposture, 
tenant  l'Evangile  défiguré  dans  une  main,  et 
dans  l'autre  un  fer  parricide,  employait  l'ar- 
tifice ppur  semer  ses  dogmes  pernicieux,  et 
la  fureur  pour  les  établir ;  séduisait  les  trou- 


peaux ,  frappait  les  pasteurs ,  altérait  le« 
principes  de  la  foi,  et  tâchait  d'en  éteindre  la 
flambeau  dans  le  sang  de  ses  ministres.  La 
Pologne,  en  proie  à  ces  ravages,  royail  son 
empire  divisé  et  celui  de  Jésus-Christ  pres- 
que aboli  :  le  peuple  fidèle  fuyait  partout  de- 
vant le  Philistin  armé  ;  mais  l'arche  était  en 
dépôt  dans  la  maison  d'Opalinski  :  la  justico 
lui  donnait  là  des  adorateurs,  et  ses  défi  li- 
seurs y  étaient  rassemblés  par  le  zèle  :  Jus- 
titia  ejus  in  sœculum  sœculi. 

Or,  Messieurs,  c'est  cet  héritage  de  tant 
de  siècles  de  gloire  et  de  justice  que  recul 
en  naissant  la  reine  de  Pologne.  Quel  fonds 
de  richesses  ne  recul  pas  i  elle  grande  prin- 
cesse avec  la  vie?  Elles  s'y  augmentèrent  par 
l'éducation,  elles  s'y  développèrent  avec  les 
années,  marquèrent  les  progrès  de  l'âge  par 
les  leurs,  essuyèrent  tout  ce  que  le  sort  a 
d'inconstance  ,  et  s'affermirent  par  l'incon- 
stance même  du  sort. 

Et  de  là  cette  grandeur  de  sentiments,  qui 
seule  formerait  un  caractère,  et  qui  ne  fut 
qu'une  qualité  du  sien. 

Qui  pensa  plus  noblement  qu'elle  sur  les 
devoirs  des  grands  et  leur  dépendance  à 
l'égard  du  souverain  Etre  dans  les  hommages 
qu'ils  reçoivent,  sur  les  droits  des  petits  et 
les  litres  de  protection  qu'ils  acquièrent  par 
les  hommages  qu'ils  rendent  .  sur  les  bien- 
séances de  l'Etat  et  l'obligation  où  sont  les 
princes  de  donner  de  grands  exemples,  par 
la  gloire  qu'ils  ont  de  donner  de  grands 
spectacles,  sur  la  nature  des  avantages  de 
ce  monde,  et  la  vanité  de  ces  biens,  qui,  ne 
remplissant  point  le  cœur  quand  on  les  pos- 
sède, y  laissent  un  vide  affreux  quand  on  les 
perd? 

Grandeur  dans  la  représentation  :  quel  air 
de  majesté!  quelle  dignité  dans  le  discours! 
quelle  décence  d.ins  la  conduite!  Nous  ne 
l'avons  vue  que  dans  un  temps  de  disgrâces 
et  d'afflictions  :  c'est  un  mérite  alors  de  ne 
pas  succomber,  et  elle  se  soutenait:  il  faut 
un  effort  pour  ne  pas  ramper,  cl  elle  régnait; 
toute  gloire  s'éteint ,  la  sienne  n'était  point 
obscurcie;  toujours  la  même  dans  l'une  et 
l'autre  fortune,  elle  ne  marqua  leur  différence 
que  par  sa  modération  dans  les  biens  et  sa 
constance  dans  les  maux.  Heureuse  sans  se 
prévaloir,  malheureuse  sans  se  pla  ndre  , 
digne  des  honneurs  qu'elle  avait  perdus  sans 
les  regretter,  et  supérieure  aux  disgrâces 
qu'elle  éprouvait  sans  les  mériter. 

Grandeur  qui  n'eut  rien  d'affecté  :  lui  vit-on 
jamais  ces  airs  empruntés  que  l'on  prend 
quelquefois  dans  les  grands  revers,  pour 
apprendre  aux  peuples  ce  que  l'on  éiait , 
pour  retenir  le  respect  dans  les  autres ,  et 
suspendre  dans  son  cœur  les  sentiments  du 
chagrin;  ces  airs  qui,  regardés  comme  inu- 
tiles dans  la  prospérité  et  juges  nécessaires 
dans  les  disgrâces  ,  sont  employés  pour  se 
parer  d'une  force  que  l'on  n'a  pas,  et  tralii.-- 
sent  souvent  la  faiblesse  que  l'on  a,  par  les 
efforts  même  que  Pou  fait  pour  la  dissimuler? 

Grandeur  éclairée  par  la  foi.  réglée  par  la 
justice  et  digne  de  tous  les  hommages  qu'où 
lui  reudait  par  ceux  qu'elle  rendait  clic- 


IM! 


ORAISON  FUNECRE  DE  LA  REINE  DE  POLOGNE. 


1111 


même  à  la  religion.  Elevée  sur  le  trône  par 
un  roi  victorieux,  avec  un  époux  triomphant, 
couronnée  par  la  victoire  ,  environnée  par 
la  majesté,  maîtresse  absolue  d'un  grand 
royaume  dont  ses  ancêtres  avaient  fait  la 
gloire,  dont  ses  vertus  faisaient  l'admiration, 
dont  ses  volontés  allaient  faire  la  destinée  , 
elle  n'y  porta  ni  cet  esprit  de  hauteur  qui  est 
ambition  et  qui  veut  s'élever  sans  mesure,  ni 
cet  esprit  de  s-ouveraineté  qui  est  orgueil  et 
qui  veut  dominer  sans  règle,  ni  cet  esprit 
d'indépendance  qui  est  révolte  et  qui  veut 
régner  même  sur  la  loi.  Persuadée  que  si  la 
grandeur  n'est  tempérée  dans  son  usage  par 
la  douceur,  elle  ôte  aux  souverains  plus  que 
le  rang  ne  leur  donne;  elle  ne  porta  sur  le 
trône  que  cette  bonté  tendre  et  généreuse 
qui  reproduit  dans  l'amour  tout  ce  que  l'on 
rétranche  de  l'autorité. 

En  effet,  Messieurs,  quelle  modération  dans 
les  devoirs  qu'on  lui  rendait  I  Elle  craignait 
de  les  exiger,  elle  ne  cherchait  pas  à  les  re- 
cevoir. Fallait-il  marquer  ses  volontés,  c'é- 
tait comme  en  consultant  celles  qui  dépen- 
daient de  la  sienne.  Donnait-elle  des  ordres , 
elle  les  assaisonnait  d'égards  qui  leur  fai- 
saient perdre  le  nom  de  lois.  Exigeait-elle 
le  service,  l'autorité  parlait  son  langage, 
mais  sur  le  ton  de  l'amitié,  et  l'amitié  était 
mieux  servie  que  ne  peut  l'être  l'autorité; 
elle  mettait  des  réserves  dans  ses  volontés, 
on  n'en  mettait  point  dans  l'exécution  ,  on 
donnait  à  la  reconnaissance  ce  qu'elle  ne 
demandait  pas  comme  devoir;  et  cette  sorte 
de  respect  qu'elle  savait  employer  la  rendait 
elle-même  infiniment  respectable. 

Jamais  personne  ne  connut  mieux  qu'elle 
ce  grand  art  d'accréditer  le  commandement 

{>ar  la  facilité  de  le  remplir;  d'user  moins  de 
'autorité,  pour  la  maintenir  davantage;  de 
n'avoir  rien  d'impérieux,  et  de  régner  avec 
plus  d'empire;  accessible  en  tout  temps  ,  elle 
semblait  dépendre  en  quelque  sorte  de  celui 
des  autres;  ils  ne  prenaient  point  ses  mo- 
ments pour  l'approcher,  elle  prenait  les  leurs 
pour  ordonner. 

Lui  trouva-t-on  jamais  ces  rigueurs  et 
celte  austérité  qui  font  manquer  le  devoir 
par  trop  d'exactitude  à  l'exiger;  ces  défian- 
ces inquiètes  et  importunes  qui  tiennent  tout 
en  alarmes,  troublent  le  repos,  et  n'assurent 
pas  la  loi;  celle  dureté  chagrine  et  farouche 
que  tout  révolte,  que  rien  n'apaise,  qui  ne 
compte  ni  le  mal  qu'elle  fait,  ni  le  bien  qu'elle 
reçoit,  et  qui,  bien  loin  de  pardonner  à  ceux 
dont  elle  est  offensée,  ne  pardonne  pas  mémo 
à  ceux  qu'elle  offense? 

La  surprit-on  jamais  dans  ces  inégalités 
d'humeurs  qui  n'ont  d'autres  lois  que  leurs 
caprices,  qui  veulent  que  leurs  caprices  ser- 
vent aux  aulrcs  de  lois;  à  qui  rien  ne  coule 
pour  commander,  qui  ne  savent  rien  épar- 
gner à  ceux  qui  obéissent  ;  qui  regardent 
leurs  serviteurs  comme  des  esclaves,  qui  ne 
les  reconnaissent  point  pour  égaux  ,  qui  ne 
les  ont  point  pour  amis,  et  qui  ne  sont  jamais 
respectés  autant  qu'ils  le  veulent  ,  pan" 
qu'ils  ne  se  font  jamais  aimer  autant  qu'ils 
le  doivent? 


Maîtresse  de  lous  ses  mouvements  ,  non 
point  par  politique,  mais  par  bonté,  elle  uc 
laissait  échapper  aucun  signe  ou  aucune  pa- 
role qui  pût  la  trahir.  Ces  sentiments  ,  pour 
se  produire,  prenaient  l'ordre  de  son  cœur, 
et  son  cœur  ne  le  recevait  que  de  la  loi  ;  at- 
tentive à  la  remplir,  réservée  à  la  donner, 
elle  connaissait  ses  devoirs,  elle  n'oubliait 
que  ses  droits;  exacte  aux  engagements  de 
sa  religion,  elle  négligeait  les  privilèges  de 
son  rang,  exigeait  peu  ,  ne  le  commandait 
pas,  l'attendait  sans  peine,  le  recevait  avec 
reconnaissance  ,  proportionnait  la  récom- 
pense au  service  ,  et  portait  l'indulgence  au 
delà  du  défaut. 

Mais  ne  vous  y  trompez  pas  ,  Messieurs  , 
cette  indulgence  se  renfermait  dans  des  bor- 
nes. Ses  intérêts  étaient  abandonnés  ,  ceux 
du  Seigneur  étaient  soutenus  :  que  l'on  man- 
que aux  égards  qu'on  lui  doit,  la  princesse 
seule  est  offensée,  la  majesté  réclame  ses 
droits  ,  mais  la  religion  en  interdit  la  ven- 
geance :  que  l'injure  regarde  le  Seigneur, 
la  majesté  emploie  à  venger  la  religion  les 
traits  qu'elle  néglige  pour  elle-même;  elle 
s'arme,  contre  les  infracleurs  de  la  loi  de 
Dieu,  du  même  zèle  dont  Jésus-Christ  parut 
lui-même  enflammé  contre  les  profanateurs 
de  son  temple.  C'est  au  pied  de  ses  autels 
qu'elle  reçut  le  sceptre  ,  et  l'autorité  du 
sceptre  sert  à  venger  les  autels  :  les  voit-ello 
pénitents,  elle  oublie  qu'ils  furent  coupables; 
la  même  démarche  qui  les  ramène  au  de- 
voir les  fait  rentrer  en  grâce  avec  elle  :  ils 
sont  ses  amis  dès  qu'ils  ne  sont  plus  les  en- 
nemis du  Seigneur. 

Ces  épreuves  furent  bien  rares  sans  doute, 
on  lui  épargna  jusqu'à  la  peine  de  se  plain- 
dre, et  la  bonté  de  son  cœur  retint  toujours 
les  aulres  ou  les  fit  rentrer  dans  le  devoir. 

C'est  cette  bonté  d'un  cœur  bienfaisant 
qui,  plus  encore  que  les  aulres  qualités,  rend 
les  princes  les  images  de  Dieu.  La  reine  de 
Pologne,  en  recevant  de  ses  mains  la  puis- 
sance qui  donne  des  sujets,  se  crut  chargée 
par  état  de  retracer  sa  providence  qui  veille 
sur  les  malheureux.  Plus  atlentive  à  cher- 
cher ceux  qui  souffrent,  qu'ils  ne  le  sont 
eux-mêmes  à  chercher  ceux  qui  peuvent  les 
consoler,  elle  se  faisait  informer  avec  un  soin 
plein  de  grandeur  et  de  dignité  du  nom  et 
de  l'état  de  ceux  qui  avaient  besoin  de  sa 
protection,  et  c'était  là  celle  de  ses  lois  dont 
l'exécution  était  plus  fidèle  ,  parce  que  c'était 
celle  dont  on  savait  que  l'infraction  lui  eût 
été  plus  sensible. 

Le  chagrin  qu'elle  ressentait  en  apprenant 
leurs  maux  était  balancé  dans  son  cœur  par 
la  satisfaction  de  les  soulager.  On  ne  la  vit 
point  user  de  ces  délais  qui  enlèvent  aux 
bienfaits  une  partie  de  leur  prix,  et  qui  af- 
faiblissent le  plaisir  do  les  recevoir  par  la 
peine  de  les  attendre;  on  ne  la  vit  point  les 
accompagner  de  cet  air  mécontent  qui  semble 
révoquer  le  bien  que  l'on  donne,  et  qui 
anéantit  le  mérite  de  la  générosité  par  une 
espèce  d'avarice  qui  la  borne.  Elle  ne  connut 
point  ces  réserves  par  lesquelles  on  croit 
rendre  un  bienfait  plus  estimable  en  le  ren- 


111 


ORATEURS  SACRES.  PONCET  DE  LA  RIVIERE. 


11!'. 


dant  plus  r.ire;  mais  plie  y  joignit  celle  at- 
tention exacte  qui  Mipéche  «îu'il  ne  de\  ienne 
moins  précieux  en  devenant  Irop  égal.  Ses 
dons  étaient  accompagné!  de  ces  grâces  ai- 
mables qui  les  suppléent  quand  on  les  re- 
fuse, qui  les  augmentent  quand  on  les  re- 
çoit ;  on  royal I  sur  son  front  le  plaisir  qu'elle 
avait  à  en  faire,  et  le  sentiment  du  bonheur 
qu'elle  procurait  aux.  aulres  le  lui  rendait  à 
elle-même  personnel. 

Four  compter  ses  bienfaits  ,  il  faudrait, 
Messieurs,  parcourir  toutes  les  conditions. 
Combien  de  fois  la  noblesse  indigente  trouva- 
t— elle  dans  celle  grande  reine  des  secours 
abondants  et  proportionnés  aux  besoins  de 
ceux  qui  les  recevaient  avant  que  de  les  de- 
mander, sans  les  attendre,  au  delà  de  ce 
qu'ils  pouvaient  espérer  1  Lorsque,  des- 
cendue du  Irône  et  obligée  de  borner  ses 
libéralités ,  elle  rencontrait  quelques  mal- 
heureux dont  ses  secours  ne  pouvaient  ré- 
parer les  perles,  la  vue  de  leurs  disgrâces 
la  rappelait  au  souvenir  de  la  sienne,  et  elle 
ne  sentait  bien  la  sienne  qu'au  moment  où 
elle  était  hors  d'état  de  soulager  toutes  les 
leurs. 

Pauvres  de  Jésus-Christ,  hommes  infor- 
tunés que  la  nature  avait  faits  nos  égaux, 
que  la  différence  des  fortunes  a  rendus  nos 
esclaves,  que  la  religion  un  jour  rendra  nos 
juges,  combien  de  fois  ne  l'avez-vons  pas 
vue,  occupée  de  vos  besoins,  ouvrir  ses 
mains  royales  en  votre  faveur,  faire  passer 
dans  les  vôtres  ces  secours  nécessaires  que 
vous  réclamez  si  souvent,  et  que  si  souvent 
vous  réclamez  en  vain! 

Que  ne  puis-je,  Messieurs,  faire  entendre 
ici,  au  lieu  de  nia  voix,  celle  de  tant  de  fa- 
milles qu'elle  a  relevées  ou  soutenues,  de 
tani  de  malheureux  qu'elle  a  plaints  et  sou- 
lagés, de  tant  de  vierges  consacrées  à  Dieu 
et  auxquelles  sa  vertu  a  ménagé  des  asiles 
pour  la  leur  1 

Voix  saintes  et  favorables,  vous  vous  élevez 
dans  ce  jour  au  tribunal  de  Dieu,  vous  solli- 
citez pour  cette  grande  âme  les  dons  de  la 
miséricorde  promise  dans  le  ciel  à  ceux  qui 
en  retracent  l'image  sur  la  terre,  et  c'est  l'u- 
nique témoignage  qu'elle  attendait. 

Et  voilà,  messieurs,  sur  quelles  vertus 
était  fondé  le  lustre  que  Dieu  répandit  sur 
elle  :  Gloria  in  clomo  ejus.  Quel  éclat  sur  son 
règne,  s'il  avait  plu  au  Seigneur  d'en  pro- 
longer le  cours  !  Que  celle  grandeur  d'âme 
eût  paru  respectable  dans  une  nation  où  la 
noblesse  qui  obéit  veut  dans  les  souverains 
qui  commandent  des  qualités  dignes  de  ses 
hommages  1  que  celte  modération  à  exiger 
des  devoirs  eût  flatté  un  peuple  jaloux  de  ses 
droits,  qui  s'attache  à  se*  rois  avec  fidélité, 
mais  qui  se  rappelle  avec  complaisance  qu'il 
les  a  choisis  ;  qui  les  révère  comme  ses  maî- 
tres, mais  qui  n'oublie  pas  que  leur  puis- 
sance esi  son  ouvrage;  qui  élève  le  tronc 
du  haut  duquel  il  est  gouverné,  cl  par  là 
même  se  croit  en  quelque  s '.rie  l'auteur  des 
luis  auxquelles  il  est  assujetti!  Que  ce  ca- 
ractère généreux  et  bienfaisant  eût  soulagé 
de  disgrâces  dans  des  contrées  où  les  biens 


immenses  de  sa  maison  auraient  laissé  à  son 
pouvoir  une  carrière  aussi  étendue  que  sa 
générosité! 

Vous  ne  l'avez  pas  permis,  ô  mon  Dieu! 
après  avoir  récompense  sa  justice,  vous  ares 
voulu  réprouver  dans  votre  miséricorde,  et 
faire  voir  au  monde  une  reine  non-seulement 
digne  dulrône  quandelleroccupa,mais  su| 
rieure  au  trône  quand  elle  l'eut  quitté  ;  cV' 
le  sujet  de  la  seconde  partie  de  son  éloge. 

SECONOE    PARTIE. 

Occuper  un  trône,  recevoir  les  hommages 
de  loul  un  peuple,  partager  la  destinée  d'un 
grand  roi  ,  disposer  de  celle  de  tout  un 
royaume,  voir  lout  dépendre  de  soi,  soi- 
même  ne  dépendre  que  du  ciel  :  ambition 
humaine,  voilà  Ion  terme.  Remplir  le  trône 
que  l'on  occupe,  mériter  les  bommages  que 
l'on  reçoit,  être  l'amour  des  peuples  dont  on 
esl  la  règle,  se  régler  soi-même  sur  la  loi  que 
l'on  donne,  et  dans  la  suprême  indépendance 
d'un  pouvoir  qui  n'est  borné  que  par  la  vo- 
lonté, ne  donner  à  la  volonté  que  l'étendue 
du  devoir  :  justice  chrétienne,  ce  sont  là  vos 
vertus.  Voir  l'édifice  de  sa  grandeur  s'é- 
crouler presqu'à  l'instant  où  il  s'élève,  et 
n'être  point  accablé  sous  ses  ruines;  après 
une  disgrâce  qui  enlève  la  gloire  de  la  vie, 
essuyer  des  infirmités  qui  en  attaquent  les 
principes,  et  conserver  toute  la  tranquillité 
de  son  cœur;  voir  la  mort  s'avancer  comme 
par  degrés,  s'annoncer  de  moments  en  mo- 
ments, dans  la  lenteur  de  ses  progrès;  dé- 
tailler, pour  ainsi  dire,  toutes  ses  horreurs, 
en  soutenir  le  spectacle  et  s'y  présenter  avec 
courage  :  sainte  religion,  ce  sont  là  \os  mi- 
racles ;  et  ce  furent  là  vos  exemples,  reine 
vertueuse  que  nous  pleurons.  Exemple  de 
dignité  dans  les  disgrâces,  exemple  de  pa- 
tience dans  les  maux,  exemple  d'héroïsme  à 
la  mort. 

Dans  la  vie  de  la  reine  de  Pologne,  il  fut 
surtout  deux  moments  bien  capables  de 
flatter  une  ambition  plus  étendue  ou  moins 
éclairée  que  la  sienne  :  le  premier  fut  celui 
où  elle  vit  son  auguste  époux,  conduit  au 
trône  par  une  suite  de  circonstances  glo- 
rieuses, unir  pour  y  monter  les  droits  de  la 
victoire  et  le  suffrage  des  peuples:  le  second 
fut  celui  où  rappelé  par  ces  mêmes  peuples 
au  trône  qu'il  avait  quitté,  il  connut,  par 
l'empressement  qu'on  eut  à  le  recevoir,  les 
regrets  qu'on  avait  eus  à  le  perdre,  et  vil  la 
satisfaction  qu'avait  causée  son  premier  rè- 
gne, confirmée  par  le  choix  libre  que  l'on 
faisait  de  lui  pour  régner  encore.  Témoi- 
gnage bien  flattent  pour  un  cœur  qui  con- 
naît le  prix  de  la  tendresse,  et  mérite  qu'on 
l'aime,  par  le  plaisir  mémo  qu'il  sent  d'être 
aimé. 

Mais,  hélas!  que  ces  moments  passèrent 
avec  rapidité!  D affreux  nuages  ohsn  rcirenl 
aussitôt  les  premiers  rayons  de  celte  gloire. 
Entre  l'élévation  et  la  chute  il  ne  s'écoula 
qu'un  court  intervalle,  commencé  par  des 
honneurs  sans  bornes,  rempli  par  des  espé- 
rances mêlées  de  crainte,  cl  termine  par  des 
revers  sans  espoir. 


un 


ORAISON  FUNEBRE  DE  LA  RblNE  DE  POLOGNE. 


1118 


N'atlendez-pas  de  moi,  Messieurs,  que,  re- 
muant à  vos  yeux  les  débris  de  cette  gran- 
deur, j'intéresse  votre  attention  par  le  spec- 
tacle )e  plus  capable  de  l'attendrir  ;  que,  vous 
conduisant  sur  les  traces  du  malheur  el  des 
vertus,  je  vous  représente  un  grand  roi,  une 
reine  illustre,  revêtus  l'un  et  l'autre  de  tous 
les  droits  de  la  majesté;  l'un  et  l'autre  ex- 
posés à  toutes  les  rigueurs  de  l'adversité, 
dignes  de  régner  partout,  et  sans  asile  dans 
les  Etats  où  ils  ont  régné;  que,  perçant  à 
travers  les  ombres  dont  ils  empruntent  le 
secours  pour  se  dérober  à  leurs  ennemis,  je 
vous  les  fasse  voir  errants  de  provinces  en 
provinces,  dans  des  contrées  étrangères,  sans 
guides  pour  éviter  l'erreur,  sans  secours 
pour  échapper  au  danger,  engagés  sur  la  foi 
du  hasard,  marchant  sur  les  pas  de  la  crainte, 
fuyant  le  jour,  redoutant  les  ténèbres,  mal 
assurés  dans  les  endroits  où  ils  passent,  peu 
instruits  sur  ceux  où  ils  vont,  incertains  du 
sort  qui  les  attend,  tremblants  sous  celui  qui 
les  poursuit,  l'un  ne  déplorant  que  le  sort 
qui  rend  l'autre  malheureux,  l'un  et  l'autre 
réunissant  tous  les  malheurs  qui  rendent  un 
sort  infiniment  déplorable. 

Providence  de  mon  Dieu  ,  vous  serez  tou- 
jours l'objet  de  nos  adorations,  comme  vous 
êtes  la  maîtresse  des  événements.  Les  ombres 
que  vous  répandîtes  sur  la  vie  de  cette  reine 
n'éclipsèrent  point  sa  gloire  et  préparèrent 
notre  bonheur. 

Oui ,  Messieurs  ,  c'est  au  pied  de  ces  mê- 
mes auteis  où  elle  se  consolait  de  la  perte  du 
sceptre  ,  que  le  plus  grand  des  rois  porta  le 
sien  ;  la  reine  que  perdait  la  Pologne  formait 
celle  que  la  France  chérit  et  révère.  Esther 
croissait  dans  l'enceinte  du  sanctuaire  ,  et 
cultivée  par  une  mère  qui  donnait  pour  le- 
çons des  exemples  ,  elle  puisait  dans  le  sein 
de  la  religion  ces  vertus  que  nous  voyons 
assises  avec  elle  sur  le  trône.  Destinée  à  faire 
la  félicité  d'un  peuple  ,  elle  apprenait  d'une 
reine  qui  l'avait  été  cet  art  heureux  de  con- 
cilier ensemble  la  majesté  qui  donne  les  lois 
et  la  bonté  qui  les  tempère,  d'étendre  les 
droits  de  l'empire  par  ceux  de  la  reconnais- 
sance, d'inspirer  le  respect  sans  effrayer  l'a- 
mour, de  se  soumettre  tous  les  cœurs  par  la 
crainte  de  les  assujettir,  de  les  faire  obéir  en 
refusant  de  leur  commander,  el  d'accroître  le 
pouvoir  par  les  bornes  mêmes  qu'on  lui 
prescrit.  Quelle  autre  était  plus  capable  d'en- 
treténir  et  d'augmenter  dans  elle  ce  trésor 
de  vertus  qui  établissent  le  règne  de  Dieu 
dans  le  cœur  des  souverains,  et  les  font 
régner  eux-mêmes  sur  le  cœur  des  peuples  ? 
Nous  recueillons  les  fruits  de  celte  éduca- 
tion véritablement  royale  ,  et  l'éloge  le  plus 
parfait  de  la  princesse  qui  fait  nos  regrets 
se  trouve  dans  celle  qui  fait  notre   bonheur. 

Qu'il  était  beau  ,  Messieurs  ,  qu'il  était 
digne  de  l'attention  du  ciel  ,  le  spectacle 
qu'offrait  aux  hommes  celle  retraite  respec- 
,  où  la  royauté  ,  étalant  tout  son  lustre 
au  milieu  de  ses  débris  ,  retrouvait  tous  les 
droits  qu'elle  avait  eus,  se  remplaçait  à  elle- 
même  les  titres  qu'elle  as  ail  perdus,  ne  re- 
cevait plus  les  hommages  qu'attire  la  gran- 


deur, conservait  la  grandeur  qui  mérite  les 
hommages,  était  devant  Dieu  plus  qu'elle 
n'avait  été  devant  les  hommes  1  Digne  de 
régner  avant  que  d'être  reine,  plus  que  reine 
quand  elle  eut  cessé  de  régner ,  la  princesse 
dont  je  parle  se  rendit,  par  la  fermeté  de  son 
courage  ,  supérieure  au  trône  qu'elle  avait 
égalé  par  l'élévation  de  ses  sentiments  ;  le 
pouvoir  était  affaibli,  la  majesté  n'était  point 
éclipsée  ;  sous  les  coups  les  plus  violents  , 
elle  ne  connut  aucune  de  ces  alarmes  qui 
trahissent  les  âmes  les  plus  fortes  ;  peu  flattée 
d'avoir  été  souveraine  ,  peu  touchée  de  ne 
l'être  plus,  elle  se  félicitait  d'être  chrétienne; 
et ,  la  foi  lui  faisant  envisager  un  gage  de 
son  bonheur  futur  dans  les  épreuves  d'une 
calamité  passagère  ,  elle  osait  s'applaudir 
d'être  malheureuse. 

Montez  sur  le  trône,  monarque  digne  de 
le  remplir  ;  faites  ,  par  la  douceur  de  votre 
règne,  les  délices  d'un  peuple  dont  vous  ani- 
mez l'espérance  ;  si ,  dans  les  fêtes  publiques 
dont  votre  triomphe  est  honoré,  vous  enten- 
dez prononcer ,  parmi  les  soupirs,  le  nom 
du  monarque  que  vous  remplacez,  ne  soyez 
point  offensé  de  cette  espèce  d'hommage  par 
lequel  s'acquitte  envers  lui  l'amour  de  la  na- 
tion qui  s'engage  à  vous  :  ce  que  l'on  rend 
à  ses  vertus  n'enlève  rien  de  ce  qu'on  doit  à 
vos  litres  ;  on  vous  reçoit  avec  plaisir,  souf- 
frez qu'on  le  perde  avec  regret.  La  reine  dont 
je  parle  vous  voit  prendre  sur  le  trône  la 
place  qu'elle  abandonne,  dirai-je  avec  dou- 
leur? ce  serait  le  sentiment  d'une  âme  com- 
mune ;  dirai-je  sans  envie?  ce  serait  l'effort 
d'une  âme  sublime;  dirai-jesans  regrets  pour 
sa  dignité  perdue?  ce  serait  l'héroïsme  de  la 
religion  :  je  dirai  plus,  et  c'en  est  le  miracle  : 
dans  la  justice  que  le  sort  lui  refuse,  elle  ap- 
plaudit à  celle  qu'on  vous  rend. 

Loin  d'elle  cette  ambition  qui,  se  survi- 
vant à  elle-même,  cherche  à  tromper  sa  dou- 
leur par  le  plaisir  d'entendre  parler  mal  des 
auteurs  de  sa  disgrâce  :  une  telle  faiblesse 
ne  tombait  pas  daus  un  cœur  comme  le  sien, 
cl  j'ose  dire  que  cette  faiblesse  eût  redoublé 
son  malheur;  que  d'éloges  en  effet  dont  il 
eût  fallu  soutenir  le  poids  ,  sans  pouvoir  ni 
en  diminuer  le  nombre,  ni  en  ternir  l'éclat! 
mais  ,  bien  éloignée  de  l'entreprendre  ,  elle 
secondait  elle-même  la  renommée  dans  lo 
récit  de  votre  gloire.  Elle  entendait  dire  que 
la  verlu,  descendue  du  trône  avec  elle  ,  y 
était  remontée  avec  vous;  elle  apprenait  que 
si  le  roi  son  époux  avait  dû  céder  le  sceptre, 
c'était  à  un  prince  que  ses  qualités  héroïques, 
chrétiennes  et  royales  ,  mettaient  en  état  de 
faire  le  bonheur  de  ses  peuples  ;  son  tendre 
attachement  pour  ces  mêmes  peuples  était 
flatté  d'apprendre  qu'ils  étaient  heureux  ,  et 
la  part  qu'elle  prenait  à  leur  félicité  faisait 
toujours  son  plaisir  et  la  consolait  de  ce 
qu'elle  n'était  pins  son  ouvrage. 

Quelle  fut,  je  ne  crains  pas  de  le  dire,  oui, 
Messieurs,  quelle  fut  sa  joie,  lorsqu'elle  vit 
le  plus  grand  des  rois  unir  la  destinée  du 
prince  le  plus  accompli  à  celle  d'une  prin- 
cesse que  la  naissance  pouvait  rendre  son 
ennemie  ,  mais  qui  lui  devenait  chère  par 


111!) 


OKATLTItS  SACHES.  PONCE  1    DE  LA  RIVIERE. 


1)20 


une  alliance  donl  les  grâces  cl  les  rerlai  lu 
rendaient  digue  1  Le  sang  opposé  dans  les 
pères,  uni  dans  les  enfants;  dans  la  même 
cour  deux  maisons  royales  divisées  par  le 
sort  et  attachées  par  les  mêmes  liens,  faisant 
partie  d'une  troisième  devenue  lu  leur  ;  deux 
liges  augustes,  qu'un  trône  avait  rendues  ri- 
vales, rapprochées  dans  deu\  princesses  dont 
un  même  trône  csl  le  partage;  la  fille  du 
monarque  qui  a  quitté  la  couronne,  donnée 
en  quelque  sorte  pour  mère  à  la  fille  du  mo- 
narque que  le  sort  a  couronné  ;  une  telle  al- 
liance était  réservée  à  la  sagesse  de  Louis  , 
elle  n'a  dû  se  trouver  que  dans  le  conseil  d'un 
roi  de  qui  le  règne  est  une  suite  de  merveilles 
et  de  prodigGS. 

Quelle  consolation  pour  la  reine  de  Po- 
logne, si  Dieu  eût  permis  qu'elle  jouît  plus 
longtemps  de  la  gloire  et  de  la  douceur  de 
cette  union  1  Hélas  !  elle  n'a  fait  que  l'en- 
trevoir, mais  l'impression  que  faisait  sur  elle 
ce  premier  regard  avait  suspendu  le  senti- 
ment des  maux  par  lesquels  Dieu  éprouvait 
sa  patience ,  comme  il  avait  éprouvé  sa  fer- 
meté par  les  disgrâces. 

0  vous  dans  qui  les  plus  légères  afflictions 
changent  les  plaisirs  en  amertume;  vous  qui 
ne  reconnaissez  point  dans  la  prospérité  le 
domaine  de  Dieu  sur  vous ,  ni  vos  droits  sur 
sa  miséricorde  dans  l'adversité  ;  qui  oubliez 
dans  l'une  qu'il  est  raailre,  qui  oubliez  dans 
l'autre  qu'il  est  père  ;  vous  qui,  abusant 
également  et  des  dons  de  sa  bonté  et  des 
coups  de  sa  colère,  sortez  de  son  empire 
quand  il  vous  élève,  n'y  rentrez  pas  quand  il 
vous  frappe  ,  recevez  ses  bienfaits  sans  les 
connaître,  pliez  sous  son  courroux  sans  l'a- 
paiser; vous  qui  ,  toujours  coupables  envers 
sa  justice  ou  son  amour,  l'offensez  sans  le 
craindre,  le  craignez  sans  cesser  de  l'offenser, 
vous  rassurez  en  présomptueux  ou  ne  trem- 
blez qu'en  esclaves  ;  entrez  dans  cette  re- 
traite auguste,  où  ,  avec  une  reine  plus  res- 
pectable encore  dans  le  sein  des  malheurs 
qu'elle  ne  l'était  au  comble  de  la  félicité  ,  se 
trouvent  rassemblées  toutes  les  disgrâces 
que  vous  pouvez  craindre  ,  toutes  les  vertus 
que  vous  devez  imiter  :  aucuns  cris,  aucuns 
soupirs,  ne  vous  annonceront  l'asile  où,  hu- 
miliée sous  la  main  du  Seigneur,  elle  affer- 
mit son  espérance  par  tout  ce  qui  causerait 
voire  désespoir,  se  soutient  dans  les  fai- 
blesses ,  se  purifie  par  les  épreuves  ,  se  fuit 
de  ses  infirmités  mêmes  un  nouveau  trésor 
de  mérites  ,  qui  la  dédommage  des  richesses 
que  la  disgrâce  lui  a  enlevées  ;  vous  n'aper- 
cevrez ni  sur  son  front  ,  ni  dans  ses  jeux, 
ce  que  la  nature  souffre  dans  elle  ;  les  dou- 
leurs se  succèdent  les  unes  aux  autres  ,  se 
confondent  toutes  à  la  fois  ,  se  renouvellent 
avec  le  jour,  sans  disparaître  avec  lui,  se 
multiplient  avec  les  moments  et  ne  passent 
point  comme  eux  ;  son  corps  est  prêt  à  suc- 
comber, les  forces  lui  manquent,  le  courage 
la  soutient  ;  et  la  religion ,  toujours  triom- 
phante dans  son  cœur,  le  fait  triompher  lui- 
même  de  toutes  les  infirmités  qui  L'attaquent. 

Je  dis  la  religion,  car,  Messieurs,  c'est  au 
pied  des  autels  et  dans  les  exercices  de  tou- 


tes les  vertus  qu'elle  puisait  ce  courage  hé- 
roïque qui  fut  toujours  son  caractère  et  sa 
ressource;  retirée  à  Sainl-Cyr  pend  nt  plu- 
sieurs années  de  sa  vie,  elle  en  partageait 
tous  les  moments  entre  la  prière  qui  élève 
l'âme  au  Seigneur,  et  la  pratique  des  vertus 
qui  font  descendre  le  Seigneur  dans  lc>*  âmes 
lidrles. 

Saintes  épouses  de  Jésus-Christ,  vous  n'ou- 
blierez jamais  les  exemples  par  lesquels  (die 
animait  votre  piété  et  vous  instruisait  vous- 
mêmes  des  devoirs  dont  on  vient  s'instruire 
parmi  vous.  Quel  spectacle  plus  honorable 
pour  la  religion, que  celui  d'une  princesse  qui 
mettait  toute  sa  grandeur  à  reconnaître  celle 
de  Dieu,  à  révérer  son  empire  et  a  l'établir 
dans  le  cœur  de  tous  ceux  qui  dépendaient 
du  sien. 

Amies  fidèles,  qni  fûtes  les  témoins  de  ses 
vertus  et  les  dépositaires  de  ses  sentiments, 
quelle  impression  ne  faisaient  pas  sur  vous 
des  discours  qui  n'étaient  que  l'expression  de 
la  loi  du  Seigneur,  et  des  actions  qui  en  re- 
traçaient la  sainteté!  Quelle  noblesse  dans 
ses  entretiens!  quelle  modestie  dans  le  saint 
temple!  Recueillie  dans  la  présence  de  Dieu, 
elle  écoutait  sa  parole  et  en  faisait  sa  règle  ; 
elle  implorait  sa  grâce  et  en  suivait  l'impres- 
sion; elle  participait  à  ses  sacrements  et  y 
trouvait  sa  force  :  c'est  par  là  que  les  infir- 
mités, non-seulement  lui  devenaient  suppor- 
tables, mais  lui  paraissaient  précieuses  :  de  la 
croix  de  Jésus-Christ  coulaient  sur  les  sien- 
nes ces  onctions  saintes  et  salutaires  qui  en 
adoucissent  la  rigueur  et  en  sanctifient  l'u- 
sage. Ce  que  nous  appelons  disgrâces  du  sort, 
infirmités  de  la  nature,  calamités  de  la  vie, 
étaient  uses  yeux,  éclairés  par  la  foi,  bonté 
de  Dieu,  épreuve  de  sa  grâce,  gage  de  sa  mi- 
séricorde. Nous  consolons  ceux  qui  souflrent, 
elle  consolait  ceux  qui  la  voyaient  souffrir; 
vous  eussiez  dit  que  c'étaient  des  maux 
étrangers  ;  je  me  trompe,  elle  les  aurait 
plaints,  c'étaient  les  siens;  le  moindre  mur- 
mure qui  échappe  à  sa  faiblesse  est  un  crime 
à  ses  yeux;  ces  premiers  cris  qui  trahissent 
la  nature  dans  les  grandes  douleurs  sont  aus- 
sitôt réprimés  par  la  religion  qui  la  soutient  ; 
et  si,  parmi  ces  plaintes  involontaires,  il  est 
quelque  parole  que  ceux  qui  la  servent  puis- 
sent regarder  comme  un  reproche  fait  à  leur 
zèle,  aussitôt  rétractée  que  prononcée,  cdle 
parole  devient  un  motif  de  reconnaissance 
pour  ceux  à  qui  elle  avait  pu  être  un  sujet 
d'inquiétude;  l'air  noble  et  généreux  dont 
elle  repare  les  plus  légères  offenses  leur 
donne  le  mérite  des  bienfaits,  cl  on  ne  souffre 
que  la  douleur  que  lui  cause  celle  dont  elle  a 
pu  être  l'occasion. 

C'est  ainsi ,  Messieurs,  que  cette  grande, 
âme,  purifiée  par  les  épreuves  d'une  viequi  n'é- 
tait depuis  longtemps  que  l'apprentissage  de 
la  mort,  se  préparait  à  la  recevoir  sans  la  re- 
douter, cl  se  l'était  rendue  moins  redoutable 
parce  qu'elle  s'y  était  préparée. 

Eclates,  Sainte  religion,  c'est  votre  triom- 
phe qui  me  reste  à  décrire.  Mais  quelle  foi  ■  Q 
île  discours  pourrait  exprimer  celle  d'un 
cœur  nue  l'adversité  n'a  po>ut  ebraulé,  que 


1S21 


ORAISON  FUNEBRE  DE  MADAME  HENRIETTE  DE  FHANCE. 


1IS2 


les  infirmités  n'ont  point  affaibli,  que  le  Sei- 
gneur a  possédé  pendant  le  cours  de  sa  vie, 
et  qui  par  sa  mort  va  posséder  le  Seigneur 
dans  l'éternité  de  sa  gloire! 

Ministres  des  autels,  vous  que  la  religion 
a  choisis  pour  être  ses  organes,  surtout  dans 
les  derniers  moments,  et  qui  même  alors  êtes 
si  souvent  en  vain  les  organes  de  ia  religion, 
venez  puiser  dans  les  sentiments  de  cette 
reine  vertueuse  ceux  que  vous  devez  inspi- 
rer à  tant  d'autres. 

Tout  tremble  au  premier  bruit  de  son  dan- 
ger, elle  seule  en  soutient  la  vue  sans  en  être 
effrayée;  quel  concours  autour  d'elle  de  ce 
que  le  monde  a  de  plus  grand,  de  ce  que  l'E- 
glise a  de  plus  saint  !  Témoin  de  leurs  regrets, 
elle  en  est  attendrie,  mais  n'en  est  point  trou- 
blée ;  un  monarque  vertueux,  pour  lequel 
seul  dans  leurs  adversités  communes  elle  eut 
des  larmes,  ne  peut  retenir  les  siennes;  elle 
l'exhorte  à  se  soumettre  à  la  volonté  du  Sei- 
gneur, qui  rompt  leurs  liens  sur  la  terre, 
mais  qui  saura  les  réunir  dans  le  ciel  par  des 
nœuds  dont  son  éternité  elle-même  sera  la 
durée;  elle  lui  recommande  avec  tendresse 
ceux  qui  l'ont  servie  avec  fidélité  :  exacte  à 
remplir  tout  ce  qu'un  cœur  tel  que  le  sien 
peut  suggérer  de  devoirs,  elle  fait  rassembler 
tous  ceux  que  son  service  et  leur  reconnais- 
sance lui  atlachent,  leur  marque  sa  ten- 
dresse, les  remercie  de  la  leur,  pardonne 
aux  uns,  conjure  les  autres  de  lui  pardonner, 
demande  à  tous  le  secours  de  leurs  priè- 
res, et  laisse  dans  tous  l'admiration  de  ses 
verlus. 

Ministres  du  sanctuaire,  c'est  encore  vous 
que  j'ose  attester  ici;  pour  la  disposer  à  mou- 
rir, fûtes-vous  réduits  à  employer  ces  détours 
étudiés,  dont  la  délicatesse  du  siècle  vous  fait 
une  loi  auprès  de  tant  d'autres,  et  sans  les- 
quels on  ne  souffre  pas  que  la  religion  par- 
vienne, même  dans  les  derniers  moments, 
jusqu'à  des  cœurs  qui  lui  ont  été  fermés  pen- 
dant des  années  entières?  Fallut-il  recourir 
à  ces  tempéraments  qu'une  pieuse  industrie 
est  obligée  de  mellie  si  souvent  en  usage,  pour 
rappeler  au  sentiment  d'elles-mêmes  des  âmes 
qui  n'en  ont  presque  jamais  eu  pour  leur 
Dieu  ;  qui  ne  craignent  les  jugements  du  Sei- 
gueur  qu'à  l'instant  où  elles  vont  être  jugées, 
commencent  à  croire  lorsqu'elles  cessent  de 
vivre,  ne  cherchent  à  rentrer  sous  le  règne  de 
la  grâce  que  lorsqu'elles  tombent  sous  celui 
de  la  justice ,  et  ne  pensent  à  racheter  le  temps- 
qu'au  moment  où  elles  se  perdent  dans  l'é>- 
ternité? 

Avertie  de  son  danger  par  la  douleur 
qu'elle  remarque  sur  tous  ceux  qui  l'appro- 
chent, elle  envisage  sans  effroi  le  dernier  jour 
d'une  vie  doul  tous  les  jours  furent  consacrés 
à  son  Dieu;  si  elle  repasse  dans  l'amertume 
de  son  cœur  tous  les  droits  qu'a  sur  elle  la 
justice  du  Seigneur,  elle  ne  peut  oublier  ceux 
que  le  Seigneur  veut  bien  lui  donner  sur  sa 
miséricorde  ;  si  quelques  larmes  coulent  de 
ses  yeux,  elles  ne  sont  données  ni  au  regret 
de  la  vie,  ni  aux  frayeurs  de  la  mort  ;  le  sou- 
venir de  ses  fautes  les  fait  répandre,  le  repen- 
ti) L'archevêque  de  Paris. 


tir  les  obtient,  l'amour  les  adoucit,  la  religion 
les  reçoit,  la  grâce  les  consacre,  et  le  sang  de 
Jésus-Christ,  mêlé  avec  elles,  en  fait  la  source 
de  son  bonheur;  teinte  de  ce  sang  adorable, 
elle  voudrait  répandre  le  sien  pour  lui  ;  elle 
ne  regrette  de  sa  vie  que  les  moments  qui 
n'ont  pas  été  consacrés  à  son  seul  service,  et, 
près  d'entrer  dans  l'éternité ,  elle  s'occupe 
déjà  du  bonheur  de  pouvoir  toujours  glori- 
fier Dieu,  sans  pouvoir  jamais  l'offenser. 

La  douleur  saisit  ceux  qui  lui  administrent 
les  derniers  secours  de  l'Eglise,  elle  les  af- 
fermit par  son  courage  ;  dans  les  onctions 
saintes,  elle  conduit  leurs  mains  défaillantes^ 
on  ne  répond  aux  prières  que  par  des  san- 
glots, elle  élève  sa  voix,  un  flambeau  à  la 
main,  mais  moins  ardent  que  n'est  dans  son 
cœur  celui  de  la  foi  ;  l'image  de  Uésus-Christ 
sous  ses  yeux,  son  nom  sur  ses  lèvres,  rem- 
plie de.  son  amour,  tranquille  et  sans  fai- 
blesse, elle  semble  disposer  de  son  dernier 
moment.  ..  Mais  c'est  un  moment...  il  passe... 
elle  n'est  plus...  en  vain  la  cherchons-nous 
encore  sur  la  terre. 

Elle  est,  ô  mon  Dieu  1  dans  le  sein  de  votre 
miséricorde ,  ou  plutôt  dans  le  règne  de 
votre  gloire.  L'espérance  qui  nous  anime 
pour  elle  est  fondée  sur  les  devoirs  qu'elle  a 
remplis  et  sur  les  grâces  que  vous  lui  avez 
données  pour  l'attacher  à  vous  ;  si,  parmi 
tant  de  vertus  qui  font  aujourd'hui  notre 
consolation,  il  lui  est  échappé  quelques  fau- 
tes qui  laissent  des  droits  à  votre  justice, 
nous  empruntons  pour  elle  la  voix  de  ce 
sang  adorable  que  vous  avez  répandu  pour 
nous.  Recevez  le  sacrifice  auguste  que 
vous  offre  pour  elle  un  pontife  (1)  selon 
votre  cœur  et  digne  de  vos  autels  ;  que  le 
mérite  de  ce  sacrifice-remplacc  à  cette  âme 
vertueuse  tous  les  titres  qui  peuvent  lui 
manquer  ;  qu'il  s'étende  sur  une  reine  qui 
nous  retrace  toutes  les  verlus  que  nous  re- 
grettons; sur  un  roi  qui  fait  notre  gloire  et  no- 
tre bonheur;  sur  un  prince  déjà  supérieur  à 
nos  espérances  ;  sur  des  princesses  dignes  du 
trône  qu'elles  environnent  et  de  ceux  qui  les 
attendent  î  Puissions-nous  enfin  profiter  tous 
de  vos  grâces,  comme  l'auguste  reine  que 
nous  pleurons,  et  régner  avec  elle  dans  l'é- 
ternité de  votre  gloire  1  Ainsi  soit-il. 

ORAISON  FUNÈBRE 

DE  MADAME  ANNE-HENRIETTE  DE   FRANCE. 

Dies  mei  sicut  timbra  deelioaverunt,  et  ego  sicut  t'enum 
arui;  lu  autem,  Domine,  in  œternum  permanes. 

Mes  jours  ont  disparu  comme  l'ombre,  et  j'ai  séché  comme 
i herbe;  mais  vous,  Seigneur,  vous  demeurez  éternellement 
{Psal.  CI,  12,  13). 

Monseigneur  (2), 

C'est  du  sein  des  langueurs,  du  milieu  des 
infirmités,  cl  d'un  lit  environné  des  ombres 
de  la  mort,  que  retentit  autrefois  cet  oracle 
d'un  saint  prophète  et  d'un  grand  roi;  oracle 
général  et  universel,  qui  s'accomplit  sous  la 
pourpre  et  sur  le  monarque  couronné  du 
diadème,  comme  sur  le  pauvre  rampant  sous 
le  chaume  et  dans  l'indigence. 

Oracle  humiliant  1  la  nature  en  est  effrayée , 

(-2)  Le  dauphin. 


112" 


ORATEllRS  SACHES.  PONCET  DE  LA  RIVIERE. 


H21 


l'humanité  le  craini,  l'orgueil  lâche  de  le 
dissimuler  ;  mail  ces  dissimulations  forcées, 
ces  craiolei  réelles,  ces  frayeurs  assidues, 
ne  servent  qu'a  en  cooGrmer  la  certitude. 

'l'ont  ce  que  nous  Taisons  pour  en  éluder 
1'.  léculioo  l'assure  ,  et  sa  vérité  l'établi! 
par  loul  ce  que  nous  imaginons  pour  la  dé- 
truire :  Dies  mei  sicut  Utflbra  dcclinnverunt. 

Oracle  terrible  !  mais  présenté  sans  cesse 
à  nos  esprits,  et  gravé  sur  tous  les  objets 
qui  nous  environnent.  Nous  marchons  par- 
mi les  débris  de  l'humanité:  les  générations 
ont  passé,  la  nôtre  s'écoulera  de  même, 
d'autres  la  remplaceront  cl  passeront  à  h 
tour;  mille  voix  confuses  nous  répètent 
celle  vérité  lugubre,  que  nous  sommes  sûre- 
ment mortels,  que  nous  serons  bientôt  mou- 
rants ;  aujourd'hui  spectateurs,  demain  spec- 
tacles, nous  répandons  des  larmes,  nous  en 
ferons  répandre;  et  l'attendrissement  où 
nous  sommes  n'est  qu'une  espèce  de  droit  que 
nous  acquérons  sur  celui  des  autres,  au 
moment  où  ils  seront  témoins  de  notre  sort, 
qui  ne  sera  lui-même  que  l'image  du  leur  : 
Dies  mei  sicut  umbru  déclinât erunt. 

Oracle  vérifié  dans  tous  les  étals,  dans 
tous  les  âges  :  le  trône  n'en  est  point  à  l'a- 
bri, la  jeunesse  n'en  est  point  garantie  ;  les 
cèdres  se  brisent,  les  fleurs  se  dessèchent  ; 
la  région  la  plus  fortunée  se  couvre  de  leurs 
cendres,  et  les  fêtes  que  la  magnificence  y 
prépare  sont  troublées  par  le  deuil  que  la 
mort  introduit.  Hé!  quelle  mort,  Messieurs! 
en  fut-il  jamais  une.  plus  digne  des  pleurs 
que  nous  versons  ?  Ils  ont  disparu  ces  jours 
précieux,  qui  ne  faisaient  que  d'éclore;  ces 
jours  annoncés  par  un  éclat  bienfaisant,  qui 
auraient  rendu  sereins  tous  les  nôtres,  ils 
ont  passé  :  Déclinai' erunt.  Montrée  à  la  terre 
assez  longtemps  pour  en  mériter  les  regrets, 
trop  peu  pour  en  assurer  le  bonheur,  1  au- 
guste princesse  dont  uou^  déplorons  la  perte 
n'a  paru  parmi  nous  que  comme  une  ombre 
et  s'est  évanouie  de  même  :  Sicut  umbra.  Elle 
ne  commençait  que  d'être  et  elle  n'est  plus  : 
El  ei/o  sicut  fenum  arui.  Il  n'appartient  qu'à 
vous,  ô  mon  Dieu  !  d'être  éternel  :  les  ouvra- 
ges périssent,  l'auteur  re-le  :  Tu  aatem,  Do- 
mine, in  œternum  permîmes. 

Sainte  religion,  ce  sont  vos  vertus  que 
nous  regrettons  aujourd'hui  ;  mais  ce  fonds 
de  nos  regrets  est  celui  de  nos  consolations  ; 
et  tel  est,  Messieurs,  l'objet  qui  m'occupe  et 
qui  me  soutient  dans  le  glorieux,  m  is  liisle 
ministère  dont  je  suis  encore  chaigé. 

Je  ne  vous  dirai  donc  pas  :  Suspende/  le 
cours  de  vos  larmes  ;  elles  sont  trop  légiti- 
mes :  et  quelque  grande  que  soit  notre  dou- 
leur, elle  n'égalera  pas  notre  pei  te.  Mais  je 
vous  dirai:  Ouvrez  vos  cœur  s  aux  consola- 
tions les  plus  solides  ;  elles  naissent  du  sein 
de  la  religion  elle-même,  qui  couronne  dans 
le  ciel  loul  ce  que  nous  regrellons  sur  la 
terre.  Jours  brillants,  que  l'assemblage  des 
qualités  les  plus  aimables  rendait  si  ■précieux 
devant  les  hommes,  ils  ont  passé  comme  une 
ombre,  et  telle  est  la  juste  matière  de  nos  re- 
trets;  Dics  mei  sicut  umbru  déclinai  -erunt. 
fours  saucliliés  que  l'assemblage  des -vertus 


les  plus  <  Incticnnes  a  rendus  précieux  de- 
vant Dieu;  leur  récompense  est  daes  '      r- 

nile  de  sa  gloire,  et  Ici  i-l  le  luinleme  ;  t  heu- 
reux de  nos  espérances  ;  Tuuuttm,  Domine, 
m  ait  rnutn  ptrtnans*. 

I  lui  points  de  v  u 
lâcherai  de  vous  représenter  reàs-HAi  n    n 

j  u    -.-ci  i.ss  \\  i  i.     PUIHCESM  ,    MaOAMI.    .'. 

Benbirtts  nE  Fi  iici  • 

PREMIÈRE    PARTIS. 

Naître  au  pied  du  trône,  c'est  mi  avantage 
que  le  ciel  accorde  :  en  rerevoir  les  premiers 
rayons,  c'est  une  glaire  que  le  monde  réfère; 
sortir  d'un  sangqoi  a  donné  des  rois  i  pree* 

que  tous  le.-.  Ktats  de  la  terre,  cl  avoir  pour 
père  le  plus  grand  des  rois,  ce  fut  le  bonheur 
de  l'auguste  princesse donl  je  faisl'élog 

lui  en  1er  ii>  un  mérite,  si  je  n'en  avais  pas 
d'autres  à  vous  produire  ;  vous  verriez  re- 
jaillir sur  son  tombeau  une  partie  de  l'édal 
dans  lequel  s'est  écoulée  sa  jeunesse;  son 
tableau  serait  formé  des  plus  beaux  traits 
qui  ont  illustré  ses  glorieux  ancèires,  et  la 
gloire  de  leur  vie  remplirait  le  vide  de  la 
sienne.  Mais  je  parle  des  qualités  person- 
nelles, et  je  n'ai  garde  de  les  confondre  avec 
des  dons  ou  des  avantages  étrangers,  dont 
l'abus,  presque  aussi  fréquent  que  leur 
usaue.  est  si  souvent  recueil  de  ces  mêmes 
qualités. 

Vivre  au  milieu  des  grandeurs ,  et  ne  re- 
garder comme  une  grandeur  véritable  que 
celle  qui  les  mérite  ou  qui  les  méprise  :  pos- 
séder tout  ce  qui  peut  établir  la  félicite  hu- 
maine, et  n'estimer  son  bonheur  que  par  le 
pouvoir  de  faire  des  heureux;  recevoir  les 
hommages  d'une  cour  également  brillante 
et  éclairée,  et  en  être  aussi  peu  touchée  que 
l'on  en  est  di^nc;  ah  I  Messieurs,  c'est  là 
l'idée  que  se  forment  sans  doute  vos  esprits 
du  mérite  propre  et  personnel,  et  vos  eo  urs 
me  disent  que  c'est  celui  que  j'ai  à  vous  pré- 
senter dans  un  éloue  que  vos  soupirs  ont 
commencé.  Vous  verrez  dans  le  court  inter- 
valle de  quelques  années  un  assembla 
qualités  capables  d'illustrer  la  plus  longue 
\  ic  ;  je  dis  desqualilésde  l'esprit, du  caractère 
et  du  cœur,  esprit  solide  et  cultivé,  mais 
sans  affectation  d'étude  et  de  si  voir;  cara- 
ctère doux  et  f  iciie,  mais  avec  toutes  les  ré- 
serves de  la  décence  et  de  la  dignité;  eu-ur 
tendre  et  compatissant,  mais  avec  droiture  et 
sans  faiblesse. 

Vous  vous  rappelez,  Messieurs,  eo  mo- 
ment si  heureux  pour  la  France,  cm,  prêt  à 
se  choisir  une  épouse,  le  roi,  après  avoir  ba- 
lance sa  couronne  sur  les  télés  les  |  lus  di- 
gues de  la  porter,  la  pi  ça  colin  sur  celle  de 
la  vertu.  (Joëlle  union  !  Le  ciel  lui-même  en 
inspira  le  dessein,  et  la  religion  en  serra  les 
nœuds;  deux  princesses  en  lurent  le  premier 
fruit,  l'une  cl  l'autre  dignes  des  vœux  que 
nous  faisions  pour  la  fécondité  d'une  reine 
«i  qui  il  ne  manquait,  pour  schever  noire 
bonheur,  que  de  se  reproduire  elle-n 
dans  des  gages  précieux  et  capables,  comme 
elle,  de  l'assurer.  Quelle  joie  dans  toute  la 
France,  à  la  nouvelle  d'un  cvcnemeul  qui 


OIUISON  FUNEBRE  DE  MADAME  HENRIETTE  DE  FRANCE. 


\\  «25 

rendait  père,  dans  l'ordre  de  la  nature,  un 
monarque  déjà  revêtu  de  ces  qualités  pré- 
cieuses qui  l'ont  rendu  le  père  de  ses  sujets! 
Avec  quelle  complaisance  ses  regards  pater- 
nels ne  se  fixer  nt-ils  pas  sur  ces  dignes  ob- 
jets de  sa  tendresse?  Par  quels  égards  de  do- 
cilité, d'attachement  et  de  respect,  les  prin- 
cesses ne  cherchèrent-elles  pas  à  mériter  et 
à  entretenir  cette  tendresse,  dès  qu'elles  pu- 
rent en  connaître  le  prix  !  Et  elles  le  connu- 
rent dès  qu'elles  commencèrent  à  se  con- 
naître elles-mêmes. 

Un  même  jour  les  avait  vues  naître,  et  le 
premier  moment  de  leur  vie  fut  aussi  le  pre- 
mier de  cette  union  tendre,  ornée  de  toutes 
les  qualités  qui  assortissent  les  cœurs  , 
exempte  de  tous  les  défauts  qui  les  divisent, 
qu'entretenaient  une  conformité  de  goûts 
puisés  dans  le  même  sang,  un  accord  de  vo- 
lontés portées  aux  mêmes  vertus,  une  égalité 
de  douceur  exprimée  dans  celle  de  la  con- 
duite, et  une  ressemblance  de  sentiments 
dont  celle  de  leurs  traits  n'était  qu'une  im- 
parfaite image.  Le  bonheur  d'un  autre  peu- 
ple sépara  les  deux  princesses,  sans  désunir 
les  deux  cœurs.  Que  de  larmes  coulèrent 
alors  de  leurs  jeux  !  Hélas  1  elles  n'étaient 
que  le  prélude  de  celles  que  les  nôtres  de- 
vaient verser. 

Suspendons-les,  s'il  est  possible,  Messieurs, 
et  voyons  au  moins  quelques-uns  des  traits 
qui  embelliront  le  cours  d'une  vie  à  laquelle 
il  n'a  manqué  que  des  années. 

L'enfance,  cet  âge  où  la  raison  captivée  ne 
se  laisse  soupçonner  que  par  des  lueurs  équi- 
voques, qui  tiennent  plus  des  ténèbres  qu'el- 
les percent  que  du  jour  qu'elles  annoncent, 
l'enfance ,  qui  est  la  saison  des  amusements 
les  plus  stériles ,  madame  Henriette  en  fit  le 
temps  des  exercices  les  plus  utiles.  Son  es- 
prit, cultivé  par  la  lecture,  y  puisait  dès  lors 
cette  richesse  de  traits  et  de  réflexions  qui 
rendirent  dans  la  suite  ses  conversations  si 
agréables  et  si  solides;  car  ne  vous  figurez 
pas,  Messieurs,  ces  lectures  vaines  et  frivoles 
qui  égarent  aussi  souvent  l'imagination 
qu'elles  l'amusent  ;  qui  ne  remplissent  quel- 
quefois dans  l'esprit  le  vide  qu'elles  y  trou- 
vent, qu'en  y  portant  des  travers  que  la  rai- 
son craint. 

Madame  Henriette  avait  reçu  de  la  nature 
un  esprit  trop  amateur  du  vrai,  pour  que  le 
faux  pût  occuper  son  élude,  ou  même  pour 
qu'il  amusât  son  loisir.  Une  curiosité  qui 
aime  à  apprendre,  parce  qu'elle  veut  savoir, 
mais  qui  ne  croit  digne  d'être  appris  que  ce 
qui  mérite  d'être  su;  une  étendue  de  ré- 
flexions qui  ajoute  à  ce  qu'on  sait,  une  ri- 
chesse d'idées  propres  à  embellir  toutes  cel- 
les qu'elle  recevait;  surtout  celte  justesse  de 
discernement  qui  s'allache  par  goût  à  ce  qui 
est  bon,  passe  par  délassement  sur  ce  qui 
est  agréable,  se  livre  à  tout  ce  qui  instruit, 
se  prête  à  ce  qui  ne  fait  que  plaire,  prend 
tout  le  fond  de  ce  qui  est  utile,  et  la  seule 
teinture  de  ce  qui  n'est  qu'amusant  :  les  épo- 
ques qui  ont  marqué  les  siècles,  les  révolu- 
lions  des  empires,  les  mœurs  des  peuples, 
l'histoire  de  celle  suite  de  rois  qui  ont  illustré 


li26 


la  lige  auguste  dont  elle  sortait;  surtout  les 
exemples  de  ces  reines  vertueuses  qui  portè- 
rent sur  le  trône  la  candeur  et  la  religion 
qu'elle  retrouvait  dans  son  cœur  :  tels  furent 
les  objets  des  recherches  de  la  princesse  que 
nous  pleurons  :  aucun  de  ces  exemples  ne 
lui  était  étranger  ;  et  combien  à  son  tour  ne 
les  eût-elle  pas  rendus  sensibles  dans  sa  con- 
duite, si  le  Seigneur  ne  se  fût  bâté  de  lui 
donner  dans  le  ciel  une  couronne  plus  pré- 
cieuse mille  fois  que  celle  qu'elle  méritait  sur 
la  terre  ! 

Quel  bonheur  pour  les  peuples  qui  l'au- 
raient eue  pour  souveraine,  si  Dieu,  qui  lai 
avait  donné  un  roi  pour  père,  lui  eût  destiné 
un  roi  pour  époux  I  Mais,  pour  former  les 
nœuds  de  cette  union,  il  eût  fallu  en  rompre 
d'autres  plus  précieux  à  sa  tendresse;  et 
combien  ne  fut-elle  pas  dallée  de  ce  que  les 
circonstances  de  l'Europe  lui  épargnaient 
une  épreuve  qui  aurait  également  coûté  à 
son  cœur  et  au  nôtre  !  Elle  aimait  mieux  ne 
vivre  qu'en  princesse  dans  une  cour  dont  elle 
faisait  les  délices,  que  de  commander  dans 
une  autre  dont  elle  eût  reçu  les  hommages. 
Ses  yeux,  ouverts  sur  toutes  les  couronnes, 
ne  voyaient  d'appas  qu'autour  de  celle  qu'elle 
ne  devait  Jamais  porter;  et  Louis  le  Bien-Ai- 
mé sur  le  trône  était  pour  Madame  Henriette 
un  spectacle  plus  flatteur  que  le  trône  sur 
lequel  elle  eût  été  elle-même  en  spec- 
tacle. 

Ces  sentiments  firent  notre  bonheur.  Dans 
un  royaume  étranger,  elle  eût  conserve  le 
souvenir  et  l'amour  de  sa  patrie;  mais  sa 
patrie  aurait  perdu  avec  elle  un  de  ses  orne- 
ments les  plus  précieux.  Nous  aurions  en- 
tendu vanter  ses  qualités  royales,  la  renom- 
mée nous  eût  appris  ce  qu'elle  faisait  pour  la 
félicité  de  son  peuple;  mais  l'idée  de  ce  bon- 
heur eût  trop  ajouté  à  celle  de  notre  perle  : 
les  applaudissements  que  nous  eussions  don- 
nés à  la  gloire  de  son  règne  auraient  été 
troublés  par  les  regrets  de  son  absence,  et 
nous  eussions  regardé  comme  pris  sur  nos 
avantages  tous  ceux  qu'elle  portait  aux  au- 
tres. Nos  cœurs  lui  ont  payé  le  prix  de  la 
préférence  que  le  sien  nous  avait  donnée  : 
sans  porter  la  couronne,  elle  trouva  dans  nos 
sentiments  des  hommages  qu'on  ne  trou\e 
pas  toujours  sou  la  couronne  elle-même. 
Hommages  purs  et  sincères,  la  bienséance 
ne  les  rendit  point  au  rang,  la  crainte  ne  les 
concerta  point  avec  le  devoir  :  l'amour  en 
était  le  principe,  le  respect  en  fut  l'interprète. 
Hommages  tendres  et  animés,  avec  quel  em- 
pressement ne  se  disputait-on  pas  l'honneur 
d'avoir  ses  premiers  regards  1  Quelle  foule 
sur  ses  pas,  autour  d'elle,  et  pour  elle  1  Hom- 
mages donnés  par  la  justice  au  mérite,  par 
la  reconnaissance  aux  bienfaits,  par  l'admi- 
ration aux  vertus ,  par  l'attachement  aux 
qualités  du  plus  heureux  caractère. 

Vîmes-nous  jamais  en  effet ,  Messieurs, 
dans  Madame  Henriette  aucun  trait  de  cet 
esprit  que  Dieu  réprouve  dans  les  princes 
qui  ne  sont  pas  selon  son  cour,  et  qu'il  en- 
lève à  ceux  qu'il  a  formés  selon  le  cœur  des 
peuples    :   Qui  au  fer  t    spiritum  principum; 


11-27 


ORATEIHS  SACHES.  PONCET  DE  LA  IUYIERE. 


i\ih 


c'est-à-dire  cet  esprit  de  grandeur  qui  est 
imbilion  et  veut  retendre  sans  mesure,  cet 
eipril  de  souveraineté  qui  est  orgueil  et  veut 
dominer  sans  règle,  cet  esprit  d'indépen- 
dance qui  ne  suit  de  loi  que  ses  caprices,  et 
Teat  donner  tous  ces  caprices  pour  loi  ? 
Quelle  modestie,  au  contraire,  quelle  noble 
simplicité  dans  le  détail  des  devoirs  qu'il  fal- 
lait ou  rendre,  ou  recevoir!  Soumise  par  son 
état  et  par  sa  naissance,  mais  avec  une  dis- 
tinction que  sa  naissance  et  son  état  deman- 
daient, quelle  grandeur  ne  mit-elle  pas  dans 
sa  dépendance,  quelle  réserve  dans  l'usage 
de  son  autorité!  Elle  paraissait  souveraine 
en  obéissant,  on  l'eût  prise  pour  sujette  lors- 
qu'elle commandait.  Aucuns  égards  ne  man- 
quèrent de  sa  part  aux  personnes  qui  l'ap- 
prochaient :  elle  n'oubliait  que  ceux  qui  lui 
étaient  dus;  mais  l'amour  lui  payait  avec 
usure  ce  qu'elle  remettait  au  devoir. 

O  vous  que  vos  emplois  ou  d'autres  rap- 
ports mettaient  plus  dans  l'occasion  de  la 
connaître  et  d'en  être  connus,  vous  arriva- 
t-il  jamais  de  la  surprendre  dans  ces  inéga- 
lités d'humeur,  dans  ces  saillies  de  caprice, 
dans  ces  alternatives  de  faveur  et  d'indiffé- 
rence, de  froideur  et  de  vivacité,  de  confiance 
indiscrète  et  d'injurieuse  défiance,  assez  or- 
dinaires dans  le  commerce  des  hommes, 
presque  nécessaires  dans  le  service  des 
grands;  que  l'on  tolère  dans  ses  égaux,  que 
l'on  révère  dans  ses  maîtres;  dont  peu  de 
personnes  devraient  être  offensées ,  parce 
que  peu  en  sont  exemptes,  et  que  le  désir 
de  rendre  excusables  dans  nous-mêmes  de- 
vrait nous  porter  à  excuser  plus  aisément 
dans  les  autres? 

Quelle  égalité  de  sentiments  ne  lui  trouvâ- 
tes-vous  pas  au  contraire  dans  un  âge  où  il 
est  si  rare  de  savoir  se  connaître,  et  encore 
plus  de  se  ressembler  !  Quelle  douceur  de 
commerce  dans  une  condition  qui  change  si 
ordinairement  la  supériorité  en  hauteur  dans 
ceux  qui  commandent,  et  la  soumission  en 
esclavage  dans  ceux  qui  obéissent  1  On  eût 
dit  qu'elle  n'avait  ni  penchant  ni  volonté  qui 
lui  lut  propre  :  le  goût  des  autres  devenait 
le  sien  ;  et,  dans  un  rang  où  il  est  si  naturel 
de  vouloir  dominer  tous  les  caractères,  le 
sien,  soumis  à  tous,  semblait  prendre  la  loi 
de  ceux  à  qui  elle  (adonnait.  De  là  ce  tendre 
attachement  qui  fixait  par  le  sentiment  au- 
près de  sa'  personne  tous  ceux  qui  s'y  ren- 
daient pour  le  service  et  par  état  ;  de  là  celle 
conGancc  qu'elle  s'était  acquise  par  celle 
qu'elle  leur  témoignait;  celle  autorité  que 
lui  donnait  en  quelque  sorte  la  réserve  avec 
laquelle  elle  en  usait.  Chacun  retrouvait 
dans  son  cœur  toutes  les  obligations  dont 
celui  de  la  princesse  dispensait.  Elle  crai- 
gnait de  trop  commander;  on  craignait  de  ne 
point  assez  obéir  :  les  ordres  se  changeaient 
en  égards,  et  les  devoirs  en  agréments. 

Si  madame  Henriette  eût  vécu  dans  une 
de  ces  cours  où  la  jalousie  enfante  les  divi- 
sions, où  les  passions,  frémissantes  autour 
du  trône,  allument  si    souvent    ces  guerres 

(I)  Madame  Adélaïde. 


également  coupables  dans  leur  principe  et 
déplorable!  dans   leurs  effets,  ou  la  victoire 

des  uns  n'a  pour  objet  que  la  ruine  des  au- 
tres, elle  avait  sans  doute  cet  esprit  de  dou  - 
ceur  et  de  conciliation  qui  rappelle  aisément 
celui  de  la  paix  et  de  l'amitié  :  on  l'aurait 
vue  calmer  l'impétuosité  par  sa  patience,  dé 
•armer  l'audace  par  sa  modération  ,  rappro- 
cher par  la  confiance  les  partis  que  le  soup- 
çon aurait  éloignés,  réunir  par  la  laceete 
de  ses  conseils  ceux  que  la  malitxni '.-  <!<s 
rapports  aurait  divisés,  et  donner  enfin  a  la 
concorde  cl  à  la  paix,  sur  les  esprits  les  plm 
aliénés,  tout  l'ascendant  que  le  sien  aurait 
pris  facilement  sur  tous  les  cœurs. 

.Mais,  grâces  vous  en  soient  rendues,  ô 
mon  Dieu!  point  d'orages  à  craindre  autour 
d'un  trône  d'où  le  monarque  qui  l'occupe 
porte  la  confiance  partout  où  il  porte  ses  re- 
gards ;  point  île  troubles  sous  un  empire  qui 
est  celui  de  l'ordre  et  de  la  paix  ;  point  de  di- 
visions daus  une  cour  où  les  cœurs  des  sujets 
sont  unis  entre  eux  par  les  nœuds  qui  les  at- 
tachent au  maître.  Dans  ce  concert  général 
de  tout  ce  qui  dépend  du  trône,  nous  ne  se- 
rions surpris  que  de  le  voir  manquer  parmi 
les  glorieux  rejetons  qui  l'environnent,  et  à 
qui  la  naissance  marque  sur  ses  degrés  des 
places  également  brillantes,  qui  n'ont  d'iné- 
galités que  celles  de  l'âge.  Quelle  union, 
grand  Dieu!  Les  particuliers  en  jouissent 
quelquefois  :  esl-il  donné  aux  familles  des 
rois  d'en  connaître  les  douceurs  et  de  les 
éprouver?  Oui,  Messieurs,  quand  dans  les 
familles  des  rois  il  se  trouve  des  cœurs  vcii- 
tablement  nobles,  sincèrement  tendres,  et 
tels  que  nous  les  voyons,  dégagés  de  tout 
sentiment  étranger  ou  contraire  à  ceux  que 
la  nature  inspire,  que  l'amitié  demande,  et 
qui,  dans  la  sublimité  d'un  rang  où  il  est  si 
ordinaire  que  les  intérêts  produisent  les  di- 
visions, font  leur  intérêt  unique  de  ce  qui 
les  bannit.  Ah!  Messieurs ,  que  ne  puis-je 
vous  la  décrire,  cette  union  respectable  qui 
ne  fait  pas  moins  l'éloge  des  princes-es  que 
nous  avons  sous  nos  yeux,  que  celui  de  la 
princesse  que  nous  regrettons  1  Cette  union 
où  le  rapport  des  humeurs  entretient  le  con- 
cert des  goûls ,  où  les  penchants  propres 
semblent  n'être  qu'une  inclination  commune, 
où  chaque  cœur,  applique  à  faire  le  bon- 
heur des  autres  ,  est  digne  du  bonheur  que 
les  autres  lui  font  goûter  ;  où  les  désirs  sont 
les  mêmes,  les  plaisirs  égaux,  les  volontés 
semblables,  et  où  l'on  ne  remarque  de  diffé- 
rence entre  les  caractères  que  pour  expri- 
mer celle  qui  est  entre  les  vertus. 

Union  précieuse.  La  perle  que  nous  pleu- 
rons ne  lui  ôte  rien  de  sa  stabilité;  mais 
elle  fait  un  vide  dans  ses  agréments.  Rempli 
par  les  qualités  augustes  des  princesses  qui 
nous  restent,  ce  vide  ne  sera  point  sensible  à 
nos  yeux;  mais  il  le  sera  toujours  aux  leurs, 
et  leurs  regrets  ne  justifient  que  trop  les  no- 
ires. Ah!  qu'il  vous  en  coûte,  au  moment 
que  je  parle,  princesse  affligée  (1  ,  à  qui  la 
douleur  du  roi,  celle  de  la  reine  et  la  vôtre 


H29  ORAISON  FUNEBRE  DE  MADAME  HENRIETTE  DE  FRANCE. 


ne  permettent  pas  d'honorer  de  voire  pré- 
sence cette  triste  et  lugubre  cérémonie  ; 
qu'il  vous  en  coûte  pour  adoucir  l'amertume 
d'un  sacrifice  dont  le  sentiment  est  tout  en- 
tier dans  votre  cœur!  Quel  état,  Messieurs, 
que  d'avoir  à  consoler  quand  on  est  soi- 
même  inconsolable!  Et  vous,  prince  ver- 
tueux, vos  yeux  baignés  de  larmes  la  re- 
cherchent encore,  celte  sœur  si  justement 
chérie.  Vous  étiez  unis  l'un  à  l'autre  par  des 
nœuds  que  la  religion  n'avait  pas  moins  for- 
més que  la  nature  :  vous  vous  rappellerez 
toujours  ces  entretiens  délicieux  où  l'esprit 
et  le  cœur  trouvaient  également  ce  qui  ins- 
truit et  ce  qui  plaît,  où  les  heures  s'écou- 
laient avec  la  rapidité  des  moments,  et  les 
moments  acquéraient  la  valeur  des  heures 
entières  ;  où  rien  ne  se  perdait,  parce  que 
lout  était  utile  ;  rien  n'était  matière  de  re- 
pentir, parce  que  lout  avait  la  vertu  pour 
objet. 

Quelle  satisfaction  pour  le  roi,  quand,  au 
retour  de  ses  glorieuses  campagnes,  dépo- 
sant tous  ses  lauriers  au  milieu  de  ses  en- 
fants, il  les  voyait  rassemblés  autour  de  lui, 
se  réunir  pour  lui  plaire,  et  lui  plaire  vérita- 
blement par  cette  union  dont  il  était  l'objet 
et  le  principe  !  Combien  de  fois,  dans  ces 
conversations  particulières  et  intimes,  dont 
les  droits  de  l'âge  et  ceux  d'une  première 
tendresse  le  portaient  à  honorer  Madame 
Henriette,  combien  de  fois  admira-t-il  la 
droiture  de  son  cœur,  les  agréments  de  son 
esprit,  la  justesse  de  ses  vues,  et  cette  sa- 
gesse de  conseil  qui  entre  rarement  dans  le 
caractère  de  la  jeunesse,  et  qui  faisait  spé- 
cialement le  sien  1  Quel  usage  a-l-elle  fait 
de  cette  conGance  du  roi!  Que  de  grâces  ob- 
tenues l'ont  rendue  favorable  à  l'indigence, 
glorieuse  à  l'humanité ,  chère  à  la  re- 
ligion! 

Or  voilà,  Messieurs,  ce  que  nous  pleurons 
avec  elle  aujourd'hui.  J'ai  dit  ce  qu'elle 
était:  elle  n'est  plus.  Ces  jours  si  beaux  se 
sont  évanouis,  c'est  une  ombre  qui  a  passé  : 
Dies  mei  sicut  umbra  dectinaverant.  Mais  la 
religion,  qui  en  a  reçu  le  sacrifice,  en  cou- 
ronne les  vertus,  et  l'éternité  de  Dieu  même 
en  est  le  partage  :  Tu  autem,  Domine,  in 
œternum  permanes.  Honorez  -moi  encore  de 
quelques  moments  d'attention. 

SECONDE    PARTIE. 

Si  l'éloge  que  j'ai  enlrepris,  Messieurs,  ne 
portait  que  sur  les  qualités  dont  je  viens  d'é- 
baucher le  tableau  ,  content  d'avoir  justifié 
votre  douleur,  je  m'abandonnerais  à  la 
mienne,  mes  larmes  couleraient  avec  les  vô- 
tres ;  la  mort  de  la  princesse  que  nous  avons 
perdue  me  paraîtrait  moins  encore  à  déplo- 
rer que  ses  suites,  et  nos  justes  frayeurs  sur 
son  sort  ne  feraient  qu'irriter  les  regrets  de 
sa  perle. 

Mais,  grâces  au  ciel,  j'ai  des  vertus  à  vous 
présenter  :  et  quelles  vertus?  Celles  qui  ho- 
norent le  plus  la  jeunesse,  celles  qui  se 
trouvent  le  moins  avec  la  grandeur,  celles 
qui  sont  suriout  nécessaires  au  moment  de 
la  mor!.  Sagesse  de  conduite  dam  l'âge   de 

OliATEL'HS    SACHES.    XXX 


1150 

la  dissipation  et  des  écarts  ;  Gdélité  à  la  loi 
dans  la  licence  et  dans  l'indépendance  du 
rang;  pureté  de  conscience  dans  tous  les 
temps,  et  surtout  à  l'instant  qui  devait  dé- 
cider de  son  éternité.  Tel  est,  Messieurs,  le 
fond  des  consolations  que  je  vous  ai  an- 
noncées. 

Sainte  religion,  c'est  votre  triomphe  que 
j'ai  à  décrire.  Si  je  ne  prends  pas  sur  l'autel 
tout  l'encens  que  je  dois  brûler  à  ce  tombeau, 
je  n'en  apporterai  point  d'étranger  ou  de 
proscrit  dans  le  sanctuaire,  et  ce  que  je  dirai 
ne  sera  que  l'expression  de  ce  que  vous  ins- 
pirâtes vous-même. 

Sagesse  de  conduite  dans  la  jeunesse  : 
qu'ai-je  dit,  Messieurs?  Est-il  quelque  rap- 
port entre  ces  deux  termes?  Hélas  !  nous  ne 
le  voyons  que  trop,  la  jeunesse  est  l'âge  où 
l'on  commence  à  être  du  monde  et  l'on  cesse 
d'être  à  Dieu;  où  l'inexpérience  a  plus  be- 
soin de  règle,  et  la  craint  davantage;  où  les 
premiers  rayons  du  jour,  tantôt  interceptés 
par  les  erreurs,  tantôt  enflammés  par  les 
passions,  se  perdent  dans  les  ombres,  ou  ne 
répandent  qu'une  lumière  plus  dangereuse 
que  les  ténèbres.  C'est  l'âge  de  l'ivresse  et 
des  transports  ,  du  charme  et  des  illusions, 
de  la  témérité  qui  entraîne  dans  les  écarts, 
et  de  la  présomption  qui  arrête  dans  le  re- 
tour :  c'est  l'âge  où  tout  ce  qui  attire  est 
danger,  tout  ce  qui  flatte  est  séduction,  tout 
ce  qui  domine  paraît  tyrannie,  tout  ce  qui 
gêne  est  regardé  comme  esclavage.  Heureux 
celui  à  qui  le  Seigneur  a  donné  cet  esprit  de 
défiance  et  de  précaution  qui  le  tient  en 
garde  contre  son  cœur  et  contre  celui  des 
autres,  qui  trouve  la  force  de  vaincre  la  sé- 
duction dans  la  crainte  même  qu'il  a  d'être 
séduit,  et  triomphe  de  tous  les  dangers  par 
la  frayeur  salutaire  où  il  est  d'y  succom- 
ber ! 

Madame  Henriette  l'avait  reçu  cet  esprit 
de  sagesse,  qui  seul  parut  à  Salomou  un 
objet  capable  de  contribuer  à  sa  véritable 
grandeur.  L'usage  qu'elle  en  fit  montra  com- 
bien elle  en  était  digne  ;  et  ce  qui  n'était 
qu'une  faveur  accordée  par  le  ciel  devint,  par 
sa  correspondance  à  la  grâce,  une  verlu  ca- 
pable de  le  mériter.  La  crainte  d'être  flattée 
faisait  sur  elle  l'impression  que  fait  sur  les 
autres  la  crainte  de  ne  l'être  pas.  Nous  sommes 
environnés  de  flatteurs  intéressés  à  nous  dé- 
guiser  la  vérité  ;  notre  intérêt  est  de  la  con~ 
naître.  Rendez  moi  ce  service,  je  vous  le  ren- 
drai à  mon  tour.  Que  je  sache  mes  défauts, 
vous  saurez  les  vôtres Qui  tient  ce  lan- 
gage, Messieurs?  Une  princesse  à  peine  âgée 
de  quinze  ans.  Et  à  qui  parlc-t-elle  ainsi?  A 
un  prince  moins  âgé  encore.  Quel  langage  1 
et  où  se  trouve-l-il?  C'est  au  pied  du  trône 
sur  lequel  l'un  et  L'autre  sont  nés,  c'est  sous 
la  pourpre  dont  l'un  et  l'autre  sont  revêtus, 
c'est  au  milieu  des  hommages  que  rend  à 
l'un  et  à  l'autre  une  cour  saisie,  à  leur  as- 
pect, de  cetle  admiration  que  celui  de  la 
vertu  inspire.  Que  des  âmes  séparées  enliè- 
remenl  du  monde  exercent  entre  elles  ce 
commerce  de  charité  chrétienne  et  religieuse, 
c'est  une  buile  de  l'engagement  qu'elles  oui 

36 


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ORATEURS  SACRES.  PONCET  DE  LA  RIV1ERF. 


contracté  en  se  retirant  bur  le  Calvaire  avec 
Jé-u»-Clirisl,  doiil  la  croix  ,  c  c\  rc  1 1  aper- 
çue de  loules  paris  dans  la  solitude,  présente 
sans  OMM  a  leurs  regards  le  modèle  du  mé- 
jns.de  la  liaine  et  de  l'abnég  .lion  d'elles- 
mêmes;  mais  qu'où  le  monde  isl  le  pin 
brillant,  où  les  objets  le*  plus  flatteur-  - 
réunissent,  où  tout  ce  qui  environne  est  oc- 
cupe a  plaire  et  ne  cherche  (|uece  qui  plaît, 
où  lout  concourt  à  entretenir  l'estime,  l'a- 
mour et  une  espèce  d'idolâtrie  de  soi-môrae, 
deux  jeunes  cœurs  dont  les  M>ûls  sont  la  loi 
de  tous  les  autres,  oublient  ce  qui  les  élève 
aux  yeux  du  monde, se  communiquent  lout  ce 
qui  peut  les  humilier  à  leurs  propres  yeux 
ne  sentent  ce  qu'ils  sont  devant  les  hommes 
que  pour  se  rendre, par  des  conseils  mutuel.-, 
ce  qu'ils  doivent  être  devant  Dieu;  eue  dans 
un  lieu  enfin  où  tout  ne  parle  et  n'e-t  oc- 
cupé que  de  ce  qui  est  dû  à  leur  grandeur, 
ils  ne  s'occupent  et  ne  parlent  enx~-mémei 
que  de  ce  qu'ils  doivent  a  la  religion...:  ah  ! 
Messieurs ,  c'est,  j'ose  le  dire,  un  spectacle 
digne  de  l'attention  du  ciel  et  de  la  terre,  un 
spectacle  de  confusion  pour  le  monde,  d'ins- 
truction pour  les  hommes ,  d'admiration 
pour  les  anges  :  Spec'aculum  mundo,an(jelis 
et  hominibus. 

Je  ne  prétends  pas  dire ,  Messieurs,  que 
celte  censure  exacte  établit  la  princesse  dans 
cet  état  de  sainteté  pure  et  permanente  qui 
ne  se  trouve  point  sur  la  terre,  et  qui  n'est 
que  du  ciel,  où  elle  règne.  Les  saiuts  que 
l'Eglise  a  placés  sur  les  autels  ne  l'ont  pas 
rue  :  est-ce  au  pied  du  trône  qu'on  la  trouve? 
C'est  une  grâce  de  Dieu,  ce  n'est  pas  un  etTort 
de  l'homme.  Il  était  de  son  intérêt  qu'au 
milieu  de  tant  de  qualités  qui  la  distinguaient 
aux  yeux  des  autres,  elle  entrevît  quelques 
taches  légères  qui  1  humiliassent  aux  siens 
et  à  ceux  du  Seigneur;  et,  puisqu'il  lui  des- 
tinait la  gloire  des  couronnes,  il  devait  lui 
laisser  le  mérite  des  combats.  Loin  d'elle 
«etic  joie  présomptueuse  qui  endort  tant  d^ 
vertus  dans  une  sécurité  plus  redoutable  que 
les  dangers  eux-mêmes,  et  les  dégrade  par 
une  opinion  de  leurs  forces  qui  dans  la  suite 
en  est  l'écueil.  Une  sainte  déliante  de  son 
cœur,  une  vigilance  continuelle  sur  toutes 
ses  démarches,  une  attention  scrupuleu-e  à 
tous  les  devoirs  que  la  religion  prescrit,  la 
mil  à  l'abri  de  tous  les  dangers  que  la  jeu- 
nesse et  l'indépendance  peuvent  susciter. 
Chaque  jour  la  vit  entrant  avec  elle-même 
dans  ce  compte  rigoureux  dont  saint  Paul 
veut  que  nous  prenions  pour  modèle  <  cl;ii 
qu'exigera  Dieu  lui-même  en  jugeant  l'uni- 
vers ;  chaque  jour  ia  vil  plus  d'une  fois 
prosternée  au  pied  de  la  croix  d'un  Dieu  im- 
molé, mêlant  les  larmes  de  la  pénilencc  an 
sang  de  la  rédemption.  Le  délaul  prenait 
al  rs  à  ses  yeux  la  couleur  du  crime,  une 
i  patience  était  expiée  comme  une  colère; 
Ml  taisait  l'aveu  le  plus  humble;  la  rc- 
]  iralion  la  plus  ec.atanle  ne  le  parais* 
y  .s  encore  assez  :  peu  contente  de...  a>oi 
Lit  perdro  aux  antres  le  senlin:enl  cl  le  sou- 
venir, elle  le.  conservait  dans  sou  esprit  cl 
dans  sou  cœur,  pour  s'en  humilier   sans 


(.  -vp  d.  v    ii!  Dieu  ,  et  l'expiation  d'une  faute 
ère  devenait    une  vertu  aussi  admirable 
qoe  I'  ut  été  une  vertu  assez  pure  pour  n'a- 
voir aucune  faute  a  expier. 

De  celte  sévérité,  n.ui  ne  se  pardonnait 
nen,  naissait  dans  elle,  comme  dans  les 
cœurs  vraiment  vertueux,  une  bonté  indul- 
gente et  facile  qui  excusait  lout  dan- 
autres.  Avail-on  manqué  à  quelque  partie 
essentielle  du  service,  un  regard  faisait  con- 
naître qu'elle  s'en  était  aperçue:  reparail-on 
la  faute,  mille  témoignages  de  bonté  faisaient 
connaître  qu'elle  l'avait  oubliée;  la  faulc 
trop  marquée  rendait-elle  le  reproche  né- 
cessaire, il  était  fait  sur  un  loa  de  modéra* 
lion  qui  di  simulait  ce  qu'il  a  d.-  -<  n-ible. 
avec  des  marques  de  bonté  qui  le  rendaient 
agréable,  et  dans  ce  tempérament  d"  dou- 
ceur et  d'autorité  qui  le  rend  efficace,  i 
ne  blâmait  la  négligence  des  uns  qi.'en  louant 

I  exactitude  des  autres;  et  toute  la  peine  de 
i      i   qui   manquaient  au  devoir  M  tr   u\ 
dans  l'eioge  de  ceux  qui  le  remplissaient. 

Sou  il  rit-elle  jamais  que, dans  d°s  entretiens 
Levés  en  sa  présence,  on  se  livrât  à  ces  mé- 
disances d'aulant  plus  dang  reuse>  qu'elles 
sont  plus  délicates,  dont  le  trait,  couvert  de 
fleurs,  prend  dans  leur  suc  le  poison  qui 
rend  la  blessure  incurable;  qui,  s  >us  pré- 
texte d'épurer  ia  vertu  de  prelendas  ridi- 
cules, lui  imputent  des  défauts  réels,  Sf, 
affectant  d'en  relever  !e  lustre,  en  altèrent 
la  sainteté)  Mais  ne  vous  figurez  pas  mémo 
alors,  Messieurs,  celle  sévérité  farouche  qui 
aulori-c  tout  ce  qu'elle  blâme,  ce  zèle  amer 
et  outré  qui  rend  odieux  ce  qu'il  veut  rendre 
estimable,  ce  Ion  d'empire  et  de  décision  qui 
commande  IohI  ce  qu'il  prétend  persuader, 
et  qui  ne  persuade  pas,  par  la  raison  même 
qu'il  commande.  Changer  adroitement  l'objet 
du  discours,  substituer  un  trait  ingénieux 
et  innocent  à  une  plaisanterie  fine  et  dan- 
gereuse, combler  de  ses  faveurs  ceux  sur 
irai  la  malignité  ver-ail  injustement  >mi 
poison  :  lelle  était  sa  conduite  dans  toutes 
les  occasions  et  à  l'égard  de  tout  le  monde. 

II  n'est  personne  dans  qui  elle  n'aimât  la 
vertu,  et  personne  a  qui  elle  ne  rendit  la 
vertu  aimable. 

Mère  tendre,  reine  vertueuse  ,  vous  save* 
si  je  flatte  un  tableau  dont  tous  les  traits  sont 
dans  voire  cœur,  cl  dont  la  princesse  que  je 
loue  trouvait  le  modèle  dans  vos  exemples. 
Quelque  bien  mie  l'on  dise  d'elle  ,  i/  <«  restera 
bien  plv»  à  dire  encore.  C  est  le  témoignage 
que  vous  lui  avez  rendu  vous-même,  et  que 
ne  puis-je  ajouter  qui  ne  soit  au-dessous  de 
cet  éloge  1  Vous  decrirai-je,  Messieurs,  celle 
piele  tendre  et  fervente  qui  la  conduisait  -i 
,-ouvenl  au  pied  des  autels?  hans  l'éclat  mo- 
ine le  plus  bridant  des  l'êtes  es  la  cour,  elle 
s'était  ménage  des  heures  de  relra  le,  ou. 
seule  ,  occupée  de  Dieu  seul ,  elle  oubliait  le 
monde,  souhaitait  d'en  être  oubliée,  remplis* 
sa.t  par  la  I  liesses  de  ia  grâce  k  \ide  que 
des  plaisirs  -  i  i  quoique  légitimes,  pou- 
vaient mettre  dan-  si  vie,  et  pâmait  dans  la 
source  même  des  mérites  ce  trésor  de  vertes 
qui  a  cause  notre  admiration,  qui  fonde  nus 


ORAISON  FUNEBRE  DE  MADAME  LOUISE-ELISABETH  DE  FRANCE. 


1133 

espérances,  et  fait  déjà  sans  doute  sa  récom- 
pense. La  dissipation,  le  tumulte  du  monde, 
les  distractions  de  L'âge,  rien  eut-il  jamais  Le 
pouvoir  de  détourner  son  attention  de  la 
prière,  d'en  interrompre  le  cours,  d'en  abré- 
ger le  temps,  et  de  lui  taire  rendre  trop  tôt 
aux  hommes  des  moments  quelle  ne  croyait 
bien  employés  que  lorsqu'elle  les  consacrait 
à  Dieu?  Vou  ;  la  ferai-je  voir  versant  au  sein 
de  l'indigence  tout  ce  qu'une  sainte  économie 
a  pu  ménager  pour  une  sainte  profusion, 
donnant  au  nécessaire  des  pauvres  tout  ce 
qu'elle  se  croit  superflu,  ou  plutôt  regardant 
comme  superflu  tout  ce  quelle  juge  néces- 
saire aux  pauvres  :  toujours  prompte  à  secou- 
rir, toujours  prête  à  protéger;  mais  plus  em- 
pressée pour  échapper  à  la  reconnaissance 
qu'on  ne  l'est  d'ordinaire  pour  l'exiger  eu 
pour  la  recevoir? 

O  mon  Dieu!  prolongez  des  jours  si  utiles 
à  tant  d'autres.  Eloignez,  pour  l'honneur  de 
la  vertu,  les  bornes  d'une  vie  dont  tous  les 
instants  lui  sont  consacrés.  Ne  troublez  pas 
le  bonheur  d'un  roi  qui  ne  s'occupe  que  du 
nôtre.  Laissez  à  un  prince  si  digne  de  vos  fa- 
veurs une  sœur  si  digne  elle-même  de  sa  ten- 
dresse. Donnez  à  une  reine  qui  est  selon  vo- 
tre cœur  et  le  nôtre,  la  consolation  d'affermir 
longtemps  par  ses  exemples  le  règne  de  la 
vertu,  où  ses  leçons  l'ont  déjà  si  bien  établie. 
Ne  rompez  pas*  les  liens  précieux  de  celte 
union  respectable  dont  le  spectacle  ,  édifiant 
dans  la  famille  d'un  roi,  confond  les  divisions 
qui  ne  se  trouvent  que  trop  souvent  dans 
celle  des  particuliers. 

Mais  quelles  ombres  funestes  s'élèvent  au- 
tour du  trône!  La  force  de  l'âge,  les  droits 
de  la  vertu  ,  les  prières  ,  les  cris  d'un  peuple 
consterné  .  les  soupirs,  les  vœux  de  tous  les 
ordres  de  l'Etat,  rien  ne  peut  suspendre  l'exé- 
cution de  l'arrêt  p  ononcé  contre  nous.  Je  la 
vois,  cette  victime  généreuse,  subitement 
frappée  ,  étendue  sur  un  lit  d'infirmité,  sans 
autre  faiblesse  que  celle  de  la  maladie,  sans 
autre  chagrin  que  celui  qu'elle  cause,  offrant 
à  la  volonté  de  Dieu  le  sacrifice  d'une  vie 
passée  tout  entière  dans  la  pratique  de  sa  loi. 
C'est  surtout  dans  ces  tristes  cir  onstances 
que  toute  la  vertu  du  chrétien  lui  est  néces- 
saire, et  c'est  alors  que  Madame  Henriette, 
rappelant  en  effet  lou'e  la  sienne,  demanda 
les  sacrements  de  l'Eglise,  avec  celle  confian- 
ce que  l'innocence  seule  peut  inspirer.  Le 
danger  ne  paraît  pas  aussi  prochain  qu'elle 
le  croit,  et  peut-être  qu'elle  le  désire;  une 
lueur  favorable  semble  éloigner  la  nuit  dans 
laquelle  elle  se  prépare  à  descendre  :  l'espé- 
rance qui  renaît  dans  lous  les  cœurs,  le  cal- 
me qui  règne  <!ans  le  sien,  la  sérénité  qu'elle 
voit  reparaître  ,  celle  dont  elle  jouil ,  tout 
concourt  pour  différer  le  spectacle  cl  le  der- 
nier exemple  que  la  religion  demande,  que  le 
inonde  lui-même  attend,  pour  lequel  sa  vertu 
»\  st  déjà  plus  d'une  fois  purifiée  par  le  s 
créaient  de  pénitence.  Délais  danger 
jours  sont  mesurés,  1  s  instants  s'écoule 

O  son  roil  ô  son  pèrel  c'est  vous  qui  rap- 

(t)  L'éveqM  de  Meaux,  premier  jumôuicr  Je  Madame 
Henriette. 


1134 

prochez  à  ses  yeux  l'instant  d'un  sacrifice 
qui  en  était  véritablement  un  pour  vous. 
Tendresse,  attachement,  sentiments  de  la  na- 
ture, vous  êtes  immolés  ;m\  droits  de  la  re- 
ligion. Ce  n'est,  il  est  vrai,  que  par  des 
soupirs  qu'elle  put  s'exprimer,  mais  el!e 
s'exprima.  Princesse  généreuse,  vous  l'enten- 
dîtes. En  un  instant  quel  concours  autour 
d'elle  de  ce  que  la  religion  a  de  plus  saint, 
de  ce  que  la  cour  a  de  plus  grand,  de  ce  que 
le  sentiment  a  de  plus  touchant  1  Que  de  sou- 
pirs retentissent  autour  de  ce  lit  funèbre,  que 
les  ombres  de  la  mort  couvrent  presque  déjà 
de  toutes  parts!  Seule  tranquille  au  milieu 
des  agitations  dont  elle  seule  est  l'objet,  elle 
voit  couler  des  larmes  ,  et  en  est  émue  sans 
en  être  affaiblie  :  l'heure  qui  doit  la  séparer 
pour  toujours  des  hommes  est  celle  qui  doit 
pour  toujours  l'unir  à  Dieu;  et  ce  qu'elle  es- 
père lui  inspire  plus  de  joie  que  tout  ce  qu'elle 
perd  ne  lui  cause  de  regrets. 

Prélat  respectable  (1)  ,  que  votre  emploi 
attachait  à  son  rang,  et  à  qui  les  vertus  at- 
tachai-nt  votre  personne,  vous  l'avez  vue, 
dans  ce  dernier  moment,  où  le  héros  lui- 
même  à  peine  est  un  homme,  vous  J'avez  vue 
s'élever,  par  l'héroïsme  de  Sa  religion  ,  au- 
dessus  des  lâibles-e-  de  l'humanité.  Vos  lar- 
mes coulaienl  avec  l'onction  sainte  que  por- 
t  lient  vos  mains  tremblantes  sur  des  yeux 
qui  ne  s'étaient  ouverts  qu'aux  vérités  de  la 
religion, sur  une  bouche  qui  n'avait  prononcé 
que  des  oracles  de  sagesse, sur  des  mains  qui 
s'étaient  employées  pour  la  décoration  des 
autels.  Achevez  voire  ministère,  elle-même 
vous  y  invite...  Redoublez  vos  prières...  Mais 
que  demandez-vous?  Que  Dieu  la  laisse  à  la 
lerre....Elle  va  régner....  Elle  règne  avec  lui 
dans  le  ciel. 

Oui ,  mon  Dieu  !  nous  l'espérons  de  votre 
miséricorde  :  vous  lui  avez  accordé  trop  de 
grâces  pendant  sa  vie.  pour  craindre  que 
vous  les  lui  ayez  refusées  au  moment  d e sa 
mort. I  Eiaijnez  accepter  le  sacrifice  que  nous 
offrons  pour  elle;  et  s'il  reste  encore  dans 
une  \ie  si  belle  quelques  taches  à  effacer, 
que  le  sang  de  l'Agneau  ,  qui  va  couler  sur 
cet  auiel,  achève  de  les  purifier. 

Ses  jours  ont  passé  comme  i'omhre  :  les 
noires,  Messieurs,  passeront  de  même  :  Dies 
sicul  umbra  declinaverunt.  Dieu  seul  est 
éternel  :  Tu  autem,  Domine ,  in  œiernum 
permîmes.  Faisons  comme  elle,  lous  nos  ef- 
forts pour  être  élerncllemenlavcc  Dieu.  Ainsi 
soil-il. 

ORAISON  FUNEBRE 

DE  MADAME  LOm.SE-KI.ISAR  :TH  DE  PBàNCE, 
I.NFANTE  D'ESPAGNE  ,  DUCHESSE  DR  PARITE, 
DE  PLAISANCE  ET    DK  GUASTALLE. 

Ridebil  In  die  novisslmo;  tpeniil  ossnnm  Sapienttte,  et 

lex  demi  nlin  i"  Itogiia  ojus 

Elle  verra  son  dernier  jour  avec  m  vkage  riant  ci  tran- 
quille, ta  bouche  s'ouvrit  à  la  Sagesse,  à  la  loi  de  lu  clé 
menée  fui  s:er  sa  langue  i  Prov.,  XXXI ,  K5,  26). 

ur  (2), 
Faul-il  que  le  spectacle  de  la  mon,  pré- 

(2)  Le  divpbio. 


1IÔ5  ORATEURS  SACRES.  PONCET  DE  LA  RIVIERE 

tenté  encore  à  nos  regards,  nous  rappelle  au 
souvenir  de  la  fragilité  «le  ces  grandeurs 
dont  noua  ne  cessons  ni  île  déplorer  la  eliule, 
ni  de  rechercher  les  aranlag  '«I  rémoins  de 
leur  néaul,  idolâtres  de  leurs  attraits,  les 
poursuis  rons-nOUS  toujours  jusque  sur  le 
bord  du  tombeau,  où  nous  les  voyons  se  per- 
dre et  s'anéantir?  Ce  triste  appareil  renou- 
velé à  nos  yeui  ;  ces  lumières  funèbres  à 
peine  éteintes  et  déjà  rallumées;  un  silence 
de  tristesse  qui  n'est  interrompu  que  par  les 
cris  de  la  douleur  ;  les  ombres  du  trépas  mê- 
lées de  toutes  parts  aux  clartés  lugubres  qui 
nous  environnent  ;  le>  saints  autels  chargés 
tout  à  la  fois  des  marques  d'une  puissance 
qui  n'est  plus  et  de  ceiles  d'un  deuil  qui  du- 
rera toujours  ;  ce  concours  et  cet  assemblage 
de  tant  d'objets  louchants,  tout  nous  porte 
à  ce  détachement  dont  l'Evangile  nous  fait 
un  précepte,  dont  le  monde  offre  si  souvent 
l'exemple,  dont  nos  cœurs  doivent  aujour- 
d'hui, plus  que  jamais,  reconnaître  la  néces- 
sité. Quelle  que  soit  notre  illusion  sur  la  du- 
rée de  celte  vie,  le  Seigneur  en  a  fixé  le  ter- 
me ;  il  est  un  jour  où  sa  justice  nous  deman- 
dera compte  de  tous  les  autres  :  heureux  ce- 
lui qui,  disciple  de  la  Sagesse  et  ministre  de 
la  clémence  chrétienne,  pourra  voir  ce  der- 
nier instant  avec  un  visage  tranquille  et  as- 
suré :  Ridebit  in  die  novissimo. 

Princesse  auguste,  si  digne  de  nos  regrets, 
tous en  soutîntes  les  approches  sans  frayeur, 
vous  vîtes  couler  des  larmes  sans  en  répan- 
dre, et  votre  cœur  fut  inaccessible  au  chagrin 
et  à  la  douleur  dont  les  nôtres  étaient  pé- 
nétrés. Hé!  d'où  lui  venait  cette  assurance. 
Messieurs?  De  deux  vertus  que  l'Esprit-Saint 
a  louées  lui-même  dans  la  femme  forle  dont 
il  a  fait  l'éloge,  et  qu'il  nous  propose  à  imi- 
ter. Elle  écoula  la  Sagesse,  et  en  fut  l'inter- 
prète à  son  tour  :  Aperuit  os  suum  Sapientiœ. 
Elle  consulta  la  clémence  chrétienne,  et  en 
fut  toujours  le  modèle  :  Et  lex  clementiw  in 
lingua  ejus.  Une  jeunesse  formée  sur  les  lois 
de  la  sagesse,  une  puissance  sanctifiée  par 
les  œuvres  de  la  charité,  voilà,  Messieurs,  ce 
qui  rendit  tous  ses  jours  respectables  à  nos 
jeux,  ce  qui  rendit  aux  siens  si  peu  redouta- 
ble le  dernier  de  ses  jours  :  llidebit  in  die 
novissimo. 

Sagesse  de  conduite,  caractère  de  bonté  ; 
ce  sont  les  deux  iraits  de  l'éloge  que  je  con- 
sacre à  TRES-HAUTE  ET  TUES-PUISSANTE  PRIN- 
CESSE, Madame  Loi  ise-Elis aueth  de  erance, 
infante  d'Espagne,  duchesse  de  Parme,  de 
Plaisance  et  de  Guastalle. 


l'.'B 


PREMIERE  PARTIE. 

Quand  je  parle  de  la  sagesse,  je  n'entends 
ni  celle  politique  mondaine  que  l'ambition 
enfante  cl  que  l'Evangile  réprouve,  qui,  con- 
duite par  l'esprit  de  1  intérêt,  égarée  par  ce- 
lui de  la  vanité,  se  perd  avec  les  projets  qu'elle 
médite  dans  les  détours  de  l'erreur  qu'elle 
affecte  d'éviter;  ni  celle  prudence  profane, 
qui,  toujours  voilée  des  ombres  du  mystère, 
répand  souvent  celles  de  la  fraude  sur  ses 
démarches,  craint  le  jour  et  l'obscurcit,  fuit 
les  regards  qu'elle  ne  peut  soutenir,  décré- 


dite les   vertus  qu'elle  n'ose  imiter,  et,  pour 
t  nier  toutes  les  voies  de  la  fortune    franchit 
souvent   toutes  les  bornes    du  devoir;  ni  ce 
caractère  J'intrigue  et  de  manège,  dont  l'en- 
vie est  de  connaître,  dont  l'art   e>t  de  r 
inconnu,  qui,  jaloux  de  parvenir,  met   sa 
gloire  a  lletrir  celle  de  ses  rivaux,  rem: 
l'industrie  par  l'artifice,  emploie  qoelqu 
la  probité  elle-même  pour  la  surpren  II 
l'ait  servir  la  vérité  aux  progrès  du  mensonge: 
ce  sont  là  les  éeueils  de  la  sagesse ,  ce  n'<  ;i 
sont  pas  les   qualités  ;  j'y   vois  les   détours 
qu'elle  doit  éviter, je  n'y  >ois  pas  les  moyen! 
qu'elle  doit  suivre,  et  dans  les  obstacles  de 
sa  gloire  je  ne  puis  reconnaîlrc  les  traits  de 
son  caractère. 

J'appelle  sagesse  celte  fermeté  d'esprit  et 
de  raison,  cette  droiture  de  cœur  et  de  sen- 
timents, celte  estime  et  cet  amour  du  vrai, 
qu'il  esl  si  rare  de  voir  parmi  les  hommes, 
qu'il  esl  si  beau  de  trouver  dans  les  grands; 
j'appelle  sagesse  cet  accord  et  ce  juste  tem- 
pérament des  qualités  qui  conviennent  à  un 
rang  et  s'accommodent  à  tous  les  autres, 
prennent  la  loi  de  leur  état,  la  donnent  à 
ceux  qui  lui  sont  soumis,  préviennent  le  rè- 
gne de  l'autorité  par  celui  de  l'estime;  j'ap- 
pelle sagesse, enfin,  non  pas  une  verlu  seule, 
mais  l'assemblage  des  verlus  que  l'humanité 
recherche,  dont  la  souveraineté  s'honore  et 
que  la  religion  consacre  :  or,  Messieurs, 
c'est  de  celle  sagesse  qui  fait  les  grandes 
âmes,  que  Madame  Infante  suivit  toutes  les 
impressions  et  exprima  toute  la  gloire;  sa- 
gesse de  cœur  et  de  conduite  ,  qui  lui  mérita 
les  regrets  de  la  France  lorsqu'elle  la  quitta, 
l'estime  de  l'Espagne  dès  qu'elle  y  parut, 
l'amour  de  l'Italie  aussitôt  qu'elle  y  eut  ac- 
quis des  sujets  :  Aperuit  os  suum  Sapientiœ 

Naître  dans  l'éclat  de  la  pourpre  et  à  l'om- 
bre du  tronc,  est-ce  une  faveur  du  ciel,  si 
l'on  ne  reçoit  en  même  temps  cet  esprit  de 
sagesse  que  le  plus  éclairé  des  rois  préférait 
à  tous  les  trésors  de  l'univers  ;  esprit  de  sa- 
gesse qui  habite  au  plus  haut  des  cieux,  et 
que  le  Seigneur  envoie  du  sein  de  sa  majesté, 
pour  présider  aux  actions  des  princes  ?  Non, 
sans  doute,  Messieurs ,  loules  les  grandeurs 
de  la  terre  ne  sont  rien  sans  ce  don  inesti- 
mable ;  ou  plutôt,  sans  la  sagesse,  ces  gran- 
deurs seraient  un  présent  dangereux,  parce 
qu'elles  fomentent  l'orgueil,  et  qu'elles  flal- 
lenl  toutes  les  passions. 

Je  ne  ferai  donc  pas  à  Madame  Infante  uu 
mérite  particulier  d'être  née  du  snng  le  plus 
auguste,  et  d'avoir  fait  en  naissant  la  joie  de 
la  plus  brillante  cour  de  l'univers;  fille  d'un 
roi  dont  les  qualités  personnelles  ont  aug- 
mente l'héritage  de  gloire  qu'il  avait  reçu  de 
celle  suite  d'aïeux  qui  pendant  tant  de  siè- 
cles virent  la  France  et  toutes  les  parties  du 
monde  sous  leurs  lois.  Dès  la  première  au- 
rore de  ses  jours,  elle  fut  comme  investie  de 
tout  i'éclal  qui  a  illustré  tant  de  climats  et 
embelli  tant  de  couronnes.  Ce  fut  là  le  bon- 
heurde  sa  naissance,  le  mérite  de  sa  person- 
ne; et  le  premier  trait  de  cette  sagesse  chré- 
tienne fut  de  regarder  les   grandeurs  de  la 


1137 


ORAISON  FUNEBRE  DE  MADAME  LOUISE-ELISABETH  DE  FRANCE. 


1133 


•erre  comme  un  engagement  et  un  obstacle 
de  plus  à  mériter  le  ciel. 

Elevée  par  les  mains  et  sous  les  yeux  de 
la  sagesse,  elle  eut  un  second  bonheur  do 
trouver  dans  la  verlueuse  reine  qui  lui  avait 
donné  le  jour  le  modèle  de  tous  les  devoirs 
propres  à  la  sanctiGer.  Par  ses  leçons  et  d'a- 
près ses  exemples,  on  la  vit  faire  presque  en 
même  temps  l'essai  de  la  vie  et  celui  des  ver- 
tus :  hé  1  quelles  vertus,  Messieurs?  Une 
piété  tendre  et  solide,  une  douceur  noble  et 
inaltérable,  le  goût  de  la  prière,  l'amour  de 
la  religion,  une  conduile  animée  de  l'esprit 
du  christianisme,  réglée  sur  les  lois,  con- 
stantedans  la  pratique  des  plus  saintes  maxi- 
mes de  l'Evangile,  malgré  la  légèreté  de 
l'âge.  Au  milieu  des  féles  de  la  cour,  à  cet 
âge  où  la  raison,  trop  faible  pour  être  en- 
tendue, trop  sévère  pour  être  goûtée,  ne 
peut  ni  plaire  à  l'esprit,  qui  n'en  connaît  pas 
encore  les  charmes,  ni  régner  sur  l'imagina- 
tion, qui  en  redoute  l'autorité;  c'est  à  cet 
âge,  c'est  dès  ce  moment  que  la  sagesse, 
présentée  comme  guide  à  ses  regards,  loin  de 
Ie9  effrayer,  les  attira  ;  offerte  comme  sou- 
veraine à  son  esprit,  loin  de  l'irriter,  se  l'at- 
tacha; proposée  comme  règle  à  son  cœur, 
loin  de  le  révolter,  se  l'assura. 

Sagesse  dans  l'exercice  des  devoirs  les 
plus  opposés  que  demandaient  les  deux  états 
différents  où  elle  s'est  trouvée.  Devoirs  de  dé- 
pendance ;  en  fut-il  jamais  une  plus  épurée 
dans  ses  vues,  plus  tendre  dans  ses  senti- 
ments, plus  noble  dans  ses  démarches,  moins 
bornée  dans  son  étendue?  Devoirs  de  la  sou- 
veraineté: fut-elle  jamais  exercée  avec  plus 
de  justice  dans  ses  motifs  ,  plus  de  décence 
dans  la  représentalion?  Pleine  de  majesté  et 
de  grandeur,  quand  elle  fut  obligée  de  se 
montrer  en  souveraine,  elle  ne  connut  sous 
les  yeux  d'un  roi  père  que  la  gloire  de  lui 
obéir  et  l'avantage  de  lui  plaire;  elle  con- 
serva la  dignité  de  son  rang,  mais  avec  ces 
égards  de  sagesse  et  de  bonté  qui  accréditent 
la  loi  par  les  facilités  de  la  remplir,  et  com- 
mande d'autan!  mieux,  qu'elle  laisse  moins 
sentir  qu'onobéit.  En  France,  et  par  consé- 
quent dans  la  cour  la  plus  soumise  au  mo- 
narque qui  mérite  le  plus  qu'on  le  soit  à  ses 
volontés,  elle  donnait  l'exemple  de  la  doci- 
lité la  plus  entière;  et  le  plus  humble  des 
sujets  pouvait  encore  apprendre  d'elle  ce  qui 
est  dû  au  plus  grand  des  rois. 

Contraste  d'état  et  de  conduile  digne  d'ad- 
miration, ou  plutôt,  ce  qui  est  plus  admira- 
ble encore,  conformité  de  sentiments  dans 
deux  états  contraires,  qui  demandaient  une 
conduite  plus  différente  :  d'un  côté  l'éclat, 
l'autorité,  l'indépendance;  de  l'autre  la  mo- 
destie ,  la  déférence ,  la  subordination  :  la 
duchesse  de  Parme  ne  voyant  en  Italie  per- 
sonne au-dessus  d'elle,  la  même  princesse 
charméG  d'être  à  Versailles  sur  les  degrés 
du  trône  et  de  révérer  un  maître  dans  la 
personne  d'un  père.  C'est  la  sagesse  qui 
inspirait  celte  grande  Ame,  et  qui  lui  avait 
fait  concevoir  que  s'il  fallait  commander 
avec  dignité,  il  n'était  pas  moins  glorieux 
de  donner  l'exemple  de  la  dépendance,  d'ap- 


prendre à  l'univers  que  le  joug  de  l'obéis- 
sance est  agréable  à  porter,  et  que  le  poids 
du  commandement  est  facile  à  soutenir  quand 
c'est  la  sagesse  qui  obéit  et  la  sagesse  qui 
commande. 

Celte  même  sagesse  fixa  de  bonne  heure 
tous  les  autres  sentiments  de  son  cœur.  L'aî- 
née de  la  plus  auguste  famille  qui  ait  occupé 
les  trônes  du  monde  se  prévalut-elle  jamais 
de  ce  litre  pour  affecter  une  sorte  de  distinc- 
tion parmi  des  princesses  que  rendent  éga- 
les entre  elles  les  qualités  qui  les  rendent 
supérieures  aux  autres?  Quel  concours,  au 
contraire,  de  tous  ses  sentiments  et  de  toutes 
ses  démarches  pour  contribuer  à  l'entretien 
de  cette  union  si  respectable  qui,  après  le 
monarque  assis  sur  le  trône,  en  fait  le  plus 
bel  ornement  1  Quelle  union,  grand  Dieu  !  où 
les  plus  beaux  cœurs  tiennent  l'un  à  l'autre 
par  les  nœuds  d'une  complaisance  récipro- 
que, où  la  ressemblance  des  goûts  produit 
l'accord  des  sentiments,  où  les  caractères 
qui  la  forment  n'ont  entre  eux  que  la  diffé- 
rence qui  est  entre  les  vertus  ! 

Avec  quel   plaisir  Madame  Infante  n'au- 
rait-elle pas  vu  son  séjour  fixé  au  pied  du 
trône  sur  lequel  elle  était  née  1  Les  attraits 
de  la  souveraineté  pouvaient-ils  balancer  à 
ses  yeux  ceux  d'une  dépendance  si  facile  à 
son  cœur?  Mais  le  plan  général  des  affaires 
publiques,  les  désirs   du    roi,   les  vœux  de 
l'Europe  font  éclore  le   moment  de   former 
une  alliance.  La  princesse  sait  estimer  la 
nouvelle   patrie  qu'on   lui  prépare  :  elle   a 
conçu  la  plus  haule  idée  de  l'époux  qu'on  lui 
destine;  mais  que  les  sacrifices  qu'on  lui  de- 
mande sont  douloureux!  Il  faut  quitter   le 
séjour  où  régnèrent  tant  de  monarques  ses 
ancêtres,  renoncer  aux  mœurs  de  sa  nation, 
s'éloigner  d'un  roi  le  plus  tendre   des  pères, 
d'une  reine  la  plus   accomplie  des  mères, 
d'un  frère  que  ses  qualités  rendaient  déjà 
l'espérance  la  plus  chère  d'un  peuple  tou- 
jours attaché  au  sang  de  ses  rois.  Mais  les 
conseils  de  la  sagesse  l'emportent  sur  la  vi- 
vacité des  sentiments.  O  fille  de  Sion!  dit  un 
roi-prophète,  et  la  Sagesse  dans  lui,  oubliez 
voire  peuple,  éloignez-vous  de  la  maison  pa~ 
ternelle  ;  rompez,  brisez  les  liens   si   doux 
qui  vous  attachent   à  l'auguste  famille   que 
vous  chérissez  et  dont  vous  faites  les  délices  ; 
vous  allez  faire  le  bonheur  d'un  grand  prince 
et  gagner  l'estime  d'une  nation  respectable. 
Il  en  coûte  au  cœur  de  la  princesse;  mais  il 
sait  se  vaincre  :  elle  obéit,  et   celte  soumis- 
sion, également   prompte  et   difficile,  est  le 
fruit  de  cette  Sagesse  qu'elle  prit  pour  guide 
dans  la  première  époque  de  sa  vie  :  Aperuit 
os  suum  Snpienlvr. 

Philippe  V  régnait  encore;  prince  digne  de 
sa  prospérité  quand  le  ciel  favorisa  la  jus- 
tice de  ses  entreprises,  vainqueur  de  l'ad- 
versité quand  Dieu  voulut  éprouver  la  con- 
stance de  son  courage,  supérieur  à  l'une  et 
à  l'autre  fortune,  heureux  d'avoir  eu  la 
France  pour  patrie,  plus  heureux  de  s'être 
assez  attaché  l'Espagne  pouT  mériter  qu'elle 
fût  une  seconde  pairie  et  une  autre  Franco 
pour  lui.   La  justice   inébranlable    do   ses 


1130 


ORATEURS  SACRES.  PONCE T  DE  L\  RIVIERL. 


1140 


conseils,  l'inaltérable  sagesse  de  ses  dé- 
marches, une  piété  digne  des  autels  et  ad- 
mirable sur  le  trône,  le  rendait  comparable 
aux  saints  Ferdinand  ,  ses  prédécesseurs, 
aux  saints  Louis  ses  ancêtres.  Le  soin  de  sou 
salut  le  conduisit  dans  la  retraite  :  l'amour 
de  S!  s  peuples  le  rappela  sur  le  trône.  Flatté 
de  réunir  à  sa  source  le  nlus  beau  sang  du 
monde,  il  proposa  lui-méne-  cette  alliance 
glorieuse  qui  donnait  pour  épouse  à  l'un  de 
ses  fils  la  fi I le  d'un  roi  de  sa  race.  Quelle 
tendresse  n'eul-il  pas  pour  la  princesse  qui 
faisait  le  nœud  de  réunion  entre  les  deux 
trônes!  Il  lui  tint  lieu  de  père  :  il  voulut 
èlre  son  ami  ;  il  fut  lui-même  son  conseil, 
et  dès  lors  elle-même  regarda  l'Espagne 
comme  sa  patrie. 

Mais,  malgré  ses  heureuses  dispositions. 
la  différence  des  caractères  qui  est  entre  les 
deux  peuples  demande  de  sa  part  une  conti- 
nuité d'attcnlion  pour  y  plier  le  sien.  Elle 
quitte  une  nation,  prévenante,  libre  dans  ses 
manières,  aisée  dans  son  commerce,  enjouée 
dans  ses  entretiens,  élégante  dans  ses  fêtes, 
agréable  et  facile  dans  le  sérieux  même  et  la 
gravité  des  devoirs.  Elle  passe  chez  un 
peuple  digne  de  l'estime  dont  il  jouit  dans 
l'Europe,  mais  plus  circonspect  et  plus  ré- 
servé; mesuré  dans  ses  démarches,  arrêté 
dans  son  maimien,  sérieux  dans  ses  amuse- 
ments cl  grave  jusque  dans  ses  jeux.  Elle 
sait  que.  dans  la  crainte  d'altérer  les  prin- 
cipes, on  ne  s'y  permet  aucune  singularité, 
dans  les  choses  même  les  [lus  indifférentes; 
qu'on  tient  pour  maxime  qu'une  austère  dé- 
cence fait  partie  des  mœurs  publiques,  et 
que  ce  caractère  sied  encore  plus  aux  grands 
qu'à  l,i  multitude;  qu'on  y  exige  de  toutes 
les  personnes  de  son  sexe,  et  surtout  des 
princesses  de  son  rang,  une  réserve  nui  ex- 
clut jusqu'à  l'ombre  de  la  légèreté.  Toutes 
ces  lois,  si  capables  de  conserver  un  peuple, 
de  maintenir  la  constitution  d'un  État,  de 
perpétuer  la  paix  et  l'honnête  é  nationale, 
sont  parfaitement  connues  de  Madame  In- 
fante. Bien  loin  d'y  apercevoir  des  abus,  d'y 
trouver  des  excès,  elle  en  saisit  les  raisons, 
elle  y  remarque  l'empreinte  lie  la  sagesse  ; 
et,  prompte  à  s'y  conformer,  air;  grâces  du 
caractère  français  <  lie  unit  toute  la  décence 
du  génie  espagnol. 

Retraite,  réserve,  solitude,  tout  ce  qui  pa- 
raissait moins  fait  pour  son  isje,  semblait 
l'être  pour  son  caractère,  tant  elle  savait  le 
fléchir,  et  suivre  la  loi,  même  en  la  donnant. 
Presque  tout  son  loisir  était  pa-tagé  entre 
les  vieux  qu'elle  portail  au  pied  des  autels 
et  de  saints  travaux  pour  les  embellir.  Son 
respect  et  sa  vénération  pour  l'eucharistie 
sainte  ne  se  bornait  pas  au  sanctuaire,  où 
elle  venait  chaque  jour  quelquefois  l'adorer. 
A  la  vue  de  cet  auguste  sacrement,  porte 
aux  malades  par  les  ministres  de  la  religion, 
elle  6e  prosternait  avec  respect,  marchait 
à  sa  suite, l'accompagnait  avec  la  foule  du 
peuple,  et  ne  rentrait  dans  le  palais  qu'après 
avoir  reçu  dans  l'église,  avec  la  bénédiction 
commune,  un  nouveau  gage  de  son  union 
particulière    et     intime    avec   le    Seigneur. 


grandeurs  <ie  la 

le  du  Maitie  du 

source  adorable 
de  < 


Quelle    impression    ne   faisait  pas  sur   une 
nation  amie  de  la  vertu  un  exemple  si  lou- 
chant, et  le  spectacla  des 
terre  anéanties  devant  cell 
ciel  1 

C'e>t  là.  c'est  dans  cette 
qu'elle  puisait  les  principes 
édifiante  et  chrétienne  qui  en  faisait  le  "mo- 
dèle d'une  cour  digne  elle-même  d'en  servir 
aux  autres.  Oui  sut  mieux  que  <  ti  prin- 
cesse allier  ensemble  les  devons  de  la  reli- 
gion et  les  bienséances  rie  l'Etal,  vivre  dans 
la  retraite  et  dans  le  mon ■!«•,  servir  Dieu 
et  commander  aux  boni  net,  être  tont  à  la 
fois  un  spectacle  et  un  exemple,  accréditer 
la  piété  par  tout  l'éc'at  qui  accompagne  la 
mdeur,  et  sanctifier  la  grandeur  elle-mê- 
me par  toutes  les  pratiques  saintes  qui  c-n- 
tretiennent  la  piété  ?  Qui  sut  mieux  qu'elle, 
placée  dans  une  cour  étrangère  ,  menacer 
l'esprit  des  grands  sans  rien  perdre  de  sa  d- 
gnilé,  l'attacher  les  uns  sans  éloigner  les  au- 
tres, avoir  l'admiration  sans  exciter  la  jalou- 
sie, et  se  soumettre  tous  les  caractères  par 
la  seule  supériorité  du  sien  ? 

Enfin  ,  Messieurs  ,  ce  n'esl  pas  seulement 
en  France  et  en  Espagne  que  Madame  In- 
fante suit  les  leçons  et  donne  les  exemples 
de  cette  sagesse.  Chargée  en  quelque  sorte 
par  la  Providence  de  manifester  partout  ce 
caractère  si  rare  dans  les  personnes  de  son 
sexe,  de  son  âge  et  de  son  rang,  elle  passe 
en  Italie  ,  où  des  droits  héréditaires  et  des 
conventions  politiques  la  font  souveraine  de 
trois  duchés. 

Quand  je  parle  ici  de  droits  héréditaires, 
vous  vous  rappelez  ,  Messieurs  ,  celte  reine 
qui  réunit  en  elle  seule  toute  l'illustration  et 
tout  le  mérite  des  Farnèse.  Princesse  supé- 
rieure encore  à  sa  naissance  et  a  -a  fortu 
par  l'élévation  de  ses  vues  et  par  la  force  de 
ses  conseils;  épouse  chérie,  elle  posséda  la 
confiance  de  son  époux  et  de  son  roi  :  m  rc 
fortunée,  elle  vit  presque  tous  ses  enlan's 
élevés  sur  des  troncs  ou  destinée  à  les  r.  m- 
plir;  maîtresse  d'elle-même  dans  toutes  les 
circonstances  de  sa  vie  ,  elle  sut  régner  ., 
..loirc  et  s'occuper  dans  la  solitude  avec  di- 
gnité. Indépendant x  des  événements,  elle  nu 
fut  ni  ébranlée  par  les  orages  de  la  guerre  , 
ni  amollie  par  les  douceur- de  la  pais.  ,  ni 
éblouie  par  l'éclat  de  tant  de  couronne*  ,  ni 
affligée  de  les  céder  à  d'autres.  Digne  héri- 
tière des  héros  de  sa  race  ,  elle  eut.  cou. me 
Marguerite,  duchesse  de  Parme  ,  la  se  un  e 
des  affaires  ,  et  comme  ie  grand  Alcxainic  , 
'.ils  de  Marguerite  ,   le  talent  de  le*  exécuter. 

C'est  au  nom  et  aux  droits  de  celle  reine 
n  l'infant  don  Philippe  acquiert  de>  IBJ 
en  Italie.  L'infante  son  épouse  avait  sîéj  t 
éprouvé  deux  lois  la  différence  que  le  climat, 
l'éducation,  la  politique  mettent  toujours 
entre  de  grandes  nations.  L'Italie  change 
encore  la  scène.  Il  s  agit  de  traiter  avec  des 
caractères  déliés  ,  spirituels  ,  profonds  dans 
leurs  vues  ,  lents  à  les  manifester,  habiles  à 
les  dissimuler,  il  faut  gagner  u-i  peuple  na- 
turellement prévenu  contre  des  maîtres 
étrangers  ;  s'attacher  une   noblesse  toujours 


îui 


ORAISON  FUNEBRE  DE  MADAME  LOUISE-ELISABETH  DE  FRANCE. 


114-2 


occupée  de  ses  prétentions;  former  un  nou- 
vel Etat,  une  nouvelle  cour  parmi  tant  d'au- 
tres puissances  qui  ne  se  regardent  qu'avec 
les  yeux  de  la  rivalité;  entretenir  arec  ses 
voisins  des  liaisons  propres  à  maintenir  la 
paix  et  incapables  de  donner  des  ombrages; 
euGn  il  est  nécessaire  de  tenir  toujours  ces 
nouveaux  Etats  étroitement  unis  avec  la 
France  et  l'Espagne,  et  conserver  a  ces  deux 
grands  royaumes  le  litre  éminent  de  protec- 
tion ,  sans  compromettre  la  souveraineté  et 
l'indépendance.  Telles  furent  les  attestions 
et  les  intérêts  que  Madame  Infante  dut  par- 
tager avec  le  prince  son  époux.  La  partie 
principale  de  cette  politique  était  conQée  à 
don  Philippe  :  ce  prince  ,  orné  de  tous  les 
talents  qui  préparen!  les  grands  succès  ,  do 
toutes  les  qualités  qui  les  méritent,  ne  fuyait 
aucun  des  travaux  qui  les  assuren:.  Mais  co 
n'est  point  obscurcir  sa  gloire  que  de  publier, 
d'après  lui-même  ,  les  secours  qu'il  trouva 
dans  la  sagesse  ,  les  conseils  et  les  démar- 
ches d'une  auguste  épouse,  également  atten- 
tive à  maintenir  la  dépendance  et  à  la  dissi- 
muler ;  à  prévenir  les  écarts  sans  paraître 
les  soupçonner;  à  rappeler  au  devoir  sans 
dire  qu'on  s'en  lût  éloigné  ;  à  bannir  les  dé- 
fiances sans  en  laisser  entrevoir,  cl  à  fonder 
une  domination  nouvelle  sur  celle  f-écunté 
publique  qui  n'est  d'ordinaire  le  fruit  que 
des  règnes  les  mieux  affermis  cl  les  plus 
heureux. 

Tout  l'intérieur  du  palais  était  réglé  par 
ses  soins  et  portait  l'empreinte  de  sa  vigi- 
lance. Déjà,  Messieurs,  l'on  voyait  dans  celle 
auguste  famille  une  [ji  incesse  digne  des  at- 
tentions de  l'Europe,  et  destinée  par  la  Pro- 
vidence à  remplacer  ces  ûlles ,  ces  sœurs, 
ces  épouses  de  rois  auxquelles  l'histoire  ac- 
corde le  mérite  d'avoir  été  le  nœud  de  la  paix 
dans  les  Elats;  et  ,  pour  la  rendre  capable 
de  soutenir  le  poids  d'une  destination  si  glo- 
rieuse, avec  quelle  tendresse  de  soins  Ma- 
dame Infante  ne  s'appliqua-t-elle  pas  elle- 
même  à  cultiver  sou  esprit,  à  former  son 
cœur ,  à  perfectionner  une  éducation  pré- 
cieuse à  toute  l'Europe,  et  dont  le  succès 
préparait  le  bonheur  du  monde  1  On  voyait 
croître  dans  ce  palais  un  jeune  prince  et  une 
autre  princesse,  l'un  et  l'autre  déjà  sensibles 
aux  règles  des  mœurs  et  du  savoir;  dignes 
objets  delà  sollicitude  maternelle.  L'Infante 
chercha  pour  le  prince  de  Parme  les  plus 
habiles  maîtres  el  les  meilleurs  modèles.  Les 
exercices  du  corps  ne  lui  parurent  que  des 
agréments  dans  le  plan  général  de  l'éduca- 
tion. La  sagesse  lui  apprit  que  l'essentiel 
était  de  jeter  dans  son  cœur  des  semences 
profondes  de  la  religion,  d'inspirer  des  sen- 
timents d'humauilé,  d'apprendre  à  un  priuce 
né  pour  commander  aux  hommes  qu'il  doit 
lotir  représenter  un  maître  suprême  à  qui 
les  princes  obéissent;  qu'ils  sont  places  sur 
la  terre  pour  faire  ie  bonheur  des  peuples  ; 
qu'ils  ne  commandent  jamais  avec  plus  d'au- 
torité que  lorsqu'ils  l'emploient  pour  la  jus- 
tice el  pour  la  religion.  Maximes  sublimes  , 
•ioul  la  princesse  faisait  à  ses  enfants  des 
levons  d'autant  plus  écoulées,  que  le  priuce 


son  époux  les  rendait  sensibles  parles  plus 
grands  exemples. 

Je  nomme  ici  ,  Messieurs  ,  l'objet  le  plus 
tendre  des  affections  de  la  princesse,  dont  la 
Sagesse  consacra  tous  les  sentiments.  Invio- 
lablement  attachée  à  celui  dont  le  ciel  avait 
préparé  l'esprit  et  le  cœur  pour  celte  heu- 
reuse alliance  ,  combien  de  fois  ne  se  plai- 
gnit-elle pas  au  Dieu  des  armées!  Que  do 
soupirs  1  que  de  gémissements  à  la  vue  des 
combats  qui  mettaient  la  vie  de  ce  prince  en 
danger  1  Que  de  vœux  pour  sa  conservation 
el  pour  sa  gloire  !  Hélas  !  elle  craignait  de  le 
perdre,  et  ses  craintes  annonçaient  la  dou- 
leur dont  son  cœur  eût  été  pénétré.  Prince 
si  digne  de  son  amour,  deviez-vous  croira 
qu'elle  serait  sitôt  le  sujet  de  vos  regrets  1 
Faut-il  que  la  mort  rompe  aujourd'hui  des 
nœuds  si  augustes  et  si  fortunés  1  Quand  la 
France  et  i  Espagne  concoururent  à  les  for- 
mer, vous  vous  en  souvenez,  Messieurs , 
cet.e  capitale  signala  sa  joie  par  les  fêtes  Ses 
plus  brillantes.  Pensions-nous  qu'une  pompe 
funèbre  leur  succéderait  si  promplem-^nt  , 
qu'après  quelques  années  écoulées  comme 
quelques  jours,  tout  cet  appareil  de  magui- 
llceuce  se  perdrait  dans  le  tombeau?  Tel  est 
l'empire  de  la  mort  :  elle  enlève  les  peuples 
et  les  rois,  elle  renverse  les  trônes  et  les 
Etats  ,  elle  brise  les  sceptres  et  les  couron- 
nes, elle  anéantit  les  grands  et  la  grandeur  ; 
mais  la  gloire  de  la  Sagesse  ne  peut  être  obs- 
curcie ni  altérée.  Madame  Infante  en  prati- 
qua toutes  les  leçons  avec  docilité  ,  comme 
elle  en  avait  reçu  tous  les  dons  avec  recon- 
naissance :  Âperuit  us  suumSapientiœ;  vous 
venez  de  le  voir  :  il  me  reste  à  vous  montrée 
qu'elle  consulta  toujours  la  clémence  chré- 
tienne ,  pour  en  suivre  avec  fidélité  toutes 
les  impressions  bienfaisantes  :  Et  lex  cle- 
mentiœ  in  lingua  ejus  :  c'est  ie  sujet  de  la  se- 
conde partie  de  son  éloge. 

SECONDE  PARTIE. 

C'est  en  s'élevant  au-dessus  de  leurs  égaux 
que  les  hommes  croient  être  grands;  les 
princes  le  sont  surtout  en  se  rapprochant 
des  autres  hommes.  Choisis  par  le  Seigneur 
pour  gouverner  les  peuples,  ils  doivent  nous 
représenter  sa  bonté  aussi  bien  que  sa  puis- 
sauce,  et  ils  ne  sont  pas  moins  les  images  du 
Dieu  consolateur  que  celles  du  Dieu  souve- 
rain. Loin  de  s'avilir  lorsqu'ils  se  communi- 
quent, ils  donnent  un  nouvel  éclat  à  leur 
gloire  :  leur  bonté  ajoute  à  leurs  droits  re 
qu'elle  retranche  à  leurs  litres.  Loin  de  s'é- 
puiser  lorsqu'ils  ouvrent  leurs  trésors  ,  ils 
s'enrichissent  plus  par  les  biens  qu  ils  répan- 
dent qur  par  ceux  qu'ils  retiennent;  les  io 
de  leur  libéralité  sont  remplaces  par  ceux 
de  la  reconnaissante  ;  elle  accroît  leur  pou- 
voir par  le  sentiment  des  secours  qu'elle  en 
reçoit,  el  jamais  peut-être  la  supériorité  de 
leur  rang  n'est  ni  mieux  conuue  ,  ni  plus 
respectée,  que  lorsque  leurs  bicol ails  rem- 
plissent l'intervalle  qui  les  sépare  des  autres 
conditions.  C'est  eu  verlu  de  leur  auto- 
rité qu'ils  commandent  :  ils  régnent  par  la 
bmle. 


fit:, 


ORATEURS  SACRES,  PONCET  DE  l.\  RIVIERE. 


1144 


Qualité  précieuse  1  la  femme  forte  dont  le 
Saint-Esprit  fait  L'éloge  l'exprima  dans  lous 
ses  discours  :  Lex  clementiœ  in  lingua  ejus.  La 
princesse  que  nous  regrettons  en  lit,  sur  ce 
modèle,  la  règle  de  toute  sa  conduite.  Monté 
compatissante,  nul  genre  de  misère  ne  la 
trouva  insensible  ;  bonté  généreuse,  nul  genre 
de  secours  ne  lui  parut  difficile;  bonté  con- 
stante, nul  moment  de  sa  vie  n'en  suspendit  les 
effets.  Suivez-moi,  je  vous  prie,  Messieurs, 
dans  le  détail  que  je  vais  vous  en  faire. 

Bonté  compatissante.  Qu'il  est  humiliant 
pour  nous  qu'elle  soit  tout  à  la  fois  et  si  con- 
forme à  notre  nature,  et  si  peu  connue  dans 
nos  mœurs,  qu'une  qualité  donttout  le  monde 
fait  l'éloge  ne  soit  rien  moins  que  la  qualité 
de  tout  le  monde,  que  parmi  tant  d'objets  si 

firopres  ci  en  réveiller  le  sentiment  dans  tous 
es  cœurs,  à  peine  se  trouve-t-il  des  cœurs 
sensibles,  et  qu'une  vertu  enfin  qui  est  celle 
de  l'Iiumanilésoit  si  peula  vertu  deshommes  ! 

Mais  ce  n'est  ici  ni  le  lieu  ni  le  temps  d'in- 
vectiver contre  l'indifférence  ou  la  dureté  du 
siècle;  opposons-lui  l'exemple  d'une  com- 
passion marquée  par  tant  de  traits  glorieux 
à  l'humanité,  à  la  souveraineté,  à  la  religion  ; 
et  que  celle  vertu  soit  pour  le  vice  qui  lui  est 
opposé,  ou  une  leçon  qui  le  corrige,  ou  un 
spectacle  qui  le  confonde. 

Née  dans  un  rang  qui  commande  le  respect, 
ornée  de  toutes  les  qualités  qui  l'attirent, 
Madame  Infante  en  possédait  une  digne  d'un 
tribut  plus  honorable  que  le  respect  lui-même, 
et  pour  lequel  la  sublimité  du  rang  paraît 
être  un  obstac's  ;  le  tribut  de  la  confiance  et 
de  l'amour  des  peuples  :  c'est  le  cœur  qui 
le  paye,  et  il  n'appartient  qu'au  cœur  de  le 
mériter. 

Grandeur  de  la  naissance,  titres  suprêmes, 
apanages  glorieux  de  la  souveraineté,  vous 
fûtes  d'autant  plus  respectés  dans  notre  au- 
guste princesse,  qu'elle  chercha  moins  à  se 
rendre  respectable  par  vous,  et  qu'elle  l'eût 
été  sans  vous.  Mais  ce  que  l'on  révéra  sur- 
tout, ce  que  l'on  aima  dans  elle,  ce  qui  rend 
nos  regrets  si  légitimes,  ce  qui  les  rendra  si 
durables,  c'est  cette  compassion,  cette  sensi- 
bilité bienfaisante  d'une  âme  plus  élevée  que 
sa  condition,  toujours  prête  à  en  descendre, 
affligée  de  lous  les  maux  dont  elle  était  té- 
moin, réparant  ceux  dont  elle  était  instruite, 
prompte  à  envoyer  ou  à  porter  des  secours 
partout  où  la  voix  de  la  misère  se  faisait  en- 
tendre, et  ne  laissantentre  le  malheur  connu 
et  le  bienfait  accordé,  que  l'intervalle  néces- 
saire pour  proportionner  l'un  à  l'autre. 

Etait-il  besoin  qu'on  présentât  plusieurs 
fois  à  sa  vue  ces  malheureuses  victimes  de 
l'indigence,  dont  l'aspect  effrayant  offense 
souvent  notre  délicatesse  sans  intéresser  nos 
sentiments,  et  révolte  quelquefois  nos  cœurs 
plutôt  qu'il  ne  les  attendrit?  Celui  dont  j'op- 
pose ici  les  qualités  à  nos  défauts  ne  put  voir 
des  malheureux  sans  les  plaindre,  et,  tou- 
jours ouvert  à  leur  misère,  il  ne  fut  jamais 
importuné  de  leur  reconnaissance. 

Vous  décrirai-je  avec  quelles  recherches  ' 
et  avec  quel  zèle  Madame  Infante  s'informait  ■ 
du  nombre  et  de  la  situation  des  familles  in-   , 


digentei  ?  Ce  fut  la  première  connaissance 
qu'elle  voulut  avoir  de  ses  Etats.  Elle  ne  de- 
manda ni  quels  honneurs  on  rendrait  à  JOU 
rang,  ni  quel  tribut  on  payerait  à  ses  droits, 
ni  quelle  serait  l'étendue  de  son  pouvoir  : 
mais  elle  voulut  savoir  quels  devaient  être  les 
premiers  objets  de  -»a  charité,  et  pour  les  con- 
naître elle  mettait  en  usage  plus  de  précau- 
tions et,  si  j'o'-e  le  dire,  plus  de  taiols  arti- 
fices, qu'ils  .l'en  emploient  eux-mêmes  pour 
exciter  noire  compassion. 

Vous  dirai-je  quels  ordres  précis  furent 
donnés  à  tous  ceux  que  leur  service  attachait 
à  sa  personne,  pour  que  son  palais  ne  lût  ja- 
mais fermé  à  ceux  qui  venaient  réclamer  sef 
bontés?  Avec  quelle  facilité  d'accès,  quelle 
douceur  de  langage,  quel  témoignage  de  l'in- 
térêt le  plus  tendre,  quelle  sensibilité  de 
cœur,  elle  écoutait  le  récit  de  leurs  «taux  ! 
On  a  vu  ses  larmes  couler  avec  les  leurs. 
Elle  répondait  à  leurs  gémissements  par  ses 
soupirs;  et,  aosfi  affligée  qu'eux  de  l'<  Il  i  s 
de  leurs  peines,  elle  ne  se  plaignait  que  de 
la  faiblesse  de  ses  secours. 

Rappellerai-je  à  votre  souvenir  comment, 
au  seul  récit  des  malheurs  qu'éprouvaient  de 
p  livres  familles,  un  trouble  respectable  se 
répandait  sur  toule  sa  personne?  La  force  du 
sentiment  ébranlait  le  cœur  où  il  était  conçu  : 
l'agitation  passait  dans  ses  sens,  se  lisait  dans 
ses  yeux,  se  peignait  sur  son  front.  Son  es- 
prit, occupé  des  désastres  qu'on  lui  racontait, 
s'en  traçait  à  lui-même  un  tableau  plus  ani- 
mé que  toutes  les  peintures  qu'on  pouvait  lui 
en  faire,  et  ses  conjectures,  portées  bien  au 
delà  du  récit,  ajoutaient  à  sa  peine  tout  ce 
qu'elles  supposaient  de  plus  dans  une  cala- 
mité étrangère. 

O  vous  qui  eûtes  l'honneur  de  l'accompa- 
gner dans  ces  voyages  divers  que  comman- 
daient des  intérêts  respectables,  qu'exigeait 
la  plus  légitime  tendresse,  combien  de  fois  ne 
l'avez-vous  pas  vue  s'opposer  aux  fêtes  dont 
les  villes  voulaient  honorer  son  passage  !  On 
n'accusait  de  ce  refus  que  sa  modestie.  Mais 
vous  le  savez,  à  celte  vertu,  qui  lui  était  si 
naturelle,  se  joignait  un  sentiment  encore  plus 
digne  de  son  cœur.  Le  travail  et  le  salaire  de 
l'artisan  eussent  élé  suspendus  par  ces  fêtes, 
et  des  honneurs  payés  à  ce  prix  perdaient 
tout  le  leur  à  ses  yeux. 

Quel  exemple.  Messieurs!  et  de  quelle 
vertu  et  par  quel  modèle  il  nous  est  donne  ! 

La  compassion  est  un  sentiment  de  la  na- 
ture, je  le  sais;  l'humanité  en  fait  un  devoir 
commun  à  tous  les  hommes  :  mais  qui  ignore 
qu'elle  est  d'autant  plus  respectable,  quand 
elle  se  trouve  dans  les  princes,  qu'elle  ren- 
contre plus  d'obstacles  pour  parvenir  jusqu'à 
eux  ?  Accoutumes  à  ne  voir  autour  de  leurs 
personnes  que  les  images  de  l'opulence  cl  de 
la  félicite,  à  pi  ine  leurs  regards  se  sont-ils 
quelquefois  essayés  sur  les  malheureux  ;  et 
si,  dans  la  sphère  supérieure  où  ils  sont  pla- 
ces, ils  connaissent  les  besoins  des  conditions 
subalternes,  ce  n'est  que  par  des  rapport! 
toujours  faibles,  souvent  infidèles,  et  qui  ne 
leur  présentent  les  misères  humaines  que 
dans  un  lointain  où  elles  ne  sont  aperçues 


H 15 


ORAISON  FUNEBRE  DE  MADAME  LOUISE-ELISABETH  DE  FRANCE. 


1146 


qu'avec    peine  et   restent   toujours   étran- 
gères. 

Cet  éloignemcnt  ne  fut  point  pour  Madame 
Infante.  Son  cœur  rapprochait  d'elle  ceux 
que  son  rang  en  séparait  davantage.  Atten- 
drie sur  tous  les  objets  qui  méritaient  sa  com- 
passion, tousses  sentiments  se  confondaient 
à  leur  vue,  ou  plutôt  elle  n'avait  plus  qu'un 
sentiment,  celui  de  la  misère.  C'est  par  là  , 
c'est  par  cette  qualité  connue  dans  tant  d'oc- 
casions, et  par  tant  de  traits  intéressants, 
qu'elle  avait  acquis  sur  le  cœur  des  peuples 
des  droits  non  moins  étendus  et  plus  flatteurs 
que  ceux  de  l'autorité.  Le  règne  de  la  souve- 
raineté n'était  dans  elle  que  celui  de  l'hu- 
manité. 

Et  ne  vous  figurez  pas  ici,  Messieurs,  une 
compassion  stérile  qui,  renfermée  dans  les 
sentiments  exprimés  par  les  discours,  se  con- 
tentât de  gémir  sur  le  sort  des  malheureux,  et 
qui,  bornée  à  les  plaindre,  se  crût  par  là 
même  dispensée  de  les  secourir.  Sa  bonté, 
aussi  généreuse  que  compatissante,  ne  s'é- 
tait prescrit,  dans  ses  dons,  d'autres  bornes 
que  celles  des  misères  qui  réclamaient  ses 
secours. 

Secours  étendis  et  abondants  :  ce  n'est  pas 
seulement  parmi  ses  sujets  que  Madame  In- 
fante aimait  à  les  répandre;  des  mains  fidèles, 
chargées  de  ces  saints  dépôts,  les  faisaient 
passer  aux  provinces  les  plus  éloignées.  Je 
pourrais  en  citer  des  témoignages  respecta- 
bles, si  je  ne  craignais  d'offenser  leur  mo- 
destie, en  révélant  des  secrets  que  la  sienne 
leur  avait  confiés.  Mais  on  sait  que  ces  se- 
cours pénétraient  partout  où  la  misère  pou- 
vait entrer.  Elle  regardait  comme  son  peuple 
tous  ceux  que  l'infortune  soumettait  à  la  loi 
de  ses  bienfaits,  et  quiconque  était  malheu- 
reux n'était  plus  étranger  pour  elle. 

Secours  solides  et  permanents  :  ce  n'étaient 
point  de  ces  aumônes  passagères  qui,  don- 
nées de  temps  en  temps  avec  mesure,  dissi- 
mulent pour  quelques  moments  la  misère 
plutôt  qu'elles  ne  la  soulagent.  Celles  de  no- 
tre auguste  princesse,  aussi  multipliées  que 
les  besoins  et  plus  étendues  qu'eux,  étaient 
tout  à  la  fo"is  un  soutien  dans  la  caiamité 
présente  et  une  ressource  contre  la  calamité 
prochaine.  Peu  contente  de  soutenir  dans  le 
temps  où  l'on  était  malheureux,  elle  garan- 
tissait contre  celui  où  l'on  pouvait  l'être  ;  et 
ses  dons,  distribués  avec  une  profusion  éga- 
lement sage  et  attentive,  soulageaient  et  pré- 
venaient le  malheur. 

Ah!  si  j'avais  besoin  de  témoignages,  que 
de  voix  s  élèveraient  de  toutes  parts  en  sa 
faveur!  Vous  entendriez  d'infortunés  vieil- 
lards bénir  la  main  qui  les  a  soutenus  sur  le 
bord  du  tombeau,  où  l'indigence  plutôt  que 
la  vieillesse  allait  les  précipiter;  de  tendres 
orphelins,  voués  presque  en  naissant  à  la 
misère,  et  qui  ont  retrouvé  dans  son  cœur 
tout  ce  qu'ils  avaient  perdu  par  la  mort  de 
leurs  pères;  de  nombreuses  familles  tombées 
tout  à  coup  sous  le  poids  d'un  désastre  im- 
prévu, et  par  ses  secours  rétablies  avec  avan- 
tage dans  leur  premier  état.;  la  voix  de  plus 
d'un  pasteur,  entendue  parmi  tant  d'autres, 


vous  apprendrait  de  quelles  mains  passaient 
dans  les  leurs,  pour  être  distribuées  aux 
pauvres  des  paroisses  confiées  à  leurs  soins, 
fies  sommes  considérables,  fixées  par  chaque 
mois,  continuées  dans  tous  les  temps,  aug- 
mentées dans  certaines  occasions,  variées 
sur  la  différence  des  besoins  et  consacrées 
par  les  plus  nobles  motifs  de  la  religion. 

Que  ne  puis-je  faire  sortir  des  saintes  té- 
nèbres où  elle  aimait  à  les  ensevelir,  ces  se- 
cours abondants  dont  la  source  était  ignorée 
de  ceux  mêmes,  oui,  Messieurs,  de  ceux  mê- 
mes surtout  à  qui  sa  bonté  généreuse  les 
avait  destinés!  Combien  de  fois  la  valeur  in- 
digente s'est-elle  vue  remise  par  ses  bienfaits 
en  état  de  rentrer  dans  la  glorieuse  carrière 
dont  elle  n'était  sortie  que  par  une  disette 
plus  cruelle  que  les  ennemis  qu'elle  a  bravés  I 
Les  objets  chéris  de  ses  soins  étaient  ces  il- 
lustres victimes  de  la  guerre,  ces  hommes 
courageux  et  malheureux  tout  ensemble, 
qui,  après  avoir  soutenu  tous  les  risques  des 
combats,  sont  prêts  à  succomber  sous  celui 
de  l'indigence. 

Avec  quel  zèle  alors  et  quel  empresse- 
ment de  bonté  n'employait-elle  pas  son  cré- 
dit en  leur  faveur!  Peu  satisfaite  de  solliciter 
pour  eux  des  grâces,  elle  leur  faisait  passer 
des  secours,  non  pas  après  ces  délais  ou  avec 
ces  réserves  d'une  libéralité  avare  qui  enlève 
à  la  valeur  du  bienfait  tout  ce  qu'elle  retran- 
che à  son  étendue,  ou  qui  affaiblit  la  satis- 
faction que  l'on  sent  à  être  secouru,  par  la 
peine  d'attendre  le  secours;  non  pas  avec  ce 
bruit  et  cette  ostentation  d'une  libéralité 
fastueuse  qui ,  donnant  en  spectacle  et  le 
service  qu'elle  rend  et  l'indigence  qu'elle 
soulage,  perd  dès  lors  sur  la  reconnaissance 
tout  ce  qu'elle  accorde  à  la  vanité.  Bien 
éloignée  de  ces  deux  écueils  d'une  libéralité 
noble  et  chrétienne  ,  Madame  Infante  ne 
laissait  pas  la  peine  de  demander  :  elle  eût 
voulu  épargner  celle  de  désirer;  et  sa  mo- 
destie, aussi  attentive  à  cacher  le  bienfait 
que  sa  charité  l'était  à  le  répandre,  savait 
également  ménager  l'intérêt  et  la  délicatesse 
de  ceux  qui  avaient  besoin  de  ses  secours. 
Elle  les  donnait  avec  ce  secret,  ces  réserves, 
j'ai  pensé  dire  avec  ce  respect  de  précautions 
et  d'égards  qui,  laissant  le  plaisir  de  trouver, 
épargnent  la  confusion  de  recevoir. 

Tel  est  l'usage  qu'elle  faisait,  pour  le  se- 
cours des  malheureux  ,  de  ces  biens  dont 
l'abus  fait  si  souvent  le  crime  et  quelquefois 
le  malheur  «les  riches.  C'est  par  ses  mains 
que  la  religion,  sans  cesse  enrichie,  versait 
au  sein  de  l'indigence  tout  ce  qu'une  sainte 
économie  pouvait  ménager  pour  de  saintes 
profusions. 

Richesses  frivoles  et  périssables,  l'intérêt 
vous  recherche,  la  vanité  vous  prodigue,  le 
luxe  vous  dissipe;  et,  coupables  dans  les 
moyens  qui  VOUS  procurent,  vous  ne  l'êtes 
pas  moins  dans  les  motifs  qui  vous  sacrifient. 
Il  était  réservé  à  un  cœur  ouvert  à  l'huma- 
nité et  animé  par  la  religion  d'ennoblir  votre 
destination  et  de  consacrer  votre  usage.  Quoi 
de  plus  noble  que  celle,  libéralité  saiutemcut 
prodiguée,  à  qui  nul  genre  de  secours  no 


1147 


ORATEURS  SACRES.  PONCET  DE  L\  RIVIERE.  iliK 


parut  difficile  et  dont  nul  moment  ne  suspen- 
dit les  effets  ! 

Je  le  sais,  Messieurs,  quoi  qu'on  dise  con- 
;i  duveté  du  siècle,  il  csl  des  hommes 
sensibles  el  généreux;  et  la  religion  trouve 
•  more  do  ces  âmes  bienfaisantes  qui,  dans 
le  sein  J  une  prospérité  où  l'homme  superbe 
n'est  meupé  que  de  soi-même  et  de  ses  plai- 
.;irs,  humbles  disciples  <Ie  Jesus-Uirist,  si; 
livrent  aux  soins  glorieux  que  demandent 
ses  images  souffrantes,  et  remanient  comme 
i  ne  partie  de  leur  bonheur  celui  de  pouvoir, 
au  moins  de  lempri  eu  temps,  secourir  les 
malheureux.  Mais  quel  spectacle  pour  la 
religion,  qu'une  princesse  qui,  à  la  (leur  de 
l'âge,  au  printemps  de  ses  jours,  dans  celte 
saison  de  la  vie  où  rien  n'est  désiré  que  c  • 
«lui  Halle,  dans  cette  sublimité  de  rang  où 
tout  ce  qui  flatte  prévient  les  désirs,  oubliant 
sans  peine  ce  que  le  service  prescrit  pour  sa 
personne,  se  consacre  tout  entière  à  ce  que 
l'indigence  peut  attendre  de  sa  bonté  ! 

Entrons  pour  un  moment  dans  ce  palais 
auguste  dont  elle  fit  l'asile  des  pauvres  et  le 
séjour  des  vertus.  Vous  n'y  trouverez  point 
cette  mollesse  de  faste,  cette  indolence  d'or- 
gueil, cette  délicatesse  de  vanité  qui  sont 
toujours  les  ennemies  et  qui  ne  sont  que  trop 
souvent  les  compagnes  de  la  grandeur;  m.iis 
vous  verrez  la  simplicité  des  mœurs  et  la 
diguité  du  rang,  la  douceur  du  commerce  et 
la  décence  delà  représentation,  le  couc.urs 
et  l'accord  des  qualités  que  la  souveraineté 
demande  et  que  la  religion  sanctifie.  C'est 
avec  ce  cortège  et  dans  ce  cercle  de  vertus 
que  notre  auguste  princesse  donnait  à  sa 
cour  l'exemple  d'un  travail  saint  et  précieux. 

Pauvres  de  Jésus-Christ ,  quelle  gloire 
pour  vous  que  la  souveraineté ,  née  pour 
vous  donucr  des  lois,  ne  s'occupe  qu'à  vous 
donner  des  secours!  Malheureux  ,  mais  par 
là  même  objets  de  sa  tendresse,  cessez  de 
vous  plaindre  des  rigueurs  d'un  état  qui  est 
honoré  par  des  services  si  dignes  de  votre 
estime.  La  fille  du  plus  grand  des  rois,  ré- 
ponse-de  votre  souverain,  une  princesse  sou- 
met, pour  vous  vêtir,  ses  mains  royales  à  un 
travail  obscur  et  pénible.  Quel  spectacle, 
Messieurs,  plus  intéressant  par  sa  nou- 
veauté ,  plus  saint  dans  son  objet,  plus  épu:  é 
dans  ses  motifs ,  plus  capable  de  fixer  les 
regards  du  ciel  et  l'admiration  de  la  terre! 

Quel  gage  de  sécurité  pour  le  dernier  jour 
de  sa  vie  ,  qu'une  suite  de  jours  ,  qu'une  vie 
entière  passée  dans  la  pratique  et  terminée 
au  milieu  des  exercices  de  la  charité  chré- 
tienne 1  Brillante  chimère  du  siècle,  vous 
vous  éclipsez  pour  toujours  dans  !es  ;  re- 
mières  ombres  de  la  mort.  La  s<  ule  verte 
conserve  son  éclat,  et  son  triomphe  com- 
mence où  les  vôtres  finissent  :  Ri  débit  in  die 
nuvissimo. 

Titres  pompeux,  fastueuse  opulence,  veine 
grandeur,  espérances  humaines  .  vous 
paraissez  alors  comme  un  songe,  el  l'affreux 
réveil  qui  lui  succède  punit  à  jamais  la  té- 
mérité île  vos  projets  ,  l'illusion  de  vos  de- 
sirs,  l'injustice  de  vos  démarches,  l'abus  de 
vos    avantages  ;    vous    disparaissez    avec 


l'hoOMM  fragile,  dont  vous  étiez  l'idole  et 
qui  devient  vo're  victime  :  la  religion  seule. 
reste  ,  et  ,  immortelle  comme  Di  u  .  dont  elle 
est  l'ouvrage  ,  elle  porte  ;iu  sein  de  la  Divi- 
nité le  cii-iir  le  plus  capable  de  la  représen- 
ter sur  la  terre. 

On  dirait  qu'un  pressentiment  secret  avait 
prévenu  dans  Madame  Infante  les  pren 
atteintes  ne  sa  maladie.  Dès  ce  moment ,  et 
bien  avant,  dans  celui  où  e'ie  en  fut  frappée, 
on  la  vil  se  préparer  à  son  dernier  jour  par 
une  attention  nouvelle  a  sanctifier  lou-  les 
antres.  Chaque  jour  la  voyait  plusieui 
offrir  les  vœux  de  son  cœur  au  pied  des  MV> 
t"ls,  qu'elle  avait  si  souvent  ornes  du  travail 
deses  mains;  prosternée  devant  la  croix 
d'un  Dieu  immolé,  elle  lui  offrait  à  son  tour 
le  sacrifice  de  sa  vie,  el  lui  présentait, 
comme  le  tribut  de  sa  résignation,  celui 
qu'elle  ail  lit  payera  la  nature. 

Hélas!  ils  vont  donc  être  satisfaits  ces  dé- 
sirs qu'elle  av  ;it  témoignés  si  souvent,  d'ê- 
tre réunie  dans  le  même  tombeau  à  cette 
sœur  auguste,  à  cette  princesse  si  respecta- 
ble    Qu'ai-ie    dit?    Ah!    Messieurs,    me 

pardonnerez-vous  de  mêler  de  nouveaux 
regrets  à  ceux  dont  nous  sommes  pénétres  , 
el  d'ajouter  à  la  douleur  d'une  blessure 
présente  le  sentiment  d'une  plaie  qui  saigne 
encore  I 

O  mon  Dieu!  vous  immolez  à  vos  droit-  de 
grandes  victimes,  mais  vous  tempérez  la 
vivacité  de  nos  douleurs  par  la  grandeur  de 
nos  espérances.  Vous  êtes  le  Dieu  conso  a- 
teur,  comme  vous  êtes  le  Dieu  juste.  Notre 
souverain  pouvoir  s'est  exercé  sur  l'augus  e 
princesse  que  nous  pleurons:  mais,  dans 
celles  qui  nous  restent,  notre  reconnaissance 
voit  les  gages  précieux  de  votre  supi 
bonté.  Puissent-elles  ajoutera  leurs  nnnéss 
celles  que  vous  retranchez  d'une  vie  dont 
vous  n'avez  avance  le  terme  que  pour  m 
couronner  les  vertus  ! 

C'est  de  là,  c'est  du  ciel,  où  sa  charité  11  il 
être  couronnée,  que  lui  venait  celte  assu- 
rance et  cette,  tranquillité  de  cœur  don:  les 
nôtres  sont  encore  étonnés.  La  religi  n 
rapproche  de  ses  yeux  l'instant  marqué  pour 
son  sacrifice.  Dès  les  premiers  jours  de  sa 
maladie,  on  la  vit  demander  les  sacrements 
de  l'Eglise  avec  une  confiance  que  la  seule 
innocence  peut  inspirer;  s'y  p;e;  mer  avec 
une  ferveur  que  la  seule  vertu  peut  allumer, 
les  recevoir  avec  une  piété  dont  il  n'appar- 
tient qu'à  la  religion  d'être  le  principe  el  de 
donner  l'exemple. 

Digne  pontife  du  Dieu  vivant,  conduit  par 
votre  zèle,  vous  l'avez  vue.  dans  ce  moment 
où  l'homme,  prêt  à  se  perdre  dans  les  pro- 
fondeurs de  l'éternité,  n'en  esl  sépare  que 
par  un  soupir;  votre  cœur  vertueux  requit 
les  derniers  si  ntimeitts  du  sien;  sollicite  par 
la  religion,  vous  étendîtes,  pour  la  bénir, 
ces  mains  pures  qui  offrent  pour  elle  aujour- 
d'hui le  sang  el  les  nsérites  de  Josnn  Cwrint. 
Vous  veniez  pour  la  fortifier  dans  ce  dernier 
combat,  et  c'est  son  courage  qui  soutenait 
le  vote.  Puisse  le  mérite  infini  du  sacrifice 
que  vous  avez  onmmonoé  remplacer  à  celte 


U49 


ORAISON  FUNEBRE  D 


âme  purifiée  tous  ceux  qui  ont  pu  lui  man- 
quer aux  yeux  du  Seigneur! 

O  mon  Dieu!  nous  n'accusons  pas  votre 
justice,  nous  réclamons  votre  miséricorde. 
Prosternés  au  pied  de  vos  autels,  nous  ado- 
rons la  main  qui  frappe,  nous  implorons 
celle  qui  soutient. 

Daignez  l'étendre,  Feigneur,  cette  main 
bienfaisante,  sur  le  plus  grand  et  le  meilleur 
des  rois  ;  sur  une  reine  vertueuse,  dont  les 
exemples,  encore  plus  que  les  leçons,  avaient 
formé  la  précieuse  victime  que  nous  regret- 
tons; sur  l'épouse  et  l'époux  les  plus  au- 
gustes, dont  les  cœurs,  unis  à  la  religion 
par  les  liens  qui  les  unissent  entre  eux,  la 
font  honorer  par  leur  conduite  et  la  repré- 
sentent dans  leurs  mœurs;  sur  des  prin- 
cesses dignes  du  trône  qu'elles  environnent, 
sur  l'auguste  époux,  sur  les  héritiers  de  celle, 
que  nous  pleurons  ;  sur  cette  princesse,  digne 
du  sang  dont  elle  sort,  et  de  celui  auquel  sa 
destinée  doit  être  unie;  digne,  hélas!  de 
celte  mère  si  tendre,  dont  les  qualités  for- 
mées dans  son  cœur,  dont  les  traits  expri- 
més dans  sa  personne,  nous  représenteront 
sans  cesse  son  image,  et  dans  elle,  celle  des 
vertus  que  nous  regrettons. 

Pour  vous,  Messieurs,  que  le  zèle  autant 
que  le  devoir,  vous  que  la  piété  bien  plus 
que  la  curiosité,  ont  conduits  à  cette  triste 
cérémonie,  apprenez  du  spectacle  dont  vous 
êtes  témoins  la  fragilité  de  ces  grandeurs 
dont  les  hommes  sont  idolâtres.  Souvenez- 
vous,  d'après  l'exemple  qui  vous  en  a  été 
donné,  que  les  leçons  de  la  sagesse  doivent 
être  !a  loi  du  chrétien:  Aperuit  os  suumSa- 
pientiœ  ;  qu'il  n'est  pour  lui  de  vrais  trésors 
que  ceux  qu'il  a  places  dans  le  sein  des  pau- 
vres: Et  lex  clemenliœ  in  lingua  ejus  :  que 
notre  assurance,  au  dernier  jour  de  notre 
vie,  ne  peut  être  garantie  que  par  notre 
fidélité  a  sanctifier  tous  les  autres  :  Ridebit 
in  die  novissimo.  La  sagesse  pour  nous- 
mêmes,  la  charité  pour  les  autres,  ce  sont 
les  deux  guides  qui  doivent  nous  conduire 
à  l'éternité  bienheureuse.  Ainsi  soit-il. 

ORAISON  FUNÈBRE 

d'Elisabeth  faknèse,  reine    d'espagne   et 

des  inoes. 

Corilidii  in  fa  cor  viri  sui....  Vir  ejus,  et  laudavit  cam.... 
Sunvxonint  lilii  ejus,  et  beatissimaro  prasdicavernnt. 

Son  époux  a  mis  dans  ell  s  sa  confiance //  la  comblée 

de  louanges Ses  enfants  se  sont  élevés,  et  ils  lont  appelée 

irès-heureme  (Prov.,  XXXI,  11,  28). 

Monseigneur  (1), 

Tels  sont  les  derniers  traits  que  le  Saint- 
Esprit  meta  l'éloge  de  cette  femme  forte  dont 
il  a  consacré  la  mémoire:  elle  fut  l'héroïne ' 
et  le  modèle  de  son  sexe;  nul  mérite  n'a  é!é 
comparable  au  sien,  et  toutes  les  richesses 
rassemblées  des  extrémités  de  la  terre  n'en 
seraient  pas  le  prix  et  la  valeur:  Procul  et 
de  ultimis  finibus  pretium  ejus.  Elle  vit  les 
obstacles  formés  contre  ses  entreprise*;  et, 
seule,  sans  autre  secours  que  celui  de  la 
force  dont  elle  était  revêtue,  elle  les  surmon- 
ta: Furlitudo  indumcnlum  ejus.  Ses  vues  se 
poitèrcnt  sur  tous  les  objets  qui  devaient 

(1)  Le  daupliiu. 


ELISABETH  FARNESE.  U50 

être  ceux  de  son  attention  ;  elle  considéra 
surtout  les  routes  qui  étaient  propres  à  con- 
duire la  destinée  de  sa  maison  :  Consideravit 
semitas  domxs  suce.  Elle  Gt  le  bonheur  de  ses 
enfants  ;  ses  enfants  firent  son  bonheur  ;  tous, 
élevés  avec  des  soins  dignes  de  sa  tendresse, 
la  rendirent  cl  la  nommèrent  la  plus  heu- 
reuse des  mères:  Surrexeruitt  fiiii  ejus,  et 
beatissimwn  prœdicaverunt.  Son  époux  eut 
dans  elle  une  entière  confiance,  et  il  ne  fut 
point  trompé  dans  les  espérances  qu'il  avait 
conçues  de  sa  sagesse  ;  Confiditin  ea  cor  viri 

sui reddet  ei  bonum.  Satisfait  de  ses  soins 

dans  toutes  les  parties  de  son  administration, 
il  lui  rendit  les  plus  glorieux  témoignages, 
et  l'honora  de  ses  louantes:  Vir  ejus,  et  lau- 
durit  eam.  Mais  sa  véritable  gloire  fut  sa  vie, 
et  ses  œuvres  publiées  font  son  éloge:  Et 
laudent  eam  in  portis  opéra  ejus. 

A  ces  traits,  Messieurs,  qui  d'entre  nous 
ne  se  rappelle  la  vie  et  le  règne  de  cette 
princesse  auguste,  de  cette  grande  reine,  qui 
a  fait  pendant  tant  d'années  l'admiration  de 
l'Espagne,  et  qui  en  cause  aujourd'hui  les 
regrets;  épouse  fidèle,  mère  tendre,  femme 
véritablement  forte,  dont  la  sagesse  guida  les 
conseils,  qui  régna  sur  le  cœur  du  roi  son 
époux,  des  souverains  ses  enfants,  des  peu- 
ples ses  sujets,  et  qui,  louée  par  tant  de  voix, 
l'est  moins  encore  parce  qu'on  dit  que  par 
ce  qu'elle  a  fait? 

Chrétiens,  que  le  devoir,  le  cœur,  ou  une 
curiosité  mêlée  de  religion  rassemblent  au- 
tour de  ce  monument  funèbre,  fixez-y  vos 
regards,  et  qu'il  vous  rappelle  au  moins  la 
fragilité  de  la  grandeur.  Cette  reine  n'est 
plus:  enlevée  à  la  terre  où  elle  a  régné,  elle 
est  jugée  par  le  Dieu  qui  régnera  toujours. 
Nous  honorons  sa  mémoire,  il  a  examiné  sa 
vie;  et  au  trône  de  l'Immortel  a  déjà  été 
discuté  l'usage  qu'elle  a  fait  sur  le  sien  du 
pouvoir  qu'il  lui  avait  prêté.  Séparés  d'elle 
pendant  un  temps,  par  l'immense  intervalle 
qui  est  entre  le  monarque  et  les  sujets,  il 
n'est  aujourd'hui  de  distance  entre  elle  et 
nous  que  le  tombeau  où  elle  est  entrée,  où 
chacun  de  nos  pas  nous  conduit,  où  les  jours 
qui  nous  restent  iront  se  perdre  avec  les 
siens  dans  la  nuit  de  l'éternité. 

Que  l'effrayante  majesté  de  ce  funèbre  ap- 
pareil, que  ces  lumières  lugubres  mêlées  aux 
ombres  de  la  mort,  que  ces  chants  plaintifs 
et  les  prières  que  nous  adressons  au  ciel 
pour  une  reine  qui  a  disparu  de  la  terre, 
vous  apprennent  à  réparer,  par  un  saint 
usage  du  temps  que  Dieu  vous  laisse  encore, 
l'abus  de  celui  qu'il  vous  avait  donné,  et  à 
intéresser  en  votre  faveur  la  miséricorde  que 
nous  implorons  pour  elle. 

Vous  verrez,  Messieurs,  dans  le  récit 
d'une  vie,  des  traits  propres  à  en  illustrer 
plusieurs  :  une  princesse  appelée  au  trône, 
descendue  du  trône,  y  remontant  de  nou- 
veau ,  en  descendant  encore,  heureuse 
dans  sa  retraite,  forcée  une  seconde  fois 
de  la  quitter,  et  toujours  sans  autre  motif 
que  sa  complaisance  pour  son  époux,  que 
sa  tendresse  pour   ses   enfants ,    que    son 


mt 


ORATEURS  SACRES.  PONCET  DE  EA  RIVIERE. 


Il'.i 


zèle  pour  le  bien  de  ses  sujets;  au-dessus 
des  événements  par  la  grandeur  de  son  gé- 
nie soumise  dans  les  événements  par  l'hé- 
roïsme de  sa  piété,  plus  respectable  dans  le 
repos  de  la  religion  et  au  milieu  des  vertus, 
qu'à  la  tête  des  conseils  et  dans  la  pénible 
gloire  de  l'empire;  trois  fois  reine,  plus  que 
reine  sans  diadème  et  sans  sujets;  enfin,  et 
c'est  le  partage  de  son  él:>ge,  épouse  d'un 
souverain  ,  et  capable  de  le  seconder;  mère 
des  souverains,  et  digne  de  les  former  :  tel 
est,  Messieurs,  le  caractère  que  j'ai  à  vous 
peindre  dans  celui  de  TBB8-B  \i  te,  très-iu ;is- 
SANTE  ET  THES-EXCELLENTE  PRINCESSE,  ELI- 
SABETH Farnèse,  reine  d'Espagne  it  des 
Indes. 


PREMIÈRE  PARTIE. 


confié 
famille 
propre 


L'auguste  reine  dont  l'éloge  m'est 
sortait ,  comme  on  le  sait  ,  d'une 
également  recommandable  par  sa 
gloire  et  par  celle  de  ses  al  lia  nées.  Ses  premiers 
chefs  furent  ceu\  de  plus  d'un  peuple;  leur 
sang,  mêlé  à  celui  des  héros  et  des  rois,  a 
donné  des  maîtres  ou  des  conquérants  au 
monde  :  l'histoire  d'une  maison  est  celle  de 
plusieurs  souverainetés,  tient  à  celle  de  plu- 
sieurs royaumes,  et  présente  la  destinée  de 
plus  d'un  empire. 

Un  nom  illustre  dès  son  oripine,  honoré 
dans  presque  tous  ceux  qui  l'ont  porlé,  placé 
sur  le  trône  des  pontifes  du  monde  chrétien, 
révéré  sous  la  pourpre  des  princes  de  l'E- 
glise, chargé  de  la  gloire  d'un  grand  nombre 
de   siècles;   trois   principautés    souveraines 

Iiour  apanage,  des  prétentions  connues  sur 
e  grand-duché  de  Toscane;  tous  les  droits 
des  Farnèse  et  des  Médicis  réunis  dans  sa 
personne  (1)  :  voilà,  Messieurs,  ce  qu'Elisa- 
beth portait  au  trône  d'Espagne. 

Ces  considérations  politiques  étaient  sans 
doute  d'un  assez  grand  poids  pour  faire  tom- 
ber sur  sa  tête  une  couronne  que  l'intérêt 
de  la  nation  et  la  sagesse  du  monarque  ba- 
lançaient sur  toutes  les  cours  et  entre  plu- 
sieurs princesses  de  l'Europe;  mais  j'ose  dire 
que  tant  d'avantages  n'étaient  que  la  moin- 
dre partie  de  ceux  que  Philippe  V  devait 
retirer  de  cette  alliance.  Ee  ciel  avait  mis 
dans  l'âme  d'Elisabeth  plus  de  richesses  que 
ses  souverainetés  et  ses  droits  ne  pouvaient 
en  ajouter  à  son  empire;  et  il  n'était  pas 
moins  nécessaire  qu'elle  les  eût,  qu'il  lui  fut 
glorieux  de  les  avoir. 

Le  roi  d'Espagne  pleurait  une  épouse  qui 
loi  était  chère,  qui  méritait  de  l'être;  et  com- 
bien de  qualités  dgnes  de  ses  regrets  n'a- 
vaient point  été  ensevelies  avec  elle  dans  le 
tombeau!  La  santé  de  ce  monarque,  altérée 
par  les  agitations  de  son  règne,  demandait 
que  s'il  contractait  une  seconde  alliance,  il 
ne  partageât  son  trône  qu'avec  une  princesse 
capable  elle-même  de  partager  les  travaux 
de  la  royauté,  assez  éclairée  pour  mériter  la 
confiance,  assez  ferme  pour  soutenir  avec 
lui  le  poids  des  affaires,  et  si  l'esprit  de  re- 
ligion dont  il  était  animé  l'engageait  un  jour 

(l)Scs  droits  sur  les  duchés  de  Parme  et  de  Plaisance, 

du  i  bel  d'Odourd  II.  sou  père  ;  sur  la  Toscane ,  du  clicf  de 


à  abdiquer  le  suprême  pouvoir,  assez  p « •  1 1 «'• — 
rcuse  pour  lui  faire  le  sacrifice  du  trône 
même  sur  lequel  il  la  plaçait. 

La  cour  de  Parme  relevait  à  celle  d'Espa- 
gne, et  c'est  dans  Elisabeth  Farnèse  que  le 
ciel  préparait  à  Philippe  celte  âme  vérita- 
blement grande,  digne  d'être  unie  à  un  roi 
tel  que  lui,  etrapable  de  le  seconderdan-  Ml 
vues  pacifiques  par  le  caractère  de  son  es- 
prit,  dans  ses  vues  politiques  par  la  supé- 
riorité de  son  génie,  dans  ses  vues  chrétien- 
nes par  l'héroïsme  de  sa  tendresse  et  de  ses 
vertus. 

Caractère  d'un  esprit  digne  de  sa  destinée, 
aussi  étendu  qu'elle,  d'autant  plus  certain 
de  la  remplir  qu'il  élail  plus  propre  à  en  sai- 
sir tous  les  moyens  et  à  les  faire  naître; 
facile  et  profond,  solide  et  réfléchi,  fin  et  pé- 
nétrant, souple  quoique  ferme,  modéré  quoi- 
que vif,  complaisant  quoique  ambitieux  ;  né 
pour  commander,  exercé  à  se  plier,  d'autant 
plus  capable  de  seconder  Philippe  dans  ses 
vues  pacifiques,  qu'elle  était  plus  en  état  de 
lui  concilier  les  esprits  par  la  douceur  ou  de 
les  maîtriser  par  l'ascendant,  et  de  les  sou- 
mettre à  ses  idées  ou  de  les  gouverner  par 
les  leurs. 

Esprit  facile  et  profond,  vous  dirai-je  que, 
dès  son  premier  âge,  cet  esprit  avide  de  sa- 
voir se  porta  de  lui-même  à  la  recherche  de 
toutes  les  connaissances  qui  pouvaient  ajou- 
ter des  richesses  à  celles  que  le  ciel  lui  avait 
données:  qu'il  n'est  presque  aucun  genre  de 
sciences  dont  il  ne  fût  également  curieux  et 
capable;  qu'il  s'élevait  à  la  sublimité  des 
unes,  qu'il  entrait  dans  la  profondeur  des 
autres,  calculait  le  ciel,  mesurait  la  terre, 
raisonnait  avec  le  philosophe,  s'instruisait 
avec  l'homme  de  lettres;  et  que  ce  qui,  après 
des  années  de  recherches  et  de  méditations, 
fait  le  mérite  des  savants,  n'était  pour  une 
jeune  princesse  oue  l'amusement  de  son  en- 
fance. Et  ne  pensez  pas,  Messieurs,  que  les 
sciences,  tout  abstraites  qu'elles  sont,  alté- 
rassent dans  elle  l'agrément  du  caractère; 
personne  peut-être  ne  posséda  plus  les  droiis 
du  savoir  et  n'en  connut  moins  les  préten- 
tions :  on  eût  dit  qu'elle  n'avait  appris  qu  à 
ignorer. 

Esprit  solide  et  réfléchi  :  les  coutumes  que 
suivent  les  peuples,  comme  les  régions  qu'ils 
habitent  ;  le  caractère  des  nations  et  les  in- 
térêts des  cours;  les  forces  des  Etats  puis- 
sants cl  les  ressources  de  ceux  qui  sont  fai- 
bles ;  tous  les  objets  les  plus  rapportés  â  la 
gloire  de  sa  destination ,  étaient  ceux  de  ses 
recherches  :  elle  les  étudiait  dans  eux-mê- 
mes, elle  les  consultait  avec  des  génies  éclai- 
rés ;  les  ambassadeurs  étaient  surpris  de 
l'entendre  parler  de  leurs  langues  différentes, 
et  leur  dévoiler  quelquefois  des  secrets  de 
leur  cour,  qu'ils  ignoraient  eux-mêmes  :  c'est 
ainsi  que  dès  l'enfance  Elisabeth  préludait  à 
la  royauté.  Et  quel  éclat,  Messieurs,  ne  de- 
vait pas  répandre  une  vie  dont  l'aurore  était 
éclairée  du  jour  de  tant  de  connaissances! 

La  renommée  l'annonçait  partout,  et  dans 

M  ri  id  Médicis,  sa  bisaïeule,  dont  eUe  était seuls 
imrue  Iule  héritière. 


1155  ORAISON  FUNEBRE  D' 

un  âge  où  à  peine  on  se  connaît  soi-même, 
elle  était  déjà  connue  dans  toutes  les  cours. 
Arrivée  à  celle  d'Espagne,  quel  besoin  n'eut- 
elle  pas  de  tous  les  genres  d'esprit  que  le  ciel 
lui  avait  donnés!  Le  moment  de  la  gloire 
était  pour  elle  celui  de  l'épreuve;  l'impres- 
sion qu'elle  ferait  sur  les  autres  préparait  le 
jugement  qu'on  porterait  sur  elle-même,  et 
quelques  jours  pouvaient  décider  de  son 
règne. 

Epreuve  de  la  part  des  esprits  au  milieu 
desquels  elle  allait  vivre,  et  qui  demandait 
toute  la  finesse  du  sien.  Représentez-vous, 
Messieurs,  une  jeune  princesse,  seule  de  sa 
famille,  sans  conseil ,  placée  à  la  tête  d'une 
cour  qui  va  être  la  sienne,  mais  où  elle  était 
encore  étrangère etqui  ne  lui  est  pas  connue; 
observée  avec  les  égards  que  son  rang  exige, 
mais  avec  une  curiosité  inquiète  que  sa  ré- 
putation a  fait  naître;  environnée  d'aulant 
de  pièges  flatteurs  préparés  à  son  caractère, 
que  d'hommages  rendus  à  sa  dignité;  forcée 
d'être  toujours  attentive  sur  soi-même  et  sur 
les  autres,  pour  saisir  leur  faible  et  n'en 
point  laisser  entrevoir;  pénétrant  tous  les 
cœurs  sans  paraître  les  étudier;  ne  décou- 
vrant du  sien  que  ce  qui  pouvait  attirer  la 
confiance  sans  affaiblir  le  respect  ;  se  prêtant 
aux  fêtes  qu'on  lui  donnait  avec  une  facilité 
noble  et  une  réserve  majestueuse,  en  reine 
qui  n'exige  pas  qu'on  s'occupe  de  ses  droits, 
qui  ne  paraît  pas  y  penser  elle-même,  mais 
qui  ne  permet  pas  qu'on  les  oublie....  Une 
conduite  pareille  serait  admirée  dans  une 
princesse  à  qui  un  long  règne  eût  appris  à 
connaître  la  cour;  Elisabeth  commençait  le 
sien,  et  c'est  ainsi  qu'à  vingt-deux  ans  elle 
essayait  la  royauté. 

Epreuve  dans  la  situation  où  elle  trouva 
cette  cour,  el  qui  exigeait  toute  la  souplesse 
de  son  caractère.  Philippe  pleurait  encore 
une  épouse  éclairée,  vertueuse  et  chérie  :  il 
fallait  non-seulement  lui  succéder,  mais  la 
remplacer,  régner  sur  son  trône  et  sur  le 
cœur  du  monarque,  adoucir  le  souvenir  de 
cette  princesse,  sans  chercher  à  la  faire  ou- 
blier; en  présenter  tout  le  mérite,  el  en  ré- 
parer la  perte;  c'était  une  reine  adorée  de 
sa  nation,  dont  le  nom  ne  se  prononçait  qu'a- 
vec le  respect  qu'on  a  pour  celui  de  la  vertu, 
et  avec  le  chagrin  qui  suit  les  grandes  cala- 
mités. Les  larmes  coulaient  autour  d'Elisa- 
beth :  le  bruit  des  fêtes  que  l'on  préparait  en 
son  honneur  était  interrompu  par  les  soupirs 
que  des  cœurs  attendris  donnaient  au  souve- 
nir de  leur  princesse  :  un  peuple  entier  quit- 
tait le  trône  de  la  nouvelle  reine  pour  aller 
pleurer  sur  le  tombeau  de  la  première;  il 
fallait  non-seulement  être  témoin  tranquille 
de  ce  spectacle,  mais  en  paraître  satisfait, 
mais  n'envisager  dans  ce  deuil  et  dans  ces 
larmes  que  le  prix  d'être  aimée,  elnc  laisser 
apercevoir  que  le  désir  de  l'être  à  son  tour. 

Epreuve  dans  le  caractère  même  de  son 
époux,  el  qui  voulait  de  sa  part  toute  la  com- 
plaisance du  sien.  Il  ne  lui  lut  pas  difficile  de 
s'ouvrir  le  cœur  de  ecl  auguste  époux  :  elle  y 
entra;  c'était  le  sanctuaire  du  sentiment  et 
des  vertus, 


ELISABETH  FARNESE. 


us* 


Il  fallait  pourtant  attaquer  ce  cœur  en  lo 
ménageant  :  Philippe  était  facile  de  son  ca- 
ractère, ouvert  par  grandeur  d'âme,  mais 
avec  réserve,  et  en  garde  contre  la  surprise; 
attaché  à  ses  idées,  parce  que  ses  sentiments 
étaient  droits;  voulant  être  dirigé,  craignant 
d'être  conduit  ;  prêtant  son  autorité,  mais  à 
titre  de  grâce;  examinant  l'usage  qu'on  en 
faisait,  et  prêt  à  la  retirer  avant  même  qu'il 
en  soupçonnât  l'abus;  bienfaisant  par  incli- 
nation, le  père  de  ses  peuples,  ne  voulant  pas 
qu'on  troublât  leur  repos;  avare  du  sang  de 
ses  sujets,  jusqu'à  épargner  celui  des  traîtres, 
ne  se  rappelant  qu'avec  peine  qu'il  avait  eu 
à  vaincre,  et  n'aspirant  qu'à  la  douceur  de 
régner. 

Celte  connaissance  du  cœur  de  ce  prince 
devint  pour  Elisabeth  l'unique  loi  du  sien  : 
dès  lors  cet  esprit,  né  pour  dominer  sur  les 
autres,  ne  s'occupa  que  du  soin  de  les  ga- 
gner; nulle  espèce  d'intérêt  ne  lui  fut  indiffé- 
rent ou  étranger;  une  cour  soumise  à  ses 
ordres,  un  roi  complaisant  à  toutes  ses  volon- 
tés, le  corps  entier  de  la  noblesse  sous  ses 
lois,  les  peuples  de  trois  grands  Etats  à  ses 
pieds,  tout  ce  que  les  plus  brillantes  fêtes  ont 
de  magnificence  et  d'éclat,  ce  que  les  agré- 
ments offrent  de  plus  flatteur,  le  charme  des 
honneurs  et  de  l'indépendance  présenté  dans 
l'atirait  qui  était  le  plus  séduisant  à  un  âge 
qui  est  le  plus  facile  à  séduire  :  rien  de  ce 
qui  perd  les  cœurs  les  plus  accoutumés  à 
l'usage  du  pouvoir  ne  sembla  faire  impression 
sur  un  jeune  cœur  qui  ne  faisait  qu'essayer 
l'empire.  Au  milieu  de  tant  de  plaisirs  que 
chaque  jour  voit  éclore  et  renouveler  pour 
elle,  elle  ne  s'occupe  que  des  occasions  d'en 
faire  à  tous  ceux  qui  l'environnent;  de  là 
cette  attention  continuelle  à  distinguer  les 
uns,  à  recommander  les  autres,  à  s'attacher 
les  grands  par  des  égards  d'honneur  qui  flat- 
tent leur  ambition,  à  s'attirer  les  faibles  par 
une  facilité  d'accès  qui  honore  leur  médio- 
crité, à  régner  sur  les  idées  par  l'estime,  sur 
les  sentiments  par  la  confiance,  el  à  rendre 
son  empire  d'aulant  plus  absolu  qu'elle  cher- 
chait à  le  rendre  plus  facile. 

Un  caractère  d'esprit  tel  que  je  viens  de  lo 
peindre,  si  maître  de  lui-même,  devait  l'être 
aussi  des  autres.  Elisabeth  sut  tellement  mé- 
nager l'esprit  des  grands,  les  intérêts  du  peu- 
ple, les  droits  du  trône,  la  gloire  et  la  tran- 
quillité de  l'Etal,  que  Philippe  crut  devoir  la 
mettre  à  la  tête  de  ses  conseils. 

C  est  là,  c'est  dans  ce  sanctuaire  de  la  po- 
litique et  do  la  majesté  qu'Elisabeth  déve- 
loppa ce  génie  sublime  dans  ses  vues,  facile 
dans  ses  moyens,  fécond  dans  ses  ressources, 
et  d'autant  plus  digne  de  la  confiance  du  roi 
son  époux,  qu'elle  n'avait  que  la  gloire  de 
ce  prince  pour  objet,  et  entrait  dans  toutes 
les  voies  qui  pouvaient  l'étendre.  C'était  mar- 
cher sur  les  traces  de  l'auguste  épouse  qu'il 
pleurait,  el  je  ne  crains  pas  d'assurer  qu'elle 
ne  pouvait  être  mieux  remplacée  que  par 
celle  que  pleurent  aujourd'hui  ses  enfants  et 
ses  sujets. 

Louise-Marie  do  Saioie  était  née  avec  un 
caractère  doux   et  insinuant,  plus  propre 


1188 


ORATEURS  SACRES.  PONCET  1)1.  LA  RIVIERE. 


ll.VJ 


peut-être  à  gagner  les  cœurs  et  à  régner  par 
le  gentiment;  Elisabeth  Parnèse  tenait  de  la 
nature  un  génie  impérieux  que  l'éducation 
avait  rendu  souple,  plus  faile  pour  étonner 
les  esprits  et  régner  par  l'admiration. 

La  princesse  de  Savoie  avait  vu  l'Europe 
entière,  conjurée  contre  le  roi  son  époux, 
attaquer  également,  et  le  trône  où  il  était 
assis,  et  la  main  victorieuse  qui  l'y  avait 
placé;  les  omhrcs  des  princes  de  la  maison 
d'Autriche  animaient  sourdement  dans  le 
royaume  contre  un  sang  étranger  les  descen- 
dants de  leurs  anciens  serviteur»,  et  le  fan- 
tôme de  Philippe  II,  qui  avait  voulu  joindre 
l'Espagne  à  la  France,  agitait  encore  sous  le 
nuage  de  sa  politique  le  trône  que  la  France 
s'élevait  dans  l'Espagne. 

La  princesse  de  l'arme  trouva  un  commen- 
cement de  calme;  l'orage  paraissait  sur  sa 
fin,  mais  un  bruit  de  tonnerre  se  faisait  en- 
core entendre  dans  la  nue,  et  du  foyer  de  la 
tempête  sortaient  des  éclairs,  restes  formida- 
bles d'un  feu  mal  éteint;  les  vents  semblaient 
apaisés;  mais  le  flot  frémissait  encore,  et 
l'esprit  qui  soulève  les  vagues  murmurait 
dans  les  ondes. 

Marie  de  Savoie  avait  vu  le  concurrent  de 
Philippe  triomphant  dans  sa  capitale;  elle- 
même,  réduite  à  en  sortir,  portant  entre  ses 
bras  un    faible  enfant,  première   et  fragile 

espérance  d'un  trône  ébranlé spectacle 

également  triste  et  puissant  !...  Jamais,  peui- 
être,  la  majesté  ne  fut  plus  respectée  que 
lorsqu'elle  parut  avilie  :  les  cris  du  Ois  ré- 
veillèrent dans  les  cœurs  le  zèle  pour  le  père  ; 
l'épor.se  fugitive  intéressa  pour  l'époux  aban- 
donné, et  la  compassion  rappela  la  fidélité. 
Ajoulerai-je  que  Louis  le  drand  vivait  en- 
core? ce  nom  si  redouté,  même  dans  les  re- 
vers, était  toujours  celui  d'un  grand  roi,  et 
pouvait  être  de  nouveau  celui  d'un  vain- 
queur. 

Elisabeth  n'était  qu'aux  premiers  jours  de 
son  règne,  lorsque  ce  monarque  louchait 
aux  derniers  du  sien  ;  il  jetait  encore  de  vives 
lumières,  et  son  trône  était  environné  d'un 
grand  éclat  :  mais  c'était  celui  d'un  astre 
prêt  à  s'éteindre  pour  toujours.  L'Espagne 
avait  une  tranquillité  plus  apparente  que  so- 
lide :  déjà  même  des  bruits  avanl-coureurs 
annonçaient  un  nouvel  orage  formé  dans  le 
Nord,  d'autant  plus  redoutable,  qu'il  pouvait 
rallumer  tous  les  feux  des  précédents  cl  en 
ajouter  de  nouveaux.  Point  de  secours  étran- 
gers, Philippe  n'avait  que  la  fidélité  de  sa 
nation  et  le  génie  d'Elisabeth. 

Alors  se  rencontra  un  de  ces  esprits  singu- 
liers que  le  ciel  semble  avoir  jetés  dans  des 
conditions  inférieures,  pour  faire  voir  au 
monde  jusqu'où  peut  s'élever  la  supériorité 
du  génie;  un  de  ces  hommes  hardis  et  entre- 
prenants dont  l'ambition  ne  doit  rien  ù  la 
naissance,  et  qui,  en  quelque  sorte,  créateurs 
d'eux-mêmes,  deviennent  les  auteurs  de  leur 
destinée  et  les  arbitres  de  celle  des  autres. 
La  Providence  les  fait  naître,  mais  la  fortuue 

n'entre  dans  leur  élévation  qu'en  subalti 

et  ils  sont  créés  p;ir  leur  génie.  Tel  était,  si 

je   ne  me    lioi.ipe.  Albcroni,  célèbre  pat 


disgrâce  comme  par  s.i  (avear,  <t  peut-être 
(H  ne  de  Pane  et  de  feutre. 

I.lisab  lh  n'avait  vu  de  lui  que  c  qui  mé- 
ritai1   son    estime  :  il  était    un    de   ceux    qui 

avaient  contribué  à  la  placer  >ur  le  trône; 

IV(  ur,   élit    crut  I'-k      rii  r 
au  mérite  et  ne  pouvoir  la  refusera  la  recon- 
naissante ;  elle   (il  sa  grandeur;  c'est  lai- 
méme  qui  fit  sa  ruine  :  pins  utile,  s'il  n\ 
pu  se  croire  moins  nécessaire,  et  sur  de 
fortuue,  s'il  avait  «-u  s'en  défier. 

Ouoi  qu'il  en  soit,  Elisabeth,  assez  grande 
d'elle-même,  n'avait  pas  i.esoin  d'un  secours 
é  ranger.  Que  u'ai-je  une  force  de  discouis 
égal  à  i'idée  que  je  voudrais  vous  donner  de 
son  génie!  Vous  la  verriez  ici  rappeler  les 
grands  aux  devoirs  d'une  dépendance  qui  L  i 
approche  de  la  co;.r  et  ciut  les  y  attache;  les 
intéresser,  comme  chefs,  au  bien  de  la  na- 
tion; comme  premiers  sujets,  à  la  gloire  du 
monarque  ;  leur  remplacer  une  puissance  ar- 
bitraire par  une  autorité  légitime;  répandre 
la  gloire  du  trône  sur  les  hommages  qu'ils 
portent  ù  ses  pieds,  et  flatter  leur  ambition  en 
la  soumettant.  Là,  vous  la  verriez  rouvrir 
les  sources  de  l'abondance  fermées  pendant 
si  longtemps,  la  faire  circuler  dans  toutes  les 
parties  de  l'Etat  par  les  canaux  du  commerce, 
par  h's  voies  des  échanges,  par  les  produits 
des  manufactures;  partout  occuper  le  peuple, 
cl  le  détourner  des  idées  de  sa  misère  par  les 
facilités  à  la  réparer.  On  regard  fécond  et 
créateur  porté  sur  toutes  les  conditions  ranime 
le  (aient  assoupi  dans  l'oisiveté,  et  son  âme, 
répandue  partout,  rend  la  vie  et  l'action  à 
tous  les  membres  de  ce  grand  corps  épuisé. 

Que  ne  puis-je  icprésenter  sous  son  vrai 
jour  et  dégager  des  ombres  dout  ou  a  cherche 
à  l'obseurrir,  le  projet  si  naturel  et  si  grand 
de  l'établissement  dis  princes  ses  enfants! 
Que  l'Europe,  j  ilouse  ou  inquiète,  en  prenne 
des  alarmes;  Fianc  ,  elle  travaillait  à  l'ai - 
croissement  de  ta  gloire  et  à  l'agrandissement 
d'une  maison  faile  pour  donner  dans  lous  les 
Etals  des  mailres  au  monde  :  Ce  n'était  pas 
pour  elle-même;  c'était  pour  ses  enfants;  et 
dans  eux,  auguslesang  de  nos  rois,  c  est  pour 
vous  que  sa  poliliqu;  traçait  sur  le  plan  d 
la  nature  el  de  l'équité,  celui  d'un  éiablisse- 
ment  qui  replaçait  ses  héritiers  dans  les  droits 
qu'elle  avaii  reçus  de  ses  p  res.  L'évca  nient 
l'a  mieux  servie  encore,  cl  le  changement  que 
la  victoire  a  mis  dans  son  projet  a  va*u  un 
trône  de  plus  aux  descendants  de  nos  rois. 

Il  ne  m'appartient  pas  de  pénétrer  plus 
avant  dans  ies  ombres  mjslérieuses  d'une 
politique  dont  les  plans  sont  réservés  au  se- 
cret du  sanctuaire  des  rois  :  un  objet  plus 
digne  de  celui  où  je  parle,  c'est  le  sacrifice 
qu'elle  lit  du  trône. 

Vous  vous  rap;  elex,  Messieurs,  ce  jour 
mémorable  ,  compte  dans  les  Fastes  de  la 
religion  parmi  ceux  qui  l'honorent,  o.'. 
descendant  de  saint  Louis,  après  u\  oir  i  égné 
comme  lui  avec  les  vertus,  résolut  d'abdi- 
quer le  pouvoir  qu  les  rois  e  terceiil  sur  les 
pies,  pour  aller  dans  la  .-.  itude  adorer 
i ,  '.ui  que  L\eu  a  sur  les  ro 
101,11e.  d'être  rappelé  au  milieu  Je 


US7 

celui  que  nous  offrons  pour  une  grande  reine 
qui  en  partagea  l'effort  et  la  gloire:  si  elle 
n'eut  pas  l'honneur  de  le  conseiller,  el!e  eut 
celui  de  l'approuver  et  de  le  suivre. 

La  vit-on  ,  en  effet,  se   servir   du   créiit 
qu'elle  avait  sur  le  cœur  de  Philippe  pour  le 
i'étourner  d'une  résolution   qui  devait  tant 
coûter  au  sien?  Chercha-t-elle  à  l'éloigner 
de  la  solitude,  par  la   peinture  des   ennuis 
qu'il  pouvait  y  trouver,  à  le  retenir  parmi 
ses  sujets,  par  la  nature  du  serment  qui  le 
liait  à  leurs  intérêts,  par  la  force  du  senti- 
ment qui  l'avait   tant   de  fois   attendri   sur 
leurs  besoins,   par  !c  récit  des  regrets  qu'il 
allait  causer  dans  toute  la  nation  et  de  ceux  i 
qu'il  éprouverait  lui-même?  Fit-elle  valoir; 
auprès  de  lui  l'exemple  de  ces  rois  que  le 
dégoût  du  trône  avait  conduits  dans  la  soli- 
tude, que  l'ennui  de  la  solitude  avait  rap- 
pelés au  trône,  et  qui,  partagés  entre  les 
regrets  d'une  vie  publique  elles  chagrins , 
d'une  vie  privée,  auraient  fait  des  heureux  ,  ; 
et  avaient  cessé  de   l'être?  Employa-t-elle  ; 
l'éloquent  pouvoir  de  ces  larmes  si  victo- 
rieuses des  résolutions  les  plus  héroïques?    , 
Figurez-vous,  Messieurs,  une  reine  au 
comble  de  la  gloire  ,  pour  laquelle  son  cœur 
est  né,  à  peine  âgée  de  trente  et  un  ans, 
dans  ce   moment  où  toute  la  force  de  son 
génie  se  montrait  avec; plus  d'éclat,  régnant 
avec  une  autorité  absolue  ,  et ,  au  milieu  de 
tant   de  motifs  qui  doivent  l'empêcher  de 
s'immoler,  souscrivant  elle-même  au  sacri- 
fice de  ses  plus  beaux  jours. 

Quelle  grandeur  d'âme,  Messieurs  1  Ce 
n'est  pas  une  principauté  bornée,  l'empire 
de  quelques  villes,  ce  sont  trois  grands 
royaumes:  c'est  un  monde,  c'est  plus  d'un 
inonde  qu'il  faut  quitter  sans  nécessité  de  sa 
part ,  sans  aucun  de  ces  dégoûts  dont  le  mo- 
ment décide  de  la  vie.  Les  plaisirs  d'une 
cour  brillante,  le  changement  d'état,  l'essai 
d'une  vie  nouvelle  et  effrayante,  rien  ne 
l'arrête...  Ahl  j'ose  le  dire,  jamais  elle  ne  fit 
paraître  plus  de  courage  et  plus  de  fermeté; 
l'Europe  admirait  la  force  de  ses  conseils  : 
elle  ne  connaissait  pas  encore  assez  la  supé- 
riorité de  cette  âme  dans  la  force  des  épreu- 
ves cl  des  sacrifices. 

On  l'avait  vue  soumettre  les  esprits,  ré- 
gner sur  les  génies,  tenir  l'Europe  en  sus- 
pens, affermir  le  trône  de  son  époux  :  mais 
quitter  l'empire  à  la  première  volonté  de  ce 
même  époux,  avec  une  facilité  qui  ferait 
croire  que  c'est  elle  qui  en  a  inspiré  le  des- 
sein ;  sortir  de  la  cour,  en  quittant  le  sceptre, 
avec  plus  de  satisfaction  que  n'en  ont  à  y 
venir  ceux  qui  viennent  y  régner;  je  ne 
crains  pas  de  le  répéter,  cet  effort  est  le 
plus  grand,  et  l'exemple  en  commence  à 
elle. 

Iteprcsentcz-vous ,  Messieurs,  ce  départ 
si  glorieux  à  la  religion:  lout  le  palais  re- 
tentit de  cris  lamentables,  on  accourt  en 
foule,  on  s  oppose  à  leur  passage  ;  ceni  mille 
voix  entendues  parmi  plus  do  «anglots  en- 
core rappellent  au  trône  ,  et  le  roi  qui  en 
faisait  l'honneur,  et  la  reine  qui  c;i  aug- 
mentait la  gloire,  et  deux  cœurs  faits  pour 


ORAISON  FUNEBRE  D'ELISABETH  FARNESE.  i  158 

régner  sur  tous  les  autres.  Les  larmes  cou- 
lent de  toutes  parts,  et  ceux  sur  lesquels  on 
les  répand  n'en  versent  aucunes  :  ils  partent 
avec  cet  attendrissement  que  demande  celui 
qu'ils  causent,  mais  avec  une  sérénité  qui 
annonce  le  calme  de  leurs  cœurs. 

Ouvrez-vous,  sainle  et  auguste  retraite  où 
les  majestés  de  la  terre,  anéanties  devant 
celle  du  ciel,  vont  lui  porter  les  hommages 
qu'elles  recevaient,  et  faire  au  pied  de  ses 
autels  l'essai  de  la  paix  et  de  la  félicité  qui 
régnent  autour  de  son  trône. 

Mais  la  force  d'un  moment  sera-t-elle, 
dans  la  solitude,  celle  de  tous  les  jours?  Il 
n'en  faut  qu'un  pour  remporter  la  victoire  : 
combien  d'autres  souvent  rappellent  ce  qu'il 
en  a  coûté  pour  se  vaincre,  et  ajoutent  la 
peine  des  regrets  à  celle  du  triomphe  1 

Elisabeth  ne  parut  point  en  éprouver,  Mes- 
sieurs, et  tous  les  jours  qui  s'écoulèrent  dans 
cette  retraite  ressemblèrent  à  celui  où  elle  y 
entra.  Là,  seule  avec  son  époux  seul,  sans 
autre  témoin  de  son  sacrifice  que  celui  pour 
lequel  il  est  fait,  elle  partage  tous  ses  mo- 
ments entre  les  hommages  qu'elle  doit  au 
maître  suprême  par  qui  elle  a  régné,  et  les 
soins  qu'exigent  d'elle,  et  le  monarque  avec 
qui  elle  régnait,  et  les  augustes  enfants  qui 
i  doivent  apprendre  d'elle  à  régner  un  jour. 
Quelle  attention  à  prévenir  en  tout  ce  prince 
vertueux,  à  le  soutenir  même,  s'il  eût  été  né- 
cesbairel  Elle  lui  remplaçait  la  cour,  et  la 
retrouvait  tout  entière  avec  lui....  constance 
aussi  héroïque  que  le  sacrifice  :  il  dura  trop 
peu  pour  elle.  Jamais  celle  retraite  ne  vit 
couLt  ses  larmes  et  n'entendit  ses  regrets 
qu'au  moment  où  il  fallut  la  quitter. 

La  mort  do  Louis  Ier  consterna  l'Espagne, 
et  le  vœu  de  la  nation  rappelait  le  père, 
pour  se  consoler  de  la  perte  du  fils.  Elisa- 
beth revint  sur  le  trône  ,  son  génie  s'y  re- 
plaça avec  elle  ,  et  elle  commença  de  nou- 
veau à  régner  comme  si  elle  n'eut  pas  cessé 
de  le  faire. 

Hélas  l  elle  ne  savait  pas  à  quelle  nou- 
velle épreuve  elle  était  réservée  :  cet  époux 
si  tendrement  chéri  dont  elle  faisait  la  féli- 
cité, qui  faisait  la  sienne;  ce  monarque  si 
révéré  par  le  crédit  même  qu'elle  avait  im- 
primé à  ses  volontés  connues  ;  ce  roi  dont 
les  sujets  heureux  auraient  voulu  voir  éter- 
niser le  règne  ,  le  vit  borner  à  quelques  an- 


nées ,  les  infirmités  provinrent  l'âge  daus  lui. 
C'esl  encore  alors  qu'Elisabeth  eut  besoin  de 
tout  son  génie  ;  et  avec  quelle  force  ne  dut- 
elle  pas  l'employer  pour  contenir  lout  dans 
le  devoir  1  Klle  le  fil ,  Messieurs  ,  cl  elle  ne 
s'épargna  aucune  peine  pour  préparer  le 
trône  et  l'empire  à  un  hérilierqui  u'élailpas 
le  sien. 

Epouse  d'un  souverain  et  capable  de  le 
seconder  dans  ses  vues  pacifiques,  daus  ses 
vues  politiques,  dans  ses  vues  chrétiennes  , 
c'est  le  premier  trait  de  sa  gloire;  mère  de 
souverains  cl  digne  de  les  former,  c'est  le  se- 
cond Irail  de  son  éloge. 

seconde  partit. 

Les  maux  que  les  guerres  «raient  causé» 


1150 


ORATEURS  SACRES.  PONCF.T  DE  LA  RIVIERE. 


ttr.o 


à  l'Espagne  disparaissaient  enfin  av< 
vices  que  la  licence  des  armes  avait  intro- 
duits; une  administration  forte  et  concerl 
dans  toutes  ses  parties  rappelai!  chaque  jour 
l'ordre  et  l'abondance  dans  toutes  les  condi- 
tions; Elisabeth  voyait  partout  les  fruits  de 
se-,  glorieux  conseils  ;  Philippe  commençait 
à  goûter  a» ce  elle  et  par  elle  ce  plaisir  si  di- 
gne de  l'ambition  des  souverains  ,  si  con- 
forme à  la  sienne,  de  faire  le  bonheur  des 
peuples  soumis  à  son  empire  :  la  vertu  ré- 
gnait sur  le  cœur  des  deux  souverains  ,  ils  ré- 
gnaient sur  le  cœur  de  leurs  sujets  ;  cette 
brave  et  fidèle  noblesse  qui  avait  tant  de  fois 
combattu  pour  les  intérêts  de  son  prince  , 
environnait  avec  respect  un  trône  affermi  par 
son  courage  ;  la  nation  ne  faisait  plus  de 
vœux  que  pour  la  félicité  d'un  monarque  et 
d'une  reine  à  qui  elle  se  croyait  redevable 
de  la  sienne. 

Deux  héritiers  d'un  premier  lit  croissaient 
au  pied  du  trône,  mais,  hélas!  sur  lequel  ils 
ne  devaient  que  passer  ;  et  deux  princes  ne 
suffisaient  pas  aux  désirs  d'un  peuple  qui 
connaissait  l'avantage  d'avoir  des  Bourbons 

5>our  souverains.  Le  ciel  ajouta  celte  gloire 
t  celle  d'Elisabeth  :  mère  aussi  heureuse 
que  glorieuse  reine ,  elle  se  vit  à  la  tête  d'une 
famille  auguste;  et,  maîtresse  d'un  grand 
empire ,  elle  jouit  du  plaisir  flatteur  de  pré- 
parer dans  ses  enfants  des  rois  et  des  reines 
a  presque  tous  les  trônes  de  l'Europe  :  digne 
de  les  former  à  être  de  grands  princes  par  la 
sagesse  de  ses  conseils  ,  à  élre  de  bons 
mai  très  par  l'humanité  de  ses  sentiments  , 
à  être  des  rois  vraiment  catholiques  par 
l'exemple  de  ses  vertus. 

Je  dis  à  être  de  grands  princes  ;  et  qui ,  en 
effet,  pouvait  mieux  élever  et  agrandir  leur 
caractère,  qu'une  mère  qui  avait  elle-même 
dans  le  sien  tant  d'élévation  et  de  grandeur, 
qu'une  reine  dans  qui  la  sublimité  du  trône 
sur  lequel  elle  était  assise  n'atteignait  pas 
encore  toute  celle  des  idées  et  des  sentiments 
avec  lesquels  elle  était  née  ;  qu'une  princesse 
qui,  sans  être  extrême,  mettait  cependant 
peu  de  différence  entre  la  faiblesse  qui  tolère 
les  maux  et  la  médiocrité  qui  ne  sait  pas  les 
réparer  :  qui  ,  occupée  sans  cesse,  de  projets 
glorieux  ,  portait  dans  les  moyens  quelle 
employait  toute  l'élévation  du  terme  qu'elle 
s'était  proposé  ;  qui,  héritière  de  Marguerite 
duchesse  de  Parme  ,  eut  comme  elle  la 
science  des  affaires  ,  et ,  comme  le  grand 
Alexandre  fils  de  Marguerite  ,  le  talent  de  les 
exécuter? 

Avec  quelle  vigilance,  quelle  continuité, 
j'ai  pensé  dire  ,  quelle  religion  de  soins  ne 
cullivail-elle  pas  dans  ses  enfants  le  fonds 
précieux  des  qualités  qu'ils  avaient  puisées 
dans  elle  1  Quelle  attention  à  éloigner  d'eux, 
je  ne  dis  pas  les  passions  grossières  qui  pro- 
duisent les  vices,  mais  les  complaisances 
dangereuses  qui  allèrent  les  vertus  ;  je  ne  dis 
pas  les  pernicieux  conseils  qui  corrompent 
les  plus  beaux  cœurs  ,  mais  les  douces  tra- 
hisons que  l'on  fait  si  souvent  aux  plus  heu- 
reux caractères  I  l'eu  contente  d  interdire 
auprès  d'eux  tout  accès  aux   Batteurs,  elle 


cherche  à  les  leur  rendre  méprisables  ,  de 
qu'ils  ne  le  devinssent  par  eux;  elle  s'é- 
tudie à  les  mettre,  par  grandeur  d'âme,  a  l'a- 
bri de  cette  fade  adulation  qui  empêche  sou- 
vent (jue  les  princes  ne  soient  grands  <  | 
leur  répétant  sans  cesse  qu'ils  le  sont  :  elle 
ne  voulait  pas  qu'ils  ignorassent  ce  qu'ils 
étaient  et  ce  qu'ils  pouvaient  élre  un  jour  ; 
elle  prenait  soin  elle-même  de  les  eu  ins- 
truire ;  mais  toujours  pour  élever  leurs  idées, 
et  afin  de  leur  faire  comprendre  qu'ils  ne 
pouvaient  manquer  de  grandeur  dans  les 
sentiments,  sans  démentir  celle  de  leur  nais- 
sance et  de  leur  destination. 

Klle  n'eut  point  pour  eux  de  faiblesses, 
elle  eut  de  l'ambition  pour  eux.  et  l'agran- 
dissement de  sa  maison  est  peut-être  la  seule 
passion  vive  qu'on  ait  remarquée  dans  elle. 
Mais  pourquoi  ce  qui  e>l  un  mérite  dans  les 
mères  ordinaires  serait-il  uo  défaut  dans  une 
grande  reine  ,  qui  après  tout  ne  cherchait 
qu'à  multiplier  les  heureux  en  multipliant 
les  souverains  d'un  sang  qui,  depuis  tant  de 
siècles,  a  fait  sur  presque  tous  les  trônes  de 
l'univers  la  félicité  des   peuples? 

Persuadée  que  l'éducation  des  princes  est 
la  destinée  des  Etats,  que  c'est  le  génie  des 
rois  qui  monte  celui  des  sujets  ,  et  que,  for- 
mer un  monarque  ,  c'est  en  quelque  sorte 
fonder  un  empire,  elle  s'appliqua  à  étendre 
leurs  idées  autant  que  ses  vues  sur  eux  ;  elle 
leur  apprenait  que  la  supériorité  du  rang 
exige  celle  des  qualités  ,  cl  que,  si  parmi  les 
hommes  ordinaires  l'élévation  des  sentiments 
est  une  gloire,  elle  est  une  nécessité  dans  les 
rois. 

Son  ambition  était  de  les  voir  placés  sur 
des  trônes  différents  ,  y  porter  le  même  ca- 
ractère de  grandeur  :  de  cette  grandeur  qui 
est  fondée  sur  celle  du  mérite,  cl  qui  régne- 
rail  sans  diadème  ;  de  celle  grandeur  solide 
et  réelle  qui  ne  doit  rien  à  la  place ,  qui 
n'emprunte  rien  des  circonstances,  qui,  pla- 
cée sur  le  trône  ,  reçoit  des  hommages  que 
le  trône  seul  ne  saurait  procurer,  et  règne 
sur  les  peuples  autant  par  l'admiration  que 
par  l'autorité. 

J'ai  ajouté  qu'Elisabelh  était  capable  par 
l'humanité  de  ses  sentiments  de  les  formera 
être  de  bons  maîtres.  Loin  que  là  grandeur 
soit  opposée  dans  les  souverains  à  la  boule  , 
elle  se  présente  avec  elle  à  la  tète  de  louies 
les  qualités  qui  les  rendent  vraiment  souve- 
rains; c'est  elle  qui  les  place  dans  cet  accord 
et  dans  ce  jour  heureux  où  les  peuples  ai- 
ment à  les  apercevoir  :  elle  étend  leur  puis- 
sance par  les- limites  mêmes  qu'elle  lui  pres- 
crit ,  cl  ajoute  l'empire  de  la  confiance  à  ce- 
lui du  pouvoir. 

Ronté  de  l'âme ,  humanité  de  sentimenis. 
vous  êtes  l'apanage  de  la  souveraineté.  Les 
égaux  n'exercent  entre  eux  qu'une  sorte  de 
justice  ;  il  n'appartient  qu'aux  princes  d  élre 
bons,  cl  nous  éprouvons  plus  qu'aucun  peu- 
ple de  la  terre  que  les  plus  grands  rois  sont 
aussi  les  meilleurs. 

Je  sais  que  la  hauteur  prend  souvent  les 
traits  de  la  '/raideur  ;  c'est  le  vice  qui  veut 
être  l'image  de  la  vertu  ,  dont  il  est  recueil. 


ilGl 


ORAISON  FIlNEBRE  D'ELISABETH  FARNESE. 


1102 


Copiste  infidèle ,  il  ne  peut  remplacer  la  qua- 
lité qu'il  cherche  à  représenter;  la  hauteur 
est  des  âmes  faibles  et  ne  fait  que  des  ambi- 
tieux ,  la  grandeur  est  des  âmes  nobles  et 
distingue  les  princes;  la  bonté  joinie  à  la 
grandeur  est  des  âmes  vraiment  royales  et 
annonce  les  souverains. 

Elisabeth  connaissait  cet  accord  de  qualités 
qui  étaient  véritablement  les  siennes  ;  et, 
trop  grande  pour  négliger  ses  droits  par 
une  bonté  qui  eût  été  faible  ,  elle  était  trop 
bonne  pour  les  exiger  avec  une  hauteur  qui 
eût  été  contraire  à  la  véritable  grandeur  :  ce 
défaut  n'était  point  dans  son  caractère;  aussi 
ne  porta-t-elle  dans  celui  des  princes  qu'elle 
formait  que  la  grandeur  des  vues  qui  fait 
respecter  les  rois  ,  et  l'humanité  des  senti- 
ments qui  les  fait  aimer. 

Augustes  enfants, aujourd'hui  glorieux  sou- 
verains, vos  qualités  déposent  eu  faveur  des 
siennes.  Et  vous ,  peuples  heureux ,  qui 
éprouvez  dans  la  sagesse  de  leurs  lois  celle 
de  ses  conseils  ;  vous  rendez  justice  à  sa  mé- 
moire :  vos  princes  sont  ses  images  comme 
ses  élèves,  et  l'empire  des  enfants  vous  re- 
présente les  sentiments  de  la  mère. 

Et  combien  d'autres  témoignages  ne  pour- 
rais-je  pas  citer  encore  ici,  Messieurs,  pour 
l'honneur  de  sa  mémoire,  pour  celui  du 
trône  et  de  l'humanité?  Maîtresse  bienfai- 
sante, elle  a  été  pleurée  dans  sa  cour  comme 
une  mère  l'est  dans  sa  famille;  la  nouvelle 
de  son  dernier  soupir  ,  portée  par  ceux  de 
tout  un  peuple ,  a  retenti  comme  celle  d'une 
calamité  dans  toutes  les  villes  de  l'Espagne; 
et  dans  son  domestique  ,  la  reconnaissance  a 
fait  verser  des  larmes  qui,  dans  les  enfants, 
honoreraient  la  nature. 

Souveraine  absolue,  mais  facile,  si  elle  sa- 
vait exiger  les  devoirs,  elle  aimait  à  les 
adoucir.  Personne  jamais  peut-être  n'a  su 
rendre  le  trône  plus  respectable  et  les  ap- 
proches du  trône  plus  accessibles  ,  tenir 
mieux  la  dignité  de  son  rang  et  en  éloigner 
davantage  la  contrainte,  se  faire  obéir  avec 
plus  de  promptitude  et  servir  avec  moins  de 
peine,  inspirer  plus  de  respect  aux  grands 
et  porter  plus  d'aisance  dans  le  peuple,  ren- 
dre plus  absolue  l'autorité  du  roi  et  la  sienne 
moins  difficile 

Princesse  généreuse  par  caractère,  sévère 
par  nécessité,  elle  s'informait  avec  soin  des 
misères  secrètes,  et  leur  procurait  des  se- 
cours ;  elle  recevaitelle-mème  tous  les  placels 
qui  s'adressaient  à  elle,  et  le  titre  sur  sa 
protection  était  le  besoin  qu'on  eu  avait.  Le 
malheur  des  guerres  avait  introduit  des 
abus,  les  peuples  en  souffraient;  mais  leurs 
cris,  ou  étouffés  sous  le  nuage,  ou  affaiblis 
dans  la  dislance,  ne  pénétraient  pas  jusqu'au 
trône  :  Elisabelh  parvint  à  en  être  instruite, 
la  foudre  tomba  sur  les  coupables,  le  nuage 
disparut,  et  le  jour  fut  rendu  aux  malheu- 
reux. 

Uu  coup  d'éclat  qu'elle  crut  nécessaire 
pour  affermir  son  autorité  naissante  prévint 
un  grand  nombre  de  caractère!  contre  la  sé- 
vérité du  sien  ;  son  entrée  à  la  cour  avait  été 
marquée  par  l'éloignemonl  d'une    princesse 

OlUILlKs;   SACRES.    \\\. 


qu'un  nom  illustre,  une  grande  alliance,  de 
vives  lumières  et  des  qualités  distinguées, 
rendaient  également  puissante  au  pied  du 
trône  et  dans  l'empire 

11  n'est  point  de  mon  ministère  de  cher- 
cher à  dévoiler  les  motifs  qui  décidèrent  Eli- 
sabeth à  en  demander  le  sacrifice;  mais  ce 
qu'il  est  d'un  ministre  de  la  religion  de  ne 
pas  laisser  ignorer,  c'est  que  ce  trait  est  le 
seul  que  l'on  rapporte  de  sa  sévérité  ;  c'est 
que  tout  son  règne  a  été  celui  de  la  bonté 
aussi  bien  que  de  la  grandeur;  c'est  que, 
quoique  les  prisons  fussent  remplies  à  son 
arrivée  de  sujets  infidèles,  sous  un  empire 
aussi  absolu  que  le  sien  aucune  goutte  de 
sang  n'a  été  répandue;  c'est  que  sa  mort  a 
été  l'occasion  du  premier  deuil  qu'elle  ait 
fait  porter  aux  familles;  c'est  qu'on  n'a  en- 
tendu de  soupirs  occasionnés  par  elle,  qu'à 
ses  obsèques,  et  que  les  premières  larmes 
qu'elle  ait  fait  verseront  coulé  sur  son  tom- 
beau. 

Je  vous  le  demande  ici,  Messieurs,  quel 
caractère  plus  propre  à  former  de  grands 
princes  et  de  bons  maîtres,  qu'une  âme  noble 
et  élevée  dans  toutes  ses  vues,  sage  et  éclai- 
rée dans  ses  conseils  ?  Ajoutons  un  dernier 
trait  :  et  quelles  leçons  plus  capables  de 
préparer  dans  eux  des  souverains  vraiment 
catholiques  ,  que  les  exemples  de  ses  ver- 
tus 1 

Et  quels  exemples,  Messieurs  ?  Ceux  d'une 
piété  tendre,  d'une  résignation  profonde, 
d'une  constance  inaltérable,  d'une  vertu  en- 
fin éprouvée  par  les  sacrifices  de  ce  qu'un 
cœur  ambitieux  voit  de  plus  grand,  de  ce 
qu'un  cœur  sensible  a  de  plus  cher,  de  ce 
que  les  cœurs  même  les  plus  chrétiens  ne 
perdent  qu'avec  regret,  du  trône,  d'une  par- 
lie  précieuse  de  son  auguste  famille,  de  la 
vie  enfin,  et  d'elle-même. 

Sacrifice  du  trône  :  ce  premier  sacrifice  à 
la  fleur  de  son  â^e,  dans  la  force  de  son  rè- 
gne, et  lorsqu'elle  jouissait  avec  plus  d'éclat 
de  tous  les  honneurs  de  la  souveraineté;  sa- 
crifice pénible,  mais  glorieux,  dont  la  ri- 
gueur était  adoucie  par  l'exemple  et  les 
complaisances  du  plus  tendre  des  époux,  du 
plus  vertueux  des  rois  :  elle  trouvait  dans  la 
solitude  avec  lui  tout  ce  que  dans  le  monde 
elle  avait  sacrifié  pour  lui. 

Mais  quel  jour  pour  un  cœur  tel  que  le 
sien  que  celui  où  ce  grand  prince,  enlevé  au 
trône,  l'obligea  elle-même  une  seconde  fois 
à  en  descendre?  Dès  ce  moment,  soumise 
dans  l'empire  qu'elle  a  gouverné,  sujette 
aux  lois  du  trône  sur  lequel  elle  a  com- 
mandé, souveraine  sans  sceptre,  reine  de 
nom,  princesse  sans  pouvoir,  avec  toute  la 
considération  de  l'estime,  mais  privée  de 
celle  du  crédit,  condamnée  à  une  retraite  où 
ce  qu'elle  pouvait  désirer  le  plus  était  d'être 
tranquille, ccqu'ciledevaitcraindre  le  moins 
étaitd'êlre oubliée Quelle  situation,  Mes- 
sieurs, et  quel  nouveau  caractère  de  génie  à  em- 
ployer pour  ne  laisser  rien  échapper  dont  une 
autorité  naissante  pût  prendre  des  ombrages  ? 
Elle  sut  le  prendre  ce  génie  d'inaction,  si 
j'ose  ainsi  parler,  le  moins  fait  pour  le  sien 

37 


C165 


ORATEURS  SACRES.  PONCET  DE  LA  RIVIERE. 


loin  de  la  cour,  «lie  s'y  cnlreiint  par  l'estime, 
p. m-  chercher  à  la  conserver;  s'offrit  aucun 
de  ses  conseils,  n'en  refusa  jamais  aucun, 
et  à  la  satisfaction  d'être  encore  utile,  joi- 
gnit l'avantage  de  n'être  point  suspecte. 
Renfermée   dans  la   solitude,    elle  cul  la 

floire  d'être  un  grand  exemple,  après  avoir 
té  sur  le  trône  un  grand  spectacle.  Là,  pros- 
ternéeau  pied  des  autels,  elle  oubliait  qu'elle 
avait  régné;  elle  adorait  le  Dieu  qui  règne, 
6e  rappelait  ses  faveurs  avec  reconnaissance, 
et  se  soumettait  à  ses  ordres  avec  résigna- 
tion. 

Là,  elle  conduisait  ses  enfants,  les  présen- 
tait au  Seigneur,  et  le  conjurait  de  réunir 
sans  cesse  dans  eux,  avec  la  gloire  de  leur 
auguste  maison,  la  piété  de  leur  père  el  les 
vertus  de  leurs  ancêtres. 

Là,  sa  piété,  nourrie  chaque  jour  par  la 
prière,  fortifiée  chaque  mois  par  la  parlici- 
patiou  aux  sacrements,  puisait  au  pied  de 
l'autel  cette  conslance  que  la  religion  seule 
inspire,  et  qui  lui  devenait  tous  les  jours 
plus  nécessaire,  contre  les  épreuves  que  le 
Seigneur  lui  ménageait  dans  sa  miséricorde, 
pour  la  rendre  capable  de  soutenir  les  re- 
gards de  sa  justice  :  épreuves  les  plus  acca- 
blantes ,  par  les  sacrifices  réitérés  de  ce 
qu'elle  avait  de  plus  cher. 

Déjà  elle  avait  vu  son  époux  défaillant 
rendre  entre  ses  bras  le  dernier  soupir  d'un 
cœur  qui  n'avait  eu  de  sentiment  que  pour 
Dieu,  pour  ses  deux  épouses,  pour  ses  en- 
fants et  pour  son  peuple  ;  d'un  cœur  digne  de 
régner  sur  tous  les  cœurs,  et  sur  qui  le  sien 
régnait  encore.  Ah  1  si  ce  jour,  qui  fut  le 
dernier  de  ce  grand  roi,  ne  termina  pas  aussi 
les  siens,  précieux  enfants,  c'est  son  amour 
pour  vous,  c'est  le  vôtre  pour  elle  qui  la  ra- 
nima dans  ce  moment;  vos  tendres  soins  la 
rappelèrent  à  une  vie  qui  devait  préparer  la 
vôtre  :  vous  consolâtes  la  plus  affligée  des 
épouses,  par  une  tendresse  qui  en  fil  la  plus 

heureuse  des  mères 

Qu'ai-je  dit,  Messieurs  ?  Ses  larmes  n'é- 
taient pas  encore  essuyées,  on  lui  annonce 
la  mort  d'une  princesse  chère  à  son  cœur, 
formée  de  ses  mains  pour  le  bonheur  de  la 
France,  qui  n'a  fait,  hélas  I  que  l'entrevoir, 
et  dont  nous  pleurerions  encore  la  perle,  si 
elle  n'eût  été  réparée  par  celte  épouse,  par 
cette  mère,  par  cette  héroïne  chrétienne  que 
nous  voyons  si  attentive  à  former  dans  les 
précieux  rejetons  du  Irôneles  (rails  du  saint 
el  de  l'auguste  prince  qui  était  né  pour  l'oc- 
cuper un  jour.   Quel    souvenir,   Messieurs  1 

Mes    soupirs    m'interrompent Je    sens 

quelle  douleur  je  rappelle,  et  mon  cœur  at- 
tendri me  reproche  l'affliction  qui  se  renou- 
velleàce moment  dans  les  pins  beaux  cœurs , 
dans  les  cœurs  les  plus  vertueux  qui  furent  ja- 
mais(l).  Les  nôtres  scraicntiiiconsolables, si 
les  vifsci  légitimes  regrets  que  nous  cause  en- 
core le  père  n'étaient  diminués  par  les  es- 
pérances que  nous  donne  déjà  le  fils.  Vos 
traits  nous  le  représentent,  Monseigneur, 
vos  qualités  nous  le  remplaceront  :  celle 
douceur  de  caractère,  celle  noble  sensibilité, 

(I)  Mesdames. 


ce  respect  pour  la  reli'.'ion  qui  l'a  rendu  di- 
gne d'être  loué  dans  le  sanctuaire  du  Dieu 
I  ivaul  el  au  [>ied  de  ses  autels,  vous  rendent 
déj!  vous-même  digne  d'y  être  annoncé. 
I  atM  le  ciel  qu'héritier  de  ses  vertus,  comme 
vou-  l'êtes  de  son  nom,  vous  joigniez  comme 
lui  aux  droits  que  la  naissance  donne,  un 
droit  plus  précieux  encore,  relui  que  votre 
cœur  seul  peul  vous  donner,  le  droil  de  ré- 
gner sur  nos  cœurs  1 

La  reine  d'Kspagne  connut  toute  l'étendue 
de  la  perte  que  je  rappelle,  et  j  (ut  d'autant 
plus  sensible  qu'elle  n'y  était  préparée  que 
par  une  succession  de  chagrins  qui  1  avaient 
précédée;  celle  augnate  princesse,  qu'elle 
aimait  comme  sa  fille,  qu'elle  s'était  felu  i lée 
de  voir  l'épouse  de  sou  fils;  <  e  fils  lui-mem<  , 
qu'elle  avait  cherché  à  rendre  digne  de  celte 
alliance,  enlevé  comme  elle  à  la  fleur  de  son 
âge;  le  gage  pré  ieux  de  leur  union,  celle 
jeune  princesse .  l'espérance  de  l'empire, 
dont  un  jour  elle  aurait  lait  la  gloire,  préci- 
pitée dans  le  tombeau  :  ali  !  que  de  coups 
portés  à  un  cœur  ! 

Dieu  arbitre  de  la  destinée  des  gran  !s 
comme  de  celle  des  peuples,  vous  prépariez 

ainsi  voire  victime son  terme  ap  roche  : 

elle  regarde  ceux  qui  ne  sont  p!u-  comme 
des  guides  qui  loi  oui  ouvert  la  carrière  où 
elle  doit  entrer  pour  loujou<  s  ;  elle  ne  mar- 
che plus  qu'entre  des  tombeaux  :  le  si  ■  e 
creuse  déjà  sous  ses  pas,  s'ouvre  déjà  à  ses 
yeux  :  une  langueur  mortelle,  des  douleurs 
aiguè-,  l'épuisement  de  ses  forces,  des  sen- 
timents avant-coureurs  de  la  morl  :  toul  lui 
annonce  qu'elle  a  régné,  qu'elle  a  vécu  :  le 
mon. le  fuit  à  ses  regards;  lélernitc  s'avance. 
Ministres  de  la  religion,  vous  fuies  instruits 
les  premiers  de  son  étal;  ce  fut  elle  qui 
vous  avertit,  qui  >ous  annonça  q>.e  son 
heure  était  venue:  la  miséricorde  du  Sei. 
('éloignait  pourtant  encore,  pour  achever 
d'épurer  celle  grande  âme  et  la  rendre  di^ne 
de  paraître  à  ses  \eux.  Sept  mois  entiers  du 
souffrances  sans  espoir,  sans  intervalle,  -ans 
adoucissement ,  quelle  nouv<  lie  épreuve  I 
Messieurs  ;  mais  des  souffrances  soutenues 
sept  mois  entiers  avec  courage,  a\ec  ie>i- 
gnation,  sans  aucune  de  ces  plainles  que 
l'humanité  ne  peut  se  refuser,  que  la  reli- 
gion elle-même  ne  défend  pas...  quel  exem- 
ple 1  Ce  que  la  cour  a  de  plus  grand,  ce  que 
son  cœur  a  de  plus  cher,  un  prince,  son  fils 
et  son  roi,  tout  ce  qui  peul  le  plus  l'attendrir 
se  réunil  aulour  d'elle  :  témoin  de  leur  dou- 
leur, elle  en  esl  touchée,  elle  n'en  est  point 
affaiblie  ;  elle  témoigne  sa  reconnaissance  à 
ceux  qui  l'onl  servie,  les  recommande  aux 
bontés  du  monarque,  pourvoit  à  leurs  be- 
soins ,  assure  leur  vie,  offre  la  sienne  à 
son  Dieu,  soupire,  et  va   régner  a»ee  lui 

Ainsi  finit  une  reine  sublime  dans  ses  vues, 
éclairée  dan-  ses  conseils,  épouse  chérie 
d'un  grand  roi,  mère  la  plus  heureuse,  priu- 
cesse  fidèle  à  la  religion,  aujourd'hui  sa  res- 
source  el  notre  espérance  pour  elle. 

O  mon  Dieu  I  recevez  le  sacrifice  qu'uu 
saint  pontife   vous  offre  pour  celle  âme  que 


uns 


ORAISON  FUNEBRE  DE  M 


vous  avez  rendue  si  grande  devant  les  hom- 
mes! Pu  issenlses  prières  et  les  nôtres  désarmer 
enfin  votre  courroux!...  Que  de  précieuses  vie- 
illes immolées  à  votre  souveraine  puissance 
ont  fait  couler  nos  larmes  ! Conservez- 
nous  un  monarque  si  digne  de  l'amour  de 
ses  peuples,  une  reine  l'honneur  de  la  vertu, 
des  princes  et  des  princesses  l'ornement  et 
l'exemple  de  la  cour;  conservez-les,  conser- 
vez-nous tous  sous  le  règne  de  votre  grâce, 
et  ne  nous  jugez  point  dans  la  rigueur  de  voire 
justice.  Ainsi  soit-il. 

ORAISON  FUNÈBRE 

DE  MARIE,    REINE  DE  FRANCE   ET  DE  NAVARRE. 

Mirabantnrsapienliam  ejus,  eldiccbaut  aller  ad  alterum: 
Non  esl  t  dis  niulier  super  Lcrram. 

Ils  admiraient  sa  sagesse,  cl  ils  se  disaient  l'un  à  l'autre: 
Il  n'est  point  sur  la  terre  de  femme  comparable  à  elle  (Ju- 
dith, XI,  18,  19) 

Monseigneur  (1), 

Elle  n'est  donc  plus,  cette  reine  auguste  et 
respectable,  dont  les  vertus  édifièrent  la 
cour,  sanctifièrent  le  règne,  firent  la  gloire 
de  la  religion,  l'exemple  des  souverains  et 
l'admiration  des  peuples  !....  Elle  n'est  plus  1 
ses  jours  se  sont  perdus  sans  retour  dans  la 
nuit  du  tombeau,  centre  commun  où  les 
hommes  précipités    rentrent   dans  la   terre 

d'où  ils  sont  sortis Ecueil  fatal,  couvert 

de  siècle  en  siècle  des  riches  dépouilles  de  la 
grandeur  et  des  restes  informes  de  la  pau- 
vreté.... ;  gouffre  vaste  et  profond,  où,  parmi 
les  débris  de  toutes  les  fortunes  de  l'univers, 
la  puissance  cl  la  faiblesse,  l'opulence  et  la 
médiocrité,  l'indépendance  qui  brillait  sur 
le  trône  et  l'indigence  qui  rampait  sur  la 
poussière,  le  monarque  qui  donnait  des  lois 
et  le  peuple  qui  y  était  assujetti ,  sont  ense- 
velis et  rappelésà  celle  première  égalité  que 
l'auteur  de  la   nalure  avait  mise  entre  les 

hommes Elle  n'est  plus,  cette   princesse 

vertueuse,  supérieure  à  l'adversité,  dont  elle 
éprouva  tous  les  traits;  supérieure  à  la 
prospérité,  dont  elle  recueillit  toute  la  gloire  ; 
supérieure  à  la  mort  elle-même,  dont  elle 
surmonta  toutes  les  horreurs  :  elle  repré- 
senta le  règne  de  Dieu  parmi  nous,  nous 
présumons  de  ses  vertus  et  de  la  bonté  de  ce 
même  Dieu,  qu'elle  règne  avec  lui  :  la  terre 
la  regrette,  le  ciel  la  couronne,  sa  mémoire 
nous  reste,  et,  pénétrés  d'admiration  aussi 
bien  que  de  regrets,  nous  ne  nous  consolons 
de  ce  qu'elle  n'est  plus  que  par  le  souvenir 
de  ce  qu'elle  a  été. 

Dieu  l'avait  suscitée,  comme  celte  héroïne 
célébrée  par  l'Esprit-Saint  lui-même,  pour 
manifester  les  miracles  de  sa  sagesse,  cl 
être  elle-même  un  prodige  de  verlu  :  Miru- 
bantur  saptei ■tin ni  ejus.  Ou  l'admirait,  on  ad- 
mirait Dieudanscllc;  lousiaisaientson  éloge, 
et  on  ne  jugeait  sur  la  terre  aucune  femme 
digne  de  lui  être  comparée  :  El  dicebant  : 
JSun  est  talis  millier  super  lerram.  Ce  spec- 
taele  et  cet  exemple  étaient  réservés  à 
1'inslruclion  ou  à  la  c  infusion  d'un  siècle  le 
plus  éclairé  peut-être  et  le  moins  vertueux; 
qui  vanle  la  sagesse,  et  la   craint;    déclame 

(1)  Le  dauphin. 


\RIE,  REINE  DE  FRANCE.  HGG 

contre  les  vices,  et  les  accrédite;  s'appuie 
sur  l'autorité  de  la  raison,  et  se  refuse  à 
celle  de  la  foi;  parle  le  mieux  des  devoirs,  et 
cherche  le  moins  à  les  remplir;  raisonne  où 
il  faut  se  soumettre  ;  veut  comprendre  où  l'on 
doit  adorer;  aime  à  disputer,  craint  de  s'ins- 
truire; ne  sait  pas  ignorer,  et  n'ose  pas 
croire. 

Grands  de  la  terre,  philosophes  amhitieu  t, 
génies  éclairés,  hommes  de  tous  les  états ,  la 
pompe  funèbre  à  laquelle  yous  assistez  à  ce 
moment  vous  annonce  le  terme  de  vos  di- 
gnilés,  de  vos  prétentions  de  vos  recherches 
et  de  vos  fortunes.  Puissent  les  flambeaux 
lugubres  qui  éclairent  ce  sanctuaire  répan- 
dre un  nouveau  jour  sur  vos  connaissances! 
Les  réflexions  sur  une  mort  aussi  certaine 
pour  vous  ,  qu'elle  est  ici  présente  à  vos 
yeux,  sont  la  meilleure  leçon  pour  apprendre 
à  régler  votre  vie.  Voyez  ce  terme  de  l'hu- 
manité, c'est  là  l'école  de  l'homme. 

J'ai  à  vous  peindre  un  caractère  formé 
par  les  qualités  qui  méritent  de  régner  sur 
les  hommes,  qui  honorent  la  souveraineté, 
que  Dieu  seul  peut  dignement  récompenser. 
Tel  était  celui  de  l'auguste  princesse  que 
nous  pleurons.  Le  Irône  avait  été  pour  elle  le 
prix  de  la  verlu,  son  règne  fut  l'exemple  de 
la  verlu,  sa  mort  a  été  le  triomphe  de  la 
vertu.  Vertu  éprouvée  et  recherchée,  pro- 
duite et  admirée,  souffrante  et  couronnée; 
c'est  sur  ce  plan  et  sous  ces  trois  points  de 
vue  que  je  vais  vous  représenter  très-haute, 

TRÈS-PUISSANTE  KT  TRÈS-EXCELLENTE  PRIN- 
CESSE Marie,  princesse  du  Pologne,  reine 
dï  France  et  de  Navarre. 

première  pvrt1e. 

Quand  Dieu  veut  manifester  la  souverai- 
neté de  sa  puissance,  c'est  sur  les  maîtres 
du  monde  qu'il  exerce  ses  droits  suprêmes; 
il  fait  un  grand  exemple  de  ceux  dont  il  a 
fait  un  grand  spectacle;  établit  les  trônes,  et 
les  renverse;  donne  les  sceptres,  et  les  en- 
lève; humilie  l'indépendance  des  princes  sous 
les  terribles  éclats  de  la  sienne,  et  fait  sentir 
aux  dieux  de  la  terre  qu'il  i  st  au  ciel  un 
Dieu  plus  puissant  et  plus  absolu  ,  dont  les 
premiers  des  hommes  ne  sont  que  les  pre- 
miers sujets. 

Le  même  Dieu  qui  se  joue  de  la  puissance 
soulevée  contre  ses  droits,  se  plaît  quelque, 
fois  à  frapper  la  vertu  soumise  à  ses  vo- 
lontés, et  semble  appesantir  son  bras  sur  le 
prince  fidèle  qui  lui  obéit ,  comme  sur  l'au- 
dacieux qui  le  brave....  Enfants  des  hommes, 
aussi  aveugles  dans  nos  jugements  qu'il  est 
adorable  et  impénétrable  dans  les  siens, 
témoins  des  rigueurs  apparentes  qu'il 
exerce  contre  la  vertu,  nous  ne  porlons  pas 
nos  regards  sur  les  faveurs  qu'il  lui  pré- 
parc; et,  dans  le  délire  d'une  compassion 
dont  elle-même  nous  dispense,  nous  osons 
f.iire  à  sa  Providence  uu  crime  de  ce  qui  est 
peul-êlrc  un  des  chefs-d'œuvre  île  sa  : agesse; 
nous  ne  pensons  pas  qu  il  est  éternel  ,  et 
que,  mailre  des  lemps,  il  dispose  le  juste, 
par  les  jours  où  il  permet  ion  infortune,  à 
ceux  qu'il   a   marqués   pour  son  bonheur 


IIG7 


OIUTEUHS  SACHES.  PUNChT  DE  LA  ItiVItllf*:. 


11-3 


qu'entre  les  mains  de  l'Etre  suprême  l'événe- 
nient  qui  détruit  est  quelquefois  celui  qui 
répare;  que  s'il  permet  qu'une  brillante 
prospérité  disparaisse  tout  à  coup  et  se  perde 
sous  dos  disgrâces  accablantes,  du  sein  de  ces 
disgrâces  elles-mêmes  il  saura  faire  éclore 
une  prospérité  encore  plus  éclatante,  et  que 
la  vertu  qu'il  avait  couronnée  sortira  plus 
épurée  du  nuage  pour  être  couronnée  de 
nouveau  avec  plus  de  gloire. 

Conduite  admirable  1  Messieurs,  c'est  à 
elle  que  la  France  fut  redevable  de  l'auguste 
reine  qui,  pendant  plus  de  quarante  années, 
a  fait,  avec  le  roi,  nos  plus  chères  délices, 
et  fait  aujourd'hui  ses  trop  justes  regrets 
aussi  bien  que  les  nôtres.  Il  fallait  que  le 
changement  de  sa  fortune  fût  regardé  comme 
l'ouvrage  des  conseils  de  Dieu  même,  et  que 
sa  main  ne  pût  être  méconnue  dans  celle 
par  qui  elle  était  élevée  au  trône. 

Rappelons  ici  les  circonstances  où  elle  se 
trouvait  alors,  les  motifs  qui  décidèrent  le 
choix  dont  elle  fut  honorée,  l'impression  que 
ce  choix  ût  sur  les  peuples;  à  ces  traits 
nous  reconnaîtrons  ceux  d'une  Providence 
attentive,  qui  n'éprouve  la  vertu  que  parce 
qu'elle  veut  la  récompenser ,  et  ne  la  fait 
gémir  quelque  temps  sous  le  poids  des  dis- 
grâces, que  pour  la  rendre  plus  capable  de 
soutenir  celui  de  ses  faveurs. 

(Juelles  circonstances  en  effet,  Messieurs  1 
ce  n'était  plus  ce  temps  de  grandeur  et  de 
prospérité  où  son  auguste  père,  conduit  au 
trône  par  une  suite  d'événements  glorieux, 
s'y  plaçait  avec  la  victoire  ;  calmait,  par  la 
douceur  de  son  règne,  les  regrets  de  celui 
qui  l'avait  précédé;  aimait  ses  sujets,  se  fai- 
sait aimer  d'eux;  les  rendait  les  plus  heu- 
reux des  peuples  ,  et  se  trouvait  par  là  le 
plus  heureux  des  rois....  Jours  brillants, 
quelle  affreuse  nuit  vous  succède  1  Des  an- 
nées de  combats  avaient  établi  sa  puissance, 
quelques  mois  de  revers  la  détruisent.  L'A- 
lexandre du  Nord  ,  après  avoir  trop  imité 
celui  de  la  Macédoine,  arrêté  comme  lui  au 
milieu  de  sa  course,  périt  sur  un  rempart 
étranger  d'un  coup  de  la  foudre  qui,  lancée 
par  ses  mains  ,  en  avait  renversé  tant  d'au- 
tres. Stanislas,  livré  seul  à  lui-même  ,  voit 
s'éloigner  avec  la  fortune  les  amis  qu'elle  lui 
avait  donnés  ;  la  Moscovie  l'investit  de  sa 
haine,  l'accable  de  sa  puissance  ;  la  Saxe  est 
en  armes,  les  royaumes  étrangers  lui  sont 
interdits,  ses  pas  dans  le  sien  ne  se  comptent 
que  par  ses  périls;  il  perd  un  trône,  on  lui 
dispute  un  asile;  ses  sujets  l'ont  chéri,  ils  le 
poursuivent  ;  et  on  ne  le  souffre  pas  impuné- 
ment malheureux  dans  les  contrées  où  il 
était  roi. 

N'ajoutons  pas  au  sentiment  du  malheur 
que  nous  cause  la  perle  de  la  reine,  l'affli- 
geant spectacle  de  ceux  qui  coûtèrent  tant  à 
son  cœur;  ne  nous  la  représentons  pas  ban- 
nie du  palais  qui  l'a  vue  naître,  fuyant  les 
lieux  où  sa  maison  régnait,  fuyanldc  province 
en  province  avec  une  mère  désolée,  sur  les 
traces  d'un  monarque  proscrit  et  fugitif, 
dont  ses  ennemis  redoutèrent  le  courage, 
dont  ils  admirent  lu  constance,  qui  soutient  les 


revers  comme  il  multipliait  ses  triomphes,  M 
n'est  pas  moins  le  héros  de   l'adversité  qu'il 

fut  celui  de  la  victoire Heureuse  ville  de 

Weisseinbourg,  vous  voyez  entrer  dans  vos 
murs  ce  que  l'héroïsme,  la  royauté,  la  vertu, 
peuvent  offrir  de  plus  respectable;  c'est  dans 
votre  sein  que  Dieu  conduit  les  restes  au- 
gustes du  destin  de  la  Pologne,  et  va  prépa- 
rer celui  de  la  France. 

Quelle  révolution,  Messieurs,  d'idées  et  de 
fortune  1  Une  jeune  princesse,  née  sur  le 
trône,  destinée  à  y  monter,  digne  de  l'occu- 
per, élevée  à  la  sublimité  d'une  condition 
qui  donne  des  lois  à  la  terre  et  n'en  reçoit 
que  du  ciel,  placée  dans  une  supériorité  de 
rang  que  les  honneurs  environnent  et  qui 
honore  lui-même  tous  ceux  qui  rapprochent, 
accoutumée  aux  Iéle>  d'une  cour  attentive  à 
étudier  ses  désirs,  empressée  à  les  prévenir, 
flattée  de  les  atteindre,  à  la  Heur  di;  cet  â0*e 
où  la  dissipation  plait,  que  le  tumulte  amuse, 
qui  est  fait  pour  les  agréments  et  qui  les 
cherche ,  plongée  tout  à  coup  dans  le  si- 
lence de  la  retraite,  ensevelie  en  quelque 
sorte  dans  les  ombres  de  la  solitude,  environ- 
née des  débris  d'une  grandeur  qui  n'est  plus, 
exposée  à  l'amertume  des  regrets,  aux  lan- 
gueurs des  dégoûts,  à  l'horreur  des  craintes, 
sans  autre  témoin  de  ses  maux  que  le  Dieu 
qui  les   permet  et  l'auguste  famille  qui  les 

partage Ah!  Messieurs,  les  âmes  les  plus 

fortes  ne  le  sont  pas  assez  pour  soutenir 
celle  accablante  contrariété  d'étals;  et  com- 
bien n'avons-nous  pas  vu  de  ces  cœurs  fer- 
mes et  invincibles  en  apparence,  dans  qui  le 
premier  jour  du  malheur  a  été  le  dernier  de 
l'héroïsme!  11  n'appartient qu'à des  caractères 
éprouvés  par  la  religion  de  supporter  tranquil- 
lement ladisgrâce  et  de  la  vaincre  sans  efforts. 

L'augusie  reine  dont  je  fais  l'éloge  en  sou- 
tient le  spectacle,  en  adoucit  aux  autres  la 
rigueur,  la  supporte  tout  entière,  étonne  la 
terre  et  intéressé  le  ciel....  Soumise  aux  or- 
dres de  Dieu,  elle  n'a  d'autre  volonté  que 
celle  qu'il  lui  inspire:  du  faîte  des  grandeurs 
précipitée  au  centre  des  afflictions,  on  dirait 
qu'elle  n'a  pas  changé  d'état  ;  que  le  séjour 
de  la  cour  n'a  été  pour  elie  que  l'école  de  la 
solitude;  que  l'usage  de  la  prospérité  ne  l'a 
formée  qu'à  celui  des  revers,  et  que  c'est  au 
comble  du  bonheur  qu'elle  a  fail  l'appren- 
tissage de  l'adversité. 

Là,  son  âme,  tranquille  sur  son  sort,  n'est 
troublée  que  par  de  tendres  inquiétudes  sur 
celui  d'un  père  cl  d'un  roi  que  les  malheurs 
même  ne  garantissent  pas  des  dangers:  les 
palais  lui  sont  fermes,  le  sanctuaire  est  son 
asile,  et  sa  conduite  eu  représente  la  sain- 
teté; le  trône,  à  l'ombre  duquel  elle  vivait, 
s'est  écroule,  l'autel  est  son  appui,  et  de  la 
croix  de  Jésus-Christ  coule  une  onction  sa- 
lutaire qui  adoucit  l'amertume  des  sieaoea  : 
là,  renfermée  avec  le  Dieu  consolateur,  elle 
remplace  les  richesses  temporelles  que  les 
hommes  enlèvent  A  sa  maison,  parles  tré- 
sors célestes  dont  il  orne  et  enrichit  sou 
cœur;  là,  renouvelant  sans  cesse  de»anl  M 
Dieu  immolé  le  sacrifice  de  sa  fortune,  elle 
le  remercie  de  l'avoir  lait  naître  sur  lu  Irons 


ORAISON  FUNEBRE  DE  MARIE,  REINE  DE  FRANCE. 


H  CS 

°t  de  l'en  avoir  privée  ;  elle  le  remercie  des 
biens  qu'il  avait  réunis  dans  son  auguste 
maison,  et  des  grâces  par  lesquelles  il  dai- 
gnait en  adoucir  la  perte  ;  là,  malgré  les 
soins  de  sa  modestie,  l'éclat  de  sa  vertu,  per- 
çant les  ombres  de  sa  retraite,  lui  attirait 
l'hommage  des  princes,  le  respect  des  peu- 
ples, l'admiration  de  tous  les  ordres. 

Une  sagesse  de  discours,  une  décence  de 
conduite,  la  plus  noble  simplicité,  un  air  de 
grandeur  qui  annonçait  ce  qu'elle  avait  été, 
joint  à  un  ton  de  douceur  convenable  à  ce 
qu'elle  était  alors  ;  des  libéralités  qui  dans  son 
état  pouvaient  être  envisagées  comme  des 
profusions;  d'abondantes  aumônes,  prises 
sur  le  fonds  de  ses  malheurs  mêmes  pour  sou- 
lager de  moins  malheureux  qu'elle,  tout  en 
elle  représentait  la  vertu,  tout  portait  à  la 
plaindre,  la  faisait  révérer  :  les  cœurs  les  plus 
indifférents  cessèrent  de  l'êlre.;  on  entendait 
de  tous  côtés  ces  cris  semblables  à  ceux 
dont  il  est  parlé  dans  l'Ecriture  :  Quare  fecit 
Dominus  sic  ...  domui  huic  (  II  Parai.,  VII, 
21)  ?  O  mon  Dieu  !  il  est  tant  de  familles  que 
l'abus  de  vos  faveurs  ont  rendues  dignes  de 
Votre  courroux  !  c'est  sur  elles  que  doit  écla- 
ter votre  tonnerre;  leurs  revers  sont  trop 
mérités  pour  que  nous  y  soyons  sensibles  : 
mais,  grand  Dieu  I  qu'avaient  commis  contre 
la  souveraineté  de  vos  droits  des  cœurs  qui, 
souverains  eux-mêmes,  n'ont  usé  de  leur 
autorité  qu'en  adorant  et  faisant  respecter 
la  vôtre?  Dieu  juste!  pourquoi  tant  de  mal- 
heurs où  nous  voyons  tant  de  verlus  ?  Quare 
fecit  Dominus  sic...  domuihuic?  Nous  jugions 
les  événements  en  hommes  qui  leur  sont  sou- 
mis ;  Dieu  les  arrangeait  en  maître  dont  ils 
dépendent. 

Vertueuse  Eslher,  le  temps  de  l'épreuve 
est  passé;  celui  de  la  gloire  commence  à  se 
montrer.  De  l'ombre  du  sanctuaire  où  vous 
habitez  avec  la  vertu,  un  roi  qui  la  chérit 
vous  invite  à  unir  votre  destinée  à  la  sienne  : 
fille  d'un  roi  fugitif  et  abandonné,  vous  de- 
venez l'épouse  du  roi  le  plus  aimé  et  le  plus 
digne  de  l'être;  ne  craignez  plus  pour  cet 
auguste  père,  pour  cette  reine  respectable  à 
qui  vous  devez  le  jour;  Louis  ne  sera  pas 
seulement  votre  époux  :  consolateur  géné- 
reux et  bienfaisant,  il  joindra  à  la  gloire  de 
vous  faire  partager  son  trône  celle  de  répa- 
rer les  torls  de  la  fortune  envers  eux  ;  ils  ont 
perdu  leurs  Etals,  d'autres  leur  sont  prépa- 
rés ;  la  France  qui,  dans  tous  les  temps,  fut 
l'asile  des  princes  malheureux,  devenue  vo- 
tre empire,  fermerait-elle  son  sein  aux  au- 
teurs de  votre  vie  et  de  sa  félicité  ?  Leur 
couronne  a  passé  sur  le  front  d'un  rival 
digne  de  la  porter,  celle  du  plus  grand  mo- 
narque, balancée  sur  les  plus  augustes  têtes 
de  l'Europe,  s'arrête  sur  la  vôtre. 

Ce  ne  fut  point  ici  une  de  ces  alliances  que 
la  politique  recherche,  que  des  motifs  de  con- 
venance ou  d'ambition  font  conclure  entre 
les  maisons  souveraines,  que  le  conseil  pi  us 
que  le  cœur  des  rois  décide,  qu'établissent 
des  intérêts  d'Elal  dont  elles  sont  quelque- 
fois la  ruine;  celle-ci  était  réglée  dans  le 
ciel  avant  que  d'être  annoncée  à  la  terre; 


1170 


fondée  sur  la  seule  estime,  elle  n'eut  pour 
objet  que  l'honneur  de  la  vertu,  et  lui  trans- 
porta celui  du  trône. 

Ce  n'est  pas,  Messieurs,  que  la  naissance 
et  de  grands  héritages  ne  missent  la  prin- 
cesse de  Pologne  au  rang  de  celles  qui  pou- 
vaient le  plus  y  prétendre.  Les  ancêtres  de 
son  auguste  mère  avaient  fondé  en  Pologne 
la  royauté  qu'elle  y  perdait;  ceux  de  son 
auguste  père  y  avaient  élevé  les  premiers 
temples  an  Dieu  vivant  :  par  l'une  elle  des- 
cendait des  anciens  chefs  de  sa  nation;  par 
l'autre  elle  était  issue  des  anciens  souverains 
de  Bohême  ;  les  premiers  aïeux  de  Catherine 
Opalinska  avaient  été  les  premiers  rois  de 
Pologne  ;  Stanislas  Leczinski  ,  appelé  au 
trône  de  cet  Etat,  y  avait  reçu  le  serment 
des  grands  sur  un  autel  dont  les  premières 
pierres  avaient  été  posées  par  les  premiers 
de  ses  ancêtres;  le  grand-duché  de  Lithua- 
nie,  des  provinces  entières  étaient  le  patri- 
moine de  cette  opulente  maison  :  fortune, 
richesses,  honneurs,  dignités,  souveraineté 
même,  tout  ce  qui  a  le  plus  de  part  à  la  con- 
sidération des  hommes,  n'entrait  point,  pour 
elle,  dans  les  desseins  de  Dieu  ;  il  fallait  que 
rien  ne  fût  honoré  dans  elle  que  les  droits 
de  la  vertu  :  ce  n'est  pas  du  trône  de  Po- 
logne, c'est  du  milieu  de  ses  débris  qu'elle 
devait  monter  sur  le  premier  trône  de  l'uni- 
vers ;  sa  route  à  la  souveraineté  était  tracée 
parmi  des  ruines;  et  c'était  dans  l'obscurité 
de  la  solitude  et  lorsque  la  vertu  seule  était 
son  apanage,  que  les  desseins  de  Dieu  sur 
elle  devaient  s'accomplir. 

Choisie  pour  être  l'épouse  du  plus  grand 
roi,  quelle  impression,  Messieurs,  croyez- 
vous  que  fil  sur  son  cœur  la  nouvelle  d'une 
destination  si  supérieure  à  toutes  ses  espé- 
rances ?  La  vit-on,  éprise  de  l'éclat  de  sa 
gloire,  se  livrer  aux  excès  d'une  joie  si  na- 
turelle à  une  ambition  plus  que  satisfaite, 
el  mettre  dans  sa  conduite  un  changement 
que  celui  de  sa  fortune  semblait  autoriser?... 
C'est  par  la  modestie  qu'elle  essaye  de  la 
grandeur:  on  la  félicitait  de  la  souveraineté 
des  droits  dont  elle  allait  être  revêtue,  elle 
n'y  voyait  qu'une  plus  grande  étendue 
d'obligations  dont  elle  serait  chargée;  un 
avenir  rempli  d'honneurs  s'ouvrait  à  ses  re- 
gards, elle  ne  les  portoit  que  sur  cet  avenir 
éternel  où  elle  en  rendrait  un  compte  plus 
rigoureux;  appelée  au  trône,  elle  alla  con- 
sulter l'autel  ;  une  aïeule  respectable  fut  la 
confidente  de  ses  sentiments  :  Ah!  que  je 
crains,  lui  dit-elle,  que  celle  couronne  qu'on 

me  présente  ne  me  prive  de  celle  du  ciel  ! 

Quel  langage,  Messieurs!  ce  fut  celui  d'une 
jeune  princesse  déjà  investie  de  tout  l'appareil 
de  la  royauté,  et  plus  effrayée  que  llallée  du 
rang  suprême  où  elle  montait! ...  Grand  roil 
loin  que  ce  partage  de  ses  sentiments  vous 
parût  une  injure  faite  à  votre  choix  ,  il  en 
justifia  la  sagesse  à  vos  yeux;  moins  elle 
était  éblouie  de  l'éclat  du  sceptre,  plus  vous 
la  jugeâtes  digne  de  le  porter  :  l'estime  de  la 
vertu  avait  décidé  votre  cœur,  et,  j'ose  le 
dire,  celle  indécision  de  la  vertu  elle-même 
vous  la  rendait  encore  plus  estimable. 


H71 


OIIATF.UKS  SACRES.  PONCF.T  I)F.  LA  RIVIFJŒ. 


1172 


Qu'il  fut  brillant,  Messieurs,  ce  jour  où 
fut  annoncé  parmi  nous  une  alliance  si  l.o- 
lioral'le  à  la  religion  et  a  la  majesté!  La  ré- 
pul..ti>n  de  la  reine  l'avait  précédée:  elle 
paru),  'attente  fut  plus  que  remplie  ;  et  la 
renommée,  qui  ;i v a 1 1  été  accusée  d'exagéra- 
tion et  de  Batterie,  fut  accusée  alors  de  fai- 
blesse et  d'infidélité.  Quel  concours  dans 
tous  les  ordres  de  l'Ktat  pour  la  voir  et  pour 
lui  rendre  les  premiers  hommages  !  La  cu- 
riosité était  tout  à  la  fois  satisfaite  et  avide 
de  se  satisfaire  encore;  on  ne  pouvait  ni  dis- 
simuler sa  joie,  ni  assez  l'exprimer;  les  fête 
se  succédaient  l'une  à  l'autre  :  on  d'j  portait 
pas  ce  plaisir  tumultueux  qu'un  grand 
spe'taclc  excite,  mais  on  y  voyait  dans  les 
}eu\,  dans  les  discours,  dans  tout  le  main- 
lien  des  chefs  et  des  peuples,  cette  satisfac- 
tion publique  et  touchante  que  fait  naître  la 
vertu  couronnée;  elle  parut  avec  une  mo- 
destie noble  qui  ajoute  a  la  grandeur  tout  ce 
qu'elle  retram  he  au  faste  ;  chacun  adora  le 
choix  du  ciel  dans  celui  du  roi,  qui  ne  parut 
jamais  mieux  l'image  du  Dieu  qui  règne 
qu'au  moment  où  il  était  le  ministre  do  Dieu 
qui  récompense  :  on  se  flatta  de  revoir  le 
règne  des  Cloli.de,  des  Blanche  de  Castille 
et  de  ces  reines  vertueuses  qui  sur  le  trône 
ont  mérité  des  auteis.  Son  règne,  comme  le 
leur,  a  honoré  la  religion;  la  religion  hono- 
rera peut-être  un  jour  le  souvenir  de  s  m 
règne,  il  avait  été  le  prix  de  la  vertu ,  il  en 
lut  l'exemple:  c'est  le  sujet  de  la  deuxième 
partie  de  son  éloge. 

DEUXIÈME   PARTIE. 

Ce  n'est  plus  dans  l'obscurité  de  la  re- 
traite, courbée  sous  le  poids  des  revers,  ac- 
cablée par  les  disgrâces,  livrée  à  la  rigueur 
du  sort  le  moins  mérité,  le  mieux  soutenu, 
et  à  ces  deux  titres  le  plus  digne  d'être  ré- 
compensé, c'est  au  milieu  des  fêles  de  la 
cour,  souveraine  d'un  grand  empire,  bril- 
lante de  l'éclat  du  sceptre,  environnée  d'un 
peuple  d'adorateurs,  que  la  vertu  doit  ici  se 
présenter  à  vos  regards  ,  et  embellir  elle- 
même  son  tableau  de  toute  la  gloire  qui 
l'accompagne.  Quel  nouveau  genre  d'épreu- 
ve, Messieurs,  que  ce  passage  de  l'humilia- 
tion à  la  grandeur!  Qu'il  est  difficile  que 
des  yeux  si  longtemps  couverts  du  nuage  de 
l'infortune  ne  soient  éblouis  par  les  pre- 
miers rayons  d'un  jour  si  éclatant,  et  qu'une 
âme  invincible  aux  traits  de  l'adversité  ne  se 
laisse  pas  amollir  par  le  poison  d'une  pros- 
périté inattendue!  La  reine  connut  le  péril, 
elle  sut  le  craindre,  et  il  devint  moins  re- 
doulahie. 

Quel  règne  nous  annonçait  celle  crainte  ! 
Messieurs.  Un  règne  tel  que  nous  l'avons  \  u. 
dirigé  par  la  sagesse,  consacré  à  la  religion, 
glorieux  à  l'humanité;  le  règne  de  la  vertu 
présentée  dans  tous  ses  caractères,  noble  et 
modeste  dans  ses  sentiments,  mesurée  dans 
sa  conduite,  fei  vente  dans  sa  piété,  lidèle  a 
ses  devoirs,  bienfaisante  par  goûl.  charita- 
ble sans  réserve,  sensible  aux  peines  des  au- 
tres, patiente  dans  les  siennes,  digne  de 
'Dieu,   respectable  aux   hommes,   utile  aux 


malheureux,  plus  souveraine  par  l'autorité 
qui  nail  île  l'estime,  que  parcelle  qui  rient 
du  pouvoir:  que  de  traits  pour  un  seul  et 

ractère  1  Ce  fut  celui  de  l'auguste  reine 
que  nous  regrettons;  osons  eu  ébaucher  le 
tableau 

Vertu  noble  et   modeste,  Versailles  la  vit 
telle  que  Weissembourg  l'avait  vue,  loujoor 
sans  faste,  toujours  avec  digni'é,  aussi  peu 
effrayée  de   la  retraite  que  si  elle  ne  fût  ja- 
mais montée  sur  le  tronc;  sur  le  trône,  aussi 
peu  étonnée  que  si  jamais  elle  n'en  fût  de  - 
cendue.  Obligée  de  représenter,  on  lui  voj   il 
non  celle  grandeur  empruntée  qui  dégrade 
la  véritable,  non  celle  vaine  ostentation  qui 
croit   honorer    le   rang  et  l'avilit,  non  celte 
gravité  affectée  qui   force  le   respect  et   ne 
l'obtient  pas,  mais   une  élévation  de  senti- 
ments qui  convient  au  trône  ri  que  le  trône 
ne  peut  donner,  une  décence  qui  relient,  une 
douceur  qui  allire,  la  majesté  qui  comnaaod  i 
el  la  bonté  qui  régne,  une  dignité  facile  qui 
impose  sans  effrayer,  u  e  simplicité  noble 
qui  se  communique  sans  se   commettre,  un 
air  de  supériorité  qui  tient  l   ut  dans  le  de- 
voir sans  l'ordonner,  un  air  de  condescen- 
dance qui   semble  négliger  les  droits  el  les 
multiplie,  ne  prend  rien  sur  le  fond  de  l'au- 
t  rilé,  oblieni  tout  de  celui  de  l'amour,  veut 
moins  le  respect  et  n'en  est  que  plus  respec- 
tée... Placée  au  faite  des  grandeurs,  elle  ne 
connut  qu'une  souveraineté  vraiment  indé- 
pendante   :    celle  que    Dieu   exerce  sur   les 
rois.  Elle  savait  qu'il  n'appartient  qu'à  lui 
d'être  grand  par  lui-même;  que  les  droits 
des  souverains  sont  tous  émanés  des  siens; 
qu'infiniment  plus  élevé  au-dessus  des  mo- 
narques que  les  monarques  eux-mêmes  no 
le  sont  au-dessus   des  peuples,  il   les   lient 
doublement  attachés  à  sa  loi  :  par  les  liens 
de  la  dépendance  commune  el  par  ceux  d'uue 
reconnaissance    particulière  ,    à    raison    du 
pouvoir  qu'il  a  sur  eux  comme  leur  mailre 
et  de  celui  qu'il  leur  communique  comme  à 
ses  images,  en  vertu  de  l'égalité  qui  les  con- 
fond à  ses  yeux,  tout  rois  qu'ils  sont,  avec 
les  autres   hommes,  et  de  la  supériorité  qui 
les  rapproche,  quoiqu'ils  ne  soient  que  des 
hommes,  de  la  Divinité,  par  les  devoirs  enfiu 
qu'il  leur  impose  comme  à  ses  premiers  su- 
jets, el  par  l'honneur  qu'il  leur  fait  de  les 
établir,  en  quelque  sorte,  ses  représentante 
sur  la  lerre...  De  ces  idées  saintes  el  subli- 
mes qu'elle  avait  conçues  de   la  majesté  de 
Dieu  naissait   ce   respect  profond  dont  elle 
était  pénétrée  pour  cette  majesté  divine;  la 
pompe  et  la  magnificence  dont  la  sienne  élail 
environnée  ne  paraissait  à  ses  jeux   que 
comme  une  décoration  propre  à  relever  les 
hommages  qu'elle  lui  devaii;  elle  portait  au 
pied  de  la  croix   tous  ceux  que  l'on  présen- 
tait à  son  trône,  el  les   honneurs   que   l'on 
rend. lit  dans  elle  à  sa  souveraineté  n'étaient 
pour  elle  qu'un  tribut  de  plus  qu'elle  offrait 
à  celle  de  Dieu. 

Llle  les  offrait,  avec  quelle  ferveur  de  |  ie- 
l(  '.  Ah!  Messieurs,  il  faudrait  en  être  pénélré 
comme  elle  pour  vous  la  décrire...  Saintes 
ha  liantes  du  Carmcl,vous  doul  la  conduite, 


1175 


ORAISON  FUNEBRE  DE  MARIE,  REINE  DE  FRANCE. 


4174 


mieux  encore  que  la  règle ,  nous  retrace 
l'esprit  qui  vous  établit,  combien  sont  pré- 
cieux à  votre  souvenir  les  jours  que  cette 
auguste  princesse  venait  passer  parmi  vous  1 
Elle  cherchai t  des  leçons  de  vertu,  elle  vous 
en  donnait  des  exemples  :  quel  spectacle 
plus  digue  de  votre  piété  que  celui  de  la  plus 
grande  reine  de  l'univers  prosternée  des 
heures  entières  au  pied  des  autels,  trem- 
blante sous  le  poids  de  la  Divinité  qu'elle 
adorait,  anéantie  aux  yeux  et  sous  la  main 
de  cette  majesté  suprême,  devant  qui  toute 
autre  majesté  n'est  rien!  En  voyant  sa  fer- 
veur, vous  sentiez  la  vôtre  croître  et  se  rani- 
mer dans  vous.  Pour  conserver  l'esprit  de  la 
religion,  vous  fermez  vos  solitudes  à  celui  du 
monde;  et  c'est  des  lieux  mêmes  où  le  monde 
est  plus  dangereux  que  l'esprit  de  la  religion 
y  pénétrait  avec  elle  :  vous  le  disiez  vous- 
mêmes,  et  ce  témoignage  que  nous  rappor- 
tons à  sa  gloire  n'enlève  rien  à  la  vôtre. 
Vous  disiez  souvent  que  si  le  dégoût  d'une 
règle  austère  pouvait  faire  entrer  parmi  vous 
celui  de  voire  état,  la  vue  et  les  entretiens 
d'une  aussi  vertueuse  princesse  suffisaient 
pour  vous  y  rappeler  et  vous  soutenir. 

Piété  tendre  :  elle  l'était  dans  tous  les 
temps;  mais  quel  nouveau  degré  de  force  ne 
paraissait-elle  pas  acquérir  dans  ces  jours 
saints  et  lugubres  où  l'appareil  de  la  passion 
de  Jésus-Christ,  représentée  dans  nos  tem- 
ples, semble  la  reproduire  à  nos  yeux  !  Qui 
pourrait  compter  les  larmes  qu'elle  versait 
alors  au  pied  de  la  croix?  Son  attendrisse- 
ment et  sa  confusion  étaient  extrêmes  à  !a 
vue  du  diadème  qu'elle  portait  et  des  épines 
dont  son  Dieu  était  couronné.  Quelle  impres- 
sion ne  faisait  pas  sur  elle  le  contraste  du 
Calvaire  et  du  trône,  de  la  créature  élevée  et 
du  Créateur  anéanti?  Cœur  adorable  de  ce 
Dieu  sauveur,  cœur  percé  pour  notre  salut 
sur  la  croix,  cœur  ouvert  sur  l'autel  à  nos 
besoins  et  à  notre  amour,  c'est  à  la  tendre 
vénération  dont  le  sien  était  pénétré  pour 
vous ,  c'est  à  son  zèle,  à  ses  sollicitations  et 
à  ses  soins,  que  nous  sommes  redevables  de 
l'auguste  fêle  instituée  dans  tout  le  royaume 
à  votre  honneur. 

Piété  humble  et  pénitente  :  ministre  de  la 
religion,  heureux  dépositaire  des  secrets  de 
cette  grande  âme,  vous  la  voyiez  plusieurs 
fois  chaque  mois  prosternée  à  vos  pieds,  se 
reprochant  comme  des  péchés  considérables 
ce  qu'à  peine  nous  regardons  comme  des 
fautes,  vous  demandant  des  secours  spiri- 
tuel» dont  son  cœur  était  rempli ,  et  intéres- 
sant votre  religion  et  votre  zèle  sur  un  état 
que  vous  jugiez  digne  de  votre  admiration. 

Piété  constante  :  ce  n'était  point  une  de 
ces  dévotions  inégales  comme  \e  caprice  qui 
les  enfante,  changeante  comme  l'humeur  qui 
les  conduit,  qu'un  moment  voit  naître,  qui 
n'ont  que  la  durer  d'un  moment,  et  qu'il  faut 
surprendre  dans  leur  naissance  pour  les 
trouver  encore  :  la  piété  de  la  reine,  animée 
par  la  religion  et  Bolide  comme  elle,  fut  tou- 
jours la  même  dans  des  exercices  toujours 
variés;  elle  se  nourrissait  par  le*  lectures, 
elle  s'élevait  par  la  méditation,  elle  s'épurait 


dans  les  entretiens,  elle  s'enliammait  dans  la 
prière.  Nul  genre  de  vertu  ne  manquait  à 
cette  grande  princesse,  mais  la  piété  était  sa 
vertu  dominante  et,  si  j'ose  le  dire,  son  vrai 
caractère  et  son  état. 

Que  ne  puis-je  ouvrir  à  vos  regards  cet 
oratoire  saint  et  secret  qu'elle  s'était  ména- 
gé, au  lieu  de  ces  endroits  ornés  qu'un  luxe 
recherché  prépare  à  la  superbe  et  indolente 
oisiveté!  Là  vous  la  verriez,  plus  souvent 
que  sur  son  trône,  s'entretenant  seule  avec 
Dieu  seul;  c'est  là  que,  retirée  une  grande 
partie  du  jour,  elle  goûtait,  dans  *e  silence 
et  le  repos  de  la  solitude,  ce  plaisir  pur  que 
ceux  du  grand  monde  ne  peuvent  ni  égaler 
ni  remplacer;  c'est  là  que  se  faisaient  ces 
méditations  sublimes,  où  son  esprit  prenait 
son  essor  jusqu'au  ciel  et  allait  dans  le  sein 
de  la  Divinité  même  puiser  ce  trésor  de  grâ- 
ces et  de  lumières  qu'elle  répandait  ensuite 
dans  tous  ses  discours  et  sur  toutes  ses  ac- 
tions; là,  comme  Clotilde,  elle  priait  pour  la 
gloire  du  roi  son  époux  ;  comme  Hélène,  elle 
adorait  la  croix  de  Jésus-Christ  ;  comme 
Esther,  elle  gémiss  iit  de  celte  loi  du  trône 
qui  la  soumettait  à  celle  de  la  représentation 
et  de  la  maguilicenc .-.  Elle  ne  cessait  de  s'y 
entretenir  avec  Dieu  que  pour  en  parler  avec 
ses  augustes  enfants  :  entretiens  précieux  et 
respectables,  dignes  du  ciel,  qui  les  inspirait 
et  qui  les  récompense,  où  la  communication 
des  seulimcnts  était  celle  des  vertus,  où  la 
loi  du  Seigneur,  expliquée  par  ceux  qui  de- 
vaient donner  des  lois  à  la  lerre,  était  le  su- 
jet des  discours  et  la  règle  de  la  conduite. 
Quel  endroit  du  monde  offrait  au  ciel  un 
spectacle  si  intéressant  pour  sa  gloire?  Est-ce 
donc  un  palais  destiné  aux  hommages  que 
l'on  rend  aux  rois,  ou  un  sanctuaire  consa- 
cré à  ceux  qui  sont  dus  au  Maître  des  rois? 
Ce  qui  dans  les  cloîtres  et  autour  de  la  croix 
fait  l'occupation  des  personnes  attachées  à 
Dieu  par  étal,  à  la  cour  et  auprès  du  trôno 
faisait  le  délassement  et  le  plaisir  d'une 
grande  reine,  d'une  princesse  destinée  à  l'ê- 
tre, d'un  prince  héritier  du  trône,  et  de  la 
plus  auguste  famille. 

Piété  solide  :  fidèle  à  toutes  ses  obligations, 
elle  ne  connaissait  ni  les  douceurs  qui  facili- 
tent le  service  de  Dieu,  ni  les  hauteurs  qui 
rendent  pénible  celui  des  princes.  Persuadée 
que  Dieu  ne  l'avait  mise  sur  le  trône  que 
pour  lui  obéir  avec  plus  d'éclat,  elle  se  crut 
d'autant  plus  obligée  d'y  être  un  grand 
exemple,  qu'elle  y  était  un  plus  grand  spec- 
tacle ;  elle  n'omettait  rien  de  ce  qui  regarde 
l'accomplissement  de  la  loi  du  Seigneur;  la 
pratique  la  plus  petite  avait  du  prix  à  ses 
yeux,  et  nulle  dispense  ne  lui  adoucissait  la 
plus  difficile.  Dans  ce  qu'elle  exigeait  pour 
son  service  personnel,  le  moindre  repentir 
excusait  la  plus  grande  faute,  et  la  plus  fai- 
ble attention  avait  sa  récompense.  Lui  cchap- 
pail-il  un  signe  d'impatience ,  la  plus  écla- 
tante réparation  succédait  à  l'offense  la  plus 
légère  :  elle  demandait  pardon  dans  des  ter- 
mes et  quelquefois  dans  une  posture  capa- 
bles de  confondre  ceux  devant  qui  elle  s'hu- 
miliait; cl  ou  redoutait  plus  les  reproches 


irs 


OJUTIXnS  SACRES.  PONCKT  H  F.  LK  RIVIRRR 


1170 


qu'elle  se  faisait  à  elle-même  que  ceux  qu'où 
aurai!  pu  mériter  de  sa  parti 

L'ordre  qui  était  dans  sa  conscience  pas- 
sait dans  1  intérieur  de  sa  maison  :  «Ile  ne 
sortait  point  de  ces  bornes  respectables,  et 
par  là  le  devenait  elle-même  davantage  ;  loin 
d'elle  cet  esprit  de  tumulte  et  d'intrigues 
par  lequel  on  a  vu  tant  de  reines  ambitieu- 
ses troubler  le  repos  des  empires  et  porter 
dans  le  cœur  des  royaumes  les  agitations  du 
leur....  Parlait-t-on  de  saintes  entreprises,  de 
familles  soulagées,  d'oeuvres  marquées  au 
caractère  de  la  vertu,  la  reine  était  citée  en 
exemple.  Parlait- on  d'affaires  publiques, 
son  nom  n'était  pas  prononcé,  et  c'était  pour 
elle  un  éloge  de  plus.  Les  affaires  de  1  Etat 
lui  paraissaient  étrangères  au  sien  ;  elle  ne 
se  les  rendait  personnelles  qu'au  pied  des  au- 
tels, où,  occupée  de  ce  qu'elle  devait  au  roi, 
et  pénétrée  du  plus  tendre  attachement  pour 
sa  personne  sacrée ,  elle  intéressait  Dieu 
dans  ses  sentiments  appelait  le  ciel  au  se- 
cours de  sa  reconnaissance,  et  le  conjurait 
de  réunir  sur  son  règne  et  sur  sa  vie  autant 
de  gloire  et  de  faveurs  que  ce  monarque  gé- 
néreux en  avait  répandu  sur  elle  et  sur  son 
auguste  maison. 

Au  seul  nom  de  familles  malheureuses, 
son  âme,  aussitôt  attendrie,  faisait  connaître 
tout  l'intérêt  qu'elle  y  prenait.  Les  cabanes 
chancelâmes,  les  hôpitaux  remplis  d'infor- 
tunés, qui  ne  tiennent  plus  à  la  vie  que  par 
le  sentiment  de  la  douleur,  tous  les  lieux 
habités  par  l'indigence,  ah  !  là  était  son  em- 
pire, son  Etat,  le  trône  de  la  souveraineté 
qui  flattait  le  plus  son  ambition,  où  elle  ai- 
mait à  régner,  à  faire  sentir  le  pouvoir  de  la 
royauté  par  celui  de  ses  bienfaits.  Les  vieil- 
lards, les  orphelins,  les  infirmes,  voilà  sur- 
tout ceux  qu'elle  considérait  comme  son  peu- 
ple... Je  me  trompe,  c'étaient  ses  enfants.... 
Oui,  pauvres  de  Jésus-Christ,  c'est  à  vous 
de  rendre  témoignage  à  une  charité  dont 
vous  lûtes  toujours  les  objets  :  vous  direz 
que  s'il  fut  à  Bethléem  et  sur  le  Calvaire  un 
Dieu  pauvre  et  immolé,  dont  vous  nous  re- 
présentez la  misère,  il  fut  à  la  cour  et  dans 
le  palais  des  rois  une  reine  vertueuse  et  bien- 
faisante, par  qui  vous  fûtes  consolés  et  se- 
courus.Que  si  dans  les  villes  vous  êtes  aban- 
donnés par  des  cœurs  insensibles  et  inhu- 
mains, il  fut  sur  le  trône  un  cœur  chariiable 
et  compatissant,  par  qui  vous  vîtes  soulager 
votre  infortune  :  elle  mettait  à  trouver  vos 
retraites  et  connaître  vos  besoins  l'industrie 
que  vous  mettez  vous-mêmes  à  nous  intéres- 
ser sur  eux.  Peu  contente  de  verser  dans 
votre  sein  les  plus  abondantes  aumônes, elle 
eût  voulu  employer  ses  mains  royales  à 
panser  vos  plaies  et  à  vous  servir. 

Elle  exigeait,  et  c'était  son  ordre  le  plus 
absolu,  qu'on  l'instruisit  des  misères  secrè- 
tes et  particulières  ;  elle  se  plaignait  du  si- 
lence qu'on  gardait  à  cet  égard,  taxait  de 
retranchement  fait  à  ses  droits  les  réserves 
que  l'on  mettait  à  sa  pieuse  prodigalité.  Com- 
pièpnc  l'a  vue  plus  d'une  lois  entrer  dans 
ses  hôpitaux,  interroger  les  malades,  les  re- 
commander aux  médecins  chargés  de  leur 


guérison,  leur  faire  passer  des  secours  et 
porter  une  sainte  envie  à  ceux  qu'elle  <  n- 
\oyait  les  visiter. 

On  l'a  vue, dans  une  saison  dont  la  rigueur 
augmentait  celle  de  la  misère,  ouvrir  au- 
près de  son  trône  un  asile  à  un  de  ces  infor- 
tunés, le  soutenir  elle-même  presque  expi- 
rant, le  rappeler  à  la  vie  par  ses  soms,  et  la 
lui  prolonger  par  ses  bienfaits. 

Renfermée  dans  l'enceinte  de  son  palais, 
elle  s'y  occupait  au  soulagement  des  pau- 
vres et  à  la  décoration  des  temples  :  ici  des 
ornements  pour  les  églises, là  des  habits  pour 
l'indigence;  son  loisir  consacrée  ce  pieux 
travail  s'employait  tour  à  tour  à  orner  les 
autels  du  Dieu  vivant  et  à  couvrir  les  mem- 
bres de  Jésus-Christ  souffrant. 

Elle  avait  trop  de  vertus  pour  n'avoir  pas 
encore  des  afflictions.  Ah!  qu'elle  fut  vive, 
et  qui  pourrait  vous  la  peindre,  Messieurs, 
celle  que  lui  causa  celte  maladie  cruelle  qui 
menaeait  la  vie  d'un  roi  qu'elle  respectait 
comme  son  maître,  qu'elle  chérissait  comme 
son  époux,  qu'elle  révérait  comme  l'auteur 
de  sa  fortune  el  le  restaurateur  de  celle  de 
sa  maison  1  Aux  prières  qu'elle  faisait  plu- 
sieurs fois  chaque  jour  pour  sa  gloire,  com- 
bien n'en  ajouta-t-elle  pas  pour  sa  conser- 
vation !  Elle  se  renferma  dans  son  oratoire, 
la  nuit  l'y  surprit,  l'aurore  l'y  retrouva. 
Nuit  sainte  et  salutaire,  c'est  à  vous  que 
nous  avons  été  redevables  des  beaux  jours 
qui  nous  furent  rendus.  .!  Elle  priait  encore 
pour  son  auguste  personne,  au  moment  où 
la  vie  de  ce  monarque,  si  digne  du  nom  que 
notre  amour  lui  a  donné,  se  trouva  dans  un 
danger  dont  le  souvenir  ne  se  présente  qu'a- 
vec l'horreur Quelle   épreuve   pour   un 

cœur  aussi  sensible  que  le  sien  ! 

Y  ajouterai-je  l'impression  que  faisait  sur 
elle  le  discrédit  et  le  danger  où  semble 
mettre  la  religion  ce  déluge  d'écrits  licen- 
cieux et  impies  où  le  libertinage  el  l'incré- 
dulité réunissent  tous  leurs  efforts  pour 
affaiblir  le  respect  qui  soutient  encore  son 
empire;  ces  productions  malheureuses  d'un 
délire  raisonné  et  d'un  fanatisme  réfléchi, 
où  l'esprit  d'audace  el  d'irréligion  sème 
partout  des  principes  aussi  déshonorants 
pour  la  raison  que  dangereux  pour  la  foi, 
répand  des  maximes  aussi  opposées  aux 
droits  de  l'empire  qu'à  l'honneur  du  sacer- 
doce; esprit  funeste,  ennemi  du  Irône  pres- 
que autant  que  de  l'autel,  soumis  à  peine  à 
la  main  qui  lient  le  sceptre,  bravant  celle 
qui  lance  le  tonnerre,  qui  n'exclut  aucune 
religion,  n'en  préfère  aucune,  veut  qu'on 
les  multiplie  pour  n'en  point  avoir,  el  de- 
mande qu'on  les  lolère  toutes  pour  se  dis- 
penser d'en  suivre?...  J  ose  le  dire,  ceux  qui 
ont  connu  le  cœur  sensible  et  vertueux  de 
la  reine  savent  que  ce  fut  une  des  épreuves 
i|ui  lui  coûta  le  plus  pendant  son  règne,  cl 
dont  le  sentiment  en  a  peut-être  abrégé  le 
cours. 

Sensibilité  aux  peines  des  autres  :  rien  de 
ce  qui  les  intéressait  ne  lui  était  étranger: 
elle  cherchait  à  les  secourir,  elle  aimait  à 
les  consoler;  leurs  afflictions  devenaient  les 


1177 


ORAISON  FUNEBRE  DE  MARIE.  REINE  DE  FRANCE. 


1178 


siennes,  et  elle  ne  sentait  vivement  que  cel- 
les qu'elle  ne  pouvait  pas  adoucir  dans  eux. 
Vertueuse  princesse,  épouse  de  ce  fils  si 
chéri  avec  lequel  vous  viviez,  auquel,  mal- 
gré votre  courage,  vous  n'avez  pu  survivre, 
combien  de  fois  vîles-vous  celte  auguste 
reine  oublier  ses  peines  pour  soulager  les 
vôtres  I  Quelle  sincérité  dans  les  larmes 
qu'elle  versa  sur  vos  premiers  malheurs  ! 
Quelle  attention  à  calmer  en  vous  le  senti- 
ment de  la  douleur  par  la  tendresse  des 
siens  !  Vous  trouvâtes  toujours  en  elle  une 
reine  qui  vous  honora  comme  son  égale, 
qui  vous  traita  comme  sa  compagne,  et  qui, 
malgré  la  perle  d'un  trône,  deux,  fois  enlevé 
à  sa  maison  par  la  vôtre,  ne  trouvait  de  dou- 
ceur sur  le  sien  qu'à  en  partager  la  gloire 
avec  vous. 

Quel  règne,  Messieurs  ,  je  viens  de  vous 
décrire!  Suspendez  votre  admiration;  il  fut 
l'exemple  de  la  vertu  :  j'ai  son  triomphe  à 
vous  représenter;  honorez-moi  encore  de 
quelques  moments  d'attention. 

TROISIÈME  PABTIE. 

Dieu,  qui  voulait  achever  d'épurer  la  vertu 
dans  la  reine  et  la  rendre  digne  de  lui,  réu- 
nit sur  la  fin  de  sa  vie  autant  d'afflictions 
qu'il  avait  rassemblé  d'épreuves  sur  les  com- 
mencements :  des  nuages  de  tempête  et  de 
calamité  avaient  agité  ses  premières  années, 
de  cruelles  inquiétudes  el  les  ombres  de  la 
mort  attristèrent  les  dernières  ;  sa  gloire  tem- 
porelle et  son  éternel  bonheur  ont  été  acquis 
par  les  mêmes  voies  :  un  empire  sur  la  terre 
avait  été  le  prix  de  la  vertu  souffrante  et 
persécutée;  un  règne  durable  est  le  prix  de 
cette  même  vertu  victorieuse  et  triom- 
phante.... Triomphe  de  la  vertu  ,  préparée 
contre  les  surprises  de  la  mort,  résignée  à 
l'arrêt  de  la  mort,  courageuse  et  invincible 
au  moment  de  la  mort. 

Cette  mort  ne  nous  était  que  trop  annon- 
cée depuis  longtemps,  et  plus  d'un  désastre, 
avant-coureurs  de  celui-ci,  semblaient  y  dis- 
poser nos  cœurs.  Quelle  succession  de  mal- 
heurs avait  porté  le  coup  mortel  dans  celui 
de  la  reine.. .1  Deux  princesses,  ses  filles,  en- 
levées à  cet  âge  où  les  espérances  presque 
remplies  rendent  les  pertes  plus  sensibles  : 
l'une,  plus  flattée  de  vivre  auprès  de  la  reine, 
que  de  l'être;  l'autre,  souveraine  cl  déjà 
mère,  qui  plaçait  son  sang  sur  le  Irône  des 
Césars  :  un  jeune  prince ,  une  jeune  prin- 
cesse moissonnés  dès  l'aurore  el  à  la  pre- 
mière fleur  d'un  printemps  qui  promettait 
1' s  plus  beaux  jours;  un  prince....  quel  sou- 
venir rappelé-je  ici  !  Messieurs,  celui  d'un  de 
nos  plus  grands  malheurs,  d'une  des  plus 
cruelles  épreuves  qui  aient  agile  la  vie  de  la 
reine;  un  prince,  après  le  roi,  l'espoir  de  la 
nation  ;  comme  lui,  l'amour  de  son  peuple, 
le  descendant  des  plus  grands  rois,  l'imita- 
teur des  rois  les  plus  saints,  l'ami  des  talents, 
l'honneur  de  la  religion,  le  modèle  des  ver- 
tus  le  me   trouble Irois  ans  se  sont 

écoulés,  la  plaie  n'est  pas  fermée,  nos  lar- 
mes coulent  encore,  ctje  ne  puis  m'excuscr 
de  réveiller  la  douleur  dans  vos  cœurs  que 


par  celle  dont  le  mien  est  pénétré...  un  père, 
souverain  pour  la  troisième  fois,  l'ornement 
de  deux  empires,  les  délices  de  deux  peu- 
ples, l'honneur  de  deux  siècles,  expirant  au 
milieu  des  arls  qu'il  avait  embellis,  et  à  l'om- 
bre des  vertus  avec  lesquelles  il  avait  régné; 
une  princesse,  sa  belle-fille  el  sa  compagne, 
défaillante  dans  ses  bras  et  mourant  sous 
ses  yeux....  Que  de  victimes  précieuses  im- 
molées, que  de  tombeaux  ouverts  autour  du 
trône  sur  lequel  elle  était  assise  1  Fille,  mère, 
aïeule  ,  belle-mère  ,  frappée  par  autant  de 
coups  qu'elle  portait  de  noms,  propres  à  ir- 
riter dans  elle  le  sentiment Dieu  adora- 
ble et  terrible,  nous  ne  méritions  pas  dépos- 
séder tant  de  trésors;  vous  nous  les  aviez 
prêtés  dans  votre  miséricorde,  vous  nous  les 

avez  enlevés  dans  voire  justice Eloignés 

de  tant  d'objets  funestes,  nous  en  étions  cons- 
ternés, nous  eu  sommes  encore  émus;  mais 
quelle  impression  ne  dut  pas  faire  sur  un 
cœur  qui  en  élait  témoin  le  spectacle  et  la 
vue!  La  reine  soutient  tous  ces  sacrifices 
avecun  courage  qu'il  n'appartient  qu'à  la  re- 
ligion d'inspirer;  tant  de  morts  la  disposaient 
à  la  sienne  :  les  sentiments  de  la  nature 
avaient  été  maîtrisés  avec  trop  d'efforts  pour 
qu'elle  ne  succombât  pas  sous  tant  de  mor- 
telles atteintes;  aussi  l'avons-nous  vue,  de- 
puis ces  cruels  événements,  livrée  à  une  lan- 
gueur qui  épuisait  ses  forces,  et  ses  trois  der- 
nières années  n'ont  fait  que  nous  préparer  au 
dernier  de  ses  jours. 

Années  précieuses,  qu'elle  sut  particulier 
rement  employer  à  la  recherche  rigoureuse 
de  tout  ce  qui  pouvait  blesser  dans  elle  la 
délicatesse  et  les  regards  d'un  Dieu  devant  qui 
l'homme  le  plus  saint  n'est  pas  sans  défauts, 
puisque  l'ange  le  plus  pur  n'a  pas  été  sans  ta- 
che :  In  angeîis  suis  reperit  pravitatem  (Job, 
IV,  18);  on  vit  se  ranimer  son  amour  pour  la 
religion,  son  zèle  pour  l'Eglise,  dont  les  inté- 
rêts étaient  véritablement  les  siens ,  dont  les 
maux  affectaient  son  cœur  jusqu'à  mériter 
d'être  comptés  parmi  les  épreuves  qui  lui 
étaient  les  plus  sensibles;  ses  confessions  de- 
venaient presque  journalières,  et  toujours 
aussi  exactes;  ses  communions  plus  fréquen- 
tes, el  toujours  aussi  saintes;  ses  aumônes 
plus  abondantes,  et  d'une  profusion  qui  an- 
nonçait combien  elle  croyait  les  réserves 
désormais  inutiles  pour  elle.  Plus  de  sept 
mois  avant  celui  où  nous  l'avons  perdue, 
elle  avait,  d'elle-même,  renoncé  à  tout  ce 
qu'elle  devait  quitter  avec  la  vie;  lous  les  sa- 
crifices étaient  faits  longtemps  avant  que  les 
liens  fussent  rompus  ;  les  ténèbres  ne  pa- 
raissaient pas  encore,  et  elle  s'annonçait  à 
elle-même  la  fin  du  jour. 

L'image  de  la  mort  était  exposée  dans  son 
oratoire  avec  celle  des  saints  qui  en  ont 
triomphé;  ses  mains  l'y  ont  placée,  elle  y  at- 
tache ses  regards;  son  esprit  en  est  occupé, 
elle  la  contemple,  dirai-je  sans  horreur?  Oui, 
Messieurs,  el  j'ajouterai,  avec  une  sorle  de 
satisfaction  :  elle  s'y  contemple  elle-même 
dans  l'état  où  elle  sera  réduite,  dirai-je  sans 
effroi?  je  dirai  plus,  avec  plaisir  :  ce  specta- 
cle el  ces   réflexions,  loin  do  l'attrister,  la 


1179 


ORATEURS  SACHES.  POV.IT  DE  LA  RIVIERE. 


1)80 


consolent;  son  cœur  n'éprouve  aucune  des 
inquiétudes  que  son  élat  nous  inspire;  la 
religion  triomphe  où  la  nature  s'épouvante; 
tout  ce  qui  suspend  le  dernier  moment  de 
sa  vie  lui  semble  retarder  celui  de  sa  félicité, 
et  si  les  soins  que  l'on  prend  de  ses  jours  ne 
lui  devenaient  pas  précieux,  parce  qu'ils 
prolongent  ceux  de  ses  souffrances,  elle  les 
trouverait  importuns,  parce  qu'ils  diffèrent 
celui  de  son  bonheur. 

Ministres  de  la  religion,  vous  n'êtes  donc 
point  réduits  à  prendre,  pour  l'instruire  de 
son  élat,  ces  détours  et  ces  tempéraments  que 
la  délicatesse,  ou  plutôt  que  la  perversité  du 
siècle  a  rendus  malheureusement  nécessai- 
res auprès  de  certaines  âmes;  vous  n'avez  ni 
arrêt  à  lui  annoncer,  ni  sacrifices  à  lui  de- 
mander, ni  sentiments  de  résignation  a  ins- 
pirer; l'oracle  de  la  mort  s'e>t  fait  entendre 
a  son  cœur,  tout  y  est  soumis  à  la  volonté 
suprême  qui  a  fixé  la  durée  de  ses  jours  et 
qui  l'avertit  de  leur  fin.  Quelques  lueurs 
nous  rassurent;  mais  elle  connaît  son  dan- 
ger, voit  son  terme  sans  frayeur,  se  ranime 
à  la  vue  de  l'éternité,  paraît  sentir  son  bon- 
heur prochain,  nous  annonce  une  perte  trop 
certaine,  et  par  ses  espérances  augmente  nos 
crainles. 

Approchez,  grands  du  monde,  vous  qu'at- 
tachent à  la  vie  des  distinctions  et  des  digni- 
tés qui  finirontavant  elle  peut-être,  du  moins 
avec  elle  ;  approchez,  venez  voir  cette  au- 
guste victime,  celte  reine  vertueuse  qui  s'est 
sanctifiée  par  l'usage  des  honneurs,  dont  l'a- 
bus vous  perd  :  vous  admirâtes  la  sainteté  de 
sa  vie,  instruisez-vous  par  le  dernier  exem- 
ple qu'elle  vous  en  donne. 

Esprits  libertins  et  présomptueux,  qui 
vous  vantez  de  raisonner  en  sages ,  et  vivez 
en  insensés;  vous  pour  qui  la  mort  des  au- 
tres devrait  être  une  leçon,  et  n'est  qu'un 
spectacle,  qui  y  courez  en  aveugles,  la  bra- 
vez en  téméraires,  ne  la  recevez  qu'en  dé- 
sespérés; appréciiez,  venez  comparer  les 
transports  et  les  fureurs  de  vos  semblables 
mourant  sans  consolation  comme  sans  es- 
poir, avec  la  tranquillité  et  la  satisfaction 
d'une  sainte  expirante,  cl  apprenez  au  moins 
d'elle  à  mourir. 

Toujours  souffrante  et  toujours  soumise, 
elle  remercie  Dieu  ,  qui  n'ajoute  à  ses  dou- 
leurs que  pour  accroître  à  ses  mérites,  et, 
par  eux,  ses  récompenses  ;  chaque  instant  a 
pour  elle  un  supplice,  il  n'est  pas  un  instant 
où  elle  se  plaigne;  ses  regaids  sont  attaché* 
sur  la  croix  de  Jésus-Chrisl,  et  on  n'entend 
d'elle  que  ces  paroles  :  Pou»  voulez  que  je 
souffre,  Seigneur,  il  finit  donc  souffrir. 

Princes  et  princesses,  scsaugusles  enfants, 
qui  faisiez  sa  plus  douce  consolation,  dont 
elle  faisait  ses  plus  chères  délices ,  don!  elle 
va  faire  les  éternels  regrets;  vous  la  voyez, 
celte  aïeule,  cette  mère  respectable,  prèle  à 
recevoir  la  récompense  des  vertus  qu'elle 
vous  faisait  goûter  dans  ses  entretiens,  que 
v  us  admiriez  dans  sa  conduite  :  elle  vous 
donna  des  leçons;  elle  vous  doit  encore  un 
exemple  .•  elle  vou-  enseignait  à  vivre,  elle 
va  vous  apprendre  à  mourir Qu'ai-jc  dit  ? 


m)!»  Dieu  !  ah  !  conservez-nous  longtemps 
ces  dignes  et  précieux  restes  de  la  plus  au- 
guste famille  qui  soit  dans  l'univers  ;  con- 
servez-les pour  la  (.'luire  de  votre  saint  nom, 
pour  l'honneur  de  votre  religion,  pour  l'ap- 
pui de  l'autel  et  du  trône,  pour  l'exemple  de 
la  cour,  la  félicité  des  peuples;  conservez- 
les  pour  la  consolation  de  ce  grand  roi,  de  ce 
roi  si  digne  de  notre  attachement,  l'homme 
de  votre  droite,  le  fils  aîné  de  votre  Eglise, 
la  plus  parfaite  imatre  de  votre  bonté  ;  hélas  1 
que  n'en  coûte-t-il  pas  à  son  cœur  dans  ce 
triste  moment  1  La  nature  est  accablée  dans 
lui,  par  le  coup  de  tous  les  sacrifiées  qu'il 
fait  au  dehors,  à  la  bienséance,  à  son  ranur, 
à  la  désolation  île  ses  enfants,  à  l'état  d'une 
épouse  vertueuse,  qu'il  honora  toujours, 
qu'il  révère  plus  que  jamais,  et  qu'il  va  per- 
dre sans  retour. 

Elle  élève  une  voix  mourante  pour  lui  re- 
commander tous  ceux  que  le  service  atta- 
chait à  sa  personne,  les  fait  rassembler  au- 
tour d'un  lit  déjà  environné  des  ombres  de  la 
mort,  leur  témoigne  sa  reconnaissance,  leur 
en  laisse  des  gages,  leur  demande  le  sec  iurs 
de  leurs  prières,  et  les  remplit  des  regrets 
de  sa  perle  et  do  l'a  Imitation  de  lea  ver- 
tus. 

Enfants  du  Calvaire,  pâles  et  souffrantes 
images  d'un  Dieu  naissant  et  expirant  dans 
l'indigence,  vous  eûtes  toute  sa  tendresse, 
vous  aurez  ses  derniers  soins;  étendue  de- 
puis plusieurs  mois  sur  un  lit  d'infirmité, 
elle  oubliait  sa  douleur  pour  s'occui>  r  d  s 
vôtres  ;  ses  mains,  oui,  ses  mains  défaillante* 
travaillaient  encore  pour  vos  besoins,  et  elle 
n'a  cessé  ses  ouvrages  que  quelques  jours 
avant  qu'elle  cessât  de  vivre.... 

Ministres  de  la  religion,  elle  réclame  en- 
core votre  secours  ;  sur  le  point  de  paraître 
au  tribunal  de  la  justice,  elle  veut  de  nou- 
veau se  purifier  à  celui  de  la  miséricorde  ; 
hâtez-vous  de  répandre  dans  celte  grande 
âme  l'onction  sainte  de  la  grâce  ;  ne  craignez 
pas  de  lui  apporter  trop  souvent  le  corps 
adorable  de  Jésus-Christ;  en  passant  dans 
ce  cœur  si  pur,   il   ne    fait  que    changer  do 

sanctuaire  et  d'autel Mais  hâtez-vous.... 

elle  touche  à  sa  dernière  heure;  le  jour  luit 

encore,  la  nuit  approche C'en  est  fait,  le 

siècle  est   passé  et    son   éternité   commen- 
ce  

Jusques  à  quand,  Seigneur,  nous  frappe- 
rez-vous?  Epargnez-nous  du  moins,  nous 
vous  en  conjurons,  épargnez-nous  de  nou- 
veaux regrets,  et  reproduisez-ncus  de  pa- 
reilles vertus. 

Que  de  pompes  funèbres  ont  jusqu'ici, 
Monseigneur,  attriste  la  brillante  aurore  de 
votre  vie  !  Vos  larmes  ont  coule  comme  les 
nôtres)  elles  coulent  encore  du  tombeau 
d'un  père  et  d'une  mère  digaefl  de  tout  votre 
amouf,  sur  celui  d'une  aïeule  digne  de  tous 
nos  regreta  :  un  même  Irène  unissait  leurs 
cœurs,  et  si  le  même  temple  ne  possède  pas 
leurs  cendres,  un  même  sanctuaire  réunira 
peut-être,  pour  leur  culte,  nos  descen- 
dants   La  douleur  de  les  avoir  perdus 

n'est  adoucie  que  par  l'espérance  de  voir  rc- 


«181 


ORAISON  FI  NERRE  DU  ROI  LOUIS  XV. 


1183 


?  produit  dans  vous,  Monseigneur,  (oui  ce  que 
i  nous  regrettons  dans  eux.  Le  naturel  le  plus 
heureux,  le  caractère  dou\  el  bienfaisant,  la 
noblesse  des  sentiments  jointe  à  la  bonté  du 
cœur;  celte  docilité  d'un  esprit  ami  du  vrai, 
avide  de  le  connaître,  flatté  de  l'entendre  et 
prompt  à  le  saisir;  ce  goût  décidé,  cet  amour 
tendre  pour  la  religion,  qui  seule  peut  for- 
mer les  grands  princes  ;  ce  respect  pour  !a 
personne  sacrée  du  roi,  dans  qui  le  devoir 
el  la  nature  vous  montrent  tout  à  la  fois,  et 
l'aïeul  le  plus  tendre  et  le  monarque  le  plus 
aimé;  une  éducation  dirigée  à  la  vertu  par 
des  hommes  qui  en  sont  les  modèles,  et  faci- 
litée aux  soins  des  maîtres  par  les  qualités 
lie  leur  auguste  élève;  tout  en  vous,  Mon- 
seigneur, annonce  le  bonheur  de  la  France  ; 
nos  neveux,  qui  vivront  sous  vos  lois,  en 
verront  un  jour  l'accomplissement,  et  il  ne 
faut  pas  moins,  je  le  répète,  que  l'attrait  d'un 
présage  si  bien  fondé,  pour  nous  aider  à  sup- 
porter la  grandeur  de  nos  perles. 

Pontife  du  Dieu  vivant  (I),  vous  dont  la 
reine  honorait  les  vertus,  qui  respectiez  les 
siennes,  faites  couler  le  sang  de  l'Agneau 
sans  tache,  pour  effacer  toutes  celles  de  cette 
grande  âme,  s'il  en  restait  encore;  ne  crai- 
gnez pas  de  brûler  sur  son  tombeau  un  en- 
cens qu'un  offrira  peut-être  un  jour  sur  ses 

autels Mais  ne  prévenons  pas,  Messieurs, 

les  jugements  de  la  religion,  respectons-les 
comme  elle,  remplissons-en  les  devoirs,  re- 
présentons-en les  vertus,  el  puissions-nous, 
en  marchant  sur  ses  pas,  de  la  terre  où  elle 
régna  sur  nous,  arriver  au  ciel,  où  nous 
avons  lieu  d'espérer  qu'elle  règne  avec  Dieu  ! 
Ainsi  soil-il. 

ORAISON  FUNÈBRE 

DE    LOUIS    XV,    1101    DE    FRANCE    ET    DE 
NAVARRE. 

Domimis  de.Iil  illi  gloriiim  regni. 
Le  Seigneur  lui  donna  la   qloire    de  la   souveraineté 
(I  Parai,,  XXIX,  25). 

Quelle  est  celle  gloire  que  le  Seigneur 
donne,  qu'il  n'appartient  qu'au  Seigneur  de 
donner,  que  les  méchants  princes  ignorent, 
que  les  bons  n'obtiennent  pas  toujours,  qui 
n'est  le  partage  que  des  rois  qui  sont  dignes 
de  l'être?  Est-ce  la  gloire  des  combats?  L'am- 
bition la  cherche,  l'humanité  la  craint,  elle 
fait  les  conquérants,  mais  elle  détruit  les 
hommes;  elle  est  quelquefois  de  trop  dans 
les  héros  el  ne  suffit  pas  aux  rois....  Est-ce 
la  gloire  des  conseils?  La  fausse  sagesse  et 
la  véritable  prudence  la  regardent  également 
comme  leur  apanage  :  dédaignée  par  les 
âmes  fortes,  ressource  pour  les  -faibles,  elle 
lail  les  politiques  ;  seule,  elle  ne  sulïil  pfll 
aux  rois....  Lsl-ce  la  gloire  des  bienfaits? 
Elle  est  le  prix  de  la  générosité,  la  bonté  en 
est  le  principe,  la  grandeur  l'ennoblit  :  mé- 
rite dans  les  hommes  ordinaires,  elle  l'est 
aussi  dan-  Ira  monarques;  seule  elle  fait  les 
bons  princes;  mais  il  faut  avec  elle  d'autres 
qualités  pour  laire  les  grands  rois.  Aucune 
de  ces  qualité!  ne  renferme  celle  gloire  an- 

(i)  L'archevêque  de  Paris. 


noncée  par  mon  texte;  il  en  faut  tout  l'as- 
semblage. Qu'il  est  rare,  Messieurs,  de  le 
trouver  dans  un  seul  1  II  faisait  celle  du  mo- 
narque que  la  mort  nous  a  enlevé. 

Sainte  cl  divine  religion,  il  était  né  dans 
votre  sein,  il  est  mort  entre  vos  bras  :  exem- 
ple, pendant  sa  vie,  des  qualités  qui  font  les 
grands  rois  et  de  celles  qui  font  les  bons 
rois  ;  exemple,  à  la  mort,  du  repentir  qui 
fait  les  hommes  humbles  et  pénilents  ;  di- 
gne, par  la  gloire  de  son  règne,  de  l'admira- 
tion et  de  l'amour  de  son  peuple;  digne,  par 
la  sincérité  et  la  publicité  de  ses  sentiments, 
de  faire  votre  consolation  et  celle  de  vos  mi- 
nistres; tremblant  à  la  vue  des  justices  de 
Dieu,  rassuré  par  l'étendue  de  ses  miséri- 
cordes, implorant  ses  infinies  bontés,  vous 
vîtes  un  grand  roi  devenir  le  plus  soumis 
des  hommes  :  c'est  cette  grandeur  d'une 
âme  pénitente  et  chrétienne  qui  mit  le  sceau 
à  celles  des  qualités  augustes  et  royales 
qu'on  admira  dans  lui.  A  vos  yeux,  la  fln  de 
son  règne  fut  plus  glorieuse  que  le  cours  ne 
l'avait  été  aux  yeux  de  ses  peuples  ;  il  n'a- 
vait régné  que  sur  les  autres,  alors  il  régna 
sur  lui-même;  el  c'est  Dieu  qui,  par  sa 
grâce,  ajouta  à  la  gloire  de  cette  éclatante 
royauté  qui  l'avait  rendu  maître  des  autres, 
la  gloire  de  ceite  royauté  intérieure  qui  re- 
connut Dieu  pour  maître:  Dominus  dédit 
illi  gloriam  regni. 

Hélas!  Messieurs,  sans  ce  fonds  de  conso- 
lations saintes  et  solides,  que  nous  resterait- 
il  de  ce  roi ,  si  digne  d'être  aimé,  si  ce  n'est 
le  regret  accablant  de  ne  pouvoir  lui  être 
utile  par  nos  prières?  Ce  monument  qu'élè- 
vent à  sa  mémoire  un  amour  qui  cherche  à 
se  satisfaire  ,  une  douleur  qui  cherche  à  se 
consoler,  une  reconnaissance  qui  cherche  à 
se  produire  ;  celle  pompe  funèbre,  ces  lu- 
mières lugubres,  les  mar.ji.es  de  son  empire 
qui  ornent  aujourd'hui  celui  de  la  mort,  ne 
sont  que  l'image  du  néant  des  grandeurs, 
dans  l'appareil  delà  grandeur  elle-même. 

Voilà  donc  iout  ce  qui  nous  reste,  après 
cinquante-neuf  années  d'un  règne  rempli  de 
gloire  !  Je  dis  «le  celle  gloire  qui  est  le  pro- 
pre des  souverains,  qui  orne  le  règne  des 
souverains,  qui  éternise  la  mémoire  des 
souverains  :  gloire  d'un  règne  illustré  par 
les  succès  qui  font  les  grands  rois,  orne  des 
qualilés  qui  foui  les  boas  rois,  terminé  dans 
les  sentiments  qui  font  les  rois  pénitents  el 
chrétiens  ;  règne  glorieux,  vie  bienfaisante, 
mort  chrétienne  :  Dominus  dedil  illi  gloriam 
regni. 

Tel  est  l'ordre  elle  plan  du  discours  que 
je   consacre  à  la   mémoire    de   très  -i.ai  t, 

TRÈS  PUISSANT  KT  TRÈS-EXCELLENT  PRINCE.) 
Louis  XV,  roi  DE  Franck  ET  DE  Navarre. 

I'RKVlIKRIi    l'AUI  lie. 

La  guerre  est  un  des  fléaux  doul  le  ciel 
irriié  afflige  la  terre  :  malheureuses  'es  na- 
tions don:  les  chefs  enflammés  du  désir  de 
vaincre,  el  plus  conquérants  que  souverain  , 
immolent  à  l'amb, lieux  espoir  d'étendre 
leur  empire,  le  devoir  bien  plus  glorieux  de 


1183 


ORATEFRS  SACRER.  PONCF.T  DE  LA  RIVIERE. 


h  ; 


le  gouverner.  La  gloire  des  rois  que  celle 
ambition  domine  fait  le  malheur  des  royau- 
mes :  ils  Sacrifient  des  sujels  pour  eu  acqué- 
rir d'autres;  et  diminuent  sur  la  terre  le 
nombre  des  hommes,  par  la  funeste  envie 
d'augmenter  celui  de  leurs  esclaves.  Sembla- 
bles à  ces  divinités  terribles  que  la  Fable 
nous  représente  sans  cesse,  environnés  de 
tonnerres  el  de  feu\  ,  ils  sèment  leur  pas- 
sage de  débris  et  de  ruines ,  et  ne  s'arrêtent 
que  quand  leur  foudre  s'est  éteinte  dans  les 
ruisseaux  de  sang  qu'ils  ont  répandus.  Mais 
ces  dieux  de  terreur  disparaissent  comme  les 
hommes  qu'ils  ont  détruits;  leur  nom  re- 
douté ne  se  présente  au  souvenir  qu'avec 
celui  des  ravages  qu'ils  ont  faits  ;  loin  d'ap- 
plaudir à  leur  gloire,  on  gémit  sur  I  injus- 
tice de  leurs  entreprises,  sur  la  violence  de 
leurs  actions ,  sur  le  malheur  de  leurs  vic- 
toires ;  leurs  succès  particuliers  se  comptent 
parmi  les  calamités  publiques  :  ils  ont  su 
vaincre,  ils  n'ont  pas  su  régner;  et  au  lieu 
de  pleurer  de  ce  qu'ils  ne  sont  plus,  on  se 
plaint  au  ciel  de  ce  qu'ils  ont  été. 

Eloignez-vous  de  nous,  images  effrayan- 
tes, c'est  celle  du  héros  de  la  modération  et 
de  l'humanité  que  je  vais  offrir  aux  regards; 
les  guerres  qu'il  soutint  eurent  pour  objet, 
non  son  inlérêt  personnel,  mais  celui  de  son 
peuple,  de  la  France,  de  l'Europe  entière  ; 
et  si  le  tableau  que  je  vais  en  tracer  est 
quelquefois  détrempé  du  sang  humain,  versé 
par  une  main  qui  en  connaissait  le  prix  et 
qui  en  était  avare,  je  ne  crains  pas  qu'il  de- 
mande au  ciel  vengeance  de  celle  qu'il  exerça 
malgré  lui  sur  la  terre.  Vous  y  venez  des 
guerres  décidées  par  des  motifs  légitimes, 
accompagnées  de  succès  glorieux,  terminées 
par  de  nobles  sacrifices  :  guerres  entrepri- 
ses dans  les  vues  de  la  paix  ;  succès  subor- 
donnés à  l'espérance  delà  paix;  sacrifices 
faits  pour  le  retour  de  la  paix. 

Sainte  religion,  de  pareils  triomphes  peu- 
vent se  publier  dans  le  sanctuaire,  élevé  au 
milieu  d'un  peuple  naissantde  guerriers.  Le 
Dieu  qu'on  y  adore  n'est  pas  moins  le  Dieu 
des  combats  que  celui  de  la  paix  :  Dominus, 
Deus  exerciluimi.  Et  c'est  toujours  le  roi  ami 
de  la  paix,  que  je  présenterai  dans  le  roi  cou- 
ronné par  la  victoire. 

Elevé  à  cinq  ans  sur  le  premier  trône  du 
monde,  Louis  XV  commença  presque  à  ré- 
gner en  commençant  à  respirer  :  ses  pre- 
miers regards,  implorés  par  une  cour  flo- 
rissante el  soumise,  aperçurent  en  même 
temps  des  hommes  et  des  sujets,  et  l'essai  de 
la  vie  fut  pour  lui  l'apprentissage  de  l'auto- 
rité. L'usage  qu'il  en  fil  fut  d'ouvrir  à  la 
terre  le  règne  de  la  paix  avec  le  sien.  Né 
dans  son  sein,  il  la  porta  toujours  elle-mê- 
me dans  son  cœur,  il  la  fil  descendre  dans 
celui  de  ses  sujets,  et  plus  de  vingt  ans  d'un 
règne,  peut-être  le  plus  fécond  en  événe- 
ments, ne  purent  ébranler  le  trône  de  la 
paix.  Louis  y  élait  assis  avec  elle,  elle  mê- 
me olivier  entourait  le  même  sceptre  dans 
leurs  mains. 

Vous  le  savez,  Messieurs  ,  la  commotion 
qu'une  suite  de  guerres    peu  interrompues 


avait  communiquée  à  l'Europe  sous  le  règne 
précédent,  n'avait  fait  que  se  ralentir  sous 
la  force  lu  poissant  génie  qui  tint  les  rênes 
de  l'empire  pendant  la  minorité  de  Louis; 
son  âme  ferme,  el  tranquille  lit  ti ire  les  ora- 
ges; il  écarta  les  tempêtas,  mais  elles  n'é- 
laienl  pas  dissipées  ;  l'esprit  d'agitation  du- 
rai! encore  :  il  plia  enfin  sous  les  rues  sages 
et  modérées  d'un  homme  suscité  de  Dieu 
pour  être  le  guide  de  son  roi,  l'ami  de  son 
peuple,  le  soutien  de  l'Eglise  et  l'honneur  de 
l'Etat;  d'un  homme  doux  et  vertueux  ,  qui 
pendant  son  ministère  fut  l'ange  de  la  paix 
pour  l'Europe,  et  jusqu'à  sa  mort  celui  des 
conseils  de  Louis. 

Si  le  cours  de  cette  paix  délii  ieuse  fut  in- 
terrompu, nations  alors  ennemies  de  la 
France,  vous  savez  par  quelles  mains  le 
flambeau  des  guerres  fut  allumé  et  dans 
quel  sang  il  s'éteignit.  Louis  eut  plus  de 
peine  à  les  entreprendre  qu'à  les  soutenir, 
et  j'ose  dire  que  les  suites  n'en  furenl  si  glo- 
rieuses à  ses  armes  que  parce  que  l'entre- 
prise avait  été  difficile  pour  son  cœur. 

Ne  craignez  pas,  Messieurs,  qu<î,  remon- 
tant à  l'origine  de  ces  guerres  ,  je  réveille 
dans  vos  âmes  d'anciennes  inimitiés,  que  la 
modération  de  la  sienne  où  elles  ne  pénétrè- 
rent jamais  semble  avoir  anéanties  pour  tou- 
jours, et  que  je  trouble  la  paix  qui  a  été  le 
l'ruil  de  son  règne,  comme  elle  en  avait  été 
le  présage  :  il  me  suffit  de  dire  que  s'il  prit 
les  armes,  ce  fut  toujours  pour  des  intérêts 
qui  loi  étaient  étrangers,  mais  qui  devaient 
lui  être  chers  ;  qu'alors  même  il  n'avait 
en  vue  que  la  paix ,  et  lui  sacrifia  les 
siens. 

Ici  la  Pologne  l'implorait  pour  un  roi  que 
le  choix  libre  et  glorieux  d'un  peuple  dont  il 
avait  fait  le  bonheur  pendant  un  premier 
règne  rappelait  à  son  trône  pour  jouir,  sous 
no  règne  nouveau,  d'une  nouvelle  félicité; 
pour  un  roi  tombé  du  faite  de  la  puissance 
et  de  la  gloire  dans  un  abîme  d'humilia- 
tions et  de  calamités;  moins  grand  encore, 
lorsque,  couronné  par  la  victoire,  il  se  voyait 
dans  Varsovie  à  la  tète  d'une  noblesse  et 
d'une  nation  guerrières,  que  lorsque  ,  envi- 
ronné des  débris  de  cette  même  gloire,  il 
élait  seul  à  Weissembourg  avec  la  religion  , 
son  courage  et  ses  verlus;  pour  un  roi  son 
beau-père,  à  qui  nous  devions  une  reine  que 
la  France  jugeait  digne  de  son  Irône,  et  la 
religion  de  ses  autels.... 

Là,  Louis  était  réclamé  par  d'illustres  al- 
liés, dont  les  intérêts,  plus  chers  à  son  cœur 
que  les  siens,  méritaient  d'autant  plus  sa  fi- 
délité, qu'engagé  dans  des  traités  solennels 
par  la  foi  des  serments,  elle  était  une  justice 
de  religion  pour  lui  et  une  ressource  de  né- 
cessité pour  eux  ;  une  guerre  lui  coûta  sur- 
tout à  entreprendre  el  à  soutenir.  Princesse 
auguste  et  magnanime,  dont  l'héroïque  el 
mâle  fermeté  fera  vi\re  le  nom  parmi  ceux 
des  grands  princes  qui  occupèrent  le  trône 
que  vous  honores,  il  avait  pour  vous  el  vous 
aviez  pour  lui  celle  estime  de  sentiments  que 
les  grandes  âmes  s'accordent  entre  elles 
comme  un  tribut  qu'elles  méritent  l'une  de 


1185 


ORAISON  FUNEBRE  DU  ROI  LOUIS  XV. 


11SG 


l'autre,  et  aont  le  jugement  des  nations  at- 
teste la  justice  et  la  gloire  :  votre  ennemi 
malgré  lui,  comme  vous  étiez  son  ennemie 
malgré  vous,  il  n'aspirait  qu'au  moment  où 
la  réunion  de  vos  cœurs  naîtrait  de  celle  de 
vos  intérêts;  vous  savez  avec  quel  zèle,  par 
quels  efforts  et  dans  quelle  vue  il  les  a  sou- 
tenus depuis.  La  France,  éprise  de  l'admi- 
ration due  à  vos  qualités  sublimes,  était 
pour  vous,  lors  même  que  vous  étiez  armée 
contre  elle;  et  nous  ne  pouvons  nous  con- 
soler de  quelques  années  de  division,  qu'en 
faveur  de  cette  alliance  si  conforme  à  nos 
vœux,  qui  vient  de  replacer  le  sang  des  Cé- 
sars sur  un  trône  dont,  les  deux  derniers 
siècles,  il  a  fait  la  gloire  par  deux  règnes  qui 
furent  ceux  des  vertus;  elles  y  montent  en- 
core avec  les  vôtres,  dans  une  reine  formée 
par  vous  et  d'après  vous  :  vertus  royales  et 
bienfaisantes;  la  majesté  les  ennoblit,  la 
grandeur  les  annonce,  l'humanité  les  em- 
ploie, la  France  les  admire,  la  gloire  les  cou- 
ronne et  la  religion  les  consacre. 

Les  autres  guerres  eurent  des  causes 
étrangères  à  Louis,  et  qui  ne  lui  devinrent 
personnelles  que  parles  victoires  qu'il  rem- 
porta sur  ceux  qui  les  avaient  fait  naître,  et 
par  les  avantages  qu'il  leur  sacriQa.  Loin 
de  cette  âme  vraiment  grande,  tout  motif 
d'intérêt  ou  d'ambition  :  qu'avait  à  craindre, 
ou  que  pouvait  désirer  le  plus  riche  mo- 
narque du  plus  puissant  royaume  ,  respecté 
de  ses  voisins,  chéri  de  ses  sujets,  et  seul 
maître  de  tant  de  vastes  provinces? 

Oui,  peuples  étrangers,  peuples  même  nos 
ennemis,  s'il  en  est  encore,  c'est  sur  vos 
frontières,  c'est  dans  vos  villes,  c'est  au  mi- 
lieu de  vous  que  j'ose  élever  le  tribunal  où 
la  mémoire  de  ce  grand  roi  doit  être  jugée  : 
que  l'équité  prononce.  Une  rivalité  noble 
n'est  point  injuste  ;  d'ailleurs  il  cessa  d'être 
soupçonné  dès  qu'il  fut  mieux  connu,  et  sa 
modération  triompha  de  vos  haines  plus  fa- 
cilement encore  que  ses  armes  n'avaient 
triomphé  de  vos  forces. 

Ses  possessions  troublées  dans  un  autre 
continent,  ses  colonies  inquiétées,  ses  pa- 
villons insultés  sur  des  mers  éloignées,  les 
vaisseaux  delà  nation  interceptés  dans  leurs 
courses,  les  siens  attaqués  sans  déclaration 
de  guerre,  des  descentes  tentées  sur  ses  porls, 
tout  le  portait  à  une  vengeance  que  tout 
semblait  justifier  :  une  lenteur  magnanime 
suspendait  les  effets  de  son  courroux;  on 
traitait  sa  modération  de  faiblesse,  sa  pa- 
tience était  accusée  de  frayeur;  enfin,  les 
alarmes  de  ses  provinces,  les  cris  de  ses  peu- 
ples, ceux  de  l'Europe  entière,  suffirent  à 
peine  pour  le  décider  à  entrer  en  action  ; 
alors  même  par  combien  de  signes  avant- 
coureurs  n'annonça-t-il  pas  que  sa  ven- 
geance, trop  longtemps  suspendue,  allait  en- 
fin éclater!  Que  de  nuages  précédèrent  celui 
d'où  la  loudre  devait  partir  1  11  a  fallu,  si 
j'ose  ainsi  parler,  le  faire  sortir  de  lui-même, 
pour  qu'il  agit  contre  les  autres;  et  c'est 
l'obligation  de  se  justifier  qui  le  mit  dans  la 
nécessité  de  vaincre. 

ki,  Messieurs,  je  sens  tout  à.  la  fois  la  ri- 


chesse de  mon  sujet  et  la  difficulté  de  mon 
ministère  :  je  voudrais  ouvrir  à  vos  regards 
ces  champs  glorieux  où  Louis  et  la  victoire, 
marchant  d'un  pas  égal,  se  couronnèrent  si 
souvent  des  mêmes  lauriers  ;  mais,  ministre 
et  organe  d'un  Evangile  de  paix,  oserais-je, 
par  des  récits  et  des  bruits  de  combats,  trou- 
bler l'auguste  silence  du  sanctuaire  où  elle 
règne  ,  y  faire  gémir  d'autre  victime  que 
celle  qui  s'y  immole,  et  suspendre  des  ta- 
bleaux teints  du  sang  humain  en  présence 
d'un  autel  où  le  sang  de  Jésus-Christ  doit 
couler  seul? 

Ne  faisons  qu'en  présenter  rapidement  le 
spectacle  à  votre  vue;  passons  ces  temps  où 
le  génie  et  la  fortune  de  la  France,  protégés 
par  le  ciel,  décidèrent  les  prémices  de  nos 
victoires  ;  ne  vous  montrons  point  le  soldat 
français,  après  vingt  ans  de  paix  et  d'inac- 
tion, aux  prises  avec  des  armées  aguerries 
et  nombreuses,  passant  le  Rhin  sous  leurs 
yeux,  traversant  en  leur  présence  des  marais 
presque  impraticables;  le  fort  de  Kell  sans 
défense,  Philisbourg  sans  remparts,  l'Alle- 
magne ouverte  à  nos  premières  armes,  sont 
le  prix  de  nos  premiers  efforts.  Ne  nous  en- 
gageons point  dans  les  Alpes,  où  l'âme  de 
Louis  et  le  courage  de  Villars,  frayant  une 
route  â  la  victoire,  vont,  avec  elle,  arborer 
nos  drapeaux  sur  les  murs  de  Milan  et  sur 
ceux  des  citadelles  les  mieux  défendues  ; 
deux  batailles  gagnées  dans  le  sein  de  l'Ita- 
lie en  ouvrent  les  principales  villes  au  roi, 
qui  les  rend  à  leurs  maîtres,  et  qui,  de  tous 
les  droits  que  ses  conquêtes  lui  donnent,  no 
se  réserve  que  celui  de  rappeler  la  paix. 

Le  démon  des  combats  force  bientôt  les 
barrières  qu'on  lui  oppose  ;  la  guerre  se  ral- 
lume :  ce  n'est  plus  la  fortune  de  Louis  que 
j'ai  à  vous  peindre,  c'est  lui-même  sous  les 
armes  et  en  action  contre  les  forces  réunies 
des  plus  puissants  Etats  de  l'Europe.  Le 
vainqueur  d'Almanza  et  celui  de  Deuain  ne 
sont  plus  ;  mais  Louis  existe  ;  l'amour  qu'on 
a  pour  lui  prépare  d'autres  héros,  et  sou 
exemple  en  formera.  Le  feu  des  haines  al- 
lumé dans  le  Nord  se  communique  au  Midi, 
à  l'Orient,  au  Couchant;  il  passe  en  Asie, 
l'onde  le  porte  en  Amérique,  il  est  tout  à  la 
fois,  il  est  tout  entier  dans  presque  tous  les 
climats.  Si  des  tempêtes,  des  surprises,  des 
accidents  imprévus  troublent  sur  l'Océan  la 
marche  de  nos  projets,  la  Méditerranée  nous 
venge  ;  la  suite  d'un  même  combat  dissipe 
une  flotte  nombreuse ,  nous  rend  maîtres 
d'une  île  entière,  et  nous  livre  une  citadelle 
que  l'art  et  la  nature  n'avaient  laissée  acces- 
sible qu'à  la  valeur  française. 

Louis,  attaqué  de  toutes  parts,  se  présenta 
partout  à  la  fois  :  sur  les  Alpes,  dans  deux 
héros  de  son  sang;  dans  la  Provence,  que 
ses  armes  garantissent;  daus  l'Alsace,  qu'el- 
les défendent  ;  dans  la  Bretagne,  qu'elles  dé- 
livrent. La  Flandre  est  le  partage  du  roi, 
Menin  tombe  à  son  arrivée,  Yprcs  s'ouvre  à 
sa  vue.  L'Alsace  le  rappelle,  les  fatigues  l'é- 
puisent,  Met/  en  pleurs  voit  ses  jours  eu 
danger;  la  France  consternée  tremble  pour 
sou  roi  cl  pour  cllc-iuOine  ;  deux  mois  envi-' 


HS7 


ORATEURS  SACRES.  PONCF.T  DE  LA  RIVIERE. 


Itgfl 


ron  d'une  maladie  mortelle  l'ont  conduit  au 
bord  du  toinl»t'an  !  sa  course  n'a  éléque  sus- 
pendu* ;  à  peine  rendu  à  la  vie,  il  vole  à  la 
victoire;  Fribourg  ne  l'arrête  que  pour  ho- 
norer son  triomphe,  cl  la  chute  de  ses  or- 
gueil .eu\  remparts,  qui  avaient  clé  le  déses- 
poir de  plus  d'un  fameux  guerrier,  n'est  que 
l'essai  de  ses  force*  renaissantes. 

!'u  Rhin  il  ne  fait  que  se  montrer  à  la 
Seine  ;  l'Escaut  le  rappelle  :  une  ville  forcée, 
une  bat.ille  gagnée,  sont  l'annonce  de  son 
retour...  Journée  de  Fontenoy,  si  souvent 
célébrée  parmi  nous,  vous  le  serez  à  jamais 
dans  la  postérité  :  les  forces  de  trois  puis- 
sants empires  y  étaient  réunies  contre  un 
seul  ;  combat  mémorable,  où  il  semble  que 
le  ciel  ait  permis  qui'  deux  peuples  surtout, 
rivau\  de  tous  les  temps,  fussent  opposés, 
pour  décider  en  peu  dr  momciis  le  problème 
de  tant  de  siècles  sur  la  supériorité  que  l'un 
prétendait  sur  l'autre;  nation  respectable  et 
terrible,  vantez-vous  de  n'avoir  point  vu  de- 
puis saint  Louis  de  victoire  remportée  sur 
vous  par  un  roi  de  France  commandant  en 
personne  ses  armées  :  si  vos  écrivains  nous 
citent  les  malheureuses  journées  de  Crécy, 
de  Poitiers,  d'Azincourt,  les  nôtres  \  oppose- 
ront celle  de  Fontenoy,  où  la  présence  et  la 
fermeté  d'un  monarque  français  décidèrent 
dans  un  seul  jour  le  sort  d'une  bataille,  d'une 
ville  et  de  trois  empires. 

Suspendez  votre  admiration,  Messieurs  ; 
je  n'ai  offert  à  vos  yeux  que  le  héros  de  la 
victoire,  j'ai  à  vous  peindre  le  héros  de  l'hu- 
manité. Vainqueur  de  tant  d'ennemis,  at- 
tend-il qu'ils  déposent  humblement  à  ses 
pieds  les  armes  qu'ils  ont  inutilement  em- 
ployées contre  ses  droits?  Non,  Messieurs, 
c'est  du  champ  de  bataille,  c'est  du  milieu 
des  trophées  érigés  à  sa  gloire,  c'est  dans  ce 
p;  emier  moment  où  le  triomphateur  trans- 
porté goûte  la  glorieuse  satisfaction  d'avoir 
vaincu,  que  celle  âme  supérieure  aux  autres 
dans  l'action,  Supérieure  à  elle-même  dans 
la  victoire,  élève,  pour  porter  le  calme  dans 
le  cœur  de  ses  ennemis,  cette  voix  qui,  en- 
tendue dans  le  combat,  y  avait  porté  la  ter- 
reur, et  les  invite  à  se  rendre  faciles  pour 
une  paix  qu'il  leur  a  rendue  nécessaire. 

Le  droit  des  armes,  qui  est  la  loi  des  con- 
quérants, permettait  sans  doute  que,  rete- 
nant une  partie  de  ses  conquêtes,  il  punît, 
par  la  perte  de  qui  lqi.es  villes,  ceux  qui 
avaient  attaqué  les  siennes  :  la  politique, 
qui  est  la  loi  des  souverains,  semblait  exi- 
ger que,  affaiblissant  ses  ennemis  par  de 
justes  sacrilices,  il  les  mit  hors  d'étal  de 
troubler  li  paix  qu'il  voulait  rétablir;  l'é- 
«juité,  qui  est  la  loi  des  hommes,  l'aulori- 
sail  à  demander  qu'on  lui  tint  compte  des 
frais  d'une  guerre  à  laquelle  on  l'avait 
forcé. 

La  terreur  de  ses  armes  semblait  avoir 
préparé  les  esprits  à  toutes  les  conditions  ; 
il  propose,  il  offre...  Ombre  de  ce  grand  roi, 
n'en  rougissez  pas...  Arbitre  de  leur  sort,  il 
demande  la  paix,  comme  s'ils  étaient  eux- 
mêmes  les  arbitres  du  sien  :  nul  intérêt  de 
sa  part;  illustres  alliés,  il  ne  s'occupe  que 


des  vôtres,  ('ne  telle  modération  devait  in- 
s  inr  la  confiance,  elle  l'éloigné;  on  ne 
peut  se  persuader  qu'un  vainqueur  à  qui  la 
guerre  a  été  si  glorieuse,  loin  d'exiger  des 
sacrilices,  en  Egaie  lui  meule  pour  obten  r 
une  paix  qu'il  est  seul  en  droit  de  prescrire 
et  de  donner. 

Ce  genre  d'héroïsme  e>t  trop  nouveau  pour 
être  aisément  reconnu  :  Louis  fail  des  of- 
fres, on  lui  suppose  des  vues,  et  l'abandon 
généreux  qu'il  (ail  de  ses  conquêtes  n'esta 
leurs  jeux  qu'une  voie  déguisée  pour  les 
étendre  ;  il  ne  sera  cru  dans  ses  procédés 
que  quand  ses  ennemis  seront  forcés  dans 
toutes  leurs  barrières.  Le  feu  de-  haines 
rallume  celui  de  la  guerre;  ;1  tonne  à  Ro- 
coux,  il  éclate  à  Lawfell;  des  raiuei  de 
Tournay  il  passe  à  Garni  ;  Rruges  en  est  cou- 
vert, Oslende  en  est  investi,  Mons  et  Namur 
en  sont  consumés.  La  paix,  se  présente  en- 
core partout  avec  le  vainqueur;  elle  n'est 
reconnue  que  sur  les  murs  de  Bruxelles; 
elle  n'est  acceptée  que  sur  les  remparts  de 
Maestricht;  des  armée»  nombreuses  ne  peu- 
vent en  empêcher  la  pri^c,  el  quatre-vingt 
mille  hommes  accourus  à  leur  défense  ne 
sont  que  témoins  de  leur  chute. 

O  pa.x  si  chère  à  un  roi  qui  aime  ses  su- 
jets, si  désirée  d'un  peuple  à  qui  vous  d<  i  ez 
rendre  son  roi,  faut-il  que  ce  soit  des  cen- 
dres de  tant  de  villes  que  vous  paraissiez  sur 
la  terre  I 

C'est  toujours  Louis  qui  l'offre,  et  comme 
il  est  toujours  le  même,  les  conditions  ne 
sont  pas  différentes  :  on  est  surpris,  on  ne 
peut  se  persuader  que  tant  de  gloire  ne  pro- 
duise que  tant  de  modération.  Partagés  en- 
tre l'admiration  cl  la  crainte,  entre  l'espé- 
rance et  le  soupçon,  les  ca  urs,  avant  que  de 
se  rendre,  veuleat  éprouver  le  sien  ;  ils  le 
prient  de  prescrire  et  de  régler  les  conditions. 
Louis  va  parler:  peuples, écoutez  cet  oracle; 
et  vous  ,  postérité,  conservez-en  le  souve- 
nir  Rien  de  plus  que  ce  que  je  pioposai  il 

y  a  quatre  années  <  t  avant  mes  victoires  ;  vous 
l'auriez  accepté,  si  vous  m'aviez  rendu  plus 
de  justice.  Ls  droits  de  tues  alliés  reconnus, 
la  tranquillité  de  mon  peuple  rétablie,  le  re- 
pos assuré  dans  l'Europe;  tout  pour  eux, 
rien  pour  moi.  Quel  héroïsme  de  sentiments  I 
Messieurs  .  l'exemple  n'en  avait  point  été 
donné  dans  les  siècles  précédeuls,  el  il  était 
réservé  au  nôtre  de  pouvoir  le  transmettre 
aux  siècles  à  venir. 

Tant  de  triomphes  auraient  satisfait  l'am- 
bition de  plus  d'un  roi  ;  celle  de  Louis  n'est 
remplie  que  par  la  paix  :  les  haines  s'étei- 
gnent, l'admirati  in  soumet  ceux  que  la  force 
n'a  pas  domptes  ;  el  1  i  p.iix.  qu'il  rend  ainsi 
le  fait  plus  triompher  de  ses  ennemis  que  les 
victoires  qu'il  a  remportées  sur  eux.  On  pou- 
vait lui  donner  le  surnom  de  Grand  ,  nom 
flatteur  pour  un  genre  d'ambition  qui  ne  fui 
jamais  le  sien  ;  l'amour  de  ses  peuples  lui  en 
donna  un  plus  agréable  à  son  cœur,  plus  di- 
gne de  ses  vœux,  et,  Pose  le  dire,  plus  glo- 
rieux pour  un  roi.  L'a-l-il  mérité  en  effet  ! 
Vous  en  jugerez  vous-mêmes,  Messi.  urs, 
d'après  lo  tableau  que  je  vais  vous   tiacer 


1189  ORAISON  FUNEBRE  DU  ROI  LOUIS  XV 

des  qualités  de  son  cœur,  dans  la  deuxième 
partie  de  son  éloge. 

DEUXIÈME  PARTIE 


1190 


Les  qualités  qui  rendent  les  hommes  par- 
ticuliers recommnndables  dans  la  société 
sont  également  dignes  des  rois  ;  seules,  elles 
ne  font  pas  que  les  rois  soient  dignes  de 
l'être:  mérite  dans  les  conditions  ordinaires, 
elles  sont  sur  le  trône  une  espèce  do  pro- 
dige; mais  elles  ne  font  pas  le  mérite  du 
trône  ;  et  le  roi  qui  commande  aux  hommes, 
s'il  n'ét;iit  homme  que  comme  eux,  ne  serait 
pas  assez  roi.  H  faut  que  ces  qualités,  enno- 
blies parla  souveraineté,  lui  communiquent 
leur  douceur  et  l'embellissent  de  son  éclat  ; 
cet  accord  de  la  puissance  qui  est  absolue  et 
des  qualités  qui  la  rendent  facile  fait  que  le 
monarque,  doublement  souverain,  joint  aux 
droilsde  ia  suprême  autorilé,  en  vertu  delà- 
quelle  il  règne  sur  nos  têtes,  ce  doux  empire 
du  sentiment  par  lequel  il  régne  encore  plus 
sur  t;os  cœurs. 

Quel  roi  connut  mieux  et  posséda  plus  cet 
empire  que  celui  qui  est  l'objet  de  la  triste 
cérémonie  qui  nous  rassemble?  Le  lien  le 
plus  doux  unissait  dans  lui  les  qualités  que 
l'on  aime  dans  la  société  à  celles  que  l'on 
révère  sur  le  trône,  et  l'homme  particulier 
futaussi  grand  que  le  roi.  Affable  et  humain, 
bon  et  sensible,  compatissant  et  bienfaisant, 
il  régna  sur  le  cœur  de  sa  famille  et  en  fit 
les  délices,  sur  le  cœur  de  ses  peuples  et  en 
obtint  l'amour,  sur  le  cœur  de  ses  ennemis 
et  en  désarma  les  haines,  sur  le  cœur  de  la 
noblesse  et  en  assura  l'honneur  :  gloire  de 
souveraineté  qui  n'est  bien  connue  que  par 
les  rois  qui  la  méritent.  Le  Seigneur  la  lui 
donna,  et  il  en  fut  plus  flatté  que  de  celle 
des  succès  et  des  victoires  :  Dominus  dédit 
illi  gloriam  retjni. 

Palais  superbe,  séjour  de  la  grandeur  et 
de  Louis,  ouvrez-vous  dans  ce  jour  à  nos  re- 
gards, comme  vous  étiez  ouvert  dans  tous 
les  temps  à  nos  vœux.  Quel  spectacle  plus 
beau,  plus  touchant,  que  celui  qui  s'y  pré- 
sente, Messieurs:  un  prince,  roi,  père  et 
aïeul,  au  milieu  de  la  plus  auguste  famille  1 
Là  un  nombre  de  princesses  et  de  princes  ses 
enfants,  ses  petits-enfants,  dont  l'âge  dislin- 
gue les  places  surchaquedegré  du  trône,  mais 
qui,égalomentchéris,  ont  dans  le  cœur  pater- 
nelle même  rang  marqué  par  le  même  amour. 

Quel  plaisir  j'aurais  à  vous  poindre  celui 
donl  celte  âme  si  noble  était  pénétrée,  lors- 
que, échappé  aux  honneurs  tumultueux  de 
la  royauté,  il  pouvait  en  exercer  une  plus 
sensible  et  plus  tendre  au  milieu  de  celte 
cour  si  faite  pour  l'attirer  et  pour  lui  plaire, 
où  les  hommages  n'étaient  qu'une  expres- 
sion des  sentiments  inspirés  par  l'amour, 
présentés  par  le  respect,  reçus  par  la  com- 
plaisance! Quelle  douce  satisfaclion^orsquc, 
se  déchargeait  du  fardeau  de  la  majesté  dans 
le  sein  de  la  tendresse  filiale,  il  se  procurait, 
avec  la  liberté  d'être  à  soi-même,  la  conso- 
lation de  se  revoir  dans  ses  augustes  enfants  1 
Ali  1  il  ne  faisait  alors  que  rhang  r  d'empire, 
et,  descendu  de  son  trône,   il  en  retrouvait 


un  plus  conforme  à  ses  désirs,  élevé  au  seiu 
de  la  nature,  soutenu  par  les  mains  du  res- 
pect ,  et  orné  des  innocents  tributs  d'un 
amonr  filial.  Avec  quelle  joie  noble  et  pure, 
présidant  à  leurs  fêtes,  cherchait-il  à  entre- 
tenir cette  union  si  précieuse  dans  les  fa- 
milles des  particuliers,  si  respectable  dans 
les  familles  des  rois  !  union  entre  des  cara- 
ctères dont  la  conformité  fait  le  mérite,  dont 
la  différence  produit  l'agrément,  qui  se  res- 
semblent par  l 'S  vertus  et  ne  sont  distingués 
enlre  eux  que  par  les  nuances  qui  les  distin- 
guent entre  elles.  Quelle  complaisance  de  sa 
parti  quels  égards  de  la  leur!  son  cœur  se 
prête  à  tous  leurs  amusements,  le  leur  se  li- 
vre à  toute  sa  tendresse. 
•  Du  sein  de  cette  auguste  famille  et  des 
degrés  du  trône,  celle  bonté  se  répandait  sur 
tous  ceux  donl  il  était  environné.  Grands  du 
monde,  dieux  de  la  terre,  vous  ne  recevez  les 
vœux  des  mortels  qu'à  travers  des  nuages 
d'encens  :  cet  encens  et  ces  vœux  se  perdent 
dans  les  sanctuaires  et  au  pied  de  l'autel  où 
on  les  porte;  on  vous  craint,  on  vous  flatte  ; 
vous  commandez,  et  vous  ne  léguez  pas. 
Louis  était  trop  grand  pour  chercher  à  le  pa- 
raître. 0  vous,  à  qui  la  naissance,  les  em- 
plois, la  confiance  ,  donnaient  des  rapports 
plus  fréquents  et  plus  prochains  avec  lui  , 
c'est  à  vos  cœurs  que  j'en  appelle,  à  ces 
cœurs  fidèles  et  reconnaissants,  sur  les- 
quels le  sien  régna  toujours;  fut-il  jamais 
un  maîlre  moins  jaloux  de  commander, 
et  par  là  même  plus  digne  d'être  obéi? 
Voit-on  un  homme  particulier,  revêtu  do 
quelque  autorité  qui  soit  d'un  accès  plus  fa- 
cile que  le  souverain  du  plus  grand  empire 
l'était  lui-même  sur  son  trône?  Dans  le  dé- 
tail de  la  vie,  laissa-t-il  entre  vous  et  lui 
quelque  intervalle  qu'il  ne  remplît  par  des 
bienfaits?  C'est  le  seul  droit  qu'il  se  réser- 
vait avec  vous  du  pouvoir  suprême;  les  ser- 
vices de  vos  ancêtres  et  les  vôtres  lui  étaient 
connus  et  présents  ;  il  vous  les  rappelait  avec 
ce  plaisir  d'estime  et  de  sentiment  qui  leur 
donnait  du  prix  à  vos  jeux;  rien  n'était 
perdu  avec  un  prince  à  qui  rien  n'était  in- 
différent ;  celle  sensibilité  à  votre  gloire  vous 
attachait  encore  plus  à  lasiennr  ;  et  la  recon- 
naissance qu'il  se  plaisail  à  vous  témoigner 
lui  assurait  toute  la  vôtre. 

De  ces  sentiments  naissait  le  sentiment  de 
celte  amitié  donl  il  honorait  ceux  qui  pou- 
vaient eux-mêmes  honorer  sa  confiance.  O 
amitié!  ne  vous  plaignez  plus  que  votre  rè- 
gne est  borné  à  ces  conditions  obscures  et 
subalternes,  où  l'égalilé  qui  rapproche  les 
rangs  réunit  aussi  les  cœurs.  Il  en  lut  un  qui 
partagea  l'empire  avec  vous,  il  vous  plaça 
sur  le  Irône  où  l'autorité  règne;  regaidée 
comme  un  prodige  dans  les  cours  des  prin- 
ces, vous  ne  fûtes  qu'un  mérite  et  un  orne- 
ment de  plus  dans  la  sienne.  Il  apprit  à  l'u- 
ni \  ers  que  l'amitié,  qni  esl  la  vertu  des  hom- 
mes, peut  aussi  être  celle  d  s  rois,  et  qu'ils 
sont  capables  d'en  donner  l'exemple  quand 
ils  sont  dignes  d'en  goûter  les  douceurs. 

Si,  prévenu  ou  surpris  quelquefois,  cl  quel 
roi.  Messieurs,  osl  à  l'abri  de   la  prévention 


1191 


OltAThtltS  SACKKS.  IONCLT  DE  LA  hlYILKh. 


11W 


ou  de  la  surprise?  il  crul  devoir  aux  druits 
du  sceptre  d'en  faire  sentir  le  pouvoir  el  le 
poids,  ali  !  ce  n'est  pas  de  son  cœur  que  s'é- 
leva le  nuage  qui  gronda  autour  du  trône  et 
en  écarla  ceux  qu'il  en  avait  lui-même  ap- 
prochés ;  sévère  malgré  lui,  il  le  fut  toujours 
avec  des  ménagements  de  bonté,  et  souvent 
par  le  principe  de  la  bonté  même.  L'homme 
alors,  si  j'ose  ainsi  parler,  l'homme  était 
forcé  parle  roi,  et  l'humanité  gémissait  dans 
lui  des  coups  dont  l'autorité  la  frappait  dans 
les  autres.  S'il  eut  de  la  peine  à  rappeler  au- 
près de  lui  ceux  qu'il  avait  eu  de  la  peine  à 
en  éloigner,  c'était  par  la  crainte  de  voir  sur 
leur  front  la  trace  des  chagrins  qu'il  avait 
pu  leur  causer;  son  cœur  souffrait  des  maux 
que  le  leur  avait  éprouvés,  et  le  moment  du 
retour  ne  lui  coûtait  que  par  le  souvenir  de 
celui  de  la  disgrâce. 

Faut-il  s'étonner  de  cet  intérêt  si  tendre  et 
si  glorieux  que  son  peuple  prit  dans  tous  les 
temps  aux  succès  de  ses  entreprises  et  à  la 
conservation  de  ses  jours?  Vous  vous  rappe- 
lez la  consternation  que  répandit  dans  tous 
les  étals  cette  maladie  cruelle  qui,  l'arrêtant 
dans  le  cours  de  ses  victoires,  lit  craindre 
pour  celui  de  sa  vie.  La  France,  alarmée  au 
milieu  de  ses  conquêtes,  vit  alors  dans  le 
seul  danger  de  son  roi  un  malheur  plus 
grand  que  la  perte  de  plusieurs  batailles  et 
d'une  partie  de  ses  provinces  :  les  places  pu- 
bliques, les  maisons  particulières,  n'offraient 
partout  que  l'effrayante  image  d'une  cala- 
mité générale;  sa  convalescence  fut  une  re- 
naissance pour  l'Etat.  C'est  alors,  c'est  à  ce 
moment  si  louchant,  si  intéressant,  que  lui 
fut  donné  ce  surnom  si  digne  de  l'ambition 
des  rois,  si  agréable  à  la  sienne. 

Perdez-vous  dans  la  profondeur  et  l'oubli 
des  siècles,  noms  fastueux  dont  la  politique 
romaine  flattait  la  vanité  de  ses  triompha- 
teurs; noms  plus  barbares  que  les  climats 
dont  la  conquête  les  leur  avait  mérités,  el 
que  les  nations  dont  ils  rappelaient  l'escla- 
vage et  les  malheurs.  Le  surnom  de  Bien- 
Aimé  est  celui  du  sentiment  ;  c'est  le  cri  gé- 
néral d'un  peuple  dont  la  voix  fut  toujours 
regardée  comme  celle  de  la  vérité;  nom  trop 
applaudi  pour  n'avoir  pas  été  mérité,  et 
Louis,  sans  doute,  était  digne  de  l'obtenir, 
puisqu'il  le  regarda  comme  le  plus  digne  de 
son  cœur. 

Et  ne  pensez  pas.  Messieurs,  que  ce  fût  le 
transport  d'une  joie  passagère,  qu'un  jour 
voit  naître  elqui  n'a  que  la  durée  d'un  jour. 
Cet  amour,  pendant  son  règne,  s'est  livré 
à  des  efforts  dont  le  souvenir,  transmis  à  la 
postérité,  y  portera  la  plus  glorieuse  idée 
des  sentiments  du  peuple  français  et  des  qua- 
lités du  monarque.  Nous  avons  vu  dans  une 
succession  de  guerres  qui  semblaient  avoir 
absorbé  toutes  nos  ressources,  les  secours  se 
multiplier  el  renaître,  si  j'ose  ainsi  parler, 
de  l'épuisement  de  nos  fonds;  les  forces  de 
l'empire  sortir  de  la  faiblesse  même  où  il 
semblait  réduit;  l'abondance  reproduite  au 
sein  de  la  disette;  le  peuple  oublier  ses  be- 
soins pour  ceuv  de  son  roi,  cl  le  nécessaire 
de  la  vie  prodigué  pour  l'accroissement  do 


sa  gloire.  Il  sera  inscrit  dans  nos  fastes,  ce 
prodige  de  zèle  inconnu  avant  lui,  même  dans 
la  nalion  que  son  amour  pour  ses  rois  eu 
rend  la  plus  capable.  On  vit  les  filles,  les 
provinces,  les  particuliers  même,  briguer  à 
l'envi  les  unsdes  autres  l'honneur  de  relever 
la  gloire  d'une  marine  à  qui  d'autres  besoins 
de  l'Etal  avaient  laissé  perdre  la  supériorité 
qu'elle  avait  eue,  réparer  la  perte  de  quel- 
ques vaisseaux  par  des  fonds  suffisants  pour 
des  llo'.tes  entières,  el  ce  qui  dans  d'autres 
empires,  ce  qui,  même  en  France  sous  d'au- 
tres règnes,  ne  se  sérail  obtenu  qu'avec 
peine,  demandé  comme  un  honneur,  sollicité 
comme  une  grâce, est  offert  au  roi  bien-aiii'é 
comme  le  tribut  de  la  reconnaissance  pu- 
blique. 

Et  comment  n'aurail-il  pas  eu  sur  le  cœur 
de  ses  sujets  un  empire  que  la  sensibilité  de 
son  cœur  compatissant  lui  donna  sur  celui 
de  ses  ennemis  ?  Ouvrez-vous  encore  à  nos 
regards,  plaines  fameuses  de  Foiilenoy  !  Ce 
n'est  pas  pour  considérer  le  héros  couronné 
sur  le  char  de  la  victoire,  c'est  pour  y  con- 
templer, au  sein  et  dans  l'exercice  des  venus 
propres  de  l'humanité,  l'homme  plus  grand 
que  le  héros,  que  le  vainqueur,  que  le  roi. 
Que  des  triomphateurs,  encore  tout  l'uni  mis 
de  carnage,  considèrent  un  champ  de  ba- 
taille comme  le  théâtre  de  leur  gloire  ;  quVn- 
virouné  de  trophées,  ils  goûtent,  à  l'ombre 
de  lauriers  sanglants,  le  repos  que  leur  va- 
leur meurtrière  enleva  à  la  terre;  qu'étour- 
dis par  les  cris  et  les  éloges  dont  tout  retentit 
autour  d'eux,  ils  oublient  que  leur  gloire 
funeste  est  établie  sur  le  malheur  de  leurs 
semblables...  J'ai  à  vous  présenter  un  spec- 
tacle plus  conforme  à  vos  sentiments,  Mes- 
sieurs, et  plus  digne  de  vos  regards,  celui 
d'un  vainqueur  attendri  et  moins  flatté  de 
l'éclat  qu'affligé  du  prix  de  ses  succès.  Je  le 
vois  avec  cet  auguste  fils,  si  cher  à  la  terre 
où  il  n'a  fait  que  passer,  parcourant  celle 
plaine  couverte  du  sang  el  des  dépouilles  de 
plus  de  vingt  mille  guerriers;  sa  grande  â:ne 
est  émue  à  l'aflligeanl  aspect  de  tanl  d'hom- 
mes sacrifies  aux  intérêts  d'un  seul;  loul 
l'honneur  de  la  victoire  disparait  à  ses  yeux, 
il  n'en  voit  que  les  effets  et  le  malheur  :  Oh! 
mon  fils  ,  dit- il  en  gémissant,  vous  voyez  ce 
que  coûtent  les  querelles  des  rois  !  Son  cœur 
soupire,  ses  yeux  se  baignent  de  larmes,  et 
cette  voix  qui.  dans  le  fort  du  combat,  don- 
nait avec  tant  de  fermeté  les  ordres  de  la 
victoire,  entrecoupée  de  sanglot»,  ne  peut 
se  faire  entendre  que  pour  en  déplorer  le 
malheur.  Larmes  glorieuses  1  grand  roi.  ne 
vous  les  reprochez  pas  ;  il  est  plus  beau  pour 
vous  d'avoir  pleuré  sur  voire  triomphe  que 
de  l'avoir  remporté  ;  ces  larmes  prouvent quo 
vous  êtes  un  des  plus  grands  el  le  plus  hu- 
main des  rois. 

El  ne  croyez  pas,  Messieurs,  que  sa  com- 
passion se  borne  à  pleurer  sur  des  ennemis 
qui  ne  sont  plus,  ses  soins  s'étendent  à  ceux 
qui  restent,  et  (!ûl-il  ne  sauver  que  des 
ingrats,  il  craint  moins  de  conserver  des 
rivaux  que  de  laisser  périr  des  hommes. 
Auprès  du  champ  de  bataille,   on  voit  dans 


1193 


OKAiSUN  lUNEBlΠ DU  KO!  LOUIS  XV, 


1194 


l'instant,  par  son  ordre,  sons  ses  yeux,  à  ses 
frais,  s'élever  de  vastes  hôpitaux  où  ses  pro- 
fusions font  entrer  l'abondance,  où  par  son 
attention  les  secours  se  multiplient  :  offi- 
ciers, soldats,  sujets,  étrangers,  ceux  qui  ont 
combattu  sous  ses  drapeaux,  ceux  qui  ont 
porté  les  armes  contre  lui  y  sont  également 
admis,  y  sont  également  secourus;  ses  sol- 
dats, ses  ennemis,  tous  sont  Français  dans 
ce  moment  aux  yeux  d'un  vainqueur  qui  est 
tout  à  la  fois  le  père  de  ses  sujets,  le  conser- 
vateur de  ses  rivaux,  et,  au  sein  de  la  vic- 
toire, le  héros  de  l'humanité...  Vous  ne  l'ou- 
blierez pas,  peuples  ligués  contre  nous,  ar- 
més contre  lui,  ce  double  triomphe  d'un  roi 
qui  joignit  à  la  gloire  de  vous  vaincre  celle 
de  vous  conserver;  vous  résistâtes  à  ses  ar- 
mes, vous  ne  pûtes  résistera  ses  bienfaits. 

La  paix  est  rétablie,  revoyons  Louis  dans 
ses  Etats  occupé  du  soin  d'embellir  la  France. 
Des  chemins  impraticables  séparaient  plu- 
sieurs de  nos  villes,  et  dans  leur  proximité 
même  faisaient  une  sorte  d'éloignement  qui 
les  rendait  inutiles  et  comme  étrangères  les 
unes  aux  autres  :  des  routes  magnifiques 
s'ouvrent  de  toutes  parts  sous  ses  ordres,  les 
provinces  se  rapprochent,  le  commerce  les 
unit,  et  les  transports  facilités  les  rendent 
tributaires  entre  elles;  les  arts,  accrédités 
par  sa  protection,  sont  portés  sous  le  règno 
de  la  bienfaisance  à  ce  point  de  perfection 
qu'ils  ne  firent  qu'entrevoir  et  espérer  sous 
un  règne  appelé  ce  ui  des  arts  eux-mêmes  et 
de  la  grandeur.  Sainte  religion,  vous  n'êtes 
point  oubliée  dans  ses  glorieuses  entrepri- 
ses: sa  main,  conduite  par  la  piété,  relève 
cet  auguste  sanctuaire  où  la  patronne  de  Pa- 
ris recevait  depuis  tant  de  siècles,  sur  de 
saints  et  respectai  les  débris,  les  vœux  des 
peuples  et  les  homitt  ges  des  rois.  Combien 
d'autres  édifices  également  consacrés  à  la 
religion  se  sont  éle\és,  s'achèvent  sous  nos 
yeux  avec  un  ordre  et  une  magnificence  di- 
gnes de  la  grandeur  du  monarque  et  de  la 
sainteté  du  Dieu  qu'on  y  adore? 

La  gloire  de  ces  monuments  lui  fut  com- 
mune avec  d'autres  rois;  il  en  est  un  dont 
l'honneur  lui  appartient  et  n'appartient  qu'à 
lui,  c'est  celui  même  où  je  fais  son  éloge,  et 
qui  fait  celui  de  la  grandeur  de  ses  vues  et 
de  celle  de  son  cœur;  c'est  ceite  école  guer- 
rière qui  seule  suffit  pour  exprimer  la  sensi- 
bilité de  sou  caractère  et  éterniser  la  gloire 
de  son  règne,  cette  école  de  la  victoire  où  se 
prennent  des  leçons  de  l'héroïsme  sous  des 
chefs  qui  en  ont  eux-mêmes  donné  l'exem- 
ple :  quel  ordre  de  toutes  les  vertus  s'est 
employé  pour  une  seule  entreprise!  une  re- 
ligieuse bienfaisance  ea  inspira  le  projet.  Le 
cœur  noble  de  Louis  n'a  pu  voir  les  enfants 
des  défenseurs  de  l'Kl.t  sans  état  eux-mêmes, 
dans  un  empire  que  leurs  pères  ont  servi 
avec  tant  de  bravoure;  une  jeune  nobles>c 
distinguée  par  son  origine  et  par  les  espé- 
rances qu'elle  donne,  rampante  autour  des 
trophées  de  s  s  aïeux  et  accablée  sous  le 
poids  d'un  nom  qu'ell  !  serait  peut-étrje  hors 
d'état  de  soutenir.  La  grandeur  i!e  son  âme 
ne  lui  a  pas  permis  de  laisser  celte  portion 
Okatki  ks  s  icnés.   X  \  \. 


la  plus  glorieuse  de  l'Etat  s'avilir  dans  des 
travaux  obscurs  ou  dans  un  loisir  funeste; 
il  a  cru  qu'il  était  de  son  équité  de  récom- 
penser les  services  des  pères  dans  les  enfants, 
et  de  l'intérêt  public  de  former  les  enfants 
eux-mêmes  à  des  services  pareils  à  ceux  de 
leurs  pères  :  adoptés  par  son  amour  pater- 
nel, ils  sont  devenus  les  enfants  de  l'Etat  et 
de  leur  roi,  et  ils  en  seront  à  leur  tour  les  dé- 
fenseurs et  les  soutiens. 

La  prudence  lui  a  inspiré  de  ne  point  les 
disperser  dans  les  provinces;  il  en  avait 
connu  le  risque  dans  le  sort  et  la  chute  de 
ce  corps  de  jeunes  volontaires  qui,  tenant 
le  milieu  entre  l'officier  et  le  soldat,  ne  pre- 
naient, ni  l'obéissance  de  l'un,  ni  la  dignité 
de  l'autre  ;  l'utile  sagesse  de  ses  vues  les  a 
réunis  dans  la  capitale,  sous  les  yeux  du 
prince,  avec  des  règlements  et  sous  une  dis- 
cipline propres  à  inspirer  cet  esprit  de  corps 
qui  entreprend  tout  quand  il  est  commandé, 
et  celui  de  subordination  qui  ne  fait  rien  de 
lui-même  ;  sa  religion  l'a  porté  à  en  écarter 
les  vices  par  des  instructions  réglées  et  une 
vigilance  qui  ne  font  pas  moins  d'honneur 
aux  maîtres  qu'elles  sont  avantageuses  aux 
élèves,  et  qui,  d'une  école  de  la  gloire  mi- 
litaire, en  font  aussi  une  des  vertus  civiles 
et  chrétiennes  :  il  l'a  placée  auprès  de  cet 
hôtel  où  la  valeur,  blessée  et  souffrante, 
conserve  encore,  dans  les  débris  de  ses  for- 
ces, cette  âme  guerrière  qui  la  rendit  invin- 
cible ;  monument  d'un  roi  qui  eut  le  nom  de 
Grand  à  tant  de  titres,  et  le  soutint  avec  tant 
de  gloire  :  il  eut  celle  de  conserver  de  vieux 
guerriers,  l'honneur  d'en  former  d'autres 
était  réservé  à  Louis  le  Bien-Aimé.  Là  l'Etat 
reconnaissant  récompense  d'anciens  servi- 
ces, ici  il  en  prépare  de  nouveaux;  là  est 
l'honneur  de  nos  armes,  ici  en  croît  l'espé- 
rance ;  là  finit,  ici  commence  l'héroïsme: 
Louis  XIV  mérita  la  reconnaissance  de  son 
siècle,  avec  elle  Louis  XV  intéresse  cellu 
des  siècles  à  venir.  Rois  puissants  et  respec- 
tés, on  vous  élève  des  monuments  que  les 
temps  détruisent,  et  dont  la  chute  suit  do 
près  la  vôtre:  Lcui's  a  imprimé  au  sien  un 
caractère  de  durée  aussi  certaine  et  aussi 
constante  que  VetA  la  valeur  dans  la  noblesse 
française  :  les  étrangers  voient  avec  admi- 
ration ce  magnifique  hôtel  où  se  consument, 
dans  un  repos  mérité,  des  restes  de  héros 
qu'ils  n'ont  plus  à  redouter;  ils  n'envisagent 
qu'avec  un  respect  mêlé  de  crainte  une 
école  où,  dans  une  jeunesse  vive  et  subor- 
donnée, se  préparent  leurs  vainqueurs. 

Finissons,  Messieurs,  et,  après  avoir  fixé 
votre  admiration  sur  la  gloire  d'un  règne 
couronné  par  tant  de  succès  éclatants,  orné 
de  tant  de  qualités  bienfaisantes,  Dominas 
dédit  Mi  glorinm  regni;  intéressons  votre 
piété  sur  la  gloire  de  la  religion  elle-même, 
dans  les  derniers  moments  de  ce  règne.  Ho- 
norez-moi encore  de  votre  attention. 

TROISIÈME   paiitie. 

Ce  n'est  plu*  dans  la  marche  éclatante  do 
ses  succè-,  au  milieu  d'une  cour  empressée 
à  lui  plaire,  sur  un  trône  enrichi  de  tous  les 

38 


1 1  .:. 


ORATEURS  SACRES.  1M.NCET  DE  LA  RIVIERE, 


tributs  do  la  victoire  ci  de  la  paie,  que  Louis 
\.i  le  présenter  à  vos  regards,  c'est  dans  lis 
douleurs  d'uni!  maladie  (ruelle,  baigné  des 
pleurs  d'une  famille  auguste  et  consternée, 
sur  un  lit  funèbre  environné  des  ténèbres  du 
tombeau  ;  c'est  à  ce  moment  terrible  où  le 
plus  grand  des  monarques  rentre,  comme  le 
plus  humble  des  sujets,  dans  le  sein  de  la 
terre  sur  laquelle  il  a  régné  ;  c'est  à  celte 
dernière  heure  qui  fixe  l'éternité  des  princes 
ainsi  que  celle  des  peuples.  Eternité  ef- 
frayante I  les  plus  grands  saints  ont  tremblé 
à  sa  vue quel  passage  pour  un  roi  l 

O  Dieu  suprême,  arbitre  des  empires  et  de 
ceux  qui  les  gouvernent,  c'est  par  de  grands 
exemples  que  vous  nous  faites  de  grandes 
leçons  I  vous  frappez  sur  le  trône  où  les 
souverains  dictent  leurs  lois,  aussi  bien  que 
sur  les  conditions  médiocres  ;  et  votre  main, 
appesantie  sur  les  dieux  du  monde  comme 
sur  ceux  qui  leur  rendent  dos  respects,  les 
fait  disparaître  comme  s'ils  n'avaient  jamais 

été Qui  sommes-nous  pour  interroger  ici 

votre  providence?  Cendre  et  poussière!  ose- 
rions-nous demander  compte  de  ses  justi- 
ces à  l'éternel  et  redoutable  Maître  qui  juge 
celles  des  rois  ?  Hélas  l  il  ne  nous  reste  plus 
qu'à  implorer  votre  bonté  en  faveur  d'un 
prince  qui  la  représenta  parmi  nous.  Ces 
vœux  que  notre  reconnaissance  doit  à  sa 
mémoire  et  que  la  religion  réclame  de  no- 
ire piété,  il  les  avait  prévenus  par  les  siens, 
Messieurs,  et  nous  avons  eu  la  consolation 
de  le  voir,  dans  ces  derniers  moments,  plus 
occupé  du  soin  de  son  salut  que  de  celui  de 
sa  guérison,  ne  se  connaître  d'autre  mal  que 
celui  d'avoir  perdu  la  grâce  de  son  Dieu,  ne 
chercher  d'autre  remède  que  celui  qui  pou- 
vait le  remettre  en  grâce  avec  son  Dieu,  ne 
craindre  d'autre  danger  que  celui  de  mou- 
rir sans  la  grâce  de  son  Dieu.  Soumis  à  son 
souverain  empire,  il  regarda  son  état,  pre- 
mièrement comme  un  ordre  de  la  Providence 
qu'il  devait  adorer,  secondement  comme  un 
gage  de  sa  miséricorde,  dont  il  devait  se 
hâter  de  profiter  pour  désarmer  sa  justice. 

11  l'avait  toujours  reconnue,  celte  l'rovi- 
dence  adorable  par  qui  les  rois  régnent,  et 
qui  règne  sur  les  rois  :  la  gloire  du  trône, 
les  honneurs  de  l'empire,  celle  indépendance 
d'une  condition  dont  tout  dépend  dans  les 
autres,  cette  élévation  d'un  rang  qui  met  les 
souverains  dans  une  espèce  de  milieu  entre 
Dieu  elles  hommes,  ne  lui  firent  jamais  ou- 
blier que,  s'il  était  au-dessus  d  eux,  il  n'é- 
tait pas  moins  soumis  qu'eux  à  l'étemel 
Monarque  de  l'univers  ;  qu'il  ne  devait  re- 
garder une  supériorité  qu'il  avait  reçue  de 
lui  que  comme  un  moyen  d'ennoblir  l'obéis- 
sance due  à  ses  volontés  ;  que  les  homma- 
ges qu'on  lui  rendait  sur  la  terre  n'étaient 
qu'un  titre  de  plus  que  le  ciel  acquérait  sur 
les  siens,  et  que  le  premier  des  rois  n'était 
devant  Dieu  que  le  premier  des  sujets. 

Son  cœur,  fermé  à  tout  ce  qui  pouvait  af- 
faiblir l'idée  el  le  sentiment  des  droits  de 
Dieu  sur  lui,  ne  se  prêta  jamais  à  ces  so- 
pbismes  capiieux  et  séduisants  qu'emploie 
pour  son  malheur  el  nour   celui   des  autres 


cet  esprit  d'incertitude  réfléchie  cl  de  sécu- 
rité audacieuse  qui  oppose  I  la  croyance  des 
ifèdes  les  opinions  d'un  jour,  ril  tans  crain- 
dre, s'éteint  sans  croire,  soumet  au  ealeal 
d.  s  hommes  l'éternité  de  Dieu  même,  rida 
ses  lois  sans  remords,  el  va  sans  repentir 
subir  ses  arrêts.  Il  savait  qui;  notre  sainte 
religion,  établie  sur  la  parole  de  Dieu,  est 
inébranlable  cl  sera  éternelle  comme  lui; 
que  celte  prétendue  force  d'esprit  n'est  dans 
le  fond  qu'une  faiblesse  de  génie;  qo'aossl 
opposée  aux  lois  du  prince  qu'à  celles  de 
Dieu,  elle  n'est  pas  moins  l'ennemie  du  trône 
que  de  l'autel  ;  el  quelques  nuages  qui  se 
soient  élevés  sur  ses  mœurs,  ils  n'obscurci- 
rent jamais  le  flambeau  de  sa  loi.  Far  une 
suite  de  ses  sentiments,  il  envisagea  sa  ma- 
ladie, non  en  philosophe  dont  les  vues,  ren- 
fermées dans  le  cercle  des  événements,  ne 
s'élèvent  pas  jusqu'à  leur  auteur,  mais  en 
prince  éclairé,  qui  sait  que  rien  n'arrive  sans 
l'ordre  ou  la  permission  du  Seigneur.  11 
plia  sous  le  coup,  reconnut  la  main,  se  sou- 
mit et  adora. 

O  vous,  dont  la  délicate  sensibilité  rend 
dans  ces  moments  vos  amis  si  timides  et  par 
là  si  cruels;  vous,  autour  de  qui  une  famille 
éplorée  gémit  presque  également  du  danger 
où  vous  êtes  et  de  la  dilficullé  qu'elle  trouve 
à  vous  l'annoncer;  vous  qui,  dans  ces  der- 
niers instants,  vous  êtes  vus  peut-être  envi- 
ronnés de  lâches  et  de  perfides  adulateurs, 
plus  occupés  de  leurs  intérêts  personnels  el 
plus  jalons  d'accréditer  l'impiété  dont  ils 
font  profession,  que  de  vous  faire  penser  à 
ce  qui  a  rapport  au  salut  de  votre  âme  ;  vous 
enfin,  que  la  maladie  a  mis  dans  un  élat  où, 
devant  tout  craindre,  on  vous  laissait  tout 
ignorer  :  venez  à  ce  lit  funeste  où  un  grand 
roi,  un  des  meilleurs  des  rois,  exemple  des 
infirmités  qui  sont  attachées  à  notre  nature, 
l'est  encore  plus  des  devoirs  que  notre  sainte 
religion  commande.  A  peine  Louis  fut-il  sur 
qu'il  était  attaqué  d'une  maladie  dont  son 
âge  semblaitdevoir  éloigner  le  soupçon, mais 
dont  le  péril  était  réel,  qu'il  s'humilia  sous 
la  main  de  Dieu,  dont  il  avait  toujours  re- 
connu l'empire  sur  les  rois;  il  ne  lui  de- 
manda, ni  de  ménager  sa  faiblesse,  ni  d'a- 
doucir ses  douleurs,  ni  d'éloigner  le  danger 
qui  menaçait  ses  jours;  il  n'en  reconnut 
qu'un,  celui  de  ne  pouvoir  désarmer  sa  jus- 
tice. 

Digne  et  vertueux  dépositaire  des  secrets 
de  celte  âme  que  nous  recommandons  au 
Dieu  qu'elle  implora,  avec  quelle  sainte  el 
tendre  satisfaction  vîles-vous  ce  monarque 
vous  demander  de  lui-même  avec  vivacité, 
vous  attendre  avec  impatience;  et,  réclamant 
avec  empressement  le  secours  de  votre  mi- 
nistère, repasser  avec  amertume  sur  toutes 
les  années  de  sa  vie,  s'anéantir  sous  le  sen- 
timent de  ses  péchés,  se  reprocher  ses  écarts 
avec  ce  repentir  qui  en  sollicite  le  pardon, 
offrir  au  ciel  ses  souffrances,  sa  couronne 
el  sa  vie,  comme  un  léger  sacrifice  pour  l'ex- 
piation de  tant  de  fautes  dont  il  se  recon- 
naissait coupable  :  offrande  entière,  a  qui  la 
nécessité  n'enlevait  rien  du  mente   qu'elle 


ii!)7 


ORAISON  FUNEBRE  DU  ROI  LOUIS  XV. 


H  98 


empruntait  de  sa  sincérité  ;  offrande  pré- 
cieuse, dont  le  fruit  salutaire  est  peut-être 
la  récompense  et  le  prix  de  la  soumission  gé- 
néreuseavec  laquelle  il  avaitoffertà  Dieu  tant 
d'autres  sacrifices!  En  effet,  quelle  force  de 
résignation  avait  soutenu  son  cœur  attendri, 
à  la  vue  de  tant  d'augustes  victimes  que  le 
glaive  du  Seigneur  immola  autour  du  trône 
avant  que  d'arriver  jusqu'à  lui?  Des  princesses 
quien étaient  l'ornement, une reinequi  y  était 
un  exemple,  un  prince...,  ah  !  Messieurs,  un 
prince  dont  le  nom,  digne  d'être  invoqué  sur 
les  autels,  ne  peut  être  prononcé  en  leur 
présence,  sans  que  la  religion  gémisse  et 
soupire  avec  nous.  Joignons  à  tant  de  sacri- 
fices douloureux  à  son  cœur  celui  de  cette 
illustre  princesse  que  l'esprit  de  pénitence 
a  ensevelie  pour  jamais  toute  vivante  auprès 
des  tombeaux  de  ses  glorieux  ancêtres  :  vic- 
time précieuse  aux  yeux  du  Seigneur!  c'est 
elle,  n'en  doutons  pas,  qui,  dans  les  exerci- 
ces de  cette  mort  libre  et  volontaire  par  la- 
quelle elle  ne  vit  plus  qu'en  Jésus-Christ  et 
pour  lui,  a  obtenu  pour  celle  de  ce  père 
tendre  ces.  grâces  salutaires  ,  dont  l'usage 
qu'il  en  a  fait  a  été  sa  ressource  et  notre 
consolation. 

il  eut  des  faiblesses,  ce  grand  roi,  et  qui 
d'entre  les  hommes  n'en  a  pas?  Elles  ne  sur- 
prennent point  dans  les  conditions  ordinai- 
res ,  doivent-elles  élonner  dans  celle  des 
rois?  Ah!  qu'il  est  difficile,  au  centre  des 
illusions,  de  ne  voir  que  la  vérité,  de  la  dis- 
tinguer sous  le  brillant  nuage  de  tant  d'er- 
reurs qui  empruntent  sa  ressemblance,  de 
n'entendre  que  sa  voix  parmi  tant  de  voix 
étrangères  qui  l'étouffent  ou  la  déguisent,  de 
conserver  toujours  la  vertu  au  milieu  do 
tant  de  passions  qui  voltigent  sans  cesse 
autour  du  trône  et  à  l'ombre  du  sceptre  des 
roisl 

Il  eut  des  faiblesses,  nous  ne  le  dissimulons 
pas  :  mais  n'est-ce  qu'à  sa  mémoire  qu'il 
faut  les  reprocher?  Accusons-en  de  malheu- 
reuses facilités,  de  cruelles  complaisances, 
le  désir  de  plaire,  peut-être  celui  de  s'auto- 
riser, peut-être  l'abus  de  sa  confiance,  peut- 
être...  Ah!  Messieurs,  que  de  pièges  tendus 
au  cœur  d'un  roi  !  Puisse  au  moins  succéder 
dans  ceux  qui  les  ont  fait  naître,  un  repentir 
aussi  sincère  que  celui  que  nous  avons  vu 
dans  lui  I 

Il  eut  des  faiblesses,  mais  il  aima  la  reli- 
gion, il  l'écoula  dans  ses  organes,  il  l'honora 
dans  ses  ministres,  il  la  respecta  dans  ses 
temples,  il  la  porta  toujours  dans  son  cœur  : 
on  l'a  vu  dans  tous  les  temps,  pendant  l'au- 
guste sacrifice  de  nos  autels,  pénétré  de  cette 
crainte  religieuse  qu'inspire  la  présence  de 
Dieu ,  l'inspirer  lui-même  parla  sienne,  la 
commander  par  ses  regards,  la  persuader  par 
snn  exemple.  On  l'a  vu,  dans  tous  les  temps, 
à  la  suite  du  saint  et  adorable  sacrement,  ho- 
norer, avec  une  piété  capable  de  l'inspirer 
aux  autres,  le  triomphe  du  corps  de  Jésus- 
Christ,  suspendre  sa  marche  au  milieu  de 
Paris  à  la  vue  de  la  sainte  eucharistie  que 
l'on  portait  à  un  malade,  s'élancer  et  se  pré- 
cipiter, sans  attendre  le  secours  de  personne, 


se  prosterner  dans  la  boue  et  au  milieu  des 
neiges,  et  rendre  dans  cet  état  son  hommage 
au  Roi  des  rois.  Spectacle  attendrissant  pour 
un  peuple  entier  qui  fit  retentir  les  airs  de  ce 
cri  si  glorieux  à  la  majesté  suppliante  et  à 
la  religion  honorée  :  Vive  le  roi  très-chrétien. 
Exemple  frappant  pour  tant  d'hommes  dans 
qui  l'habitude  qu'ils  peuvent  avoir  de  jouir 
de  la  présence  de  Dieu  affaiblit  le  sentiment 
de  dévotion. dont  ils  doivent  être  pénétrés,  et 
qui  la  respectent  peut-être  moins,  par  la 
facilité  qu'ils  ont  de  lui  offrir  plus  souvent 
le  tribut  de  leurs  hommages. 

Au  souvenir  de  tant  de  preuves  éclatantes 
de  ces  principes  de  religion  qui  furent  tou- 
jours gravés  dans  son  cœur,  pontifes  du  Dieu 
vivant,  saints  et  illustres  organes  des  ordres 
du  ciel  auprès  des  rois,  n'attendez  pour  les 
lui  annoncer,  ni  la  faveur  des  dispositions, 
ni  celle  du  moment;  espérez  tout  de  ce  cœur 
chrétien  qui  cherche  lui-même  à  se  rendre 
tous  les  instants  salutaires  ;  il  ne  vous  fau- 
dra, ni  emprunter,  comme  Nathan  auprès  de 
David,  l'emblème  de  la  fiction  et  le  secours 
de  la  parabole,  ni  lui  dire,  comme  un  autre 
prophète  à  un  autre  roi  de  Juda...  Un  plus 
grand  roi  vous  appelle,  mettez  à  vos  affaires 
l'ordre  qu'elles  demandent  :  Dispone  domui 
tuœ.  Louis  n'a  pas  attendu  qu'animé  par  la 
voix  de  votre  conscience,  vous  l'avertissiez 
de  rétablir  l'ordre  dans  la  sienne;  il  a  été, 
pour  lui-même,  le  prophète,  l'organe  et  l'in- 
terprète de  Dieu. 

Le  voilà  donc  à  ce  moment,  le  dernier  de 
la  grandeur  et  de  la  vie!  Sages  du  siècle, 
qui  raisonnez  sur  tout  et  ne  vous  réformez 
sur  rien,  nous  vous  voyons  à  ce  moment 
terrible  où  la  force  vous  abandonne,  sans 
que  la  foi  vous  revienne;  nous  vous  voyons, 
les  uns  dans  des  agitations  effrayantes,  les 
autres  dans  une  sécurité  plus  effrayante  en- 
core, séparés  de  l'enfer  par  un  soupir  que 
vous  n'avez  pas  le  courage  d'adresser  au 
ciel,  braver  la  justice  de  Dieu  par  défiance 
de  sa  miséricorde,  quelquefois  outrager  l'une 
et  l'autre,  tomber  sous  ses  coups,  ne  pas  re- 
connaître sa  main,  et,  après  avoir  vécu  en 
impies,  mourir  en  désespérés. 

Ah  !  Messieurs,  que  le  spectacle  que  j'ai 
à  vous  offrir  est  différent!  Pénétré  de  la 
crainte  des  jugements  de  Dieu,  après  avoir 
cherché  à  les  prévenir  par  celui  qu'il  exerça 
contre  lui-même,  avec  quel  empressement 
Louis  ne  demanda-t-il  pas  à  recevoir  le  pain 
des  forts  pour  aider  sa  faiblesse  au  moment 
qui  allait  décider  de  son  sort?  Avec  quelle 
sainte  et  timide  confiance  le  vit-on  renou- 
veler sur  ses  lèvres  mourantes  les  actes  d'une 
foi  qu'il  assura  lui-même  n'avoir  jamais 
souffert  la  moindre  altération  dans  sou  cœur, 
placer  la  croix  de  Jésus-Christ  entre  lui  et 
le  tribunal  du  Juge  suprême,  le  conjurer 
avec  larmes  de  laisser  éteindre  par  le  sang 
du  Dieu  victime,  qui  descendait  dans  son  sein, 
les  feux  du  Dieu  vengeur  dont  il  était  me- 
nacé? Par  quelle  force;  de  piété,  se  relevant 
et  ne  pouvant  se  soutenir,  entreprit-il,  mal- 
gré, les  efforts  des  bras  qui  le  retenaient, 
d'arracher  de  dessus  sa  tête  ce  qu'il  croyait 


r.  i:>  URATEI  RS  SACRI  S    I  ON   El  DE  LA  RIVII 

faire  obstacle  à  l'hommage  extérieur  de  sun 


1200 


respect?  Avec  quel  courage  do  componction 
ci  de  repentir,  ne  pouvant  élever  une  voii 
«nie  l'action  intérieure  des  souffrances  étouf- 
fait au  passage,  emprunla-t-il  celle  du  pon- 
tife illustre  qu'il  honorait  de  sa  confiance, 
pour  ren  Ire,  en  présence  du  corps  adorable 
de  Jésus-Cli «  ist.  à  toute  sa  cour,  et,  p  ir  elle, 
ci  tous  ses  sujets,  le  témoignage  <iue,  d'un 
inur  contrit  et  humilié,  à  l'exemple  du  roi 
Dqvid,  il  demandait  pardon  à  Dieu,  et  qu'il  ne 
ilés  rail  de  vivre  que  pour  être  le  soutien  de 
In  religion  et  faire  le  bonheur  de  son  peuple? 

Sentiments  vraiment  chrétien»  et  pater- 
nels, qui  ne  se  bornent  pas  à  fixer  son  cœur 
mourant  à  l'imporlante  idée  du  salut,  après 
lequel  il  soupire,  mais  qui  réunissent  encore 
ses  tendres  soins  pour  le  royaume  qu'il  aban- 
donne. Hélas!  il  jette  sur  lui  un  dernier  regard 
d'affection  pour  ses  peuples,  par  là  même 
que  c'est  un  i  égard  de  vigilance  sur  le  prince 
qui  doit  en  fane  la  félicité.  Quelle  attention, 
quels  ordres  précis  pour  éloigner  de  lui  ses 
augustes  petits-Cls  ,  afin  que  l'Etat  n'eût 
point  d'autre  danger  à  craindre  que  le  sien, 
et  qu'il  pût  se  survivre  dans  eux  ! 

Oh  !  combien  sa  mémoire  doit  nous  être 
encore  plus  chère,  par  le  sentiment  et  le 
souvenir  de  celte  précaution  ,  qui  vous  a 
conservé  à  nos  vœux  ,  monarque  déjà  si 
aimé  et  si  digne  de  l'èlre  !  L'aurore  de  votre 
règne  semble  assurer  notre  bonheur  ;  l'é- 
quité, la  religion,  l'humanité,  montent  avec 
vous  sur  le  trône,  et  tout  nous  présage  un 
règne  de  sagesse,  de  justice  et  de  bouté.  Mais 
vous,  princesses  augustes,  votre  tendresse 
vous  fixa  dans  !e  danger,  avant  que  les  or- 
dres d'un  père  pussent  vous  en  écarter  ;  vos 
jours  ,  exposés  pour  la  conservation  des 
siens,  et  échappés  au  risque  qui  causa  une 
seconde  fois  nos  alarmes,  nous  deviennent 
doublement  précieux  par  les  qualités  qui  les 
ornent  et  par  le  motif  qui  les  exposa  :  atta- 
chées par  le  sentiment  à  ce  lit  de  douleur, 
vous  gémissiez  sur  les  risques  du  plus  tendre 
des  pères,  il  s'attendrissait  sur  vos  peines  ; 
vous  versiez  des  larmes  sur  la  violence  de 
ses  maux,  les  siennes  coulaient  sur  le  sou- 
venir de  ses  péchés  ;  vous  cherchiez  à  calmer 
ses  souffrances  :  Elles  .-ont  vives,  disait-il, 
mais  je  souffre  bien  peu  en  comparaison  de  ce 
que  j'ai  mérité. 


An  !  Messlem  s,  que  ces  sentiments  étaient 
digne*  do  <œur  qui  les  formait,  de  la  reli- 
gion qui  les  inspirait,  du  Dieu  auquel  ils 
étaient  adressés!  Hue  ne  promettaient  pas 

à  la  terre  dis  dispositions  si  propres  à  lui 
rendre  le  ciel  favorabl  ■  '.'  Certains  de  ces  dis- 
positions, et  rassures  par  elles,  nous  os 
vous  dire  ,  ô  mon  Dieu!  avec  la  sage  con- 
fiance que  vous  lui  inspirâtes  :  Souvenez- 
vous,  Seigneur,  que  si  David  pécheur  mérita 
votre  courroux,  tous  permîtes  à  David  pé- 
nitent de  l'apaiser  :  c'est  à  ce  litre  que  nous 
vous  adressons  nos  vœux  et  nos  prières. 

Il  a  régné,  il  a  vécu;  puisse-l-ii  régner 
encore  !  Sainte  religion  ,  c est  tous  qui  tem- 
pérez notre  douleur  par  celle  dooec  et  solide 
espérance  :  vous  nous  enseignez  que  les 
giâces  du  Seigneur  ne  sont  bornées  par  au- 
cun temps,  et  qu'il  est  toujours  prêt  à  ou- 
vrir son  cœur  paternel  aux  cœurs  sincères 
et  pénitents  :  quel  repentir  parut  plus  grand 
et  plus  sincère  que  celui  de  Louis  ! 

Jeune  noblesse' distinguée,  si  (hère  à  son 
cœur,  au  milieu  de  ses  bienfaits  dont  vous 
êtes  investie,  élevez  avec  les  ministres  de 
l'autel  vos  mains  encore  pures  et  vos  voix 
innocentes,  pour  demander  l'entrée  du  ciel 
en  faveur  d'un  prince  qui  vous  a  fait  un 
sort  si  heureux  sur  la  terre  :  nous  prions 
pour  un  roi,  priez  pour  un  père...  demandez 
au  Maître  suprême  que  la  sagesse  qui  ouvre 
le  rèirne  de  notre  nouveau  monarque  préside 
toujours  à  ses  conseils  ;  que  l'auguste  reine 
qui  partage  son  trône  règne  toujours  sur  son 
cœur  et  sur  les  nôtres  ;  que  de  cette  alliauce 
si  fortunée  naissent  des  princes  dignes  du 
sang  des  Bourbons  et  de  celui  des  Césars  ; 
demandez  que  ce  fonds  de  qualités  nobles 
et  bienfaisantes  qui  firent  la  gloire  du  trône 
dans  le  monarque  que  nous  regrettons,  et 
qui  en  font  aujourd'hui  l'heureuse  espé- 
r.mce,  s'y  conserve  dans  eux,  s'y  transmette 
par  eux  ,  en  soit  la  richesse  et  l'héritage  : 
demandez  enfin  à  Dieu  qu'il  entretienne  tou- 
jours entre  ces  augustes  princes,  leurs  au- 
gustes épouses  et  les  autres  princesses,  cette 
union  si  précieuse  qui  fait  les  délices  des 
familles,  l'ornement  de  la  cour,  l'exemple 
des  villes,  l'admiration  de  l'Europe,  l'amour 
delà  France,  le  bonheur  des  sujets  et  la 
gloire  de  la  religion.  Ainsi  soil-il. 


DISCOURS 

POUR  LA  PRISE  D'HABIT  DE  MADAME  LOUISE-MAIUE  DE  FRANCE, 

Prononcé  le  10  septembre  1770,  dans  l'église  des  religieuses  carmélites  de  Saint-Denis. 


A  Domino  facluni  est  îslinl,  et  est  mirabilo  in  cutis  no- 

i  Y  /  ici  un  ouvrage  de  Dieu,  et  il  est  admirable  ù  nos 
yeux  {l'sd.  UtVH, 

Madame  (1), 
f)uel  saint  et  auguste  spectacle  s'offre  au- 


jourd'hui à  nos  regards  et  à  notre  admira- 
tion !...  Us  reviennent  donc  ces  jours  où.  de 
la  cour  des  rois,  les  vertus  passaient  dans  le 
sanctuaire  du  Dieu  vivant  ;  où  d'illustres 
victimes  venaient  courber  sous  le  glaive  sa- 
cre des  télés  nées  pour  porter  le  diadème  ; 
où  les  BIIps  des  dieux  de  la  terre  briguaient 


1201  DISCOURS  POUR  LA  PRISE  D'IIAMT 

l'humble  élat  de  servantes  du  Dieu  du  ciel  ; 
où  d'augustes  princesses  apportaient  au  pied 
de  la  croix  de  Jésus-Christ  l'hommage  des 
grandeurs  du  monde  et  l'hommage  plus  pré- 
cieux encore  d'un  cœur  digne  du  trône  où 
eiles  étaient  nées,  dignes  de  l'autel  où  elles 
se  consacraient. 

Nous  ne  dirons  plus  que  les  temps   qui 
nous  ont  précédés  ont  été  meilleurs  que  le 

temps  où  nous  sommes  :  Ne  dicas quod 

priora  temporel  meliora  fuere  quam  nunc 
sunt.  Noire  siècle  \ oit  un  événement  digne 
des  plus  beaux  siècles  de  l'Eglise  :  la  fille  du 
plus  grand  des  rois,  préforant  aux  honneurs 
de  la  cour  les  humiliations  du  cloître,  au 
pouvoir  de  donner  des  lois  l'obligation  d'en 
suivre  ,  aux  douceurs  de  la  vie  la  plus 
agréable  les  austérités  de  la  vie  la  plus  pé- 
nitente.... O  mon  Dieu  !  qui  d'entre  nous  ne 
reconnaîtra  pas  que  c'est  ici  votre  ouvrage? 
Une  douce  impression  de  piété  nous  atten- 
drit dans  les  vocations  ordinaires,  celle-ci 
nous  imprime  un  clonnemenl  de  respect  qui 
rend  plus  sensible  l'action  de  la  Divinité. 
Oui,  ma  chère  sœur,  et  ces  deux  objets  fe- 
ront le  plan  de  mon  discours,  Dieu  vous  a 
cho'sie  pour  mettre  dans  vous  une  preuve 
éclatante  de  la  souveraineté  de  ses  droits, 
et  un  exemple  louchant  des  richesses  de  sa 
grâce. 

Sainte  et  divine  religion,  c'est  votre  triom- 
phe que  j'ai  à  décrire,  ce  sont  vos  récom- 
penses que  je  vais  annoncer.  Les  rigueurs  du 
Calvaire,  préférées  à  toutes  les  douceurs  du 
monde  ;  les  richesses  du  Calvaire,  préférables 
à  toutes  les  fortunes  du  monde  :  voilà  ce  que 
je  dois  présenter  dans  une  princesse  qui  s'é- 
loigne du  trône  pour  vivre  avec  Jésus-Christ, 
aux  yeux  d'une  princesse  qui  s'approche  du 
trône  pour  y  affermir  le  règne  de  Jésus- 
Christ,  devant  le  digne  ministre  du  saint  pon- 
tife qui  gouverne  l'empire  de  Jésus-Christ, 
au  milieu  d'une  assemblée  respectable ,  qui 
admirera  l'effet  de  la  grâce  de  Jésus-Christ  : 
A  Domino  factum  est  istud,  et  est  mirabile  in 
oculis  nostris. 

Daignez,  Seigiipur,  daignez  mettre  sur  mes 
lèvres  des  paroles  de  force  capables  de  pein- 
dre la  grandeur  des  droits  que  vous  exercez, 
et  dans  mon  discours  une  douceur  de  persua- 
sion propre  à  exprimer  celle  des  consolations 
que  vous  promettez. 

Vierge  sainte,  c'est  par  vous  que  je  le  de- 
mande, dans  l'offrande  que  fait  d'elle-même 
une  vierge  issue  comme  vous  du  sang  d'un 
saint  roi ,  présentée  comme  vous  dans  le 
temple  du  Seigneur,  disposée  comme  vous 
à  monter  sur  le  Calvaire  avec  Jésus-Christ. 
Ave,  Maria,  etc. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

J'entre  d'abord  en  matière,  et,  considérant 
Dieu  dans  une  vocation  dont  il  est  l'objet,  j'y 
découvre  trois  caractères  qui  nous  feront 
connaître  qu'elle  est  aussi  son  ouvrage  :  une 
force  de  résolution  qu'il  a  pu  seul  inspirer, 
une  grandeur  de  sacrifice  qu'il  a  pu  seul  mé- 
riter, une  sainteté  d'engagements  qu'il  peut 


DR  MADAME  LOUISE  1)E  FRANCE. 


1*02 


seul  récompenser;  force  de  résolution  qui  se 
sépare  de  tout  pour  vivre  avec  Jésus-Christ, 
grandeur  de  sacrifice  qui  se  dépouille  de  tout 
et  ne  cherche  que  Jésus-Christ,  sainteté  d'en- 
gagement qui  se  dévoue  à  tout  et  ne  veut  s'u- 
nir irrévocablement  à  Jésus-Christ  que  dans 
un  état  pauvre,  humilié,  anéanti. 

Gloire  vous  en  soit  rendue,  ô  mon  Dieu  ! 
car  ce  n'est  point  ici  le  mérite  de  cette  âme 
noble  et  vertueuse  que  je  viens  publier;  elle 
m'a  fait  connaître  ses  sentiments,  je  respecte- 
rai son  humilité  ;  et,  si  je  suis  obligé  de  pro- 
duire dans  le  sanctuaire  quelques-unes  des 
qualités  qu'elle  vient  y  ensevelir,  c'est  parce 
qu'elles  sont  la  plus  noble  partie  de  son  of- 
frande, c'est  parce  que  l'hommage  qu'elle 
vous  en  fait  me  servira  de  preuve  à  la  sou- 
veraineté de  vos  droits,  que  je  ne  puis  mieux 
que  par  elles  faire  connaître  au  monde  aveu- 
gle qui  les  ignore,  attester  au  monde  incré- 
dule qui  les  combat,  affermir  dans  le  monde 
chrétien  qui  les  révère,  et  reproduire,  si  j'ose 
ainsi  parler,  dans  le  monde  faible  ou  indiffé- 
rent qui  les  néglige;  c'est  toujours  vous  que 
je  louerai,  puisque  ce  sont  les  dons  de  votre 
bonté  qui  forment  le  tribut  que  l'on  paye  à 
vos  droits. 

Je  dis,  force  de  résolution,  dont  Dieu  seul 
est  l'auteur  :  la  vocation  à  l'état  religieux 
n'est  point  dans  l'ordre  des  entreprises  hu- 
maines ;  et  comment  la  nature,  si  elle  n'est 
élevée  au-dessus  d'elle-même,  nous  porterait- 
elle  à  un  sacrifice  qui  entraîne  celui  des  pen- 
chants et  de  la  liberté  ?  Il  n'appartient  qu'à 
Dieu  de  nous  rendre  capables  d'un  effort  qui 
surpasse  tous  les  nôtres  :  il  faut  que  sa  grâce 
conduise  à  son  autel  les  âmes  généreuses  qui 
se  consacrent  à  son  empire  ;  mais  son  action 
n'est  jamais  plus  sensible  que  lorsqu'il  sou- 
met à  ses  droits  des  âmes  distinguées  qu'il 
avait  ornées  des  qualités  propres  à  les  repré- 
senter :  la  grandeur  du  spectacle  qu'elles 
donnent  augmente  à  nos  j-eux  la  grandeur  de 
l'offrande  qu'elles  font;  nous  jugeons  par  la 
difficulté  des  obstacles  qu'elles  ont  eu  à  vain- 
cre, de  la  force *du  secours  par  lequel  elles 
en  ont  triomphé;  et  quand  nous  les  voyons 
descendre  de  la  sublimité  d'un  rang  qui  fixe 
nos  regards  et  nos  respects,  percer,  pour  ve- 
nir s'humilier  et  s'immoler  au  pied  des  au- 
tels, ce  brillant  assemblage  d'honneurs  dont 
elles  sont  environnées  ;  s'ouvrir  une  route 
jusqu'à  la  croix  de  Jésus-Christ  à  travers 
cette  foule  d'objets  séduisants  et  tumultueux 
qui  semblent  intercepter  toutes  les  avenues 
du  Calvaire,  nous  nous  écrions  que  le  doigt 
de  Dieu  est  marqué  dans  une  telle  vocation  : 
Digilus  Dei  est  hic,  et  qu'une  résolution  de 
cette  nature  est  un  prodige  du  sa  grâce.  Quel 
autre  en  effet  a  pu  inspirer  celle  dont  nous 
sommes  témoins?  Quel  aulre  vous  l'a  inspi- 
rée, ma  chère  sœur  ?  Je  dois  ici  en  retracer 
le  souvenir  à  votre  reconnaissance. 

Vous  vous  rappelez  ce  jour  saint  et  heu- 
reux qui  a  élé  l'époque  et  comme  l'aurore 
du  beau  jour  que  nous  voyons  répandu  sur 
l'empire  de  Jésus-Christ  :  une  illustre  victi- 
me (1)  s'immolait  au  Seigneur;  vous  la  vîtes, 


il)  Madame  de  Huriclmoivk,  religii  me  carmélite  au  monastère  de  la  rue  Grenelle. 


1203 


OKATF.UIIS  SACHES.  PONCET  »E  LA  MVIEIIE. 


1i01 


victorieuse  des  obstacles  qu'un  monde  res- 
pectable opposait  à  son  dessein,  s'élancer 
vers  l'autel  préparé  pour  son  sacrifice,  rallu- 
mer le  feu  que  l'on  lâchait  d'éteindre,  et  rom- 
pre elle-même  tous  les  liens  par  lesquels  on 
•'efforçait  de  la  retenir.  Ce  spectacle  de  reli- 
gion, offert  à  vos  regards,  en  décida  le  triom- 
phe dans  votre  cœur;  un  trouble  secret  s'em- 
para de  votre  âme,  une  tendre  compassion 
faisait  verser  des  larmes,  une  sainte  émula- 
tion vous  en  fit  répandre  :  tous  plaignaient 
son  sort,  vous  désirâtes  qu'il  fût  le  vôtre, 
vous  ne  sorlîlcs  du  sanctuaire  que  dans  le 
dessein  d'y  rentrer  :  Dieu  vous  prêta  au 
monde,  mais  vous  étiez  à  lui  ;  de  l'autel  d'un 
sacrifice  étranger,  il  vous  laissa  retourner  au 
trône  :  il  reprend  aujourd'hui  ses  droits,  et 
c'est  par  un  sacrifice  personnel  que  du  trône 
il  vous  ramène  à  l'autel. 

Ce  rayon  de  lumière  dont  le  feu  du  taber- 
nacle éclaira  vos  regards  vous  découvrit  l'il- 
lusion et  la  vanité  de  ce  qu'on  appelle  gran- 
deur; vous  reconnûtes  qu'il  n'est  de  vérita- 
blement grand  dans  l'univers  que  le  Dieu  qui 
l'a  formé  ;  vous  prîtes  dès  lors  la  généreuse 
résolution  d'être  tout  entière  à  lui  :  et  coin- 
bien  n'ont  pas  coûté  à  vo'.re  cœur  les  délais 
forcés  qui  ont  suspendu  l'exécution  de  ce  des- 
sein !  Mais  pour  l'exécuter  il  fallait  le  secours 
de  celui  par  qui  il  avait  été  inspiré  ;  il  n'ap- 
partenait qu'à  lui  de  vous  donner  un  courage 
supérieur  à  la  nature  des  difficultés  qui  s'y 
opposaient  ;  il  fallait  que  sa  grâce,  nourris- 
sant, pour  ainsi  parler,  votre  résolution,  la 
rendît  p'ius  ferme  en  la  rendant  plus  réflé- 
chie :  c'est  lui  qui  devait  vous  conduire  à  sa 
croix,  et  lui  seul  pouvait  remplir  la  distance 
qui  sépare  le  trône  et  le  Calvaire.  Le  temps 
qu'il  avait  prescrit  est  arrivé,  sa  voix  s'est 
fait  entendre,  tout  doit  obéir  aux  dépens  de 
tout  lorsque  Dieu  parle  :  il  a  parlé,  et  l'obéis- 
sance la  plus  prompte  a  produit  la  séparation 
la  plus  entière. 

Séparation  honorable  à  la  religion,  qui 
rend,  si  j'ose  ainsi  m'exprimer,  le  trône  tri- 
butaire de  la  croix,  qui  rassemble  dans  cet 
asile  plus  de  huit  siècles  de  souveraineté  et 
de  gloire,  y  ensevelit  ce  que  la  naissance  la 
plus  auguste  peut  donner  de  droits  et  d'espé- 
rance, y  soumet  avec  tous  ses  titres  une  gran- 
deur qui  n'est  inférieure  qu'à  celle  de  Dieu, 
à  qui  elle  est  sacrifiée  :  et  combien  d'autres 
richesses  encore  plus  précieuses,  Messieurs, 
je  vous  ferais  apercevoir  dans  le  san- 
ctuaire où  nous  sommes,  s'il  m'était  per- 
mis d'ouvrir  à  vos  yeux  celui  d'une  âme  no- 
ble comme  le  sang  dont  elle  sort,  plus  élevée 
que  le  trône  doni  elle  descend,  supérieure  à 
tout  ce  qu'elle  abandonne  ? 

Vainc  et  orgueilleuse  sagesse  d'un  siècle 
plus  critique  que  philosophe,  partisan  outré 
des  droits  de  la  raison,  enuemie  déclarée  de 
ceux  de  la  foi,  vous  qui,  opposée  à  la  reli- 
gion par  un  système  d'indépendance  qu'elle 
réprouve,  osez  quelquefois  attribuer  aux 
sentiments  qu'elle  inspire  une  faiblesse  que 
nous  n'apercevons  que  dans  vous,  contem- 
plez dans  ce  sanctuaire  le  trophée  qui  est 
élevé  à  sa  gloire,  cl  confondez-vous  à  la  vue 


d'un  héroïsme  que  votre  prétendue  fermeté 
ne  saurait  atteindre  :  revoquerez-vous  <  ■ 
doute  la  force  d'une  résolution  que  Dieu  muI 
a  pu  inspirer?  (Juand  mille  traits  frappant! 
ne  nous  y  découvriraient  pas  l'action  de  la 
Divinité,  il  en  est  un  qui  nous  la  frail  recon- 
naître :  c'est  que  le  temps  où  vous  décrétiez 
le  plus  l'état  religieux  est  celui  où  elle  l'ho- 
nore par  une  conquête  que  vos  calomnies 
seront  forcée-,  de  respecter.  Le  monde  le  plus 
fort  ne  peut  l'arrêter,  le  plus  brillant  ne  peut 
l'éblouir,  le  plus  séduisant  ne  peut  la  rete- 
nir; non-seulement  elle  se  relire  des  hon- 
neurs de  la  cour  et  s'éloigne  du  plus  grand 
des  rois,  mais  elle  s'arrache,  avec  un  cou- 
rage égal  à  sa  sensibililé,  des  bras  du  père  le 
plus  tendre  qui  fut  jamais,  et  dans  qui  la  re- 
ligion seule  a  pu  décider  un  pareil  sacrifice, 
parce  que  la  religion  seule  peut  le  ré  ompen- 
ser;  elle  s'arrache  du  scinde  la  plus  auguste 
famille,  dont  elle  cause  aujourd'hui  les  plus 
justes  regrets  comme  elle  faisait  ses  plus 
chères  délices  ;  elle  prévient  pour  sa  retraite 
le  temps  des  fêtes  préparées  pour  une  prin- 
cesse qui,  ornée  des  grâces  et  des  vertus 
qu'elle  a  puisées  dans  le  sang,  à  l'école  et 
parmi  les  eiemples  d'une  héroïne  chrétienne, 
que  le  ciel  lui  a  donnée  pour  mère,  eût  re- 
gardé comme  une  partie  de  son  bonheur,  en 
changeanlde  patrie,  celui  de  contribuer  avec 
elle  à  faire  des  heureux,  «t  pour  qui  le  sa- 
crifice dont  elle  est  témoin  en  est  un  véri- 
table et  sensible. 

Vous  persuaderez-vous  qu'elle  ne  connaît 
pas  assez  le  monde,  ellequi,  née  sur  le  trône, 
environnée  de  tous  les  apanages  de  sa  nais- 
sance, faite  peur  en  goûter  le  bonheur,  ne 
sent  que  celui  de  s'eu  séparer,  et  ne  com- 
mence à  se  croire  véritablement  heureuse 
qu'au  moment  où  vous  croyez  qu'elle  cesse 
de  l'être  ?  ajouterez-vous  que  l'étal  où  elle 
enlre  ne  lui  est  pas  assez  connu?  Mais,  dus- 
sé-je  alarmer  sa  modestie,  je  dois  dire,  pour 
la  gloire  du  Dieu,  que  depuis  l'instant  où  il 
lui  a  inspiré  la  résolution  qu'elle  exécute, 
elle  s'est  essayée  à  la  pratique  de  la  règle 
qu'elle  embrasse  ;  que  chaque  jour  a  été,  si 
j'ose  ainsi  m'exprimer,  l'apprentissage  de 
ceux  qu'elle  doit  passeravec  Jesus-Christ,  et 
qu'elle  change  d'état  sans  avoir  pour  ainsi 
dire  à  changer  de  vie.  Oserez-vous  jeter  sur 
des  vues  si  épurées  de  religion  des  soupçons 
de  politique  ou  d'intérêt?  Lh!  que  trouva-t- 
elle  dans  le  cloître  qui  puisse  être  compare  à 
ce  qu'elle  quitte  dans  le  monde?  Choisirait- 
elle  par  préférence  un  ordre  où  les  devoirs 
seuls  marquent  les  rangs,  et  qui  n'admet  de 
supériorité  que  celle  d'une  vertu  préposée 
pour  conduire  d'autres  vertus? 

Ah  !  c'esl  Jésus-Christ  qu'elle  cherche,  elle 
ne  cherche  que  Jésus-Christ,  cl  pour  le  possé- 
der uniquement  elle  choisit  un  étal  où  elle  ne 
peut  trouver  de  repose!  de  bonheur  que  dans 
lui.  Partisans  du  monde,  appelez  esclavage 
celle  nécessite  d'être  à  Dieu;  l'âme  vraiment 
religieuse  compte  parmi  les  grâces  qu'elle  en 
a  reçues  le  besoin  même  qu'elle  a  de  son 
secours;  et,  loin  qu'elle  s'afflige  de  l'obliga- 
tion   qu'elle  a  contractée  d'être  fidèle  à  BOB 


DISCOURS  POUR  LÀ  PUISE  D'HABIT  DE  MADAME  LOUISE  DE  FRANCE. 


Dieu,  elle  le  remercie  de  ce  qu'il  ne  permet 
pas  qu'elle  lui  soit  infldèle  sans  cesser  d'être 
heureuse. 

L'éclat  de  votre  démarche,  ma  chère  sœur, 
attire  sur  vous  les  regards  des  hommes  ;  mais 
c'est  la  consécration  que  vous  faites  de  vous- 
même  qui  doit  attirer  ceux  du  Seigneur.  Les 
richesses  que  vous  portez  dans  le  sanctuaire 
l'ornent  et  l'embellissent,  mais  l'offrande  est 
étrangère,  et  pour  mériter  Jésus-Christ  il 
faut  une  offrande  personnelle.  De  quelque 
état  que  sorte  la  victime  qui  se  présente  à 
son  autel,  riche  et  environnée  de  l'éclat  des 
honneurs,  pauvre  et  obscurcie  par  les  om- 
bres de  l'humiliation,  née  sous  le  chaume 
ou  dans  les  palais,  couronnée  des  fleurs  de 
la  prospérité  ou  des  épines  de  la  disgrâce, 
couverte  du  brillant  appareil  de  la  royauté 
ou  des  effrayants  débris  de  l'indigence,  éga- 
lement offerte  à  ses  droits,  elle  est  d'une  va- 
leur égale  à  ses  yeux. 

Ce  sont  nos  cœurs  qu'il  demande;  et, 
comme  ils  sont  le  seul  bien  dont  la  possession 
lui  soit  agréable,  il  veut  être  aussi  le  seul 
maître  dont  l'empire  leur  soit  cher,  dont 
l'empire  soit  absolu  sur  eux. 

Vous  n'avez  pu,  ma  chère  sœur,  vous  pro- 
poser que  lui;  seul  il  méritait  de  votre  re- 
connaissance l'hommage  que  vous  rendez  à 
ses  droits  :  ne  chercher  que  lui  est  votre 
gloire,  n'être  qu'à  lui  est  désormais  votre 
devoir,  mériter  qu'il  soit  à  vous  sera  votre 
bonheur.  Comme  vous  ne  cherchez  que  Jésus- 
Christ,  il  exige  que  vous  le  fassiez  régner 
seul  sur  votre  cœur,  il  le  veut  tout  entier; 
le  partager,  ce  serait  diviser  son  empire,  et 
vous  retrancheriez  de  ses  droits  tous  ceux 
que  vous  retiendriez  sur  vous-même  :  la  dé- 
marche que  vous  faites  ne  vous  place  pas 
encore  sur  la  hauteur  du  Calvaire,  mais  elle 
vous  y  conduit;  vous  n'y  arriverez  que  par 
les  différentes  épreuves  qu'ont  surmontées 
les  âmes  généreuses  auxquelles  vous  vous 
associez;  le  temps  viendra  où,  attachée 
comme  elles  à  la  croix  de  ce  Dieu  sauveur, 
vous  pourrez  vous  féliciter  d'être  insépara- 
blement unie  à  lui.  Jusque-là  vous  serez  à 
ses  pieds,  vous  recueillerez  les  épines  qui 
tomberont  de  sa  tête,  pour  en  faire  un  jour 
votre  couronne;  vos  regards  fixés  sur  lui, 
n'auront  en  point  de  vue  que  le  tableau  d'un 
Dieu  mourant;  et  ce  spectacle,  toujours  pré- 
sent, sera  pour  vous  une  leçon  de  vous  im- 
moler sans  cesse  pourlui;  tous  vosdésirs, ren- 
fermés dans  l'enceinte  du  lieu  de  son  sacri- 
fice,ne  se  porteront  sur  aucun  objet  étranger, 
et  celui-ci  satisfera  tous  vos  désirs,  jusqu'à 
ce  qu'un  serment  irrévocable  les  remplisse 
entièrement  par  un  sacrifice  pareil  au  sien. 

Vous  pouviez,  ma  cbère  sœur,  vous  sanctifier  dans  le 
grand  monde,  et  peut-être  le  sanctifier  lui-même  |>ar  vos 
exemples;  vous  n'avez  pas  cru  que  Dieu  fût  assez  glorifié 
dans  vous,  si  l'envie  d'être  a  lui  seul  pouvait  être  distraite 
dans  unis  par  la  nécessité  de  vous  prêter  à  d'autres  lois 
que  les  siennes;  vous  faiies  tout  pour  le  trouver,  et  la 
persévérance  ronronnera  vos  efforts  :  toujours  soutenue 
et  uniquement  déterminée  pur  l'amour  et  la  reconnais- 
sance, rien  ne  refroidira  votre  ardeur.  Jamais,  non  jamais 
ce  monde  profane,  qui  voit  avec  un  dépitsecrel  l'offrande 
que  vous  placez  sur  l'autel,  ne  vous  verra  chercher  à  en 
affaiblir  le  mérite  ou  la  reprendre  ,  et  ce  qui  fait  aujour- 
d'hui l'objet  de  ses  regrets  et  peut-être  celui  de  son  dc- 


120fi 


sespoir  fera  dans  tous  les  moments  le  triompbe  de  la  re- 
ligion. 

Riches  du  siècle,  grands  de  la  terre,  guidés  par  le  désir 
ambitieux  de  parvenir  aux  dignités  ou  de  les  accroître, 
un  seul  objet  vous  occupe,  le  monde  et  voire  état  dans  le 
monde  :  ici,  ma  chère  sœur,  un  seul  objet  doit  remplir 
votre  esprit;  c'est  la  solitude,  et  Jésus-Christ  dans  la  soli- 
tude; vous  vivrez  avec  lui,  vous  ne  vivrez  que  pour  lui. 

Car  vous  voilà  dans  cet  état  de  dégagement  et  de  sépa- 
ration où  vous  pouvez  dire  :  0  mon  Dieu,  vous  êtes  le  seul 
pour  qui  je  me  dépouille  de  tous  mes  biens;  mais  j'acquiers 
infiniment  plus  que  je  ne  sacrifie;  vous  me  permettez 
d'être  à  vous,  vous  daignez  être  a  moi  :  Deus  meus  ei  om- 
nia.  Jusqu'ici  je  pouvais  dire  :  Vous  êtes  mon  Dieu,  mais 
vous  l'étiez  également  de  tous  les  autres;  vous  ne  cessez 
pas  d'être  leur  Dieu,  mais  vous  devenez  spécialement  le 
mien.  Ah!  quand  viendra  l'heureux  moment  où,  dégagée 
de  la  vue  même  du  monde,  je  serai  à  vous  constamment 
et  sans  retour,  comme  aujourd'hui  je  veux  y  être  unique- 
ment et  sans  partage!  La  terre  m'offrait  de  grands  avan- 
tages, il  en  est  un  bien  plus  intéressant  pour  mon  co-ur, 
celui  d'y  voir  votre  règne  établi.  Qu'est-ce  que  la  terre 
pour  moi?  Que  serait  même  le  ciel  sans  vous  :  Quid  milii 
est  in  cœlo,  et  a  le  quid  volui  super  terram  ? 

Et  dans  quel  état,  Messieurs,  par  quels  engagements, 
cette  âme  vraiment  héroïque  cherche-t-elle  Jésus-Christ? 
Dans  l'état  le  plus  effrayant  pour  la  nature,  par  les  enga- 
gements les  plus  sévères  de  la  religion.  En  peignant  la 
gloire  de  votre  sacrifice,  j'ai  craint,  ma  chère  sœur,  d'of- 
fenser votre  humilité  ;  je  ne  crains  pas  d'alarmer  votre 
cœur  en  vous  traçant  l'image  de  vos  devoirs.  Tout  ce  qui 
accompagne  voire  entrée  dans  le  sanctuaire  est  le  tableau 
symbolique  des  obligations  que  vous  y  contractez.  La  perte 
que  le  monde  fait  dans  vous  vaut  une  conquête  bien  pré- 
cieuse à  la  religion  ;  mais,  Messieu  s,  la  religion  annonce 
ses  triomphes  bien  différemment  du  monde.  Là,  l'éclat 
des  fêtes,  le  tumulte  des  assemblées,  la  richesse  des  pa- 
rures, les  profusions  du  luxe,  tout  ce  qui  est  du  ressort  de 
la  grandeur  est  employé  pour  la  représenter.  Ici,  une  cé- 
rémonie sainte,  un  dépouillement  total  qui  ne  laisse  d'or- 
nement que  sur  l'autel,  un  habit  simple  substituée  celle 
parure  que  l'on  ne  conserve  quelques  moments  que  pour 
rendre  plus  éclatant  le  renoncement  au  monde  et  le  forcer 
lui-même  en  quelque  sorte  à  embellir  sa  défaite;  des 
fleurs  répandues  de  toule  part,  mais  pour  couronner  la 
victime,  et  sous  lesquelles  est  déjà  caché  le  glaive  sacré 
qui  doit  un  jour  l'immoler;  un  renoncement  à  toutes  les 
pompes  du  monde,  qui  lui  apprend  à  renoncer  à  tous  les 
droits  qu'elle  a  encore  sur  elle-même,  et  à  ne  suivre  que 
Jésus-Christ. 

Et  dans  quel  état  le  cherche-t-elle?  C'est  ici,  sagesse 
mondaine,  que  vous  êtes  confondue  :  un  Dieu  pauvre,  hu- 
milié, rassasié  d'opprobres  et  de.  soullrances  :  voilà  l'état 
où  elle  le.  choisit;  le  Dieu  du  Calvaire  est  le  Dieu  de  son 
cœur;  elle  s'immole  tout  entière  au  Dieu  immolé  pour 
elle.  Honneurs  de  la  terre,  grandeurs  du  monde,  sublimité 
du  rang,  hommages  des  peuples,  fêles  de  la  cour,  délices 
de  la  vie,  elle  commence  dès  ce  moment  avec  vous  un 
divorce  qu'un  autre  moment  rendra  aussi  éternel  que  le 
Dieu  qu'elle  vous  préfère. 

Et  combien  d'autres  engagements,  ma  chère  sœur,  n'en- 
traîne pas  celui-ci?  N'avoir  point  de  volonté  qui  vous  soit 
propre,  point  de  désirs  étrangers  à  la  règle,  une  vie  sainte 
comme  l'autel  où  vous  vous  présentez;  des  sacrifices  plus 
répétés  que  celui  du  sanctuaire  où  vous  entrez,  un  étal  de 
mort  pareil  à  celui  de  Jésus-Christ  dans  le  tabernacle, 
qui  ne  vous  laisse  qu'une  vie  de  prières  et  de  soupirs  ;  plus 
de  penchant  que  pour  les  exercices  de  la  religion,  plus  de 
sentiment  que  pour  le  devoir,  plus  de  goût  que  pour  la 
retraite;  une  vie  pénitente  et  mortifiée, une  règle  austère 
et  absolue,  une  guerre  continuelle  déclarée  à  vos  sens, 
des  souffrances  et  le  désir  de  souffrir  davantage;  la  nature 
attaquée  dans  sesinclinations,  domptée  dans  ses  révoltes, 
immolée  avec  ses  répugnances....  Jugez  vous-mêmes, 
Messieurs,  du  pouvoir  de  la  grâce  sur  une  âme  qui,  étant 
libre,  maîtresse  de  ses  volontés,  née  pour  commandera 
celle  des  autres,  se  réduit  à  un  état  de  dépendance  et  de 
soumission  entière,  à  un  état  de  sacrifices  aussi  multipliés 
que  les  jours  de  sa  vie,  a  une  vie  qui  ne  sera  pour  elle 
qu'un  continuel  apprentissage  de  la  mort. 

Triste  et  affreux  désert  qui  fûtes  sanctifié  parle  séjour 
et  consacré  par  le  jeûne  de  Jésus-Christ,  ouvrez-vous  aux 
yeux  d'une  héroïne  chrétienne  qui  vous  choisit  pour  sa 
demeure  et  vient  ici  retracer  par  sa  pénitence  celle  du 
divin  modèle  qu'elle  s'est  proposé;  coteaux  de  Gelhsé- 
mani,  jardin  des  Oliviers,   premier  tribunal  ou  s'olliil  à  la 

Justice  de  son  l'ère  ce  Dieu  réconciiiateur  et  rédempteur 
deshommes;  autel  funèbre  et  sanglant  où  cette  victime 
des  péchés  du  monde  souscrivit  à  son  sacrifice  ■  croix  ado 


1-207 


OHM  II  US  SACIIKS.  PONUET  DK  LA  RIVIERE. 


\J<  I 


rible,  vous  lerei  désormais  li  règle  de 

rause  qui   vloot  dans  ce  jour  commencer  le  sacritice 

qu'i  Ile  prépare  :i  vos  droits. 

Tour  elle,  plus  d'héritage  que  les  souffrances,  plus  do 
in'iue  que  la  croix,  plui  de  coarooae  que  les  épines,  i<tui 
dp  séjour  « 1 1 ■  ■  h'  Calva  re,  plus  de  modèle  qu'un  Dieu  mou- 
rant, du  Ile  compagnie  qu'un  Dieu  enseveli,  nu)  espoir  qu'un 

Dii  il  ressuscité. 
Voua  frémissez,  M  ssienrs,  à  la  vue  île  ce  tableau    I.-, 

regrets  répandent  la  tristesse  sur  vos  visages Quelle 

mie  règne  sur  le  sien  !  quel  autre  que  Dieu  i>eui  ins- 
pirer un  pareil  héroïsme!  quel  autre  peut  eu  èire  la  ré- 
compense! Lui  seul,  sans  doute,  el  il  la  sera  :  I  tj'jmerces 
tua  magna  nfmti  Bu  vous  api  elaot  >  Pélal  religieux,  mal- 
gré laot d'obstacles,  par  de  si  grands  sacrlflces,  par  de  m 
sévères  engagements,  Dieu  a  mis  dans  nous,  ma  chère 
sirur,  une  preuve  éclatante  de  la  souveraineté  de  ses 
droits,  il  y  mettra  nn  exemple  louchant  des  trésors  de  sa 
grâce  :  vous  préférerez  anx  douceurs  du  monde  les  ri- 
gueurs du  Calvaire,  vous  y  trouvère/,  dei  richesses  pré- 
férables à  toutes  les  fortunes  du  monde  :  nouveau  témoi- 
gnage d'une  vocation  marquée  au  sceau  de  la  Divinité  : 
A  Domino  fuclum  eu  is'ud  cl  est  miiubile  in  oculk  noslris. 
Honorez-moi  encore  de  quelques  moments  d'attention. 

SECOND!    l'AHTIE. 

Dieu  est  aussi  magnifique  dans  ses  dons  qu'il  est  puis- 
sant dans  ses  ouvres  et  absolu  dans  ses  droits  :  que  ne 
doit  pas  attendre  une  âme  noble  et  généreuse  qoi  préfère 
la  gloire  de  le  servir  à  celle  de  commander,  et  offre  à  son 
souverain  empire  tout  ce  (pic  le  premier  royaume  du  mon- 
de lui  offrait  à  elle-même  d'honneurs,  de  privilèges  et  de 
grandeurs?  Oui,  ma  chère  sieur,  si  l'étal  où  vous  entrez  a 
des  rigueurs  effrayantes  pour  la  nature,  il  a  aussi  des  avan- 
tages bien  précieux  dans  l'ordre  de.  la  religion  :  ce  sont 
ces  avantages  que  j'appelle  les  richesses  du  Calvaire,  in- 
connues au  monde,  mais,  pour  les  coeurs  qnl  savent  les 
estimer,  préférables  à  loincs  les  fortunes  de  la  terre  : 
richesses  réelles,  dont  la  valeur  est  la  récompen-e  des 
efforts  de  ceux  qui  les  cherchent,  dont  l'usage  assure  le 
bonheur  de  ceux  qui  les  conservent. 

Richesses  réelles  :  quelle  différence,  Messieurs,  entr  «. 
elles  et  les  tiens  qui  fout  l'objet  de  vos  poursuites?  Ne 
craignez  pas  qu'entrant  ici  dans  un  de  c.  s  parallèles  sui- 
vis, qui  ont  si  souvent  décidé  le.  problème  en  faveur  de 
l'état  religieux,  j'enrichisse  le  lablcau  de  ses  avantages 
de  tout  ce  qui  manque  aux  vôtres.  Ouand  il  n'aurait  que 
celui  d'ouvrir  dans  son  sein  un  asile  impénétrable  a  la 
contagion  des  vices,  à  l'illusion  des  erreurs,  à  ce  déluge 
de  maux  et  de  malheurs,  aussi  multipliés  dans  le  monde 
que  les  biens  (|u'il  promet,  aussi  constants  que  les  désor- 
dres qu'il  entretient,  aussi  étendus  que  la  tyrannie  qu'il 
exerce  :  je  vous  le  demande,  ce  problème  ne  serait-il 
pas  assez  dégagé  de  ses  ténèbres  par  le  feu  de  tant  de 
passions  a'Iumées  les  unes  contre  les  autres?  Faut-il  en- 
coieque,  portant  le  flambeau  du  sanctuaire  dans  les  om- 
bres que  la  séduction  répand  autour  de  vous,  je  vous  fasse 
voir  la  vanité  de  vos  projets  dans  l'inutilité  de  vos  démar- 
ches, la  fausseté  des  biens  qui  vou-  flattent  dans  la  réalité 
des  maux  qni  vous  affligent,  t-  ut  ce  que  vous  laites  par 
l'espoir  d'une  indépendance  qui  vous  échappe,  terminé 
par  un  esclavage  auquel  vous  ne  pouvez  vous-mêmes 
échapper;  le  poi«!s  de  vos  fers  augmenté  par  l'éclat  dont 
vous  les  paie/ ;  quelquefois  une  partie  de  votre  vie  em- 
ployée à  établir  votre  fortune,  et  l'autre  à  en  pleurer  la 
décadence  ? 

Quels  moti's  de  reconnaissance  n'ajoute  rais-je  pas  à 
ceux  que  la  sagesse  fournil  a  celte  vier_e  généreuse  pour 
se  consacrer  à  Dieu,  si,  a  la  place  du  spectacle  dont  elle 
vous  rend  tenions,  substituant  ceux  dont  vous  èles  si  sou- 
vent  les  déplorables  objets,  j'intéressais  sur  votre  sort  une 
compassion  dont  elle  vous  dispense  pour  le  sien?  Vous 
sente/  l'avantage  que  me  donnerait  ici  contre  vous  une 
comparaison  que  vous  rendez  si  féconde.  Je  veux  bien 
vous  épargner  le  Spectacle  de  vous-mêmes;  c'est  la  reli- 
gion que  j'ai  à  \o  ia  peindre Vous  demande/  quelle  eM 

donc  la  nature  de  ces  biens. 

C'est  ce  trésor  |  récii  uz  de  I  Evangile  qu'il  est  difficile 
de  trouver,  qu'il  est  nécessaire  île  cacher,  qui,  acheté  au 
prix  de  tout  ce  que  l'on  possède,  n'esl  pas  encore  pave  de 
celui  qu'on  y  trouve  :  Queux  qui  iwfiil  ftflRIO,  ttbtcondit, 
et  vendit  wnverta  quœ  nabel  et  nml.  i  v-t  c  e  christianisme 
épuré  que  l'esprit  du  monde  oblige  à  se  réfugier  dans  les 
asiles  delà  religion,  et  qui  s'y  conserve  avec  l'esprit  du 
.lésus  ('.h:  [si  :  C'est,  pour  ces  eues  innocentes  et  |  enilen- 
les,  l'honneur  qu'elles  on  d'être  les  chastes  épouse 
Dieu  de  sniuleté,  de  velllw  avei  les  .nues  autour  de  sou 
tabernacle,  de  l'honorer  pai  la  I  rveur  de  leur*  prièrus 
el  encore  plus  par  la  punie  de  leurs  mœurs:  d'être  s  tus 


t  de  sacrifiée  ao  *       «qne 

jour  consacré  par  le  sien;  c'est  le  glorieu  «.  nions 

iontebargées  sur  la  terre,  de  jetet  uds 

de  l'Agneau  ^u<  ia<  be,eomm  >  elles  le  iero..t  un  jour  dans 
le  ciel; d'entretenir  le  leu  do  sacrifl  «  dans  son  sanctuaire 

i  ,i  or  d  m  le  u  i  jt  «le  di- 

gnlté  ou  sont  .ni\  veux  de  JésuS-Cbrifl  «es  sjintes  com- 
l  agn  louleurs,  élevées  jusqu'à  lui  pai  - 

tunes  a  lui  par  son  amour,  perdues  el   «comme   absorl  ■ 
dans  lui  par  l'entier  détachement  de   tout  ce  qui  n'est 
pas  lui. 

Hommes  profanes,  les  richesses  du  Calvaire  -ont  I 
rites  infinis  du  s«og  de  Jésus-Christ,  devenus  leurbériUM 
par  l«-  généreux  mépi  is  qu'elles  ont  h  t  «les  vôtres.  Je  sais 
«pie  le  prix  de  ce  sang  adorable  n'est 
le  m  ml'',  i  au  un  de  ceux  qui  le  réclament  avec  foi  ;  mais 
s'y  occupe-t-on  seulement  du  soin  de  le  recueillir?  m. is 
•  sur  des  lèvres  abreuvées  de  la  coupe  de  liabvloue 
que  le  sang  du  Calvaire  peut  coi  iretél  'Jue 

d'épines  étrangères  à  celles  de  la  neot  lesfraMa 

de  vie  qu'il  leurrait  iroduire!  Les  habitantes  du  «Calvaire 
veillent  à  sa  «source  ;  ces  âmes  privilégiées  demeurent  au- 
tour de  la  croix,  et  ne  sortent  jamais  de  sou  enceinte, 
puisent  sans  cesse  dans  cette  source  adorable  ;  chaque 
goutte  pénètre  des  cœurs  préparés  a  le  recevoir  el  y  fait 
éclorede  nouveaux  trésors. 

Les  richesses  du  Calvaire  sont  des  souffrances  envisa- 
gées avec  joie,  remues  avec  reconnaissance,  soutenues 
avec  courage,  surmontées  par  la  fidélité,  consacrées  par 
leur  unioa  avec  celles  de  Jésus-Chrisi,  attendues  comme 
un  bien,  sollicitées  comme  une  grâce,  et  adoucies  par  le 
désir  même  de  souffrir  davantage. 
Les  richesses  du  Calvaire  sont  les  croix  elles-mêmes  qui 

y  naissent  autour  de  celles  de  Jésus-Christ Mondains, 

vous  les  voyez,  mais  vous  ne  voyez  qu'elles;  et  accoutumés 
à  succomber  sous  le  poids  d«-s  vôtres,  vous  ne  considérez 
pas  les  onctions  célestes  qui  rendent  1rs  le  ule- 

ment  faciles  à  soute. lir,  mai;  agréables  a  |  oiter  :  le  calice 
du  Calvaire  fut  amer  pour  Jésus-Christ,  mais,  adouci  par 
sa  grâce,  il  a  perdu  son  amertume  pour  elles;  leurs  cœurs, 
satisfaits,  y  trouvent  une  doucem  que  n'oni  fias  vos  plai- 
srs;  edes  y  puisent  celte  satisfaction  pure  qui,  répandue 
sur  leur  vie,  change  en  agréments  qui  les  llaiteut  les 
peines  qui  vous  épouvantent  :  Cuti.i  meus  inebr ions  quant 
prœclmus  est! 

Les  richesses  du  Calvaire  soûl  la  liberté  d'un  esprit  su- 
périeur aux  préjugésdu  monde,  l'indépendanca  «i'un  e  i  ai 
victorieux  des  passio  s  du  inonde,  la  douce  tranquillité  d'une. 
âme  affranchie  de  l'esclavage  du  mi  nde,  la  paix  in'.érieurn 
d'une  conscience  exemple  des  iroubles  «  t  du  crime  qui  les 
produit,  les  douceurs  d'une  so  iéléoii  les  agréments  régnent 
avec  les  vertus;  les  richesses  du  (Calvaire  sont  la  fervf  ur  de 
l'émulation,  le  secours  des  exemples,  l'éloigneiuciii  des 
s  andales,  le  méprisdes  plaisirs  de  la  terre,  i  ••  des 

consolalions  céles'es,  une  seule  volonté,  celle  de  la  règle, 
un  seul  goût,  celui  du  devoir,  et  tout  ce  qui  assure  le  re- 
pos de  la  vie  accompagné  de  lout  ce  qui  i  n  lai;  la  sainteté. 

Voilà,  partisans  du  monde,  «  e  que  j'y  appelé  les 
ses  du  Calvaire,  bien  différentes  de  celles  dont  l'acquisi- 
tion excite  vos  «lésirs,  dont  la  possession,  mêlée  d'inqoi  '•- 
tudes,  vous  rend  véritablement  malheureux  par  l«s  obsta- 
cles que  vous  rencontrez  pour  les  acquérir,  par  les  peines 
que  \ous  prenez  pour  les  conserver,  par  le  désespoir  que 
vous  éprouvez  lorsque  vous  les  avez  perdues.  Ici.  de  ri 
chesses  d'un  prix  inestimable  qu'il  ne  faut  que  désirer  sin- 
cèrement pour  obtenir,  et  dont  la  possi-sion  lait  la  i  lus 
douce  satisfaction  de  l'iuie  religieuse  qui  sait  eu  faire 
usage. 

Aveugles  sectateurs  de  ce  monde  séduisant, accoutumés 
à  ne  juger  que  d'après  ses  pré  vent  ions,  vous  ne  mu 
re/  pas  qu'on  puisse  trouver  une  vraie  satisfaction  dans  un 
état  qui  interdit  la  recherche  de  vos  plaisirs  ;  mais  v«  1 1 
ignore/,  quelles  sont  les  délices  dont  Dieu  réconipen- 
i  ice  qu'on  lui  fut  de  soi-saêOM. 
Quel   Spe  laele   pour  vois,  si  je    pouvais  TOUS  peindre 
dois  tout  son  éclat  ce  commerce  des  .in.es  du  ciel  et  «t1  s 
vierges  di-  la  terre!  Attentifs,  les  uns  à  recueillir  les  pri  - 
res  pour  les  porter  au  Irène  du  Dieu  vivant .  les  suin  s  i 
rendre  digues  «lu  Dieu  v  ivant  les  prières  dont  Phoniu 
doit  être  porté  à  son  trône  ;  unissant  leurs  voix  pour  chan- 
ter ses  louanges,  leurs  volontés  pour  exécuter  ses  ordres, 
leurs  cœurs  pour  rei  grâces;  le  craignant  sain 

alarmes,  le  cherchant  sans  trouble,  le 'possédant  sans  in- 
quiétude, el  trouvant  un  u'oùl  de  la  félicité  qui  les  aiie.id, 
naos  celui  des  devoirs  qui  lesj  conduisent. 

J'ai  ajouté,  richesses  dont  l  ire  le  bonheui  dt 

reux  qui  les  ci  nservei  t.  I  «  -s  biens  de  la  I  si  fai- 

bles eu  eux-mêmes,  s'affaiblissent  encore  par  le  leiiq  s,  et 
se  dégradent  de  j«>ur  en  jour  entre  les  m  nus  de  i  eux  <|ui 


4209 


TABLE  DES  MATIERES 


210 


les  possèdent  :  l'habitude  en  diminue  l'attrait,  l'usage  en 
dégoûte,  l'abus  les  épuise,  et  avec  eux  passe  la  félicité 
qu'on  s'en  était  promise;  mais  les  biens  dont  nous  parlons, 
aussi  solides  que  la  religion  qui  les  procure  ,  images  de 
ceux  que  le  ciel  promet,  se  renouvellent  par  l'usage  qu'on 
en  l'ait,  s'accroissent  à  mesure  qu'on  les  emploie,  se  mul- 
tiplient à  proportion  des  besoins  qu'on  en  a;  et,  loin  que 
cequ  il  en  coiUe  pour  les  acquérir  diminue  leur  prix,  leur 
prix  augmente  par  les  devoirs  qu'on  remplit  p.iur  les  mé- 
riter: ajoulerai-jeau  sentiment  délicieuxdu  bonheur  qu'on 
trouve  dans  eux,  l'espérance,  j'ai  pensé  dire,  l'as-,urance 
plus  délicieuse  encore  de  celui  qu'on  attend  par  eux? 

Là  une  âme  fervente,  qui  aime  sa  règle,  peut  se  pro- 
curer toute  la  certitude  qu'il  est  possible  d'avoir  dans 
cette  vie,  qu'elle  aime  Dieu  et  qu'elle  en  est  aimée.  Hom- 
mes engagés  dans  le  monie,  hommes  chrétiens  et  même 
vertueux,  vous  craignez  jusque  dans  vos  bonnes  œuvres, 
parce  que,maîtres  de  vos  volontés,  vousn'êtes  pointassurés 
de  faire  celle  de  Dieu;  vous  ne  savez  pas  si  a  ses  yeux  vous 
êtes  dignes  d'amour  ou  de  haine  :  Nescil  homo  utrum 
amore  an  odio  dignus  sit.  Mais  l'âme  religieuse  peut  se 
dire  a  elle-même  :  Si  je  connais  assez  clairement  ce  qu'est 
Dieu  en  lui-même,  si  j'éprouve  assez  vivement  le  senti- 
ment de  ce  qu'il  a  fait  pour  moi,  si  je  rends  assezde  jus- 
tice a  ses  droits  et  assez  de  retour  a  ses  bienfaits  pour  ne 
vouloir  point  d'autre  maître  que  lui,  pour  le  préférer  à 
tout  ce  que  j'ai  de  plus  cher,  pour  renoncer  à  mes  propres 
désirs,  pour  soumettre  ma  volonté  à  celle  des  supérieurs, 
qui  me  le  représentent,  et  captiver  mes  penchants  sous  la 
règle  qu'il  a  inspirée  lui-même  dans  l'état  où  il  m'a  con- 
duite, puis-je  douter  que  l'amour  de  ce  Dieu,  si  authen- 
tiquement  préféré,  ne  règne  dans  mon  cœur,  et  que  ce 
Dieu,  si  parfaitement  aimé,  ne  daigne  à  son  tour  me  faire 
régner  sur  le  sien?  Non,  la  terre  et  le  ciel  lui-même 
n'offrent  que  lui  qui  mérite  mes  regards,  qui  excite  mes 
désirs,  qui  (ixe  mes  sentiments.  Ah!  chrétiens,  quel  avan- 
tage pour  une  âme  sensible  et  vertueuse  de  pouvoir  ré- 
soudre ce  problème  effrayant  en  sa  faveur,  par  la  double 
assurance  que  sa  fidélité  lui  donne  d'aimer  Dieu  et  d'en 
être  aimée  ! 

Cet  avantage  sera  le  vôtre,  ma  chère  sœur...  Approchez 
avec  confiance  de  cet  autel  où  le  Dieu  que  vous  cherchez 
vous  attend.  Votre  esprit,  ami  du  vrai,  a  toujours  été  en 
garde  contre  les  erreurs,  là  est  un  oracle  sûr  dont  les  vi- 
ves lumières  éclaireront  toutes  vos  pensées;  votre  âme, 
noble  et  sensible,  engage  sa  fidélité,  la  e?t  un  époux  fi- 
dèle dont  la  constante  tendresse  méritera  tous  vos  senti- 
ments; votre  cœur  généreux  sacrilie  toutes  les  grandeurs 
de  la  terre,  là  est  un  souverain  tout-puissant  dont  la  cou- 
ronne deviendra  la  vôtre.  Oracle  sûr,  c'est  Jésus-Christ, 
le  Dieu  de  la  vérité,  qui  vous  instruira  :  Ibi  loquitur  Cliri- 
îlus;  époux  fidèle,  c'est  Jésus-Christ,  le  Dieu  de  la  fidé- 

(1)  Son  Excellence  l'archevêque  de  Damas,  nonce  apos- 
tolique. 

(2)  Le  pape  a  accordé  à  l'ordre  eulier  des  Carmélites  de 


lité,  qui  vous  chérira  :  Ibi  amat  Cbristus;  Souverain  tout- 
puissant,  c'est  Jésus-Christ,  le  Dieu  de  la  gloire,  qui  vous 
couronnera  :  Ibi  coronul  Clirhtus. 

Entrez  dans  cette  maison  sainte,  le  séjour  delà  paix, 
l'asile  de  la  justice,  le  sanctuaire  de  la  sagesse  :  montez 
sur  le  Carmel,  où  vous  attendent  les  vierges  qui  l'habitent 
avec  les  vertus  :  Ascende  in  Carmelum;  faites-en  la  gloire 
par  la  constance  de  vos  sentiments,  comme  vous  la  laites 
aujourd'hui  par  la  grandeur  de  votre  sacrilice  :  Décor  Car- 
rneli.  Si  l'austérité  de  la  règle  qu'on  y  pratique  y  retrace 
les  rigueurs  de  Calvaire,  souvenez-vous  que  ces  rigueurs, 
préférées  à  toutes  les  douceurs  que  vous  pouviez  goûter 
dans  le  monde,  vous  y  produiront  des  richesses  préférables 
à  toutes  celles  que  le  plus  grand  monde  pouvait  vousoffiir. 

Et  vous,  saintes  barrières  qui  séparez  l'empire  de  Jésus- 
Christ  de  celui  du  monde,  ouvrez-vous,  recevez  l'illustre 
conquête  que  le  siècle  est  forcé  de  céder  à  la  religion. 
Puisse  le  trésor  de  vertus  qu'elle  y  porte  augmenter  sans 
cesse  par  l'exemple  de  celles  qu'elle  y  verrai  Puisse  sa 
grande  àme,  renouvelant  chaque  jour  l'offrande  qu'elle 
fait  d'elle-même  à  Jésus-Christ,  mériter  que  ce  divin  Sau- 
veur renouvelle  aussi  chaque  jour  en  sa  faveur  le  bonheur 
que  j'annonce  de  sa  part  !  Puissent  tous  vos  jours,  ma  chère 
sœur,  ressembler  à  celui  qui  éclaire  votre  entrée  dans  le 
sanctuaire  !  Je  compterai  parmi  les  plus  beaux  de  ma  vie 
celui  où,  chargé  du  ministère  de  la  parole,  j'ai  l'honneur 
de  servir  d'interprète  aux  sentiments  de  votre  cœur  et 
d'être  l'organe  des  miséricordes  du  Seigneur. 

Ministre  (1)  du  saint  pontife  que  la  religion  a  placé  sur 
le  premier  siège  du  monde,  et  qui  en  relève  l'éclat  par 
celui  de  ses  vertus,  quelle  consolation  pour  vous  de  pré- 
sider de  sa  part  et  en  sod  nom  à  une  cérémonie  aussi  au- 
guste, aussi  sainte,  aussi  intéressante  pour  tout  le  monde 
chrétien!  Frappé  d'un  événement  qui  tient  du  prodige  et 
dont  la  gloire  rejaillit  sur  son  pontificat,  le  chef  de  l'Eglise 
veut  contribuer  autant  qu'il  est  en  lui  à  la  célébrité  de  ce 
grand  jour.  Quels  heureux  succès  ne  doit-on  pas  attendi  o 
d'un  engagement  contracté  sous  d'aussi  respectables  aus- 
pices? Oui,  nous  espérons  tous  que  les  prières  du  vicaire 
de  Jésus-Christ,  jointes  aux  grâces  dont  il  vient  d'ouvrir 
le  trésor  (2)  et  aux  vœux  que  vous  formez  vous-même, 
vœux  que  votre  7èle  et  votre  piété  rendent  si  dignes  d'êiro 
exaucés,  attireront  de  nouvelles  bénédictions  sur  l'auguste 
victime  qui  se  sacrifie  avec  tant  de  courage. 

Contentez  donc  sa  sainte  impatience;  hâtez-vous  de  voi- 
ler des  yeux  qui,  déjà  fermés  au  monde,  ne  veulent  plus 
s'ouvrir  que  sur  la  croix  de  Jésus-Christ,  y  contempler 
l'époux  adorable  qu'elle  choisit,  le  parfait  modèle  qu'elle 
se  propose,  le  guide  infaillible,  qui,  du  sauctuaire  de  sa 
grâce,  la  conduira  dans  celui  de  sa  gloire,  où  puissions- 
nous  tous  arriver  avec  elle.  Ainsi  soit-il. 


France  une.  indulgence  plénière  pour  le  jour  de  la  prise 
d'habit  de  Madame  Louise-Marie  de  France. 


TABLE  DES  MATIERES. 


Notice  sur  Bégault.  9 

PANEGYRIQUES,  SERMONS  ET   DISCOURS  CHOISIS 

DEBEGAULT. 

Panégyrique  de  saint  Louis,  roi  de  France.  Ibid. 

de  saint  Thomas  d'Aquin.  26 

—  de  saint  Roch.  39 

—  de  saint  Jacques  le  Majeur.  52 
Sermon  pour  le  dimanche  de  la  Quinquagésime. — Sur 

les  désordres  du  carnaval.  (18 

Sermon  pour  le  cinquième  dimanche  d'après  la  Pente- 
côte.— Sur  l'hypocrisie.  82 
Sermon  pour  un  synode.  97 
Discours  pour  la  bénédiction  d'un  mariage.  110 
Discours  sur  la  douceur  de  l'esprit.  118 
Notice  sur  Dom  .Ikhôme.                                       127-128 

SERMONS  DE  DOM  JEROME. 

Sermon  pour  la  fête  de  tous  les  saints.  Ibid. 

Sermon  pour  le  jour  des  morts.  138 

Sermon  pour  le  premier  dimanche  de  l'avenl. — Sur  le 

jugement  et  la  vigilance  chrétienne.  149 

Sermon  pour  le  deuxième'  dimanche  de  l'avent.— Sur  le 

.'luxe.  .  100 

Sermon  pour  le  troisième  dimanche  de  Pavent.— Sur  le 

même  sujet.  171 

Sermon  pour  le  quatrième  dimanche  de  l'avent— Sur  la 

pénitence.  181 

Sermon  pour  le  jour  de  Noël.  192 

Sermon  pour  la  fête  de  saint  Jean  évangélistn.  202 

Sermon  pour  le  premier  >our  de  l'année.— Sur  |:>  néeca- 


silé  de  mener  une  vie  remplie  et  occupée;  moyens  pour 
vivre  de  cette  manière  dans  tous  les  étals.  213 

Sermon  pour  la  fêle  de  sainte  Geneviève.  225 

Sermon  pour  la  fête  de  1  Epiph.  de  Notre-Seigneur.237 

Sermon  pour  le  quatrième  dimanche  d'après  l'Epipha- 
nie. 245 

Sermon  pour  le  dimanche  de  la  Scpluagésime.— Sur 
l'aumône.  256 

Sermon  pour  le  dimanche  de  la  Quinquagésime. — Sur 
les  plaisirs.  208 

Sermon  Ier  pour  le  jour  des  Cendres.— Sur  la  pensée 
de  la  mort.  2S0 

Sermon  II  pour  le  mercredi  des  Cendres. — Etat  du  pé- 
cheur en  lui-même.  294 

Sermon  pour  le.  jeudi  d'après  les  Cendres.— Des  devoirs 
envers  les  domestiques.  302 

Sermon  pour  le  vendredi  d'après  les  Cendres.— Conser- 
ver la  charité  fraternelle.  317 

Sermon  pour  le  premier  dimanche  de  carême.— Sur  la 
tentation.  330 

Sermon  pour  le  lundi  de'  la  première  semaine  de  ca- 
rême— Delà  tentation.  341 

Sermon  pour  le  mardi  de  la  première  semaine  de  ca- 
rême.—Sur  les  devoirs  des  pères  et  mères  envers  leurs 
enfants.  353 

Sermon  pour  le  jeu  Ji  de  la  première  semaine  de  ca- 
rême.— Sur  la  prière.  3sf( 

Sermon  pour  le  samedi  de  la  première  semaine  de  ca- 
rême.—Sur  la  gloire  éternelle.  Wi 

38* 


1211 


I  \isi.i.  DES  MATIERES. 


121* 


Sermon  pour  le  deuxième  dimanche  de  carême.     ! 
ter  Jésus-Christ  Comme  noire  unique  docteur.  387 

Sermon  pour  le  lundi  de  la  deuxième  semaine  de  e>- 
rême.— De  la  mort  dans  le  péché..  B96 

Sermon  pour  le  mardi  de  la  deuxième  semaine  de  ca- 
rême. —  Sur  le  malheur  de  l'état  des  riches  selon  le 
monde.  408 

Sermon  pour  '.e  jeudi  de  la  dcuiièmc  semaine  de  c  i 
rême. — Des  supplices  du  pécheur.  422 

Sn  mou  pour  le  samedi  de  la  deuxième  semaine  de  ca- 
rême.—Sur  la  médisance.  432 
Sermon  pour  le  troisième  dimanche  de  carême.— De 
l'amour  de  Dieu.  411 
Sermon  pour  le  lundi  de  la  troisième  semaine  de  ca- 
rême.- -De  l'amour  de  Dieu.  4:;i 
Sermon  pour  le  mardi  de  la  troisième  semaine  de  ca- 
rême.—De  la  correction,  fraternelle.                             403 
Sermon  pour  le  mercredi  de  la  troisième  semaine  de 
carême.— De  la  vraie  dévotion.                                     473 
Sermon  pour  le  jeudi  de  la  troisième  semaine  de  ca- 
rême.— Sur  l'usage  des  maladies.                                485 
Sermon  pour  le  samedi  de  la  troisième  semaine  de  ca- 
rême.— De  la  mort  dans  le  péché,  parce  qu'il  y  a  peu  de 
chrétiens  qui  ne  vivent  dans  le  péché.  495 
Sermon  pour  le  quatrième  dimanche  de  carême. — Sur 
l'aumône.  505 
Sermon  pour  le  mardi  de  la  quatrième  semaine  de  ca- 
rême.— De  la  préparation  prochaine  a  la  mort.             513 
Sermon  pour  le  jeudi  de  la  quatrième  semaine  de  ca- 
rême.—Sur  les  caractères  de  la  mort  de  l'Urne.  525 
Sermon  pour  le  vendredi  de  la  quatrième  semaine  de 
carême.— Sur  la  résurrection  de  l'âme.  539 
Sermon  pour  le  samedi  de  la  quatrième  semaine  de  ca- 
rême.—De  la  modération  de  la  douleur  dans  la  mort  de 
ses  proches.                                                               551 
Sermon  pour  le  dimanche  de  la  Passion.— Des  disposi- 
tions nécessaires  pour  approcher  de  l'eucharistie.         561 
Sermon  pour  le  mardi  de  la  Passion.— De  la  nécessité 
d'interrompre  les  affaires  temporelles  pour  penser  à  celle 
du  salut.  574 
Sermon  pour  le  mercredi  de  la  Passion.— Crimes  d'une 
femme  du  monde  dans  Madeleine  pécheresse.  587 
Sermon  pour  le  jeudi  de  la  Passiou. — Retour  d'une  fem- 
me du  monde  dans  Madeleine  pécheresse.                   600 
Sermon  pour  le  dimanche  des  Rameaux— De  l'examen 
de  conscience.  CI  1 
Sermon  pour  le  lundi.de  la  semaine  sainte. — Disposition 
du  pénitent  pour  recevoir  l'absolution.  621 
Sermon  pour  le  jeudi  saint. — Sur  la  cérémonie  de  l'ab- 
soute.                                                               ',       653 
Sermon  pour  le  vendredi  saint.— Sur  la  Passion.  "    642 
Sermon   pour  le  jour  de   Pâques. — Caractères  d'une 
vraie  conversion,  marqués  dans  la  résurrection  de  Jésus- 
Cbrist.  663 
Sermon  pour  le  lundi  de  Pâques.— Sur  l'état  de  Jésus- 
Christ  ressuscité,  modèle  de  notre  résurrection.           675 
Sermon  pour  le  mardi  de  Pâques. — Sur  les  conversa- 
tions. 681 
Sermon  pour  le  dimanche  de  Quasimodo.— Sur  la  né- 
cessité d'être  uni  à  Jésus-Christ  souffrant.  694 
Sermon  pour  le  jour  de  l'Annonciation.— Sur  les  quali- 
tés de  Marie  dans  le  mystère  de  ce  jour.  706 
Sermon  pour  le  jour  de  l'Ascension.— Sur  le  mystère 
que  l'Eglise  propose  en  ce  jour.                                    716 
Sermon  pour  (e  jour  de  la  Pentecôte.— Sur  le  mystère 
de  la  descente  du  Saint-Esprit.  725 
Sermon  pour  la  fête  du  très-saint  sacrement. —De 
l'excellence  de  l'adorable  eucharistie.                           733 
Sermon  pour  le  dimanche  dans  l'octave  du  saint  sacre- 
ment.— Du  crime  de  la  profanation  de  l'eucharistie.       745 
Sermon  pour  le  jour  de  l'octave  du  saint  sacrement. — 
Des  conditions  du  bon  usage  de  l'eucharistie.  7,'i:i 
Sermon  pour  le  jour  de   l'Assomption.— De  la  dévotion 
à  la  sainteVierge.                                                         766 
Sermon  pour  le  dix-huitième  dimanche  après  la  Pente- 
côte.— Sur  l'évangile  du  paralytique.  776 
Sermon  pour  la  fête  de  sa  ni  Maur,  abbé(15janvier).  7*7 
s.  mion  pour  la  fêle  de  la  Conversion  de  saint  Paul  (25 
janvier).  794 
Sermon  sur  les  grandeurs  de   Jésus-Christ  (28  jan- 
vier). 806 
Sermon  pour  la  fêle  de  saint  Sévcrin  (11  février).      818 
Sermon  pour  la  fêle  de  sainte  Clotilde  (S  juin). 
Sermon  pour  la  fête  de  saint  Jeau-Dapjisle  (24  juin). 

856 


-  rmoa  pour  h  fête  de  sainte  Madeleine  (2S  juillet).  - 
serumu  pour  i<  ht   do  sainte  Elisabeth  (19  notetB- 

856 
ducoom  moi  m  tanum  h  mu  joc»s. 
Prière  avant  la  retraite. 
Premier  discours. 

II.  873 

III 
I\. 

V.  -I 

VI.  897 

VII.  904 

VIII.  '.m 
Prière  pour  la  fin  de  la  retraite.  '.14 
Sermon  pour  la  solennité  des  sainis  de  l'ordre.  915 
Sermon  pour  la  vêlure  d'une  religieuse.  ''ï"> 
Sermon  1"  pour  une  profession.  932 
Sermon  II  pour  une  profession.  941 

sonumm  m  n  -ir,  «ca  roi  h  m  mocramt. 

I.  Se  reconnaître  pécheur. 

II.  Se  reconnaître  digne  de  la  mort.  /'ni. 

III.  Accepter  l'arrêt  de  la  mon.  Ibid. 

IV.  Lire  bien  aise  que  cet  arrêt  de  mort  ne  s'exécui- 
que  par  parties. 

V.  Désapprouver  toutes  les  dispositions  contraires  à  est 
abandonuement.  Itid. 

VI.  Désirer  Dieu  et  son  royaume.  lbtd. 
VU.  S'unir  à  Jésus-Christ,   pour  qu'il  nous  offre  a  son 

Père.  947 

VIII.  Attendre  en  paix  le  moment  de  Dieu  et  la  c  n- 

sommalion  du  sacrifice.  948 

Notice  si  r  Nesjiond.  947-918 

SERMONS,   BARANGURS,   DISCOURS,  etc. 
DE  NESMOND. 

Discours  I'r  prononcé  à  l'ouverture  des  Etals  de  la  pro- 
vince de  Languedoc.  949 

Discours  11  prononcé  à  l'ouvei  ture  de  l'assemblée  des 
Etals  de  Languedoc.  ■',;8 

Discours  III  prêché  aux  Etats  de  Languedoc.  988 

Discours  IV  prononcé  à  l'ouverture  de  l'assemblée  des 
Etats  de  Languedoc.  1009 

Lettre  pastorale  de  M.  de  Nesmond.én'que  de  Moniau- 
ban,  aux  nouveaux  caiholiquesde  son  diocèse.  1028 

Première  harangue  au  roi  Louis  XIV,  en  1694,  au  nom 
des  trois  Etals  de  la  province  de  Languedoc  1062 

Harangue  II  au  même,  en  1700,  pour  la  clôture  de  l'as- 
semblée générale  du  clergé  en  France.  li>»,,'i 

Harangue  III  au  même,  pour  la  clôture  de  rassemblée, 
du  clergé  de  1711.  1071 

Harangue  IV  au  même,  pour  l'ouverture  de  l'assemblée 
énérale  du  clergé,  en  1715. 

Harangue  au  dauphin.  I  "s  1 

Discours  prononcé  au  sacre  et  couronnement  du  roi 
Lous  XV  li'so 

Harangue  au  roi  Louis  XV,  <  n  1725,  pour   I 
générale  du  clergé  de  France.  D>84 

Compliment  aux  commissaires  du  roi  Louis  XV  à  l'as- 
semblée du  clergé.  1088 

Réponse  au  compliment  du  prévôt  des  marchands  et 
échevins  de  Paris  à  l'assemblée  du  clergé.  1089 

Mandement  pour  demander  a  Dieu,  par  de  nouvelles 
prières  publiques,  d'être  préservé  des  maladies  conta- 
gieuses. 1000 

Notice  si  r  Poncet  delà  Rivière  (Mallbi. s).  I  H 

ORAISONS  FUNF.RRKS  DE  PONCET  DE  LA  RIVIERE. 

Oraison  funèbre  de  Marie-Thérèse   infaute  d'r-, 
dauphins. 

—  —       de  Catherine  Opalinska,  reine  de  Po- 

logne. 1109 

—  —       de  Madame  Anne-Henriclte  de  France. 

1122 

—  —        de  Madame  Louise-Elisabeth  de  France, 

lofante  d'Espagne,  duchesse  de  Par- 
me, Plaisance  et  Goastalle.       Il "4 

—  —       d'Elisabeth  Farnèse,   reine  d'Espagne 

.  t  des  Indes.  1 1  i  » 

—  —        de   Marie,   reine  de  Franco  1 1  de  Na- 

varre. 1163 

—  —        de  Louis  XV,  roi  de  France  cl  de  Na- 

varre. Il  Si 

Discours  pour  la  prise  d'habit  de  Madame  Louise-Marie 

de  France.  1199 


B 


FIN  DU  TRENTIEME  VOLUME. 


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